Seconde Vérité
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Conf. M. Claude Avert.
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Conférence M. Claude
Conférence Suite
Réflexions sur M. Claude

 

SECONDE VÉRITÉ.
QU'IL EST IMPOSSIBLE DE SE SAUVER EN LA RÉFORMATION PRÉTENDUE.

 

CHAPITRE PREMIER.  Que selon les principes du ministre, les premiers auteurs de la réformation prétendue sont des schismatiques.

CHAPITRE II. De la durée perpétuelle de l'Eglise visible; que le ministre la reconnaît; et que l'église prétendue réformée confesse sa nouveauté, et prononce sa condamnation.

CHAPITRE III.  Que selon les principes du ministre nos adversaires ne peuvent apporter aucune cause de séparation.

CHAPITRE IV.  Que la réformation prétendue est une rébellion contre l'Eglise; de l'infaillibilité de l'Eglise.

CHAPITRE DERNIER.  Que le ministre n'entend pas les auteurs qu'il cite pour justifier la nécessité de la réformation prétendue.

CONCLUSION.  Exhortation à nos adversaires  de retourner à l'unité de l'Eglise.

 

CHAPITRE PREMIER.
Que selon les principes du ministre, les premiers auteurs de la réformation prétendue sont des schismatiques.

 

Jusqu'ici notre innocence s'est défendue contre les accusations du ministre ; nous devions cette juste défense à la sainteté de l'Eglise, qui était attaquée par ses calomnies : maintenant la charité nous oblige de faire connaître à nos adversaires le péril évident de leurs âmes ; et combien leur perte est inévitable, s'ils ne retournent en la communion de l'Eglise en laquelle leurs pères ont été sauvés, et qui est toujours prête à les recevoir avec des entrailles de mère.

Pour expliquer mon raisonnement avec ordre, je pose ces trois

 

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maximes fondamentales. Premièrement, je dis qu'il est impossible de faire son salut dans le schisme. Car nous entendons par le mot de schisme une injuste séparation. Or cette injuste séparation est incompatible avec la charité fraternelle ; par conséquent tous ceux qui sont dans le schisme tombent en cette juste malédiction que l'apôtre saint Jean prononce : a Celui qui n'aime pas son frère demeure en la mort. Tout homme qui hait son frère est homicide (1). »

Secondement il est assuré que jamais il ne peut être permis de se séparer de la vraie Eglise, et bien moins quand elle sera reconnue pour telle, parce que l'Eglise étant le lieu d'unité, tous ceux qui se retirent de la vraie Eglise, violent visiblement le sacré lien de la fraternité chrétienne.

Je pose pour troisième maxime, qu'une Eglise demeure toujours véritable Eglise , tant qu'elle peut engendrer des enfants au ciel. Car il n'appartient qu'à la vraie Eglise de donner des frères à Jésus-Christ, et des héritiers au Père céleste. L'Eglise ne conçoit que de son Epoux, qui la rend féconde par son Esprit-Saint; et ainsi tant qu'elle engendre des enfants à Dieu, elle est pleine du Saint-Esprit, Jésus-Christ la traite toujours en épouse; elle est donc par conséquent véritable Eglise.

Ces vérités étant supposées, je soutiens que nos adversaires ne peuvent excuser leur séparation, et que les principes qu'ils nous accordent montrent que les premiers auteurs de leur secte n'ont pas été des réformateurs, mais de très-dangereux schismatiques , qui se sont séparés de la vraie Eglise. C'est ce qu'il m'est aisé de prouver par ce raisonnement invincible.

Le ministre est convenu avec nous que jusqu'à l'an 1543 on pouvait obtenir da vie éternelle en la communion de l'Eglise romaine (2) ; elle était donc encore véritable Eglise selon les maximes que j'ai posées. Et toutefois il est assuré que longtemps avant cette année nos adversaires s'étaient séparés, et avaient abandonné sa communion. Par conséquent ces réformateurs prétendus étaient des rebelles et des schismatiques, qui fuyaient la communion d'une Eglise, laquelle conduisant ses enfants au ciel,

 

1 I Joan., III, 14, 16. — 2 Ci-dessus, sect. I, chap. I.

 

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montrait bien par sa sainte fécondité qu'elle était encore l'Eglise de Dieu. En effet le catéchiste remarque lui-même que les fondements de la foi y étaient entiers (1), et que les fidèles y pouvaient faire leur salut à cause de la sincère confiance que l'Eglise , cette bonne mère, les obligeait d'avoir en Jésus-Christ seul.

Ce raisonnement jette l'hérésie avec ses ministres dans une confusion nécessaire : et je pense qu'elle n'a jamais paru plus visible que dans le Catéchisme que nous réfutons. Le sieur Ferry ne peut se résoudre sur cette importante difficulté, savoir si les premiers qui ont embrassé la réformation prétendue, en sortant de la communion de l'Eglise romaine, l'ont quittée volontairement, ou s'ils en ont été chassés par la force. Mais qu'il résolve d'eux ce qu'il lui plaira, nous avons toujours de quoi les convaincre. S'ils se sont retirés volontairement de la communion d'une vraie Eglise en laquelle on pouvait se sauver, il paraît manifestement qu'ils sont schismatiques selon les maximes que j'ai posées; et quand même nous accorderons qu'on les a chassés, ils n'éviteront pas leur condamnation. Car la communion de l'Eglise est si nécessaire, qu'ils dévoient toujours demeurer unis encore qu'on tâchât de les éloigner. Et je ne dis pas ici à nos adversaires une chose qui doive leur être inconnue. L'église luthérienne les excommunie ; toutefois parce qu'ils la croient une vraie Eglise, ils pensent être obligés de s'unir à elle; ils lui tendent les bras quoiqu'elle les chasse, et ils entrent en son unité autant qu'ils le peuvent. Si donc l'Eglise romaine était vraie Eglise, puisque selon la confession du ministre elle portait en son sein les enfants de Dieu, quelque violence qu'on fît aux réformateurs prétendus, jamais ils ne dévoient rompre de leur part le lien de la communion ecclésiastique.

Mais au contraire ils ont ému toute la querelle, ils se sont séparés les premiers, ils ont fait de nouvelles églises , ils ont établi un nouveau service; et pour montrer que, non-seulement ils fuyaient, mais encore qu'ils avaient en horreur la communion de l'Eglise romaine, ils ont publié par toute l'Europe que sa doctrine était sacrilège, et que son service était une idolâtrie; qu'elle

 

1 Ci-dessus, section I, chap. IV, V et VI.

 

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était le royaume de l'Antéchrist et la Babylone de l'Apocalypse, en laquelle on ne pouvait demeurer sans résister à ce commandement de Dieu : « Sortez de Babylone, mon peuple (1). » Certes on ne les contraignait pas de parler ainsi : donc ils n'ont pas été chassés par la force , mais ils se sont retirés volontairement. Cependant l'Eglise romaine était encore la vraie Eglise, puisque selon les principes du catéchiste les fidèles de Jésus-Christ y pouvaient mourir sans préjudice de leur salut.

C'est ce qui jette le sieur Ferry dans une étrange contradiction. Car d'un côté il dit nettement « qu'il faut extirper le membre pourri, comme l'Eglise a toujours pratiqué, excommuniant les hérétiques ou se soustrayant de leur communion (2); » et que l'on ne pouvait abandonner l'ouvrage de la réformation « sans désobéir au commandement : « Sortez de Babylone, mon peuple (3); » ce qui prouve la nécessité de se séparer. Mais reconnaissant en sa conscience que jamais il ne peut être permis de se retirer de la vraie Eglise, telle qu'était l'Eglise romaine, puisqu'il avoue que les fidèles s'y pouvaient sauver, il est obligé de répondre que ses pères voulaient demeurer en son unité, si on ne les en eût retranchés : « Chassés et poursuivis, dit-il, nous avons été contraints de nous séparer (4) ; » et encore plus clairement : « Ils ont plutôt été chassés qu'ils ne sont sortis. Car ils entendaient avec saint Augustin ce commandement : « Retirez-vous, sortez de là, ne touchez point à choses souillées, D'UN DÉPART SPIRITUEL ET D'UN DÉTACHEMENT DE COEUR. C'est aussi l'exposition qu'on donnait d'ancienneté à Metz à cet autre commandement de sortir de Babylone, à savoir non en corps, mais en esprit (5). »

Il est digne d'observation que le catéchiste confesse que ses prédécesseurs entendaient ces paroles : « Retirez-vous, sortez de là, » dans le même sens qu'on donnait avant la réformation prétendue, à ce commandement de l’Apocalypse : « Sortez de Babylone, mon peuple. » Or il remarque en un autre lieu que nos pères qui vivaient alors en la communion de l'Eglise romaine croyaient satisfaire à ce précepte, « s'ils ne participaient pas aux péchés de ceux parmi lesquels ils vivaient, sans qu'il leur fût besoin de s'en

 

1 Apoc., XVIII, 4. — 2 P. 127.  — 3 P. 46 et 47. — 4 P. 138. — 5 P. 131.

 

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séparer autrement (1), » c'est-à-dire, de se séparer de communion. En effet le ministre avoue qu'ils mouraient en la communion de l'Eglise romaine. Par conséquent il nous fait voir que ceux qui ont suivi les premiers la réformation prétendue, consentaient de demeurer unis avec nous en la communion de l'Eglise romaine, encore qu'ils prêchassent par toute la terre qu'elle était la Babylone maudite et la prostituée de l'Apocalypse. O hérésie confuse en ses jugements ô désordre et contradiction de l'erreur !

Et que le ministre ne réponde pas qu'ils seraient demeurés en l'Eglise à condition qu'elle se serait réformée selon les maximes qu'ils lui proposaient. Car il dit « qu'ils entendaient ce commandement : Retirez-vous, d'un détachement de cœur. » C'était donc leur intention de vivre en l'Eglise, liés avec elle de communion, et toutefois détachés de cœur. Ainsi ils ne la regardaient pas comme réformée; mais toute corrompue qu'ils la supposaient, ils voulaient demeurer en sa communion, pourvu qu'ils en pussent retirer leur cœur, ce qui enferme une doctrine contradictoire, digne certes des ennemis de la vérité.

Quelle étrange confusion de pensées ! S'il est vrai que l'Eglise romaine était la Babylone dont parle saint Jean; si c'est d'elle qu'il est écrit : « Sortez de Babylone, mon peuple, » était-il besoin d'employer la force pour en éloigner les fidèles, et d'où vient que la parole de Dieu ne suffisait pas? Mais le ministre s'est bien aperçu qu'elle ne pouvait pas être cette Babylone, puisqu'elle donnait encore des enfants à Dieu. Car en quelle Ecriture nous lira-t-il que la prostituée de l'Apocalypse engendre les enfants légitimes, et les conserve en son sein jusqu'à la mort? Ainsi pressé en sa conscience et non point persuadé par la vérité, il tombe nécessairement en des contradictions manifestes. 0 hérésie toujours chancelante, toujours incertaine, qui n'ose dire ni qu'elle voulait demeurer, ni qu'elle est sortie volontairement, de peur d'être contrainte de confesser et sa rébellion et son schisme ! Eveillez-vous enfin, ô pauvres errants; voyez le triomphe de la vérité dans le désordre de vos ministres et dans vos réponses contradictoires. Si vos pères ont été schismatiques, en se séparant de la vraie

 

1 P. 88.

 

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Eglise qui conduisait à Dieu ses enfants, vous qui entreprenez leur défense, vous qui persistez dans leur schisme, vous attirez sur vous leur condamnation. Retournez donc à l'unité sainte qui a sauvé nos pieux ancêtres, ainsi que votre ministre le reconnaît. Enfants des schismatiques, revenez à la Mère des orthodoxes.

 

CHAPITRE II. De la durée perpétuelle de l'Eglise visible; que le ministre la reconnaît; et que l'église prétendue réformée confesse sa nouveauté, et prononce sa condamnation.

 

L'unité catholique doit être ancienne, et par conséquent le schisme est toujours nouveau. Ainsi la nouveauté visible de nos adversaires les fait reconnaître pour schismatiques, et montre que l'Eglise n'est point parmi eux, parce qu'elle ne peut jamais être dans la nouveauté.

La force de ce raisonnement est fondée sur ces trois propositions, que j'entreprends de prouver par ordre : que la durée de l'Eglise est perpétuelle ; que cette Eglise perpétuelle doit être visible, et que le ministre l'avoue dans son Catéchisme; que l'église prétendue réformée prononce elle-même sa condamnation, parce qu'elle confesse sa nouveauté. Pour entendre solidement ces trois vérités, il faut que nous remontions jusqu'au principe, et que nous considérions les desseins de Dieu dans l'établissement de l'Eglise.

Nous disons que l'Eglise a été fondée pour être le lieu de concorde auquel il plait à notre grand Dieu d'unir les choses les plus éloignées; d'où il s'ensuit manifestement que sa durée n'a point de limites, non plus que sa grandeur et son étendue; et comme selon les anciennes prophéties il n'y a point de mers ni de nations qui puissent borner ses conquêtes, aussi n'y aura-t-il aucun temps qui la voie jamais ruinée. Car de même que la foi de l'Eglise doit unir en Notre-Seigneur Jésus-Christ toutes les contrées de la terre, elle doit aussi unir tous les temps : de sorte que ceux-là s'aveuglent volontairement qui nient que sa durée soit perpétuelle.

Et certes les Ecritures, divines nous représentent deux sortes de

 

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siècles : le siècle présent et le siècle futur. Ce dernier a son étendue pendant toute l'éternité; le premier ne se finira qu'à la résurrection générale. Il faut que Jésus règne en l'un et en l'autre : et le royaume qu'il a sur la terre est l'image de son royaume céleste. De même donc que le Fils de Dieu sera éternellement béni dans le ciel, aussi ne cessera-t-il jamais d'avoir des adorateurs sur la terre. Or il est certain, par les saintes Lettres, que Dieu ne reçoit les adorations que dans son temple, qui est l'Eglise. Ainsi elle sera toujours en ce monde jusqu'au dernier jugement. C'est pourquoi les prophètes ont dit, et les apôtres l'ont confirmé, que le règne de Jésus-Christ n'aurait point de fin, parce que l'Ecriture nous montrant deux siècles dans lesquels le Fils de Dieu doit régner, il faut nécessairement que son règne remplisse la durée de l'un et de l'autre.

Si nous voulons maintenant connaître que cette Eglise perpétuelle doit être visible, laissons les conjectures humaines, et jugeons des qualités de l'Eglise par l'intention de celui qui l'a instituée.

Deux raisons ont obligé le Sauveur du monde à lui donner une forme visible. L'une de ces raisons regardait les hommes; l'autre, l'établissement de sa propre gloire.

Si nous étions de ces intelligences célestes, lesquelles étant dégagées de toute matière, vivent d'une pure contemplation, il ne serait pas nécessaire de nous unir autrement qu'en esprit : mais puisque nous sommes des hommes mortels, il était certainement convenable que la Providence divine liât notre communion par quelques signes sensibles.

        Mais la principale raison, c'est que Jésus-Christ fondant son Eglise, veut que sa doctrine y soit professée pour y être glorifié comme dans son temple devant Dieu et devant les hommes. C'est pourquoi il l'a mise sur la montagne, pour attirer les infidèles ou pour les confondre.

De là vient qu'il l'a revêtue de signes externes, qui ne permettent pas qu'elle soit cachée. Il lui a donné ses saints sacrements, qui sont les sceaux sacrés de la communion des fidèles, par lesquels nous portons en nos corps les livrées de Jésus-Christ notre

 

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capitaine. Il y a établi des pasteurs et une forme de gouvernement, qui unit tout le corps de l'Eglise.

Le Fils de Dieu, le Verbe éternel, invisible par sa nature, voulant être le Chef de l'Eglise, a daigné se rendre sensible à nos yeux en se revêtant d'une chair humaine; et pendant le cours de sa vie mortelle, il a assemblé près de sa personne une sainte société à laquelle il a ordonné de s'étendre par toute la terre : c'est ce qu'il a appelé son Eglise, c'est-à-dire une assemblée de fidèles qui doit confesser son nom et son Evangile; par conséquent il veut qu'elle soit visible.

De cette Eglise ainsi établie, Jésus-Christ, la Parole du Père, qui porte toutes choses par sa puissance, a dit et prononcé dans son Evangile que jamais elle ne serait renversée : « Les portes d'enfer, dit-il, ne prévaudront point contre elle (1). » Aussi malgré les persécutions et les hérésies, c'est-à-dire malgré la fureur du diable et ses artifices, cette Eglise appuyée sur cette parole demeure et demeurera toujours immobile.

Je m'étendrais davantage à prouver cette vérité, si le ministre, non content de la confesser, ne l'avait lui-même prouvée par ces trois raisons (2). La première, c'est que Jésus-Christ étant prêt de retourner à son Père, et envoyant ses disciples par toute la terre pour enseigner et baptiser les nations, ce qui regardait le ministère visible de l'Eglise, ajoute aussitôt après pour en montrer la durée perpétuelle : « Je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde (3). » La seconde, c'est que l'apôtre saint Paul parlant du sacrement de la sainte table, dit que « la mort du Seigneur y est annoncée jusqu'à ce qu'il vienne (4). » La troisième est prise du même Apôtre et expliquée dans le Catéchisme en ces ternies : « Il dit que l'œuvre du ministère et l'assemblage des saints, et l'édification du corps de Christ, se continuera jusqu'à ce que nous soyons tous parvenus à la perfection d'icelui, c'est-à-dire que le nombre des élus de Dieu soit accompli et que l'Eglise soit achevée. »

Il prouve par ces trois raisons que « le ministère » de la religion chrétienne « doit durer jusqu'à la fin du monde. » Or il est clair

 

1 Matth., XVI, 18. — 2 P. 29. — 3 Matth., XXVIII, 20. — 4 I Cor., XI, 26.

 

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que ce ministère comprend l'établissement des pasteurs et l'usage de la prédication et des sacrements. Ainsi comme c'est par ces trois moyens que l'Eglise chrétienne est rendue visible, il faut nécessairement qu'il avoue qu'elle l'est et le sera sans interruption, jusqu'à ce que le Fils de Dieu vienne pour juger les vivants et les morts; si bien qu'il résulte de son discours que c'est à l'Eglise visible que la durée perpétuelle a été promise; et par là cette imagination d'Eglise invisible, qui est l'unique asile de nos adversaires, est manifestement réfutée par les principes de leur ministre.

Que si la durée de l'Eglise visible est perpétuelle, il paraît plus clair que le jour qu'elle doit s'étendre dans tous les siècles par une continuelle succession; et en effet le ministre avoue que « l'œuvre du ministère se continuera jusqu'à ce que le nombre des élus soit accompli. »

De là vient que toutes les véritables églises sont apostoliques, parce qu'elles sont toutes descendues des églises apostoliques par une succession non interrompue, et ainsi elles sont réputées de la même race. « Une race, dit Tertullien, se doit rapporter à son origine. C'est pourquoi toutes les églises ne sont que cette Eglise unique et première que les apôtres de Jésus-Christ ont fondée. Elles sont toutes premières et apostoliques, parce qu'elles se sont associées à la même unité (1), » et qu'elles ont le même principe.

Ces maximes étant supposées avec le consentement du ministre, je tire cette conséquence infaillible, qu'il suffit pour condamner une église qu'elle n'ait pas la succession; et dans quel abîme se cachera donc l'église prétendue réformée, qui de peur qu'on ne doute de sa nouveauté, ne craint pas de la confesser elle-même? Car en l'article XXXI de sa Confession de foi générale, après avoir posé ce principe, que « nul ne se doit ingérer de son autorité propre pour gouverner l'Eglise, » sentant bien qu'elle prononçait sa condamnation, elle tâche de s'en garantir par cette défense qui la condamne encore plus évidemment : « Il a fallu quelquefois,

 

1 « Omne genus ad originem suam censeatur necesse est; itaque tot ac tantae ecclesiœ una est illa ab apostolis prima ex quâ omnes. Ita omnes primae et omnes apostolicœ, dùm unam omnes probant unitatem. » De Prœscr., cap. XX.

 

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dit-elle, et même de notre temps auquel l'état de l'Eglise était interrompu, que Dieu ait suscité gens d'une façon extraordinaire, pour dresser l'Eglise de nouveau, qui était en ruine et désolation. » Ne diriez-vous pas qu'elle s'étudie à nous convaincre de sa nouveauté? Considérons toutes ses paroles, et nous verrons qu'il n'y en a aucune qui ne soit contre elle.

L'état de l'Eglise était interrompu. Que signifie ici l'état de l'Eglise, sinon le ministère ecclésiastique ? Il était interrompu, nous dit-elle; mais le catéchiste au contraire enseigne à son peuple qu'il devait être continué jusqu'à la résurrection générale. Il a fallu, poursuit l'hérésie, que Dieu ait suscité gens d'une façon extraordinaire. Pourquoi cette façon extraordinaire? N'est-ce pas qu'elle s'aperçoit elle-même qu'elle n'a pas la succession légitime? Mais ces gens suscités extraordinairement, ont dressé de nouveau l'Eglise. Elle avoue sa nouveauté par sa propre bouche. Et ils l’ont, dit-elle, dressée de nouveau, parce qu'elle était en ruine et désolation. C'est donc injustement qu'ils ont usurpé la belle qualité de réformateurs, puisqu'ils ne veulent pas réformer l'Eglise ancienne, mais qu'ils en veulent dresser de nouvelles ; et nous voyons par leur procédé que la réformation de l'Eglise ancienne était le prétexte et qu'en faire une nouvelle, c'était le dessein.

Concluons donc de tout ce discours que la durée de l'Eglise est perpétuelle; que d'ailleurs elle ne peut subsister sans avoir une forme visible selon les principes du catéchiste ; et que l'église prétendue réformée, qui non-seulement ne peut montrer sa succession , mais qui confesse sa nouveauté, ne peut pas être cette sainte Eglise à laquelle le Fils de Dieu a promis qu'il serait toujours avec elle. Que si elle n'est pas l'Eglise de Jésus-Christ, elle n'a aucune part à ses grâces ; et elle ne peut attendre autre chose que la damnation éternelle, si ce n'est qu'ayant honte de sa nouveauté, elle revienne à l'unité ancienne dont elle s'est injustement séparée.

 

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CHAPITRE III.
Que selon les principes du ministre nos adversaires ne peuvent apporter aucune cause de séparation.

 

Disons maintenant à nos adversaires avec cette ardente charité de saint Augustin : Pourquoi vous êtes-vous séparés? Quel a été votre aveuglement, lorsque pour éviter, à ce que vous dites, les ahus qui étaient dans l'Eglise, vous n'avez pas craint de tomber dans le plus horrible de tous les abus, qui est le sacrilège du schisme (1) ? Certes rien ne doit être plus nécessaire que les causes de séparation, et il n'y a rien de plus mal fondé que celles que vous prenez pour prétexte.

Considérez en vos consciences s'il n'est pas vrai que , de tous les points de notre doctrine, celui qui vous choque le plus, c'est la réalité incompréhensible du corps de Jésus-Christ dans l'Eucharistie. Calvin combattant cette foi, dit que la véritable raison pour laquelle on ne recevait pas son opinion, « c'est que le diable enchantant les esprits, les jette en une horrible folie (2). » Ce grand prophète ne savait pas que ses descendants prêcheraient un jour que la doctrine de la réalité « n'a aucun venin; qu'elle ne nous engage en rien qui soit contraire ou à la piété, ou à la charité, ou à l'honneur de Dieu, ou au bien des hommes (3) ; » et que ceux qu'il décriait dans ses livres comme frappés d'une si horrible folie par les enchantements de Satan, deviendraient des membres de son Eglise par un décret solennel d'un de ses synodes.

Encore que vos frères les luthériens ne conviennent pas avec nous de toutes les circonstances qui accompagnent cette miraculeuse réalité, néanmoins nous sommes d'accord dans le point le plus essentiel de la question. Que si la créance que nous professons n'a rien dans le point principal qui donne une juste cause de séparation , jugez quelle apparence il y a que l'on en puisse trouver dans les accessoires.

Pour ce qui regarde l'adoration, Calvin reconnaît en termes

 

1 August., De Bapt., lib. II, n. 7. — 2 Liv. IV, Inst., cap. XVII. — 3 Voyez ci-dessus, p. 377.

 

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formels que c'est une suite de la présence réelle. « En quelque lieu, dit-il, que soit Jésus-Christ, il ne sera licite de le frauder de son honneur et service. Qu'y a-t-il donc de plus étrange que de le mettre sous le pain et ne l'adorer pas (1) ? » Après il répond nettement à toutes les objections qu'on peut faire.

Je passe en peu de mots ces raisonnements que les docteurs catholiques ont si bien traités : et si j'en touche ici quelque chose, ce n'est pas pour expliquer à fond ces matières ; mais afin que nos adversaires touchés du désir de sauver leurs âmes, s'en fassent informer plus soigneusement, et s'ouvrent le chemin à la vie que nous leur souhaitons en Notre-Seigneur.

Mais puisqu'il a plu à la Providence que le Catéchisme du sieur Ferry donnât de si grands avantages à la bonne cause, il me semble que la charité nous oblige d'y faire une réflexion sérieuse , non point certes pour insulter à nos adversaires, mais pour procurer leur salut par tous les moyens que Dieu nous présente. C'est pourquoi j'entreprends de leur faire voir que les maximes de leur ministre ne leur laissent aucune cause légitime sur laquelle ils puissent fonder leur séparation.

Pour entendre cette vérité, il ne faut que rappeler en notre mémoire les choses qui ont déjà été expliquées; premièrement, que nos adversaires enseignent qu'il y a certaines erreurs en la foi pour lesquelles on ne se doit pas séparer; et qu'afin qu'une erreur nous oblige à rompre, il faut qu'elle renverse les vrais fondements de la foi et de l'espérance du chrétien (2) : secondement, que l'Eglise romaine était encore véritable Eglise en l'an 1543, puisque l'on y pouvait faire son salut Ajoutons pour troisième principe, qu'il n'est pas possible que la vraie Eglise erre dans les fondements de la foi. Car dès lors elle perdrait le titre d'Eglise, puisque la première marque de la vraie Eglise selon les principes de nos adversaires (1), c'est qu'elle professe la saine doctrine; ce qui se doit entendre principalement de ces maximes essentielles et fondamentales, sans lesquelles il n'y a point de christianisme. De là il s'ensuit sans difficulté que ni la transsubstantiation, ni

 

1 Cont. Hesbus. — 2 Ci-dessus, sect. I, chap. IV et V. — 8 Ci-dessus, chap. I. —   Catéch., p. 59; Confession de foi, art. 28.

 

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la messe, ni pour dire en un mot tous les autres points qui étaient crus si certainement du temps de nos pères, ne peuvent donner à nos adversaires un juste fondement de séparation; et cependant il est véritable qu'ils comprennent les principaux articles controversés.

Et afin que le catéchiste connaisse combien sont fortes les conséquences que nous tirons d'un principe si bien établi, nous en pouvons faire l'épreuve en une des matières des plus importantes, qui est la communion sous les deux espèces.

Une des marques essentielles de la vraie Eglise selon les principes des calvinistes et la confession du ministre, c'est « le droit usage des sacrements (1).» Si donc avant la réformation prétendue et jusqu'à l'an 1543, l'Eglise romaine était vraie Eglise, puisqu'elle conduisait au ciel plusieurs citoyens de la bienheureuse Jérusalem, il paraît que les sacrements, du moins quant à la substance, y étaient bien administrés. Cependant il est plus clair que le jour que l'on n'y communiait que sous une espèce, ainsi qu'il a été remarqué ailleurs (2). Et par conséquent cette façon de communier ne ruine pas la nature du sacrement.

Cette réponse commune de nos adversaires, que l'ignorance ou quelque autre raison excusait nos pères, ne leur est d'aucun usage en ce lieu. Car il ne s'agit pas ici des personnes, mais de la nature du sacrement. Il est question de savoir s'il était en l'Eglise romaine quant à la substance, parce que s'il n'y était pas en cette manière, elle avait perdu le titre d'Eglise; et ainsi les enfants de Dieu n'y pouvaient pas vivre, et bien moins encore y mourir, comme le catéchiste l'assure.

Il a bien vu cette conséquence, et je puis dire qu'il ne l'a pas improuvée, parce que rapportant les raisons pour lesquelles la réformation était nécessaire, il allègue celle-ci entre les autres, « qu'il fallait une grâce extraordinaire pour empêcher que tant d'erreurs qu'il y avait en l'Eglise romaine ne nuisissent à la foi des élus et aux sacrements qu'ils y reçoivent (3) : » où il suppose que les sacrements se recevaient en l'Eglise romaine. Je demande quels sacrements sinon le baptême et l'Eucharistie? Certes le

 

1 P. 59. — 2 Ci-dessus, p. 370. — 3 P. 118.

 

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ministre n'en connaît pas d'autres. Donc puisque l'on ne communiait que sous une espèce, il s'ensuit qu'une espèce seule est le sacrement. Et parce qu'il pourrait répondre que c'est le sacrement à la vérité, mais le sacrement imparfait, je le prie qu'il nous fasse entendre si les deux espèces sont tellement jointes dans la nécessité de ce sacrement, si elles sont tellement de l'essence, qu'il ne puisse subsister sans elles. S'il répond qu'il ne peut subsister sans les deux espèces, communier seulement sous l'une des deux, c'est détruire le sacrement, non le recevoir. De cette sorte on n'y participe non plus que si l'on séparait l'eau d'avec la parole dans l'administration du baptême. Que si l'on reçoit en vérité ce saint sacrement sous la seule espèce du pain, il paraît que la vertu en est appliquée, et que la communion des deux espèces n'est pas nécessaire pour participer à l'Eucharistie. Ainsi une des difficultés principales est terminée par les maximes de notre adversaire.

Mais continuons de lui faire entendre par ses principes qu'il ne s'est laissé aucune raison par laquelle sa séparation puisse être excusée. En effet ce qu'il exagère le plus dans son Catéchisme, c'est le reproche qu'il fait à l'Eglise, qu'elle ne permet pas aux fidèles de se confier en Jésus-Christ seul. Ainsi lui ayant montré clairement combien cette accusation est injuste, qui ne voit que nous avons renversé le fondement principal de sa cause ? Dira-t-il que nous ne nous confions pas en Jésus-Christ seul, parce que nous enflons l'arrogance humaine par l'opinion des mérites? Mais pour laisser les autres raisons, que répondra-t-il à saint Augustin qui les a soutenus avec tant de force dans le même sens que l'Eglise? Osera-t-il dire que ce grand docteur a enflé l'arrogance humaine, lui qui est le prédicateur de la grâce, et qui dans le sentiment de Calvin (1), «n'a pas son pareil entre les anciens en modestie et profondeur de science? » Se séparera-t-il de ce saint évêque? Mais certes il lui a fait cet honneur de trouver ses erreurs supportables (2), et il n'y remarque aucune cause de séparation. Se retirera-t-il d’avec nous parce que nous appelons les saints à vocation notre secours, et dira-t-il avec tous les siens que cette prière est

 

1 IIe Défense contre Westph. — 2 P. 44.

 

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injurieuse à notre Sauveur? O témérité inouïe! Car oserait-il bien se persuader qu'il honore plus Jésus-Christ que ne faisait l'Eglise ancienne, laquelle en priant les saints comme nous, ne doutait point qu'elle ne glorifiât le Sauveur des âmes, dont la grâce les a couronnés? Qu'il écoute le grand saint Basile, qui exhorte le peuple fidèle en ces termes : « Souvenez-vous, dit-il, du martyr, vous auxquels il a paru dans les songes; vous qui étant venus en ce lieu, l'avez eu pour compagnon dans vos prières ; vous auxquels étant appelé par son nom , il s'est montré présent par ses œuvres (1). » Qu'il écoute saint Grégoire, évêque de Nysse, frère de cet admirable docteur, qui représente les chrétiens embrassant le corps d'un martyr, « le priant d'intercéder pour eux, comme un de ceux qui sont auprès de Dieu, et qui obtient quand il veut les grâces étant invoqué (2). » Qu'il écoute saint Augustin, qui dit que les fidèles « recommandaient aux martyrs les âmes de ceux qu'ils aimaient, comme A LEURS DÉFENSEURS ET A LEURS AVOCATS (3). » Ces grands hommes déshonoraient-ils Jésus-Christ? et quelle est la témérité de nos adversaires qui, sous le nom de l'Eglise romaine, déchirent la mémoire de ces grands docteurs ?

Pour ce qui regarde le purgatoire et la prière que nous faisons pour les morts, se peut-il rien dire de plus formel que ces belles paroles de saint Augustin : « Il ne faut point douter, dit ce grand évêque, que les prières de la sainte Eglise, et le sacrifice salutaire, et les aumônes que font les fidèles, pour les âmes de nos frères défunts, ne les aident à être traitées plus doucement que leurs péchés ne méritent. Car nous avons appris de nos pères, ce que l'Eglise universelle observe, de faire mémoire dans le sacrifice de ceux qui sont morts en la communion du corps et du sang de Jésus-Christ, et en même temps de prier, et d'offrir ce sacrifice pour eux. A l'égard des œuvres de miséricorde par lesquelles on les recommande, qui doute qu'elles ne leur soient profitables? Il ne faut nullement douter que ces choses ne

 

1 Hom. de Marnante mart., n. 1. — 2 Hom. de S. Theod. mart. — 3 « Eisdem sauctis illos tanquam patronis susceptos apud Domiuum adjuvandos orando commendent. » De cura pro mortuis, n. 6.

 

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servent aux morts, mais à ceux qui ont vécu de telle sorte, qu'ils en puissent tirer de l'utilité après la mort (1). » Il n'en faut point douter, dit saint Augustin, et l'Eglise universelle l'observe, et elle a appris de ses pères d'offrir le sacrifice pour eux, et leurs âmes constamment en sont allégées. N’est-ce pas reconnaître un état des âmes dans lequel elles peuvent être assistées par nos oraisons et nos sacrifices? C'est ce que nous appelons le purgatoire.

Je ne pense pas que nos adversaires, osent imiter l'impudence et la témérité de Calvin, qui parlant des prières ecclésiastiques que nous faisons pour les morts dans le sacrifice, avoue « que la coutume en est ancienne, comme la coutume, dit-il, domine souvent sans raison; » il accorde que « telles prières ont été reçues de saint Chrysostome, d'Epiphane, de saint Augustin, mais ces bonnes gens que j'ai nommés, ajoute cet insolent hérésiarque, par une trop grande crédulité ont suivi sans discrétion ce qui avait gagné la vogue en peu de temps (2). »

Quel mauvais démon possédait cet homme, qui méprise avec tant d'orgueil l'antiquité la plus vénérable? Malheureuse mille et mille fois l'hérésie qui doit sa naissance à un tel auteur ! mais quelle gloire à la sainte Eglise qu'elle ne puisse être méprisée que par ceux qui méprisent l'antiquité sainte et ses plus illustres docteurs!

Je demande maintenant à nos adversaires s'ils veulent être enfants de l'ancienne Eglise, ou s'ils se veulent révolter contre elle. S'ils ne veulent pas être ses enfants, certes je ne m'étonne pas qu'ils nous fuient; mais si cette pensée leur paraît horrible, par quelle hardiesse nous condamnent-ils dans une cause qui nous est commune avec elle?

Mais Rome est destinée, nous dit le ministre (3), pour être le siège de l'Antéchrist, c'est la Babylone de l'Apocalypse, de laquelle

 

1 « Hoc enim à Patribus traditum, universa observat Ecclesia, ut pro eis qui incorporis et sanguinis Christi communione defuncti sunt, cùm ad ipsum sacrificium loco suo commemorantur, oretur, ac pro ipsis quoque id offerri commemoretur, etc. Non omninò ambigendum est ista prodesse defunctis. » Serm. XXXII de verb. Apost., nunc CLXXII , n. 2. — 2 Traité de la manière de réformer l'Eglise. — 3 P. 67.

 

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Dieu ordonne de se retirer : saint Jérôme l'a entendu de la sorte, et les auteurs catholiques ne le dénient pas. C'est pourquoi les réformateurs prétendus ont dû abandonner sa communion. Tel est le raisonnement de notre adversaire, duquel la faiblesse est toute visible.

Quand j'accorderai au ministre que l'Antéchrist régnera dans Rome, et que Rome sera le siège de son empire, je n'en respecterai pas moins l'Eglise romaine. Les Nérons, les Domitiens, et les autres persécuteurs des fidèles y ont bien régné autrefois; et néanmoins ce serait une pensée très-extravagante de croire que l'Eglise romaine en soit déshonorée.

Il faut faire grande différence entre l'Eglise de Rome et la ville ; et saint Jérôme l'observe très-exactement dans cette célèbre Epître à Marcelle, où voulant exhorter cette sainte femme à quitter Rome pour Bethléem, il lui dépeint la ville de Rome comme la Babylone dont il faut sortir. « Là, dit-il, il y a une sainte Eglise ; on y voit les trophées des apôtres et des martyrs, Jésus-Christ y est reconnu, nous y remarquons cette même foi qui a été louée par l'Apôtre, et la gloire du nom chrétien s'y élève de plus en plus tous les jours sur les ruines de l'idolâtrie. Mais l'ambition, la puissance et la grandeur de la ville, voir et être vu, visiter et être visité, louer et médire, toujours parler ou toujours entendre, être contraint de voir une si grande multitude d'hommes, ce sont choses qui ne s'accordent pas avec le repos de la profession monastique (1). » Qui ne voit que ses premières paroles honorent la sainteté de l'Eglise, et qu'il représente dans les dernières le tumulte et la confusion de la ville ?

Il est vrai que ce saint docteur accoutumé à la crèche du Fils de Dieu et à la solitude de Bethléem, ne pouvait se plaire dans cette ville perpétuellement empressée, et en laquelle il avait été souvent maltraité par la jalousie de tant de personnes, comme ses écrits le témoignent. Mais quelque aversion qu'il eût pour la ville, il ne laisse pas toutefois d'écrire du fond de la Palestine à son Pontife et à son Eglise : « Je suis associé par la communion à

 

1 Nunc Ep. Paul, et Eusloch. ad Marcell., inter Ep. Hieron. XLIV, tom. IV, part. II, col. 551.

 

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votre Sainteté, c'est-à-dire à la chaire de Pierre, je sais que l'Eglise a été fondée sur cette pierre, quiconque ne mange pas l'Agneau en cette maison est profane; » et après : « Celui qui n'amasse pas avec vous, dissipe, c'est-à-dire qui n'est pas à Jésus-Christ est à l'Antéchrist (1). » Ou, bien loin de considérer l'Eglise romaine comme le siège de l'Antéchrist, il estime des antéchrists ceux qui ne s'unissent point avec elle.

Et certes, si nous considérons l'Eglise romaine selon les maximes des anciens docteurs, bien loin de croire comme les ministres qu'elle est la Babylone dont il faut sortir, nous dirons avec les saints Pères qu'elle est le centre où il se faut rassembler. C'est ce que nous voyons clairement dans ce beau passage de saint Optat, qui vivait au IV siècle. Ce grand évêque écrivant contre Parménian, donatiste, lui explique l'unité de l'Eglise par l'unité de la chaire principale à laquelle toutes les autres doivent être unies : « Vous ne pouvez nier que vous ne sachiez que la chaire épiscopale a été donnée à Rome, premièrement à Pierre, en laquelle a été assis Pierre, le chef de tous les apôtres, qui a été pour cela appelé Céphas : en laquelle chaire, poursuit ce saint homme, l'unité devait être gardée par tous les fidèles, afin que les autres apôtres ne pussent pas s'attribuer la chaire, et que celui-là fût tenu pour pécheur et pour schismatique, qui élèverait une autre chaire contre cette chaire singulière (2). » Ce saint homme ne veut pas nier que tous les apôtres n'aient eu leur chaire, puisqu'ils étaient les maîtres du monde ; toutefois ils n'avaient pas la chaire, dit-il, c'est-à-dire cette chaire unique et principale en laquelle l'unité doit être gardée; elle n'appartenait qu'à saint Pierre : et de peur qu'on ne s'imagine qu'elle devait finir avec cet Apôtre, il rapporte tous ses successeurs qui s'y sont assis après lui : « La

 

1 « Ego Beatitudini vestrœ, id est, cathedra Petri, communione consocior, super illam petrum aedificatam esse Ecclesiam scio. Quicumque extra hanc domum Agnum comederit, profanus est... Quicumque tecum non colligit, spargit; hoc est, qui Christi non est, Antichristi est. » Epist. XIV, ad Damas., ibid., col. 19 et 20.— 2 « Negare non potes scire te in urbe Romà Petro primò cathedram episcopalem esse collatam, in quà sederit omnium Apostolorum caput Petrus...; in quà unà cathedra imitas ab omnibus servaretur, ne singuli apostoli singulas sibi quisque defenderent ; ut jam schismaticus et peccator esset qui contra hanc singularem cathedram alteram collocaret. » Opt. Milev., Cont. Parm., seu De schism. donatist., lib. II, cap. II et III.

 

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chaire donc, dit-il, est unique, Pierre s'y est assis le premier, Lin a succédé (1) ; » il les nomme tous jusqu'à Sirice ; et nous pouvons aisément remplir cette liste jusqu'à Innocent X d'heureuse mémoire, et à celui que le Saint-Esprit lui destine pour successeur; après quoi nous dirons à nos adversaires avec saint Optât : « Montrez-nous l'origine de votre chaire, vous qui vous attribuez le titre d'Eglise : » n'êtes-vous pas « schismatiques et pécheurs, » vous qui vous élevez contre « la chaire unique, » contre « la chaire de l'apôtre saint Pierre et l'Eglise principale, » dit saint Cyprien plus ancien qu'Optât, « d'où l'unité sacerdotale a pris sa naissance (2)? » Que pouvez-vous répondre à des autorités si précises?

Mais s'il est vrai que l'Eglise romaine est le lieu de concorde et de paix où se doivent unir les enfants de Dieu, d'où vient que nos adversaires enseignent qu'elle est cette Babylone confuse de laquelle il se faut retirer ? D'ailleurs où nous liront-ils dans les Ecritures que Babylone doive adorer Jésus-Christ et mettre toute sa confiance en lui seul ? Cependant nous avons montré que c'est ce qu'enseigne l'Eglise romaine. Y a-t-il donc rien de plus téméraire que de l'appeler Babylone ? Et combien nos adversaires sont-ils mal fondés, s'ils n'ont point d'autre cause de séparation ?

Il paraît nettement par tout ce discours qu'il n'y a rien en notre créance qui renverse les fondements du salut. Car elle nous est commune avec des personnes qui, selon les principes de notre adversaire, ont pu obtenir la vie éternelle. Nos ancêtres , qui se sauvaient en la communion de l'Eglise romaine , ainsi qu'il l'accorde en son Catéchisme, professaient la même doctrine que nous touchant le saint sacrement de l'Eucharistie et son administration sous les deux espèces (3) ; ils condamnaient, comme nous faisons, ceux qui niaient que la sainte messe fût une institution divine, qui rejetaient la vénération des images et la primauté de l'Eglise romaine : ce qui montre sans difficulté qu'il n'y a aucun de ces

 

1 « Ergo cathedra unica est, sedit prior Petrus, successit Linus..... Vestrae

cathedrae vos originem reddite, qui vobis vultis sanctam Ecclesiam vindicare.» Opt. Milev., Cont. Parm., seu De schism. donatist., lib. II, cap. II et III. — 2 « Navigare audent et ad Pétri cathedram et ad Ecclesiam principalem, undè unitas sacerdotalis exorta est. » S. Cypr., ep. LV ad Corn., de schismat. — 3 Ci-dessus, p. 371.

 

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points qui détruise les fondements du salut, puisqu'ils n'ont pas empêché celui de nos pères. D'ailleurs nous avons lu dans saint Augustin tout ce que l'Eglise catholique enseigne touchant la justification des pécheurs, la vérité de notre justice et le mérite des bonnes, œuvres. Et néanmoins le ministre avoue que la « religion de saint Augustin » n'est point opposée à la sienne (1). Enfin nous avons vu clairement que le même saint Augustin a cru comme nous que c'est une pieuse pratique d'implorer le secours des saints, et que les âmes des fidèles peuvent être en tel état hors de cette vie qu'elles reçoivent du soulagement par nos sacrifices. De là il s'ensuit que notre adversaire est contraint nécessairement ou à désavouer ses propres maximes, ou à confesser que l'Eglise romaine a conservé tous les fondements du salut et qu'il ne peut trouver en notre créance aucun sujet de séparation.

 

CHAPITRE IV.
Que la réformation prétendue est une rébellion contre l'Eglise; de l'infaillibilité de l'Eglise.

 

Si la réformation prétendue confesse elle-même sa nouveauté, s'il ne lui est pas possible d'excuser son schisme, elle ne peut aussi nier sa rébellion en ce qu'elle a refusé d'écouter l'Eglise. Faisons donc connaître à nos adversaires que jamais ils ne se sont soumis à son jugement, et que ce crime est inexcusable.

Je sais bien qu'ils ont témoigné dans les commencements de leur schisme qu'ils consentiraient volontiers qu'un concile terminât les difficultés. Mais encore qu'en apparence ils reconnussent l’autorité du concile, il n'y avait rien de plus opposé ni à leur intention, ni à leur doctrine. Et Luther le témoigne assez dans le livre qu'il écrit contre les évêques. Car comme en l'assemblée de l'empire à Vorms il avait parlé aux évêques avec quelque sorte de déférence, il se repent de sa modestie, il déclare « qu'il ne soumettra plus ses écrits à leur jugement, qu'il s'est trop rabaissé à Vorms, qu'il est tellement assuré de sa doctrine qu'il ne veut pas même la soumettre au jugement d'aucun ange; mais que par

 

1 P. 44.

 

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le témoignage de cette doctrine, il les jugera eux tous, et les anges mêmes (1). » Un homme qui écrit ainsi aux évêques, en vérité veut-il reconnaître la sainte autorité des conciles ? Et qui ne voit par son procédé que si ceux qui ont suivi son parti ont tant sollicité l'Empereur de faire convoquer un concile, ce n'est pas qu'ils eussent dessein de se rapporter à son jugement, mais c'est qu'ils voulaient abuser le peuple par une soumission apparente ?

Et certes sans rechercher dans l'histoire les marques de la rébellion de nos adversaires, il suffit que nous leur montrions que leur doctrine est si peu modeste, qu'elle ne souffre pas que l'on se soumette à l'autorité de l'Eglise. Car d'où vient qu'ils ont enseigné, d'où vient que le catéchiste le prêche, que l'Eglise non-seulement « peut errer, mais encore qu'elle a erré souvent (2)?» N'est-ce pas afin d'avoir un prétexte pour mépriser ses décisions? En effet leur maître Calvin, bien loin de soumettre les particuliers aux déterminations des conciles, soumet les déterminations des conciles à l'examen des particuliers. Car parlant de l'autorité de ces assemblées vénérables : « Je ne prétends pas en ce lieu, dit-il, que l'on casse tous les décrets des conciles; toutefois, poursuit-il, vous m'objecterez que je les range tellement dans l'ordre, que je permets à tout le monde indifféremment de recevoir ou de rejeter ce que les conciles auront établi. Nullement, ce n'est pas là ma pensée (3). » Vous diriez qu'il s'en éloigne beaucoup ; mais il accordera bientôt dans la suite ce qu'il semble dénier dans les premiers mots : « Lorsque l'on apporte, dit-il, la décision d'un concile, je désire premièrement que l'on considère en quel temps, et sur quel sujet, et pour quel dessein il a été assemblé, et quelles personnes y ont assisté : après, que l'on examine le point principal selon la règle de l'Ecriture, de sorte que la définition du concile ait son poids et qu'elle soit comme un préjugé, toutefois qu'elle n'empêche pas l'examen. » Peut-on se révolter plus visiblement contre la majesté des conciles? Car puisqu'il veut que l'on examine, il veut par conséquent que l'on juge. Et à qui appartiendra ce pouvoir? Sera-ce à un autre concile? Mais il sera sujet au même examen. Si les particuliers l'entreprennent, donc,un particulier jugera des

 

1 Sleidan., lib. III. — 2 P. 49. — 3 Lib. IV, Inst., cap. IX.

 

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assemblées de toute l'Eglise ; après qu'elle aura prononcé, il croira que c'est à lui de résoudre si elle a bien décidé les difficultés, et il osera présumer que peut-être il entend mieux l'Ecriture qu'elle. Est-il rien de plus téméraire, et combien étrange est cette doctrine qui nourrit et qui entretient les esprits dans une arrogance si démesurée? Si nos adversaires répondent que c'est le Saint-Esprit qui les guide, c'est en cela même que l'orgueil est insupportable, que des particuliers osent croire que le Saint-Esprit les instruise de la vérité, et qu'il abandonne à l'erreur le corps de l'Eglise : n'est-ce passe préférer à l'Eglise même? Que si ce sentiment leur paraît horrible, il faut nécessairement qu'ils confessent que le Saint-Esprit gouverne l'Eglise dans toutes les déterminations de la foi, et que ceux qui nient cette vérité se soulèvent ouvertement contre l'autorité légitime.

Si les calvinistes nous disent que ce privilège d'infaillibilité ne peut appartenir qu'à la vraie Eglise, et qu'il leur faut prouver que la nôtre mérite ce titre avant que de les obliger à lui obéir : qu'ils se remettent en la mémoire que l'Eglise en laquelle nous sommes principes était encore la vraie Eglise quand leurs pères s’en sont sépares, pères ne puisqu'elle engendrait les enfants de Dieu, ainsi que leur ministre confesse. Que si elle engendrait des enfants, qui doute qu'elle ne put les nourrir? Certes la terre qui produit les plantes leur donne leur nourriture et leur aliment; et la nature ne fait jamais une mère qu'elle ne fasse en même temps une nourrice. Que si la Providence divine a établi ce bel ordre dans tout l'univers, aura-t-elle oublié l'Eglise, qu'elle a choisie dès l'éternité pour y faire éclater sa sagesse? Par conséquent si l'Eglise romaine était encore la vraie Eglise lorsque nos adversaires s'en sont retirés, il est clair qu'elle nourrissait les fidèles de Jésus-Christ. Et qui ne sait que la nourriture des enfants de Dieu, c'est sa parole et sa vérité? De là vient que le Saint-Esprit, qui opère continuellement clans la vraie Eglise pour la rendre toujours féconde, lui est aussi donné comme maître qui lui enseigne la saine doctrine, afin qu'elle allaite comme nourrice ceux qu'elle aura conçus comme mère : ce qui montre bien que la vérité est inséparable de la sainte Eglise. Si donc les principes de nos adversaires prouvent que l'Eglise qu'ils ont quittée

 

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était encore l'Eglise de Dieu dans le temps qu'ils en sont sortis, n'est-ce pas une rébellion manifeste de ne s'être pas soumis à son jugement?

Les calvinistes se persuadent que cette doctrine que nous enseignons, de l'infaillibilité de l'Eglise, tend à la faire juge souveraine même de l'Ecriture divine ; mais ils sont bien éloignés de notre pensée. Je ne dispute point en ce lieu si l'Ecriture sainte est claire ou obscure ; il me suffit que nous confessons tous d'un commun accord, que c'est sur le sens de cette Ecriture que toutes les questions ont été émues. Nous ne disons donc pas que l'Eglise soit juge de la parole de Dieu, mais nous assurons qu'elle est juge des diverses interprétations que les hommes donnent à la sainte parole de Dieu, et que c'est à elle qu'il appartient, à cause de son autorité magistrale, de faire le discernement infaillible entre la fausse explication et la véritable.

Nos adversaires nous repartiront qu'il faut que chaque fidèle en particulier discerne la bonne doctrine d'avec la mauvaise par l'assistance du Saint-Esprit; ce que nous accordons volontiers, et jamais nous ne l'avons dénié ; aussi n'est-ce pas en ce point que consiste la difficulté. Il est question de savoir de quelle sorte se fait ce discernement. Nous croyons que chaque particulier de l'Eglise le doit faire avec tout le corps et par l'autorité de toute la communion catholique, à laquelle son jugement doit être soumis; et cette excellente police vient de l'ordre de la charité, qui est la vraie loi de l'Eglise. Car lorsque Jésus-Christ l'a fondée, le dessein qu'il se proposait, c'est que ses fidèles fussent unis parle lien d'une charité indissoluble. C'est pourquoi il n'a pas permis que chacun jugeât en particulier des articles de la foi catholique, ni du sens des Ecritures divines ; mais afin de nous faire chérir davantage la communion et la paix, il lui a plu que l'unité catholique fût la mamelle qui donnât le lait à tous les particuliers de l'Eglise, et que les fidèles ne pussent venir à la doctrine de vérité que par le moyen de la charité et de la société fraternelle.

De là vient que nous voyons dans les Actes qu'une grande question s'étant élevée touchant les cérémonies de la loi, l'Eglise s'assembla pour la décider; et après l'avoir bien examinée, elle donna

 

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son jugement en ces mots : « Il a plu au Saint-Esprit et à nous (1). » Cette façon de parler si peu usitée dans les saintes Lettres, et qui semble mettre dans un même rang le Saint-Esprit et ses serviteurs, en cela même qu'elle est extraordinaire, avertit le lecteur attentif que Dieu veut faire entendre à l'Eglise quelque vérité importante. Car il semble que les apôtres se dévoient contenter de dire que le Saint-Esprit s'expliquait par leur ministère : mais Dieu qui les gouvernait intérieurement par une sagesse profonde, considérant par sa providence combien il était important d'établir en termes très-forts l'inviolable autorité de l'Eglise dans la première de ses assemblées, leur inspira cette expression magnifique : « Il a plu au Saint-Esprit et à nous, » afin que tous les siècles apprissent par un commencement si remarquable, que les fidèles doivent écouter l'Eglise comme si le Saint-Esprit leur parlait lui-même.

Et il serait ridicule de nous objecter que cette autorité magistrale, qui décide les questions avec une certitude infaillible, n'a été dans l'Eglise qu'au temps des apôtres. Car cette pensée serait raisonnable, si toutes les questions sur les saintes Lettres eussent dû aussi finir avec eux. Mais au contraire le Saint-Esprit prévoyant que chaque siècle aurait ses disputes, dès la première qui s'est élevée, nous donne le modèle assuré selon lequel il faut terminer les autres, quand il est ainsi nécessaire pour le bien et pour le repos de l'Eglise : tellement qu'il appartiendra à l'Eglise, tant qu'elle demeurera sur la terre, de dire à l'imitation des apôtres : « Il a plu au Saint-Esprit et à nous. » En effet les anciens docteurs ont attribué constamment à l'Esprit de Dieu ce qu'ils voyaient reçu par toute l'Eglise : et c'est pour cette raison que saint Augustin parlant de la coutume de communier avant que d'avoir pris aucun aliment : « Il a plu, dit-il, au Saint-Esprit que le corps de Notre-Seigneur fût la première nourriture qui entrât en la bouche du chrétien (2). » Il est digne d'observation qu'encore que cette coutume ne soit appuyée sur aucun témoignage de

 

1 Ad., XV, 28. — 2 « Placuit Spiritui sancto, ut in honorem tanti Sacramenti in os christiani prius corpus Dominicum intraret, quàm cœteri cibi. » Epist. CXVIII, nunc LIV, n. 8.

 

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l'Ecriture, toutefois il ne craint pas d'assurer que le Saint-Esprit le veut de la sorte, parce qu'il voit le consentement de l'Eglise universelle. C'est pourquoi le même saint Augustin disputant du baptême des petits enfants : « Il faut, dit-il, souffrir ceux qui errent dans les questions qui ne sont pas encore bien examinées, qui ne sont pas pleinement décidées par l'autorité de l'Eglise ; c'est là que l'erreur se doit tolérer ; mais ils ne doivent pas entreprendre d'ébranler le fondement de l'Eglise (1). » Ainsi cet incomparable docteur, non-seulement ne permet pas qu'on dispute après que l'Eglise a déterminé, mais il estime qu'on sape le fondement quand on révoque en doute ce qu'elle décide. C'est à cause que par un tel doute son infaillibilité est détruite; et cette infaillibilité est le fondement, parce qu'elle a été donnée à l'Eglise pour affermir les esprits flottants, aussi bien que pour réprimer les présomptueux.

Ce qui doit encore nous faire connaître quelle était la déférence de saint Augustin pour les déterminations de l'Eglise, c'est ce qu'il écrit de saint Cyprien et du baptême donné par les hérétiques. Saint Cyprien avait enseigné qu'il ne méritait pas le nom de baptême ; saint Augustin soutenait avec l'Eglise qu'un hérétique peut baptiser : « Mais, dit-il, nous n'oserions pas l'assurer nous-mêmes, si nous n'étions fondés sur l'autorité de l'Eglise universelle, à laquelle saint Cyprien aurait cédé très-certainement, si la vérité éclaircie eût été dès lors confirmée par un concile universel (2). » Où je trouve très-remarquable que ce qu'il enseigne si constamment comme une vérité catholique, il avoue qu'il n'oserait pas l'assurer sans l'autorité de l'Eglise ; il faut donc qu'il estime l'Eglise infaillible, puisqu'elle seule le fait parler hardiment et sans aucun doute. Et ce qui le montre sans difficulté, c'est qu'encore que saint Cyprien eût été ouvertement d'un avis

 

1 « Ferendus est disputator errans in aliis quœstionibus nondùm diligenter digestis, nondùm plenà Ecclesice auctoritate firmatis; ibi ferendus est error : non usque adeù progredi debet, ut fundamentum ipsum Ecclesiœ quatere moliatur. » Serm. XIV, De verb. Apost., nunc CCXCIV, De bapt. parvul., n. 20.— 2 « Nec nos ipsi talealiquid auderemus asserere, nisi universae Ecclesiœ concordissimà auctoritate firmati; cui et ipse sine dubio cederet, si jam illo tempore quœstionis hujus veritas eliquata et declarata per plenarium concilium solidaretur. » Lib. II, De bapt., cap. IV, n. 5.

 

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contraire à celui qui était reçu dans l'Eglise, il ne doute pas que ce saint martyr n'eût cédé, si elle avait jugé de son temps. C'est qu'il croit si absolument nécessaire de se soumettre à son jugement , qu'il ne lui entre pas dans l'esprit que jamais un homme de bien puisse avoir une autre pensée. Et certes le grand Cyprien a bien témoigné quelle était sa vénération pour l'Eglise, lorsqu'interrogé par un de ses collègues sur les erreurs de Novatien, il lui fait cette belle réponse : « Pour ce qui regarde Novatien, duquel vous désirez que je vous écrive quelle hérésie il a introduite, sachez premièrement, mon cher frère, que nous ne devons pas même être curieux de ce qu'il enseigne, puisqu'il n'enseigne pas dans l'Eglise. Quel qu'il soit, il n'est pas chrétien n'étant pas en l'Eglise de Jésus-Christ (1). » Il tient la doctrine de l'Eglise si constante et si assurée, qu'il ne veut pas même que l'on s'informe de ce que disent ceux qui s'en séparent ; bien loin de permettre qu'on les reçoive à justifier ce qu'ils enseignent, il croit infailliblement qu'ils enseignent mal, dès qu'ils n'enseignent pas dans l'Eglise. Ne fallait-il pas que ce saint martyr fût persuadé, aussi bien que saint Augustin, « que celui qui est hors de l'Eglise ne voit ni n'entend, que celui qui est dans l'Eglise n'est ni sourd ni aveugle (2) ;» c'est-à-dire qu'on est assuré de n'être jamais aveuglé d'erreur ni jamais sourd à la vérité, tant qu'on suit les sentiments de l'Eglise : et comment cela est-il véritable, si l'Eglise même « a erré souvent,» ainsi que le ministre l'enseigne?

Mais avant que de sortir de cette matière, écoutons un reproche qu'il fait à l'Eglise sur le sujet de cette autorité souveraine que nous donnons à ses jugements. Il nous objecte que nous croyons « qu'elle peut augmenter le Symbole et établir de nouveaux articles de foi ; » d'où il tire cette conséquence, que « notre religion est un accroissement de nouveautés, et qu'elle n'est pas encore achevée (3). » Cette calomnie est insupportable, et la simple proposition de notre doctrine confondra la mauvaise foi du ministre.

 

1 « Scias nos primùm nec curiosos esse debere quid ille doceat, cùm foris doceat Quisquis ille est, et qualiscumque est, christianus non est, qui in Christi Ecclesià non est. »  Ep. LII, ad Anton., p. 73. — 2 « Extra illam qui est, nec audit nec videt ; intra eam qui est, nec surdus nec cœcus est. » In Psalm. LVII, n. 7. — 3 P. 40.

 

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Car il nous impose trop visiblement, s'il ose dire que nous estimions que la foi de l'Eglise puisse être nouvelle : une des choses que nous tenons plus certaine, c'est que sa créance est invariable. Quand donc elle publie un nouveau symbole, ou quand elle le propose plus ample, il est ridicule de lui objecter qu'elle veut établir une foi nouvelle, puisqu'elle ne prétend autre chose que d'expliquer plus distinctement la foi ancienne. Nous ne sommes pas si perdus de sens que de nous imaginer que l'Eglise fasse les vérités catholiques ; nous disons seulement qu'elle les déclare. Car encore qu'elles soient toujours en l'Eglise, elles n'y sont pas toujours en même évidence. C'est pourquoi il arrive souvent qu'on erre innocemment en un temps, et qu'après la même erreur est très-criminelle; ce qui ne choquera pas ceux qui comprendront que, comme c'est une infirmité excusable de faillir avant que les choses soient bien éclaircies, c'est une pernicieuse opiniâtreté de résister à la vérité reconnue. On peut dire en ce sens que l'Eglise établit en quelque sorte des dogmes de foi, parce que les ayant bien pesés et après les proposant aux fidèles par l'autorité qui lui est donnée, il n'y a plus qu'une extrême présomption qui ose préférer son sentiment propre à une déclaration authentique de toute l'Eglise ; et de là vient que l'erreur est inexcusable. C'est pour cela que celle de saint Cyprien touchant le baptême des hérétiques est très-justement excusée, et celle des donatistes sur le même point très-légitimement condamnée. Car, comme remarque saint Augustin, ce bienheureux martyr a erré « avant que le consentement de toute l'Eglise eût confirmé ce qu'il fallait faire (1) ; » et d'ailleurs il nous a appris que nous devons supporter l'erreur dans les choses qui n'ont pas été décidées par l'autorité de l'Eglise (2). Ainsi avant le concile de Jérusalem plusieurs fidèles avaient estimé que l'observation de la loi était nécessaire ; leur erreur était tolérable alors : mais leur témérité n'eût pas eu d'excuse, s'ils avaient persisté dans leurs sentiments après la décision des apôtres. Nous enseignons en ce même sens qu'il appartient à la sainte Eglise de déclarer nettement aux peuples quelles sont les vérités catholiques , et qu'après sa déclaration tous les doutes sont criminels.

 

1 Lib. I, De bapt., cont. donat., cap. XVIII, n. 28. — 2 Ci-dessus, p. 478.

 

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Est-ce une médiocre infidélité d'inférer de cette doctrine, que notre religion n'est pas achevée? Ou pourquoi le ministre ne dit-il pas qu'elle ne l'était non plus du temps des apôtres, ni du temps de saint Cyprien? Mais c'est à lui que nous reprochons justement qu'il nous a représenté une Eglise dont la religion n'est pas achevée. L'Eglise à son avis n'est pas infaillible, elle a même erré souvent (1), si nous le croyons. Si elle peut errer en sa foi, elle se peut aussi corriger; donc son Eglise peut changer sa foi; et si celui qui augmente sa religion confesse qu'elle n'est pas achevée, à plus forte raison celui qui la change. Ainsi l'hérésie inconsidérée se trouve effectivement convaincue du crime dont elle nous charge avec injustice.

 

CHAPITRE DERNIER.
Que le ministre n'entend pas les auteurs qu'il cite pour justifier la nécessité de la réformation prétendue.

 

Le ministre tâche d'appuyer la réformation prétendue sur le témoignage des catholiques; il rapporte plusieurs passages qui parlent de la corruption de l'Eglise, afin de persuader au peuple crédule que l'Eglise catholique est bien éloignée d'avoir cette infaillibilité dont elle se vante, puisque ses propres docteurs reconnaissent qu'elle a besoin d'être réformée. Mais la seule lecture des auteurs qu'il cite convaincra les plus passionnés qu'il abuse visiblement de l'autorité que les siens lui donnent et de leur trop facile créance.

Considérons avant toutes choses quel était le dessein de réformation que nos adversaires se sont proposé ; qu'ils nous disent s'ils voulaient réformer , ou la foi que l'on professait en l'Eglise , ou l'ordre de la discipline ecclésiastique. Pour la discipline ecclésiastique, nous accordons sans difficulté qu'elle peut souvent être réformée; ainsi ce n'est pas là qu'est la question. Mais parce qu'il ost clair que les calvinistes ont prétendu réformer la foi, les catholiques s'y sont opposés, soutenant qu'une telle réformation est un attentat manifeste contre l'infaillibilité de l'Eglise. D'où il

 

1 P. 49.

 

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suit que si le ministre veut venir au point contesté , il faut qu'il prouve la nécessité de réformer la foi de l'Eglise; et s'il est plus clair que le jour que tous les auteurs qu'il rapporte ne parlent que de la corruption de la discipline, il sera contraint d'avouer qu'il s'écarte bien loin de la question, et qu'il a tort de remplir son livre de tant d'allégations inutiles.

Ecoutons premièrement saint Bernard , qui est le plus ancien des auteurs qu'il cite : « Il a, dit-il, prêché hautement qu'une maladie lente et puante s'était répandue par tout le corps de l'Eglise (1). » Considérons quelle est cette maladie. Ce saint homme distingue en ce lieu quatre tentations de l'Eglise : la première comprend les persécutions, la seconde les hérésies. « Les temps où nous sommes, dit-il, sont libres de ces deux maux, mais ils sont entièrement corrompus par l'affaire qui marche en ténèbres. » Ces paroles font bien connaître que par cette affaire qui marche en ténèbres il n'entend ni les persécutions ni les hérésies, puisqu'il les exclut en termes exprès. Il parle de la troisième tentation que l'Eglise souffre, non par la fureur des païens, ni par la malice des hérétiques, mais par le désordre de ses enfants (2). Telle est cette maladie générale, par laquelle ce saint docteur nous exprime une horrible dépravation dans les mœurs : de sorte qu'il n'y a rien de moins à propos au sujet de la question contestée entre nous et nos adversaires, que cette plainte de saint Bernard. Que s'il dit «qu'il ne reste plus autre chose, sinon que l'Antéchrist paroisse, » c'est qu'à la troisième tentation, qui est le désordre des mœurs, la quatrième doit succéder, qui sera le règne de l'Antéchrist, auquel nos péchés préparent la voie, et que les fidèles serviteurs de Dieu ont toujours regardé comme proche d'eux, parce que le maître n'ayant pas dit l'heure, ils tâchent de se tenir toujours prêts à cette grande persécution.

Le ministre produit encore deux passages de saint Bernard (3), mais il en corrompt tout le sens avec une extrême imprudence : « L'Eglise romaine, dit-il, s'est quelquefois séparée de ses papes ; et saint Bernard a bien osé dire que de son temps la bête de

 

1 Serm. XXXIII in Cant., n. 14. — 2 « Pax ab paganis, pax ab hœreticis, sed non profectò à filiis. » Serm. XXXIII in Cant., n. 16.— 3 Ep. CXXIV et CXXV.

 

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l’Apocalypse avait occupé le siège de saint Pierre (1). » Grande hardiesse de saint Bernard ! Mais s'il parle d'un antipape qui avait occupé le siège au préjudice d'une élection canonique, et qui avait chassé par force de Rome le pape légitime Innocent II (2) ; si bien loin de dire dans cette Epître que le Pape était la bête de l’Apocalypse, comme le ministre veut qu'on l'entende, il dit que celui qui ne se joint pas au pape Innocent est à l'Antéchrist, ou l'Antéchrist même (3), quelle est l'infidélité du ministre qui abuse de ce passage contre les véritables Pontifes; et quelle estime pouvons-nous faire de son Catéchisme, après une tromperie si visible qu'il ne faut que lire pour la convaincre?

Mais je m'étonne que les ministres osent bien citer saint Bernard pour autoriser leur réformation, puisqu'il est clair que ce saint docteur l'aurait infiniment détestée , lui qui prie si dévotement la très-sainte Vierge, qui honore avec tant de respect la primauté du souverain Pontife (4) ; qui voyant que le diable tâchait d'introduire quelques articles de la réformation prétendue, en suscitant certains hérétiques qui niaient qu'il fallût prier pour les morts et implorer le secours des saints (5), rejette leur doctrine comme pernicieuse ; qui relève si fort l'état monastique, et duquel non-seulement les écrits, mais encore la profession et la vie condamnent la doctrine de nos adversaires.

Et certes il semble que le catéchiste ait fait un choix particulier de ceux qui lui sont le plus opposés entre tous les auteurs ecclésiastiques, et nous lisons sa condamnation presque dans tous les lieux qu'il allègue. « Gerson, dit-il, introduit l'Eglise, demandant au Pape la réformation, et qu'il rétablisse le royaume d'Israël. » C'est au Sermon de l'Ascension de Notre-Seigneur que ce grand personnage parle de la sorte (6). Mais il nous explique lui-même ce qu'il faut faire pour rétablir ce royaume. Il veut que l'on travaille sérieusement à réunir à l'Eglise romaine les peuples qui s'en sont séparés. « Pourquoi n'envoyez-vous pas aux Indiens, dit-il, où la sincérité de la foi peut être facilement corrompue, puisqu'ils ne

 

1 P. 142. — 2 Ep. CXXV. — 3 Ep. CXXIV, col. 129. — 4 Lib. II De Consider. ad Eug., cap. VIII. — 5 Serm. LXVI, in Cant., n. 1 et seq. — 6 Gerson édit. 1706, tom. II, part, I, p. 131 et seq.

 

 

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sont pas unis à l'Eglise romaine, de laquelle se doit tirer la certitude de la foi? » Combien était-il éloigné de croire qu'il fallût réformer la foi de l'Eglise, dont il prêche la pureté et la certitude? Si donc il se plaint si souvent des dérèglements de l'Eglise, s'il dit « qu'elle est brutale et charnelle (1) ; » que le ministre ne pense pas qu'il prétende taxer sa doctrine. Il parle des abus et des simonies, des sales commerces dans les bénéfices, de l'attachement qu'avaient les plus grands prélats à leur autorité temporelle, qui leur faisait négliger le salut des âmes pour lesquelles Jésus-Christ a donné son sang; il déplore la corruption de son siècle avec un zèle vraiment chrétien, et reprend les mauvaises mœurs avec une liberté tout apostolique. Mais quand il s'agit de la foi, il tient bien un autre langage. Il n'a que des paroles de vénération pour honorer l'autorité de l'Eglise. En son temps quelques hérétiques avaient entrepris de la réformer à la mode des luthériens et des calvinistes, c'est-à-dire qu'ils voulaient corriger sa foi ; c'est pourquoi le ministre dit qu'ils « ont fait une partie de la réformation (2). » Gerson s'y oppose généreusement au concile général de Constance : « Des doctrines pestilentes, dit-il, se sont élevées dans plusieurs provinces illustres; on a tâché de les exterminer par divers moyens , en Angleterre, en Ecosse, à Prague et en France (3). » Ceux qui sont tant soit peu versés dans l'histoire savent bien qu'il voulait parler des sectateurs de Viclef, Anglois, et des Bohémiens disciples de Hus, qui en effet furent condamnés à Constance, «  Il faut, dit le docte Gerson, que la lumière de ce saint concile, qui jamais ne peut être obscurcie, donne un prompt remède à ces maux (4) ; » et après avoir exhorté les Pères à user de l'autorité ecclésiastique dans la censure de ces hérésies : « Elle est telle, dit ce grand homme, qu'aucun ne la pourra mépriser, qui voudra être estimé fidèle. » Quelle personne de sens rassis pourra jamais se persuader qu'un docteur si soumis et si catholique appuie la réformation prétendue, dont il déteste si fort les commencements ?

Le ministre cite en son Catéchisme (5) un autre célèbre docteur de Paris, qui a été maître de Gerson ; c'est Pierre cardinal de

 

1 De Conc. gen. un. obed. Gerson., édit. 1706, tom. II, p. 24 et seq. — 2 P. 58. — 3 Serm. coram Conc. Constant. — 4 Ibid. — 5 P. 55.

 

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Cambrai (1), qui prêchant devant le concile de Constance, dit que la bienheureuse Hildegarde, prophétesse des Allemands, appelle le temps qui a commencé en l'an 1100 de Notre-Seigneur un temps infâme où la doctrine des apôtres et cette ardente justice que Dieu avait établie dans les personnes spirituelles s'était ralentie, et qu'ensuite toutes les institutions ecclésiastiques étaient allées en décadence : après quoi ce grand cardinal ayant représenté les désordres qui étaient en l'Eglise, conclut qu'elle a besoin d'être réformée dans la foi et dans les mœurs. Ce sont les paroles de Pierre d'Ailly, lesquelles semblent en apparence favoriser les sentiments de nos adversaires, mais qui les condamneront en effet quand nous en aurons expliqué le sens.

Et premièrement il est remarquable que ce cardinal parlait en un temps où l'Eglise catholique était déchirée par le schisme le plus horrible qui peut-être ait jamais troublé son repos. Il y avait près de quarante ans qu'elle ne connaissait presque plus quel était le légitime Pontife par lequel elle devait être gouvernée ; trois personnes avaient occupé cette place, et toutes les provinces catholiques s'étaient partagées. C'est pourquoi le cardinal de Cambrai après avoir dit que l'Eglise a besoin d'être réformée, ainsi qu'il a été rapporté, ajoute aussitôt après ces paroles : « Mais maintenant les membres de l'Eglise étant séparés de leur chef, et n'y ayant point d'économe et de directeur apostolique, il n'y a pas lieu d'espérer que cette réformation se puisse bien faire. » Il est plus clair que le jour qu'il entend le Pape par ce chef, par ce directeur et cet économe, sans lequel il n'espérait pas de réformation : ce qui fait connaître que ce docteur demandait la réformation de l'Eglise par un esprit directement opposé aux réformateurs de ces derniers siècles. Car Luther écrivant à Melanchthon, dit que « la bonne doctrine ne peut subsister tant que l'autorité de Pape sera conservée (2) ; » et au contraire ce cardinal croit qu'on ne peut remettre la foi ni la discipline ecclésiastique en son premier lustre. jusqu'à ce qu'on ait établi un Pape comme chef et comme directeur de l’Eglise. Cependant la réformation prétendue ose bien se servir de son nom, et se défendre par son témoignage.

 

1 Pierre d'Ailly. — 2 Sleid., lib. VII.

 

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Mais comprenons ce qu'il voulait dire quand il a prêché à Constance qu'il fallait réformer l'Eglise en la foi. Nous pouvons considérer la foi en deux sens. Quelques-uns professent la foi véritable , qui n'ont point une foi fervente. On peut donc regarder la foi dans sa vérité ou dans sa ferveur. Encore que la vérité de la foi se trouve toujours dans ce que l'Eglise catholique enseigne, néanmoins il est assuré que la ferveur de la foi peut se diminuer tellement par la licence des mauvaises mœurs et par le dérèglement de la discipline, qu'il semble quelquefois qu'elle soit éteinte. C'est ce que déplore notre cardinal au sermon cité dans le Catéchisme : « La ferveur de la foi, dit-il, et la force de l'espérance, et l'ardeur de la charité est presque entièrement évanouie dans les ministres ecclésiastiques. » Il ne dit pas que leur foi soit fausse, mais il se plaint qu'elle est languissante : il veut qu'on réforme la foi de l'Eglise dans son zèle et dans sa ferveur, mais ce n'est pas son intention de nier la vérité de ses dogmes. Certes quand je m'arrêterais à cette réponse, elle suffirait pour rendre inutile tout le raisonnement du ministre; mais je ne croirai pas avoir assez fait jusqu'à ce qu'ayant pénétré plus profondément le sens des paroles de Pierre d'Ailly par les circonstances du temps et du lieu, je fasse voir à notre adversaire que sa condamnation y est prononcée , afin que tout le monde connaisse avec quelle négligence il cite les auteurs ecclésiastiques.

Posons pour principe premièrement que du temps de Pierre d'Ailly et du concile général de Constance, les erreurs de Viclef et de Hus commençaient à se répandre en l'Eglise, et que ce fut une des raisons pour lesquelles le concile fut assemblé ; secondement, que condamner ces deux hérésiarques, c'est anathématiser Luther et Calvin, qui ont renouvelé toutes leurs erreurs. Ces choses étant supposées, observons que le concile de Constance use de la même façon de parler que le cardinal de Cambrai, et ordonne dès la session III, que « le concile ne pourra être dissous jusqu'à ce que l'Eglise soit réformée en la foi et aux mœurs. » Il importe de bien connaître quel était le sens du concile, parce qu'il ne faut nullement douter que le cardinal Pierre d'Ailly, qui était un des plus illustres de ses prélats et qui fut choisi, comme nous verrons, pour être l'interprète

 

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prête de ses sentiments, n'ait parlé dans le même esprit. Le ministre, qui ne s'arrête qu'aux mots, jugerait d'abord que le concile de Constance, voulant réformer l'Eglise en la foi, déclarait par ces paroles que la foi de l'Eglise était corrompue; mais il n'est rien plus éloigné de son intention. Car en la session vin les Pères de ce concile et Pierre d'Ailly avec eux, disent que « la sainte Eglise catholique, éclairée en la vérité de la foi par les rayons de la lumière céleste, est toujours demeurée sans tache. » Par conséquent il est plus clair que le jour qu'ils n'estimaient pas qu'il fallût corriger la foi qui était reçue en l'Eglise; voyons donc quelle était leur pensée.

La suite de leurs décrets nous en instruira pleinement. Car le ministre ne niera pas que cette résolution qu'on prit au concile de réformer l'Eglise en la foi, ne doive être nécessairement rapportée aux décisions de foi que nous y trouvons. Or il n'y a que trois sessions où les matières de la foi soient traitées, la VIIIe où les erreurs de Viclef furent censurées, la XVe où l'on condamna celles de Jean Hus, la XIIIe où l'on fit le règlement sur la communion des laïques. Donc l'intention de ces Pères, quand ils parlent de réformer l'Eglise en la foi, n'était pas de changer la créance qui était reçue, puisqu'il n'en paraît rien dans leurs décrets ; mais de rejeter la doctrine des prédécesseurs de nos adversaires, que le diable voulait introduire. C'est là sans doute ce que le concile appelait réformer l'Eglise en la foi, parce que la foi catholique semble recevoir un nouvel éclat par la condamnation des erreurs, et que c'est une espèce de réformation de retrancher les membres pourris qui se révoltent contre l'Eglise, puisqu'elle demeure plus pure après qu'elle les a séparés. Telle est l'intention du concile.

Venons maintenant à Pierre d'Ailly, et demandons à notre adversaire ce qu'il peut attendre d'un homme qui a prononcé sa condamnation dans un concile si célèbre, où sa doctrine lui avait acquis tant d'autorité, que nous pouvons dire non-seulement qu'il en a suivi les décrets, mais encore qu'il a été un des prélats qui a autant contribué à les faire? En effet ne voyons-nous pas qu'il est nommé par tout le concile pour instruire les commissaires qui

 

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devaient examiner la doctrine de Jean Viclef et de Jean Hus (1), et qu'il est lui-même commis pour enseigner à Hiérôme de Prague, disciple de Hus, les véritables sentiments de l'Eglise et du saint concile (2), comme celui qui en était le mieux informé? Ainsi le sermon cité dans le Catéchisme ayant été prêché à Constance en présence du concile même, par un homme qui en était un des chefs, qui peut douter qu'il ne parle conformément au style de cette assemblée, où il tenait un rang si considérable ? De sorte que cette réformation en la foi, que le ministre tire inconsidérément à son avantage, enferme effectivement sa condamnation avec celle de Viclef et de Hus. N'est-ce pas une marque visible d'une lecture excessivement précipitée , et d'un dessein prémédité d'éblouir les simples par de vaines apparences?

C'est encore dans le même dessein qu'il s'efforce de prouver la nécessité de la réformation prétendue par saint Bonaventure, « qui récite, dit-il, que Jésus-Christ appela saint François d'Assise par la bouche d'un crucifix pour redresser son Eglise qui était, comme il voyait, toute détruite (3). » Mais premièrement il rapporte mal cette histoire. Car le crucifix ne commande pas à saint François qu'il redresse l'Eglise qui est toute détruite, mais qu'il répare l'Eglise qui se détruit toute. Or il y a grande différence de relever une maison toute ruinée , et de la soutenir quand elle est penchante. Ainsi le ministre corrompt les paroles de saint Donaventure. Après il n'oserait dire lui-même que l'Eglise fût toute détruite dès le temps du grand saint François, puisqu'il avoue qu'en l'an 1543 on se pouvait sauver en sa communion. Enfin il ne saurait montrer que ni saint François ni aucun de ses disciples aient jamais eu la moindre pensée de corriger la foi de l'Eglise. Quand donc ils se sont proposé le glorieux dessein de réparer l'Eglise qui se détruisait, c'est qu'ils voulaient travailler de toutes leurs forces à rallumer la charité refroidie, et à faire revivre en l'Eglise l'esprit de mortification et de pénitence que l'amour du monde avait presque éteint. Je ne comprends pas ce que le ministre peut conclure de là contre nous, et je m'étonne qu'un homme de lettres s'arrête à des réflexions si peu sérieuses.

 

1 Sess. VI. — 2 Sess. XIX. — 3 De Vità S. Francisc., lib. I.

 

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Mais il croit avoir appuyé fortement sa cause par le long récit qu'il nous fait de ce qui se passa à Augsbourg en l'an 1518, « où enfin, dit-il, la réformation fut reconnue nécessaire par l'empereur Charles V et par les Etats de l'Empire ; en fut composé un formulaire par des théologiens choisis de l'une et de l'autre religion , et plusieurs articles y furent accordés selon le sentiment des réformés, le Pape même n'y résistant pas (1). » Toutes ces choses semblent favorables à la réformation prétendue; mais la vérité de l'histoire nous fera connaître que le ministre dit en ce lieu presque autant de faussetés que de mots, et je veux le convaincre par Sleidan même dont la foi ne lui peut être suspecte, puisque c'est un historien protestant.

Premièrement le catéchiste se trompe en ce qu'il confond le formulaire de réformation, que l'Empereur donna aux évêques, qui ne contenait que des règlements sur le sujet de la discipline ecclésiastique, avec la déclaration qu'il fit publier sur les points de la religion et que l'on appelait l’ Interim, comme nous verrons tout à l'heure. Toutefois il est certain que Sleidan distingue nettement ces deux choses (2), et nous ne voyons point dans l'histoire que le livre de l’Interim ait porté le titre de réformation. Si donc le ministre ne le distingue pas d'avec le formulaire de réformation, c'est une marque très-évidente qu'il ne se donne pas le loisir de digérer sérieusement ce qu'il dit, et qu'il précipite son jugement sans beaucoup de réflexion. Mais voyons les autres faussetés qu'il prêche si affirmativement à son peuple : « On jugea, dit-il, la réformation nécessaire. » Je demande quelle sorte de réformation : ce n'est pas une réformation dans la foi, comme le ministre voudrait faire croire. Car s'il avait bien lu dans Sleidan les chefs de ce formulaire de réformation (3), il aurait vu qu'ils ne regardent que la discipline : et le même Sleidan remarque qu'il y était expressément ordonné d'interroger ceux qui se présentent aux ordres, a s'ils ne croient pas tout ce que croit la sainte Eglise romaine, catholique et apostolique. » Donc ce formulaire n'était pas dressé pour corriger la foi de l'Eglise romaine, mais plutôt pour la confirmer. Où est la sincérité du ministre, qui tire cette pièce

 

1 P. 58. — 2 Lib. XX, Hist. — 3 Sleid., ibid.

 

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à son avantage? Est-il donc absolument résolu de n'en produire aucune qui ne le condamne ?

Il n'a pas été plus fidèle dans les réflexions qu'il a faites sur le livre de l’Interim, et nous le connaîtrons sans difficulté par la vérité de l'histoire qu'il nous a étrangement déguisée. L'Empereur voulant apaiser les mouvements de l'Allemagne sur le sujet de la religion, fit publier à la diète d'Augsbourg de l'an 1548, une déclaration solennelle sur ce qu'il voulait être observé jusqu'à la définition du concile général, et c'est ce que l'on nomma l’Interim. La doctrine des protestants y était condamnée ; seulement on leur accorda que ceux qui avaient pratiqué la communion sous les deux espèces pourraient retenir cet usage jusqu'à la détermination du concile, à condition qu'ils ne blâmeraient pas les autres qui se contentaient d'une seule espèce : et parce que plusieurs prêtres s'étaient mariés, et que leurs mariages ne pouvaient être rompus sans beaucoup de troubles, on résolut qu'il fallait attendre ce que le concile en ordonnerait (1). Quoique le Pape ne voulût pas approuver ce livre, dans lequel la foi catholique n'était pas expliquée assez nettement, toutefois il ne résista pas au dessein qu'avait Charles V de le faire recevoir dans l'Empire, parce qu'il remettait tout au concile, et qu'il condamnait les luthériens. Aussi les protestants s'opposèrent-ils à cette déclaration de l'Empereur, et ceux de Magdebourg dirent hautement «qu'elle rétablissait tout le papisme ; » et encore qu'il n'y eût rien dans la doctrine qu'elle proposait qui ne pût recevoir aisément une interprétation catholique, les fidèles furent offensés de quelques façons de parler douteuses qui flattaient les luthériens : tellement que plusieurs catholiques donnèrent un mauvais sens à ce livre, qui enfin fut rejeté par les deux partis (2). C'est ce que tous ceux qui sauront lire verront si nettement dans l'histoire, qu'il est impossible de le nier. A quoi pense donc le ministre, d'entretenir son peuple de si vains discours? Quel fondement peut-il faire sur une chose universellement improuvée? D'ailleurs quand je lui aurais accordé, ce qui

 

1 Voy. Sleidan, liv. XX, et l'Interim entièrement rapporte dans les Opuscules de Calvin, imprimés à Genève en l'an 1566. — 2 Hist. del Conc. Trid., lib. III; Sleid., lib. XX et XXI.

 

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néanmoins n'est pas véritable, que ce livre de l’Interim combat la créance des catholiques, je demande quel droit avait l'Empereur de prononcer sur des points de foi, de son autorité particulière? Mais enfin que résulte-t-il de ce livre, sinon la condamnation du ministre? Il veut faire croire que le dessein de Charles V était de réformer la foi de l'Eglise. Il se trompe, ou il veut tromper. Car au contraire l'Empereur parlant aux Etats et leur proposant l’Interim, dit que « pourvu qu'on l'entende bien, il n'a rien de contraire à la religion catholique; il conjure ceux qui ont retenu les lois et les coutumes de l'Eglise catholique, de demeurer fermes en cette pensée; et ceux qui ont introduit des nouveautés en la religion, de reprendre celle que le reste de l'Empire professe (1), » c'est-à-dire la catholique. Donc il ne la juge pas corrompue, puisqu'il exhorte d'y retourner. Mais écoutons parler le ministre, et nous verrons bien d'autres faussetés. « On accorda, dit-il, ces articles selon les sentiments des réformés touchant la convoitise ès régénérés (2); » — il n'y a rien sur ce point dans l’Interim qui ne puisse avoir un sens catholique : — « la justification par les mérites de Jésus-Christ seul ; » — il a tort de rapporter cet article comme un dogme particulier de la réformation prétendue, nous croyons de tout notre cœur cette vérité ; — « la justification obtenue par la foi sans aucun doute et avec toute certitude de confiance; » — l’Interim dit expressément que « nous sommes justifiés en tant que la charité se joint à la foi et à l'espérance. » Pour ce qui regarde une certitude sans aucun doute, le livre de l'Empereur enseigne le contraire : « L'homme, dit-il, ne peut croire que ses péchés lui soient remis sans quelque doute de sa propre infirmité et indisposition. » Faut-il ainsi abuser le monde par des faussetés si visibles? Mais passons aux autres articles. La récompense des bonnes œuvres y est, dit le ministre, enseignée, « sans opinion de mérite; » que signifient donc ces paroles qui sont écrites dans l’Interim au chapitre de la Mémoire et Invocation des saints: « Les saints ont puisé leurs mérites par lesquels eux-mêmes ont été sauves et parlent pour nous, de cette même source de tout salut et de tout mérite, à savoir la passion de Jésus-Christ? » — Est-il rien

 

1 Sleid., lib. XX et XXI. — 2 p. 59.

 

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de plus formel ni de plus précis? — « La nature de la vraie Eglise, invisible ; » — ces paroles, ni ce sens ne se trouvent pas dans le livre de l'Empereur : — « les deux marques d'icelle, à savoir la saine doctrine et le droit usage des sacrements ; » — il est vrai que ces deux marques y sont rapportées pour distinguer l'Eglise chrétienne d'avec les sociétés infidèles; mais l'unité, l'universalité, la succession y sont ajoutées pour la discerner des troupeaux hérétiques et schismatiques : — « Sans aucune sujétion au Pape que pour l'ordre et pour éviter les schismes ; » — mais cela bien entendu comprend tout, et l'Interim attribue au Pape « le droit de gouverner l'Eglise universelle par la même puissance que saint Pierre a reçue de Jésus-Christ. » — « La communion, dit-il, de la coupe est octroyée à tous ; » — mais on y met la condition de ne blâmer point ceux qui communient d'une autre manière, « parce que le corps et le sang de Jésus-Christ est contenu sous chacune des deux espèces (1) ; » ainsi la foi de l'Eglise demeure entière. « Le mariage est accordé aux gens d'Eglise ; » — il est faux qu'on l'accorde à tous indifféremment, mais on tolère jusqu'au concile, dans le ministère ecclésiastique, les prêtres qui s'étaient mariés; ce qui ne touche point la doctrine. Je me lasse de rapporter tant de faussetés du ministre; et toutefois la charité chrétienne m'oblige à lui donner encore un avis sur le sacrifice de nos autels. Il était, dit-il, proposé dans le livre de l'Empereur «sans aucune propitiation.» Il est vrai qu'il n'use pas de ce mot : mais puisqu'il ne dit rien de contraire, le ministre a-t-il droit de dire que « cet article y ait été accordé selon la pensée des réformés (2)? » D'ailleurs nous lisons en ce livre que Jésus-Christ a offert deux sacrifices, l'un en la croix et l'autre en la cène, et que le dernier est institué pour honorer la mémoire du sacrifice sanglant de la croix, et pour nous en appliquer le fruit. C'est en substance ce que nous croyons du sacrifice de l'Eucharistie ; et c'est pour cela seulement que nous l'appelons propitiatoire, parce que nous l'offrons à Dieu pour la rémission des péchés ; non afin qu'elle nous y soit méritée, car nous savons bien que c'est à la croix que le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a mérité cette grâce, mais afin qu'elle nous y soit

 

1 Sleid., lib. XX. — 2 P. 58.

 

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appliquée comme un des fruits de sa passion. Au reste il n'est pas nouveau dans l'Eglise de dire que le sacrifice de l'Eucharistie soit une propitiation même pour les morts; saint Augustin l'enseigne en termes formels : « Lors, dit-il, que l'on offre pour les fidèles trépassés les sacrifices de l'autel ou celui des aumônes, pour ceux qui sont très-bons, ce sont des actions de grâces ; pour ceux qui ne sont pas extrêmement mauvais, ce sont des propitiations; et à l'égard de ceux qui sont très-mauvais, quoiqu'ils ne servent de rien aux morts, ce sont des consolations des vivants (1). » Il est à noter que saint Augustin nomme les aumônes des sacrifices ; mais afin que nous entendions qu'il y a un sacrifice spécial en l'Eglise à qui ce nom convient proprement, il l'appelle singulièrement sacrifice de l'autel, et il reconnaît qu'il est propitiatoire. Que répondra ici le ministre, puisqu'il dit que la religion de saint Augustin n'est pas opposée à la sienne? Mais ce n'est pas mon intention d'entrer maintenant en cette matière, qui mériterait un discours plus ample, et qui ne conviendrait pas à ce lieu.

Si je me suis arrêté si longtemps sur l'Interim de l'empereur Charles V, ce n'est pas que l'autorité de ce livre me paroisse fort considérable, ni que j'approuve ses façons de parler obscures, qui enseignent tellement la bonne doctrine, qu'elles ne laissent pas de flatter l'erreur. Mais je m'étonne que le ministre ait pris tant de soin de tirer ce livre à son avantage; et il faut bien croire que l'hérésie se plaît fort aux déguisements, puisqu'elle se donne la peine de les employer dans des choses qui lui seraient inutiles, quand on lui aurait accordé qu'elles se sont passées comme elle récite.

Je puis dire encore le même des articles qui avaient été accordés au colloque de Ratisbonne en l'an 1541. Car outre qu'il n'est pas juste que trois députés nommés par l'Empereur règlent des difficultés de cette importance, Sleidan, que le catéchiste rapporte en la marge, nous assure que l'ordre des princes et particulièrement

 

1 « Cùm ergo sacrificia sive altaris, sive quarumcumque eleemosynarum pro baptizatis defunctis omnibus offeruntur, pro valdè bonis gratiarum actiones sunt; pro non valdè malis, propitiationes sunt ; pro valdè malis, etsi nulla sunt adjumenta mortuorum, aliquœ vivorum consolationes sunt. » August., Enchirid. ad Laurent., cap. CX.

 

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les évêques empêchaient qu'on ne les reçût, disant qu'on y avait mis plusieurs choses qui dévoient être adoucies et corrigées, et que les sentiments des députés catholiques méritaient quelque censure (1). Eckius, l'un des députés pour la conférence, déclara aux Etats qu'il n'approuvait point ce qui avait été arrêté ; le légat du Pape écrivit qu'il n'y pouvait pas consentir; l'Empereur lui-même ne résolut rien, et remit le tout au concile : quelle force peut avoir cette conférence? Cependant le ministre s'y appuie beaucoup; et quoiqu'il soit très-indubitable qu'Eckius ne donna pas son consentement, il dit que l'article de la justification « passa sans débat entre les députés de l'une et de l'autre religion (2). » C'est ainsi qu'il lit les auteurs, c'est ainsi qu'il catéchise son peuple, voilà les merveilleux témoignages par lesquels il prouve la nécessité de la réformation prétendue. Et comme si cette cause se devait juger par l'autorité des puissances, il joint à l'empereur Charles V la reine Catherine de Médicis, el quelques articles de réformation proposés au Pape de la part de quelques-uns de nos rois (3). Mais ne sait-on pas que tous ces conseils venaient de l'esprit d'une reine, qui selon sa politique ordinaire tâchait de contenter tous les deux partis pour maintenir son autorité? Et certes ceux qui l'avaient instruite lui avaient donné d'excellents mémoires et bien conformes à l'esprit de l'Eglise, puisque le second point de réformation était d'abolir et les exorcismes et toutes les cérémonies du baptême, dont la plupart sont si anciennes que Calvin même confesse qu'elles avaient été reçues presque dans les commencements de l'Evangile (4) : « Je n'ignore pas, dit-il, combien ces choses sont anciennes ; » et un peu après : « Ces impostures de Satan furent reçues sans peine presque dès les commencements de l'Evangile par la sotte crédulité du monde (5). » Je n'ai point de paroles assez énergiques pour exprimer l'impudence de cet hérésiarque ; et néanmoins la reine surprise voulait que l'on suivit ses maximes plutôt que celles de l'antiquité : quel étrange moyen de réformation !

 

1 Sleidan., lib. XIV. — 2 P. 95. — 3 p. 134 et 135. — 4 Voyez saint Augustin, à la lin de l'épitre CV, ed. Bened. CXCIV, n. 46, tom. II, col. 729. — 5 Lib. IV, cap. XV.

 

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CONCLUSION.
Exhortation à nos adversaires
de retourner à l'unité de l'Eglise.

 

Après vous avoir proposé ces choses en toute sincérité et candeur, je vous laisse maintenant juger, nos chers Frères, ce que vous devez croire de votre ministre, qui non-seulement vous entretient de si vains discours; mais, ce qui est encore plus insupportable , qui vous débite tant de faussetés sous le titre de Catéchisme. Rappelez en votre mémoire que l'ordre de son discours exigeant de lui qu'il tâchât de mettre quelque différence entre nos ancêtres et nous, il a entrepris de prouver que nous ruinions le fondement du salut : et nous avons fait voir sans difficulté que la vérité lui manquant, il a eu recours à la calomnie. Si telle est la sainteté de notre doctrine, qu'il faille la déguiser nécessairement quand on veut la rendre odieuse, avouez que les reproches de votre ministre sont la justification de notre innocence. Je ne vous apporterai point en ce lieu des témoignages qui vous soient suspects; vous pouvez apprendre dans son Catéchisme que c'est la haine et la passion qui produit les invectives sanglantes par lesquelles vos prédicants tâchent de décrier notre foi. Ne vous dit-on pas tous les jours que vos pères ont quitté l'Eglise romaine comme la Babylone maudite dont il est parlé dans l'Apocalypse (1) ? Et cependant votre catéchiste, qui nous fait le même reproche, confesse qu'elle engendrait les enfants de Dieu ; et par conséquent il ne peut nier qu'elle ne fût une vraie Eglise. Quel aveuglement ou quelle fureur de détester comme Babylone la mère et la nourrice des enfants de Dieu! Combien de fois vous a-t-on prêché que c'est une idolâtrie de prier les saints ! Certes si c'est une idolâtrie, c'est le plus damnable de tous les crimes; toutefois le ministre avoue, et il vous enseigne dans un Catéchisme, que cette prière n'empêche pas le salut, et n'en détruit pas les fondements (2). Donc c'est une horrible infidélité de la qualifier une idolâtrie, et d'accuser les chrétiens innocents d'un crime si noir et si exécrable. Ne

 

1 Voyez ci-dessus, seconde Vérité, chap. 1. — 2 Voyez, première Vérité, sect. 1, chap. V.

 

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devez-vous pas craindre justement que les autres points de notre créance ne vous soient proposés dans la même aigreur; et êtes-vous si peu soigneux de votre salut, que vous ne vouliez pas donner quelque temps à vous faire éclaircir de la vérité ? Souvenez-vous par quelles injures et par combien de titres infâmes on déchire parmi vous l'Eglise romaine. Néanmoins si vous raisonnez selon les principes de votre ministre, vous trouverez qu'elle a retenu tous les fondements de la foi (1), et ainsi que selon vos propres maximes, elle mérite le titre d'Eglise. Car vous l'accordez par acte public à la secte luthérienne, quoique vous la croyiez infectée d'erreur, parce que vous jugez qu'elle a conservé les principes essentiels du christianisme. Si donc ils sont entiers en l'Eglise romaine, si ensuite elle est une vraie Eglise, comment pouvez-vous soutenir les injures dont vous la chargez? Et d'ailleurs si les catholiques possèdent l'Eglise, puisqu'il serait ridicule de s'imaginer que vous fassiez un même corps avec nous, ne paraît-il pas clairement que n'étant pas en notre unité, vous ne pouvez pas être en l'Eglise, et que votre perte est indubitable? Que reste-t-il donc, nos chers Frères, sinon que vous retourniez à l'Eglise en laquelle on vous a prêché que nos ancêtres faisaient leur salut jusqu'au milieu du siècle passé, et à laquelle on ne peut montrer qu'elle ait depuis ce temps-là changé sa doctrine (2)? De sorte que si vous étiez en son unité, quoi que l'on objectât contre votre foi, vous auriez la consolation de voir que nos adversaires ne pourraient nier que plusieurs des enfants de Dieu ne soient morts en cette créance, et que Jésus-Christ n'ait reçu en son paradis des chrétiens qui le servaient comme nous. Vous auriez la consolation d'être en la société d'une Eglise à laquelle on ne peut reprocher qu'elle soit nouvellement établie, à laquelle, quoi qu'on puisse dire, du moins n'oserait-on dénier que depuis le temps des apôtres jusqu'à nos jours, elle n'ait confessé sans interruption, et la Trinité adorable, et le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et la rédemption par son sang, et les mystères de son Evangile, et les fondements du christianisme. Votre nouveauté s'égalera-t-elle à cette antiquité vénérable, à cette constance de

 

1 Voyez la seconde Vérité, chap. IV. — 2 Ci-dessus, première Vérité, sect. I.

 

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tant de siècles et à cette majesté de l'Eglise? Qui êtes-vous, et d'où venez-vous? A qui avez-vous succédé, et où était l'Eglise de Dieu, lorsque vous êtes tout d'un coup parus dans le monde? Et ne recourez plus désormais à ce vain asile d'église invisible, réfuté par votre ministre; mais recherchez les antiquités chrétiennes, lisez les historiens et les saints docteurs; montrez-nous que depuis l'origine du christianisme, aucune Eglise vraiment chrétienne se soit établie en se séparant de toutes les autres (1). Si jamais les orthodoxes ne l'ont pratiqué, si tous les hérétiques l'ont fait, si vous êtes venus par la même voie, regardez à qui vous êtes semblables, et craignez la peine de ceux dont vous imitez les mauvais exemples. Vous vous plaignez de nos abus et de nos désordres; êtes-vous si étrangement aveuglés que vous croyiez qu'il n'y en ait point parmi vous ? Toutefois je ne m'arrête point à vous les décrire; car cette dispute serait inutile, et je tranche en un mot la difficulté : s'il y a des abus en l'Eglise, sachez que nous les déplorons tous les jours, mais nous détestons les mauvais desseins de ceux qui les ont voulu réformer par le sacrilège du schisme. C'est là le triomphe de la charité, d'aimer l'unité catholique malgré les troubles, malgré les scandales, malgré les dérèglements de la discipline qui paraissent quelquefois dans l'Eglise ; et celui-là entend véritablement ce que c'est que la fraternité chrétienne, qui croit qu'il n'y a aucune raison pour laquelle elle puisse être violée. Dieu saura bien, quand il lui plaira, susciter des pasteurs fidèles qui réformeront les mœurs du troupeau, qui rétabliront l'Eglise en son ancien lustre, qui ne sortiront pas dehors pour la détruire, comme ont fait vos prédécesseurs, mais qui agiront au dedans pour l'édifier. C'est pourquoi nous vous conjurons que vous fassiez enfin pénitence de cette pernicieuse entreprise de nous réformer en nous divisant, et d'avoir ajouté le malheur du schisme à tous les autres maux de l'Eglise. « Et ne vous persuadez pas, ce sont les paroles de saint Cyprien, que vous défendiez l'Evangile de Jésus-Christ, lorsque vous vous séparez de son troupeau, et de sa paix et de sa concorde , étant plus convenable à de bons soldats de demeurer dans

 

1 Voyez ci-dessus, sect. II, chap. II.

 

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le camp de leur capitaine, et là de pourvoir d'un commun avis aux choses qui seront nécessaires. Car puisque l'unité chrétienne ne doit pas être déchirée, et que d'ailleurs il n'est pas possible que nous quittions l'Eglise pour aller à vous, nous vous prions de tout notre cœur que vous reveniez à l'Eglise, qui est votre mère, et à notre fraternité (1), » afin que les nations infidèles, que nos divisions ont scandalisées, soient édifiées par notre concorde.

 

1 Cypr., epist. XXIX, nunc XLIV, p. 58.

 

FIN DE LA RÉFUTATION DU CATÉCHISME DE PAUL FERRY.

 

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