LE XXIII NOVEMBRE. SAINT CLEMENT Ier,
PAPE ET MARTYR (1).
La mémoire de Clément se présente
entourée d'une auréole particulière dans les origines de l'Eglise de Rome. A ce
moment où les Apôtres ont disparu, il semble éclipser Linus et Clétus, qui cependant avaient reçu avant lui l'honneur de
l'épiscopat. On passe comme naturellement de Pierre à Clément, et les Eglises
orientales ne célèbrent pas son souvenir avec moins d'honneur que l'Eglise
latine. Il fut bien véritablement le Pontife universel, et l'on sent déjà que
l'Eglise tout entière est attentive à ses actes comme à ses écrits. Cette haute
réputation lui a fait attribuer tout un cycle d'écrits apocryphes, qu'il est
aisé de démêler de ses écrits véritables ; mais il est à noter que les
faussaires qui ont jugé à propos de lui prêter leurs propres œuvres, ou de
bâtir des romans à son sujet, s'accordent à le faire naître de race impériale.
Le temps a fait disparaître, sauf un seul, les documents qui
attestent l'intervention de Clément dans les affaires des Eglises lointaines ;
mais celui qui nous est resté montre en plein exercice la puissance monarchique
de l'évêque de Rome dès cette époque primitive. L'Eglise de Corinthe
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était agitée de discordes
intestines, que la jalousie à l'égard de certains pasteurs avait suscitées. Ces
divisions dont on découvre le germe dès le temps de saint Paul, avaient détruit
la paix et causaient du scandale aux païens eux-mêmes. L'Eglise de Corinthe
finit par sentir le besoin d'arrêter un désordre qui pouvait être préjudiciable
à l'extension de la foi chrétienne, et, dans ce but, il lui fallait chercher du
secours hors de son sein. A ce moment, tous les Apôtres avaient disparu de ce
monde,hors saint Jean qui éclairait encore l'Eglise de
sa lumière. De Corinthe à Ephèse, où résidait l'Apôtre, la distance n'était pas
considérable ; néanmoins ce ne fut pas vers Ephèse, mais vers Rome que l'Eglise
de Corinthe tourna ses regards.
Clément prit connaissance des
débats que les lettres de cette Eglise renvoyaient à son jugement, et fit
partir pour Corinthe cinq commissaires qui devaient y représenter l'autorité du
Siège apostolique. Ils étaient porteurs d'une lettre que saint Irénée appelle
très puissante, potentissimas litteras (1). Elle fut jugée si belle et si apostolique
à cette époque première, que longtemps on la lut publiquement dans plusieurs
Eglises, comme une sorte de continuation des Ecritures canoniques. Le ton en
est digne, mais paternel, selon le conseil que saint Pierre donne aux pasteurs.
Rien n'y sent l'esprit de domination; mais, à la gravité et à la solennité du
langage, on reconnaît la voix du pasteur universel, auquel nul ne saurait
désobéir, sans désobéir à Dieu lui-même.
Ce langage si solennel et si
ferme obtint son effet : la paix se rétablit dans l'Eglise de Corinthe,
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et les messagers de l'Eglise
romaine ne tardèrent pas à en rapporter l'heureuse nouvelle. Un siècle après,
saint Denys, évêque de Corinthe, témoignait encore au pape saint Soter la gratitude de son Eglise envers Clément pour le
service dont elle lui était redevable.
Elevé à l'école des Apôtres,
Clément avait retenu dans une certaine mesure leur style et leur manière. On
les remarque aussi dans ses deux Lettres aux vierges, dont on avait la
trace par saint Epiphane et par saint Jérôme, et qui furent retrouvées au XVIII°
siècle, en la traduction syriaque, sur un manuscrit apporté d'Alep (1).
Sainte Cécile déjà nous le
rappelait hier. Le principe de la continence vouée à Dieu fut dès l'origine
l'une des bases du christianisme, et l'un des moyens les plus efficaces dans la
transformation du monde. Le Christ avait relevé le mérite supérieur de ce
sacrifice, et saint Paul, comparant les deux états de la femme, enseignait que
la vierge est toute au Seigneur, tandis que l'épouse, malgré sa dignité, demeure
divisée (2). Clément eut à développer cette doctrine, et c'est ce qu'il fait
dans ces deux lettres. Avant saint Athanase, saint Ambroise, saint Jérôme,
saint Jean Chrysostome et saint Augustin, ces grands docteurs de la virginité
chrétienne, il développa les enseignements de Pierre et de Paul sur ce sujet si
grave. « Celui ou celle, dit-il, qui aspire à cette grandeur d'une vie
supérieure, doit vivre comme
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les Anges d'une existence divine et
toute céleste. La vierge s'isole des attraits sensuels ; non seulement elle
renonce au droit qu'elle aurait de les suivre en ce qu'ils ont de légitime ;
mais elle aspire à cette espérance que Dieu, qui ne saurait tromper, entretient
par sa promesse, et qui dépasse celle qu'ont les hommes d'avoir une postérité.
En retour de leur généreux sacrifice, leur partage au ciel est la félicité même
des Anges. »
Tel était le langage du disciple
de Pierre, choisi par lui pour mettre la main au renouvellement de la Babylone
romaine. Il ne fallait pas moins que cette forte doctrine, pour lutter avec
avantage contre le débordement des moeurs de l'Empire. Si le christianisme se
fût contenté d'inviter les hommes à l'honnêteté, comme faisaient les
philosophes, ses efforts eussent été en pure perte. Le stoïcisme, en surexcitant
l'orgueil chez quelques-uns, pouvait amener à mépriser la mort ; il était
impuissant à faire reculer le sensualisme, dans lequel il faut reconnaître le
plus puissant auxiliaire de la tyrannie des Césars. L'idéal de la chasteté,
jeté au sein de cette société dissolue, pouvait seul arrêter le torrent
d'ignominie qui menaçait de submerger toute dignité humaine. Pour le bonheur du
monde, la morale chrétienne parvint à se faire jour, et les exemples éclatants
se joignant aux maximes, on dut enfin en tenir compte La corruption romaine
s'étonna en entendant parler de la virginité, comme de l'objet du culte et de
la pratique d'un grand nombre de sectateurs de la religion nouvelle, et cela
dans un moment où les plus beaux privilèges, joints aux plus terribles
châtiments, avaient peine à contenir dans le devoir les six vestales sur la fidélité
desquelles reposaient l’honneur
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et la sécurité de la Ville
éternelle. Vespasien et Titus eurent connaissance des infractions que ces
gardiennes du Palladium se permettaient à l'égard de leur premier devoir ; mais
ils jugèrent que le niveau auquel étaient descendues les mœurs ne permettait
plus d'infliger à ces infidèles les pénalités antiques.
Le moment devait cependant
arriver bientôt où les empereurs, le sénat, Rome tout entière, allaient
apprendre, en lisant la première
Apologie de saint Justin, les
merveilles de pureté dont l'enceinte
de Babylone était
le théâtre. « Parmi nous, en cette ville, leur disait
l'apologiste, des hommes, des femmes, en nombre considérable, ont atteint déjà
l'âge de soixante à soixante-dix ans ; mais élevés dès leur enfance sous la loi
du Christ, ils ont persévéré jusqu'à cette heure dans l'état de virginité, et
il n'est pas de pays dans lequel je n'en pourrais signaler de semblables. » Athénagore, dans son mémoire présenté à Marc-Aurèle peu
d'années après, pouvait dire à son tour : « Vous trouverez parmi nous, tant
chez les hommes que chez les femmes, une multitude de personnes qui ont passé
leur vie jusqu'à la vieillesse dans l'état de virginité, n'ayant d'autre but
que de s'unir à Dieu plus intimement. »
Clément était prédestiné à la
gloire du martyre ; une sentence d'exil le relégua dans la Chersonèse, sur
le Pont-Euxin. Les Actes qui détaillent les circonstances de
ses souffrances remontent à une haute antiquité ; nous n'avons pas à les
discuter ici. Ils racontent que Clément trouva dans cette presqu'île un nombre
considérable de chrétiens déportés avant lui, et employés à l'exploitation des carrières
de marbre, qui étaient riches
et abondantes en Chersonèse. La joie des chrétiens
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à la vue de Clément s'explique
d'elle-même ; son zèle à propager la foi dans cette lointaine contrée et les
succès de son apostolat n'ont rien qui doive surprendre. Le miracle d'une
fontaine jaillissant de la roche à la parole de Clément, pour désaltérer les
confesseurs, est un fait analogue à cent autres que l'on rencontre dans les
Actes les plus authentiques des saints. Enfin l'apparition d'un agneau
mystérieux sur la montagne, où il marque de son pied le lieu d'où l'eau va
jaillit, reporte la pensée vers les premières mosaïques chrétiennes sur
lesquelles on voit encore le symbole de l'agneau debout sur un monticule
verdoyant (1). Au IX° siècle, Cyrille, l'apôtre des Slaves, retrouva près de Cherson les restes précieux du Pontife Martyr; Clément
rentra dans Rome, et l'insigne église qui, selon l'expression de saint Jérôme, gardait
la mémoire de son nom dans la Ville éternelle (2), posséda de lui désormais
mieux qu'un souvenir. Souvenir inestimable déjà cependant, non moins pour la
science que pour la piété : au témoignage d'antiques traditions, cette église
était bâtie sur l'emplacement de la demeure habitée par Clément dans la région
du Cœlius qui fut de son temps, on le sait par
ailleurs, le quartier préféré de l'aristocratie romaine; or, les investigations
archéologiques de ce dernier demi-siècle ont permis de retrouver, sous l'abside
môme de la basilique primitive, et lui formant comme une sorte de confession ou
d'hypogée, les chambres d'une habitation privée dont le style et les ornements
se révèlent contemporains des Flaviens (3).
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Il est temps de lire le récit
consacré au grand Pape du premier siècle dans la sainte Liturgie.
Clément naquit à Rome et eut pour père Faustinus ; il habitait la région du mont Cœlius. Il fut disciple du bienheureux Pierre. C'est de lui
que Paul fait mention dans son épître aux Philippiens, quand il dit : Je vous prie aussi, vous mon fidèle
compagnon, d'aider celles qui ont travaillé avec moi pour l'Evangile, ainsi que
Clément et les autres qui ont été mes aides, dont les noms sont au livre de vie. Il
partagea la Ville en sept régions, les attribuant à sept Notaires chargés
en chacune de rechercher et recueillir
avec grand soin les Actes des Martyrs. Lui-même
écrivit d'une plume châtiée beaucoup d utiles ouvrages qui firent honneur
au christianisme.
Mais comme par sa doctrine et
la sainteté de sa vie il convertissait beaucoup de monde à la foi du Christ,
l'empereur Trajan le relégua au delà du Pont-Euxin dans la solitude de Cherson, où se trouvaient déjà deux mille chrétiens
condamnés par ce même empereur. Employés à extraire et à tailler le marbre, ils
souffraient du manque d'eau, Clément, ayant prié, monta sur une colline qui
était proche, et vit à son sommet un Agneau marquant de son pied droit le lieu
d'où jaillissait une source d'eau douce où tous éteignirent leur soif. A la
suite de ce miracle , un grand nombre d'infidèles se
convertirent et vénérèrent Clément comme un saint.
A cette nouvelle, Trajan
irrité envoya dans ce lieu des gens chargés de jeter Clément à la mer, une
ancre au cou ; ce qui fut fait. Or, pendant que les chrétiens priaient sur le rivage , la mer se retira à trois milles, et approchant ils
virent un édicule de marbre en forme de temple où, dans un sarcophage de
pierre, était enseveli le corps du Martyr ; auprès se trouvait l'ancre avec
laquelle on l'avait précipité. Les habitants du pays, émus d'un pareil prodige,
embrassèrent la foi chrétienne. Le corps de Clément fut transporté à Rome par
la suite, sous le pontificat de Nicolas Ier, et déposé dans l'église de son
nom. Une église lui fut aussi dédiée à l'endroit de l'île d'où avait jailli la
source miraculeuse. Il vécut dans le pontificat neuf ans, six mois, six jours.
En deux ordinations au mois de décembre,
il créa dix prêtres, deux diacres, quinze évêques pour divers lieux.
Les Antiennes propres de l'Office
de saint Clément forment un ensemble plein de grâces et qui respire un grand
parfum d'antiquité.
ANTIENNES.
Prions tous le Seigneur
Jésus-Christ qu'il fasse couler une source d'eau pour ses confesseurs.
Comme saint Clément priait,
lui apparut l'Agneau de Dieu.
Sans regarder à mes mérites,
voici que le Seigneur m'a envoyé vers vous, pour partager vos couronnes.
J'ai vu sur la montagne
l'Agneau debout ; de sous son pied jaillit une source vive.
La source vive qui sous son
pied jaillit, c'est le fleuve impétueux qui réjouit la cité de Dieu.
Toutes les nations d'alentour
crurent au Christ Seigneur.
Comme il s'en allait vers la
mer, le peuple priait, disant à grands cris : Seigneur Jésus-Christ, sauvez-le
; et Clément disait avec larmes : Père, recevez mon esprit.
Seigneur, à Clément votre
Martyr vous avez donné pour demeure, au milieu de la mer, comme un temple de
marbre élevé par les mains des Anges ; vous en avez procuré l'accès aux
habitants du pays , pour qu'ils pussent raconter vos
merveilles.
Nous empruntons les belles formules
qui suivent au Sacramentaire léonien.
ORAISON.
Dieu tout-puissant et
éternel, qui êtes admirable dans la vertu de tous vos Saints, exaucez-nous :
que la solennité annuelle du bienheureux Clément soit notre joie, lui qui,
Martyr et Pontife de votre Fils, justifia par la parole son ministère et
joignit l'exemple à ses discours. Par Jésus-Christ.
PREFACE.
C'est une chose digne et
juste que nous vous rendions grâces, en célébrant le jour natal de saint
Clément, votre Martyr. Il abandonna famille et patrie ; séduit par votre nom,
courant à ses parfums, il traversa les terres et les mers ; se renonçant
lui-même, il porta la croix de ces pérégrinations afin de vous suivre sur les
pas de vos Apôtres. Or, voici que d'abord disciple du bienheureux Pierre, il est par vous ensuite, ô
Seigneur, substitué comme remplaçant et successeur à son maître ; cette ville
de Rome dont Dour vous il avait dédaigné les grandeurs, vous arrêtez de lui en
donner la principauté ; il n'a point voulu d'un éclat qui passe, et vous
l'ennoblissez devant les cieux. Enfin l'élevant à la gloire du martyre, vous
l'honorez, pour ses travaux dans le temps, d'une couronne éternelle.
Le Seigneur dit : Ma parole que j’ai mise en ta bouche ne
fera point défaut sur tes lèvres, et tes offrandes seront agréées à mon autel (1).
Ainsi l'Eglise débute en votre honneur aujourd'hui dans les chants du
Sacrifice. Et pour elle, en effet, quand les Apôtres disparurent, la grande
joie, la consolation suprême fut de constater que cependant ne défaillait pas
la parole; car, de ses dons, c'était le plus indispensable que l'Epoux
s'élevant aux cieux lui eût assuré. Or le Verbe, en vos écrits, parcourait
toujours la terre, autorisé et respecté, dirigeant, pacifiant, sanctifiant les
peuples aussi pleinement , aussi sûrement qu'au temps
des Apôtres et du Seigneur même ; la preuve, grâce à vous, se faisait éclatante
que Jésus, selon sa promesse , demeurait avec les siens jusqu'à la consommation
du monde ». Soyez béni d'avoir, dès ces temps reculés, consolé en cette sorte
notre Mère l'Eglise.
Ainsi comprîtes-vous encore, ô
Clément, que la grande œuvre apostolique,
la diffusion de
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l'Evangile au milieu des nations,
ne devait pas s'interrompre au départ des premiers ouvriers. Grâce à vous, la
mort et la nuit continuèrent d'être toujours plus loin refoulées. A nous entre
autres, à nous surtout, fils de la terre gauloise, il appartient de se souvenir
en ce jour. Soyez béni pour les augustes messagers que Lutèce et les cités ses
sœurs virent apparaître en leurs murs, disant de votre part à nos pères :
Debout, vous qui dormez; levez-vous d'entre les morts, et le Christ sera votre
lumière (1).
Mais les luttes d'un apostolat
aux prises sous tous les cieux avec le prince du monde, les soucis d'un
gouvernement qui déjà embrassait l'univers, ne suffisaient point au zèle dont
votre âme de Pontife était embrasée. Soyez béni d'avoir plus spécialement
consacré vos leçons et vos soins à la portion du bon troupeau plus intimement
aimée du Seigneur Christ, à ceux qui suivent l'Agneau de Dieu sur la montagne
où vous l'aperçûtes et partout où il va (2).
Puissent par votre prière les
émules de Flavia Domitilla
croître en nombre, en mérite plus encore, à la suite de l'Epoux. Puisse tout
chrétien retenir des enseignements de votre propre vie que la noblesse du monde
n'est rien , auprès de celle qu'assure l'amour du
Christ. Puisse le monde, puisse Rome, sa capitale, redevenir pour le Dieu des
armées ce domaine indiscuté que lui avaient acquis de concert le patriciat des
sept collines et l'apostolat parti de Judée.
Avec l'Eglise, au X Juillet, nous célébrâmes Félicité, la mère des Martyrs,
donnant au
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ciel en un septuple et nouvel enfantement
les sept fils que lui avait donnés la nature. Pour elle, cependant, la
récompense demeurait suspendue. Tandis que l'Eglise l'inscrit aux diptyques
sacrés, honorons-la derechef et prions-la, en ce jour où le glaive, comblant
ses vœux, justifiant son nom pour jamais, lui rend ses fils dans la suprême félicité.
Ant. Donnez-lui du fruit de ses mains ,
et que ses œuvres soient sa louange dans l'assemblée.
V/. La grâce a été répandue
sur vos lèvres.
R/. C'est pourquoi Dieu vous
a bénie pour l'éternité
ORAISON.
Dieu tout-puissant,
exaucez-nous célébrant la fête de la bienheureuse Félicité, votre Martyre :
puissent nous protéger ses mérites et sa prière. Par Jésus-Christ.