LE SAMEDI DE LA PENTECÔTE.
Venez , ô Esprit-Saint,
remplissez les cœurs de vos fidèles, et allumez en eux le feu de votre
amour. |
Veni Sancte Spiritus, reple tuorum
corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende. |
Nous avons admiré avec une tendre reconnaissance le
dévouement ineffable, la constance toute divine, avec lesquels l'Esprit-Saint accomplit sa mission dans les aines ; il nous
reste encore quelques traits à ajouter, pour compléter, bien imparfaitement
sans doute, l'idée des merveilles de puissance et d'amour qu'opère cet hôte
divin dans l'homme qui ne ferme pas son cœur à ses influences. Mais avant
d'aller plus loin nous éprouvons le besoin de rassurer ceux qui, au récit des
prodiges de bonté que fait en notre faveur le divin Esprit, et du mystère
sublime de sa présence continue au milieu de nous,en viendraient à craindre que
celui qui est descendu pour nous consoler de l'absence de notre Rédempteur ne
prenne place dans nos affections aux dépens de celui qui « étant de la
substance divine, et pouvant sans usurpation se donner pour l'égal de Dieu,
s'est anéanti lui-même, prenant la forme de l'esclave et se rendant semblable
aux hommes (1). »
La faiblesse de l'instruction
chrétienne chez un
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grand nombre de fidèles en notre
temps est cause que le dogme du Saint-Esprit n'est guère connu d'eux que d'une
manière vague, et qu'ils ignorent pour ainsi dire son action spéciale dans
l'Eglise et dans les âmes. Ces mêmes fidèles connaissent et honorent avec la
plus louable dévotion les mystères de l'Incarnation et de la Rédemption du Fils
de Dieu notre Seigneur; mais on dirait qu'ils attendent l'éternité pour savoir
en quoi ils sont redevables au Saint-Esprit.
Nous leur dirons donc ici que la
mission de ce divin Esprit est si loin de faire oublier ce que nous devons à
notre Sauveur, que sa présence au milieu de nous et en nous est le don suprême
de la tendresse de celui qui a daigné nous racheter sur la croix. Le souvenir
si touchant et si efficace que nous entretenons de ses mystères, par qui est-il
produit et conservé dans nos cœurs, si ce n'est par l'Esprit-Saint?
Et le but de toutes ses sollicitudes dans nos âmes, quel est-il, sinon de
former en nous le Christ, l'homme nouveau, afin que nous puissions lui être
incorporés éternellement en qualité de ses membres? L'amour que nous portons à
Jésus est donc inséparable de celui que nous devons à l'Esprit-Saint,
de même que le culte fervent de ce divin Esprit nous unit étroitement au Fils
de Dieu dont il procède et qui nous l'a donné. Nous sommes remués et attendris
à la pensée des douleurs de Jésus, et il en doit être ainsi ; mais il serait
indigne de rester insensibles aux résistances, aux mépris et aux trahisons
auxquels l'Esprit-Saint demeure exposé dans les âmes
et qu'il y recueille sans cesse. Nous sommes les enfants du Père céleste : mais
puissions-nous comprendre dès ce monde que nous en sommes redevables au
dévouement des deux divines
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personnes qui nous auront servi aux
dépens de leur gloire !
Après cette digression qui nous a
semblé utile, nous continuons à décrire respectueusement les opérations de l'Esprit-Saint dans l'âme de l'homme. Ainsi que nous venons
de le dire, le but de ses efforts est de former en nous Jésus-Christ par
l'imitation de ses sentiments et de ses actes. Qui mieux que ce divin Esprit
connaît les dispositions de Jésus dont il a produit l'humanité bienheureuse au
sein de Marie, de Jésus qu'il a rempli et habité dans une plénitude au-dessus
de tout, qu'il a assisté et dirigé en tout par une grâce proportionnée a la
dignité de cette nature humaine personnellement unie à la divinité ? Son vœu
est d'en reproduire la fidèle copie, autant que la faiblesse et l'exiguïté de
notre humble personnalité, lésée déjà par la chute originelle, le lui pourra
permettre.
Néanmoins le divin Esprit obtient
dans cette œuvre digne d'un Dieu de nobles et glorieux résultats. Nous l'avons
vu disputant au péché et à Satan l'héritage racheté du Fils de Dieu ;
considérons-le opérant avec succès dans la « consommation des saints », selon
la magnifique expression de l'Apôtre (1). Il les prend dans l'état de déchéance
générale, il leur applique d'abord les moyens ordinaires de sanctification;
mais résolu à les pousser jusqu'à la limite possible pour eux du bien et de la
vertu, il développe son œuvre avec un courage divin. La nature est devant lui :
nature tombée, et infectée d'un virus qui donnerait la mort ; mais nature qui
garde encore quelque ressemblance avec son créateur, dont elle a retenu
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divers traits dans sa ruine.
L'Esprit a donc à détruire la nature souillée et malsaine, en même temps qu'à
relever, en la purifiant, celle qui n'a pas été atteinte mortellement par le
poison. Il faut, dans cette œuvre si délicate et si laborieuse, qu'il emploie
le fer et le feu, comme un habile médecin, et, chose admirable ! qu'il emprunte le secours du malade lui-même pour appliquer
le remède qui seul peut le guérir. De même qu'il ne sauve pas le pécheur sans
lui, il ne sanctifie pas le saint, sans être aidé de sa coopération. Mais il
anime et soutient son courage par les mille soins de sa grâce, et
insensiblement la mauvaise nature perdant toujours du terrain dans cette âme,
ce qui était demeuré intact va se transformant dans le Christ, et la grâce
arrive à régner dans l'homme tout entier.
Les vertus ne sont plus inertes
ou faiblement développées dans ce chrétien : chaque jour leur voit prendre un
nouvel essor. L'Esprit ne souffre pas qu'une seule reste en arrière ; sans
cesse il montre à son disciple le type qui est Jésus, en qui les vertus sont
dans leur plénitude comme dans leur perfection. Parfois il fait sentir à l'âme
son impuissance, afin qu'elle s'humilie ; il la laisse exposée aux répugnances
et aux tentations ; mais c'est alors qu'il l'assiste
avec plus de sollicitude. Il faut qu'elle agisse, comme il faut qu'elle souffre
; mais l'Esprit l'aime avec tendresse, et ménage ses forces tout en l'exerçant.
C'est un grand œuvre d'amener un être borné et déchu à reproduire ce qu'il y a
de plus saint. Dans ce labeur, plus d'une fois le courage défaille, et un faux
pas est toujours possible ; mais, péché ou imperfection, rien ne résiste ;
l'amour que le divin Esprit entretient avec un soin particulier dans ce cœur a
bientôt
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consumé ces scories, et la flamme
monte toujours. La vie humaine s'est évanouie ; c'est le Christ qui vit en cet
homme nouveau, de même que cet homme vit dans le Christ (1).
La prière est devenue son élément
; car c'est en elle qu'il sent le lien qui l'unit à Jésus, et que ce lien se
resserre de plus en plus. L'Esprit ouvre à l'âme des voies nouvelles pour lui
faire trouver son souverain bien dans la prière. Il en a disposé les degrés comme
une échelle divine qui monte de la terre et dont le sommet se perd dans les cieux.
Qui pourrait raconter les faveurs de la divinité envers celui qui s'étant
dégagé de l'estime et de l'amour de lui-même, n'aspire plus, dans l'unité et la
simplicité de sa vie, qu'à voir et à goûter Dieu, qu'à se perdre en lui
éternellement? La divine Trinité tout entière s'intéresse au chef-d'œuvre de l'Esprit-Saint. Le Père céleste fait sentira cette âme les
étreintes de sa tendresse paternelle, le Fils de Dieu ne contient plus les
élans de l'amour qu'il a pour elle, et l'Esprit l'inonde toujours davantage de
ses lumières et de ses consolations.
La cour céleste qui demeure
attentive à tout ce qui intéresse l'homme, au point qu'elle tressaille de
bonheur à la vue d'un seul pécheur qui fait pénitence (2), a vu ce beau
spectacle, elle le suit avec un indicible amour, et rend honneur à l'Esprit
divin qui sait opérer de tels prodiges au sein d'une nature disgraciée.
Quelquefois Marie, dans sa joie maternelle, rend sa présence sensible à ce fils
nouveau qui lui est né ; les Anges se montrent aux regards de ce frère déjà
digne de leur société, et les saints de la race humaine entretiennent une
aimable familiarité avec celui dont ils attendent
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d'ici à peu de temps l'arrivée au
séjour de la gloire. Quoi d'étonnant que ce nourrisson de l'Esprit divin n'ait
souvent qu'à étendre la main pour suspendre les lois de la nature, et consoler
ses frères d'ici-bas dans leurs souffrances ou leurs besoins? Ne les aime-t-il
pas d'un amour puisé à la source infinie de l'amour, d'un amour que
n'enchaînent plus l'égoïsme et les tristes retours sur soi-même auxquels est
sujet celui en qui Dieu ne règne pas ?
Mais ne perdons pas de vue le
point culminant de cette vie merveilleuse, moins rare que ne le pensent les
hommes profanes ou distraits. C'est ici qu'apparaît la puissance des mérites de
Jésus et son amour pour sa créature, en même temps que la divine énergie de l'Esprit-Saint. Cette âme est appelée à des noces sublimes,
et ces noces ne seront pas réservées pour l'éternité. C'est dans le temps, sous
l'horizon étroit de ce monde passager, qu'elles doivent s'accomplir. Jésus
aspire à l'Epouse qu'il a rachetée de son sang, et l'Epouse n'est plus
seulement son Eglise bien-aimée. C'est aussi cette âme qui était encore dans le
néant il y a peu d'années, cette âme que les hommes ignorent, mais dont « il a
convoité la beauté (1) » Il est l'auteur de cette beauté qui est en même temps
l'œuvre de l'Esprit ; il n'aura pas de repos qu'il ne se la soit unie. Alors
s'accomplit par le divin Esprit en faveur d'une âme individuelle ce que nous
l'avons vu opérer pour l'Eglise elle-même. Il la prépare, il l'établit dans
l'unité, il la consolide dans la vérité, il la consomme dans la sainteté ;
alors « l'Esprit et l'Epouse disent : « Venez (2). »
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Il faudrait un livre entier pour
décrire l'action du divin Esprit dans les saints, et nous n'avons pu en tracer
qu'une insuffisante et grossière ébauche. Toutefois cet essai si incomplet,
outre qu'il était nécessaire pour achever de décrire, si en abrégé que ce soit,
le caractère complet de la mission du Saint-Esprit sur la terre d'après
renseignement des divines Ecritures et la doctrine de la théologie dogmatique
et mystique, pourra servir à diriger le lecteur dans l'étude et dans
l'intelligence de la vie des Saints. Dans le cours de cette Année liturgique,
où les noms et les œuvres des amis de Dieu sont si souvent rappelés et célébrés
par l'Eglise elle-même, il importait de proclamer la gloire de l'Esprit
sanctificateur.
Mais nous ne saurions laisser
s'achever cette journée, la dernière du Temps pascal en même temps qu'elle est
la dernière de l'Octave de la Pentecôte, sans offrir à la Reine de tous les
Saints l'hommage qui lui est dû, et sans rendre gloire au divin Esprit pour
toutes les grandes choses qu'il a opérées en elle. Après l'humanité de notre
Rédempteur ornée par lui de tous les dons qui pouvaient la rapprocher, autant
qu'il était possible à une créature, de la nature divine à laquelle la divine
incarnation l'avait unie, l'âme, la personne entière de Marie ont été
favorisées dans l'ordre de la grâce au-dessus de toutes les autres créatures
ensemble. Il n'en pouvait être autrement, et on le concevra pour peu que l'on
essaye de sonder par la pensée l'abîme de grandeurs et de sainteté que
représente la Mère d'un Dieu. Marie forme â elle seule un monde à part dans
l'ordre de la grâce; â elle seule, un moment, elle a été l'Eglise de Jésus.
Pour elle seule d'abord l'Esprit a été envoyé, et il l'a remplie de la grâce
dès
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l'instant même de sa conception
immaculée. Cette grâce s'est développée en elle par l'action continue de
l'Esprit jusqu'à la rendre digne, autant qu'une créature pouvait l'être, de
concevoir et d'enfanter le propre Fils de Dieu qui est devenu aussi le sien. En
ces jours de la Pentecôte, nous avons vu le divin Esprit l'enrichir encore de
nouveaux dons, la préparer pour une mission nouvelle; à la vue de tant de
merveilles, notre cœur filial ne peut retenir l'élan de son admiration, ni
celui de sa reconnaissance envers l'auguste Paraclet qui a daigné agir avec
tant de munificence à l'égard de la Mère des hommes.
Mais aussi nous ne pouvons nous
empêcher de célébrer, dans un enthousiasme légitime, la complète fidélité de la
bien-aimée de l'Esprit à toutes les grâces qu'il a répandues en elle. Pas une
n'a été perdue, pas une n'est retournée à lui sans effet, comme il arrive
quelquefois pour les âmes les plus saintes. A son début, elle a été « semblable
« à l'aurore qui se lève (1), » et l'astre de sa sainteté n'a cessé de monter
vers ce midi qui pour elle ne devait
pas avoir de couchant. L'Archange n'était pas encore venu vers elle pour lui
annoncer qu'elle allait concevoir dans son chaste sein le Fils du Tout-Puissant, et déjà, comme nous l'enseignent
les Pères, elle avait conçu dans son âme ce Verbe éternel. Il la possédait
comme son épouse, avant de l'appeler à l'honneur d'être sa mère. Si Jésus a pu
dire en parlant d'une âme qui avait eu besoin de la régénération : « Celui qui
me cherche me trouvera dans le cœur de Gertrude, » quelle a dû être
l'identification des sentiments de Marie avec ceux du Fils de Dieu, et combien
est étroite
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son union avec lui ! De cruelles
épreuves l'attendaient en ce monde : elle a été plus forte que la tribulation;
et lorsque le moment est arrivé où elle devait se sacrifier dans un même
holocauste avec son fils, elle s'est trouvée prête. Après l'Ascension de Jésus,
le Consolateur est descendu sur elle; il a ouvert devant elle une nouvelle
carrière; pour la parcourir il fallait que Marie acceptât un long exil de la
patrie où régnait déjà le fruit de ses entrailles : elle n'a pas hésité, elle
s'est montrée la servante du Seigneur, ne désirant autre chose qu'accomplir en
tout sa volonté.
Le triomphe de l'Esprit-Saint en Marie a donc été complet; si magnifiques
qu'aient été ses avances, elle a répondu à toutes. La qualité sublime de Mère
de Dieu à laquelle elle était destinée appelait sur elle des grâces immenses;
elle les a reçues et elles ont fructifié en elle. Dans l'œuvre de la «
consommation des saints et de la construction du corps de Jésus-Christ (1), »
le divin Esprit a ménagé à Marie, en retour de sa fidélité et à cause de sa
dignité incomparable, la noble place qui lui convenait. Nous savons que son
divin Fils est la tête du corps immense des élus, qui se réunissent au-dessous de
lui avec une harmonie parfaite. Dans cet ensemble prédestiné, notre auguste
Reine, selon la théologie mariale, représente le cou qui est étroitement lié à
la tête, et par lequel la tête communique à tout le reste du corps le mouvement
et la vie. Elle n'est pas agent principal, mais c'est par elle que cet agent
influe sur chacun des membres. Son union, comme il était juste, est immédiate
avec la tête, parce que nulle créature, si ce n'est elle, n'a eu et ne pourrait
avoir
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une telle relation avec le Verbe
incarné ; mais tout ce qui descend sur nous de grâces et de faveurs, tout ce
qui nous illumine et nous vivifie, nous vient par elle de son Fils.
De là résulte l'action générale
de Marie sur l'Eglise, et son action particulière sur chaque fidèle. Elle nous
unit tous à son Fils qui nous unit tous à la divinité. Le Père nous a donné son
Fils, le Fils s'est choisi une Mère parmi nous, et l'Esprit-Saint,
en rendant féconde cette Mère virginale, a consommé la réunion de l'homme et de
toute création avec Dieu. Cette réunion est le dernier terme que Dieu s'est
proposé dans la création des êtres ; et maintenant que le Fils est glorifié et
que l'Esprit est venu, nous connaissons toute la pensée divine. Plus favorisés
que toutes les générations qui se sont succédé avant le jour de la Pentecôte,
nous avons, non plus en promesse mais en réalité, un Frère que couronne le
diadème de la divinité, un Consolateur qui demeure avec nous jusqu'à la fin des
temps pour éclairer notre voie et nous y soutenir, une Mère dont l'intercession
est toute-puissante, une Eglise , Mère aussi, par
laquelle nous entrons en partage de tous ces biens.
La Station, à Rome, est
aujourd'hui dans la Basilique de Saint-Pierre. C'est dans cet auguste
sanctuaire que les néophytes de la Pentecôte paraissaient pour la dernière fois
couverts de leurs robes blanches, et qu'ils étaient
présentés au Pontife comme les derniers agneaux de la Pâque qui expire en ce
jour.
Présentement la journée est
encore célèbre par la solennité de l'Ordination. Le jeûne et la prière que la
sainte Eglise a imposés durant trois jours
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à ses enfants, ont dû rendre le
ciel favorable, et nous devons espérer que l'Esprit-Saint
qui va imprimer sur les nouveaux prêtres et sur les nouveaux ministres le sceau
immortel du Sacrement, daignera agir dans toute la plénitude de sa bonté comme
de son pouvoir; car il ne s'agit pas seulement en ce jour de l'initiation de
ceux qui vont recevoir un si sublime caractère, mais encore du salut de tant
d'âmes qui seront confiées à leurs soins.
A la louange du divin Esprit,
nous empruntons à la Liturgie arménienne ces dernières strophes dont elle use
en ce jour où se conclut la solennité de la Pentecôte.
CANON SEPTIMAE DIEI.
Toi qui, assis sur les ailes agiles des Séraphins qui dans
leur vol spirituel lancent l'éclair de leurs feux, prends soin de toute
créature dans ta providence : Esprit-Saint, tout ce
que tu as créé te bénit.
Toi qui es éternellement célébré avec le Père et le Fils
dans un concert sublime d'une harmonie merveilleuse ,
et qui daignes abaisser ton regard sur les créatures : Esprit-Saint,
tout ce que tu as créé te bénit.
Aujourd'hui, par la bonté divine, tu fais retentir le
Cénacle du bruit de la tempête, tu enivres les Apôtres de tes feux, et tu te
distribues aux créatures : Esprit-Saint, tout ce que
tu as créé te bénit.
Le répertoire des Séquences
d'Adam de Saint-Victor nous fournira cette dernière qui est aussi d'une grande
beauté, et par laquelle nous terminerons la série des hommages de la sainte
Liturgie à l'Esprit du Père et du Fils.
SÉQUENCE.
Viens, ô Consolateur suprême, espoir du salut, auteur de la
vie ; viens avec ta grâce ! Douce ardeur, rosée divine, en l'unique et divine
substance tu es le principe de bonté.
Procédant du Père et du Fils, jamais séparé d'eux, rattaché
à l'un et à l'autre par un lien éternel, ardeur et rosée au sein de la
divinité, daignent le Père et le Fils te répandre sur nous dans l'abondance de
tes dons.
Ardeur et rosée, parfum aussi qui révèle un Dieu ; cette
rosée que répand l'Esprit, plus on la goûte, plus on en est altéré ; l'ardeur
de ses feux ne faillit jamais.
Au commencement de toutes choses il était porté sur les
eaux; c'est lui qui maintenant consacre l'eau de laquelle sort le peuple saint.
Il est la fontaine d où émane la piété, la fontaine qui purifie du péché, la
fontaine jaillissante du sein de la divinité, la fontaine qui rend sacrées
toutes les fontaines.
Feu ardent, onde vive, purifie nos cœurs et rends-les
féconds, apporte-nous la grâce ; visite-nous par la flamme de charité, daigne
faire de nous une hostie de sainteté à ta gloire.
Souffle sacré du Père et du Fils, remède de tout péché, sois
notre soulagement dans la fatigue, notre consolation dans la tristesse. Amour
ardent, amour chaste, guéris par ton onction puissante ceux que brûle une
ardeur coupable.
Voix qui s'énonce sans bruit , voix
mystérieuse qu'entend l'oreille du cœur, voix qui descend à l'âme fidèle ;
douce voix, voix tant aimée, retentis dans nos âmes ! Lumière qui dissipes l'erreur , lumière qui donnes la vérité, apporte à nous tous
vie et santé, et mets-nous en possession de l'éternelle splendeur.
Amen.
LE DON DE SAGESSE.
La seconde faveur qu'a destinée
le divin Esprit à l'âme qui lui est fidèle dans l'action, est le don de
Sagesse, supérieur encore à celui de l'Intelligence. Il est lié cependant à ce
dernier, en ce sens que l'objet montré dans l'Intelligence est goûté, et
possédé dans le don de Sagesse. Le Psalmiste, invitant l'homme à s'approcher de
Dieu, lui recommande la saveur du souverain bien. « Goûtez, dit-il, et
expérimentez que le Seigneur est rempli de douceur (1). » La sainte Eglise, au
jour même de la Pentecôte, demande à Dieu pour nous la faveur de goûter le
bien, recta sapere, parce que l'union de l'âme
avec Dieu est plutôt l'expérimentation par le goût qu'une vue qui serait
incompatible avec notre état présent. La lumière donnée parle don
d'Intelligence n'est pas immédiate, elle réjouit vivement l'âme, et dirige son
sens vers la vérité ; mais elle tend à se compléter par le don de Sagesse qui
est comme sa fin.
L'Intelligence est donc illumination,
et la Sagesse est union. Or, l'union avec le souverain bien s'accomplit par la
volonté, c'est-à-dire par l'amour qui réside dans la volonté. Nous remarquons
cette progression dans les hiérarchies angéliques. Le Chérubin étincelle
d'intelligence, mais au-dessus de lui encore est le Séraphin embrasé. L'amour
est ardent chez le Chérubin, de même que l'intelligence éclaire de sa vive
lumière le Séraphin ; mais l'un est différencié de l'autre par la qualité
prédominante, et le plus élevé est celui qui
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atteint le plus intimement la
divinité par l'amour, celui qui goûte le souverain bien.
Le septième don est décoré du
beau nom de Sagesse, et ce nom lui vient de l'éternelle Sagesse à laquelle il
tend à s'assimiler par l'ardeur de l'affection. Cette Sagesse incréée, qui
daigne se laisser goûter par l'homme dans cette vallée de larmes, est le Verbe
divin, celui-là même que l'Apôtre appelle a la splendeur de la gloire du « Père
et la forme de sa substance (1). » C'est lui qui nous a envoyé l'Esprit pour
nous sanctifier et nous ramener à lui, en sorte que l'opération la plus élevée
de ce divin Esprit est de procurer notre union avec celui qui, étant Dieu,
s'est fait chair et s'est rendu pour nous obéissant jusqu'à la mort et à la
mort de la croix (2). Par les mystères accomplis dans son humanité, Jésus nous
a fait pénétrer jusqu'à sa divinité ; par la foi éclairée de l'Intelligence
surnaturelle, « nous voyons sa gloire qui est celle du Fils unique du Père,
plein de grâce et de vérité (3); » et de même qu'il s'est fait participant de
notre humble nature humaine, il se donne dès ce monde à goûter, lui Sagesse
incréée, à cette Sagesse créée que l'Esprit-Saint
forme en nous comme le plus sublime de ses dons.
Heureux donc celui en qui règne
cette précieuse Sagesse qui révèle à l'âme la saveur de Dieu et de ce qui est
de Dieu ! « L'homme animal, nous dit l'Apôtre, est privé de ce goût qui perçoit
ce qui vient de l'Esprit de Dieu (4)» pour jouir de ce don, il lui faudrait
devenir spirituel, se prêter docilement au désir de l'Esprit, et il
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arriverait comme d'autres qui après
avoir été ainsi que lui esclaves de la vie charnelle, en ont été affranchis par
la docilité à l'égard de l'Esprit divin qui les a cherchés et qui les a
retrouvés L'homme moins grossier, mais livré à l'esprit du monde, est également
impuissant à comprendre ce qui fait l'objet du don de Sagesse et ce que révèle
le don d'Intelligence. Il juge ceux qui ont reçu ces dons, et il les blâme;
heureux s'il ne les traverse pas, s'il ne les poursuit pas ! Jésus nous le dit
expressément: « Le monde ne peut recevoir « l'Esprit de Vérité, parce qu'il ne
le voit pas et ne le connaît pas (1). » Que ceux-là donc qui ont le bonheur de
désirer le bien suprême, sachent qu'il leur faut être entièrement dégagés de
l'esprit profane qui est l'ennemi personnel de l'Esprit de Dieu. Affranchis de
sa chaîne, ils pourront s'élever jusqu'à la Sagesse.
Le propre de ce don est de procurer
une grande vigueur à l'âme et de fortifier ses puissances. Toute la vie en est
comme assainie, ainsi qu'il arrive à ceux qui font usage d'aliments qui leur
conviennent. Il n'y a plus de contradiction entre Dieu et l'âme, et c'est pour
cette raison que l'union est rendue facile. « Où est l'Esprit du Seigneur,
là est la liberté, » dit l'Apôtre (2). Tout devient aisé pour l'âme, sous
l'action de l'Esprit de Sagesse. Les choses dures à la nature, loin d'étonner,
semblent douces, et le cœur ne s'effraye plus autant de la souffrance. Non
seulement on peut dire que Dieu n'est pas loin d'une âme que l'Esprit-Saint a mise dans cette disposition ; il est visible
qu'elle lui est unie. Qu'elle veille cependant sur l'humilité ; car l'orgueil
peut encore
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monter jusqu'à elle, et sa chute serait
d'autant plus profonde que son élévation est plus grande.
Insistons auprès du divin Esprit,
et prions-le de ne pas nous refuser cette précieuse Sagesse qui nous conduira à
Jésus, la Sagesse infinie. Un sage de l'ancienne loi aspirait déjà à cette
faveur, quand il écrivait ces paroles dont le chrétien seul a l'intelligence
parfaite : « J'ai désiré, disait-il, et l'Intelligence m'a été donnée; j'ai
prié, et l'Esprit de Sagesse est venu en moi (1). » Il faut donc demander ce
don avec instance. Dans la nouvelle Alliance, l'Apôtre saint Jacques nous y
invite par ses exhortations les plus pressantes. « Si quelqu'un de vous, dit-il,
veut avoir la Sagesse, qu'il la demande à Dieu qui donne à tous avec tant de
largesse et qui ne reproche pas ses dons ; qu'il demande avec foi, et qu'il
n'hésite pas (2). » Nous osons prendre pour nous cette invitation de l'Apôtre,
ô divin Esprit, et nous vous disons : O vous qui procédez de la Puissance et de
la Sagesse, donnez-nous la Sagesse. Celui qui est la Sagesse vous a envoyé vers
nous pour nous réunir à lui. Enlevez-nous à nous-mêmes, et unissez-nous à celui
qui s'est uni à notre faible nature. Moyen sacré de l'unité, soyez le lien qui
nous unira pour jamais à Jésus, et celui qui est la Puissance et le Père nous
adoptera « pour ses héritiers et pour les cohéritiers de son Fils (3). »
La série successive des Mystères
est complète désormais, et le Cycle mobile de la sainte Liturgie est arrivé à
son terme. Nous traversâmes d'abord, au Temps de l'Avent, les quatre semaines
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qui représentaient les quatre millénaires
employés par le genre humain à implorer du Père l'envoi de son Fils. Enfin
l'Emmanuel descendit; nous nous associâmes tour à tour aux joies de sa
naissance, aux douleurs de sa Passion, à la gloire de sa Résurrection, au
triomphe de son Ascension. Enfin, nous avons vu descendre sur nous l'Esprit
divin, et nous savons qu'il reste avec nous jusqu'à la fin. La sainte Eglise
nous a assistés dans tout le cours de cet immense drame qui contient notre
salut. Ses divins cantiques et ses augustes cérémonies nous ont chaque jour
éclairés, et ainsi nous avons pu tout suivre et tout comprendre. Bénie soit cette
Mère par les soins de laquelle nous avons été initiés à tant de merveilles qui
ont ouvert nos esprits et réchauffé nos coeurs ! Bénie soit la Liturgie sacrée,
source de tant de consolations et d'encouragements ! Maintenant il nous reste à
achever le parcours du Cycle dans sa partie immobile. De sublimes épisodes nous
y attendent. Préparons-nous donc à reprendre notre
marche, comptant sur l'Esprit-Saint qui dirigera nos
pas, et continuera de nous ouvrir, par la sainte Liturgie dont il est
l'inspirateur, les trésors de la doctrine et de l'exemple.