ÉPHÉSIENS XIII

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HOMÉLIE XIII. JE VOUS DIS DONC, ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR, DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L'INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES, ENTIÈREMENT ÉLOIGNÉS DE LA VIE DE DIEU, PAR L'IGNORANCE QUI EST EN EUX, A CAUSE DE L'AVEUGLEMENT DE LEUR COEUR, QUI, AYANT PERDU TOUT ESPOIR, SE SONT LIVRÉS A L'IMPUDICITÉ, A TOUTES SORTES DE DISSOLUTIONS, A L'AVARICE. (IV, 17-19, JUSQU'A 24.)

 

Analyse.

 

1 et 2. De l'aveuglement volontaire. — Le vieil homme et l'homme nouveau.

3 et 4. Les moines et les religieuses au temps de saint Jean Chrysostome. — Règles moins rigoureuses è l'usage des faibles. — Vertus des femmes, proposées en exemple aux hommes.

 

1. Cela ne s'adresse point seulement aux Ephésiens ; c'est encore à vous que ce langage est tenu, non par nous, mais par Paul lui-même, ou plutôt, ni par nous, ni par Paul, mais par la grâce de l'Esprit. Soyez donc dans les dispositions qui conviennent pour écouter une pareille voix. Et d'abord, écoutez ce qu'elle vous dit : « Je vous dis donc, et je vous conjure par le Seigneur, de ne plus marcher comme les gentils, qui marchent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l'intelligence obscurcie de ténèbres , entièrement éloignés de la vie de Dieu, par l'ignorance qui est en eux, à cause de l'aveuglement de leur cœur ». Mais si c'est ignorance, aveuglement, que leur reprochez-vous? Quiconque ignore ne doit point être puni, ni réprimandé, mais instruit des choses qu'il ignore. Mais considérez comment aussitôt il leur enlève cette excuse : « Qui, ayant perdu tout espoir, se sont livrés à l'impudicité, à toutes sortes de dissolutions, à l'avarice. Pour vous, ce n'est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ ». Il montre ici que leur aveuglement provient de leur conduite ; et que leur conduite est un fruit de leur propre négligence et de leur apathie. « Qui, ayant perdu tout espoir, se sont livrés ». Ainsi donc, quand vous entendrez dire que Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 23 ) , souvenez-vous de cette parole, qu'ils se sont livrés eux-mêmes. S'ils se sont livrés eux-mêmes, comment Dieu les a-t-il livrés ? Ou si c'est Dieu, comment eux-mêmes se sont-ils livrés?  (505) Vous voyez cette apparente contradiction ? Mais « Dieu les a livrés », signifie ici : Dieu les a laissés aller. Voyez-vous qu'en l'absence d'une vie pure, de pareilles doctrines prennent facilement naissance ? « Quiconque fait le mal », est-il écrit, « hait la lumière, et ne vient pas à la lumière ». (Jean, III, 20.)

Comment concevoir qu'un pervers , un homme prostitué à toutes les femmes, à l'image de ces pourceaux qui se vautrent dans les bourbiers, qu'un avare, qu'un homme sans souci de la tempérance, puisse adopter un genre de vie comme le nôtre ? Voilà les occupations dont ils font métier, dit l'apôtre. De là leur aveuglement, de là le crépuscule répandu sur leur esprit. La plus brillante lumière pâlit, quand on a les yeux faibles; or, les yeux s'affaiblissent, soit par suite d'un afflux d'humeurs malignes, soit par l'abondance trop grande du liquide qu'ils recèlent. C'est la même chose ici : quand le flux des choses mondaines vient à submerger notre intelligence, elle se trouve dans. l'obscurité ; et comme si nous étions au fond de l'eau, nous devenons hors d'état de voir le soleil, à cause de la barrière que l'eau dont nous sommes couverts oppose à nos regards. C'est ainsi que s'aveuglent également les yeux de notre raison, quand nulle crainte n'ébranle notre âme. « La crainte de Dieu n'est pas devant ses yeux », est-il écrit; et encore : « L'insensé a dit dans son coeur : il n'y a pas de Dieu ». (Ps. XIII, 3,1.) Cet aveuglement provient d'une seule cause, l'apathie : voilà ce qui obstrue nos organes. Quand- une humeur vient à se concentrer et à se condenser dans un endroit, le membre devient insensible et comme mort; brûlez-le, coupez-le, faites ce que vous voudrez, il ne sent plus rien. De même, une fois que les hommes dont je parle se sont abandonnés à la débauche, employez le discours pour les guérir, à la façon du fer ou du feu, rien ne les touche, rien ne pénètre jusqu'à eux; le membre est paralysé; si vous ne guérissez pas cette insensibilité, si vous n'attendez pas que le membre soit sain, vous perdez votre peine. « A l'avarice ». C'est ici particulièrement qu'il leur ôte toute excuse. Il ne tiendrait qu'à eux, s'ils le voulaient, d'éviter l'avarice, l'incontinence, la gourmandise, les voluptés; ils pourraient ne toucher à l'argent, au plaisir, au luxe, qu'avec modération ; mais une fois qu'ils ont abusé, tout est perdu. « A toutes sortes de dissolutions ». Voyez-vous comment par là il leur ôte tout recours? Il montre qu'ils n'ont point péché par accident, mais par coutume, et, pour ainsi dire, par métier : « A toutes sortes de dissolutions ».

Par dissolutions, entendez l'adultère, la fornication, la sodomie, l'envie, tous les genres d'intempérance et de débauche. « Pour vous, ce n'est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ, si toutefois vous l'avez écouté, et si vous avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine (20, 21) ». Ces mots : « Si toutefois vous l'avez écouté », ne marquent point ici un doute, mais une affirmation expresse ; c'est ainsi qu'on lit ailleurs « Si pourtant il est juste devant Dieu, qu'il rende l'affliction à ceux qui vous affligent ». (II Thess. I, 6.) En d'autres termes : Ce n'est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ. « Si toutefois vous l'avez écouté, et si vous avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller, par rapport à votre première vie, le vieil homme (22) ». Ainsi, c'est encore être instruit touchant le Christ, que de bien vivre. Celui qui vit mal, méconnaît Dieu, et il est méconnu de lui. Ecoutez plutôt ce que dit ailleurs le même Paul : « Ils confessent qu'ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs oeuvres ». (Tit. I,16.) « Selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller, par rapport à votre première vie, le vieil homme ». En d'autres termes : Ce ne sont pas là vos conventions. Parmi nous, ce n'est pas la vanité qui règne, mais la vérité; si les dogmes sont vrais, la vie ne l'est pas moins. C'est le péché et le mensonge; qui sont vanité; quant à la bonne conduite, c'est vérité ; car la fin en est sublime : la débauche, au contraire, aboutit au néant. « Qui se corrompt par les désirs de son erreur ». Si ses désirs sont corrompus, il l'est également lui-même.

2. Comment donc ses désirs sont-ils corrompus ? Tout se dissout par la mort : écoutez le prophète qui nous dit : « En ce jour périront « toutes ses pensées ». (Ps. CXIV, 4.) Et ce n'est pas seulement par la mort, c'est de mille autres manières: par exemple, la beauté s'enfuit devant la maladie et la vieillesse, elle meurt, elle se flétrit. La force du corps succombe aux mêmes atteintes : la mollesse elle-même ne goûte plus les mêmes plaisirs, la vieillesse venue. C'est ce que nous fait voir l'histoire de (506) Bérzellaï, qui vous est certainement connue (II Rois, XIX.) Ou enfin, c'est la passion elle-même qui détruit celui qu'elle dévore. Le vieil homme est comparable à la laine qui vient des bêtes et périt par les bêtes. On peut être victime, et beaucoup l'ont été de l'avarice, des plaisirs, et dupe de la passion. Car à vrai dire, ce n'est point volupté, mais amertume et illusion, leurre et comédie : l'extérieur a bonne apparence, mais au fond, on ne trouve que misère, détresse, dégoûts, pénurie complète : ôtez le masque, mettez le visage à nu : la déception vous apparaîtra. Car il y a déception, quand une chose semble différente de ce qu'elle est réellement. Ainsi naît l'erreur.

Paul nous décrit quatre hommes : je vais vous les montrer si vous le voulez. D'abord, en voici deux, dans ces paroles: « Ayant dépouillé le vieil homme, renouvelez-vous dans l'esprit de votre âme, et revêtez-vous de l'homme nouveau ». Il fait mention de deux autres dans l'épître aux Romains : « Mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit , et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». (Rom. VII, 23.) Ceux-ci ont du rapport avec les autres, l'homme intérieur avec l'homme nouveau, l'homme extérieur avec le vieil homme : Néanmoins il y en a trois qui ont succombé. Mais que dis-je? Ils sont trois encore aujourd'hui, le nouveau, l'ancien, et l'homme essentiel ou naturel. — « Renouvelez-vous dans l'esprit de votre âme  (23) ». Pour qu'on n'aille pas croire qu'après avoir nommé l'ancien homme et le nouveau, il en introduit ici un troisième, considérez comment il parle : « Renouvelez-vous ». Il y a renouvellement, quand ce qui était vieux rajeunit, en vertu d'une transformation. De sorte que le sujet reste le même, et que le changement n'intéresse que les accidents. Car il en est de ceci comme du corps qui reste le même, en dépit des changements qui peuvent survenir dans ses phénomènes. Mais comment doit s'opérer ce renouvellement? « Dans l'esprit de votre âme ». Quiconque gardera en soi quelque chose d'ancien n'arrivera à rien : car l'esprit répugne à tout ce qui est ancien, « L'esprit de votre âme », c'est-à-dire : l'esprit qui est dans votre âme. « Et revêtez-vous de l’homme nouveau (24) ». Voyez-vous que le personnage reste le même, et qu'il se dépouille seulement d'un habit pour en revêtir un autre ? « De l'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité ». Pourquoi appelle-t-il homme la vertu, et homme encore le vice ? Parce que sans opération l'homme ne serait pas manifesté. En sorte que cela contribue non moins que la nature à manifester l'homme, soit bon, soit mauvais. Mais s'il est facile de se dépouiller d'un vêtement, il en est de même pour le vice et la vertu. L'homme jeune est fort : de même soyons forts, nous aussi, pour la pratique du bien. L'homme jeune n'a point de rides : n'en ayons pas davantage. L'homme jeune marche droit, et résiste aux atteintes de la maladie : résistons-y pareillement. « Qui a été créé ». Voyez comment il appelle ici création la réalisation de la vertu, son passage du néant à l'être. Mais quoi ! cette autre création n'est-elle pas selon Dieu ? Nullement, mais selon le diable: c'est le diable qui est l'auteur du péché. Comment cela? Parce que l'homme n'a pas été créé seulement avec de lit terre et de l'eau, mais encore dans la justice et la sainteté de la vérité. Qu'est-ce à dire? c'est-à-dire que Dieu l'a créé fils du premier coup : car ce titre remonte au baptême: voilà notre essence... Remarquez ces mots : « Dans la justice et la sainteté de la vérité ». Il y avait autrefois de la justice et de la sainteté chez les Juifs ; mais ce n'était pas une sainteté , une justice de vérité ; c'étaient de simples images. La pureté du corps, en effet, n'était qu'une figure de la pureté, et n'en était point la réalité ; de même la justice existait, non en réalité, mais en figure. « Dans la sainteté et  la justice de la vérité ». Peut-être aussi a-t-il ici en vue le mensonge de ces infidèles, qui se font passer faussement pour justes.

Par justice, entendez la vertu en général. Le Christ a dit : « Si votre justice n'abonde pas plus que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux ». (Matth. V, 20.) Il est encore écrit: « Celui qui est sans reproche est appelé juste». (I Jean, III, 9.) De même, dans les jugements, nous appelons juste celui qui a été offensé et n'a point rendu la pareille. Si donc au terrible jugement nous pouvons paraître justes les uns à l'égard des autres, nous pourrons obtenir quelque miséricorde. Car à l'égard de Dieu, la chose est impossible, quelle qu'ait pu être notre conduite: l'avantage de la justice (507) est, en effet, toujours de son côté, comme dit le prophète : « Et tu triompheras dans les jugements ». (Psaume, L, 6.) Mais si nous n'avons pas enfreint la justice à l'égard de notre prochain, si nous pouvons montrer que nous avons subi l'iniquité, alors nous serons justifiés. Mais puisque nous sommes déjà vêtus, pourquoi nous dire encore: « Revêtez-vous?» C'est qu'il parle maintenant de la conduite et des actions. Notre premier vêtement nous est venu du baptême : celui-ci, nous le devrons à nos œuvres, non plus selon les désirs de l'erreur, mais selon Dieu. — Mais la sainteté en quoi consiste-t-elle ? Dans la pureté, dans l'acquittement de notre dette. Nous employons une expression tirée de là pour désigner les derniers devoirs rendus aux morts : c'est comme si nous disions : Je ne leur dois plus rien, ils n'ont plus rien à réclamer de moi. Nous nous servons encore de termes de ce genre pour dire: « J'ai payé mon tribut, je suis quitte (1) »

3. C'est donc à nous qu'il appartient de ne pas quitter ce vêtement de justice que le prophète appelle encore vêtement de salut, afin de nous rendre semblables à Dieu, qui, lui aussi, est vêtu de justice. Tel doit être notre vêtement. Quant à cette expression revêtir, elle revient à celle-ci : Ne jamais quitter. Ecoutez plutôt le langage du prophète : « Il a revêtu la malédiction comme un vêtement, et elle viendra à lui»; et encore: « Celui qui se revêt de lumière comme d'un manteau ». (Ps. CVIII, 18 et CIII, 2.) Nous employons de même cette expression en parlant des hommes; nous disons : « Un tel s'est revêtu d'un tel ». Ainsi donc ce n'est pas un jour, ni deux, ni trois, c'est toujours que nous devons rester dans la vertu, sans jamais nous dépouiller de ce vêtement. En effet, il y a moins d'indécence pour l'homme à avoir le corps nu, qu'à se montrer dépouillé de vertu. Dans le premier cas, son indécence n'a pour témoins que les compagnons de son esclavage; dans le second les témoins sont le Maître et les anges. Ne seriez-vous pas choqué, dites-moi, si vous voyiez un homme paraître tout nu sur la place publique? Que dirons-nous donc de vous, qui courez sans le vêtement dont je parle? Ne voyez-vous

 

1. Ce passage ne peut être rendu qu'approximativement en français, vu l'impossibilité de trouver parmi les dérivés de notre mot saint, des équivalents propres à exprimer toutes tes idées.

 

pas en quel état circulent ces mendiants que nous appelons « Lotages », et quelle pitié ils nous inspirent? Néanmoins ils sont sans excuse : nous ne pardonnons point à des gens qui ont perdu leurs habits en jouant aux dés. Comment donc Dieu pourrait-il nous pardonner, si nous perdons le vêtement de la vertu? Dès que le diable voit un homme dépouillé de vertu, aussitôt il lui noircit le visage, le souille, le meurtrit, et le soumet à toutes sortes de violences. Dépouillons-nous des richesses pour n'être point dépouillés dé la justice : les richesses ne font que gâter ce vêtement : elles sont comme un manteau d'épines; plus nous porterons sur nous de ces épines, plus notre nudité augmentera. L'incontinence nous dépouille aussi de notre vêtement : car c'est un feu, un feu qui le consume. L'argent est une teigne : comme la teigne, il ronge tout et n'épargne pas même les étoffes précieuses. Jetons donc bas toutes ces choses, afin que nous devenions justes, afin que nous revêtions l'homme nouveau. Ne conservons rien d'ancien, rien d'apparent, rien de corruptible. La vertu n'est pas si difficile à acquérir ni à pratiquer.

Considérez ceux qui vivent sur les montagnes : ils quittent maison, femmes, enfants, affaires : isolés du monde, revêtus d'un cilice, couverts de cendres, le cou emprisonné, ils s'enferment dans un humble réduit, et, non contents de cela, ils s'épuisent de jeûnes prolongés. Si je vous prescrivais d'en faire autant, ne vous enfuiriez-vous pas tous au loin? Ne déclareriez-vous pas mes exigences intolérables? Je ne réclame rien de pareil : je me borne à souhaiter, sans imposer rien. Prenez des bains, soignez votre corps, allez sur la place publique, gardez votre maison, vos serviteurs, buvez et mangez; mais bannissez impitoyablement la cupidité. Voilà l'origine du péché : tout excès devient péché : ainsi la cupidité n'est pas autre chose. Voyez plutôt quand la colère outrepasse ses justes bornes, alors elle déborde en injures, elle s'emporte à toutes les iniquités . de même pour l'amour sensuel, pour l'amour des richesses, de la gloire, que sais-je encore? Et ne venez pas me dire que les hommes dont je parle ont pu ce qui vous est impossible : beaucoup étaient plus malades que vous, plus riches, plus voluptueux, qui ont embrassé cette sévère et rigoureuse règle de vie.

 

508

 

Que dis-je, des hommes? des vierges parvenues à peine à la vingtième année, qui n'étaient jamais sorties de l'ombre de la maison où elles vivaient, au milieu des parfums et des suaves odeurs, couchées sur des lits moelleux, des filles délicates, gâtées encore par mille recherches, sans autre occupation que la toilette, le luxe, et les raffinement., du bien-être, incapables de se servir elles-mêmes, et entourées pour cet usage d'une foule de suivantes, des filles revêtues d'habits trop moelleux même pour leur mollesse, de souples et fines étoffes de lin, des filles qui ne cessaient de respirer l'odeur des roses et mille autres aussi délicieuses : les voilà qui tout à coup, embrasées de l'amour du Christ, se dépouillent de tout ce faste, de toute cette indolence, oublient le luxe et les plaisirs de leur âge, et pareilles à des athlètes généreux, renoncent à toutes ces douceurs pour se jeter au milieu des combats. Peut-être accuserez-vous mes paroles d'invraisemblance : mais je ne dis que la vérité. Je sais, oui, je sais que des filles délicates en sont venues à ce point d'austérité, de revêtir leur nudité des plus durs cilices, de laisser sans chaussures leurs pieds délicats, de dormir sur un lit de feuillage : que dis-je? elles passent à veiller la plus grande partie des nuits. Loin de penser aux parfums ou à mille autres de leurs frivolités passées, elles vont jusqu'à négliger cette tête, jadis objet de tant de soins, et se bornent à rattacher leurs cheveux au hasard, afin d'éviter l'indécence. Elles ne font qu'un repas le soir; et à ce repas elles ne mangent ni légumes ni pain , mais seulement de la farine, des fèves, des pois chiches, des olives et des figues; elles ne cessent de filer, et s'imposent des tâches bien plus rudes que ne sont celles des servantes. Elles se sont prescrit de soigner les femmes malades; elles portent leurs lits; elles leur lavent les pieds; beaucoup vont jusqu'à faire la cuisine: tant est puissante la flamme du Christ; tant le zèle peut prévaloir sur la nature. D'ailleurs je n'exige de vous rien de pareil, puisque vous voulez vous laisser dépasser par des femmes.

4. Faites du moins ce qui n'a rien de pénible : maîtrisez vos mains et le dérèglement de vos regards. Que voyez-vous là de difficile ou de malaisé? Pratiquez la justice, ne faites tort à personne, que vous soyez riche ou pauvre, marchand ou mercenaire : car l'injustice peut pénétrer jusque chez les pauvres. Ne voyez-vous pas combien de batailles ils livrent, combien de bouleversements ils provoquent? Mariez-vous, ayez des enfants : Paul écrivait aussi pour les gens mariés, et leur adressait aussi ses instructions. La lutte dont je vous ai parlé est une lutte sublime; le rocher est trop haut, la cime trop voisine du ciel; vous ne pouvez monter jusque-là : visez donc plus bas. Vous ne pouvez renoncer aux richesses au moins, ne dépouillez pas autrui, ne commettez pas l'injustice. Vous ne pouvez pas jeûner : au moins, ne vous plongez pas dans la mollesse. Vous ne pouvez pas dormir sur un lit de feuillage? Que l'argent, du moins, n'enrichisse pas votre couche; ayez un lit, des couvertures qui ne soient point faites pour la montre, mais pour le repos : point de lits d'ivoire, point d'ostentation. Pourquoi charger votre radeau de tant de marchandises? Si vous savez vous modérer, vous ne,craindrez rien, ni l'envie, ni les voleurs, ni les rapines. Vous êtes moins riches d'argent que de soucis; moins bien pourvus de trésors que d'angoisses et de dangers : « Ceux qui veulent être riches, introduisent chez eux les tentations et les convoitises funestes ». (I Tim. VI, 9.) Voilà à quoi s'exposent ceux qui veulent posséder beaucoup de biens. Je ne vous dis pas: Donnez vos soins aux malades : du moins chargez de cela votre serviteur.

Voyez-vous que mes recommandations n'ont rien de bien rigoureux? Songez plutôt à ces filles délicates qui nous devancent de si loin. Ah ! rougissons de voir que dans les choses du monde, comme la guerre et la lutte, nous sommes si loin de céder l'avantage à leur sexe; et qu'au contraire elle nous surpassent dans les combats spirituels, nous préviennent quand il s'agit de ravir la palme, et s'élèvent, dans leur vol sublime, aussi haut que l'aigle, tandis que nous, pareils à des corbeaux, nous ne pouvons nous élever au-dessus de la fumée d'ici-bas: oui, à des corbeaux, ou à des chiens gloutons, nous qui ne rêvons que de table et de cuisine. Rappelez-vous les femmes de l'ancien temps : car il y en eut de grandes, d'admirables, comme Sara, Rébecca, Rachel, Débora, Anne; le temps du Christ aussi en a vu de pareilles; néanmoins elles ne surpassaient pas les hommes et n'occupaient que le second rang. Aujourd'hui c'est tout le contraire : des femmes nous surpassent, nous éclipsent. Quelle dérision ! quelle ignominie! Nous (509) occupons la place de la tête, et nous nous laissons surpasser par le corps? Si nous avons été investis de l'autorité sur les femmes, ce n'est pas seulement pour les gouverner, c'est encore pour les gouverner selon la vertu. Car c'est par la supériorité de vertu que celui qui domine doit principalement dominer : s'il reste inférieur par ce côté, il cesse d'être le maître.

Voyez-vous quels miraculeux effets a produits la venue du Christ? comment elle a levé la malédiction? Les vierges sont plus nombreuses parmi les femmes, la chasteté est moins rare chez elles ainsi que la fidélité au veuvage; les femmes sont moins promptes à proférer des paroles grossières. Pourquoi donc en proférez-vous, dites-moi? Car ne venez pas me parler des femmes perdues. Ce sexe aime la parure, c'est son défaut. Mais en ce point encore les hommes les dépassent, eux qui se parent de leurs femmes comme d'objets de luxe. Je ne pense pas qu'une femme soit aussi fière des ajustements qu'elle porte que son mari l'est lui-même; la femme n'est pas si fière de sa ceinture dorée, que son mari n'est fier de la voir portée par sa femme. Les vrais coupables, c'est donc nous-mêmes, qui soufflons sur cette étincelle, qui attisons cette flamme. D'ailleurs, la faute ne saurait être imputée aussi sévèrement à la femme qu'à l'homme. Vous avez été chargé de la conduire ; en tout, vous réclamez le premier rang; montrez donc par votre exemple que vous ne tenez nullement à ce faste. La parure sied mieux à la femme qu'à l'homme. Si donc vous ne l'évitez pas, comment l'évitera-t-elle ? Les femmes ont de la vanité, mais ce défaut leur est commun avec les hommes; elles sont sujettes à la colère, et nous pareillement. Mais leurs qualités leur appartiennent, au contraire, en propre : je veux dire la chasteté, la ferveur, la religion, l'amour du Christ. Pourquoi donc, dira-t-on, ont-elles été exclues de la chaire de prédication? C'est encore une preuve de la grande distance qui existe entre elles et nous, et de la grandeur des femmes de ce temps. Quand Paul, Pierre, et maint autre saint prêchait , fallait-il , dites - moi, qu'une femme envahît cette fonction? Mais aujourd'hui nous sommes arrivés à un point de corruption tel, qu'il y a lieu de s'enquérir pourquoi les femmes n'enseignent pas, quand nous sommes devenus aussi faibles qu'elles. Si je parle ainsi, ce n'est point pour leur inspirer de l'orgueil, mais pour nous instruire, nous avertir nous-mêmes, et nous engager à ressaisir l'autorité qui nous appartient, non à titre de domination, mais à titre de gouvernement, de direction et de supériorité morale. Le corps ne sera dans l'état où il doit être, que lorsque l'autorité appartiendra au meilleur. Puissions-nous tous, hommes et femmes, vivre selon la volonté de Dieu, afin d'obtenir tous, au jour redoutable du jugement, la miséricorde du Seigneur, et d'entrer en possession des biens qui nous sont promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

 

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