Exp. Fragments IV-III
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Fragments relatifs
 à l’Exposition de l’Eucharistie : II
I

 

I. — Faiblesse des réponses que l'Anonyme prétend faire aux preuves des catholiques.

II. — Autorité et passage de saint Augustin mal allégués.

III. — Règle pour l'intelligence de l'Ecriture sainte, mal appliquée.

IV. — Réponses aux raisonnements que fait l'Anonyme pour établir le sens figuré des paroles de l'institution.

V. — Fausseté et absurdité des conséquences que l'Anonyme prétend tirer de la suite des paroles de l'institution contre la doctrine catholique.

VI. — Second effort de l'Anonyme. Fausse conséquence qu'il prétend tirer de ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi. »

VII. — Abus que les prétendus réformés font de ces paroles de Jésus-Christ : « Je ne boirai point de ce fruit de vigne. »

VIII. — Les exemples et les textes de l'Ecriture sainte, que les prétendus réformés allèguent pour autoriser leurs sens figurés, ne font rien au sujet de l'Eucharistie.

 

I. — Faiblesse des réponses que l'Anonyme prétend faire aux preuves des catholiques.

 

Je ne me suis pas contenté de faire voir dans le traité de l'Exposition, que le dessein de l'institution de l'Eucharistie, ainsi qu'il nous est marqué dans les paroles mêmes de Jésus-Christ lorsqu'il établit ce divin mystère, nous conduit à la présence réelle. J'ai considéré ces paroles dans toute leur suite, et j'ai encore fait voir qu'il n'y a rien dans cette suite qui ne nous détermine au sens littéral. Mais quoique ce n'ait pas été ma pensée de rapporter au long sur cette matière toutes les preuves des catholiques, et que je me sois contenté de marquer seulement quelques-uns de leurs fondements principaux, toutefois le peu que j'ai dit est si fort et si convaincant, que notre adversaire n'a pu y répondre sans montrer une faiblesse visible.

D'abord il me fait raisonner sur un principe très-faux : « Pour avoir lieu de parler, dit-il, comme fait M. de Condom, il faudrait poser pour principe, qu'il n'y a rien dans l'Ecriture qu'on ne doive ou qu'on ne puisse prendre à la lettre (1). » Ce principe assurément est très-faux ; aussi n'ai-je pas songé à m'en servir. Mais

 

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comme il est nécessaire que nous puissions distinguer entre les paroles qu'on doit prendre au sens littéral et celles qu'on doit prendre au sens figuré, j'ai posé certains principes qui apprennent à en faire le discernement. Ces principes sont que celui qui s'attache au sens propre et littéral a cet avantage, qu'il ne lui faut non plus demander pourquoi il l'embrasse qu'on demande à un voyageur pourquoi il suit le grand chemin (1) ; que c'est à ceux qui ont recours aux sens figurés et qui prennent des sentiers détournés, à rendre raison de ce qu'ils font; que si celui qui parle figurément a dessein de se faire entendre, il faut que la figure paroisse dans la suite de son discours ; et qu'il n'y a point d'exemple du contraire, non-seulement dans toute l'Ecriture sainte, mais encore dans tout le langage humain. Ces maximes générales sont indubitables; l'auteur n'en conteste pas la vérité, et au contraire il la reconnaît tellement, qu'il s'engage à faire voir quelques-unes des raisons qui l'obligent à abandonner le sens littéral, et à nous montrer par la suite du discours de Notre-Seigneur qu'il faut le prendre au sens figuré. J'avoue qu'il ne s'engage pas à dire toutes ces raisons, et j'aurais tort de l'exiger ; mais puisqu'il a bien voulu nous en exposer quelques-unes, je lui ferais tort si je ne croyais qu'il a choisi les plus fortes : voyons donc si elles ont la moindre apparence.

 

II. — Autorité et passage de saint Augustin mal allégués.

 

Une de ces raisons qui lui paraît d'autant plus puissante qu'il la tire de saint Augustin, c'est que ce qui semble choquer l'honnêteté des mœurs ou la vérité de la foi doit être pris au sens figuré (2) ; et que ce que Jésus-Christ dit, qu'il faut manger son corps et boire son sang, paraissant une chose mauvaise, c'est donc une figure.

Il y a ici deux choses à considérer : l'une est l'autorité de saint Augustin; l'autre est la raison qu'on en veut tirer, considérée en elle-même et en sa propre valeur. Notre auteur nous avouera bien qu'il n'est pas de notre dessein, de lui et de moi, de traiter les passages des Pères qu'on allègue de part et d'autre. Il y a des traités exprès où les catholiques font voir invinciblement, que ce

 

1 Exposit., art. X. — 2 Anon., p. 175.

 

 

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passage de saint Augustin ne leur nuit pas; et il ne serait pas juste que je quittasse ce qui regarde mon dessein particulier, pour me jeter dans ces discussions. Mais pour la raison qu'il allègue en , faveur du sens figuré, je lui avoue la règle qu'il donne; et je lui réponds en même temps que l'application qu'il en fait est insoutenable selon ses propres principes.

Pour parler plus clairement, j'avoue donc qu'on doit recourir au sens figuré toutes les fois que l'Ecriture étant prise au sens littéral , semble commander quelque chose qui paraît mauvaise. Mais encore que ce soit un crime de prétendre manger la chair du Fils de Dieu à la manière dont l'entendaient les Capharnaïtes, en la déchirant par morceaux et en la prenant pour nourrir le corps comme un aliment ordinaire, je soutiens qu'il n'y a rien de moins raisonnable ni de plus mauvaise foi que d'attribuer une inhumanité si grossière à la manducation miraculeuse et surnaturelle que nous reconnaissons dans l'Eucharistie. Qu'ainsi ne soit, je demande premièrement à nos adversaires si les luthériens ne la croient pas aussi bien que nous? Je leur demande secondement s'ils ne professent pas hautement que la doctrine des luthériens n'a aucun venin ? Notre auteur n'approuve-t-il pas cette expression de M. Daillé? Et les synodes nationaux des calvinistes, qui ont reçu avec eux les luthériens à la Cène, ne font-ils pas voir que la doctrine que professent les luthériens n'est contraire ni à la piété, ni aux bonnes mœurs? Que si c'est un crime détestable et une cruelle anthropophagie ( car ce sont les termes ordinaires dont se servent les calvinistes, et il a bien fallu étourdir le monde par ces grands mots ), si, dis-je, c'est un crime horrible que de manger le corps de Notre-Seigneur à la manière dont les luthériens croient le manger, aussi bien que nous, comment nos adversaires ne craignent-ils pas de participer à ce crime en recevant les luthériens à une action où ils ont dessein de le faire? Que ne chassent-ils de leurs assemblées ces mangeurs de chair humaine? Ou si la bonne foi les oblige à reconnaître que la manducation telle que les luthériens la confessent, encore qu'elle se fasse selon eux avec la bouche du corps, est infiniment éloignée de cette inhumaine manducation que s'étaient imaginée les Capharnaïtes :

 

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pourquoi n'avoueront-ils pas que le sens littéral des paroles de Jésus-Christ, selon que nous le prenons aussi bien que les luthériens, ne nous porte à aucun crime; et ensuite que selon la règle qu'ils nous proposent eux-mêmes, rien n'empêche qu'il ne soit suivi de tous les fidèles? Par conséquent, pour établir le sens figuré , il faut chercher quelque autre raison que celle dont nous parlons et qu'on nous oppose en ce lieu.

 

III. — Règle pour l'intelligence de l'Ecriture sainte, mal appliquée.

 

En effet en voici une autre, mais qui ne sera pas plus considérable : « Qu'y a-t-il de plus naturel, dit-u, que d'entendre l'Ecriture sainte par elle-même, les lieux moins clairs par les plus clairs, ceux qui ont un double sens par ceux qui n'en ont qu'un? » Je conviens de la règle : voyons quelle en sera l'application. « Il n'y a, dit l'auteur de la Réponse, qu'un seul passage dans l'Ecriture qui semble favoriser le sens littéral que l'Eglise romaine donne à ces paroles : « Ceci est mon corps ; » savoir celui dont je viens de parler : « SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS

DE L'HOMME, ET NE BUVEZ SON SANG, VOUS N'AUREZ POINT LA VIE. Et celui-là même, saint Augustin marque qu'il faut l'entendre figurément. Au lieu qu'il y en a un très-grand nombre d'autres qui disent que Jésus-Christ n'est plus avec nous que par l'opération du Saint-Esprit : « VOUS AVEZ TOUJOURS LES PAUVRES AVEC VOUS, MAIS VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS. QUAND JE M’EN SERAI ALLÉ, JE VOUS ENVERRAI L'ESPRIT CONSOLATEUR. IL EST MONTÉ AUX CIEUX , ET DE LA VIENDRA, etc. »

Laissons encore à part l'autorité de saint Augustin, à laquelle d'autres traités satisfont assez, et ne confondons pas ensemble le dessein de plusieurs livres. Mais remarquons seulement quelle faiblesse il y a de nous objecter que nous ne produisons pour nous que peu de passages. Quand Jésus-Christ n'aurait appris à ses fidèles ce qu'ils doivent croire de l'Eucharistie que dans l'endroit où il l'établit, il y aurait sujet d'en être content. Il ne s'agit pas de compter les passages que chacun rapporte pour son sentiment ; il faut voir qui les rapporte le plus à propos, et qui recherche avec plus de soin ceux où la matière dont il s'agit est

 

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traitée. Mais au fond on a tort de dire que les catholiques soient réduits à  peu de passages; ils rapportent pour leur croyance, et le chapitre de saint Jean où Jésus-Christ promet le mystère, et le témoignage de trois Evangiles qui en racontent l'institution ; et deux chapitres de saint Paul où il en enseigne l'usage. Sans doute c'en est assez pour savoir ce qu'il en faut croire : et il semble que c'est assez de considérer les endroits où il s'agit expressément de la chose même dont il s'agit. Car pour les autres passages que l'auteur a tirés d'ailleurs contre nous, je ne sais comment il ne veut, pas voir qu'ils ne font rien à la question. Car que lui sert de prouver ce que personne ne nie, que Jésus-Christ est monté aux cieux, ou qu'il n'est plus avec nous comme il était avec ses apôtres dans un état où on puisse traiter familièrement avec lui et lui rendre de certains devoirs? Il sait bien qu'il est question d'une autre sorte de présence, que nous croyons particulière à l'Eucharistie. « Mais c'est, dit-il, répondre précisément ce qui est en question (1). » J'avoue que ce qui est en question entre nous, c'est de savoir s'il faut confesser cette présence dans l'Eucharistie; je ne dois point supposer qu'elle soit, ni lui qu'elle ne soit pas. Il ne doit non plus donner pour principe des raisonnements de philosophie, qui ne sont pas recevables, où il s'agit seulement de considérer ce qu'enseigne la sainte Ecriture. Il faut donc enfin venir à cette Ecriture; et on doit se contenter que la présence réelle, qui est propre à l'Eucharistie, soit établie dans les lieux qui parlent de l'Eucharistie. Il n'y a rien de plus raisonnable qu'une telle proposition. Toutefois, qui le pourrait croire? l'auteur s'y oppose et voici quel est son raisonnement : « Nous nions, dit-il, formellement cette seconde manière d'être corporellement en un lieu. Et il n'est pas contesté que la nature, les sens et la raison, bien loin d'enseigner rien de semblable, crient hautement le contraire. Ce serait donc en tout cas à l'Eglise romaine à établir cette seconde manière d'être corporellement en un lieu, par quelque passage dont le sens ne fût pas en question (2). » Il n'y a rien de plus faux que cette conséquence. Car lorsqu'il s'agit du sens d'un passage, on peut faire voir par la suite même des

 

1 Anon., p. 176. — 2 Ibid. p. 177.

 

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paroles dont on dispute, qu'on a tort de le contester, sans que pour cela il soit nécessaire de recourir à d'autres passages, comme veut l'auteur de la Réponse. Et certes il n'est pas possible de faire un plus mauvais raisonnement, ni de tirer une conséquence plus pernicieuse que la sienne. En effet si elle est reçue, tous les hérétiques sont hors de prise ; et il n'y a plus aucun moyen de les attaquer. Quel passage y a-t-il qu'ils ne se donnent la liberté d'interpréter à leur mode, et sur lequel ils ne forment des contestations? Que si l'on n'est pas recevable à faire voir par la suite même du passage à celui qui en conteste le sens, qu'il a tort de le contester, et qu'il faille nécessairement, pour convaincre les errants, sauter de passage en passage aussitôt qu'ils auront révoqué en doute l'intelligence de ceux qu'on leur aura opposés, il n'y aura point de fin aux questions; et le plus hardi à nier ou le plus subtil à inventer de nouveaux détours, sera le maître. Par exemple, un socinien se présente à nous, qui prouve par les Ecritures que le Père et le Fils sont deux. Le catholique répond que ce sont, à la vérité, deux personnes, mais dans une même nature ; et il établit cette unité par d'autres passages. Le socinien ne manque pas de les détourner à un autre sens, en sorte qu'il n'y en a aucun dont il ne conteste l'intelligence. Mais notre auteur lui va fournir un moyen de désarmer tout à fait le catholique. Il n'a qu'à faire à son exemple ce raisonnement : « Nous nions formellement cette unité de substance entre deux personnes; et il n'est pas contesté que la nature, les sens et la raison, bien loin d'enseigner rien de semblable, crient hautement le contraire : car ni la raison ne comprend que deux personnes puissent être une même chose en substance, ni la nature ne nous montre rien de tel, ni les sens n'ont jamais rien vu de semblable. Ce serait donc en tout cas aux catholiques d'établir cette unité de Substance entre plusieurs personnes, par quelque passage dont le sens ne soit pas en question. » Que répondra le catholique? Et l'Anonyme lui-même, que répondra-t-il à un tel raisonnement? Il est constant dans le fait que le sens de tous les passages que les catholiques produisent, est contesté par les hérétiques; et s'il ne faut que les contester pour nous les rendre inutiles, nous n'avons

 

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plus qu'à poser les armes. Mais certes il n'est pas juste de rendre la victoire si facile aux ennemis de la vérité. Le socinien doit comprendre que cette unité de substance entre les personnes divines, est propre aux mystères de la Trinité. Il n'y a donc rien de plus absurde que de nous faire chercher ce qu'il faut croire de ce mystère en d'autres passages, qu'en ceux où il s'agit du mystère même. N'importe qu'il me conteste le sens de tous les passages que je lui oppose. Car sa contestation n'est pas un titre pour me les faire abandonner; et sans avoir recours à d'autres passages, c'est assez que l'explication qu'il donne à ceux que je lui produis n'ait point de fondement dans le texte même, ni dans la suite du discours. Nous sommes en mêmes termes avec les prétendus réformés. Ils m'opposent que Jésus-Christ est aux cieux, et que nous ne l'avons plus au milieu de nous pour converser avec lui, comme l'avaient les apôtres. Nous le confessons : mais nous disons en même temps qu'il y a une autre présence de sa personne sacrée, et qu'elle est propre à l'Eucharistie. Que si elle est propre à l'Eucharistie, est-il juste de nous contraindre à la chercher autre part, que dans les endroits où il est parlé de ce mystère ? Mais surtout y aura-t-il quelque autre passage où nous puissions apprendre plus clairement ce qu'il faut croire d'un si grand mystère, que celui où Jésus-Christ l'a institué? Et serons-nous réduits à chercher ailleurs ce qu'il a voulu nous en apprendre, parce qu'on nous aura contesté le sens de ces paroles divines? A-t-on jamais imaginé un procédé plus déraisonnable? Et qui ne voit qu'on veut disputer sans fin plutôt que de rien conclure, quand on propose de tels moyens de chercher la vérité dans les saintes Lettres?

Il faut donc raisonner sur d'autres principes, et comprendre de quelle sorte il a plu à Dieu de nous instruire. Nous ne trouvons point qu'il nous ait dit en général dans les Ecritures, que plusieurs personnes puissent avoir une même essence; et nous n'apprenons cette vérité que dans les mêmes endroits où nous découvrons que les trois divines personnes ne sont qu'un seul Dieu. Il n'a pas pris soin de nous enseigner que deux natures pussent concourir à faire une même personne, si ce n'est dans

 

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les mêmes passages où il nous apprend que Jésus-Christ est Dieu et homme. De même si nous avons à apprendre quelque chose touchant cette présence miraculeuse du corps de Jésus-Christ, qui est propre à l'Eucharistie, nous ne le devons chercher que dans les mêmes endroits où il est parlé de ce mystère. Ainsi l'Anonyme a tort de vouloir que nous sortions de ces passages. S'il y trouve quelque difficulté, il ne s'ensuit pas pour cela qu'il faille aussitôt recourir à d'autres passages; mais il faut examiner ceux dont il s'agit, et voir si les interprétations figurées ont un fondement certain dans la suite du discours. Venons donc enfin aux arguments qu'il tire de cette suite, et voyons s'ils ont quelque chose de solide. En effet s'il n'y a rien dans tout le discours où Jésus-Christ a institué ce mystère qui nous fasse concevoir le sens de ces divines paroles, il n'a point parlé pour se faire entendre; ou plutôt s'il n'y a rien dans la suite qui nous détermine au sens figuré, nous avons raison de nous attacher au sens littéral.

 

IV. — Réponses aux raisonnements que fait l'Anonyme pour établir le sens figuré des paroles de l'institution.

 

Je me suis attaché aux paroles de l'institution, comme à celles où nous pouvons le mieux apprendre ce que Jésus-Christ a voulu faire pour nous dans l'Eucharistie ; et voici les raisons que l'Anonyme prétend tirer du fond du mystère en faveur du sens figure.

« Premièrement, dit-il, où il s'agit d'un mystère et d'un sacrement, il est naturel et d'un usage commun de prendre les expressions et les choses mêmes mystiquement et figurément. » Il ajoute « que le mot même de mystère nous y mène ; autrement ce ne serait plus un mystère. Qu'on parcoure tous les sacrements, tant du Vieux que du Nouveau (Testament) sans en excepter aucun, non pas même les cérémonies de l'Eglise romaine, où il y a quelques signes visibles, la Pâque, la circoncision sous la Loi le baptême sous l'Evangile, ce que l'Eglise romaine appelle Confirmation, et autrement Onction: on trouvera partout des choses et des paroles qu'il faut entendre dans un sens mystique (1). »

Ceux qui sont tant soit peu versés dans les controverses, savent

 

1 Anon., p. 172.

 

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bien que c'est là le principal fondement des prétendus réformés ; mais déjà il est constant que ce fondement ne suffit pas. On a beau discourir en général sur la nature des signes : si l'on ne vient au particulier du mystère de l'Eucharistie et des paroles dont nous disputons, on n'avance rien. Car premièrement nous avons fait voir que tous les signes ne sont pas de même nature; et qu'il y en a qui bien loin d'exclure une présence réelle , ont au contraire cela de propre, qu'ils marquent la chose présente. Quand un homme donne des signes de vie, ces signes marquent la présence de l’âme ; et lorsque les anges ont paru en forme humaine, ils étaient présents eu personne sous cette apparence extérieure qui nous les représentait. C'est donc discourir en l'air que de parler des signes en général : il faut voir en particulier, dans les paroles de l'institution, ce que Jésus-Christ a voulu nous y donner. Secondement, encore qu'il soit véritable que lorsqu'on parle de signes visibles, on emploie souvent des façons de parler figurées, ce n'est pas une nécessité que toutes le soient. Il faut donc, encore une fois, descendre au particulier, et voir par la suite même des paroles dont il s'agit si l'on y trouvera de justes motifs d'exclure le sens littéral.

Bien plus, il n'est pas même constant que Jésus-Christ, en disant : « Ceci est mon corps, » ait eu dessein de parler d'un signe. Car de même qu'on peut donner un diamant enfermé dans une boîte, en ne parlant que du diamant et sans parler de la boîte : ainsi encore que nous confessions que Jésus-Christ nous donne son corps sous un certain signe, comme nous l'expliquerons en son lieu, il ne s'ensuit pas pour cela qu'il parle du signe, et il n'est pas impossible qu'il n'ait dessein de parler que de la chose qui est enfermée sous le signe même. Ce ne seront pas des discours généraux sur les signes et sur les figures, qui nous feront découvrir ce qu'il en faut croire ; ce sera la suite des paroles mêmes : et si l'auteur ne fait voir par des raisons particulières que ce que Jésus-Christ appelle son corps, c'est le pain qui le représente , toutes les réflexions générales et tous les raisonnements sur la nature des signes seront inutiles.

Il vient aussi à ces raisons particulières : Si l'on demande (et

 

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il promet de satisfaire ceux qui demandent ) plus particulièrement pourquoi le pain et le vin sont dits être le corps et le sang de Jésus-Christ, saint Augustin et Théodoret répondront pour nous (1). » Il touche ces raisons en deux endroits : et on les entendra mieux en revoyant quelques lignes de l'Exposition qu'il a tâché de détruire.

Là je propose la raison profonde qui fait qu'on donne au signe le nom de la chose, pour voir si elle peut convenir aux paroles dont nous disputons de l'institution. Je distingue deux sortes de signes, dont les uns représentent naturellement, par exemple un portrait bien fait ; et les autres par institution et parce que les hommes en sont convenus, comme par exemple un certain habit marque une certaine dignité. J'avoue qu'un portrait bien fait est un signe naturel, qui de lui-même conduit l'esprit à l'original et qui en reçoit aussitôt le nom, parce qu'il en ramène l'idée nécessairement à l'esprit : c'est une vérité constante. Mais après avoir posé ce principe, il restait encore à examiner si cette raison peut convenir aux signes d'institution; et je résous la question en distinguant comme deux états de ces signes. Lorsqu'ils sont reçus et que l'esprit y est accoutumé, je confesse qu'il y joint toujours l'idée de la chose et lui en donne le nom, de même qu'aux signes naturels ; comme quand on est convenu qu'un certain jour représente celui où Jésus-Christ a pris naissance, on l'appelle, sans rien expliquer, la Nativité de Notre-Seigneur.  Mais je dis «qu'en établissant un signe qui de soi n'a aucun rapport à la chose, par exemple un morceau de pain pour signifier le corps d'un homme, c'est une chose inouïe qu'on lui en donne le nom, et qu'on ne peut en alléguer aucun exemple (2). »

L'Anonyme convient du principe, c'est-à-dire de la raison pour laquelle on donne aux signes le nom de la chose, parce qu'elle en ramène l'idée : mais il tache de faire voir que je me trompe dans l'application : « On trouve, dit-il, entre le pain et le corps de Notre-Seigneur les deux rapports que M. de Condom appelle rapport naturel et rapport d'institution, et dont il ne demande que l'un ou l'autre pour faire que le signe puisse prendre le nom

 

1 Anon., p. 173, 174, 180. — 2 Exposit., art. X.

 

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de la chose, et qu'il soit propre pour en ramener l'idée à l'esprit (1). » Il faut voir comme il établit ce qu'il avance.

Quant au rapport naturel du pain et du vin avec le corps et le sang de Notre-Seigneur, il le prouve, parce que « comme le pain nourrit nos corps, sa chair et son sang sont la vie et la nourriture de nos âmes (2). » Je lui avoue ce rapport; mais il ne fait rien à la question. Car il s'agit de savoir si à cause qu'on peut comparer le pain au corps de Notre-Seigneur, il s'ensuit de là que le pain le représente naturellement; en sorte qu'il en ramène de soi-même l'idée à l'esprit, et qu'on puisse lui en donner aussitôt le nom, sans qu'il soit besoin de rien expliquer. Je demande, par exemple, si à cause que le Fils de Dieu se compare à une porte ou à une vigne, et son Père à un laboureur : il s'ensuit de là que ces choses sont des signes qui représentent naturellement le Fils ou le Père; et si cette comparaison peut donner un fondement légitime de dire, sans rien expliquer, toutes les fois qu'on rencontrera une porte, une vigne et un laboureur : Ceci est le Fils de Dieu : Celui-ci est le Père éternel. Certainement il n'y aurait rien de plus ridicule. Ainsi encore que le Fils de Dieu se compare lui-même à du pain en ce qu'il donne la vie au monde, il ne s'ensuit pas pour cela qu'un morceau de pain présenté devienne un signe qui représente son corps naturellement, et qui en puisse recevoir le nom sans qu'il soit besoin de rien expliquer, comme un portrait fait au naturel reçoit aussitôt le nom de l'original.

C'est donc en vain que l'auteur nous oppose saint Augustin, Théodoret et les autres Pères, qui disent qu'il y a quelque rapport entre le pain et le corps de Notre-Seigneur. J'avoue qu'il y a un rapport qui est suffisant pour fonder une comparaison, ou faire que le Fils de Dieu se serve de pain dans les saints mystères plutôt que d'une autre chose. C'est ce que les Pères enseignent; et je le montrerais sans peine, si c'était ici le lieu d'expliquer leurs sentiments. Mais encore une fois, ce rapport ne suffit pas pour faire qu'en donnant du pain il dise tout d'un coup que c'est son corps, comme s'il était naturel au pain de le représenter soi-même et sans qu'il fût besoin de rien ajouter.

 

1 Anon., p. 188. — 2 Ibid. p. 187

 

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Il est donc déjà certain que le pain ne reçoit pas le nom de corps comme un signe qui représente naturellement, et ce ne peut être en tout cas que comme signe d'institution. Mais l'Anonyme ne prend pas la peine d'examiner une vérité que j'avance dans l’Exposition, en laquelle néanmoins est tout le fort. C'est que les signes d'institution reçoivent bien, à la vérité, le nom de la chose, quand ils sont reçus et que l'esprit, y étant accoutumé par l'usage, joint ensemble les deux idées : mais que c'est une chose inouïe qu'en établissant un signe, qui de soi ne ramène pas la chose à l'esprit, on lui en donne tout d'un coup le nom.

C'est néanmoins ce principe qui tranche la difficulté. Car pour me servir encore d'un exemple que j'ai déjà touché, après que les hommes sont convenus qu'un certain jour de l'année représente le jour de la naissance de Notre-Seigneur, personne ne s'étonnera d'entendre dire en ce jour-là : Jésus-Christ est né aujourd'hui. Mais si avant qu'on eût établi une telle solennité, quelqu'un, sans en dire mot, s'était mis dans l'esprit de représenter par un certain jour celui où s'est accompli ce divin mystère, et qu'ensuite il allât dire tout d'un coup : Jésus-Christ vient de naître, Jésus-Christ paraît aujourd'hui à Bethléem dans une crèche, on n'entendrait pas son discours et on croirait à peine qu'il fût en son bon sens.

Quand Dieu dit à Abraham dans la Genèse : « Vous circoncirez la chair de votre prépuce, afin que cela soit un signe d'alliance entre moi et vous (1), » après que par ces paroles il a établi la circoncision comme le signe de l'alliance, on ne sera pas surpris qu'il ait donné dans la suite le nom d'alliance au signe, en disant au verset suivant : « Mon alliance sera dans votre chair » Mais s'il n'avait rien dit devant ou après qui expliquât cette institution, et qu'il se fût contenté de dire en ordonnant la circoncision : « Mon alliance sera dans votre chair, » ces paroles n'auraient causé que de l'embarras dans les esprits.

De même si Notre-Seigneur en instituant la Cène, avait fait entendre par quelques paroles qu'il voulût nous donner du pain comme signe de son corps, après que l'idée de pain et celle du corps auraient été une fois unies, on croirait facilement qu'il

 

1 Genes., XVII, 11. — 2 Ibid., 13.

 

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aurait pu dans la suite attribuer au signe le nom de la chose. Mais parce qu'on veut feindre qu'il a dans l'esprit de nous figurer son corps par du pain; qu'on veuille se persuader qu'il ait dit, sans rien expliquer, en présentant un morceau de pain : « Ceci est mon corps; » ni la raison ne le permet, ni on ne peut l'autoriser par aucun exemple. Et l'Anonyme en effet n'a pu en produire un seul.

 

V. — Fausseté et absurdité des conséquences que l'Anonyme prétend tirer de la suite des paroles de l'institution contre la doctrine catholique.

 

Mais il pense avoir détruit notre fondement principal, en nous accusant de séparer ces paroles : « Ceci est mon corps, » d'avec les suivantes : « Qui est rompu pour vous. » C'est là qu'il met tout son fort, et cependant on verra bientôt qu'il n'y arien de plus faible.

Il m'accuse premièrement de « tronquer, s'il faut ainsi dire, les paroles de l'Institution, ou plutôt le sens (1). » Mais certes il me fera raison, quand il lui plaira, d'un reproche autant injurieux qu'est celui de tronquer l'Ecriture sainte. Quand on veut accuser un chrétien d'un aussi grand crime, il faut prendre un peu plus garde à ce qu'on dit. Est-ce tronquer les paroles de l'Institution que de les rapporter en autant de mots qu'ont fait deux évangélistes, qui ont cru nous expliquer suffisamment l'intention de Notre-Seigneur et l'essence de ce mystère, en nous marquant seulement qu'il a dit : « Ceci est mon corps (2).» Je veux bien toutefois y joindre celles que saint Luc et saint Paul y ont ajoutées : « Ceci est mon corps donné pour vous (3) : Ceci est mon corps rompu pour vous (4). » Elles ne serviront qu'à fortifier le sens littéral que nous embrassons.

On les peut prendre en deux manières, qui toutes deux nous sont favorables. « Ceci est mon corps, qui est donné, » ou « qui est rompu pour vous ; » c'est-à-dire qui va l'être, en exprimant par le temps présent ce qui va incontinent s'exécuter.

Tout le monde sait que l'Ecriture, et en particulier l'histoire de la Passion, est pleine d'expressions semblables. « Vous savez,

 

1 Anon., p. 189. — 2 Matth., XXVI, 26; Marc, XIV, 22. — 3 Luc., XXII, 19. — I Cor., XI, 24.

 

 

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dit Jésus-Christ à ses apôtres (1), que Pâque se fait dans deux jours, et que le Fils de l'Homme est livré pour être crucifié, » c'est-à-dire qu'il le va être : « allez dire à un tel : Le Maître dit : Mon temps est proche, je fais la Pâque chez vous avec mes disciples (2), » c'est-à-dire je l'y dois faire. « La main de celui qui me livre, est avec moi à table (3). » Et encore : « Malheur à celui par qui le Fils de l'Homme est livré aux Juifs (4) » c'est-à-dire qui le va livrer et qui en a déjà conçu le dessein. « Personne ne m'ôte la vie, mais je là quitte de moi-même (5), » c'est-à-dire je suis toujours prêt à la quitter. C'est une chose naturelle à toutes les langues d'exprimer le futur par le présent, surtout quand ce futur est fort près, et qu'on touche pour ainsi dire le moment de l'exécution. Aussi presque tous les interprètes, sans en excepter les protes-tans, conviennent que ce sens est fort littéral : « Ceci est mon corps, qui est donné ou qui est rompu pour vous, » c'est-à-dire qui le va être. »

Après cela on ne comprend pas quel avantage l'auteur peut tirer de ces paroles : « Rompu ou donné pour vous : » car il n'y a rien au contraire qui nous détermine plus fortement au sens littéral , que ces mêmes paroles jointes aux précédentes : « Ceci est mon corps. » Qui ne sera frappé de cette suite du discours : « Ceci est mon corps, » ce corps qui va être « donné pour vous » à la mort? « Ceci est mon sang, le sang de nouvelle alliance, » le sang qui va être « répandu pour la rémission de vos péchés. » En effet le redoublement de l'article to dans le grec, a la même force qu'avait la répétition que je viens de faire : et tout le discours ensemble était fait pour montrer aux apôtres que ce qu'ils allaient manger et boire, était le même corps qui devait être bientôt rompu et percé pour eux, et le même sang qui étant violemment répandu, devait confirmer le Nouveau Testament par son effusion. Des paroles si efficaces, bien loin d'éloigner des esprits l'idée du vrai corps et du vrai sang, éloignent au contraire le corps et le sang en figure, et sont faites pour nous marquer le corps et le sang en propriété. Mais il faut pénétrer encore plus avant.

 

1 Matth., XXVI, 2. — 2 Ibid., 18. — 3 Luc., XXII, 21. — 4 Matth., XXVI, 24. — 5 Joan., X, 18.

 

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La parfaite conformité de notre doctrine avec les paroles de Notre-Seigneur, paraît principalement en ce que l'épithète qu'il joint à son corps convient également à l'état où il est à la croix et à celui où nous le voyons dans l'Eucharistie. Car il ne dit pas : Ceci est mon corps crucifié; ce qui ne conviendrait qu'à la croix; ou : Ceci est mon corps mangé ; ce qui ne conviendrait qu'à l'Eucharistie; mais: Ceci est mon corps donné, parce que dans le mystère de la croix il est donné à la mort, et que dans le mystère de l'Eucharistie il est donné comme nourriture; mais toujours donné dans l'un et dans l'autre, donné très-réellement, et aussi réellement à la sainte table qu'il l'a été à la croix, quoique d'une autre manière. Il en est de même de ces paroles : « Ceci est mon corps rompu, » par lesquelles saint Paul exprime le sens de celles qu'on lit en saint Luc : « Ceci est mon corps donné. » Car il n'y a personne qui ne sache que c'est une phrase naturelle à la langue sainte, de dire rompre le pain pour exprimer qu'on le donne et qu'on le distribue. Rompez votre pain au pauvre, chez Isaïe (1), c'est-à-dire distribuez-le et le donnez. Ainsi ces paroles qu'on lit dans saint Paul : « Ceci est mon corps rompu, » signifient sans difficulté qu'il n'est pas seulement rompu à la croix où il a été percé, mais encore rompu dans l'Eucharistie où il est distribué à tous les fidèles. Que si nous venons ensuite à la consécration du sacré calice, nous verrons le même dessein et le même esprit. Car Jésus-Christ ne dit pas : Ceci est mon sang, qui sort de mes veines ; ou : Ceci est mon sang présenté à boire, parce que l'une de ces paroles ne marquerait que le sang versé à la croix, et l'autre ne conviendrait qu'au sang donné à boire dans l'Eucharistie. Il a dit : « Ceci est mon sang répandu, » parce qu'en effet il coulait avec abondance, lorsque ses veines ont été ouvertes, et qu'il nous est encore donné véritablement sous la forme d'une liqueur, pour le faire couler au dedans de nous en le buvant. Ainsi ce corps et ce sang ne sont pas moins dans l'Eucharistie qu'ils ont été à la croix, puisque l'épithète que le Fils de Dieu leur a donnée est choisie avec tant de soin, qu'elle convient parfaitement aux deux états. Que le lecteur juge maintenant si l'Eglise romaine a intérêt

 

1 Isa., LVIII, 7.

 

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de détacher ces paroles : « Donné ou rompu pour vous, » d'avec les paroles précédentes; et si au contraire il ne paraît pas que rien ne détermine tant au sens naturel que la suite de tout ce discours : « Ceci est mon corps donné ou rompu ; » et : « Ceci est mon sang répandu pour vous. »

Combien est froide et forcée l'explication de nos adversaires, que l'Anonyme me fait tant valoir à comparaison de la nôtre (1) ! « Ceci est mon corps rompu, » c'est-à-dire ce pain rompu vous représente mon corps rompu. Qui ne ressent en lisant les paroles de l'Evangile, que l'expression de Notre-Seigneur est beaucoup plus vive ; qu'il veut exprimer ce qui est effectivement dans l'Eucharistie, et non ce que représentent des signes fort éloignés de la vérité? Mais sans nous jeter dans de nouvelles considérations, personne ne peut penser que du pain mis en morceaux pour être distribué, ou du vin versé dans une coupe prêt à couler dans nos estomacs, nous représentent naturellement un corps percé par des plaies, ou du sang qui coule des veines. Que si l'on ne peut pas dire que ces signes soient si expressifs qu'ils convient les hommes naturellement à leur donner le nom de la chose, si on se sent obligé à les reconnaître comme signes d'institution, notre principe demeure ferme, que les signes de cette nature ne reçoivent le nom de la. chose qu'après l'établissement, mais qu'il n'y a aucun exemple dans l'Ecriture, ni dans tout le langage humain, qui le leur donne dans l'Institution.

 

VI. — Second effort de l'Anonyme. Fausse conséquence qu'il prétend tirer de ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi. »

 

Jusqu'ici l'Anonyme a fort mal montré que la suite des paroles de Notre-Seigneur nous détourne du sens littéral. Mais voici un second effort. Jésus-Christ, après avoir dit : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, » ajoute aussitôt : « Faites ceci en mémoire de moi. » Ce n'est donc pas lui-même qu'il veut nous donner, mais un mémorial de lui-même

On a souvent répété à Messieurs de la religion prétendue réformée que le souvenir n'exclut pas toute sorte de présence, mais

 

1 Anon., p. 190, 191. — 2 Ibid. p. 195, etc.

 

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la seule présence sensible. Dieu nous est présent, plus en quelque sorte que nous ne nous sommes présents à nous-mêmes, parce que « nous vivons, nous nous remuons, nous sommes en lui, » comme dit saint Paul (1). Toutefois nous ne l'oublions que trop souvent, parce que cette présence ne frappe pas notre vue : nous avons besoin que souvent on le rappelle à notre mémoire, et qu'on nous dise : « Souviens-toi de ton Créateur tous les jours de ta vie  (2). » Quand les prétendus réformés supposeraient avec nous que Jésus-Christ fût en personne dans l'Eucharistie, ils n'en devraient pas moins avouer que nous avons besoin d'être avertis de cette présence, parce que nos sens n'en sont touchés par aucun endroit : de sorte que le Fils de Dieu aurait raison d'exciter notre attention, en nous disant : « Faites ceci en souvenance de moi, » et n'oubliez jamais celui qui vous fait de si grandes grâces. Il est clair que cette parole s'accorde parfaitement avec la présence que nous admettons ; et ainsi je ne comprends pas comment on s'en peut servir pour la détruire.

Mais nous sommes en termes bien plus forts; et nous pouvons accorder aux prétendus réformés, sans aucun préjudice de notre doctrine, que la chose que le Fils de Dieu nous ordonne de nous rappeler en notre mémoire n'est pas présente. En effet il est certain que quand il a dit : « Faites ceci en mémoire de moi, » l'esprit et l'intention de ces paroles, c'est de nous faire souvenir de lui mourant, et de rappeler sa mort à notre mémoire.

Si cela est, il faut avouer que ces paroles, tant de fois objectées par les prétendus réformés, leur deviennent inutiles. Quand nous leur aurions accordé que le souvenir que Notre-Seigneur nous recommande en ce lieu, exclut la présence de son objet, ils seraient abondamment satisfaits sur cette difficulté, puisque Jésus-Christ mourant à la croix n'est pas un objet présent et que sa mort est une chose éloignée.

Aussi voyons-nous que l'Anonyme fait les derniers efforts pour nous ôter cette explication : mais il se tourmente en vain. Ce n'est pas une explication que nous soyons contraints d'inventer, pour nous débarrasser d'un argument importun, puisque mène

 

1 Ad., XVII, 28. — 2 Eccles., XII, 1.

 

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on a déjà vu que nous n'avons pas besoin de cette défense. Mais c'est l'apôtre saint Paul qui nous apprend à entendre, comme nous faisons, les paroles dont il s'agit, puisqu'il ne les a pas plutôt rapportées qu'il en tire aussitôt cette conséquence, qu'en participant à l'Eucharistie, « nous annonçons la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne (1). » Ainsi le dessein de ces paroles n'est pas de rappeler en notre mémoire la personne de Jésus-Christ absolument, mais la personne de Jésus-Christ se livrant lui-même à la mort et répandant son sang pour notre salut. La suite même des paroles nous conduit naturellement à ce sens. Nous venons de voir que ces mots : « Ceci est mon corps donné, ceci est mon sang répandu, » ont un rapport nécessaire à la mort de Notre-Seigneur. Quand donc il ajoute après : « Faites ceci en mémoire de moi, » on voit bien qu'il veut nous faire éternellement souvenir de lui-même comme mort pour nous, ou, comme parle saint Paul, nous faire « annoncer sa mort jusqu'à ce qu'il vienne. »

Que l'Anonyme juge maintenant du déplorable état de sa cause, qui le réduit à rejeter une explication qui est expressément tirée de l'Apôtre, et d'appeler cette explication « un petit détour (2). » Mais après avoir dit que je tronque les paroles de Notre-Seigneur en les récitant comme saint Matthieu, je ne m'étonne pas qu'il dise encore que j'en détourne le sens en les expliquant comme saint Paul.

Cependant il est si constant que ces paroles de Notre-Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi, » sont prononcées exprès pour rappeler notre attention à sa mort, que les prétendus réformés y donnent eux-mêmes cette explication dans l'action de la Cène. Le ministre en la leur donnant, leur parle en ces termes : « Faites ceci en mémoire de moi, c'est que quand vous mangerez de ce pain et boirez de cette coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. » Toutes les Confessions de foi des protestants suivent cette interprétation; et l'Anonyme lui-même, après avoir récité les paroles de l’Epître aux Corinthiens, d'où je tire l'explication que nous avons proposée, en conclut, aussi bien

 

1 I Cor., XI, 26. — 5 Anon., p. 196.

 

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que nous, « que Jésus-Christ quittant ses apôtres et leur disant le dernier adieu, leur laisse ce sacrement comme un gage, un mémorial et un sceau de la mort qu'il devait souffrir pour eux. »

Ainsi j'ai raison de dire dans l’Exposition, que quand même nous serions demeurés d'accord que l'Eucharistie est le mémorial d'une chose qui n'est pas présente, nous avons de quoi contenter les prétendus réformés selon leurs propres principes, parce que Jésus-Christ mourant, qu'elle rappelle à notre souvenir, n'a été qu'une seule fois dans cet état; et que sa mort, dont ce mystère est un monument éternel, est éloignée de nous de plusieurs siècles et n'est pas présente.

Si maintenant ils demandent pourquoi Jésus-Christ a joint ces deux choses, de nous donner en vérité son corps et son sang, et de se servir d'un si grand mystère pour imprimer dans nos cœurs la mémoire de sa mort : ils n'ont qu'à se souvenir des choses qui ont été dites sur les victimes anciennes que les Juifs mangeaient. Ce que nous avons à dire en ce lieu est une suite de cette doctrine. La manducation de ces victimes en rappelait naturellement l'immolation dans l'esprit : car on les mangeait comme ayant été immolées, et dans le dessein de participer au sacrifice.

Ainsi quand Notre-Seigneur a voulu accomplir cette figure en nous donnant son corps et son sang à la sainte table, il a raison de nous rappeler à l'oblation qu'il en a faite pour nous à la croix ; et il n'y a rien de plus naturel que de nous souvenir de Jésus-Christ immolé, lorsque nous sommes appelés à manger la chair de ce sacrifice. C'est pour cela que nous demandons, aussi bien que l'Anonyme qu'on ne sépare point les paroles de Notre-Seigneur. Nous voulons qu'on pense attentivement « qu'il a dit tout d'une suite : Ceci est mon corps donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. » Car c'est ce qui nous fait voir que le souvenir qu'il ordonne est fondé sur le don qu'il fait de son propre corps et de son propre sang. De sorte que ce n'a pas été son dessein de nous donner seulement un morceau de pain comme un mémorial de sa mort; mais de nous donner ce même corps immolé pour nous, afin qu'en le recevant nous eussions

 

1 Anon., p. 195.

 

 

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l'esprit attentif au sacrifice sanglant que son amour lui a fait offrir pour notre salut.

C'est ce que j'avais dit dans l’Exposition, et l'auteur n'oppose rien à cette doctrine qui ne marque une faiblesse manifeste. Il prend la peine de prouver par l'exemple «des hosties expiatoires, dont on se souvenait sans les manger, qu'il n'est pas nécessaire que nous mangions la propre chair de Jésus-Christ notre victime, pour nous souvenir de sa mort (1) » Ne voit-il pas que c'est sortir de la question ? Il ne s'agit pas entre nous si ce moyen nous est nécessaire pour nous souvenir de Jésus-Christ mort et immolé. Les catholiques ne prétendent pas qu'il le fallût oublier, s'il ne nous avait pas donné son corps et son sang ; et bien loin d'attacher ce souvenir à l'action de la Cène, nous souhaiterions qu'il ne nous quittât en aucun moment de notre vie. Et certes nous avons peu profité de tant de mystères que Jésus-Christ a accomplis pour notre salut, s'ils ne nous ont pas encore appris qu'il n'a pas voulu s'attacher à faire précisément ce qui nous était nécessaire, mais qu'un amour infini lui a fait chercher ce qu'il y avait de plus tendre et de plus puissant pour toucher nos cœurs. Ainsi sans examiner si ce moyen dont nous parlons était nécessaire pour exciter notre souvenir, il suffit qu'il soit très-puissant et que l'Anonyme même ne puisse rien imaginer de plus efficace. L'Anonyme voudrait le nier, cet effet de la présence, cette efficace divine du corps et du sang de Notre-Seigneur. Mais telle est la force de la vérité : en le niant il le confirme. « S'il est vrai, dit-il, que le souvenir dont il est ici question n'est qu'un sentiment excité par les objets qui frappent les sens, la manière dont on croit manger cette chair dans l'Eglise romaine, a-t-elle quelque chose qui frappe plus les sens que la nôtre, puisque nous la mangeons les uns et les autres sous les espèces du pain et du vin? » Je suis bien aise que l'Anonyme croie recevoir le corps et le sang de Notre-Seigneur sous les espèces du pain et du vin , aussi bien que nous. Je sais qu'il me répondra que nous l'entendons différemment. En effet les catholiques croient recevoir le corps et le sang de Notre-Seigneur sous les espèces, parce qu'il y est; et

 

1 Anon., p. 199.

 

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l'Anonyme (chose surprenante!) croit les recevoir sous ces mêmes espèces, quoiqu'ils n'y soient pas. Qu'il explique comme il lui plaira un sentiment si étrange ; on voit qu'il faut du moins parler comme nous, et que l'idée de Jésus-Christ qui se donne à ses fidèles sous les espèces du pain et du vin est si conforme à la foi, que si peu qu'il reste de foi, cette idée revient toujours à l'esprit. Mais il faudrait aller plus avant, et comprendre que le chrétien ne doit pas être moins touché en recevant son Sauveur sous une espèce étrangère, que s'il le touchait sensiblement en sa propre forme. Il suffit que Jésus-Christ soit présent, et que le chrétien soit assuré de cette présence par la parole de Jésus-Christ, puisque la foi lui apprend à croire aussi fermement ce que Jésus-Christ, lui dit que ce qu'il voit de ses propres yeux.

 

VII. — Abus que les prétendus réformés font de ces paroles de Jésus-Christ : « Je ne boirai point de ce fruit de vigne. »

 

Les prétendus réformés ont perdu leur principale défense, quand on leur a ôté ce passage : « Faites ceci en mémoire de moi. » Ils ont néanmoins encore un dernier refuge dans ces mots: « Je ne boirai point de ce fruit de vigne. »

L'Anonyme les produit pour faire voir que la suite des paroles de l'institution éloigne le sentiment de la présence réelle, quoique si elles avaient quelque force, on pourrait les produire pour faire voir que le vin demeure , et non pour montrer l'absence du sang, de laquelle seule il s'agit ici.

Mais au fond elles ne font rien; et sans vouloir ici recueillir tout ce que disent les catholiques sur ces paroles, je remarquerai seulement quelques vérités qui devraient avoir empêché les prétendus réformés de nous les objecter jamais.

C'est donc, 1° une vérité constante, que les Evangélistes ne rapportent pas toujours les paroles de Notre-Seigneur dans l'ordre qu'elles ont été dites. Ils s'attachent à la substance des choses et se dispensent assez souvent de les réciter dans leur ordre, surtout quand ce sont des paroles détachées, dont la suite ne sert de rien à l'intelligence de tout le discours.

2° Sans nous mettre en peine de justifier une vérité dont on est

 

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d'accord, les paroles dont il s'agit nous en fournissent un exemple, puisque saint Matthieu les rapporte aussitôt après la consécration du calice, au lieu que saint Luc les rapporte à une autre coupe qu'à celle de l'Eucharistie. Au contraire le même saint Luc met, après la consécration du calice, ces paroles de Notre-Seigneur: « La main de celui qui me livre est avec moi dans le plat, » que saint Matthieu avait placées avant tout le récit de la Cène.

3° Il suit de là qu'il n'est pas certain que ces paroles aient été dites après la consécration du calice : ce qui étant, on n'en peut rien conclure contre nous.

4° On doit même plutôt croire qu'elles ont été dites dans le même ordre que saint Luc les a récitées, parce que les interprètes sont d'accord que cet Evangéliste est celui qui s'attache le plus à cette suite, et qu'en effet il est le seul qui promet à la tête de son Evangile de raconter « les choses par ordre (1). »

5° Mais du moins est-il certain par les principes posés, que si ces paroles appartenaient au récit de l'institution de l'Eucharistie, ou étaient dites pour la faire entendre, aucun des Evangélistes ne les en aurait détachées.

6° En effet l'apôtre saint Paul, qui rapporte dans la première aux Corinthiens tout ce qui regarde l'institution de ce mystère , ne fait aucune mention de ces paroles.

Toutes ces choses font voir clairement que ces paroles de Notre-Seigneur : « Je ne boirai plus de ce fruit de vigne, » ne regardent pas en particulier le vin dont Notre-Seigneur a fait son sang, mais tout le vin en général, dont on s'était servi dans tout le repas de la Pâque.

Après ces considérations on devrait cesser de nous objecter ces paroles, si on les objectait par raison plutôt que par préoccupation ou par coutume.

On peut conclure avec assurance des choses qui ont été dites, que l'Anonyme n'a rien remarqué dans la suite des paroles de l'Institution qui nous porte au sens figuré, ni qui puisse nous faire penser que Jésus-Christ ait voulu donner en ce lieu le nom de la chose au signe.

 

1 Luc., I, 1, 3.

 

 

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VIII. — Les exemples et les textes de l'Ecriture sainte, que les prétendus réformés allèguent pour autoriser leurs sens figurés, ne font rien au sujet de l'Eucharistie.

 

Il n'en faut pas davantage pour lui faire voir combien sont éloignés du sujet les exemples de l'Ecriture, que ceux de sa communion allèguent sans cesse pour autoriser leur sens figuré.

La circoncision est appelée l’alliance : mais, comme nous avons déjà remarqué, c'est après qu'elle est établie en termes formels comme le signe de l'alliance.

Jésus-Christ fait des comparaisons, et propose des paraboles où il dit figurément qu'il est une porte , du pain, une vigne : mais outre que le plus souvent les évangélistes remarquent que Jésus dit une parabole ou une similitude, la chose s'explique d'elle-même et la suite nous fait connaître en quoi il met le rapport : tellement qu'il est inouï que personne s'y soit trompé. S'il dit : « Je suis la porte : » il ajoute que c'est par lui qu'il faut entrer. S'il dit qu'il est « la vraie vigne , » que son « Père est le laboureur, » et que ses apôtres en sont «les branches, » il ajoute : « Qui demeure en moi, porte du fruit; » et : « Toute branche qui ne porte point du fruit en moi, le Père l'ôte. » Il en est de même des autres comparaisons, où il dit qu'un «champ est le monde, » que « les épines sont les richesses , » que « les anges sont les moissonneurs. »

Il paraît par les choses qui ont été dites, que la suite des paroles de Notre-Seigneur n'a rien qui nous porte au sens figuré, ni qui nous détourne du sens littéral.

Mais l'Anonyme prétend « que quand cette figure ne serait pas tout à fait intelligible d'elle-même, Jésus-Christ avait préparé les apôtres à l'entendre, leur ayant dit qu'il fallait prendre ces sortes d'expressions spirituellement (1). » Il se sert, pour le montrer (2), de ce passage célèbre : « La chair ne profite de rien , c'est l'esprit qui vivifie (3). »

J'ai répondu par avance à cette difficulté, quand j'ai démêlé les équivoques du terme de spirituel. Je confesse que Jésus-Christ

 

1 Anon., p. 194. — 2 Ibid., p. 183. — 3 Joan., VI, 64.

 

 

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avait préparé les apôtres à entendre quelque chose de spirituel dans la manducation de sa chair : mais de là il ne s'ensuit pas qu'il les eût préparés à entendre figurément tout ce qu'il dirait de cette manducation. Car encore que nous entendions à la lettre ces paroles de Jésus-Christ : « Prenez, mangez, ceci est mon corps, » nous ne laissons pas d'avouer que la chair ne sert de rien, à l'entendre comme faisaient ces hommes grossiers à qui Jésus-Christ parlait, quand il a dit que la chair ne sert de rien. Ils regardaient Jésus-Christ, non comme le Fils de Dieu, mais comme le fils de Joseph (1). Et lui entendant dire qu'il donnerait sa chair à manger, ils songeaient à la manière ordinaire dont nous nourrissons ce corps mortel. Les prétendus réformés savent en leur conscience combien nous sommes éloignés de cette pensée ; ils savent que nous croyons que c'est l'esprit qui vivifie, puisque la chair de Jésus-Christ même, prise toute seule et séparément de l'esprit, ne nous sert de rien. Nous leur avons déjà dit qu'en recevant cette chair, il faut la prendre comme la chair de notre victime, en nous souvenant de son sacrifice et mourant nous-mêmes au péché avec Jésus-Christ. Pendant que le Fils de Dieu s'approche de nous en personne pour nous témoigner son amour, il faut que notre cœur y réponde : et nous recevons en vain son sacré corps, si nous n'attirons dans nos âmes par la foi l'esprit dont il est rempli. De là il ne s'ensuit pas ni que la chair, absolument, ne serve de rien (car, comme dit saint Augustin, si la chair ne servait de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair, et n'aurait pas attribué à sa chair dans tout ce chapitre une efficace divine) ; ni que cette chair que le Verbe a prise ne serve de rien dans l'Eucharistie, mais qu'elle n'y sert de rien prise toute seule ; ni qu'il faille entendre figurément ces paroles : « Ceci est mon corps ; » mais qu'en les prenant à la lettre, il faut encore y joindre l'esprit, en croyant que Notre-Seigneur n'accomplit rien dans nos corps qui ne regarde l'homme intérieur et la vie spirituelle de l'âme; c'est pourquoi toutes ses «paroles sont esprit et vie (2). »

Mais il s'élève ici une objection, qui est celle qui touche le

 

1 Joan., VI, 42. — 2 Ibid., 64.

 

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plus les prétendus réformés. Si la chair de Jésus-Christ prise toute seule par la bouche du corps ne sert de rien, et que le salut consiste à nous unir avec Jésus-Christ par la foi, ce que l'Eglise romaine met de plus dans l'Eucharistie devient inutile. « Cette union spirituelle, dit l'auteur de la Réponse, est la seule et véritable cause de notre salut; et les catholiques ne nient pas que ceux qui reçoivent le baptême et la parole sans l'Eucharistie, ne soient sauvés et unis spirituellement à Jésus-Christ, de même que ceux qui reçoivent aussi l'Eucharistie (1). » Il leur semble qu'on doit conclure de là que le fidèle doit se contenter de ce qu'il reçoit au baptême, puisque ce qu'il y reçoit suffit pour son salut éternel. Ce qu'ajoutent les catholiques à l'union spirituelle est à leur avis superflu; et c'est en vain, disent-ils, qu'on se jette dans de si grandes difficultés pour une chose qui ne sert de rien.

Cet argument, qui paraît plausible, ne combat pas en particulier la doctrine des catholiques sur la présence réelle ; mais il attaque d'un seul coup tous les mystères du christianisme, et tous les moyens dont le Fils de Dieu s'est servi pour exciter notre foi. Il ne sert de rien d'écouter la prédication de l'Evangile, si on n'écoute la vérité même qui parle au dedans ; et le salut consisté à ouvrir le cœur : donc on n'a pas besoin de prêter l'oreille aux prédicateurs; donc c'est assez d'ouvrir l'oreille du cœur. Il ne sert de rien d'être lavé de l'eau du baptême, si on n'est nettoyé par la foi ; donc il se faut laver intérieurement sans se mettre en peine de l'eau matérielle. A cela les prétendus réformés répondraient eux-mêmes que la parole et les sacrements sont des moyens établis de Dieu pour exciter notre foi, et qu'il n'y a rien de plus insensé que de rejeter les moyens par attachement à la fin, puisqu'au contraire cet attachement nous les doit faire chérir. Qui ne voit donc qu'il ne suffit pas, pour combattre la présence réelle, de montrer qu'elle ne nous sert de rien sans la foi; mais qu'il faut encore montrer que cette présence n'est pas établie pour confirmer la foi même, qu'elle ne sert de rien pour cette fin , ni pour exciter notre amour envers Jésus-Christ présent? il faut détruire ce qui a été si solidement établi touchant la manducation

 

1 Anon., p. 114.

 

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de notre victime, qui nous est un gage certain de la part que nous avons à son sacrifice : enfin il faut prouver qu'il ne sert de rien à Jésus-Christ même, pour nous témoigner de l'amour, ni pour échauffer le nôtre, de venir à nous en personne; et que la jouissance de sa personne si réellement présente, n'est pas un moyen utile pour nous assurer la possession de ses dons. Si la chair ne sert de rien sans l'esprit, si la présence du corps ne profite pas sans l'union de l'esprit, il ne faut pas s'en étonner, ni rabaisser par là le sacré mystère de la présence réelle : car il a cela de commun avec tous les autres mystères de la religion, et Jésus-Christ crucifié ne sert de rien non plus à qui ne croit pas.

Tout ce qu'a fait Jésus-Christ pour nous témoigner son amour nous devient inutile, si nous n'y répondons de notre part : mais il ne s'ensuit pas pour cela que ce que Jésus-Christ fait pour nous doive être nié sous prétexte que quelques-uns y répondent mal, ni que ses conseils soient détruits par notre malice, ni que notre ingratitude anéantisse la vérité de ses dons et les témoignages de sa bonté...

 

 

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