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Sainte Jeanne-Françoise Frémyot
de Chantal
sa vie et ses Œuvres

 

 

Index ; Bibliothèque

 

Tome Huitième

Lettres V

 

Première édition
entièrement conforme aux originaux, enrichie d'environ six cents lettres inédites et de nombreuses notes historiques.

ÉDITION AUTHENTIQUE
PUBLIÉE PAR LES SOINS DES RELIGIEUSES DU PREMIER MONASTÈRE DE LA VISITATION SAINTE-MARIE d'ANNECY

L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de traduction et de reproduction à l'étranger.
Ce volume a été déposé au Ministère de l'intérieur (section de la librairie) en octobre 1879.

PARIS
TYPOGRAPHIE DE E. PLON ET Cie, 8, RUE GARANCIÈRE.

e. plon et cie imprimeurs-éditeurs
rue garancière, 10

1879

Tous droits réservés


LETTRES DE SAINTE JEANNE-FRANÇOISE FRÉMYOT DE CHANTAL

rangées par ordre chronologique

ANNÉE 1638

LETTRE MDXXXIII - À UN RELIGIEUX

Peines intérieures de la Sainte ; elle réclame des prières.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Mon très-bon et très-cher Père,

Le divin Sauveur soit à jamais notre vie et notre amour ! Me trouvant dans quelque exercice intérieur qui me peine beaucoup, j'ai pensé que, selon notre entière confiance, je vous en devais avertir, afin que vous redoublassiez vos prières pour moi dans mon extrême besoin, et qu'encore vous me procurassiez celles des bonnes âmes de votre connaissance. Car, moi, me trouvant dans des pauvretés et délaissements si grands, je ne puis quasi prier ; mais j'ai grande confiance aux prières des bonnes âmes, et surtout aux vôtres, mon tout bon Père, à qui j'ouvre mon [2] cœur en simplicité et confiance, sachant la sainte dilection que Dieu vous a donnée pour nous ; et que ce que je vous dis ne partira point de votre cœur, ains vous l'y conserverez pour donner à Dieu le mien chétif avec le vôtre tout bon et fervent. Protestez souvent à mon Dieu ma fidélité, et le conjurez par son amour de me tenir toujours de sa sainte main, afin que jamais je ne l'offense, mais qu'en tout je fasse et souffre tout ce qu'il lui plaira, et qu'enfin II me reçoive dans le sein de sa douce miséricorde, quand il lui plaira me tirer de cette misérable vie, que je trouve bien longue. Voilà, mon très-cher Père, comment je vous expose naïvement ma misère et mes besoins. C'est assez pour vous, qui avez un cœur tout paternel et charitable pour celle qui est toute vôtre en Jésus, qui soit éternellement béni.

LETTRE MDXXXIV - À MONSIEUR LE MARQUIS DE LULLIN

À THONON

Consolation sur la mort de sa fille unique.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Hé bien ! Monsieur, voilà qu'il a plu à Dieu de mettre votre chère âme sous le pressoir de la plus sensible et pénétrante douleur qu'on puisse imaginer, il est vrai ; mais considérez que cette pure et blanche colombe a pris son vol sur les hautes montagnes de la très-sainte éternité, et s'est allée reposer dans le sein de son Époux céleste. Considérez, Monsieur, que ce bon Père a voulu que son très-cher Fils ait été cloué en croix, et y soit mort pour nous racheter de la mort éternelle. Veuillez donc [offrir], par un réciproque amour, le trépas de cette unique fille, en faveur et à l'honneur de la très-adorable et toute sainte volonté divine. Offrez et sacrifiez à son immortelle [3] gloire tous les contentements que Votre Excellence espérait recevoir d'une fille si bien née, et vous expérimenterez les richesses de sa bonté, par de nouvelles et très-abondantes bénédictions. Mais surtout j'ai confiance que sa douceur paternelle aura mis sa main pour soutenir votre cœur à la rencontre d'un si violent assaut ; et que là où la douleur aura abondé, Il fera surabonder les suavités de ses divines consolations, en sorte, Monsieur, que votre amertume se passera en paix. C'est pour cela que nous offrirons nos prières et communions, compatissant à votre juste douleur avec des ressentiments très-grands, et ensuite de l'intime dilection et révérence que Dieu m'a donnée pour vous, Monsieur, à qui je suis et serai sans fin, etc.

LETTRE MDXXXV - À MADAME LA MARQUISE DE LULLIN

À THONON

Même sujet.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Madame,

J'ai confiance que Dieu tient votre âme si saintement unie à sa sainte volonté, que la grandeur de votre affliction n'aura rien ébranlé en vous. Il est vrai, Madame, que le sujet de votre douleur est incomparablement sensible ; et personne ne peut ni doit trouver étranges vos ressentiments. Pour moi, je m'assure que votre piété les vous fait tenir dans les termes d'une parfaite soumission au décret de la divine Providence. Hélas ! Madame, que peut-on espérer de cette vie fragile et misérable, qu'afflictions et douleurs. Que bienheureux sont ceux qui en partent avec innocence, ainsi qu'a fait cette chère petite âme, qui comme un ange est volée dans le ciel ! et maintenant [4] ce gage si précieux vous servira comme d'aimant pour attirer votre cœur et vos affections aux choses éternelles. Et peut-être déjà vous ressentez les effets du crédit qu'elle a auprès de Dieu, duquel elle votre impétrera les saintes consolations dont vous avez besoin. Et je supplie encore son infinie Bonté de les faire abonder en vous, jusqu'à la perfection d'une sainte et accomplie constance et résignation parfaite à la divine volonté. Que si la part que nous prenons à votre affliction pouvait vous apporter quelque soulagement, ce nous serait aussi une grande consolation. Nous supplions Notre-Seigneur incessamment, par nos instantes prières, qu'il vous conserve heureusement, étant de cœur et d'affection incomparable, Madame, votre, etc.

LETTRE MDXXXVI - À LA MÈRE FRANÇOISE-GASPARDE DE LA GRAVE

SUPÉRIEURE À BOURGES

Le choix des confesseurs extraordinaires doit être approuvé par l'évêque. — Il faut avoir beaucoup de confiance aux Pères Jésuites. — Remerciement pour un secours donné aux Sœurs de Saint-Amour.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 17 janvier 1638.

Ma très-chère fille,

Je supplie notre divin Sauveur de vous faire abondamment part des sacrés mérites de sa sainte Naissance. Je vous prie, ma fille, ne faites point tant de souhaits ni de prières pour ma conservation ; priez seulement la divine Bonté qu'elle me fasse la grâce d'accomplir parfaitement sa très-sainte volonté.

Si ce que vous me dites avoir répondu au Père provincial a été fait avec grande humilité et douceur, cela est bon ; mais il eût été encore meilleur de ne lui pas faire tant de répliques, car il eût suffi, pour ce point des confesseurs extraordinaires, de lui dire : Mon Père, il nous est dit dans nos Constitutions [5] que nous demanderons à Messeigneurs les évêques ou pères spirituels un confesseur extraordinaire de trois en trois mois, pour confesser toutes les Sœurs. Et lorsque l'on ne nous peut pas donner ceux qu'ils nous ont ordonné de prendre, nous devons recourir à eux pour en avoir un autre ; c'est pourquoi Votre Révérence ne trouvera pas mauvais si nous n'acceptons pas ceux que nous ne vous avons pas demandés. Ni vous aussi, ma très-chère fille, ne devez pas trouver mauvais, s'il ne vous donne pas les Religieux que vous désirez ; car, de même que vous connaissez vos filles, aussi connaît-il ses Religieux, et quel emploi il leur doit donner. Enfin il faut grandement honorer la parole de notre Bienheureux Père, lequel a dit qu'il désirait que l'on eût soin de s'entretenir avec ces bons Pères, en observant les règles. Il faut aussi témoigner une grande confiance à ce bon Père provincial ; et s'il arrive qu'il vous dise quelque chose qui ne soit pas de nos observances, il ne faut sinon lui représenter doucement, et faisant cela, il demeurera fort édifié et consolé, car je sais qu'il est fort affectionné à notre Institut. Au reste, ma très-chère fille, vous et nos chères Sœurs m'avez grandement consolée de voir la charité que vous avez faite à nos pauvres Sœurs de Saint-Amour. Croyez que notre bon Dieu en saura bien récompenser votre communauté. J'ai écrit à nos Sœurs de Nevers si, à votre exemple, elles pourraient faire la même charité. — Pour cette Sœur de Troyes que l'on vous a présentée, peut-être ne l'aurez-vous pas ; mais, soit que vous l'ayez ou non, vous m'avez fait un très-grand plaisir d'avoir fait une réponse si cordiale à ma Sœur la Supérieure de Paris, pour ce sujet-là. Elle m'en a témoigné les grands sentiments de reconnaissance que son cœur en a eus, et l'affection que cela lui a donnée de servir votre maison, lorsque les occasions s'en présenteront. — Or sus, ma toute chère fille, vivez toute à Dieu avec l'esprit de parfaite douceur et humilité, et qu'il règne en toutes vos actions, surtout en la conduite de votre chère famille, [6] que je salue avec vous très-chèrement, en suppliant Notre-Seigneur de les bénir d'une parfaite observance, paix et union cordiale entre elles. Je suis vôtre, ma fille, vous le savez bien, de tout mon cœur.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDXXXVII - À MONSEIGNEUR ANDRÉ FRÉMYOT

SON FRÈRE, ANCIEN ARCHEVÊQUE DE BOURGES, À PARIS

Il est jugé nécessaire que la Sainte aille présider à la fondation de Turin. — Nouvelles calomnies contre l'Institut.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 17 janvier 1638.

Mon très-honoré et très-aimé seigneur,

Je supplie le divin Sauveur de nos âmes de remplir la vôtre très-chère des sacrés mérites de sa sainte enfance. Quelle plus digne et agréable [étrenne] vous puis-je donner au commencement de cette année, que je vous souhaite être pleine de toutes bénédictions et saintes consolations !

Je suis bien aise de vous resavoir résidant à Paris, mon très-cher seigneur, croyant que ce sera à la gloire de Dieu et à l'utilité et repos de plusieurs. Déjà nous en recevons le fruit, par la lettre que votre bonté a obtenue de Mgr le Nonce. Je vous en remercie très-humblement, mon très-cher seigneur. J'espère en la bonté de Dieu que cette bourrasque ne durera pas, et que nous en tirerons profit, moyennant sa divine grâce. Il faut bien être un peu étaminé. — Quant à ce qui est de notre passage à Turin, les puissances de delà le veulent si absolument, que je ne sais comme l'on s'en pourrait exempter ; mais ce qui nous touche, c'est que l'on juge qu'il est tout à fait nécessaire pour le bien de notre Institut, tant à cause de ces [7] calomnies que pour faire effort de nous maintenir là dans la sainte liberté que nous avons, touchant la conduite extérieure, que l'on dit être fort différente de celle de deçà. Or, le Père dom Juste sait bien que je n'y puis pas séjourner que quelques mois, et l'on m'assure que l'on ne prétend que cela aussi, et que je ne suis nullement comprise dans le nombre des Religieuses qui sont destinées pour la fondation, que c'est par licence particulière que l'on permet que nous y allions pour retourner. Or néanmoins, mon très-cher seigneur, votre avis me sera utile ; car j'ai déjà écrit au Père dom Juste que je n'irai point que l'on ne m'envoie licence d'une pleine liberté pour retourner quand je le jugerai à propos. En effet, puisqu'il a plu à Dieu que je me sois laissé recharger de la conduite particulière de cette maison [d'Annecy], pour la consolation de nos bonnes Sœurs, je ne puis pas faire un grand séjour à Turin. Pour ce qui est des autres monastères, ils auront autant de facilité à m'écrira là, et moi à leur répondre, qu'ici, à cause des courriers qui y vont d'ordinaire ; et je m'assure qu'ils ne m'oublieront point là non plus qu'ailleurs pour prier Notre-Seigneur, si la providence de Dieu ne m'y arrête par la mort, ce que je ne pense pas toutefois. Sa sainte volonté soit faite !

J'espère que le plus grand séjour que je ferai sera de quatre ou cinq mois, ou six au plus, et que Dieu nous fera la grâce, qu'après un peu de soumission, nous obtiendrons les mêmes libertés dont jouissent maintenant nos bonnes Sœurs d'Avignon, que j'ai vues par deux fois avec fort peu moins de liberté pour le parloir que nous en avons ; car, pour ce qui est de l'observance intérieure et conduite de tout le monastère, nos Sœurs sont absolues, ce qui est le meilleur pour nous ; car ces bons Italiens ne pensent qu'à la clôture, et à vouloir que l'on ne parle à ceux de dehors qu'avec leur licence. Cela est la moindre chose qui nous puisse fâcher. Cependant nous achèverons ici notre hiver, et entendrons ce que le bon Père dom Juste nous [8] dira sur ce que nous lui avons écrit de nos pensées, et craintes qu'il nous retienne. Mon très-honoré seigneur, aimez bien toujours votre pauvre vieille sœur, et priez le bon Dieu d'accomplir en elle sa sainte volonté. Je le supplie de faire abonder en vous les plus riches grâces de son saint amour, auquel je suis et serai à jamais de tout mon cœur, etc.

[P. S.] Monseigneur, depuis cette lettre écrite, le Père dom Juste m'a mandé que Mgr le Nonce de Turin avait avoué d'avoir écrit contre nous à Rome, et cela accroche notre fondation. Je laisse tout au soin de Notre-Seigneur, qui prendra en main notre défense. Ils disent que nous donnons l'absolution à nos Sœurs d'une partie de leurs péchés, et les envoyons au confesseur pour le reste. Cela est une risée ; Dieu pardonne à qui l'a inventé.[1]

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Lyon.

LETTRE MDXXXVIII - AU NONCE APOSTOLIQUE DE TURIN

À TURIN

Envoi d'une lettre du Nonce de Paris. — Humble prière de dissiper les préventions répandues contre l'Institut.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Monseigneur,

Puisqu'il a plu à votre débonnaireté que je me sois donné l'honneur de lui écrire une fois, sur le sujet de la calomnie que l'on nous a imposée auprès de Votre Seigneurie Illustrissime, [9] je la supplie très-humblement me permettre encore de le faire, en lui envoyant la lettre de Mgr le Nonce de Paris, lequel a été prié de Messeigneurs les archevêques nos Supérieurs de s'enquérir vers qui bon lui semblera de notre manière de procéder touchant la liberté de conscience pour les confessions, afin qu'il lui plût en rendre témoignage à Votre Seigneurie, comme font aussi plusieurs personnes de divers lieux, de grande probité et qualité, qui nous ont confessées longtemps ou connues particulièrement, lesquelles je m'assure, Monseigneur, que votre piété croira, s'il lui plaît, en faveur de notre innocence. Et comme le zèle de Votre Seigneurie l'a porté à communiquer l'avis qu'elle avait reçu pour remédier au mal, s'il y eût été, qu'aussi sa charité le presse de justifier un Ordre qui, par la grâce de Dieu, est très-innocent, épuré de tel abus, et lequel par ce moyen demeurera très-obligé à Votre Seigneurie, et à prier la souveraine Bonté pour sa prospérité. Que s'il juge qu'il soit besoin d'autres preuves, je m'assure que Messeigneurs les prélats de France les rendront au Saint-Père et à la Congrégation de Messeigneurs les Réguliers, puisque le sujet est important à la gloire de Dieu et au bien d'une Congrégation qui, grâce à la divine Bonté, a toujours rendu une bonne odeur partout où elle a été établie. Je demande en toute humilité votre sainte bénédiction, et suis votre, etc.

LETTRE MDXXXIX - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Les calomnies répandues contre la Visitation obligent à ajourner la fondation de Turin. — Éloge des monastères d'Annecy et de Paris.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, janvier 1638.]

Mon Dieu, mon très-honoré et très-cher Père, qu'il y a longtemps que je n'ai reçu de vos chères et aimables lettres ! Mais [10] je ne le dis pas par reproche ; non certes, car je sais bien que vous avez été grandement occupé en vos visites, et que votre tout bon cœur paternel ne m'y a point oubliée devant Dieu. Hélas ! que j'en ai besoin de vos saintes prières, mon très-cher Père ! Secourez-m'en bien, je vous supplie ; car outre la grande perte et privation que je porte pour le trépas de feu notre bonne Mère Supérieure, il m'a fallu, pour satisfaire à l'obéissance et au désir de nos Sœurs, me laisser recharger de la conduite particulière de ce premier monastère, si, qu'avec les affaires qui nous viennent continuellement de nos maisons, je vous assure, mon très-cher Père, que j'en ai autant que j'en puis porter. Dieu veuille tout prendre à soi pour sa plus grande gloire.

L'on m'écrit que votre cœur tout bon et paternel est en peine sur notre passage à Turin, craignant que l'on ne m'y retienne ; mais assurément je n'irai qu'avec le Bref d'assurance d'en pouvoir revenir quand je voudrai. Je ne suis nullement comprise dans la licence des Religieuses destinées à la fondation ; cela nous fera passer notre hiver en repos, car il faudra du temps pour dévider cette fumée. Mais voyez, mon tout bon et cordial Père, ce que la souveraine Providence permet ! Elle tirera sa gloire et notre utilité de tout ceci sans doute. Cependant, nous attendons ce qu'opérera la lettre de Mgr le Nonce de Paris et les attestations de tant de personnes de qualité et [mots illisibles]. Il dit à un confesseur de l'une de nos maisons que l'on se cachait de lui pour cela, mais que l'on avait beau faire, qu'il serait bien force de lui parler, et que si les Religieuses allaient sans son aveu, qu'il les ferait retourner ; et dit certaines paroles contre le Père dom Juste, lui attribuant ce secret, car il a certaine pointe contre lui. Mon bon et très-cher Père, je vous dis ainsi toutes nos petites affaires, il m'en fait grand bien. Je les laisse toutes entre les mains de notre bon Dieu. Je sais bien, et en ai la confiance, que tous ces mauvais bruits s'en iront en [11] fumée, n'ayant point de fondement, et cependant nous aurons eu cette petite persécution, qui nous réveille et profitera beaucoup en plusieurs façons, moyennant la divine grâce ; car les maisons, voyant qu'elles ont de bons surveillants, se tiendront mieux sur leurs gardes.

Nous voici en notre seconde maison ; de vrai, mon tout bon et cordial Père, vous auriez consolation si vous voyiez ces petites âmes cheminer avec tant d'innocence et de ferveur ; béni soit Dieu qui a voulu que, par votre charité, vous vous soyez acquis si grande part en tout cela ! mais vous l'avez aussi en tout le petit bien de tous les monastères. Certes, nos Sœurs du premier monastère cheminent fort solidement ; nos très-chères Sœurs de Paris nous donnent aussi toute consolation. Eh ! qu'elles sont heureuses d'avoir part en votre chère conversation, mon tout cordial et très-cher Père ! Vivez toujours heureusement et saintement en la suite de plusieurs années, que je vous souhaite abondantes en toutes bénédictions et consolations célestes ; c'est le continuel souhait de celle qui vous honore avec une très-sincère dilection, et continuelle reconnaissance de tant de biens reçus de votre bonté, étant de cœur, mon vrai et très-honoré Père, votre très-humble, etc.

[P. S.] Je ne vous répète pas ce que je vous ai écrit par mes précédentes, sachant que cela suffit à votre tout bon et cordial cœur.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [12]

LETTRE MDXL - À MONSEIGNEUR. BENOÎT-THÉOPHILE DE CHEVRON-VILLETTE

ARCHEVÊQUE DE TARENTAISE, À MOUTIERS

Témoignages d'humble gratitude.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 20 janvier 1638.

Monseigneur,

Ces lignes seront pour vous rendre nos très-humbles remercîments de tant de témoignages d'affection et de bonne volonté, dont il vous plaît gratifier notre petite Congrégation, nous ayant choisies parmi une infinité d'autres pour nous établir en cette ville.

Son Altesse Royale ayant fort franchement accordé la patente, sur la requête qu'il a plu à Votre Illustrissime Seigneurie lui en faire, c'est un bien que nous recevons de votre bonté, Monseigneur, comme un surcroît d'obligations à celles que nous vous avons du passé, par les preuves qu'il vous a toujours plu nous rendre de votre sainte et paternelle affection, de quoi tout notre petit Institut vous demeurera à jamais obligé. Il me reste seulement à supplier Notre-Seigneur que celles qui seront si heureuses d'être employées à ce bon œuvre soient telles qu'elles puissent rendre premièrement gloire à Dieu, et à vous, Monseigneur, toute l'édification et satisfaction que votre bonté et piété en peuvent attendre, par leur très-humble soumission et obéissance. Voilà le souhait de mon cœur, Monseigneur, avec lequel je finis, en vous demandant votre sainte bénédiction.

Je demeure d'une affection pleine de respect et de soumission, Monseigneur, votre très-humble fille, etc. [13]

LETTRE MDXLI - À LA MÈRE MADELEINE-ÉLISABETH DE LUCINGE

SUPÉRIEURE AU DEUXIÈME MONASTÈRE D'ANNECY

Se fortifier par la pensée de l'éternité au milieu des misères de cette vie. — Pieux souhaits.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Hélas ! ma fille, il ne nous faut point étonner de nos faiblesses ; Dieu permet que nous les ressentions afin de nous mieux faire voir ce que nous sommes de nous-mêmes, et nous faire jeter toute notre confiance en sa Bonté. Or je suis bien aise que vous ayez eu cette fâcherie, afin que, rehaussant votre courage en Dieu, vous vous déterminiez de le servir emmi les croix, contradictions et toutes sortes de peines, ne vous promettant en rien des facilités, mais des difficultés partout, résolue de servir sa souveraine Bonté. C'est le chemin que Jésus a frayé et que les Saints ont tenu. Usez souvent de cette parole : Nul bien sans peine ; et de celle de saint François : À cause des biens que j'attends, les travaux me sont passe-temps. Je vous supplie de recevoir le souhait que je fais à mon Dieu pour votre bonheur. Oui, Seigneur Jésus, bénissez à jamais de votre saint amour le cœur de ma très-chère fille et la rendez votre vraie et fidèle amante ! Que nuit et jour elle se consume au feu de votre divine dilection, à l'imitation de sa sainte protectrice et patronne, la glorieuse sainte Madeleine, et que votre souveraine douceur nous donne, par ses intercessions, la grâce de vivre en sa grâce et mourir en l'acte de contrition amoureuse, afin qu'éternellement nous vous bénissions, aimions et adorions par tous les siècles des siècles ! Amen.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [14]

LETTRE MDXLII - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

L'Institut se maintiendra par l'humilité et la charité.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Je m'estime heureuse, ma très-chère fille, d'être dans le mépris et moquerie du monde, au sujet de vouloir établir un général ou une générale en notre Ordre : car vraiment, si j'étais si téméraire que d'avoir cette pensée, je le mériterais bien. Ces lettres qui s'entr'écrivent, il y a un mois, et ce que vous en dira N., vous en fera voir la vérité. Nous n'avons pas besoin d'établir rien de nouveau parmi nous ; je désire seulement que Dieu nous fasse la grâce d'avoir l'humilité et la charité requises pour conserver ce que nous avons reçu de notre Bienheureux Fondateur, et nous maintenir au train auquel il nous a laissées. Mais il nous est bon, ma très-chère fille, que le monde nous jette quelquefois de la boue sur les yeux, pour nous empêcher que l'éclat de tant de grâces, dons et faveurs, que nous avons reçus et recevons journellement de Dieu, par le moyen de notre saint Fondateur, ne nous éblouisse et ne nous fasse évanouir dans la propre estime et vanité de nous-mêmes.

Et je pense que ce bruit procède de ce qu'il y a plusieurs grands serviteurs de Dieu dans N. qui conseillent fort cela, et disent que, si on ne le fait, notre esprit se perdra bientôt et notre union et conformité ; mais je n'en crois rien, car j'ai confiance en Dieu et en la vertu de nos Sœurs, que le sacré lien de charité qui nous tient unies aura plus de force et de persévérance que tout ce que la prudence humaine saurait inventer Ou penser. Et, pour fin, je sais très-bien les intentions du Bienheureux ; je les honore et les suivrai sans jamais varier, moyennant la divine Volonté, jusqu'à l'extrémité de ma vie. Priez Dieu qu'il mette [15] cette même affection dans tous les cœurs des Filles de la Visitation ; et il ne faudra pas craindre que notre union se perde.

Je vous vois, ce me semble, un peu lasse et abattue sous le pesant fardeau de votre charge. O ma fille ! il faut prendre bon courage, et n'en point regarder la grandeur, mais Dieu qui vous l'a imposée, et qui sans doute en portera ce qui sera plus difficile. Regardez-le toujours, et Il vous rendra toutes choses faciles. Il ne se faut pas lasser au commencement. Je supplie la divine Bonté d'être votre force et consolation. Votre, etc.

LETTRE MDXLIII (Inédite) - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Oppositions que la Sainte a dû surmonter pour maintenir l'Institut sous l'autorité des évêques ; elle n'attend sa récompense que de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Ma très-chère fille,

Il faut que je dise en confiance à votre chère âme, que si l'on savait ce qu'il m'a fallu supporter de la part de plusieurs grands serviteurs de Dieu, même de quelques prélats et de plusieurs de nos Sœurs les Supérieures, pour empêcher que l'on ne mît dans l'Institut un moyen d'union avec autorité, ce que tous jugeaient être nécessaire pour la conservation de l'Institut, et cela par la grande affection qui leur fait dire et craindre qu'après ma mort l'union de chanté que Dieu a donnée à cet Institut ne périsse, et ensuite que l'Institut ne s'abâtardisse ; si vous saviez, dis-je, ce que j'ai souffert pour empêcher cela, et les batailles qu'il m'a fallu soutenir pour nous maintenir dans la seule dépendance de Messeigneurs nos prélats, selon que je sais être des intentions de notre Bienheureux Père, qu'il me dit en ses derniers jours, vous jugeriez [16] bien que l'on ne doit pas me croire [capable] de faire un si lâche tour, et que la connaissance que la première impression que l'on prit était sans fondement devait empêcher la seconde ; car je vous prie, me faire tympaniser en pleine assemblée pour déserteuse de notre Institut ! Hélas ! je mérite bien de plus grandes confusions, mais non pour ce sujet, par la grâce de Dieu ; aussi la divine Providence m'a défendue par des étrangers, qui ont rendu témoignage de la vérité sans que j'en susse rien ; et je m'étais tue. Mais cette recharge et votre silence blessaient un peu mon cœur ; mais je remets tout entre les mains de Notre-Seigneur, qui sait que je n'eus ni part ni quart en tout, que pour sa seule gloire, et que je n'attends aucune reconnaissance des créatures de tout le travail et service que sa Bonté veut que j'aie et que je rende à ce cher petit Institut. Ma fille, ceci soit dit entre nous deux par simple confiance, et Dieu soit béni de tout. Amen. Je suis vôtre de cœur.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris.

LETTRE MDXLIV- À MONSIEUR L'AVOCAT PIOTON

À CHAMBÉRY

Désir de le voir entrer dans l'état ecclésiastique. — On a obtenu des Bulles pour la fondation de Turin.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 22 février 1638.

Mon bon et très-cher frère,

Voilà la lettre que j'écris à la bonne Mère de Rochette, que je vous prie prendre la peine de lui porter vous-même et de l'assurer de la bonne volonté que la Mère de Ballon a pour elle, bien qu'elle ne puisse pas les venir servir, pour les raisons que vous vous souviendrez que je vous dis quand vous fûtes ici. [17] Au surplus je ne me saurais empêcher de vous dire un souhait que la bonne Mère [de Lucinge] destinée pour Turin, me dit hier de si bon cœur : « Eh ! mon Dieu ! n'y a-t-il pas moyen de le faire résoudre à se faire prêtre[2] ? » Certes, c'est grand cas comme nous le désirons, et le tout pour l'amour de nous ; car l'amour bien ordonné commence à soi-même. Il fallait bien vous dire ce petit mot, mon très-cher frère.

Nos Bulles sont venues de Rome, et nous nous disposons de partir aussitôt après Pâques : que si vous êtes libre en ce temps-là, nous le serons aussi prou pour vous prier de venir avec nous. Voilà un petit conte de récréation, qui vous récréera sans doute un peu. Au reste, je vous supplie de bien continuer à prier Dieu pour nous, à ce qu'il plaise à sa Bonté de conduire tout pour sa gloire, vous assurant que je suis toujours plus, mon bon et très-cher frère, votre très-humble sœur et fidèle servante en Notre-Seigneur.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDXLV - À MADAME MATHILDE DE SAVOIE

À TURIN

Remercîments pour le zèle avec lequel elle prépare la fondation de Turin : mérites qu'elle acquiert par cette bonne œuvre.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 22 février 1638.

Madame,

Dieu qui vous a inspiré un si saint et sacré dessein pour le service de sa gloire, et pour votre plus grand mérite devant Lui, n'a pas voulu vous donner la consolation de le voir réussir, [18] ni à nous de vous aller rendre nos très-humbles soumissions et obéissances, sans y faire naître plusieurs difficultés, afin que votre piété exerçât son zèle à surmonter et conduire à sa perfection l'œuvre qu'il vous a commise. Et vous avez fait cela si heureusement, Madame, que j'apprends par le Père dom Juste que tout est disposé selon votre désir pour notre passage auprès de vous, dont nous avons reçu très-grande consolation, tant pour voir que Dieu se veuille servir de notre petitesse en ce dessein pour l'accroissement de sa gloire et votre contentement, que pour les richesses spirituelles que vous attirez sur vous en particulier, Madame, et sur toute votre illustre maison. Loué soit Dieu de ses miséricordes, qui veut par cette sainte action vous rendre participante en cette vie et en l'autre de toutes les prières et mérites des vertus qui se pratiqueront, non-seulement en la maison que votre piété aura fondée, mais encore également en toutes celles de l'Ordre qui sont déjà en nombre de septante-quatre. Car comme disait notre Bienheureux Père : « La fondation d'une maison religieuse est l'œuvre d'un des plus grands mérites qu'on puisse avoir devant Dieu. » Sa Bonté nous fasse la grâce qu'ayant si heureusement rencontré une vraie Mère en votre personne, Madame, nous puissions aussi être votre joie et votre consolation, tant par notre filiale obéissance, que par l'odeur d'une sainte vie et conversation, et avec ce souhait je demeure d'une affection pleine de respect, Madame, etc. [19]

LETTRE MDXLVI - À MONSEIGNEUR BENOÎT-THÉOPHILE DE CHEVRON-VILLETTE

ARCHEVÊQUE DE TARENTAISE, À MOUTIERS

Dispositions relatives à la fondation de Moutiers.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 26 février [1638].

Monseigneur et très-honoré Père,

La lettre dont il vous a plu m'honorer m'a donné réciproquement un grand contentement, voyant la sainte affection que votre bonté nous témoigne et la satisfaction que vous recevez en l'espérance d'avoir de nos chères Sœurs en votre ville.[3] Je crois que M. Maurice est maintenant auprès de vous, Monseigneur, pour lâcher d'avoir la permission de la ville, sans laquelle sans doute le Sénat ne vérifiera pas les patentes ; ainsi l'a-t-on assuré à nos Sœurs. Les affaires de Dieu reçoivent toujours de grandes difficultés, et d'autant plus grandes qu'elles doivent davantage réussir à sa gloire ; mais enfin sa souveraine sagesse les fait aboutir selon son bon plaisir.

Quant aux jeunes filles, Monseigneur, que Votre Seigneurie Illustrissime trouve bon que l'on reçoive, nos Sœurs suivront en cela vos avis, m'assurant, Monseigneur, que vous ne trouveriez pas à propos que le nombre en soit grand, ni que leur âge soit si tendre qu'elles fussent encore incapables de recevoir des instructions en piété et bonne éducation. Enfin nous nous en remettons à votre jugement et sainte dilection paternelle. — Notre bon Dieu vous comble des grâces de son saint amour, et vous conserve longuement pour sa gloire et le bonheur de votre peuple. Votre sainte bénédiction à celle qui est de cœur et avec tout respect, Monseigneur, votre très-humble, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [20]

LETTRE MDXLVII (Inédite) - À LA MÈRE ANNE-THÉRÈSE DE PRÉCHONNET

SUPÉRIEURE À ROUEN

Encouragement à porter le fardeau de la Supériorité ; ce serait faire brèche à l'Institut que de demander à être déposée avant le temps. — S'abandonner à Dieu au milieu des peines intérieures, et les regarder le moins possible. — Pour ce qui concerne sa santé, la Supérieure doit se rendre aux désirs de la coadjutrice.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 27 février 1638.

Ma très-bonne et chère sœur,

Notre très-débonnaire Sauveur soit la force et consolation de votre très-cher cœur que je vois tout affligé, non sur la maladie contagieuse sur laquelle je vous ai déjà écrit, bénissant Dieu derechef de vous avoir conservée ; car croyez, ma très-chère fille, que votre chère personne et celle de notre Sœur A. -Marg. [Guérin] me tiennent bien au cœur. Mais je vous vois, dis-je, peinée sur la retraite de notre Sœur A. -Marg. pour l'appréhension que vous avez de demeurer là sans elle. À la vérité, je confesse que ce vous est un grand appui ; mais, ma toute chère Sœur, le divin Sauveur qui vous a imposé cette charge s'est mis dessous pour la porter avec vous. C'est pourquoi vous ne devez rien craindre, ni vous laisser abattre par les appréhensions, ains faire doucement ce que vous pourrez, tant au spirituel qu'au temporel, et ne vous peiner ni affliger du reste, car vous n'avez pas épousé cette charge, six années seront bientôt écoulées.

Prenez donc bon courage, je vous en supplie et conjure, et ne pensez nullement à faire cette brèche à notre petite Congrégation que de vouloir vous faire déposer devant la fin de votre triennal ; mais je vous en supplie et conjure, et de vous tenir au-dessus de toutes ces peines et tentations qui travaillent votre chère âme de leur appréhension. Ne les regardez point, ne les écoutez point, je vous le répète ; remettez au soin de notre bon [21] Dieu tous vos soucis pour ce qui vous regarde. Confiez-lui votre salut et votre vie, et vous tenez en repos dans le sein de son amour, souffrant doucement vos peines sans les regarder. Je sais bien que notre saint Père vous a écrit autrefois sur ce sujet : revoyez ce qu'il vous dit et le faites fidèlement, comme aussi les instructions qu'il donne sur les peines intérieures. Je vous prie derechef, ne vous laissez point abattre, tenez-vous au-dessus de tous vos sentiments, soulagez votre esprit par une sainte joie et confiance en Dieu.

Il est vrai, à ce que l'on dit, que les Normands sont un peu fins, mais Dieu est mort pour eux comme pour nous. Croyez qu'il donnera bénédiction à votre travail et au service que vous lui rendez en cette maison-là. Je vais écrire au faubourg que l'on vous laisse ma Sœur A. -Marg. pour encore quelques mois, car je sais bien que pour elle, elle s'aime avec vous, qu'elle honore singulièrement ; et cependant vous irez vous disposant à cette séparation.

Au reste, je sais que vous êtes un peu austère sur vous-même, c'est ici où je vous prie tout à fait de me croire. Vous avez un corps extrêmement faible et délicat ; c'est pourquoi vous ne devez faire aucune austérité outre celles de la Règle, et encore les laisser quand on vous le dira, et prendre les petits soulagements que l'on connaîtra vous êtes nécessaires. Et pour cela vous vous soumettrez, s'il vous plaît, à notre Sœur A. -Marg. tandis qu'elle sera avec vous ; et quand elle n'y sera plus, vous prendrez une autre Sœur propre à vous rendre ce soin avec une raisonnable charité en l'exerçant, car je sais bien qu'il ne se trouve que trop de filles qui s'empresseraient à cela et vous importuneraient, c'est ce que je ne désire pas ; mais qu'aussi en ayant une capable de [comprendre] votre mal, vous vous obligiez de la croire en ce qui regarde votre corps. Mais je vous supplie d'user de condescendance à l'humble et très-affectionnée prière que je vous en fais. Et me permettez que je [22] vous dise encore, que ce n'est point par défaut d'affection que ma Sœur A. -Marg. ne vous condescend à demeurer, car je sais qu'elle vous honore et estime extrêmement. Je pense que c'est pour ne pas contrevenir à l'obéissance de ceux qui la rappellent ; toutefois elle a tort de vous résister. Je lui réponds ce qu'elle vous dira touchant la confession ; vous le lirez, s'il vous plaît, car il est tout à fait nécessaire de ne donner point sujet de renouveler cette plainte, qui était étendue quasi en toutes les provinces. Elle nous a donné de l'exercice, mais j'espère en Dieu qu'elle s'étouffera tout à fait.

Ma toute chère et bonne Sœur, vivez joyeuse, je vous en prie, et portez gaiement la croix que Notre-Seigneur vous a imposée. Je le supplie d'être votre force et courage et votre éternelle gloire. Recommandez-moi à sa miséricorde, mais je vous en conjure, j'en ai un grand besoin. Je suis de cœur tout entièrement vôtre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Rouen.

LETTRE MDXLVIII - À MONSEIGNEUR ANDRÉ FRÉMYOT

SON FRÈRE, ANCIEN ARCHEVÊQUE DE BOURGES, À PARIS

La Sainte se réjouit de l'espoir de la naissance d'un Dauphin. — Mort de la Mère de Bréchard. — Convalescence de la Mère H. A. Lhuillier ; son dévouement pour l'Institut. — Le voyage de Turin est remis après Pâques.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 27 février 1638.

Monseigneur très-honoré et très-tendrement et uniquement aimé de votre pauvre vieille sœur,

Jésus vous comble de son saint amour et soit éternellement béni. Amen ! J'ai reçu une grande consolation de la vôtre du 26 janvier, que j'ai reçue avant-hier, mon tout bon et très-cher [23] seigneur. Oui certes, car qui ne se réjouirait de la bénédiction que Dieu donne à la France, et en particulier à cette toute humble et sainte Reine [Anne d'Autriche] ? J'exécuterai avec toute promptitude et affection l'honneur de ses commandements, et le désir que vous m'en témoignez avec une si grande bonté et cordiale dilection. Hélas ! quel bonheur, mon très-cher seigneur, s'il plaît à la souveraine Providence remédier aux maux et afflictions de son pauvre peuple, par un secours si favorable et désirable que la naissance d'un Dauphin ! Ce grand Père des miséricordes veuille, par son infinie puissance et débonnaireté, convertir nos espérances en la jouissance du bien qu'il semble nous promettre. Nous lui recommanderons incessamment par nos petites prières, et lui offrirons plusieurs communions à cette intention.

Nous avons, grâce à Dieu, reçu nouvelle de la convalescence de notre très-chère Sœur [Lhuillier] Supérieure de Paris. Hélas ! mon Dieu, mon très-honoré seigneur, que cette affliction nous eût été pesante, après celle que nous avons si vivement ressentie et ressentons du départ de Sœurs et Mères, pour le défaut que nous expérimentons de leur utilité et de la douce consolation que j'en recevais ! Ma Sœur de Bréchard, l'une des trois premières Sœurs qui commencèrent cette bénite Congrégation, trépassa aussi environ un mois après feu notre pauvre très-chère Mère Supérieure[4] ; de sorte qu'en six mois, Dieu nous a ravi trois [24] de nos premières Mères, et en la même année, trois autres Mères qui étaient en vérité des âmes saintes, si qu'en voilà six depuis un an. Si nous ne regardions que la perte que nous avons faite, selon le jugement humain, à la vérité le cœur sécherait de douleur ; mais ce grand Dieu, qui convertit nos maux et nos pertes à sa gloire et à notre plus grand bien, les a tirées à soi pour les rendre, par leurs intercessions, plus utiles à notre Institut ; car sans doute, leur charité qui est maintenant parfaite, les rendra d'autant plus attentives à nous impétrer les secours et bénédictions nécessaires qu'elles voient mieux nos besoins. J'ai celle confiance en cet amour si filial et cordial qu'elles m'ont toujours porté et à leur petite Congrégation, et j'espère que Dieu se contentera pour cette fois et laissera à longues années, s'il lui plaît, ma très-chère H. -Angélique qui, comme vous savez, mon très-cher seigneur, est une âme si digne et si utile et nécessaire à toutes les maisons de France ; car elle se porte sans réserve à les assister en tous leurs besoins. Dieu nous la conserve ; j'en supplie sa bonté, de tout mon cœur. [25]

Nos chères Sœurs du faubourg m'écrivent que vous leur faites l'honneur de ne les point oublier, les visitant souvent, dont elles reçoivent toute consolation. Ce sont certes de fort bonnes Religieuses, et la Mère [M. -Agnès Le Roy] est toute vertueuse et bonne, bien qu'un peu froide, mais c'est son naturel. Je vous les recommande toujours, mon très-cher seigneur ; mais cela est superflu, à vous qui avez un cœur tout paternel pour toutes les Filles de la Visitation. Je voudrais bien que ces chères filles du faubourg eussent un peu plus d'ouverture et de confiance en la première maison, cela leur serait utile. Je sais que la charité y est entière ; mais la cordiale communication leur manque : Dieu la leur donnera, s'il lui plaît, quand il sera temps. Je supplie sa Bonté vous conserver à longues années avec un continuel accroissement en son divin amour. C'est le continuel souhait de celle qui vous honore et chérit plus que sa vie, et qui est de cœur, Monseigneur, votre très-humble, etc.

[P. S.] Depuis cette lettre écrite, nous avons nouvelle que la Bulle de notre passage à Turin est obtenue, avec la liberté de notre retour, de ma compagne et de moi, quand nous voudrons. L'on nous presse fort de partir promptement, mais certes nous ne le ferons qu'après Pâques ; et, Dieu aidant, s'il me donne vie, nous retournerons ici au mois de septembre, au plus tard. Bonjour, mon tout bon et très-cher seigneur. Je bénis Dieu du contentement que vous avez de la petite cantaline[5] : il est tout certain qu'elle ne pouvait pas être mieux élevée qu'elle l'est, grâce à Dieu.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Thonon. [26]

LETTRE MDXLIX - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Divers points relatifs à l'élection de la Supérieure. — La Sainte demande des prières pour la reine.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.[6]]

MA BIEN-AIMÉE FILLE,

Je dis très-humblement votre coulpe de ce que vous avez reçu quelques pensées au préjudice de mon affection, qui est très-sincère et entière, je vous en assure. Si j'ai demeuré longtemps sans vous écrire, c'est que j'attendais la grande lettre que vous m'aviez promise.

Mon Dieu ! ma fille, je m'étonne un peu de la difficulté qu'a faite N. que l'on fît un catalogue pour l'élection. Peut-être ne sait-il pas que les déterminations du Coutumier ont été prises par notre Bienheureux Père, considérées et approuvées par tant de grands prélats qui les font pratiquer en leurs diocèses, et que, véritablement, de mettre toutes les Sœurs d'un monastère sur le catalogue, c'est donner de la perplexité aux esprits. Les Sœurs sont néanmoins en pleine liberté d'élire celles qu'elles voudront qui sont dans le monastère. MM. nos Supérieurs nous font pratiquer céans de mettre la main sur le saint Evangile, après la protestation de foi.

La difficulté que M. N. vous fait de l'entrée de la fondatrice ou bienfaitrice est vraiment une difficulté italienne ; mais pour toutes ces provinces de deçà les monts, cette pratique est universelle en tous les monastères les plus réformés. Il faut [27] tâcher tout doucement d'insérer dans les esprits de ceux auprès desquels nous prenons nos conseils, les maximes de l'esprit de l'Institut, et la pratique qu'en faisait notre Bienheureux Père durant sa vie.

Au reste, ma fille, notre bon Mgr l'archevêque m'écrit qu'étant allé témoigner la joie à la Reine de son heureuse grossesse, elle lui commanda de nous en avertir, afin que par tous nos monastères l'on fit des prières continuelles, à ce qu'il plût à Dieu de donner un Dauphin à la France. Mgr de Bourges ajoute que cette sainte princesse et grande Reine a fait cette demande avec les paroles les plus humbles, douces et courtoises qu'une simple dame aurait su faire, ce qui nous doit servir de grande édification. S'il faut que je joigne ma prière au commandement de cette vertueuse et très-aimable Reine, je vous en conjure au nom de Dieu, et par le saint zèle que nous devons avoir de sa gloire, afin qu'il plaise à Dieu, ainsi que nous l'espérons, de donner un fils à la France pour son bonheur et pour la consolation d'une si digne Reine. Je m'assure que votre charité, et celle de toutes nos chères Sœurs, vous rendra saintement passionnée à obtenir cette faveur du ciel. Je vous en conjure derechef des plus tendres affections de mon cœur qui vous souhaite la perfection du divin amour. Votre, etc.

LETTRE MDL - À LA MÈRE MADELEINE-ÉLISABETH DE LUCINGE

SUPÉRIEURE AU DEUXIÈME MONASTÈRE D'ANNECY

Faire une neuvaine pour obtenir la lumière divine à M. Pioton. — De la prochaine élection du deuxième monastère d'Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Ma très-chère pille,

Je ne veux pas tarder davantage de vous dire que le très-bon M. Pioton nous promit de faire le voyage de Turin, sinon qu'il [28] arrivât ce qu'il ne peut prévoir. Et quant à se lier à l'Eglise, selon votre désir que je lui avais témoigné, il répond qu'il priera toujours Dieu de lui faire la grâce de recevoir en son cœur mes conseils pour commandements, et qu'il s'attend de nos charités l'assistance pour voir et accomplir la sainte volonté de Dieu. Je désire donc, ma très-chère fille, que nous fassions des prières, communions et quelques bonnes œuvres, afin d'obtenir de Dieu la lumière de sa sainte volonté en ce sujet, qui me paraît si propre et utile et si avantageux pour la maison de Turin. Je vous prie donc, ma fille, que ces neuf jours suivants vous ayez une spéciale attention de recommander cette affaire à Dieu, et m'en mandiez, dans quatre ou cinq jours, ce que le cœur vous en dira. — Nous parlons tant avec les Sœurs qui doivent aller avec vous, que je vois que cela leur éclaircit l'esprit, et je les trouve toujours meilleures, me confiant en Dieu qu'il en sera bien servi ; et vous, ma très-chère fille, bien satisfaite, consolée et assistée.

Je pense que notre Sœur l'assistante de là-haut[7] vous aura montré la réponse que je lui ai faite touchant l'élection. J'en ai parlé avec M. le doyen, et crûmes tous deux que pour maintenir le bon état de cette famille, qui est encore naissante et pleine de tant de jeunesse, il était nécessaire de lui donner, pour quelques années, un appui et conduite qui eut de la fermeté dans sa douceur et un peu plus de gravité que votre très-chère Sœur l'assistante n'a pas, laquelle elle pourra cependant mieux prendre. Pour cela, ma très-chère fille, j'ai un peu marchandé ; mais enfin j'ai congédié les autres, le bien de cette petite maison m'étant plus cher. L'on pourra encore mettre sur le catalogue notre Sœur M. A. [de Rabutin] ; mais nous nous verrons d'ici là, Dieu aidant.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [29]

LETTRE MDLI - À LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE DE LA TRINITÉ

PRIEURE DES CARMÉLITES, À TROYES

Demande de prières. — Éloge de la Mère de Châtel. — De l'union projetée entre l'Ordre du Carmel et celui de la Visitation.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, mars 1638.]

Ma très-honorée et très-chère Mère,

Le très-débonnaire Sauveur de nos âmes soit éternellement béni en la douceur de son enfance et aux souffrances de sa sainte Passion ; car nous voici au saint temps de Carême, et je n'ai reçu votre lettre que dès deux jours. Elle m'a certes grandement réjouie, y voyant clairement la sincère et toute cordiale dilection que notre bon Dieu veut que vous ayez pour moi, très-pauvre et chétive que je suis, qui ai un besoin nonpareil de l'aide de vos prières et de celles de vos chères filles, nos bonnes Sœurs. Je le dis très-confidemment à votre cœur, que le mien chérit en Notre-Seigneur de toutes ses forces. Continuez donc à me faire la charité à ce que noire divin Sauveur me tienne de sa sainte main, et me conduise dans le sentier d'un parfait accomplissement de toutes ses volontés, et qu'à l'heure de mon trépas il lui plaise de me recevoir entre les bras de sa divine miséricorde : que si je reçois cette grâce, assurez-vous, ma bonne Mère, que je prierai bien pour vous. Hé, mon Dieu ! faites-nous la grâce, à cette chère Mère très-digne épouse, et à moi votre très-chétive et indigne servante, qu'un jour nous puissions être unies ensemble pour vous louer et bénir ès siècles des siècles, et vivre sans fin de votre divin amour avec la très-sainte Vierge et cette troupe innumérable des Saints. Ma chère Mère, mon Dieu ! quand posséderons-nous ce bonheur ? Quand reverrons-nous nos bienheureux Père et Mère, et cette troupe de Saints qui ont vécu en nos saintes Congrégations et en notre [30] société ! Oh ! que cette vie est longue et pénible ! Notre chère Mère Supérieure de ce monastère, Péronne-Marie de Châtel, est allée accroître le nombre des nôtres, dont nous avons reçu une douloureuse affliction. C'était une de nos premières Mères, une âme pleine de bonté, de charité, d'humilité, de vraie conduite et de toutes les vertus, et qui était en cette vie toute ma consolation et soulas dans mes besoins ; mais Dieu l'a voulu, son saint Nom soit béni ! Amen.

Je suis bien aise, ma chère Mère, que vous ayez eu ces trois bons serviteurs de Dieu. M. Vincent est un homme rare, de grande et solide vertu. — Je bénis Dieu qui continue le bonheur à nos pauvres Sœurs [de Troyes] d'une parfaite union avec vous. Derechef, je vous demande l'aumône de vos saintes prières. Mon Dieu ! que j'en suis nécessiteuse ! Sa Bonté le sait, et ce qu'il lui plaît me faire souffrir en l'intérieur. Je ne désire point de délivrance, mais grâce pour tout porter en innocence et parfait accomplissement de son adorable volonté.

Ma très-chère Mère ma fidèle amie, je vous remercie encore des images de cette bienheureuse servante de Dieu [Marie de l'Incarnation]. Je bénis l'infinie Bonté qui la manifeste par [des] miracles. — C'est un effet du soin de votre charité pour nous et de celle de notre très-bon et incomparable Père M. le commandeur de Sillery, cette pensée d'union entre nos maisons ; vraiment je la désire de tout mon cœur. Mais vous êtes nos très-chères Mères et les aînées de la glorieuse et très-sainte Mère de Dieu, prescrivez-nous comment cela se doit faire, et les pratiques d'union qu'il conviendra pour nourrir et rendre utile un si grand bien. J'attendrai votre ordre, et cependant je prie Dieu de vous combler de son pur amour, et toutes nos chères Sœurs, vos filles. Votre, etc. [31]

LETTRE MDLII - À MONSEIGNEUR BENOIT-THÉOPHILE DE CHEVRON-VILLETTE

ARCHEVÊQUE DE TARENTAISE, À MOUTIERS

Témoignages de respect et de reconnaissance

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 7 mars 1638.

Monseigneur,

Il est vrai que tout est disposé pour notre passage à Turin ; mais néanmoins nous ne partirons qu'après Pâques.[8] Je vous remercie très-humblement, Monseigneur, des bons souhaits qu'il plaît à votre bonté de faire sur ce dessein, que je prie Dieu vouloir être à sa seule et pure gloire, comme aussi celui que je vois que votre piété désire toujours de voir accomplir en votre ville, ce qui nous est une continuation des obligations que nous vous avons, Monseigneur. Ensuite de quoi, nous tâcherons d'obtenir de Madame Royale les recommandations nécessaires, afin que les fruits et mérites de celle bonne œuvre soient ajoutés à tant de saintes et charitables actions que Votre Seigneurie Illustrissime l'ait continuellement. Que si Dieu nous donne vie, et que nous retournions par la Valdotte [Val d'Aoste], nous recevrons votre sainte bénédiction, Monseigneur, et jouirons de l'honneur et consolation de votre chère présence, ce que je souhaite de tout mon cœur, vous honorant avec tout le respect et affection possibles. Et baisant en toute humilité vos mains sacrées, je prie Dieu combler Votre Seigneurie Illustrissime de ses plus riches grâces, et vous donner quelque souvenir en vos saints sacrifices de celle qui est et sera sans fin, Monseigneur, votre, etc. [32]

LETTRE MDLIII - SANS ADRESSE

Affaires d'intérêt.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 19 mars 1638.

Messieurs,

L'envie que nous avons de vous témoigner notre affection à vous servir, quand Dieu nous en donnera les moyens, nous aurait fait embrasser l'occasion de le faire par le moyen de nos Sœurs du second monastère de cette ville, lesquelles devant recevoir dans peu de jours six mille francs qui leur sont dus à Paris et lesquels elles doivent en cette ville. Néanmoins nous avons obtenu cela d'elles, qu'au lieu de s'acquitter de cette dette, elles vous la prêteraient, ainsi que notre chère Sœur Anne-Marie Rosset l'enjoint à M. le docteur Rosset son frère ; mais comme il ne vous a pas plu d'agréer la proposition faite, que ce fût moyennant une caution sur ce M. du Genevois, ainsi qu'il avait été déterminé ici par M. notre Supérieur, nous croyons, Messieurs, que vous nous ferez la grâce de nous tenir pour excusées, si nous ne pouvons satisfaire à votre désir, car nous sommes dans l'impuissance de le faire autrement, d'autant qu'étant Religieuses nous ne pouvons disposer de plus de cent écus sans l'autorité de nos Supérieurs.

C'est pourquoi, Messieurs, nous vous supplions d'accepter notre bonne volonté, et de nous continuer votre affection, et nous prierons Notre-Seigneur d'être votre force et consolation avec la même sincérité que nous sommes, Messieurs, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Dôle. [33]

LETTRE MDLIV (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-MARIE BOLLAIN

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

Prière d'adresser ses commissions à Sœur M. A. de Vosery.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 19 mars 1638.

Je salue mon unique et très-chère fille Angélique, et ma pauvre vieille fille que j'aime de tout mon cœur, et lui dis qu'elle n'adresse plus ses commissions à notre Sœur Françoise-Madeleine de Chaugy, mais à ma Sœur M. -Antoinette de Vosery, qui est notre assistante et bien méritante. Bonsoir, mes très-chères filles, toutes, toutes. Dieu nous fasse selon son Cœur et soit béni. Amen. —Jour de saint Joseph.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris.

LETTRE MDLV (Inédite) - À LA SŒUR LOUISE-DOROTHÉE DE MARIGNY

À MONTPELLIER

Elle l'invite à tenir son cœur dans une sainte joie.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 3 avril 1638.

Ma très-chère fille,

Je n'ai voulu laisser passer une occasion si bonne, de cet honnête homme qui s'en va droit à vous, sans vous faire ce petit mot, bien qu'il n'y ait pas longtemps que je vous ai écrit et répondu à vos lettres ; et je vous reconfirme encore par celle-ci tout ce que je vous ai dit par les miennes dernières. Je vous prie, ma très-chère fille, de vous tenir joyeuse parmi ces saints jours de la Résurrection, qui nous portent tous à la sainte joie, [34] et de me recommander tout particulièrement à Notre-Seigneur, afin que sa très-adorable volonté soit accomplie en nous. Ne m'oubliez donc pas, je vous en conjure, en vos bonnes prières, et croyez, ma chère fille, que mon cœur vous chérit cordialement, et vous souhaite les mérites de la très-sainte mort et douloureuse Passion de Notre-Seigneur, auquel je suis plus que je ne puis dire, votre très-humble, etc.

[P. S.] Ma très-chère fille, au nom de Dieu, faites bien ce que je vous ai dit par mes dernières.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDLVI - AU RÉVÉREND PÈRE BINET

PROVINCIAL DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

La pauvreté est le trésor des servantes de Dieu. — On ne doit pas recevoir un plus grand nombre de jeunes filles que celui permis par le Coutumier, et ne pas les admettre au noviciat avant l'âge de quinze ans.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Mon révérend et très-cher père,

Le Saint-Esprit remplisse votre âme du don précieux de son amour ! Je loue l'infinie Bonté de la satisfaction que Votre Révérence et vos concitoyens ont de nos chères Sœurs. Mais combien est grande l'obligation que nous avons à votre bonté ! Certes, je ne saurais exprimer les sentiments que j'en ai. Ne craignez point, mon très-cher Père, que nous nous plaignions jamais de la pauvreté : c'est la richesse des servantes de Dieu et leur trésor le plus précieux. Car, y a-t-il quelque bien comparable à celui d'attendre tout de la Providence de Dieu, de recevoir de sa main paternelle toutes nos nécessités ? Non certes, mon très-cher Père ; c'est pourquoi nulle apparente [35] nécessité ne nous fera reculer du service de Dieu, moyennant sa grâce.

Mais quant à la réception d'un plus grand nombre de jeunes filles que l'Institut ne porte, oh Dieu ! mon cher Père, je vous supplie de ne point laisser entrer ce désir dans votre âme ; car nous devons tant de respect à votre jugement et de soumission à votre volonté, que ce nous serait un tourment d'être contraintes par notre premier devoir de vous éconduire ; mais je vous le dis eu toute sincérité. Mettez-vous donc de notre côté, mon cher Père, afin de nous fortifier en l'observance des choses que nous avons reçues de notre bon seigneur et Bienheureux Père, lequel n'accorda pas à Mgr de N. une semblable requête, que celle que Messieurs de votre ville nous font, ains la divertit par prières et remontrances. Enfin, plusieurs bonnes considérations firent conclure à ce bon seigneur que l'on n'en recevrait que trois ; de sorte que pour rien au monde, sous aucun bon prétexte, nous ne contreviendrons à cette loi. Mais je vous dirai, mon très-cher Père, que si les parents veulent envoyer leurs filles au parloir, nos Sœurs les aideront et instruiront le mieux qu'il leur sera possible. Pourvu qu'elles soient en petit nombre, je crois que cela ne nous serait pas nuisible, et l'on pourrait employer quelque heure du silence à cet office de charité. Voilà, mon très-cher Père, ce que nous pouvons pour ce regard.

Je mande à notre Sœur la Supérieure de notre maison de N. qu'elle considère les raisons que Votre Révérence nous marque et l'avancement des filles en ce pays-là, que notre bon seigneur et Père eût facilement accordé que le nombre de trois fût accru ; car si elles ont le jugement et la force de corps à treize ans ou à douze, que celles de ces quartiers ont à quinze ans, cela suffit pour commencer à les former en la vraie vertu. Je pense toutefois qu'il ne faut pas mettre trop de ces jeunes filles ensemble ; mais la discrétion de la Supérieure, avec votre sage conseil, [36] usera en cela de modération requise pour rendre cette liberté utile et non dommageable. De les admettre au corps de la Congrégation, par la réception à l'habit avant quinze ans complets, ce nous est chose impossible, parce que la Constitution est absolue ; et même notre bon seigneur et Bienheureux Père me dit encore à Lyon qu'il la fallait garder étroitement, et que les longs noviciaux ralentissent la ferveur. Au reste, mon cher Père, je vous dis derechef que je suis fort consolée de la satisfaction que vous recevez de nos bonnes Sœurs. Oh ! qu'elles sont heureuses d'être filles de la divine Providence ! En cela doit être leur repos ; et puis votre soin paternel leur étant acquis, rien ne leur manquera. Que s'il leur manquait quelque chose, en cela même je m'assure qu'elles accroîtraient leur consolation et confiance. Bienheureuse l'âme qui attend tout de Dieu et n'a point d'autre richesse ! Mon très-cher Père, croyez que sans aucune réserve nous sommes dédiées à Notre-Seigneur, et que je suis votre, etc.

LETTRE MDLVII - À LA MÈRE FRANÇOISE-GASPARDE DE LA GRAVE

SUPÉRIEURE À BOURGES

Ligne de conduite à tenir lorsqu'on se trouve obligé de défendre des intérêts temporels.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Je vous assure, ma très-chère fille, que la pacification de vos affaires m'a apporté grand sujet de bénir Dieu. Enfin, cette douce Bonté nous éprouve par de petites afflictions, afin de nous mieux faire connaître son assistance, et nous donner plus de goût dans l'entier abandonnement que nous avons fait de toutes choses entre les mains de sa Providence. Oh ! quel repos et assurance, ma très-chère Sœur, d'être logées sous ce tabernacle ! Dieu nous fasse la grâce d'y habiter éternellement ! Le Révérend [37] Père recteur nous assure que vous étiez obligée de vous défendre, et que cela n'était point contre l'esprit de notre Bienheureux Père ; quoique je lui objectasse ce que Notre-Seigneur dit : « À qui te veut ôter ta robe donne encore ta tunique. » Cette parole de saint Paul me revient souvent : « Ne vous défendez point, mes bien-aimés. » Mais ils disent que cela ne se doit pas entendre pour les biens de l'Eglise, autrement on la dépouillerait, et que votre affaire ne regarde pas votre particulier, mais celui des filles que Dieu vous a commises, de sorte qu'après avoir fait les objections nous devons suivre le conseil de ceux qui entendent les intentions de Dieu en ses paroles. Je me confie si fort en votre vertu que je m'assure que vous demeurerez ferme dans les termes de la vraie charité et douceur chrétiennes. Je pense que vous deviez faire prier ces bonnes dames de ne vous point travailler par justice, et leur offrir de remettre votre différend au jugement de Monseigneur N. et de M. N. Enfin n'oubliez rien pour accommoder l'affaire par douceur, et ne vous embarquez pas en procès sans bien faire consulter. Dieu sera votre conseil en cette affaire. Ma très-chère fille, demeurez bien en paix et en ferme confiance ; et croyez que celui qui sera le plus humble et charitable, sera le mieux logé. Votre, etc.

LETTRE MDLVIII - À LA MÈRE MADELEINE-ÉLISABETH DE LUCINGE

SUPÉRIEURE AU DEUXIÈME MONASTÈRE D'ANNECY

Élection de la Mère M. A. de Rabutin au monastère de Thonon.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, mai 1638.]

Ma toute très-chère fille,

Il m'est avis qu'il y a longtemps que je ne vous ai écrit. Hélas ! je crois que vous savez comme nos Sœurs de Thonon ont élu notre Sœur M. -Aimée [de Rabutin]. M. le doyen la [38] leur a accordée, et certes la conscience nous a pressées de ne pas la refuser. La souveraine Providence pourvoira d'ailleurs votre chère petite maison, quand elle en aura besoin. Je ne laisse de ressentir la mortification qu'en recevront ces bons cœurs qui la désiraient. Demain de grand matin elle vous ira voir avec ma Sœur l'assistante, et reviendront le soir, s'il vous plaît, car il y a tant d'affaires ici, à cause que notre Sœur l'assistante va un peu mettre en ordre les affaires des livres de Thonon. Elles vous diront tout ce que je ne puis écrire. Seulement, j'avais pensé de vous proposer que, puisqu'il y a apparence de n'aller à Turin qu'au mois de septembre, que vous regardiez s'il vous semblera plus utile de vous envoyer la petite [Sœur] de Saint-Innocent avec notre Sœur J. M. pour voir comme elle se comportera au noviciat, sur quoi vous veillerez pour la dresser ; car elle a un merveilleusement bon cœur en toute façon. Voyez donc, ma fille, avec nos Sœurs, ce qui vous semblera le mieux pour votre maison ; car je ne veux que cela, et que vous priiez pour celle qui vous chérit de cœur et vous souhaite les dons précieux du Saint-Esprit à toutes.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDLIX - À LA MÈRE MARIE-SUZANNE BAUDET[9]

SUPÉRIEURE À NEVERS

Conseils pour le gouvernement de sa communauté. — On ne doit pas permettre aux dames bienfaitrices d'avoir des chiens et des oiseaux dans l'intérieur de la maison. — Ne pas excéder le nombre de Religieuses prescrit par la Règle.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 30 mai 1638.

Ma bonne et chère fille, Puisque Dieu vous voulait employer au gouvernement d'une maison, Il vous a bien gratifiée, vous donnant à conduire celle de [39] Nevers, qui est véritablement pleine de paix et bénédictions. Par-dessus les regards de votre incapacité et de la pesanteur de votre charge, jetez votre vue et votre confiance en Dieu : si vous ne cherchez que sa gloire et le bien des âmes qu'il vous a commises, sa Bonté gouvernera elle-même et portera votre propre fardeau. Vous n'avez à faire, ce me semble, ma chère fille, qu'à maintenir votre communauté au train où vous la trouvez. Gardez-vous de la tristesse : c'est un défaut des plus notables en une Supérieure. Notre Bienheureux Père me dit un jour que les plus désirables conditions d'un bon pasteur, c'était l'humilité, la sainte joie et la douceur. Soyez donc bien humble et bien joyeuse, ma chère fille, et vous serez capable de conduire le troupeau que Notre-Seigneur vous a confié. Prenez volontiers conseil de ma chère Sœur la déposée [A. -Bénigne Joquet]. Quand vous n'auriez que cet appui-là, vous n'avez point de sujet de vous serrer le cœur, ains de vivre avec une grande paix ; et je vous en conjure de toute mon affection.

J'ai été bien consolée de la grande satisfaction que vous me [40] témoignez avoir reçue, voyant ma fille de Toulonjon et sa petite famille. Il est vrai, cette fille est bonne, et ses deux enfants fort aimables. Je vous prie de les recommander souvent à Notre-Seigneur, afin que sa Bonté les accroisse en grâces et bénédictions célestes. — Oui, ma fille, c'est aux bienfaitrices qui ne font pas leur résidence ordinaire dans le monastère, à qui l'on doit limiter les entrées et sorties ; c'est pourquoi vous n'avez point fait de mal de ne les pas limiter à cette dame. Quand les bienfaitrices veulent avoir des petits chiens ou oiseaux dans la maison, il les faut renvoyer à la Constitution qui le défend absolument, et ne dit pas seulement que les Sœurs n'en auront point, ains qu'il n'y en aura point dans la maison.

Vous faites un grand bien à votre communauté de bâtir le monastère : suivez en cela l'avis de ma chère Sœur Anne-Bénigne. Je vois que notre bon Dieu vous envoie pour cette entreprise de bons secours ; qu'il en soit béni ! Si nous avions seulement la moitié de cela pour nos chères Sœurs de la seconde maison, elles seraient trop glorieuses ; mais il se faut contenter de notre petitesse parmi l'âpreté de nos chères montagnes. Si vous pouvez vous établir à [La Châtre], j'en serai bien aise, m'assurant que vous aurez grand soin du fondement temporel et spirituel ; je ne peux être en peine ni de l'un ni de l'autre, tant j'ai d'estime de votre maison. Mais, ma chère fille, si vous n'avez pas apparence ni espérance de faire dans quelque temps cette fondation, pour l'amour de Dieu, honorez grandement les ordonnances de votre Institut, n'excédant point le nombre des Religieuses. Il est vrai qu'il y a certains sujets si dignes qu'on ne les peut éconduire ; mais comme ils sont rares, ils ne surchargent pas. C'est notre bonheur de nous tenir en tout fermes à l'observance, et c'est la grâce que je souhaite à nos chères Sœurs, que je salue du même cœur que je suis votre, etc. [41]

LETTRE MDLX - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Souhaits de bénédictions pour la réussite de ses projets.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 13 juin [1638],

Mon très-honoré Et très-cher Père,

J'emploie ce moment tout à la hâte pour vous dire que j'ai vu le petit livret des règlements faits pour votre chère Congrégation[10] : tout cela est saint et merveilleusement bien digéré. Dieu, par son infinie bonté, veuille donner la grâce d'une parfaite observance à ceux qui seront si heureux que d'être appelés à une manière de vie si sainte, et destinés à des emplois tant utiles à la gloire de Dieu et au salut des âmes ! Mon très-cher et vrai Père, je crois que notre bon Dieu récompensera de grandes bénédictions votre chère âme pour ce service si digne, pour lequel vous avez eu tant de travaux et de si grandes dépenses, tout cela sera bien mis en compte par le divin Trésorier, que je supplie de répandre, de plus en plus ses divines grâces sur votre chère âme, mou vrai et très-cher Père, et que vous priiez sa Bonté pour celle qui est de cœur, mon très-honoré Père, votre très-humble, etc.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans. [42]

LETTRE MDLXI (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

La charité qui couvre les défauts du prochain attire de grandes grâces sur les âmes. — Divers avis.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 23 juin 1638.

Ma très-chère fille,

Je vous fis déjà écrire hier et si empressement que je n'eus pas le moyen de vous dire un mot de ma main, et nous n'en sommes pas moins pressée aujourd'hui.

Je serais très-contente que notre chère Sœur l'assistante demeurât encore quelque temps auprès de vous ; mais personne de céans ne sait rien dire sur les affaires qui surviennent, ni même M. Duret ; car il dit que notre Sœur l'assistante ne l'appelle que pour les traités et non pour les conclusions. Enfin, quand je l'envoie appeler, il est aussi ignorant que moi ; je crois que c'est qu'il manque de mémoire. Je me console, en bénissant Dieu, des remarques que vous me faites de nos Sœurs. Croyez que cette charité à couvrir les défauts d'autrui attirera de grandes grâces sur elles, et cette bonne volonté ne sera pas sans fruit. Hélas ! c'est une vigne en friche que Dieu veut que vous répariez par l'assistance de sa grâce et de celle de sa sainte Mère et de notre Bienheureux Père. L'amour, la crainte et la sincérité qu'elles ont pour vous sont des bons fondements ; mais, ma très-chère fille, conservez vos forces, et surtout votre esprit en joie et courage. J'écris au Père Pierre une bonne lettre, afin qu'il vous aide : il le fera ; puis M. Quêtant fera prou. Et faut que vous tâchiez de gagner par quelque témoignage de confiance la Sœur N. afin qu'elle aide aux affaires de dehors ; petit à petit elle reviendra.

Nous vous enverrons quelque chose pour votre estomac ; [43] mais, pour Dieu, ne faites rien qui le gâte, et faites ce qui lui sera utile. — Je parlerai, Dieu aidant, demain à M. Quêtant, qui dira notre sainte messe et dînera céans. — Il me semble qu'il ne faudrait point faire la visite [canonique] chez vous sitôt, que les filles ne fussent mieux éclairées et dressées, et que vous eussiez plus de connaissance d'elles. Vous aviserez avec ma Sœur l'assistante quelle des filles vous désirerez que l'on vous renvoie par les chevaux qui l'amèneront ; l'on vous en écrivit hier au long. — Il faut doucement excuser ma Sœur C. C, et certes supporter le surplus. Quelquefois les gens du monde grossissent bien les fautes des Religieuses. Dieu soit votre conduite, ma toute chère fille ! Tenez votre cœur haut en Dieu et en sa sainte Mère, et le priez pour moi, qui vous souhaite leurs plus chères grâces et suis de cœur tout à fait vôtre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDLXII - À LA MÈRE CATHERINE-ÉLISABETH DE LA TOUR

SUPÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ DE CHAMPLITTE RÉFUGIÉ ! À GRAY[11]

Cordiales salutations de quelques Sœurs d'Annecy. — La Sainte prie cette Supérieure d'agir avec suavité et charité dans la conduite d'une affaire.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Ma très-chère et bonne Mère, Nous n'avons le temps que de vous saluer de cœur ; car l'on commence à faire le paquet pour Fribourg où on l'adresse. S'il plaît à notre bon Dieu, nous [44] prendrons un jour la consolation de vous écrire un peu amplement. Notre très-digne Mère continue à se bien porter, Dieu merci, au moins selon ses incommodités ordinaires ; elle a, pour le présent, le rhume, mais il commence à se passer. Votre pauvre Sœur, J. -Thérèse Picoteau.

Ma très-chère Mère, Vous connaissez bien que c'est à la hâte que nous écrivons, et l'affection que nous avons pour Votre Charité fait que nous avons voulu écrire un mot chacune de sa main, aussi bien que nous souhaiterions avoir le loisir de vous écrire ; mais ce saint prêtre qui nous a averties (car je suis portière) qu'il allait à Fribourg, ne nous donne du temps que pour vous assurer que je suis toute vôtre, mais sans réserve, très-humble. Sœur M. -Françoise de Corbeau.

Ma très-chère et bien bonne Mère, Voici la lettre de la petite communauté qui se trouve dans la chambre de notre très-digne Mère, qui se porte bien, grâce à Dieu, après avoir été travaillée du rhume. Béni soit Notre-Seigneur qui nous fait garder la chère conversation de cette unique personne. Le voyage de Turin est toujours au même point. Une autre fois nous dirons plus de nouvelles. Notre chère Sœur M. -Aimée est Supérieure à Thonon et notre chère Sœur l'assistante l'est allée mener en son nouveau ménage. Nous avons ici ma Sœur Claude-Catherine et ma Sœur M. -Madeleine de Mouxy qui est hydropique. Pour l'amour de Dieu, ma très-chère Mère, envoyez-nous [l'histoire de] votre fondation, bénédictions et afflictions, et croyez que je supplie le glorieux saint Joseph qu'il vous obtienne mille bénédictions. Sœur Françoise-Madeleine de Chaugy.

Puisque je me trouve en cette petite communauté, ma très-chère Mère, je prendrai ma part de la consolation de vous saluer très-humblement et très-chèrement, en me plaignant de quoi nous sommes privées de vos nouvelles. C'est bien sans loisir, [45] mais non sans affection que je fais ce petit mot à Votre Charité. Sœur M. -Gasparde d'Avise.

[De la main de la Sainte.] Et moi, chétive, qui suis l'indigne Mère de cette petite communauté aussi bien que de la grande, je dis que ma très-chère Sœur Catherine-Élisabeth est l'une des très-chères filles de mon cœur. Je la supplie derechef de traiter avec la chère Mère de Besançon en sorte que la suavité et charité surnagent en toute la conduite de cette affaire. Dieu soit béni éternellement Amen. Et sa sainte Mère. Amen.

M. Marcher veut aussi être de cette communauté, et nous a mandé dire de saluer tant chèrement Votre Charité de sa part.

LETTRE MDLXIII - À LA MÊME

S'accommoder charitablement avec la Supérieure de Besançon. — Estime pour le B. Pierre Fourier.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 25 juin [1638].

Ma très-chère et bien-aimée fille,

Il n'est pas moyen que je perde cette tant précipitée occasion sans saluer, par ce billet, votre cher cœur et lui souhaiter mille et mille bénédictions.

Suivant la lettre de votre bon Père spirituel, je viens d'écrire à la Mère de Besançon, afin qu'elle n'aille pas faire la fondation de Gray tandis que vous y êtes ; c'est un bon cœur et doux qui se plie facilement. Il faut vous accommoder charitablement et suavement ensemble, comme vraies filles de Dieu et de la Visitation. — Quant à cette parente de M. d'Andelot, je ne sais que vous en dire, sinon que si elle a les dispositions de l'esprit, et que votre conscience vous permette de la recevoir, je serai consolée que ce bon seigneur reçoive cette satisfaction de nous. [46] — Adieu, ma bonne et très-aimée fille, priez, je vous supplie, pour moi, qui suis d'un cœur plein de dilection tout à fait, etc.

[P. S. De la main d'une secrétaire.] Ma très-chère fille, je fais un mot de [réponse] à M. votre très-digne Père spirituel.[12] Je vois par sa lettre pleine de suavité pour mon cœur, que c'est un trésor pour votre maison. O Dieu ! il le faut conserver comme la prunelle de nos yeux ! Pour moi, je l'aime intimement. Mon Dieu ! que ces occasions si pressées pressent le cœur de mortification à celle qui, comme cette secrétaire, voudrait bien entretenir la chère et très-aimée Mère de Gray. Mille et dix mille bonjours.

[De la main de la Sainte.]Mon Dieu ! ma très-chère fille, que j'ai reçu de consolation et d'édification de la lettre de M. votre bon Père spirituel ! Vous avez là un grand trésor ! — Ma fille, je trouve bien juste que, puisque vous êtes là, vous fassiez la fondation ; mais certes au soulagement de la maison de Besançon qui en a fait les poursuites et obtenu licence, et d'autant plus que ce monastère est pauvre et fort chargé. Il faut que tout cela se fasse avec grande douceur et charité pour la maison de Besançon. Ma fille, je suis vôtre de cœur ; priez pour moi. [47]

LETTRE MDLXIV - À LA MÈRE JEANNE-SÉRAPHINE DE CHAMOUSSET[13]

SUPÉRIEURE À AOSTE

La Sainte applaudit à l'élection de cette Supérieure ; comment exercer sa charge.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Ma chère fille,

Puisque la divine Providence vous a commis le soin de cette famille, travaillez avec un esprit de force et de persévérance autour de ces âmes, afin que le divin Sauveur règne en elles, et que l'exacte observance soit gardée par toutes. Et pour faire réussir ce dessein à la gloire de Dieu, portez vous-même la lumière du bon exemple devant toutes, vous appuyant en la grâce et en l'assistance de Notre-Seigneur, par une très-humble confiance que sa Bonté fera en vous et par vous tout ce qui sera [48] requis pour le bien de ces âmes. Notre béni Sauveur soit loué qui vous a commis cette chère troupe, que sa Bonté conduira, j'espère, par votre entreprise, fort heureusement : vous n'avez besoin que de vous tenir en sa sainte main par une très-humble et fidèle confiance, et voir souvent votre pauvre incapacité pour cela ; car l'esprit de Dieu repose sur le cœur humble et qui craint ses paroles. Inculquez souvent ces deux saintes vertus d'amoureuse crainte et profonde humilité ; c'est le nécessaire fondement pour le salut et la perfection. Et, avec cela, faites-les marcher généreusement et exactement dans la voie de l'observance, et que jamais elles ne soient oisives.

Extraite de l'Histoire de la fondation du monastère d'Aoste.

LETTRE MDLXV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Notre-Seigneur prend soin de la perfection de la Supérieure quand elle travaille à le faire régner dans le cœur des Religieuses.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 30 juin 1638.

Ma très-chère fille,

Personne ne fait pour moi mes recommandations, c'est de tout mon cœur que je les fais moi-même, et vous dis que vous n'ayez aucun soin de vous-même en particulier, je dis de votre perfection. Notre-Seigneur l'aura, tandis que vous travaillerez à le mettre dans le cœur de ces pauvres Sœurs ; mais souvenez-vous d'aller tout doucement en cette besogne et de vous tenir joyeuse et au-dessus de tout. Je suis vôtre.

Ma très-chère fille, je vous écrirai au premier jour ; cependant soulagez-vous parmi votre grand tracas et durant ces [49] grandes chaleurs. Laissez-vous soigner, car je sais que vous en avez besoin. Mortifiez-vous en cela, et Dieu soit béni.

Ce billet est formé de deux post-scriptum ajoutés par la Sainte à des lettres que Sœur J. -Th. Picoteau adressait à la Mère de Rabutin. Les originaux sont gardés aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDLXVI - CIRCULAIRE ADRESSÉE AUX SUPÉRIEURES DE LA VISITATION[14]

Envoi du Coutumier ; désir d'en voir la pratique solidement établie dans l'Institut. — Promesse de communiquer bientôt à tous les monastères les Vies des Sœurs défuntes, les Fondations, les Méditations, les Petites Coutumes et plusieurs points omis dans les Entretiens de suint François de Sales.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 4 juillet 1638.

Ma très-chère fille,

Je bénis Dieu qui me donne le contentement, avant mon départ de cette vie, selon le grand désir que j'en avais, de distribuer à nos monastères le Coutumier nouvellement réimprimé, et qui est augmenté de plusieurs éclaircissements nécessaires en la déclaration plus spéciale des intentions de noire Bienheureux Père, dont nous avions ici la science et pratique ordinaire, selon les occasions et nécessités. Et ne me reste, pour le comble de mon désir en ce sujet et pour ma consolation, que le témoignage que j'attends de la bonté cordiale de nos très-chères Sœurs les Supérieures et de leurs bénites familles, qu'elles embrasseront amoureusement l'exacte et fidèle observance, sans jamais s'en départir d'un seul point, non plus que de nos saintes Constitutions. Après cela, il me semble que je dirai de bon cœur, en l'espérance de la divine miséricorde : « Seigneur, laissez aller votre très-indigne servante en faix. » Et, afin que cette grâce m'arrive, je vous conjure, ma très-chère fille, et toutes [50] nos chères Sœurs, d'implorer sans cesse sa douceur sur moi, vous assurant que, tandis que sa Bonté me lairra en cette vie, je continuerai à vous servir, et mourrai, moyennant sa sainte grâce, en aimant parfaitement vos dilections. Et vous souhaite, pour comble de bonheur, à toutes en général, l'intime union de vos âmes avec Dieu, et la très-sincère et cordiale [union] entre vous, par la parfaite observance de tout ce qui nous est marqué, vous assurant que je suis, d'une affection très-sincère, etc.

[P. S.] Ma très-chère fille, j'ai pensé que je vous devais dire encore que la cause pourquoi l'on a retardé jusqu'à présent de distribuer le Coutumier, c'a été pour l'amour de toutes ces petites tracasseries et censures que l'on nous a faites, ainsi que je vous l'écrivis l'an passé. Il me l'a fallu tout revoir : et Mgr de Sens, qui est un saint prélat, auquel nous avons des obligations incomparables, a pris la peine de le relire mot à mot, sur les mémoires que je lui envoyai, afin que, comme dit notre Bienheureux Père, lorsqu'il revit les Constitutions, nous ne laissions rien qui puisse donner matière de picoter et tracasser aux esprits qui se plaisent à cela. Au reste, ma très-chère fille, j'espère que, d'ici quelques mois, Notre-Seigneur me fera la grâce de vous communiquer encore les Vies de nos chères Sœurs défuntes, les Fondations, les Méditations, que l'on a extraites des écrits de notre Bienheureux Père pour les solitudes annuelles, et encore nos Petites Coutumes de ce monastère, et plusieurs bons points qui ont été omis dans ses Entretiens imprimés, et que j'ai fait ramasser soigneusement du bon manuscrit que nous avons céans ; car je désire vous communiquer absolument tout ce qui est du Bienheureux et de l'Institut, afin que les Filles de la Visitation vivent toutes du bon et suave pain de cette sainte et pure doctrine, incomparablement profitable à leurs cœurs. Dieu soit béni.[15] [51]

LETTRE MDLXVII[16] (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-HENRIETTE DE PRUNELAY

SUPÉRIEURE À RENNES

On doit être très-réservé dans les communications avec le dehors. Maxime de saint François de Sales à ce sujet.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 4 juillet 1638.

Ma très-chère fille,

Ma dernière lettre vous aura été rendue, qui répond à celle que je reçus encore l'autre jour de vous, sur le sujet des tracasseries que l'on vous fait sur les confessions et conduite intérieure de votre maison. Vous n'avez pas été seule en ce sujet. Personne ne m'a écrit ni parlé que vous de ces mémoires. Enfin vous avez Dieu pour vous, puisque la sainte paix règne dans votre communauté. Laissez aboyer les mâtins dehors tant qu'ils voudront : qu'ils clabaudent, ils ne vous mordront pas ; Dieu les en empêchera. Pour cette défense que Mgr de Tours a faite, que l'on ne vous assistât point, je crois que si Mgr de Rennes est d'intelligence avec lui qu'il la fera bientôt lever ; sinon il faudra employer quelque prélat ou autre personne qui ait crédit vers lui. Ma Sœur la Supérieure de Paris ou celle du faubourg vous pourront servir en cela. J'en écrirai à celle de la ville, qui est fort affectionnée à servir nos monastères. Je voudrais que vous lui fissiez savoir comme ces bons Pères vous traitent, et le sujet. Mon Dieu ! qu'il nous est nécessaire de n'avoir point ou peu de communication, sinon avec nos bons Supérieurs ! Que si quelquefois la nécessité le requiert, certes il faut bien choisir les Pères de Religion ; qu'ils soient affectionnés, capables, qu'ils [52] connaissent et estiment l'Institut et de bonne intelligence avec les Supérieures. Tant qu'il se peut, ma fille, il faut observer les maximes de notre Bienheureux Père : il disait « qu'il fallait être ami de tous et familier de peu ; que tant qu'il se pouvait, il ne fallait déclarer personne être nos ennemis, s'entretenir de tous tant qu'il se pouvait, et que personne n'eût sujet de se tenir offensé de nous. Il faut faire pour cela ce que l'on peut, mais droitement, regardant toujours Dieu ; que pourvu que sa Bonté soit pour nous et avec nous, que nous devions demeurer en paix, quand bien il permettrait que tout le monde se bandât contre nous. »

Je suis certes marrie que notre Sœur la Supérieure d'Orléans ne corresponde pas à votre dilection : ne laissez pas de persévérer ; ce que je vous dis, m'assurant que vous serez reçue. — Les Ursulines qui se sont séparées de leurs bons prélats s'en repentiront à loisir. Dieu nous fasse la grâce que tel malheur ne nous arrive jamais, mais que toujours ils nous soient vrais Pères, et nous, leurs très-obéissantes et cordiales filles. Je vous porte dans mon cœur, comme ma très-chère fille, que Dieu bénisse et soit béni.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris.

LETTRE MDLXVIII (Inédite) - À LA MÈRE FRANÇOISE-AUGUSTINE BRUNG

SUPÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ DE SAINT-AMOUR RÉFUGIÉE À BOURG EN BRESSE

Éloge de la Mère M. -Aimée de Blonay.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 9 juillet 1638.

Ma très-chère fille,

Dieu et sa très-sainte et divine Providence soit à jamais adoré en tout ! Je ne doute pas que vous ne receviez grande consolation et satisfaction de ma très-chère Sœur M. -Aimée de [53] Blonay ; car, en effet, c'est une âme de très-grande bonté et vertu, et à laquelle vous pouvez avoir une entière confiance et franchise. C'est un grand honneur à la communauté de Bourg de l'avoir pour Supérieure, et vous et votre communauté en serez aussi participantes.

Je suis bien aise que M. Deville et le Père Milieu aient fait votre visite et qu'ils aient vu de quel bois vous vous chauffez, afin qu'ils en fassent le récit à Son Éminence. Je crois aussi bien qu'eux, que, puisque vous êtes séparées,[17] que vous ferez bien de demeurer comme vous êtes, attendant qu'on voie où tous les malheurs de la guerre aboutissent...

Je m'oubliais de vous dire que notre très-chère Sœur Marie-Aimée me mande qu'elle reçoit aussi toutes sortes de satisfactions de vous. Je prie Dieu qu'Il vous comble abondamment des grâces de son saint et sacré amour, avec nos très-chères Sœurs que je salue de cœur. Je suis, ma très-chère fille, votre très-humble, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDLXIX - À MONSEIGNEUR OCTAVE DE BELLEGARDE

ARCHEVÊQUE DU SENS

La Sainte se réjouit d'avoir pu connaître et apprécier la Mère Prieure des Ursulines de Loudun. — Combien il importe à chaque monastère d'avoir un Père spirituel attentif à maintenir l'observance de la Règle. — Utilité de la Visite canonique. — Envoi de reliques de saint François de Sales.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Monseigneur et très-honoré Père,

Nous avons joui, avec beaucoup de douceur et consolation, de la présence de la vertueuse Mère Prieure, votre très-chère [54] nièce[18] ; elle nous est précieuse en cette qualité et pour sa véritable bonté ; mais certes, par-dessus tout pour les grâces que Dieu opère en elle, où Il a manifesté sa puissance et ses miséricordes, et nous a voulu consoler, de faire voir au monde le crédit que sa divine Majesté a donné au ciel à notre Bienheureux Père, dont nous lui rendons infinies louanges et actions de grâces. Mon Dieu ! mon très-cher Père, que de merveilles il y a en cette victoire ! Dieu en soit glorifié éternellement !

Je confie beaucoup de choses à cette très-chère Mère pour vous dire, dont elle me fera les réponses, pour vous exempter des longues lettres, car je sais la multitude de vos occupations ; mais je bénis Dieu qu'elles sont toutes pour sa gloire et le service de sa très-sainte Eglise. Il n'y arien à désirer, sinon que la divine Bonté montre par vous sa toute-puissance par-dessus l'humaine, et qu'elle vous conserve longtemps pour sa gloire et le bien d'infinies âmes, particulièrement pour notre bonheur et conservation de ce pauvre petit Institut, notre très-bon et vrai Père ; car il le faut, s'il vous plaît, que vous en soyez cela et le protecteur. Je sais et je sens que cette affection est dans votre cœur ; plût au bon Dieu qu'elle fût ainsi dans le cœur de tous Messeigneurs nos prélats ! Vous savez qu'il est tout à fait nécessaire que les Supérieurs veillent sur nous, et qu'ils sachent à quoi nous sommes obligées, afin de nous le faire observer selon l'esprit de notre vocation. Ceux qui ne sont pas sur les lieux, ou qui ne nous peuvent voir, qu'ils soient plus attentifs de nous donner de bons Pères spirituels, qui surtout prennent garde qu'on observe exactement tous les règlements qui concernent la clôture, l'élection des Supérieures, la réception des filles et leur éducation, les fondations et les visites, et la communication au dehors, surtout à bien choisir ces Pères que l'on appelle pour [55] les confessions extraordinaires. Dieu nous fasse la grâce de nous bien tenir chez nous ! À la vérité, où les Supérieures sont capables, on se peut bien reposer sur elles. Et bien qu'il faille toujours prendre garde et faire les visites annuelles (car, quand cette action se fait comme il faut, elle est d'une grande utilité et tient chacun éveillé), si est-ce que je vois que notre misère est si grande, qu'encore plus souvent l'amour a besoin de l'aiguillon d'une sainte crainte.

Hélas ! mon très-honoré Père, quel bonheur et bénédiction pour moi et pour toute cette famille, si vous fussiez venu ici ! J'en avais quelque douteuse espérance. L'unique consolation que je désire en cette vie, après la grâce de mon Dieu, est d'ouïr vos pensées pour la conservation de ce pauvre petit Institut en son intégrité, sur tant de choses qui arrivent. Il faut faire tout ce qui se pourra humainement, et puis s'en reposer au soin de la céleste Providence- car, puisque c'est son ouvrage, j'ai ferme confiance en sa bonté, et qu'elle en aura la protection et conservation à cœur, et n'avons besoin que de fidélité à marcher simplement et exactement dans nos observances ; car, par la grâce de Dieu et votre soin et assistance paternelle, tout est fort bien ordonné, sans qu'il y ait rien à censurer.

Mais vous voyez, mon très-bon Père, comment les inclinations naturelles et cette misérable prudence humaine se veulent fourrer partout, et pour tout gâter, si la douce bonté de Dieu ne la renversait. Enfin, nous sommes pauvres, et à chaque [monastère] manque quelque chose. Dieu fasse la grâce à toutes les Filles de la Visitation d'être très-humbles, et je supplie sa Bonté de faire en vous et par vous les œuvres de sa gloire, et continuez-moi la grâce de votre souvenir en vos saintes prières ; j'en ai tant de besoin, et pour mon salut particulier, et pour servir cette chère Congrégation. Ce mot d'encouragement que vous me donnez méfait grand bien. — Je vous envoie les plus précieuses reliques de mon Bienheureux Père, et avec [56] d'autant plus de consolation et affection que cette grosse pierre m'était comme unique, les autres étant fort petites. Vous savez, comme je pense, qu'en la bourse de son fiel, il ne se trouva que des petites pierres, qui sont toutes triangulaires sans exception, ce qui a été trouvé fort considérable. Mon très-cher Père, donnez-moi, je vous supplie, votre sainte bénédiction. Je suis en esprit à vos pieds pour cela ; et baisant en tout respect vos mains sacrées, je vous supplie m'honorer de votre sainte affection paternelle. Monseigneur, votre, etc.

LETTRE MDLXX - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Voyage à Annecy de la Mère Prieure des Ursulines de Loudun. Estime de la Sainte pour cette Religieuse. — Dieu sollicite quelquefois à faire un bien dont cependant Il ne veut pas l'exécution. — Sentiment de saint François de Sales sur le zèle qu'il faut avoir pour entreprendre une bonne œuvre, et l'indifférence à pratiquer quand Dieu en arrête le progrès.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 18 juillet 1638.

Mon très-honoré et cordial Père,

Béni soit éternellement notre très-doux Sauveur, qui tire sa gloire et le bonheur des âmes des choses les plus éloignées et désespérées au jugement des hommes ! Ce sont des merveilles de sa toute-puissante et infinie miséricorde que les choses advenues en cette affaire, et en la personne particulière de la très-chère Mère prieure [de Loudun]. Nous avons vu renouveler les saints et sacrés Noms qui sont imprimés sur sa main, [par le moyen desquels] il a plu à l'incompréhensible Bonté vouloir manifester le crédit qu'il a donné aux intercessions de notre Bienheureux Père.[19] C'est le sujet de notre consolation particulière, dont nous lui rendons mille grâces. Vous avez, ce semble, [57] mon très-cher Père, très-bien remarqué les bonnes qualités que Dieu a mises en la bonne Mère. À la vérité, je crois que c'est une âme de grâce, humble, franche, simple, dans un bon esprit et grande candeur. Il nous semble que sa manière d'oraison est fort bonne et facile et tout à fait solide. Nous avons bien parlé de vous, mon très-cher Père : elle vous honore, estime grandement votre piété, et m'a témoigné toute satisfaction de vous. Mais qui ne le ferait ? car vraiment vous avez un cœur [58] qui se fond tout de cordiale dilection envers ceux que vous aimez, et qui correspondent à votre piété par une réciproque affection, qui soit toute en Dieu et tendante au bien ; car votre chère âme est si ardente, qu'elle s'enflamme de plus en plus en l'approche de celles qui ne cherchent que Dieu. Vraiment, mon tout bon et cher Père, la fête eût été bonne, et notre consolation de toutes et de plusieurs autres personnes d'honneur, si vous y fussiez venu. Mais je n'ose plus espérer ce bonheur et honneur incomparables : la délicatesse de votre complexion, et les bonnes affaires où Dieu vous emploie, m'en ôtent tout espoir. Mais j'ai confiance en l'infinie Bonté et en ses incompréhensibles mérites que nous nous verrons au ciel pour le bénir et louer éternellement. Ainsi-soit-il. Amen.

J'admire, mon très-cher Père, l'ardeur de votre esprit au service de Dieu et à la poursuite de votre perfection : cette grâce est un grand don de Dieu. Ce qui se passe maintenant en ces attraits de vous dépouiller tout à fait des biens de la terre, est une haute pensée qui mérite d'être sérieusement examinée, afin de connaître clairement si elle est inspiration divine et volonté de Dieu, qui veut l'effet absolu, ou seulement disposition d'une volonté et résolution de suivre et faire ce qui sera reconnu clairement être de la sainte volonté de Dieu ; car quelquefois Notre-Seigneur nous sollicite à faire un bien, où Il ne veut toutefois que notre consentement et non le fait. J'ai dit mes pensées tout au long à la bonne Mère [Ursuline], qui vous les rapportera, puisque votre humilité et très-grande bonté veulent que je lui dise avec simplicité et franchise mes sentiments. Je ne suis pas capable de chose si importante, où tout consiste à bien juger et reconnaître par vos mouvements et lumières intérieures ce que Dieu veut : car, quand sa volonté est reconnue, il n'y a rien à douter ni à craindre pour en entreprendre l'exécution ; car sa Bonté donne tout ce qu'il faut pour cela, et dissipe les nuages et toutes difficultés. Nous ferons en nos [59] communautés des prières et communions particulières pour cela : car vous savez combien nous sommes vôtres.

Et pour votre affaire du Temple et la neuvaine, nous ne l'avons pas encore commencée, ayant eu un grand tracas cette semaine pour la multitude de peuple qui est venue voir la bonne Mère Prieure. Nous n'avons quasi point eu de temps pour nous entretenir, bien que nous ayons bien parlé et plusieurs fois de votre affaire du Temple, laquelle paraît être si à la gloire de Dieu, que je ne puis douter que sa Bonté ne la fasse accomplir. C'est chose ordinaire que les contradictions aux œuvres de Dieu ; et plus elles doivent réussir à sa gloire, plus il y a de la contradiction, pour l'ordinaire. Notre Bienheureux Père disait, comme vous savez, mon très-cher Père, « qu'il fallait avoir un courage ferme et de longue haleine pour la poursuite des bonnes œuvres que Dieu nous commettait, sans jamais nous y alentir, tandis que nous y voyons la sainte volonté de Dieu ; mais qu'aussi, quand il lui plaisait que nous en cessassions la poursuite, voire même qu'elles ne réussissent pas, qu'il s'en fallait déporter doucement et tranquillement ». Ce Saint était admirable en cette pratique. Oh ! mon très-cher Père, quand il plairait à Notre-Seigneur que l'affaire du Temple ne passât pas outre, ce que je ne pense pas, toujours sa divine Bouté mettrait en compte le désir et résolution que vous avez eus pour tout ce que vous y avez destiné. Et, outre cela, cette entreprise vous a déjà fait faire mille biens pour le prochain et pour votre chère âme, qui, je m'assure, en est enrichie de beaucoup. Quand ce ne serait que cette dernière action d'humilité et de démission de vous-même, dans la paix et douceur que vous la fîtes, cela vaut mieux et plus que mille autres petites actions.

Oh ! Dieu soit béni, qui nous fait tant de grâces ! Pour l'affaire de notre Bienheureux Père, puisque Dieu y met un juste empêchement, il faut avoir patience et attendre son bon plaisir ; mais quand on pourra faire la poursuite, je ne crois pas qu'il [60] la faille différer pour les craintes des Capucins, mon tout bon et cher Père. — Nous sommes bien pressées de tant d'écritures et de visites, à cause de la bonne Mère. Dieu vous rende tout sien et tout saint, et vous tienne en mémoire de moi devant sa divine Majesté, que je supplie vous conserver ; et vous, mon très-cher Père, de me tenir pour vôtre et sans réserve, car je suis de cœur votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris.

LETTRE MDLXXI - À LA MÈRE ANNE-MARGUERITE CLÉMENT

SUPÉRIEURE À MELUN

La Sainte applaudit à la réélection de cette Supérieure.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Je suis consolée que nos Sœurs vous aient réélue par le seul mouvement du Saint-Esprit ; car, cela étant ainsi, j'ai confiance que Dieu bénira votre conduite. Il est vrai qu'il était nécessaire que l'on se comportât de la sorte dans votre réélection ; mais, je vous prie, qu'il n'en soit plus parlé. Il faut seulement croire que Dieu fait tout pour le mieux.[20]

Extraite de la Vie manuscrite de la Vénérable Mère A. -Marg. Clément. Archives de la Visitation d'Annecy. [61]

LETTRE MDLXXII (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-MARIE BOLLAIN

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

Recommandations au sujet de la santé de la Mère Lhuillier. — Demande de cent exemplaires du Coutumier. — Affaires d'intérêt. — Moyens à prendre pour empêcher une Religieuse de la Visitation d'accepter une abbaye. — Opposition faite à la réélection de la Mère A. -Marg. Clément, à Melun.

VITE † JÉSUS !

[Annecy], 10 juillet [1638].

Ma très-chère fille,

Je ne saurais m'empêcher d'être toujours un peu en peine de ma très-chère Sœur la Supérieure, votre bonne Mère [Lhuillier], dans la surcharge d'affaires que je sais qu'elle a, sachant d'ailleurs la délicatesse et faiblesse de sa complexion, bien que je ne doute point que votre bon cœur, qui abonde en charité et dilection pour elle, n'ait un grand soin de la soulager. Et je vous conjure, au nom de Dieu, ma pauvre très-chère fille, d'y apporter toujours un plus grand soin, et de vous faire soulager vous-même par quelque autre en ce que vous ne pouvez pas faire, sans trop vous accabler et surcharger. Je crois, ma très-chère fille, que vous ne permettez pas à votre bonne Mère d'aller à Matines, ni de se lever le malin [avec la communauté], et qu'avec ce repos qui lui est tout à fait nécessaire, vous avez [62] soin de la faire bien nourrir. L'entière confiance que j'ai que votre bon cœur prend garde à tout cela m'empêche de vous en rien dire : je vous recommande seulement de ne rien omettre de tout ce que vous jugerez être utile ou nécessaire à son soulagement.

Certes, je suis un peu touchée de ce que les monastères ont si peu de reconnaissance des charités continuelles que vous exercez pour eux, ès commissions si fréquentes qu'ils vous donnent ; mais il faut avoir patience et souffrir cela doucement, car, ma très-chère fille, moins vous en aurez de gratitude et reconnaissance des créatures, plus vous en recevrez de grâces et de bénédictions de Notre-Seigneur. Je dis un mot sur ce sujet à l'épître seconde du Coutumier, qui fera un peu rentrer nos Sœurs en elles-mêmes. Et j'ai été bien aise aussi que votre bonne et très-chère Mère en ait touché quelque chose dans la lettre qu'elle a écrite aux Supérieures, parlant de l'homme que vous avez été nécessitées de prendre pour suppléer à l'expédition des affaires extraordinaires qui vous arrivent de la part des maisons. — Nous avons reçu le Coutumier par la bonne Mère Prieure de Loudun. J'ai déjà écrit comme les trois articles marqués dans le vôtre, qui sont rajoutés, vont fort bien. Je ne suis marrie que de cette grande quantité de fautes que l'imprimeur y commet ; car cela est un peu mortifiant. Je crois que maintenant vous aurez reçu nos lettres du 8 du courant, par lesquelles nous vous disons le nombre des exemplaires que vous nous enverrez : nous vous en demandons cent exemplaires, douze desquels seront reliés pour ce monastère. Nous vous avons envoyé aussi le mémoire de trente-quatre monastères auxquels votre bon cœur prendra la peine de les distribuer avec trente-quatre lettres,[21] une pour chaque maison où vous enverrez le Coutumier : mais vous ne recevrez lesdites lettres que par le [63] messager, avec nos Petites Coutumes [manuscrites], que nous vous envoyons aussi, afin que vous fassiez la charité de les communiquer, ainsi que nous vous marquons amplement par nos précédentes lettres.

Nous avons reçu l'argent que vous aviez remis à la bonne Mère de Loudun, le compte tout ainsi que vous nous l'avez marqué, excepté qu'il y a dix-sept écus d'or qui sont mis pour cent livres, avec trente-six sols de monnaie, et le tout ne fait que quatre-vingt-dix livres et quatre sols. Pour les pistoles de Gênes, nous ferons du mieux que nous pourrons pour les faire passer avec les autres. Vous êtes admirable en l'exercice de votre charité, d'avoir pris tant de peine pour faire avoir à nos pauvres Sœurs des espèces de poids ; cela était nécessaire aussi. Dieu, par sa bonté, en veuille être votre éternelle récompense, comme nous l'en supplions et supplierons de tous nos cœurs.

Pour ce qui est des prétentions de cette bonne Sœur [Jeanne-Mad. Olivier] de Leuville d'avoir une abbaye, j'en écrirai à madame de Saint-Loup, sa tante, laquelle nous aime et affectionne fort notre saint Institut ; j'en dirai aussi mes pensées à ma Sœur la Supérieure de Moulins, afin qu'elle ne donne point de facilité à ces commerces. J'en écrirai aussi à ma Sœur la Supérieure d'Orléans, qui se doit fortement opposer à cela. Ce n'est pas que je ne fusse bien aise que cette bonne Sœur fût bien à son aise dans cette abbaye, pourvu qu'elle n'eût jamais été parmi nous. C'est en ce sens que j'ai pu avoir dit que je n'en serais pas fâchée ; car autrement je n'y ai pas pensé. Si ma Sœur la Supérieure ou Votre Charité connaissait quelqu'un qui ait du crédit auprès de madame de Saint-Loup, il serait bon de les y employer, afin de gagner sur elle un honnête refus de cette abbaye pour sa nièce ; car il ne faut que procurer cela, ce qui, je pense, sera assez facile, d'autant que madame de Saint-Loup, outre l'affection qu'elle a pour notre Institut, connaît fort bien sa nièce. — Pour l'affaire de Guéret, j'en [64] ai parlé à madame Amaury, qui vous en dira mes pensées : la bonne Mère de Riom n'a pas bien entendu la proposition qu'elle vous a faite.

Quant à l'élection de Melun, Mgr de Sens m'écrit que l'on a fait ce que l'on a pu afin que la Mère [Clément] ne fût pas réélue, et que la Mère de Montargis et les Pères Barnabites y ont travaillé puissamment, et certes un peu plus qu'ils ne devaient, jusqu'à cela qu'elle n'a point été mise sur le catalogue ; et nonobstant toutes leurs peines elle a eu généralement toutes les voix, excepté une. Certes, c'est une âme humble : elle n'a pas de talents, il est vrai ; mais peut-être que Dieu nous veut faire voir qu'il sait faire de beaux ouvrages avec de fort chétifs outils. Je vois tous les jours plus clairement qu'il faut fort peu parler en ce qui regarde les élections, si ce n'est pour donner connaissance au Chapitre de celles qu'on veut proposer de dehors, ce qu'il faut faire simplement et sincèrement. La pauvre Mère de Blonay fit grand éclat de la vertu de celle qui fut élue à Lyon ; l'on voit ce qui en a réussi ! Il nous faut habituer désormais à laisser un peu agir le Saint-Esprit dans l'esprit de nos Sœurs ; car si cet Esprit-Saint ne préside en ces occasions particulièrement, l'on ne s'en trouvera guère bien. — J'écrirai encore à Mgr d'Autun afin qu'il s'oppose aux prétentions de cette bonne Sœur de Leuville. — Ma pauvre vieille toute chère et bien-aimée fille, priez bien Notre-Seigneur pour moi ; faites-en souvenir nos bien-aimées Sœurs. Embrassez-les toutes de ma part, car je les chéris cordialement, et surtout vous, ma très-chère ancienne, que Dieu bénisse et soit éternellement béni. Amen. — 19 juillet.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris. [65]

LETTRE MDLXXIII - À MONSEIGNEUR OCTAVE DE BELLEGARDE

ARCHEVÊQUE DE SENS

Prière de s'opposer fortement à ce qu'une Religieuse de la Visitation accepte une abbaye.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Monseigneur,

L'on m'écrit que vous désirez savoir mon sentiment sur les prétentions qu'a une de nos Sœurs de se faire Abbesse.[22] Vraiment, il est nécessaire que vous vous y opposiez fortement, et que vous ne permettiez jamais qu'une de vos filles donne un scandale de si grande ambition et vanité en notre petite [66] Congrégation, que notre Bienheureux Père a établie sur les fondements d'une vraie humilité, et en laquelle il n'a rien tant désiré sinon qu'elle y reluisît toujours et en toutes les actions des Filles de la Visitation. J'espère, Monseigneur, que vos remontrances paternelles à cette bonne Sœur lui feront étouffer ses misérables pensées, et je vous supplie très-humblement de lui faire retrancher tous les moyens de ses poursuites, les lui défendre absolument. Hélas ! que son aveuglement est grand ! car je crois qu'entre sa sortie et sa perte il n'y aurait point d'entre-deux.

Je recommande de tout mon cœur, et avec toute l'humilité et le respect qu'il m'est possible, à votre soin paternel, Monseigneur, toutes ces petites maisons qui sont si heureuses que de vivre sous votre obéissance, afin qu'elles cheminent toujours dans une sainte candeur et simplicité, par l'exacte observation de leur Institut. Votre bonté, Monseigneur, m'a toujours été si favorable, que je prends librement la confiance de m'adresser à elle pour le bien de ces pauvres maisons, et Dieu sera la récompense de votre soin.

LETTRE MDLXXIV - À LA MÈRE MARIE-MARTHE DE MARTEL

SUPÉRIEURE À CONDRIEU

Quand le Chapitre s est trompé, il peut revenir sur sa décision.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Ma vraie fille,

Je n'ai point de pouvoir sur nos maisons, mais seulement je réponds cordialement à ce que leur bonté me propose. Quand un Chapitre a fait ce qu'il ne devait pas faire, il n'y a point de doute qu'il le peut défaire, et effacer et ôter de dessus le livre ce qui aura été écrit sur cela ; bien que nous n'ayons pas fait [67] les fautes, ma chère fille, nous devons néanmoins ne pas laisser ces sortes d'exemples à celles qui nous succéderont. Voyez-vous, la charité parfaite doit veiller à ce qu'il n'y ait point d'afflictions en Jacob ni de douleurs en Israël ; c'est-à-dire qu'il faut bien choisir vos sujets sans restriction ou condition, pour ne rien laisser aux esprits faibles à désirer ou à envier.

Extraite de l'Histoire de la fondation de Condrieu.

LETTRE MDLXXV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Plusieurs réponses au sujet de la clôture. — Du soin charitable des malades.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 28 juillet 1638.

Ma très-chère fille,

Faites votre charge avec liberté d'esprit et gardez-vous bien d'être trop rétrécie ni gênée. Vous avez bien fait de faire entrer le Père dom Candide, puisque cette bonne Sœur l'a désiré pour la confession. Vous savez bien que l'on n'est point obligé de faire entrer le médecin pour tenir compagnie à un Religieux ou autre qui entre pour confesser une malade. S'il est nécessaire, vous ferez entrer le Père Pierre pour l'assister à sa mort- mais vous ne devez pas permettre que son frère y entre pour lui servir de clerc ; car si l'on ouvre cette porte, tous les parents voudront avoir ce privilège. Vous devez dire que si bien ma Sœur Claude-Catherine l'a fait, elle a eu bonne intention en cela ; mais que, pour vous, vous vous êtes informée en ce monastère-ci pour savoir ce qui se pouvait faire en telle occasion, et que l'on vous a répondu qu'il ne le fallait pas permettre.

Vous avez bien fait de permettre l'entrée à la Mère Ursuline [68] de Belley, puisqu'elle l'a désiré, comme aussi à la Mère prieure des Ursulines de Thonon lorsqu'elle y voudra entrer ; je serais bien aise qu'elle vous voie. — Pour ce qui est de madame Tressan, vous devez demander à M. Quêtant et à vos Sœurs, pour savoir s'ils jugeront être nécessaire de la laisser entrer.

Quant à ce qui est du traitement des malades, il leur faut bien faire donner leurs petites nécessités, quoique toujours un peu selon la sainte pauvreté, afin d'éviter aussi la superfluité. Si cette chère Sœur que vous me dites être fort mal ne peut pas manger du solide, il lui faut faire quelques petits apprêts ; que si elle ne peut pas user de ce que dessus, il lui faut faire avaler quelques jaunes d'œufs, du bon bouillon et choses semblables, comme vous avez pu voir que l'on donne aux malades en cette maison, car l'on ne peut vous donner une règle générale pour cela. Vous avez bien fait de tenir un peu ferme pour faire que la charité se pratique selon la nécessité ; car si cette bonne Sœur a déjà été souvent à l'article de la mort, elle n'a pas pour cela moins besoin de soulagement. Quand les enflures montent si fort, c'est la vérité qu'il est à craindre quelque accident. — Si quelques Sœurs peuvent coucher au logis d'Yvoire, ce sera bien fait de le faire, puisque l'on craint les larrons. — Pour ce qui vous regarde, ma très-chère fille, prenez bien simplement vos nécessités, ainsi que je vous en ai priée. Hors de là, retranchez à vos filles nettement toute superfluité, et apprenez-leur fort à regarder Dieu et son autorité en leur Supérieure, et Dieu en leurs Sœurs ; et, par ce moyen, elles exerceront la charité également selon la nécessité et non selon leur inclination.

[P. S.]. Ma très-chère fille, je vous prie, tenez fort votre cœur au large et je dis même pour prendre vos soulagements. Ne soyez point rigide, vous savez mon intention en cela. Dieu nous fasse mourir à nous-mêmes et vivre tout à Lui, et soit béni. Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [69]

LETTRE MDLXXVI (Inédite) - À LA SŒUR LOUISE-DOROTHÉE DE MARIGNY

À MONTPELLIER

Reconnaissance pour Mgr de Montpellier. — Nécessité de l'union entre la Supérieure et la Sœur déposée ; maux qui résulteraient du contraire. — De la fondation de Toulouse.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Ma très-chère fille,

À notre arrivée [du deuxième monastère], j'ai reçu vos deux grandes lettres.

Je bénis de tout mon cœur Notre-Seigneur de quoi sa très-douce bonté permet que Mgr votre très-digne prélat vous continue ses assistances spirituelles et temporelles. Si Dieu permet que les Religieuses puissent vivre doucement parmi vous, ce sera un grand bien.[23] Je crois avec vous qu'il sera bon de les laisser tourner du côté qu'elles voudront, et que Dieu les inspirera, en les aidant selon votre prudence ordinaire. — Quant à ce que mondit seigneur vous a dit qu'il serait bon de mettre au Coutumier, il l'est déjà ; il y a plus d'un an que nous n'entrons plus dans le chœur des prêtres. Je crois que bientôt vous aurez le Coutumier, si vous ne l'avez déjà reçu. — Je suis bien touchée de l'accident qui vous est arrivé en cette pauvre Sœur ; mais, ma fille, il faut regarder cette affliction dans la très-sainte volonté de Dieu et s'y soumettre humblement, et ne faut pas croire que ce mal puisse être arrivé pour avoir fait quelque pénitence ou mortification un peu extraordinaire ; bien qu'il faille être un peu réservé à les permettre, surtout en ce pays-là.

Vous me consolez bien fort de ce que vous me dites que l'union subsiste entre vous et ma Sœur la Supérieure ; car c'est le moyen d'y tenir aussi, avec édification et contentement, [70] votre petite famille. Vous voyez comme le contraire a pensé renverser la maison de Lyon : cela m'a touchée à un point qui ne se peut dire. Ce n'est pas que, par la grâce de Dieu, il y soit survenu autre [misère] que de ce que les filles étaient trop attachées à ma très-chère Sœur M. -Aimée [de Blonay], ce qui a causé un si grand [ombrage] à N. qu'elle ne l'a pu supporter.[24] [Plusieurs lignes illisibles.] Oh Dieu ! ma fille, que ce mal est grand ! et d'autant plus qu'il se rend presque universel ès maisons où la Supérieure et la déposée demeurent ensemble ; car les déposées ne peuvent souffrir que les Supérieures agissent [71] selon la lumière que Dieu peut leur donner, ains veulent tout gouverner, ou bien il leur semble que tout est perdu, et néanmoins elles profiteraient incomparablement plus en se tenant en leur devoir, et en pratiquant ce qu'elles ont enseigné de paroles pendant leur gouvernement. Au nom de Dieu, ma très-chère fille, prenez bien garde à ne jamais permettre à nos Sœurs qu'elles vous fassent aucun rapport de leur Supérieure. Encouragez-les à aller elles-mêmes lui dire avec humilité ce qu'elles auront remarqué qui ne sera pas bien ; et, de votre côté, continuez à dire confidemment à ma Sœur la Supérieure ce que vous croirez être pour son bien et celui de votre maison, sans prendre garde si vous en recevez satisfaction ou non.

D'autre côté, il y a des Supérieures qui ne peuvent supporter aucune chose des déposées, non pas même qu'elles leur disent ce qui leur pourrait beaucoup servir si elles le suivaient, les voulant tenir si basses que cela est insupportable, ne pouvant non plus permettre aux filles qu'elles leur rendent quelques témoignages de reconnaissance des peines qu'elles ont prises pour leur bien et avancement. Tout cela me fait quelquefois passer une bonne partie de la nuit à penser quel remède [apporter à ce mal] ; mais je n'y en vois point que celui de la charité, qui devrait être entre les unes et les autres pour supporter doucement la diversité des humeurs qui ne se peuvent jamais rencontrer égales.

Vous m'avez fait tous les biens du monde de me dire que ce que vous avez appris, par la lettre de ma très-chère Sœur la Supérieure de Bourg en Bresse, vous a donné un nouveau courage et à ma Sœur la Supérieure, de profiler du mal que l'on connaît être arrivé ès autres maisons. — Quant à l'autre sujet d'affliction,[25] il est ainsi que vous nous marquez ; mais il est mieux de n'en rien dire que d'en parler. Notre-Seigneur ne [72] permet pas pour le présent que cela apporte aucun détriment à notre saint Institut. Nous espérons que Notre-Seigneur ne le permettra pas non plus à l'avenir. [Plusieurs lignes inintelligibles.]

Ma très-chère fille, je ne recommencerai pas à dire à ma Sœur la Supérieure ce de quoi je vous parlais ci-dessus ; je vous prie de lui dire ce que vous jugerez, car elle m'écrit presque la même chose. Nous avons si grande quantité de lettres à répondre, que j'ai bien de la peine à y fournir ; car vous pouvez penser qu'en avançant en âge je diminue en forces, surtout en la vue qui est bien faible, c'est [pour ce] sujet que je ne peux à présent écrire à Mgr votre très-digne prélat. Je vous supplie lui présenter ma très-humble obéissance, et l'assurer que je tiendrai toujours à grand honneur d'être une de ses petites filles, et honorerai toujours ses commandements.

Quant à la fondation de Toulouse, madame de Montmorency m'a dit qu'elle n'y pouvait pas penser qu'elle n'eût moyen de la faire, et de plus qu'il faut attendre que la paix soit faite. Plût à Dieu, ma très-chère fille, que partout l'on tînt les mêmes règlements que ceux que vous me dites qu'ils font à Toulouse, de ne point recevoir de maisons religieuses qu'avec de bonnes fondations, nous n'en aurions pas une si grande quantité de mal fondées, et Dieu veuille que la trop grande pauvreté n'y apporte pas du détriment ! — Je recommande à ma Sœur la Supérieure de faire prier Dieu pour quelques affaires qui regardent le bien de notre Institut ; je vous le recommande encore. Je salue toutes nos chères Sœurs.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [73]

LETTRE MDLXXVII - À LA SŒUR ANNE-MARGUERITE DE LA LUXIÈRE

À DRAGUIGNAN

Demeurer tout abandonnée à Dieu avec une entière confiance.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Il est vrai, ma très-chère fille, que Dieu m'a donné, ce me semble, une grande connaissance de votre âme, qui m'est très-précieuse. Je crois que vous n'avez à faire qu'à patienter doucement dans vos peines. Tenez votre âme en repos dans le parfait abandonnement de vous-même en Dieu, vous remettant à sa merci, et demeurez là avec une entière confiance. C'est une grande grâce que d'avoir la paix, comme vous l'avez, emmi toute cette guerre que vous soutenez. Croyez que Dieu vous aime bien, et j'ose vous en assurer. Soyez donc en repos sur votre salut, vous confiant aux divins mérites de Notre-Seigneur.

LETTRE MDLXXVIII - À LA SŒUR MARIE-SUZANNE DURET

ASSISTANTE À DRAGUIGNAN

L âme qui aspire à l'union divine doit se borner à regarder Dieu et à le laisser faire.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Ma très-chère fille,

J'ai lu votre lettre avec grande consolation. Quand Dieu daigne parler à une âme, il faut que toute créature cesse : je vois cette grâce en vous par la divine miséricorde. Ce que vous avez à faire, c'est que tout cesse en vous par cette unique pratique de regarder Dieu et le laisser agir en vous selon son bon [74] plaisir. Qu'il vous donne du doux ou de l'amer, de la satisfaction ou de l'insatisfaction, il vous soit tout un : amusez-vous aussi peu à l'un qu'à l'autre ; mais arrêtez-vous à Lui seul, suivant fidèlement et simplement les lumières du bien qu'il vous montrera dans chaque occasion ; laissez-le faire, et vous verrez comme Il vous dépouillera, sans vous en laisser autre soin que celui de la correspondance. Sa divine Bonté vous maintienne en ce train jusqu'à l'extrême perfection de son saint amour. Je vous prie, tenez votre esprit en joie et en courage, et vous verrez combien Dieu est doux. Recommandez-moi à sa Bonté qui suis de cœur tout à fait vôtre.

[P. S.] Ma fille, j'ai vu notre bon Père le Chartreux : il se porte bien, et chez vous aussi. Nous avons peine de bien démêler vos lettres. Je suis vôtre de cœur.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDLXXIX - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

La Sainte la reprend de sa trop grande dureté sur elle-même.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy. 1638.]

J'ai été sensiblement touchée de la nouvelle de votre maladie ; mais je ne puis vous taire que j'ai été fâchée d'apprendre que, faute d'avoir pris quelques soulagements dans les premières atteintes de votre mal, vous vous soyez mise au danger où vous êtes. J'ai un pressentiment que dans trois ans je dois quitter ce monde ; mais Dieu veuille que vous les duriez au train que vous allez. Je loue et remercie notre débonnaire Sauveur de vous avoir conservée, et je le supplie de vous laisser longtemps en cette vie pour sa gloire et pour le bien de [75] notre Institut ; que s'il ne lui plaît pas, sa très-sainte volonté soit faite !

Pour vous, hélas ! quel bonheur, ma chère fille, [c'eût été] de sortir de cette misérable vie dans les lumières et les sentiments où vous étiez ! Je ne suis pas marrie que vous fussiez sans mémoire de moi, puisque cet oubli provenait de votre occupation intérieure en Dieu et en sa sainte Mère. 0 Dieu ! que vous recevez de grâces de leurs infinies bontés ! Mais, hélas ! chère fille, parmi la jouissance de tant de miséricordes, redoublez vos prières pour moi, puisqu'il plaît à cette souveraine sagesse de redoubler mes angoisses, mes impuissances et mes pauvretés dans mes effroyables peines, afin qu'il plaise à sa divine Bonté de me soutenir, en sorte que je ne l'offense point.

LETTRE MDLXXX - À UN RELIGIEUX

Joie de la Sainte en voyant que Dieu manifeste la sainteté de son Bienheureux Père. — Remercîments.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Mon Révérend et très-cher Père,

J'ai lu votre lettre avec très-grande consolation, y ayant remarqué des traits si particuliers de la spéciale Providence et volonté de notre doux Sauveur, à faire toujours plus connaître la véritable sainteté de son très-humble serviteur notre Bienheureux Père, et à manifester le dessein de sa glorification, que je ne puis assez à mon gré en remercier sa divine Majesté, ni vous, mon très-cher Père, de la communication si cordiale que votre bonté nous fait des saintes inspirations que vous avez reçues pour cela. La foi, la confiance et la persévérance que Dieu nous communique en cette occasion sont d'autant plus [76] remarquables que moins la chose était espérée par tant de personnes de considération. Dieu soit éternellement béni, qui a voulu en cette occasion consoler votre âme, et donner, par ce moyen, ce signe manifeste à tout le monde de la sainteté de ce Bienheureux prélat. Nous avons fait mettre son image, que Votre Révérence nous a envoyée, sur son tombeau, attachée au dais. Vraiment, elle est excellemment élaborée, et nous vous en offrons mille très-humbles remercîments, mon très-cher Père, vous suppliant d'avoir agréable celle que vous trouverez dans cette lettre, et laquelle représente, autant naïvement qu'il se peut, le visage de ce Bienheureux.

J'ai ressenti au cœur la douleur qu'a reçue le vôtre tout bon, de n'être venu ici avec ces bons Pères qui amenèrent la Révérende Mère des Ursulines de Loudun, car Votre Révérence en eût reçu, je m'assure, très-grande consolation, et nous aussi, qui regrettons la privation de ce bien ; mais notre bon Dieu l'ayant permis, il nous faut soumettre. Je vous supplie, mon cher Père, que nous ayons part à vos saintes prières et sacrifices, et je vous assure que nous ne vous oublierons point devant Dieu, et dès maintenant j'en présente à sa Bonté l'intention. — Je suis, puisque Votre Révérence désire de le savoir, cette très-indigne première fille du Bienheureux François de Sales, mon vrai et très-débonnaire Père, qui ai très-mal correspondu à cette très-précieuse grâce. Aidez-moi de quelques saints sacrifices, mon très-cher Père, afin que je commence à mieux faire. Dieu en sera votre récompense, je l'en supplie, et de vous combler des trésors infinis de sa grâce, demeurant en tout respect, votre très-humble, etc. [77]

LETTRE MDLXXXI - À LA MÈRE MARIE-PHILIPPE DE PÉDIGON

SUPÉRIEURE À CHAROLLES

Désir de recevoir de ses nouvelles. — Promesse de quelques secours.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1638.]

Ma très-chère fille,

Il y a si longtemps que nous n'avons de vos nouvelles que votre pauvreté m'en fait désirer, et vous prier de me mander bien au long comme vous êtes : si vous êtes accommodées en votre logement, si vous êtes en clôture en vos jardins, et si vous avez de quoi rouler et avoir le bien nécessaire, et si vous ne recevez point de filles. Il m'est venu un fort désir que nos bonnes Sœurs de Paray vous donnassent deux de leurs Sœurs avec leurs dots, qui fussent raisonnables, pour vous aider un peu, et je leur en écris avec toute l'affection qu'il m'est possible, comme aussi je suis après pour vous procurer quelques petites charités vers les maisons de bonne volonté. Mais je vous assure, ma très-chère fille, que chacun est tant accablé des misères du temps que l'on a peine à rouler. J'espère en la divine Bonté que vivant dans nos observances, en jetant dans son sein toute votre confiance, que sa paternelle Providence vous pourvoira pour le nécessaire, faisant de votre côté ce que vous pourrez. Jésus ! hé ! que sa bonté jette ses yeux de miséricorde sur vous et vous comble de grâces, avec nos bonnes Sœurs, que je salue avec vous, vous conjurant toutes de me recommander à notre divin Sauveur, et de me donner de vos nouvelles.[26] Je suis de cœur votre, etc. [78]

LETTRE MDLXXXII (Inédite) - À LA MÈRE FRANÇOISE-EMMANUELLE DE VIDONNE DE NOUVERY

SUPÉRIEURE À MONTPELLIER

Assurance de maternelle affection. — Message pour la Sœur déposée.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 28 août [1638].

Ma très-chère fille,

Ce petit billet n'est que pour vous saluer chèrement, et pour vous assurer que nous avons reçu les vôtres datées du 20 juin, sur lesquelles je ne vous réponds rien, parce que je vous ai répondu sur tout cela par les dernières que je vous ai écrites, par la voie d'un jeune homme fort assuré, qui s'en allait en vos quartiers. Je n'ai reçu aucune de vos lettres, à quoi je n'aie toujours fait réponse. Je m'étonne fort de voir que nos lettres se perdent ainsi. Il faut bénir Dieu de tout. Je n'ai loisir de vous dire pour le présent autre chose, car l'on nous vient dire qu'il faut nos lettres, et néanmoins l'on nous avait promis un peu plus de temps. Il faut donc seulement dire que, Dieu merci, nous nous portons bien.

Je pensais aussi écrire un mot à ma très-chère Sœur L. -Dorothée [de Marigny], mais l'on ne nous en donne pas le temps. Dites-lui que je lui mande qu'elle s'est très-bien comportée en l'affaire de quoi sa charité me parle. La Providence divine est grande, il ne faut sinon nous confier pleinement en elle. — Je la salue chèrement et cordialement avec vous, et vous assure que vous êtes bien mes deux chères filles. J'ai grande consolation de vous voir vivre en union, et votre chère famille que je salue [79] aussi. Je prie Dieu qu'il vous comble de ses plus chères grâces et bénédictions. Je suis de tout mon cœur, ma chère fille, votre très-humble, etc., toute vôtre de cœur sincère.

Conforme à l'original gardé à la Visitation de Montpellier.

LETTRE MDLXXXIII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Se contenter de demeurer en paix auprès de Dieu. —Une Supérieure doit travailler sans empressement à la perfection de ses filles.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 5 septembre 1638.

Ma très-chère fille,

Ce divin Sauveur soit la vie et l'amour de votre cœur ! L'on ne peut éviter les surprises. J'excuse donc le sentiment que vous eûtes sur le passage de Piémont- mais, ma fille, je vous conjure de tenir votre âme en paix et confiance en Dieu. Que si sa Bonté veut qu'il se fasse, comme il y a de l'apparence, Il en tirera sa gloire et me ramènera. Mais, mon Dieu ! que je souhaite que par-dessus toutes vues et sentiments nous soyons toujours amoureusement, et humblement soumises à tout ce que sa Bonté veut et voudra à jamais faire de nous, et cela allègrement selon l'esprit.

Quant à votre occupation intérieure avec Dieu, elle ne peut être meilleure ; mais je vois que vous vous tracassez toujours un peu, voulant faire quelque chose, et Dieu ne le veut pas. Quand votre esprit est arrêté auprès de Lui, ne devez-vous pas vous contenter ? Cette divine infinité ne contient-elle pas tous les mystères sacrés de Jésus et de Marie ? Ne veuillez donc rien rechercher et connaître que ce qu'il lui plaira vous en découvrir. Croyez-moi, je vous prie, tenez votre esprit tant au large et en joie qu'il vous sera possible. [80]

80 LETTRES DE SAINTE CHANTAL.

Ne prenez point à cœur les fautes et inutilités des filles. Dieu ne vous les a pas commises pour les rendre parfaites, mais seulement pour leur enseigner la perfection et leur devoir. Si elles vous croient, elles seront heureuses, sinon vous ne sauriez qu'y faire ; car c'est à vous de planter et arroser et à Dieu de donner l'accroissement. Tirez de chacune ce que vous en pourrez avoir. Dites-leur ce qui est de leur devoir, selon leur portée. Ne les laissez pas croupir dans leurs défauts, sans les reprendre avec une douce force, car il en faut avoir, surtout pour celles qu'il faut ranger à la soumission et à la sainte modestie religieuse.

Si vous ne faites en vos trois ans tout le fruit que vous désireriez, j'ai confiance pourtant que Dieu vous en fera recueillir, et que vous verrez un grand changement dans ces âmes. Il faut avoir patience : Paris ne fut pas fait en un jour. Il faut aller pied à pied, et se contenter du peu que chacune vous pourra donner, et ne se point fâcher de ce que quelques-unes ne donneront rien. Enfin mettez ce que je vous dis dans votre cœur ; qu'il suffise pour une bonne fois, et ne vous fâchez de rien. Faites doucement ce que vous pourrez par prières, remontrances, corrections et pénitences ; et laissez à Dieu le reste, car il a plus d'intérêt que vous en ces âmes-là. — Bonsoir, ma toute chère et vraie fille, ne vous mettez nullement en peine du voyage de Turin : il se fera heureusement, Dieu aidant. Nous partirons environ le quinzième de ce mois. Priez bien Dieu qu'il me tienne de sa sainte main. Vôtre, etc.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [81]

LETTRE MDLXXXIV - À LA MÈRE MARIE-MARGUERITE MICHEL

SUPÉRIEURE À FRIBOURG

Dispositions pour la fondation de Gruyères. — La clôture doit être rigoureusement observée. — Prochain départ de la Sainte pour Turin.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, septembre 1638.]

Ma très-chère fille,

C'est la vérité que cela est bien fâcheux de voir toutes ces petites tracasseries qui sont toujours entre vous et la Mère de Besançon. Je lui vais encore écrire, selon que Dieu me dictera, afin qu'elle tâche de s'ajuster avec vous et de vous laisser ma Sœur de Vallimbert, puisqu'elle vous est nécessaire, pour avoir la charge des Sœurs que vous laisserez à Fribourg ; et vous pourrez être Supérieure en l'établissement que vous faites.[27]

J'ai vu ce Père Chartreux, lequel m'assure que ce lieu de Gruyères est un fort bon lieu, et que si bien vous ne m'en dites rien, c'est que vos lettres étaient déjà écrites, lorsque vous avez reçu les lettres de votre réception en ce lieu-là. Ma très-chère fille, je remets toute cette affaire en la bonne et sage conduite de Mgr votre très-digne prélat, et de vous ; car n'ayant aucune connaissance de ces lieux-là je ne vous en saurais rien dire. Vous savez tout ce qui est de nos règlements : je vous prie, ma très-chère fille, de vous y tenir le plus exactement qu'il se pourra, et surtout que les Sœurs que vous emploierez ès principales charges en soient vraiment capables, par la solide vertu et bonne observance. — J'ai vu tous les écrits que vous nous avez envoyés ; je suis bien aise que vous soyez en lieu [82] d'assurance pour loger les filles que vous avez reçues. Quant à ce qui est de ma Sœur M. -Angélique, vous avez très-bien fait de ne la pas envoyer à Thonon ni en cette maison, car on n'eût pas manqué de la vous renvoyer dans son même équipage. Et je vous prie, ma fille, gardez-vous bien de permettre cela ; car chacune a prou à faire à porter son fardeau, sans se charger de celui des autres. Vous voyez, ma très-chère fille, en cette bonne Sœur, combien il est bon de déférer au jugement de celles qui nous ont devancées. Feu notre très-chère Sœur Favre, comme un bon et sage jugement, n'avait nullement trouvé cette fille propre pour la Religion.

Pour ma chère Sœur M. -Désirée [Clément], je serais bien aise qu'elle ait la consolation qu'elle désire ; mais, à présent qu'elle a le voile, il se faut bien garder de permettre ces allées et venues ; car nous sommes déjà assez surveillées en ce qui est de la clôture. Il y a fort peu de temps que l'on a fait de grandes plaintes de nous à Sa Sainteté pour ce sujet-là ; nous ne savons pas encore ce qu'il en arrivera. Voyez-vous, ma très-chère fille, il n'est pas permis que les Religieuses sortent de leur clôture que pour des occasions de grande nécessité et utilité pour le bien de leur Institut, et pour des choses qui sont grandement à la gloire de Dieu, et qui ne se peuvent faire autrement. Ce que vous avez à me communiquer se peut facilement dire par lettres, en les remettant à personnes assurées. Je sais que l'on a déjà fait plusieurs sorties qui n'étaient pas nécessaires, sous de petits prétextes.

Or sus, ma très-chère fille, il faut bien vous dire que nous voici proche le temps de notre départ pour Turin. Après avoir prou fait de résistance pour empêcher que j'y aille, néanmoins l'on n'a pas pu empêcher cela, et faut que nous sortions mardi prochain. Nous espérons de revenir dans deux ou trois mois : l'on nous donne toute espérance et assurance de nous laisser revenir. Je vous prie, avec toutes nos chères Sœurs, [83] de bien prier Dieu pour nous, afin que toute cette affaire s'accomplisse selon sa très-sainte volonté et pour sa plus grande gloire. Je prie sa très-douce Bonté qu'il vous comble de ses plus chères et précieuses grâces, avec toutes nos Sœurs que je salue avec vous, et vous suis d'une sincère affection, votre très-humble, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDLXXXV - À LA MÈRE FRANÇOISE-GASPARDE DE LA GRAVE

SUPÉRIEURE À BOURGES

Divers éclaircissements au sujet des confesseurs extraordinaires. — Les Supérieures doivent traiter ensemble avec une douce charité.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 10 septembre 1638.

Ma très-chère et bonne fille,

Enfin nous voici sur notre départ pour Turin dans quatre jours : accompagnez-nous de vos prières, et toutes nos chères Sœurs aussi, je vous en supplie, ma chère fille. Nous espérons n'y demeurer que deux mois, Dieu aidant ; sa très-sainte volonté soit faite !

Pour ce que vous me dites, ma chère fille, quand la Constitution dit : « On demandera un confesseur auquel toutes se confesseront », s'il est indifférent qu'ils viennent deux ; il s'est ainsi pratiqué durant la vie de notre Bienheureux Père ; car ne voyez-vous pas que la fin de la Constitution est accomplie, qui est que les Sœurs qui n'auraient pas confiance au confesseur ordinaire en aient un extraordinaire à qui découvrir leurs cœurs ; il n'y a donc point de difficulté à cela. Il est très-vrai qu'il est très-bon de ne changer ces confesseurs-là que le moins qu'il se peut ; mais comme nous voulons observer notre Règle, ces Religieux aussi, comme de raison, veulent observer la leur. Il faut donc tâcher d'obtenir des Supérieurs que, quand ils les [84] changeront, ils nous en donnent qui aiment et connaissent l'Institut. Et croyez-moi, ma chère fille, qu'il le faut connaître, et que bienheureuses sont les âmes qui se tiennent humblement ramassées dans l'esprit qu'elles ont reçu de leur Bienheureux Fondateur, qui avait le Saint-Esprit. — Quant à l'union avec cette bonne Mère, j'ai déjà écrit ; et certes je remarque que lorsque les Supérieures ont quelque affaire à démêler ensemble, elles ont plus d'humanité, [de sentiments humains et terrestres], que notre saint Fondateur ne requérait. Tâchez, ma chère fille, que de votre côté l'union et vraie douce charité subsistent.

Je vous conjure, ma très-chère fille, de faire mettre ordre à votre hydropisie ; je sais que c'est un mal qui, étant pris à son commencement, l'on y peut remédier. Je vous supplie de le faire soigneusement et franchement, pour l'amour de Notre-Seigneur et encore pour ma consolation ; car vous êtes bien ma chère fille, et je suis votre très-humble et indigne Sœur que vous savez être toute vôtre de cœur.

[P. S.] Nous vous supplions de faire les prières ordinaires pour une de nos chères Sœurs, décédée à Thonon.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDLXXXVI - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Sollicitudes pour la santé de la Mère Lhuillier. — Conseils de direction. — Départ des Sœurs fondatrices du monastère de Turin.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 13 septembre 1638.

Mon très-honoré et très-aimé Père,

Il m'a fait grand bien d'avoir de vos lettres, car je n'avais eu aucune nouvelle de Paris depuis celles que la bonne Mère de Loudun nous apporta. Béni soit éternellement notre bon Dieu [85] de tout ce qu'il lui plaît faire en nous et de nous ! À Lui seul soit la gloire du bien que la chère Mère de Loudun dit avoir vu en ce cher monastère ! Il est vrai, mon très-cher Père, qu'il y a des âmes de rare perfection, et que tout y chemine avec paix et observance, grâce à la divine Bonté.

Je suis bien en peine, mon vrai Père, des infirmités qui accablent ainsi notre très-chère Sœur la Supérieure de Paris ; car il faut avouer que cette âme est d'un grand honneur et utilité, non-seulement à sa maison, mais à tout l'Institut, Dieu lui ayant donné un esprit de charité universelle pour le bien de toutes les maisons. Sa divine Bonté nous la veuille conserver, s'il lui plaît ! Je suis bien de votre sentiment, mon très-cher Père, qu'il la faut décharger au bout de son triennal, et cependant commettre une Sœur pour faire les fonctions qu'elle ne pourra pas faire, lui donnant tout le repos qu'il sera possible ; surtout il la faut soulager au parler. Il y a de capables et très-vertueuses filles dans le monastère ; d'autres qui en sont [prêtées] dehors ; il faut choisir ce qui est pour le mieux.

Je vois, mon très-cher Père, que votre zèle au service de notre divin Sauveur, et de sa glorieuse Mère notre sainte Maîtresse, vous fournit continuellement des nouveaux désirs et desseins de perfection et dévotion ; à la vérité, c'est une grâce fort spéciale que d'être tout dédié à l'honneur et service du Fils et de la Mère. Il me semble, mon très-cher Père, puisque vous désirez que je vous die simplement mes sentiments, que c'est toujours très à propos de faire examiner nos inspirations à quelque digne serviteur de Dieu, qui nous connaisse et auquel nous ayons confiance : voilà ma pensée, et que les vœux doivent être bien pesés et ne s'en pas trop charger. La glorieuse Vierge vous fera connaître comme elle veut que vous lui fassiez cette entière offrande et dédicace de vous-même ; je l'en supplie de tout mon cœur, car notre bonheur gît à connaître les sacrés desseins et vouloirs de notre bon Dieu sur nous et à les [86] accomplir. Vous n'oubliez jamais d'exécuter vos desseins de charité, mon très-cher Père : Dieu les acceptera agréablement et les rendra d'un mérite infini à votre chère âme, et nous en demeurerons de plus en plus vos obligées ; car j'avoue que c'est une grande consolation et commodité à une maison religieuse d'avoir une messe assurée et à heure certaine. — Oh ! Dieu soit béni, qui conserve à son Eglise le très-vertueux et digne prélat, Mgr de Sens, et l'y maintienne longuement pour sa gloire ! Ce me sera grande consolation de savoir ses sentiments et les vôtres sur notre mémoire et sur la béatification de notre Bienheureux Père. [Un papier collé sur la fin de la page rend une dizaine de lignes tout à fait indéchiffrables.]

Enfin, mon très-cher Père, il faut partir demain pour le Piémont[28] ; peut-être ne passerai-je pas la cité d'Aoste ; la fondatrice viendra là prendre les Religieuses. Je ferai encore mes efforts afin qu'elle se contente de cette année ; mais, au moins, j'espère en Dieu de [rentrer] ici à Noël. Nous menons notre Sœur qui était Supérieure en la petite maison, et trois sages et solides Religieuses professes, avec deux novices, dont l'une est domestique. Priez bien pour nous, mon vrai Père, car nous sommes vôtres de cœur, et Dieu soit notre amour ! Avec votre congé, je salue la chère Mère de Loudun ; j'attends bien de ses nouvelles. Je suis, mon très-honoré et bien-aimé Père, votre, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [87]

LETTRE MDLXXXVII - À LA SŒUR MARIE-ANTOINETTE TESTE DE VOSERY[29]

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Il n'est permis de sortir du monastère que pour des occasions très-importantes. — Supporter les faiblesses qu'on ne peut corriger.

VIVE † JÉSUS !

Turin,. 5 octobre 1638.

Ma très-chère fille,

Ce divin Sauveur soit béni ! J'ai certes été touchée de voir l'étonnement et l'alarme que vous vous êtes donnés de notre passage ici, puisque de si longtemps la chose était résolue jusqu'à en faire le voyage. Oh bien ! il faut une autre fois être mieux sur nos gardes et mettre si bien nos cœurs au ciel, que les événements de cette vie ne les étonnent ni troublent point. M. Marcher va demain à Pignerol ; à son retour, il ne tardera pas à partir, alors il vous portera toutes nos nouvelles. Cependant je vous dirai que je ne trouve nullement à propos que vous sortiez de la maison, nonobstant les désirs de ma Sœur la Supérieure du second monastère [d'Annecy] ; car je n'y vois autre [88] besoin que celui de sa consolation et la disposition de leur verger, qu'un jardinier peut faire. Je ne puis avoir ce sentiment.

La novice blanche eut tort bien grand de rapporter ce que la maîtresse lui dit, à ma Sœur F. P. ; et cette petite a fait voir là qu'elle n'est pas encore trop bien fondée en la mortification, non plus que notre Sœur M. -Agnès. Quand tout nous rit et réussit selon nos inclinations, nous sommes de braves filles ; mais le contraire nous abat. Or cela est pardonnable aux novices, mais certes non pas à celle qui doit leur montrer le chemin de la vraie vertu. O misère humaine ! misère humaine ! Cependant, il faut faire aux unes et aux autres tout ce qui se peut pour les faire cheminer, et supporter le reste doucement et humblement, car nous sommes aussi fragiles. Que ce billet soit commun à ma Sœur de là-haut et à vous. Je salue toutes nos Sœurs. Je ne puis davantage écrire. Je suis vôtre.

[P. S.] Ma chère fille, je vous prie de ne communiquer à nos maisons les appréhensions que vous avez que l'on ne me retienne ici ; car elles sont sans fondement. Un mot de notre Sœur de Thonon.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDLXXXVIII - À LA MÈRE F. -ANGÉLIQUE DE LA CROIX DE FÉSIGNY

SUPÉRIEURE AU DEUXIÈME MONASTÈRE D ANNECY

La bonté et le support gagnent les cœurs. — Caractères de la vraie amitié.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1638.]

Ma très-chère fille,

Béni soit éternellement notre très-débonnaire Sauveur, qui nous a amenées heureusement et nous maintient en très-bonne santé ! Pour nos nouvelles, je m'en remets à M. Marcher. — [89] Quant à votre conduite en ce qui se passa avec la petite Sœur N., cela ne pouvait être mieux. Croyez-moi, la patience, l'amour cordial et maternel, avec la fermeté douce et raisonnable, gagnent tout sur les cœurs. Continuez à prendre cet esprit de la sorte et vous lui profiterez, et à vous encore et à toutes les autres aussi.

Je suis bien aise et bénis Dieu de quoi vous trouvez soulagement et assistance en notre Sœur F. A. [de la Pesse]. C'est une digne fille, qui me témoigne aussi grande satisfaction de vous et confiance. Affranchissez-vous de ces craintes, et agissez en esprit de sainte liberté et franchise. Reposez-vous fort en notre bon Dieu, Il conduira tout bien. N'écrivez point tant à notre Sœur l'assistante, sinon dans les besoins ; car souvent ce n'est que vaine satisfaction et temps perdu. L'union qui est en Dieu n'a pas besoin de tant de démonstrations ; il les faut rendre par les effets, et non en paroles, lorsque l'occasion s'en présente. Enfin il faut que cette union soit constante, forte, inébranlable, et non environnée de crainte, ni nourrie de tendresse et paroles de compliments. Dans le vrai besoin elle pourrait aller à vous, je veux dire notre Sœur l'assistante ; hors de là, point. Je salue votre cher cœur et toutes nos Sœurs : qu'elles prient Dieu pour nous. À part, je salue nos Sœurs assistante et directrice. Je ne puis leur écrire.

Dieu soit béni !

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [90]

LETTRE MDLXXXIX - À MONSEIGNEUR BENOÎT-THÉOPHILE DE CHEVRON-VILLETTE

ARCHEVÊQUE DE TARENTAISE, À MOUTIERS

Heureux commencements de la fondation de Turin. — Difficultés survenues pour l'achat d'une maison. — Nomination du Père dom Juste à l'évêché de Genève.

VIVE † JÉSUS !

Turin, 28 octobre 1638.

Monseigneur,

Il est déjà trop tard pour rendre compte à Votre Seigneurie Illustrissime de notre voyage et arrivée ici. Tout cela s'est fait fort heureusement, grâce à Dieu ; car Madame Royale, et chacun ensuite, a témoigné par ses caresses et faveurs grande satisfaction de notre venue, et l'on espère beaucoup d'utilité de cette fondation, pour la gloire de Dieu et le bien des âmes.[30] Nous avons un très-bon prélat, et qui nous rend des témoignages d'un amour et soin très-paternel. Nous avons reçu sa nièce, qui est une bonne demoiselle, et encore deux autres, qui sont de bons sujets. Madame notre fondatrice et M. le marquis son fils nous portent dans leur sein avec une tendre affection. Voilà beaucoup de biens et de sujets de bénir Dieu : ce que je fais de tout mon cœur, car à Lui seul en est due la gloire. Mais comme Votre Seigneurie Illustrissime sait, Monseigneur, jamais les bonnes œuvres ne se font sans contradictions et sans difficultés.

Nous avons acheté une maison très-propre pour bâtir et nous [91] loger présentement ; maintenant il se trouve que Mesdames les Infantes, qui nous avaient témoigné grande affection, la veulent pour bâtir les Pénitentes Converties, disant qu'il y a longtemps qu'elles l'ont fait marchander, ce que l'on dit être vrai : mais le marchand voulait en avoir une fois de plus, ou peu s'en faut, que ce qu'elles en voulaient donner, sur quoi la chose demeurait là. Et, ayant trouvé son compte avec madame Mathilde, il l'a vendue et veut que nous tenions marché, comme aussi il a reçu la plus grande partie de l'argent. Voilà-t-il pas qui est bien fâcheux ?

L'on dit que Mesdames les Infantes ne sont fâchées que contre madame Mathilde, sachant bien que nous n'en pouvons rien, comme il est vrai. Nous leur avons fait faire des offres de la leur relâcher, si le prélat le trouve bon, en nous en donnant une autre, et tout plein d'autres propositions. Elles n'y veulent entendre, et jusqu'ici les deux partis témoignent de vouloir tenir bon, chacun en sa prétention. Je ne sais ce qu'il en arrivera : l'équité est de notre côté. Nous laissons faire Madame Royale, Mgr l'archevêque et les fondateurs, et demeurons en paix sur ce que Dieu en fera réussir. En tout sa très-sainte volonté soit faite, et son saint Nom soit béni ! Amen.

Quant à l'affaire du Père dom Juste, Mgr de Mondovi lui a apporté parole de la part du Saint-Père qu'en toute façon il veut qu'il se charge de l'évêché de Genève, de sorte qu'à cela le bon Père s'est rendu entièrement. Mgr le Nonce a fait les informations, et promet de les envoyer au plus tôt. Certes, je le fais solliciter tant que je puis, et le bon M. le marquis de Lullin y tient bonne main. Quand l'affaire sera achevée, il veut proposer à Madame Royale la nécessité d'un coadjuteur. Vous pouvez bien penser, Monseigneur, celui sur qui l'on jette les yeux.[31] [92]

Je pense que voilà toutes nos petites nouvelles. Dieu, par sa bonté, prospère les vôtres de ses plus chères bénédictions, Monseigneur, et vous donne un cordial souvenir de nos besoins dans vos saints sacrifices, puisque de cœur nous vous révérons chèrement, et suis en tout respect, de Votre Seigneurie Illustrissime, Monseigneur, la très-humble, etc.

[P. S.] Que votre bouté me permette, Monseigneur, de saluer ici humblement et cordialement M. de Sales, mon très-cher cousin.

LETTRE MDXC (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-ANTOINETTE TESTE DE VOSERY

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Affaires. — Réception de deux postulantes. — Les Sœurs ne doivent pas parler à l'assistante hors la nécessité.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1638.]

Ma très-chère fille,

Je n'ai point vu le messager de Poitiers, et vous ne me dites point si vous l'avez encore là, oui bien que vous lui avez donné un teston. Cela m'a fait résoudre de mettre aujourd'hui ces réponses à la poste avec celles que j'écris à Paris. Ma Sœur M. A. [de Bigny] me demande sa pension, disant qu'on lui a promis de la continuer et veut qu'on l'augmente. Certes, comme je n'ai souvenance de cela, et que je crus ce qu'elle me dit, que ses parents la lui payeraient et même lui donneraient une dot, je n'ai fait aucun compte ni pensée de la lui payer. Si vous avez quelque mémoire de cela, dites-le-moi, car je n'en ai point.

Vous pourrez donner l'habit à la prétendante quand on le jugera à propos, mais je trouve qu'en peu de temps elle doit donc avoir fait un grand changement ; car votre précédente me disait qu'elle se prenait fort lâchement à la besogne. Je vous [93] laisse juger de cela. Pour ce qui est de sa dot, pourvu que les deux mille francs et les trois cents soient bien assurés, il y a de quoi se contenter. Pour la Catherine, je l'avais oubliée ; si on la juge propre, qu'on la reçoive, mais j'aimerais mieux que ce fut à la petite maison, car il faut prendre garde de ne pas tant charger notre monastère. Dieu aidant, nous y retournerons et peut-être les Sœurs de Pignerol, car c'est le sentiment presque de tous ceux d'ici, du Père dom Juste et autres, que l'on rompe cette maison ; outre qu'il me semble que cette fille n'est pas robuste pour le travail. J'en laisse toutefois le jugement à vous autres. Pour ce qui est du Père Prépavin, que j'aime grandement, nous ne pouvons rien résoudre qu'avec les Supérieurs.

Le Père dom Juste enfin est notre évêque.[32] Il faudra aussi avoir son avis. Il y a près de trois semaines que nous ne l'avons vu, que bien lui fâche et à nous. C'est à cause de la bataille qu'il a fallu soutenir de Mesdames les Infantes, mais Dieu a tout ajusté avec douceur. Nous irons, Dieu aidant, la semaine prochaine à la maison achetée.

Vous me dites que les Sœurs mangent votre temps à parler ; excepté le compte des mois, ne les laissez point tant parler hors la nécessité, cela n'est qu'entretien d'amour-propre, auquel il est bon de ne pas complaire. Allez simplement avec Notre-Seigneur, ne réfléchissez pas pour voir comme vous faites avec Lui ; mais, au lieu, regardez-le droitement et faites le bien qu'il vous montre. Je salue très-chèrement toutes nos Sœurs, le bon Père, M. Marcher, et tous les amis et amies. Dieu répande sur tous ses saintes bénédictions et soit loué et béni à jamais de nos âmes.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [94]

LETTRE MDXCI - À LA MÈRE ANNE-MARIE DE LAGE DE PUYLAURENS

SUPÉRIEURE À POITIERS

Avis relatifs à une acquisition. — Charité des Sœurs de Paris. — Regret de ne pouvoir secourir le monastère de Poitiers. — Motifs pour lesquels la Mère de Blonay a dû quitter Lyon ; éloge de cette Supérieure. — Réclamer au monastère de Moulins la pension de Sœur M. A. de Bigny.

VIVE † JÉSUS !

[Turin], 8 novembre 1638,

Ma très-chère fille,

Ce divin Sauveur règne en nous ! Votre messager ne nous a pas trouvée à Nessy, car nous sommes à Turin. Il y a près de deux mois que nous en partîmes. Ma Sœur l'assistante m'écrit qu'elle lui avait donné courage de venir passer ici ; mais il le perdit, à ce que m'a dit celui qui nous a apporté vos lettres, que nous reçûmes hier ; et incontinent j'écrivis à nos Sœurs les Supérieures de Paris, le mieux que je sus, pour les exciter de vous assister, selon votre désir. Je sais qu'elles sont si bonnes qu'elles le feront si elles le peuvent. Je leur enverrai cette lettre, n'ayant point d'autre moyen de la vous faire tenir. Je prie celle de la ville de vous l'envoyer promptement. Écrivez-leur avec les meilleures raisons et affections qui vous seront possibles.

À la vérité, ma très-chère fille, de la sorte que vous me dépeignez votre besoin et les commodités de cette maison, avec l'avantage d'y gagner les lods et amortissements, il n'y a rien à douter que vous ne fassiez très-bien de l'acheter si vous pouvez, et qu'il ne faille que vous fassiez tous les efforts possibles pour cela, et d'autant plus que Mgr votre évêque le désire et le vous conseille. Cela était suffisant sans que vous prissiez la peine d'envoyer un messager exprès pour en avoir mon sentiment ; car, ma très-chère fille, en ces choses, dont je ne puis juger que sur Votre jugement, et qui ne regardent pas l'Institut, vous devez toujours faire ce qui vous semble le mieux, avec l'avis du [95] Supérieur et de vos Sœurs. Or, je pense que, puisque Mgr de Poitiers vous conseille si fort de ne perdre cette occasion, et que, comme vous dites, il a de bonnes pensées pour vous, il sera très-bon qu'il voie que vous n'oublierez rien de tout ce qui sera en votre pouvoir pour suivre son conseil, et peut-être que cela l'excitera à vous aider ou à vous cautionner.

Je crois que vous devez écrire fort au long à nos Sœurs les Supérieures de Paris tout ce que vous pourrez, pour les moyens de leur assurance et remboursement de ce qu'elles vous prêteront ; selon que je les connais, je crois qu'elles vous assisteront. Toutefois, je sais qu'elles ont des dettes, surtout au faubourg ; ne sais-je si elles trouveraient crédit ? mais il faut que vous les sondiez toutes deux. Certes, la saison est maintenant et partout si difficile pour avoir de l'argent, que chacun a besoin d'en avoir ce qu'il lui faut ; toutefois, ces grandes villes-là abondent, si aucun lieu le fait. Certes, si nous avions le moyen, nous vous aiderions de bon cœur ; mais Dieu sait que nous sommes dans l'impossible, et que si nous avions de quoi, nous avons quatre monastères autour de nous : la seconde maison, Pignerol, Saint-Amour, et celle-ci, qui ont de grands besoins, et faut faire par-dessus ce que l'on peut, quasi : Dieu, par sa bonté, y veuille pourvoir ! Celle-ci est fondée de deux mille livres ; mais tout y est si cher ! et a fallu acheter chèrement une maison qui nous surcharge ; mais il y a apparence que cette fondation sera fort à la gloire de Dieu : il y a force prétendantes. Pour nos Sœurs de Lyon, je ne pense pas qu'elles vous puissent aider ; au moins n'a-t-on rien su tirer d'elles pour nos pauvres Sœurs de Saint-Amour, qui sont dans la peine, et les faut aider sans cesse.

Pour ce trouble de Lyon, c'est la vérité qu'il m'a donné bien de la douleur, car cette maison, qui avait toujours fleuri en observance et bonne odeur dedans l'Institut et devant chacun, la voir en tel délustrement envers chacun ; et, qui pis est, troublée et travaillée au dedans par le défaut de conduite et les [96] mauvais conseils que deux ou trois Sœurs, que l'on a rappelées, donnaient à la Supérieure, parce qu'elles n'aimaient pas ma Sœur de Blonay, qui ne les élevait pas dans les charges comme elles le désiraient, au moins on le pense ; et ont fait en sorte que la pauvre Mère de Sainte-Colombe, qui est toute bonne, simple, mais de fort petit esprit, entrât en une si forte jalousie contre ma Sœur de Blonay et si grande aversion, parce que les Sœurs l'aimaient, et qu'en une grande maladie qu'elle eut, elles avaient témoigné tant d'amour pour elle et tant d'appréhension de la perdre, que cela fit résoudre ces bonnes Sœurs de persuader à la Mère de faire des menées pour faire sortir ma Sœur de Blonay, disant que les filles y étaient si attachées que cela leur nuisait. Enfin, sous le prétexte de changer d'air, on la fit aller à l'Antiquaille ; puis, nos Sœurs de Bourg l'élurent, qui a été une conduite de Dieu sur cette pauvre maison-là.

Certes, la maison de Lyon continua en son affliction ; car la Mère n'a point du tout de conduite [talent pour gouverner], et ses partisanes faisaient feu contre notre Sœur de Blonay. Et la communauté, qui témoignait sa douleur de l'avoir perdue et de voir le mauvais état de leur maison, demanda enfin de parler à Mgr le cardinal, lequel informé de la vérité, et étant retourné là plusieurs fois pour voir ce qui se devait faire, voyant enfin que cette maison n'était pas conduite du bon esprit, et que la Mère n'avait la capacité de le faire, la fit déposer et changer toutes les officières ; de sorte qu'elle se tient maintenant en sa cellule, bien penaute, et ses adhérentes encore plus. Le reste de la maison est tout remis, et même chacune de ces pauvres déposées tâche de faire le mieux qu'elle peut : elles ont une maîtresse Supérieure, qui a bien eu sa part de la douleur pour le départ de notre Sœur de Blonay.[33] Voilà en abrégé l'histoire, [97] qui nous apprend qu'il faut bien choisir les Supérieures, et ne point prendre de jalousie contre les déposées, qui ont travaillé et fait les maisons par l'aide de Dieu, lorsque les filles les reconnaissent et leur rendent leur devoir, surtout à celles qui ont le mérite, la vertu et la sagesse pour se maintenir dans leur devoir, comme faisait notre chère Sœur de Blonay, qui est véritablement une âme sainte, droite, et toute pleine de bonté. Elle a bien fort ressenti l'affliction de ses pauvres filles de Lyon, et porté avec grande douceur et charité les mépris et tracasseries que ces trois ou quatre lui ont faits, et j'ai été consolée de la voir avec tant de paix et de conformité au bon plaisir de Dieu, emmi toute cette persécution. Bienheureuse est l'âme qui est fondée en Dieu et en la sainte humilité, les vents de tempête ne l'ébranlent point ! Croyez que cette bonne Mère est vertueuse, quoi que l'on vous en die. Plût à Dieu que je le fusse autant ! Je vous en dis trop ; car il faut fermer cette lettre pour ne perdre l'occasion de la poste, qui part aujourd'hui. Vous pouvez prendre six petites filles.[34] Dieu vous assiste, par sa bonté, à acheter cette place : faites tous vos efforts pour [98] cela, et écrivez bien à nos Sœurs, afin qu'elles n'appréhendent pas de demeurer chargées de ce qu'elles vous prêteront. — Notre Sœur M. -Angélique [de Bigny] nous demande sa pension ; elle ne se souvient pas de la peine que nous avons à rouler et de l'assurance qu'elle me donna que nous ne la payerions que la première année, et que ses parents la payeraient, et que même ils lui donneraient quatre ou cinq mille livres. Je lui vais écrire : certes, nous avons bonne volonté, mais les forces nous manquent. Elle sait bien les charges de la maison de Nessy : elles sont grandes ; si Dieu n'y donnait bénédiction, elle succomberait. Je vais écrire à Moulins, qui pourvoira à la pension, si les parents ne la payent. Ma fille, je suis vôtre, d'une affection invariable. Dieu vous comble de grâces. Amen.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Poitiers.

LETTRE MDXCII - À MONSEIGNEUR J. J. DE NEUCHÈZE

SON NEVEU, ÉVÊQUE DE CHALON

Recommandation en faveur du Père dom Cerisier.

VIVE † JÉSUS !

Turin, 13 novembre [1638].

Monseigneur,

J'ai tant de confiance en votre bon naturel que je me tiens comme assurée que vous m'accorderez la très-humble demande que je vous fais de donner à dom Philibert de Cerisier, parent de feu notre Bienheureux Père, l'institution du prieuré de Chesne en Savoie, valant de revenu environ vingt-cinq pistoles, sur lesquelles il faut lever une portion congrue pour un curé, ayant ledit Cerisier le placet de Madame Royale, par la faveur de M. N., abbé de Chizery, seigneur de grand mérite, et qui nous a assistées et grandement obligées en une affaire qui nous était très-importante, et peut toujours nous beaucoup aider par [99] son crédit auprès de Madame Royale, laquelle sans doute ne révoquera son placet pour tout autre qui le puisse demander, étant sa volonté qu'il vaille pour ledit Père de Cerisier qui, avec dispense, a pris l'habit de Saint-Benoît, et ensuite il a eu sa nomination de vicaire général de Nantua, et, en même temps, a été mis en possession de l'économie dudit prieuré par le sénat de Savoie, n'ayant jamais été en commende.

L'affaire étant en cet état, favorisée de Madame Royale, et portée de ce révérend seigneur, M. l'abbé de Chizery, je ne doute nullement, Monseigneur, que vous n'y joigniez avec contentement votre agrément et institution ; et je vous en supplie derechef et de tout mon cœur, et croyez que vous m'obligerez, par ce moyen, plus que je ne puis dire. Je sais que ceci est assez pour vous faire faire tout ce qui ne serait point contre Dieu, tant je suis assurée de votre bonté pour celle qui est de cœur, en vous souhaitant les plus saintes bénédictions de Notre-Seigneur, votre très-humble et obéissante tante, fille et servante en Notre-Seigneur.

De Turin, 13 novembre. — Il n'y a que huit jours que je vous ai écrit par Paris.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Thonon,

LETTRE MDXCIII (Inédite) - LA SŒUR MARIE-ANTOINETTE TESTE DE VOSERY

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Affaires d'intérêt.

VIVE † JÉSUS !

Turin, 21 novembre 1638.

Ma très-chère fille,

C'est sans loisir et pour vous dire seulement que le Père dont Juste désire que vous donniez, à celui qu'il vous écrit, les quinze pistoles qu'il réserve ici pour ses petits besoins. Lorsqu'il aura [100] reçu le Bref de sa proclamation pour l'évêché, qu'il recevra bientôt de Rome, et puis les Bulles viendront après, il vous les rendra quand il sera par delà et qu'il aura reçu quelque chose de l'évêché. Il m'a dit que vous pourrez donner à plusieurs fois lesdites pistoles. Il vous marquera cela. C'est un grand bonheur à l'évêché de Genève d'avoir un si bon prélat.

Vous devez faire que ma Sœur la Supérieure du deuxième monastère écrive à la Mère de Lyon pour avoir les douze cents écus qu'il doit ; et si M. le doyen trouve bon qu'on en prenne quelque chose pour achever l'église, on le fera. Ma Sœur la Supérieure de Lyon m'écrivit avant notre départ de Nessy qu'elle avertirait celle de l'Antiquaille pour les payer. Je pense que vous feriez bien d'écrire à notre Sœur de Paris pour savoir quand elle fournira les deux cents écus. Il y aura trois ans à Pâques que le terme qu'elle avait demandé sera fini.

Je salue tous ceux qu'il faut. Dieu répande ses richesses sur tous et soit éternellement béni ! Nos Sœurs vous diront une autre fois des nouvelles. — Jour de la sainte Présentation de Notre-Dame, Mère et Protectrice.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDXCIV - À LA SŒUR JEANNE-FRANÇOISE MARCHER[35]

À THONON

Avantages des souffrances endurées avec paix et humilité.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1638.]

Ma très-chère fille,

Béni soit éternellement notre bon Dieu qui vous a visitée en sa douceur dans votre solitude, pour vous préparer aux souffrances que vous me marquez dans la vôtre, qui sont grandes, [101] certes, mais qui vous doivent être précieuses pour le respect de la divine volonté et de l'amour qui vous les envoie. Bénies soient les âmes qui cheminent dans la voie de la croix, pourvu qu'elles s'y soumettent humblement et se tiennent en paix parmi cette guerre, opérant tout le bien que la lumière leur montre ! Voilà, ma chère fille, en peu de paroles, ce que vous devez faire, et tenir votre âme en cette joie. Votre bonne Mère entend bien les chemins, suivez fidèlement ses conseils. Dieu nous en fasse la grâce, ma chère fille, et nous donne sa sainte bénédiction. Je suis en Lui toute vôtre. [102]

LETTRE MDXCV (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Conseils de direction.

VIVE † JÉSUS !

Turin, 24 novembre 1638.

Ma très-chère fille,

Je me suis quasi dépitée contre vous, lisant les premières lignes de votre lettre, voyant que toujours vous voulez trouver des sujets en vous, pour tracasser et ennuyer votre esprit, et même l'intimider, si vous pouviez. De vrai, si Dieu ne vous favorisait de tant de grâces et saintes lumières comme sa Bonté fait, vous tomberiez bas. Je vous ai toujours tant prêché de ne vous point regarder ; je vous prie de le faire, ma très-chère fille, et regardez seulement notre bon Dieu qui vous favorise tant, car je vous dis que j'aimerais mieux ce qui se passe en vous que d'être ravie. Suivez toujours très-simplement les attraits de ce très-débonnaire et souverain Maître, et tenez votre esprit en joie et en courage, sans lui permettre de recevoir aucun ennui ni appréhension de quoi que ce soit. Ayez soin de ne rien faire qui gâte votre santé, et cela par simple obéissance. Je salue nos chères Sœurs, je bénis Dieu du progrès qu'elles font en son amour ; je les conjure de faire ferveur pour cela, et prie Dieu les aider de sa grâce et vous combler de ce saint amour pur. Je salue tous ceux et celles que je dois et que vous jugerez à propos, surtout nos dames, que Dieu console et soit béni.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Soleure. [103]

LETTRE MDXCVI (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-ANTOINETTE TESTE DE VOSERY

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

User de ménagement envers le prochain. — Messages.

VIVE † JÉSUS !

[Turin], 25 novembre 1638.

Ma très-chère fille,

Je vous dis derechef que si l'on peut changer ma Sœur L. D. à cause de l'ennui qu'en reçoivent les filles et qu'elle ne les avance point, que ce sera un grand coup, mais qu'il faut bien recommander à Notre-Seigneur et le faire adroitement, afin qu'il n'altère point cette chère âme et qu'elle ne pense qu'il vienne de moi et de peu d'affection, ce que Dieu sait qui n'est pas. Enfin faites selon que vous jugerez pour le mieux. Je salue en tout respect M. le doyen, le Père Prépavin, s'il est là, M. M. et tous les bons amis et amies ; mais surtout nos très-chères Sœurs, à part ma Sœur M. F. [Humbert], A. M. [Rosset], M. M [de Mouxy], M. A. [Fichet], J. M. [de Mongeny], et le reste que je prie Dieu bénir de sa très-sainte grâce et tout spécialement votre chère âme. J'ai si mal à un œil que je ne peux écrire.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDXCVII (Inédite) - À LA MÊME

Elle recommande les malades aux soins de la Sœur infirmière.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1638]

Ma très-chère fille,

Notre Sœur Jeanne-Thérèse [Picoteau] vous répondra. Vous direz à notre chère Sœur l'infirmière que je la prie d'envoyer appeler M. Bérard [médecin], quand elle en verra de la [104] nécessité en ses malades, que je lui recommande de tout mon cœur. Elle sait bien ce qu'il leur faut ; qu'elle le fasse en toute liberté, selon la sainte charité que Dieu lui a donnée. Quand il sera besoin que M. Bérard entre, au moins qu'elle vous le dise franchement : quand il suffira qu'elle lui parle seulement au parloir, qu'elle le fasse aussi, le tout avec congé. Bonsoir, ma très-chère fille, et à toutes nos Sœurs. Je prie Dieu vous bénir toutes, et que sa Bonté vous exauce quand vous me recommanderez à sa miséricorde. Dieu soit béni et sa sainte Mère. Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDXCVIII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

C'est un grand bonheur de connaître sa misère ; combien on doit estimer l'humiliation. — Admirables conseils de charité ; oublier et dissimuler les torts du prochain. — On doit cacher soigneusement dans son cœur le baume du mépris.

VIVE † JÉSUS !

[Turin], 27 novembre 1638.

Ma toute très-chère et bien-aimée fille,

O Dieu ! quel bonheur de bien voir et connaître notre vraie néantise et pauvreté, pourvu que, comme vous, nous soyons toutes à Dieu, et toutes à notre saint Institut ! Certes, ma fille, je désire que nous n'ayons jamais autre richesse ; car cette disposition nous fera posséder le seul unique trésor du ciel et de la terre, notre très-débonnaire Sauveur. Qu'il veuille à jamais, par sa douceur infinie, tout ce qu'il lui plaira pour nous ! Que s'il fallait désirer quelque chose (dont sa bonté nous garde), certes, ma très-chère fille, il me semble que ce devrait être des humiliations et souffrances pour ce divin Sauveur, et encore [105] comme le plus assuré partage qui nous puisse arriver en cette vie.

Oh ! vraiment, je suis tout à fait marrie de ces petites sécheresses dont vous m'écrivez de la Mère de Lyon que j'ai toujours vue vous porter un respect et amour très-grands, accompagnés d'une estime incroyable. Mon Dieu ! serait-elle fille à se laisser aller à l'impression de quelques-unes de ses Sœurs qui s'étaient bandées contre vous ? Je ne le pense pas ; mais vous savez son naturel qui est rude et sec, bien que je lui aie toujours connu un très-bon cœur. Or nonobstant, ma très-chère fille, qu'il lui puisse arriver de ne pas vous écrire comme elle doit, je vous conjure, au nom de Notre-Seigneur, et par la douceur de notre Bienheureux Père et de son saint Institut, de n'en rien témoigner ni dedans ni dehors à qui que ce soit, ni de lui écrire ou faire écrire que dans la véritable douceur, charité et confiance qui doit régner entre nous. Dieu requiert cela de vous pour votre propre bien et perfection et pour l'édification du prochain ; car si quelqu'un remarquait de l'altération entre vous, cela serait de mauvaise odeur. Si donc elle continue à s'échapper en ses rudesses, vous, ma fille, qui êtes sa Mère, remontrez-lui maternellement, ou plutôt encore, tâchez de l'excuser à vous-même et de supporter cela doucement, sans en rien témoigner du tout, je vous le répète ; car il est important que cela ne soit pas connu que vous en ayez du ressentiment et en fassiez des plaintes. Aussi peu faut-il lui faire connaître sa faute par votre silence ; oh ! non, je vous supplie, écrivez avec toute douceur et bonté cordiale, comme si de rien n'était. Je vois bien qu'il est inévitable que votre nature ne ressente ces petites sécheresses-là d'une âme que vous avez si bien servie ; mais c'est en ces occasions où il faut la soumettre, et faire régner la vraie vertu qui est en vous. Je suis marrie que vous ayez cessé d'écrire ; je vous conjure qu'en celle occasion la vertu de Dieu répare tout cela, et la faites surnager à toutes les raisons et considérations humaines et naturelles. Je sais bien que votre volonté et attrait [106] est de vivre au-dessus de tout cela : Dieu vous en fasse la grâce et de porter vos peines d'esprit selon son bon plaisir !

Il y a tantôt trois ans que Dieu m'a chargée d'une peine qui m'est plus douloureuse que chose qui me pût arriver, ce me semble. Prions bien Dieu qu'il nous tienne de sa sainte main, afin qu'éternellement nous le bénissions, accomplissant son bon plaisir ; et cependant regardons Dieu et le laissons faire, ne nous arrêtant jamais à vouloir regarder nos peines : c'est l'unique remède. J'ai un grand désir, aussi bien que vous, de passer ce peu de vie qui me reste en obéissance et souffrance, si c'est le bon plaisir de Dieu ; car en tout je désire qu'il me fasse la grâce de ne pouvoir ni vouloir jamais que ce que sa sainte Providence voudra pour moi ; faites, je vous prie, envers sa Bonté qu'il m'octroie cette grâce. Je vous écrirai le plus souvent que je pourrai ; car vous savez bien que vos lettres me sont chères et l'amour de votre bon cœur précieux, et que sans réserve je suis toute vôtre.

[P. S.] Ma très-chère fille, il est vrai que, selon la fausse opinion du monde, il y a quelque ombre de confusion de vous avoir fait sortir de Lyon, comme on a fait, et je l'ai fort ressenti et ressens quand j'y pense ; mais selon la nature seulement. Car au reste, vous et moi, qui ne sommes qu'une en Dieu, devons chérir le don précieux que Dieu nous a fait de cette occasion et la cacher dans notre sein, sans l'éventer ni en parler, afin que ce baume de mépris parfume tous nos cœurs de son odeur sainte, la très-sainte humilité ; c'est l'intention de notre bon Dieu, qu'il soit béni ! Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [107]

LETTRE MDXCIX - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Comment on doit allier les devoirs de son emploi avec le soin de sa perfection.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1638.]

Mon très-honoré et très-cher frère,

Dieu soit béni, qui nous a fait enfin recevoir vos lettres du 4e de septembre, qui ont été si longtemps par chemin. J'en étais avide ; aussi mon cœur les a reçues avec joie et consolation.

Le récit que vous me faites de l'état où vous trouvez votre esprit au retour de vos visites, nie fait ressouvenir des plaintes que notre Bienheureux Père me faisait du sien, quand il était sur la fin de celles de son diocèse. « Hélas ! disait-il, ma pauvre âme est si maigre, défaite et abattue de tant de tracas, qu'elle me fait grand'pitié ; je m'essayerai au premier temps de la voir, restaurer et remettre en son train, moyennant la grâce de Dieu ; je la prendrai tout doucement, afin de ne la pas effaroucher. » Voilà un exemple pour vous, mon très-cher frère, de cette âme que vous révérez et aimez uniquement, laquelle, après quelques mois de repos en sa maison, sans toutefois laisser rien en arrière des affaires et exercices de sa charge, retournait à cette bénite visite avec allégresse et courage ; et cela a duré environ six ans, se consolant de se quitter soi-même, son repos et avancement spirituel, pour s'employer aux affaires de la gloire de Dieu et bien des âmes, à quoi sa vocation l'obligeait, exposant et abandonnant ainsi tout ce qui le concernait à la merci de la miséricorde de Dieu. Et en cette manière il a connu qu'il n'avait rien perdu en ce trafic, mais beaucoup gagné, puisque notre richesse consiste en l'accomplissement de sa divine volonté, et que nous ne gagnons jamais tant que lorsque nous quittons nos propres intérêts pour ceux de Notre-Seigneur. [108]

Or je vois bien, mon très-cher Père, que votre âme est résolue de rendre à Dieu en cette occasion ce qu'elle voit lui devoir, et sa Bonté ne manquera point de vous éclairer et faire connaître jusqu'à quel point Il veut que vous employiez votre personne, et où il faudra aussi que vous la soulagiez, car c'est la vérité que la délicatesse de votre complexion requiert un soin et soulagement très-grands ; et je crois que pour ce point vous devez avoir quelqu'un avec vous, qui ait l'œil à cela, et à qui vous défériez ; autrement vous pourriez ruiner votre santé, car je sais qu'aux œuvres de Dieu vous agissez ardemment.

L'affaire de votre Ordre, après les visites, ne vous tiendra pas si attaché, que vous ne vaquiez à tout. Pour celle de notre Bienheureux Père, quand vous jugerez qu'il la faille relever et* reprendre, l'on suivra vos avis. Je voudrai toujours et à yeux clos faire ce que votre cœur paternel approuvera. Pour nous, vos très-humbles et obligées filles, nous ferons force communions et prières pour vous et les sacrés desseins que Dieu vous met en main, afin que tout réussisse à sa très-grande gloire, et que votre chère personne nous soit conservée longues années ; c'est le désir de celle que Dieu vous a donnée. Dieu vous fasse un grand Saint, et soit à jamais béni !

LETTRE MDC - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION[36]

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1638.]

Ma très-chère fille,

Je suis bien mauvaise, mais je ne le suis pas encore à ce point que de vous donner une pénitence ; car certes je vous crois si bonne et si pure en vos intentions, que vous faites toutes choses [109] droitement. Je bénis et remercie l'infinie Bonté des grâces qu'elle a conférées à nos Sœurs en leurs solitudes, la suppliant de leur faire la grâce de réduire le tout en effet, et de les maintenir en la bonne union que Notre-Seigneur a répandue entre elles.

Il faut s'humilier, ma très-chère fille, sur la louange des hommes et référer le tout à Dieu. Aussi il faut recevoir les contradictions de la main de Dieu et dire avec le bon Job : « , Si nous avons reçu les biens du Seigneur, pourquoi n'en recevrons-nous pas les maux ? » Dieu réparera tout cela, ma fille, car Il sait que vous avez besoin de cette place pour votre accommodement. C'est bien fait de recourir à Dieu et à ses Saints dans nos afflictions ; nous en serons toujours consolées. — Vous fîtes fort bien de ne point mettre dehors cette fille sur le soupçon de la peste ; et il me semble que les filles, quoique prétendantes, lorsqu'elles sont parmi nous et qu'elles sont bonnes, ne doivent point être mises dehors, bien que le mal les y prenne : la charité le requiert ainsi. Certes, je loue bien l'affection que nos Sœurs ont de se servir les unes les autres ; néanmoins, si le mal venait grand, il faudrait prévoir à faire quelque petit bâtiment en quelque endroit de la maison où vous êtes, si elle n'a point de lieu écarté pour les mettre. — Que vous faites bien, ma fille, de purger votre maison des esprits qui ne sont pas propres ! Au reste, il faut avoir un grand zèle pour les maisons que Dieu commet à votre soin ; mais il faut que ce zèle se pratique avec humilité et douce charité. Ayez un grand support, et reprenez les manquements sans les exagérer. [110] — Je vous conjure, si vous m'aimez, comme je sais que vous faites, que vous et vos Sœurs ayez un soin persévérant à me recommander à la divine miséricorde, mais je vous demande cette charité par aumône.

Enfin, ma très-chère Sœur, j'espère que Dieu me fera encore la grâce de vous communiquer dans quelque temps le livre des Vies de nos Sœurs défuntes, les Fondations, les Méditations pour nos solitudes annuelles, tirées des écrits de notre Bienheureux Père, les Petites Coutumes de cette maison, et plusieurs points notables qui ont été omis dans les Entretiens imprimés, que je fais ramasser exactement dans le manuscrit que nous avons céans ; car je désire intimement que les Filles de la Visitation nourrissent leurs âmes de ce bon et suave pain ; et, pour cela, ne rien oublier de tout ce que nous avons de notre Bienheureux Père et de l'Institut. Notre chère Sœur Françoise-Madeleine de Chaugy travaille à tout cela fort soigneusement, et j'y tiens la main et le revois tant que je puis ; c'est pourquoi, ma fille, j'ai besoin de mon loisir. Vôtre, etc.

LETTRE MDCI - À MONSEIGNEUR BENOÎT-THÉOPHILE DE CHEVRON-VILETTE

ARCHEVÊQUE DE TARENTAISE, À MOUTIERS

Le monastère de Turin est définitivement établi. — Éloge de madame de Chevron.

VIVE † JÉSUS !

Turin, 3 décembre 1638.

MONSEIGNEUR,

Nous voici enfin en la jouissance de la maison que nous avons acquise. Dieu a fait voir sa bonté envers nous par la fermeté que Madame Royale a eue à conduire cette affaire avec une douce force, de sorte que Mesdames les Infantes ont cédé aux propositions toutes de respect et de soumission que nous leur faisions, et sont demeurées contentes, à ce qu'elles nous [111] ont fait dire, avec assurance de la continuation de leurs bonnes grâces. Certes, la raison et l'équité étaient de notre côté.

Le jour de la Présentation, M. l'archevêque nous donna le Très-Saint Sacrement et liberté de chanter publiquement les Offices, ce que nous n'avions pas encore fait. Il nous a aussi donné licence de faire venir nos deux professes, que nous avions laissées à Aoste pour le temps que je serais ici, et plaira de nous y laisser de bon cœur, à ce qu'il témoigne, jusqu'à ce que nous puissions repasser les monts sans nous trop hasarder, notre Supérieur m'ayant aussi écrit d'attendre un temps commode pour cela. Il fait si froid en ce pays que nous en sommes tout étonnées.

Le nombre de nos prétendantes croit. Nous donnerons l'habit à trois, bientôt ; mais il reste encore quelque chose à faire pour les formalités touchant le temporel, que Mgr l'archevêque fait expédier. Je suis tout étrangère à tant de formalités ; mais le bon seigneur le fait pour notre assurance, car il nous aime fort paternellement.

J'ai parlé à Madame Royale de la fondation que Votre Seigneurie Illustrissime désire à Moutiers. Elle témoigne toute bonne volonté ; mais depuis, toutes ces brouilleries sont arrivées, si, que l'on n'a rien fait. Je pense, Monseigneur, que si votre bonté lui en témoignait son désir et l'utilité des âmes, avec la nécessité de donner moyen de retraite à celles qui voudraient se consacrer à Dieu, votre diocèse étant dépourvu de monastère propre à cela, je crois, dis-je, Monseigneur, que cela avancerait bien l'affaire, et y rendrait Madame encore plus affectionnée. Nous attendrons votre volonté avant que d'en reparler.

Notre Père dom Juste attend de Rome la réponse sur les informations que Mgr le Nonce y a envoyées. Il nous tarde bien qu'elle soit venue, car sans doute ce sera un bonheur incroyable à ce pauvre évêché de Genève d'avoir un si bon et vertueux prélat. — Nous avons eu l'honneur de voir quelquefois la bonne madame de Chevron : nous la voudrions bien voir plus souvent, [112] car j'ai demandé à Mgr l'archevêque le congé pour la laisser entrer ; mais elle est fort infirme. J'ai de la consolation de voir en cette chère dame tant de vertus et d'affection pleine de révérence et confiance qu'elle a pour vous, mon très-cher seigneur, et pour tout ce qui regarde la maison de Chevron ; en quoi je l'ai louée, étant vraiment digne de louanges pour cela. Dieu veuille que toutes les veuves conservassent tel respect et affection à la mémoire de leur mari !

Monseigneur, priez toujours notre bon Dieu pour moi, qui vous honore si parfaitement, et vous souhaite le comble des grâces célestes. Toutes nos Sœurs saluent en tout respect Votre Seigneurie Illustrissime, de laquelle je suis et de cœur, Monseigneur, votre, etc.

[P. S.] — Je voulais écrire à notre M. de Sales, mais je ne puis ; je le salue avec désir de savoir si sa besogne avance.

LETTRE MDCII (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-CONSTANCE DE BRESSAND

MAÎTRESSE DES NOVICES, À NANTES

Avantages de l'humiliation. — Condescendance envers une âme imparfaite.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1638.]

Ma très-chère fille,

J'ai reçu, en cette ville de Turin, vos papiers et votre lettre du mois de septembre ; je vous en remercie de tout mon cœur, et bénis Dieu d'avoir traité des affaires de votre conscience avec tant de satisfaction. Cette grâce est grande, et veux espérer avec vous qu'elle vous sera très-utile, et moyen d'un grand avancement au pur amour de notre divin Sauveur, auquel nous devons garder une fidélité invariable ; sa douce Bonté nous fasse la miséricorde de nous ôter la vie plutôt que d'y manquer.

Oh ! que c'est un aimable et assuré état que celui de [113] l'humiliation et méfiance de nous-mêmes ! Notre bon Dieu nous le veuille donner à toutes. Il me semble qu'avec son aide vous irez croissant comme une belle aube en la pureté de son divin amour, ainsi que de tout mon cœur j'en supplie sa divine Majesté, et vous, ma fille, de grandement prier pour mes besoins ; mais, je vous en prie, votre amour filial m'en donne confiance.

Il est dommage que ma Sœur N. N. s'embrouille autour d'elle-même, il la faut bien aider. Dieu soit béni du bon progrès de tout le reste. Je pense que, sans faire semblant de rien, il ne faudrait jamais donner à cette Sœur rien pour son usage qui fût rapiécé. Il faut faire de grandes condescendances pour empêcher une âme de pécher. Assurez ma Sœur la Supérieure que je la chéris sincèrement. Il me suffit que l'une ou l'autre m'écrive. Je la salue chèrement et toutes nos Sœurs, que Dieu bénisse toutes avec vous. Je bénis Dieu aussi du transport de nos Sœurs de Vannes.[37] M. L. nous est tout bon, et ce qu'il fait est parfait ; la modération pourtant est bonne.

Je crois qu'il est besoin de changer la Supérieure d'Angers. Je suis vôtre de cœur.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Voiron.

LETTRE MDCIII - À LA MÈRE F. -ANGÉLIQUE DE LA CROIX DE FÉSIGNY

SUPÉRIEURE AU DEUXIÈME MONASTÈRE D'ANNECY

Souhaits de bénédiction. —Perte de plusieurs lettres.

VIVE † JÉSUS !

[Turin], 17 décembre [1638].

Ma très-chère fille,

Notre doux Jésus, unique Rédempteur de nos âmes, y veuille naître et régner éternellement ! Amen. C'est ainsi que je vous souhaite les bonnes fêles, ma toute très-chère fille, et à nos [114] très-bonnes Sœurs, à part aux anciennes et à ma chère fille F. -Angélique [de la Pesse]. Priez bien toutes pour moi, je vous en prie, et qu'il plaise à son infinie bonté de répandre ses saintes grâces sur cette maison, afin qu'étant toute consacrée à sa gloire elle y réussisse heureusement. Au reste, il faut avoir patience en tout et se tenir joyeuse et encouragée, même pour la perte de vos lettres, car nous ne les avons point reçues ; c'est pourquoi je n'y puis répondre, ne sachant ce qu'elles me disaient. Sur ce que vous écrivîtes, par une autre voie, à notre Sœur l'assistante, que vous attendiez ce que je trouverais bon touchant le Père Prépavin, ne sachant la proposition, je vous fis répondre que vous vous adressassiez à M. le doyen, car il vous doit suffire de prendre ses avis et les suivre. Si ce bon et vertueux Père Prépavin est là, saluez-le chèrement de ma part ; c'est un bon serviteur de Dieu que je chéris cordialement. Qu'il me tienne promesse de prier pour moi au saint sacrifice. Écrivez quelquefois à ma Sœur la Supérieure d'ici. Dieu vous bénisse, ma chère petite : je suis toute vôtre en son saint amour.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCIV - À LA SŒUR FRANÇOISE-ANGÉLIQUE DE LA PESSE[38]

MAÎTRESSE DES NOVICES AU DEUXIÈME MONASTÈRE D'ANNECY

Elle l'exhorte au complet abandon entre les mains de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1638.]

Ma chère fille,

Combien précieuse doit vous être cette favorable et sainte parole intérieure, que la débonnaireté de notre divin Sauveur prononça au fond de votre cœur ! Avec cette grâce demeurez [115] bien en paix. Observez bien cette digne leçon : ne soyez point en souci de vous-même ; confiez-vous bien en Celui qui est avec vous ; ne regardez point vos difficultés et incapacités. Vraiment, Dieu n'a garde de se fier à nous pour la conduite de ces chères âmes, Il la fait lui-même en nous et pour nous. Demeurez en paix et cheminez fidèlement et humblement.

Ma bonne et chère fille, je crois que Notre-Seigneur ne vous laisse guère longtemps sans quelque bonne visite, qui remonte votre cœur en de nouvelles lumières et désirs d'un parfait abandonnement de vous-même à sa sainte volonté. Ma chère fille, ce divin Maître vous a toujours attirée à ce bonheur ; coopérez fidèlement à sa grâce, ne vous chargez d'aucun soin de vous-même ; mais, vous reposant tout en son sein, recommandez-moi à la divine miséricorde.

Cette lettre est formée de deux fragments extraits de la Vie de Sœur F. A. de la Pesse. [116]

ANNÉE 1639

LETTRE MDCV - À LA SŒUR MARIE-ANTOINETTE TESTE DE VOSERY

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Nouvelles du monastère de Turin. — Conseils pour la conduite des novices. — L'expérience de notre faiblesse doit nous faire excuser les fautes du prochain.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1639.]

Ma très-chère fille,

Béni soit notre bon Sauveur en toutes nos petites difficultés, comme en la grâce de son assistance en beaucoup de choses, où sa Bonté nous fait réussir heureusement ! M. Marcher vous dira ce qui l'a arrêté, plus que nous ne pensions. Enfin, pour nos affaires, il y a apparence que celle fondation réussira bien à la gloire de Dieu ; mais il faut avoir bonne patience. Dieu nous la donnera, s'il lui plaît, et fera que tout s'accommodera bien et heureusement et solidement. Le Père dom Juste dit que c'est une Providence divine que je sois venue. À la vérité, quand les difficultés de ce commencement seront dévidées, ce qui se fera, Dieu aidant, avec un peu de temps, je n'y servirai plus de rien du tout ; car, cela passé, le Père dom Juste dit que nous serons comme des reines qui n'auront que faire de personne, cela veut dire pour des affaires fâcheuses. Or sus, je laisse à notre bon M. Marcher à vous dire le reste.

Je lui ai parlé confidemment de notre Sœur la directrice, sans rien découvrir de ce que vous m'écrivez ; ains seulement que je craignais que ses ennuis d'esprit ne préjudiciassent aux [117] novices ; car il pourra, dans les occasions de la confession, servir. De tous côtés, voyez-vous, ma chère fille, prenez garde à ne pas donner trop de confiance aux novices de s'adresser à vous ; et quand elles le feront pour des plaintes, faites-leur connaître que c'est leur imperfection qui ne peut rien souffrir ni supporter, que la maîtresse le fait pour les humilier et exercer, et que ce n'est pas à elles d'observer ses actions ni à philosopher sur ce qu'on leur dit, mais à s'y soumettre et en tirer profit avec humilité ; et choses semblables que vous leur pourrez dire selon les occasions pour les porter à la vraie vertu, et les tirer de l'enfance et mollesse dans la pratique de la sainte mortification. Enfin, ma très-chère fille, il faut travailler autour de ces chères âmes avec plus de charité que de prudence, bien que l'une et l'autre soient très-nécessaires, et toujours excuser et supporter le prochain, par l'expérience que nous devons prendre et avoir de notre propre faiblesse et imbécillité [incapacité], et cacher leurs défauts, n'en parlant que quand la charité le dicte ; ce que je ne dis pas pour moi, car entre nous deux il faut tout dire pour le bien des âmes, n'y prétendant que cela.

Je bénis Dieu de quoi ces deux bonnes Sœurs reçoivent profit du très-bon Père Prépavin ; sa divine Bonté les raffermisse et soit éternellement louée de nos âmes. Amen. — Je salue toutes nos chères Sœurs de tout mon cœur, et prie Dieu répandre ses plus chères bénédictions sur toutes, et elles de prier pour moi. Dieu soit béni et sa sainte Mère !

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [118]

LETTRE MDCVI (Inédite) - À LA MÈRE HÉLÈNE-ANGÉLIQUE LHUILLIER

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

La Sainte lui sait bon gré de n'avoir pas ajouté foi à des rapports malveillants, au sujet de la fondation projetée à Saint-Denis.

VIVE † JÉSUS !

[Turin], 12 janvier 1639,

Ma très-chère fille,

Mon Dieu ! que je vous sais bon gré de me dire que l'on peut avoir exagéré au rapport que l'on vous a fait des murmures de N... sur votre fondation,[39] car je m'assure que c'est de cœur. Et voilà, ma fille, comme il faut faire avec nos Sœurs, toujours les excuser, et ne pas croire tout ce que l'on dit quand il est mal ; comme aussi les choses rapportées se grossissent grandement. Or, si vous pouviez, sans intéresser ceux qui ont rapporté, faire savoir à N... cela, lui demandant s'il est vrai, car je crois qu'elles vous avoueront la vérité. [Le reste est illisible.]

Conforme à une copie gardée au premier monastère de la Visitation de Paris. [119]

LETTRE MDCVII - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Vanité de tout ce qui passe. — Décès des Supérieures de Marseille et de Digne. — Peu d'esprits sont capables de mettre la paix où est la guerre.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1639.]

Ma bonne et chère fille,

Votre déplaisir d'être longtemps sans savoir de nos nouvelles me donne de la consolation, en ce qu'il m'est un témoignage de votre véritable dilection : mais certes, ma fille, l'assurance en est gravée dans mon cœur. Béni soit Dieu qui purifie votre imagination ; c'est une grande grâce, comme aussi cette claire vue de votre néant, et de tout ce qui est en ce monde. « Tout ce qui est sous le soleil n'est que vanité », dit le Sage. Dieu veuille donner cette lumière à tous ceux qui rivent en ce monde ; mais surtout aux âmes religieuses, qui ne s'appliquent pas assez à considérer et estimer celle vérité du néant ! Plus vous me parlez selon vos sentiments, plus vous me consolez. Je vous prie donc, ma très-chère fille, n'ayez jamais de réserve pour cela ; car vous ne sauriez m'écrire, ni parler avec trop de franchise.

Il est vrai, j'ai ressenti et ressens toujours, quand j'y pense, la perte que l'Institut a faite en notre pauvre défunte Mère Péronne-Marie de Châtel. La mienne est si grande qu'il n'y a que Dieu qui la sache ; mais c'est sa douce Providence et main paternelle qui a donné ce coup : son saint Nom soit béni ! Voilà encore deux bonnes touches du trépas de ces chères Mères de Marseille et de Digne. La divine Bonté veuille être notre soutien, et nous fasse abonder et croître en humilité, confiance en Lui, douce charité et sincère simplicité. Ah ! ma fille, faut-il encore vivre longtemps et dans les épines ? Que celle vie est dure, mais douce en la divine Bonté ! Je remercie Notre-Seigneur, [120] qui me donne l'amour de votre cœur, et de celui de vos chères filles. Mais je vous prie qu'on ne m'estime point tant ; qu'on ne prie point pour ma santé ; qu'on laisse cela à Dieu. Impétrez de sa bonté et miséricorde la grâce que je vive et meure en son saint amour, crainte et entier accomplissement de sa très-sainte volonté ; mais je vous supplie que cette prière soit journalière chez vous. Oh ! que je suis touchée quand je vois tant d'humanité entre les serviteurs et servantes de Dieu, et si peu d'humilité ! Il faut que d'ores en avant [dorénavant] nous soyons fort attentives à bien faire choix des Supérieures ; car il y a fort peu d'esprits capables de mettre la paix où est la guerre, et de relier ce qui se détruit. Croyez que souvent la prudence humaine fait bien du mal à la charité, et le faux zèle à la douceur. Votre, etc.

LETTRE MDCVIII - À MADAME MATHILDE DE SAVOIE

À TURIN

Congratulations sur le rétablissement de sa santé. Désir de recevoir sa visite.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1639]

Notre très-honorée et vraiment très-chère et bonne Mère,

Nous ne pouvons plus demeurer sans nous conjouir avec Votre Excellence du retour de sa tant désirée santé, pour laquelle, comme nous avons beaucoup prié notre bon Dieu, aussi maintenant nous l'en remercions de tous nos cœurs, en suppliant sa souveraine douceur de nous conserver à longues années votre chère vie, pour la combler de grâces et de mérites devant sa divine Majesté, et lui donner une entière consolation de la sainte » œuvre que votre piété, ma très-honorée Madame, a si généreusement accomplie pour sa plus grande gloire. Mais que Votre [121] Excellence me permette de lui faire cette douce plainte, de quoi nous jouissons si peu de l'honneur de sa chère présence. De vrai, j'en ai quelquefois mal au cœur. Nos Sœurs qui sont pour demeurer ici, pourront recouvrer cette perte ; mais moi, jamais, sinon que Votre Excellence fasse un jour une saillie jusqu'à nous, ce que je désire de cœur, car enfin je vous honore entièrement et me sens très-obligée d'être à jamais et de toutes mes affections, Madame, votre très-humble, très-obéissante et fidèle servante.

LETTRE MDCIX - À MONSIEUR BAYTAZ DE CHATEAU-MARTIN

DOYEN DE LA COLLÉGIALE DE NOTRE-DAME D'ANNECY, PÈRE SPIRITUEL DU PREMIER MONASTÈRE DE LA VISITATION

Lenteur des affaires de la fondation de Turin. — La Sainte demande son obéissance pour revenir à Annecy.

VIVE † JÉSUS !

Turin, 3 février [1639].

Monsieur mon très-honoré Père,

J'ai reçu la vôtre du commencement de cette année, elle a demeuré longtemps en chemin ; nous fîmes donner incontinent celle de M. de Verbeau, et avons salué de votre part le Père dom Juste, lequel vous honore et chérit très-particulièrement ; ses affaires à Rome vont avec autant de longueur que les nôtres ici. Si jamais, que je me souvienne, je fus exercée en patience pour des affaires temporelles, nous le sommes ici pour les affaires de cette maison, où quelque presse que nous ayons su faire, nous n'en avons encore su avoir la conclusion. L'on nous promet enfin que ce sera dans la semaine prochaine, car je témoigne du déplaisir de telles longueurs ; la volonté de madame notre fondatrice est forte ; mais elle est si attachée à la cour que ce qui se pourrait faire en une heure avec elle, il y faut des mois. Nous n'attendons que cela pour nous retirer, car [122] le temps va s'adoucissant ; toutefois, je vois si peu de certitude aux promesses, que je crains du retardement.

Je vois bien que l'on me menace de Madame qui voudra nous arrêter jusqu'à Pâques, mais je me résous de parler si ferme que l'on nous laissera aller sitôt que nos affaires seront conclues ; cela veut dire entre ci et le 8 ou le 15 de mars au plus loin, si Dieu en donne le temps. Je pense toutefois, mon très-cher Père, que, pour plus grande assurance et facilité, il sera bon que Votre Révérence nous envoie une petite obéissance de nous retirer en notre maison [d'Annecy] le plus tôt qu'il se pourra, voire, soudain après avoir ici achevé les affaires de la fondation ; et, si vous jugez à propos d'y faire insérer notre passage vers nos Sœurs de Pignerol, je crois qu'il serait bien utile de les voir, afin qu'après cela l'on résolût ce qui se doit faire de cet établissement-là. — Le Père dom Juste espère que les Bulles seront expédiées dans la fin de ce mois, puis les procès de ces premiers actes, reçus sans difficulté. Dieu, par sa bonté, réduise toutes choses à sa gloire et vous comble de ses saintes bénédictions ! Je suis de cœur en tout respect, mon très-honoré Père, votre, etc.

LETTRE MDCX (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Détails sur la communauté de Turin. — On ne peut dispenser de l'assistance aux Offices du chœur que dans une absolue nécessité. — Ce serait charité de recevoir au monastère de Bourg les Sœurs de Saint-Amour réfugiées dans cette ville.

VIVE † JÉSUS !

Turin, 7 février 1639.

Ma très-chère fille,

Dieu soit éternellement béni de nos âmes ! J'ai enfin reçu une de vos lettres en date du 8 janvier ; le temps m'était long dès que je n'en avais eu. Je remercie la bonté de Dieu de vous avoir [123] guérie et la supplie de vous maintenir longtemps en santé. Nous y sommes toutes, grâce à sa divine Majesté, et me suis toujours très-bien portée dès que nous sommes ici. Je vous ai écrit il y a plus de six semaines toutes nos nouvelles. Nous avons trois novices, une prétendante, trois d'assurées qui toutes me plaisent bien ; nous en avons renvoyé deux. Nous sommes toujours après ces bénites affaires temporelles de la fondation, pour laquelle l'on remet deux fort beaux grangeages. Nous espérons, Dieu aidant, de partir pour retourner à Nessy au commencement de mars, si la saison le permet, comme nous l'espérons.

Vous êtes si bonne que vous jugez ainsi chacun. Je crois bien certes que votre Sœur que vous avez mise au noviciat est bonne, mais ne laissez de bien veiller sur elle et sur les autres. Si votre maison a une vraie nécessité, vous pouvez dispenser ces deux bonnes Sœurs de l'assistance à l'Office du chœur, pour, du travail de leurs mains, y subvenir ; mais non certes pour autre occasion, sinon pour quelque Office, par-ci par-là.

Nos Sœurs écriront bientôt à votre communauté toutes leurs nouvelles. Il y a longtemps que je n'en ai eu de nos Sœurs de Saint-Amour. Certes, j'ai compassion d'elles, car les maisons sont si pauvres, excepté quelque petit nombre, qu'elles ne peuvent pas redoubler leurs charités : ce sont celles-là qui ont besoin de travailler. Hélas ! la grande charité que vous feriez si vous pouviez les retirer en une partie de votre maison ; mais il faut bien regarder si vous pourrez vous en passer, et s'il sera à propos, cela étant, que les filles parlent beaucoup ensemble. Je crois que chacune se devra, pour l'ordinaire, tenir en son quartier. Bonjour, ma très-chère et vraie fille. Dieu vous bénisse toutes et vous fasse prier pour moi, qui suis toute vôtre.

Dieu soit béni !

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [124]

LETTRE MDCXI (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-MARIE ROSSET

AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Témoignage de maternelle affection.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1639.]

Ma très-chère fille,

J'ai reçu depuis peu de jours votre lettre et mémoire, lequel je ne lirai qu'à notre retour, n'ayant, je vous assure, aucun loisir. Il ne faut plus envoyer les lettres par le Val d'Aoste, cette voie est trop longue. J'ai reçu grand contentement de vous ouïr un peu parler en ce langage muet. J'espère, Dieu aidant, qu'environ le commencement de mars nous parlerons avec profit de tout ce que vous m'écrivez, et tandis je bénis Dieu des saintes grâces qu'il continue à votre chère âme, et vous conjure, ma très-chère fille, de me recommander souvent à ce très-débonnaire Sauveur, afin que sa très-sainte volonté s'accomplisse en nous et par nous.

Je salue, mais très-cordialement, mes très-chères filles M. -Gasparde [d'Avisé], M. -Françoise [Humbert], Jeanne-M. [de Fontany], Jeanne-Marg. [de Mongeny], et toutes les autres que je voudrais nommer, ayant leurs noms engravés dans mon cœur. Croyez qu'il me tarde bien de revoir cette chère et bénite troupe. Dieu répande sur elle ses chères bénédictions. — J'écris à ma Sœur l'assistante qu'il faut que vous cachetiez toutes les lettres.[40] Ma très-chère fille, je suis, mais de cœur, entièrement vôtre.

Conforme à une copie faite sur l'original par la Mère Rosset elle-même. Archives de la Visitation d'Annecy. [125]

LETTRE MDCXII - À LA SŒUR* FRANÇOISE-ANGÉLIQUE DE LA PESSE

MAÎTRESSE DES NOVICES AU DEUXIÈME MONASTÈRE D'ANNECY

Recevoir avec une profonde humilité les lumières et faveurs divines.

VIVE † JÉSUS !

[Turin, 1639.]

Ma très-chère fille,

Je bénis et remercie de tout mon cœur notre divin Sauveur des lumières et grâces qu'il a départies à votre chère âme, qui m'est chère et précieuse, parce que véritablement elle sert à Dieu. Oh ! ma fille, où sa douce Bonté parle, il faut que les chétives et stériles créatures se taisent. Conservez comme un baume précieux dans le fond de votre cœur ces célestes lumières que sa miséricorde paternelle y a répandues. Jouissez avec une profonde humilité des grâces et bons sentiments dont cette Bonté vous fait jouir ; et quand il lui plairait de cacher ces sacrés sentiments et lumières, demeurez fidèlement et constamment par l'esprit de la très-sainte foi en la disposition et fin qu'il vous a montrée, qui est d'un parfait abandonnement de vous-même et repos en sa sainte volonté, et d'une fidèle correspondance par la pratique d'une vie pure et vertueuse. Il m'a semblé que peut-être Dieu vous dispose, par ces grâces, à quelque service signalé à sa divine Majesté ; tenez donc votre courage en sa main, et faites cependant bien et amoureusement la conduite de ces chères âmes que sa Providence a commises à votre soin. Continuez-moi votre sincère dilection et confiance en Dieu, et croyez que de cœur, je suis vôtre et que vous êtes ma très-chère fille.

Dieu soit béni !

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation d'Amiens. [126]

LETTRE MDCXIII - À MONSIEUR BAYTAZ DE CHATEAU-MARTIN

DOYEN DE LA COLLÉGIALE DE NOTRE-DAME D'ANNECY PÈRE SPIRITUEL DU PREMIER MONASTÈRE DE LA VISITATION

Le affaires de la fondation ne seront pas achevées avant Pâques. — La Sainte juge inutile la prolongation de son séjour a Turin.

VIVE † JÉSUS !

Turin, 4 mars [1639].

Monsieur mon très-honoré Père,

Je vous remercie très-humblement de vos chères lettres, et je suis marrie que le voyage de M. Marcher n'ait pas été plus utile à ces pauvres chétifs établissements ; mais il faut se contenter de faire ce que l'on peut, et remettre tout à Dieu, que je supplie d'avoir toujours en sa sainte protection ce pauvre petit Institut.

Mon très-cher Père, je ne vis jamais un tel procédé pour les affaires qu'en ce pays. Ils ne peuvent rien achever, et donnent des promesses et assurances de jour à autre. Certes, je ne fus en ma vie si pressante de tous côtés, comme je le suis ; et ne sais si devant Pâques l'on en aura la fin, à ce qu'a dit M. le vicaire général, qui veut que les biens soient si exactement de la valeur que la Bulle porte, qu'il y aura peut-être au fond plus de longueur qu'il ne dit, à cause de tant de formalités qu'il faut faire, quoique nous disions que nous sommes contentes des [mots illisibles], comme en vérité il y a de quoi, car elles sont très-belles et bonnes. Or, si nous voyons que l'affaire tire à la longue de plus de quinze jours, je voudrais bien avoir votre sentiment si nous devons demeurer ici pour cela, n'y servant de rien que pour presser ; car c'est à Mgr l'archevêque et à M. le grand vicaire que touche la conduite, à quoi ils sont très-affectionnés. Je prendrai l'avis de notre bon Père dom Juste, si nous [127] n'avons pas de vos nouvelles ; car on dit qu'il fait fort bon passer la montagne.

Priez Dieu pour nous, mon très-cher Père, et je supplie sa Bonté vous combler de son saint amour, et demeure de cœur votre, etc.

LETTRE MDCXIV - AU MÊME

Le Père dom Juste est préconisé évêque de Genève. — Achèvement des affaires de la fondation. — Prochain retour en Savoie.

VIVE † JÉSUS !

Turin, 28 mars [1639].

Mon très-honoré et très-cher Père,

Il faut donc boire le calice et demeurer ici jusqu'à Pâques, et de bon cœur, puisque c'est la divine volonté ; le Père dom Juste le conseille ainsi, auquel Votre Révérence m'a envoyée. Il est bien préconisé évêque de Genève, bien qu'il ne veuille pas encore le publier qu'il n'ait ses Bulles pour se faire sacrer, et c'est humilité ; car il dit qu'il appréhende de se voir en cet habit d'évêque. Il vous salue très-chèrement et vous honore, chérit et estime grandement. Il n'a cessé d'écrire à Rome dès qu'il eut reçu le commandement du Pape de ne plus résister, afin d'accélérer l'affaire ; mais c'est une mort que les longueurs de ce lieu-là, aussi bien que celles d'ici.

Enfin les affaires de cette fondation sont au point, grâce à Dieu, que l'on rendra la sentence devant Pâques pour la possession de ce béni temporel, et la fulmination de la Bulle ; car l'un dépend de l'autre. Il ne fallait pas une moindre affection et diligence que celle du très-vertueux M. Pioton pour solliciter et faire venir là où on en est. Certes, je crois bien que sa présence et la mienne y ont bien aidé ; que s'il vient de nouvelles [128] difficultés, elles seront d'une nature que nous n'y pourrons plus rien, et elles seront seulement quelques nouvelles longueurs, si que, Dieu aidant, je puis assurer que nous partions incontinent après Pâques.[41] Je me recommande à vos saintes prières, et prie notre bon Dieu vous donner ses plus précieuses grâces, et demeure en tout respect, mon très-honoré Père, votre très-humble, etc.

LETTRE MDCXV - MADAME MATHILDE DE SAVOIE

À TURIN

Hommage de respectueux dévouement

VIVE † JÉSUS !

[Pignerol], 27 avril 1639

Madame et très-chère Mère,

Je n'ai pas eu loisir de quasi respirer dès que je quittai Votre Excellence, et, à faute de plus grand papier, agréez que je salue votre incomparable bonté et celle de M. notre digne marquis, en ce billet, et que je vous assure derechef tous deux que je vous porte dans mon cœur, avec le plus grand respect et tendre dilection qu'il m'est possible. Vous m'êtes et serez toujours précieuse en mes petites prières, à ce qu'il plaise à notre bon Dieu de vous conserver et protéger en tous les hasards de cette [129] vie, dont le temps présent me tient en douleur ; mais j'espère que Dieu vous gardera tous deux, et ce qui vous est de plus cher. J'en supplie sa Bonté de toutes les forces de mon âme. Quant à Madame Royale, je n'oublie point les besoins de ses pauvres États. Baisez de ma part, je vous supplie, sa chère main, et me tenez toujours dans votre cœur ; car je suis, etc.

LETTRE MDCXVI - À LA MÊME

Arrivée- de la Sainte à Chambéry. — Promesse d'un continuel souvenir devant Dieu pour le marquis de Pianesse exposé aux dangers de la guerre.

VIVE † JÉSUS !

[Chambéry, 1639.]

Madame notre très-honorée et très-chère Mère,

Nous voici, par la divine miséricorde, arrivées heureusement et en santé à notre maison de Chambéry, non sans avoir couru fortune de tomber dans un précipice ; mais la divine Providence nous en préserva. Bénie soit-elle éternellement ! Enfin, Madame, celle misérable vie est partout pleine de croix, de malheurs et d'afflictions. Le pauvre Piémont en est maintenant le théâtre. Hélas ! que les grandeurs, les plaisirs, les honneurs et les richesses de ce monde sont frivoles, inconstants et de peu de durée ! Que bienheureuse est l'âme à qui cette vérité est bien imprimée dans le cœur ! car, par ce moyen, elle s'élève joyeusement et avec grande facilité en l'amour et au seul désir des biens éternels, dont l'espérance certaine adoucit l'aigreur des calamités de ce monde, qui sans cela se rendraient insupportables.

Oh Dieu ! Madame, que la souveraine sagesse de notre grand Père céleste est adorable et admirable, car elle fait tirer de tous ces malheurs temporels des richesses spirituelles à ses enfants, par la patience, douceur et résignation avec laquelle ils portent [130] leurs travaux. J'ai consolation de penser que Votre Excellence et celle de M. votre fils possèdent ce bonheur, jouissant d'une sainte paix dans vos âmes, tandis que tout est en trouble par la guerre. Il est vrai que pour vous, ma très-honorée Mère, je sais bien que votre cœur maternel ne peut être exempt des douleurs d'une vive appréhension sur la personne de cet unique fils, incomparable en vertu et débonnaireté. Et véritablement, quand cela se présente à mon esprit, j'en ressens une grande peine. Mon recours est à Dieu, vous présentant tous deux à sa Bonté avec une affection très-tendre ; car, ma très-chère dame, je ne vous saurais dire combien vos personnes me sont précieuses ; le cher fils encore plus intimement m'est présent devant Dieu, pour les continuels hasards où je sais qu'il est. La divine Bonté le conserve avec vous, Madame, et la chère madame la [jeune] marquise, et toute la bénite famille, Je salue en tout respect Vos Excellences, attendant toujours l'honneur et la consolation de vous voir en notre petit Annecy, où je vous désire de tout mon cœur ; et, après vous avoir souhaité les plus grandes grâces du saint amour de Dieu, je demeure, de Votre Excellence, Madame, très-humble, etc.

LETTRE MDCXVII - À LA MÈRE MADELEINE-ÉLISABETH DE LUCINGE

SUPÉRIEURE À TURIN

Sollicitudes pour la communauté de Turin. — Instruction sur les devoirs d'une Supérieure.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Ma toute chère fille,

Combien ont été chèrement reçues vos lettres et les nouvelles que nous a dites ce jeune homme qui nous les a apportées ! Car, ma très-chère fille, nous étions dans une peine incroyable [131] de vous et de votre famille, bien que, dès quelques jours, elle était un peu adoucie par l'assurance qu'on nous donnait qu'il n'y avait point de batterie de votre côté.[42] Mais auparavant, ma fille, j'ai souffert ce que je ne vous puis dire, vous ayant souvent toutes désirées ici. Nos Sœurs font de continuelles prières, et l'on nous assure qu'il y a trêve pour deux mois, et espérance de paix. Dieu, par son infinie bonté, la veuille établir dans les âmes et entre les hommes ; car les cheveux hérissent de savoir les désolations et calamités que souffre la pauvre chrétienté. Je bénis l'infinie Bonté de tout, et de ce qu'il lui plaît vous fortifier de sa grâce parmi tant de sujets d'épouvante ; c'est une grande consolation de savoir que rien du tout ne saurait arriver que ce que Dieu voudra, et qu'il voudra tout bien pour nous qui ne voulons que sa volonté ; de sorte que la mort et la vie, et la manière de la recevoir, nous sont indifférentes, puisque tout part de cette source d'incomparable miséricorde. Il faut donc faire toujours ce que nous connaissons devoir faire pour éviter les périls, afin de ne point tenter Dieu. Pour tout le reste, je n'ai guère à ajouter à ce que je vous ai écrit pour votre conduite sur cette chère Sœur dont vous m'écrivez ; elle a un cœur très-bon, doux et qui veut le bien, mais il la faut aider. C'est l'obligation des Supérieures à qui Dieu commet les âmes qui lui sont chères, de les régir, gouverner, redresser et affranchir de leurs défauts et imperfections ; et non-seulement cela, mais il les faut avancer en la voie de la perfection, afin de les rendre dignes de la sainte union à laquelle leur vocation et la bonté de Dieu les appellent, lequel ne s'est choisi ces âmes d'entre tant d'autres qui croupissent au [132] monde que pour les rendre conformes et une même chose avec Lui ; et c'est en cela principalement que consiste la charge de Supérieure. Dieu lui en demandera compte, et ne recevra point les excuses de l'amour-propre, de timidité et de considération de nos intérêts ; car, au-dessus de tout cela, Il veut que l'on cultive les âmes, qu'on arrache les mauvaises plantes, qu'on y sème les saintes vertus, et qu'on les arrose d'exhortations, d'encouragements et d'oraisons, puis qu'on laisse le soin à la divine Providence d'y donner de l'accroissement et les fruits au temps qu'il jugera convenable, car c'est de cela qu'il ne nous demandera pas compte ; mais oui bien si nous avons dit ce qui est en nous pour leur bien, et il faut attendre les effets [de notre travail] ; et, bien qu'ils ne paraissent pas sitôt, il faut avoir patience et persévérer à faire et travailler, comme nous avons dit, sans se lasser, te Dieu nous bénira. Voilà, ma fille, comme vous devez travailler après toutes, sans exception ; et, grâce à la divine Bonté, il me semble que les filles de ce pays sont de bonne trempe pour être de vraies Filles de la Visitation.

Pour les esprits du lieu où vous êtes, l'on a toujours dit qu'il n'en fallait pas attendre la douceur et souplesse telles qu'en ces quartiers : la nation ne le porte pas. Elles ne laissent d'être filles de Dieu : et certes ce que j'en connais est bon ; il y a là dedans de bonnes vertus, quoique non si agréables. Il faut se contenter de ce qu'on en peut avoir, surtout il les faut tenir en courage et joie, et ne leur pas faire voir toute la perfection qu'on requiert d'elles, sinon petit à petit, leur témoignant du contentement de ce qu'elles font, autrement on les abattra. Il sera bon qu'elles rendent compte à leur maîtresse ; mais je crois toujours que c'est leur grand bien, que vous leur parliez tous les huit jours, puisque vous en avez le loisir. Tenez vos filles allègres ; ne vous ennuyez point de leurs défauts, corrigez-les maternellement. Mon Dieu ! que je suis consolée de voir les [133] assurances que Notre-Seigneur vous donne ! et que de grâces Il vous fera, ma chère fille, si vous donnez une fidèle correspondance aux desseins qu'il a de se glorifier en ces chères âmes ; car je crois toujours que ce n'était pas en vain que notre Bienheureux Père avait tant d'inclination que l'Institut passât les monts. Votre, etc.

LETTRE MDCXVIII - À LA MÈRE PAULE-JÉRONYME FAVROT

SUPÉRIEURE À NANCY

Heureuse est l'âme qui chemine simplement et paisiblement dans sa vocation.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Ma chère fille,

Le doux et débonnaire Sauveur soit notre éternelle consolation et l'unique amour et louange de nos cœurs ! Votre lettre m'a toute consolée, y voyant le bon état de votre communauté, dont je bénis mon Dieu de tout mon cœur. Hélas ! que ces bénites âmes sont heureuses de cheminer ainsi paisiblement et simplement dans leur sainte vocation, et ne la point mélanger par les communications étrangères ! Je loue et remercie notre divin Sauveur de ce qu'il lui plaît répandre cette affection en presque toutes les Filles de la Visitation ; c'est une des bonnes marques qu'on en possède l'esprit. Je n'ai donc à souhaiter à nos très-chères Sœurs vos filles, que la sainte persévérance dans l'affection d'une profonde humilité et douceur de cœur, qui sont les deux chères vertus de l'Institut. [134]

LETTRE MDCXIX - À MADAME MATHILDE DE SAVOIE

À TURIN

La Sainte prend part à ses inquiétudes et l'excite à se confier en la divine Providence, qui fait tout pour le bien des élus.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Madame ma très-honorée et vraie Mère,

La lettre que je viens de recevoir de Votre Excellence a vivement touché mon cœur, pour y voir les justes douleurs et appréhensions du vôtre tout maternel, sur le péril où est d'ordinaire M. votre digne et unique fils. 0 Sauveur de mon âme ! protégez et conservez en votre grâce et en santé celui duquel je crois que l'âme est très-précieuse à votre divine Bonté. Ma très-honorée et très-chère Madame, ne doutez point que nous ne fassions de très-particulières prières à cette intention et pour votre consolation ; car Dieu sait l'amour, la révérence et estime que j'ai pour Vos Éminences, et ce que je ne voudrais pas faire pour votre contentement et la conservation de ce digne seigneur, que j'honore et chéris avec des sentiments très-particuliers.

Madame, nous sommes tous comme rien en la main de Dieu, et vous devez croire assurément que la souveraine Providence a un soin spécial de M. votre fils, parce que je sais que son cœur regarde droit à Dieu, et qu'il n'a point de prétention en tous ses desseins que de cheminer dans les sentiers de son très-saint bon plaisir. En cela vous devez prendre votre repos et mettre votre confiance, ma très-honorée Madame, espérant fermement que Dieu ne permettra lui arriver chose quelconque qui ne soit pour son bien. Madame, que Votre Excellence me permette de lui dire que nous devons, nous autres chrétiens, petit à petit dégager nos cœurs des choses créées, par la considération d'une meilleure vie, et jeter dans cette bienheureuse [135] éternité nos affections, nos désirs et prétentions ; c'est le profit que votre prudence vous fera tirer des misères et calamités qui sont si pressantes.

À la vérité, je vous souhaiterais de tout mon cœur en cette petite retraite [d'Annecy], et nous en recevrions toutes un contentement inexprimable ; mais, comme vous le dites, Madame, il vous serait impossible de quitter Madame Royale dans les sensibles afflictions qui l'environnent. Cette grande et toute bonne princesse touche vivement nos cœurs ; l'on fait continuellement des prières pour elle et pour cette tant désirée et désirable paix. Que notre doux Sauveur remplisse de la sienne votre âme ! Je demeure en tout respect, Madame, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXX (Inédite) - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

C'est une grande vertu de se soumettre à la volonté do Dieu dans l'insuccès des œuvres entreprises pour sa gloire. — Souffrir patiemment les distractions. — Explications relatives aux fondations fuites par le commandeur pour la célébration d'une messe quotidienne et la réception d'une prétendante sans dot.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Mon très-honoré et très-digne Père,

Votre bonté me récompense largement le retardement de vos chères et très-aimables nouvelles, ayant voulu prendre la peine de m'écrire si au long, et de votre propre bénite main, les ardentes et sincères affections de votre tout bon cœur, mon très-cher Père, et tous vos pieux desseins. Je n'ai su douter que le retardement de cette communication procédât d'autre motif que de vos grandes occupations et de votre absence.

Certes, il n'est pas possible de ne pas ressentir la perte de tant de biens spirituels que l'on pouvait attendre de [136] l'établissement commencé au Temple, et ne puis penser qu'un jour Dieu ne le redresse et ne suscite quelques bonnes âmes pour cela. Cependant, sa divine Providence, qui vous avait fait entreprendre si sagement ce dessein pour sa gloire, ne vous en lairra sans récompense, et fera valoir si hautement la douceur de votre humble acquiescement à sa divine volonté, que vous verrez un jour, mon très-cher Père, moyennant sa grâce, que cet acte vous aura mis dans un avancement de perfection et dégagement plus grand que l'on ne saurait estimer. Et je crois que c'est un conseil de Dieu de n'avoir pas suivi celui que l'on vous donnait de maintenir votre entreprise, et en cela je vous assure que vous avez suivi le vrai esprit de notre Bienheureux ; car, comme vous savez, il voulait que l'on fût courageux à entreprendre, et souple à quitter quand le bon plaisir de Dieu le signifiait. Oh ! que de trésors pour votre âme en cette défaite, mon très-cher Père, et je ne doute point que Dieu ne vous donne une grande assistance pour vous en enrichir ! car je vois que de tous côtés sa Providence vous en fournit des sensibles occasions, à quoi, selon l'esprit que votre bonté aime et estime tant, il ne faut rien faire que souffrir doucement la peine que tant de divers sujets vous donnent, ne les point regarder d'un œil arrêté, point du tout, ne point combattre ni vouloir les surmonter, mais se divertir et tenir paisible.

De même il faut faire pour l'évagation de votre esprit, sans en prendre aucune peine, mais tâcher de demeurer en paix parmi cette guerre de distractions, et vous contenter, mon très-cher Père, de demeurer le temps destiné à l'oraison coi et paisible, sans faire aucune chose devant Dieu que de se contenter d'être à sa vue, et cela sans le vouloir sentir ni en faire l'acte, sinon que vous y ayez la facilité, vous tenant assis avec un repos et révérence intérieurs et extérieurs ; et croyez que cette patience est une grande oraison devant Dieu. Vous ne devez pas vous étonner de trouver votre esprit comme il est ; il [137] était inévitable qu'il ne tombât là à cause des grands, continuels et divers emplois et occupations qu'il a eus durant deux ou trois ans ; cela arrive à chacun, et à notre Bienheureux Père même, je vous l'ai déjà écrit. Quand il retournait de ses visites, qui n'étaient que de quatre ou cinq mois à la fois, il trouvait sa pauvre âme si distraite, si maigre et délabrée qu'elle lui faisait pitié. Dame ! il ne la remettait pas à force de bras, mais la prenait doucement ; et, avec une grande patience et sans effort, la remettait petit à petit, et je sais qu'en telles occasions il donnait les avis que je vous dis à la fin de la page précédente. Surtout il recommandait de retrancher les réflexions, l'empressement et désir d'être délivré de telles importunités, et la patience à les souffrir. Dans plusieurs Épîtres et Entretiens, vous trouverez cette doctrine ; et j'espère, mon très-cher Père, que, dans peu de temps, faisant de la sorte, vous serez remis en votre premier train. Enfin, il faut être aussi content d'être impuissant, oisif et immobile devant Dieu, sec et aride, quand Il le permet, qu'agissant et jouissant de Lui avec grande facilité et dévotion : le tout consiste, pour notre union avec Dieu, d'aimer autant l'un que l'autre.

Il m'est avis, mon très-bon et cordial Père, que je vois votre esprit qui s'en va renouveler et refondre tout dans celui de notre Bienheureux, et passer en ce saint exercice (à l'aide de ce dépouillement que vous vous proposez de faire, de tout embarras des choses de la terre), le reste de vos jours dans une grande douceur et solide dévotion, votre âge et votre complexion n'étant plus pour agir, mais pour s'employer tout à l'amour et repos en Dieu ; et j'estime que l'effet de vos desseins résultera à la très-grande gloire de Dieu, à l'enrichissement de votre chère âme et à l'édification du prochain. Vous ne pouvez donner un plus grand exemple de vraie piété et de l'entier mépris des choses que le monde estime tant ; Dieu, par sa bonté, vous veuille donner beaucoup d'imitateurs. Je souhaiterais la même [138] résolution à Mgr de Bourges, qui a une parfaitement bonne âme, qui désire la retraite afin de mieux servir Notre-Seigneur ; mais le monde et les visites, quand il est retiré en son abbaye, le persécutent et le distraient grandement, et il est si bon et facile qu'il ne se peut dénier à ceux qui le désirent.

Je vais répondre aux autres lettres ; je prie Dieu me donner sa sainte lumière, afin que je le fasse selon son bon plaisir. Mon vrai et très-aimé Père, je n'ai su plus tôt achever cette lettre ni prendre le temps (tant j'ai été accablée) de lire les deux dernières, où véritablement je trouve des marques sensibles de la grandeur de la sacrée et divine onction dont notre bon Dieu remplit votre chère âme, dont je bénis et remercie son éternelle bonté. Vous voyez, mon très-cher Père, comme cet Esprit divin ne laisse pas de verser les influences de ses grâces dans les âmes pour les distractions, sécheresses et impuissances d'esprit, quand elles procèdent des embarras et affaires entreprises pour sa seule gloire, comme ont été les vôtres ; c'est pourquoi cette Bonté infinie en tire de si grands profits pour votre très-chère âme, et pour la consolation de la mienne très-pauvre ; car je vous assure que j'en ressens une très-grande, avec une entière satisfaction de toutes vos dispositions, qui vraiment sont inspirées de Dieu et dans l'ordre d'une parfaite charité[43] ; vous assurant, mon très-cher Père, que, par la divine grâce, j'ai plus de joie de voir cette distribution s'étendre sur les besoins de ces chères et bénites âmes, que si elles étaient toutes employées pour nous ; car enfin il faut suivre la lumière [139] de Dieu et secourir ses prochains selon l'ordre de la charité.

Votre bonté, mon vrai Père, veut bien que je l'avise de ce que cette parole : que la fille de fondation soit effectivement pauvre, pourrait peiner les Sœurs, d'autant qu'assez rarement les filles de cette condition se trouvent avec les talents et dispositions nécessaires pour bien prendre l'esprit de notre vocation, lequel bien compris accomplira facilement votre intention ; laquelle je crois être que le monastère choisisse et puisse prendre cette fille chez quelque pauvre gentilhomme, bourgeois, ou autre famille qui serait pauvre en leur condition, ou chargé de famille avec peu de moyens pour la pourvoir selon sa condition ; charité, pour l'ordinaire, plus à la gloire de Dieu que l'aumône donnée à ceux qui mendient leur pain. Le reste des conditions que votre bonté marque laisse une juste liberté, et crois bien avec vous, mon très-cher Père, qu'il suffira d'aumôner la moitié du revenu, tandis que la place sera vacante, cela sera bien puisqu'une Sœur de la maison pourra en attendant tenir vos intentions en vigueur devant Dieu et sa sainte Mère. De mettre un contrôleur ou surveillant sur la maison pour faire observer cette fondation, outre que cela montrerait un peu de méfiance, non des personnes présentes, mais de celles de l'avenir, il serait à craindre qu'il ne donnât quelque inquiétude au monastère. Mais je crois que cette chère fille doit être pardessus le nombre, et que cela assurera contre les conseils qui ajustent les consciences à la prudence humaine, desquels Dieu nous garde par sa bonté. Et enfin je crois qu'il faut charger la conscience de toutes les Supérieures et des conseillères, en sorte que, sous quelque prétexte que ce soit, elles ne puissent changer votre intention, d'autant que son fruit est d'une charité qui, en tout temps, sera très-bonne et nécessaire à quelques bonnes âmes.

Pour la messe que votre bonté fonde céans, il est bien raisonnable qu'elle se dise selon votre intention ; vous en ferez, [140] s'il vous plaît, dresser la fondation ; ce monastère vous en est très-obligé, et de laisser l'heure à sa commodité et le choix de l'ecclésiastique. Nous en élevons un céans, neveu de feu M. Michel, notre premier confesseur, qui est une âme toute pure et innocente, et qui étudie fort bien. Dans deux ans, il dira sa messe, Dieu aidant ; cependant nous la faisons dire à un vertueux prêtre, à qui nous donnerons par écrit vos intentions, attendant de les faire afficher en la sacristie. Mais, mon très-cher Père, il les faudra faire comprendre en peu de lignes, en tirant la substance seulement, car les écritures sur le cuivre sont extrêmement chères en ces quartiers. — Vraiment, mon très-honoré et très digne Père, je suis ravie de voir l'abondante piété que notre bon Sauveur verse dans votre chère âme, et comme cette divine Providence se sert de vous pour l'établissement de tant de grands et saints moyens d'amplifier sa gloire par la conduite des âmes au salut éternel. Béni soit à jamais l'Auteur de tant de saintes pensées ; et vous, mon très-cher Père, soyez pour jamais comblé des richesses de la divine Bonté.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris.

LETTRE MDCXXI- À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Agir fidèlement selon Dieu, et s'abandonner à son Esprit. — Bien choisir les sujets propres à l'Institut, et ne jamais admettre les filles qui feignent d'être extatiques. — Détails sur le voyage de Turin.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy. 1639.]

Ma très-bonne et chère fille,

Béni soit notre divin Sauveur qui vous a donné tant d'amour et de cœur pour noire Bienheureux Père et pour votre très-indigne Mère ! [141]

Je vois votre bon cœur en langueur et ennui ; c'est Dieu qui vous veut éprouver et faire part de sa sainte croix. Ce que vous devez faire, c'est de demeurer de bon cœur dans ces privations de vigueur et puissance pour agir, les souffrant doucement sans vous efforcer de les surmonter. Demeurez là paisible, toute soumise et abandonnée au bon plaisir de Dieu, sans faire aucune réflexion sur vos peines, ni sur tout ce qui se peut passer en votre intérieur. Faites fidèlement, selon l'extérieur, à votre ordinaire, et laissez le soin de votre intérieur à Notre-Seigneur, vous contentant de le regarder comme vous pourrez, et de demeurer patiente et souffrante selon son bon plaisir. De même pour ces combats entre la partie inférieure et la supérieure, ne vous en étonnez point. Bienheureux sera le serviteur qui sera trouvé veillant et combattant, car il recevra la couronne de gloire. Soyez joyeuse en ce travail, tant qu'il vous sera possible ; vous avancerez plus par cette voie, si vous êtes fidèle, que si vous abondiez en consolations.

Je vous ai déjà remerciée de l'aube que vous avez offerte à notre Bienheureux Pète, avant que de l'avoir vue ; mais, l'ayant vue, je résolus de redoubler mon remercîment, tant je la trouve excellemment belle. Je supplie la souveraine Bonté, par les intercessions de notre saint Fondateur, qu'elle revête votre dilection et toutes vos chères filles d'une robe d'innocence et de grâce en ce monde, et d'une éternelle gloire en l'autre. — Tenez-vous ferme à ne jamais admettre aucune fille qui n'ait les véritables dispositions requises à l'esprit de notre sainte vocation, et Dieu vous bénira de plus en plus ; surtout il faut éviter ces filles qui font les saintes et les extatiques. C'est une belle sainteté qu'une profonde humilité et soumission, accompagnée d'une sainte joie dans la vie commune. — Vous avez bien fait de ne pas accorder un si grand séjour dans voire monastère à ces bonnes dames Religieuses ; il nous faut servir le prochain de tout notre pouvoir, notamment les servantes de Dieu, mais [142] cela sans détriment de nos premiers devoirs. — Je salue toutes nos chères Sœurs, et un peu en particulier celle que vous me dites qui est travaillée d'une grande colique et peine intérieure. Je lui compatis ; mais, d'un autre côté, je la trouve très-heureuse, puisque véritablement ce doit être le plus délicieux partage des servantes de Notre-Seigneur que la croix et les travaux. Et il faut tâcher, par fidélité, de témoigner en iceux notre amour à Celui qui nous a montré l'excès du sien par ses incomparables souffrances, au prix desquelles les nôtres ne sont rien. Dieu bénisse cette chère âme, et vous aussi, ma fille, à laquelle je veux encore dire un mot de nos nouvelles, afin que vous disiez toujours que les vieilles amies valent mieux que les autres.

Nous sommes venues et très-heureusement de Turin, grâce à Dieu ; nous en sortîmes si à la hâte et à propos, que bientôt après le siège y fut mis. Nous avons trouvé bonne compagnie de soldats français, mais fort honnêtes gens, qui ne nous ont fait que civilités. Nous avons, à cause des détours pour éviter les gens de guerre, cheminé huit jours sur le bord des précipices les plus effroyables qu'il est possible de s'imaginer ; le mulet, devant notre litière, tomba une fois ; que s'il fût aussi bien renversé à droite qu'à gauche, nous étions perdues sans ressource. Voyez, ma fille, si nous avions de quoi nous reposer toujours plus pleinement en cette souveraine Providence, laquelle a beaucoup béni notre voyage, et j'espère, par la divine miséricorde, que ce nouveau monastère réussira grandement bien. Nous avons donné l'habit à cinq filles, et place à trois ou quatre autres. Or sus, il faut bien que vous soyez ma très-chère fille, de vous écrire si longuement, car vraiment je suis accablée de lettres à ce retour ; et outre cela, en devenant vieux l'on ne devient pas robuste et habile au travail. Dieu nous rende très-vigoureuses en son saint amour, auquel je suis toute vôtre ! [143]

LETTRE MDCXXII (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-FRANÇOISE BOURGEAT[44]

À AVIGNON

Obligation pour une Religieuse de se rendre au monastère où l'obéissance l'envoie. — Éloge des Sœurs de Marseille.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 12 juin 1639.

Ma très-chère fille,

Je n'eusse pas cru que ma Sœur la Supérieure ni nos Sœurs eussent donné leur consentement pour [que vous soyez] élue hors de votre maison d'Avignon ; mais puisqu'elles l'ont fait, quel moyen de se dédire, sinon que Mgr le cardinal l'empêche ? car le lieu du séjour de votre personne dépend de lui. Comme j'ai confiance en Dieu que votre bon cœur, par l'intime affection qu'il a au mien, se trouvera toujours de même volonté et désir que moi, [plusieurs mots illisible]. Je suis bien de votre [144] sentiment que l'on ait ma Sœur la déposée de Forcalquier devant que vous sortiez, et à laquelle il ne faudrait point d'autre témoin pour faire croire la certitude de votre vœu, que votre seule parole ou écriture. Les effets font bien voir qu'il vous fut inspiré de Dieu.

Il est vrai, ma fille, que je ne me souviens pas de ce que vous a dit notre Bienheureux Père ; mais vous me le manderez bien à votre loisir. Certes, vous trouverez une famille de bénédiction ; car ces chères Sœurs de Marseille sont de très-bonnes filles. Je crois que vous en recevrez de la consolation, et nos chères Sœurs, de votre conduite. Ma très-chère fille, priez bien Dieu pour moi quand vous serez à Marseille, et nos Sœurs aussi. Je crois que Mgr le cardinal, étant dans les sentiments où il est, ne vous refusera pas. Je prie Dieu qu'il vous comble de ses plus précieuses grâces, et suis sans réserve, ma très-chère fille, votre très-humble, etc.

Conforme à l'original gardé à la Visitation de Montpellier.

LETTRE MDCXXIII (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-FRANÇOISE DE MONCEAU

À AIX EN PROVENCE

Bon témoignage que les Sœurs d'Arles rendent de leur Supérieure ; elles s'opposent à ce qu'on avance sa déposition. Les difficultés survenues seront soumises au jugement de la Mère de Saint-Michel.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 13 juin [1639].

Ma très-chère fille,

Je viens de recevoir une lettre de plusieurs Sœurs d'Arles, comme aussi de M. le grand vicaire d'Arles, lequel avec une grande sincérité me raconte l'état auquel il trouva le monastère quand il fit la visite [canonique], me disant naïvement les défauts de la Supérieure ; mais certes leur jugement est bien différent et celui des Sœurs aussi, à ce que Mgr l'archevêque, M. Ailhaud et vous nous avez écrit, car tous ensemble ne jugent [145] pas qu'il y ait sujet de déposer ma Sœur la Supérieure, et les Sœurs me mandent nettement que si l'on s'ingère de le faire qu'elles s'y opposeront, ce qui leur serait aisé à faire, puisque l'on ne peut pas déposer une Supérieure qu'à la requête du Chapitre ; et je vous envoie une copie de ce que nous en avons trouvé écrit de la propre main de notre Bienheureux Père. Je suis bien marrie de voir que cette affaire ici s'évente et fait éclat, et se ferait plus grand s'il se faisait de la sorte que vous l'écrivez, dont il s'en faut bien garder ; ce serait une mauvaise brèche à l'Institut.

J'écris à ces Messieurs et à nos Sœurs ma pensée sur ce sujet, qui est la même que je vous écrivis, que, ma Sœur Anne-Louise étant là, elle conférerait avec les Sœurs, et que ce qui serait requis pour la gloire de Dieu et le bien de cette maison-là on le fît, et que nous recevrions de bon cœur nos deux Sœurs si elles nous étaient renvoyées. Mais, mon Dieu, ma très-chère fille, comme s'accorde ceci ? L'on m'a écrit, je veux dire M. Ailhaud ou vous, qu'il n'y avait que trois ou quatre Sœurs au plus qui fussent pour la Mère, et l'on m'écrit qu'elles sont dix-huit ou dix-neuf pour [elle]. Voyez-vous, ma très-chère fille, si jamais vous vous trouviez en telles occasions, arrêtez-vous au dire des bonnes et vertueuses, bien qu'elles fussent en petit nombre, et non jamais aux esprits mal faits et préoccupés. Or bien, en toutes choses il faut toujours demeurer en la parfaite charité, et conduire cette affaire avec grande douceur, sagesse et droiture. Et comme j'ai déjà écrit, quand notre Sœur Anne-Louise de Marin sera là, elle prendra une entière connaissance de l'état de l'affaire avec les Sœurs et Supérieurs, et ils concluront ce qu'ils jugeront être le plus expédient à la gloire de Dieu et à la paix de ce monastère ; et je m'assure que Mgr l'archevêque sera content que l'on procède de la sorte. Quant à la Supérieure [F. -Angélique Garin], elle se soumettra à tout, et nous, à la recevoir, si l'on nous la renvoie ; et je vous prie, ma [146] très-chère fille, d'agréer et faire agréer à Mgr l'archevêque que les choses se passent ainsi doucement. Que si notre Sœur de Saint-Michel, je veux dire Anne-Louise de Marin, ne peut aller là et que le monastère n'agrée pas, comme je l'appréhende, notre Sœur [Anne-F.] Bourgeat, il faudra derechef entendre les Supérieurs et les Sœurs, car il faut conduire cette affaire par l'ordre convenable. Voilà, ma très-chère fille, ce que j'ai cru vous devoir dire : votre bon cœur, qui connaît le mien et le vrai amour que je lui porte, le recevra utilement, je m'en assure. Dieu conduise tout à sa gloire et vous comble des grâces du Saint-Esprit ! Je suis toute vôtre. — 13 juin.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXXIV (Inédite) - À QUELQUES RELIGIEUSES DE LA VISITATION

À ARLES

La Sainte les remercie de s'opposer à la déposition de leur Supérieure. Avec quelle prudence on devrait procéder, s'il était jugé nécessaire de le faire avant le temps.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 13 juin 1639.

Mes vraiment très-chères filles,

Je vous sais certes très-bon gré du zèle que vous me témoignez pour la conservation de la bonne odeur de notre Institut, et bénis Dieu de la lumière qu'il vous a donnée comme vous vous devez opposer à la déposition de votre bonne Mère, [si] en conscience et devant Dieu vous voyez qu'elle n'ait rien fait qui mérite cela et qu'elle ne soit pas incapable de sa charge. L'on m'en avait écrit tant de choses, que je serais bien misérable si je n'eusse pas témoigné de la soumission au commandement que Mgr d'Arles me faisait de la rappeler et d'en envoyer une autre d'ici : comme nous n'en voulions point envoyer, nous priâmes que l'on attendît après l'élection d'Avignon, que l'on [147] verrait laquelle de ma Sœur de Saint-Michel ou Bourgeat vous pourrait être envoyée ; et quand elle serait là, elle aviserait, avec les Supérieurs et toutes les bonnes Sœurs de la maison et votre chère Mère, si elle devait être déposée : voilà en substance, mes très-chères filles, ce que j'ai mandé et ce que je réitère.

Mais, pour vous ôter de toute perplexité, voici une copie de l'ordre que notre Bienheureux Père avait ordonné que l'on tînt quand il faudrait déposer une Mère avant le temps : il faut suivre cela, mes très-chères filles. C'est par la négligence des copistes que cela est omis dans nos Constitutions, mais nous le faisons mettre ailleurs, Dieu aidant.[45] Vos bons cœurs jugeront bien, mes très-chères filles, qu'outre l'intérêt général que cette maison a du bien de l'Institut, le particulier qui nous touche pour le regard de votre bonne Mère, qui est certes fille bien-aimée de cette maison, nous ne devons ni pouvons faire autre chose en ce sujet : il faut, comme vous voyez, faire les preuves de son incapacité, avant que l'on la puisse déposer selon toute justice et ordre de l'Institut.

J'espère en Dieu que toutes vous autres, qui êtes zélées pour le bien de votre maison, parlant aux Supérieurs, selon que la divine Bonté vous inspirera, la chose ne passera pas plus outre. Mais je vous demande, mes très-chères filles, que tout ceci se fasse avec grande douceur de cœur, suivant la règle de la vraie charité, compatissant aux défauts du prochain que l'on ne peut pas empêcher. Je prie le Saint-Esprit qu'il vous donne la lumière dont vous avez besoin, et me recommande à vos prières, mes très-chères filles, vous assurant que je vous chéris très-cordialement, et suis en toute sincérité, votre très-humble, etc. Deuxième jour de la Pentecôte.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [148]

LETTRE MDCXXV (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-JACQUELINE FAVRE[46]

SUPÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ DE SAINT-AMOUR RÉFUGIÉE À BOURG EN BRESSE

Elle bénit Dieu de l'élection de cette Mère et lui rappelle les devoirs réciproques des Supérieures et des déposées.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Ma très-chère sœur et bien-aimée fille,

Je reçois bien de la consolation de savoir que votre maison s'est tenue ferme en l'observance touchant l'élection d'une nouvelle Supérieure ; celle règle est trop importante pour être énervée. Je bénis Dieu du choix que nos Sœurs ont fait de voire chère personne. J'ai confiance, ma très-chère fille, que Dieu bénira votre gouvernement : faites-le avec une profonde humilité, et totale dépendance de la souveraine et paternelle Providence de notre bon Dieu ; ayez-y recours en tous vos besoins, afin d'y être éclairée de sa sainte volonté, et qu'elle travaille en vous et par vous, et vous reposez en son soin, sans négliger toutefois de faire de votre côté ce que vous pourrez et fidèlement. En tout ce qui nous sera possible de vous servir, assurez-vous que nous le ferons de tout notre cœur.

Je m'en vais vous dire tout candidement, à vous, ma très-chère Sœur la Supérieure, et à ma très-aimée Sœur F. -Augustine [Brung], ce que je pense que l'une et l'autre devez faire, afin qu'il n'arrive point de trouble entre vous deux ni en votre maison, par le défaut de la parfaite intelligence qui doit être entre vous, et dont le défaut à apporté tant de troubles en plusieurs de nos monastères. [149]

Premièrement, je vous conjure toutes deux de pratiquer très-fidèlement les avis qui vous sont donnés au Coutumier réimprimé, que nous vous envoyons ; et de plus, tâchez de conserver une sainte liberté et une sincère confiance entre vous deux, qui ne tendez qu'à la gloire de Dieu, à la parfaite observance, et à l'avancement de vos Sœurs en la sainte perfection de leurs âmes. Qu'elles n'aient aucun congé général de parler en particulier à la déposée ; que si quelques-unes en obtiennent le congé de la Supérieure, qu'elle ne leur permette jamais de dire rien qui désapprouve le gouvernement de la Mère ; que si elle était d'aventure contrainte d'écouler quelques plaintes, que ce soit simplement pour excuser et les porter toujours à l'amour, estime et obéissance à leur Supérieure, laquelle aussi doit maintenir la déposée en bonne estime, portant les Sœurs à lui conserver une grande dilection et reconnaissance en leurs cœurs, et non par des flatteries et respects singuliers d'actions ou paroles qui seraient contraires à l'observance ; mais, selon la règle, un respect cordial, sans mystère ni affectation ou applaudissement.

Il serait très-bon que ma Sœur déposée n'eût aucune charge cette première année, j'excepte l'absolue nécessité. S'il est force qu'elle ait celle du noviciat, il n'y faut pas laisser aller les Sœurs qui n'en sont pas ; mais je dis derechef qu'il serait mieux de la laisser reposer et lui donner le loisir de rentrer un peu en elle-même et vaquer à Dieu, afin que plus utilement elle enseignât par œuvres et bons exemples, l'humilité, douceur, dévotion et soumission qu'elle a enseignées de paroles aux Sœurs. Je ne dis pas qu'il ne la faille pas employer par-ci par-là selon les nécessités et occasions, et même elle se doit porter à tous les services communs du monastère : elle se doit bien garder de faire aucune correction ; que si, par l'habitude passée, elle le fait, qu'elle en demande pardon, comme elle ferait d'un autre manquement. Mes très-chères filles, je sais que vos cœurs recevront ces petits avis cordialement ; ils ne vous sont pas tant [150] nécessaires qu'à d'autres, mais il m'est venu de vous parler ainsi. Dieu réduise tout à sa gloire et vous comble de son saint amour, et toutes vos chères Sœurs, vous conjurant de réclamer la divine miséricorde sur moi.

Elles [les déposées] ne doivent pas être exemptes des avertissements et corrections quand elles en donnent sujet ; elles les doivent recevoir humblement ; mais il faut pourtant en ces occasions que la Supérieure et les Sœurs s'y comportent avec plus de respect et de retenue qu'envers les autres, surtout les jeunes ayant des charges. La Supérieure ni la déposée ne doivent non plus prêter l'oreille aux rapports et flatteries des filles, car cela gâterait tout à fait la paix : il faut fermer la bouche à celles qui voudraient faire ce métier, et les renvoyer instruites en la charité. — La Supérieure ne doit pas contrôler la conduite de celle qui l'a précédée : si, pour quelque spéciale utilité, il faut qu'elle change quelques-unes de ses ordonnances, que ce soit avec toute modestie ; et il serait bien cordial qu'elle en dît ses raisons à la déposée, qu'elle doit avoir un grand soin de ne point contrister. [Plusieurs mots usés sont illisibles.] Elle ne se doit exempter de faire toutes les actions d'humilité et observance ; même elle doit servir d'exemple [à la communauté]. Si la Supérieure fait des fautes, la déposée la doit avertir en particulier avec tout respect, et la Supérieure la doit écouter avec respect et gratitude, la laissant consolée. Enfin, la grande règle est la charité.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [151]

LETTRE MDCXXVI - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Impossibilité de se rendre à Thonon. —Dans quel esprit la Supérieure doit travailler à la perfection de ses Sœurs. — Du remède à toutes les tentations.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 10 juillet [1639.]

Ma très-chère fille,

Ce serait bien de tout mon cœur que je désirerais la consolation d'être auprès de vous un bon mois ou trois semaines, bien que, pour parler confidemment à votre bon cœur, je ne pense pas en conscience que je puisse quitter ce monastère pour le reste de cette année ; bien que quand il y aurait toute la facilité, vous savez qu'en ce qui me regarde je ne veux rien entreprendre, soit pour aller ou demeurer, que par l'ordonnance de nos Supérieurs. Je pense que cela se pourrait plus commodément faire au commencement du printemps de l'année prochaine, si Monseigneur le me commande.

Certes, ma très-chère fille, nos Sœurs vos filles ne feront pas profit de ce que je leur dirai ou écrirai si elles ne le font pas de ce que vous leur dites. C'est pourquoi je vous prie de ne leur pas permettre de m'écrire ; car je ne me saurais empêcher de leur répondre selon leurs propositions, ce qui peut-être les fâcherait et causerait de nouveaux sujets d'exercice. Travaillez doucement à les faire amender, et ne vous laissez pas emporter à un trop grand zèle de leur perfection ; car comme je vous ai déjà dit plusieurs fois, après que l'on a fait ce que l'on a pu, il faut demeurer en paix, et attendre avec patience le temps que Dieu a destiné pour leur conversion ; sa douce Bonté, à laquelle appartiennent ces chères âmes, sait le temps. Je me souviens d'avoir entendu prêcher que saint Paul avait un extrême désir d'aller convertir un certain peuple qui le désirait aussi ; mais [152] Dieu lui fit entendre que l'heure de leur conversion n'était pas encore venue. Enfin, ma chère fille, il faut aider les bonnes à s'avancer à la perfection, et attendre patiemment les autres, les aidant et encourageant pour cela autant que l'on peut.

Pour ce qui est du manger de ces Sœurs qui sont si difficiles, faites selon que la charité vous dictera être nécessaire et selon la portée de votre maison, et ne vous mettez pas tant en peine si l'on désapprouve un peu ce que vous ordonnez ; car l'on ne peut pas empêcher que quelque esprit ne soit toujours un peu tracasseur. —Dieu veuille, ma très-chère fille, que vous fassiez bien ce que je vous ai tant dit : pour toutes sortes de peines et tentations intérieures je n'y sais que cet unique remède, de ne s'en point étonner, ne les point regarder, point du tout, ni même faire semblant de les voir, mais porter leur ennui doucement comme l'on ferait une douleur de tête. Or bien, vous savez prou que Dieu ne vous a point livrée à vos ennemis, et que l'enfer n'est point pour les âmes à qui sa Bonté se manifeste si souvent, non toutefois si souvent que nous voudrions, parce que nous aimons les délices spirituelles, et non les temporelles, par la divine grâce. Il faut finir. Dieu soit béni ! Vous savez de quel cœur je suis vôtre.

[P. S.] Je vous dis encore, par ma Sœur J. -Thérèse [Picoteau], ce que madame de Chalay m'a écrit que vous êtes fort pâle. Certes, je suis tout à fait fâchée de quoi vous ne vous conservez pas, bien que je le vous recommande tant ; je vois bien que cela vient des peines d'esprit que vous vous causez. Au nom de Dieu, tenez votre esprit content et fort en paix ; car, comme me disait une fois notre Bienheureux Père, vos peines ne sont pas si grandes que Dieu ne vous donne de temps en temps quelque chose pour passer et supporter doucement le fardeau.

Mgr de Genève [Juste Guérin] doit aujourd'hui arriver à Chambéry. — Ma Sœur M. -Isabelle dit qu'elle n'a rien à répondre à sa Sœur, ne lui pouvant donner les assurances qu'elle désire [153] pour la Religion, et Votre Charité sait que l'on n'aime pas envoyer les mauvaises nouvelles. — Bonsoir, ma Mère de Thonon.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXXVII - À LA MÈRE CATHERINE-ÉLISABETH DE LA TOUR

SUPÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ DE CHAMPLITTE RÉFUGIÉE À GRAY

Envoi du Coutumier et des Méditations. — Raisons qui justifient l'élection de la Mère H. F. Belin à Besançon. — Remercîments pour une aumône faite au deuxième monastère d'Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 13 juillet [1639].

Ma bonne et vraiment chère fille,

Si vous eussiez un peu attendu, vous eussiez reçu la réponse de vos précédentes avec trois Coutumiers, pour votre maison de Fribourg et Besançon ; et à tout hasard nous vous en envoyons un, afin que votre bon cœur ne soit pas plus longtemps sans en avoir la jouissance, bien que je pense que ce même messager les trouvera encore à Thonon, où nous les envoyâmes il y a plus d'un mois. Nous vous envoyons aussi la Vie de feu notre très-chère Sœur la Supérieure et une copie de l'original des Méditations ; car véritablement nous avons un grand désir de correspondre à la grande cordialité et affection que votre bon cœur a pour nous. Nous avons bien reçu vos lettres avec celles de Besançon ; mais nous n'avons point vu le messager, ains elles nous ont été envoyées de Thonon par ma Sœur la Supérieure, et lui avons adressé nos réponses.

Oui, ma très-chère fille, vous répondîtes un peu trop sèchement à cette bonne jeune Mère [H. F. Belin], l'accusant d'imprudence et tirant de là des conséquences, à quoi je crois qu'elle [154] n'avait pas pensé. Elle m'écrit maintenant toute la conduite de leur élection, avec le trépas de feu la pauvre défunte,[47] et me dit et conjure grandement de procurer sa déposition, si, tant peu que ce soit, je pense que cela puisse nuire à l'Institut, car, si cela était, elle n'aurait nullement la force de persévérer ; que Mgr l'archevêque y consentirait, n'ayant point voulu qu'elle fût proposée que sur l'assurance qu'un Père Jésuite lui donna que, du temps de notre Bienheureux Père, il avait approuvé que les prélats dispensassent de l'âge, lorsque l'absolue nécessité le requérait, et que les filles eussent les vertus et les années de Religion requises. Il lui dit encore que j'en avais fait user ainsi à Chambéry, ce qui est vrai ; et vraiment il me semble par sa lettre qu'elle marche simplement et naïvement. Or, ma très-chère fille, il faut à cette heure ensevelir toutes ces petites impressions passées, et tâcher de donner exemple à cette jeune Mère d'une franche et cordiale communication, et l'attirer à cela. Que s'il arrive quelques petites prétentions qui choppent de part et d'autre, faites que le différend me soit remis, et faites en sorte que l'union subsiste entre vous.

Vous êtes bien heureuse d'avoir un si bon et vertueux gouverneur que M. le marquis de Saint-Martin. Je prie Dieu qu'il le conserve et le console avec tout le christianisme, d'une bonne et sainte paix. Plût à Dieu, ma très-chère fille, que cette bénite neutralité fût bien établie. Quand cela sera, nous verrons ce qui se pourra faire, pour voir si vous pourrez venir ici. Vous pouvez penser quelle joie nous aurions de vous voir ; mais nous sommes fort surveillées, principalement en ces allées et venues, et de quoi l'on porte de nos nouvelles à Rome : cela nous fait quelquefois de la peine.

J'ai su ici la grande aumône que vous avez faite à nos pauvres [155] Sœurs du second monastère, et dit-on que vous prétendez aller jusqu'à cent écus. Je vous en remercie bien fort, non pour vous exciter à parfaire cette somme, mais plutôt pour vous dire que vous ne vous mettiez pas en peine de faire cette charité, sinon en tant que votre maison n'en soit point incommodée. Vous avez bien raison, ma chère fille, de vous pleinement abandonner à sa divine Providence, vous y confiant entièrement. — Je ne doute pas que vous ne receviez bien de la douleur du trépas de tant de bonnes Sœurs ; mais elles sont bien heureuses. Et je pense que Notre-Seigneur veut remplir leurs places de quelques autres âmes. Enfin, ma fille, il faut humblement baisser le cou sous la main du bon plaisir de ce souverain et très-débonnaire Père céleste, et la lui baiser amoureusement en tout événement. Je sais que c'est le désir de votre tout bon cœur, que le mien chérit très-cordialement, n'en doutez jamais, ma toute très-chère fille ; car je suis vôtre en Notre-Seigneur, qui soit éternellement béni ! Amen.

[P. S.] Votre messager n'est arrivé qu'à [hier] soir, et ce malin il a fallu en dépêcher un de Genève, qui est arrivé avec des lettres de nos Sœurs de Besançon. — Je salue très-cordialement toutes nos chères Sœurs vos filles, et leur souhaite le vrai esprit, humble, simple et doux de notre sainte vocation. Je vous conjure, et elles toutes, de bien prier Dieu pour moi. Loué soit notre bon Dieu et sa sainte Mère, le glorieux saint Joseph et notre Bienheureux Père et saint Augustin !

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [156]

LETTRE MDCXXVIII (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-MARIE BOLLAIN

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

Témoignage de sainte amitié.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Ma toujours plus chère et bien-aimée vieille fille,

Certes, vous me donnez toujours une nouvelle consolation quand je reçois des nouvelles de votre si bon cœur, du bon état de votre maison et de la très-aimable union qui est entre la chère Mère et vous. Oh ! béni éternellement soit Celui qui est l'auteur de toutes ces grâces ! Ma pauvre chère vieille fille ma mie, je suis tant accablée de lettres, d'affaires, de l'âge et de la charge, que je ne puis que me recommander à vos prières, et vous assurer que je suis toujours la pauvre vieille Mère, et vous serez toujours ma très-chère et précieuse fille, à laquelle je me confie totalement pour le soulagement et conservation de sa bonne Mère. Je suis vôtre de cœur, qui vous souhaite le saint amour.

[P. S.] Saluez bien toutes nos chères Sœurs, et dites, s'il vous plaît, à ma chère Sœur Petit[48] que j'ai prié pour madame sa mère ; et à ma Sœur Marguerite-Dorothée [de Monsors] qu'elle demeure soumise à la direction de sa bonne Mère, et que toutes ses peines se convertiront à son bien et à la gloire de Dieu, qui la veuille bénir.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris. [157]

LETTRE MDCXXIX (Inédite) - À MONSEIGNEUR CLAUDE D'ACHEY

ARCHEVÊQUE DE BESANÇON

Assurance de soumission et de profond respect. — Sœur M. -Agnès de Bauffremont sera reçue avec plaisir au premier monastère d'Annecy. — La Mère M. -Marg. Michel a été calomniée ; estime que saint François de Sales faisait de sa vertu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Monseigneur,

Votre débonnaireté, reconnue de tout le monde, dont nous recevons de si paternels témoignages, nie donne confiance de vous offrir notre très-humble et filiale obéissance, avec des infinies actions de grâces pour tant de bonté, de saint zèle et de paternelle affection qu'il vous plaît, Monseigneur, témoigner en toute occasion aux filles de celui dont votre piété chérit si hautement et tendrement la mémoire et sainteté. Je ne puis vous témoigner les véritables ressentiments que j'en ai, Monseigneur ; mais j'assure Votre Seigneurie Illustrissime que Dieu a imprimé en mon âme une très-profonde révérence et dilection filiale envers elle, et un très-grand désir d'avoir quelque occasion de lui témoigner l'absolue autorité qu'elle a sur moi, par la promptitude et fidélité de mon obéissance à vos commandements. S'il vous plaît, Monseigneur, me faire la grâce de m'en imposer, je les estimerai précieux.

Ma Sœur la Supérieure de Besançon m'écrit le désir que votre bonté a que nia Sœur, sa chère cousine,[49] soit en ce monastère [d'Annecy] ; autrefois elle a eu quelque volonté d'y venir, maintenant elle n'en parle plus. Et selon que je connais son esprit, la proposition ne lui en doit pas être faite de notre part, cela mettrait en son esprit des pensées contre, ce me [158] semble ; mais si jamais elle nous en signifie la moindre inclination, je vous assure, Monseigneur, que nous la tirerons à nous et de tout notre cœur. Cependant, je crois que Votre Seigneurie en doit demeurer en repos, ce n'est pas une âme pour faire une mauvaise action. Je sais qu'elle aime sa vocation, et singulièrement notre Bienheureux Père, et qu'elle y vit plus contente que jamais et fait bien. Il est vrai qu'elle est attachée à la Supérieure par grande affection ; et certes, Monseigneur, c'est encore ici son conseil bonnement [plusieurs mots illisibles]. Elle a toujours eu une grande charité pour cette chère Sœur, que Dieu a fait passer par des grandes difficultés et peines intérieures, et ne fallait pas un cœur moins maternel et vigilant que le sien pour lui aider à passer les mauvais pas.

Votre douceur, Monseigneur, qui a autrefois honoré de sa bienveillance cette pauvre Mère [M. M. Michel], me permettra bien, je l'en supplie, de lui en dire ma pensée, puisque je pense que Dieu le veut, et que, si elle est déchue de la bonne estime que l'on a eue d'elle en vos quartiers, Monseigneur, c'est comme je crois avec beaucoup moins de sujet que l'on ne pense ; car j'ai peine à croire qu'une fille qui s'est dédiée à Dieu dès son enfance, qui a persévéré au bien tant d'années, s'en départe [jamais]. Nous l'avons eue céans longues années ; notre Bienheureux Père l'aimait et estimait grandement, et disait qu'il y avait quelque chose de divin en cette âme. Elle a gouverné céans grand nombre de novices, sous la conduite de ce Bienheureux ; elle y a été assistante en l'absence de la Supérieure, avec une générale satisfaction ; elle a gouverné trois monastères (celui de Besançon est le dernier) avec une grande édification et régularité. Notre confesseur, qui fut à Fribourg l'an passé, dit qu'il n'y vit que du bien. Tout cela, Monseigneur, me fait tirer cette conséquence, qu'au fond il n'y peut avoir tant de mal, mais que, comme c'est un cœur complaisant et cordial, la nécessité où elle se trouve et le désir qu'elle a de réussir en son entreprise, l'a [159] fait épancher au dehors, plus peut-être que la retenue et modestie de notre vocation ne requiert, et cela pour gagner les affections et être aidée en ses besoins ; en quoi certes elle a très-grand tort et se trompe en sa prudence humaine ; car un grain de confiance et résignation en la sainte Providence nous peut seul aider, et pourvoir en un moment plus d'affection à nous faire du bien, que toutes nos industries humaines en mille années. J'avoue aussi, Monseigneur, qu'elle s'est montrée trop sensible en ces petits tracassements temporels qu'elle a eus avec feu la pauvre Mère de Besançon ; mais tout cela, Monseigneur, ne vous doit pas tenir en peine pour ma très-chère Sœur [votre cousine]... Je demeure avec un très-profond respect, Monseigneur, etc.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXXX - À MONSIEUR LE MARQUIS DE PIANESSE

À SUSE

Douleur de la Sainte en apprenant la maladie de madame Mathilde ; prières faites pour elle.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Monseigneur,

Nous venons d'apprendre que Votre Excellence est auprès de notre très-honorée dame Mathilde, votre digne Mère et la nôtre très-chère et très-aimée. Monseigneur, je sais et je vois les épreuves que notre souverain Seigneur a fait de la fidélité de votre tout bon cœur. Mais quand sera-ce, me disait une fois notre Bienheureux Père, sur une occasion de voir trancher la tête à feu mon fils pour les misérables actions du monde [les duels], quand sera-ce, me disait ce grand Saint, que nous témoignerons à Dieu notre inviolable fidélité, qu'en ces occasions si âpres et si dures à la nature ? Oh ! Monseigneur, j'ai ferme [160] confiance que Celui devant lequel vous avez dépouillé votre âme de tout intérêt et affection humaine, pour la remettre en cette parfaite nudité dans le sein de son éternelle Providence, vous soutiendra de sa toute-puissante main, et vous confortera de ses saintes et intimes consolations, vous faisant savourer la douceur incompréhensible de l'union parfaite d'une âme avec le bon plaisir de son Dieu ; c'est le bonheur que mon âme souhaite à la vôtre très-chère, qui m'est précieuse. Et ne doutez point que nous ne fassions de continuelles prières pour la très-chère malade ; car Dieu sait l'amour et l'honneur que nous sentons pour elle, et le désir que nous avons de sa santé, mais surtout de son bonheur éternel. Je prie Dieu de départir à Vos Excellences l'abondance de ses plus riches grâces, et à tout ce qui vous appartient, demeurant en tout respect et de cœur sincère, Monseigneur, votre très-humble, etc.

LETTRE MDCXXXI - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Respectueuse affection. — Félicitations de son rétablissement. — Oratoire de saint Joseph.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 12 août [1639].

Madame,

J'ai eu un si grand accablement d'affaires dès notre retour de Turin, que bien que j'aie pensé à vous écrire, je n'en ai su bonnement prendre le temps, et votre bonté m'a prévenue, dont je la remercie très-humblement, vous assurant, Madame, qu'entre toutes les amitiés que Dieu m'a données, il n'y en a point que j'estime et désire que Dieu me conserve tant que la vôtre toute précieuse, dont votre débonnaireté m'a voulu honorer et gratifier, et me donner des assurances en des termes tels que je n'y pense point sans une particulière consolation. Et je vous [161] conjure, ma très-chère Madame, de me continuer cette grâce, surtout par quelques saintes aspirations à notre doux Sauveur pour mon bonheur, vous assurant, Madame, que si ce que vous me proposez pouvait arriver, j'en recevrais un contentement indicible, pour jouir encore une bonne fois de l'honneur de votre chère et très-utile conversation ; mais je suis en un âge où je n'ose me promettre six mois de vie, ayant soixante-huit ans et la charge d'une famille de quarante-cinq filles. Je me trouve quelquefois dans des faiblesses qui me font douter si j'achèverai mon triennal ; en tout, la très-sainte et très-adorable volonté de Dieu soit faite.

Je bénis son infinie Bonté de vous avoir affranchie de tant de douleurs et incommodités corporelles. Sa Providence, je m'assure, a de grands desseins sur vous, ma très-honorée Madame, pour sa très-grande gloire. Et le glorieux saint Joseph vous est donc un puissant et débonnaire Protecteur. Je le remercie de tout mon cœur de la santé qu'il vous a obtenue. Ma très-chère Madame, recommandez-moi, je vous supplie, à sa sainte intercession. Votre prudence n'aurait garde de vous laisser tromper en l'ornement de son oratoire. Celui qui donne le fait à son gré.[50]

Le doux Jésus parachèvera, s'il lui plaît, la grande œuvre qu'il a commencée en votre chère âme, la portant jusqu'à l'extrême perfection de son saint amour. C'est le souhait de celle qui en toute sincérité et respect demeure de tout son cœur, Madame, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers. [162]

LETTRE MDCXXXII - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Remercîments pour la promesse d'établir des Prêtres de la Mission dans le diocèse de Genève.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Notre bon prélat a grands sentiments de la charité que votre bouté veut faire aux âmes de ce diocèse[51] ; certes elle est grande, mon très-cher Père, et pour la gloire de Dieu. Ce diocèse étant si étendu et dans plusieurs lieux bien inaccessibles, il est besoin qu'il y ait des hommes qui aient des cœurs apostoliques. Oh ! quelle précieuse couronne Notre-Seigneur prépare à votre chère âme pour tant et de si grandes œuvres de vraie et solide piété ! J'en ai des sentiments inexplicables, et envers la bonté de la souveraine Providence sur vous et sur ce cher diocèse. Je le supplie d'accomplir ses hauts desseins en vous. Je suis toujours plus, votre, etc.

J'ajoute ce mot pour vous dire qu'au reste, plus nous considérons cette sacrée inspiration que la souveraine Providence de notre bon Dieu a versée dans votre digne cœur, pour l'établissement de ces bons ouvriers en ce diocèse, plus nous en sommes ravis, Mgr de Genève, moi, et tous ceux qui entendent parler de la charité de notre cher Père et pasteur, laquelle se perfectionnant dans le ciel, vous a obtenu cette chère et précieuse pensée pour le salut peut-être d'un million d'âmes dans son cher troupeau ; car cet évêché étant si étendu, si nombreux en peuple, et si voisin de la malheureuse Genève, ce secours y était tout à fait nécessaire. Ah ! mon vrai et très-cher Père, que vous êtes [163] heureux d'avoir été choisi de Dieu pour de si grandes œuvres ! Vos desseins, vos affections, vos biens, vos peines et toutes vos actions, et tout ce que vous êtes est tout employé à cette souveraine gloire de Dieu et salut des âmes rachetées de son sang, et au bien et conservation de notre petite Congrégation. Or je m'assure, mon très-cher Père, en la bonté de Dieu, qu'elle sera une couronne de gloire autour de votre tête ; je le désire du fond de mon âme, qui ne veut point être ingrate envers son tout bon et vrai Père, moyennant la grâce divine.

Je dis à notre bon M. Vincent que je crois que son zèle et piété lui feront faire cet établissement de ces bons Pères, si solidement que jamais il ne puisse être anéanti, ni par la disette des hommes, ni [par elle] des moyens qui pourraient arriver à sa Congrégation. Je m'assure, mon vrai Père, que vous ferez, sur la fermeté de cet établissement, tout ce qui se pourra humainement, afin que le salut des âmes en soit perpétuel. Je suis ravie d'admiration quand je vois le grand bien que ce dessein comprend pour les pauvres âmes. Dieu l'établisse selon son bon plaisir, et vous comble de plus en plus de l'abondance de toutes ses grâces ! Loué soit son très-saint Nom, mon très-cher et vrai Père !

LETTRE MDCXXXIII - À SAINT VINCENT DE PAUL

À PARIS

La Sainte se réjouit de l'arrivée des Prêtres de la Mission, et s'informe de ce qui est nécessaire à l'ameublement de leur maison.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Au reste, mon très-cher Père, ce m'est une consolation extrême d'espérer d'avoir ici de vos chers enfants ; notre tout bon et cher Père M. le commandeur de Sillery nous l'a promis. N'est-il pas [164] incomparable en sa charité, et nous très-obligées à la divine Providence de nous avoir donné un tel appui ? Bénie soit-elle éternellement ! Vous nous manderez bien, mon très-cher Père, tout ce qui sera requis de faire et de savoir pour la consolation de ce bon serviteur de Dieu. Je supplie sa douceur infinie de vous conserver longuement pour sa gloire et l'utilité de la sainte Eglise. Conservez-moi en votre souvenir devant Dieu et en votre affection paternelle, puisque je suis de tout mon cœur quoique indigne, etc.

[P. S.] Mon cher Père, quand je considère les fruits que ces deux bons ouvriers feront en ce grand et nombreux évêché, j'en suis ravie, et m'assure de votre piété et zèle en la divine gloire, que vous ferez faire cet établissement si solide, qu'il ne puisse jamais déchoir, ni pour la disette d'hommes ni de moyens qui pourrait arriver en votre Congrégation. Faites-nous aussi savoir comme il faut les lits et autres ameublements nécessaires à vos bons Pères.

LETTRE MDCXXXIV (Inédite) - À LA MÈRE JEANNE-FRANÇOISE DE CHALLES[52]

SUPÉRIEURE À CHAMBÉRY

Conseils pour le choix des Sœurs qui doivent être proposées à la prochaine élection, et le changement des officières.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 14 août [1639].

Ma très-chère fille,

Voilà notre bon M. Marcher qui s'en va auprès de vous, mais un peu plus tôt que vous ne désiriez. — Quant aux propositions [165] que vous me faites, je crois vous y avoir déjà répondu ; il est bien fâcheux quand les lettres se perdent. Je vous répète que vous devez être remise sur votre catalogue, et vous disposer à porter plus courageusement le fardeau, si Notre-Seigneur a destiné que vous soyez réélue. Je ne sache point de Sœur dans votre maison qui soit encore propre à être proposée que vous et ma chère Sœur Anne-Françoise [Bertrand de la Perrouse]. Soit sur l'une ou sur l'autre que le sort tombe, j'espère que Dieu donnera sa bénédiction et sera Lui-même le conducteur. Notre chère Sœur M. -Julienne a, de vrai, bien les conditions ; mais, étant si infirme de corps, je ne pense pas qu'elle eût la force de subsister à la peine qu'il faut pour une si grande communauté. Vous pourrez donc, avec vous et ma Sœur Anne-Françoise, mettre sur votre catalogue ma Sœur la déposée d'Aix. Pour ma Sœur Françoise-Gasparde [Favier], elle ne doit pas y être mise. S'il est besoin d'en rendre capable M. Maurice, vous lui direz tout simplement que, bien que cette chère Sœur soit très-bonne et très-vertueuse, que néanmoins l'expérience a fait voir que Dieu ne lui a pas donné les talents pour la conduite. [166] La maison d'Aoste est en tel état, que l'on ne la peut remettre en l'état qu'elle devrait être.

Pour le changement de vos officières, c'est à celle qui sera élue à juger de ce qui sera bon d'être fait. Je pense pourtant que vous ferez bien de faire assistante ma Sœur Françoise-Gasparde. — Pour ce que vous devez à ce monastère, vous savez ce que je vous en ai écrit : pour les intérêts, il n'en faut point parler ; pour le principal, j'espère aussi que Notre-Seigneur permettra que l'on ne le vous demandera pas, sinon que cette maison devienne bien pauvre et la vôtre bien riche, et que, par ce moyen, vous rendiez le réciproque. — Pour les coulpes que vous devez dire à votre déposition, c'est par exemple : Monseigneur ou mon Père, je dis très-humblement ma coulpe de n'avoir pas servi nos Sœurs avec assez de soin ; je ne leur ai pas donné assez de confiance de s'adresser à moi dans leurs besoins ; j'ai été aussi trop facile à parler sans nécessité au silence de la nuit. Voilà, ma fille, pour vous condescendre, que je vous marque comme il faut dire. C'est à vous de choisir ainsi quatre ou six des fautes à quoi vous connaîtrez avoir plus ordinairement manqué. Ma fille, M. Marcher vous dira le surplus, et moi, que de cœur je suis toute vôtre. Dieu soit béni et vous bénisse et toutes nos chères Sœurs, et les deux chères germaines. Quand enverrons-nous prendre notre tourière, et combien faut-il pour son hiver ? Dites-le-moi.

Ma très-chère Sœur, je vous recommande grandement le paquet de Turin ; remettez les lettres de madame la marquise de N. à M. Marcher, afin qu'il prenne la peine de les donner lui-même.

Conforme à une copie de l’original gardé à la Visitation de Chambéry. [167]

LETTRE MDCXXXV - AU RÉVÉREND PÈRE DE CONDREN

GÉNÉRAL DE LA CONGRÉGATION DE L'ORATOIRE, À PARIS

Demande d'un souvenir devant Dieu, — Désir de voir prolonger le séjour d'un Père Oratorien à Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Mon Révérend et très-cher Père,

Vous n'avez garde de conserver en votre souvenir une si pauvre et si chétive créature que moi ; néanmoins, il y a quatre ans passés que votre bonté m'avait promis de me recommander souvent à notre débonnaire Sauveur, et de m'écrira tous les ans une fois quelques-unes de vos divines pensées et affections. Votre Révérence l'a fait une seule fois. Je ne veux pourtant pas me plaindre, car vous êtes mon très-honoré et très-cher Père ; mais je vous ressouviens de votre promesse, et vous dis que j'ai une extrême nécessité de votre assistance devant Dieu, vous conjurant de m'en faire souvent la charité.

Nous avons ici un fort cher gage de votre sainte Congrégation, le Révérend Père N., homme rare en zèle au service de la gloire de Dieu et du bien des âmes, et l'un des plus désintéressés serviteurs de Dieu qui se puisse guère rencontrer. Il y a environ dix ou onze mois que nous l'avons ici logé avec notre confesseur ; il a fait tant de fruits en cette ville, par ses belles et dévotes prédications et conférences, qu'il a gagné le cœur de tous ceux de la ville et des environs. Notre bon prélat Mgr de Genève, que Dieu nous a donné seulement depuis peu de jours,[53] le siège ayant été vacant quatre ans, a un amour et estime très-particulière de ce bon Père, et désire grandement que Votre Révérence agrée qu'il demeure avec lui. Je vous [168] en supplie de fout mon cœur, et avec espérance que votre débonnaireté ne nous éconduira pas, puisque même, je crois, cela n'est point contraire à vos statuts, ayant vu plusieurs de vos Pères demeurer ainsi avec des prélats, pour les assister ès fonctions de leur charge pastorale. Nous attendons la même grâce, car ce bon Père ne veut arrêter que par obéissance, et j'espère que Dieu bénira sa demeure ici de beaucoup de profits spirituels.

Je demande à Votre Révérence si elle a bien travaillé et beaucoup avancé au sacré dessein dont il lui plut de me parler à Paris. Mon Dieu ! que je le désirerais, et d'autant plus que je crois qu'il y a peu d'esprits qui pensent à cela, et qui aient la clarté pour y réussir, comme ferait Votre Révérence. Dieu vous donne le temps et les lumières pour un si grand et utile ouvrage, et comble toujours d'une plus grande sainteté votre chère âme, et lui donne quelque petit ressouvenir d'offrir à la divine miséricorde celle qui demeure en tout respect, votre, etc.

LETTRE MDCXXXVI (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Différer la conclusion d'une affaire.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, août 1639.]

Ma très-chère fille,

Nous avions [hier] à soir fait notre dépêche, quand nous reçûmes votre seconde lettre qui m'étonna un peu, voyant que M. votre Père spirituel étant ici, vous ne lui disiez ni écriviez rien de toute cette affaire, et disiez être sur le point de vous accorder. Certes, ma très-chère fille, lui et moi en serions très-marris, craignant que cela ne préjudiciât et encore n'apportât [169] du trouble à votre maison. Si l'accord est fait, patience ; mais s'il ne l'est pas, il faut absolument retarder jusqu'à ce que lui et moi soyons par delà. Il partira vendredi et sera samedi vers vous. Il faut donc délayer, ma très-chère fille, pour attendre votre Supérieur. — Je vous donne le bonjour et prie Notre-Seigneur qu'il vous comble de ses grâces. Je suis tonte vôtre.

Il faut seulement attendre M. Quêtant pour aider à votre accord s'il n'est pas fait. « La paix est une chère marchandise », disait notre Bienheureux Père ; mais aussi, celle de la maison doit être considérée. Enfin, si votre accord n'est pas fait, attendez M. Quêtant ; s'il l'est, patience, Dieu accommodera tout, s'il lui plaît. Je le supplie vous combler de ses grâces.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXXXVII (Inédite) - À LA MÊME

Dispositions à prendre pour un voyage de la Sainte à Thonon.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 20 août 1639.

Ma très-chère fille,

Il faut adorer Dieu en tout ce qu'il lui plaît permettre nous arriver. L'affaire que vous nous marquez est vraiment fâcheuse ; mais vous êtes bien obligée de rendre grâces à Dieu de la miséricorde qu'il vous a faite de vous y être comportée si sagement en vous retirant, et quittant par ce moyen de plus grands bruits contre vous, et de plus grandes parlementeries parmi les séculiers, qui auront sujet de s'édifier de votre retenue, laquelle m'a d'autant plus consolée, qu'elle est conforme à l'esprit des vraies Filles de la Visitation. Soudain la vôtre reçue, nous avons envoyé chercher M. Quêtant, auquel ayant raconté l'affaire, il s'en est allé vers Monseigneur pour faire ce qu'il faut, qui ne [170] sera autre, comme je pense, pour aujourd'hui, qu'un commandement de part et d'autre de ne rien bouger jusqu'à ce que des prud'hommes aient réglé et donné à chacun ce qui lui vient, conformément à ce que vous avez écrit ; car c'est comme je pense le plus court.

Quant à mon passage auprès de vous, Mgr de Genève m'a dit qu'il était nécessaire que j'y aille, ainsi que M. Quêtant vous l'aura écrit. Si vous nous envoyez la litière lundi, nous pourrons partir mardi, pour être là le jour de la Notre-Dame. Si moins, vous enverrez en sorte que nous puissions partir le lendemain de la fête. Je presse un peu parce qu'il me faut être ici pour le commencement d'octobre, à cause des solitudes ; et pour me tenir plus prête, je commence de parler à nos Sœurs pour le mois.

M. Quêtant dit que vous n'aviez pas bien compris le jour comme nous le lui avions dit, qui est que si vous faites que l'équipage soit ici lundi, qui est d'aujourd'hui en huit jours, nous partirons mardi, pour arriver auprès de vous le mercredi, veille de la Notre-Dame ; ou bien vous l'enverriez pour partir le lendemain de la fête. Plus vous avancerez, et plus vous aurez de temps ; mais tâchez d'obtenir de ces dames que nous allions, ma compagne et moi, dans la litière, car j'ai un peu de peine de voir aller une Religieuse seule à cheval. Et si vous pouviez avoir un cheval d'ami pour M. Marcher, nous le pourrions arrêter quelques jours avec nous. M. Quêtant a fait toute diligence après votre affaire, qu'il a fallu prendre d'un autre biais que nous ne pensions, tout à fait par bon conseil. Or sus, ma fille, ne vous empressez de rien, faites tout doucement ce que vous pourrez, sans désirer davantage. J'écris à M. de Félicia : il voudra quelque chose ou non.

[P. S.] Ma très-chère fille, voilà un paquet important pour nos Sœurs de Nancy et les autres maisons de Lorraine ; pour Dieu que notre bon M. de N. le recommande de bonne sorte, [171] afin qu'il aille sûrement. Dieu fasse abonder sur vous et votre famille son saint amour. Je sens de la joie en l'espérance de vous voir. Dieu fasse que ce soit à sa gloire. Il soit béni.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXXXVIII - À MONSIEUR LE MARQUIS DE PIANESSE

À TURIN

Félicitations sur la guérison de sa mère. Joie d'apprendre qu'elle a fait vœu de se consacrer à Dieu au premier monastère d'Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 5 septembre 1639.

Monsieur,

Nous avons reçu le 2e et le 3e de ce mois vos deux lettres. Un peu auparavant je vous avais écrit. Dieu soit béni de la bonne espérance que vous nous donnez par la vôtre dernière de la convalescence de notre très-honorée dame, Madame Mathilde, et du saint vœu qu'elle a fait de consacrer le reste de ses jours au service de notre divin Maître et débonnaire Sauveur. Quel bonheur pour Son Excellence et quelle douce consolation pour la vôtre, Monsieur, et pour toutes nous autres, puisque ce bon dessein nous donnera l'honneur de posséder sa chère présence ! Certes, sa maternelle bonté nous oblige en ce choix, plus que je ne vous saurais dire, Monsieur. Hélas ! avec quel cœur la recevrons-nous ! nos esprits se réjouissent déjà en cette espérance, Croyez, Monsieur, que nous l'honorerons, servirons et chérirons comme votre et notre vraie et chère Mère. Je vous supplie de l'en assurer, et que nous persévérerons à prier Dieu qu'il lui augmente sa santé et la confirme en ses saints désirs, et veuille, par son infinie miséricorde, combler de plus en plus votre belle âme de son saint amour, vous protégeant en tout, et votre très-illustre famille.

Je demeure invariablement, en tout respect, et incomparable affection, votre, etc. [172]

LETTRE MDCXXXIX - À MONSEIGNEUR JUSTE GUÉRIN

ÉVÊQUE DE GENÈVE, À ANNECY

Regret de partir pour Thonon, sans avoir reçu sa bénédiction. — Vœu fait par Madame Mathilde de Savoie.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Monseigneur et mon très-aimé Père,

Mon Dieu ! qu'il me fâche de partir [pour Thonon] sans recevoir votre sainte bénédiction ! Nous arrêtâmes tout hier pour avoir ce bonheur et consolation ; mais la bonne fête nous presse pour arriver avant le jour de la Nativité, et le muletier aussi nous sollicite, de sorte que, quelque temps qu'il fasse, il faut partir. Mon très-honoré Père, priez Dieu pour nous que ce voyage soit à sa gloire ; je le fais de bon cœur, puisque c'est sa sainte volonté, bien mortifiée de partir sans vous voir, mon très-cher Père. Je laisse à ma Sœur M. -Antoinette [de Vosery] le soin de préparer ce qui sera requis pour l'accommodement des bons Missionnaires, et d'en parler avec Votre Seigneurie Illustrissime.

Je reçus avant-hier une lettre de M. le marquis de Pianesse, qui m'écrit que dona Mathilde étant dans l'extrémité, Dieu la leur donna, et qu'elle a fait vœu de passer le reste de ses jours au service de Dieu en cette maison. Je crois que votre bonté aura consolation de cette nouvelle. Mon Dieu ! Monseigneur, nous reviendrons vous trouver ici.

Mon vrai très-cher Père, que je chéris et honore si tendrement, et avec un entier respect et soumission, Dieu vous conserve ! Je suis votre pauvre, humble, indigne fille, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Pistoie (Toscane). [173]

LETTRE MDCXL - À LA MÈRE MARIE-INNOCENTE JOLY DE LA ROCHE

SUPÉRIEURE À BELLEY

Éloge de M. des Échelles. — L'abandon à la volonté de Dieu est le chemin par lequel doivent marcher les Filles de la Visitation. — Nouvelles de Turin.

VIVE † JÉSUS !

[Thonon, 163 !).]

Ma très-chère et bonne fille,

Je ne puis que je ne bénisse toujours Notre-Seigneur avec une nouvelle action de grâces du zèle que le bon M. des Échelles a pour maintenir l'observance en sa pureté. Je ne pouvais penser autre chose d'une âme si vertueuse que celle de ce fidèle serviteur de Dieu. Je prie sa souveraine Bonté de nous donner toujours de pareils Supérieurs, et de nous faire la grâce d'en profiter comme d'une faveur très-précieuse, départie de la bonne main de Dieu, de laquelle, ma très-chère fille, vous devez encore recevoir les peines dont vous m'écrivez : ne les craignez point, ne les appréhendez point ; regardez-les et les recevez comme une voie dans laquelle Dieu veut que vous le glorifiiez maintenant. Faites fidèlement ce que vous me marquez, ma très-chère fille. Regardez cette sainte Providence, acceptez sa très-sage conduite, et vous y soumettez avec une entière confiance, vous souvenant que c'est le vrai chemin des Filles de la Visitation de marcher toujours fidèlement à la vertu, acceptant et embrassant filialement tout ce que la très-sainte volonté de notre bon Dieu nous présente, ne voulant, au temps et en l'éternité, que l'accomplissement de cette très-sainte volonté.

Nous avons vu avec consolation la bonne madame la baillive, laquelle je n'eusse point reconnue, ni celles qui sont avec elle, si l'on ne m'eût dit qui elles étaient ; nous l'avons caressée de bon cœur, car elle le mérite. Puissions-nous, ma très-chère fille, nous tenir si proche de notre glorieuse Mère au long de [174] sa sainte octave, que nous obtenions la grâce de sa maternelle bénédiction ! Je vous supplie, ma très-chère fille, de la demander et faire demander pour moi à nos chères Sœurs que je salue cordialement, et leur souhaite la grâce que leurs cœurs ne soient plus en la -terre, puisque tous nos trésors sont au ciel. Faites-les beaucoup prier pour la paix, ma très-chère fille, et pour notre très-bonne princesse, et encore pour nos Sœurs de Turin, desquelles nous ne pouvons apprendre nouvelles quelconques. Je vous assure que j'en suis en peine ; mais je remets tout entre les mains de notre bon Père céleste, qui ne permet que rien arrive aux siens que pour leur mieux. Sa seule Bonté soit à jamais votre unique bien. Je suis, ma très-aimée fille, entièrement vôtre.

Ma chère fille, l'on nous a assuré que nos Sœurs de Turin n'ont point à craindre, et que le prince Thomas a grand soin des maisons religieuses. — Votre très-humble indigne sœur et servante en Notre-Seigneur, toute vôtre très-cordialement. Ma chère fille, jetez-vous en Dieu tant que vous pourrez.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Chambéry.

LETTRE MDCXLI (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-MARGUERITE MICHEL

SUPÉRIEURE À FRIBOURG

Réponses au sujet des difficultés qu'offre la fondation de Fribourg.

VIVE † JÉSUS !

Thonon, 23 septembre [1639].

Ma très-chère fille,

Je n'ai reçu aucune de vos lettres depuis notre retour de Turin. Je bénis Dieu de quoi sa bonté n'a pas permis que vous vous soyez mise en chemin en ce temps si calamiteux et plein de dangers, tant pour les maux contagieux qu'autres, et même [175] j'eusse eu crainte que Mgr notre très-digne prélat ne l'eût pas approuvé, car je m'aperçois qu'il est extrêmement exact en ce qui regarde la clôture ; j'eusse pourtant été fort consolée de vous voir.

Quant aux deux points de votre lettre, [mots illisibles] vous savez bien que je n'étais pas à Annecy quand M. Marcher vous fut trouver, ni quand il revint- et à mon retour je ne m'aperçus pas que Mgr votre digne prélat attendît de nous aucune réponse. Secondement, quant à la proposition que vous nous faites, me disant qu'il serait nécessaire que le monastère d'Annecy acceptât par contrat les filles que vous recevez, ainsi que l'on a fait pour ma chère Sœur M. -Désirée [Clément], je ne pense pas que nos Supérieurs ni le Chapitre l'acceptent ; car si bien l'on a fait cette gratification à cette chère Sœur, l'on ne voudrait pas la faire à d'autres. — Votre messager est arrivé sur le temps de notre départ de ce lieu. À la vérité, il eût bien été à souhaiter que vos Sœurs fussent toutes ensemble ; mais, selon que vous me dites, il semble qu'il ne se peut pour maintenant, c'est pourquoi il faut avoir patience. Je remets le tout au jugement de Mgr votre prélat, ne me voyant aucun remède pour cela, espérant en la bonté de Dieu qu'il prendra soin de tout, si toutes, comme je le veux croire, tâchez de le servir dans l'observance. Ma très-chère fille, je crois que vous tenez main à cela ; car je ne puis me méfier de vous en ce point, ayant trop de connaissance de votre zèle et affection à votre vocation. Au nom de Dieu, faites que sa bonne odeur soit conservée pour la gloire de Dieu et le bien des âmes, et croyez que mon cœur conservera toujours son entière dilection pour vous, suppliant Notre-Seigneur vous combler de grâces et vous guider en tous vos besoins. — Je suis vôtre de cœur.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [176]

LETTRE MDCXLII - À MONSIEUR BAITAZ DE CHATEAU-MARTIN

DOYEN DE LA COLLÉGIALE DE NOTRE-DAME d'ANNECY PÈRE SPIRITUEL DU PREMIER MONASTÈRE DE LA VISITATION

Désir d'apprendre de ses nouvelles. — Offres de service.

VIVE † JÉSUS !

[Thonon, 1639.]

Monsieur mon très-honoré Père,

Nous voici extrêmement en peine de votre maladie, bien qu'avec bonne espérance que notre bon Dieu vous conserve pour le bonheur et consolation de plusieurs et de nous très-particulièrement, mon très-cher Père, qui nous êtes si précieux. Nous avons prié M. Marcher d'aller jusqu'à vous, pour nous rapporter la vérité de votre état, et savoir si nous ne pourrions point vous servir en quelque chose, ce qui nous serait grande consolation ; car Dieu sait combien cordialement vos chères filles et tout ce qui leur appartient est totalement vôtre. Mon très-cher Père, Dieu, par sa bonté, vous l'établisse en parfaite santé, et vous comble de sainteté. Je suis de cœur, mon très-honoré Père, votre très-humble, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXLIII - À LA MÈRE CATHERINE-ÉLISABETH DE LA TOUR

SUPÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ DE CHAMPLITTE RÉFUGIÉS À GRAY

Bon état du monastère de Thonon. — Les malheurs du temps et l'autorisation de l'archevêque de Besançon justifient l'élection de la Mère H. F. Belin.

VIVE † JÉSUS !

Thonon, 28 septembre [1639].

Ma très-chère fille,

Avant que partir de notre monastère de Thonon, il faut que je vous fasse ce petit billet pour saluer chèrement votre bon et cher cœur. J'ai été extrêmement consolée de voir la bonne [177] conduite de la bonne petite Mère [de Rabutin] que vous connaissez, mais c'est Dieu qui conduit avec bénédiction par elle ; car ce monastère a fait un changement nonpareil de bien en mieux ; et son saint Nom en soit béni et glorifié éternellement !

Je viens de recevoir une lettre de ma Sœur [Hélène-F. Belin] Supérieure de Besançon, laquelle me fait clairement voir son cœur et sa conduite ; car elle me parle avec une naïveté très-grande. Je ne puis douter que ce ne soit Dieu qui l'ait choisie pour la conduite de cette maison-là, bien qu'il serait à souhaiter qu'elle eût l'âge marqué en nos Constitutions ; mais nous sommes en un temps si calamiteux qu'il ne serait pas à propos d'aller chercher des Supérieures hors de son monastère. Et c'est le sujet pourquoi Mgr l'archevêque de Besançon a permis qu'elle fût proposée. Il faut espérer que Dieu suppléera à ce défaut, puisque c'a été la nécessité qui l'a fait faire, et non pourtant aucune persuasion ni menée, et je connais par ses lettres une très-bonne conduite et une prudence et sagesse très-grandes, surtout en l'affliction de la contagion qui s'est prise en leur monastère. Ç'a été par le commandement de Mgr leur prélat, quoique bien à leur corps défendant pour ne le pas faire ; mais il était tout à fait expédient pour éviter un mal plus grand. Je vous prie, ma chère fille, d'avoir grande union avec elle, par vos petites communications, et aussi avec la Mère de Fribourg ; car je désire que ma grande fille fasse cela, pour faire, par ce moyen, que l'union se maintienne entre vous.

Ma toute très-chère fille, que mon chétif cœur chérit sincèrement, Dieu vous rende toute selon son Cœur divin et toutes vos chères Sœurs. Ma fille, priez bien toutes notre doux Sauveur qu'il me reçoive dans le sein de sa miséricorde au partir de cette vie, et que ce qui m'en reste soit tout employé selon son bon plaisir. Amen. Dieu soit béni ! Je suis toute vôtre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [178]

LETTRE MDCXLIV - À MONSIEUR LE MARQUIS DE PIANESSE

À TURIN

Consolations sur la mort de Madame Mathilde de Savoie. — Abandon à la divine Providence an milieu des tribulations de la vie. La Sainte recommande le monastère de Turin à sa protection,

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Monsieur,

J'ai reçu avec une sensible douleur de cœur la nouvelle du départ de Madame Mathilde, votre très-chère mère,[54] et ne regarde point vos afflictions qu'avec tendresse, admirant les voies de Dieu sur vous, lesquelles j'adore et révère avec vous d'une entière soumission à la très-sainte volonté de notre grand et très-miséricordieux Père céleste. J'honorais avec une très-forte affection la très-vertueuse défunte ; mais, laissant à part les sentiments naturels causés par son absence visible, j'ai en mon âme une grande consolation de la savoir au port assuré de la bienheureuse éternité. Oh ! que la grâce qu'elle a reçue de l'immense bonté de Dieu est grande ! Et toutes choses considérées, je dis encore une fois de tout mon cœur : Oh ! qu'elle est heureuse ! et que nous avons bien sujet de nous réjouir de la félicité qu'elle possède, en espérance ou en effet ! [179]

Sitôt que j'eus reçu votre lettre, Monsieur, j'écrivis et fis écrire de ma part à tous nos monastères généralement, suppliant de faire offrir l'adorable sacrifice avec une communion générale pour le repos de cette chère âme, qui m'a intimement obligée ès témoignages qu'elle m'a rendus de sa précieuse amitié ; elle me sera toujours présente en mes pauvres prières. Et pour vous, Monsieur, je désirai, dès l'honneur que j'eus de votre connaissance, que votre âme et la mienne ne fussent qu'une en Dieu par une intime union à sa très-sainte volonté, que je connais être votre régente et souveraine gouvernante. Nous voici bien au temps et dans les occasions de jeter fixement notre regard en elle, et lui témoigner notre invariable fidélité en la pratique de cet incomparable document, qui est au chapitre du neuvième livre de l’Amour divin : « Es-tu pris dans les filets des tribulations ? Hé ! ne regarde point ton aventure ; regarde Dieu et le laisse faire. » Certes, Monsieur, il n'y a que ce seul refuge parmi tant d'orages ; mais heureuse l'âme qui demeurera dans le saint tabernacle en repos et confiance, attendant le secours de la souveraine Providence, qui ne manque à ceux qui espèrent en elle !

Je ne suis pas sans peine de nos pauvres Sœurs de Turin, en cas que la paix ne se fasse point, car leur maison est toute à la batterie, à ce que l'on nous dit. Votre Excellence, qui sait les affaires du monde, leur donnera, s'il lui plaît, les conseils qu'elle jugera leur être nécessaires ; je l'en supplie très-humblement. Que si la souveraine douceur de notre bon Dieu vous donnait une sainte paix, hélas ! que de bonheur et de sujet de le bénir ! Je ne douterais nullement, Monsieur, que votre bonté ne pourvût avec un soin et dilection toute paternelle à l'affermissement de leur établissement et à leur consolation ; j'aurais mon entier soulagement de ce côté-là. Notre débonnaire Sauveur ait pitié de nous, et vous conserve et protège en tous vos besoins et affaires. [180]

Il me semble, Monsieur, que vous témoignez de désirer garder le crucifix que nous avions envoyé à feu madame votre mère ; il est tout vôtre, et ne laissera d'être mien demeurant nôtre entre vos mains. Gardez-le donc, je vous prie, et croyez que mon âme vous chérit et honore avec toute l'affection qui lui est possible. Ne m'oubliez jamais devant Dieu, et croyez que vous m'y serez toujours présent, vous souhaitant incessamment les richesses du saint amour. Je demeure en tout respect, Monsieur, votre, etc.

LETTRE MDCXLV (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Tendre sollicitude pour cette Supérieure.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Ma très-chère fille, ce n'est que pour saluer très-chèrement votre tout bon cœur, et le conjurer de bénir Dieu avec nous de toutes ses miséricordes. Recommandez-moi bien à sa Bonté que je salue avec nos bonnes dames.

Voyez-vous, je n'ai loisir d'écrire ; mais si vous faites bien ce que je vous dis dans ma dernière lettre, vous serez toujours plus ma chère fille, que j'aime uniquement. Je salue toutes nos Sœurs. Dieu soit loué, ma très-chère fille, et vous bénisse toutes. Amen.

Je vous ai songé cette nuit avec un visage pâle et défait, comme l'on vous a dépeinte. Certes, ma chère fille, je ne puis avoir consolation de cela : si vous vous amendez, je pardonnerai tout, sinon, de vrai, je demeurerai en mon mécontentement, et d'autant plus que je vois que même vous n'obéissez pas à M. votre Supérieur, en ce qu'il vous commande pour votre soulagement. De vrai, cela n'est pas selon la vertu, bien que [181] sous beau prétexte. — J'ai reçu votre sacrifice ; je l'offrirai demain à Notre-Seigneur à la sainte communion, Dieu aidant, avec le mien. Je supplie la divine Bonté de consumer l'un et l'autre au feu de son pur amour, et que jamais nous ne reprenions ce que nous avons donné.

Ma vraie très-chère fille, que j'aime certes uniquement, je vous conjure d'avoir de la santé, que je désire plus que la mienne propre. Nous sommes revenues heureusement, grâce à Dieu, que je supplie vous combler de son saint amour. Mille saluts à toutes nos chères Sœurs et à nos dames. — 1er octobre.

Celle lettre est formée de quatre post-scriptum ajoutés par la Sainte à différentes lettres que des Sœurs d'Annecy adressaient à la Mère de Rabutin en cette année 1639.

LETTRE MDCXLVI - À LA SŒUR LOUISE-DOROTHÉE DE MARIGNY

À MONTPELLIER

Estime pour la Mère M. A. de Rabutin. — Il est dangereux de recevoir des Religieuses d'un autre Ordre.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], À octobre 1639.

Ma très-chère fille,

Ce mot est pour vous saluer par cette bonne occasion de ce bon Monsieur, frère de Monseigneur, et pour vous dire que, grâce à Dieu, nous nous portons bien. Il y a trois ou quatre jours que nous sommes de retour d'un petit voyage que nous avons fait à Thonon, où j'ai reçu grande consolation de voir l'avancement que ces chères Sœurs ont fait sous la bonne conduite de cette jeune Mère. Dieu donne grande bénédiction à sa conduite. C'est une âme vraiment humble ; et, pour cela, la grâce de Dieu habile en elle, et fait par elle ce saint ouvrage.

Je ne réponds pas à vos dernières, parce que les vôtres précédentes me disaient presque les mêmes choses, sinon le changement qui était survenu à ces Religieuses que vous avez de ce [182] prieuré. L'on voit par là comme il est dangereux de nous mélanger avec des Religieuses d'un autre Ordre ; c'est une grande charge dans un monastère. Je n'ai rien à vous dire sur cela ; car je trouve que vous vous y êtes bien comportée. Donc, ma très-chère fille, celle que je vous ai écrite par un jeune homme parisien, fort assuré, et qui était la réponse de la vôtre précédente, répondait aussi à tout ce que la vôtre dernière disait, excepté ce susdit point. Ce m'est bien du contentement de savoir toujours un peu de vos nouvelles, mais je m'aperçois que les lettres se perdent bien par les chemins. Priez toujours bien Dieu pour la sainte paix, à ce qu'il plaise à notre bon Dieu nous la donner, si c'est son bon plaisir. Je me recommande à vos prières, et vous assure que je suis de tout mon cœur d'une entière affection, ma très-chère fille, votre très-humble, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archives (le la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXLVII (Inédite) - À LA SŒUR JEANNE-FRANÇOISE PONSILLION

À TURIN

Encouragement à servir Dieu avec allégresse et générosité. — Messages.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 12 octobre [1639].

Il faut que de ma propre main et de tout mon cœur je vous dise que vous êtes ma très-chère fille et bien-aimée filleule,[55] à qui je souhaite une grande générosité et sainte allégresse d'esprit. Oui, ma fille, il la faut avoir pour faire et souffrir [183] tout ce qu'il plaira à ce bon Dieu vous envoyer, et ne faut plus pleurer cette chétive marraine et indigne, mais bien prier Dieu pour elle. Oh ! que je suis contente de savoir votre cher cœur renouvelé en paix et vigueur pour le saint amour. Conservez bien ce cher sentiment divin ; ne vous étonnez point de vos défauts, embrassez votre abjection et ne vous laissez jamais abattre, mais relevez toujours votre cœur dans ce doux Cœur de notre souverain Bien, le divin Jésus, qui soit éternellement béni et glorifié de nos âmes. Amen.

Quand vous écrirez à la très-bonne signora votre chère mère, saluez-la étroitement de ma part ; je l'aime et l'estime plus que je ne puis dire et ses chers petits-enfants, que je prie Dieu bénir et leur conserver leur bonne grand'mère, la comblant de son saint amour. — Je vous prie, ma chère filleule, de saluer tendrement de ma part toutes nos bien-aimées novices ; certes, je les porte toutes dans mon cœur comme mes filles très-chères, auxquelles je souhaite sincèrement toute sainte perfection, surtout celle de la sainte douceur, obéissance et allégresse d'esprit. Et, vous embrassant toutes, professes et novices, avec les plus tendres affections de mon cœur, je demeure toujours de toutes, ma très-chère fille, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie de l'original ; gardé à la Visitation de Sorésine (Lombardie). [184]

LETTRE MDCXLVIII - À MONSIEUR TRUITAT[56]

CONFESSEUR DES RELIGIEUSES DE LA VISITATION, À TURIN

Demander à Dieu les lumières nécessaires pour bien s'acquitter de ses fonctions.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Monsieur,

Je bénis Dieu qui a tenu en sa divine et paternelle affection notre chère maison : croyez qu'elle m'est bien présente devant Dieu. Je suis bien aise que Mgr l'archevêque ait agréable que vous commenciez à confesser nos Sœurs. Demandez journellement à Dieu sa sainte lumière pour lui rendre ce service utilement, et à la consolation et utilité de ces chères âmes. La présence de Dieu vous fournira et inspirera ce qui leur sera nécessaire, si, vous abaissant devant sa divine Bonté, vous réclamez sa grâce et ce qui sera profitable à chacune.

Je vous prie d'aller faire très-humble révérence de ma part à Monseigneur et saluer toute sa maison, comme aussi M. de Roncasio et madame. Saluez très-chèrement le Père recteur, M. le marquis et madame la marquise de Pianesse, M. le marquis de Lullin, la signora Catherine, ma chère madame la comtesse Rippes et sa suite, et enfin tous les amis et amies, nos chers voisins et voisines et les bonnes Annonciades. Je ne puis [185] leur écrire ; mon corps se lasse incontinent. Je me recommande à leurs saintes prières ; assurez-les qu'en ce que je pourrai les servir, en la personne de leurs bonnes Sœurs en ce pays, je le ferai de bon cœur. Conservez-moi en votre souvenir devant Dieu, et croyez que je suis de cœur votre très-humble, etc.

LETTRE MDCXLIX (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Maternelles recommandations.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 15 octobre 1639.

Ma très-chère fille,

Dieu soit béni de tout et en toutes choses, particulièrement en la bonne santé que vous me dites que vous avez, et au soin de faire tout ce que l'on vous prescrit pour la conserver. Voilà une boîte de tablettes : usez-en comme il est marqué, et des autres remèdes, je vous en prie ; mais cela exactement, car tout est doux et facile, et avec peu de frais. Je vous prie, ne faites aucun jeûne extraordinaire, et encore abstenez-vous-en pour peu d'incommodité que vous ayez. Continuez à prendre de bon cœur les petits soulagements que l'on vous a marqués, et ceux que vos incommodités requerront, comme vous les feriez prendre à une autre. Buvez votre vin, pour le moins la moitié de votre pot,[57] car ils sont fort petits chez vous. Ne vous levez ni couchez plus tôt ni plus tard que les autres, ni ne travaillez aux choses pénibles, car je sais que votre complexion ne le porte pas ; et gardez-vous de faire aucune discipline que celle [186] du vendredi. Tenez votre esprit en paix et tranquillité, et passez cette misérable vie doucement. Ne prenez point à cœur les fautes de vos Sœurs, ni leurs tracasseries ; faites ce que vous pouvez doucement autour d'elles et remettez le surplus à Dieu.

Priez et faites fort prier afin qu'il plaise à Dieu convertir les misères et calamités de ce monde à sa gloire et au salut du peuple, et ne m'oubliez pas. Si vous voulez que j'écrive à ma Sœur J. -Antoine, je le ferai ; enfin il la faut tenir ferme dans les promesses qu'elle m'a faites, et lui dire que je vous en ai parlé et de me mander comme elle fera. Dieu nous soit en aide et soit béni et sa sainte Mère. Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCL - À LA MÈRE MARIE-AGNÈS LE ROY

SUPÉRIEURE AU DEUXIÈME MONASTÈRE DE PARIS

Satisfaction que la Sainte a reçue du bon état de la maison de Thonon. — Rédiger la relation d'un miracle opéré par saint François de Sales. — Mort de Sœur A. -Marg. de la Luxière.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 19 octobre [1639].

Ma toute très-chère fille,

La douceur de votre affection touche mon cœur, qui réciproquement vous chérit plus que nous ne saurions dire, et toute votre bénite famille, entre laquelle la chère Sœur A. -Marg. [Guérin] m'est aussi bien chère. Je vous assure, ma très-chère fille, que je suis tant accablée de la multitude de lettres qui m'arrivent, des affaires, et meshui de la vieillesse, que j'ai peine à fournir, encore que j'aie trois Sœurs qui m'aident. Outre cela j'ai été absente un mois. J'ai visité notre cher monastère de Thonon où j'ai reçu entière satisfaction de la vertu et bonne [187] conduite de ma Sœur M. -Aimée de Rabutin. C'est une âme faite, à mon avis, au gré de Notre-Seigneur ; mais, las ! pour me donner le contre-poids, je l'ai trouvée tout infirme. Le saint Nom de Dieu soit béni, et fasse toujours et en tout sa très-sainte volonté en nous. Ma fille très-chère, je vous conjure que vous et toutes nos bonnes Sœurs, vous m'obteniez cette grâce de sa divine Bonté, que je vive et meure en sa grâce et bon plaisir ; et laissez-lui un peu faire de ma vie ce qu'il lui plaira.

Que ce nous a été une grande consolation que de savoir ce qui est arrivé à M. votre bon confesseur, par les mérites de notre saint et bienheureux Père ! Bénie soit l'infinie bonté de Dieu qui glorifie son Serviteur, et nous fasse la grâce d'être fidèles à ses saintes instructions. Tenez main à faite recueillir ce miracle. Je crois que celui de la guérison de la dame abbesse qui l'obtint en votre église le sera. Il en est arrivé un à Chambéry ; et ici une damoiselle s'en est allée en bonne santé, qui était malade il y avait deux ans.

Que vous faites bien de ne point vous empresser pour les fondations. Je crains que nous n'ayons plus de maisons que de Mères ; il en est mort une très-bonne qui était de céans.[58] — Je crois que vous recommandez bien à Dieu l'affaire du Visiteur. Ma toute chère fille, je suis tout à vous de cœur. Dieu vous comble de grâces et toutes nos Sœurs que je salue.

Conforme à une copie gardée au deuxième monastère de la Visitation de Paris. [188]

LETTRE MDCLI - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Désir de la bienheureuse éternité. — Nouvelles des Sœurs de Turin. — Entretenir de charitables relations avec les deux monastères de Lyon.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 1er novembre [1639].

Ma très-chère fille,

Ce divin Sauveur soit éternellement béni de la sainte gloire et félicité dont Il fait jouir ses Saints ! car c'est aujourd'hui leur grande fête. Hélas ! et quand sera-ce, ma bien-aimée fille, que nous participerons à leur sainte félicité ? Mon Dieu ! que notre pèlerinage est long ! et que cette vie serait ennuyeuse si l'on n'y trouvait le très-saint bon plaisir de Dieu, que je supplie vouloir être toute notre consolation, en cette vie et en l'autre, par une très-parfaite obéissance à tout ce qu'il lui plaira faire de nous et de toutes choses. Vous vous plaignez toujours de n'avoir point de nos nouvelles, et il me semble qu'il est vrai que je ne manque point de répondre à toutes celles que je reçois de vous ; mais votre affection toute parfaite pour moi vous a toujours donné cette avidité. Or je vais maintenant prendre la voie de Belley pour vous écrire ; nous verrons si elle réussira mieux, vous nous le ferez savoir.

Hélas ! je ne vous sais que dire de nos pauvres chères Sœurs de Turin, sinon que parmi le déluge des canons et mousquetades qui les environnaient, et des continuelles alarmes de guerre, Dieu les a conservées, bien qu'elles aient eu à leur part soixante boulets de canon. Dieu a préservé leurs personnes et elles sont demeurées dans une grande paix, toujours dans la disposition d'être tuées. Je veux espérer de la divine Bonté et de la protection de la très-sainte Vierge et de nos saints Protecteurs, que ce bonheur leur sera continué, ainsi que de tout mon [189] cœur j'en supplie notre divin Sauveur, et vous supplie que vos Sœurs avec nous et celles de votre voisinage les aient en grande recommandation.

Je voudrais que vous m'eussiez envoyé cette lettre piquante. Voyez-vous, ma chère fille, il faut dissimuler tout cela, et ne lui donner aucun signe que vous sachiez ce qu'elle ne vous dit pas, afin qu'il ne lui semble pas, et aux autres, que vous les vouliez tenir en tutelle et toujours gouverner. Ce n'est pas votre intention, je le sais bien ; mais je vois que l'on se rend si douillet qu'il faut bien peser ce que nous disons. Croyez-moi en ce que je vous dis : ne traitez ensemble que de cordialité, et vous gardez d'échapper une seule parole par écrit, ni à qui que ce soit, qui ne soit totalement détrempée dans l'esprit de vraie douceur et ne ressente la parfaite union et cordialité. Vous faites excellemment de ne penser ni de parler de retourner en Bellecour. Il y a du temps d'ici à la fin de votre triennal ; nous verrons d'ici là ce que Dieu disposera et requerra de vous. Mais cependant, donnez-moi ce contentement de nourrir et cultiver la paix avec les deux maisons de Lyon, sans empressement, mais tout simplement et cordialement : vous m'entendez bien. — Mon Dieu ! serait-il bien possible qu'il ne se trouvât point de fille chez vous pour vous succéder ? Cela est fâcheux d'être toujours à pain quérir ; et à Saint-Amour, n'y en a-t-il point ?

Or sus, il faut finir, ma toute vraie et très-chère fille ; vous savez ce que je vous suis, toute vôtre et de cœur invariable. Dieu soit notre tout, et soit éternellement béni et loué de nos âmes, et sa sainte Mère en son rang, et tous nos bénis Saints, et notre débonnaire Père, avec nos bonnes chères Mères et Sœurs ! Hélas ! je les supplie qu'ils nous protègent et nous aident. Dieu soit béni ! Amen !

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [190]

LETTRE MDCLII - À MONSIEUR LE MARQUIS DE PIANESSE

À TURIN

Combien est précieux à la Sainte un souvenir que lui a fait remettre feu Madame Mathilde de Savoie. — Promesse de prières.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Monsieur,

Vos lettres me sont toujours très-chères et à grande consolation ; mais je supplie très-humblement Votre Excellence de n'user plus d'aucune excuse envers moi, pour quoi que ce soit, Notre-Seigneur ayant mis une certaine confiance en mon âme pour la vôtre, qui m'affranchit de tout soupçon, de toute défiance envers vous, Monsieur, quoi qu'il puisse arriver. Je tiendrai bien cher ce que Votre Excellence m'a envoyé par l'ordre de feu madame votre très-vertueuse mère : ce me sera un gage précieux du souvenir et bienveillance qu'elle me témoigna dans un détroit où l'on s'oublie volontiers de toutes créatures. Elle savait bien (ce qui est vrai) que je l'honorais parfaitement. Il n'est point besoin que vous m'envoyiez des crucifix. Je me sens obligée à Votre Excellence que vous veuilliez garder celui qui était à la bonne défunte.

Assurez-vous, Monsieur, qu'il n'y a créature au monde qui me soit plus précieuse devant Dieu que Votre Excellence, surtout maintenant que je vous sais dans les périls si grands et qui causent souvent des atteintes dans mon cœur. Dieu, par son infinie miséricorde, vous tienne sous sa sainte protection ! Il est évident que souvent Il vous sert de bouclier, et je veux espérer que sa Bonté vous continuera sa sainte lumière, toujours et en toutes choses, surtout en l'affaire si importante que vous nous recommandez pour connaître sa divine volonté, et vous donnera la grâce de l'accomplir ; car je sais que cela est [191] la grande et unique ambition de votre cœur, que je supplie la souveraine Bonté de combler des trésors de son amour. Ne m'oubliez point en vos prières, je vous supplie, et me faites l'honneur de me tenir toujours, Monsieur, pour votre, etc.

LETTRE MDCLIII - À LA MÈRE HÉLÈNE-FRANÇOISE BELIN[59]

SUPÉRIEURE À BESANÇON

Dieu nous donne les biens et les maux avec une égale bonté. — L'amour de l'abjection est la crème de l'humilité. — Éviter tout examen inutile.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Ma très-chère fille,

Quelle consolation de voir le changement que Dieu a fait en vous ! Voilà les fruits de la sainte patience et résignation qu'il vous a fait pratiquer dans les angoisses et les tentations dont la divine Providence a voulu vous exercer et épurer comme l'or dans la fournaise. Bénie soit éternellement cette infinie Bonté ! C'est une grande douceur, ma très-chère fille, de se trouver dans [192] le calme après un si rude orage, pourvu que l'esprit soit toujours disposé à recevoir avec indifférence l'amer comme le doux, en regardant la très-sainte volonté de Dieu ; car, ma fille, Il nous donne l'un et l'autre avec un égal amour ; et bien souvent les travaux, avec une toute spéciale grâce et profit de nos âmes.

Votre oraison est totalement bonne, sainte et solide ; il ne faut que tenir votre esprit affermi en cette douce et tranquille attention de simple regard en Dieu. Selon le récit que vous me faites de votre disposition, de vos sentiments et pratiques, je trouve que tout cela va parfaitement bien. Il ne faut que persévérer fidèlement dans le désir de l'humilité et l'amour de votre abjection, qui en est la crème et plus solide pratique ; c'est un grand trésor et une grâce qui attire en l'âme toutes les autres grâces et Dieu même, qui se plaît avec les petits. Demeurez là, ma fille, et soyez inviolable en la pratique de cette sainte vertu, sans pointiller autour d'elle ni examiner s'il y a de la subtile vanité là dedans. Non, je vous prie ; s'il vous en paraît quelque chose, déniant les actes à telles subtilités et recherches de votre amour propre, ne faites rien, pas même semblant de les voir ; et laissez le soin à notre adorable Sauveur de vous purifier de cela et de toutes les autres petites imperfections dont notre nature [193] est chargée. Prenez le seul soin de regarder sa Bonté, selon votre attrait, faisant le bien à mesure que sa Providence vous le montrera en chaque moment, sans vous charger davantage ; la sainte simplicité étant uniquement propre à votre voie, c'est ce qui est cause que vous avez peine à réfléchir, ce qu'il vous faut absolument retrancher. Vous faites bien de ne guère communiquer votre intérieur-, peu de personnes entendent ce chemin et voie si simple. Obligez-moi, ma chère fille, de me recommander souvent à la divine miséricorde ; je vous en supplie et toutes nos Sœurs que je salue, étant tout entièrement votre, etc.

LETTRE MDCLIV (Inédite) - À LA MÈRE ANNE-CATHERINE DE BEAUMONT

SUPÉRIEURE À PIGNEROL

Compassion pour une âme faible.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 15 novembre [1639].

Mon Dieu ! vous me dites en deux mots l'esprit de notre Sœur N. N'est-ce pas misère que cet aveuglement de propre estime ? Dieu la guérisse ! Mais je suis encore plus touchée de notre pauvre Sœur, quand je me souviens des bonnes dispositions de cette âme-là et des grâces que Dieu lui a faites ; car sa candeur, sincérité et observance étaient remarquables, et s'acquittait très-bien de tout ce à quoi on l'employait, bien que toujours avec ce naturel lent et froid. Pour les comptes, nous n'avions point de Sœur qui les dressât mieux. Mon Dieu ! ma toute chère fille, que cela me touche le cœur, quand je vois des âmes déchoir ainsi ! Il s'y trouve encore un bon fond, mais dans un esprit si abattu que cela me fait grande pitié. Je sais que votre bon cœur n'oublie rien pour l'aider à se relever ; les témoignages de votre amour cordialement maternel lui profiteront beaucoup. Certes, je la fais un peu piquer par N. ; mais [194] dites, ma toute chère Sœur, penserez-vous qu'en une autre maison, elle pût se mieux relever et servir ? Au moins, m'est-il avis que difficilement trouverait-elle une Mère qui la pût si bien ni si utilement aider que vous.

Vous voyez que mon esprit recherche, car cette âme me fait compassion de la savoir ainsi inutile et de fâcheuse humeur. Dieu, par sa bonté, en ait pitié et lui donne ce qui lui est nécessaire ! Mais surtout je supplie son infinie douceur de vous conserver, ma vraie très-chère fille, et vous combler des grâces de son saint amour, et toutes nos Sœurs, que je salue avec vous, et suis de cœur invariablement et absolument toute vôtre.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Pignerol.

LETTRE MDCLV - À MONSIEUR TRUITAT

CONFESSEUR DES RELIGIEUSES DE LA VISITATION, À TURIN

Sollicitude pour les Sœurs de Turin. Reconnaissance des soins dont il les entoure.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 15 novembre [1639].

Monsieur,

Je supplie notre très-débonnaire Sauveur de vous avoir en sa divine protection et vous conserver emmi tant de périls. Hélas ! Monsieur, que je suis en grande peine, et de nos pauvres Sœurs et de vous, que Dieu leur a donné pour leur bonheur en toute façon ! et j'espère que cette douce et paternelle Providence aura soin de tous. Je l'en supplie incessamment, et qu'elle nous donne la force et la grâce de porter tous les événements de son bon plaisir, selon ce même bon plaisir, afin qu'éternellement nous le bénissions de ses miséricordes.

Ma Sœur la Supérieure ne se peut taire des grandes et utiles assistances qu'elles reçoivent de votre bonté, et me témoigne un contentement accompli de votre sage et pieuse conduite [195] en toutes choses, dont chacun reçoit édification, et toute la communauté très-grande consolation, et sujet de bénir Dieu de leur avoir donné un tel secours dans leurs besoins et un si vertueux confesseur. La divine Providence vous avait réservé pour cela, Monsieur. Je la supplie que ce soit pour longues années à sa très-grande gloire. Ne m'oubliez point en vos saints sacrifices, et croyez que je suis de cœur votre très-humble servante en Notre-Seigneur.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCLVI (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Mesures à prendre pour se garantir de la peste.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 21 novembre 1639.

Ma très-chère fille,

Je bénis le saint Nom de Dieu en toutes nos afflictions ! Je sais que sa divine Providence vous tient en sa paternelle et spéciale protection ; c'est ce qui me console dans les appréhensions inévitables de vous savoir en lieu où est la peste, me confiant que cette infinie bonté vous préservera. Mais je vous dis de la part de Monseigneur et de tout mon cœur que vous soyez sur vos gardes le plus qu'il vous sera possible, et que, si quelque accident de mal arrive à vos Sœurs, bien qu'il ne soit pas découvert être de peste, que vous vous gardiez bien de les approcher, et ne manquez de prendre une fois la semaine de la thériaque et tous les matins de ce préservatif dont l'on vous envoie le mémoire. Mais, aurez-vous quelque Sœur généreuse qui franchement s'expose, si Dieu permettait qu'il y eût du mal chez vous, ce que j'espère qui n'arrivera pas ?

Je suis bien en peine de ce que vous n'avez pas vos provisions [196] de blé et de vin ; de les prendre ici, c'est chose impossible. M. Quêtant viendra vendredi ici ; nous conférerons de tous vos besoins et des remèdes qui s'y pourront apporter, et croyez que nous ferons tout ce que nous pourrons, Dieu aidant.

Or, je ne puis répondre à vos lettres, par lesquelles je vois combien vous êtes chère à Dieu. Tenez-vous fort joyeuse et vos Sœurs aussi. Gardez-vous de vos tourières que je pense qu'il vous faudra envoyer à N., afin de vous faire là quelques provisions, mais nous parlerons de tout à M. Quêtant ; et pour l'entrée de votre prêtre, il faudra craindre M. Dunant. Ce porteur presse ; je me réserve pour l'homme de M. Quêtant. Ce n'est pas le temps de se mal nourrir. Prenez comme de la main de Dieu ce qui vous sera donné ; je le supplie vous conserver et toutes nos Sœurs. Ne doutez pas que vous ne nous soyez fort présente devant Dieu, qui soit béni. — Jour des renouvellements.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCLVII (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-MADELEINE DE GRANIEU

À GRENOBLE

C'est par une disposition de la Providence qu'elle a été envoyée au monastère de Grenoble. — Encouragements.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 29 novembre [1639].

Ma très-chère et bien-aimée fille,

Je viens par ce billet saluer votre tout bon cœur et lui demander cordialement de ses chères nouvelles, m'assurant qu'elle me les donnera avec une entière confiance, puisqu'il est vrai qu'après la bonne Mère je ne veux pas céder à personne en affection et désir de votre vrai bien et repos, pour lequel, ma fille, je voudrais donner mes yeux si Dieu le requérait ainsi ; et, avec sa grâce, croyez que je les donnerais de bon cœur, mais sa Bonté n'a que faire de moi pour parfaire sa sainte œuvre en [197] vous. O ma toute chère fille ! je tiens que c'est par sa sacrée inspiration que madame votre très-vertueuse mère vous a attirée vers elle parmi nos chères Sœurs,[60] et que là, vous trouverez des soulagements et des remèdes impossibles à rencontrer ailleurs. Correspondez fidèlement aux desseins et dispositions de la très-douce Providence sur vous, faisant généreusement tout le bien que vous connaîtrez que sa sagesse désirera de vous, parles bons conseils qui vous seront donnés, et surtout soyez fidèle aux lumières intérieures que sa Bonté vous départira, car je sais qu'elles ne vous manquent pas. Nous ferons faire des prières particulières pour vous, ma très-chère fille, à qui mon cœur souhaite abondance de grâces célestes en cette vie et l'immortelle félicité en l'autre. Faites le même souhait pour moi, qui suis toute vôtre.

Je salue ma très-chère Sœur la Supérieure et nos bonnes Sœurs ; je leur demande l'aide de leurs prières.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Chambéry.

LETTRE MDCLVIII - À SAINT VINCENT DE PAUL

À PARIS

Espérance de voir saint Vincent de Paul faire un voyage à Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Ah ! mon très-cher Père, serait-il bien possible que mon Dieu me fit la grâce de vous amener en ce pays ? Ce serait bien la plus grande consolation que je puisse avoir en ce monde. Je suis persuadée que ce serait par une spéciale miséricorde pour mon âme qui en serait entièrement soulagée, à ce qu'il me semble, en quelque peine intérieure que je porte, il y a plus de quatre ans, et qui me sert de martyre. [198]

LETTRE MDCLIX - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Souhaits de bénédictions. — De quel secours est à un pauvre prêtre la fondation de la messe quotidienne. — Avantage des Missions dans le diocèse de Genève.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 12 décembre [1639].

Mon très-honoré et très-unique Père,

Ce billet vous trouvera dans la solennité de ces incompréhensibles mystères de notre Rédemption, et je vais en esprit dire à l'oreille de votre cœur tout dévot, mais avec toutes les plus cordiales affections du mien : O mon très-cher et vrai Père, qu'à jamais soyez-vous béni et comblé des sacrés mérites et saintes consolations de la divine enfance de notre doux et très-débonnaire Sauveur ! Amen. Oh ! que ces mystères sont suaves et adorables !

Mon très-bon et cher Père, j'ai confiance que vous ne m'oubliez jamais en vos saints sacrifices. Hélas ! que j'ai de besoin d'en être aidée, afin que Notre-Seigneur m'octroie la miséricorde de vivre et mourir en sa grâce et bon plaisir. Il faut que je vous dise, mon très-cher Père, une consolation toute particulière que j'ai eue, considérant la douceur de la céleste Providence en l'emploi de vos charités, qui me fait connaître combien sa Bonté les a agréables. Sachez donc, mon très-cher Père, que la pension de votre messe de fondation est venue si à propos pour aider à sustenter et nourrir deux très-vertueux ecclésiastiques : un vieillard vénérable et son neveu, personnages de très-bonne maison et qui avaient des grandes commodités en Bourgogne. Ils ont tout perdu et se sont réfugiés ici, où ils eussent pâti de très-grandes nécessités sans ce céleste secours ; car il semble que ce petit retardement de la fondation ne se fit qu'afin que ces bonnes âmes en fussent aidées, car ils [199] arrivèrent en même temps que vous nous le mandâtes. Je vous confesse, mon très-cher Père, que ce trait de la Providence m'a fort consolée, voyant le soin qu'elle a de ceux qui se confient en elle et se soumettent de bon cœur à sa très-sainte volonté, comme font ces vertueux ecclésiastiques. Le neveu dit les messes, car le bon vieillard est souvent malade. Je ne sus m'empêcher de vous dire cela, mon très-cher Père ; je crois que votre bonté en sera consolée.

Je crois que vous aurez reçu nos dernières lettres, où je dis tout avec une entière soumission et confiance que votre incomparable charité et affection parfera l'affaire du Visiteur. — Je ne puis me lasser d'admirer les fruits que Dieu tire pour sa gloire et le bien des âmes, de la vôtre bénite et très-chère, mon vrai unique Père. Oh ! qu'il y a grand sujet d'en louer et remercier sa divine Majesté ! Un Père de l'Oratoire fut, il y a quelque temps, en une certaine paroisse de ce diocèse : il dit que les âmes y sont en grandes bonnes dispositions et altérées du bien. Oh Dieu ! mon très-cher Père, il y en a six cents en ce diocèse, presque toutes catholiques. Eh ! quelle abondante moisson feront ces chers ouvriers ! et tout cela pour combler de plus en plus la très-bonne âme de mon vrai Père de richesses spirituelles. Oui, sans doute ; car je ne crois pas qu'il se puisse faire une bonne œuvre, en fait de mission, qui embrasse et contienne tant de mérites que celle-ci. Dieu en soit glorifié éternellement, qui l'a si saintement inspirée à votre chère âme !

Par mes dernières, je vous ai tout écrit, mon très-cher Père, et ne pensais vous dire qu'une douzaine de paroles, mais avec vous je ne puis être si courte. J'ai une défluxion sur les yeux, qui me fait encore plus tôt finir, en vous souhaitant derechef, mou très-unique Père, les plus suaves et précieuses grâces de notre bon Dieu, et que toujours vous teniez dans votre cœur paternel votre très-humble et obéissante et obligée fille et servante, etc.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans. [200]

LETTRE MDCLX - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

La Sainte s'oppose à ce que la Mère de Blonay aille faire la fondation de Bordeaux.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 14 décembre [1639].

Ma très-chère fille,

Je lus hier vos lettres : vraiment, je fus touchée, si c'est vrai qu'on eût ce dessein de vous envoyer à Bordeaux. Je ne vois pas que ces hautes puissances parlant et commandant nous puissions ni osions sonner mot ; car, que servirait-il, sinon à faire plus de mal ? Or cependant, j'écrivis dès hier à la Mère de Bellecour que l'on m'avait donné cet avis de l'une de nos maisons, ce qui m'affligeait sensiblement ; et que je la suppliais de tourner ce dessein, ne croyant pas que vous eussiez de la santé et vie suffisante pour fournir à un tel voyage, et plusieurs autres choses, bien que, si je croyais que ce fût un dessein de Dieu sur vous, j'y acquiescerais de tout mon cœur. Or, ma très-chère fille, il faudra écouter et voir à quoi tout cela aboutira. Quand j'aurai réponse, je la vous ferai savoir, car je ne pense pas que l'on remue rien de cet hiver.

Or, il est vrai qu'ils n'ont pas une Supérieure à mon gré pour le lieu, qui est très-important. Je leur ai écrit de choisir en leurs deux monastères la plus capable et une bonne seconde, qui fût aussi propre pour la conduite, et que le reste des filles devait être de solide vertu, mais non se croyant capables des premières charges, comme il me semblait qu'étaient la plupart de celles qui étaient nommées ; cela ferait du grabuge avec le temps. Au reste, il est vrai que je suis marrie que vous ayez échappé des paroles contre la Supérieure ; car cela fait croire que c'est par envie et jalousie. Je vous prie que meshui cela ne soit plus. Montrez-vous indifférente pour la maison de [201] Bellecour, bien que très-affectionnée, et lâchez de vivre avec une franche cordialité. Ma dernière lettre vous dit tout mon cœur à ce sujet.

Dieu assistera nos pauvres Sœurs de Saint-Amour. Hélas ! qu'il y a peu de fiance [confiance] en ce monde de grandeur ! Dieu soit béni. Sans loisir.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCLXI (Inédite) - À LA MÈRE ANNE-THÉRÈSE DE PRÉCHONNET

SUPÉRIEURE À ROUEN

Prévisions pour l'élection qui doit se faire à Rouen. — La différence des nations ne doit pas altérer l'union des cœurs. — Décès de trois Supérieures de grand mérite.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 14 décembre 1639.

Ma toujours plus chère et très-aimée fille,

Je commence à répondre à votre lettre du 24 octobre, par l'assurance que je vous donne que j'ai fidèlement répondu de point en point à la vôtre précédente, et envoyé ma lettre à Paris, et crois que vous l'aurez maintenant. Assurez-vous, ma toute chère fille, que, tandis que Dieu me donnera vie et santé, je ne manquerai point à correspondre à vos chères lettres, qui sont toutes les bienvenues. Il y a si longtemps que votre bon cœur connaît le mien, que c'est assez dit sur ce point.

Je passe à votre élection de Rouen ; et vraiment, nia chère fille, je vous sais bon gré de la généreuse franchise avec laquelle vous promettez à vos chères filles de leur continuer votre service, si vos Supérieurs l'agréent, et je vous conjure de ne rien oublier pour en obtenir la licence, et pour cela d'employer les mêmes puissances vers Mgr de Clermont pour vous garder à Rouen encore trois ans, que celles que j'employai pour vous y faire [202] aller. J'en ai déjà écrit au Père Charles [de Graffort],[61] auquel je n'y vois pas du dissentiment, et lequel, avec son esprit toujours sage et considéré, ne voulut point permettre à nos Sœurs de Montferrand, après le décès de leur bonne Mère [M. -Michelle des Roches], d'attendre le temps de votre déposition, comme elles désiraient, pour faire leur élection, en quoi il a grandement bien fait ; car tel retardement de l'élection aurait tiré une grande conséquence dans l'Institut. Nos bonnes Sœurs ont donc élu ma Sœur [A. -Charlotte] de Cordes, qui est une très-vertueuse fille, et de laquelle je m'assure qu'elles recevront tant de satisfaction qu'elles pourront faire la charité à nos bonnes Sœurs de Rouen de leur laisser encore votre chère personne. Je leur en ai déjà écrit un mot, et leur en écrirai encore, Dieu aidant, voyant bien que la famille que vous servez en a un vrai besoin. Les Sœurs que vous me proposez pour mettre sur votre catalogue sont tout à fait bonnes et vertueuses. Pour ma Sœur [M. -Geneviève] de Furnes et ma Sœur [M. -Agnès] Le Roy, il s'en faudrait adresser au monastère de Paris dont elles sont ; quant à ma Sœur [A. -Bénigne] Joquet, je ne crois pas que nos Sœurs de Nevers la donnent, car elles sont dans le pourparler d'une seconde maison dans cette ville-là. Et pour conclusion, j'espère que vous n'aurez besoin ni des unes ni des autres, et que l'on obtiendra de vous mettre sur le catalogue, et par conséquent vous serez réélue.

Quant à ce que vous dites, ma très-chère fille, de votre fondation,[62] je trouve que vous lui faites un très-bon parti, pourvu que vous donniez quelque ameublement aux Sœurs que vous enverrez, et ne crois pas que vous puissiez envoyer ma Sœur [Foras] de Bernard pour Supérieure ; car, quoiqu'elle soit bonne, je n'ai pas ce sentiment qu'elle ait les talents et [203] dispositions pour être Supérieure. Vous y pourriez donc envoyer votre première professe, pourvu que vous ne dépouilliez pas trop votre maison d'en ôter ce bon sujet ; car s'il se peut, après votre second triennal, il faudrait qu'une Sœur normande vous succédât. Mon Dieu ! ma fille, que j'ai ri de bon cœur quand vous me dites que vos anciennes procurent aux plus jeunes les mortifications dont elles ne voudraient point pour elles-mêmes. Elles ont été bien mortifiées à leur tour ; mais elles ne s'en souviennent plus, puisqu'elles n'en ont pas l'amour et l'habitude bien enracinés. Vous verrez la réponse que je fais à ma Sœur [J. -Élisabeth] Edeline, c'est pourquoi je ne vous en dis rien. Mais, ma très-chère fille, au nom de Dieu, tâchez de faire prendre à toutes ces bonnes Sœurs l'esprit universel que Dieu vous a donné ; car c'est une chose fâcheuse de voir régner en des âmes obligées de tendre à la hauteur de la perfection les antipathies naturelles de nation à nation. Oh ! ma chère fille, faites-leur bien entendre ceci, que nous sommes toutes filles de Dieu, duquel l'amour est assemblant et unissant les choses plus éloignées. Et ce divin Maître veut, par sa loi de grâce et de dilection, tellement joindre toutes choses, qu'il veut que l'on voie le loup, l'agneau, le lion et le léopard demeurer paisiblement ensemble sous la conduite d'un petit enfant ; c'est-à-dire que les esprits de diverses nations et endroits de la terre ne doivent plus être qu'un en ce divin amour, surtout quand on est dans une même bergerie et vocation religieuse. Que s'il y a du contraire dans quelques esprits, c'est signe que ce qui est d'humain et de naturel vit plus en eux que ce qui est de la grâce ; et enfin c'est que celles qui seront atteintes de ce mal doivent beaucoup s'humilier et commencer tout de nouveau à se mortifier, reconnaissant que vraiment elles n'ont pas encore mis la cognée jusqu'à la racine, puisque l'on voit, comme vous dites, assez souvent des rejetons de cette mauvaise plante. Si Votre Charité trouve bon de leur lire ceci, j'en serai bien aise, et je les conjure toutes de peser les paroles du [204] Sauveur, qui veut que les siens soient consommés en un, et qu'elles imitent ce divin Sauveur, qui n'est point accepteur des personnes, et qui départ ses grâces généralement sur toutes les nations.

Que dirons-nous de plus, ma très-chère fille, sinon que vraiment je le crois, que votre bon cœur a été bien touché du décès de la bonne Mère de Montferrand. La fin couronne l'œuvre ; l'on a vu jusqu'au bout que c'était une âme de vraie vertu, quoiqu'elle fût un peu sévère et rigide, et vous, ma chère fille, toute douce et franche. Voilà ce qui a été cause que quelques esprits se sont cabrés ; mais Dieu est bon, et tire sa gloire de tout. J'estime que l'Institut a fait une grande perte en cette chère défunte. Nos Sœurs de Montferrand confessent avec douleur qu'elles ne l'ont point connue que dans la privation. J'espère qu'elle nous sera favorable au ciel, où notre bon Dieu retire fréquemment des meilleurs sujets de cet Institut. Il nous est mort en Provence une Mère déposée [A. -Marg, de la Luxière] qui était professe de ce monastère, qui était une vraie règle vivante. La bonne et vertueuse Mère [M. -Henriette de Prunelay supérieure] de Rennes est aussi décédée comme vous aurez su. Priez pour moi, ma toute chère fille, afin que j'imite les vertus de ces chères âmes, car je crois que c'est pour cet effet et afin que je m'amende que Notre-Seigneur me laisse tant çà-bas. Je disais l'autre jour à nos Sœurs que je n'ai point de mal que trop de santé. La très-sainte volonté de Dieu soit faite en tout et partout : sa Bonté nous fasse la grâce de ne vouloir éternellement que cela. Croyez, ma très-chère fille, que je suis en son saint amour très-absolument et de cœur toute vôtre, avec la sincérité de cœur que vous connaissez.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Riom. [205]

LETTRE MDCLXII - À MONSEIGNEUR ANDRÉ FRÉMYOT

SON FRÈRE, ANCIEN ARCHEVÊQUE DE BOURGES, À PARIS

Joie de la Sainte en voyant la résignation de son frère dans une perte temporelle. Elle applaudit à ses projets de retraite.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1839.]

Monseigneur,

J'ai su par ma très-chère Sœur la Supérieure de Paris la part que notre bon Dieu vous a donnée aux calamités dont il plaît à sa souveraine Providence de châtier son peuple, et comme vous avez reçu cette affliction avec telle douceur d'esprit et soumission amoureuse à Dieu, que chacun en a été grandement édifié. J'en ressens une consolation si entière, que je ne la puis exprimer ; car je vois en cela le soin spécial que Notre-Seigneur a de votre avancement en son saint amour, vous voyant enrichi par celle perte temporelle de très-grands trésors spirituels, dont le moindre vaut mieux que la possession de tout le monde. Je me souviens toujours de ce que notre Bienheureux Père disait : « Qu'une once de vertu pratiquée parmi les tribulations, valait mieux que cent mille livres opérées dans la prospérité ; car c'est où le vrai amour se montre. » Béni soit éternellement notre bon Dieu, qui vous a visité en ses miséricordes ! Oh ! que vous êtes heureux, mon très-cher seigneur, de pouvoir dire avec tant de courage et indifférence : Le Seigneur m'avait donné ces abbayes, le Seigneur me les a ôtées : le saint Nom du Seigneur soit béni ! car c'est sa grâce qui fait cela en vous. Encore une fois, j'en bénis la souveraine douceur et l'en remercie.

Par la dernière lettre que j'ai reçue de vous, vous me disiez comment Notre-Seigneur vous sollicitait d'avancer votre sainte retraite, que dès si longtemps Il vous a inspirée. Mon Dieu ! que [206] cela me console ! car j'espère que vous disposez vos affaires pour y correspondre en la manière que vous penserez lui être plus agréable ; mais je vous supplie, ne changez nullement le dessein d'une retraite modérée, si Notre-Seigneur ne vous fait voir clairement autre chose de vous. Je suis en son amour pour jamais, Monseigneur, votre, etc.

LETTRE MDCLXIII - À LA MÈRE MARIE-SUZANNE MANGOT[63]

SUPÉRIEURE À SAINT-FLOUR

Regrets du trépas de la Mère M. M. des Roches, éloges de ses vertus. — Nouvelles du monastère d'Alby. — Mgr de Toulouse désire confier à la Visitation la réforme d'une abbaye. — La Supérieure commet une faute quand sans motif elle ne fait pas rendre compte aux Sœurs tous les mois. — Le bon exemple produit plus de fruits que les paroles. — Comment agir quand on travaille à réformer une maison religieuse.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Ma très-chère fille,

C'est avec juste sujet que vous ressentez la séparation de feu notre très-chère Sœur [M. Michelle des Roches] ; car outre les nonpareilles obligations que votre monastère lui avait, l'ayant établi et servi si dignement, c'était une âme digne d'être chérie, et la mémoire de laquelle sera toujours en bénédiction dans votre communauté. Pour moi, je l'aimais avec une estime singulière. Il faut en notre douleur acquiescer doucement à la volonté de Dieu, le remerciant de ce qu'il nous a fait jouir quelque temps [207] de ses fidèles services. Non, je vous assure, ma fille, je ne suis point fâchée ni ai désapprouvé le voyage que cette défunte fit pour vous mener la nièce de Mgr votre digne prélat, le sujet était hors de toutes considérations\ et l'état de la santé de cette bonne Mère méritait qu'on fit quelque essai si on pourrait la conserver. Dieu a purifié cette chère âme par un chemin pénible où elle a fait paraître une généreuse vertu.

C'est un sujet de glorifier Dieu de l'avancement de notre cher monastère d'Alby ; mais toutes ces grandes louanges ne nous doivent servir qu'à nous approfondir bien avant dans notre néant, et prendre des profondes racines dans la sainte humilité. — Il faut bien considérer si nos Sœurs ont des filles solidement vertueuses, je veux dire vraiment humbles, pour rendre les services à cette bonne abbesse que Mgr de Toulouse désire, et pour travailler à cette réforme. Cela étant, il ne sera que bien de seconder les intentions de ce bon prélat, puisque tout tend à la gloire de Dieu et au bien des âmes, et encore à notre établissement dans Toulouse, qui serait d'un très-grand bien ; car c'est non-seulement une bonne ville, mais encore toute sainte.

Bon Dieu ! ma très-chère fille, que dites-vous ? que vous passez souvent deux mois sans faire rendre compte à nos Sœurs ? Au nom de Dieu ne commettez jamais ce défaut. Confessez-vous de l'avoir commis et en demandez pardon à Dieu et à votre Règle. Grâce à Dieu, il ne m'est jamais arrivé, nonobstant ma grande surcharge de lettres, et la grandeur de cette famille, de manquer à cette observance.

J'écris de bon cœur et de ma main à la chère petite abbesse, très-contente que je suis que Dieu l'ait amenée parmi nous. Quant à ce prieuré, ma très-chère fille, au nom de Dieu, ne nous avançons point sur le bien d'autrui ; et si quelque maison de l'Ordre de ces bonnes Sœurs prétend à leur réforme, cédez de bon cœur. Dieu ne nous ayant commises que pour travailler à notre petit Institut, les autres ouvrages ne sont que des petits [208] accessoires, auxquels pourtant nous nous devons tenir très-honorées de travailler, et nous y employer fidèlement quand Dieu et nos Supérieurs le veulent, tâchant, autant qu'il sera possible, de donner satisfaction à chacun, ce qui est bien difficile dans de telles entreprises, esquelles il faut se résoudre à une généreuse patience, et faire plus de fruits par le bon exemple que par les paroles ; car ces anciennes Religieuses, et certes presque tout le monde, prennent plus garde à ce qu'elles voient faire, qu'à ce qu'elles entendent dire ; et n'est pas bonnement imaginable combien elles sont soigneuses et surveillantes. Il ne faut point de prime abord leur ôter toutes leurs petites libertés, mais seulement leur faire voir la beauté et le mérite de la sujétion religieuse. Certes dans ces anciennes abbayes et dans ces prieurés, il se trouve d'ordinaire de très-bonnes âmes grandement disposées au bien ; et nous devons nous tenir grandement honorées de leur apprendre ce que par la grâce de Dieu notre Bienheureux Père nous en a appris. — Adieu, ma très-chère fille, je suis de cœur parfaitement toute vôtre.

LETTRE MDCLXIV - À MADAME DE NOAILLES[64]

AU MONASTÈRE DE LA VISITATION DE SAINT-FLOUR

Encouragement à exécuter généreusement la volonté de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1639.]

Madame et ma très-chère fille,

Je supplie notre divin Sauveur, qui vous a donné de si saintes pensées et désirs pour vous consacrer toute à Lui, qu'il parachève en vous ce que, si efficacement, il lui a plu de commencer ; [209] j'ai confiance que sa Bonté vous conduira par l'effet de votre généreuse résolution. Les traverses qu'il permet que M. votre père vous fasse ne sont que pour allumer davantage l'ardeur de vos désirs... [de renoncer au titre d'abbesse pour embrasser la vie humble de la Visitation]. [210]

ANNÉE 1640

LETTRE MDCLXV - À LA MÈRE MARIE-SUZANNE BAUDET

SUPÉRIEURE À NEVERS

On ne doit pas chercher de soulagements contraires à l'observance. — N'envoyer en fondation que des Supérieures capables d'enseigner par leurs exemples une y raie mortification.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 4 janvier [1640].

Ma très-chère fille,

Je vous remercie de la sainte affection que vous me témoignez, et vous assure que j'y correspondrai de bon cœur et avec suavité. Bénissez cent fois le jour la douceur de notre Dieu qui vous a rendue fille de son Eglise. Soumettez-vous humblement et sans raisonnement humain à toutes ses lois et aux vérités infaillibles que cette Mère des enfants de Dieu nous enseigne ; avec cela, demeurez en la pratique de l'observance dans l'esprit d'humilité et de douceur, et Dieu vous bénira.

Au reste, je m'oubliai, il y a quelque temps, de répondre à un point d'une de vos lettres, et il me fâche grandement de ce qu'il était échappé à ma vieille mémoire ; c'est, ma chère fille, qu'en me parlant de la fondation de La Châtre[65] et de la Supérieure que vous y devez envoyer, vous me disiez qu'elle était sujette au mal de rate, et que la charge de Supérieure lui donnerait [211] assez de divertissement, sans qu'elle en prît contre l'observance, parce, dites-vous, que ce mal en requiert. Voyez-vous, nia chère fille, je ne vous saurais rien laisser passer, vous m'êtes trop chère. Quelque mal que nous ayons, nous ne devons point chercher de divertissement ni récréation contre nos observances, mais seulement nous soulager selon que notre besoin le requiert, et que la charité de l'Ordre et sa tolérance pour les infirmes l'ordonne et le permet ; comme si l'on a besoin, pour quelque temps, de se coucher pendant Matines, de se lever plus tard que la communauté, de se divertir un peu au silence avec congé. Pourvu que la vraie nécessité exige cela, ce n'est pas liberté contre l'observance, mais pratiquer la débonnaire charité de notre Bienheureux Père pour les infirmes, dont il se nommait le partisan. Au reste, ma chère fille, il faudrait bien se garder de penser qu'il fallût, pour quelques incommodités, requérir des licences générales et du libertinage [exemption], qui n'est pour l'ordinaire nullement propre à la santé, et est très-préjudiciable à la sainteté. Notre perfection nous doit être mille fois plus chère que notre santé, outre que l'incommodité de la rate n'est pas des plus extraordinaires pour requérir des soulagements trop particuliers.

Il faut soigneusement prendre garde que celles que l'on veut envoyer pour être Supérieures aux nouvelles maisons ne soient pas tendres sur elles-mêmes, ni soigneuses et affectionnées à leur soulagement corporel ; car autrement elles donnent un esprit trop mol aux maisons qu'elles fondent, et ne rendent pas, par leurs exemples, l'exercice d'une vigoureuse mortification familier entre leurs filles. Je crois que vous avez une grande attention là-dessus, et que, possible, n'ai-je pas compris ce [212] que vous me voulez dire par votre lettre précédente ; mais comme la chose est importante, et que votre cœur me donne une si entière confiance, je ne lui puis celer mes pensées. Recevez-les du même cœur que je vous les dis et que je suis votre, etc.

Extraite en partie de l'Histoire de la fondation de Nevers.

LETTRE MDCLXVI - À LA MÈRE CATHERINE-ÉLISABETH DE LA TOUR

SUPÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ DE CHAMPLITTE RÉFUGIÉE À GRAY

Souhaits de bonne année. — Nouvelles des Sœurs de Turin. — Affaires.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 17 janvier [1640].

Ma bonne et très-chère fille,

Ce marchand nous assurant qu'il va à Besançon, il ne le faut laisser passer sans employer le moment du loisir qu'il nous donne pour vous saluer avec toutes vos chères filles, en cette nouvelle année, que je vous souhaite toute sainte et toute bonne par un perpétuel accroissement au très-saint amour de Notre-Seigneur. Et vous conjure, ma fille très-chère, que vous me continuiez toujours la charité de vos prières ; car, plus je vais, plus je m'en trouve nécessiteuse. La très-sainte volonté de Dieu soit faite en tout et partout ! Nous nous portons bien, grâce à Dieu, et attendons bientôt de vos chères nouvelles : celles de nos bonnes Sœurs de Turin sont toujours à l'ordinaire, au moins quand elles nous écrivirent ; il les faut beaucoup recommander à Notre-Seigneur. Elles sont toujours dans les hasards de la guerre. — Je vous prie, ma très-chère fille, de poursuivre vers M. Richard l'affaire dont je vous ai écrit pour la dot de ma Sœur [M. -Isabelle] Flory. Voilà tout ce que ce moment de loisir me permet de vous dire, et que je suis, ma très-chère fille, votre, etc.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [213]

LETTRE MDCLXVII (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Conseils pour l'âme appelée à L'état de simplicité. — Affectueuses recommandations. — Divers détails.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 25 janvier 1640.

Ma très-chère fille,

Je vous réponds par la main de ma Sœur Jeanne-Thérèse, mes yeux ne me permettant de le faire. Je connais si bien votre cœur, ma fille, qu'il n'est pas besoin qu'il me parle pour l'entendre. Priez bien Dieu pour celle que vous chérissez tant, et qui le mérite si peu ; car elle en a grand besoin. Ne dites plus, et ne vous arrêtez guère à penser que vous êtes aveugle à connaître vos défauts de Mère ; abaissez-vous devant Dieu simplement pour cela, et ne laissez pas votre âme dans l'ignorance de la grâce que Dieu vous fait de vous tenir de sa sainte main et vous empêche de faire plusieurs défauts, dont il lui faut rapporter la gloire fort simplement. Moins vous permettrez à votre esprit de faire des réflexions et d'agir, prou vous cheminerez en la voie que Dieu vous veut ; et tant plus vous simplifierez et purifierez votre regard en Dieu, tant plus vous laisserez de place et de liberté à Notre-Seigneur pour faire ses opérations en votre âme ; faites-le donc et souffrez doucement, comme vous faites, les tracassements de l'amour-propre, qui veut toujours faire quelque chose, où l'on n'a pas à faire de lui, ni de son service.

Je viens à cette heure à cette grande santé que vous dites que vous avez, laquelle je vois pourtant avoir de très-dangereuses marques et dangereuses attaques. J'ai pensé que vous étiez fille de ne pas tenir le régime que je vous ai priée d'observer [214] exactement, et que je fais encore, sans vous en départir ; car l'obéissance de votre Père spirituel, la prière affectionnée que je vous en ai faite, et le grand désir que vous savez que j'ai pour cela, méritent bien que vous ne vous en départiez point, sous quelque prétexte que ce soit ; et moins encore des veilles du soir et du trop lever matin, et de souffrir le froid en ce temps ici et le soleil en été ; car c'est cela qui vous attire ces grands catarrhes, et c'est un grand miracle qu'ils aient ainsi passé. Et spécialement gardez-vous du serein ; car si vous ne prenez garde à ces choses-ci, Dieu ne vous en saura pas gré et vous me désobligerez extrêmement. [Plusieurs lignes illisibles.] Ne faites point de réplique sur ce que je vous dis ci-dessus ; car cela sera plus agréable à Dieu que toute satisfaction que vous avez à mortifier votre corps.

Pour tout ce que vous me dites, touchant ces pauvres Sœurs, je vois que Dieu vous assiste de sa lumière pour leur conduite ; c'est pourquoi je n'ai à vous dire sur cela sinon que vous continuiez à la suivre. Je suis touchée avec vous du rejet que nos Sœurs ont fait de ma Sœur A. -Françoise [Dunant] ; vous me ferez plaisir de leur dire de ma part qu'elles ne connaissent pas la bonté et vertu de cette Sœur ; elles n'ont pas fait en cette occasion ce qu'elles voudraient qui leur fût fait. Pour ma Sœur J. F., vous ferez grande charité de lui faire connaître cette vanité. Il y a longtemps que je sens cela en elle. Faites-lui bien connaître la nécessité qu'elle a de s'amender de ce défaut-là.

Nous reçûmes [hier] à soir votre billet daté du 22 janvier. Dieu soit béni de quoi la maladie n'a pas repris en votre ville. Nous ne pouvons dire davantage, crainte que cette occasion ne nous échappe. Nous ne manquons de vous écrire par toutes celles qui se présentent. Nous avons reçu le paquet de lettres ou étaient toutes vos images et votre grande lettre. Nous ne savons pas nous souvenir des. précédentes, au moins vous a-t-on toujours répondu à toutes vos lettres ; mais vous savez nos affaires, [215] et par-dessus tontes je prends volontiers la consolation de vous parler ; car vous savez bien que vous êtes ma bien-aimée et très-chère fille. — Jour de saint Paul.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCLXVIII (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-MADELEINE. DE GRANIEU

À GRENOBLE

Comment combattre des craintes sur la prédestination. — Saints encouragements.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma pauvre très-chère fille,

Eh bon Dieu ! que je vous] porte de compassion de vous savoir ainsi toujours travaillée sur les doutes de votre salut. Ma fille, ne sauriez-vous une bonne fois vous abandonner à Dieu, Lui laissant le soin des choses de l'avenir, et prendre celui de faire le mieux que vous pourrez en cette vie, selon la sainte liberté qu'il nous a laissée de tendre notre main et choisir ce que nous voudrons ? Eh ! ma fille, choisissez le parti du bien ; car, dès le moment que vous le ferez, il vous donnera de la consolation, et la suite de nos passions et du mal ne nous fournira jamais que des angoisses. Courage donc, ma très-chère fille ; car je vous dis de la part de Dieu que si vous vous faites violence pour ne point offenser grossièrement cette infinie Bonté et faire ce que vous pouvez pour son amour et votre salut, que vous ravirez le ciel. Je ne puis m'ôter une sainte espérance de ce bonheur pour vous, quand je me souviens des lumières et des attraits que vous avez reçus pour votre vocation. Courage donc encore une fois, ma très-chère fille, je vous en conjure. Faites les actions intérieures et extérieures qui sont en votre pouvoir, et attendez en patience le : moment que Dieu destiné [216] à votre délivrance. Il se faut faire violence. Vous avez l'assistance de ma très-chère Sœur, votre bonne Mère ; suivez ses conseils. Je prierai et ferai prier pour vous, car je vous chéris de cœur, et vous souhaite le vrai bien.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Chambéry.

LETTRE MDCLXIX (Inédite) - À LA MÈRE ANNE-CATHERINE DE BEAUMONT

SUPÉRIEURE À PIGNEROL

Affaires d'intérêt. — Avis pour la direction de quelques Religieuses. — Dieu a retiré de ce monde quatre Supérieures de rare vertu.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 19 février 1640.

Ma très-chère fille,

Nous avons reçu vos deux lettres, datées du 7 janvier et 10 février. Je vous assure, ma très-chère fille, que ce m'était une grande consolation d'apprendre de vos nouvelles. Je bénis et rends grâces de tout mon cœur à notre bon Dieu des grandes charités et assistances que sa très-douce Bonté vous fait, par l'entremise de tant de bonnes âmes. Je suis bien aise de voir que, par ce moyen, vous meublez un peu votre sacristie.

Nous avons déjà écrit deux ou trois fois à ma Sœur la Supérieure de Besançon, touchant la cense qu'elle vous doit ; nous attendons la réponse pour savoir comme vont les monnaies en ce pays-là, afin de se pouvoir accommoder ; les pistoles y sont beaucoup plus hautes qu'en ce pays-ci, ni qu'au vôtre. Vous devez, tant qu'il vous est possible, prendre vos pistoles qui soient de poids, plutôt que de rabattre sur les autres qui ne le sont pas. Il sera mieux, ma très-chère fille, que vous écriviez tout confidemment à ma très-chère Sœur la Supérieure de Lyon, qu'elle vous fasse un mot de l'assurance de l'argent que vous lui avez envoyé, signé de ses conseillères. [217]

Nous n'avons point reçu de vos nouvelles par la voie de M. de Châtillon, ni su aucune de ses nouvelles. Nous ne manquerons de faire la communion selon votre désir pour M. le comte d'Harcourt, afin qu'il plaise à Dieu seconder ses bons desseins.[66] Je connais et me souviens fort bien de M. N., je lui écris et lui envoie des lettres de ses parents de Paris. Je le remercie des assistances qu'il vous fait. Je vous envoie aussi une lettre pour M. le marquis de Pianesse, que je vous prie lui présenter de ma part ; c'est un saint en sa condition que ce bon marquis. Je vous sais bon gré et vous remercie, ma très-chère fille, des soins que vous avez de nos pauvres chères Sœurs de Turin, je ne puis m'empêcher d'en être en peine. Les neuf pistoles que M. le marquis vous a données pour elles seront de leur part pour la cense des six cents ducatons, que nous vous devons à six et quart, encore y a-t-il quarante sous par-dessus ; et, par ce moyen, nous ne pourrons pas l'envoyer à Grenoble, selon que l'on nous en prie, mais nous ferons tout notre possible, d'avoir au plus tôt celle qui vous est due à Besançon, pour la faire tenir audit lieu de Grenoble.

Je suis extrêmement touchée de savoir que ma Sœur N. ne [218] profite pas des bonnes lumières que Dieu lui donne, et de ce qu'elle se laisse toujours aller dans ses abattements d'esprit. J'espère pourtant que Notre-Seigneur bénira votre travail et soin ; je vous la recommande toujours plus. Je n'ai pas souvenance de vous avoir écrit de lui proposer le changement de maison, car elle ne saurait être mieux qu'auprès de Votre Charité ; elle me mande dans sa lettre que jamais pensée ni désir de changement de maison n'est entré dans son esprit, me disant avec beaucoup de connaissance d'elle-même, que partout elle se portera elle-même, me protestant que si l'on met cela à son choix, qu'elle ne changerait pas de Supérieure pour toutes celles qui sont en l'Institut, que si elle a quelques petits exercices, ils sont causés par sa propre infirmité et misère, et non pour aucun chatouillement de dégoût. Voilà ses propres paroles, en me témoignant grand désir pour travailler à son amendement. Je lui écris pour l'y toujours- exhorter le plus qu'il m'est possible.

La petite que vous tenez par aumône ne doit pas tenir place au nombre des six, et partant vous pouvez recevoir la parente de M. le grand vicaire. Vous pouvez aussi recevoir celles que l'on vous présentera pour retirer en ce temps-ci, et après que notre bon Dieu aura donné une sainte paix vous garderez seulement celles qui vous seront propres ; car je crois, ma chère fille, qu'il sera mieux, pour le bien de votre maison, de les recevoir comme cela, que de prendre en tant de divers monastères de Religieuses, lesquelles ne se rencontreront peut-être pas telles qu'on les désire ; car difficilement donne-t-on celles qui sont de grand service, car elles sont rares. Néanmoins, je vous laisse faire ce que vous trouverez, bon. — Je suis, fort aise de quoi vous me dites que ma Sœur N. a profité des exercices de sa solitude, et marrie de quoi ma Sœur N. [une ligne illisible]. Je lui dis nettement en notre passage qu'elle ne devait prétendre revenir ici ; elle a grand tort d'être si peu reconnaissante des charités que la Religion lui a faites. [219]

Pour ce qui est de vous déposer cette année, certes, ma très-chère fille, je ne le désire nullement ; car la gloire de Dieu et le bien de votre maison ne le requièrent pas, et j'espère que dans ces quatre années suivantes Dieu vous donnera une meilleure saison, et que vous, mettrez celle pauvre maison en bon état, moyennant sa sainte grâce. Mais je vous conjure, ma très-chère fille, de vous conserver le mieux qu'il vous sera possible. Hélas ! vous voyez comme il plaît à notre bon Sauveur de tirer toujours à soi de nos meilleures plantes pour la guide des maisons. Voilà que l'an passé Il en tira quatre : celle de Besançon, la déposée de Draguignan, et les Supérieures de Rennes et de Montferrand, qui étaient des âmes rares et de grande utilité à l'Institut et à leurs maisons. Béni soit son saint Nom ! mais cependant je crois que sa Bonté a bien agréable que celles qu'il laisse, et surtout les anciennes, qui sont les piliers, se conservent. Ma très-chère fille, faites-le donc, et vous faites soulager aux écritures par cette bonne Sœur N. Je suis certes touchée de sa voie ainsi sèche ; que Votre Charité l'anime tant qu'elle pourra, je l'en supplie, bien que je sache que vous n'y manquez pas. Ma très-chère fille, ce m'est une grande consolation de voir l'assurance et confiance que vous avez en l'invariable, constant et ancien amour que je sens en mon cœur pour le vôtre ; il ne s'y peut rien ajouter. Persévérons ainsi pour la gloire de Dieu, que je supplie vous combler de son saint amour. Je vous conjure, ma très-chère fille, priez pour moi, j'en ai besoin. Je salue M. le grand vicaire, lui souhaitant tout bonheur, et toutes nos chères Sœurs.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Toulouse. [220]

LETTRE MDCLXX - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Empressement avec lequel les Prêtres de la Mission ont été reçus en Savoie. Dispositions prises pour l'ameublement de leur maison.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Mon très-cher et cordial Père,

Votre chère âme soit entièrement comblée des grâces du divin Jésus et des suaves douceurs de sa très-sainte Mère !

Vos Missionnaires arrivèrent il y a huit jours.[67] Ils ont été reçus de Mgr de Genève et de ses bons ecclésiastiques avec tant de joie et louanges à Dieu, que rien plus. Pour nous, mon très-cher Père, je ne saurais vous exprimer notre consolation ; certes elle est accompagnée d'une reconnaissance autant grande que je puis envers notre bon Dieu, et envers vous, mon vrai et cher Père, à qui cette souveraine Providence a voulu donner, et comme je crois, par les intercessions de notre Bienheureux Père, une si sainte inspiration dont l'accomplissement donnera une éternelle gloire à Dieu par le salut [d'un nombre] infini d'âmes. Oh ! la grande œuvre, mon très-cher Père ! et je crois par vos fondations que le même bien est communiqué encore à d'autres évêchés. Béni soit Celui qui vous a choisi pour des œuvres de si grand mérite, et desquelles votre récompense sera incompréhensible. Je ne vous saurais dire ce que je ressens d'une si haute grâce qui vous est communiquée, sinon louer Dieu et le supplier de parachever son ouvrage en vous, portant [221] votre chère âme, qui nous est si précieuse, dans la plus élevée et pure perfection que sa souveraine Providence vous a destinée.

Je ne vous dis rien, mon tout cordial et vrai Père, de la réception que l'on a faite à vos Missionnaires en la paroisse où ils travaillent, car ils vous le doivent écrire : chacun montre une sainte jubilation en l'espérance des fruits que l'on prévoit de cette sainte fondation. Je trouve que le revenu que vous leur assignez est suffisant ; et quand les monnaies seront ici de prix égal à celles de la France, je pense qu'il y aura quelque chose de reste pour les ordinants ; car, vivant en communauté, j'estime que cinq cents livres, monnaie d'ici, seront suffisantes pour chaque personne, qui seront, pour eux six, trois mille livres, et qu'il pourrait en rester mille pour les autres dépenses ; car, quand les monnaies sont égales, seize cents livres de France valent ici quatre mille livres.

Pour ce qui est de leur ameublement, Mgr de Genève a voulu y contribuer, de sorte que nous le faisons par moitié, selon notre petit pouvoir ; car l'on a grand'peine d'avoir de l'argent ici, tant le peuple est accablé. M. le commandeur de Compesière a promis sa maison pour les loger. Ils seront fort bien, en attendant qu'on leur ait bâti un petit logement, à quoi votre débonnaireté, mon très-cher Père, a voulu pourvoir par sa charité incomparable, dont je vous remercie de tout mon cœur. Pour ce qui est d'acheter du fonds pour les rentes, j'ai prié des amis de veiller pour cela ; mais tout est tellement littéral en ce pays, à cause que chacun fait des substitutions, et que rien ne s'y achète par décret, comme en France, qu'il est fort difficile d'acheter sûrement. Nous n'avons que trois fonds qui tous courent fortune de nous être ôtés, bien que l'on ait été fort circonspect aux achats ; de sorte qu'il faudra du temps pour bien trouver. Cependant, mon très-cher Père, la maison de Saint-Lazare fournira à ces bons Missionnaires. [222]

LETTRE MDCLXXI - À SAINT VINCENT DE PAUL

À PARIS

Arrivée des Prêtres de la Mission à Annecy. Joie avec laquelle ils ont été accueillis. Observations sur quelques-uns d'entre eux.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Mon très-cher Père,

Béni soit notre divin Sauveur qui nous a amené vos chers enfants heureusement, pour sa très-grande gloire et pour le salut de plusieurs. Chacun en est réjoui en Notre-Seigneur : mais certes, Mgr de Genève et moi nous en recevons une consolation indicible ; et il nous semble que ce sont nos vrais frères, avec lesquels nous sentons une parfaite union de cœur, et eux avec nous, dans une sainte simplicité, franchise et confiance. Je leur ai parlé, et eux à moi, comme vraiment si c'étaient des Filles de la Visitation. Ils ont tous une grande bonté et candeur. Le troisième et cinquième ont besoin d'être aidés pour sortir un peu d'eux-mêmes ; je le dirai au Supérieur, qui est, de vrai, un homme capable de cette charge. M. Escart est un saint. Je leur ai donné à chacun une pratique ;. je fais tout cela, et le ferai toujours, Dieu aidant, avec grand amour,. pour vous obéir, mon très-cher Père, et pour notre commune consolation ; car vraiment il y en a beaucoup à parler à ces chères âmes. Le bon Père N. m'a déclaré ses difficultés fort naïvement : c'est un cœur vertueux et bon jugement ; mais il aura peine à persévérer. Je l'ai fort prié de ne penser ni à sortir ni à demeurer, mais à s'appliquer à bon escient à l'œuvre de Dieu, et se bien abandonner et confier en sa Providence. Je voudrais qu'il s'affermît, car il est de bonne espérance. Enfin ils sont tous aimables et ont donné grande édification en cette ville les trois jours qu'ils y ont demeuré, et ressemblent bien l'esprit de mon très-cher bon Père. [223]

LETTRE MDCLXXII - À LA MÈRE ANNE-MARIE DE LAGE DE PUYLAURENS

SUPÉRIEURE À POITIERS

Souhaits de bonne année. — Sainte mort de Sœur M. A. de Bigny. — Nomination du Père dom Juste à l'évêché de Genève. — Nouvelles des Sœurs de Turin.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 24 février 1640.

Ma très-chère et très-aimée fille,

Comme c'est la coutume au commencement des années, de faire de bons souhaits sur ceux que l'on chérit, mon cœur, qui aime tendrement le vôtre très-cher, ne veut pas passer plus avant dans cette année nouvelle sans vous saluer cordialement avec ma très-chère Sœur M. -Angélique de Bigny, priant le divin Sauveur qu'il nous fasse la grâce de passer si fidèlement nos années périssables à son divin service, que sa miséricorde nous soit appliquée, et que nous le bénissions toutes ensemble dans sa très-sainte éternité. Ma très-chère fille, il y a bien si très-longtemps que je n'ai point eu de vos chères nouvelles, que je vous assure que le temps m'en dure, n'ayant reçu aucune de vos lettres depuis mon retour de Turin. Je crois, sans doute, qu'elles se perdent ; car votre bon cœur m'est trop cordial pour demeurer si longtemps sans me mot dire. Voilà ce que je crois de vous, ma très-aimée fille, en vous priant de me donner la consolation de vos chères nouvelles et de ma chère Sœur M. -Angélique [de Bigny], laquelle l'on m'a écrit qui devient toute fort infirme. Je lui compatis bien fort ; mais, d'autre côté, je l'estime bien heureuse d'avoir à souffrir pour glorifier Dieu, par sa patience et résignation.[68] Sa divine Bonté voit bien que [224] je suis indigne de cette grâce, me faisant part de beaucoup de santé pour mon âge de soixante-neuf ans. Priez pour moi, ma très-chère fille, afin que tous les moments qu'il plaira à cette souveraine volonté me laisser en cet exil, soient employés à sa gloire et selon son bon plaisir.

Je crois, ma très-chère fille, que vous savez maintenant comme la divine Providence nous a donné pour évêque en ce diocèse le Révérend Père dom Juste, qui était le commis du Saint-Siège apostolique pour les affaires de la béatification de notre Bienheureux Père. Je le recommande à vos prières ; il est tout incommodé. Je vous conjure aussi, ma très-chère fille, de bien faire prier pour nos chères Sœurs de Turin, qui sont toujours dans les hasards de la guerre. Notre-Seigneur les a préservées jusques à maintenant, bien que des [boulets] de canon soient entrés jusque dans leur chambre, noviciat et cuisine. Tout ce pauvre pays est bien à plaindre : mais c'est le peuple de Dieu ; sa Providence sait où elle veut faire aboutir tous ces maux.

Nos deux communautés d'ici vont avec grande bénédiction en l'observance. Dieu nous fasse la grâce d'augmenter tous les jours en cet heureux chemin : c'est le seul bien que je souhaite à toutes vos chères filles, que je salue et embrasse cordialement par votre chère entremise, et vous conjure, ma chère fille, de me bien recommander à leurs prières, et je crois de votre bonté et charité que vous n'oubliez pas ès vôtres celle que vous savez qui est du meilleur de son cœur votre, etc., que je vous assure être parfaitement et sincèrement toute vôtre. Mais, ma fille, je vous conjure, et toutes nos Sœurs, de bien prier Dieu pour moi.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Poitiers. [225]

LETTRE MDCLXXIII - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

La douce gravité est nécessaire à une Supérieure. — Les écrits de saint François de Sales doivent faire la lecture ordinaire de ses Filles. — Décision sur un point touchant les élections.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 27 février 1640.

Ma très-chère fille,

Que vous dirai-je sinon que Dieu veut que vous travailliez à vous rendre suave, douce et gracieuse, mais non point molle, ni trop caressante ; mais dans cette douce et humble gravité qui rend nos petits labeurs utiles auprès des âmes.

Cette bonne novice est bien heureuse de n'avoir point de volonté que celle de ceux qui la gouvernent. En cela elle a une bonne partie de sa besogne faite. Dieu lui fasse la grâce de persévérer en cette bonne simplicité et démission d'elle-même, car ainsi elle fera un doux et heureux voyage à la perfection. Je suis grandement consolée de voir votre communauté si retirée des communications au dehors, et si affectionnée à pratiquer et lire les écrits de notre Bienheureux Père. C'est le grand moyen pour nous maintenir en santé spirituelle, de vivre du pain que ce bon Père nous a laissé : il est uniquement propre pour nos estomacs. Dieu nous fasse la grâce de ne rien chercher hors de là.[69] [226]

Quant à ce que vous me demandez si l'on peut mettre Supérieure une fille qui n'est pas légitime, notre Bienheureux Père lui-même a résolu cette demande, et dit que les enfants ne peuvent être maîtres de leur naissance et ne portent pas l'iniquité de leur père et mère. Croyez-moi, ma fille, où est la vraie vertu, le reste ne peut nuire. Notre-Seigneur n'est point acceptant des personnes. Sainte Brigitte était bâtarde d'un esclave, et Dieu ne laissa pas de la choisir pour son épouse et de la rendre illustre et renommée en son Eglise. Cet exemple nous doit suffire pour repousser les raisons de la prudence humaine. Je me souviens que notre Bienheureux Père me parlant une fois sur le sujet d'une réception, me dit que véritablement il n'aurait pas agréé que l'on reçût si facilement les filles illégitimes que les autres, qu'il les fallait un peu plus considérer et prendre garde à la bonté et douceur de leur naturel ; et quant à ce qui est de les mettre en supériorité, qu'il n'y avait point de danger, pourvu qu'elles eussent les vertus et les talents requis ; et qu'il fallait encore prendre garde de les envoyer en des lieux où leur naissance ne fût pas un sujet d'abjection.

Vous m'avez fait grand plaisir, ma fille, de m'envoyer l'état de votre petit temporel : il n'est pas suffisant pour vous mener jusqu'au bout de l'année ; mais il faut souffrir avec tout le monde qui souffre en ce temps de misère, user de ménage, se passer [contenter] de peu, et pratiquer en tout la sainte pauvreté, et Dieu nous enrichira de son pur amour, auquel je suis vôtre. [227]

LETTRE MDCLXXIV - À LA SŒUR CLAIRE-MARIE-FRANÇOISE DE CUSANCE[70]

À GRAY

La Sainte bénît Dieu de ses ferventes dispositions.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma très-chère fille,

Votre lettre m'a donné une fort tendre douleur, mais aussi un fort solide contentement, voyant la sainte disposition que notre bon Dieu vous donne pour faire heureusement votre [228] passage à la sainte et seule désirable grâce de voir Dieu, l'aimer et l'adorer dans son éternité de gloire. O ma fille ! nous avons toutes sujet de regretter la douceur de votre conversation, mais beaucoup plus de bénir cette souveraine Bonté qui vous attire à soi si miséricordieusement, et désirer le même bonheur. Oh ! que cette vie est dure et longue à qui désire jouir de Dieu ! Ma fille, nous ferons pour votre santé ce que, par la volonté de votre bonne Mère, vous désirez ; ne me refusez pas ce que de tout mon cœur je vous prie de demander à mon Dieu pour moi, qui est le bien de vivre et mourir en sa grâce et bon plaisir, et ne m'oubliez point devant sa sainte face, que je supplie vous être propice. Je suis en son amour toute vôtre de cœur. Amen !

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [229]

LETTRE MDCLXXV (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Prochaine visite de Madame Royale au premier monastère d'Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 14 mars [1640].

Ma CHÈRE FILLE,

Vous n'aurez qu'un billet, vous qui aimez tant les grandes lettres, et c'est seulement pour vous demander de vos bonnes nouvelles, et vous dire que, grâce à Dieu, nous nous portons bien. Il n'y a que notre bonne Sœur M. -Agathe [Guignan] qui est bien, bien malade ; l'on n'en espère pas beaucoup. — Nous voici dans l'attente de Madame Royale que l'on nous a dit qui sera ici vendredi.[71] Je vous supplie, ma très-chère fille, de faire faire des prières continuelles pour que Dieu inspire à son cœur sa divine volonté et lui donne force de la suivre ; c'est ce qu'elle demande et que je souhaite pour moi-même, qui suis entièrement toute vôtre. Ma fille, Dieu vous console de son saint amour ; priez bien sa Bonté pour celle qui est toute vôtre de cœur.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Chambéry. [230]

LETTRE MDCLXXVI - À MONSIEUR LE MARQUIS DE PIANESSE

À TURIN

La Providence divine nous enrichit de grâces par la tribulation.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 18 mars 1640.

Monsieur,

Il me semble que mon chétif cœur a ressenti à la nouvelle de votre arrivée une certaine et suave joie qu'il n'avait pas expérimentée dès longtemps, tant il est vrai qu'en la sacrée dilection de notre divin et très-adorable Jésus, votre âme m'est intimement chère et précieuse ! Mais, Monsieur, la mienne très-pauvre n'aura-t-elle point la consolation de voir la vôtre, que je vois être grandement enrichie de grâces célestes, par les diverses tribulations où la très-sainte Providence éprouve sa fidélité et la purifie comme l'or dans le creuset ? Cette divine sagesse parachève, s'il lui plaît, son saint ouvrage en vous ! Je l'en supplie très-humblement et du fond de mon cœur, qui veut que je sois à jamais, comme j'y suis très-obligée, Monsieur, votre, etc.

LETTRE MDCLXXVII - À LA MÈRE ANNE-LOUISE DE MARIN DE SAINT-MICHEL

SUPÉRIEURE À AVIGNON

Avis favorable pour la fondation de Tarascon. — Bonheur d'une âme entièrement livrée à Dieu. — Humilité de la Sainte.

VIVE † JÉSUS !

Annecy. 23 mars 1640.

Ma toujours plus chère fille,

Je confesse que j'ai, aussi bien que Votre Charité, un grand dissentiment de cette multitude de maisons que l'on veut établir, crainte que les bons sujets ne manquent. Or néanmoins, [231] ayant considéré et pesé devant Dieu les points de votre lettre, sans autre regard ni intérêt que celui de sa gloire et de correspondre aux saintes intentions de ceux qui nous désirent, il me semble que je vois en la fondation proposée [à Tarascon] un grand assemblage de petits biens, que Notre-Seigneur offre pour un plus grand accommodement et soulagement à votre maison ; mais ce que je vois de plus considérable, c'est l'affection que ces bonnes gens ont, par un général mouvement, de vouloir cet établissement, sans que vous les en ayez ni priés ni recherchés, ce qui est une marque toujours plus assurée que le désir de ce peuple est une inspiration de Notre-Seigneur. J'espère en sa Bonté qu'elle en tirera du bien pour la ville et pour votre maison.

Quant au temporel, c'est un grand bien que cette ville soit du même diocèse et ne soit éloignée de vous que de trois lieues ; par cette proximité les monastères se soutiennent plus aisément. Puisque l'on vous offre une maison si bien meublée, je vous conseille de l'accepter pour autant de temps qu'il vous sera nécessaire : cela étant joint au revenu de deux mille écus, avec les petits accommodements, et ayant là des filles de bon lieu prêtes pour y recevoir, je ne vois pas qu'il y ait rien à craindre pour ce point-là. Ma Sœur N. réussira bien dans cette nouvelle maison, puisque, comme vous me dites, elle est pleine de tant de bonté et vertu ; mais aussi votre maison sera incommodée par cette perte. Il est vrai que, considérant ce que vous me mandez par la vôtre dernière, que vous avez une dizaine de braves filles qui ont un solide jugement, un bon esprit et une bonne oraison, qui marchent d'un bon pas dans la sincère observance, j'espère que sous votre bonne conduite Dieu affermira de plus en plus votre communauté en la vertu et esprit de l'Institut.

Oh Dieu ! ma chère fille, que vous avez dit un bon Adveniat regnum tuum ! car maintenant Jésus [notre] divin Maître a bien pris une entière possession de votre chère âme et Il y règne bien [232] paisiblement. Oh ! la puissante grâce ! Elle est au-dessus de l'entendement et de l'intelligence humaine : il n'y a que la langue des Anges qui la puisse exprimer. La toute-puissance a englouti toutes vos puissances et facultés de votre âme ; quel bonheur ! Si les âmes se savaient bien livrer à Dieu, elles expérimenteraient ses faveurs bien autrement que nous ne faisons ; sa douce Bonté fasse, par sa toute-puissante grâce, ce que notre infirmité ne peut ! Priez-le, en votre langage muet, d'établir son règne et son union en nous ; et je le supplie vous continuer ses grâces. Ma très-chère fille, écrivez-moi amplement de la conduite de Dieu sur vous ; et ajoutez, s'il se peut, quelque chose de ce changement d'état, qui monte de pureté en pureté, toujours plus simplement et intimement en la très-sainte unité. Hélas ! je ne suis nullement capable de ces voies de Dieu si sublimes ; mais priez Dieu qu'il me rende très-humble. Je suis de cœur toute vôtre.

LETTRE MDCLXXVIII - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Reconnaissance pour l'établissement des Prêtres de la Mission à Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Je ne puis exprimer la consolation que nous avons reçue de la fondation des Pères. Chacun en bénit Dieu ; et Mgr de Genève ne sait quelles actions de grâces en rendre à Dieu avec nous, et à votre bonté, qui sans doute fait en cela une des grandes œuvres pour la gloire de Dieu, au salut des âmes, qu'aucune autre que vous puissiez faire, et sera d'autant plus efficace que vous enverrez plus d'ouvriers. Mgr de Genève vous en écrit ; il n'aura garde de manquer de mettre en sa cathédrale cette digne [233] fondation, afin que la mémoire en soit jusqu'à la fin du monde, comme elle le sera dans la bienheureuse éternité, par une très-grande gloire à votre chère âme.

LETTRE MDCLXXIX - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Ne pas employer à l'examen de conscience plus de temps que le Directoire en donne. — On doit s'humilier de ses fautes, mais ne pas s'en inquiéter.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma très-chère fille,

Je vous connais mieux que vous ne vous connaissez vous-même ; c'est pourquoi je vous dis de demeurer en repos, sans donner la torture à votre esprit pour trouver en vous ce que votre fidélité à la grâce en éloigne. Faites avec application votre examen, sans y employer plus de temps que le Directoire ne vous en donne, et allez ensuite vous accuser simplement des fautes que vous aurez remarquées, sans vous amuser à des retours sur vous-même. Si vos misères sont grandes, humiliez-vous-en, mais ne vous en tourmentez pas. Je connais si à fond votre cœur, et vous m'en avez fait voir avec tant de sincérité tous les plis et replis, que vous devez, ma très-chère fille, vous reposer sur ce que je vous dis, et remercier Dieu des grâces qu'il vous fait. Priez-le de toujours vous tenir sous sa paternelle protection. [234]

LETTRE MDCLXXX - À MONSEIGNEUR ANDRÉ FRÉMYOT

SON FRÈRE, ANCIEN ARCHEVÊQUE DE BOURGES, À PARIS

La question du Visiteur doit être soumise au Saint-Siège. — Regrets sur la mort du Père Binet.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Monseigneur très-honoré et uniquement aimé,

Vous m'écrivez en des termes si cordialement affectionnés pour cette bonne Annonciade, qu'il faudrait qu'il y eût des milliers de difficultés pour ne pas joindre mes désirs aux vôtres, mon tout bon seigneur. Je le fais donc de tout mon cœur, bien que mon consentement ne soit nullement requis à cela, ains la seule approbation de Mgr de Sens et la connaissance que nos Sœurs ont de la bonne disposition de cette chère fille, de laquelle la Mère Supérieure m'écrit tout bien, et que sa dispense peut être obtenue facilement.

Il y a peu de temps que je vous écrivis amplement, touchant le Visiteur et les raisons pourquoi il ne faut pas le demander en votre nom, outre que je crois qu'il sera mieux reçu étant ordonné par le Pape, et qu'il coulera plus doucement que si cela venait par votre réquisition. J'en écris amplement à Mgr de Sens, à M. le commandeur, à M. Vincent, et en écrivis aussi au feu et très-bon et vertueux Père Binet. Son trépas a bien touché mon cœur : c'était un vrai ami de la Visitation, et que je crois que Dieu a placé dans sa bienheureuse éternité. Mon très-cher seigneur, je vous recommande cette affaire. De vrai, je vois clairement que cette pensée a été donnée de Dieu au très-bon Mgr de Sens.

Ma très-chère Sœur la Supérieure de Paris vous dira que l'on nous fait certains mauvais offices à Rome, qui serviront d'aiguillon au Saint-Père, d'ordonner le Visiteur avec plus de [235] liberté. Il faut souffrir cette persécution de certains Pères, que je veux croire avoir bonne intention ; mais leur action étant sans fondement, grâce à Dieu, j'espère que sa divine Bonté anéantira tout cela, et nous comblera toujours de plus en plus de son saint amour. Je l'en supplie de tout mon cœur, duquel je suis et serai sans fin, mon très-cher et bien-aimé seigneur, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Lyon.

LETTRE MDCLXXXI - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Ne pas se charger de la fondation de Bordeaux. — Affaire du Visiteur apostolique.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 30 mars [1640].

Ma vraie très-chère pille,

Je ne puis goûter cette proposition de Bordeaux ; elle n'aurait point de raison en l'état où vous êtes. Je le dis comme il faut à la Mère de Bellecour, sans lui témoigner le dernier avis que j'ai reçu, mais comme répondant à sa lettre que je vous envoie. Si l'on vous propose ce voyage, et qu'après la réponse que vous ferez selon ce qui est en la ci-jointe, l'on vous fasse une recharge, vous répondrez derechef qu'en conscience vous ne pouvez entreprendre la conduite de celle fondation ni le voyage, n'ayant force pour cela, et ainsi en cette réponse leur refusant votre soumission, vous le ferez par l'obéissance de votre légitime Supérieure. — Quant à la peine de votre pauvreté intérieure, n'y faites nulle réflexion ni regard volontaire ; mais souffrez-la doucement, vous abandonnant à Dieu et faisant le mieux que vous pourrez. Ma vraie fille, il en faut bien souffrir d'autres et des croix bien plus crucifiantes. Dieu nous les donne selon son [236] bon plaisir, et nous fasse la grâce de les porter à sa gloire et à notre salut !

N'avez-vous point ouï dire que l'on nous voulait donner un Visiteur apostolique ? Or sus, voilà le mémoire que ces seigneurs ont envoyé et le narré au vrai de la naissance et suite de cette affaire, qui est très-importante. Pesez-la bien devant Dieu, comme je dis ; pesez bien tout, et le considérez bien à loisir avec quelque Sœur capable et discrète, sans rien éventer, puis m'en dites votre sentiment, après que vous aurez bien prié Dieu et pesé le tout à loisir devant Lui, à loisir et mûrement. Dieu, par son infinie bonté, nous éclaire de son divin vouloir, et nous fasse la grâce de le suivre ! Ma fille, sa bonté sait combien je suis, en toute vérité, toute vôtre. Dieu soit béni qui veut que vous soyez toute mienne.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCLXXXII - À QUATRE PRÉTENDANTES

À LA VISITATION DE FRIBOURG[72]

Promesse de les compter au nombre des Religieuses d'Annecy. Vertus qu'elles doivent acquérir.

[Annecy], 7 avril 1640.

VIVE † JÉSUS !

Mes très-chères filles,

Le récit que le Père Dufour m'a fait des bonnes qualités que Dieu a mises en vos chères âmes, et la généreuse action que vous avez faite pour vous déprendre du monde et de ses vanités, [237] jointe à l'affection que vous me témoignez de vous rendre de vraies Filles de la Visitation, nous donne une grande consolation et courage de vous accorder ce que vous désirez. Mais, mes très-chères filles, comme cette maison [d'Annecy] a reçu les prémices de l'esprit, et la grâce d'avoir été si souvent arrosée des avis salutaires et des instructions de son saint Fondateur, elle requiert de ses chères enfants une ponctuelle observance de ses règlements, par le moyen de laquelle les âmes acquièrent et se forment dans une profonde humilité, une sincère candeur et simplicité, une amoureuse obéissance et une douce et suave charité en leur conversation : voilà les principales vertus qui doivent reluire aux vraies Filles de notre Bienheureux Père, et qui contiennent toutes les autres. Travaillez à les acquérir, mes très-chères filles, et devenez tous les jours plus petites en l'estime de vous-mêmes : c'est la vraie grandeur des âmes qui prétendent à l'union des épouses. Dieu vous a choisies pour ce souverain bonheur ; correspondez fidèlement à une si haute dignité, et sa Bonté vous comblera des grâces de son saint amour. Je l'en supplie de tout mon cœur, et vous, mes chères filles, de me recommander souvent à sa divine miséricorde, et croyez que je suis de cœur, mes très-chères filles, etc. [238]

LETTRE MDCLXXXIII (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-JACQUELINE FAVRE

SUPÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ DE SAINT-AMOUR RÉFUGIÉE À BOURG EN BRESSE

La Sainte applaudit à sa résolution de garder auprès d'elle la Sœur déposée.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 11 avril 1640.

Ma toute chère fille,

Vous avez fort bien fait de mander à ma Sœur la Supérieure de Riom que vous ne pouviez pas donner la chère Sœur déposée ; car, en effet, étant dans un petit exil et votre santé en l'état où elle est, il n'y aurait pas moyen, en conscience, de vous ôter ce cher appui. Je vous avoue, ma chère fille, que je suis en peine de votre mal ; soyez bien souple, je vous en conjure, à prendre le repos et les soulagements que l'on vous jugera nécessaires, car votre santé et votre vie ne sont pas à vous, ains à la Congrégation, à qui vous les avez sacrifiées. Je suis bien consolée, ma chère fille, de la paix avec laquelle votre chère communauté persévère en l'observance. Je conjure toutes ces chères Sœurs d'avancer sans cesse par cet amoureux chemin à la très-sainte éternité, et de me recommander quelquefois à la souveraine bonté de Notre-Seigneur, qui ne les abandonnera jamais, tandis qu'elles se reposeront de tout en son soin paternel. Je salue tout à part ma très-aimée fille Fr. -Augustine [Brung], qui sait bien de quel cœur je suis toute sienne, et prie notre bon Dieu vous tenir toujours plus unies en son très-saint amour, auquel je suis d'un cœur tout invariable, votre, etc. — Mercredi après Pâques.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [239]

LETTRE MDCLXXXIV (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Demande de renseignements sur une jeune personne entrée au monastère de Thonon.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 14 avril 1640.

Ma très-chère fille,

Monseigneur nous a commandé de vous écrire, afin que vous nous mandassiez bien particulièrement toute l'histoire de cette fille qui s'est venue jeter chez vous, ce qu'elle a porté, où elle l'a pris, ou de qui elle l'a eu. Ces bonnes gens sont venus se plaindre à Sa Seigneurie, disant qu'elle leur a pris huit vingts pistoles, qui étaient toute leur substance pour vivre en ces temps de misère, que la Sœur Georges [tourière] l'a attirée et l'amena avec elle pour la faire travailler, puis l'amena chez vous. Enfin, ma chère fille, dites-nous bien tout comme la chose s'est passée, je vous en prie. Et moi je vous supplie de nous dire de vos nouvelles, et de m'offrir à Celui en l'amour duquel je suis toute vôtre, de tout le cœur que vous savez, ma fille. Dieu soit béni ! Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCLXXXV - À LA MÈRE MADELEINE-ÉLISABETH DE MAUPEOU[73]

SUPÉRIEURE À CAEN

Éclaircissement sur la Constitution XIVe. — Promesse de prier pour la conversion de son père. — Souhaits de bénédictions. — Dans quel cas on peut prendre une cinquième Sœur domestique.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 14 avril 1640.

Votre maison intérieure va donc bien, ma chère fille, puisque votre cœur ne veut que son Dieu et son observance ; et votre [240] maison extérieure va aussi bien, grâce à Dieu, puisque l'exactitude et l'union y règnent. — Vous n'avez nullement mal fait d'acheter des toiles et dentelles pour Mgr N. Quand c'est pour les prélats et ornements sacerdotaux, nous n'en faisons aucun scrupule. Pour plus d'honneur aux saintes ordonnances de la Constitution qui défend de vendre ni acheter, vous pouviez faire ces petites emplettes-là par quelque dame amie, bien qu'en vérité cela n'est pas grand'chose, ni vous n'en devez point entrer en scrupule.

Nous ne manquerons pas de prier Dieu de bon cœur, afin qu'il donne sa sainte lumière à M. votre père et le retire de son [241] erreur. Je ne doute point que ce ne vous soit une sensible touche de voir en un état de mort éternelle celui qui vous a donné la vie temporelle. Mais, ma chère fille, il faut se consoler en ce que ces âmes sont plus chères à Notre-Seigneur qu'à nous ; sa Providence sait quelle gloire elle veut tirer de leurs maux. Il ne faut pas laisser de solliciter, par une humble prière, la divine miséricorde.

Vous me demandez que je fasse un souhait sur votre communauté. O Seigneur Jésus ! que peut souhaiter mon cœur à ces très-chères filles, sinon qu'il plaise à votre souveraine Bonté de leur faire la grâce de cheminer de vertu en vertu en votre saint amour par une amoureuse, fidèle et sincère observance de tout ce qui nous est marqué par notre saint Fondateur ? — Certes, ma fille, j'ai eu une joie sensible d'apprendre avec quelle révérence et amour filial votre communauté a reçu le Coutumier nouvellement imprimé, où les intentions de ce Bienheureux sont. — Il n'y a point de doute qu'ayant une Sœur domestique infirme pour le reste de ses jours, vous n'en puissiez prendre une cinquième en sa place, puisque l'autre est hors de pouvoir faire ce qui est de sa condition, bien qu'elle demeure toujours dans ce rang. Votre, etc.

LETTRE MDCLXXXVI (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-CONSTANCE DE BRESSAND

MAÎTRESSE DES NOVICES, À NANTES

Conseils pour la distribution des charges. — La Sœur déposée ne doit pas être maîtresse des novices pendant la première année de sa déposition, sans une très-grande nécessité.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 16 avril 1640.

Ma très-chère et bien-aimée fille,

Je vous assure qu'il m'a fait très-grand bien de savoir un peu de vos bonnes nouvelles. J'avais bien cette espérance en Notre-Seigneur, que votre visite [canonique] se ferait avec douceur [242] et paix ; j'en bénis et remercie sa Bonté. — Pour la sœur de madame Hardouin, il la faut regarder comme une croix que Dieu veut que votre monastère porte en patience et en faire l'usage que sa Bonté prétend, pratiquant toujours plus envers elle le support, la douceur et la charité.

M. N., ma très-chère fille, a très-grande raison de trouver mauvais que [l'on nomme étrangère ma Sœur N.]. Si ne faut-il pas user de ce mot qui est banni de céans, ayant peine à souffrir [qu'une Sœur non professe de votre communauté] exerce les charges ; et quand il a dit [qu'on avait tort], il a dit ce qu'un bon et charitable Père spirituel doit dire et doit faire. Car vraiment, c'est un mauvais levain dans une communauté lorsque l'on prend garde aux charges et à la préséance ; c'est signe que les Sœurs sont bien [peu vertueuses] puisqu'elles ne sont pas humbles et détachées d'elles-mêmes et de leur propre estime. Non, je vous assure, ma très-chère fille, il ne faut point se rendre complaisante à cette fantaisie ; et, comme vous dites, ce n'est pas être jeune d'avoir six, sept et huit ans de profession. Quand les plus jeunes passent les anciennes en vertus et bons talents, il les faut employer sans crainte, et rendre les plus âgées capables de cela ; car enfin, ma chère fille, après que l'on a tenu les filles basses quelque temps, et que l'on voit que Dieu les dispose à servir la Religion, il les faut mettre en œuvre.

Pour votre catalogue, ma chère fille, il suffira d'y mettre votre bonne Mère, Votre Charité et quelqu'une de nos Sœurs, car je crois que pour cette Ascension nos bonnes Sœurs n'iront guère loin. — Pour ma Sœur la Supérieure de Bourges, il ne la leur faut pas proposer, car nous l'avons promise pour nos Sœurs de Guéret, et quant à ma Sœur la déposée de Troyes, l'on ne vous la pourrait donner, sa maison ayant besoin de son soutien. Au reste, ma très-chère fille, il faut que je vous dise, que si Dieu permettait que vous fussiez réélue, je donne maintenant un petit avis que j'ai toujours eu fort à cœur : c'est, ma [243] très-chère fille, qu'il ne faut point, sans une très-grande nécessité, mettre les Mères déposées directrices ; et, pour au moins un an, il leur faut faire la charité de les laisser vaquer à Dieu et à elles, leur rendant le devoir de cordialité, respect et union dans les occasions.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Voiron.

LETTRE MDCLXXXVII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Précautions à prendre en temps de peste.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640]

Ma très-chère fille,

Votre messager est arrivé fort à propos pour nous relever de la peine où nous étions d'envoyer un homme jusqu'à Douvaine ; car nous n'aurions osé le faire passer plus avant, crainte qu'on ne l'eût laissé rentrer ici. Je bénis Dieu de tout mon cœur de ce que vous me dites que la maladie [de la peste] ne fait pas de progrès, et que sa Bonté vous donne le courage et la confiance pour demeurer là sous la protection de sa Providence. Il est vrai que vos maisons sont fort aérées et exposées à la bise, que votre enclos est grand, et que vous n'avez à veiller que sur le devant de votre monastère. Mais, dites-moi, ma chère fille, avez-vous de l'eau pour boire et pour toutes vos autres petites nécessités ? car pour celle de votre canal, je ne pense pas, quelque prévoyance que vous ayez de la prendre de nuit, ni quoi que l'on puisse en dire, que vous dussiez vous y fier, puisque c'est une eau commune, et que les pestiférés mêmes y font leurs lessives et la prennent au-dessus de vous. Répondez-moi à ce point.

Or sus, avez-vous fait vos provisions en sorte que vous ne soyez point nécessitées de rien prendre à la ville ni là où les autres se servent ? Où logerez-vous le prêtre qui dira vos messes, afin qu'il n'ait, ni tous ceux que vous tenez à votre tour, aucun commerce ni fréquentation, ni dans la ville ni avec qui que ce soit ? car pourvu que vous ayez de l'eau assurée, que vous ayez toutes vos provisions, que votre prêtre soit logé, que ceux qui sont à votre tour se gardent soigneusement, que vous preniez garde à votre réfectoire dont les fenêtres aboutissent sur la rue, au cas que ce quartier-là vînt à être infecté, pour éviter le mauvais air et la fumée des parfums, tout cela étant, je m'accorde avec vous qu'il ne sera que bien que vous ne bougiez point, et que vous êtes là comme aux champs ; mais avec tout cela il faudra un peu avoir de préservatifs. Je crois qu'un des plus excellents que l'on pourrait prendre, c'est de l'eau de notre Bienheureux Père,[74] encore qu'il en faille avoir d'autres. Votre santé est entière, dites-vous, ma chère fille, Dieu en soit béni ! Vous mangez, vous dormez bien, et pour cela vous vous voudriez remettre à votre premier train, pour retomber malade ! Non, ma chère fille, suivez vos petits règlements, et croyez que Dieu a plus agréable votre soumission et obéissance que vos sévérités sur vous-même. [Plusieurs lignes illisibles.]

Pour ce qui est de l'argent du second monastère, elles le prendront quand vous l'enverrez ; mais parce qu'elles désirent faire un fonds de trois ou quatre mille florins, pour loger en quelque lieu assuré où l'occasion se présente, elles seraient bien aises de ne pas prendre l'obligation de M. Arpeau. Nos Sœurs de Rumilly, en cas, la pourraient prendre. Envoyez votre argent à Douvaine, faites bien vos bordereaux, et M. Quêtant l'apportera après Quasimodo. — L'on vous envoie le reste des Vies que vous désirez. Regardez en quoi nous vous pourrons servir.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCLXXXVIII - À LA MÈRE MARIE-ÉLÉONORE GONTAL

SUPÉRIEURE À NICE

Mieux, vaut souffrir un tort que d'entrer en procès. — Dans quelle mesure on peut s'occuper de l'instruction des jeunes filles. — Regrets de la mort du chevalier Janus de Sales.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma bien-aimée fille,

Assurez-vous que je n'ai garde de vous oublier. Vous m'êtes trop chère et suis grandement contente de vous, puisque vous m'assurez que vous ne pensez plus à vous ennuyer d'être Mère, et que vous le serez autant que Dieu voudra. Demeurez bien ainsi soumise à cette divine volonté, qu'elle fasse de nous au temps et à l'éternité ce qu'il lui plaira.

Mon Dieu ! ma fille, que vous avez bien fait de vous accorder avec ces deux bonnes Religieuses, et leur quitter du vôtre plutôt que de vous embarquer en procès ; cela est faire selon l'esprit de notre saint Fondateur. Je me sens grandement obligée à M. l'archiprêtre des soins qu'il prend pour vous, et lui en offre, par votre entremise, un très-humble remerciaient, avec la prière instante que je lui fais d'avoir quelque peu de mémoire de moi en ses saints sacrifices. Excusez-moi, s'il vous plaît, ma très-chère fille, si je ne lui écris pas ; certes, en l'âge où je suis, il est temps, ce me semble, plus que jamais, que je n'écrive que pour répondre ou pour des grandes utilités. Vous êtes une si brave Mère que vos remercîments et témoignages de gratitude suffiront bien.

Quant à ce que vous me dites de l'instruction des jeunes filles, je trouve très-raisonnable qu'ayant reçu de la ville le bienfait qu'elle donnait aux Ursulines, vous correspondiez à leurs desseins, au moins en quelque chose. Votre lettre n'a pas devancé ma pensée, qui était d'avoir un parloir à part, et qui regarde [246] dans la chambre où telle instruction se fera, où la Sœur qui en aura la charge ira tous les jours une fois, ou de deux jours l'un (mais, s'il se peut, tous les jours ce sera le mieux), voir comme la maîtresse s'acquitte de son devoir ; voiries exemples, montrer les ouvrages et instruire à la piété. Il faut rendre cordialement ce service à ce bon peuple qui le désire tant, et espérer que Notre-Seigneur en tirera sa gloire et le bien de ces petites âmes, esquelles on tâchera à bonne heure de planter profondément la crainte de Dieu, la dévotion envers la Sainte Vierge, saint Joseph et leurs bons Anges.

Il est vrai, ma très-chère fille, j'ai été troublée du décès du bon M. le chevalier de Sales[75] ; mais, mon Dieu, n'est-il pas heureux d'avoir fait si saintement son passage ? Qu'y a-t-il de souhaitable dans ce monde, que de mourir en sa sainte grâce ? — Vous savez bien qu'en vérité vous êtes l'une des plus chères filles de mon cœur, à laquelle je souhaite toute sainte perfection. Priez notre bon Dieu pour moi. Votre, etc.

LETTRE MDCLXXXIX - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Affectueux intérêt pour la communauté de Thonon exposée à la contagion. — Affaires diverses. — L'âme doit demeurer paisible dans l'état où Dieu l'a mise.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma très-chère fille,

Les dispositions que vous me marquez pour vous garantir du mal [de la peste] sont assez bonnes, pourvu que la divine Bonté ait l'œil sur tout cela pour en être la conduite et le principal préservatif, ce que j'espère qu'elle fera. Il faudra attendre une [247] conservation universelle de sa bonté sur cette ville-là. Vous avez un bon et charitable Père spirituel, et lequel, en cas de nécessité, ne manquera pas de vous faire apporter des choses nécessaires. À ce que je vois, prou de choses vous manquent, et ces bonnes Sœurs sont admirables de vouloir être si bien traitées en un temps où il y a tant de peine à le faire. La nécessité leur apprendra à se passer de ce que l'on pourra. Dieu vous donne son Saint-Esprit pour connaître et faire ce qui est le plus expédient pour subvenir à leur vivre et vêtir. Je trouve que l'un n'est guère moins nécessaire que l'autre : l'on peut vivre avec du pain et de l'eau, mais l'on ne se peut passer du vêtement.

Pour ce qui est de cette bonne fille, puisque vous savez la volonté du père, qui consent à sa vocation et à lui laisser ses pistoles, et qu'il leur reste suffisamment pour s'entretenir, je crois que vous ne devez pas vous mettre en peine du bruit que fait le frère. — Quant à votre horloge, je vous dirai que l'on dit que M. Sylvestre les fait bien et les raccommode bien ; M. le doyen de Notre-Dame le nous a dit. Quant à votre santé, béni soit Dieu qui la vous donne ; mais je vous prie, n'en présumez point tant que vous veniez à négliger les règlements que nous vous avons donnés, car je sais bien que vous avez une complexion qui a besoin d'être soignée et conservée.

M. Marcher vous écrit touchant les affaires de nos Sœurs de la seconde maison : elles eussent reçu à grande charité si vous leur eussiez pu donner l'entier payement pour faire une affaire de conséquence ; et comme vous dites n'avoir d'argent, nous avons pensé que nos Sœurs de Rumilly prendraient bien la dette de cent ducatons. M. Marcher vous écrit tout cela ; c'est pourquoi je viens à votre chère âme, que je vois que notre bon Dieu favorise de beaucoup de grâces et de saintes lumières, dont je le bénis de tout mon cœur, qui vous chérit toujours plus tendrement et fortement ; nonobstant sa misère, il aime ceux qui aiment Dieu. Vous faites grande charité de me recommander à sa [248] miséricorde ; j'en ai bon besoin. Je ne désire sinon la grâce de faire et souffrir ce qu'il lui plaira et comme il lui plaira. Je ne crois pas qu'il faille courir après les lumières, bien que sous prétexte d'en tirer le fruit ou de la gratitude ; car je crois qu'elles portent avec elles l'effet de cela, bien qu'il ne le semble pas, et qu'il est toujours mieux de demeurer en Dieu en l'état qu'il tient l'esprit, que de vouloir voir comment ni ce qui se passe. Enfin, je pense que vous n'avez qu'à vous tenir ferme à recevoir simplement ce qui vous sera donné, et à ne permettre à votre âme que le moins de mouvements que vous pourrez, sinon quand le Maître les excitera ; encore faut-il coopérer avec retenue et fort paisiblement. Moins l'on se remue, et mieux Notre-Seigneur fait ses ouvrages. Hélas ! je vous dis selon la lumière que je pense que sa Bonté me donne pour votre consolation, et non selon que je fais, car aussi ne suis-je digne de tant de grâces, mais une pauvre, chétive, impuissante à tout bien. Dieu soit béni et glorifié de nos âmes en tout et partout, et nous fasse la grâce de l'aimer éternellement en cette seule et désirable bienheureuse éternité. Oh Dieu ! ma fille, que vos prières m'y portent nonobstant mes misères.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXC (Inédite) - À LA MÊME

Diverses affaires. — Recommandations affectueuses.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 9 mai 1640.

Ma chère fille,

L'on ne fait pas ce que l'on veut, mais ce que l'on peut. Nous ne vous pouvons prêter un fer, car nous n'en avons qu'un ; l'autre est tout à fait gâté. Un serrurier à qui les Mères [249] Annonciades le voulurent donner pour le faire repolir, l'a tout à fait gâté et démarqué. — Je suis bien aise que vous m'ayez mandé au long l'affaire de cette prétendante ; il faut attendre avec patience ce que Dieu en ordonnera. Je vous recommande toujours le soin de votre santé. Vous pouvez penser que nous ne sommes pas sans appréhension de vous sentir dans ces hasards. Je trouve que vous avez un peu trop de condescendance à faire saigner cette Sœur par un chirurgien ; n'y retournez plus en ce temps ici [de peste], et vous portez toujours bien, je vous en conjure. Je veux dire que vous fassiez ce qui se peut pour cela, et notre bon Dieu fera ce qu'il lui plaira. Il soit béni. Je suis vôtre de cœur. — Sans loisir.

Si l'on me parle de la Sœur J. -Marie, je répondrai selon votre désir. J'écrirai une autre fois à ma chère Sœur Francoise-M. qui m'a écrit. Je la salue. Parfumez vos lettres avant que de les fermer, crainte d'envoyer du mauvais air.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXCI - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

La Sainte s'excuse de ne pouvoir se rendre à Moulins. — Désir de la bienheureuse éternité. — Projet de la fondation d'Avallon.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 9 mai [1640].

Madame,

Je dois et porte tant de respect à votre mérite et à vos désirs qu'il n'y a que mon impuissance qui me pût empêcher de les suivre. Je suis donc tout à fait persuadée de vous obéir, ma très-honorée Madame, et vous assure que je le ferais de tout mon cœur, mais je ne vois nul moyen pour le faire ; car me voici dans la dernière année de mon triennal que je voulais briser à [250] cette première Ascension, mais Mgr de Genève et nos Sœurs ne me l'ont pas voulu permettre. Il faut donc que je fasse encore le tour d'une année entière, si Dieu m'en donne la vie, nonobstant l'extrême lassitude où je me trouve pour la pesanteur de tant d'occupations et d'années, car j'atteindrai septante années au mois de janvier prochain. Jugez, Madame, si c'est pour penser à faire d'autre voyage que celui de la très-sainte éternité, que j'attends en patience de la divine miséricorde et que je désire de tout mon cœur, le temps de mon pèlerinage m'étant bien long ; mais en tout la très-juste et très-adorable volonté de mon Dieu soit faite. Si nous voyions Mgr d'Autun, certes je m'essayerais de le persuader de ne point priver notre maison de Moulins de l'utilité et profit spirituel qu'elle recevrait de la visite du Révérend et très-vertueux Père de Lingendes. Il y a bien de l'apparence que ce bon prélat a eu quelques avis de personnes mal informées et mal affectionnées ; il est si bon que j'espère qu'un peu de temps fera dissiper ce nuage.

Pour la fondation d'Avallon, je n'ai rien à dire, pourvu que ma Sœur la Supérieure ne rompe point son triennal pour cela, qu'elle le conduise jusqu'au bout, et qu'elle ait de quoi fournir des bonnes filles et du temporel, selon que le Coutumier marque, car pour nos règlements, ma très-chère Madame, j'ai un grand désir que nous les suivions au pied de la lettre ; autrement nous ferons déchoir notre pauvre petite Congrégation de son esprit qui mérite bien d'être conservé. Dieu soit toujours l'ardeur et la force de votre courage, et fasse réussir vos saintes pensées selon ses éternels desseins ! Recommandez-moi, s'il vous plaît, à sa divine miséricorde, puisque je suis de cœur et en tout respect, Madame, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers. [251]

LETTRE MDCXCII - À LA MÈRE CATHERINE-ÉLISABETH DE LA TOUR

SUPÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ DE CHAMPLITTE RÉFUGIÉE À GRAY

Conseils pour l'élection qui doit se faire à Gray ; de quel jour faire dater l'établissement de ce monastère. — Les Petites Coutumes ne sont pas achevées.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 16 mai [1640].

Ma très-chère fille,

Votre messager arriva hier au soir pendant Matines, et ce matin il demande la réponse avant le réveil, et dit que si on ne la donne promptement qu'il partira sans cela ; si bien, ma très-chère fille, que je vous réponds seule au point plus pressé qui est touchant votre déposition, car nous ne pûmes faire à ce soir que de lire votre lettre. Or, ma très-chère fille, vous devez permettre que l'on vous remette sur votre catalogue, et puis mettez avec vous celles de vos Sœurs ou autres que vous jugerez avec l'avis des Sœurs conseillères et de M. votre Père spirituel ; et si Notre-Seigneur permet que vos Sœurs vous réélisent, embrassez généreusement ce fardeau, et prenez nouveau courage à servir cette petite troupe. Nous verrons à loisir votre lettre et y répondrons de point en point. Vous devez commencer à tenir la Supérieure que l'on élira à cette Ascension pour Supérieure de. Gray, et vos livres de Champlitte doivent être conservés pour lorsque l'on y retournera. Et, à présent, il faut commencer les livres du monastère de Gray, et votre établissement doit commencer le jour que votre Père spirituel ou autres feront la prédication et vous publieront être reçues à Gray.

Ma très-chère fille, il faut avoir grande compassion de cette pauvre Mère de Fribourg. Je ne puis dire davantage, car votre messager s'en veut partir sans avoir nos lettres. Voilà une paire d'Heures. Pour les Petites Coutumes, elles ne sont pas encore [252] achevées d'être accommodées à cause des continuelles occupations que l'on a dans ce béni monastère. Bonjour. — Veille de l'Ascension.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXCIII (Inédite) - À LA MÈRE HÉLÈNE-ANGÉLIQUE LHUILLIER

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

Envoi des Petites Coutumes et des Vies des Sœurs défuntes ; prière de les examiner.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

... Pour les Petites Coutumes, je les ai encore toutes revues ; j'y ai retranché quelques petites choses qui sont aux Réponses et qui ne sont pas de coutume, mais de simple direction. Nous y ajouterons quelques points qui avaient été omis par l'écrivain de nos premières règles. Je sais que notre Bienheureux Père avait été fâché de ces omissions. Nous les faisons remettre au net, puis je vous les enverrai avec le livre des Vies de nos Sœurs, afin que vous les voyiez et me disiez votre sentiment, s'il ne sera point à propos de les faire imprimer. Vous les ferez lire au réfectoire, et direz que l'on cesse quand vous n'y serez pas, car je désire que vous les entendiez toutes.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris. [253]

LETTRE MDCXCIV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Maternelles sollicitudes — Précautions dont il faut user en temps de peste.

VIVE † JÉSUS. '

[Annecy, 1610-]

Ma toute très-aimée fille,

Je viens de la très-sainte communion vous mettre dans le sein de la divine protection, comme l'une des plus chères créatures que j'aie en ce monde pour le service de sa gloire et ma consolation et utilité ; car les dangers où vous êtes, et ce cœur si susceptible de se serrer [pour] les intérêts de Dieu et les manquements de vos Sœurs et du mal qui leur peut arriver, qui sont des choses quasi inévitables, me donnent de grandes appréhensions, sachant bien qu'un cœur pressé échauffe le sang et la bile, qui sont des dispositions à prendre plus facilement le mal contagieux. C'est pourquoi je vous prie de prévenir cela, autant qu'il vous sera possible, et de vous affranchir de cette peine d'avoir quelques particularités pour votre soulagement, puisque en conscience, si je ne vous les croyais pas nécessaires, je ne l'eusse jamais requis, et si vous les prenez à contrecœur, elles ne vous profiteront point, ains vous nuiraient, et il serait mieux que vous ne les prissiez pas ; mais je vous prie, au nom de Dieu, de vous affranchir de ce défaut, car je vous assure que la douce et cordiale soumission en cela sera plus agréable à Dieu et profitable à votre perfection que votre rigidité à satisfaire vos inclinations. Dieu, par son infinie bonté, vous conserve et toutes nos Sœurs !

Certes, je suis marrie que votre Sœur N. ne s'affranchisse pas de cette imperfection ; mais elle sera mieux apprise par cette [254] dernière faute. Votre conduite fut fort bonne puisque la chose était connue, mais je vous dirai que souvent il ne faut pas faire semblant de voir ces petites choses toutes les fois qu'on les remarque. — Pour Dieu, gardez-vous bien de vous exposer si Dieu permettait qu'il arrivât du mal chez vous, et au moindre soupçon séparez les filles et vous gardez de les soigner. M. Quêtant et moi nous avons pensé que votre grange serait bien propre à cela. Faites bien tout ce que ce bon Père vous dira ; et gardez surtout que vos gens qui sont autour ne [vous] fréquentent [pas]. Jetez dans l'eau ce qu'ils vous donneront. Enfin, souvenez-vous bien comme nous faisions ici durant la peste, et faites de même si elle vous environne. Ayez force genièvre, et faites-en brûler tous les matins chez vous ; et vos Sœurs feront bien d'en prendre quatre ou cinq grains tous les matins, et vous aussi, ma très-chère fille, que je conjure de toujours avoir une affection filiale devant Dieu pour moi, à ce que sa Bonté me fasse la grâce que j'accomplisse parfaitement sa divine volonté. Je le supplie vous combler de son saint amour. Je suis vôtre sans réserve.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXCV - À MONSIEUR LE MARQUIS DE PIANESSE

À TURIN

Vœux de la Sainte pour la conservation du marquis ; elle lui recommande le monastère de Turin.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 22 mai 1640.

Monsieur,

Il faut avouer la vérité : le siège de Turin tient mon cœur assiégé de beaucoup de douleurs, me. représentant les appréhensions et afflictions de nos pauvres Sœurs et de tant de bonnes [255] âmes.[76] Nous prions et faisons prier incessamment pour recommander à Notre-Seigneur les besoins de son peuple, et la conservation de votre digne personne qui nous est si chère et précieuse. Je ne doute nullement, Monsieur, que votre véritable bonté n'ait tout le soin possible pour la conservation de nos chères Sœurs ; après Dieu, c'est ma confiance, sur quoi je veux demeurer en paix, attendant ce qu'il plaira à la souveraine Providence d'ordonner, m'y soumettant dès maintenant de tout mon cœur. Je sais qu'autrefois M. le comte d'Harcourt aimait notre petite Congrégation. Dieu vous préserve de tout mal et vous conserve en sa grâce ; c'est l'un de mes plus grands désirs, étant de cœur en tout respect, Monsieur, votre, etc. [256]

LETTRE MDCXCVI - À MONSIEUR DE COYSIA

SÉNATEUR À CHAMBÉRY

Elle le félicite de sa promotion à la dignité de sénateur.

VIVE † JÉSUS !

(Annecy], 22 mai [1640].

Monsieur,

Certes, il me semble que c'est avec charité que je me suis réjouie de votre promotion au sénat, y voyant entrer un si bon juge, qui est le grand trésor des parlements, le repos et bonheur des peuples. Monsieur, j'espère en la divine Bonté qu'il vous tiendra de sa sainte main, comme il a fait toujours, et que là (demeurant ferme en vos saintes résolutions) vous y affermirez une élection éternelle et y acquerrez de grands mérites, et d'autant plus j'espère cette bénédiction pour vous, Monsieur, que ce sont vos amis qui vous y ont porté, et non aucune ambition de votre part, et que les contradictions ne vous y ont pas manqué, lesquelles Dieu a renversées, par et en considération de votre probité et vertu. Je supplie son infinie Bonté de régner en votre chère âme et en tous vos jugements. Je suis d'une affection immortelle et serai sans fin, Monsieur, votre très-humble servante en Notre-Seigneur.

Mille très-humbles saluts à madame votre femme.

Conformée une copie de l'original gardé par M. Faga, à Chambéry. [257]

LETTRE MDCXCVII - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Fruits de salut que les Prêtres de la Mission opèrent dans le diocèse de Genève.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 23 mai [1640].

Mon très-Honoré et vrai Père,

Envoyant des lettres à M. Vincent de ses chers enfants et de nos fidèles ouvriers, je ne saurais m'empêcher de vous en dire un peu des nouvelles, qui sont dignes de donner une parfaite consolation à votre bénite âme, mon tout bon et cordial Père. Oh Dieu ! quelle grâce devez-vous à Dieu d'avoir fait cette œuvre, mon très-cher Père ; car il ne se peut dire les fruits innombrables que sa divine Bonté fait par ces bons messieurs. Enfin, les conversions et les changements de conscience de mal en bien et de bien en mieux sont universels, ou peu s'en faut, entre ceux qui les entendent. Chacun les admire et confesse qu'ils sont choisis de Dieu pour convertir le peuple.

Certes, M. Codoing est un digne ouvrier et tous les autres très-bons, qui donnent un exemple et satisfaction nonpareils. Mon cœur dit toujours : Cette bonne œuvre comblera de mérites mon très-cher et vrai Père, qui n'a su faire un bien plus purement pour la seule gloire de notre débonnaire Sauveur et le salut des âmes rachetées de son très-précieux sang, le mérite duquel vous sera aussi appliqué avec abondance de grâces en ce monde, et de gloire en la bienheureuse éternité. C'est ce que mon âme désirera incessamment à la vôtre toute chère, mon tout bon et très-cordial Père.

Faites toujours quelque petit souhait pour le salut de votre indigne, mais très-humble, très-obéissante et toute cordiale fille.

[P. S.] J'attends toujours de vos nouvelles pour écrire au monastère. M. Vincent vous dira un mot de la Mère Hélène. [258]

LETTRE MDCXCVIII (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-PÉRONNE BAILLARD

À CRÉMIEUX

Invitation à lui écrire en toute confiance.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 27 mai 1640.

Ma très-chère fille,

Le prompt départ de ces dames ne me donne pas beaucoup de loisir. Je ne vous ferai qu'un mot pour cette fois, pour vous dire que je suis très-aise que vous ayez pris la confiance de m'écrire, et vous prie de le faire avec toute franchise, non pour m'envoyer votre confession, car il ne le faut pas, mais comme Notre-Seigneur a gouverné votre bon cœur. Dites-m'en un peu bien des nouvelles, et de tout ce que vous voudrez, ma chère fille. Je m'assure que votre bonne Mère n'a garde de retrancher la liberté de m'écrire. J'attendrai donc votre seconde lettre, et puis, Dieu aidant, nous vous répondrons à toutes deux ensemble. Cependant, ma très-chère fille, tenez-vous fort unie à Dieu, à votre Règle, et me recommandez à la souveraine Bonté, et me croyez, ma chère fille, votre très-humble, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCXCIX - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE. À THONON'

Il est utile de ne pas faire la correction pour des fautes de fragilité.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 29 mai 1640.

Ma très-chère mère,

[De la main d'une secrétaire.] Notre bonne Sœur la dépensière ne peut faire réponse à votre grande lettre, elle fera [259] réponse une autre fois ; elle dit qu'elle a reçu toutes les lettres de Votre Charité. Notre unique Mère se porte bien et dit qu'elle salue Votre Charité, et que vous priiez et fassiez beaucoup prier pour la peste, qui s'épanche de tous côtés en la Provence, Languedoc et Dauphiné. — L'on a écrit à Chambéry pour votre procès, mais la peste s'y étant prise, l'on ne sait si le sénat cessera.

[De la main de la Sainte.] Ma toute chère fille, ne vous enquérez point si exactement des manquements qui se font chez vous : il est quelquefois utile de faire l'aveugle, crainte d'aigrir les cœurs, surtout quand ce sont des filles qui ne faillent pas par malice ni mauvaise intention, et celles-là il les faut croire en ce qu'elles assurent, bien que l'on vit du doute, autrement on les pourrait faire tomber en quelque grand embarrassement.

Je vous prie, faites remercier, et vous aussi remerciez notre bon Dieu de ses miséricordes en ma vocation, et le priez de me pardonner mes ingratitudes, et que meshui je le serve en pureté et humilité tous les jours de ma vie, et me donne patience sous la croix qu'il m'a imposée. Qu'il soit béni éternellement, et vous conserve et comble toutes de son saint amour, mais surtout votre cher cœur que je chéris uniquement !

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCC (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-MARGUERITE MICHEL

SUPÉRIEURE À FRIBOURG

Conseils de douceur et de modération. — Soumettre à Mgr de Besançon les difficultés survenues entre le monastère de Besançon et celui de Fribourg.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 1er juin 1640.

Ma très-chère et bien-aimée fille,

Votre lettre du 26 mars ne nous a été remise qu'à la fin du mois de mai, et, bien que nous ayons déjà répondu aux [260] principaux points d'icelle par votre messager qui vint exprès, je ne lairrai [pas] de vous répéter, ma très-chère fille, que vous ne devez en façon quelconque vous davantage engager à vouloir poursuivre pour vous l'établissement de Salins, nos Sœurs de Besançon m'ayant nettement écrit, ainsi que je vous ai déjà mandé, qu'elles ne pouvaient en façon quelconque le céder, et qu'elles n'avaient que ce seul moyen de se décharger, dont elles ont grand besoin, et de se loger. Et d'autant, ma très-chère fille, que votre bon cœur et la charité requièrent que je vous parle clairement, je vous dirai que la Mère de Besançon [H. F. Belin] a un bon cœur qui vous chérit et honore, et voudrait donner de son sang, et de ce peu de vie qui lui reste, pour votre consolation et soulagement, et elle l'a tellement fait paraître que quelques-unes des conseillères ont inféré de là qu'elle vous voulait donner la fondation de Salins, et qu'elle avait plus d'affection pour vous que pour son monastère, et en ont fait des plaintes au Supérieur.

Cette pauvre jeune Mère m'avoue qu'elle se sent tracassée et peinée de tout cela, se voyant chargée d'infirmités, et appréhende extrêmement qu'il ne paraisse entre vos deux maisons moins d'union et bonne intelligence qu'il n'est bienséant aux Filles de la Visitation : cela lui serait sensible au dernier point ; et se voyant d'autre part dans l'impossibilité de vous accorder ce que vous demandez, elle craint de recevoir des lettres. Et je vous dirai bien en confiance, ma très-chère fille, que Mgr l'archevêque de Besançon, qui a pris la peine de m'écrire, me témoigne une grande estime et affection pour vous. « Bien est vrai, me dit-il, qu'il est sorti de sa plume des lettres si peu charitables, que j'ai admiré où un cœur si doux que celui de cette Mère-là a pu trouver des paroles si aigres. Je ne m'en étonne pas pourtant, ajoute ce digne prélat, sachant bien que de petites imperfections ne sont pas incompatibles avec une grande sainteté. » Croyez-moi, que notre Bienheureux Père a [261] dit bien vrai, que l'on prendra plus de mouches avec une cuillerée de miel qu'avec six barils de vinaigre. Vous devez voirement écrire vos petites raisons, mais dans l'esprit de la vocation, et ne vous pas laisser ainsi emporter à votre zèle, qui est un peu trop fort.

Ma très-chère fille, je vous parle avec une rondeur sans déguisement : j'ai mandé à ma Sœur la Supérieure de Besançon qu'elle m'envoie toutes les lettres que vous lui avez écrites et que vous lui écrirez. Je m'assure que meshui elle n'en recevra de vous que de bien douces et cordiales ; car vous êtes si bonne, que je sais que votre cœur désire la consolation du mien chétif qui vous chérit tendrement, et je suis très-assurée que vous me rendez le réciproque.

Or, ma toute chère fille, puisqu'il n'y a plus lieu de penser à Salins, et que néanmoins, de nécessité, il vous faut une retraite assurée dans une ville de Bourgogne, et qu'autrement vous ne sauriez tirer les dots, tant de ma chère Sœur M. -Désirée, que des autres du Comté, j'écris avec tout l'honneur, respect et confiance que Dieu m'a donnés pour Mgr le digne archevêque de Besançon, afin que, comme Père débonnaire, il regarde votre nécessité et vous assigne quelque autre ville de son diocèse pour une retraite assurée. Je crois, ma très-chère fille, que comme il vous estime, et est plein de bonne volonté pour ma très-aimée fille M. -Agnès [de Bauffremont], vous devriez vous-même lui écrire humblement vos petites raisons, et cela courtement, sans exagération, sans plainte, mais comme une fille qui en toute humilité s'adresse à son digne Père, et attendre doucement et sans empressement, sans beaucoup presser les autres, ce qu'il plaira à notre bon Dieu que l'on fasse en votre faveur.

Quant au désir que vous auriez que ma chère Sœur la Supérieure de Gruyères et ma chère Sœur M. -Désirée fissent ici un voyage, ma très-chère fille, les deux raisons que vous me marquez pour l'entreprendre ne sont pas recevables ni battantes [262] pour sortir de la clôture : la première est afin d'avoir la consolation de me voir et parler à souhait ; ma très-chère fille, je crois qu'elles sont libres de nous écrire tout ce qu'il leur plaira, devant être assurées de l'inviolable fidélité qui leur sera gardée. Pour le contentement de se voir, il ne doit pas être recherché en ce monde par les Religieuses ; il faut le réserver pour l'éternité, où, si les divines miséricordes nous sont appliquées, nous serons en société éternelle. [La seconde raison, dites-vous,] ma très-chère fille, serait afin que ces deux Sœurs me rendissent compte de vous et de votre conduite. Oh ! vraiment, ma très-chère fille, je suis marrie que vous croyiez que j'aie besoin d'autres témoignages que de celui de vous-même. Selon que l'on m'avertit des choses, je vous les dis comme à ma très-chère fille, mais ce n'est pas pour cela que je veuille entrer en défiance de votre bonté et vertu.

Ma très-chère fille, je vous conjure derechef que demandant à Mgr de Besançon un lieu de refuge, vous lui disiez s'il agréerait que, comme Mère commune, vous lui disiez les petits griefs qu'il y a entre vous et le monastère de Besançon pour les choses temporelles, et que ce qui lui plaira de déterminer vous le suiviez exactement. Que s'il agrée que vous lui écriviez, ou s'il vous envoie quelqu'un pour entendre vos raisons, ma fille, je vous demande au nom de Dieu, que vous fassiez cela dans l'esprit de votre vocation, et regardant à votre Bienheureux Fondateur. Ne vous plaignez point, n'exagérez point, ne demandez point, exposez humblement ce qui vous semble raisonnable et les petits sujets de douleur que vous avez cru avoir, votre, nécessité ; et enfin, ma chère fille, demeurez si soumise à ce que ce digne seigneur ordonnera, que ce soit pour vous un arrêt du ciel. À la vérité, je pense que si vous tenez ce chemin-là, Dieu donnera bénédiction à toutes vos affaires, et [les fera réussir] à votre consolation ; et voyez-vous, ma chère fille, certes très-absolument il faut mettre une entière fin à [263] toutes ces aigreurs et mésintelligences. Seigneur Jésus ! notre saint Fondateur les nommait au-dessus de ses forces ; et qui les pourrait souffrir après cela ? il disait qu'il eût voulu que ce qui était en conteste eût été au fond de la mer. Certes, il vaudrait mieux que tous les desseins, et de vous et des autres, y fussent, que s'ils nourrissaient ce mauvais levain qu'il faut jeter entièrement arrière de nous.

Ma très-chère fille, je vous supplie de recevoir mes petits avis cordialement, puisqu'en vérité ils vous sont donnés d'un cœur maternel, et comme je les voudrais donner à ma propre âme. Et croyez que si je vous dis nettement mes pensées, je n'en fais pas moins aux autres, et ne manque point de vous excuser où il est besoin et faire voir votre nécessité, et que si vous voyiez ce que j'écris à Besançon, vous verriez bien que, grâce à Dieu, je ne suis pas plus pour les unes que pour les autres, et que je ne cherche ni veux chercher, moyennant la divine grâce, que la raison et l'équité de toutes parts, afin que Dieu soit glorifié, le prochain édifié et l'Institut consolé. Car je vous assure que de quatre-vingts maisons qui sont maintenant, je n'en sache pas une qui ait piqué l'une contre l'autre que Besançon et Fribourg ; mais je veux espérer en la divine grâce, et de la bonté de vos cœurs, que cela s'anéantira, et que l'on ne parlera plus que d'une cordiale bienveillance et union. Je vous conjure, ma très-chère fille, de n'oublier rien afin que cela soit, et croyez que je serai toujours, votre, etc.

[P. S.] Ma très-chère fille, je vous prie, pour une bonne fois, terminons ces débats, et puisque Dieu m'a donné la pensée de cette proposition de tout remettre à Mgr l'archevêque, faites-le dans la charité et humilité requises ; j'avoue que je suis lasse d'écrire sur des sujets si indignes à des Filles de la Visitation. Ma chère fille, je ne sais encore de quel côté j'enverrai ce paquet de Besançon ; s'il va à vous, faites-le tenir bien promptement et sûrement sans l'ouvrir, et vous assurez qu'il [264] est tout pour votre bien et pour faire rendre à chacun ce qui lui appartient, à la gloire de Dieu et bonheur de notre Institut.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCI - À LA MÈRE CATHERINE-ÉLISABETH DE LA TOUR

SUPÉRIEURE À GRAY

Regrets de la mort de Sœur C. M. de Cusance. — Fondation définitive de la communauté de Gray. — Affaires touchant le rétablissement du monastère de Champlitte. — Reconnaissance duc à la Mère M. M. Michel.

Annecy, 1er juin 1640.

Ma toute chère et bien-aimée fille,

Voici le supplément de ma réponse à votre lettre, votre messager n'ayant voulu donner nulle sorte de loisir d'écrire. Tels messagers sont bien désagréables et bien mortifiants.

J'avoue, ma très-chère fille, que vous avez sujet d'être sensiblement touchée de la séparation de votre chère petite fondatrice, votre bien-aimée Sœur Claire-M. -Françoise [de Cusance] ; mais il faut confesser aussi que ces jeunes âmes-là sont bienheureuses, qui, après s'être données à Dieu en un âge si innocent, et persévéré avec une si extraordinaire ferveur de dévotion et exactitude, sont allées en paix si saintement. Mon Dieu ! ma chère fille, que j'ai été consolée que cette chère Sœur ait reçu ma lettre avant son départ de cette vie, et qu'elle ait eu tant de bonté pour moi que de se souvenir de prier pour moi si peu de temps avant son heureux passage ! Vraiment, cela me fait espérer qu'étant proche de notre bon Dieu, elle augmentera en charité dans cette source éternelle, et me fera la grâce de réclamer les divines miséricordes [265] sur moi. Je suis bien consolée que vous l'ayez mise en dépôt chez les bonnes Mères Annonciades ; mais c'est un petit trésor qu'il faut bien retirer quand vous aurez une maison à vous, et un lieu propre, comme aussi le corps de la bonne Mère [de la Tour-Remeton] défunte de Champlitte.

Cependant, ma très-chère fille, vous voilà Mère de Gray.[77] Béni en soit notre bon Dieu, et veuille bénir votre conduite en ce second triennal ! car je ne doute nullement que nos bonnes Sœurs ne vous aient réélue. Vous désirez savoir, ma très-chère fille, si Gray doit être une transfération de monastère ou une fondation nouvelle. Il m'est avis qu'absolument ce doit être une fondation nouvelle, qui se doit faire comme les autres, et le jour de votre établissement à Gray se comptera dès le jour que votre Père spirituel fera la publication de vos permissions, que l'on dira une messe solennelle avec sermon, exposition du Saint-Sacrement et le reste comme dit le Coutumier ; car, ma très-chère fille, la ville de Champlitte étant un joli lieu si capable d'établissement, y ayant des biens-fonds, une maison, et si j'ai mémoire, de bons privilèges, il me semble qu'il faut laisser subsister cette maison-là.

Quant à la demande que vous me faites, si une partie des biens de Champlitte doit demeurer à Gray, ou s'il faudra que la maison de Gray, quand l'on ira remettre Champlitte sur pied, rende tout, ma très-chère fille, ceci est une chose bien importante et bien considérable : voici ce qui me semble raisonnable. C'est que les Sœurs de Champlitte s'étant, dans leurs afflictions, retirées à Gray, et y ayant commencé une maison et reçu des filles, toutes doivent vivre cordialement ensemble, tant du bien qu'on leur peut tirer des fonds et rentes de Champlitte que du [266] bien des dots des filles reçues à Gray, sans que le monastère de Gray soit obligé de tenir compte des rentes des biens de Champlitte ; cela s'en allant par égalité de dépenses. Mais il me semble que vous devez soigneusement mettre en écrit tout ce que la maison de Champlitte a vaillant, et les meubles et ornements plus principaux qui ont été apportés à Gray, afin que, quand il faudra retourner à Champlitte, on le rende, ou que l'on s'accommode amiablement et cordialement ; car comme il ne vous reste que huit Sœurs de Champlitte, sans doute, quand il y faudra retourner, l'on y en mènera davantage, et cela toujours déchargera la maison de Gray.

Ma très-chère fille, je vous dis tout ceci par forme de pensées, mais non pour choses déterminées ; je ne le peux ni dois faire, moi étant éloignée et ne voyant pas les choses, et les lettres étant sans réplique. Comme je vous l'ai déjà dit, la chose est de telle considération que ni vous ni moi n'en devons déterminer. Prenez l'avis de MM. vos Pères spirituels de Champlitte et de Gray, du Révérend Père recteur des Jésuites, du bon et vertueux M. Forestier et de quelques amis de votre maison, qui soient de justice et entendus aux affaires ; et avec ces bons avis et le conseil de vos Sœurs faites votre délibération, laquelle doit être mise par bon écrit, bien signée ; et comme vous êtes sous deux prélats, il faut, pour agir en cela stablement, le consentement et l'autorité de l'un et de l'autre. Enfin, ma chère fille, conseillez-vous bien de ceux qui sont sur les lieux, si les délibérations doivent se prendre présentement.

Il est vrai, ma très-chère fille, que je ne pense pas que ma bonne Sœur la Supérieure de Fribourg pense plus à Champlitte, et nous lui ôtons du tout l'espoir de Salins, crainte que cela ne cause quelque mésintelligence. Certes, elle est digne de compassion, et pour moi je la plains extrêmement de se voir là sans aucune assurance, des filles sur les bras, et ne sait où prendre pour leur entretien et nourriture, et des filles de Bourgogne [267] desquelles elle ne pourra jamais tirer de bonnes dots, si elles n'ont un lieu assigné dans la Bourgogne pour leur retraite. J'espère de la grande débonnaireté de Mgr de Besançon qu'il leur donnera retraite en quelque ville de son diocèse, en cas qu'elles ne soient pas reçues à Fribourg. Certes, tout bien considéré, vos maisons de Besançon et de Champlitte, de Gray et de Salins, ont grande obligation à cette bonne Mère-là, Dieu s'étant servi d'elle pour faire beaucoup en Bourgogne ; et si on ne lui peut pas donner toute la satisfaction qu'elle désirerait, au moins est-il plus que raisonnable de lui témoigner du respect, de la reconnaissance, et la tenir en estime, lui faisant et procurant tout ce que légitimement l'on peut pour sa consolation et pour son soulagement. Ma Sœur la Supérieure de Besançon me paraît un vrai bon cœur ; mais je lui écris afin qu'elle fasse un peu entrer ses Sœurs en considération sur ce que cette bonne Mère a fait pour elles. — Ma très-chère fille, pour ce que vous me mandez du vœu que j'avais fait pour la santé de feu notre chère Sœur Claire-Marie [de Cusance], il me semble que lorsque les choses pour lesquelles l'on voue ne réussissent pas, l'on n'est pas obligé, si l'on ne veut, à accomplir le vœu. Cela étant, il serait à votre liberté ; mais, si vous voulez, demandez-le à quelque personne de doctrine.

Ma lettre était écrite jusqu'ici, ma très-chère fille, quand il m'est venu une pensée en l'oraison, touchant votre affaire ; m'étant venue en si bon lieu, j'ai bien voulu vous la dire tout simplement. C'est donc, ma très-chère fille, que j'ai fait réflexion sur ce que vous me dites que vous vivez sur les dots des filles reçues à Gray, que votre maison de Gray n'a nul avantage que les huit mille livres cédées par Besançon, et que vous n'avez que huit filles de Champlitte. Tout cela considéré, possible serait-il bon de faire un entier transmarchement des personnes des Sœurs, et des biens de Champlitte à la fondation de Gray, et votre maison et vos biens en fonds qui sont à Champlitte, les [268] vendre à nos Sœurs de Fribourg pour acheter une maison à Gray, où je vois que vous n'avez encore ni fondement ni maison propre. Faisant ainsi vous feriez une fort bonne maison à Gray et accommoderiez nos pauvres Sœurs de Fribourg ; ainsi Champlitte et Gray subsisteraient. Voilà ma pensée, ma très-chère fille : prenez l'avis. des sages et des amis, comme je vous ai dit ci-dessus ; et ce qui sera jugé le mieux à la gloire de Dieu, et selon l'esprit de notre saint Fondateur, qu'il soit fait et conclu à la garde de notre bon Dieu, qui ne manquera pas de bénir les entreprises où l'on ne regardera qu'à faire sa divine volonté ! C'est en icelle, ma très-chère fille, que je vous chéris d'une affection toute maternelle.

Je vous en assure, Mgr notre digne prélat a reçu fort agréablement votre lettre ; il revint seulement avant-hier de sa visite, et ne l'avons vu qu'aujourd'hui, qui m'a recommandé de vous saluer de sa part, et vous donne sa grande bénédiction. Je pense que, s'il s'en souvient, il vous fera réponse, mais il est fort accablé d'affaires ; aussi suis-je certes bien, moi, mais vous voyez pourtant, ma très-chère fille, quelle grande lettre je vous écris ; que cela soit un petit témoignage de ma vraie dilection, et combien je suis véritablement, ma très-chère fille, votre, etc.

[P. S.] Mon Dieu ! ma fille, si vous pouvez aider à faire terminer ces tracasseries de Fribourg et de Besançon, faites-le. Je me confie en la bonté de votre cœur que vous le ferez, et me croyez toute vôtre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [269]

LETTRE MDCCII - À LA MÈRE MARIE-SUZANNE LESCALOPIER[78]

SUPÉRIEURE À POITIERS

Vertus nécessaires à une Supérieure. — Éloge de la Sœur A. M. de Lage de Puylaurens.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 3 juin 1640.

Ma bonne et très-chère sœur,

Dieu m'a donné assez de connaissance de votre chère âme, pour me bien ressouvenir de Votre Charité, sur laquelle je suis très-aise que le sort soit tombé pour la conduite de cette chère maison, espérant que Notre-Seigneur en sera glorifié. Ma très-chère Sœur, tenez-vous très-humble devant sa divine Bonté, et vous verrez que, marchant en sa présence avec cet esprit de bassesse et méfiance de vous-même, vous confiant en son divin secours, qu'il vous bénira et toute votre famille. Je vous conjure, ma très-chère fille, de faire tout votre gouvernement dans [270] cet esprit d'humilité, de rondeur et simplicité, de douceur et de suavité, mais qui n'empêche pas la gravité et fermeté avec laquelle une Supérieure doit agir pour maintenir et faire marcher chacun dans une fidèle observance, autant qu'il se pourra. Tenez-vous fermement appuyée en la sainte confiance en Dieu, et après cela aux bons et sages avis de ma très-chère Sœur la déposée : je suis assurée de sa véritable vertu qu'elle sera, dans votre communauté, un flambeau de bon exemple par son humilité, recueillement et exactitude.

Vous avez bien raison, ma très-chère fille, de désirer qu'elle demeure en votre maison ; aussi n'avons-nous garde de penser à l'en tirer, voyant bien qu'étant toute naissante comme elle est, sa présence y est nécessaire pour l'utilité de votre monastère et le soutien et consolation de votre bon cœur, que je supplie derechef, non-seulement de s'approfondir continuellement devant Dieu, mais aussi de s'élargir incessamment en la confiance de ce divin Sauveur qui, vous ayant mis le fardeau sur les épaules, ne manquera jamais à vous donner, comme dit la Règle, « la force et la lumière dont vous avez besoin », pourvu que votre âme ait là un filial recours. Je supplie sa Bonté vous en faire la grâce, et vous, ma très-chère fille, je vous conjure d'avoir un peu de souvenir de mes très-grands besoins devant ce bon Dieu, en l'amour duquel je suis d'un cœur sincère, votre très-humble et indigne Sœur et servante en Notre-Seigneur, toute vôtre de cœur.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Poitiers. [271]

LETTRE MDCCIII - À LA MÈRE MARIE-SUZANNE BAUDET

SUPÉRIEURE À NEVERS

Remercîments pour l'envoi d'une serviette de communion. — Divers points d'observance relatifs à la clôture et aux vêtements.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 7 juin 1640.

Ma très-chère fille,

Loué soit le Très-Saint Sacrement de l'Autel !

C'est au jour de la solennité de la fête du Saint-Sacrement que j'emploie l'occasion de vous saluer cordialement et de vous dire que nous avons reçu votre boîte, et, comme je pense, toutes vos lettres. N'en soyez donc plus en peine, mais recevez, s'il vous plaît, de la part de notre communauté et de nous, le très-humble remercîment que nous vous faisons de la belle serviette de communion que vous nous avez envoyée, laquelle, selon votre intention, nous avons offerte à notre Bienheureux Père, et l'avons soigneusement serrée avec l'ornement de la tant désirée canonisation. Vraiment, ma chère fille, vos Sœurs travaillent merveilleusement bien ; nos Sœurs, quoique assez bonnes ouvrières, ne sauraient tant faire ; il est vrai qu'elles ne savent pas ce point à deux envers. Embrassez chèrement nos Sœurs qui ont fait ce bel ouvrage, et leur dites que nous souhaitons que leur âme soit le blanc et très-pur fond sur lequel le divin Époux trace et travaille à son gré, sans qu'elles y apportent aucune résistance. Et, bien que toute la communauté ne soit pas brodeuse, nous souhaitons en faveur de la sainte unité que la charité a établie entre nous, que toutes aient part à nos remercîments et à nos souhaits, comme nous désirons que toutes nous fassent part de leurs prières, afin que nous employions ce saint temps selon les intentions de notre Mère la sainte Église.[79] [272]

Il me vient au cœur, ma chère fille, de vous recommander de ne jamais ouvrir vos portes qu'aux fondatrices ou bienfaitrices : les entrées des dames qui ne portent pas ces titres sont fort censurées et regardées de bien près ; je ne vous dis pas ceci sans sujet. Vous avez un si digne prélat et père, Mgr de N., que je m'assure que sa bonté et sa piété vous soutiendront pour vous maintenir dans votre plus parfaite observance. Vous êtes bien heureuse, ma chère fille, d'être pourvue d'un seigneur si plein de mérite. Dieu vous le conserve longuement pour sa gloire et pour votre bien ! — Vous vous devez rapporter à sa seigneurie pour votre catalogue, et s'il veut que vous y soyez remise, il ne faut pas résister. Soumettez vos désirs à la sainte volonté de Dieu. Si sa Providence vous veut décharger, bénissez-la, et jouissez du repos pour vous humilier et tenir toujours plus proche de sa Bonté ; si elle vous recharge de la Supériorité, bénissez-la encore, et travaillez avec humilité et confiance en la bonne conduite de votre maison.

Quant à ce que vous me demandez si l'on peut se dispenser dédoubler les manches en été, je vous dis qu'oui ; c'est une omission au Coutumier, nous l'avons mise dans les corrections. Cela sera en liberté pour les maisons établies en pays chaud, ou pour les Sœurs qui en seraient incommodées. — Oui, ma fille, la Supérieure peut dispenser de porter les petites manches dans les excessives chaleurs ; mais, véritablement, je ne voudrais pas qu'elle dispensât les Sœurs de porter leurs cottes ou tuniques, cela étant tout à fait contre la modestie de n'avoir que la seule robe. Il faut que nos bonnes Sœurs s'accoutument de pratiquer la mortification aux souffrances qu'apporte la diversité des saisons, comme en toute autre chose. — Cette lettre vous sera remise par M. Duhamel, qui est de nos bons messieurs Missionnaires de cette ville. Il sort de maladie ; ce qui me fait vous conjurer que, [273] s'il retombait malade et que vous le puissiez servir, vous l'ayez en recommandation, comme si c'était mon propre frère. Je salue toutes nos chères Sœurs, auxquelles je souhaite la perfection du divin amour, et suis votre, etc.

LETTRE MDCCIV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Maternelles sollicitudes pour cette Supérieure et sa communauté. — La peste ravage la Provence ; elle a fait une victime au monastère de Mamers.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 8 juin 1640.

Ma très-chère fille,

Par le passage de ces bonnes Sœurs converses de Sainte-Claire d'Evian je veux vous souhaiter la bonne fête, et vous dire, ma chère fille, que certes je suis fort en peine d'une nouvelle que l'on nous a dite, que le mal s'était pris de nouveau dans Thonon, et qu'il y avait sept maisons frappées. Mon Dieu ! ma chère fille, n'y a-t-il point moyen que vous nous fassiez savoir un peu plus souvent de vos nouvelles ? Je vous en demande au moins par la voie de M. Quêtant, et vous prie que vous vous conserviez : si le mal passait plus avant, j'ai confiance en la prudence et charité de votre bon Père M. Quêtant, qu'il pourvoira pour vous faire éviter le danger. L'on est aussi en cette ville dans des appréhensions à cause de l'abord continuel de toutes sortes de personnes. Nos pauvres maisons de Provence sont quasi toutes dans le hasard, et nos Sœurs de Mamers ont la peste chez elles, leur étant décédé une petite Sœur. Voyez, ma très-chère fille, si nous avons occasion de nous mettre efficacement et effectivement entre les mains et à la merci de notre bon Dieu. Sa Bonté veut que toutes nos Sœurs et nous aussi se portent bien, grâce à Dieu. [274]

Ma très-chère fille, je vous prie que, si vous trouvez commodité, vous nous envoyiez votre grand livre des Vies que Claude-Louis a écrites pour votre monastère, sur la copie corrigée que nous vous avons envoyée, et nous vous donnerons pour Thonon celui qu'il avait écrit pour céans ; car Thonon est un monastère voisin et de confiance, capable de nos rayures et colures de papier. Je désire d'envoyer au plus tôt nos livres à Paris, et m'est venu en pensée, si l'on pouvait les faire imprimer d'une impression secrète, comme les Réponses, que ce serait le mieux ; autrement jamais les monastères ne les pourront avoir, et l'on ne cesse de nous les demander. Je prie nos Sœurs de Paris et Lyon de m'en dire leur pensée, et vous aussi, ma très-chère fille, qui savez assez sans que je le redise, de quel cœur je suis entièrement toute vôtre, toute, toute, en toute sincérité.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCV (Inédite) - À LA MÈRE ANNE-CATHERINE DE BEAUMONT

SUPÉRIEURE À PIGNEROL

Nouvelles de la famille de Beaumont. — On ne doit pas admettre les jeunes filles au noviciat avant leur quinzième année. — Avis relatifs à deux dames séculières. — Dangers auxquels sont exposées les Sœurs de Turin. — La peste sévit en Savoie.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 12 juin 1640.

Ma très-bonne et très-chère fille,

Nous avons reçu vos lettres du 7 mai, par lesquelles je connais, ce me semble, que vous n'avez pas reçu toutes les nôtres, mais possible les recevrez-vous. Cependant, je vous dirai, ma très-chère fille, que nous avons vu, il n'y a que deux ou trois jours, le bon Père Gardien, qui certes se fait tous les jours meilleur. C'est une âme bien unie à Dieu et bien agréable à sa Bonté. [275] M. de Beaumont était ici la semaine passée pour les accommodements de M. du Noiret et de M. d'Epagny ; il n'y a encore rien de conclu, il doit revenir pour cela. Tous se portent bien, Dieu merci. Il fallait bien dire ce mot de bonnes nouvelles à ma très-chère fille avant que de passer à parler d'affaires.

Premièrement, ma très-chère fille, M. le grand vicaire m'aurait bien mortifiée s'il vous avait fait déposer cette année et ne vous avait pas fait faire le tour, car votre maison n'a pas besoin de perdre plusieurs mois de votre conduite, que Dieu lui rend utile. J'espère que Notre-Seigneur aura tout conduit, et que vous serez retardée jusqu'à l'année qui vient.

Je suis bien aise que la petite Vibo ait permission de ses parents d'être mise à son essai et qu'elle le désire bien ; mais je sais que vous n'auriez garde de lui donner l'habit qu'elle n'ait ses quinze ans accomplis : quelquefois ces longs essais alentissent et lassent les filles. Toutefois, elle est en bonnes mains [étant entre] les vôtres, ma très-chère fille ; vous saurez mieux que moi connaître ce qui sera pour son mieux : je n'en suis nullement en peine. Il n'est que bon de la tenir en haleine au sujet de la petite pour domestique, à laquelle pourtant il ne faudrait donner l'habit premier qu'à elle, crainte de lasser et refroidir, et qu'il n'est que bon aussi que cette Sœur domestique fasse un peu un grand essai. Quant à la petite Anselme, elle me parut bien gentille quand nous la vîmes ; et puisqu'elle a l'âge et la bonne volonté, je crois, ma très-chère fille, que vous ne devez rien attendre pour lui donner l'habit, cela animera les autres.

Je suis bien aise que M. le grand vicaire ait permis à la bonne madame N. d'entrer chez vous. Mon Dieu ! qu'elle serait heureuse si elle pouvait ne plus penser à se remarier ; mais si elle demeure paisible avec vous en qualité de bienfaitrice, certes qu'elle ferait bien pour son âme et un grand profit pour votre maison. Il faut recommander cela à Dieu, comme étant à Lui [276] seul à qui appartient de toucher les cœurs, et leur donner de saints désirs et de bonnes résolutions. — Quant à notre madame Blanc, de vrai, ma très-chère fille, vous feriez bien de la laisser sortir le moins qu'il se pourra, car elle a une langue qui va bien vite, non par mauvaise volonté, comme je crois, mais par naturel. Mais de penser la garder dans la maison pour lui donner l'habit, je vous assure qu'il faudrait, ce me semble, que Dieu fît un miracle en elle. Il faut avoir patience pour maintenant. Quand vous serez logées et mieux accommodées, vous serez quittes pour lui donner quelque chose, et qu'elle se loge ailleurs. Quant à moi, j'aimerais toujours mieux ce parti-là, que de charger une maison d'un esprit qui y doit apporter du trouble, vu que rien n'est désirable que le repos et la paix en la maison de Notre-Seigneur.

Vous pouvez penser, ma chère fille, si je suis en peine de nos bonnes Sœurs de Turin, desquelles nous ne pouvons avoir des nouvelles, bien que l'on nous dise qu'encore que la ville se prendrait on conservera les églises et les couvents, ce qui sera bien digne de la piété des cœurs chrétiens. Enfin nous sommes bien entre les mains de Notre-Seigneur : son éternelle Providence sait ce qu'elle veut faire de nous toutes. — Notre maison de Thonon et quasi toutes celles de la Provence sont dans les hasards de la peste, et elle est aussi en sept maisons de Chambéry, et nonobstant [les habitants] ne laissent de fréquenter partout, ce qui fait craindre qu'ils la sèmeront ici et en tout ce pays. Dieu par-dessus tout ! qui fera de nous, s'il lui plaît, son très-saint et bon plaisir.

Le bon M. le grand vicaire vous surprit bien ; les esprits de là sont soupçonneux. Je m'assure qu'il ne fera pas ainsi une autre fois, puisqu'il a trouvé tout en si bon ordre ; et je vous assure, ma très-chère fille, qu'il n'y aurait pas grand mal, si l'on faisait telle surprise en quelques maisons : l'on n'y trouverait pas toutes choses si bien redressées, comme quand l'on [277] sait le jour que le Visiteur doit entrer. Enfin, ma très-chère fille, votre alarme a été courte et s'est terminée à l'édification du Supérieur, ce qui lui donnera plus d'estime et de confiance.

Vous m'obligerez bien, ma très-chère fille, de ne vous point lasser de supporter notre pauvre Sœur N. ; votre douceur et charitable amour maternel la rétabliront, Dieu aidant, dans le bon train où je l'ai vue autrefois. J'en ai toujours de la douleur et de la compassion quand j'y pense. — Ma fille, mon âme chérit la vôtre d'un amour incomparable, et je sens que la vôtre toute chère fait le même. Dieu en soit béni et nous tienne dans son Cœur.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Toulouse.

LETTRE MDCCVI (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Désir d'avoir de ses nouvelles. — Périls où se trouve le monastère de Turin.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 25 juin 1640.

Ma très-chère fille,

J'emploie toutes les occasions pour savoir de vos nouvelles, car j'en voudrais avoir tous les jours. Je crois que vous employez toutes les occasions que vous pouvez, et je vous prie de le faire toujours.

Pour l'amour de Dieu, ayez un grand soin de conserver votre maison, et que vos hommes aillent si matin à l'eau qu'ils n'y puissent rencontrer personne. La divine Bonté vous conserve ! Je vous supplie de prier et faire prier incessamment pour ce désolé Piémont, où l'on dit qu'il se doit faire de furieux combats d'ici au 5 du mois prochain. Hélas ! nos pauvres Sœurs de Turin, quand je me les représente, me font grande pitié. J'ai [278] confiance que Dieu les soutient, et qu'elles se tiennent en paix sous sa divine protection au milieu d'une si cruelle guerre. Notre-Seigneur leur en fasse la grâce, et vous conserve et comble de son saint amour et toutes nos Sœurs.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCVII - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

L'union cordiale est le caractère des enfants de Dieu. — On ne doit pas faire des avertissements pour des choses qui ne sont pas contre l'observance. Comment on les fait a Annecy. — On peut avancer Complies les jours de fête. — Chant des litanies, seconde table, quart d'heure du soir. — Les grâces extraordinaires sont périlleuses sans l'humilité.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 8 juillet 1640.

Ma très-chère et très-aimée fille,

Voilà un grand sujet de bénédiction que cette union cordiale et universelle des Sœurs les unes envers les autres, et avec Votre Charité et ma bonne Sœur la déposée. Il faut très-jalousement conserver cette paix et bonne intelligence : c'est la marque des enfants de Dieu. Vous me dites encore que tout ce qui est de l'Institut est pratiqué au pied de la lettre ; c'est un nouveau sujet de bénir Dieu pour moi, qui vous conjure de tout mon cœur de faire continuer vos Sœurs dans ce bon train par la voie d'une profonde humilité ; car c'est cette bénite vertu qui vous rendra agréables à Dieu.

Au reste, ma fille, j'ai toujours eu de fort bons témoignages de la vertu de notre Sœur N., et l'on voit que Dieu a béni sa conduite. Ne permettez point aux filles de la désapprouver : si, comme il n'y a nul de parfait que Dieu, elle a fait quelque manquement par promptitude, rendez-vous sage par l'exemple d'autrui, faisant les choses plus mûrement. Si elle a fait la correction trop fréquemment et sur de légers sujets, tâchez de [279] vous y rendre considérée. Il est vrai que la Supérieure doit avoir attention de ne point importuner l'esprit des Sœurs sur toutes sortes de menus manquements qui n'ont pas de suite, et desquels on voit qu'elles-mêmes se relèvent, et doit être aussi attentive à ce que les Sœurs ne se tracassent point l'une l'autre par de petits avertissements des choses qui ne sont pas de l'observance ni écrites. C'est un point dont nous avons prié nos Sœurs les Supérieures, et de ne point donner d'assujettissement nouveau aux Sœurs, mais de leur faire observer amoureusement ce qui est de leurs obligations. Nous avons céans une grande communauté, et il est rare que les avertissements durent l'espace d'un demi-Miserere ou d'un entier. Il est vrai que, par la grâce de Dieu, cette communauté marche d'un bon pas dans les observances, et les Sœurs, quoique fidèles à se faire la charité, ne se pointillent ni surveillent les unes les autres. Vous savez, ma chère fille, que sur les coulpes et avertissements trois ou quatre bonnes paroles douces et fermes suffisent, et profitent plus que de grands discours ; aussi n'est-ce pas le temps de les faire.

Si les Sœurs de la seconde table ont fini de dîner ou souper avant la lecture d'un quart d'heure, elles ne sont pas obligées d'en attendre la fin. Toutefois il me semble que le temps d'un quart d'heure n'est pas suffisant pour prendre leur réfection, pour faire cette action avec la tranquillité et modestie qui doivent reluire en tous nos déportements. — Pour ce qui est d'avancer Complies les fêtes, nous tâchons de dire justement Ave, Maria, ou Deus, in adjutorium, à cinq heures, et Complies et les litanies ne durent qu'environ demi-heure, en sorte que, pour l'ordinaire, l'oraison se finit quand six heures sonnent. Il faut que vous teniez l'Office trop long, ou que vous fassiez trop de fredons et façon au chant des litanies, ou que vous les disiez doubles, ce que nous ne faisons pas sinon jusqu'à Sancta Maria ; puis la Sœur qui les chante dit un verset et les Sœurs, l'autre. — Ce n'est pas contre le Coutumier de faire le quart d'heure du soir [280] un peu plus court les jours de fêtes, bien que d'ordinaire nous le fassions céans également. Ces petites choses-là, pour le meilleur ordre de la maison, doivent demeurer au jugement de la Supérieure.

Je ne sais quasi, ma très-chère fille, que vous répondre pour cette bonne Sœur domestique ; véritablement, comme vous dépeignez son esprit et sa conduite, il faudrait que ma Sœur N. n'eût point eu tout à fait de lumière pour les choses de l'esprit pour approuver et confirmer, comme vous me faites entendre, par ses avis, le chemin et le procédé de cette fille ; j'ai un peu de peine à comprendre et digérer cela. Il faut tenir ces filles attachées à la solide pratique, et qu'elles sachent s'humilier. Vous avez fort bien fait de lui faire connaître que tout cela n'est que vain amusement d'orgueil et d'amour-propre, et de la tenir basse et attachée aux exercices de sa condition. Toutes ces belles choses si hautes et spirituelles sont d'ordinaire fort douteuses ; et surtout on est assuré de leur vide quand elles ne sont pas pleines d'humilité. L'Esprit de Dieu ne repose que sur les humbles, et ne remplit de lui-même que les âmes qui se vident généreusement de toutes leurs propres recherches et intérêts : tâchez de bien inculquer cette vérité en vos filles. Je les salue cordialement, et leur souhaite la plénitude des dons sacrés du Saint-Esprit et à M. votre très-bon Père spirituel.

Au reste, ma très-chère fille, je suis un peu en peine de votre fièvre ; certes, voyez-vous, il vous fallait joindre à l'avis de ma Sœur N. et ne point vous laisser faire tous ces remèdes. Quand les abattements et faiblesses corporelles viennent par abstraction de l'esprit, que peuvent les médicaments, que ruiner la santé ? En ce temps-là, ils ne peuvent rien sur ce mal. Il se faut divertir extrêmement, parce que la nature alors ne prend pas de nourriture, et par conséquent demeure affaiblie, c'est ce que l'expérience à la conduite a appris. Cette diète, ces bains et médecines vous ont, si je ne me trompe, acquis cette fièvre [281] lente, cela étant tout propre à brûler le sang de mettre feu sur feu. Quand ces abstractions et attraits extraordinaires du ciel arrivent à une âme, il faut simplement avoir patience que cela soit passé, car ils ne durent pas longtemps, et alors on peut reprendre des forces. Tenez cette maxime : quand les maux du corps viennent du feu du dedans, laissez agir ce feu sans médecine. — J'ai oublié de vous dire, ma très-chère fille, que, bien que vous puissiez quelquefois accourcir le quart d'heure, il n'en faut pas faire coutume. Il faut que nos litanies et le reste que nous chantons s'ajustent au temps que l'Institut nous a donné pour telles actions, afin que toujours, tant qu'il se pourra, l'on suive exactement toutes les heures marquées pour chaque exercice. — Adieu, ma très-chère fille, je suis de cœur votre, etc.

LETTRE MDCCVIII - À MONSIEUR NOËL BRULART, COMMANDEUR DE SILLERY

À PARIS

Heureux succès dont sont couronnés les travaux des Prêtres de la Mission.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Quant à vos bons Missionnaires, le fruit en est si grand qu'il ne se peut exprimer. La gloire en soit à Dieu, et la récompense à votre digne et charitable cœur, qui sera couronné du salut de tant de milliers d'âmes que ce bienfait acquiert à Dieu. Oui, mon vrai Père, je crois que cette mission en conduira plus au ciel, que ne feront peut-être douze d'autres, tant cet évêché est grand et nombreux en peuple et les âmes bien disposées ; et c'est pourquoi notre bon Dieu, voyant que cette moisson est grande, a inspiré à votre charitable âme d'augmenter le nombre des ouvriers ; ce qui me donne bien au cœur, avec la vue [282] continuelle que je veux avoir de votre incomparable bonté pour nous et innombrables bienfaits, qui me font avouer ce que vous dites, que jamais je ne saurai parvenir à la connaissance de votre incomparable dilection pour moi en particulier et pour tout l'Institut. Aussi certes me semble-t-il que ce que j'en ressens ne se peut exprimer, non plus que l'amour et la révérence que Dieu m'a donnés pour vous, qui nous êtes plus que père ; et vous suis plus intimement fille et très-humble servante qu'il ne se peut dire.

LETTRE MDCCIX - À SAINT VINCENT DE PAUL

À PARIS

Même sujet.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Mon très-cher Père,

Nous avons reçu la vôtre du 14 mai assez tard. Croyez que l'affection et désir que Dieu nous a donnés de chérir et servir vos chers enfants ne produisent aucun [effet] comparable à notre dilection, qui voudrait bien avoir le pouvoir d'en faire davantage ; mais ils sont si bons, qu'ils font état de peu de chose. Au reste, la sainte édification et utilité de leur vie, leurs fonctions continuelles à la très-grande gloire de Dieu et profit des âmes, font dire à chacun qu'ils sont envoyés de Dieu et que M. Codoing a l'esprit de Dieu. Notre très-bon père M. le commandeur m'écrit que, si l'on veut, il fera que la maison de Troyes fournisse encore deux Pères et un frère. Dieu sait si de bon cœur Mgr de Genève l'acceptera ; car ce diocèse est de quatre cent cinquante-cinq paroisses catholiques, et cent quarante-cinq que les hérétiques tiennent, qui font six cents, mais grandes paroisses et très-populeuses. Aussi M. Codoing dit qu'il faut quatre ans [283] pour faire le tour. Voyez, mon très-cher Père, si l'accroissement à ce bienfait ne sera pas utilement employé. Vos chers enfants sont ravis de trouver un peuple si bien disposé ; la gloire en soit à la Très-Sainte Trinité ! Oh ! la grande couronne qui vous attend, mon très-cher père, et notre très-cher Père M. le commandeur par le bon emploi qu'il fait de ces fidèles ouvriers. Je pense que cette mission ici mettra plus d'âmes en paradis que plusieurs autres, moyennant la divine grâce.

LETTRE MDCCX - À LA MÈRE MADELEINE-ÉLISABETH DE LUCINGE

SUPÉRIEURE À TURIN

Bonheur d'une âme dépouillée et abandonnée au bon plaisir divin. — Dieu donne les inspirations nécessaires aux Supérieures qui réclament sou secours. — Espoir que la communauté sera préservée de tous dangers.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy. 1640.]

Ma très-chère fille,

Vous avez fort bien fait de recevoir ces trois petites filles ; vous les lairrez en leurs habits ordinaires jusqu'à ce qu'elles vous demandent le petit habit, et que vous jugiez à propos de le leur donner. Je regarde l'entrée de ces petites filles comme un effet de la divine Providence sur votre maison.

Ma fille, Dieu se plaît à votre dépouillement. Que vous serez heureuse si vous conservez les lumières que vous avez reçues ! Il ne fallait que cette entière détermination de vous abandonner vous-même entre les mains de Dieu, vous laisser à son soin, et prendre celui d'agrandir sa gloire en. vous et en vos filles, employant à cela toutes vos forces, vos affections et votre attention, sans être revêtue d'aucun intérêt, pour spirituel qu'il soit. Oh ! que mon âme est contente de savoir la vôtre qui m'est si chère, en cet état si désirable ! Maintenez-la en ce bonheur, et de [284] plus en plus affermissez-vous en cette pratique, laissant à Dieu une entière liberté de vous employer selon son bon plaisir. Ma chère fille, je ne saurais vous exprimer la consolation que je ressens de cette grâce qui m'est d'autant plus sensible, qu'il y avait longtemps que je vous souhaitais dans ce dépouillement de vous-même ; mais il n'appartient qu'à Dieu de faire ces coups si absolus. Je le supplie d'accomplir ses desseins en vous. II y a un grand sujet de bénir sa Bonté qui vous a donné un si parfait amour à sa volonté et en des sujets assez amers à la nature ; c'est l'unique bien désirable en cette vie, tout le reste étant périssable C'est ce qui donne de l'étonnement à ceux qui regardent ce qui se passe de la part des créatures qui sont mortelles, et qui vivent dans l'incertitude d'avoir un moment de vie, et néanmoins suivent leurs passions déréglées. Dieu, par sa bonté, leur ouvre les yeux et leur fasse profiter de tout ! Puisqu'une seule feuille d'arbre ne tombe pas en terre sans sa permission, dans ces dangers j'espère que Dieu vous environnera et vous servira de rempart, bien qu'il ne le faille pas tenter ; car si vos Supérieurs jugeaient expédient de vous faire sortir de là pour vous mettre en quelque maison plus assurée, il le faudrait faire de bon cœur.

J'écris à M. votre vertueux confesseur ; il faut bien être reconnaissante des bontés et charitables assistances que vous recevez de lui. Dieu donne toujours aux Supérieures qui réclament son secours sans propre intérêt, les inspirations qui leur sont nécessaires pour le bien de leur maison. C'en fut une très-utile et nécessaire que celle que vous reçûtes de tirer à vous ce bon serviteur de Dieu ; il en faut avoir un grand soin, et le supplier de ne pas s'exposer tandis que les batteries dureront. Hélas ! qu'il vous est d'un grand appui en toute façon ! Cette certitude que j'ai en mon âme, que Dieu gouverne les maisons par les Supérieurs et Supérieures qu'il y a mis, m'empêchera d'y en destiner d'autres, ains je suis invariable en ces sentiments, [285] qu'il faut que les Supérieures fassent leur charge tant au spirituel qu'au temporel : et c'est une pure tentation de faire autrement, sous quelque prétexte que ce soit ; ce qui se doit entendre et pratiquer selon la règle, la charité et la nécessité, tant générale que particulière ; en sorte que si la Supérieure ne peut pas faire les choses elle-même, elle voie et sache comme elles se font. Votre, etc.

LETTRE MDCCXI - À LA SŒUR MARIE-FRANÇOISE DE CORBEAU[80]

ASSISTANTE ET MAÎTRESSE DES NOVICES, À TURIN

Tendresse pour les Sœurs de Turin. — Compassion pour une postulante éprouvée intérieurement ; comment la diriger.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Il est vrai, ma très-chère fille, que Dieu m'a donné un amour et tendresse tout extraordinaires pour la Mère et les chères filles de Turin, qui sont vraiment miennes, et je les sens et [286] porte dans mon cœur avec une dilection toute particulière ; et le progrès qu'elles font me donne une très-grande consolation. Oh ! Dieu par son infinie bonté veuille accroître leur courage et allégresse à la poursuite de son saint et pur amour, mais par une suave observance et cordiale dilection et obéissance à leur très-bonne Mère, et une sainte amitié et franchise entre elles.

Mon Dieu ! que je suis touchée des peines de la très-chère petite prétendante : ce sont bien des vraies tentations que ces craintes de son salut. Il faut qu'elle fasse bien simplement ce que ma Sœur la Supérieure et vous lui direz là-dessus, et la portez fort à l'abandonnement entre les mains de Dieu. Il la faut grandement conforter et l'assurer de son salut, si elle [287] persévère en la sainte crainte de Dieu et en sa vocation, et lui donner courage pour cela. Le diable, qui voit que cette petite âme est choisie de Dieu pour être une vraie fille de la Visitation et y réussir utilement, la trouble et veut divertir de son bonheur ; car je suis assurée que si elle quittait cette sainte vocation où Dieu l'a mise, que jamais elle n'aurait que troubles et remords de conscience. J'ai fort regardé ceci devant Dieu à la sainte communion, et ne puis m'empêcher de voir que Dieu la veut en cette vocation pour son bonheur. Et qu'elle considère bien ce qui l'attire ailleurs ; elle verra que ce ne sont que des espérances de choses humaines et incertaines, qu'il n'y a rien de Dieu, et partant que ce ne peut être son Esprit, lequel ne donne jamais aux âmes des désirs humains, ni d'entreprendre des fardeaux qu'elles ne peuvent porter. Elle n'a donc besoin sinon de l'humiliation, et fermer la porte à toutes les pensées qui la voudront retirer de la vocation où Dieu l'a mise ; ce que je dis sans autre regard que de la volonté de Dieu et de son bonheur. Il lui faut grandement inculquer le retranchement de toutes réflexions sur toutes ses peines, et Dieu bénira sa soumission. Il lui faut aussi donner du divertissement et des occupations ; et, si elle a courage et qu'elle prenne l'habit, avec une ferme résolution de persévérer, Dieu la bénira et dissipera tous ces nuages ; mais je répète qu'il faut absolument qu'elle n'arrête jamais volontairement sa pensée sur ses tentations. Je la salue tendrement, car je l'aime de cœur et ces trois chères premières novices, et toutes avec nos pauvres professes et votre bon cœur. Vous savez ce que je vous suis et à toutes ; priez bien Dieu pour moi, et je supplie sa Bonté vous combler toutes de son saint amour.

[P. S.] Il ne faut pas espérer des lettres de ma main : j'écris trop mal et je n'en puis plus.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [288]

LETTRE MDCCXII (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Refus d'une postulante. — Faire copier le livre des Fondations. — Appréciation que fait la Sainte de la Solitude de Philagie.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 14 juillet 1640.

Ma très-chère fille,

Je bénis de bon cœur Notre-Seigneur de quoi votre santé et celle de vos filles est en bon état, comme aussi la ville. Je supplie sa très-douce Bonté la rendre toujours meilleure, si tel est son bon plaisir et sa gloire. — Quant à cette femme dont vous me parlez, bien qu'elle aurait de bonnes conditions, il nous serait impossible de la recevoir, car nous n'avons plus de place.

Nous aviserons si nous vous enverrons le livre des Fondations et des Vies ; cependant, faites toujours continuer pour achever celui que vous avez commencé. — Je ne suis pas d'avis que vous fassiez dire vos messes à celui que vous me nommez. J'aime mieux que vous vous serviez pour un temps des Pères Capucins, puisque, grâce à Dieu, à présent il y a moins à craindre. — Nous avons lu le livre des Solitudes de Philagie : il est vrai qu'il y a trois chapitres qui seraient nuisibles à plusieurs filles, c'est pourquoi il serait bon que jamais aucune Religieuse de la Visitation ne les lût ; nous les avons fait couper, car le reste du livre est fort utile, et nous l'avons fait lire au réfectoire.

Ma toute chère fille, vivez joyeusement en Dieu, qui vous fait tant de grâces, et me recommandez toujours à sa divine miséricorde. Il soit béni ce bon Dieu éternellement, et sa sainte Mère et le glorieux saint Joseph et notre Bienheureux Père. Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [289]

LETTRE MDCCXIII - À LA MÈRE CATHERINE-CHARLOTTE DE CRÉMAUX DE LA GRANGE

SUPÉRIEURE À BORDEAUX[81]

La Sainte se réjouit de la fondation de Bordeaux. — Édification qu'on attend de ce nouveau monastère. — Souhaits de bénédiction.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma très-aimée et très-chère fille,

Mon Dieu ! que j'ai été consolée d'apprendre toutes les petites aventures de votre voyage, et comme enfin notre bon Dieu a réduit toutes choses à sa gloire et à notre utilité ! Nul bien sans peine, ma très-chère fille, et jamais Notre-Seigneur ne permit que les œuvres qui doivent beaucoup contribuer à sa gloire s'établissent que parmi plusieurs difficultés. Bénie soit son infinie Bonté qui les a terminées heureusement et de ce que vous êtes si bien accommodées avec vos chères Sœurs de Lyon. Certes, en ces grandes villes où tout est si cher, il est bien nécessaire d'être fondées.

Je me souviens bien que vous vous entendez à l'économie, et que vous ménagez bien : je sais encore mieux que vous avez beaucoup de lumières pour les choses de l'esprit et que vous êtes fort intelligente de tout ce qui est de l'Institut. Faites valoir [290] tout cela pour la gloire de Dieu et l'utilité des âmes qui sont sous votre charge. Ma fille, Dieu vous a colloquée et toutes vos chères compagnes en un lieu éminent, où vous serez regardées non-seulement de tout le peuple de cette grande ville, mais de toute la province, et avec des yeux et des esprits prévenus d'une merveilleuse estime de notre manière de vie, croyant que, comme filles de notre saint Fondateur, vous leur en devez représenter l'image vivante, par votre douceur, modestie, dévotion, sagesse et retenue en toutes vos paroles et actions, et enfin en la pratique des plus excellentes vertus qui reluisaient en lui.

Je ne doute point que persévérant en l'aimable et cordiale union qui règne entre nous, cela n'attire une très-abondante bénédiction sur ce nouvel établissement, où l'on verra croître et multiplier les plantes de toutes vertus. Je prie l'infinie Bonté qu'il en soit ainsi, et qu'il vous donne une si abondante plénitude de l'esprit de notre sainte vocation, que vous le puissiez répandre sur toutes lésâmes qu'il amène en votre Congrégation. Ma chère Sœur, surtout ayez de la douceur ; ne traitez rien avec ardeur, mais toutes choses avec un esprit paisible, humble, patient et condescendant en toute action légitime ; celles qui ne le sont pas, s'en retirer avec modestie, sans chaleur de parole ou d'action. Si vous ne m'étiez pas une fille précieuse, et que je désire qui réussisse à la gloire de Dieu, peut-être que je n'eusse osé vous dire tout cela ; mais votre bon cœur, qui a toujours été joint au mien, m'en donne confiance ; et vous êtes et vous serez toujours, ma très-chère fille, ma Mère ma mie, que j'aime chèrement. Dieu vous bénisse et toutes nos chères Sœurs vos filles et les miennes bien-aimées ! Priez toutes pour moi qui suis vôtre en Notre-Seigneur.

Extraite de l'Histoire inédite de la fondation de Bordeaux. [291]

LETTRE M DCCXIV (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-MADELEINE DE GRANIEU

À GRENOBLE

Promesse d'une communion générale et d'une neuvaine. — Les tentations ne sauraient souiller une âme qui les rejette.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma très-chère fille,

Je vous assure que s'il me fût été permis, nous fussions allées vers vous avec consolation ; mais il n'a pas plu à Dieu, puisque l'obéissance ne l'a pas agréé. Nous n'avons pas encore reçu votre tableau, ma très-chère ; aussitôt que nous l'aurons, nous l'offrirons selon votre désir, et cependant nous ferons demain la communion générale à votre intention, et je ferai une neuvaine ensuite, car j'ai fort à cœur la pureté et conservation de votre chère âme au saint amour de notre divin Sauveur. Ayez bon courage, ma très-chère fille ; ne vous étonnez ni effrayez pour les assauts qui vous sont donnés, sur l'assurance que vous devez avoir que tout l'enfer ensemble ne saurait souiller une âme qui dénie son consentement au mal, car il n'y a que la volonté qui fasse le péché. Souffrez donc les attaques avec humilité, et vous fortifiez dans une absolue confiance que Dieu vous tirera de la fournaise de cette affliction pure et reluisante comme l'or qui sort du creuset, si vous lui êtes fidèle à ne vouloir point le mal, comme j'espère qu'il vous en fera la grâce, ainsi que de toutes mes forces j'en supplie sa Bonté par les intercessions de notre Bienheureux Père, qui, je m'assure, a un soin tout particulier de vous. Nos Sœurs prient de bon cœur pour vous, sans savoir qui vous êtes. Ayez patience et courage, et vous déterminez d'être toute à Dieu, et vous verrez sa gloire. Je suis d'une affection très-sincère toute vôtre en Notre-Seigneur.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Chambéry.

LETTRE MDCCXV - À LA MÈRE MARIE-JACQUELINE FAVRE

SUPÉRIEURE DE LA COMMUNAUTÉ DE SAINT-AMOUR RÉFUGIÉE À BOURG EN BRESSE

Heureuses sont les âmes dont l'exil en ce monde est abrégé. — Prendre conseil pour le choix de la ville où elle devra transférer sa communauté chassée de Saint-Amour. — Regret de ne pouvoir la secourir.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 24 juillet 1640.

Ma très-chère et bien-aimée fille,

Je me réjouis avec Votre Charité de la consolation que vous possédez en la présence de notre très-aimée Sœur la Supérieure de Bourg. Je ne doute nullement que la suavité de sa conversation ne vous apporte beaucoup de bien, aussi bien que l'exemple de ses vraies vertus. Mais, ma très-chère fille, j'apprends que votre santé est bien petite ; certes, cela me touche pour la perte que nos bonnes Sœurs feront si tôt de votre chère personne ; car pour vous, ma chère fille, je vous donnerais plutôt de la joie que de vous condouloir sur l'avis que les médecins donnent de votre peu de vie, m'étant semblant qu'il n'y a rien à estimer en ce monde, que de bien vivre et s'en aller bientôt en paix en la grâce de notre bon Dieu. Hélas ! ma chère fille, n'êtes-vous donc pas bien heureuse de voir ainsi abréger votre pèlerinage ? Persévérez à tenir votre cœur bien soumis et paisible dans la très-sainte volonté de Dieu.

Véritablement, s'il n'y a pas apparence que de longtemps tous ne puissiez retourner à Saint-Amour, et que l'on vous conseille de chercher à loger votre communauté, il faut bien peser, considérer et prendre bons avis, et puis faire ce qui sera jugé pour le mieux. Je dirai bien, ma très-chère fille, que Montluel est, ce me semble, une petite ville fort écartée du passage, et où, si je ne me trompe, il n'y a pas grand secours temporel ni [293] spirituel.[82] Le bon Père qui nous a remis vos lettres, et qui vous porte une si sainte et paternelle affection, m'a dit qu'il y aurait une autre petite ville sur la rivière de Loire où il y a une maison des Pères Jésuites, et laquelle est neutre, appartenant à mademoiselle de Montpensier, qu'il serait assez facile de vous y établir. À la vérité, ma chère fille, en ces temps de guerre, ce serait un grand bien d'être dans une ville neutre ; car nous ne savons jusqu'à quel point ces malheurs de guerre iront. C'est toujours un grand bien d'être proche de Lyon, où vous pourriez vous retirer en cas de danger ; enfin adressez-vous à nos bonnes Sœurs de là pour faire parler à Mgr le cardinal votre Supérieur, afin qu'il ordonne de vous selon son bon plaisir. J'écrirai à nos Sœurs de Lyon, afin qu'elles prennent un peu votre affaire à cœur.

Vous me dites, ma très-chère fille, que si les maisons qui font des fondations pouvaient vous décharger de trois ou quatre Sœurs, cela vous donnerait plus de commodité de loger le reste ; à cela je vous dis, ma chère fille, que je ne sache, pour maintenant, que nos Sœurs de Dijon sur le point de faire une fondation, et d'ordinaire on est bien aise de ne pas beaucoup mélanger et de connaître à fond celles que l'on envoie au commencement des maisons ; mais, si vous m'en croyez, ma chère fille, employez la bonne volonté de nos Sœurs de Saint-Étienne et de nos Sœurs de Pont-à-Mousson. Les Mères de l'une et de l'autre de ces maisons m'ont écrit, il n'y a pas longtemps, qu'elles étaient toutes prêtes, quand vous voudriez, à prendre chacune deux de vos Sœurs : ce sont des maisons faites, bâties et rentées ; acceptez l'effet de leur charité, et voilà quatre de vos filles bien logées. Écrivez aux Supérieures [294] de ces deux maisons-là, et sachez d'elles quand et par où il leur plaît que vous leur envoyiez vos Sœurs. Vous pourrez savoir de nos Sœurs de Dijon si les passages sont libres pour aller en Lorraine.

Ma Sœur la Supérieure de Rouen m'a mandé qu'elle vous donnerait cent écus ; je m'en vais lui écrire et à Pont-à-Mousson, et à Saint-Étienne et à Lyon, afin que l'on tâche de vous aider en tout ce qui se pourra ; et croyez, ma très-chère fille, que si nous avions autant de moyens de vous secourir que de bonne volonté, vous n'auriez besoin de rien ; mais c'est la très-sainte volonté de Dieu de nous priver de cette consolation, étant en un pays si destitué d'argent qu'à grand'peine cette maison, qui est chargée de soixante personnes tant dedans que dehors, peut rouler. — Voilà la quittance pour prendre encore les cinquante écus à Nantua. Croyez bien, ma chère fille, que c'est de l'abondance de notre cœur, non pas de notre bourse, que nous vous faisons cette petite charité, qui part du meilleur du cœur de votre très-humble.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCXVI - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Prière de donner fréquemment de ses nouvelles.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 25 juillet 1640.

Ma très-chère et bien-aimée fille,

Nous avons reçu de vos nouvelles par le billet que vous avez écrit à notre bonne Sœur la dépensière ; mais je vous en demande encore, car l'on nous a dit que l'on avait de nouveau enfermé certaines personnes. Ne perdez point d'occasion de nous écrire, [295] je vous en supplie, ma chère fille. Nos nouvelles sont bonnes ici, grâce à Dieu. Nous nous portons bien.

J'ai reçu une lettre de madame votre mère qui se porte bien et me demande toujours votre portrait. Or voyez, ma très-chère fille, s'il est expédient de refuser cette consolation à cette bonne et vertueuse mère. Nous n'avons rien de nouveau à vous dire, sinon que je supplie Notre-Seigneur verser sur vous et sur votre chère troupe ses saintes bénédictions. N'oubliez point en vos prières celle que vous savez bien qui est en ce divin Sauveur toute vôtre, vous le savez bien et de tout mon cœur.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCXVII - À LA MÈRE JEANNE-SÉRAPHINE DE CHAMOUSSET

SUPÉRIEURE À AOSTE

Divers envois. — Affectueux message a la communauté et à M. Besançon.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 25 juillet 1040.

Ma bonne et très-chère fille,

Nous avons reçu [hier] à soir, 24 juillet, votre lettre du 26 mai, et parce que je garde ma grande réponse pour la donner au bon Père René, je ne vous fais que ce billet pour dire à Votre Charité, ma très-chère fille, que je ne sais que c'est que ces soixante écus dont vous me parlez. Nous reçûmes bien cet hiver soixante-deux florins six sols de M. Violet, mais nous les envoyâmes soudain à nos chères Sœurs de Chambéry, et une pièce de toile que nous avions aussi reçue pour vous de madame N. Nous avons encore deux chapeaux de paille qui vous appartiennent, mais je ne sais pas si nous pouvons vous les faire tenir : la perte ne sera pas grande.

Cependant, ma très-chère fille, si vous pouviez apprendre [296] quelque chose de nos pauvres Sœurs de Turin, faites-nous la charité de nous en dire, le plus tôt que vous pourrez, un peu de nouvelles. — Je salue chèrement nos chères Sœurs et votre très-bon M. [Besançon] le théologal, qui certes est bien paresseux de ne nous point écrire. En récompense, je prie Notre-Seigneur le combler de ses saintes grâces et vous aussi, ma très-chère fille, étant sans réserve, votre très-humble, etc.

LETTRE MDCCXVIII (Inédite) - À LA MÈRE ANNE-MARGUERITE GUÉRIN

SUPÉRIEURE AU DEUXIÈME MONASTÈRE DE PARIS

Mécontentement qu'exciterait dans l'Ordre l'établissement d'un Visiteur. S'en tenir aux moyens d'union prescrits par saint François de Sales.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Que veut dire, ma très-chère fille, que dès l'élection de votre supériorité je n'aie aucune nouvelle de votre maison, et ne sais qui est élue chez vous ? Je pense pourtant que c'est vous, et tant plus je pense que vous vous dépitez contre moi. Qu'ai-je fait ? Pourquoi, ma très-chère fille, me garder un si grand silence ? Je n'ai pas répondu à votre dernière, car j'allais attendant des nouvelles de Paris, pour ce béni Visiteur, et de celles de nos monastères qui en sont avertis et en grand nombre, bien que non pas de ma part. Vous êtes la seule maison qui l'approuviez, avec celle de la ville ; [les autres] qui le savent en ont appréhension que Messeigneurs leurs prélats les quittent d'affection et en disent de bonnes raisons. Ce sentiment étant si grand, et les dispositions si éloignées d'agréer ce dessein, s'il était poursuivi il est clair que cela troublerait toute la paix de notre petite Congrégation, surtout de la manière que l'on propose de l'établir, laquelle vraiment par son autorité fermerait bien la [297] bouche à tout le monde, mais sans doute ouvrirait la porte à de grands mécontentements et troubles dans l'Institut, et empêcherait tout le fruit que l'on peut espérer.

Je remarque dans deux ou trois lettres, que l'on prétend que le Visiteur peut, durant ses cinq ans, remédier par son autorité aux petits inconvénients qui pourraient arriver ès monastères, par exemple à ce qui s'est passé de ces Sœurs renvoyées de Rouen ; jamais je n'avais entendu cela, car ce serait être Supérieur général par-dessus nos bons seigneurs et prélats, ce qui serait tout à fait contraire aux intentions de notre Bienheureux Père et à toutes nos Règles et Constitutions ; cela ne se peut faire ni recevoir sans renverser les fondements de l'Institut où le Bienheureux a tout établi en douceur et charité. Il faut réduire ces grandes autorités à cet esprit-là, autrement on renverserait tout ; et, s'il faut un Visiteur, qu'il soit de charité, agissant sous l'autorité et bon plaisir de nos légitimes Supérieurs, sinon qu'il arrivât quelque grand déchet en la Congrégation, qui ne pût être remédié par les moyens marqués au Coutumier, alors il faudrait recourir au Saint-Père, qui ferait de soi-même ce qu'il jugerait nécessaire.[83] La chose étant éventée, l'on ne fera rien autrement, et c'est mon sentiment qu'il est plus expédient de laisser les choses comme elles sont au soin de la divine Providence qui sait et qui fera, quand il en sera besoin, ce qui sera requis pour la conservation de ce qu'elle a établi ; cependant tenons-nous fidèles à nos observances. Je vous prie, lisez ceci à nos Sœurs pour réponse à ce qu'elles m'avaient écrit, et croyez-moi, parlons de ceci le moins que faire [se peut]. J'écris à nos bons seigneurs. Ma très-chère fille, que j'aime de cœur incomparable, priez pour moi.

Ma très-chère fille, j'ai encore le temps d'écrire un mot à ma Sœur la Supérieure de la ville ; je vous prie de le lui faire tenir promptement.

Ma très-chère fille, je vous dis derechef, ne parlons plus de Visiteur en façon quelconque, et laissons étouffer cela en toute façon. — Ma fille, je ne puis écrire pour ce coup à notre chère Sœur de la ville par ce messager, outre qu'il n'y a guère que j'y ai écrit ; mais faites-moi ce bien de faire tenir sûrement ce paquet à mon très-bon Mgr de Bourges, auquel il y a bien longtemps que je n'ai écrit et à notre bon Mgr de Châlon.

Conforme à une copie do l'original gardé à la Visitation de Dijon.

LETTRE MDCCXIX - À LA MÈRE MARIE-MARTHE DE MARTEL

SUPÉRIEURE À CONDRIEU

Un cœur droit trouvera auprès de sa Supérieure le secours dont il a besoin. — L'habit religieux remplace ceux de toutes les confréries.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Je suis très-consolée, ma vraie fille, de la paix et de l'union qui règnent dans votre maison. Au nom de Dieu, conservez-les très-précieusement : c'est tout votre bien ; et que vos Sœurs ne respirent et ne cherchent qu'à se tenir au dedans et bien ramassées autour de Notre-Seigneur, qui est la vraie vie. Il faut incomparablement garder notre sainte clôture. Oh ! que l'amour-propre est subtil ! il met tout en usage pour parvenir à ses fins : un esprit simple et droit trouvera auprès de sa Supérieure ce que les esprits faibles et peines cherchent inutilement au dehors. — Pour ces confréries, cordons et habits de Notre-Dame, et choses semblables dont vous me parlez, quand nous fîmes profession notre Bienheureux Père nous fit quitter tout ; et la même proposition que vous me faites, ma chère fille, fut faite à [299] ce Bienheureux, qui répondit : « On ne trouve pas de toutes sortes d'herbes et de fleurs dans un même jardin ; il faut que chacun se contente de produire selon qu'il est ensemencé. » Nous aurions tort si nous trouvions mauvais que les autres ne portassent pas la croix d'argent ni ne pratiquassent pas les exercices de la Visitation ; nous sommes très-spécialement filles de la Sainte Vierge, et, très-indignes, nous portons l'habit de son cher Institut. Il se faut très-humblement arrêter à cela, et seulement mettre attention à bien faire ce que ce saint habit requiert.

Extraite de l'Histoire de la fondation de Condrieu (Année Sainte, IIIe volume.)

LETTRE MDCCXX - À LA MÈRE LOUISE-DOROTHÉE DE MARIGNY

SUPÉRIEURE À MONTPELLIER

Promesse de répondre fidèlement à ses lettres. — Obéissance pour le retour de Sœur F. E. de Nouvery. — Les monastères de Provence sont préservés de la peste.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 24 août [1640].

Ma très-bonne et chère fille,

Le divin Sauveur nous console de sa divine conduite en cette vie et de sa claire vision en l'autre ! Amen ! Je pensais n'avoir jamais manqué à répondre distinctement à tout ce que je pensais que vos lettres me proposaient ; mais j'y serai encore plus attentive y ayant grande affection ; et fort souvent, par ce motif, il me semble avoir écrit de ma main. Rarement aussi je ne manque à lire vos lettres, ce que je fais fort peu pour les autres, ayant peine meshui de m'occuper à lire et à écrire. Vous tenez un rang en mon cœur tout particulier, et qui me ferait beaucoup souffrir pour vos maladies si je n'y regardais la volonté de Dieu. Au nom de sa divine Bonté, conservez-vous et n'oubliez rien pour cela ; vous voyez si vous êtes nécessaire à votre maison.

Fortifiez en la solide humilité les filles que vous voyez sincères [300] à leur vocation et capables pour être dressées au gouvernement. Voilà l'obéissance de notre Sœur F. -Emm. [de Vidonne de Nouvery] ; mais ne l'envoyez que quand les chemins seront nets de peste et libres de gens de guerre, autrement elle courrait fortune d'affront, tant l'insolence est grande maintenant ! Bref, je laisse cela à votre, volonté et discrétion pour le faire selon que vous jugerez ; car en cela et en tout, tandis qu'elle est sous votre main, je désire que vous en fassiez comme de l'une de vos filles et qu'elle se soumette ainsi. Hélas ! certes je l'aime, car elle est bonne ; mais, grâce à Dieu, nous n'aurions pas besoin d'elle, n'était sa consolation : il ne lui faut pas pourtant dire. Et je vous prie, dites-lui franchement comme l'on a remarqué cette vanité et jactance de louange de parenté. J'ai une aversion mortelle à cela ; avertissez-la charitablement et cordialement de tout, et lui témoignez grand amour et confiance, cela lui profitera. — Dieu soit béni du prompt secours qu'il donne à votre pauvre novice, et de ce que sa Bonté vous a si heureusement préservées de la peste ! certes, vous y avez apporté aussi toutes les précautions nécessaires en telles occasions.

Grâce à Dieu, je n'ai point encore su qu'il soit arrivé de mal en pas une de nos maisons de Provence. J'espère que Dieu les conservera ; j'en supplie sa bonté. — Ma fille, quand vous m'écrirez mettez à part ce qui ne sera que pour moi, bien que jamais personne ne lise vos lettres que moi ou ma Sœur J. -Th. Picoteau en qui je me confie de tout avec raison ; mais je ne puis plus beaucoup lire, ni certes écrire, je m'en lasse promptement. Ma très-chère fille, priez bien notre bon Dieu de me recevoir entre les bras de sa débonnaireté à ma sortie de ce monde, et je le supplie de vous conserver longtemps pour sa gloire, et de vous combler de son saint amour, auquel je suis de cœur et d'affection incomparable, toute, toute vôtre. Je salue nos chères Sœurs, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [301]

LETTRE MDCCXXI - À LA MÈRE MARIE-AUGUSTINE D'AVOUST[84]

SUPÉRIEURE À MAMERS

Il est bon aux âmes destinées à la direction de connaître par expérience les difficultés de la vie spirituelle. — L'humilité est la vertu la plus nécessaire. — Cordiale déférence qui doit régner entre la Supérieure et la Sœur déposée ; celle-ci ne devrait exercer la première année de sa déposition que les charges de conseillère et de coadjutrice ; il ne faut pas donner aux Sœurs une permission générale de lui parler en particulier.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 24 août [1640].

Ma très-chère fille,

Puisque Dieu vous donnait le désir de m'écrire, vous ne le deviez pas étouffer pour les considérations que vous me dites ; car pourquoi est-ce que Dieu me laisse au monde, sinon pour servir également et cordialement toutes nos Sœurs de la Visitation ; et je prie Dieu qu'il m'en lasse la grâce et que ce soit à sa gloire et à leur consolation.

Voilà que Dieu vous a mise dans cette charge où quelquefois Il vous fournira des occasions de m'écrire, à quoi je [302] correspondrai de bon cœur, me souvenant assez particulièrement de votre esprit et des bonnes lumières et affections que Dieu vous a données dès votre commencement en Religion. Il fallait bien, ma très-chère fille, que la divine Providence qui vous destinait à l'emploi où vous êtes, vous fît passer par plusieurs tribulations et tentations, pour vous fonder en la très-sainte humilité et abandonnement de vous-même en ses bénites mains, qui sont les fruits que vous devez tirer de telles tribulations, et encore pour vous apprendre, par votre propre expérience, à conduire et conforter les âmes dans ces voies si pénibles et épineuses. Enfin, ma très-chère fille, ne vous laissez point abattre par les appréhensions de cet état, ni par les désirs d'en sortir ; mais tâchez de porter cette croix, doucement, paisiblement, sans regarder ni faire aucune réflexion sur ce qui se passe en vous ; [303] mais regardez Dieu avec soumission, en vous occupant fort ès choses de votre charge. Vous voyez comme Dieu vous traite doucement, qu'emmi vos ténèbres Il répand dans votre âme de si claires lumières et sentiments de sa présence. Le souvenir de cette grâce vous doit servir pour trois mois de soulagement emmi vos angoisses, bien que je pense que Dieu vous les donne plus fréquemment. Vous avez fait une sainte et nécessaire résolution de ne jamais parler de vous ni de vos appartenances. Observez-la soigneusement, et tâchez de faire que votre cœur aime à louer et à ouïr louer les autres au-dessus de vous-même. Cette pratique est bien nécessaire, et je vous conjure surtout d'avoir l'œil attentif sur cette vertu, comme la plus nécessaire, et y fondez bien nos Sœurs.

Vous me consolez bien de vous voir dans cette grande affection de vivre dans une parfaite confiance avec ma très-chère Sœur Jeanne-Agnès [Provenchère], que vous savez qui est toute bonne, qui a un amour et estime de vous, et a un désir tout cordial et très-grand de votre contentement. Or, j'espère que votre union ensemble et son humilité donneront gloire à Dieu et édification à vos Sœurs. — Il n'y a point de doute que le moins que l'on peut donner connaissance des affaires ès jeunes Sœurs c'est le meilleur. Or quand il arrivera que vous ne vous trouverez pas de même sentiment avec ma Sœur Jeanne-Agnès, dites-lui doucement vos raisons, et la priez d'y penser et de considérer ce que vous lui proposez, après quoi vous vous résoudrez avec les autres conseillères à ce qui sera pour le mieux, à quoi je m'assure qu'elle se soumettra humblement.

Vous êtes bien heureuse d'avoir un si bon et vertueux Père spirituel et qui est si dévot à la Sainte Vierge. Je vous prie de me recommander à ses saintes prières. Au reste, ma très-chère fille, pour toutes les petites charges que vous avez données à ma chère Sœur Jeanne-Agnès, si vous avez des Sœurs à qui les donner, je désirerais bien que l'on laissât se reposer au moins [304] un an les déposées pour se un peu reprendre, leur donnant seulement la charge de conseillère et coadjutrice. Et pour celle de faire bâtir cette chapelle, je trouve qu'il est bien nécessaire et raisonnable de contenter votre bon Père spirituel en lui permettant d'en avoir soin.

Quant au congé général que vous avez donné aux Sœurs de parler à cette chère Sœur la déposée, cela ne se doit pas, car cela ne sert qu'à donner sujet aux filles de faire plusieurs petites parlementeries inutiles, et bien qu'il n'y ait aucun danger que les Sœurs parlent à cette chère Sœur, néanmoins il ne faut pas ouvrir cette porte ; il est toujours mieux que les filles s'assujettissent à demander congé à lui parler quand elles le désireront, et vous le devez donner fort franchement, et si elle désire aussi de parler à quelque Sœur elle vous le doit dire tout confidemment et librement. — Cette fille de laquelle vous me parlez, m'a écrit ; vous verrez la réponse que je lui fais ; l'on voit bien que c'est un esprit fort embrouillé.

Pour la fondation que vous m'écrivez, je n'y vois pas grand fondement. Croyez-moi, ma fille, il est toujours beaucoup mieux de bien établir une maison que d'en faire plusieurs petites que l'on n'a pas moyen de maintenir ; vous verrez ce qu'il en est dit au nouveau Coutumier, tâchez de vous y tenir. Voilà une lettre répondue, ma très-chère fille ; ayez un grand cœur, mais très-humble et doux en votre conduite, sans toutefois nourrir les tendresses et faiblesses des filles, bien qu'il les faille supporter en tâchant de les affranchir, afin que d'une sainte vigueur d'esprit elles cheminent en la voie de leurs observances avec toute fidélité et allégresse d'esprit, et que surtout la sainte union cordiale règne avec toutes, spécialement avec la chère déposée qu'il faut que votre amour et sainte confiance tiennent en consolation. Priez pour moi, je vous en conjure toutes, que je salue, priant Dieu de vous combler de son saint amour.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans. [305]

LETTRE MDCCXXII - À LA SŒUR JEANNE-AGNÈS PROVENCHÈRE

À MAMERS

La Sainte bénit Dieu de la préservation des Sœurs de Mamers et loue leur charité. — Du bon choix des Sœurs conseillères. — Tempérer par la suavité un zèle trop ardent. — Avis pour la confession et la direction.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma très-chère fille,

Je commence à vous répondre par une très-humble action de grâces que je fais à notre bon Dieu, de vous avoir si heureusement préservées de la contagion. Dès que notre chère Sœur la Supérieure du Mans nous eut donné avis que ce mal était chez vous, nous fîmes des prières particulières pour votre conservation. Toute votre conduite a été fort bonne en ce temps de dangers, aussi Notre-Seigneur ne manque jamais de donner au besoin sa sainte lumière quand l'on recourt confidemment à sa Bonté. — Cette petite Sœur est bienheureuse d'être sortie de ce inonde si vertueusement, avant que la malice du siècle ait corrompu l'innocence de son cœur. Certes, je sais bon gré à ma Sœur Paule-Marie de lui avoir rendu tous les derniers services et s'être exposée pour cela ; comme aussi vous m'avez grandement consolée de me dire avec quelle charité et courage nos bonnes Sœurs se voulaient exposer l'une pour l'autre. Notre-Seigneur ne lairra pas cette bonne volonté sans récompense.

Je n'en doute point, ma fille, que votre cœur n'ait une grande joie de se voir en l'aimable condition d'inférieure ; c'est un bonheur duquel il faut faire très-bon usage. Vous fîtes fort bien de ne point changer la première résolution prise pour votre catalogue, nonobstant les tracasseries de ces bonnes Sœurs conseillères ; et il faut tenir pour une maxime inviolable de ne jamais mettre en la charge de conseillère ces esprits [306] soupçonneux et ambitieux, car non-seulement ils ne sont pas capables de donner un bon conseil, ou à cause de leur faiblesse d'esprit, ou à cause de leur préoccupation ; mais aussi ils attirent et nuisent aux autres conseillères, voire, quelquefois peuvent renverser le conseil.

Mon Dieu ! ma fille, que je vous sais bon gré d'avoir si soigneusement cultivé ces chères âmes en l'esprit de leur vocation, et d'avoir si grande affection à ce que les intentions de notre saint Fondateur soient suivies ! Mais de prendre cela si à cœur que, quand on y manque, la douleur que vous en sentez vous affaiblisse et laisse des lassitudes corporelles, cela témoigne un esprit trop véhément, qu'il faut corriger par la très-douce et suave charité et tranquillité qui régnaient au cœur de notre très-débonnaire Père, qui regardait tout en esprit de repos. Je vous dis de même de la résolution que vous avez faite depuis que vous êtes déposée, de vous imposer une pénitence toutes les fois que vous chopperez à dire vos pensées et avis. Ma très-chère fille, si vous êtes prompte et active, vous auriez fort à faire ; il ne faut pas être si pénitente, s'il vous plaît ; suffit de faire une douce attention à vous tenir humblement ramassée auprès de Dieu. Quand vous verrez quelque chose qui ne sera pas bien, [contentez-vous de] n'en pas reprendre les autres, mais en avertir la Supérieure, si c'est chose importante ; si la chose est légère, faire cordialement les avertissements. Puisque M. votre Père spirituel a désiré que vous fussiez économe pour conduire le bâtiment, j'y acquiesce, bien que j'aie toujours grande inclination que l'on donne au moins un an de repos aux déposées ; et [je] voudrais que l'on se contentât de vous laisser économe, sans toutes ces autres petites charges que vous me nommez.

Pour ce qui est des confessions, il faut se tenir fermement. exacte à ce que les Petites Coutumes en disent, et ne voir jamais les confessions écrites sous quelque prétexte que ce soit. Il est [307] vrai que notre Bienheureux Père dit fermement que pour les scrupules et tentations contre la pureté, il faut toujours renvoyer les filles à leur confesseur, et que ni la Supérieure ni la directrice ne les interrogent jamais là-dessus, ni leur souffrent d'en parler à elles, sinon en général, par exemple : Je suis travaillée de tentations contre la pureté, et qu'elles ne disent rien de plus que cela, seulement pour être instruites et confortées. Il se faut donc tenir à cela, ma chère fille ; car c'est notre saint Fondateur qui a donné cet ordre-là. Vivez dans une douce joie et franchise avec votre bonne Mère, et ne prenez point garde à sa mine, car elle vous chérit parfaitement.

LETTRE MDCCXXIII - À LA MÈRE BARBE-MARIE BOUVART[85]

SUPÉRIEURE AU MANS

Conseils pour le bon gouvernement de sa communauté ; quel recours avoir a la Sœur déposée. — Les Filles de la Visitation doivent demeurer cachées sous les larges feuilles de leur petitesse. — La Sœur déposée devrait n'avoir d'autre charge que celle de conseillère pendant la première année de sa déposition.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 25 août [1610].

Ma très-chère et bonne fille,

Je bénis la divine Providence du choix que nos bonnes Sœurs ont fait de Votre Charité pour leur conduite. Je ne m'étonne point, ma très-chère fille, de la douleur que votre cœur a ressentie à ce rencontre ; mais aussi il faut toujours faire surnager la tranquille et très-humble acceptation des effets de la très-sainte volonté de Dieu, quoique contraire à nos propres désirs et consolations ; ce que je dis, ma très-chère fille, à cause de cette parole que vous me dites que l'attention à bien conduire pour ne rien gâter dans les esprits, vous ôte la suavité et gêne [308] l'esprit. Quant à la suavité, ma chère fille, elle doit être à faire ce que Dieu veut que nous fassions ; mais pour se gêner et bander l'esprit à la conduite, vous n'y avanceriez rien pour les autres et perdriez beaucoup pour vous-même. Il faut prendre pour maxime de votre gouvernement une très-grande confiance en Dieu, avec une grande fidélité à faire avec paix et soin votre petit travail autour des âmes, puis en remettre le succès et le fruit à la divine Bonté, qui seule le peut donner. Toutes vos sollicitudes et anxiétés n'y servent de rien, surtout en cette besogne de la conduite des âmes.

Votre Constitution vous apprendra excellemment tout ce que vous avez à faire pour faire une bonne conduite, selon l'esprit de Dieu et au contentement de toute votre communauté. Il est vrai, ma très-chère fille, que ce vous sera un très-grand et cordial appui que ma toute bonne et chère Sœur M. -Anastase [Pavillon], à laquelle vous pouvez sans scrupule parler et conférer de tout ce que vous voudrez, car c'est une âme de telle vertu et sincérité qu'il n'y a rien à craindre. Quand les Mères déposées ont des vraies vertus et l'esprit de l'Institut, on leur peut dire tout ce dont on a besoin pour se conseiller ou conforter ; car il est vrai, ma très-chère fille, que surtout les jeunes Supérieures ont besoin d'être un peu appuyées sur celles qui [309] les ont précédées, ne pouvant avoir l'expérience requise pour savoir se conduire en plusieurs occasions. Bien que je ne voudrais pas donner généralement ce conseil, de dire toutes choses particulières aux déposées, comme je vous ai déjà dit, ma très-chère fille, la vôtre est telle que vous y devez aller tout franchement et confidemment sans crainte, assurée que vous devez être que ce que vous mettez dans son cœur y demeurera comme s'il n'était point sorti du vôtre.

Pour ce que vous dites, ma très-chère fille, que vous ne recevez pas de filles, d'autant qu'elles cherchent l'éclat et que vous n'en avez point ; ma très-chère fille, réjouissez-vous de cela, et tenez-vous amoureusement cachée sous les larges feuilles de votre petitesse et abjection. Ne paraître en chose aucune, c'était le grand désir de notre saint Fondateur, et que nous fussions grandement amoureuses de notre petitesse, et pour cela il nous donna ce saint document de parler toujours bassement de notre Congrégation ; cela veut dire, ma très-chère fille, sans exagération de louanges, sans comparaison aux autres Ordres. À la vérité, nous pouvons bien dire que Notre-Seigneur avait donné à notre Bienheureux Père des grandes lumières [sur] la vraie et solide perfection religieuse pour l'établir dans son Institut ; mais il ne faudrait pas dire que cette perfection surpasse celle des autres Religions. Ce que notre saint Fondateur dit en son premier Entretien sur ce sujet, et ce qui est aux Réponses nous déclare entièrement comme il se doit pratiquer. Faites-le bien, je vous en conjure, ma très-chère fille.

Et ceci me donne sujet de vous répondre au dernier point de votre lettre, où vous marquez que ma très-chère Sœur M. -Anastase fait des miracles. Voyez-vous, ma toute chère fille, cet esprit de profonde humilité veut premièrement que l'on n'attribue pas à miracle les secours que Dieu donne dans les rencontres journalières. Et, en second lieu, quand il plairait à cette infinie Bonté de faire des choses évidemment miraculeuses [310] par cette chère Sœur, il faut que cela ne s'évente point au dehors, ni même que l'on n'en fasse pas grand bruit au dedans pendant la vie de cette bien-aimée Sœur, qui est vraiment une âme toute pleine de grâces et de vertus. Vous ne sauriez mieux faire, ma chère fille, que de vous tenir bien humblement et cordialement jointe et unie à elle, sans toutefois lui donner si grande multitude de charges qu'elle a déjà ; car, si ce n'est par vraie nécessité, j'aime grandement qu'au moins pour cette première année, l'on ne donne point d'autre charge sinon celle de conseillère, parce que la règle le témoigne aux Mères déposées, afin qu'elles aient plus de loisirs et de moyens de se tenir bien proche de Dieu, et rentrer tout de bon en elles-mêmes, après les tracas de la charge.

Je salue d'un cœur très-sincère ma chère Sœur M. -Anastase et la conjure avec vous de nous recommander à la divine Bonté, que je supplie vous combler de son très-saint amour, et toutes nos Sœurs que je salue, en me recommandant à leurs prières, et vous assure, ma très-chère fille, de mon invariable et toute sincère et cordiale dilection envers vous, à qui je me donne toute en l'amour de notre divin Sauveur qui soit béni. Amen.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans.

LETTRE MDCCXXIV (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

La Sainte lui propose un nouveau confesseur.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 14 septembre 1640.

Ma très-chère fille,

Je viens de voir ce bon ecclésiastique qui désire vous servir ; à la vérité, je crois que c'est un vrai serviteur de Dieu, et que votre maison ne saurait faire une meilleure rencontre. Il ne [311] désire sinon d'avoir une petite chambre et sa vie, et avec cela peu de chose pour s'entretenir courtement. Il se contentera de vivre comme votre communauté, car il sait bien pâtir, et ne désire sinon avoir un peu de retraite auprès de Dieu, et non être parmi les tracasseries des hommes. Si vous ne voulez le nourrir, je pense qu'il se contentera de trois cent cinquante florins. Mon Dieu ! ne perdez cette occasion. Mandez-nous promptement réponse, car il veut se pourvoir. Je vous écrirai à loisir, si vos Sœurs conseillères font difficulté. Ma fille, je ne peux écrire davantage ; recommandez-moi à la Très-Sainte Vierge.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCXXV (Inédite) - À LA MÊME

Qualités de l'ecclésiastique qui s'offre pour confesseur au monastère de Thonon. — Les Supérieures déposées n'entrent pas en retraite après leur déposition.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, septembre 1640.]

Ma très-chère fille,

Enfin l'on tracasse toujours un peu sur vos confessions. Vous vous êtes fort bien comportée en cette occasion, de laisser parler en confession ces bonnes Sœurs, à ce bon Père Capucin.

Il est vrai que c'est une chose bien fâcheuse que les libraires vendent ainsi communément nos Règles ; j'en parlerai au plus tôt à Monseigneur afin de pourvoir aux remèdes que l'on y devra mettre. — Le confesseur que vous avez est tout à fait impropre et incapable de cette charge. Cela doit vous faire connaître le besoin que votre monastère a d'en avoir un qui ait les conditions requises à un emploi si important au bien des âmes. Je n'ai su m'empêcher d'un peu sourire de voir la simplicité du bon M. N. M. Quêtant, votre très-digne Père spirituel, vous parlera amplement de celui qui se présente pour vous aller servir de [312] confesseur. L'on en dit tout le bien qu'il se peut dire, et le principal, c'est qu'il est capable d'être dressé et instruit de ce qu'il devra faire, ce que n'est pas celui que vous avez à présent. Il faudra que vous en parliez à vos Sœurs conseillères, et que vous résolviez avec M. Quêtant et elles ce qu'il faudra faire, afin que l'on rende réponse à cet ecclésiastique d'une façon ou d'autre. On lui donne de gage, à Saint-Pierre, trois cents florins et sa messe. Je pense qu'il se contentera à beaucoup moins, pourvu que vous le nourrissiez de même que la communauté ; car c'est un homme fort sobre à ce que l'on dit. M. Quêtant vous dira tout. Pour moi, je crois que si Dieu permet qu'il se rencontre à son contentement et à celui de votre communauté, qu'il n'est pas tant attaché à son bénéfice qu'il ne le quitte bien pour servir peut-être toute sa vie le monastère de Thonon.

Nous n'avons pas écrit en point de lettre de communauté que les Supérieures déposées ne dussent point avoir de charge après leur déposition. J'ai bien écrit à quelques particulières que je trouvais fort bon de les laisser un peu en repos cette première année, pour se un peu reprendre. — Pour cette novice qui est si fort exercée intérieurement et extérieurement, selon le récit que vous m'en faites, l'on voit que véritablement c'est une âme choisie de Dieu. Vous vous y comportez fort bien. Je n'ai rien à dire sur cela, sinon qu'elle est en bonnes mains, étant entre les vôtres. — Je ne pense pas qu'il fût bien que les Supérieures déposées entrassent en solitude après leur déposition. Cela ne s'est pas encore fait.

Je n'entends pas ce que Votre Charité veut dire en disant que vous avez trouvé une table pour votre confesseur, sinon que ce oit une condition en quelque maison séculière ; mais il n'y veut point être, et cela par dévotion, car il est porté à la retraite intérieure. Notre bon M. Marcher le trouve fort à son gré. Quand M. Quêtant et vous aurez résolu ce qui se devra faire, si vous l'acceptez pour votre confesseur, alors je l'entretiendrai et lui [313] dirai tout ce qu'il faudra dire, surtout afin qu'il prenne une entière confiance avec vous. M. Marcher vous ira voir, puisque vous le voulez, et vous dira toutes nos nouvelles et nous rapportera toutes les vôtres.

Je vais un peu voir nos chères petites Sœurs de là-haut. Mon Dieu ! que je suis marrie de la petite de Blonay[86] ! Quel dommage que ces âmes ne veuillent sortir d'elles-mêmes ! Dieu soit toujours votre guide et votre unique prétention. Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCXXVI - À LA MÈRE LOUISE-DOROTHÉE DE MARIGNY

SUPÉRIEURE À MONTPELLIER

Quelle doit être son occupation intérieure pendant la retraite. — Sœur F. E. de Nouvery est rappelée à Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 30 septembre [1640].

Ma toute très-chère et bien-aimée fille,

Je vois, par celle que le sieur Charcot nous a apportée, que vous n'aviez pas encore reçu les nôtres dernières. Béni soit notre très-bon Dieu qui vous conserve et préserve votre ville [de la peste]. Je vois voire très-chère âme toujours toute ardente au désir d'une vie toute parfaite et très-pure. Bénie soit-elle en l'accomplissement d'un désir si juste !

Ma très-chère fille, que vous dirai-je pour votre solitude et renouvellement ? Exposez-vous devant Dieu, vide de vous-même, autant que vous pourrez, par une très-simple remise de tout votre être en ses bénites mains, et cela en la manière que vous serez attirée, le plus doucement et simplement qu'il se pourra, et suppliez sa Bonté de vous remplir des saintes lumières et affections qu'il vous a préparées et destinées en son éternité, [314] ne voulant que cela et la grâce d'y correspondre selon son très-saint bon plaisir ; et ceci n'est qu'un renouvellement de la disposition en laquelle sa souveraine Providence vous a mise, il y a longtemps, laquelle il faut suivre et ne point chercher d'autre voie ni moyen de perfection ; et, avec cela, nous tenir fidèles à faire le bien et fuir le mal que nous connaîtrons, selon nos saintes observances.

Ayez un grand soin, je vous prie, de conserver cette faible santé que vous avez ; faites pour cela tout ce qui vous sera possible. Mais je vous conjure, prenez fort doucement les affaires tant spirituelles que temporelles de votre maison, ne vous chargeant par-dessus vos forces, surtout du soin de votre bâtiment, vous faisant aider pour cela à quelqu'un de dehors. — J'envoie à ce coup l'obéissance de notre bonne Sœur F. -Emmanuelle [de Nouvery], non toutefois pour s'en servir qu'après l'Ascension, afin que ce qui doit revenir se fasse ensemble ; cependant, je lui écris qu'elle demeure allègrement et en paix. Aidez-la à cela, ma très-chère fille, et que l'on ne lui fasse point la guerre de ce retardement, ni du désir qu'elle témoigne de s'en venir, de quoi je lui mande de s'abstenir. Je n'ai nulle pensée de la faire proposer à Arles ; notre Sœur M. F. qui y est assistante, y sera élue, s'il plaît à Dieu. Certes, nous sommes quarante-sept céans, et tout ce qui doit revenir nous chargera fort, car notre monastère n'en peut tenir que quarante-six ; mais la sainte Providence y pourvoira. Tout, grâce à sa Bonté, va bien en ces deux maisons. J'ai été la semaine passée en la seconde ; de part et d'autre, nous avons quantité de malades, dix ou douze céans, mais sans péril, oui bien de grandes langueurs.

Quand ma Sœur F. E. reviendra, et même tandis qu'elle sera là, tâchez de fort gagner son cœur, afin de lui pouvoir cordialement dire et faire bien connaître ses défauts particuliers et ceux qu'elle a faits au gouvernement, ce sera une bonne charité. Faites donc cela, s'il se peut, ma toute chère fille, et [315] jetez de bonne heure l'œil sur celles de votre maison que vous jugerez plus sensées et sincères à la Religion, afin de les dresser à la conduite, les faisant passer par toutes les charges, car d'aller dehors, il ne le faut plus, ni parler de mourir devant moi. Oh ! non, ma très-chère fille, bien que sans exception la très-sainte volonté de Dieu soit faite ! Priez fort sa Bonté que je passe le reste de mes jours et les finisse en sa sainte grâce et bon plaisir. — Voilà donc nos ciseaux ; je vous remercie des vôtres et de votre jus de réglisse, qui est très-bon et beau. — Quand vous verrez Monseigneur, saluez-le en tout respect de ma part. Je salue nos chères Sœurs ; qu'elles prient pour moi. Je vous souhaite à toutes le comble des grâces divines. L'Institut s'épanche fort : le nombre des maisons passe quatre-vingts.[87] Dieu réduise tout à sa gloire, et ne permette rien que selon son bon plaisir ! Ma fille, je suis très-sincèrement toute vôtre en Dieu, qui soit béni éternellement de nos âmes ! Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [316]

LETTRE MDCCXXVII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Indifférence au bon plaisir divin. — Conseils pour le gouvernement de la communauté.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 12 octobre [1640].

Ma très-chère fille,

J'ai reçu votre reddition de compte dans notre solitude. N'importe par où Dieu nous fasse faire notre chemin, par terre ou par eau, pourvu qu'il soit avec nous. Or, Il est avec nous très-assurément, et c'est Lui qui nous donne le désir d'être toute sienne ; il le faut être selon qu'il le veut, et puis, quand il lui plaît que nous cheminions dans la simplicité et dénûment de tout acte, il y faut obéir et ne s'empresser plus pour cela. Mais il faut demeurer ferme là et ne point faire de réflexions, jamais : ceci a tant été dit qu'il ne faut plus le répéter.

Il faut donner lumière à votre confesseur de la qualité des fautes de vos Sœurs, ou par M. Quêtant ou par vous-même, et ne le pas changer. Mais il faut tout à fait retrancher à ma Sœur N. sa conversation, et me semble vous l'avoir déjà écrit, et retrancher tous ces petits présents. Certes, ces choses ne doivent point être permises en nos maisons ; la règle en dit assez pour nous donner l'autorité de le faire. — Je parlerai ou ferai parler à M. le marquis par le bon M. Pioton, afin qu'il fasse retirer cette dame chez elle. — Pour N., recommandez-lui fort de ne point gâter sa santé, et qu'elle tâche de tirer ses gages, qu'elle ait au moins de quoi se vêtir ; mais il faut qu'elle soit bien résolue de servir à la cuisine sans autre prétention ; on la recevra environ Pâques. Si vous la retenez, vous l'éprouverez mieux. M. N. vous aura dit toutes nos nouvelles passées, et nos Sœurs écriront les présentes ; car, ma fille, je ne le puis, nous avons ici bien [317] de l'occupation. Dieu soit béni de tout et nous comble de son saint amour. Je me porte mieux qu'il ne se peut dire. Soyez en repos de votre âme, Dieu l'aime, je la chéris uniquement.

Mille saluts à M. Quêtant, à vos dames et nos Sœurs.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de la Côte-Saint-André (Isère).

LETTRE MDCCXXVIII - À MONSEIGNEUR CLAUDE D'ACHEY

ARCHEVÊQUE DE BESANÇON

Humilité de la Sainte. — Charitable accommodement entre les communautés de Besançon et de Fribourg. — Don fait pour une fondation à Lons-le-Saulnier.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 15 octobre 1640.

Monseigneur,

Nous avons reçu depuis peu de jours votre chère lettre. Je vous rends très-humble grâce de la permission que vous donnez à ces pauvres Sœurs de Fribourg pour leur établissement à Dôle, et de l'honorable et cordiale approbation que votre bonté fait de notre Coutumier.

Mais, mon Dieu ! mon très-honoré seigneur, combien me suis-je rendue indigne du titre que vous m'y donnez ; je ne saurais penser à la grâce de ma vocation, sous la conduite de notre Bienheureux Père, ni à la croyance que plusieurs ont que j'en ai tiré le fruit que je devais, sans douleur et sans larmes. Oh ! que mes ingratitudes et le peu de fidélité à y correspondre me servent d'une poignante épine, quand j'y pense ! La confiance paternelle que votre cœur me témoigne tire ces paroles du mien. Hélas ! mon très-cher seigneur, que les jugements de Dieu sont bien différents de ceux des hommes ! Obtenez-moi miséricorde de ce divin Sauveur, et grâce pour accomplir entièrement sa très-sainte volonté, puisque votre débonnaireté m'a fait la grâce de m'accepter pour sa fille, afin que les prières que [318] j'offrirai incessamment à sa divine Majesté pour votre conservation, Monseigneur, et pour votre consommation en son saint amour, lui puissent être agréables et à nous profitables, et que surtout sa douce Bonté nous donne le contentement de voir bientôt une sainte paix et renouvellement d'esprit dans votre cher diocèse, si accablé des ruines de cette misérable guerre.

Vous me commandez, mon très-honoré seigneur, de vous dire en confiance mon sentiment sur l'accommodement que ces dignes et vertueux ecclésiastiques ont fait entre nos très-chères Sœurs de Besançon et de Fribourg. Ils traitent cette affaire avec beaucoup de raison et de justice ; car, en effet, tous ces traités [antérieurs] sont de nulle valeur puisqu'ils sont faits sans l'autorité du Supérieur. Mais pour les "raisons, ou plutôt pour les considérations douces et charitables que nous devons avoir traitant ensemble, afin de conserver la sincérité que nous devons, je crois, mon très-honoré seigneur, que votre débonnaireté fera régner la charité au lieu de la justice, et que votre bonté ne désagréera pas que je lui en dise tout simplement les motifs qui m'en sont venus à notice, et que je joins à cette lettre, laquelle je n'eusse osé envoyer sans le commandement que vous m'en faites, les soumettant, et ma volonté et mon jugement, très-absolument à tout ce que votre prudente charité vous dictera, et veux espérer que nos Sœurs de Fribourg recevront aussi ce qu'il vous plaira en déterminer, avec la révérence et soumission qu'elles doivent. Pour nos chères Sœurs de Besançon, je n'en puis douter, bien qu'il y en ait quelqu'une un peu portée au temporel, mais vraiment non pas la Mère qui me paraît une vraie fille selon l'esprit de sa vocation. Si notre Bienheureux Père était en vie, je ne lui écrirais pas mes pensées avec plus de fidélité que je fais à votre débonnaireté, mon très-cher seigneur, qui m'en donnez aussi une si entière confiance.

Notre très-chère Sœur M. -Agnès de Bauffremont nous a écrit pour nous remercier de l'assurance que nous lui avons donnée [319] de la recevoir en ce monastère ; ce sera de tout notre cœur.[88] Elle m'écrit, Monseigneur, que vous lui en avez donné la licence, dont elle se servira quand Mgr de Genève rappellera leur bonne Mère pour venir avec elle. En cas que la fondation ne se fasse pas à Fribourg, nous ferons ce que Votre Seigneurie nous commandera.

J'oubliais quasi de vous dire, Monseigneur, que nous avons ici un bon ecclésiastique, nommé M. Belot, qui est de Lons-le-Saulnier. Ce vertueux prêtre a pris en telle affection notre Institut, qu'il lui a fait donation de sa maison qui était grande, mais presque toute brûlée, et les jardins et les vergers bien clos qu'il a, joignant quelque héritage, pour y fonder un de nos monastères quand il plaira à Dieu de donner la paix et rétablir la ville. Nous l'avons acceptée [sa donation] sous votre bon plaisir, Monseigneur, et celui de nos Supérieurs, nous confiant en votre sainte affection. Que si vous jugez le lieu convenable, lorsqu'il sera restauré, franchement et charitablement vous nous donnerez votre sainte bénédiction et permission pour nous y établir, ne voulant en cela que ce que vous jugerez à propos. Suppliant notre bon Dieu de vous combler des richesses de son amour, et vous conserver longuement pour sa gloire et le bonheur de votre cher peuple et le nôtre en particulier, et baisant en tout respect vos mains sacrées, je demeure avec une profonde révérence et fidèle dilection, Monseigneur, votre, etc. [320]

LETTRE MDCCXXIX - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Promesse de se rendre à Moulins, si Mgr de Genève le permet.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 25 octobre [1640].

Madame,

Je dirai tout simplement à votre bonté qui s'intéresse si fort pour notre bien (en quoi je reconnais tous les jours plus la grandeur de la bénédiction de Dieu sur nous, de nous avoir donné une si précieuse amitié et un si solide appui en votre digne personne, Madame), je lui dirai donc que bien que mon âge et mon inclination ne requièrent plus le travail des voyages ni l'emploi aux affaires, que néanmoins la force et l'autorité de votre jugement sur moi persévérant à m'imprimer la nécessité de la maison de Moulins, je m'y rends et rendrai avec tout le respect et soumission qui me sera possible, pourvu, Madame, que Mgr de Genève me le commande, auquel il faudra faire connaître les besoins et nécessités ; car, vous me permettrez d'observer cette maxime que Dieu m'a donnée que, quand il s'agit de l'emploi de ma chétive personne, je n'y veux rien du mien, mais la pure et simple obéissance, par laquelle la volonté de Dieu m'est signifiée, et cela me suffit ; car, peu m'importent toutes choses, pourvu qu'avec la divine grâce je vive là dedans. Voilà donc quelque espérance de recevoir encore le précieux et désirable honneur et consolation de vous revoir, Madame. Cependant je suis de cœur et en tout respect, Madame, votre très-humble et très-obéissante servante en Notre-Seigneur.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers. [321]

LETTRE MDCCXXX - À MONSEIGNEUR OCTAVE DE BELLEGARDE

ARCHEVÊQUE DE SENS

Remercîments pour l'envoi d'un livre. — Prévisions au sujet des élections qui doivent se faire aux monastères de Montargis et de Melun. — Mort du commandeur de Sillery.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Monseigneur notre très-bon et très-honoré Père,

Mon Dieu ! que je trouve le temps long dès que je me suis donné l'honneur de vous écrire ! Depuis, j'ai reçu votre cher livre, que l'on m'envoya sans me dire qu'il fût vôtre ; je ne savais que voulait dire cela. Je le lus et me sembla d'y trouver votre esprit, car la plupart des écrivains de ce siècle n'écrivent pas si moelleusement ni si solidement. Le sujet en est totalement utile et nécessaire d'être suivi, et Dieu le fasse comprendre à ceux qui se mêlent de la conduite des âmes ! Seulement hier j'appris, par notre Sœur la Supérieure de Montargis, qu'il était vôtre, ce qui me le rend plus précieux, mon très-cher Père. Je n'avais encore lu que la première partie ; mais, Dieu aidant, je le lirai et relirai et avec profit, moyennant sa divine grâce. Je vous en remercie de tout mon cœur et de la très-belle et dévote image qu'il vous a plu de m'envoyer. Je supplie la souveraine Majesté qu'elle représente, et sa très-sainte Mère, de vous être à jamais favorables, mon très-cher Père, et que par cette sainte et douce représentation que j'aurai souvent devant mes yeux, mon cœur soit purifié de ses défauts, afin que ses désirs, que j'offrirai souvent à la divine Bonté pour votre conservation et augmentation en son très-pur amour, soient plus facilement exaucés.

Nos deux bonnes Sœurs les Supérieures de Montargis et de Melun m'écrivent pour l'élection qui se doit faire cette année [prochaine] en leurs petites maisons ; je leur nomme quelques [322] Sœurs que je pense être capables de cet emploi. Et pour celles qu'elles disent de pouvoir proposer de leurs maisons, je les renvoie à votre jugement, Monseigneur, ayant un extrême désir que ces chères âmes donnent gloire à Dieu par la fidèle observance de leur Institut, et consolation à votre bonté paternelle, de laquelle elles reçoivent tant de biens spirituels et temporels. La divine Bonté leur en fasse la grâce !

Enfin notre bon M. le commandeur est parti très-heureusement et saintement, à ce que l'on m'écrit.[89] On ne pouvait attendre d'une si bonne vie qu'un trépas conforme ; et je ne puis douter que notre bon Dieu ne lui donne une très-ample récompense de tant de charités qu'il a faites, et des œuvres pour sa gloire, qui enrichiront le ciel de beaucoup d'âmes. Il a fondé en ce diocèse une mission de prêtres, qui font des fruits merveilleux par les villages où ils travaillent. Il nous a laissées chargées de grandes obligations pour les charités qu'il a faites à plusieurs de nos maisons. Dieu les lui rende par un accroissement de gloire !

Pardonnez-moi, mon très-cher Père, ma mauvaise écriture ; la presse que le départ de ce bon Père me donne en est cause, n'ayant loisir de bien penser à ce que j'écris. Votre bonté me supportera, s'il lui plaît, et me donnera sa sainte bénédiction, puisque de tout mon cœur et en tout respect je suis, Monseigneur, votre très-humble, très-obéissante et indigne fille, etc. [323]

LETTRE MDCCXXXI (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Conduite que doit tenir l'âme attirée à la simplicité.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma très-chère fille,

Selon que je connais l'ardeur de votre esprit, il me semble que vous souffrez toujours beaucoup quand vous n'avez pas facilité à aller à Dieu ; sa divine Bonté vous a voulu laisser à vous-même pour vous faire voir qu'est-ce que peut la chétive créature de soi ; rien du tout certes. Et c'était dans cette impuissance que vous deviez demeurer patiente, paisible et souffrante, sans vous essayer de faire chose quelconque, sinon de dire de temps en temps de ces paroles que vous me marquez, mais sans effort, tout simplement, et vous contenter de demeurer en la vue de Dieu avec une grande révérence, sans vous essayer de le regarder ni d'aller à Lui, ni de faire chose quelconque. Vous ne fîtes pas bien de faire ces billets, mais il fallait demeurer soumise dans votre pauvreté. Oh bien ! vous serez une autre fois plus sage. Mais j'ai peine à supporter ces réflexions, que ce sont vos lâches infidélités et négligences ; car, par la divine grâce, selon que je vous connais, vous n'êtes nullement entachée de ces défauts. Votre solitude vous sera plus utile que si vous vous fussiez fondue en douceur ; Dieu le vous fasse voir un jour, s'il lui plaît ! Je le bénis et remercie des grâces qu'il fait à vos Sœurs ; faites qu'elles prient un peu pour mes besoins, surtout notre Sœur F. M.

Je commence à répondre à votre mémoire [sur] l'état de votre solitude. Je vous l'ai déjà dit, il ne fallait point s'essayer à faire ce regard, vous n'en étiez en pouvoir ; mais demeurer sans acte actuel, sans vous mouvoir à quoi que ce soit... Tous ces actes [324] que vous marquez de se laisser soumettre, quand [l'âme] a liberté de les faire, dans cette très-simple simplicité, il la faut laisser faire ; mais vous n'aviez pas ce pouvoir, et parlant il ne s'en fallait pas efforcer. Quand l'on a le simple regard libre, il comprend tout et en un degré d'unité qui surpasse tout, bien que l'on y puisse dire des paroles quand elles sont excitées par l'attrait divin ; mais non pas vous, car cène serait que pour rechercher des satisfactions humaines. Il faut recevoir tout ce que Dieu donne, soit les bonnes pensées, lumières, mouvements, paroles et semblables traits qui passent dans nos cœurs, s'ils arrivent en cette vue et simple regard en Dieu. Il ne faut pas quitter cette attention pour courir, ou se complaire ou amuser à cela, car ce serait quitter le principal pour l'accessoire. Ces choses demeurent comme il plaît à Celui qui les donne et se passent de même. Il faut suivre les attraits et excitations que Dieu fait à l'âme. Demeurez tout en Dieu qui soit béni. [Que] Dieu bénisse et possède ma fille ! Je suis toute vôtre de cœur.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Paray-le-Monial.

LETTRE MDCCXXXII - À LA MÈRE CATHERINE-ÉLISABETH DE LA TOUR

SUPÉRIEURE À GRAY

Encouragement à porter le poids de la Supériorité. — Témoigner une respectueuse dilection à la Supérieure de Fribourg. — Préservation du monastère de Turin. — Élection de Sœur M. -Françoise Humbert à Crest.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 21 novembre 1640.

Ma très-chère et bien-aimée fille,

Mais qui en doutait que vous fussiez réélue ? Certes, ce n'était pas moi ; nos chères Sœurs ont trop bonne vue pour aller [325] chercher loin ce qu'elles ont chez elles. Or sus, ma chère fille, je veux dire votre coulpe, je vous veux un peu mortifier de laisser entrer si avant dans votre esprit le désir de quitter la charge d'une maison que vous voyez qui n'a pas encore des sujets prêts pour sa conduite, et où vous voyez que Dieu donne de si grandes bénédictions à la vôtre, pour le spirituel et temporel et au contentement et édification de chacun. Ma très-chère fille, que cela vous serve de signe de la très-sainte volonté de Dieu, et vous fasse tenir très-humble et reconnaissante devant sa Bonté, qui daigne se servir de vous pour conduire sa maison et ses épouses. Continuez donc, ma très-chère fille, joyeusement votre petit service à ce cher monastère, et que nos bonnes Sœurs s'avancent de plus en plus en la sainte observance, et du côté de la sainte éternité, où je vois que Dieu retire toujours quelques-unes de vos bonnes Sœurs. Certes, vous en enterrez prou ; mais je pense que le souverain Maître veut toujours cueillir de temps en temps quelques-unes des fleurs des mieux épanouies. La très-sainte volonté de Dieu soit faite ! Mais vous, ma très-chère fille, que pensez-vous de vous trouver ainsi mal ? je vous conjure que vous vous laissiez soulager et traiter comme le médecin ordonne, afin qu'avec l'aide divine vous puissiez encore servir longuement, humblement et saintement notre Institut que vous chérissez tant.

Je suis bien consolée, ma très-chère fille, de votre heureux établissement dans Gray, et que ce soit un Père Jésuite qui ait fait toute la cérémonie et le sermon. Partout les Pères de cette Compagnie nous témoignent une si sainte affection que certes cela nous oblige à un grand respect et reconnaissance cordiale. Au reste, ma très-chère fille, vos pensées pour l'accommodement entre Champlitte et Gray sont fort conformes aux miennes, et je trouve tout cela fort bien dans la raison et dans une égale et cordiale charité pour les unes et pour les autres. J'espère bien en Notre-Seigneur qu'il n'y aura point de difficulté entre les [326] maisons de Gray et de Champlitte. — Pour ce qui est de la bonne Mère de Fribourg, ma très-chère fille, n'opposez à toutes ses froideurs qu'une très-humble et respectueuse dilection cordiale. Tenez-vous dans la disposition et bonne volonté de lui céder le nom de la maison de Champlitte ; mais ne vous mettez pas en peine de lui en écrire davantage, attendez qu'elle vous en parle. Pour moi, je crois qu'elle n'y pensera plus, puisque Mgr de [Besançon] a concédé de s'établir à Dôle.

Ma très-chère fille, j'avais écrit cette lettre à l'avantage, il y a bien trois semaines, attendant votre apothicaire pour mettre toutes les réponses ensemble ; mais puisqu'il ne vient point, je donne toujours ceci à un bon Père de Saint-Dominique qui va à Besançon, et nous a fait avertir ce soir qu'il part demain de grand matin. — Nous nous portons toutes bien, grâce à Dieu, bien que les fièvres aient essayé le courage de bien bon nombre de nos Sœurs qui sont maintenant hors de l'infirmerie. La secrétaire a été la dernière, et je vais toujours la première à souhaiter à ma plus chère fille mille saintes bénédictions, étant du tout, ma très-chère fille, votre très-humble et indigne sœur et servante qui est, je vous assure, vôtre, et toute vôtre de bien bon cœur, ma très-chère fille.

[P. S.] Notre-Seigneur a préservé de tout mal nos Sœurs de Turin dans les plus grands troubles de la guerre ; elles ont fini les affaires de leur Bulle et fait leurs filles professes. Notre Sœur M. -Françoise Humbert est allée ce mois d'octobre à Crest, où nos Sœurs l'ont élue. Ma Sœur M. A. Ducret est allée avec elle. [327]

LETTRE MDCCXXXIII - À MONSIEUR LE MARQUIS DE PIANESSE

À TURIN

Actions de grâces à Dieu pour la conservation du marquis et de la communauté de Turin pendant la guerre.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 9 décembre 1640.

Monsieur,

Que peut-on dire maintenant, sinon : Loué soit éternellement le grand Dieu d'Israël, qui a fait miséricorde à ce bon peuple de Turin, qui a conservé votre chère personne, Monsieur, emmi tant de périls, qui a tenu sous les ailes de sa paternelle protection cette petite famille consacrée à sa gloire et à l'honneur de la Très-Sainte Vierge sa Mère, et enfin a garanti des hasards de la mort le fidèle M. B. et le bon M. Truitat, que la divine Providence avait donnés à ces chères âmes comme des anges visibles, pour les aider et garder en tant de si grands besoins ! Bénie soit une si grande et souveraine bonté ! Monsieur, aimez bien, je vous prie, ces deux fidèles amis de la Visitation, laquelle je ne vous saurais recommander ; il serait superflu : vous en êtes le tout bon père et protecteur.

De la chère petite fille[90] en êtes-vous content, Monsieur ? L'élève-t-on selon vos saintes intentions ? Au moins devez-vous vous assurer que le soin et l'affection n'y manquent pas, non plus qu'une entière obligation à vous rendre toutes sortes de devoirs. — Nos Sœurs d'ici vous saluent en tout respect avec moi. Assurément, Monsieur, nous vous avons toutes tenu parole, vous nous étiez toujours présent devant Dieu. J'étais bien touchée quelquefois d'appréhension ; mais quand après la sainte communion, je vous montrais à Notre-Seigneur, il me semblait [328] que je demeurais consolée, et je me confie que vous ne m'oublierez jamais devant sa divine Bonté, je vous en supplie et conjure, Monsieur, et de me croire toujours, car je la suis, du cœur qui sans cesse vous souhaitera les très-précieuses grâces de notre divin Sauveur, Monsieur, votre très-humble, etc.

LETTRE MDCCXXXIV (Inédite) - À LA MÈRE CATHERINE-ÉLISABETH DE LA TOUR

SUPÉRIEURE À GRAY

Prière de céder la fondation de Champlitte au monastère de Fribourg.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 20 décembre 1640.

Ma très-chère fille,

Je supplie notre divin Sauveur de nous faire abondamment part des mérites de sa sainte Nativité.

Vous aurez reçu à présent les réponses que nous fîmes aux vôtres par la voie de votre apothicaire, lequel vous a été bien plus fidèle que n'a pas été celui de nos chères Sœurs de Besançon qui nous envoya si tard leurs lettres depuis Genève, que les réponses nous en sont demeurées, avec la croyance que j'ai qu'à présent vos affaires sont faites, et que vous serez demeurées d'accord et en bonne union, sachant bien que votre bon et cordial cœur ne désire rien tant que cela. Or, ma très-chère fille, en voici un autre qui se présente et lequel je vous propose, et afin de ne pas vous écrire la chose tout au long, je vous envoie la lettre que ma Sœur la Supérieure de Fribourg a écrite à ma Sœur Jeanne-Thérèse [Picoteau] ; c'est pour savoir si vous voudriez bien faire la charité de leur céder votre établissement de Champlitte, au cas qu'elles ne soient pas établies à Fribourg, sans que pour cela elles désirent aucunement de vos biens qui en dépendent ; mais ayant cette assurée retraite, au moins de nom, cela donnerait facilité aux filles de Fribourg d'entrer [329] parmi elles ; et cela étant, ce serait le moyen d'y avoir plus facilement leur réception, y étant fort aimées et estimées, et Monseigneur même leur veut donner sa maison. Les parents des filles ne veulent en façon quelconque leur permettre d'être Religieuses, qu'en mettant dans le contrat le lieu où elles se retireront, au cas qu'elles ne soient pas reçues à Fribourg. Nous retirerons toujours de bon cœur ma Sœur la Supérieure et ma Sœur M. -Désirée ; mais de nous hasarder à dire qu'en ce cas nous retirerions toute cette troupe-là, c'est chose que nous ne pouvons pas faire, bien que j'espère que Dieu ne permettra pas que l'on soit en ces peines.

Ma très-chère fille, je connais votre bon cœur, et je suis très-assurée que vous ferez en cette occasion tout ce qui se pourra faire, comme une bonne et vraie fille de la Visitation doit faire pour le bien de son cher Institut et de ses chères Sœurs. Je vous prie d'en écrire à ma Sœur la Supérieure de Fribourg tout franchement et confidemment, afin que par ensemble vous puissiez faire ce petit accommodement qui serait, à mon jugement, fort agréable à Dieu et servirait au repos de ces pauvres filles. Vous verrez plus amplement dans sa lettre ses propositions qui ne sont point chargeantes, n'intéressant votre maison.

Ma très-chère fille, votre tout bon cœur, que le mien chérit certes très-sincèrement, se confie en sa charité qu'il fera tout ce qui se pourra légitimement pour la consolation de ces pauvres filles, qui certes me font pitié. Ma bien-aimée et très-chère fille, que votre chère âme ait à cœur de prier pour moi, je vous en conjure, et toutes nos chères Sœurs que je salue chèrement avec vous. Dieu soit béni ! — Veille de saint Thomas.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [330]

LETTRE MDCCXXXV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Choix d'une Supérieure pour Moulins. — Désir que la Mère de Blonay soit élue à Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 19 décembre [1640].

Ma toute très-chère fille,

Vous pouvez penser avec quelle consolation j'entendis le récit que notre bon M. Marcher me fit de vos nouvelles et de votre chère troupe ; mais il me mit en peine quand il me dit que votre maison aurait encore besoin d'une Supérieure de dehors, parce que je ne sais bonnement où la trouver, sinon que je pense que notre Sœur de Chastellux y retournerait d'aussi bon cœur que les filles la désireraient. Mais, selon qu'elle m'a déjà écrit, elle nous voudrait en sa place, non qu'elle me l'ait osé dire clairement, mais me demandant pour trois ans, si elle ne les peut obtenir, au moins pour trois mois, dit-elle, avec une Supérieure ancienne qui soit en grand crédit et estime, et dont la vertu et l'expérience se fassent révérer. Je n'en sais point que vous en tout l'Ordre. Je l'ai priée de me la nommer. Or c'est la vraie vérité qu'il en faudrait une telle en cette maison-là, pour achever son raffermissement et pour la consolation de madame de Montmorency, qui est un trésor de vertus et d'appuis en cette maison-là. Néanmoins je persévère à vous retirer ici, si nous pouvons, en cas que l'on ne vous veuille à Lyon, ce que je ne pense pas qui soit l'intention de Son Éminence et qu'il veuille vous laisser là. Or pourtant je voudrais, si l'on ne vous relâche à nous, que vous allassiez à Moulins, afin que n'étant plus en son diocèse nous vous puissions rappeler ici, qui est mon grand désir de passer le reste de mes jours avec vous, si c'est le bon plaisir de Dieu. J'attends quelque résolution de Lyon : je le presse. [331]

Cependant, je vous prie, faites tenir ces lettres à Paray, et les accompagnez d'une charitable recommandation, afin qu'elles assistent leurs pauvres Sœurs de Charolles, leur donnant une couple de leurs Sœurs avec leurs dots, pour les aider à se tirer de la misère, et leur faire avoir du pain,. le leur écris pour cela ; voyez ma lettre et puis la fermez. Dieu nous veuille donner cet esprit de parfaite charité ! Ma fille, je suis vôtre d'un cœur incomparable.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCXXXVI (Inédite) - À LA MÊME

Douleur qu'éprouverait la Sainte si elle ne pouvait obtenir cette Mère pour le monastère d'Annecy. — Une Supérieure ne doit pas permettre des louanges et des flatteries autour de sa personne.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 19 décembre 1640.]

Puisque j'ai le loisir d'ajouter à ma lettre de ce matin, que j'ai faite si à la hâte, je vous dirai, ma très-chère fille, que ce que vous me dites de notre Sœur de Chastellux n'avait point été représenté à ma pensée, et je pense que c'est quelqu'un qui se veut rire ; mais je pense bien qu'elles s'écrivent fort confidemment ces deux bonnes [Sœurs].

Or, nous faisons ce que nous voyons pouvoir être utile, mais dans l'entière dépendance de Dieu ; et je vous prie de prier et faire prier pour cela, car cela nous serait dur que l'on ne voulût permettre voire retraite ici et que l'on vous tînt ailleurs. Que si l'on vous rappelait en Bellecour, oh ! ce serait nous faire justice et charité, et je leur céderais de bon cœur ; mais vous donner à d'autres, pour nous priver de votre chère personne, cela serait dur ; cependant demeurons en paix et disposées à [332] recevoir ce qu'il plaira à Notre-Seigneur, sans ouvrir notre bouche pour dire une seule parole de plainte. Et je vous prie d'être fort sur vos gardes de ce côté-là, avec qui que ce soit ; je connais votre bonté et facilité à parler avec ceux qui vous témoignent un peu de confiance. Enfin j'espère que Dieu convertira tout à sa gloire, et encore à votre honneur et avantage, bien que de ce point nous ne devions pas seulement y penser, mais laisser tout ce qui nous touche à Dieu. Voilà notre bon Père N... ce vrai serviteur de Dieu et cordial [ami] de la Visitation ; je l'aime chèrement et lui ai bien de la confiance.

Il faut que je vous dise selon notre pensée et confiance que notre bon M. Marcher, lequel est jaloux et exact à tout ce qui touche la Visitation, me dit à son retour de vers vous, qu'il avait remarqué que vos filles vous faisaient quantité de caresses et qu'elles vous louaient nonpareillement et que vous ne leur en dites rien ; que s'il eût eu plus de loisir, il vous eût dit confidemment que cela l'avait étonné. Il vit bien que vous le souffriez par bonté ; mais c'est la vérité qu'il ne faut pas souffrir cela aux filles qui abondent en telles flatteries. Il a fallu que mon cœur ait dit cela au vôtre qui m'est très-cher.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Soleure (Suisse).

LETTRE MDCCXXXVII (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Les grâces de Dieu doivent être conservées par la mortification.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, décembre 1640.]

Ma toute très-chère fille,

De vrai, notre très-bon Dieu vous fait de grandes grâces et à toute votre communauté. Je crois que la Très-Sainte Vierge en est le canal, et votre dévotion, l'attrait. Enfin, vous êtes [333] infiniment obligée à cette souveraine Majesté qui donne tant de bénédictions à votre chère âme et à celles de toutes nos Sœurs. Gardez-vous de tout désir et empressement intérieur, et vaquez à tout avec très-grande tranquillité.

Dieu fasse la grâce à notre Sœur J. -Baptiste d'être fidèle à la grâce reçue, elle est très-grande ; mais, si elle ne se mortifie fidèlement, il est à craindre que quand les sentiments seront passés, elle ne s'alentisse. Et ma pauvre Sœur Séraphine, si le Père qui les a confessées leur pouvait bien faire comprendre l'importance de demeurer fermes en la grâce reçue, et la crainte qu'elles doivent avoir de la perdre, car peut-être ne retournerait-elle jamais, je pense que cela leur ferait grand bien. Je vous confesse que je suis attendrie de la grâce donnée à ma Sœur M. -Séraphine, oh ! qu'elle est grande et précieuse ! Dieu lui donne mille morts avant que d'en déchoir ; mais J'espère qu'elle ne le fera pas, car Celui qui a commencé l'œuvre, par sa puissante main, la soutiendra et perfectionnera. Mille millions de louanges lui en soient rendues et à sa sainte Mère. Je sens cette fille toute dans mon cœur. Je me recommande aux prières de toutes.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCXXXVIII - À LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE DE LA TRINITÉ

PRIEURE DES CARMÉLITES. À TROYES

Mort du commandeur de Sillery. — Union proposée et acceptée entre l'Institut de la Visitation et le saint Ordre du Carmel. — Désir du ciel.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma très-bonne et très-chère mère,

Le divin Sauveur règne éternellement en nos âmes, et sa très-douce et sainte Mère notre vraie protectrice !

J'espère en la grâce de leur divine Majesté que ce qu'ils ont [334] uni en leur sacrée dilection, le temps ni le silence, ni chose quelconque n'y apportera aucune altération. Il me semble impossible de vous oublier ; vous m'êtes trop chèrement précieuse. J'estime tant la grâce de votre amitié et de votre souvenir devant Dieu que rien n'y est comparable. Ma bonne et chère Mère, obtenez de ce très-débonnaire Sauveur que je vive, ce peu de jours qui me restent, et que je meure dans sa grâce, accomplissant parfaitement sa très-sainte volonté.

Hélas ! que le très-cher et bon père M. le commandeur est heureux d'avoir vécu et fait son passage si saintement ! Cette chère âme ne respirait que la gloire de Dieu et l'honneur de sa sainte Mère. Mon cœur a ressenti cette perte qui est très-grande ; mais béni soit le saint Nom de Dieu qui nous le rendra plus utile devant sa Majesté où il verra, avec nos saints Fondateurs, les besoins de leur Institut, et de nos âmes en particulier, pour nous obtenir ce qui nous est nécessaire ! Il avait bien au cœur l'union de notre petite Congrégation avec votre grand et saint Ordre. Je crois qu'il vous fit tenir la lettre que je vous écrivais sur ce sujet, où je vous priais, ma bonne Mère, de nous signifier ce que de notre part nous devrions contribuer pour acquérir le bonheur d'une spéciale union avec vous. Le Révérend Père Gibieux nous fit l'honneur de nous en écrire et nous disait que nous devions faire une communion générale tous les samedis à cette intention les unes pour les autres. Je lui répondis comme nos Constitutions ne nous permettaient pas des communions générales par-dessus celles qui sont ordonnées, mais que nous appliquerions à cette intention celles qui se feront tous les samedis, qui sont au moins trois ; et que si votre saint Ordre nous faisait part de la sienne du samedi, cela serait bien convenable à la grandeur de sa charité. O ma très-bonne et très-chère Mère ! ne faut-il pas que les grands et abondants en richesses spirituelles en départent aux pauvres et petits, comme en vérité je crois qu'est notre petite Congrégation en [335] comparaison de votre saint Ordre, qui a déjà envoyé tant de saints et de saintes dans le ciel ?

Depuis peu de jours, j'ai reçu votre lettre du 8 de novembre, où vous me déclarez vos pensées pour cette sainte union, laquelle j'embrasse de tout mon cœur, ayant incontinent offert ma volonté à Dieu et celle de toutes les Filles de la Visitation, selon votre sainte intention qui est tout à fait selon que nous pouvions désirer, et laquelle me donne un certain sentiment qui me console et fait espérer beaucoup de grâces de cette liaison. Or, comme la fête de la très-sainte et pure Conception de Notre-Dame et celle de saint Jean étaient passées quand je reçus votre bénite lettre, je n'ai pas laissé de faire l'offrande et de faire coucher par écrit les saintes intentions de notre union, bien exprimées, que j'enverrai dans tous nos monastères, afin que dès maintenant nos Sœurs offrent au divin Sauveur et à sa sainte Mère leurs cœurs pour cela, attendant de le faire généralement au jour de l'Immaculée Conception, et les prie que cela soit écrit sur le livre du Chapitre et que tous les ans à ces deux saintes fêtes nous reconfirmions et reliions de nouveau notre sacrée union ; voilà, ma toute bonne et chère Mère, ce que nous ferons. Faites que votre monastère fasse le même, afin que ce bonheur nous soit permanent et constant, à la très-grande gloire de Jésus et de Marie.[91]

Vous me dites que nous ne vivrons plus guère nous deux. Oh Dieu ! la bonne nouvelle ! Mais pourriez-vous obtenir de la divine Miséricorde que nous partissions et allassions ensemble louer, adorer, aimer et bénir éternellement ce souverain amateur des âmes ? Ma bonne Mère, employez votre crédit pour cela, selon [336] toutefois le très-saint bon plaisir du Sauveur, que je supplie vous combler de son saint et pur amour et toutes vos chères filles, aux prières desquelles je me recommande, et je suis de cœur, votre, etc.

LETTRE MDCCXXXIX (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-FRANÇOISE DE CORBEAU

ASSISTANTE ET MAÎTRESSE DES NOVICES, À TURIN

Elle lui souhaite de progresser en humilité et simplicité.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

Ma très-chère fille,

Je vous salue réciproquement, et vous souhaite une profonde et solide humilité et sincère simplicité à l'obéissance ; et, avec cela, ma très-chère fille, votre cœur ne ressentira pas si sensiblement la répréhension de vos fautes, ains les vous fera accuser franchement, et chérir celles qui vous les montrent charitablement, avec amour.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCXL - À LA SŒUR JEANNE-BÉNIGNE GOJOS[92]

RELIGIEUSE DOMESTIQUE, À TURIN

Le cœur que Dieu gouverne n'a pas besoin d'autre directeur.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1640.]

MA FILLE TRÈS-CHÈRE,

En ce peu de mots que vous me dites de votre intérieure occupation, il me semble que Dieu me fait voir votre âme comme si elle était exposée à mes yeux. C'est Dieu qui opère [337] en vous, et sans vous, ce qui se passe en votre chère âme. Il m'est avis donc que ce que vous devez faire, c'est de regarder Dieu et le laisser agir, vous tenant dans l'amoureuse simplicité intérieure. Et quant à l'extérieur, employez fidèlement les occasions que sa Providence vous présentera dans chaque [338] moment pour la pratique des vertus. Mais ce que je dis est superflu, car le cœur que Dieu gouverne n'a besoin d'autre directeur. Suppliez sa Bonté, ma chère fille, d'accomplir en nous sa sainte volonté, sans que nous y apportions aucun empêchement. Votre, etc.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [339]

ANNÉE 1641

LETTRE MDCCXLI - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Comment recevoir les consolations et les désolations.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 10 janvier 1641,

Ma chère fille,

Je vois que votre chère âme est toujours dans ses vicissitudes de consolations et bonnes lumières, et aussi de délaissements, ténèbres et sécheresses ; toutes les bonnes âmes passent par là. Je vois que la vôtre a toujours un peu de peine quand elle est réduite aux impuissances, par la crainte que vous avez que cela ne vous arrive par votre faute et d'offenser Dieu par vos lâchetés et infidélités. Hélas ! où en serions-nous si les ténèbres et impuissances nous rendaient coupables devant Dieu ! Au contraire, sa divine Bonté nous les donne pour nous purifier, et faire mériter par cette souffrance portée humblement et doucement ; car qui ne sait que les goûts, les lumières et agilités spirituelles ne sont pas en notre pouvoir, et que nous n'y avons que le seul acte de la volonté ? De quoi donc nous tourmenter quand nous ne pouvons ceci et cela ? Mais je vois que Notre-Seigneur ne vous laisse pas de fort loin, et que dans vos sécheresses Il vous donne toujours de quoi passer chemin : que cela vous suffise et ne vous regardez point tant. Vous voyez trop ce qui se passe en vous : vous devriez recevoir le bien et le mal, la consolation et la désolation également, sans y vouloir prendre garde, ains tenir votre esprit simplement attentif à Dieu, sans vous amuser [340] à ce qui se passe, en sorte que vous ne voyiez ni sachiez dire ce que c'est. Tâchez, autant qu'il vous sera possible, de faire cela, et de ne point laisser entrer ces craintes du péché si avant dans votre cœur. Il le faut éviter soigneusement quand on le voit ; hors de là n'y point penser.

Je vois bien que vous ne faites pas tout ce que vous voulez de votre esprit ; mais c'est aussi une peine qu'il faut souffrir sans s'y amuser, lâchant toutefois de l'accoiser doucement et lui retrancher toute réflexion volontaire. Priez Dieu que je fasse bien ce que je vous dis. Sa Bonté vous bénisse et soit bénie !

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Thonon.

LETTRE MDCCXLII - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Envoi d'une lettre de Mgr de Genève, relativement au voyage de la Sainte à Moulins.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 15 janvier 1641.

Madame,

Il m'a bien fâché d'être si longtemps sans répondre à celle dont votre bonté m'a honorée ; mais il fallait que j'attendisse de pouvoir parler à Mgr de Genève, à qui l'âge et la saison ne lui permettent guère de sortir du logis, outre que j'ai aussi été retenue dans la chambre plusieurs jours pour un grand rhume : avant-hier seulement, il vint ici. Je n'eus pas besoin, Madame, de lui dire qui vous êtes, car il connaît très-bien votre illustre maison ; et, par réputation, la dignité des grâces naturelles et surnaturelles dont la suprême Providence vous a gratifiée, Madame, et il m'en parla avec singulier respect.

Voilà sa réponse à laquelle je n'ai contribué chose [341] quelconque, j'en ferais conscience ; car comme je me sens tout à fait incapable de rendre utilement le service que votre bonté attend de moi et toutes nos Sœurs, si ce n'est par la bénédiction de la sainte obéissance, je désire n'y avoir aucune part que celle d'une sincère soumission. Je pense que, comme ce bon prélat sait qu'il est impossible que je parte de ce monastère qu'après l'Ascension, il vous le mandera : s'il ne le fait pas, je vous le dis, Madame, qu'en conscience il ne se peut ; car ayant à faire ici l'élection d'une Supérieure, je ne puis en façon quelconque abandonner cette maison que cela ne soit fait. — Je ne sais pas ce que Mgr de Genève vous répond, mais je vous assure, Madame, que, s'il me commande d'aller, je le ferai de très-bon cœur, moyennant la grâce de Dieu, et d'autant plus que l'espérance de l'honneur de vous voir me sera un puissant attrait et consolation dans cette obéissance.[93] Dieu veuille couronner cette année et [répandre] plusieurs bénédictions sur votre digne personne, Madame, de qui je suis et serai sans fin et en tout respect, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers. [342]

LETTRE MDCCXLIII (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-MARGUERITE MICHEL

SUPÉRIEURE À FRIBOURG

Souhaits de bonne année. — Promesse de recevoir une postulante de Fribourg.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 17 janvier 1641.

Ma très-chère fille,

Je prie Dieu, au commencement de cette année, vous combler de grâces et bénédictions avec toutes nos très-chères Sœurs, et vous la rendre pleine de prospérités. — Il n'y a pas longtemps que nous vous avons fait réponse, touchant nos chères Sœurs de Besançon. J'ai été un peu tardive à répondre à la vôtre dernière, à cause de la grande multitude d'affaires que nous avons. Quant à ce que vous me dites, que les parents de cette demoiselle ne lui veulent pas permettre d'entrer parmi vous pour être Religieuse, ne se contentant pas de l'assurance que l'on vous a faite de la recevoir en notre seconde maison d'Annecy, désirant que son assurance soit d'être reçue en ce premier monastère au cas que l'établissement de Fribourg ne se fasse pas, s'ils savaient comme, par la grâce de Dieu, notre seconde maison et celle-ci sont proches et ne sont qu'une ensemble, ils ne feraient pas cette difficulté. Qui promet pour l'une, promet pour l'autre. Donc, vous les pouvez assurer qu'étant personnes telles que vous me les dépeignez, et la demoiselle étant si bonne et vertueuse et ayant une si puissante vocation, l'on n'aura garde de les éconduire en leur désir. L'on se contentera de la dot de deux mille cinq cents livres monnaie de France. Je crois bien, ma fille, qu'avec cela Messieurs ses parents ne manqueront pas de vous donner ses habits et quelque petit ameublement. Ma chère fille, je vous salue et toutes nos chères Sœurs, me recommandant à vos prières. Je supplie Notre-Seigneur vous combler de son saint amour. Je demeure, ma chère fille, votre, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archive de la Visitation d'Annecy. [343]

LETTRE MDCCXLIV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Elle l'engage à se maintenir dans le simple regard en Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Je vois, ma très-chère fille, que notre très-bénin Sauveur vous traite toujours en fille qui l'aime, vous favorisant de beaucoup de grâces et de lumières, et surtout j'estime le courage qu'il vous donne pour les suivre et être absolument en sa sainte main ; bénite en soit sa Bonté. Votre petite lettre précédant cette dernière me disait que, vous ôtant les attaques, vous teniez votre esprit ferme dans ce simple regard dont vous voyez que ce soit le mieux, et il est vrai. Persévérez, ma très-chère fille, et à prier pour moi, que Dieu me fasse la même grâce, et accomplisse en moi sa sainte volonté.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Poitiers.

LETTRE MDCCXLV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Qualités que les Sœurs de Moulins désirent à leur future Supérieure. — Prévoir l'élection de Bourg. — La communauté de Vannes souhaite la Mère de Chastellux. — Éloge de madame de Montmorency. — Aller d'un monastère à l'autre est contre la clôture. — Le cardinal de Lyon ne désire pas que la Mère de Blonay retourne à Bellecour.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Ma très-chère et toujours plus aimée fille,

Je crois que vous aurez reçu maintenant un mot de lettre que nous vous écrivîmes il n'y a que trois jours, par un Père Cordelier, qui était pour vous dire comme Monseigneur a écrit à [344] Son Éminence pour vous demander pour céans ; nous ne savons pas la réponse qui se fera. Dieu par sa bonté veuille tout conduire pour sa gloire !

Mais, ma très-chère fille, il faut que je vous avoue que je suis ravie de voir la lettre de ma Sœur [M. H. de Chastellux] Supérieure de Moulins, de dire que j'ai promis d'aller là, et faire entendre au bon Père Michel-Ange comme si je vous y avais proposée. Voici sincèrement comme la chose s'est passée : après plusieurs pressantes lettres pour ce sujet de m'en aller à Moulins, et les instantes supplications de madame de Montmorency, il me prit scrupule de continuer ma résistance, vu les raisons que m'apportait et les prières que me faisait une dame de telle vertu et mérite, tellement que je fis réponse à ma Sœur la Supérieure, et à madame de Montmorency aussi, que je dépendais de l'obéissance, que si l'on faisait voir à Mgr de Genève, qui est mon Supérieur, des raisons de nécessité, ensuite desquelles il me commandât d'aller à Moulins, que je n'apporterais pas de la résistance si la volonté de Dieu m'était connue par mon Supérieur : voilà toutes les promesses que j'ai faites.

La Mère de Moulins m'écrivait et les conseillères aussi, que je leur donnasse une Supérieure excellente et solide au-dessus du commun, laquelle fût ancienne d'âge, ancienne de Religion et qui eût une longue expérience à la conduite, qu'elle fût douce, d'une grande sagesse, d'une grande douceur et dextérité pour manier les esprits. À la vérité, ma très-chère fille, je ne pus pas m'empêcher de sourire de leur voir si bien dépeindre la Supérieure qu'elles voulaient, et fis réponse à la Mère que véritablement, grâce à Dieu, il y a dans l'Institut assez de sujets qui ont plusieurs des bonnes conditions qu'elles demandent en une Supérieure, mais que je ne savais que notre chère Sœur de Blonay qui les eût toutes ensemble et à un si haut degré qu'elles désiraient, mais qu'elle n'était nullement en notre disposition, [345] que donc elle regardât avec ses Sœurs, dans l'Institut, celle qu'elles jugeraient à propos pour les servir utilement ; que je les assurais, si elle n'était pas engagée, de faire mon petit pouvoir pour la leur faire avoir, et que toujours je leur allais nommer celles sur qui je pensais qu'elles pourraient jeter les yeux, à savoir la déposée de Nevers, la déposée d'Orléans, et ma Sœur de la Martinière qui sera déposée à Blois. Sur cette lettre, ma très-chère fille, la bonne Mère de Moulins, qui est un peu ardente en ce qu'elle désire, me fit une belle lettre de remercîments de ce que je leur promettais d'aller à Moulins, et me parlait aussi de vous, comme si je leur en eusse donné quelque assurance, sans me dire un seul mot des trois autres que je leur avais proposées. Oh ! croyez, ma chère fille, que je lui fis une bonne réponse, et leur disais bien que votre chère personne est entre les mains de puissances si hautes que nous n'y avions point de pouvoir pour nous-mêmes, à plus forte raison n'en avions-nous point pour les autres ; qu'au reste, il y avait un an que je ne cessais d'écrire pour savoir si nous vous pourrions obtenir, et qu'au bout de toutes mes diligences j'en suis aussi savante qu'au commencement.

Mais enfin, ma toute chère fille, je résigne tout entre les mains de Dieu ; sa Bonté sait avec quelle affection nous désirons votre chère présence, mais nous ne savons pas ce que sa Providence a destiné ; que s'il lui plaît de tirer de vous ce service, et vous envoyer à Moulins, Il est le souverain Maître. Mon âme a une parfaite consolation de voir la vôtre également indifférente entre les mains de Dieu et d'être disposée d'aller ici ou là, selon que sa divine Bonté l'aura destiné ; c'est la vraie disposition que je désire à votre cœur bien-aimé. Et comme nous sommes dans une si grande incertitude, il faut, ma très-chère fille, que vous pensiez sur qui vous voulez jeter les yeux pour laisser votre maison entre quelques bonnes mains, si Dieu ordonne que vous la quittiez : je désire savoir cela. Je sais bien que vos Sœurs [346] seraient bien aises de réavoir ma Sœur la Supérieure de Moulins, mais je ne crois pas que cela se puisse. Nos Sœurs de Vannes, qui sont filles de Moulins, la désirent et en ont besoin.

Il est vrai, ma très-chère fille, que la maison de Moulins a des esprits assez difficiles ; mais la charge n'est point à appréhender pour le regard de madame de Montmorency. Je vois bien que ce bon Père ne la connaît pas, quoiqu'il la nomme sainte, et vraiment elle l'est. C'est un bonheur, un honneur et une utilité incroyables à la maison de Moulins que la présence de cette vertueuse duchesse. Ce n'est point une femme de cour : son cœur ni ses affections n'y furent jamais. Elle ne couche ni ne mange avec ni parmi les Sœurs ; elle est logée en un corps de logis séparé, au bas de la basse-cour, qui est une marque du mauvais ménage de feu ma Sœur M. A…, qui fit bien de la dépense à le faire bâtir ; il est du tout hors le commerce des Sœurs. Là, cette vertueuse dame couche et mange, sans que les Sœurs s'en mêlent : elle va à la messe au chœur ; mais elle ne va que très-rarement parmi les Sœurs, et toujours elle y répand une nonpareille odeur de ses grandes vertus, qu'il ne [serait pas] à désirer qu'elle fût seule. Elle ne voit qui que soit ; mais quel moyen d'éviter qu'une telle dame ait quelque peu de suite, ni d'empêcher qu'elle ne trouve la porte de notre maison ouverte, étant là retirée par l'autorité royale ? Je le répète, c'est un bonheur sans pareil à notre maison d'avoir cette sainte princesse Dites-le bien à ce bon Père, et comme le couvent n'est non plus distrait d'elle, ni occupé à son service que si elle n'y était pas. Elle a une vénération si grande pour les exercices religieux qu'elle ne permettrait pas qu'une Sœur perdît seulement le commencement d'un Office pour elle. Je suis témoin oculaire de ce que je dis, et en ai été ravie.

Hélas ! ma chère fille, que ces allées et venues d'un des [347] monastères à l'autre sont fâcheuses et contre la clôture ; je savais déjà l'histoire de la récréation et suis très-aise que Son Éminence ait fait voir le défaut. J'ai écrit là-dessus mon sentiment et de quelques petites choses ; j'attends voir quelle réponse l'on me fera par le retour de nos marchands. — Je vous supplie, ma très-chère fille, de faire faire les prières ordinaires pour une de nos sœurs de la seconde maison, qui décéda hier. Elle se nomme M. -Agnès. — Nous n'avons pas encore reçu les lettres que vous dites nous avoir écrites, il n'y a que quinze jours.

[P. S.] Ma très-chère fille, un Père m'a dit que Son Éminence (ou quelque autre personne, je ne m'en souviens pas clairement), que Son Éminence n'avait nulle inclination que vous retournassiez à Lyon, et que vous n'y seriez pas proposée. Là-dessus Mgr de Genève a écrit, et nous espérons bonne réponse, sinon que l'on ne veuille aussi que vous ne soyez pas ici, ce que je ne crois pas, mais il en est venu quelque pensée à quelqu'un ; c'est pourquoi, si cela était, nous procurerions que vous fussiez à Moulins, je veux dire que nous ne l'empêcherions pas, afin qu'étant hors du diocèse, nous puissions vous retirer. Tout ceci m'est dur, mais Dieu qui le permet pour notre mieux soit béni ! — Un Père familier de Bellecour m'a dit que ma bonne Sœur N. y était plus crainte qu'aimée, et que sans doute le gros de la communauté vous désire. Je vous prie, n'écrivez qu'à la Mère fort cordialement, sans rien témoigner. Que si vous écrivez à quelques filles, que ce soit par réponse, sans rien témoigner que de grande cordialité.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [348]

LETTRE MDCCXLVI - À LA MÈRE MARIE-AUGUSTINE D'AVOUST

SUPÉRIEURE À MAMERS

On ne doit rien négliger de son devoir au temps de la tribulation intérieure. — Divers points d'observance touchant l'entrée des Sœurs tourières, la Sœur portière, le coffre à trois clefs et le catalogue pour l'élection. — Il faut dire l'Office rondement et ne pas changer le chant noté par saint François de Sales. — Joie d'apprendre que le Saint visite le monastère de Mamers par des odeurs célestes. — Les communautés qui peuvent se suffire font bien de ne pas prendre une Supérieure au dehors. — Au milieu des dangers de peste, se tenir confiantes en la volonté de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Ma toujours plus chèrement aimée fille,

Je vous assure que je reçois une nouvelle consolation quand je vois de vos lettres, et que j'apprends des nouvelles de votre cœur, que le mien chérit d'une tendre affection. Je vois que Notre-Seigneur a permis qu'il soit un peu pressé et peiné, ce bon cœur ; mais je remarque aussi que notre Sauveur le lient et soutient dans ces attaques. O ma chère fille ! sommes-nous pas bienheureuses que ce miséricordieux Père nous fasse un peu part de quelques petites gouttelettes de son fiel, lequel enfin sera plus doux que le miel à notre âme ? Demeurons volontiers comme Dieu veut que nous soyons, et comme m'écrivait le Bienheureux, « ne regardons point par où nous cheminons, mais sur Celui qui nous conduit, et au bienheureux pays où Il nous mène ». Quelle sécheresse qui vous puisse arriver, ne rabattez rien de votre devoir ni de ce que vous devez faire, sans vous mettre en peine si vous n'agissez pas avec la vigueur ordinaire ni allégresse, car vraiment cela n'est pas en notre pouvoir, oui bien la fidélité : voilà pour votre cœur. Je veux maintenant répondre au reste de votre lettre.

Je suis bien aise, ma fille, que l'écrit de Marseille ait profité à votre communauté. Oh ! si vous aviez vu cette maison-là, vous [349] en seriez ravie ; je ne sais où j'ai eu plus de satisfaction pour le vrai esprit d'oraison, union et exactitude et très-grande simplicité qui y règnent. — Mais n'entrez pas en nul scrupule pour les entrées des Sœurs tourières : nous les faisons entrer pour toutes les occasions que vous me marquez, et on les peut faire entrer généralement pour tous les gros services de la maison. Nous les faisons aussi entrer le soir lorsque nous faisons deux ou trois fois l'année quelque petite récréation extraordinaire ; mais elles passent par le tour, et l'on en demande congé au confesseur ou Père spirituel. Mais si, pour laver la lessive ou pétrir, elles sont dans la maison, il ne faut point d'autre licence. Il ne les faut pas faire entrer exprès pour rendre compte.

Quant à toutes ces petites circonstances que vous observez pour la portière, nous ne les faisons pas. Quand la portière vient demander congé d'ouvrir la porte à quelqu'un, elle prend tout d'un train la clef de la Supérieure, puis sonne son aide. De même, si l'on sonne avant les Ave du matin, ce qui est très-rare, elle va simplement à la porte comme à l'ordinaire, après avoir été prendre les clefs à la chambre de la Supérieure. Il est vrai que si c'était bien avant dans la nuit, comme à deux ou trois heures après minuit, il faudrait qu'elle fût assistée ; mais pour demi-quart d'heure ou pour un quart d'heure, ou une heure l'été avant le réveil, cela ne veut rien dire. Pour la clef du coffre que vous envoyez prendre, cela est indifférent : la Constitution n'oblige pas à être toutes trois présentes quand le coffre s'ouvre, mais seulement que les trois nommées aient les clefs, afin qu'il ne soit point pris d'argent sans qu'elles le sachent. Voyez-vous, ma fille, si nous voulons faire ce qui n'est pas défendu, nous ferons beaucoup de choses ; céans nous nous contentons de faire ce qui est écrit. — Soyez soigneuse que l'Office se dise bien rondement, car il y a plusieurs prélats qui nous veulent faire changer notre chant, ce qui me fâcherait bien ; [350] car c'est notre Bienheureux Père qui le nota et composa des notre commencement.

Quand l'on veut proposer une ou deux des conseillères pour mettre sur le catalogue, elles vont comme les autres parler au Supérieur ; puis pour y aller toutes ensemble elles se retirent et n'y vont pas. Si la Supérieure veut appeler en leur place des surveillantes, cela est indifférent, je ne le voudrais pas mettre en coutume ; ains après que j'aurais parlé au Supérieur avec les autres coadjutrices, je les ferais appeler pour faire le catalogue, aussi bien faut-il qu'elles s'y voient.

J'ai été toute consolée que notre Bienheureux Père ait visité votre maison par ses odoriférantes et sacrées visites. Voyez, ma fille, ce Bienheureux vous est allé dire grand merci de la belle aube que vous lui avez offerte, et encore plus de la fidèle affection que vous avez de prendre son vrai esprit, et le communiquer à toutes celles que la divine Providence commettra à votre soin. — Or sus, béni soit Notre-Seigneur qui vous a préservées de la contagion. Il se faut servir de précautions humaines et naturelles, mais vous ne pouvez user d'un meilleur préservatif que de prendre de l'eau où les reliques de notre saint Fondateur ont trempé. Vous avez cueilli les fruits de votre confiance ; j'en bénis Dieu de tout mon cœur, et compatirais à la cécité de M. votre Père spirituel et de M. votre confesseur, n'était que j'espère en Dieu, puisque ce sont des âmes si pleines de vertus et de piété qu'il récompensera cette affliction et perte corporelle par les dons intérieurs de la soumission à sa divine volonté, qui est le plus précieux trésor que l'âme puisse avoir en ce monde, pourvu que nous voyions éternellement notre Dieu. Il n'y a point de doute que M. votre confesseur étant si bon et docte, sa cécité ne l'empêchera pas de continuer à vous confesser, et un autre dira votre messe. — Vous avez fait fort sagement de ne pas laisser finir l'année en la charge de directrice à cette bonne Sœur qui faisait tant de besogne en peu de temps. [351] Nous voyons tous les jours plus qu'il faut que l'humilité, la simplicité et la sincérité soient bien enracinées au cœur des filles qui sont employées aux principales charges, mais surtout à la direction des novices. — Je suis bien aise de ce que vous me dites, que vous êtes résolue de n'aller point chercher de Supérieure au dehors : les maisons qui ont de quoi se tenir chez elles s'en trouvent bien.

Ma chère fille, agréez humblement de voir que quelques-unes de vos Sœurs aient des pensées et aversions à votre sujet ; tirez-en le fruit d'une cordiale humilité, puisque Dieu fait la grâce à ces chères âmes d'en tirer celui de la sincérité, candeur et mortification. Celles qui sont travaillées de peines intérieures sont bienheureuses, pourvu qu'elles soient fidèles à Dieu, et à aller, malgré ces vents contraires, toujours constamment. Vous avez bien raison d'estimer le chemin de la croix ; car qu'y a-t-il de plus souhaitable en ce monde que d'être rendu conforme au Fils de Dieu, dont l'infinie charité a voulu, par multitude de travaux et de douleurs, entrer dans sa gloire ? Il me semble qu'entre tous les hasards que courent les servantes de Dieu en ce temps de calamités, la mort de peste est la moindre au prix des autres maux oit les guerres ont jeté des pauvres Religieuses. Et enfin, ma fille, ce grand Sauveur, qui sait faire toutes choses pour sa gloire et notre bien, tire de ces afflictions contagieuses tant de bien, mettant les cœurs à l'épreuve de la résignation à sa sainte volonté, de la confiance en sa bonté et providence, et de la charité véritable pour le prochain, par les assistances que l'on se rend les unes aux autres en semblables rencontres. C'est un grand aiguillon aux âmes, pour rentrer profondément en elles-mêmes, de se voir dans les hasards et de se voir subitement surprises de la mort. Je regarde maintenant votre cœur, ma chère fille, comme embrassant amoureusement et généreusement la sainte croix par laquelle le divin Sauveur vous a tant donné de lumières, de désirs et d'affections. Je vous conjure [352] de demeurer grandement joyeuse et allègre et de tenir votre communauté grandement contente, encouragée et sans appréhension, tant qu'il se pourra, d'autant que l'appréhension fait beaucoup de mal. Et puis, que doivent appréhender les vraies servantes de Notre-Seigneur ? Rien du tout que le péché. Que doue ces chères Sœurs soient fort gaies en l'attente de la divine volonté ; je les en prie par votre entremise, et supplie Jésus, sa sainte Mère, saint Joseph et notre Bienheureux Père vouloir prendre soin de cette chère troupe, des cœurs et des corps ; et vous, ma fille, je vous conjure, si nous vous pouvons servir en quoi que ce soit, de nous le demander. Je m'assure aussi que vous ne manquerez pas de précautions et de préservatifs convenables ; car, comme disait notre Bienheureux Père, « Dieu ayant donné la vertu aux remèdes, c'est sa volonté que nous nous en servions » ; mais, après avoir fait ce qui est de notre pouvoir, ma chère fille, disons de bon cœur et partout : Fiat voluntas tua !

Je ne pourrai m'exempter de peine que je ne sache de vos nouvelles. Votre, etc.

LETTRE MDCCXLVII - À LA SŒUR ANNE-MARIE ALMERAS[94]

À AMIENS

Vertus nécessaires aux Religieuses envoyées en fondation. Leur influence sur l'avenir du monastère.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 13 février 1641.

Puisque Dieu vous appelle à coopérer au commencement d'une maison de la Visitation, rendez-vous fidèle à sa Bonté, [353] ma très-chère fille, lui rendant amoureusement ce que vous voyez que sa Bonté requiert de vous, qui n'est autre sans doute que cette humble, amoureuse et cordiale exactitude à tout ce qui nous est marqué. Je suis consolée de voir que vous connaissez la bonté et vertu de votre chère petite Mère [M. E. Turpin] ; c'est un vrai cœur de la Visitation. Soyez toujours bien unie à elle, ma très-chère fille, et soyez son aide et sa consolation en l'œuvre que Dieu désire d'elle et de vous ; car des bons commencements des maisons dépend la plus grande partie de leur établissement et progrès en l'esprit de l'Institut, que je supplie la bonté de Notre-Seigneur répandre abondamment sur votre chère troupe, et surtout au cœur de ma très-chère fille, que je supplie de vouloir se souvenir de mes besoins devant Notre-Seigneur. Je vous eusse volontiers écrit un mot de ma main, mais une défluxion sur le visage m'en empêche ; c'est pourtant de tout mon cœur que je suis, ma très-chère fille, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation d'Amiens. [354]

LETTRE MDCCXLVIII (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-MARIE BOLLAIN

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

Recommandations pour le soulagement de la Mère H. A. Lhuillier. — Succès qu'obtiennent les Prêtées de la Mission dans le diocèse de Genève ; croyance populaire à leur sujet. — Prière de faire passer les Vies des Sœurs défuntes au deuxième monastère. — Divers envois de livres.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 18 février 1641.

Ma très-chère fille,

Il faut que je supplée ici à ce que je n'ai pas dit à ma très-chère Sœur la Supérieure, n'ayant pu plus longtemps écrire de ma main, à cause d'une défluxion qui me tombe sur le visage, et qui me travaille un peu dès environ trois semaines en ça ; vous verrez ce que je lui écris touchant le voyage de Moulins et le direz au bon M. [saint] Vincent [de Paul], auquel je n'écris pas maintenant pour la même raison que je viens de vous dire. Sitôt que nous aurons la résolution de ce béni voyage, assurez-le que nous la vous ferons savoir. Or, ma très-chère fille, puisqu'il plaît à Dieu de tenir ma très-chère Sœur la Supérieure dans de si continuelles infirmités et maladies, bien que j'aie confiance que la divine Providence, qui sait le besoin que votre chère maison et certes tout l'Institut en a, nous la conservera encore pour quelques années, il faut la soulager, et pour cela la décharger entièrement, par l'autorité de M. Vincent, de tous les soins et fonctions de la supériorité, excepté de ses conseils, avis et ordonnances ès occasions un peu importantes ; et que, lorsque quelque Sœur particulière aura des nécessités, elle leur parlât quelque quart d'heure quand elle le pourrait sans incommodité, car le parler surtout lui est extrêmement nuisible ; c'est pourquoi il en faut éviter les occasions autant qu'il se pourra, si ce n'est pour des absolues nécessités.

Je suis du sentiment de M. Vincent, qu'il ne la faut pas [355] déposer, car ce mot de Mère portera toujours, pour son regard, des effets tout particuliers dans votre chère communauté ; mais il la faut absolument décharger des soins et fonctions de cette charge. Je sais, ma chère fille, combien cette chère Mère est précieuse à votre chère âme, c'est pourquoi je ne m'étends pas à vous la recommander : votre véritable charité et sincère dilection pour elle me tiennent en repos de ce côté-là. Vous agréerez pourtant que, pour ma consolation, je vous conjure d'apporter et contribuer tout ce qu'il vous sera possible et qui se pourra humainement faire pour son soulagement. Je m'assure que notre bon M. Vincent vous mettra le fardeau dessus ; recevez-le, ma chère fille, avec humilité et confiance en notre bon Dieu, qui vous donnera tout ce qui vous sera nécessaire pour le porter ; marchez seulement dans votre droiture, sincérité et bonne foi accoutumées, et sa Bonté vous bénira.

Je vous prie de saluer chèrement M. Vincent de ma part, et lui dites que je me tiens bien assurée qu'il ne m'oublie pas devant Dieu. Nos Messieurs de la Mission, ses chers enfants, se portent bien ; ils sont maintenant à une lieue près de Genève. Dieu répand de grandes bénédictions sur leurs travaux. Ils sont tous en œuvre et en admiration de voir la bonté et docilité des peuples de deçà. Il faut dire ceci aussi à leur bon Père M. Vincent, pour le récréer : M. Codoing nous écrivait l'autre jour que ces pauvres paysans, nonobstant les grandes neiges et mauvais temps qu'il a fait ces jours de deçà, venaient d'une grande lieue de ce pays (qui en veut dire deux ou trois de France), et étaient deux heures avant le jour à la paroisse pour ouïr les prédications, et que les larmes des pénitents attirent bien souvent les leurs. Ces bonnes gens disent entre eux que Notre-Seigneur leur a révélé tous leurs péchés, et d'autres que la fin du monde s'approche et que Notre-Seigneur les a envoyés avant l'Antéchrist, pour les exciter à faire pénitence ; d'autres disent qu'ils ont demeuré morts six années à Rome, et que Notre-Seigneur les a [356] ressuscités pour leur venir annoncer les peines de l'autre monde. Une bonne femme simple, qui les était allée trouver d'assez loin pour se confesser à eux, un matin s'en alla heurter à leur porte et dit qu'elle voulait parler au Père prédicateur. M. Codoing vint, et l'ayant interrogée de ce qu'elle voulait, elle lui répondit en son savoyard : « Je vous viens dire, Monsieur, que vous vous teniez prêt, car dans six ans vous irez faire vos missions dans Genève. » — « Qui vous l'a dit, ma bonne amie ? » — Elle répéta encore qu'elle l'assurait de cela, que dans six ans, ils feraient leurs missions dans Genève. M. Codoing écrit encore qu'il a fait des conversions tout extraordinaires. Enfin, ces bons ouvriers moissonnent abondamment dans le champ de Notre-Seigneur.

Je vous prie, ma chère fille, de nous faire savoir au plus tôt des nouvelles de ma Sœur la Supérieure et de M. Vincent, par la voie de Chambéry, puisque c'est la plus prompte ; car si bien je ne réponds qu'aujourd'hui à vos lettres, elles nous furent déjà remises le 14 de ce mois. Nous attendons de bon cœur des livres de Méditations, parce que les premiers sont perdus avec le livre de la Vie de notre Bienheureux Père, faite par le Père Talon, et une couple de paires d'Heures de la nouvelle impression et le devis sur le plan des monastères. Vous ne nous avez point dit, ma chère fille, si vous avez reçu nos livres, que l'on envoya avec les mémoires des corrections sur iceux. Il me tarde aussi un peu de savoir si vous avez lu les Vies de nos Sœurs, et de savoir les remarques que vous et vos Sœurs y aurez faites, parce que je n'attends que cela pour y raccommoder encore quelque chose. Quand vous les aurez vues, je vous prie de les communiquer à nos Sœurs du faubourg. Voilà, ma chère fille, tout ce qui m'est venu en vue pour vous dire maintenant. Vous savez combien vous m'êtes chère et que vous êtes et serez toujours ma pauvre vieille et très-chère grosse fille, à laquelle je souhaite le comble des grâces célestes, étant de tout mon cœur, etc. [357]

Je vous embrasse en esprit de tout mon cœur et toutes nos très-chères Sœurs. Je supplie la divine Bonté de répandre sur toutes ses très-Saintes bénédictions et qu'elle cous conserve votre bonne Mère. Votre très-humble et indigne sœur et servante, qui vous assure que vous êtes toute dans son cœur comme sa très-chère vieille fille. -— L'on nous avait fait espérer les Œuvres de notre Bienheureux Père, toutes en un ou deux tomes, et nous ne voyons rien. Je m'en plains à M. Rioton,[95] que je salue chèrement par votre entremise.

Conforme à une copie de l'original gardé an premier monastère de la Visitation de Paris.

LETTRE MDCCXLIX - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Prévisions pour les élections de Moulins et de Bourg. — Les âmes qui aiment la bassesse et la pauvreté possèdent un trésor. — Il serait prudent et charitable que la Mère de Blonay fût réélue à Lyon. — Il faut être très-réservé à parler des fautes du prochain.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 20 février [1641].

Ma très-chère fille,

Voilà la réponse de Dijon que j'ai faite ; mais, las ! elle arrivera bien tard, car elle a demeuré deux mois par les chemins. Envoyez-la le plus tôt que vous pourrez et sûrement. — Il n'y a pas longtemps que je vous ai écrit par un Père Cordelier. — Il nous faut un peu laisser là Moulins, car il est vrai que si on ne voulait pas vous donner à Lyon ni ici, je craindrais que vous n'eussiez pas la force ni la santé de porter le faix de ce monastère-là ; mais si Dieu vous y voulait, Il vous la donnerait pourtant.

Vous m'avez ouvert l'esprit du côté de ma Sœur [358] Fr. -Augustine [Brung] ; mais pensez-vous que la maison de Montluel s'en puisse passer ? Vous connaissez les filles de cette maison-là, pensez-vous qu'il y ait des filles capables de succédera la Mère ? car, si cela était, on la pourrait proposer à Moulins, bien que, pour parler entre nous deux, je pense que la Mère déposée de Blois les pourrait mieux servir ; car elle est déjà faite dès longtemps aux esprits difficiles. Il n'y a encore rien d'assuré si j'irai ou non,[96] car je ne sais point la réponse que Mgr de Genève a faite, sinon que je ne pourrais sortir de ce monastère qu'après l'Ascension. Je ne doute point que si Son Éminence donne la liberté à nos Sœurs, qu'elles ne vous réélisent ; et pour moi je le désirerais, quoique au préjudice de ma consolation et de l'utilité de cette maison. Mais certes, toutes raisons et bonnes considérations faites selon la prudente charité, vous devez être rappelée en cette maison-là par voie d'élection ; mais si Dieu ne le veut pas, ni nous aussi. Il faut attendre le temps pour voir ce qu'il en ordonnera.

Me voilà bien contente de savoir que vous avez chez vous des filles propres pour vous succéder. Ma Sœur M. -Madeleine [de Mouxy] me dit que notre Sœur de Tavernoz est humble, zélée à l'observance et de bon jugement. Avec ces trois conditions, pour moi je lui donne ma voix, outre qu'étant de bonne maison, fort apparente dans le pays, cela appuiera votre monastère en ce temps calamiteux. Vous me dites que vous pensez que ma Sœur A. B. emportera les voix ; j'en serais marrie, car j'estime que l'autre servirait plus utilement. Il faut grandement recommander cela à Notre-Seigneur. C'est un grand bien quand les monastères se peuvent tenir chez [eux]. Je suis bien aise que vos Sœurs s'entendent bien au ménage, et qu'elles le fassent ménagèrement ; car il est bienséant aux Religieuses qui ont fait [359] vœu de pauvreté d'en faire souvent des pratiques. Que j'aime ces âmes que vous me dites qui se tiennent dans la bassesse et aiment la pauvreté ! Qu'elles sont heureuses ! Elles possèdent un grand trésor, et ne m'étonne pas si Dieu les tient unies à sa Bonté ; faites qu'elles prient souvent Notre-Seigneur pour moi.

J'ai vu la lettre de la Mère de Bellecour, elle est assez cordiale. Certes, elle a bien tort de son histoire : ses promenades de monastère à autre attireront des grandes censures ; mais le pis c'est qu'il y a grand péché. J'avais déjà su tout cela, j'en dirai ma pensée comme il faut. Vos filles ont écrit toute cette histoire à notre Sœur M. -Madeleine. Je n'aime point que l'on se communique telle chose, et moins que l'on en parle dans les communautés, car il peut intéresser la charité de parler des défauts : ceux-là sont grands, et vous lui deviez répondre quelque cordial avis là-dessus. Mon Dieu ! ma très-chère fille, que tout cela est contraire à cette sainte simplicité et exactitude qui nous sont tant recommandées. Hélas ! inculquez-la bien à vos filles et partout où vous écrivez. Notre bon Dieu la veuille cimenter dans nos maisons et vous comble de son saint amour.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCL - À LA MÈRE JEANNE-SÉRAPHINE DE CHAMOUSSET

SUPÉRIEURE À AOSTE

Conseils pour le choix des Religieuses destinées à la fondation de Verceil ; dans quelles vertus elles doivent exceller. — Estime particulière pour Sœur F. C Solar.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 22 février 1641.

Or sus, ma chère fille, je bénis Dieu de ce que l'on s'est adressé à vous pour fournir à la fondation de Verceil, et vous confesse qu'il me semble avoir les épaules extrêmement [360] déchargées ; car l'on s'adressait à nous, et l'on nous pressait fort. J'ai été un peu en peine et en doute, ma chère fille, si celle que vous me nommez pour être Supérieure aura assez de fondement et de clarté d'esprit ; mais je considère qu'elle n'aura que deux professes sous elle, et que ma Sœur Catherine-Françoise Solar[97] aura la conduite de tout le noviciat. Cette chère Sœur est une fille bien faite et solide, qui laissa dans mon cœur bien de l'estime et de bons sentiments de sa vertu ; il faut bien qu'elle soit assistante et directrice, et en donner une troisième si bonne qu'à son tour elle puisse être Supérieure ; car, en Italie, ils veulent qu'on les échange de trois ans en trois ans. Voyez-vous, ma chère fille, quand on fait des fondations il ne faut pas être attaché aux filles, ains il faut donner les meilleurs piliers, surtout en ces lieux-là, et donnant si peu de professes.

Il faut aussi dire à la chère Sœur destinée pour être Supérieure et à la directrice, que nous avons connu que les esprits piémontais sont fort enclins à la dévotion ; mais ils veulent y être conduits avec grande douceur, cordialité et témoignages [361] d'une généreuse affection. Recommandez fort à ces chères Sœurs de conserver surtout leur simplicité, humilité et amour à la bassesse. Gravez le plus que vous pourrez en leurs cœurs une inviolable résolution de se tenir fermes à l'observance ; car, ma chère fille, le bonheur des maisons dépend en partie du bon pli qu'on leur donne au commencement.

Les avantages temporels pour cette fondation sont très-bons : il n'y a qu'à bien établir le spirituel. Recommandez fort cela à nos bonnes Sœurs ; et quand elles seront à Verceil, il faudra avoir soin de leur écrire souvent, les encourageant fort de rendre à Dieu le service que sa Bonté requiert d'elles, comme étant une chose de très-grande conséquence. Je les salue, ces très-chères Sœurs, et les conjure, au nom de Notre-Seigneur, d'être si humbles, généreuses et fidèles à tout ce qui est de l'Institut, qu'elles en répandent la bonne odeur, et l'estime de l'esprit de leur saint Fondateur en tous ceux qui les fréquenteront. Je prie notre bon Dieu de les bénir à leur départ et de les accompagner et aider de sa sainte grâce, pour bien faire la besogne que sa [362] Bonté leur commet. J'espère qu'elles nous feront part de leurs prières, et de leurs nouvelles très-amplement ; je les en conjure, et vous aussi, ma vraie fille, qui savez de quelle sorte vous êtes intime dans mon cœur, et de quelle invariable dilection je suis votre, etc., toute vôtre de cœur.

Extraite de l'Histoire inédite de la fondation d'Aoste.

LETTRE MDCCLI - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

La bénédiction divine accompagne le gouvernement fait avec suavité. — On peut recevoir une bienfaitrice muette. — Désir d'être déchargée de toute supériorité.

[Annecy, 1641.]

Ma pauvre très-chère fille,

Je ne sais comme quoi vous recevez si tard nos lettres, car notre chère Sœur [M. E. Guérard] Supérieure à Lyon, où je les adresse toujours, est incomparable en son soin de faire tenir nos paquets à leurs adresses, mais la sainte Providence permet ces retardements pour notre commune mortification. O Dieu ! ma fille, que de bonheur et bénédiction accompagnent le gouvernement fait avec une humble suavité ; conservez bien cet esprit, qui ne peut être vrai et constant sans une vraie mortification et dévotion. Je m'imagine la complaisance de notre Bienheureux Père sur les familles où cet esprit reluit par une exacte observance. Il y a bien de la douceur à se représenter que ses yeux voient toutes nos actions, et encore plus les yeux de notre grand Père céleste, qui pénètre le fond de nos cœurs. O ma fille ! que cette pensée est utile aux servantes de Dieu !

Oui, vous pouvez recevoir cette bienfaitrice muette. Ces difformités de nature déplaisent aux sens, mais elles agréent grandement à la sainte charité. Si donc cette fille a l'esprit doux et porté à la piété, il la faut recevoir au nom de Dieu. — Je n'ai [363] pas encore mérité la grâce d'être tout à fait déposée de la supériorité. Si ce bien m'arrive un jour, je vous prie de vous en réjouir avec moi. Il me semble que l'on me devrait donner ce soulagement pour servir avec plus de loisir nos chères maisons, qui s'adressent à moi. Dieu, et l'autorité de laquelle dépend mon obéissance feront ce qui leur plaira.

LETTRE MDCCLII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Dispositions intérieures de la Sainte. — Anéantir les inclinations humaines par un simple regard en Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 28 février 1641.

Ma très-chère fille,

Je ne peux guère écrire de ma main sans que s'accroisse la défluxion que j'ai sur un œil ; noire bonne Sœur Jeanne-Thérèse vous dira donc le surplus. Hélas ! ma fille, que je serais heureuse si j'avais cette vue ou sentiment que c'est notre bon Dieu qui consume mon être dans son feu divin ; je ne me soucie pas de souffrir, mais je crains de l'offenser et de périr. Je ne saurais rien désirer, sinon l'accomplissement de sa très-sainte volonté, et que je fasse ce qui lui plaît : demandez-lui incessamment cette grâce.

Votre cher cœur va bien : plus il anéantira toutes ses vues et inclinations en ce simple regard d'unité, mieux il fera ce que Dieu requiert de vous ; alentissez, tant qu'il vous sera possible, ces ardeurs de faire et souffrir, réduisez tout à la douceur et à bien employer les occasions que Dieu vous présente en chaque moment, ne permettant à votre esprit de regarder plus loin, tant qu'il se pourra. Je vous prie, ma très-chère fille, n'ayez en aucune façon cette crainte de vous attendrir sur votre corps, je [364] vous assure que vous êtes incapable de le faire ; mais assurez-vous que Dieu veut que vous fassiez tout ce qui sera requis pour vous maintenir en force et en santé, je vous en conjure, car je sais bien que c'est la volonté de Dieu que vous le fassiez. — Ne me faites jamais excuse d'aucune chose que vous m'écriviez ou disiez, non, je vous prie ; vivons dans cette pleine et franche confiance, car je désire qu'il n'y ait qu'un cœur et une âme entre nous : je crois que Notre-Seigneur le veut. Son saint Nom soit béni et celui de sa sainte Mère. Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE M DC CL III (Inédite) - À MONSIEUR DE BÉGET

ABBÉ DE SAINT-VOZY

Respect de la Sainte pour cet ecclésiastique ; elle recommande le monastère du Puy à sa sagesse.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 7 mars 1641.

Monsieur,

Depuis que Notre-Seigneur m'a fait la grâce d'avoir connaissance de votre piété, sa Bonté a gravé en même temps en mon âme une si grande estime de votre vertu, de votre mérite, et du bonheur que nos Sœurs vos filles ont d'être dirigées par vos saints et sages avis, qu'il me semble, Monsieur, avec la divine grâce, que de ma vie je ne vous saurais oublier, et prie Notre-Seigneur augmenter de plus en plus ses précieux dons et grâces en votre bénite âme. Mais, Monsieur, permettez-moi aussi de vous conjurer de me tenir la promesse que votre bonté me fait d'avoir mémoire de moi en vos prières et sacrifices. C'est une charité de laquelle j'ai grand besoin, étant ce que je suis et avec soixante et dix ans mal employés. Obtenez-moi, Monsieur, la grâce de m'acheminer à un heureux trépas en l'amour et crainte [365] de notre bon Dieu, que je bénis de tout mon cœur du meilleur état où je vois maintenant notre maison du Puy.

Vous faites un jugement conforme à celui de notre Bienheureux Père, Monsieur, [en disant] que la fantaisie que les filles prennent de changer de monastère est une tentation ; il faut traiter cette pensée comme telle, ainsi que disait notre Bienheureux Père, car pour changer le lieu nous ne nous changeons pas nous-mêmes, nous nous portons partout. Il disait, ce Bienheureux, qu'il ne fallait point écouter les filles en cet injuste désir, qui ne provient que de peu de vertu. J'espère que Notre-Seigneur conservera ma chère Sœur la Supérieure, et lui fera la grâce de dresser si solidement quelque Sœur pour lui succéder, que tous les défauts passés seront réparés, Dieu aidant, et vous, Monsieur.

J'ai une grande croyance que les bons succès qui arriveront en notre maison du Puy seront des bénédictions de Dieu départies à ces chères âmes, parce que vous les aurez obtenues de Dieu pour elles, en qui j'espère que sa Bonté rendra votre sainte affection et vos soins paternels utiles. Je vous supplie, Monsieur, de me joindre à ces chères filles, et me croire plus que pas une, Monsieur, votre, etc.

Conforme à l'original gardé à la Visitation Je Saint-Étienne.

LETTRE MDCCLIV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Les Sœurs du deuxième monastère d'Annecy demandent à placer cette Supérieure sur leur catalogue pour la prochaine élection.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 8 mars 1641.

Ma très-chère fille,

Nous voyant presque à la veille de [la fin de] votre triennal, et du mien, je ne me mets pas en peine de vous faire réponse [366] sur ce qui vous regarde, car je ne vois aucune apparence de vous laisser encore à Thonon ; car pour vous dire en toute confiance, par la main de ma Sœur Jeanne-Thérèse, si vous n'êtes pas élue dans ce premier monastère, ce que je ne désire pas pour encore, ce sera en la seconde maison, ne pouvant en conscience leur refuser cette consolation qu'elles désirent passionnément et avec raison, car elles en ont besoin, bien que leur Mère soit très-bonne. Vous ferez donc très-bien, sans faire semblant de ce que dessus, de dire à vos Sœurs qu'elles regardent à se pourvoir, et qu'elles ne se mettent pas en peine de nous davantage importuner pour vous ravoir ; car sans miracle cela ne se peut ; ce n'est pas que de bon cœur je ne veuille les servir en tout ce qui me sera possible. Donnez-leur votre avis, lorsqu'elles vous le demanderont, de ce que vous croyez être pour leur bien. — J'ai été presque toujours avec quelque défluxion, tantôt plus, tantôt moins, depuis le mois de janvier jusqu'à présent que je me porte assez bien, Dieu merci.

Ma fille, j'ai parlé l'autre jour à Monseigneur pour ma déposition. Il reçut bien mes raisons : c'est la vérité que je ne puis plus satisfaire à tant d'écritures et lectures et à la conduite d'une maison. Nos Sœurs sont fort bonnes, Dieu merci. Celles de la petite maison sont bonnes aussi, mais tout à fait dans le besoin d'une Mère ; la leur est une petite sainte, mais il est impossible qu'elle puisse plus porter le faix ni le faire utilement, et au gré de la plupart des filles,, de sorte que nos bonnes Sœurs de Thonon feront bien de penser à elles, sans leur dire toutefois à quoi vous êtes destinée. — Je suis parmi mille écritures qu'il faut ce soir pour Lyon, qui me font finir. Adieu, priez toujours plus fortement cette infinie Bonté pour mes besoins. Je suis totalement et entièrement vôtre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [337]

LETTRE MDCCLV - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Vertus les plus nécessaires à une Supérieure.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 8 mars 1641.

Je bénis Dieu des bonnes résolutions que vous me dites qu'ont faites nos Sœurs en leurs solitudes, et je supplie sa Bonté de leur faire la grâce de les réduire en effets : et vous, ma fille, je vous prie de les bien exercer en la mortification de leurs passions, mais particulièrement celles que vous voyez avoir quelque disposition pour le gouvernement. Portez-les fort au dénûment d'elles-mêmes, et de tout propre intérêt et recherche, car je vous dis, ma fille, que c'est de ces manquements d'où procèdent la plupart de ceux que l'on commet au gouvernement. C'est pourquoi il est nécessaire d'être grandement dénuée, et de marcher fort droitement et sincèrement devant Dieu pour y bien réussir, et surtout pour mériter de recevoir son assistance qui est si nécessaire, et sans laquelle toute notre peine et travail est de peu de valeur et sans fruit. C'est le grand bonheur d'une Supérieure d'avoir le support du prochain ; il faut supporter avec une douce égalité toutes les inégalités qui se rencontrent tant en nous-mêmes qu'en autrui. Il faut toujours tenir le dessus de nos inclinations, afin que la douceur, l'humilité et sainte joie ne manquent jamais, tant qu'il se pourra, en notre extérieur. Dieu nous donne sa sainte lumière ! Demandez-la bien pour moi, qui suis votre, etc. [368]

LETTRE MDCCLVI - À LA MÈRE CLAIRE-MADELEINE DE PIERRE[98]

SUPÉRIEURE À ANGERS

Les novices ne doivent pas sortir au parloir extérieur pour être examinées avant la profession. — Ne pas éconduire les infirmes, quand elles ont le cœur et l'esprit sains. — Il ne faut pas mettre les novices officières dans les emplois. — Il est important que la Supérieure assiste aux exercices de communauté. — Le bon air et les jardins sont nécessaires aux maisons religieuses.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 8 mars 1641.

Ma très-chère fille,

Je bénis Dieu de tout mon cœur de l'édification que vous avez reçue de nos Sœurs N. N. Ce sont des vraies servantes de Notre-Seigneur, grandement affermies dans l'observance de leur Règle.

Béni soit Dieu qui vous a donné un si bon Père spirituel. Il est vrai, ma fille, ce qu'il désire que les filles sortent dehors pour être examinées pour la profession, n'est pas notre coutume. Notre Bienheureux Père lui-même recevait leur examen à la grille, mais étant seul dans le parloir et la porte fermée sur elles. Il faut le dire tout simplement à ce bon Monsieur, qui étant si plein d'affection se laissera, comme je pense, gagner à cet exemple. Si néanmoins il tient ferme à son opinion, il faut lui [369] condescendre en ce point. — Soyez bien ferme à l'observance de la Règle ; mais ne soyez pas trop ferme ni chicaneuse pour le temporel. Et, pour Dieu, ne refusez jamais les filles infirmes, quand elles ont le cœur et l'esprit bien sains. Et pour les infirmités du corps, ne demandez pas de grands surcroîts de dot, sinon pour celles auxquelles il faut de grands soulagements extraordinaires. Enfin je désire qu'on connaisse que vous êtes des vraies Filles de notre Bienheureux Père. Je vous prie, ma fille, ne cherchons point l'éclat ni ces grands appareils, mais demeurons humblement à l'abri de la sainte pauvreté, il en ira mieux pour nous ; car Dieu regarde les humbles, et pour avoir un seul de ses regards, nous devrions souhaiter d'être cachées à toute la terre pour jamais.

Il me semble de remarquer dans la liste de vos officières que vous avez mis une novice blanche sacristine. Ma fille, il ne faut pas faire cela, s'il vous plaît, sinon qu'il y eût une nécessité tout à fait extraordinaire. Il faut se contenter de les mettre aides d'offices, et leur faut bien donner le temps du noviciat pour s'instruire des observances et se fonder dans l'esprit intérieur. — L'on m'a écrit que votre infirmité corporelle ne dure pas ; j'en suis fort aise, ne pouvant assez exagérer comme la présence d'une Supérieure est nécessaire dans les communautés. Tenez-vous-y le plus que vous pourrez. Certes, nous autres Supérieures avons grande obligation de nous tenir sur nos gardes, afin que servant les autres nous ne nous oubliions pas nous-mêmes pour le bien éternel de notre âme. — Je congratule nos chères Sœurs de l'utilité qu'elles ont trouvée ès Méditations de la solitude, que nous avons fait dresser ici par notre chère Sœur [F. -Madeleine de Chaugy]. Tout ce qui vient de l'esprit de notre Bienheureux Père et qui est conforme à cela nous est uniquement propre.

Vous me marquez deux mauvais points en la place qu'on vous veut vendre : le bon air et les jardinages étant tout à fait [370] nécessaires aux Religieuses cloîtrées. C'est une des choses à quoi les Supérieures qui vont aux fondations doivent plus prendre garde, de donner à leur monastère une bonne situation. Notre très-honoré frère M. l'abbé de Vaux vous conseillera bien là-dessus. Vous me faites plaisir de m'en dire des nouvelles : c'est l'ami fidèle de l'Institut, et qui a une si grande intelligence et pratique de l'esprit de notre Bienheureux Père que vous ne sauriez faillir en suivant ses conseils. Je le salue très-respectueusement, et très-cordialement toutes nos Sœurs. Je les conjure de demander à Notre-Seigneur que je me puisse acheminer à faire une heureuse mort en son amour, en sa grâce et en sa crainte. Je suis en un âge où il me semble que tous ceux qui me font la charité de m'aimer, nie doivent faire ce souhait. Je vous fais celui, et à toute votre chère troupe, d'aller toujours croissant en l'amour de Dieu, auquel je suis votre, etc.

LETTRE MDCCLVII (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-MARIE BOLLAIN

ASSISTANTE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

La Mère H. A. Lhuillicr demande sa déposition ; on ne peut la lui refuser, vu le mauvais état de sa sauté.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 8 mars 1641.

Ma très-chère fille,

Je suis toujours dans une extrême peine des continuelles maladies de ma pauvre Sœur la Supérieure, aussi bien que vous, mais enfin, elle et nous sommes à Dieu, il lui faut laisser "la conduite de tout ; sa Providence sait ce qu'elle a déterminé d'en faire. Depuis mes dernières lettres auxquelles je m'étais jointe, comme de raison, au sentiment de notre bon M. Vincent, [371] j'ai reçu encore un billet de sa part, par lequel elle continue à me représenter ses raisons à ce qu'elle soit déposée ; et vraiment, les ayant considérées, il me semble que ce serait charité de lui donner ce soulagement ; car votre communauté ayant l'amour et l'estime qu'elle a pour elle, ne lairra pas de la regarder, et chérir ses avis et sentiments autant que si elle était leur Mère. Enfin, ma chère fille, je crois qu'il y a quelque obligation de condescendre au désir de cette très-chère Mère. Je sais, ma chère fille, votre affection pour elle : il me suffit de vous avoir dit mon sentiment devant Dieu.

Votre communauté s'est engagée à la nôtre d'un livre ou d'un tome de toutes les Œuvres  de notre Bienheureux Père ; je désire fort de l'avoir à cause des Épîtres qui sont augmentées. Quant à la crainte que l'on a qu'un parent de notre Bienheureux Père ne fasse imprimer ses sermons, si le dessein ne se rompt, au moins sera-t-il différé pour donner temps aux imprimeurs de se défaire de tous les exemplaires, pour se rembourser des grands frais qu'ils ont faits pour imprimer toutes les Œuvres de ce Bienheureux ; mais, ma fille, je crois que la Vie faite par le Père Talon n'est pas jointe à ce tome, c'est pourquoi je vous prie de la nous faire avoir à part. Nous n'avons toujours point de nouvelles du livre des Méditations, ni nos Sœurs de Lyon non plus. Recommandez-moi à la divine miséricorde et me croyez d'un cœur invariable, votre très-humble, etc. — Ma très-chère vieille fille que j'aime cordialement, mille saluts à notre très-bon Père M. Vincent.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris.

LETTRE MDCCLVIII (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-SUZANNE DURET

MAÎTRESSE DES NOVICES À DRAGUIGNAN

Instances faites par le monastère de Draguignan pour obtenir de la conserver. — Le comble de l'humilité consiste dans l'abandon de soi-même entre les mains de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Ma très-chère fille,

C'est la vérité que pour la consolation de votre bon père je désirerais vous retirer, mais ma Sœur la Supérieure me fait une si grande instance pour vous laisser, et de la part aussi de ses Sœurs, que je ferais conscience de vous ôter de là. Mais il faudra que vous en écriviez à votre bon père, selon que ma Sœur Jeanne-Thérèse vous dira de notre part. Ma très-chère fille, tâchez de correspondre à l'affection de vos Sœurs et à ce qu'elles attendent de vous, et surtout au dessein que Notre-Seigneur a de se servir de vous en cette chère maison. Et vous le ferez, ma fille ; je l'espère de la bonté de Dieu, et de votre fidélité à suivre exactement les saintes lumières et bons désirs qu'il vous a donnés en votre retraite : la très-sainte humilité, dont le haut bout est la parfaite remise et abandonnement de soi-même à Dieu, et la fidélité à vous tenir en sa divine présence, sans tous amuser à regarder comment, mais multiplier les retours et élancements de cœur à Dieu, tandis que vous le pourrez. Et pour Dieu, ma très-chère fille, défaites-vous bien de vous-même et de vos propres recherches et intérêts, et ne cherchez que Dieu et le bien des âmes que vous servez, et ayez une entière douceur et patience en ce saint service, et Dieu vous en bénira. J'en supplie sa Bonté, et vous de me bien recommander à sa [373] miséricorde, et toutes vos Sœurs novices que je salue avec vous, leur souhaitant la vraie humilité avec l'exacte observance. Je suis toute vôtre de cœur.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCLIX - À LA MÈRE LOUISE-DOROTHÉE DE MARIGNY

SUPÉRIEURE À MONTPELLIER

Désir de connaître son avis sur Sœur F. E. de Nouvery, demandée pour être Supérieure à Saint-Flour. — Prolongation de séjour en Provence de quelques Religieuses d'Annecy. — Extrême pauvreté du monastère de Nancy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 15 mars [1641].

Ma très-chère fille,

Je supplie notre divin Sauveur de vous rendre abondamment participante de sa douloureuse mort et passion.

Ce mot est pour vous dire que ma Sœur la Supérieure de Saint-Flour nous demande instamment notre Sœur F. E. [de Nouvery] pour être mise sur le catalogue, à cause qu'elles l'ont connue pendant son séjour à Riom. Je lui ai répondu que je désirais qu'elle demeurât un peu auprès de vous avant de la remettre en charge, leur nommant plusieurs autres Sœurs déposées qu'elles pourraient avoir, en leur disant que je penserai encore si nous leur pourrons donner notre Sœur F. -Emmanuelle. Or, je vous prie, ma très-chère fille, de bien considérer devant Dieu si vous pensez qu'elle puisse utilement servir cette maison de Saint-Flour. Cela étant, je vous prie, obligez-moi d'écrire à la Mère de Saint-Flour que je vous ai priée de lui écrire qu'elles la pourront mettre sur leur catalogue, et comme vous espérez que si le sort tombe sur elle, elle réussira à la gloire de Dieu et à leur contentement, ou ce que Dieu vous dictera. Si donc vous pensez que cela se puisse faire, vous tâcherez de nous l'envoyer au plus tôt que vous pourrez avec une de vos Sœurs [374] tourières, après vous être bien en qui se si les chemins sont libres.

Notre Sœur Fr. -Catherine de Pingon ne s'en reviendra pas : nous avons prié ma Sœur la Supérieure de la garder à cause que nous sommes soixante Sœurs, qui est plus que le monastère n'en peut contenir. Notre Sœur M. -Suzanne Duret ne revient pas non plus ; ma Sœur la Supérieure de Draguignan ne s'en peut passer. — J'ai encore mandé à ma Sœur la Supérieure de Saint-Flour que ma Sœur la Supérieure d'Arles leur serait fort propre ; mais que l'on m'avait mandé qu'elle avait été fort malade et qu'elle avait grand'peine de se remettre, que néanmoins je vous écrirais pour savoir l'état de sa santé ; c'est pourquoi je vous prie, ma fille, de vous enquérir de sa santé, et selon cela écrivez-en de ma part à cette bonne Mère de Saint-Flour parce que vous avez plus de commodité de lui faire tenir des lettres que nous. Faites donc fort soigneusement cette commission. Si votre conscience vous dicte que ni l'une ni l'autre de ces deux chères Sœurs ne doivent pas être proposées, il ne se faudra pas tant presser de les faire, revenir, surtout ma Sœur la Supérieure d'Arles, laquelle, je crois, serait encore utile à cette maison d'Arles, et aussi pour le sujet du grand nombre que nous sommes. Je vous dis ceci afin que si vous renvoyez ma Sœur Fr. -Emmanuelle, l'on ne presse point ma Sœur Fr. -Angélique [Garin] de s'en revenir après sa déposition. Ne dites en façon quelconque à ma Sœur Fr. -Emmanuelle qu'on la demande à Saint-Flour.

Ma chère fille, je ne sais si vous savez l'extrême pauvreté où sont réduites nos pauvres Sœurs de Nancy. Elles nous ont mandé qu'il y a plus de trois ans qu'elles n'ont mis graisse dans leur potage, et qu'elles mourraient entièrement de faim n'était le pain de munition que le Roi leur fait [donner par] aumône, qu'elles vont pieds nus, faute d'avoir des bas, et qu'elles n'ont presque plus de quoi se vêtir ni reblanchir. Regardez un peu, je vous prie, si vous ne leur pourriez point faire quelque [375] charité, et si vous leur en pouvez aussi procurer. Si cela se peut, et que vous leur envoyiez quelque [secours], adressez-le à notre monastère de Lyon où nous le ferons prendre, en y joignant ce que nous espérons leur envoyer, sinon qu'il vous fût plus commode de le faire tenir à notre premier monastère de Paris. Votre Charité nous fera savoir au plus tôt ce que vous pourrez faire. — Ma toute très-chère fille, voyez et pesez bien devant Dieu si cette chère Sœur Fr. -Emmanuelle a de quoi servir utilement la maison de Saint-Flour, avec des bons avis que vous et moi pourrions lui donner ; car enfin je ne puis ni ne veux tromper les maisons. Faites-moi prompte réponse, et toujours un peu de vos nouvelles ; car vous êtes infiniment la très-chère fille de mon cœur, que je prie Dieu combler de son pur amour. Priez bien cette infinie Bonté pour moi qui suis toute vôtre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCLX - À UN RÉVÉREND PÉRE JÉSUITE

À AOSTE

La fondation de Verceil a été proposée au monastère d'Annecy, qui la céderait volontiers à celui d'Aoste. — Justification de la Mère J. S. de Chamousset ; persécution dont elle est victime. — Sentiment d'estime pour Sœur F. C Solar.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 20 mars [1641].

Mon Révérend Père,

J'ai communiqué votre lettre sitôt que je l'eus reçue, qui fut avant-hier seulement, à Mgr de Genève. Il se trouva de même sentiment que celui de Mgr d'Aoste et le nôtre, mon très-cher Père, jugeant qu'il est nécessaire de donner des filles bien solides en la vertu et l'esprit de l'Institut pour la fondation de Verceil. Madame l'Infante Marie lui avait écrit, le priant d'y pourvoir par des filles de Savoie ou du Piémont, ou bien, lui dit-elle, l'on en prendrait au monastère d'Aoste, sur quoi j'ai [376] dit à notre prélat, que j'avais reçu une lettre de nos Sœurs d'Aoste qui m'écrivent que Mgr leur digne prélat voulait, conformément au désir de la Sérénissime Infante, que la fondation de Verceil se fit des Sœurs de votre maison ; à quoi j'avais répondu que j'en serais fort aise, me semblant que l'on m'ôtait une montagne de dessus les épaules, de nous décharger du soin de cette fondation-là, ajoutant que j'appréhendais un peu que la Sœur qu'elle me nommait pour y être Supérieure n'eût pas tout ce qui serait requis pour la conduite d'une maison, que néanmoins il fallait espérer que Dieu suppléerait. Là-dessus, je ne pensais plus à cette affaire quand nous avons reçu votre lettre, mon très-cher Père, sur laquelle Mgr de Genève trouve bon que nous préparions deux ou trois de nos professes des plus propres à cet emploi ; que si Mgr d'Aoste continue en son désir, elles se trouvent prêtes ; mais nous ne remuerons rien que nous n'ayons son ordre et son commandement, suppliant Notre-Seigneur de lui faire voir ce qui sera de sa très-sainte volonté, et nous de l'exécuter à sa plus grande gloire, n'y prétendant que cela, m'étant très-indifférent où l'on prenne des filles pour cette œuvre. Et je vous assure, mon très-cher Père, que nos Sœurs sont si bonnes, que je serais toujours plus aise de les garder que de les mettre dehors, si le bon plaisir de Dieu était tel. En tout, sa très-sainte volonté soit faite !

Je suis extrêmement touchée du dégoût et déplaisir que Votre Révérence reçoit de nos Sœurs. Si jamais j'ai la liberté de leur en dire ma pensée, je le ferai fort librement, car vraiment elles ont très-grand tort. Je suis étonnée que la Mère y ait part, elle que j'ai toujours crue et connue fort bonne ; vos Révérends Pères m'en avaient rendu de fort bons témoignages. Je pense que cela procède de la personne que vous me marquez sans la nommer.[99] [377] Hélas ! mon très-cher Père, si elle s'oublie en sorte cette personne-là, que le monde en soit mal édifié, comment votre bonté et sainte affection pour l'Institut peuvent-elles souffrir cela, sans avertir Mgr l'évêque, qui est si bon et pieux, que je m'assure il ne lui permettrait pas la continuation du service qu'il rend ? Cela est bien important. Je prie Dieu, par sa bonté, d'y mettre remède nécessaire, et de donner à nos Sœurs de là le respect et la confiance que toutes les Filles de la Visitation doivent à tous ceux de votre Compagnie, à laquelle nous avons des obligations infinies. Faites-moi la charité, mon très-cher Père, de votre souvenir au saint sacrifice ; et je prie Dieu vous combler de son saint amour, demeurant de Votre Révérence, mon très-cher Père, etc.

[P. S.] Mon très-cher Père, j'ai considéré qu'il est impossible de bien fournir cette fondation, qu'il n'y ait quatre professes, tant pour les raisons que vous dites que pour celles de dire l'Office, et plusieurs que l'expérience m'a fait voir en la fondation de Turin. Et si l'on prend des Religieuses en cette maison, il serait tout à fait nécessaire, ce me semble, de ne prendre en Aoste que la Sœur Catherine-Françoise [Solar] avec des novices ; car si l'on y prenait encore une autre professe, je craindrais que son esprit ne se pût pas si bien unir avec les [378] nôtres, ce que fera celui de notre Sœur Catherine-Françoise que je trouve dans une disposition fort à mon gré. Je vous dis ainsi simplement toutes mes pensées, mon très-cher Père, et que nous désirons aussi que si Monseigneur se résout de prendre ici des filles, l'on nous avertisse à l'avantage, car nous désirons de bien accompagner la Mère, qui est une fille de solide vertu, qui a déjà gouverné, et qui y était destinée dès il y a cinq ou six ans que l'on nous pressait de la faire venir, laquelle parle et entend le piémontais, ayant demeuré en ce pays-là plusieurs années. Je ne dis rien du temporel, parce que je vois qu'outre les revenus du monastère, Messeigneurs les princes et Madame l'Infante Marie donnent suffisamment pour l'entretien de celles que l'on enverra. Quand feu Son Altesse Victor-Amédée voulut que le monastère de Verceil nous fût remis, il nous assigna de sa bonne volonté quatre cents écus d'or ; mais Mgr de Genève, qui avait les papiers, ne sait ce que tout cela est devenu. Je vous dis tout ceci comme il me vient, mon très-cher Père. Dieu veuille conduire tout ce dessein à sa gloire et soit béni éternellement !

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Lisbonne.

LETTRE MDCCLXI - CIRCULAIRE ADRESSÉE AUX SUPÉRIEURES DE "LA VISITATION

Union de prières entre l'Ordre du Carmel et celui de la Visitation. Insérer cet acte dans le Livre du Chapitre.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 20 mars 1641.

Mes très-chères Sœurs,

La très-adorable Trinité ayant inspiré à feu M. le commandeur de Sillery, notre très-honoré Père et bienfaiteur, un désir extrême qu'il y eût une particulière union et sainte liaison entre le saint Ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel et le nôtre, il en parla au Révérend Père Gibieux, Supérieur de ce saint Ordre, [379] et à la Mère Marie de la Trinité, qui reçut cette proposition avec une affection toute sincère, ainsi que me l'a écrit le Révérend Père Gibieux, ajoutant qu'il a aussi reconnu le même désir en l'âme de la Bienheureuse Mère Madeleine de saint Joseph. Ce dessein étant d'une très-grande consolation et utilité spirituelle, nous l'avons accepté cordialement pour toute notre Congrégation, avec action de grâces à Dieu et envers ces saintes âmes qui nous font celle de le désirer. La fin de cette sainte liaison est d'honorer par icelle le saint mystère de l'Incarnation du Verbe et ses liaisons adorables avec notre humanité, qui est une chose beaucoup plus efficace que tout ce qui se pourrait faire à l'extérieur, appliquant à cette intention et pour les besoins des deux Ordres les communions qui s'y font le samedi. Pour cela, la Révérende Mère Marie de la Trinité m'écrivit, comme première professe de leur Ordre en France et plus ancienne prieure, qu'elle offre sa volonté à Dieu pour faire cette sainte liaison en toutes " les âmes de leur Ordre, selon les desseins et conseils adorables de sa divine Majesté et de sa très-sainte Mère sur ces deux Ordres, qui lui appartiennent plus particulièrement. Je fais le même pour toutes celles de notre Institut, me confiant en Vos Charités, mes très-chères Sœurs, que vous ne me désavouerez pas, ains que vous joindrez votre intention à la nôtre, ce que je vous supplie très-humblement de faire en une communion générale faite à ce dessein.

Et afin que rien n'alentisse cette sainte union, la bonne Mère de la Sainte-Trinité et nous désirons qu'à chaque fête de l'Immaculée Conception de la Très-Sainte Vierge Notre-Dame et à celle du disciple bien-aimé saint Jean, nous renouvelions cette offrande de nos volontés, et pour relier de nouveau nos cœurs en la dilection de Notre-Seigneur et de sa très-sainte Mère, avec cette sainte intention encore les unes pour les autres, pour nous aider à obtenir la grâce de mourir en acte de put-amour et vraie contrition. [380]

Fait en notre premier monastère d'Annecy, le 20 mars 1641.

[P. S.] Cet écrit, mes très-chères Sœurs, doit être inséré dans votre Livre du Chapitre, de crainte que dans la suite du temps, venant à s'en oublier, on perde les fruits d'une si sainte union, que je vous prie de tout mon cœur de conserver chèrement ; et dès que vous serez établies, dans la suite, en quelque ville où il y aura des Religieuses Carmélites, vous leur fassiez savoir, afin de la renouveler avec elles, et cela pour toujours, je vous en conjure.

Conforme à la copie insérée dans le Livre du Chapitre de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCLXII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Démarches faites par les Sœurs de Thonon pour conserver leur Supérieure. Désir de la voir élire au deuxième monastère d'Annecy. — Avis spirituels.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 20 mars 1641.

Ma très-chère fille,

Nos bonnes Sœurs vos filles font enfin tout ce qu'elles peuvent pour avoir la consolation de vous ravoir, en quoi elles ont raison ; mais je ne vois encore point d'apparence que cela se puisse faire, n'ayant point encore l'assurance si nous pourrons avoir ma Sœur de Blonay. Si donc ma Sœur M. -Antoinette [Teste de Vosery] est en cette maison, il est très-nécessaire que vous soyez dans la seconde ; car, comme je vous ai déjà dit, la petite Mère est très-bonne, mais elle n'a pas ce qui lui est nécessaire pour faire estimer sa conduite à plusieurs de ses filles, ce qui porte grand préjudice dans cette maison-là. Vous connaissez combien elle est craintive et appréhensive, toutes choses l'accablent, si qu'il lui serait impossible de faire encore un triennal ; elle vous désire passionnément. Je vous prie, ma fille, regardez [381] un peu bien devant Dieu laquelle des deux maisons, savoir, celle où vous êtes ou la seconde, a plus de nécessité de vous avoir, et me dites en cela, comme en toute autre chose, votre pensée ; car je vous assure que, si vous ou ma Sœur M. -Antoinette n'y êtes, je ne sais qui leur donner. Je crois qu'elles ne goûteraient pas ma Sœur Fr. -Emmanuelle, que nous faisons pourtant revenir. Si vos Sœurs la pouvaient goûter, j'en serais bien aise, et je m'assure qu'elle suivrait exactement le bon règlement que Dieu a établi par vous dans votre maison. — Ma Sœur la Supérieure d'Arles est si fort infirme que l'on craint qu'elle ne soit percluse de ses bras.

Voilà que nous nous venons d'obliger pour votre maison, car jamais l'on n'eût eu de l'argent autrement. Or, c'est une rente qu'il faut payer à jour nommé, et avoir promesse bien faite d'en dédommager le maître. — Non jamais, ce me semble, vous ne correspondrez à la conduite intérieure de Dieu sur vous, que par la fidélité du retranchement de tous ces actes que votre esprit veut faire soi-même sans y être attiré [de la grâce], qui ne veut de vous que cette vue et simple regard en Dieu sans mélange. Et plus vous vous tiendrez ferme là, plus vous avancerez, retranchant toutes ces réflexions et peines que vous vous donnez pour vos lâchetés et infidélités, car je sais que vous n'y faites aucune faute contre votre devoir qui vous presse. Il faut vous modérer, et bien prier Dieu pour moi qui suis toute vôtre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [382]

LETTRE MDCCLXIII - À LA SŒUR PAULE-JÉRONYME DE MONTHOUX

À BLOIS

Ne pas s'opposer à ce qu'on l'inscrive sur le catalogue pour la prochaine élection.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Ma très-chère fille,

Je reçus seulement hier une lettre à laquelle je suis nécessitée de répondre un peu brièvement, pour ne pas perdre l'occasion qui se présente demain de faire tenir nos lettres. Je vous dis donc, ma très-chère fille, que Dieu sait les misères qui sont en nous ; mais Il sait aussi les biens qu'il y a mis pour le service de sa gloire ; c'est pourquoi, ma très-chère fille, je vous prie de n'apporter point de résistance pour empêcher que vous ne soyez mise sur le catalogue. Laissez-vous à la merci de la divine Providence, sans aucun empêchement de votre part, car si vous n'êtes bien changée, ce que je ne crois pas (ains que vous vous serez rendue toujours plus solide en la pratique des vraies vertus de l'Institut), j'espère en Notre-Seigneur que vous servirez très-utilement cette maison-là, et la maintiendrez non-seulement en bon état auquel elle est, mais l'irez toujours perfectionnant davantage : j'ai celle confiance en Dieu. Demeurez donc humblement soumise à tout ce que l'on voudra faire de vous, et me recommandez sans cesse à la divine miséricorde. Croyez que je serai inviolablement et de tout mon cœur, votre, etc.

[P. S.] Ma très-chère fille, votre cœur va bien : tenez-le fortement dans cette sainte simplicité de ne se point regarder, ni ce qui se passe en vous, mais de vous laisser à Dieu telle que vous êtes, tâchant seulement de marcher fidèlement dans vos [383] observances avec l'esprit d'une profonde humilité, douceur et très-grande charité et support envers le prochain. Dieu vous en fasse la grâce.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCLXIV - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Promesse de se rendre à Moulins. Incertitude pour l'époque précise du départ.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 3 avril [1641].

Madame,

J'ai pensé que je devais vous accuser la réception de vos lettres, attendant que, par la guérison de Mgr de Genève, je vous puisse dire assurément le temps qu'il faudrait envoyer l'équipage ; car je n'ai su voir ce bon seigneur depuis la réception de vos lettres. Ne craignez point, Madame, que j'apporte aucune difficulté à ce désiré voyage ; je pense que je choisirais plutôt la mort que d'avancer une parole pour cela, ni aussi pour le faire, désirant absolument de n'avoir aucune part à la disposition de ce peu de jours qui me restent, que celle de la simple obéissance, bien que je vous puisse assurer, Madame, que lorsque Mgr de Genève me dit qu'il vous avait accordé votre désir, j'en ressentis quelque soulagement pour votre respect particulier ; car Dieu sait en quel degré d'honneur, d'estime et d'amour, votre digne personne est au milieu de mon cœur. Mais ce qui me fit écrire douteusement, c'est que je ne savais pas ce que Mgr de Genève avait écrit, et qui me fâcha un peu que nos Sœurs de Moulins eussent écrit à [quelques-uns] de nos monastères, et à moi aussi, que je leur avais promis d'aller, ce que je savais bien n'avoir pas fait, ains seulement que je leur avais [384] écrit que si l'obéissance m'ordonnait d'aller, je le ferais de tout mon cœur, ce qui est vrai. Dieu me fasse la grâce de faire toujours sa sainte volonté, et comble de son pur amour votre chère et digne âme, demeurant avec une profonde révérence, Madame, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MDCCLXV - À LA MÈRE CLAIRE-MADELEINE DE PIERRE

SUPÉRIEURE À ANGERS

On ne recourt au Père spirituel que dans des occasions importantes. — Dès le commencement de l'Institut on a pris la discipline deux fois la semaine. — Les maladies mentales des parents ne sont pas toujours un empêchement à la réception des enfants.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 3 avril 1641.

Ma toute chère fille,

Vraiment, je trouve par votre dernière lettre que vous êtes pourvue d'un Père spirituel bien soigneux de vouloir visiter nos Sœurs si souvent, et pour l'ordinaire deux fois la semaine. Il faut ménager ses bonnes volontés fort discrètement, lui faisant voir la Règle qui dit qu'on n'aura recours au Père spirituel que pour les choses importantes, et où il sera requis d'une spéciale Providence ; que tout le reste demeure à la charge de la Supérieure, crainte d'être importunes, pour des choses trop minces, à Messieurs nos Supérieurs, avec lesquels nous traitons avec un très-grand respect. Il lui faut dire tout simplement que notre vie est de nous tenir le plus que nous pouvons auprès de Dieu ; que cela nous fait vivre en grande paix, sans beaucoup de choses à faire ni à dire. Et faut procurer que les Sœurs qui parleront à ce bon Monsieur lui fassent entendre, comme par manière d'entretien, mais très-respectueusement et [385] amiablement, que notre saint Fondateur nous a tellement laissé par le menu dans ses écrits, tout ce que nous avons à faire, que, si nous nous y tenions attachées, nous n'aurions quasi jamais besoin d'autre chose ; cela l'instruira facilement comme il se doit comporter en la charge de Père spirituel. Mais je vous conjure que ceci se fasse très-doucement et aimablement ; car il ne faut rien oublier pour se conserver un bon ami, à plus forte raison un cordial Père spirituel.

Vraiment, ma fille, c'est une mauvaise affaire que la défense si absolue que vous a faite, à toutes, Mgr votre bon prélat, de faire la discipline. Il est très-vrai ce qu'il dit, que notre Bienheureux Père ne l'a pas ordonné pour règle déterminée : aussi plusieurs Fondateurs n'ont point déterminé les macérations, et on ne laisse pas de les pratiquer, parce qu'ils en ont permis et conseillé l'usage. Il faut faire entendre, avec toute soumission et respect à ce digne seigneur, que la coutume est universelle dans toute notre Congrégation, et dès son premier commencement de faire la discipline deux fois la semaine, ce qui s'est établi par la permission et conseil de notre Bienheureux Fondateur, sans obligation de conscience toutefois ; que dans les Ordres religieux les coutumes générales ont force [de loi] et sont tenues pour règle ; que le sujet pour lequel la discipline n'est que permise et non commandée dans les Constitutions, c'est que notre Ordre étant institué pour les infirmes, si la discipline était d'obligation il les en faudrait dispenser ; et notre Bienheureux Père a désiré que les Règles obligeantes [d'obligation] fussent si saintement mitigées, que les infirmes mêmes les puissent observer. Il ne faut rien oublier pour ravoir votre liberté et vous tenir dans l'uniformité de toutes les maisons. Si vous ne pouvez rien obtenir de ce bon prélat, vous m'en avertirez, et je prendrai la confiance de lui en écrire ; cependant il faut avoir patience et obéir.

Quant à ce que le Coutumier dit de s'enquérir des races des filles que l'on reçoit, cela s'entend quand on sait quelques parents [386] fols ; il faut soigneusement s'informer si c'est un mal héréditaire. Que si l'on apprend qu'il y ait quelques parents de suite entachés de ce mal, c'est une marque qu'il y a une tare en la race, et ne faut point admettre les filles à la profession, sinon qu'elles aient l'esprit extraordinairement doux, fort gai et exempt de toute mélancolie et bizarrerie. Quant à ce que vous me dites du père de N., cela ne doit pas seulement être considéré ; et il faut savoir une fois pour toutes, que lorsque la folie ou l'humeur hypocondriaque arrive à une personne par des accidents funestes et des afflictions extrêmes, alors la tare n'est pas en la race, mais en la personne particulière, et cela ne doit pas préjudicier aux filles. — Quant à la fondation de N., je serais bien aise qu'elle se fît ; mais je ne saurais consentir aux fondations que l'entière observance du Coutumier n'y soit, pour le temporel et spirituel. Il n'y a rien à craindre, puisque vous avez l'avis de notre bon M. l'abbé de Vaux ; car c'est l'ami fidèle, les conseils duquel on peut et doit recevoir sans crainte, Dieu ayant mis dans cette âme bénite une si grande intelligence et pratique de l'esprit de notre Bienheureux Père, que je serai toujours en plein repos de ce que nos Sœurs feront par son avis. Recommandez-moi à ses prières. Votre, etc.

LETTRE MDCCLXVI - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Réponse favorable du cardinal de Lyon pour le retour de cette Mère à Annecy ; joie qu'en éprouve la Sainte et toute la communauté. Comment traiter avec les Sœurs de Bellecour.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 5 avril 1641.

Ma très-chère et bien-aimée fille,

Ma Sœur votre compagne m'a écrit que vous étiez bien malade d'une fièvre tierce, et ma Sœur la Supérieure de [387] Bellecour m'écrit qu'outre cela vous avez une enflure. Tout cela me tient un peu en peine, et fait désirer d'avoir promptement de vos nouvelles. Et cependant je m'en vais vous en dire une, qui est que Son Éminence a fait réponse à Mgr de Genève, auquel il écrit une lettre fort courtoise, lui disant que si bien on lui avait fait entendre que vous étiez professe de Lyon, que néanmoins, pour lui témoigner la déférence qu'il lui veut rendre et le désir qu'il a de le servir, il lui accorde votre retour en ce monastère, et envoie quant et quant une très-belle et fort honorable obéissance ; de sorte, ma très-chère fille, que vous voilà toute nôtre, dont je bénis Dieu de tout mon cœur, qui me veut donner la chère consolation de nous revoir un peu ici à souhait toutes ensemble.

Quant à mon voyage de Moulins, il est fort incertain. Monseigneur branle fort au manche, et M. notre Père spirituel encore plus, à cause que ces nuits passées j'ai été travaillée de mes défluxions. Pour moi, ma chère fille, j'en suis dans une parfaite et entière indifférence ; pourvu que j'obéisse, il me suffit. Ma Sœur la Supérieure de Bellecour, par un billet que j'ai reçu hier d'elle, me dit qu'elle attendait Son Éminence pour savoir sa volonté avant que d'accorder ma Sœur de la Martinière à nos Sœurs de Moulins.

Il me tarde un peu de savoir tout cela, mais surtout d'avoir de vos nouvelles ; faites-m'en donc part le plus promptement que vous pourrez, et me dites tout simplement si vous pensez d'avoir les forces et la santé, comme je l'espère et le désire, pour porter le faix de la supériorité ; car, voyez-vous, je ne doute point que nos Sœurs ne vous élisent, et c'est mon désir ; car il me semble que cela se doit pour plusieurs saintes raisons qui regardent encore la conservation de l'estime et bonne odeur que Dieu vous a données dans l'Institut, que la conduite que l'on a tenue sur vous à Lyon a semblé devoir ternir, bien que cela ne soit pas. Enfin, ma très-chère, j'adore la souveraine [388] Providence qui dispose toutes choses à notre mieux ; bénie soit-elle de cette douce consolation qu'elle nous prépare ! Et nos Supérieurs et nos Sœurs en ont un grand contentement ; mais il m'est avis que nul n'est égal au mien de revoir ma très-chère cadette auprès de moi, passer le reste de mes jours avec elle, l'avoir pour Mère très-chère, pour fille uniquement aimée, et pour Sœur de parfaite confiance. Je ne puis que bénir sans fin la bonté de notre divin Sauveur, et la supplier de me faire la grâce de profiter de ce bonheur.

J'ai écrit ma joie partout : témoignez la vôtre aussi de retourner ici, surtout à Lyon, disant que béni soit Dieu qui a donné une si heureuse fin aux afflictions que sa Providence a permis que vous ayez reçues, sans rien dire davantage, sinon les prier de vous aimer en Notre-Seigneur, et les assurer que votre dilection pour elles sera éternelle ; et ne dites à qui que ce soit une seule parole qui témoigne le moindre désir du monde de retourner à Lyon, ni aucun ressentiment de tout ce qui s'est passé, mais tout amour et témoignage de bienveillance pour chacun. Je vous conjure, ma toute très-chère fille, de vous témoigner en cette occasion vraie fille de Dieu et de notre Bienheureux Père qui ne fit jamais revanche, et à l'imitation de notre Sauveur qui ne se plaignait jamais, mais rendait des effets de bonté et témoignages d'affection à ceux qui le traversaient le plus. Que Lyon retire votre compagne, comme la raison le requiert ; il faut que chacun retourne en son nid. Quelque honnête séculière vous pourra accompagner : je vous dirai ce que j'ai découvert, et comme il est évident que l'on ne vous veut point là, et que si l'on vous y eût retirée, ce n'eût été qu'amertume pour vous. C'est sans loisir que je vous écris, mais d'un cœur incomparable.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [389]

LETTRE MDCCLXVII - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Conseils pour le bon gouvernement de sa communauté. — Une Sœur infirme peut avoir deux tours de lit de futaine. — Devoir des Supérieures et des Sœurs déposées. — Une vraie Religieuse craint le parloir et la perte du temps. Pensée de saint François de Sales à ce sujet. — Ce serait manquer à la clôture de permettre à une enfant retirée dans le monastère de sortir toutes les semaines pour aller voir sa mère.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 5 avril 1641.

Ma très-chère sœur ma fille bien-aimée,

Dieu vous a choisie pour la direction de cette chère famille ; c'est pourquoi vous devez avoir une très-humble assurance que sa Bonté la conduira par votre entremise, si, comme un chétif instrument, vous vous tenez en sa bénite main par une entière confiance, accompagnée de la fidélité à suivre exactement les ordonnances de votre Institut et les saints et sages conseils qui vous y sont donnés, particulièrement dans votre Règle de saint Augustin et dans la Constitution de la Supérieure ; et que toujours avant de commencer les actions de votre charge, vous vous abaissiez devant Dieu pour mendier son assistance en l'action que vous devez faire : cette pratique est bien utile et nécessaire pour le bon gouvernement. Je prie Dieu qu'il vous donne toujours plus abondamment son Saint-Esprit, lequel repose sur l'âme humble, afin que votre communauté prenne de si profondes racines en celle sainte vertu que jamais plus elle ne soit ébranlée, ains qu'elle rende à Dieu et à la chère vocation l'honneur et la bonne odeur d'une sainte et bonne édification au prochain ; ce qu'il faut particulièrement qu'elle fasse par la dévotion.

Pour ce que vous me demandez, si l'on peut avoir un tour de lit d'étoffe pour cette Sœur, je vous assure que je suis étonnée que M. votre médecin ne trouve pas que deux tours de lit de futaine, qu'on permet aux Sœurs infirmes, soient aussi [390] chauds qu'un d'étoffe. Je suis assez vieille, et je couche dans une chambre où l'on ne fait point de feu, où il y a deux grandes fenêtres et deux portes ; et, si, je ne me trouve point incommodée avec des tours de lit de futaine. Nous avons encore une bonne Sœur qui passe soixante et tant d'années, laquelle couche en une chambre sans feu et à deux portes, qui n'a son lit entouré que de deux futaines. Que si, à toute extrémité, le médecin veut qu'on mette un tour de lit d'étoffe, je voudrais que l'on en mît un de futaine dessus. Vous voyez, ma chère fille, combien je veux mal aux singularités. Dieu nous fasse la grâce de nous tenir si bien closes et serrées à notre sainte Règle que nous n'en déclinions jamais.

Dieu permet que vous trouviez quelque consolation et utilité dans nos lettres, parce que vous avez un bon cœur disposé au bien, tellement que peu de chose vous profite ; c'est faire en bonne ménagère. Faites bien toujours ainsi ; mais que votre principal soin soit de remettre et abandonner vous et votre maison à la divine Providence, travaillant pour son bien selon tout le pouvoir que Dieu vous en donnera. Là où est la paix et l'observance, Dieu y est. Je suis bien aise que cela règne dans votre communauté, comme aussi l'union qui est entre vous et ma chère Sœur la déposée. Mon Dieu ! que cela est d'édification pour les communautés quand les déposées sont bonnes déposées, c'est-à-dire fort humbles, fort récolligées et retirées, et que les Mères élues sont bonnes Mères, et qu'elles prennent entièrement le fardeau avec cordialité, bonté et très-exacte observance ; je dirais encore volontiers, avec charité envers les déposées, ne les divertissant de leur sainte solitude et repos que le moins qu'il se pourra, pour leur laisser l'esprit libre et paisible de vaquer à Dieu et à elles-mêmes ; cela, selon la portée de chacune et sans gène. Je sais qu'autrefois votre chère déposée avait des attraits spéciaux à la sainte familiarité avec notre bon Dieu ; dites-moi un peu de ses nouvelles ou qu'elle m'en dise. [391] Je serais consolée d'apprendre si, maintenant qu'elle doit être déchargée des écritures et du parloir qui la divertissaient dans son précieux loisir, Notre-Seigneur lui continue ses bénédictions ; dites-lui ce petit mot de ma part.

Je salue toutes nos Sœurs et leur souhaite un cœur vivant avec le divin Sauveur, d'une vraie vie ressuscitée, séparée de tout ce misérable monde et surtout d'elles-mêmes. Ne cessez de leur recommander la retraite intérieure, la simplicité et l'amour à la bassesse. Croyez, ma fille, qu'une âme religieuse qui se plaît au parloir, se rend très-indigne de parler avec Dieu en la sainte oraison. Gardez-vous bien qu'aucune de vos Sœurs y perde du temps, ni à des écritures inutiles. J'ai quelque petit sujet de vous donner maternellement cet avis. J'estime que c'est une grande perte pour l'éternité que la perle du temps. Notre saint Fondateur, qui employait soigneusement tous les moments, disait pourtant que, quand il considérait comme il employait mal le temps, il était en grande peine que Dieu ne lui voulût pas donner son éternité, parce qu'il ne la donne qu'à ceux qui emploient bien le temps. Voilà, ma fille, les propres paroles d'un Saint ; redites-les souvent à nos chères Sœurs. — Pour la jeune fille de cette damoiselle, n'ouvrez pas cette porte, qu'entrant chez vous elle puisse sortir toutes les semaines une fois pour aller chez sa mère, cela serait contre la clôture ; mais sa mère étant bonne et pieuse, priez Notre-Seigneur qu'il parle à son cœur et lui fasse entendre que la mère de Samuel ne requit jamais que son enfant sortit de la maison de Dieu pour l'aller voir ; mais elle l'allait voir elle-même en la maison de Dieu. Il faut qu'elle imite la piété de cette ancienne dame. Votre, etc. [392]

LETTRE MDCCLXVIII - À LA MÈRE MARIE-CONSTANCE DE BRESSAND

SUPÉRIEURE À NANTES

Humilité de la Sainte à recevoir une observation. — Quand les jeunes Sœurs surpassent les anciennes en vertus et en capacité, il faut les employer aux charges du monastère. — Comment doivent se conduire les Sœurs déposées ; elles doivent être averties de leurs manquements ; égards qui leur sont dus. — Extrême pauvreté de quelques monastères. — Conseils au sujet d'une vocation.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Ma toujours très-aimée fille,

Gardez-vous bien, je vous prie, de nourrir ces attendrissements et appréhensions de mon départ de cette chétive vie. Hélas ! vous voyez combien mon pèlerinage est prolongé, puisque me voici en la soixante et dixième année de ma vie et en bonne santé, grâce à Dieu. Je dis, grâce à Dieu, puisque la santé et la longue vie sont des bénéfices de sa Bonté qui me les a donnés sans que je les aie demandés ; mes souhaits étaient bien autres ; sa très-sainte volonté soit faite ! Ne demandez rien pour moi à ce divin Sauveur, sinon que je ne l'offense point, qu'il fasse son bon plaisir de moi, et que, quand Il me fera la grâce désirée de me retirer de ce monde, qu'il me tire dans le sein de sa miséricorde. Vous devez bien croire, ma toute chère fille, que je n'oublierai jamais votre cœur ni tout ce cher Institut.

Que vous dirai-je, ma chère fille, pour la vocation de cette bonne damoiselle ? Je vois que c'est une âme que Dieu poursuit de longue main ; nous ne savons pas si c'est en notre Institut. C'est pourquoi il faut tâcher de sonder les attraits de Dieu en cette âme ; et si elle est appelée chez nous, il se faudrait bien garder de loi fermer la porte. — Vraiment je le crois bien, ma chère fille, que N. trouve étrange que l'on m'appelle digne Mère : je le trouve aussi infiniment étrange, quand j'y fais [393] attention ; mais la plupart du temps je n'y prends pas garde.[100] Il est vrai que j'avais prié plusieurs fois que l'on ne me nommât plus, sinon notre Mère de Nessy, tandis que je serai Supérieure ; et lorsque je serai déposée, notre Sœur Jeanne-Françoise Frémyot d'Annecy ; car je suis de cette chère maison où le Bienheureux m'a mise. Je vous conjure donc, et toutes nos bien-aimées Sœurs, de ne me plus appeler digne. Hélas ! de quoi suis-je digne ? d'un supplice éternel, si une clémence infinie ne m'était appliquée. Et je me sens au fond de mon cœur très-particulièrement obligée à N. qui trouve tant à redire à ce mot de digne Mère, et vous êtes très-particulièrement ma bien-aimée fille de m'avoir si naïvement écrit cette censure. N. me l'avait déjà bien écrit avec des termes plus convenables à ce que je suis, que vous, ma fille, qui m'êtes trop douce et trop bonne. — Mais, mon Dieu, ma fille, que me dites-vous ? que vous craignez que l'on perde l'esprit de simplicité. Hélas ! quand cela sera, nous perdrons tout à fait l'esprit de la Visitation. Dieu nous défende de ce malheur !

Non, je vous supplie, ma fille, ne vous rendez point complaisante à cette petite fantaisie des filles qui veulent discerner les anciennes d'avec les jeunes. Faites-leur bien entendre ce que dit notre Bienheureux Père que « l'amour égale les amants » ; que la Congrégation de la Visitation n'étant qu'un petit corps, il n'y doit avoir qu'un cœur et une âme, tant l'union doit être grande. Et puis, comme vous dites, ce n'est plus être jeune d'avoir sept ou huit ans de profession, et quand les plus jeunes passent les anciennes en vertus et bons talents, il les faut [394] employer sans crainte ; car enfin, après qu'on a tenu les filles basses quelque temps, et qu'on voit que Dieu les dispose à servir la Religion, on les doit mettre en œuvre, car Dieu ne donne pas ces talents et dispositions en vain ; c'est une marque qu'il veut être servi d'une âme quand II lui donne de quoi le faire.

Oui, ma fille, il faut avertir les déposées de leurs défauts. Si l'on ouvre la porte à ce respect humain de n'oser avertir et reprendre les déposées, l'observance serait bientôt à bas. Ce serait une étrange chose si pour avoir été Supérieure trois ou six ans, il fallait être le reste de sa vie exempte des soumissions et humiliations de la Religion ! Dieu nous défende de cette dangereuse contagion. Il faut rendre du respect cordial aux déposées selon la Règle ; mais cela ne doit point leur faire accorder des libertés contre cette même Règle, comme seraient des exemptions du silence, permissions de faire ce qu'elles jugent à propos, n'oser lire les lettres qu'elles écrivent ou reçoivent. Elles-mêmes doivent fuir cette liberté, quoique la Supérieure leur peut et doit déférer quelque chose, mais non pour en faire coutume d'obligation générale. Il faut que les déposées marchent dans une entière observance, comme les autres. Mon Dieu ! que je fais d'état des Mères déposées qui ne recherchent et ne veulent que la soumission, la retraite et le recueillement ! Et que j'aime de tout mon cœur les Supérieures élues qui se comportent envers les déposées avec une généreuse et cordiale humilité. Je dis humilité généreuse et cordiale, pour faire qu'elles traitent les déposées avec grande bonté, demandant humblement leurs avis, et agréant avec suavité que les Sœurs rendent aux déposées le respect et la reconnaissance qu'elles leur doivent ; et d'autre part une sainte générosité qui les empêche de se gêner pour le respect des déposées, et leur fasse faire à la vue de Dieu, ce qu'elles jugeront nécessaire pour le bien du monastère et des Sœurs. [395]

Je vous remercie, ma fille, de la charité que vous avez faite à nos Sœurs de [Semur] ; mais croyez que ce ne sont pas les plus pauvres. Nos pauvres Sœurs de Nancy, ruinées par la guerre, mangent du potage à l'eau et au sel, avec quelque peu d'herbes dedans, sans une goutte de beurre ni de graisse, vivent du pain de munition des soldats, par la charité du roi, vont nu-pieds l'été, l'hiver elles portent des sabots de bois, et ont ensuite toutes les pauvretés et disettes que l'on peut colliger de celles-là. Nos pauvres Sœurs sont en telle extrémité et ne disent mot ; sans doute que Dieu voit de bon œil cette humble souffrance, à laquelle je porte une extrême compassion. Mais je vois presque toutes nos maisons si abattues et reculées par la misère générale du temps, que chaque communauté a prou peine de se soutenir soi-même, et ne savons où recourir pour faire faire la charité, personne ne pouvant donner de son abondance, mais de ce qui lui est bien nécessaire. Et véritablement je remarque que la bonté de Notre-Seigneur fait abonder beaucoup de grâces spirituelles où ces grandes disettes temporelles se trouvent.

Quant à la vocation de madame N., je ne puis pas discerner si elle est véritable ; c'est affaire de ceux qui gouvernent sa conscience. Qu'elle ne prenne pas diversité d'avis vers plusieurs personnes, mais seulement de deux ou trois, qu'elle unira ensemble, qui soient de confiance, de doctrine, d'intelligence, et surtout fort désintéressées pour son regard ; qu'elle leur expose nûment les attraits qu'elle sent, et les raisons qui l'arrêtent. Que si véritablement son appel est de Dieu, Il est le maître souverain ; personne ne peut sans crime résister à sa volonté. Mais si ce n'est qu'un simple désir que cette âme a de la retraite,. et de son débarrassement des affaires du monde, je crois que la parole de l'Écriture, qui ordonne que les mères assistent leurs enfants, doit avoir plus de force que toute autre considération. [396]

LETTRE MDCCLXIX - À LA MÈRE MARIE-PHI LIBERTE AYSEMENT

SUPÉRIEURE À APT

Extrême indigence des Sœurs de Nancy. — Estime qu'on doit faire de la pauvreté. — Avis au sujet d'une fondation. — Ne pas sortir de la clôture pour traiter d'affaires qui peuvent l'être par écrit.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 8 avril [1641].

Ma bonne et très-chère fille,

Je vois, par votre dernière lettre, que vous n'aviez pas encore reçu ma réponse aux vôtres précédentes, et à celle de ma Sœur F. -Catherine [de Pingon]. Nous apprenions par icelle votre résolution de la garder et sa détermination de demeurer ; et je vous disais, ma très-chère fille, que sitôt que nous le pourrons, nous vous accommoderons de six ou sept cents francs. Je vous assure que Dieu permet que la pauvreté soit si généralement dans l'Institut, que ce m'est une douleur sensible de voir souffrir nos pauvres Sœurs sans pouvoir tendre la main partout, comme nous en aurions la véritable affection. Quand je pense à nos pauvres Sœurs de Nancy qui vont nu-pieds et nu-jambes, qui vivent du pain de munition des soldats dont le Roi leur fait la charité, qui ont pour toute pitance un peu d'herbes pour faire du potage avec de l'eau et du sel, sans qu'il soit entré une goutte de beurre ni de graisse chez elles dès trois ans, de vrai, cela m'est une compassion extrême, aussi bien que l'état de votre pauvre chère maison. Ma très-chère fille, pour l'amour de Dieu, continuez à faire de plus en plus peser à nos Sœurs la riche part que Dieu leur donne des souffrances et pauvretés de son Fils notre Sauveur, de la sacrée Vierge et du glorieux saint Joseph ; et qu'elles soient assurées que, si elles persévèrent à faire profit, de ces bonnes occasions, leur patience et humble souffrance toucheront notre bon Dieu. Mais qu'elles s'abandonnent fort à sa Providence, qui sait le moment auquel elle veut les secourir, [397] et qu'elles s'assurent sur cette divine parole qui a promis que qui cherchera véritablement sa justice et son royaume, toutes les autres choses nécessaires suivront. Faites quelque dévotion à la Sainte Vierge et au grand saint Joseph.

Je suis bien aise, ma très-chère fille, que votre fondation [de Castellane] soit retardée. Pour l'amour de Dieu, prenez bien garde à faire vos conclusions avec Mgr de Senez quand il sera de retour, en sorte que d'une pauvre maison vous n'en fassiez pas deux pauvres, comme ont fait nos Sœurs d'Autun établissant à Charolles. Toutes deux sont dans l'extrême pauvreté ; mais si Monseigneur fait quelque bon avantage et qu'il y ait là des filles disposées et dotées pour être reçues, vous pourrez un peu décharger votre pauvre maison. J'écris encore à ma Sœur la Supérieure d'Avignon, pour vous décharger, s'il est moyen, de cette Sœur Marthe-Angélique, par le moyen de leur fondation de Tarascon. Je m'assure que son bon cœur fera tout ce qu'elle pourra obtenir de ses Sœurs ; car, pour elle, oh certes ! c'est une âme accomplie en bonté et en charité.

Vous me dites que vous et vos Sœurs avez jugé à propos que ma Sœur M. -Marguerite [de Rajat] allât à Avignon, pour parler de cette affaire avec la bonne Mère. De vrai, ma très-chère fille, il ne faut pas faire des sorties pour des choses qui se peuvent traiter par lettres, surtout avec une Mère de si grande bonté, charité et vertu, qui croira autant à vos lettres qu'à vos paroles. Ma Sœur M. -Marguerite ne nie dit rien de son voyage. J'eusse bien voulu qu'elle m'eût un peu dit comme elle a trouvé les choses à Avignon, et la fondation de Tarascon, cela m'aurait consolée, et le résultat de ce qu'elle a conclu avec la bonne Mère. — Je crois bien certes, que nos Sœurs d'Aix feront ce qu'elles pourront pour votre procès, je les en prierai encore, et je conjurerai incessamment notre bon Sauveur de faire la grâce à nos chères Sœurs de le glorifier en la manière dont la divine Bonté leur offre le moyen. Je les salue de tout mon cœur et me [398] recommande à leurs prières. De vous dire, ma toute chère fille, que je me recommande aux vôtres, ce serait, ce me semble, chose superflue, puisque je sais que votre cœur me fait ce bien, et que vous savez que c'est d'une affection très-sincère et très-véritable que je suis, ma très-chère fille, votre très-humble, etc.

LETTRE MDCCLXX - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Envoi de son obéissance pour revenir à Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, avril 1641.]

Ma toute chère fille,

Après avoir très-respectueusement baisé l'obéissance que nous avons obtenue pour vous, je vous l'envoie. Venez donc, au nom de Notre-Seigneur, régir cette chère maison, et en particulier ma pauvre âme. Je vous supplie de partir de Bourg aussitôt que la nouvelle élection sera faite. Ne retardez point ma satisfaction. Il me semble que tous les ennuis que mes misères intérieures et ma vieillesse me donnent seront chassés par cette bénite et tant attendue venue.

LETTRE MDCCLXXI - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Regret de ne pouvoir se rendre à Moulins. — Désir de voir la duchesse faire un pèlerinage au tombeau de saint François de Sales.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 10 avril [1641],

Madame,

Mgr de Genève, qui est toujours malade, m'envoya hier soir la lettre qu'il écrit à Votre Grandeur. Je vous confesse, Madame, [399] que, nonobstant l'indifférence que Dieu me donne pour l'emploi du reste de mes jours, mon cœur a été touché à cette nouvelle, non certes pour un autre sujet que pour voir vos désirs privés de leur attente ; car je sens bien que votre bonté et humilité vous donnent une certaine créance et confiance en ma chétiveté, quoique très-indigne de cette grâce, que facilement vous ne la prendriez pas à une autre. Quand je regarde cela, Madame, Dieu seul sait ce que mon cœur en ressent, et avec quelle franchise j'exposerais ma vie pour votre consolation et obéissance, si c'était son bon plaisir ; mais ne le pouvant mieux savoir que par la volonté de mes Supérieurs, je demeure en paix, me confiant que Notre-Seigneur pourvoira par des moyens plus utiles et efficaces à votre contentement, Madame, et au bien de cette maison, comme j'en supplie sa souveraine Bonté de toutes les forces de mon âme.

On pensait, Madame, que, à cause de la bonne intelligence de la France avec la Savoie, votre piété pour notre Bienheureux Père vous exciterait peut-être à désirer de faire quelque jour un pèlerinage à son tombeau. O Dieu ! si cela arrivait et que je fusse encore en ce monde, mon âme serait comblée de joie de recevoir cet honneur et consolation incomparables de voir encore une bonne fois Votre Grandeur et l'entretenir à souhait ; si c'est le dessein de Dieu, il arrivera. Cependant, je supplie son infinie douceur de remplir votre digne et très-chère âme de ses plus précieuses et saintes consolations et bénédictions ; et vous, Madame, de m'honorer toujours de votre sainte et désirée bienveillance. Croyez que c'est un trésor pour moi, que j'estime plus que de posséder tout le monde, vous révérant et ce que Dieu a mis en vous avec un très-profond respect et une très-intime affection, à laquelle je demeure pour jamais, Madame, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers. [400]

LETTRE MDCCLXXII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Dispositions à prendre pour son retour à Annecy. — Pauvreté de plusieurs monastères.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 12 avril [1641].

Ma très-chère fille,

Je crois qu'à présent vous aurez reçu celle que je vous avais écrite par la voie d'un Père Jésuite, en vous envoyant votre obéissance que Son Éminence a envoyée à Mgr notre digne prélat, et lui a écrit fort cordialement. Je vous ai mandé qu'il faudrait vous en venir ici avec une tourière après que l'élection de Bourg sera faite. Mais depuis j'ai pensé, à cause de vos infirmités, qu'il sera mieux que vous preniez la nouvelle Supérieure ou votre compagne, ou celle que vous voudrez de vos Sœurs pour vous accompagner jusques ici. Vous ferez bien encore d'amener une de vos Sœurs tourières pour s'en retourner avec celle que vous amènerez.

Ma très-chère fille, je sais un peu le jeu de Lyon. J'écrivis l'autre jour à ma Sœur la Supérieure que j'avais la pensée que vous devriez aller mener votre compagne à Lyon, et par ce moyen dire adieu à vos filles, et l'assurer que dorénavant il ne se parlerait plus du passé, comme en vérité il n'en faut plus parler. Je lui disais encore qu'elle vous ramènerait ici, et que j'espérais que ce voyage ne lui serait point inutile ; mais enfin sachant les dispositions du chef de ce lieu-là, et combien puissamment il influe sur tout ce corps-là, le mieux sera que vous veniez droit, passant toutefois parles monastères qui se rencontreront le long de votre chemin, car assurément vous ne recevriez à Lyon que de nouvelles douleurs et amertumes, [ainsi que] celles qui vous témoigneraient de l'affection. — Enfin, [401] Dieu veut que vous retourniez en votre petite maison de Nessy, où vous serez reçue et regardée avec amour et estime. Je crois vous avoir mandé que le voyage de Moulins est rompu. Venez gaiement, ma toute très-chère fille, Dieu vous amène et soit béni !

Je suis grandement consolée de voir la bonté et charité de nos chères Sœurs vos filles, à l'endroit des pauvres monastères. L'auriez-vous pu croire que Semur et quatre ou cinq autres maisons sont peut-être presque autant en nécessité que celle de Nancy, laquelle, grâce à notre bon Dieu, aura à présent reçu les charitables aumônes de plusieurs de nos monastères ? Nous leur avons aussi fait donner quelque chose. Je vous prie de dire à la bonne chère Mère de Paray qu'elle ne se refroidisse pas encore de ses charités pour nos chères Sœurs de Charolles, car peut-être que si les Sœurs de Châlon n'y sont pas encore allées, quelque occasion les en pourrait empêcher ; mais qu'elle se dispose à faire la charité de donner pour chacune deux mille francs.

Si le Visiteur [supérieur de Lyon] vous va trouver, je vous prie, ma fille, qu'il ne se parle que de l'estime, honneur et affection que vous portez à Son Éminence, et de l'amour et dilection que vous avez à la bonne Mère de Lyon et à toutes ses filles ; et, au reste, toute joie et consolation de vous en revenir dans ce monastère auprès de voire vieille Mère. Nous attendons de vos réponses par l'homme qui ramènera le cheval du Père Jésuite.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [402]

LETTRE MDCCLXXIII - À LA MÈRE CATHERINE-ÉLISABETH DE LA TOUR

SUPÉRIEURE À GRAY

Moyens à prendre pour correspondre plus facilement. — Félicitations sur le bon état spirituel et temporel de la communauté de Gray. Accommodement avec celle de Fribourg. — Maladie de l'archevêque de Bourges.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 18 avril 1641.

Ma vraiment très-chère fille,

Je vous écrivis l'autre jour par un Père Carme, qui nous promit de remettre notre lettre à Genève, au correspondant de Bourgogne. Je voudrais bien, ma très-chère fille, que vous prissiez audit Genève un correspondant, que nous sussions son nom et l'endroit où il demeure. Quasi toutes les semaines il y va des gens d'ici ; nous ferions regarder s'il n'y a point de vos lettres pour nous, et nous y enverrions aussi les nôtres, que vous feriez prendre par ceux de Gray qui vont à Genève. Ainsi nous ne serions plus en la peine où j'ai été de vous, ma vraie chère fille, n'ayant reçu aucune de vos lettres dès le Révérend Père Jésuite jusqu'au passage de M. Jobelot, et le 14 de ce mois votre paquet du 8 octobre. Nous sommes dans l'espérance de recevoir celui que vous nous mandiez, par M. Jobelot, avoir envoyé, il n'y avait que huit jours, et nous voudrions bien savoir, ma chère fille, quelle adresse vous donnez à vos lettres, lesquelles me consolent toujours plus que je ne saurais dire, et si vous avez reçu tous les petits reproches que je vous ai faits de nous laisser si longtemps sans nous écrire. Vous verrez, ma très-chère fille, que je m'oublierais plutôt moi-même que de vous oublier ; ce que je dis selon la vérité du sentiment de mon cœur. Le vôtre très-cher, ma bien-aimée fille, me fait grand plaisir de se tenir courageux en la confiance en Dieu ; [403] espérez toujours, ma fille, que ce bon Père céleste ne vous abandonnera pas.

Que votre chère communauté continue à s'avancer en l'observance et esprit intérieur, cherchant tout premièrement le royaume des cieux. Vous êtes bienheureuse d'avoir une si bonne troupe ; c'est le grand allégement des pauvres Supérieures que les bonnes filles. Après ce bon état spirituel, votre petit et bon ménage temporel m'a fort contentée. Certes, ma chère fille, c'est une grande grâce à un monastère d'avoir des Supérieures qui ménagent dans la pauvreté, la raison et la charité. Ce que je dis encore pour la consolation que j'ai eue de voir comme, selon votre petite portée, vous faites cordialement la charité aux autres, et que notre bon Dieu vous le rend si amoureusement : tout cela me sont des marques que sa Bonté porte votre faix, ma très-chère fille, et daigne bénir votre conduite ; voyant cela, vous devez, en vous humiliant profondément de ses grâces, vous conserver pour obéir à sa sainte volonté. Cette fièvre et cette défluxion sur la poitrine sont un peu à craindre et me donnent de la peine. Je vous supplie, laissez-vous traiter selon votre besoin : faites-moi ce plaisir, ma bonne et très-chère fille.

Quant à votre affaire de Champlitte, je vous ai fait ample réponse aux lettres que le Révérend Père Jésuite nous apporta. Je ne pense pas que la pauvre Mère de Fribourg, que je plains en toute façon, se retire là, puisque l'on ne s'y peut retirer tandis que les guerres durent, et je trouve, ma très-chère fille, qu'encore les chargeriez-vous prou, leur cédant votre maison de Champlitte avec huit mille francs de biens fonciers, de les charger de sept ou huit Sœurs. Je crois qu'il ne vous en reste guère plus que cela de celles qui sont venues de Champlitte. Or sus, l'on n'en est pas encore là ; s'il faut en venir à terme de transport et d'accommodement, l'on verra, avec la grâce de Dieu, à faire tout avec une égale charité. Je sais bien que votre cœur ne veut que cela, ma très-aimée fille, étant, comme vous [404] êtes, amoureuse de l'esprit de notre Bienheureux Père, que je prie vous bénir avec toute votre chère troupe, que je vous prie d'embrasser pour moi bien cordialement, et de recommander à leurs prières le bon Mgr de Bourges, qui est fort mal. Bonjour, ma toute très-aimée fille ; ne recevez jamais l'ombre d'un doute que je ne sois à l'éternité et d'un cœur tendrement maternel, ma très-chère fille, votre, etc.

Mais, ma fille, je suis vôtre d'une affection incomparable, qui me fait prier notre bon Dieu de combler votre chère âme des plus saintes grâces de son saint amour, et toutes nos Sœurs que je salue.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCLXXIV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

De l'élection de Thonon. — Affaires. — Hors du monastère de sa profession, on ne donne pas de voix pour l'élection de la Supérieure. — Le bonheur et l'avancement de l'âme consistent à suivre l'attrait intérieur de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 18 avril 1641.

MA TRÈS-CHÈRE FILLE,

Nous ne pouvons encore vous donner une entière résolution touchant le désir que vos Sœurs ont de vous remettre sur leur catalogue. Assurez-les pourtant que si l'on ne leur permet pas, ce ne sera pas faute d'affection. Vous ne devez pas vous étonner de ce qu'elles font leurs efforts pour vous ravoir, car elles ont raison en cela. Nous ne sommes pas encore résolues pour nous-mêmes de ce que nous pourrons faire. La semaine qui vient l'on fera notre visite [canonique], après quoi l'on résoudra ce qui se devra. Je ne pense point à leur donner des Sœurs de céans pour leur être proposées, au cas que vous ne le soyez pas, à [405] cause de ce qu'elles nous firent entendre, que si elles ne vous avaient pas elles penseraient à se tenir chez elles. Et, pour moi, je trouve que nos bonnes Sœurs ont grand tort de ne pas agréer que l'on mette sur leur catalogue ma Sœur Anne-Françoise ; car c'est une bonne Sœur, et si elle ne leur agrée pas, elles ne seront pas obligées de l'élire. L'on ne peut pas avoir des Sœurs d'égale vertu sur un catalogue. Pour moi, je pense qu'elles doivent proposer ma Sœur l'assistante, ma Sœur M. -Françoise de Blonay, et ma Sœur Anne-Françoise [Dunant]. Si Dieu permet que vous y soyez, l'on retranchera celle qu'elles voudront.

Si Votre Charité nous mandait ce qu'elle désire faire venir de Lyon, nous le recommanderions comme le nôtre propre. L'on ne fait pas ce que l'on veut ; ces chères Sœurs ont beaucoup de surcharge pour les affaires d'autrui. Il y a plusieurs mois que l'on nous a mandé de Paris que l'on nous envoyait des livres qui sont à Lyon, et que néanmoins nous n'avons pas encore pu avoir, ni d'autres choses que nos Sœurs de Lyon nous ont achetées, parce que les marchands n'ont pas pu y aller à cause des grandes eaux. Ces jours passés, ils sont sortis avec beaucoup d'appréhension, pour la crainte qu'ils ont des soldais qui font bien du mal, à ce que l'on dit. Il faut prier Dieu pour eux. — Quand l'on sera assuré si vous demeurerez à Thonon ou si vous reviendrez, l'on vous mandera ce qui se devra faire [pour] le retour de ma Sœur Jeanne-Françoise Marcher. Cependant, vous lui devez dire tout confidemment qu'il ne faudra pas qu'elle se trouve au Chapitre ou assemblée où il sera requis de parler de l'élection. Il ne faudra pas non plus qu'elle donne sa voix, parce qu'elle n'est pas destinée pour toujours demeurer là ; on le pratique ainsi dans ce monastère.

Quant à votre peine de ne point penser aux mystères que la sainte Eglise nous représente, hélas ! ma très-chère fille, si vous le pouvez et y avez tant soit peu d'attrait et de facilité, faites-le. Mais Dieu les comprend tous en soi ; quand on est [406] uni et attentif avec Lui, cela est plus que de méditer un mystère. Il est vrai que, pendant leur octave, notre Bienheureux Père conseillait que quelquefois l'on fit quelque acte d'adoration comme serait : Je vous adore, mon Dieu, selon toute l'étendue de la vérité de ce sacré mystère. Enfin notre bonheur gît et notre avancement à suivre l'aurait intérieur de Dieu. Sa Bonté nous en fasse la grâce et soit éternellement bénie ! Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCLXXV - À LA MÈRE ANNE-CATHERINE DE BEAUMONT

SUPÉRIEURE À PIGNEROL

Il n'est pas nécessaire que le Coutumier soit approuvé de Rome. — Se tenir étroitement attachées à l'observance ; mais en province étrangère on peut faire quelquefois de petites concessions, afin de mieux conserver l'essentiel de la Règle.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 23 avril 1641.

Ma toute bonne et chère fille,

Vous avez parlé fort à propos à M. le grand vicaire. Il est vrai, ce qu'il dit, que le Coutumier n'est pas passé à Rome ; mais il est très-vrai aussi, et je l'ai appris de personnes de grande doctrine et expérience, que les Directoires et Coutumes d'un Institut n'ont nullement besoin d'être passés à Rome ; il suffit que les Constitutions le soient. Faites-lui voir comme en divers endroits des Constitutions, qui sont approuvées à Rome, elles renvoient au Directoire. Nous n'avons point besoin de faire de consulte pour nous tenir dans cette observance dans laquelle, grâce à Dieu, toute la Congrégation vit en paix. Il faut, ma fille, que vous et vos Sœurs vous vous comportiez avec grande douceur et humilité à l'endroit de ce bon M. le grand vicaire, vous montrant toujours très-affectionnées à votre fidèle et ponctuelle observance, fort unies ensemble et uniformes en volonté, lui [407] témoignant que cette sorte de vie est douce et paisible, que les Sœurs y vivent très-contentes, parce qu'elles s'occupent beaucoup auprès de Dieu, qui doit être l'unique joie des âmes religieuses.

J'écris à M. l'ambassadeur de France, selon votre désir, afin qu'il vous procure quelque soulagement dans cette affliction. Mais enfin, ma chère fille, nous portons la croix pendue au col, il faut que nous ressentions quelquefois la pesanteur des tribulations. Celles qui viennent du côté de nos Supérieurs et pour le sujet de nos observances sont les plus sensibles. Il faut avoir un grand recours à Dieu, qui tient en sa main les cœurs de ses créatures, et qui peut les incliner vers nous lorsque nous y pensons le moins. Nous ne manquerons pas de prier et faire prier pour vous ; car je puis dire que je participe à votre souffrance. Vous avez bien fait de ne pas faire une résistance absolue au Supérieur pour donner l'habit de novice à cette fille ; mais, si c'était pour la profession, il faudrait être bien plus ferme, remontrant avec respect que nous ne pouvons trahir notre Religion, y incorporant un mauvais membre qui étant gâté et pourri pourrait infecter tout un corps innocent ; et qu'enfin nos Supérieurs sont nos Supérieurs et établis sur nous, non pas pour abolir nos lois et observances, mais pour nous maintenir en icelles. Mais, mon Dieu ! ma chère fille, il faut faire la représentation de nos raisons avec tant d'humble respect et cordiale soumission que cela même touche le cœur des Supérieurs.

Étant en une province un peu étrangère, je crois qu'il faut condescendre à laisser quelquefois certaines petites choses pour conserver ce qui est de l'essentiel de l'observance. Je vous prie, ma fille, n'entrez point en peine ni en crainte de me fâcher ; je connais si bien la sincérité et droiture de votre cœur et son zèle pour l'Institut, que je ne vous puis blâmer, et je sais qu'en de telles occasions les pauvres Supérieures ne savent que faire, [408] et souffrent beaucoup sans coulpe, mais non pas sans mérite, si elles se tiennent bien unies à la volonté de Dieu. Demeurez courageuse et pleine de confiance en ce divin Maître, et le priez bien pour moi, qui ne cesserai jamais de me dire de cœur, votre, etc.

LETTRE MDCCLXXVI - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Oppositions que fait Mgr de Genève au voyage de la Sainte à Moulins.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 25 avril [1641].

Madame,

Je ne saurais vous exprimer les sentiments que mon cœur reçoit de vous voir dans l'attente de ma chétive personne, et que vos désirs soient en cela éconduits. Ainsi que Mgr de Genève vous l'a écrit, lequel, à cause des accidents qui me sont arrivés les deux mois passés, s'est résolu, par l'avis des médecins, de ne point me laisser sortir de ce monastère.[101] Croyez, Madame, que j'ai reçu à cette nouvelle une très-sensible touche pour votre seule considération, ainsi que je vous ai déjà écrit, mais enfin il faut plier et se soumettre à la très-adorable et toute sainte volonté de Dieu, qui sait l'incomparable amour et respect que sa Bonté a mis dans mon cœur pour le vôtre très-précieux, duquel la consolation m'est plus désirable que la mienne propre. Cette souveraine Providence qui est le guide et l'arrêt de tous nos désirs et desseins, sera, s'il lui plaît, votre consolation et le remède de cette chère l'ample de Moulins ; et moi, ma [409] très-honorée Madame, je vous serai toujours et à jamais entièrement vouée pour vous révérer, chérir et souhaiter le comble de toute sainteté, en qualité, Madame, de votre très-humble, très-obéissante et très-fidèle servante en Notre-Seigneur.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MDCCLXXVII - À LA MÈRE BARBE-MARIE BOUVART

SUPÉRIEURE AU MANS

Le bonheur d'une communauté consiste dans l'union des cœurs. — Avantages de la tentation. — Les réflexions sur soi-même sont un grand obstacle à la perfection.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 30 avril 1641.

Ma très-chère et bonne fille,

Nous venons de recevoir, ces derniers jours du mois d'avril, vos lettres du 24 juin de l'an passé, et à même temps celle du 13 février ; vous voyez, ma très-chère fille, connue j'ai été longtemps sans avoir la consolation d'avoir de vos nouvelles. Quand il passe six mois, c'est bien assez selon mon affection cordiale, qui a été toute satisfaite de voir de vos lettres vieilles et nouvelles : tout cela m'est à consolation, voyant que notre bon Dieu bénit votre petite communauté, et qu'elle continue à marcher son petit train fidèlement dans l'observance. Surtout je rends grâce à Dieu de cette paix, de cet esprit de paix, dis-je, d'union et de cordiale franchise que sa Bonté a répandu parmi vos Sœurs, et non-seulement pour votre maison, mais encore pour tout l'Institut, et singulièrement pour vos pauvres petites Sœurs de Mamers qui sont si bonnes. Il faut bien persévérer en cette cordiale et sainte communication, surtout quand on est comme vous êtes avec ce cher monastère-là, un peu écarté des autres ; les nouvelles et encouragements de nos chères Sœurs font si grand bien que rien plus, et nous font de nouveau [410] expérimenter que c'est notre grand bien et suave consolation de nous tenir humblement closes et couvertes en notre petit Institut. Je congratule de tout mon cœur vos chères Sœurs de n'être point parleuses au dehors ; plus elles iront avant, plus elles expérimenteront que c'est leur mieux de se tenir ramassées auprès de Dieu, attachées à leurs Règles sans rien chercher hors de là.

Vous m'avez fait très-grand plaisir, ma très-chère fille, de me dire un petit mot de ma très-chère Sœur Grasseteau : c'est bien une des filles qui est dans mon cœur, je l'en assure. Et qu'elle ne s'étonne point de ses tentations et difficultés : c'est pour son grand bien que Dieu les lui envoie ; qu'elle souffre avec humilité, qu'il lui suffise [de savoir] que sa volonté ne consent pas. C'est glorifier Dieu dans nos infirmités d'être combattue et non pas abattue. Qu'elle serve Notre-Seigneur avec un courage toujours nouveau sans s'abattre ; mais, au contraire, qu'elle relève son cœur par confiance vive et joyeuse. — Quant à cette pauvre bonne Sœur si tendre sur elle-même, vous feriez un petit miracle si Dieu vous faisait la grâce de la pouvoir affranchir de cette imperfection. Il faut avoir compassion d'elle et un généreux support, tâchant tout doucement de relever son courage : mais c'est un grand bien qu'elle soit si craignant Dieu ; elle a en cela un grand et désirable trésor.

Et vous, ma très-chère fille, avez reçu de cette souveraine Bonté un don très-précieux en cet attrait d'abandon et remise de vous-même entre les bras de cette souveraine Bonté, puisqu'elle vous a fait la grâce d'être affranchie des réfléchissements sur vous-même. Tenez ferme, ma très-chère fille, pour n'y jamais laisser embarrasser votre esprit : c'est l'un des grands empêchements qui soient en la vie spirituelle. Je suis tout à fait consolée de l'union mutuelle qui est entre Votre Charité et ma chère Sœur M. -Anastase [Pavillon] : il est vrai que c'est une âme de vraie vertu. Il me fâche bien de la voir si malsaine [maladive] ; mais il faut acquiescer en tout à la très-sainte [411] volonté de notre bon Dieu, en l'amour duquel je salue et embrasse cordialement toutes nos très-chères Sœurs, les conjurant de s'avancer toujours plus en la parfaite observance. Qu'elles me fassent bien la charité de me recommander à la souveraine miséricorde. Faites-moi vous cette même charité, et me croyez très-absolument et d'un cœur sincère, votre, etc.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans.

LETTRE MDCCLXXVIII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE À BOURG EN BRESSE

Joie que la Sainte attend de l'arrivée de cette Supérieure.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 1er mai 1641.

Ma toute très-chère fille,

O Dieu ! quelle consolation de nous revoir ensemble en notre premier et petit séjour ! Il m'est avis que nous prendrons un nouveau courage pour servir de mieux en mieux notre divin Sauveur en cet aimable premier esprit de pauvreté et vraie simplicité. Dieu nous en fasse la grâce, nia toute chère fille ! Mon Dieu ! que vous serez la très-bien venue, et tendrement reçue. Je souhaiterais pouvoir consoler votre chère compagne la retenant ici ; mais, outre qu'il nous est impossible pour notre grand nombre, il y a d'autres considérations et conséquences que je vous dirai, si Dieu plaît, qui ferment tout à fait ce passage, où d'autres voudraient passer, comme l'on a voulu faire autrefois. Hélas ! je ne suis mortifiée que de celle que la toute bonne Mère de Mâcon recevra de ne vous pouvoir voir. Voilà la réponse de Mgr de Genève, écrite de la main de notre bon M. Pioton, que vous lui enverrez.

Certes, si nous avions le pouvoir d'une litière, nous vous [412] l'enverrions ; mais chose impossible de trouver des portants. Il faudra que nos chères Sœurs de Bourg en aient une d'ami ; nous vous aiderons un peu aux dépenses. Certes, il est vrai que partout et surtout ici l'argent est fort court, mais Dieu nous aide. Au reste, venez gaiement et à la légère des bienfaits de Lyon ; rien ne vous manquera ici, Dieu aidant. Jésus ! qui eût jamais pensé de voir telle chose, et encore ce que je vois qui se passe ! Enfin, ils ne vous veulent point voir ; ne montrez aucun désir [d'y aller]. Il m'est déjà avis que je vous tiens. Dieu vous amène heureusement et nous fasse la grâce de le louer éternellement ensemble ! Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCLXXIX - À LA SŒUR PAULE-JÉRONYME DE MONTHOUX

À BLOIS

On ne doit pus empêcher une Supérieure déposée de rentrer au monastère de sa profession.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Je vois vos doléances, ma très-chère fille, avec d'autant plus de compassion qu'il n'est pas en mon pouvoir d'y donner remède, ne sachant pas ce qu'il plaira à Mgr de Lyon d'ordonner de notre très-chère Sœur [Cl. -M. de la Martinière] votre bonne Mère, qui est en la seule disposition de Dieu et de Son Éminence. Certes, ma très-chère fille, quand un monastère nous fait la charité de nous prêter une Supérieure pour trois ou six ans, il ne faut pas lui vouloir lier les mains, en sorte qu'il ne la puisse retirer. Je ne doute point que ce ne fût un bonheur nonpareil d'avoir une telle déposée. Oh ! vraiment si, serait ; mais si Dieu ordonne autrement, [et que] vous ne vouliez pas accepter le [413] fardeau que sa Providence vous impose, de vrai, ma très-chère fille, pardonnez-moi, c'est un peu trop s'appuyer sur la créature et trop peu au soin du Créateur, en la vérité de ses promesses, en la fermeté de ses paroles. Abandonnez-vous à l'aveugle, ma très-chère fille, ne voulez rien, laissez vouloir Dieu, confiez-vous pleinement en son soin, ayez-y votre continuel recours, et laissez-vous gouverner par cet amoureux Conducteur. S'il seconde votre désir jusqu'à vous laisser cette très-chère Sœur quand elle sera déposée, bénissez-le ; s'il veut se servir d'elle ailleurs, bénissez-le et servez sa divine Majesté au lieu où sa volonté vous attache, avec le plus de fidélité qu'il vous sera possible. Rentrez dans la charge avec une nouvelle douceur, bonté et support, réclamant sans cesse le secours de Dieu ; vous verrez qu'il viendra à votre aide et fera mieux ajuster toutes choses que vous ne pensez. C'est notre mal, ma fille, que nous ne nous perdons pas en Dieu de la bonne sorte. Faites-le sans réserve.

Conforme à une copie gardée à la Visitation du Mans.

LETTRE MDCCLXXX - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

À BOURG EN BRESSE

Prière de hâter son retour à Annecy et de ne point parler de ce qui s'est passé à Lyon.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 12 mai 1641

Ma très-chère fille,

Sans ouvrir cette lettre,[102] je vous dis tout en hâte qu'il nie tarde bien tant de vous voir que je vous prie de partir au moins [414] mardi d'après la Pentecôte. Grâce à Dieu, me voici libre ; certes je ne pouvais plus fournir au général et particulier. Je ne sais qui Dieu nous donnera. Ne parlez point à Belley de ce qui s'est passé à Lyon, ni ici quand vous y serez ; car l'on n'en sait rien du tout.

Priez pour moi, ma fille, qui suis si intimement vôtre. Dieu soit béni, qui nous remplisse de son Saint-Esprit. Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCLXXXI - À LA MÈRE MARIE-RENÉE DE GUÉROUST

SUPÉRIEURE À RENNES

Avant de confier aux jeunes Religieuses les emplois importants, il faut les consumer dans la soumission. — Vertus nécessaires à une maîtresse des novices. — Une Sœur tourière infirme doit être gardée dans l'intérieur du monastère sans toutefois la faire changer de rang. — La Supérieure peut ordonner le silence dans quelques lieux du monastère. — Exhortation à la pratique de la pauvreté.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 12 mai 1641.

Ma très-aimée fille,

Vous m'avez fait très-grand plaisir de laisser reposer vos anciennes, pour mettre un peu en œuvre votre brave et fervente jeunesse, et voir par cette épreuve si elle est solidement fondée en la vertu ; mais je vous dirai bien néanmoins qu'ordinairement deux ou trois années de Religion ne suffisent pas pour faire une bonne maîtresse des novices. Il est bon que les jeunes Religieuses, qui ont des talents et des dispositions pour de tels emplois, soient un peu consumées dans les petites charges et dans la soumission. Si vous avez quelque fille de vingt-quatre ou vingt-cinq ans, qui ait de bonnes conditions pour la charge de directrice, vous pourriez la mettre assistante du noviciat, s'il [415] y a quantité de novices, pour un peu apprendre le train et la conduite ; l'année suivante, vous la lairrez directrice. Il est très-important que le noviciat soit bien cultivé, c'est le principal de la Religion. Prenez garde que celles que vous destinez à cet emploi soient fort désintéressées, fondées en l'amour de la bassesse, afin qu'elles y puissent bien établir les novices.

Pour l'amour de Dieu, ma tille, soyez bien soigneuse de l'Office divin, afin qu'on le dise comme il est marqué. — Il n'y a mille difficulté, ma fille, que vous ne puissiez garder cette vieille Sœur tourière dans la maison ; au contraire, c'est une charité, et il ne faut point parler de la faire passer en d'autres rangs, ni de lui donner l'habit de Religion. Ne voyez-vous pas que la Constitution, parlant des Sœurs domestiques vieilles ou chargées d'infirmités, dit qu'on leur pourvoira de repos en leur condition ? Il faut faire la même charité aux Sœurs tourières, quand elles ont la même nécessité. — Je suis très-aise que votre seconde maison s'achemine fort ; mais je suis bien plus consolée de la parole que vous me dites des Sœurs que vous y voulez envoyer, que vous pensez plus à vous dépouiller qu'à vous décharger.[103] Certes, celles qui font des fondations devraient avoir ce zèle d'y donner de si bonnes et vertueuses Religieuses, qu'elles puissent établir une parfaite observance et une solide humilité ; car ce sont des pierres de fondement.

Au reste, ma fille, ceux qui vous ont dit que c'était une obligation d'observer le silence au cloître ne savent pas que nous [416] ne nous tenons obligées qu'à ce qui nous est marqué. Il est vrai que, pour quelque temps ou pour quelque occasion, la Supérieure peut bien ordonner le silence dans quelques lieux du monastère pour la plus grande tranquillité, ce qui ne sera pas beaucoup nécessaire si nous observons bien la Constitution de la Modestie. — Je vois, ma fille, que votre maison est chargée, et que vous n'êtes pas riches, ayant peine de faire rouler la dépense ordinaire. Il ne faut pas toutefois être chiche ni chicaneuse dans la maison de Dieu. Il ne faut pas aussi qu'il y ait rien [au delà] du nécessaire, les superfluités étant tout à fait messéantes et nuisibles aux Religieuses. Il est raisonnable que les officières aient suffisamment ce qu'il leur faut pour leurs offices ; mais d'y vouloir avoir toutes sortes de petits ajustements, tellement que rien ne manque, cela n'est pas compatible avec notre saint vœu de pauvreté, vertu si précieuse que notre Bienheureux Père la nommait « une délicieuse maîtresse ». Apprenez à nos Sœurs d'en être saintement amoureuses. Certes, si les Filles de la Visitation savaient combien leur saint Fondateur les désirait petites en toutes choses, et combien il avait d'aversion à la superfluité et abondance temporelle, je crois qu'elles ne seraient pas à leur aise si elles ne vivaient avec quelque petite nécessité et disette des choses extérieures. Dieu nous veuille bien enrichir de son saint amour ! Amen. [417]

LETTRE MDCCLXXXII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

La Sainte permet à cette Supérieure de rester au monastère de Thonon pour un second triennat. — La Mère de Blonay est élue à Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 17 mai 1641.

... Je vous assure que si le dictamen de ma conscience ne me pressait pour le regard de leur extrême nécessité, et qu'il faut avoir plus d'amour pour elles qu'elles n'ont d'humilité, jamais nous n'aurions le courage de vous y laisser. Or, néanmoins, nous leur accordons de vous remettre sur leur catalogue pour Supérieure, et vous avez très-bien fait de ne pas accepter leur élection jusqu'à ce que vous ayez eu de nos nouvelles ; mais vous ne deviez pas permettre que l'on procédât à faire l'élection. Je vois bien que tout cela procède de l'affection qu'elles ont pour vous ; mais pourtant cela n'est pas bien. Elles se sont si fort laissé préoccuper qu'elles n'ont pas pris le temps de digérer les paroles de ma lettre, qui portait que vous envoyassiez un homme le mercredi, afin qu'aussitôt notre élection faite il retournât promptement vous avertir de ce que vous deviez faire ; car vous n'étiez point engagée sur notre catalogue, mais pourtant ce retardement fut jugé nécessaire pour une considération que nous serions trop longue à dire.

Ma très-chère Sœur de Blonay est élue Supérieure dans ce monastère ; elle a eu toutes les voix, hors trois.

Il faut certes que vous travailliez à civiliser et rendre humbles et plus respectueuses vos Sœurs et surtout votre assistante. Elle écrit en impérieuse à Monseigneur ; faites-lui sentir sa faute. La connaissance de son esprit me fit l'adresser [la réponse] à M. Quêtant, car l'on jugea à son humeur qu'elle serait fille à ne rien [418] dire de ce qu'on lui manderait, et qu'elle ne vous donnerait pas aussi la lettre que l'on vous a écrite. Enfin il fut jugé qu'il fallait s'adresser au Supérieur, et cela n'a pas empêché sa faute ! Or sus, il faut tout pardonner, et vous, ma fille, prenez un nouveau courage pour achever l'œuvre que Dieu vous a commise, pour laquelle II vous a déjà donné tant de grâces et de bénédictions, et croyez que ce m'est un dépouillement, le plus grand que je puisse faire d'aucune créature, que de vous laisser encore là trois ans ; mais la gloire de Dieu et le bien de votre maison le requérant, il faut que nous fassions de bon cœur ce sacrifice. Mais je vous conjure d'avoir un grand soin de votre santé, autrement vous m'affligeriez plus que je ne puis dire. Nous ferons ce que nous pourrons pour vous faire venir ici, ramenant votre Sœur J. F. [Marcher].

Le saint et très-adorable Esprit de notre divin Sauveur vous remplisse de ses dons. Dieu soit béni ! Amen.

LETTRE MDCCLXXXIII - À MONSEIGNEUR J. J. DE NEUCHÈZE

SON NEVEU, ÉVÊQUE DE CHALON

Pieux, souhaits. — Avec quel détachement on doit posséder les Liens de ce monde. — Maternelles sollicitudes de la Sainte pour l'établissement de ses deux petites-filles.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 17 mai [1641].

Mon Très-cher et bien-aimé seigneur,

De tout mon cœur nous prierons et communierons pour vous, à ce qu'il plaise à cette infinie Bonté bénir votre bonne intention, en l'élargissement de M. votre cher cousin, et réduire tous nos desseins à sa souveraine gloire et au bonheur éternel de votre chère âme. Il m'est impossible, mon très-cher seigneur, de vous souhaiter chose quelconque de ces biens périssables, mais il [419] est vrai que je sens un grand désir de vous voir riche des grâces et biens spirituels qui ne se flétrissent jamais.

Hélas ! notre très-bon Mgr l'archevêque aimait donc trop ses beaux parterres, puisqu'il en chargea une si forte mélancolie ! L'on m'avait écrit qu'il avait reçu cette mortification fort doucement. Son cœur est si bon que je m'assure qu'il tirera grand profit spirituel de cette surprise, que l'affection à ces choses caduques avait jetée sur son esprit. Voilà, mon très-cher seigneur, comme il ne se faut attacher à chose quelconque ! [Mots illisibles.] Il faut jouir de ce que Dieu nous a donné, mais avec une certaine indifférence qui nous le fasse lâcher de bon cœur quand il lui plaît nous l'ôter. Mon Dieu ! que ces maximes étaient fidèlement pratiquées par feu notre Bienheureux Père, duquel je vous désire si fort une parfaite imitation, Hé ! que vous seriez heureux, mon très-cher seigneur, c'est toute la gloire que je vous puis souhaiter.

Quant au fils de M. de la Grave, si votre bonté lui fait la charité, il faudra qu'il ait la patience de marcher en son rang ; mais, mon très-cher seigneur, n'en faites donc plus passer devant lui, s'il vous plaît, car je vous assure qu'il est très-bien gentilhomme. Pour M. Roseau de Bourg, certes, je vous en écrivis contre mon gré, aussi ma lettre le sentait bien ; mais je ne sus refuser notre chère Sœur de Blonay. À propos, nous l'aurons enfin ici : Mgr le cardinal de Lyon l'ayant relâchée à Mgr de Genève qui la lui demanda comme fille de ce monastère, de quoi nous sommes extrêmement consolées ; car enfin, c'est une âme tout à Dieu et vraie fille de notre Bienheureux Père.

Pour Dieu, mon très-cher seigneur, considérez bien devant sa Bonté les qualités de l'esprit de ceux à qui vous penserez donner vos nièces ; et à ceux à qui vous ne trouverez pas le trésor de la sainte crainte de Dieu dans leur cœur, quand ils seraient au reste les plus grands et les plus accomplis de France, je vous [420] conjure par les entrailles de la divine miséricorde, de ne les leur point donner. Je ne désire d'avoir aucune voix au mariage de ces chères petites âmes que pour cela. Une personne très-digne de foi, qui connaît M. de Senecey dès son bas âge, m'a dit qu'il avait entièrement l'esprit du monde et de la cour, homme porté aux sens et au vice : quelle considération donc faut-il apporter à cela ! Ma Sœur la Supérieure de notre maison de Paris m'a écrit que M. de la Grange l'avait priée de me demander de sa part si j'aurais agréable que M. son fils recherchât ma fille de Chantal. Je renvoie cette proposition à Mgr de Bourges et à vous, mon très-cher seigneur : je ne connais pas le fils, mais sa mère est très-vertueuse ; si est bien madame de Senecey, mais l'on dit que son fils ne lui rend point d'obéissance ; l'aîné était une perle de vertu en sa condition. Je vous dis mes pensées confidemment. Dieu, par son infinie bonté, veuille de sa sainte main faire ces bénis mariages[104] et vous comble des grâces et dons de son Saint-Esprit. Souvenez-vous de moi en vos saints sacrifices, je vous en conjure, et d'aimer toujours celle qui est de cœur, mon très-cher seigneur, votre très-humble et très-obéissante tante, fille et servante en Notre-Seigneur.

[P. S.] Je viens de recevoir des lettres de nos pauvres Sœurs de Saint-Amour, qui ne reçoivent rien de vos fermiers. Un petit [421] mot de recharge, par charité. Hélas ! que je suis en peine de notre très-bon et vertueux Mgr de Sens, que l'on m'a écrit d'avoir la fièvre continue. Dieu, par sa bonté, le conserve à son Eglise ! Je vous prie m'en dire des nouvelles ; je serais touchée au cœur si cette ferme colonne tombait si tôt !

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Lyon.

LETTRE MDCCLXXXIV - À UNE SUPÉRIEURE DÉPOSÉE

Heureux effets des peines intérieures. — Divers éclaircissements sur la Constitution XVIe. — Qui peut servir de clerc dans l'administration des sacrements. — En quel cas une Sœur tourière peut coucher dans la clôture. — Déposition de la Sainte ; élection de la Mère de Blonay.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 1? mai 1641.

Ma très-chère fille,

Certes, votre lettre m'a donné de la compassion de voir l'exercice pénible où Notre-Seigneur vous a fait passer ; et par ce moyen Il purifie les âmes et leur donne un grand accroissement de mérites, quand elles le portent avec patience et soumission et se gardent de l'offenser, faisant tout le bien qu'elles peuvent ; mais je vois, ma fille, que cette infinie Bonté ne vous a pas laissée [422] longtemps dans cette angoisse. Voilà une grande grâce, qu'il vous ait donné le sentiment de sa présence et remise dans vos premiers attraits ; il faut tâcher de se maintenir dans ce bon état, par une grande pureté et humilité de cœur, par une douce société et condescendance avec vos Sœurs, et par une exacte obéissance. Notre-Seigneur vous a grandement gratifiée dans votre solitude, et le meilleur est la fidélité que sa Bonté vous donne de profiter dans les occasions ; ayez-la toujours, ma fille.

Je suis bien aise que vous ayez soin de la santé de votre bonne Mère, car il est vrai que les filles sont fort sujettes à faire beaucoup d'empressements autour de leur Supérieure, lesquels sont quelquefois plus nuisibles que profitables à leur santé ; car enfin tant de remèdes et de médicaments ne font que la gâter bien souvent. Je me souviens fort bien de l'avoir vue à N... ; je la trouve fort bonne ; il serait bien à souhaiter qu'elle eût plus de santé. Certes, il est bien dangereux, quand une Supérieure est si longtemps dans un lit, que cela n'apporte quelque préjudice à la communauté.

Céans, nous ne faisons pas de difficulté de donner au réfectoire des œufs aux Sœurs qui en ont nécessité, le Carême. L'on peut faire comme il est marqué au Coutumier, mettre toutes les Sœurs qui ont besoin de ces particularités en une table. Quand on m'a commandé de manger de la viande en Carême, à raison de mon âge et de mes infirmités, je n'ai pas laissé d'aller au réfectoire, car il est important que la Supérieure ne s'en exempte que le plus rarement [possible], à cause des avertissements et des coulpes. — On peut faire entrer un ami, au lieu du clerc, lorsqu'on porte le Saint-Sacrement aux malades ; mais qu'il ne soit pas longtemps sans nécessité dans le monastère. — Il suffit que le Père spirituel étant approuvé de l'évêque donne licence au confesseur, ou même à la Supérieure, de dispenser pour les viandes prohibées. L'on ne doit donner aucun dessert le vendredi au soir, les jours d'abstinence. — Quand on n'a qu'une [423] Sœur tourière, on la peut faire entrer pour coucher au monastère, si elle avait peur.

Aimez bien votre chère dernière place, car Notre-Seigneur s'est fait le dernier de tous les hommes. Posez bien au Cœur de Dieu toutes vos pensées et intérêts, et vous serez une bonne déposée. Ne prenez guère garde aux actions de votre bonne Mère ; dans les rencontres, louez-la de sa conduite, mais sans affectation ni flatterie.

Au reste, il faut bien vous dire la nouvelle que je suis déposée de la supériorité, et que nous avons élu pour Supérieure notre chère Mère M. -Aimée de Blonay, qui n'est pas encore ici. Nos Supérieurs ont jugé me devoir accorder ce peu de repos ; et de plus ce me sera une consolation de voir agir une Supérieure dans cette maison avant que je meure. Or sus, ma fille, continuez à bien prier Dieu pour moi, et croyez que je vous souhaite du fond de mon cœur le très-précieux don du Saint-Esprit. Qu'à jamais il remplisse votre chère âme ! Votre, etc.

LETTRE MDCCLXXXV - À UN RÉVÉREND PÈRE JÉSUITE

Elle le remercie de ses prières. — Désir du ciel. — Soumission à la sainte volonté de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 22 mai 1641.

Mon Révérend Père,

Je vous assure que j'ai reçu la lettre dont il vous a plu de m'honorer, avec une grande consolation pour mon âme, voyant les bons souhaits que Notre-Seigneur vous a inspirés pour moi. Dieu vous veuille ouïr, mon très-cher Père, et que ses miséricordes m'étant appliquées j'aille à la fin de ma chétive vie dans la sainte Jérusalem, bénir son Nom avec notre saint Fondateur, et tant de mes bonnes Mères et Sœurs que nous croyons [424] pieusement être déjà là-haut, et aux intercessions desquelles je vous avoue que j'ai une particulière confiance. Dieu veuille, mon bon Père, exaucer votre charitable souhait ! Mais quant à celui que vous faites que je puisse voir la centième année de ma vie, hélas ! mon très-cher Père, que dites-vous ? Ayez pitié de cette mienne vieillesse, qui sera tantôt de soixante-dix ans, si chargée d'infidélités et de misères, que je crois très-véritablement que si vous le saviez au vrai, votre bon cœur entrerait dans la compassion de la longueur de mon emprisonnement. La très-sainte volonté de mon Dieu soit faite néanmoins en tout et partout, en la vie, en la mort ! Il me semble que bien que la fin du pèlerinage soit puissamment désirée, l'intime du cœur ne peut demander que l'accomplissement de ses ordonnances divines : c'est bien assez dit sur ce sujet, mon très-cher Père. Je vous rends une très-humble action de grâces de la part que Votre Révérence me promet en ses saintes prières et sacrifices. J'estime ce bien-là plus précieux que je ne saurais dire, et vous en demandant en toute humilité la continuation, je vous assure que, dès maintenant, je vous mets au nombre de ceux pour lesquels je prie journellement. Aussi serai-je toute ma vie d'une affection sincère, mon très-cher Père, votre, etc.

LETTRE MDCCLXXXVI - À LA MÈRE MARIE-ÉLISABETH GUÉRARD

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE DE LYON

La fréquentation des parloirs est dangereuse. — Réception d'une bienfaitrice séculière. — Décès de Mgr de Bourges. — Élection de la Mère M. A. de Blonay.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 29 mai 1641.

Ma très-chère fille,

Voilà des lettres pour nos Sœurs de Provence qu'on m'a priée de vous adresser. Il faut que vous soyez soigneuse et cordiale [425] envers les maisons, car elles se louent de votre fidélité à leur faire tenir les lettres. Je vous assure, ma fille, que cela me console et soulage. Faites toujours la charité de bon cœur, et à elles et à moi, je vous en conjure. C'est une grande infidélité et manquement de charité d'être négligente à faire tenir les lettres qu'on adresse dans nos maisons, surtout en celle-ci, où d'ordinaire on demande des avis.

Il faut que je vous congratule grandement de ce que vous me dites, que jamais vas parloirs ne furent moins fréquentés que maintenant, et que vous n'y allez point par plaisir. O ma fille très-chère ! que voilà qui va bien. Certes, la grande fréquentation des parloirs est un mal plus dangereux qu'on ne saurait penser ; il n'est pas croyable combien la bonne odeur des maisons religieuses s'évapore par là, et comme l'esprit intérieur se dissipe. Il faut voirement y aller quand le devoir, la charité, l'utilité et la douce condescendance le requièrent, et y paraître douce, suave et cordiale, mais non jamais gênée. — Pour ce que vous dites de la vocation de cette damoiselle à se retirer chez vous, qu'elle est un peu sur les considérations humaines, je vous dirai, ma fille, que Dieu se sert quelquefois de quelques afflictions et déplaisirs pour retirer les âmes du monde ; et que, ne se présentant pas pour être Religieuse, ains bienfaitrice séculière, quoiqu'il fût à désirer que ses intentions fussent si pures qu'il n'y eût que le seul motif du pur amour de Dieu, néanmoins, si d'ailleurs elle a des bonnes conditions d'esprit, il n'y faut pas tant faire de considérations que sur celles qui veulent faire profession.

Il faut avant de finir, que je vous prie, ma fille, de faire appliquer une messe et faire prier pour l'âme de feu Mgr l'archevêque de Bourges, mon seul frère, qu'il a plu à Dieu retirer à soi le 13 de ce mois ; sa fin a été très-heureuse. Priez bien ce divin Sauveur pour moi, afin que je me dispose à faire aussi mon passage selon sa divine volonté. J'avais dix-huit mois de [426] plus que ce cher défunt, et voici que je me porte bien. Dieu me fasse la grâce que tous les moments de ma vie soient à sa gloire !

Au reste, il faut que vous bénissiez Dieu avec moi. Enfin nos chères Sœurs, après s'être prou défendues, m'ont accordé, par l'ordonnance de Mgr notre digne prélat, d'être déposée pour avoir un peu plus de temps pour vaquer à mon avancement, et à correspondre à nos chères maisons qui s'adressent à moi avec tant de bonté. Nous avons élu notre chère Mère M. -Aimée de Blonay, laquelle nous attendons aujourd'hui, et qui sera consolée, comme je l'espère, au service de cette communauté qui est très-bonne. Je salue la vôtre très-chère et conjure ces bien-aimées Sœurs de se renouveler tous les jours au désir d'être bien humbles et fidèles à Dieu.

LETTRE MDCCLXXXVII - À LA MÈRE MARIE-MARGUERITE MICHEL

SUPÉRIEURE À FRIBOURG

Prière d'être très-réservée dans la réception des sujets. — Lettre du Roi en faveur du monastère de Fribourg. — Arrivée de la Mère de Blonay. — Mgr de Genève ne permet à personne l'entrée du monastère d'Annecy, pas même à madame de Toulonjon.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy. 30 mai 1641].

MA TRÈS-CHÈRE FILLE,

Nous avons vu ce que vous écrivez à ma Sœur la Supérieure de Thonon, touchant la réception de ces filles, ce qui me fait vous supplier, au nom de Notre-Seigneur, de ne vous pas engager à en recevoir davantage que celles que vous avez, surtout de celles qui ne sont pas du lieu ; car, ma chère fille, je crains extrêmement qu'étant chargée d'un si grand nombre de filles, les maisons où vous les voulez mettre ne se trouvent [427] dans l'impuissance de les pouvoir toutes loger. C'est pourquoi, ma chère fille, je vous prie derechef de ne vous pas tant engager à en recevoir. Donnez-moi cette consolation.

Voilà votre lettre de recommandation du Roi, qu'avec l'aide de M. l'ambassadeur, par l'entremise de madame sa femme qui vous est si affectionnée, vous ferez valoir le mieux que vous pourrez. Il y en a une autre à M. l'ambassadeur, d'un des bons amis de nos Sœurs de Paris. Vous ferez poser le sceau du Roi comme il faut et cachetterez l'autre. Celle du Roi contient plusieurs clauses que je ne sais comme ils les ont comprises ; mais on le leur fera entendre le mieux que l'on pourra. Et je crois que si cette recommandation du Roi (ménagée comme j'espère qu'elle sera par M. l'ambassadeur) avec la réception des filles de la ville, n'opère en cette année votre établissement là, il n'y faut plus rien espérer, et c'est le sentiment et la conclusion que m'en donna le Révérend Père Dufour. — Je crois, ma chère fille, que vous aurez reçu par la voie de Turin la procure que ces monastères d'ici vous ont faite, pour recevoir et faire les contrats dotaux de ces quatre demoiselles qui sont entrées chez vous. Nos Supérieurs ont désiré que la chose se passât ainsi, c'est-à-dire conformément à ladite procure, et que les traités étant faits, vous en envoyiez ici des copies collationnées.

Voilà, ma très-chère fille, ce que je puis vous dire maintenant, sinon que nous avons ici notre très-chère Mère M. -Aimée de Blonay, que nous avons élue pour Supérieure, à la grande consolation de toutes nos Sœurs ; elle arriva seulement [hier] à soir. — Priez bien pour moi, ma chère fille, qui vous souhaite le comble des grâces du saint amour, comme étant de tout mon cœur, votre très-humble, etc.

[P. S.] Pour madame l'ambassadrice, il ne faut pas lui donner espérance d'entrer céans ; car Mgr de Genève ne permet l'entrée à personne, non pas même à ma fille [de Toulonjon]. — Quand je vous dis de ne vous plus engager à la réception d'aucune [428] fille, je n'entends pas de quelque sujet extraordinaire qui se pourrait présenter ; car pour les autres on les pourrait bien faire attendre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCLXXXVIII - À LA MÈRE MADELEINE-ÉLISABETH DE LUCINGE

SUPÉRIEURE À TURIN

Comment triompher du trouble et du découragement. — Regarder Dieu et faire en tout sa volonté. — Dans les monastères établis en pays étrangers il est raisonnable de s'accommoder aux usages, soit pour la nourriture, soit pour le langage.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Mon Dieu ! ma très-chère fille, que votre lettre du commencement du mois de mai me toucha le cœur sensiblement ! Mais avant la fin de la page, je vis que notre bon Dieu se tient toujours à votre dextre. Il répand ses lumières dans votre cœur, sujet à ces secousses de temps en temps. Il faut toutefois travailler à gagner petit à petit le dessus, en fermant fidèlement la porte de votre cœur à toutes les réflexions et pensées qui vous peuvent troubler ; je vois bien que vous leur prêtez un peu l'oreille au commencement qu'elles se présentent, et c'est ce qui cause les troubles, tendresses, et ces regrets de ceci ou de cela. Souvenez-vous que c'est un exercice qu'il y a longtemps que Dieu permet en vous, et que ma présence ni notre voisinage n'a pas empêché, ni empêcherait encore moins que jamais, si pour cela vous aviez quitté l'emploi où Dieu vous veut. Pour l'amour de Lui, gardez-vous de cette tentation ; elle vous porterait d'autant plus de préjudice qu'elle offenserait Dieu, en ce que vous n'auriez pas les moyens qu'il vous donne de le servir et vous perfectionner, négligeant ainsi les desseins qu'il a sur vous, et [429] la conduite suave de sa Providence. Soyez donc ferme à lui rendre ce qu'il veut de vous, qui est que vous souffriez ces attaques sans les regarder, et fassiez selon le bon cœur qu'il vous a donné, et comme je vois par sa grâce que vous faites.

J'admire comme sa Bonté cache à vos yeux l'amour et l'estime que font vos filles et ceux qui vous connaissent, de votre vertu. D'ores-en-avant [dorénavant] tenez ferme, ma chère fille, sans laisser entrer aucun désir dans votre cœur que celui d'accomplir parfaitement la divine volonté. Vous voyez que sa douceur vous attire, vous donnant du contentement d'être avec Lui et de parler de sa bonté : que voulez-vous davantage ? Certes, trop est avare à qui Dieu ne suffit. Il faut se donner sans réserve à Dieu, et non à ses inclinations, propres intérêts et consolations.

Il vous faut reprendre pour jamais votre vieille leçon, de regarder en toute occasion ce que Dieu veut, et le faire indifféremment, gaiement et amoureusement. Ainsi vous vous aimerez au lieu où vous êtes, et la condition des esprits que vous y avez, parce que c'est la volonté de Dieu, et que sa Bonté aime le pays où vous êtes et les âmes qui y sont. Il a donné son sang pour elles, aussi bien que pour les esprits français, et parlant il faut aimer ce qu'il aime, et, parce qu'il les a faits comme ils sont, ne requérir pas de tels esprits les douceurs, suavités et bonnes grâces qui sont aux esprits français et en ceux de Savoie ; ils ne laissent pour cela d'être agréables à la divine Bonté, d'être bons et vertueux. Il faut servir, les âmes sans différence des nations. Je vous dis tout ce qui me vient pour une bonne fois, afin que le relisant, il vous serve contre ces tracasseries d'aversions qui vous travaillent, et que je vous prie de ne jamais écouter, et Dieu vous fera grande en bénédiction en cette vie et en gloire en l'autre, si vous quittez et surmontez tout.

Oui, ma très-chère fille, quand on va fonder dans une contrée étrangère, il est raisonnable que nous nous accommodions à la [430] façon du pays, soit pour apprêter les vivres, soit pour le langage. Lorsque les Carmélites espagnoles vinrent fonder en France, elles apprirent incontinent à parler français ; mais aux lieux où on ne le parle pas, il faut toujours qu'il y ait quelque Sœur qui parle et qui écrive en français, afin que les monastères de ces lieux-là puissent se communiquer par lettres à ceux de France, qui sont en grand nombre. Dieu répande de plus en plus ses bénédictions sur nos chères Sœurs ! Quand elles seront bien attachées à Dieu, elles ne craindront plus les vents de la terre. Je les salue de tout mon cœur.

LETTRE MDCCLXXXIX (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-MADELEINE DE GRANIEU

À GRENOBLE

L'âme impuissante à faire l'oraison doit au moins y suppléer par des aspirations fréquentes. — Motifs de persévérance au service de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Je bénis Dieu qui conserve en votre cœur, ma fille, la sincère confiance qu'il a toujours eue au mien, qui vous chérit si tendrement. Je le vois toujours dans ses souffrances, ce qui me donne une compassion amoureuse, toute maternelle ; mais il m'est avis pourtant que j'y remarque quelque soulagement et je ne sais quoi, qui me donne bonne espérance. Oui, ma fille, et je vous conjure de la prendre en la bonté de Notre-Seigneur, et d'avoir une grande patience et douceur à supporter vos peines et à attendre l'heure que la divine Providence a destinée à votre soulagement. Il tardera encore, mais Il viendra, n'en doutez point ; attendez avec une profonde soumission. Et cependant, ma très-chère fille, tenez votre lampe allumée, vous surmontant le plus que vous pourrez pour rendre à ce divin Seigneur ce qu'il [431] désire de vous, qui sont les actions qui sont eu votre pouvoir. Tâchez donc de demeurer votre demi-heure d'oraison en révérence extérieure devant Lui, et par désir en révérence intérieure, et lui dites de fois à autre quelques paroles de soumission, de confiance, en demandant son secours. Ma fille, si vous étiez au parloir avec quelque personne que vous désagréeriez bien, la civilité vous y ferait demeurer tranquillement, sans témoigner votre ennui ; à plus forte raison quand nous sommes avec le souverain Bien, il nous faut tenir bonne contenance, et faire ainsi tous vos exercices le mieux que vous pourrez, et comme vous pourrez, disant souvent des paroles à Notre-Seigneur, sans réfléchir pour voir comme vous dites et faites, car n'étant en votre pouvoir de les faire avec goût et satisfaction, cela vous abattra et attristera, vous semblant que vos actions et paroles étant faites de la sorte et comme par violence ne sauraient être agréables à Dieu, ni profitables à votre âme ; mais vous vous trompez en cela, ma très-chère fille, car c'est cette violence que Dieu requiert maintenant de vous, et laquelle enfin ravira son divin Cœur et son saint paradis, n'en doutez point. Mais cette voie est bien pénible, il est vrai, et il y en a encore de bien plus épineuses ; mais qui oserait dire à Notre-Seigneur : Pourquoi me conduisez-vous ainsi ? Il faut donc, ma toute chère fille, humblement et filialement abaisser votre esprit et tout votre être sous la main de ce souverain Seigneur, contre lequel il ne faut jamais regimber, ni s'échapper à faire volontairement et délibérément aucune action qui lui puisse déplaire. Or sus, prenez un grand courage, ma très-aimée, pour faire ce que je vous dis ; et surtout tâchez de ne vous point tant regarder, mais regardez souvent notre bon Dieu et sa sainte Mère, comme vous pourrez, et ne passez aucun jour sans offrir quelques prières spéciales à cette Mère de miséricorde. Tenez votre esprit joyeux et en douceur, nonobstant ses angoisses. Je suis bien aise que vous trouviez de la consolation avec notre [432] Sœur M. -Antoinette [de Villiers], c'est une de mes chères filles, et j'espère que votre paix et contentement en ce lieu-là croîtront de plus en plus. Je le désire et prie Dieu de vous combler de ses saintes grâces. Je suis de cœur toute vôtre.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Chambéry

LETTRE MDCCXC - À LA SŒUR LOUISE-ANGÉLIQUE DE LA FAYETTE[105]

AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

Le trop grand empressement à acquérir la perfection est un obstacle & la perfection même.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Ma très-chère fille,

Sans vous avoir vue de mes yeux mortels, je ne laisse pas de vous connaître et de vous chérir très-cordialement. Votre lettre m'a fait voir bien clairement l'état de votre esprit et la source [433] de son mal et embarrassement, qui ne procèdent que de votre empressement à la recherche du vrai bien que vous désirez, et au défaut de patience et soumission à la volonté de Celui qui seul vous le peut donner. Or, si vous voulez vraiment acquérir l'esprit de votre vocation, il faut nécessairement corriger votre empressement, faisant avec douceur d'esprit et fidélité ce qui vous est enseigné, pour parvenir au lieu où l'on veut vous conduire, retranchant les désirs et pensées d'y parvenir, sinon quand il plaira à la volonté de Dieu de vous en accorder la grâce. Je crois, ce me semble, que vous ne vous contentez pas de faire des actes requis à votre perfection, mais que vous voulez avoir le sentiment et la connaissance que vous les faites. C'est [434] cela qu'il faut retrancher, et vous contenter de dire à Dieu sans goût : Je veux de tout mon cœur faire telle et telle pratique de vertu pour votre seul plaisir, et en faire les actes, quoique sans sentiment, et ne vouloir rien de plus, vous résolvant amoureusement de servir Dieu de cette sorte. Si vous le faites, vous vous trouverez bientôt dans la sainte paix et tranquillité tant nécessaires aux âmes qui veulent vivre selon l'esprit et la vertu, et non selon leurs inclinations et propre jugement. Voilà ce que je vois être requis à votre repos et avancement spirituel. Dieu nous veuille toutes remplir de Lui-même, et vous fasse la grâce de mettre en pratique tout ce que vous dira celle qu'il a commise pour votre conduite ! Je suis de cœur vôtre.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [435]

LETTRE MDCCXCI (Inédite) - À UN RELIGIEUX

Droiture et simplicité de la Sainte à réparer le tort d'une de ses filles.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 4 juin [1641].

Mon Révérend et très-cher Père,

En vérité, je suis bien touchée des mécontentements que vous recevez de notre chère Sœur la Supérieure. Si un autre que Votre Révérence me disait ces choses, j'aurais peine de les croire, car vraiment son procédé est très-éloigné de l'esprit de sa vocation, et encore certes de celui que j'ai toujours reconnu en elle ; car elle n'ignore pas avec quel respect nous devons traiter avec ceux de votre Compagnie et les grandes obligations que nous lui avons, et particulièrement à Votre Révérence, qui a un cœur si paternel et si cordial pour notre Institut, et dont elles ont reçu tant de témoignages. Je vous assure, mon très-cher Père, que j'en suis bien touchée ; mais puisque vous me permettez de lui en parler franchement, croyez, mon très-cher Père, que je le veux faire comme il faut, et je supplie votre bonté de continuer toujours sa dilection envers celle qui vous souhaite les plus saintes bénédictions de notre bon Dieu, et qui est et sera à jamais de cœur, mon très-cher Père, votre, etc.

Nous avons élu pour Mère notre chère Sœur de Blonay, qui vous honore et salue de cœur. — Nous avons envoyé à Fribourg des lettres du Roi pour la recommandation de l'affaire de nos Sœurs.

Conforme à une copie gardée au monastère de Montélimart. [436]

LETTRE MDCCXCII (Inédite) - À LA SŒUR MARIE-ANTOINETTE TESTE DE VOSERY

SUPÉRIEURE AU DEUXIÈME MONASTÈRE d'ANNECY

Satisfaction que donne la conduite de la Mère de Blonay.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, juin 1641.]

Je vous donne mille bonjours, ma très-chère fille, et vous demande un peu de vos chères nouvelles, si votre bon cœur n'est pas tout paisible auprès de Notre-Seigneur et embesogné à paître ses chères petites brebiettes : j'espère qu'oui. Je vous dis aussi que nous sommes toutes consolées de voir notre très-chère Mère [de Blonay] dans l'exercice de sa charge, où certes elle a fort bonne grâce ; je dis de la vraie grâce de notre bon Dieu, et je vois que nos Sœurs sont grandement satisfaites de sa franchise et rondeur. Certes, elles sont bien partagées ; et ces trois maisons, les deux d'ici et celle de Thonon, ont de quoi bénir et remercier Notre-Seigneur, que je supplie nous faire la grâce à toutes de louer et aimer éternellement en sa bienheureuse éternité, après qu'en cette vie nous l'aurons servi et glorifié par une très-fidèle observance et accomplissement de sa divine volonté. Priez Dieu qu'il m'en fasse la grâce, et croyez que je suis vôtre de cœur. — Grand merci de votre beau et bon beurre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [437]

LETTRE MDCCXCIII - À LA SŒUR MARIE-MARGUERITE DUBUYSSON

ASSISTANTE COMMISE À MOULINS[106]

Maintenir l'exacte observance et se tenir très-unie à la Sœur déposée. — Mort de Mgr de Bourses.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 7 juin [1641].

Ma très-chère fille,

Je suis bien aise que le sort soit tombé sur vous d'être assistante en cet intervalle d'élection, m'assurant que vous aurez grand soin de contribuer de tout voire polit pouvoir, afin que rien ne se fasse que conformément à l'esprit de notre vocation. Je vous conjure surtout, ma très-chère fille, soyez bien humblement veillante, tenez-vous si unie et déférente à la bonne Mère déposée que vous ne fassiez rien que par son avis. Donnez-lui connaissance de tout, et la faites agir le plus que vous pourrez. Mon Dieu ! ma très-chère fille, l'exemple que vous avez devant vos yeux de notre très-honorée madame [de Montmorency], devrait, ce me semble, faire fondre votre communauté ; et quand elle n'aurait que ce seul motif pour se tenir humble et dans l'observance, il me semble que cela devrait [438] suffire. Je les conjure de tout mon cœur de se tenir bien closes et converser vers Notre-Seigneur et rigidement dans l'observance ; qu'elles prient pour moi, je les en conjure, et pour le repos de l'âme de feu Mgr de Bourges, qu'il a plu à Dieu de retirer à soi, le 13 mai ; il a fait son passage fort heureusement.

Je ne vous puis rien dire de l'inutile élection que nos Sœurs ont faite de ma chétive personne, ni de mon voyage prétendu, que ce que j'en mande à ma Sœur la déposée. Faites, ma très-chère fille, que le temps que vous avez la conduite de votre maison soit un temps de bénédiction. Pour cela, tenez-vous bien proche de notre bon Dieu, en l'amour duquel je suis de cœur, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MDCCXCIV (Inédite) - À MONSIEUR DE LA FLÉCHÈRE

AU SOUVERAIN SÉNAT DE SAVOIE

Condoléances.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 11 juin 1641.

Monsieur mon très-cher fils,

La part que nous prenons en votre affliction, qui nous est certes sensible, me donne confiance de vous en rendre ce petit témoignage. Je prie Dieu vouloir être la force et consolation de votre chère âme, et celle de madame votre chère femme, et de vouloir par sa divine bonté vous donner ce que sa Bonté connaît vous être nécessaire.

C'est le souhait de celle qui sera toujours de cœur votre, etc. [439]

Conforme aune copie de l'original gardé chez M. Vuy, ex-président de la cour de cassation, à Genève.

LETTRE MDCCXCV (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-JACQUELINE FAVRE ET À LA SŒUR FRANÇOISE-AUGUSTINE BRUNG

À SAINT-FLOUR

Pressante exhortation d'accepter l'élection que la communauté de Saint-Flour a faite de Sœur Fr. -Augustine Brung.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 11 juin 1641.

Mes très-chères et bien-aimées filles,

Voici tout de bon l'occasion de mettre sincèrement la main sur la conscience, puisque ma chère Sœur F. -Augustine [Brung], contre toutes nos défenses, a été élue à Saint-Flour. Ça été une permission de Dieu, et n'y doit avoir qu'une très-entière impossibilité qui annule cette élection. Je vous ai déjà écrit, mes très-chères filles, que je vous conjurais, au nom de Dieu, de vous mettre toutes deux devant sa Bonté et regarder, sans autre égard que celui de la charité, s'il n'y aurait point moyen que ma chère Sœur F. -Augustine allât avec une compagne, au moins pour trois ans, rendre à Dieu le service que sa divine Providence, dont nous ne pouvons pas sonder les desseins, requiert possible d'elle à Saint-Flour, pour le bien de votre maison même. L'intérêt de la communauté de Saint-Flour est très-considérable, et encore la satisfaction de Monseigneur de ce lieu-là, qui est un des bons et dignes prélats qui soient sur la terre. Il désire avec une passion extraordinaire que l'élection qui est faite en ce monastère, dont il est fondateur et vrai père, ne soit point défaite ; et, en vérité, ce me sera une rude et sensible mortification si ce digne prélat est désobligé par nous, où il doit trouver toute sorte de soumission et reconnaissance pour les obligations que tout l'Institut lui a.

Regardez, mes très-chères filles, si vous voulez, l'on vous pourra donner de Bourg ma Sœur Aimée-Bénigne [Grossy], ou [440] quelque autre que vous jugerez vous être propre ; enfin je décharge ma conscience de cela entre vos mains. Si vous pouvez, quoique avec incommodité et grande mortification, tâcher ma chère Sœur F. -Augustine, vous êtes obligée de le faire, espérant que Notre-Seigneur bénira votre démission à sa volonté signifiée : s'il vous est impossible, nous ne voulons pas vous violenter. Le bon M. Guibot va trouver Mgr de Genève qui est hors de cette ville : je lui écris un mot avec entière affection et sincérité de part et d'autre, afin que considérant tout, il ordonne de vous, ma chère Sœur F. -Augustine, comme Père et Supérieur. Je crois pourtant très-assurément que ce sera sans vouloir vous contraindre ni violenter par commandement absolu. Et je me confie à votre affection, mes chères filles, à vouloir suivre les lois de votre saint Fondateur, que vous ferez, pour les conserver, même au delà de votre pouvoir : je vous en conjure de tout mon cœur, et prie Notre-Seigneur vous éclairer de son divin Esprit, afin que sa sainte volonté soit faite, et demeure d'une affection toujours invariable, votre, etc.

Ma chère Sœur F. -Augustine, si vous vous résolvez d'aller à Saint-Flour, allez-vous-en avec M. le confesseur de nos Sœurs.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCXCVI - À LA SŒUR MARIE-MARGUERITE DUBUYSSON

ASSISTANTE-COMMISE À MOULINS

Peine qu'éprouve la Sainte de son élection à Moulins ; impossibilité de l'accepter.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 17 juin 1641.

Ma très-chère fille,

Notre Sœur la Supérieure de Lyon m'ayant mandé qu'elle n'avait pas encore reçu nos réponses pour vous, que nous lui envoyâmes néanmoins fort promptement par le messager de [441]

Chambéry, ne trouvant pas d'autre commodité pour Lyon, je fais encore ce mot, bien que je croie que vous aurez maintenant nos lettres. Je ne vous saurais dire combien je suis mortifiée de l'inutile élection que votre communauté a faite de ma chétive personne, à cause de l'embarras que cela pourra apporter chez vous, qui deviez bien toutes penser que si je ne m'étais pu résoudre à me recharger de la conduite de cette famille, qui est peut-être l'une des plus douces de l'Institut, et si l'on avait refusé que je fisse un voyage de deux ou trois mois chez vous, l'on ne me donnerait pas l'obéissance d'y aller faire un triennal, chose pour laquelle je n'ai ni force ni esprit.

Je ne puis rien ajouter à nos précédentes lettres : je répète seulement que je suis très-affectionnée au bien et à la consolation de toute votre maison ; mais je suis entre les mains de l'obéissance, et ferai de grand cœur tout ce que Monseigneur me commandera pour votre service, assurée que je suis qu'il n'a garde de m'envoyer faire un triennal.

Je salue avec toute sorte d'affection et de respect notre chère madame [de Montmorency]. Il me tarde fort d'avoir de ses nouvelles ; je pense que bientôt nous en aurons. Je salue aussi très-chèrement ma bonne Sœur la déposée. Soyez très-unie avec elle, ma chère fille, et n'agissez que par elle ; cela est requis pour le bien de votre communauté, que je salue de tout mon cœur, et me recommande aux prières de toutes. Dieu vous comble de ses bénédictions. Je suis d'affection sincère, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers. [442]

LETTRE MDCCXCVII - AUX SŒURS DE LA VISITATION DE MOULINS

Même sujet. — Dieu a fait un grand don à la Visitation en la personne de madame de Montmorency.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 18 juin 1641.

Mes très-chères filles,

Je viens tout maintenant de recevoir votre lettre commune,[107] par laquelle vous me donnez avis du pauvre choix que vous avez fait de m'avoir élue. Je ne puis m'empêcher, mes chères filles, d'être obligée à votre affection pour moi ; mais je vous dis sincèrement que je ne puis ni ne dois, en façon du monde, aller faire un triennal chez vous. Vous aurez maintenant appris comme ayant représenté à nos Supérieurs la grande surcharge où je me trouvais en la conduite de cette maison, qui est toute douce et de bonté, à cause de la continuelle occupation où je suis de correspondre à nos chères maisons, Mgr de Genève conclut si absolument que je ne serais point réélue, que, bien que je m'en fusse mise en indifférence, jamais nos Sœurs n'en ont pu obtenir de lui la liberté ; et si bien je vous assure qu'elles y ont employé le vert et le sec. Pensez donc, mes chères filles, si jamais ce bon seigneur permettrait que j'allasse conduire votre maison ; aussi ferais-je conscience de l'entreprendre en l'âge de soixante et dix ans où je suis, et surchargée d'affaires. Que si la divine Providence permet que vous puissiez obtenir de Monseigneur qu'il me commande d'aller pour quelques mois chez vous, j'ai déjà mandé diverses fois, mes très-chères filles, que non-seulement je n'y apporterai point de résistance, mais que de très-grand cœur je tâcherai de correspondre à vos désirs [443] et affections. C'est tout ce que je puis faire en la condition d'obéissance où je suis. Oh ! quelle incomparable consolation pour moi si Dieu veut que je voie notre très-chère madame, ains notre uniquement digne d'être aimée et chérie Sœur Marie-Henriette[108] ! Vrai Dieu ! mes chères filles, que son exemple vous doit profiter ! Vraiment nous ne saurions assez remercier notre bon Dieu d'avoir rangé en l'Institut cette grande et chère âme. Dieu nous donne la grâce de lui faire trou ver en nous ce qu'elle y prétend. Voilà, mes chères Sœurs, ce que la présente commodité me permet de vous dire et que je suis, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MDCCXCVIII - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Joie de la Sainte en apprenant que la duchesse est entrée au noviciat de Moulins.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 19 juin [1641].

Ma très-honorée et très-chère Madame, et, par la divine grace, notre vraie et uniquement bien-aimée sœur,

Je bénis et remercie la souveraine Providence de notre bon Dieu d'avoir fait éclater en vous si hautement les effets et pouvoir de son divin amour, pour sa très-grande gloire en vous et pour l'honneur et le bonheur de notre petite Congrégation. O ma très-chère Sœur et bien-aimée de Dieu ! que vous avez rempli mon âme d'une grande consolation ! Je viens pourtant de recevoir tout maintenant votre lettre, qui a demeuré [444] longtemps par le chemin. Pour ne perdre l'occasion de ce porteur qui va droit à Lyon, je fais promptement ce billet pour vous dire que je ne crois en aucune manière avoir des forces et de la capacité pour me charger de la supériorité d'un monastère quel qu'il soit ; c'est en partie ce qui m'a fait obtenir de Mgr de Genève et de nos Sœurs, quoique bien malgré elles, que je n'ai pas été réélue ici ; mais assurez-vous, ma très-honorée Sœur, que si Mgr de Genève me commande d'aller à vous, jamais, ce me semble, je ne ferai une obéissance de meilleur cœur, ni plus allègrement, et je prie Dieu que si c'est son dessein, Il veuille lui inspirer de me laisser aller. Oh ! quelle consolation et bonheur ce me serait de voiler une âme si disposée à faire revivre le vrai esprit de notre Bienheureux Père ! Notre bon Dieu parachève ce qu'il a commencé en vous d'une manière si élevée et excellente ! Je suis de cœur, votre pauvre, très-humble et indigne servante en Notre-Seigneur, toute vôtre.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MDCCXCIX - À LA SŒUR MARIE-FRANÇOISE DE CORBEAU

ASSISTANTE ET MAÎTRESSE DES NOVICES, À TURIN

Exhortation au parfait abandon à Dieu et à l'ouverture de cœur envers la Supérieure.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 19 juin 1641.

Ma très-chère fille,

Je vois, ce me semble, votre cœur et tous ses sentiments, il me fait grande compassion ; mais il se faut de plus en plus affermir en Dieu, lui abandonnant sans réserve tout ce que vous êtes, pour en faire à son bon plaisir ; que s'il vous veut employer au service et conduite de cette maison-là, assurez-vous que si vous êtes humble et confiante, Il gouvernera par vous et aplanira votre chemin ; que s'il vous y laisse des épines, ce sera [445] afin qu'au milieu d'elles vous y cueilliez des roses de charité. Mais, pour ce coup, je crois que vous n'avez rien à craindre, ainsi qu'il me semble. Vous en voyez mes pensées dans celle que j'écris à nos Sœurs, et plus amplement encore à ma très-chère Sœur la Supérieure, qui véritablement est bien ma très-chère fille ; et je suis consolée de voir le grand amour que vous lui portez. Traitez avec grande confiance et ouverture de cœur avec elle ; plus vous le ferez, plus vous avancerez, et surtout de vous en tenir à ses conseils, et vous rendre entièrement fidèle à nos observances. C'est le bonheur que je vous souhaite, ma très-chère fille, et qui vous rendra toute jointe à notre bon Dieu, que je supplie vous combler de son saint amour. Recommandez-moi souvent à sa miséricorde, qui suis de cœur toute vôtre.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Rome.

LETTRE MDCCC - À LA MÈRE LOUISE-EUGÉNIE DE FONTAINE[109]

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

Encouragement à porter avec confiance le fardeau de la supériorité. — La force et la bénédiction divines se trouveront dans l'union avec les Sœurs déposées. — Consolation de savoir que Mgr de Bourges est inhumé dans l'église du premier monastère de Paris. — Reconnaissance des soins donnés a madame de Toulonjon.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 22 juin [1641].

Ma très-chère fille,

Notre bon Dieu ne se peut tromper en ses choix ; Il sait ce qu'il a mis en vous, et les aides qu'il vous veut donner pour exercer dignement et à sa gloire la charge qu'il vous a imposée. Faut seulement que vous persévériez en cette humilité et confiance parfaite en sa Bonté, et que vous teniez votre esprit en sainte joie et courage au-dessus de toutes choses et de [446] vous-même, et que, comme vous dites, ma très-chère fille, il n'y ait entre vous, votre unique et très-chère Sœur H. A. [Lhuillier] et A. M. [Bollain] qu'un seul jugement et volonté, et vous expérimenterez que la force et la bénédiction [sont] en l'union parfaite qui se fait pour Dieu.

Hélas ! que les maladies de ma très-aimée et vraie fille me [447] sont sensibles ; car si Dieu retirait ce trésor de notre Institut, ce serait une perte inestimable pour toutes ses maisons et surtout pour la vôtre ; mais je veux espérer que sa douce Providence la conservera encore. Je vous prie, ma très-chère fille, que j'en sache des nouvelles. Je sais que rien ne lui manquera ; après cela Dieu fera sa volonté et nous l'adorerons et aimerons en [448] tout événement, moyennant sa sainte grâce. — Je suis consolée que Mgr de Bourges soit [inhumé] en votre église. Hélas ! que Dieu l'a aimé et qu'il est heureux d'avoir fait une fin si sainte ! Ce m'a été une grande douceur dans la tendre douleur de cette séparation, et je bénis Dieu de l'avoir mis en lieu d'assurance. À la vérité, j'eusse été fort consolée que Mgr de Saint-Flour eût été satisfait en son désir, s'il se fût pu bonnement ; mais en tout, je dois préférer, comme je fais, nos chères maisons. Cette dame est maintenant à Paris. Peut-être aura-t-elle satisfaction de loger en votre enclos du dehors ! Je désire bien que vous lui témoigniez toute affection, et je vous en supplie, ma très-chère fille. C'est une âme bien faite et qui sera un jour des nôtres, en ayant un grand désir. — Je vous remercie de la charitable faveur que vous avez faite à ma fille. La pauvre femme a été sensiblement touchée du départ de notre bon prélat. — Dieu vous fasse toujours croître en son saint amour, ma très-chère fille, et toutes nos chères Sœurs que je salue avec vous, et me recommande à leurs prières. Je m'offre derechef tout à vous pour être sans réserve toute vôtre de cœur.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans. [449]

LETTRE MDCCCI - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Nul ne peut porter joyeusement la croix sans amour. — Difficultés de la direction d'une maison de Repenties ; ne l'accepter qu'après de sérieuses réflexions.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 1641.

Voilà un grand sujet de bénir Dieu que son divin Esprit ait présidé à l'élection. Ma très-chère et toujours plus aimée fille, hélas ! qu'il est bien vrai, nous sommes au temps où chacun voudrait se secouer de son fardeau. Cela provient, comme je pense, que nous n'avons pas des cœurs ardents en l'amour de Dieu, personne ne pouvant porter volontiers et allègrement la croix qu'il n'ait bien de l'amour.

Véritablement, ma fille, la persévérance de ces Messieurs pour vous vouloir établir à N. est digne d'être considérée ; et si la ville est bonne, et que vous ayez des filles capables pour fonder, et que vous ayez suffisamment pour fournir aux frais d'une fondation, je ne vois rien qui vous puisse empêcher de faire cette maison-là. — Quant à l'instance que l'on vous fait pour envoyer des Sœurs conduire cette maison de filles repenties, c'est une chose de très-grande conséquence, et une entreprise de si grand poids qu'il la faut considérer mille fois devant Dieu. Premièrement, ma très-chère fille, il faut que les Sœurs que vous enverrez là soient des âmes si solidement fondées en la vertu qu'elles soient capables de tout, et faites à l'épreuve pour ne s'étonner de rien ; car il ne faudra pas penser d'y envoyer des Sœurs peu duites [formées] à la vertu. Je vous assure que si j'avais à faire choix de Sœurs pour quatre fondations, je ne voudrais pas y apporter plus de précaution et de considération, que pour une seule de ces maisons repenties ; nous savons [ce] qu'en vaut l'aune. Nos Sœurs de Paris, qui est un monastère autant fourni de bons sujets que guère que je [450] sache en l'Ordre, s'est encore trouvé quelquefois un peu chargé de fournir ses Sœurs aux filles de Sainte-Magdelaine, quand on les change ; car on ne leur laisse pas perpétuellement les mêmes. Il est vrai que ces œuvres-là sont extrêmement à la gloire de Dieu, et c'était l'intention et le sentiment de notre Bienheureux Père que nous ne devions rien mépriser. La très-sainte et sacrée Vierge ne dédaigna jamais la conversation de la pécheresse, la grande sainte Magdelaine convertie ; et partant, ayant des filles aussi solidement fondées en la vertu qu'il est requis, vous pouvez donner ce secours à ces deux maisons, puisqu'elles le désirent et que l'on vous en sollicite. Enfin, ma fille, consultez bien cela avec Notre-Seigneur. Que nos Sœurs aillent au nom de Dieu travailler pour les âmes ; si c'est sa volonté d'être glorifié par elles en ce lieu-là, Il les bénira en leur labeur. Voilà, ma toute chère fille, toute la détermination que je vous en puis donner. Dieu conduise le tout à sa gloire ! Votre, etc.

LETTRE MDCCCII - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Mgr de Genève ne consentira au voyage de la Sainte à Moulins que sur la demande de l'évêque d'Autun.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 24 juin 1641.

Ma très-honorée madame et très-chère sœur,

Vous verrez ce que Mgr de Genève écrit, je crois qu'il vous contentera ; au moins celui [le messager] que nous lui renvoyâmes hier m'écrivit ce que vous verrez dans la ci-jointe. Comme c'est un prélat fort circonspect et exact à l'observance du sacré Concile de Trente, il veut que l'obédience qu'il me donnera soit fondée sur la réquisition de Mgr d'Autun ; et [451] dès que je vis qu'il n'y avait point de ses lettres, je me cloutai bien qu'il faudrait retourner là ; comme à la vérité, il a raison.

O ma très-chère Madame et très-honorée Sœur ! puisque vos prières ont eu tant de pouvoir envers la divine Bonté que de vaincre les résolutions de nos Supérieurs, obtenez-moi sa grâce, afin que par elle et sa divine conduite ce voyage soit à sa gloire, à votre contentement et utilité de nos bonnes Sœurs ; car, en vérité, je ne vois rien en moi pour satisfaire à votre attente ; mais je me confie en Celui qui m'appelle et en la grâce qu'il a mise en vous. Je me tiendrai prête cependant ; et nonobstant la faiblesse de corps et d'esprit que l'âge m'apporte, j'irai, Dieu m'aidant, avec un bon courage et grande consolation de vous voir, ma très-honorée Sœur, et vous témoigner combien je m'estime heureuse de vous rendre cette obéissance. Je prie Dieu de vous combler de son saint amour. Je suis en tout respect, Madame, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MDCCCIII - À LA SŒUR MARIE-MARGUERITE DUBUYSSON

ASSISTANTE COMMISE, À MOULINS

Éviter les réflexions inutiles sur soi-même. — Comment faire la correction.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Je suis marrie, ma très-chère fille, de vous voir varier dans l'entière soumission où Dieu vous appelle : vous faites trop de réflexions et de discours ; je vous prie, cessez, afin que, de toutes vos forces, avec plus de liberté, vous travailliez pour acquérir le dessus de vos inclinations ; car la seule raison vous doit servir de guide et la charité. [452]

Si vous n'avez pas la compassion naturelle, n'importe ; ayez la raisonnable et charitable, car il faut excéder du côté de la douceur, plutôt que de celui de la rigueur, quoique aussi il ne faille pas être molle à corriger lorsque la charité le requiert. Rendez-vous suave, de facile accès et ouverte, afin que les filles aient une juste confiance d'aller à vous : ne leur soyez point sèche ni rabrouante, mais douce, respectueuse et cordiale. Et quand la charité et leur utilité requerront que vous fassiez quelques corrections, que ce soit avec un esprit reposé et cordial : enfin ce sont vos Sœurs, vos compagnes et les épouses de Jésus ; il les faut traiter avec amour et honneur. Notre-Seigneur vous conduira, si vous regardez à Lui. Je suis toute vôtre, ma très-chère fille.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCIV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Encouragements pour l'exercice de sa charge. — Il faut travailler à la perfection des âmes avec calme et patience.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 26 juin 1641.

Ma très-chère fille,

Je bénis Dieu qui vous donne le courage de porter de bon cœur le fardeau, nonobstant les répugnances que votre nature y sent. L'on voit toujours mieux que Notre-Seigneur vous a destinée pour le bien et bonheur de cette maison-là.

Je veux bien décharger ma Sœur M. -Françoise du noviciat et du soin de votre personne, et s'il en est besoin nous lui en écriions ; mais pourtant je ne me saurais entièrement fier en vous pour le regard de votre santé ; car si cette bonne Sœur est [453] insupportable en son trop de soin, vous êtes aussi trop forte en votre propre jugement et rigidité sur vous-même, vous faisant toujours croire que vous n'avez pas besoin de ce que les autres jugent être nécessaire. Si l'on décharge ma Sœur M. -Françoise, je prierai ma Sœur l'assistante de pensera vous. Or sus, ma très-chère fille, tâchez de vous tenir joyeuse et contente, puisque Dieu vous veut au lieu où vous êtes pour y accroître sa gloire. Faites bien ce que je vous ai déjà dit autrefois : travaillez autour des âmes doucement par œuvres, paroles et bons exemples, sans vous trop peiner de celles qui ne profitent pas, car vous ne sauriez qu'y faire. Notre bon Dieu y a plus d'intérêt que vous ; sa douce Bonté leur touchera le cœur quand il lui plaira. Prenez toujours bien garde à ne pas ajouter croyance à ce que les Sœurs disent les unes des autres ; car bien souvent l'on se peut tromper. Voyez-vous, ma très-chère fille, je vous conseille et vous prie de ne vous pas tant peiner autour de ces filles qui se rendent rétives à votre conduite ; dites-leur toujours, mais doucement, sans vous écrier, ce que vous jugerez pour leur bien ; si elles le font, vous en bénirez Dieu, sinon vous en demeurerez en paix et prierez pour elles, vous tournant aux autres sans vous fâcher ni vouloir le gagner sur elles. Dieu qui est le Maître agit ainsi sur nous, lui qui a tout pouvoir de faire ce qu'il lui plaît. N'écoutez guère ces filles que vous verrez n'agir par la pure charité, et inculquez à toutes le retranchement de tout rapport et le peu parler, sinon quand la charité ou nécessité le requiert.

Je vois, ma toute chère fille, que votre âme est toujours parfois angoissée quand les grâces lui manquent, ou qu'elle fait quelque manquement contraire à la rigueur avec laquelle vous voulez qu'elle chemine dans une pureté qui ne se trouve pas en cette vie. Je vois que vos manquements ne sont de nulle considération ; je pense toujours que votre mieux est de ne vous point regarder, et tenir votre âme un peu au large dans une sainte [454] confiance et joie, et éviter ces pressures tant que vous pourrez. J'attendrai vos articles pour y répondre. Dieu me veuille donner pour cela ce qui sera de sa sainte volonté ! Priez pour moi, qui suis si intimement vôtre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCV - À MONSIEUR CHAUDON

PÈRE SPIRITUEL DU MONASTÈRE DE LA VISITATION DE DIJON

Sainte mort de Mgr de Bourges. — Affaires concernant les communautés de Beaune et de Semur.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 26 juin 1641.

Monsieur,

Dieu nous rende pour jamais si amoureux de sa divine volonté, qu'elle nous tienne lieu de toutes les consolations possibles ès plus fâcheux et douloureux événements de cette vie ! Celui du décès de notre bon et vertueux Mgr de Bourges mon très-honoré frère, m'a été bien sensible ; mais je vous confesse, Monsieur, que Dieu a adouci ce coup par tant de miséricordes et de grâces faites au cher défunt, qu'au milieu des ressentiments naturels, j'ai une très-suave consolation à remercier cette souveraine Bonté d'avoir donné une si heureuse fin au pèlerinage de ce bon et cher défunt. Il me semble que je dois avoir plus de désir de le suivre que de regret de ce qu'il m'a devancée en notre patrie céleste, comme étant beaucoup meilleur que moi, qui vous remercie très-humblement, Monsieur, de l'oraison funèbre qu'il vous a plu nous envoyer, et des soins paternels avec lesquels vous continuez vos assistances à nos chères Sœurs vos filles.

J'ai été parfaitement consolée du témoignage qu'il vous a plu me rendre du bon état spirituel auquel vous avez trouvé nos [455] chères Sœurs de Semur, et vous assure, Monsieur, que sans qu'il soit besoin que d'autres m'en parlent, j'ajoute une entière créance au jugement que vous en faites. Il est vrai que l'on avait voulu m'en donner quelque impression contraire ; mais comme j'avais vu cette famille en bon train, et que je connaissais la sincère vertu de la chère Sœur M. -Delphine Malteste, je n'en pus recevoir ombrage.

C'est vraiment faire une grande charité, Monsieur, que de retirer ma Sœur F. — Pour ma Sœur Parise, Votre Révérence lui a parlé en vrai père de la Visitation. Il est bien raisonnable que le monastère de Beaune, auquel elle appartient par droit de fondation, la retire ou lui donne pension ; et croyez, Monsieur, qu'avec la divine miséricorde, je désire de tenir la balance juste. Et je serais bien marrie de surcharger un monastère pour en accommoder un autre ; tous me sont très-chers en Notre-Seigneur. Comme l'on m'a représenté une grande nécessité à Semur, je me suis adressée à la maison de Dijon, à laquelle il appartient d'y pourvoir ; mais ce n'est pas que je voulusse prescrire ni ordonner ceci ou cela, il ne m'appartient pas : et c'est chose que je laisse à votre prudence, Monsieur, et à la charité de ma chère Sœur la Supérieure, et en demeure en repos avec grande consolation, vous suppliant, Monsieur, que nos chères Sœurs vos filles ne soient pas seules à ressentir les effets de vos paternelles affections, que vous les étendiez jusqu'à moi, vous souvenant en vos saints sacrifices des besoins de celle qui se dira toute sa vie, Monsieur, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Dijon. [456]

LETTRE MDCCCVI - À MONSEIGNEUR J. J. DE NEUCHÈZE

SON NEVEU, ÉVÊQUE DE CHALON

Se consoler de la mort de Mgr de Bourges par un humble acquiescement à la divine volonté.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 27 juin 1641.

Monseigneur très-honoré et très-cher,

J'ai reçu votre lettre sur le trépas de celui qui m'était plus précieux que ma propre vie. Je pense aussi que vous aurez reçu celle que je vous écrivis sitôt que j'eus reçu la nouvelle de son départ de cette misérable vie. De vrai, les douleurs et ressentiments sont inévitables en telles occasions, et votre bon naturel ne pouvait que ressentir la juste affliction qu'il a reçue pour la privation de celui qui vous a toujours été vrai père ; mais, mon très-cher seigneur, il nous faut accoiser par un humble acquiescement à la très-adorable volonté divine, et nous réjouir avec action de grâces des miséricordes qu'elle a faites à cette chère âme, et de la gloire dont nous espérons qu'elle jouit. Monseigneur, que pourrions-nous désirer en cette vie, sinon un semblable trépas, après qu'avec la divine grâce nous aurons passé nos jours en l'accomplissement du bon plaisir de Dieu, chacun selon nos obligations. Oh ! que les nôtres sont grandes, mon très-cher seigneur ! c'est pourquoi je réclame le divin secours, afin qu'il nous guide et assiste incessamment. Priez pour moi aussi, qui suis de cœur, mon très-cher seigneur, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Lyon. [457]

LETTRE MDCCCVII (Inédite) - À LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE DE LA TRINITÉ

PRIEURE DES CARMÉLITES, À TROYES

Assurance de religieuse affection. — Demande de prières. — Éloge de madame de Montmorency.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 27 juin 1841.

Ma toute très-chère et Révérende Mère,

L'amour sacré de notre divin Maître consume nos cœurs de son feu sacré ! Vous ne sauriez penser, ma bonne Mère, combien chèrement vous m'êtes précieuse en Notre-Seigneur, et la consolation que je ressens de me voir en votre souvenir devant sa souveraine Majesté. Ma chère Mère, continuez-moi cette charité, j'en ai une grande nécessité, et me recommandez à vos chères filles, que je chéris comme mes bonnes Sœurs. Je suis à septante ans, et partant j'avoisine le trépas. O ma toute chère Mère ! assistez-moi fort à ce que la divine miséricorde me reçoive en paix ; je l'espère de son infinie Bonté, et du soin maternel que vous avez de ma pauvre âme. — Dieu m'a fait la grâce d'obtenir ma décharge de la conduite de ce monastère. L'on m'a élue en un autre, mais je ne puis plus accepter tel emploi. C'est notre maison de Moulins qui pourra m'avoir quelque peu de mois, poursuivant cela il y a fort longtemps. Madame de Montmorency s'y veut faire Religieuse : elle presse cela ; c'est une grande bénédiction à notre Ordre d'y avoir une âme si bien faite, car [je] n'ai rien connu dans ce siècle entre les séculiers de comparable aux saintes dispositions de cette dame. Dieu parachève en elle son œuvre ! Je la recommande à vos prières... mais je suis de cœur, ma toute chère Mère, votre, etc.

C'est sans loisir que j'ai fait ce billet.

Conforme à une copie de l'original gardé chez les Révérendes Mères Carmélites de Troyes. [458]

LETTRE MDCCCVIII - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Remercîment d'un secours envoyé au monastère de Nancy. — À quelle condition on peut changer la destination d'un don fait pour l'autel. — Condescendance à permettre qu'une Sœur passe au rang de choriste. — Agir avec prudence et humilité quand il est nécessaire de changer les choses établies par une déposée. — Heureuse mort de Mgr de Bourges.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 28 juin 1641.

Votre lettre m'a consolée dans toutes ses parties. Je bénis Dieu de tout mon cœur, qui a donné tant de cordiales affections au vôtre pour le secours de nos pauvres maisons. Celle de Nancy éprouvera que véritablement Dieu a mis de la charité véritable dans les cœurs des Filles de la Visitation.

Pour les vingt écus que vous voudriez distraire de l'aumône que cette bonne dame vous a faite pour l'autel, sachez, ma très-chère fille, de M. votre Père spirituel, si cela se peut ; je crois qu'oui, pourvu que des ouvrages de la maison vous remplaciez quelque ornement pour l'autel, environ de cette valeur. — Quant à cette pauvre fille qui tombe dans une si grande mélancolie qu'on ne sait à quoi la divertir, puisqu'elle est professe consolez-la et la mettez choriste, avec les observances toutefois que vous savez que la Constitution ordonne en tel cas. — Si véritablement cette autre Sœur, dont vous m'avez écrit, est touchée de Dieu, ce sera un grand sujet de louer sa divine Majesté ; sa persévérance au bien le fera voir.

Je vous conjure, ma fille, quand vous serez contrainte de changer quelque chose de ce que ma chère Sœur N. a fait en son gouvernement, que ce soit avec tant de prudence, d'humilité et de modestie, que cela ne paraisse comme point ; car enfin c'est une très-bonne Religieuse, Dieu a béni sa conduite, elle a porté les premières peines de l'établissement : tout [459] cela est considérable. La confiance que votre bon cœur m'a donnée, fait que je lui dis tout simplement et sans réflexion ce qui me vient en vue pour son bien et la bonne odeur de sa maison.

Je pense que si vous avez su que Dieu a retiré à soi Mgr de Bourges, mon frère unique, vous lui aurez fait la charité de prier pour le repos de son âme ; sa fin a été très-heureuse. Priez notre bon Dieu qu'il m'en donne une semblable et son saint amour et crainte. Ce sont les vertus, avec la divine humilité et la sacrée simplicité, que je souhaite le plus à nos chères Sœurs. Vous savez bien, ma fille, que c'est de cœur que je vous chéris, et suis sans fin toute vôtre, etc.

LETTRE MDCCCIX - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Compassion pour sa communauté. — Il faudrait bien se garder de disperser les Religieuses chez leurs parents. — Ne transférer le monastère dans une autre ville qu'à toute extrémité. Secours charitables qu'on se dispose à lui envoyer.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 28 juin 1641.

Ma bonne chère fille,

Je n'entreprends pas de vous dire comme je ressens au fond de mon âme les calamités de votre pays. Dieu le sait, et combien j'ai sujet de m'humilier devant sa Bonté, me voyant indigne qu'il exauce les prières que je lui fais à cette intention. Vous avez, me dites-vous, une grande appréhension de vous retirer séparées, comme font d'autres Religieuses, chez leurs parents ; certes vous avez grande raison de l'appréhender, et il se faudrait bien garder de le faire. Il est vrai qu'il n'y a point de ville où vous fussiez mieux qu'à Paris pour les grandes charités qui s'y font ; mais il y a tant d'autres raisons à dire là-dessus, que c'est un coup qu'il ne faut faire qu'à la fine extrémité. [460]

Mais que me dites-vous, ma fille, du soin que Notre-Seigneur a de ses servantes et de la charité de nos chers monastères ! De tous côtés l'on m'écrit qu'on se dispose à vous donner du secours, moyennant lequel j'espère que vous serez un peu remise. Je vous supplie de m'envoyer une liste de toutes les maisons qui vous auront assistées, afin que je les en remercie, d'autant qu'elles m'ont plus consolée que je ne saurais dire ; car je sais que plusieurs s'efforcent d'assister les pauvres monastères de ce qui leur fait besoin à elles-mêmes. Je salue toutes nos Sœurs et les supplie de se fondre devant Dieu d'une amoureuse reconnaissance ; qu'elles prient beaucoup, et augmentent leur union avec leurs Sœurs qui leur sont si cordiales et si bonnes. Vôtre, etc.

LETTRE MDCCCX - À LA MÈRE MARIE-MARGUERITE MICHEL

SUPÉRIEURE À FRIBOURG

Affaires temporelles des monastères de Besançon et de Fribourg. — Qualités que doivent avoir les postulantes qui désirent être reçues au premier monastère d'Annecy.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 28 juin 1641.

Ma bonne et très-chère fille,

Voilà nos réponses à madame et à M. le marquis de Listenais. Je ne sais pourquoi, ma obère "fille, l'on me fait recevoir des lettres de ces grands du monde que j'honore beaucoup, mais auxquels je ne sais pas correspondre, outre que, Mgr de Besançon ayant ordonné à nos Sœurs de payer les pensions échues et celles qui écherront désormais de ma chère Sœur M. -Agnès [de Bauffremont], il n'y a point de doute que si elles ne les ont encore payées, elles les payeront le plus tôt qu'elles pourront. Les misères des temps ne permettent pas de faire tout ce que [461] l'on voudrait. Elles ont à Besançon une grande famille et ont prou peine à rouler. Et puis, ma chère fille, faut-il que les gens du monde soient imbus de nos petits différends ? J'ai appris que maintenant l'on redemande de nouveau au monastère de Besançon de quoi entretenir une fille pour le service de ma Sœur M. -Agnès. De vrai, ma fille, toutes ces nouvelles demandes ennuient l'esprit ; est-il possible que cent écus ne suffisent pas pour l'entretien d'une Religieuse ? Je trouve que ce serait assez pour trois ; outre qu'ayant fait vœu de pauvreté, et étant dans l'occasion de le pratiquer, il faut tâcher de le faire. Suivez en tout la frugalité religieuse, je vous prie. Pour l'amour de Dieu, ma très-chère fille, que l'on ne trouve plus ces nouvelles inventions, et que le monastère de Besançon satisfaisant à ce qui est porté par le contrat, de donner cent écus à ma Sœur M. -Agnès, l'on se contente.

Vous ne me mandez point si vous avez accepté l'accord que Mgr de Besançon avait dressé, que la maison de Besançon donnerait mille écus, à savoir deux cents pour la Sœur domestique et huit cents pour la Mère de Gruyères, sinon qu'elle voulût ou que vous voulussiez la renvoyer à Besançon, ce que je crois qu'elle aimerait le mieux. Je vous conjure, ma très-chère fille, faites en sorte que quand ma Sœur M. -Agnès écrira à messieurs ses parents, ce soit sans rien dire qui les puisse lâcher contre la maison de Besançon, que vous devez aimer comme la vôtre propre et lui procurer des amis. Et quand vous écrivez à Mgr de Besançon et à nos Sœurs, votre, à qui que ce soit, témoignez la générosité que Dieu a donnée à votre cœur ; qu'il ne se fasse plus de tracasseries pour les choses temporelles.

Je viens déparier à ce digne porteur, lequel vraiment est un fort brave homme. Il m'a parlé de cette terre proche de Genève, sur laquelle vous voudriez mettre les dots des novices que vous recevrez. Ma très-chère fille, si, comme il y a apparence, votre établissement se fait à Fribourg, vous serez bien aise d'avoir les [462] dots. Que si l'établissement ne se fait pas, nous ne voulons point être engagées, et désirons que l'on nous apporte les dots, en nous amenant les filles. Il nous a aussi parlé pour la Sœur de M. Renaud, lequel mérite bien de trouver gratification, et vous la pourrez recevoir encore pour notre maison à même condition que les autres, pourvu qu'elle soit bien appelée à la Religion, et qu'elle ait courage pour entreprendre l'exacte observance. Et je vous conjure encore une bonne fois pour toutes, que vous preniez grandement garde aux filles que vous recevrez, qu'elles aient bonne vocation, et qu'étant en Religion il ne faille point, pour les y maintenir, leur donner des exemptions et libertés contraires à l'observance ; car si elles venaient ici, ma très-chère fille, vous savez qu'il faut qu'on y marche exactement selon la Règle : si elles vous demeurent, vous en aurez la consolation. Au nom de Dieu, prenez soin qu'on les fonde bien en l'esprit de la vocation, au mépris du monde, à l'amour de la petitesse, en cette véritable sincérité et douce charité : et vous-même, ma très-chère fille, montrez-leur de plus en plus l'exemple de ces saintes vertus, et que chacun connaisse en toutes vos procédures [procédés], que vous êtes la vraie fille de notre Bienheureux Fondateur, qui était homme si droit, si humble et si véritablement charitable,

Il me vient encore une crainte qu'il faut que je vous dise : c'est que M. N. m'a assuré qu'il y avait grand nombre de filles qui désiraient notre manière de vie. Quand nous avons eu donné place à une, céans, celle-là en a attiré quatre autres ; à ces quatre en voilà une cinquième ajoutée, la sœur de M. Renaud. Je crains que les parents ne veuillent tous avoir recours ici pour en faire recevoir d'autres ; c'est pourquoi je vous dis par avance, qu'en ces deux maisons [d'Annecy] il nous est impossible d'en recevoir davantage ; mais nous avons nos maisons de Rumilly, Thonon et Chambéry, toutes trois en Savoie, qui pourront bien encore assurer [la place à] quelqu'une, pourvu, comme j'ai dit, [463] que ce soient des esprits bien faits, et qui ne prétendent autre chose que de vivre dans la très-sincère observance. Et vous supplie encore, ma très-chère fille, que les cinquante pistoles que vous prenez de chaque fille pour leur réception et habits soient bien ménagées, afin que si elles allaient en d'autres maisons tout cela ne fût pas perdu pour le monastère qui les recevrait. Et pour leurs dots, vous les devez loger et assurer selon l'avis et conseil de vos meilleurs amis et selon que vous le jugerez le mieux, ou pour le bien de votre maison si elle subsiste, ou pour le bien de celles où les filles pourraient être retirées, afin qu'il n'y ait point d'embrouillement ni de mécontentement. — Vous avez un grand sujet de bénir Dieu, ma très-chère fille, que sa Providence vous ait si heureusement déchargées de la maison de Mgr de Lausanne.

J'écris encore à ma Sœur la Supérieure de Besançon pour les pensions de ma Sœur M. -Agnès ; et me semble, ma chère fille, que si elles vous ont présenté chaque année de vous payer cette pension, selon la valeur où les espèces étaient à Besançon et que vous ne l'ayez pas voulu, selon justice et équité vous ne pouvez les demander maintenant que selon la valeur que les monnaies sont présentement [dans cette ville] ; car le monastère de Besançon n'est nullement obligé de vous donner cette somme selon la valeur des espèces à Fribourg. Je vous supplie, ma très-chère fille, de la plus tendre affection de mon cœur, que vous vous montriez généreuse en cette occasion, pour ajuster toutes choses selon la douceur de l'esprit de votre vocation ; vous verrez, si vous le faites, que Dieu vous récompensera de plusieurs bénédictions. Je l'en supplie de tout mon cœur, et vous, ma très-chère fille, de croire que je suis d'une dilection invariablement sincère et cordiale, votre, etc.

[P. S.] Je salue cordialement toutes nos bonnes Sœurs, et en particulier ma chère Sœur M. -Agnès et ma chère Sœur M. Désirée, avec les quatre prétendantes, que je supplie de [464] travailler de tout leur cœur à se donner absolument à Notre-Seigneur, et à prendre l'esprit humble, doux et simple de la Visitation. Dieu les bénisse toutes ! Je me recommande à leurs prières.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCXI (Inédite) - À MONSIEUR LE MARQUIS DE PIANESSE

À TURIN

Pieux souhaits. — Remercîment.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 29 juin 1641.

Monsieur,

Ce porteur m'ayant assuré que Votre Excellence était à Turin, je me suis infiniment réjouie, suppliant Notre-Seigneur que vous ne retourniez plus dans le péril de cette furieuse guerre du Piémont, ou qu'il plaise à son infinie Bonté vous servir toujours de muraille et de protection ; c'est ma continuelle prière.

Nous reçûmes depuis peu de jours la [cassette] dont votre lettre me faisait mention ; je vous en remercie très-humblement, Monsieur ; tout cela me sera cher pour le respect du cœur qui me l'a destiné, dont la mémoire m'est en vénération. Et derechef je vous en rends mille grâces, suppliant Notre-Seigneur faire redonder sur Votre Excellence les richesses de son amour, et sur madame la marquise et tout ce que vous chérissez, demeurant en tout respect de cœur, Monsieur, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Pescia (Toscane). [465]

LETTRE MDCCCXII (Inédite) - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Nos manquements servent à nous faire acquérir la connaissance de nous-même. —. Porter courageusement le poids de la supériorité.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 29 juin 1641.

Ma très-chère fille,

Vous prenez trop à cœur ces rencontres inévitables de cette vie, et puis votre esprit s'en fâche, et voilà la cause de vos ennuis et abattements. Ces choses servent de bon présage au commencement du service de Dieu : mais maintenant, ma fille, [elles] ne sont plus de saison ; il s'en faut affranchir et bien vous [reprocher] ces manquements. Pensez-vous être impeccable et les éviter tous, tandis que vous serez en cette vie ? chose impossible ! et ne voyez-vous pas que Dieu ne les permet que pour un plus grand bien ? C'est la meilleure prédication que l'on puisse faire, et qui nous affermit plus en l'humilité, par la connaissance expérimentale et méfiance de nous-même. Vous le voyez, puisque depuis cette échappée cette bonne Sœur a reconnu sa faute et fait mieux. Voyez-vous, ma fille, vous devez, ce me semble, ne pas laisser croupir cette chère Sœur dans ses imperfections ; elle a le cœur bon, et je crois que, la redressant et lui faisant voir ses manquements, par zèle de son bien, qu'elle en profiterait et vous gagneriez son cœur, en sorte que vous lui pourriez dire tout ce que vous voudrez.

Vraiment, penser à vous faire décharger ! j'ai peine à vous pardonner cela, toutefois je le fais ; mais voyez-vous, ma toute très-chère fille, il faut être plus généreuse et ramer constamment, nonobstant toute difficulté, et de même de cette timidité naturelle qui vous fait craindre les jugements de Dieu, pour des manquements où sa Bonté permet que vous tombiez pour sa gloire et votre bien, et qui ne sont au pis que quelque [466] [légère faute]. Il faut relever de tout cela votre chère âme dans une plus grande et parfaite confiance en Dieu ; mais je vous en prie, et de vous tenir au-dessus de ces petits abattements, ne faisant semblant de les voir, encore que vous les sentiez bien. Tenez-vous joyeuse en Notre-Seigneur. Je ne voudrais pas que vous fussiez quitte pour un triennal de la charge que vous avez.

Au reste, notre Sœur votre directrice m'écrit simplement [plusieurs lignes inintelligibles], sans me dire un mot d'elle ni de la maison : cela me fâche. Ne sauriez-vous lui persuader de me parler de son cœur, ou lui dire si elle voudrait que vous m'en parlassiez ?

Ma très-chère fille, vivez au-dessus de vous-même et tout en Dieu, que je supplie être votre consolation. Croyez que de plus en plus, si je peux plus, je suis toute vôtre, mais votre incomparable Mère. — Ne m'oubliez point devant Dieu, ni nos bonnes Sœurs que je salue avec vous.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Boulogne-sur-Mer.

LETTRE MDCCCXIII (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-ANTOINETTE TESTE DE VOSERY

SUPÉRIEURE AU DEUXIÈME MONASTÈRE D'ANNECY

Satisfaction que donne la Mère de Blonay. — On ne doit pas surcharger la communauté d'ouvrage.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Je désire un peu des nouvelles de votre bon cœur, ma très-chère fille, et vous dire que tout va bien ici, grâce à notre bon Dieu. Notre chère Mère [de Blonay] a toujours quelque petite souffrance en son corps, mais elle ne laisse pas d'aller et de faire tout ce qu'il faut ; elle a parle à toute nos professes, dont elle a reçu grande satisfaction et nos Sœurs aussi.

Certes, vous ferez bien, petit à petit, de décharger votre [467] maison de tant d'ouvrages. J'admire que ma pauvre Sœur ait attiré cela ; c'est qu'elle est si bonne qu'elle donne confiance de lui demander, et puis elle n'ose refuser. Je ne savais rien du voile de M. Marcher, mais oui bien de la serge, et cela fut fait parce qu'il les confesse et dit souvent la sainte messe, et elles ne lui donnent point d'argent ; mais certes il suffit bien pour plusieurs années. Il n'en faut rien témoigner aux unes ni aux autres, cela affligerait trop. Or sus, ma très-chère fille, tenez votre cœur tout en Dieu et plein de sainte joie et courage, et croyez que tout le mien chétif est tout vôtre en vraie sincérité.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCXIV - À LA MÈRE LOUISE-DOROTHÉE DE MARIGNY

SUPÉRIEURE À MONTPELLIER.

Élection de Grasse. — Voyage à Moulins. — La question du Visiteur est entièrement abandonnée. — Pauvreté du monastère de Nancy.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy], 7 juillet [1641].

Ma très-chère fille,

Je ne vous fait ce petit mot que pour vous saluer très-cordialement et vous assurer que nous avons reçu votre grande lettre, et celle par laquelle vous me parlez de madame de Montmorency, et du bon témoignage que vous me rendez de ma Sœur [F. -Em. de Vidonne de Nouvery] à présent supérieure de Grasse. Je fus un peu marrie qu'elle fût élue à Grasse, mais ma consolation est qu'elle va avec une Mère déposée qui, je crois, lui profitera ; car elle est parfaitement humble et bonne : cela, avec ce qu'elle aura appris de votre bon cœur, lui aidera à passer doucement. Je n'ai pas manqué de lui écrire tout ce qui m'a semblé lui être nécessaire pour son bien ; elle m'a témoigné beaucoup de satisfaction de vous et de toutes nos bonnes Sœurs vos chères filles. [468]

Je crois, ma chère fille, que nous ferons bientôt le voyage de Moulins ; nous en attendons des réponses ; mais non pour y être Supérieure, ains seulement y être environ deux mois. Pour le Visiteur, il y a environ dix-huit mois que l'on n'y pense plus, car je ne saurais permettre que l'on fasse aucune chose qui heurte tant soit peu l'autorité de Messeigneurs nos prélats. Nous n'avons pas encore eu le bonheur de voir en ces quartiers Mgr de Montpellier.

Ma chère fille, je ne puis dire autre chose pour le présent, car c'est par l'occasion de l'équipage de notre chère Sœur Françoise-Angélique [Garin]. — Vous ferez grande charité d'envoyer à nos chères Sœurs de Nancy ce que Notre-Seigneur vous a inspiré de leur envoyer ; vous me consolez fort de vous voir affectionnée à assister les pauvres monastères. Dieu vous en saura bien récompenser ; je l'en supplie de tout mon cœur. S'il y a encore quelque chose à répondre en votre grande lettre, nous le ferons à loisir, car je n'ai pas le temps de la revoir. Je suis d'une entière affection, ma très-chère fille, toute vôtre de cœur et d'incomparable dilection.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCXV - À LA MÈRE BARBE-MARIE BOUVART

SUPÉRIEURE AU MANS

On désira que la Sainte fasse un voyage à Paris. —Maladie de Sœur M. -Anastase Pavillon. — Tenir main à ce que la visite canonique se fasse exactement. — les difficultés notables qui pourraient survenir avec le Supérieur doivent être soumises au prélat. — Conseils de direction.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 9 juillet 1641.

Ma toute bonne et toute chère fille,

Quand je vois de vos lettres, il me semble de voir votre cœur si bon et si désireux du vrai bien, que j'en suis tout à fait [469] consolée. Je crois bien avec vous, ma très-chère fille, qu'il se perd prou de lettres par les chemins : je n'en reçois aucune des vôtres auxquelles je ne fasse fidèlement réponse ; il est vrai que d'ordinaire elles sont de fort vieille date quand je les reçois. Il faut subir cette petite mortification que l'éloignement des lieux nous cause, mais que la divine Providence ordonne ; c'est pourquoi il la faut aimer.

Je vous confesse, ma très-chère fille, que ce me serait une très-douce consolation s'il plaisait à Dieu que nous nous vissions, mais je n'y vois pas grand jour ni apparence ; Dieu conduise tout pour sa gloire ! L'on désire fort que je fasse ce voyage de Paris, sur lequel je ne sais que vous répondre, sinon que la voix de mon Supérieur et l'événement feront voir quelle est la volonté de Dieu, et il ne faut vouloir que cela. Il est vrai, ma très-chère fille, notre chère Sœur F. -Angélique m'a écrit touchant la préoccupation de ma pauvre chère Sœur M. -Anastase [Pavillon] ; mais vous me faites encore mieux comprendre et concevoir ce que c'est. De vrai, ma très-chère fille, selon la vue que Dieu m'en donne, je ne puis porter autre jugement sinon qu'il y a un peu d'humeur hypocondriaque ; et cette chère Sœur étant si bonne, et sa volonté étant séparée de ces jugements que la force de son imagination lui fait faire, je ne pense pas qu'elle pèche en cela. Ce qui me fait le plus penser qu'il y a de l'humeur hypocondre, c'est d'avoir cette préoccupation contre toute une communauté, car si ce n'était que contre quelques particulières, l'on pourrait croire qu'elle aurait vu ou su quelque chose qui lui aurait donné sujet de former ces soupçons. Ce sera un grand bien qu'on la change de monastère ; mais si son mal est bien enraciné, possible aura-t-elle la même peine contre une autre communauté que contre la vôtre, qui s'est comportée très-sagement et très-vertueusement.

J'ai été tout à fait consolée, ma très-chère fille, de voir votre conduite et de ma chère Sœur [M. -Augustine] Grasseteau, avant [470] que vous fussiez Mère ; cela m'étant un bon témoignage que Dieu vous a donné à toutes deux l'esprit de discernement et de votre vocation et que sa bonne main vous conduit, car vous ne pouviez mieux faire que ce que vous avez fait : couvrir discrètement et charitablement le défaut de votre Supérieure et n'en parler point du tout au dehors. [Le contraire] n'aurait servi qu'à augmenter le mal et à donner à discourir à ceux auxquels vous l'auriez communiqué. Mais ce qu'il fallait faire, ma très-chère fille, c'est qu'il ne s'en allait pas affliger, et encore ne le faut-il pas faire, ni moins essayer de lui faire concevoir le contraire de ses imaginations. Quand elle en parle, il en faut doucement divertir le discours comme d'une chose indifférente. La conséquence que vous devez en tirer, ma très-chère fille, c'est de voir la misère et chétiveté de la créature et le sujet que nous avons de nous tenir humbles. Il est vrai que l'on a fort exalté cette chère Sœur, qui vraiment est bien bonne, et Notre-Seigneur qui l'aime, pour l'humilier et la tenir en abjection, a permis ce défaut en son esprit. Plaise à sa Bonté qu'il ne passe pas plus avant !

Je serai bien aise que vous teniez main à faire faire vos visites [canoniques] le plus exactement qu'il vous sera possible, surtout maintenant que vous avez un si bon et si digne prélat ; que je vous en estime heureuse ! Et vous dirai, ma très-chère fille, que pour ce qui est du Supérieur, quand il vous arrive quelque difficulté notable, après l'avoir recommandée à Notre-Seigneur, vous devez l'exposer à votre prélat et attendre de lui la résolution, car Dieu leur a donné son esprit, et tandis que nous procéderons avec eux selon nos observances, sincèrement et humblement, jamais, comme disait notre saint Fondateur, nous ne serons mal guidées. Pour les choses ordinaires et petites difficultés de la conduite, vous avez le cher monastère de Saint-Antoine, qui est vraiment une maison de vertu et de bénédiction. La chère Sœur H. -Angélique Lhuillier et la Mère ont leur bonne part du vrai esprit de notre Bienheureux Père, et certes toute [471] la communauté est parfaitement bonne. Je prie Dieu qu'il continue et augmente ses bénédictions sur la vôtre très-chère, par une toujours nouvelle fidélité à la vraie observance. Je suis grandement consolée de voir que tout y va si bien et dans l'union.

Maintenez ainsi ces chères Sœurs et vous-même, ma chère fille, dans un esprit de suavité et de sainte joie, et pour cela ne vous amusez point trop, ma chère fille, à regarder vos misères : regardez les souveraines bontés et miséricordes de Dieu, et pour son amour et respect rendez-vous bien fidèle à vos exercices spirituels, à l'imitation de notre Bienheureux Père qui, allant à la prière, laissait toutes les affaires comme s'il n'en eût jamais eu.

Allons à Dieu, ma chère fille, avec un cœur le plus désoccupé qu'il nous sera possible : quand vous serez devant ce divin Sauveur, je vous conjure, ma chère fille, de vous souvenir quelquefois de mes besoins. Procurez-moi la même charité vers nos chères Sœurs, que j'embrasse en esprit bien chèrement et cordialement, et les conjure de se rendre de plus en plus vraies Filles de notre Bienheureux Père, par une fidèle pratique de ce qu'il nous a laissé. Je conjure ce débonnaire Père les vouloir bénir, et tout spécialement Votre Charité et ma chère fille [M. -Augustine] Grasseteau. Je suis fort aise que vous soyez bien unies, cela vous rend plus fortes pour bien rendre votre devoir à Dieu et à votre Institut. Croyez toutes deux que vous êtes bien mes vraies filles, et que c'est bien de cœur que je me dis sans réserve, ma très-chère fille, votre, etc.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans. [472]

LETTRE MDCCCXVI - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION

Avoir des âmes sans malice, qui ont la crainte de Dieu, le désir du bien et l'amour de leur vocation, c'est une grande grâce. — Prière d'avoir un soin spécial de deux professes d'Annecy qui se trouvent dans sa communauté. — La Supérieure ne doit jamais témoigner aucune défiance à ses Religieuses. — Conseils de direction. — Départ pour Moulins, — Éloge de la Mère de Blonay.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 1641.

Ma très-chère et très-aimée fille,

J'ai certes été bien consolée du récit que vous me faites de la bonne disposition de nos chères Sœurs vos filles. Mon Dieu ! quelle grâce quand Dieu donne des âmes qui n'ont point de malice, et qui ont la crainte de Dieu et l'amour à leur vocation avec le désir du bien ; car avec cela, ma très-chère fille, il ne faut avoir que patience et courage à les cultiver, comme grâce à Dieu, vous faites, y ayant toute apparence qu'un si bon fonds et des cœurs bien disposés feront enfin des fruits de solide perfection. Ma fille, il m'est avis que Dieu vous donne bien sujet de vous plaire à les servir, et à moi une consolation incroyable de vous y voir soigneuse et attentive. Combien puissamment attirez-vous par ce moyen les faveurs célestes sur votre chère âme et sur toute votre bénite famille ! Car enfin Dieu se plaît avec les âmes généreuses et qui se plaisent à travailler, quoique péniblement, pour l'accroissement de sa gloire et le bien des âmes. Si Dieu fait la miséricorde à cette petite famille, que vous la cultiviez en qualité de Supérieure encore trois ans, j'espère que vous la verrez solidement établie. Enfin cette maison est à Dieu et à sa sainte Mère, Il vous y maintiendra, et puis Il pourvoira de ce qui lui sera nécessaire dans son besoin.

Je vous supplie de prendre un soin spécial de nos deux [473] professes, afin de les affranchir de leurs défauts, car toutes deux ont le fonds bon. Vos encouragements cordiaux et vos charitables avertissements leur feront voir amiablement leurs défauts et la beauté de la vertu contraire, et que vous n'êtes incitée à les presser que par l'amour que Dieu vous donne à leur bien ; sans doute, je pense que cela leur profitera. J'en ai un si grand désir que je voudrais donner mes yeux pour acheter leur perfection, afin que Dieu en fût glorifié et cette maison plus appuyée ; car enfin, quand toutes les pierres d'un bâtiment sont solides, l'édifice en est stable. — Il est vrai que je ne vois pas d'ordinaire les lettres que nos Sœurs écrivent, étant accablée d'affaires ; de même que je puis me dispenser pour juste cause d'assister à l'Office du chœur, aussi le puis-je faire de voir les lettres, ce que pourtant je fais faire quelquefois, si elles ne sont pas des lettres que je sais bien n'y avoir rien à craindre et où je me confie entièrement ; mais les Sœurs ne savent pas si je les vois ou non, et je trouverais bien mauvais qu'elles y prissent garde et ne le souffrirais pas. Il ne faut jamais se témoigner préoccupée de méfiance. Quand une fille s'aperçoit que sa Supérieure se préoccupe contre elle, cela lui nuit, et elle ne fait pas tant de profit des remontrances qui lui sont faites ; car enfin l'assurance qu'une Religieuse a d'avoir part à l'amour cordial de sa Supérieure, sert d'une aiguille bien polie pour faire entrer doucement dans son cœur et avec profit, toutes les corrections, avertissements et directions qui lui sont faites. J'espère, ma fille, que vous recevrez cordialement ce que le seul zèle me fait dire pour la gloire de Dieu et le profit de toutes.

Je vois que vous avez bonne part aux pertes communes, et certes il ne serait pas raisonnable d'en être exempte ; mais béni soit Dieu qui vous tient au-dessus de tout, et qui vous fait remettre toutes choses à son soin ! Ma fille, demeurez là en repos, et tâchez de vous tenir ferme dans cette conduite de douceur, intérieure pour vous-même, et extérieure pour les [474] autres. Vous verrez que Notre-Seigneur bénira votre chemin par un saint avancement aux vraies vertus. — Vous vous plaignez toujours de vos sécheresses ; mais, par la grâce de Dieu, je ne les vois pas si grandes, puisque vous avez un profond instinct qui vous porte à vous unir à Dieu et à fuir tout ce qui lui peut déplaire ; cela vaut mieux que tout sentiment sensible. Contentez-vous et exercez-vous fort à la douceur et support des esprits qui ont des inclinations, humeurs et façons contraires aux vôtres ; cela est nécessaire à votre perfection, et à la consolation et profit spirituel de ces âmes-là, et ainsi chacune trouvera son compte et son utilité.

J'ajoute encore ce petit mot d'adieu à Votre Charité et à toutes nos chères Sœurs, étant sur mon départ pour aller en notre monastère de Moulins, vous conjurant que vous ne soyez point en peine de moi, mais que vous m'accompagniez toutes de vos prières. Je pars saine et gaie et espère, si rien n'arrive, de revenir dans quatre mois, Dieu aidant. Mon indicible consolation est de laisser cette chère maison entre les mains d'une si bonne, sage et digne Supérieure, comme est notre bonne Mère de Blonay, laquelle j'avais toujours trouvée extraordinairement bonne ; mais maintenant je puis dire qu'elle est excellemment bonne et propre à cette communauté. N'ai-je pas de quoi bénir Dieu, ma vraie fille, qu'il m'ait déchargée, en remettant le fardeau sur des si bonnes épaules comme sont celles de cette chère Mère ? Béni soit-il à jamais ! Je suis de plus en plus, en son divin amour, toute vôtre. [475]

LETTRE MDCCCXVII - À LA MÈRE MADELEINE-ÉLISABETH DE LUCINGE

SUPÉRIEURE À TURIN

Éloge des Sœurs de Turin. Prédiction en leur faveur.

VIVE † JÉSUS !

[Annecy, 1641.]

Ma fille, je vous emporte dans mon cœur et toutes nos chères Piémontaises. Je vous prie de les bien aimer, ces chères Sœurs ; tenez-vous joyeuse parmi elles, et croyez que je vois tous les jours davantage que j'ai eu raison de dire à leur égard que le Seigneur est le Dieu de toutes les nations, parce que je connais en ces chères enfants de très-bons cœurs qui aiment la vertu, La leur est solide, aussi bien que leur amitié.

Pour votre temporel, n'en soyez point en peine ; lorsqu'il en sera temps Dieu vous aidera et vous enverra le secours qu'il vous destine, et qui vous sera nécessaire pour bâtir, par le moyen de la petite fille de ma filleule. Soyez certaine que le monastère de Turin, qui doit peupler l'Italie des Filles de la Visitation, sera un jour un des premiers de l'Institut, et que vous le servirez très-longtemps fort heureusement.

Extraite de l'Histoire de la fondation de Turin.

LETTRE MDCCCXVIII - À LA SŒUR MARIE-SUZANNE DURET

MAÎTRESSE DES NOVICES, À DRAGUIGNAN

Départ de la Sainte pour Moulins ; sa profonde humilité. — Conseils pour la direction du noviciat.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 27 juillet 1641.

Nous voici prêtes pour partir demain[110] et nous en aller à Moulins. Ma toute chère fille, il ne faut pas sortir sans répondre à [476] votre grande lettre, qui m'a donné tant de consolation ; mais avant que d'y répondre, je vous veux reprendre, ma fille, de ce que vous m'appelez sainte. Seigneur Jésus ! à quoi pensez-vous ? Avez-vous si peu de respect aux choses qui concernent le culte divin, que de profaner ainsi le nom de sainteté pour une personne si éloignée des mœurs et des vertus des Saints ? Oh ! de vrai, ma fille, cela me touche tout à fait ; n'y retournez jour de votre vie.

Toutes les nouvelles de votre noviciat me plaisent fort. L'attrait de cette fille est fort bon, laissez-lui suivre sa voie, et discernez qu'il n'est pas requis que les âmes conduites par ce chemin aient des ardeurs sensibles à la recherche des pratiques des vertus : cela même serait contre la simplicité de leur voie ; il suffit qu'elles soient amoureuses et fidèles à la pratique des occasions qui se présentent. Servez avec courage ces chères âmes, ma toute chère fille, et servez votre propre cœur avec une libre et sainte générosité, sans vous tant regarder vous-même. Je prie Dieu qu'il bénisse votre cœur de sa grande bénédiction ; vous savez bien, ma fille, que je suis votre, etc.

[P. S.] Ma chère fille, vous m'avez fait un singulier plaisir, en ce que vous m'avez dit de celle que vous savez. Oh ! vraiment, la Mère des Roches était une sainte âme ; mais si éloignée d'avoir ce qu'il faut pour Nessy, que cela est hors de raison. Celle que Dieu nous a donnée pour Mère, et qui est professe de céans, est incomparable ; je l'admire en toutes ses actions, et c'est conscience de m'avoir si longtemps laissée mal servir Annecy.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [477]

LETTRE MDCCCXIX - À UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION[111]

Le charitable support attire les bénédictions de Dieu. — Éloge de la Mère de Blonay.

VIVE † JÉSUS !

Annecy, 27 juillet 1641.

Ma toute bonne et chère fille,

Je bénis Dieu de votre réélection : fortifiez-vous en Dieu, ma fille ; le continuel recours à sa bonté et à la sacrée Vierge est un grand revenu. Maintenez-vous fort aux bonnes grâces de Mgr votre prélat.

Nous avons ici ma Sœur [F. A. Garin] que je trouve toujours meilleure, une fille humble et solide qui édifie bien fort notre communauté. Vous savez, ma chère fille, que Dieu me fait la grâce de parler des Sœurs sans autre intérêt que de louer ce que Dieu met en chaque âme. Que plût à Dieu que celle qui parle d'elle eût, avec ce qu'elle a de bon, autant d'exactitude à l'humilité et simplicité. Mon Dieu ! n'eussiez-vous osé dire en confiance ce que vous remarquiez contraire à ces bénites vertus ! — Ce que je vous avais dit, ma fille, de passer le nombre des jeunes filles, était pour votre accommodement ; mais faites en cela comme vous jugerez pour le mieux.

La réponse de vos conseillères est un peu bien verte : il faut la cuire au feu de la divine charité, et puis l'avaler doucement et suavement, continuant envers ces bonnes Sœurs votre humble cordialité et déférence ; avec cela Dieu sera de votre parti et vous enverra des bénédictions spirituelles et temporelles. — Je salue d'une très-infinie affection vos chères Sœurs. Faites [478] qu'elles recommandent bien à la divine Bonté notre voyage, lequel j'entreprends d'autant plus allègrement que c'est la volonté de Dieu, et que je laisse en cette maison notre chère Mère de Blonay qui est une vraie mère de la Visitation, capable de servir non-seulement cette maison, mais très-dignement tout l'Institut. Vous ne sauriez croire combien je suis consolée d'avoir une si bonne Mère. Dieu nous la conserve, et vous bénisse toutes de cette grande bénédiction d'une parfaite observance, avec paix, suavité, liberté d'esprit et sainte joie ! — Adieu, ma très-bonne fille, votre, etc.

LETTRE MDCCCXX - À LA MÈRE CLAUDE-MARIE ROQUETTE[112]

SUPÉRIEURE À SAINT-ÉTIENNE

Regret de ne pouvoir aller jusqu'à elle. — Inculquer à ses Sœurs l'humilité, la douceur et la simplicité.

VIVE † JÉSUS !

[Lyon], 5 août [1641].

Mes très-chères filles,

Assurez-vous que j'ai autant de désir de vous voir que vous moi, et peut-être plus ; mais je ne puis faire un si long détour, et partant il nous faut priver de cette consolation, puisque la très-douce Bonté de notre divin Sauveur ne le permet pas ; il ne faut plus espérer de nous voir que dans la bienheureuse [479] éternité, et nous faut tâcher de faire les œuvres afin de jouir éternellement de notre bon Dieu, et le louer ensemblement. Priez-le bien, ma chère fille, qu'il me fasse cette grâce.

Je vous recommande fort de faire votre possible afin que votre chère troupe marche dans une grande observance de tout ce qui est marqué, et qu'elle pratique soigneusement les saintes vertus qui sont selon l'esprit de notre saint Institut : savoir, l'humilité, douceur et sainte simplicité, et Notre-Seigneur les bénira ; c'est ce que je souhaite à toutes nos très-chères Sœurs que je salue de tout mon cœur, et tout particulièrement votre tout bon et cher cœur, vous priant m'excuser si je ne vous entretiens pas davantage ; les occupations du parloir, et ce que je parle à nos chères Sœurs, ne m'en donnent pas le temps. Souvenez-vous, je vous supplie, de fort prier pour moi, afin que j'accomplisse parfaitement sa très-sainte volonté, en laquelle je suis de tout mon cœur, ma très-chère fille, votre, etc. — Notre-Dame des Neiges.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Thonon. [480]

LETTRE MDCCCXXI - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Nouvelles de la communauté de Lyon.

VIVE † JÉSUS !

[Lyon, 1641.]

Je venais vous dire un mot quand j'ai reçu votre lettre, ma toute bonne et chère Mère. Dieu soit béni que vous soyez en santé ! Jusques ici le voyage s'est fait heureusement, grâce à Dieu, et avec repos d'esprit et santé de corps, et il me semble que Notre-Seigneur m'y soutiendra, car même je sens que sa Bonté me fortifie l'estomac, afin de pouvoir fournira ce continuel parler qu'il faut faire. Je parle à toutes les professes. Il y a ici de bonnes âmes ; et celles qui vous sont plus chères je leur ai donné tout loisir. Leur cœur est bon et assez content, grâce à Dieu ; elles m'ont assuré n'avoir point été rudoyées, et que depuis l'élection tout va beaucoup mieux. Enfin, je les vois contentes et désireuses de se bien affermir et avancer en leur perfection ; mais elles me conjurent fort de retourner, avec un grand séjour ici. Il m'est avis qu'elles ont une bonne raison en cela, et que, si Dieu m'assiste, il leur sera utile ; Monseigneur ni vous ne direz pas que non.

Nous dirons tout au retour, je n'ai rien oublié à dire ici. Je vous conjure d'avoir votre cœur guéri, et de faire tirer profit à ma Sœur C. C. de tous ses amusements. Je vous recommande ses faiblesses, et suis de cœur toute vôtre incomparable.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [481]

LETTRE MDCCCXXII - À LA MÊME

Ne se plaindre qu'à Dieu de l'ingratitude des créatures.

VIVE † JÉSUS !

[Lyon], 5 août [1611].

Au reste, ma très-chère Mère, nous dirons, s'il plaît à Dieu, à notre retour, beaucoup de choses que je ne puis écrire. O mon Dieu ! qu'il faut voir de choses en cette misérable vie ! Je veux bien espérer de tout le monde ; mais, voyez-vous, ma chère Mère, accoutumons-nous, je vous supplie, à recevoir des coups de dard des mains qui nous devraient caresser ; recevons-les, dis-je, dans notre cœur, et ne les rendons jamais. Il n'y a guère sujets de plaintes plus sensibles que ceux-là ; mais ne nous plaignons point, ma très-chère Mère, je veux dire ne nous plaignons qu'à Dieu, déposons entre ses mains tous nos petits sujets d'amertume. J'espère que la Providence les guérira, et tirera beaucoup de bien de tout. Je crois, ma très-bonne Mère, que par la divine grâce, ni vous ni moi ne voulons que la volonté de Dieu et la suivre en tout, à la perle même de toutes nos inclinations et satisfactions. Oh Dieu ! ma chère Mère, que la parfaite et épurée charité est rare ! et cela, ce me semble, parce que nous ne nous appliquons pas bien à l'humilité et petitesse. L'esprit du monde et le propre intérêt gâtent tout : Dieu le veuille bien anéantir en tous ses serviteurs et servantes ! Conservez-vous, ma très-chère Mère, pour le service et consolation de nos bonnes Sœurs, que je salue de tout mon cœur. Je me tiens assurée que vos prières et les leurs m'accompagnent dans ce voyage, et je vous en conjure de la même affection que je suis parfaitement toute vôtre. [482]

LETTRE MDCCCXXIII (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Assurance d'un affectueux souvenir.

VIVE † JÉSUS !

[... 1641.]

Ma très-chère fille,

De près et de loin, mon cœur est indivisible du vôtre. Vivons tout à Dieu et ayez soin de votre santé. C'est sans loisir.

Ma vraie très-chère fille, tout ce que je vous puis dire, c'est qu'en vérité je suis toute vôtre, et que vous êtes la très-chère fille de mon cœur, que je prie Dieu de bénir et toutes nos Sœurs. Portez-vous bien et je serai consolée.

Ma toute très-chère fille, il faut bénir Dieu qui a voulu le voyage. Espérons, si mon infidélité n'y met empêchement, qu'il réussira fort à sa gloire et au bien de cette maison et de celle de Lyon. Il y a beaucoup de bonnes âmes ; mais, mon Dieu ! qu'elles sont dignes de compassion ! J'espère que sa Bonté accommodera tout par une bonne Supérieure. Priez bien pour moi, vivez joyeuse et soyez soigneuse de votre santé. — Moulins, 16 août 1641.

Cette lettre est formée de trois post-scriptum ajoutés par la Sainte aux lettres qu'elle faisait écrire à la Mère de Rabutin, pendant son dernier voyage. [483]

LETTRE MDCCCXXIV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

État du monastère de Bellecour. — Admirables recommandations sur la charité. — Le cardinal n'a pas permis à la Sainte d'aller au monastère de l'Antiquaille. — Voyage de la Supérieure de Mâcon à Lyon. — Retard de la prise d'habit de madame de Montmorency.

VIVE † JÉSUS !

Moulins, 17 août 1641.

Ma très-chère mère,

Nous voici arrivées heureusement, grâce à notre bon Dieu, et avons laissé nos bonnes Sœurs de Lyon pleines de courage de passer leur carrière en paix, et de vivre dans leurs observances et à la suite des attraits intérieurs que notre bon Dieu leur donne, plus exactement et fidèlement qu'elles n'ont fait ; car il faut avouer, ce qu'elles connaissent, qu'il y avait eu un peu de relâchement. Elles sont aussi résolues de rendre à notre chère Sœur la Supérieure leur devoir, comme aussi elle leur veut être Mère. Il m'est avis qu'à ce coup je l'ai mieux connue que je n'avais jamais fait ; mais nous en parlerons de vive voix, Dieu aidant. Toutes désirent, selon qu'il paraît, d'un merveilleux désir, qu'au retour j'y fasse quelque séjour ; il m'est avis qu'il y a, selon l'apparence, de la nécessité.

Je pense, ma très-chère Mère, qu'il sera bon que nos Sœurs de Nessy n'écrivent pas plus qu'elles faisaient autrefois, et ne fassent point de connaissances nouvelles ; cela paraît affecté, et toutes ces grandes joies de vous avoir, avec des protestes que celles de Lyon ne vous auront plus et semblables, ne servent qu'à multiplier les inutilités et amusements.

Je vous assure, ma très-chère Mère, que je pense qu'il serait bon que vous n'écriviez guère aux filles qu'en répondant et les encourageant au bien. Ma bonne Mère, vous ferez de tout ce que je vous dis comme vous le trouverez le mieux selon Dieu. [484] La Supérieure m'assure qu'elle vous chérit autant que jamais. Encore bien que peut-être cela ne soit pas, toutefois, si vous m'en croyez, vous traiterez avec elle comme si vous le croyiez, et ne ferez aucun semblant du contraire. Vous devez, ce me semble, pour l'amour de notre bon Dieu, oublier toutes les choses passées, en sorte que, dans les occasions mêmes, vous n'écriviez ni ne disiez rien du tout, qui tant peu que ce soit puisse paraître sortir de cette source ; car je vous assure, ma très-chère Mère, que pour vivre en paix il faut beaucoup passer de petites choses entre Dieu et soi, et ne pas relever tous les coups qu'on nous tire. — Mgr le cardinal n'a pas voulu que j'aie été à l'Antiquaille, dont nos Sœurs ont été touchées sensiblement, et moi, tendrement ; mais il n'en faut rien dire... La rencontre de ma Sœur la Supérieure de Mâcon [plusieurs mots illisibles] a bien fait philosopher, surtout M. Deville, si que l'on dit à ma Sœur Jeanne-Thérèse que cette rencontre n'était pas inopinée entre nous ; et, à la vérité, cette bonne Mère eût très-bien fait de ne pas venir, même que je n'ai connu en son voyage aucun légitime sujet pour rompre la clôture. Enfin il faut être plus considérée et retenue. Ils m'ont aussi dit la grande fâcherie de Son Éminence contre moi, touchant cette lettre que je vous écrivais, que je vous ferais élire en notre seconde maison de Nessy. Certes, je m'en ris avec M. Deville. Enfin, ma toute chère Mère, ils sont tous fort bons et bien intentionnés. Ne nous arrêtons à rien qu'à bien servir et faire la volonté de notre bon Dieu.

J'ai écrit jusqu'ici au logis du voyage, et je vous prie, ne m'écrivez rien de Lyon, car j'ai connu que nos marchands de Nessy donnent tous les paquets que l'on leur remet, chez nos Sœurs de Bellecour, et ne prennent garde quand ils s'adressent à M. Cœursilly.

Voilà notre bon M. Dupéron qui s'en va ; il vous écrira au long toutes les particularités du voyage qui s'est parachevé fort heureusement, grâce à Notre-Seigneur ; et certes, ma très-chère [485] Mère, Dieu me] fait voir qu'il a voulu que ce voyage se fît et pour Lyon et pour Moulins. Que s'il plaît à sa Bonté de continuer son assistance pour le bien de cette maison, il y a toute apparence que les choses se mettront en un état qui sera solide et constant ; les filles en ont un grand désir. Le principal est de les bien ajuster avec une Supérieure, et la Supérieure avec elles, car cela a manqué. Je trouve beaucoup de bonnes âmes et zélées pour leurs observances ; mais il les faut éclairer : Dieu nous assistera, s'il lui plaît, et nous ferons son bon plaisir. — La bonne et très-vertueuse madame de Montmorency sera un grand trésor dans cette petite Congrégation. Elle ne peut prendre l'habit qu'après la Toussaint, M. le prince l'ayant remise à ce temps pour conclure leurs affaires ; cela me donne de la peine, car je vois bien qu'elle ne serait pas contente, si je me retire, qu'elle n'ait entièrement disposé ses affaires et pris notre saint habit. Notre bon Dieu nous fasse la grâce de faire en tout sa très-sainte volonté ! et vous conserve et comble de son saint amour, ma très-bonne et chère Mère, et toutes nos Sœurs avec vous que je salue de tout mon cœur, toutes en général et chacune en particulier, les chérissant avec celle continuelle affection qu'elles vivent en l'union de la sainte dilection dans une exacte observance. Ma toute chère Mère, je suis incomparablement toute vôtre.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCXXV - À LA MÊME

La Mère de Chastellux va gouverner la communauté de Semur.

VIVE † JÉSUS !

[Moulins, 1641.]

En votre absence, ma très-chère fille, j'ai trouvé beaucoup de soulagement à parler de mon intérieur à la Sœur de [486] Chastellux. C'est une âme droite, sincère, qui a de grandes lumières et qui est bien pleine de Dieu. Nos Sœurs de Vannes et nos Sœurs de Semur, sachant qu'elle était déposée, l'ont élue ; mais comme elle ne peut être que pour une maison, j'ai prié Mgr d'Autun de donner son obéissance pour la maison de Semur.

LETTRE MDCCCXXVI - À LA MÈRE LOUISE-EUGÉNIE DE FONTAINE

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

La Sainte est disposée à faire le voyage de Paris.

VIVE † JÉSUS !

[Moulins], 20 août [1641].

Ma toute chère fille,

Je répondrai à votre lettre par le bon M. Rioton, étant si fort accablée d'écritures que je n'ai encore bien su commencer la besogne pour laquelle on m'a appelée ici, qui n'est pas petite pourtant. Notre bon Dieu, qui sait faire des beaux ouvrages par des chétifs outils, bénira tout et fera sa volonté pour ce béni voyage de Paris, duquel je vois bien, ma très-chère fille, que je ne recevrais pas moindre consolation que vous toutes ; car Dieu sait en quel rang votre maison est dans mon cœur et les âmes particulières, surtout votre pauvre et très-chère Sœur H. A., que Dieu par sa bonté bénisse de sa sainte grâce et nous la conserve. Je ne doute pas que la consolation de me voir ne lui fût très-grande, et pour moi je l'aurais de même. J'espère que Mgr de Genève ne dira pas que non ; mais en tout la très-sainte volonté de Dieu soit faite ! Je suis en son amour toute vôtre, et à nos chères Sœurs, que je salue cordialement. Notre-Seigneur fasse abonder ses grâces sur toutes. Je suis vôtre de cœur, ma très-chère fille. Amen.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans. [487]

LETTRE MDCCCXXVII - À LA MÈRE FRANÇOISE-MADELEINE ARISTE[113] ET À LA MAÎTRESSE DES NOVICES

À TROYES

Joie de voir les bons rapports du monastère de Troyes avec le deuxième de Paris. — Supporter les esprits faibles. — Message pour la Mère M. de la Trinité. — Une élection doit se faire prochainement à Moulins.

VIVE † JÉSUS !

Moulins, 20 août [1641].

Mes très-chères filles,

L'union que Dieu a mise en vos deux chers cœurs me donne la confiance de ne faire qu'une lettre pour la chère Mère et pour la chère directrice, d'autant que nous avons à répondre à fort grande quantité de lettres. Je vous dis donc, mes très-chères filles, que je suis fort consolée de voir la cordialité et bonté avec lesquelles vous êtes avec la bonne Mère du faubourg Saint-Jacques (deuxième monastère de Paris), et elle avec vous. C'est [488] ainsi qu'il faut faire, demeurant toujours contentes de tout ce que Notre-Seigneur permet qu'il en réussisse. Pour moi, mes très-chères filles, je pense que vous ferez bien de garder cette pauvre Sœur, car partout il faut porter sa croix ; elle n'en aura pas moins dans un autre monastère que dans le vôtre, et cela donne toujours ouverture à quelque autre de faire la même demande.

Nous ne manquerons pas de faire prier Dieu pour la Révérende Mère de la Trinité ; faites-la saluer de notre part très-cordialement. Faites bien l'une et l'autre votre possible afin que, s'il se peut, cette Sœur Anne-Thérèse puisse pacifier son esprit. Je vois bien par les vôtres que vous le faites déjà, mais je ne laisse de vous le recommander, car il faut avoir un grand support pour ces pauvres esprits ; ne vous mettez pas beaucoup en peine de ce qu'elle vous dit, car elle en dirait autant à toute autre Supérieure. Au reste, je prie ma chère Sœur la directrice de ne se point tant lamenter de ce que je suis venue à Moulins ; ce n'est pas pour y être Supérieure, car nous en faisons élire une jeudi prochain.[114] S'il plaît à Dieu, nous espérons retourner à notre cher monastère après que nous aurons fait ici ce pour quoi nous y sommes venue, qui ne sera pas si tôt. Faites-moi toujours bien la charité de prier Dieu pour moi, et faites que nos chères Sœurs professes et novices le fassent aussi, afin que j'accomplisse parfaitement la sainte volonté de notre bon Dieu. Je le prie de vous combler toutes de son saint amour. Je suis en Lui, mes très-chères filles, votre, etc.

[P. S.] Ma très-chère fille, nous venons de recevoir celle que ma chère Sœur la déposée m'a écrite pour accompagner celle de cette bonne Sœur à laquelle je fais réponse. Je vous dis tout confidemment, ma chère fille, que je serai bien aise que l'on ne m'écrive que pour les choses absolument nécessaires pendant que je serai ici, à cause que je m'y trouve un peu accablée [489] des visites et des écritures, n'ayant pas en ce lieu des personnes qui nous y puissent soulager ; et, pour moi, je n'ai pas même le loisir de dicter mes lettres, tant l'on m'accable au parloir. Faites-moi savoir s'il est nécessaire que je fasse réponse de ma main à votre Père spirituel ; craignant de ne le pouvoir faire, j'emprunte la main d'une de nos Sœurs. Nous ne manquerons pas de faire prier Dieu pour la bonne Mère de la Trinité ; saluez-la de notre part fort cordialement.

LETTRE MDCCCXXVIII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Procession de La Roche au tombeau de saint François de Sales. — La duchesse de Montmorency ne peut prendre l'habit de novice que l'année prochaine. — Instances faites pour obtenir que la Sainte aille jusqu'à Paris. Désir de connaître la volonté des Supérieurs à ce sujet. Au retour du voyage la duchesse entrerait au noviciat : bel éloge de ses vertus. — Nécessité de passer l'hiver à Moulins.

VIVE † JÉSUS !

[Moulins, 1641.]

Ma très-chère Mère,

Nous reçûmes hier vos chères lettres par ce bon ecclésiastique. Je bénis Dieu de votre bonne santé et du contentement que nos pauvres chères Sœurs vous donnent : si je pouvais les aimer davantage, je le ferais pour cela. Hélas ! qu'elles sont heureuses de vivre dans cette sainte paix et joie par la fidèle observance ! Je prie Dieu leur augmenter ses saintes grâces, afin qu'elles y cheminent toujours plus simplement, plus humblement et fidèlement, et leur conserve en santé la bonne guide que Dieu leur a donnée.

J'ai bien eu de la consolation de ce que Voire Charité me dit de la procession de La Roche.[115] Voilà comme notre bon Dieu [490] exalte les humbles : ce béni Saint s'est tenu caché, et Dieu ne peut s'arrêter de le magnifier ; bénie en soit éternellement son infinie Bonté ! — Je ne pensais pas vous écrire si tôt, car les visites m'emportent mon temps ; mais deux choses m'y portent, la première qu'avant-hier madame de Montmorency, qui est une âme incomparable, me dit les raisons pourquoi elle ne pouvait prendre l'habit, ni disposer de ses affaires qu'au commencement de l'année, que néanmoins elle ferait ce que je lui dirais, car elle a une soumission admirable. Or, considérant que si elle prenait l'habit devant le susdit temps, elle perdrait peut-être plus de quatre-vingt mille francs, je lui dis qu'il fallait avoir patience, ce qui ne sera pas difficile, mais oui la suite ; car sans doute, ma très-chère fille, elle serait tout à fait désobligée si nous nous retirions avant qu'elle fût vêtue, et eût satisfait à ses pieux desseins pour la distribution de son bien, où elle désire que mon petit avis l'assiste. Outre cela, ma chère Mère, je vous dis devant Dieu que je crois que cette maison a besoin que j'y passe l'hiver ; je ne puis écrire le sujet, vous le pouvez deviner. Je n'ai encore jamais rencontré rien de tel que quatre filles qui sont céans. La communauté est bonne assez, mais a besoin d'être bien ajustée : voilà pour cette maison ce que j'en peux connaître.

Pour le second point, c'est le sujet pour lequel M. Rioton, confesseur de nos Sœurs de Paris, est ici arrivé, qui m'a dit que l'on en avait écrit amplement à Monseigneur ; à moi l'on fait le même. La reine, Messeigneurs de Sens et de Châlon et nos deux monastères disent merveilles, surtout Mgr de Sens qui viendrait ici, s'il n'avait les arrêts de demeurer en son diocèse et que je n'aille à Paris. C'est donc à nos Supérieurs et à vous, ma très-chère Mère, de résoudre de ce que devant Dieu vous jugerez être plus à sa gloire pour ces deux points-là ; et puis vous en ferez savoir la résolution au plus tôt, en cas que l'on détermine que nous allions à Paris. Nous emploierions à cela [491] le mois d'octobre pour être ici devant la fin de novembre et y passer l'hiver, selon le désir de notre très-vertueuse madame la duchesse que nous mettrions alors à son essai, et lui servirais de directrice, quoique très-indigne et fort éloignée de sa vertu ; car vraiment, ma très-chère Mère, c'est une grande âme, solide, généreuse, profondément humble et ornée de toutes vertus. Croyez que notre bon Dieu en cette occasion nous fait bien voir le soin paternel qu'il a de notre petit Institut ; car cette chère âme sera une forte colonne en toutes façons pour soutenir notre petite Congrégation. Ma très-chère Mère, ayant dit mes pensées et ce que l'on désire, je demeure en paix et indifférente à tout ce qu'il plaira à Notre-Seigneur me commander par nos Supérieurs. Sa divine Bonté vous comble de son saint amour, et toutes nos chères Sœurs que je salue avec vous de tout mon cœur, tout à part notre très-honoré et très-cher Père M. le doyen auquel je ne puis écrire, mais je vous supplie lui communiquer cette lettre, afin qu'il en juge, Je suis de cœur incomparable toute vôtre, ma très-chère Mère.

J'avais écrit hier jusqu'ici, ma très-chère Mère, quand ce malin j'ai reçu les vôtres du 17 d'août, où je vous vois fort alarmée sur ce qui me touche, ne voyant pas qu'il y en ait du sujet, sinon votre grand amour pour moi, et de nos chères Sœurs. Ne soyez point en peine, ma bonne Mère, ni n'appréhendez rien, ni la longueur de notre séjour, car, avec la grâce de Dieu, je n'en séjournerai pas un jour de plus, pour aller contenter tant de personnes de piété ; car toujours fallait-il passer ici l'hiver, ou tout gâter et rendre notre voyage inutile. Je vous prie que l'on ne fâche point Monseigneur sur ce sujet ; certes il ne peut pas éconduire tant de personnes. Ma très-chère Mère, consolez-vous, et priez seulement Notre-Seigneur de me tenir toujours de sa sainte main et qu'en tout je fasse sa sainte volonté. Je le supplie de vous combler de son saint amour et toutes nos Sœurs. [492]

Ma très-chère Mère, madame de Montmorency désire que l'on tienne secret son dessein de prendre l'habit de Religion.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCXXIX - À MONSEIGNEUR J. -J. DE NEUCHÈZE

SON NEVEU, ÉVÊQUE DE CHALON

Promesse de passer à Châlon en rentrant à Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Moulins, 1641.]

Mon très-honoré et très-aimé seigneur,

Véritablement, j'ai un si tendre sentiment pour vous et un désir si intime de votre vrai bonheur que je ne le puis exprimer, et ce m'est aussi une fort douce consolation de voir la bonté et douceur de votre cœur pour moi. Ne doutez donc pas, mon très-cher seigneur, qu'avec très-grande affection je n'aille passer vers vous, retournant à Annecy ; mais il faudra, s'il vous plaît, que vous et ma Sœur la Supérieure [de Châlon] le demandiez à Mgr de Genève, qui sans doute ne vous refusera pas, et ne sera pas besoin que vous m'envoyiez les lettres : faites-les tenir droit à Annecy. Ne doutez point, j'irai de grand cœur à vous ; car il m'est avis que pour votre utilité spirituelle, si j'y étais propre, je voudrais faire et souffrir toutes choses possibles, tant j'ai d'ardeur et de désir de vous voir un vrai imitateur de notre Bienheureux Père !

Vous allez à Paris. Oh Dieu ! parlez à ces prélats qui assistèrent à cette perverse harangue dont Mgr de Sens nous fit le rapport ; et pour Dieu, animez votre cœur et celui de ceux que vous jugerez utiles à la défense de la véritable et toute sainte doctrine de la très-sainte Eglise catholique. Notre bon Dieu [493] détruira, s'il lui plaît, ses ennemis ou les convertira : j'en supplie sa divine douceur et de vous combler de son saint amour. Si Mgr de Sens est encore là, je le salue avec un très-humble respect, comme aussi toute la troupe et chère famille de M. de Coulanges ; à part ma petite-fille. J'honore et chéris tout cela très-sincèrement et suis, mais de cœur, mon très-cher seigneur, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Lyon.

LETTRE MDCCCXXX - À LA SŒUR FRANÇOISE-MADELEINE DE CHAUGY[116]

AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Mort de madame de Chaugy. — Exhortation à se soumettre religieusement aux ordres de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

Moulins, 20 août 1641.

Ma très-chère fille,

Je n'ai pu répondre plus tôt à votre lettre, et je n'y voyais aussi point de pressante nécessité, puisque, par la divine grâce, vous êtes ferme dans les avis que nous vous avons donnés, et [494] que votre cœur est tout ouvert à notre bonne Mère de Blonay. Il faut souffrir en ce monde, mon cher enfant, qui d'une façon, qui d'une autre ; l'importance est de le faire doucement, amoureusement et avec une totale soumission au bon plaisir de Dieu, tirant ainsi profit de nos souffrances, selon sa sainte et divine intention. Il lui a plu de vous en donner un nouveau [495] sujet par le trépas de madame votre bonne mère, qui est arrivé depuis quelques jours chez ma fille de Toulonjon, qui en a reçu une touche incroyable, et, comme je l'espère, très-profitable pour son âme. Ma très-chère fille, il faut se conformer à la divine volonté en ces événements naturels, et calmer votre cœur et votre esprit en ne vous contentant pas de les faire soumettre aux ordres de Dieu, mais, s'il se peut, les leur faire agréer et aimer [496] pour rudes qu'ils vous paraissent. Quand nos parents partent de ce monde en bon état, c'est la plus douce consolation que nous puissions avoir. Notre bon Dieu lui fasse paix, et vous comble de son amour !

Je suis en icelui de cœur et d'âme toute à ma chère fille. Dieu soit béni !

Extraite de la Vie manuscrite de la Mère F. -Mad. de Chaugy gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [497]

LETTRE MDCCCXXXI - À LA MÈRE LOUISE-DOROTHÉE DE MARIGNY

SUPÉRIEURE À MONTPELLIER

Douleur d'apprendre les calomnies répandues contre une déposée, et les flatteries dont on a usé envers une Supérieure nouvellement élue. — Diverses affaires. — La prise d'habit de la duchesse de Montmorency est renvoyée à l'année suivante.

VIVE † JÉSUS !

Moulins, 25 août 1641.

Ma très-chère fille,

Dieu soit à jamais l'unique amour de nos cœurs ! Nous voici heureusement arrivées auprès de nos chères Sœurs de Moulins depuis le IIe de ce mois, grâce à Notre-Seigneur. Nous nous portons bien, mais avec tant d'occupations et de lettres à répondre, que j'ai prou peine à satisfaire à tout. Scion la promesse que je vous ai faite de voir à loisir votre grande lettre et y répondre, je le fais à présent qu'il se présente une assurée occasion.

Ma très-chère fille, je suis marrie de ce que Mgr d'Arles et ma chère Sœur A. F. [Bourgeat], à présent Supérieure d'Arles, vous ont parlé de la sorte de ma Sœur F. A. [Garin], voyant qu'eux-mêmes m'ont écrit des lettres si pleines des bons témoignages qu'ils me rendaient des vertus de celle chère Sœur, et surtout ma Sœur A. F. m'a fait semblant de m'écrire avec grande confiance, et même en particulier, ainsi que je l'en avais suppliée, en défendant à la Mère qui était lors, de ne point voir ses lettres. Elle me disait donc dans icelles des merveilles de l'union qui était entre elles deux, et le tort qu'on avait fait à celle bonne Mère. Je vous confesse, ma chère fille, que j'ai le cœur touché, crainte que Dieu ne soit offensé dans ces témoignages de confiance qui noircissent le prochain, et cela bien souvent pour se louer soi-même. L'on ne manqua pas après sa déposition de la très-bien humilier en rehaussant la nouvelle [498] élue avec des vers que ma Sœur F. -Emmanuelle avait apportés : chose tout à fait blâmable à une Supérieure nouvellement élue, de permettre qu'on lui fasse des applaudissements et des louanges qui rabaissent la déposée ; tout cela n'est que flatterie, vanité, propre intérêt des filles qui désirent gagner les bonnes grâces d'une Supérieure pour en avoir ce qu'elles prétendent ; que s'il ne leur réussit pas, elles sont les premières qui en savent dire leur sentence. J'ai été marrie que ma Sœur la Supérieure de Grasse se soit émancipée en ce point, et de quoi ma Sœur A. F. et elle se sont bien donné à boire par les louanges qu'elles se sont dites l'une l'autre. Je prie Dieu qu'il leur fasse la grâce de connaître ce défaut qui est bien éloigné de la vraie humilité, qui nous fait toujours estimer les autres au-dessus de nous.

Ce que je dis n'est pas pour nier que ma Sœur F. A. ait fait des manquements en sa charge, car il y a peu de personnes qui n'en fassent en ceci ou en cela, et si elle a cherché de la justification dans les calomnies qu'on lui avait mises dessus, je ne m'en étonne pas ; car croyez-moi, ma chère fille, les plus fins et ceux qui pensent être les plus vertueux y sont pris. Cela était bon pour notre Bienheureux Père ; mais il se trouve peu de personnes au monde qui soient parvenues à ce point. Le bon Père de l'Oratoire m'a aussi écrit fort amplement de la vertu et bonne conduite de ma Sœur F. A., me faisant savoir que si elle n'eût suivi son conseil, au lieu de celui de ma Sœur A. F., que jamais la maison d'Arles ne se fût remise au bon état auquel elle l'a laissée avant que partir.

Quant à la demande que vous me dites que Mgr d'Alby vous a faite et que vous me faites, je ne la vous puis résoudre à présent. J'en demanderai avis à quelques personnes et puis je le vous manderai. Je ne vous puis non plus encore rien dire touchant les desseins de madame de Montmorency, jusques au mois de novembre ; car elle ne peut avoir raison de M. le prince [499] qu'en ce temps-là, encore ne sait-on ce qu'il fera. — L'on m'a dit que Mgr de Montpellier était passé par Lyon. J'eusse bien désiré de m'y rencontrer en ce temps-là, car ce m'eût été grande consolation de le voir. Je vous supplie de le saluer en tout respect de ma part, en lui demandant sa sainte bénédiction avec humilité, pour moi. Au reste, ma chère fille, je suis bien aise de voir à présent votre maison avec un peu de fonds. Je ne puis écrire à ma Sœur M. -Marguerite [de Vallon], étant trop pressée, et puis votre douceur et bonne conduite sauront bien ramener en son devoir cette chère Sœur qui est bonnasse. Faites ce que vous pourrez pour son contentement, ainsi que vous savez devoir faire. Notre-Seigneur vous a donné de l'adresse pour cela.

Je vous assure, ma pauvre très-chère fille, que je suis si fort occupée, tant au parloir qu'à répondre aux lettres, qu'à peine puis-je faire dans cette maison ce pourquoi j'y suis venue. Si cela dure, je ne sais comment je ferai, car je n'ai pas ici des personnes qui s'entendent à en dépêcher comme notre Sœur F. M. de Chaugy. Nous ferons ce que nous pourrons, et le reste demeurera entre les mains du bon Dieu. Je n'ai pas encore pu entretenir à souhait noire bonne et vertueuse madame de Montmorency. Je ne vous dis rien d'elle, car elle ne fera rien de cette année. Elle ne désire pas qu'on sache qu'elle doit prendre l'habit ; aussi n'y a-t-il rien encore de résolu pour cela, au moins pour cette année.

Je salue toutes nos chères Sœurs et vous en particulier, vous souhaitant à toutes le sacré amour de Dieu et qu'il nous le donne aussi.

Tout à fait vôtre de cœur, ma très-chère fille.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [500]

LETTRE MDCCCXXXII - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Prière de ne lui écrire que pour choses très-importantes. — Élection de Sœur F. J. de Musy au monastère de Moulins. — Conduite à tenir envers quelques Religieuses.

VIVE † JÉSUS !

Moulins, 6 septembre 1641.

Ma très-chère fille,

Je prie Dieu qu'il soit l'unique amour de nos cœurs. J'ai reçu en ce lieu la vôtre datée du 29 juillet, et, depuis trois ou quatre jours, celle du 7 août, qui ont fait le voyage de Paris avant de venir à Moulins.

Voilà encore une lettre que j'écris à ma Sœur M. -Françoise. Je vous prie qu'elle ni autres vous ne les incitiez à m'écrire ; car il faut remettre tout ce qui se pourra jusqu'à notre retour en Savoie, tant à cause des grandes occupations que j'ai dans nos maisons où je suis, que pour les réponses qu'il faut faire aux lettres qui viennent des alentours de la France. Mandez-moi pourtant le plus souvent que vous pourrez, en peu de mots, comment vous vous portez, et demeurez dans cette espérance qu'avec l'aide et la grâce du bon Dieu nous vous reverrons. Je me porte si bien que j'admire de me voir, en l'âge où je suis, avoir une si bonne santé. Je crois que sa douce Bonté me la donne pour faire ce que je fais en ce lieu, car je n'ai jamais mieux reconnu la volonté de Dieu, en aucun de mes voyages, qu'en celui-ci, et j'espère qu'il en tirera sa gloire.

Nos Sœurs de ce monastère ont élu pour Supérieure ma Sœur Françoise-Jacqueline de Musy, la déposée de Montargis, laquelle, à ce que je puis déjà connaître, sera fort aimée et estimée de toutes nos Sœurs, à cause de sa grande bonté, simplicité, droiture et solidité en la vertu, et non pour la beauté extérieure. [501] Pour notre très-chère madame de Montmorency, c'est une âme de rare vertu, des plus pures, simples, et de grand jugement que j'aie encore vues. Elle ne peut prendre notre saint habit qu'au mois de janvier ; aussitôt après notre retour de Paris elle entrera à son essai. Elle ne désire pas qu'on le sache, c'est pourquoi [je vous prie], lorsque quelques personnes de dehors vous en parleront, de ne pas faire semblant de le savoir.

Je reviens à vous dire, ma très-chère fille, qu'il me semble que vous vous mettez un peu trop en peine de ma Sœur M. -Françoise, et que vous ne lui devriez pas faire faire de petites commissions par ma Sœur M. -Aimée ni par d'autres Sœurs, ni ne vous arrêter guère sur ce que l'on vous dira de sa part. Parlez-lui vous-même ; car il est à craindre que le faisant faire par une autre, cela ne lui enfonce plus avant dans le cœur l'impression qu'elle a que vous n'avez pas la confiance. Ayez patience et attendez qu'elle-même vous dise ce qu'elle aura sur le cœur : car tôt ou tard elle le fera, puisqu'elle a le fond du cœur bon. — Quand quelque Sœur dit ses incommodités à dessein de voir si la Sœur à qui elle les a dites les dira à la Supérieure, il est mieux de n'en pas faire semblant ; et même la Sœur à qui l'on prend la confiance de le dire devrait porter telle Sœur à dire simplement ses incommodités à la Supérieure : généralement parlant, il faut faire ainsi ; mais bien souvent il y a des occasions où il faut faite comme l'on peut, et selon que la charité dicte. — Nous pensons toujours de partir pour faire le voyage de Paris le 21 de ce mois, pour revenir sur la fin de novembre.

Depuis ceci écrit, j'ai reçu la vôtre datée du 20 août, où je vois une très-grande et précieuse grâce que vous avez reçue par les mérites de la très-sainte Mère de Dieu. Celui qui se fait sentir si présent à voire chère âme vous servira de perpétuel directeur, s'il lui plaît. — Ne permettez point à cette chère Sœur, qui est si attirée à ces spiritualités et unions, de faire tout ce [502] que la ferveur lui suggérerait : cela est dangereux. La nature est gourmande et se plaît à merveille ès délices spirituelles ou que l'on estime telles. Enfin, il faut alentir ces ardeurs sensibles et s'en divertir ; car plus les choses de Dieu sont simples, paisibles, et éloignées de ces sentiments, plus elles sont excellentes et solides.

Je vous prie, ma très-chère fille, ne soyez en peine de ce voyage, et n'allez point appréhendant des chimères, car je vous assure qu'il n'y a aucune apparence à tout cela. Priez fort Notre-Seigneur pour moi. Je supplie son infinie Bonté vous continuer ses saintes grâces et à toutes nos Sœurs que je salue de tout mon cœur ; et le bon M. Favier à qui je me confie ne m'oubliera pas dans ses saints sacrifices. Ayez soin de votre santé. Vous ne sauriez douter que je ne sois vôtre, puisque l'affection en est tout incomparable.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCXXXIII - À MONSIEUR PIOTON

CONFESSEUR DES RELIGIEUSES DU PREMIER MONASTÈRE DE LA VISITATION D'ANNECY

M. Marcher rentrera à Annecy avant l'hiver.

VIVE † JÉSUS !

[Moulins, 1641.]

Mon très-honoré et très-cher frère,

Je fus si fine que je ne vous dis point mes desseins de vous faire confesseur sans être martyr, car il eût été assez à craindre que vous ne nous eussiez fait de grandes difficultés, ce qui n'était pas expédient, puisqu'il en fallait passer par là. Vous verrez votre capitaine[117] avant l'hiver ; car dès que nous serons [503] de retour de ce béni Paris, où Dieu veut que nous allions pour quelques semaines, il s'en retournera à Nessy ; mais ne pensez pas vous tellement décharger que vous ne soyez toujours prêt à reprendre ce faix, qui certes soulage pour la bonté des âmes, n'est-il pas vrai, mon bon très-cher frère ? Oh ! je vous prie de ne m'oublier en vos saints sacrifices, puisque de cœur invariable je suis, mon très-cher frère, votre très-humble, etc.

LETTRE MDCCCXXXIV - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

La Sainte annonce son prochain départ pour Paris ; ce voyage sera utile à la gloire de Dieu. — Éloge de madame de Montmorency et de la communauté de Moulins. — Recommandations en faveur de quelques Sœurs d'Annecy.

VIVE † JÉSUS !

[Moulins, 1641]

Ma chère mère ma fille,

Dieu soit notre tout ! Je vous assure que, pour votre consolation, nous tâchons de vous faire part de nos nouvelles le plus que nous pouvons ; mais pour vous en faire avoir selon votre désir il faudrait envoyer des messagers exprès, car celui que l'on nous a envoyé de Paris a été cause que nous n'avons reçu des vôtres. Seulement jeudi dernier nous reçûmes toutes les lettres que vous avez écrites depuis notre départ de Lyon. Vous voyez donc qu'il faut avoir patience ; et croyez que pendant que l'on ne s'empresse pas à vous envoyer des lettres, c'est signe que tout se porte bien, car autrement l'on vous en ferait bien promptement avoir. Ne vous plaignez donc plus tant de cela.

Je vous prie, ma chère fille, d'agréer de bon cœur les voyages que Dieu veut que je fasse, puisque j'espère que sa douce Bonté en tirera sa gloire. Je n'ai jamais mieux connu la volonté de Dieu en mes voyages, comme je la connais en celui-ci, et si vous étiez ici vous m'exciteriez à demeurer autant qu'il serait [504] requis ; ou, si j'étais encore à Annecy, vous me presseriez vous-même à venir faire ce que Dieu requiert que je fasse pour sa gloire. Vous me donnez un peu de peine de me presser en toutes vos lettres de m'en retourner promptement, car vous devez être assurée que je ne m'arrête jamais hors de notre cher monastère d'Annecy, que le moins qu'il m'est possible. Et puisqu'il plaît à Dieu que nous fassions le voyage de Paris, je suis fort aise que les choses soient allées de la sorte ; car si l'on eût fait autrement, sans doute cela eût apporté de grandes longueurs, et par après il en eût toujours fallu venir là, étant à moitié chemin comme je suis. Et j'ai su du confesseur de nos chères Sœurs de Paris qu'il y a quelque besoin pour la gloire de Dieu que je fasse encore ce voyage ; et j'espère que nous le pourrons facilement faire devant l'hiver, partant d'ici le 20 de ce mois de [septembre], pour revenir à même temps dans le mois de novembre. Je leur ai mandé que l'on ne pensât pas à me retenir davantage. Assurez-vous que ces bonnes Mères de Paris n'ont point les prétentions de quoi on les [soupçonne]. J'ai vu l'une des lettres que vous leur écrivez, parce que Votre Charité nous l'envoya à cachet volant. J'eusse bien désiré que vous leur eussiez écrit d'un style plus cordial. Au plus tôt que vous pourrez, tâchez, je vous prie, de le faire, afin de réparer un peu cela. — Dans nos précédentes lettres j'ai répondu à ce que vous désirez savoir ; c'est pourquoi je n'en parle plus.

Si vous voyiez notre chère madame de Montmorency dans sa douceur, humilité généreuse, et dans sa souplesse et bonté, vous ne plaindriez pas le temps de notre séjour auprès d'elle ; et, de plus, je reçois une consolation très-grande de voir ce que Dieu a fait en cette communauté ; c'est un changement de sa dextre. Ces chères âmes se rendent pliables comme des enfants, et j'espère en la miséricorde de notre bon Dieu qu'à l'aide de la vertueuse Mère qu'elles ont élue, cette famille se rendra l'une des meilleures de l'Ordre ; mais il faut un peu de temps pour les affermir. [505]

J'en étais demeurée ici quand je reçus la vôtre du dernier d'août, qui me console de vous savoir en bonne santé et toutes nos chères Sœurs. J'en remercie Notre-Seigneur, et le supplie vous continuer toutes ses saintes grâces et redonner à notre pauvre Sœur J. -Colombe [de Lacombe] son esprit. Hélas ! que notre misère est grande ! C'est une âme si innocente, que cela me sert d'un grand soulagement. Pour sa peine, il n'en faut guère parler parmi les autres Sœurs. Je m'assure, ma très-chère Mère, que vous prenez bien garde à ces pauvres Sœurs qui sont peinées, comme nos Sœurs F. -Dorothée [Longis], F. -Innocente [de la Fléchère] et J. -Françoise de Vallon, quoique leurs peines soient bien différentes les unes des autres. [Plusieurs lignes illisibles.] Pour ce qui est de votre Sœur l'économe, il est vrai qu'elle est un peu rude, quoique bonne de cœur. Il y a de certaines Sœurs qui ne se contentent guère de toutes les économes, sinon qu'elles adhèrent à tout ce qu'elles veulent, ce qui n'est pas toujours expédient. Vous ferez bien, ma chère Mère, de ne pas croire tout ce que l'on vous en dit, mais de l'examiner, afin que vos douces corrections profilent à celles qui seront coupables.

Je prie notre Sœur J. -Thérèse [Picoteau] de suppléer à ce que je ne puis vous répondre, ayant fort peu de loisir ; mais seulement je vous dirai, ma bonne Mère et très-chère fille, que je ne pense pas que vous puissiez avoir un plus juste désir de mon retour que je ne l'ai ; mais, par la divine grâce, je crois bien que ni vous ni moi ne voulons ni ne devons laisser la volonté de Dieu poursuivre nos inclinations. Je ne connais pas avoir usé de feinte en votre endroit. Je ne savais certes le juste sujet que je trouve ici de m'y arrêter plus longtemps que l'obédience ne porte et d'y passer l'hiver, ni non plus la dépêche que nos Sœurs de Paris firent à Monseigneur, ni les personnes qu'elles emploieraient pour m'obtenir. Je pensais bien, comme je l'ai eu dit, qu'elles feraient tous leurs efforts pour m'avoir, puisque je venais jusqu'à moitié chemin, et je dis aux Supérieurs que [506] je n'y savais point de nécessité. Que pouvais-je faire autre chose ? outre que cela n'allonge pas notre séjour. La simplicité avec laquelle j'écris mes pensées a donné ces soupçons. Je suis toute vôtre, ma très-chère Mère et fille.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCXXXV (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-FRANÇOISE DE PRA[118]

AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Remèdes contre les tentations.

VIVE † JÉSUS !

Ma chère fille,

Vous ne trouverez point de meilleur remède à vos peines que la patience, l'humble soumission a Dieu, l'absolu retranchement des réflexions et regards sur vous-même et sur ce qui se passe [507] en ces peines, et joindre à cela le divertissement à des occupations extérieures ; mais surtout une ferme résolution de ne point offenser Dieu, et de vous appliquer fidèlement à l'observance de vos Règles et à la pratique de toutes vertus, selon les occasions que Dieu vous en fera rencontrer. Et je vous redis encore aujourd'hui ce que je vous disais à mon départ de Nessy : plus vous parlerez de vos peines, plus vous les mettrez dans [508] votre imagination, où elles vous feront toujours plus de peine. Quand on les a une fois bien fait entendre, il doit suffire, et devons appliquer les remèdes qui nous sont donnés ; car cela ne guérira pas à force de parler, mais quand il plaira à Dieu ; et rien, à mon avis, ne vous soulagera que la fidèle pratique de ce que je vous ai dit ci-dessus.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCXXXVI - À MADAME LA COMTESSE DE TOULONJON

SA FILLE, À ALONNE[119]

Elle lui annonce la visite de M. Marcher et la prie d'aviser aux moyens à prendre pour se ménager une entrevue.

VIVE † JÉSUS !

[Moulins, 1641.]

Ma très-chère fille,

Je vous ai déjà écrit deux ou trois fois comme nous étions ici, et en espérance de passer à Paris, et de partir pour cela le jour de saint Mathieu ; mais nous serions toujours en peine pour ne recevoir vos lettres. Nous avons prié M. Marcher de vous aller trouver. Vous verrez avec lui comment nous pourrons nous ajuster pour recevoir la chère consolation de nous voir un peu à loisir. Certes, je n'en ai guère ici ; d'aller aussi à Saint-Satur, pour y rester plus d'une nuit, je ne le puis pas. Il faudra que vous regardiez ce qui vous sera plus commode. Si vous venez ici, nous vous donnerons tout le temps que je pourrai. Croyez que ce sera de bon cœur que je vous embrasserai et [509] vos chers enfants, et me fera grand bien aussi de voir le bon M. l'abbé [de Saint-Satur], qui m'a fait l'honneur de m'écrire une grande et très-cordiale lettre. J'espère lui répondre de vive voix. Je le salue en tout respect, et prie Dieu nous combler tous de son saint amour. Je suis votre toute cordiale mère.

LETTRE MDCCCXXXVII (Inédite) - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE RABUTIN

SUPÉRIEURE À THONON

Annonce de son départ pour Paris. — Maternels encouragements.

VIVE † JÉSUS !

Moulins, 20 septembre 1641.

Ma toute très-chère sœur et bien-aimée fille,

Il n'y a que peu de jours que je vous ai écrit et répondu à votre lettre. Maintenant, c'est seulement pour vous dire que nous partons demain, Dieu aidant, pour Paris. Ce voyage sera d'environ deux mois, lequel étant si long, pour la multitude des affaires, ne me laissera le loisir d'écrire à personne. Priez et faites prier pour nous, afin que tout ce que nous ferons soit à la gloire de notre bon Dieu, que je supplie vous continuer ses grâces et nous déjouir, sans nous tracasser de tant de reproches, lorsque sa Bonté se retire un peu de nous, selon qu'il nous semble. Croyez que de cœur incomparable je suis vôtre. Dieu soit béni ! Mille saluts à nos Sœurs et à M. votre confesseur.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.

Plusieurs billets de la Sainte insérés dans la Vie de la Mère de Rahutin et de quelques autres Religieuses de la Visitation ne figurent pas dans celle publication, parce qu'ils sont des fragments inexacts des originaux qui ont été fidèlement reproduits. [510]

LETTRE MDCCCXXXVIII - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Nouvelles du voyage. — Assurance île parfait dévouement.

VIVE † JÉSUS !

Nogent, 25 septembre [1641].

Madame,

J'avais grand désir de vous écrire à Nevers ; mais il ne me fut pas possible d'en prendre le loisir. Nous voici à la dînée, pour d'ici aller coucher à Montargis ; notre bon Dieu nous a amenée fort heureusement. Croyez, ma très-honorée et très-chère Madame, que nous demeurerons partout le moins qu'il me sera possible, sans toutefois faire tort à la charité où je connaîtrai qu'il sera nécessaire de l'exercer ; car je sais et crois que votre intention est que j'en use de la sorte. Ma très-chère et très-honorée Madame, Dieu m'a donnée à vous si intimement qu'il ne s'y peut rien ajouter. Je supplie son infinie miséricorde vous combler des grâces de son saint amour, et vous, ma chère Madame, de me recommander, s'il vous plaît, à sa divine Bonté, en laquelle je suis et serai à jamais de tout mon cœur, puisqu'il a plu ainsi à sa souveraine Providence, dont je lui en rends des actions de grâces infinies, Madame, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers. [511]

LETTRE MDCCCXXXIX - À LA MÈRE MARIE-AUGUSTINE D'AVOUST

SUPÉRIEURE À MAMERS

La Supérieure ne doit permettre aucune flatterie ou applaudissement autour d'elle. Utilité que sa présence apporte à la communauté. — Conseils de direction.

VIVE † JÉSUS !

Paris, 6 octobre 1641.

Ma très-chère pille,

Je viens d'entretenir M. le prieur qui s'en va à Moulins, j'ai reçu de la consolation de le voir et apprendre encore par lui de vos nouvelles. Il témoigne grande affection à votre maison ; mais ne m'ayant rien dit des six cents francs que vous lui devez, je n'ai pas eu sujet de l'inviter à vous en faire la charité, car cela n'eût pas été à propos ; il faut attendre que Dieu l'inspire à le faire. Je reçus à Moulins les lettres que vous pensiez déjà nous envoyer par lui.

Je bénis Dieu de quoi votre chère communauté marche avec gronde bénédiction ; vous avez bien raison de croire que je l'ai en particulière affection, car cela est très-vrai ; c'est le grand bonheur des Filles de la Visitation d'avoir une entière confiance et amour pour leur Supérieure. Je vous prie, ma chère fille, prenez garde que les témoignages de reconnaissance que les filles vous feront, soient à se rendre plus ponctuelles en leurs saintes observances, et non à vous faire des choses qui ressentent la flatterie ou applaudissement, et choses semblables qui ne sont que trop ordinaires aux filles lorsqu'on leur permet. — Je suis fort aise de quoi la très-sainte Vierge a apporté du soulagement à vos chères Sœurs qui étaient malades ; je lui en rends grâces de tout mon cœur, et à notre bon Dieu surtout de quoi vous vous portez mieux, en sorte que vous pouvez assister ès communautés, car il est presque impossible que les communautés [512] ne reçoivent grand préjudice lorsque les Supérieures en sont exemptes pour un ordinaire.

Pour ce qui est de votre intérieur, je n'ai que ce mot à vous dire, qui est que les âmes qui se sont données tout à Dieu ne se doivent point retourner à elles-mêmes pour voir ce qui se passe en elles, ains recevoir également tout ce qui leur arrive de la part de Dieu, soit afflictions ou consolations, se soumettant en tout à sa très-adorable volonté en faisant tout le bien qu'elles peuvent. Voilà, ma fille, ce que je désire que vous fassiez, en priant bien Dieu pour moi et toutes nos chères Sœurs aussi. Je les salue et suis d'une entière affection, votre, etc.

[P. S.] Je vous prie, ma chère fille, si l'occasion se présente que vous revoyiez madame de V., de la saluer très-cordialement de ma part ; je la remercie du souvenir qu'elle a de moi.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans.

LETTRE MDCCCXL - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Désir de recevoir de ses nouvelles et de rentrer à Moulins à l'époque fixée.

VIVE † JÉSUS !

[Paris], 10 octobre [1641].

Ma très-honorée Madame,

Notre divin Sauveur vous comble de son saint amour ! Je trouve le temps bien long d'apprendre de vos nouvelles. Dieu me les donne telles que je les souhaite, s'il lui plaît ! De vous dire, ma très-chère Madame, combien il me tarde de recevoir la chère consolation de vous revoir, je pense qu'il serait superflu ; car votre bon jugement vous a fait voir, ce me semble, jusque dans le fond de mon cœur, combien sont grands et inexplicables le respect et la dilection que Dieu y a gravés pour votre chère [513] et digne personne. Mais il faut couler, car ici je n'ai quasi pas le loisir de respirer, tant le dedans et le dehors de la maison m'occupent. Dieu, par sa bonté, conduise tout à sa gloire, et me fasse la grâce de me voir auprès de vous au temps préfix ! Je le désire et l'espère, ou il ne s'en faudra guère. Ma très-honorée Madame, conservez-moi votre bon souvenir devant Dieu, et croyez que je suis invariablement et de cœur, Madame, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers

LETTRE MDCCCXLI - À LA MÈRE PAULE-JÉRONYME DE MONTHOUX

SUPÉRIEURE À BLOIS

Regret de ne pouvoir aller à Blois. — Autorisation à communier une fois chaque semaine de plus que la communauté.

VIVE † JÉSUS !

[Paris, 1641.]

Ma très-chère fille,

J'étais fort aise de savoir votre heureux retour en votre monastère.[120] Vous savez, ma très-chère fille, que je suis fort occupée, et partant vous m'excuserez bien si je réponds courtement à votre cordiale lettre, pour vous dire que nous ne passerons pas plus outre que Paris : mon obéissance ne me le permet pas. Et de plus, ma chère fille, vous pouvez bien penser qu'étant en l'âge où je suis, nous devons nous retirer le plus tôt que nous [514] pourrons au lieu où on me permet de passer l'hiver ; encore appréhende-t-on bien de me voir en chemin en cette saison. Nous espérons de partir de Paris le 14e du mois de novembre. — Ma chère fille, vous ferez bien de communier une fois la semaine de plus que la communauté, pendant que vous êtes en charge, afin de prendre des forces qui vous seront nécessaires. Je salue et embrasse toutes vos chères Sœurs, et leur souhaite les plus chères grâces du ciel et suis de cœur, ma chère fille, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie gardée à la Visitation du Mans.

LETTRE MDCCCXLII - À LA SŒUR GENEVIÈVE-DOMINIQUE FOREST

À MEAUX

Souvenir de maternelle affection.

VIVE † JÉSUS !

[Paris, 1641]

Bénie soyez-vous de Dieu, qui vous a donné des oreilles spirituelles pour entendre sa voix,[121] et un bon cœur pour accomplir sa sainte volonté. Je supplie la divine Majesté vous continuer ses grâces, et vous, ma fille, de me recommander souvent à sa divine miséricorde. Je vous remercie de votre beau signet pour notre Bienheureux Père. Je demeure toute vôtre en Notre-Seigneur.

Extraite de l'Histoire de la fondation de Meaux. [515]

LETTRE MDCCCXLIII - AUX SŒURS DE LA VISITATION DU MANS

Éloge de la Mère B. M. Bouvart. — Exhortation à vivre dans la parfaite observance, la pureté de cœur et la simplicité de vie. — Demande d'une communion générale pour le 23 janvier suivant.

VIVE † JÉSUS !

[Paris, novembre 1641.]

J'ai eu, mes très-chères filles, une grande consolation et satisfaction de voir votre chère Mère.[122] Vous avez grande raison de l'aimer et d'avoir une entière confiance en elle, car c'est une règle vivante, qui vous conduira selon les desseins de Dieu. Elle m'a témoigné avoir tout sujet de contentement de vous ; continuez, mes très-chères filles, à lui être entièrement soumises et obéissantes, vivant avec grande pureté de cœur et simplicité de vie, marchant dans la parfaite observance, intimement unies à Dieu et abandonnées à la divine Providence, vous reposant tranquillement en son sein paternel. Je communierai, comme vous le souhaitez, pour vous toutes, à qui je demande aussi une communion générale ce mois [de janvier prochain] au 23e duquel j'entrerai, Dieu aidant, en ma septante et unième année. C'est cet âge, mes chères filles, avec mes infirmités, qui m'ont ôté, aussi bien qu'à vous, la chère consolation de nous voir ; mais, comme vous dites bien, nous la recouvrerons, Dieu aidant, dans la sainte éternité, où toutes les petites Visitations seront rassemblées pour n'en faire qu'une grande.

Ma chère Sœur Marie-Augustine [Grasseteau] recevra ici mon très-cordial salut et l'assurance que je l'aime bien chèrement.

Extraite de l'Histoire de la fondation du Mans. [516]

LETTRE MDCCCXLIV - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS[123]

Départ de Paris. — Témoignage de respectueuse affection.

VIVE † JÉSUS !

[Paris], 8 novembre [1641].

Ma très-honorée et très-chère Madame,

Je reçus hier soir votre chère lettre, et sans aucun loisir je vous fais ce billet pour vous dire que lundi, Dieu aidant, nous partons et espérons aller renouveler nos vœux à Nevers, n'ayant su gagner ces deux jours, pour être juste en ma promesse d'espérance, et certes, ma très-bonne et très-chère Madame, pour l'extrême désir que j'ai de me revoir auprès de vous, à [517] qui j'ai laissé mon cœur et mes plus tendres affections, je vous en assure, et qu'invariablement et incomparablement je suis et serai sans fin, en vous souhaitant les chères bénédictions de Notre-Seigneur, ma très-chère Madame, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MDCCCXLV - À LA MÈRE LOUISE-EUGÉNIE DE FONTAINE

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

Affectueux messages. — Demande de deux exemplaires des Méditations pour la solitude.

VIVE † JÉSUS !

[Cosne], 19 novembre [1641].

Ma très-chère fille,

Nous voici arrivées à Cosne fort heureusement, grâce à Dieu, en espérance d'arriver demain, moyennant l'aide divine, vers nos Sœurs de Nevers. Je vous supplie de faire tenir promptement la ci-jointe à madame de Ville-Savin : c'est une réponse que je lui ai promise. Ma très-chère fille, il me tarde bien d'avoir de vos nouvelles et de celles de ma vraie très-chère fille H. -Angélique que Dieu nous conserve, s'il lui plaît, et il m'est avis que nous serons prou riches. Je la salue avec vous d'une affection incomparable et toutes nos bien-aimées Sœurs, à part notre Sœur l'assistante et la petite L. A. [de La Fayette]. Mon Dieu ! que mon Dieu bénisse tout cela des grâces de son saint amour ! Certes, ma fille, mon cœur est tout chez vous.

Notre Sœur l'assistante s'oublia de nous donner deux livres de nos Méditations ; nous en avons pris deux chez nos Sœurs de Montargis, et je vous supplie de leur en envoyer deux en la [518] place. — Bonjour, ma très-chère fille, et à ma très-aimée H. A., et à notre bon M. Vincent, quand vous le verrez, et au bon M. Rioton qui me contenta si fort quand je lui parlai, le trouvant tout de cœur pour votre bénite maison et pour tout l'Institut. Ma fille, priez pour celle qui est toute vôtre de cœur.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans.

LETTRE MDCCCXLVI - À MADAME LA DUCHESSE DE MONTMORENCY

À MOULINS

Arrivée de la Sainte à Nevers.

VIVE † JÉSUS !

Nevers, 21 novembre [1641].

Ma très-honorée Madame,

Nous arrivâmes hier soir, un peu mal faite d'estomac et toute lasse, ce qui nous fit résoudre, avec le désir de nos chères Sœurs d'ici, de nous reposer quelques jours, afin que vous me trouviez plus brave et plus gaie pour me revoir auprès de vous, que j'honore et chéris plus que ma vie, étant toute vôtre, tout entièrement.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MDCCCXLVII - À LA MÊME

Prière de lui envoyer une voiture pour se rendre à Moulins.

VIVE † JÉSUS !

[Nevers], 30 novembre [1641]

Ma très-honorée et très-chère Madame,

Votre douce lettre a pénétré mon cœur, que Dieu vous a tout dédié et tout à fait donné ; et je suis consolée de me sentir tout à fait vôtre, pour être plus intimement et invariablement [519] sans si ni exception, tout à fait à notre Dieu, avec vous ; car voilà notre unique et seule prétention, dont je bénis et remercie l'infinie Bonté.

Nous avions espéré et résolu d'être vers vous, ma très-chère Madame, ce mercredi soir, mais il me prit samedi un détraquement qui m'arrêta au lit tout le dimanche ; maintenant, grâce à Dieu, j'en suis quasi toute quitte. Là-dessus, nous renvoyâmes notre litière, de sorte que madame du Bouchage et nous, sommes espérant de votre bonté qu'elle nous enverra de bon cœur le carrosse : je ne les crains point, et ils me sont aussi aisés que les litières. S'il arrive ici samedi, nous serons vers vous lundi, Dieu aidant, ce que je désire fort. Cependant je prie son infinie Bonté vous combler de son saint amour, et suis en tout respect et de cœur, ma très-chère Madame, votre très-humble, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MDCCCXLVIII - À MONSIEUR BAYTAZ DE CHATEAU-MARTIN

DOYEN DE LA COLLÉGIALE DE NOTRE-DAME D'ANNECY PÈRE SPIRITUEL DU PREMIER MONASTÈRE DE LA VISITATION

Retour de M. Marcher à Annecy. — Madame de Montmorency est résolue de prendre l'habit religieux.

VIVE † JÉSUS !

[Moulins, 1641.]

Monsieur mon très-honoré Père,

Nous voici de retour à Moulins et en très-bonne santé, grâce à Notre-Seigneur, et je remercie sa bonté de ce qu'il lui plaît vous y maintenir, ainsi que notre chère Mère Supérieure me l'assure par ses dernières lettres.

Mon très-cher Père, notre voyage de Paris a été fort heureux, et, selon les apparences, utile à nos maisons ; notre bon [520] M. Marcher vous en dira les particularités ; il va jusqu'à Lyon conduire madame du Bouchage qui le désire, et de là à Annecy passer son hiver, si vous le jugez à propos, mon très-cher Père ; puis il nous reviendra prendre quand il plaira à Monseigneur et à vous. Cependant, j'espère que nous donnerons l'habit à notre chère madame la duchesse de Montmorency, qui est bien, tracassée de Messieurs ses parents[124] ; mais elle est si vertueuse qu'elle porte tout doucement, et demeure ferme en sa sainte prétention. Je prie Dieu, mon très-cher Père, de vous tenir toujours en sa sainte protection et vous conserver longuement en santé ; priez, s'il vous plaît, et je vous en supplie, pour celle qui est en tout respect et de cœur, Monsieur mon très-cher Père, votre, etc. [521]

LETTRE MDCCCXLIX - À LA SŒUR FRANÇOISE-MADELEINE DE CHAUGY[125]

AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Encouragement à profiter des lumières divines. — Éviter les retours inutiles sur soi-même. — Parole prophétique sur les épreuves réservées à Sœur F. -Madeleine.

VIVE † JÉSUS !

Moulins, 5 décembre 1641.

Ma très-chère fille,

Nous avons lu votre grande lettre de nos yeux, comme vous le désiriez, et j'y vois que la divine Bonté vous continue ses grâces et ses favorables consolations ; je l'en bénis, et remercie de tout mon cœur, et la supplie de vous donner une fidèle correspondance, et vous, ma fille, d'y apporter de votre part tout ce qu'un bon cœur comme le vôtre doit à une si grande douceur et débonnaireté paternelle, que celle de notre bon Dieu envers vous.

Or sus, je suis tort aise que vous m'ayez écrit au long les principaux mouvements de votre âme ; il n'est pas besoin que je réponde sur tous. Conservez invariablement la lumière que vous avez de regarder toujours Dieu en vos Supérieurs et Supérieures, et d'y avoir une égale soumission, respect et confiance, et vous expérimenterez combien Dieu a agréable que l'on se fie et repose en la fidélité de ses paroles. N'exaltez pas beaucoup vos sentiments en les poussant dehors ; car, outre qu'ils vous seraient souvent pénibles, aussi vous pourraient-ils laisser l'âme sèche ; il vaut mieux les retenir au dedans, toujours en vous calmant, adoucissant, simplifiant, et arrêtant votre esprit [522] en Dieu seul et non en ses dons. Cela veut dire qu'il ne faut faire aucune réflexion sur ce qui se passe en vous, pour voir ou connaître ce que c'est. Soyez, mon cher enfant, comme un vaisseau vide devant sa divine Bonté, pour recevoir ce qu'il lui plaira de vous donner, et ne permettez jamais à votre esprit aucun retour ni réflexion sur vous-même, ni sur ce qui se passe en vous. Je le répète, parce que si vous le faites d'une manière curieuse et pour vous satisfaire, outre que c'est un temps perdu, vous vous entortillerez et ouvrirez la porte à plusieurs tentations. C'en sont déjà bien quelques traces que ce que vous me marquez. Tranchez court à tout cela, ma fille, et n'y répondez rien, mais tournez-vous doucement en Dieu, vous contentant qu'il sache ce qui se passe en vous et comment il s'y passe.

Deux choses sont nécessaires : la première de suivre fidèlement votre attrait intérieur, car il est bon, et cela sans retour sur vous ; mais opérez les actes différents de vertus qui se présentent d'une étroite observance de vos Règles et de vos vœux, sans aucun relâche, gaiement et humblement, selon la lumière que Dieu vous en donnera. La seconde regarde les grands désirs que vous avez des austérités et des souffrances : ne les écoutez non plus, et soyez sûre qu'un jour viendra que vous aurez pleinement de quoi y satisfaire. Pour le présent, soyez fidèle à faire ce que vous devez, et à souffrir humblement et sans mollesse ce que Dieu vous présentera de moment en moment. En voilà prou jusque notre retour, s'il se fait comme nous pensons. Continuez à prier pour moi, qui suis toujours vôtre de cœur et d'âme, d'une affection tendre et invariable.

Extraite de la Vie manuscrite de la Mère Françoise-Madeleine de Chaugy, gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [523]

LETTRE MDCCCL - À LA MÈRE MARIE-HÉLÈNE DE CHASTELLUX

SUPÉRIEURE À SEMUR

Détails sur le voyage de Paris. — Nouvelles de la Sœur de Monsors.

VIVE † JÉSUS !

Moulins, 6 décembre 1641.

Ma très-chère fille,

Je sais qu'il fait grand bien à votre cœur de savoir un peu de nos nouvelles, et au mien, certes, de vous en dire et de vous demander aussi des vôtres. Nous voici, grâce à notre bon Dieu, de retour de notre voyage de Paris en assez bonne santé, après avoir été un peu travaillée de quelques [indispositions, qui m'ont contrainte de faire dix ou douze jours de séjour à notre monastère de Nevers, pour y reprendre un peu de force et de santé.

Je ne vous puis dire, ma chère fille, la consolation que j'ai reçue par toutes nos maisons où nous avons passé, ayant trouvé tant de bonnes âmes et si zélées pour l'exacte observance. Je n'ai pas oublié à Paris de parler à notre bonne Sœur de Monsors, en qui je trouvai un peu de difficulté pour sa vocation ; mais lui en ayant un peu parlé, elle a pris une bonne résolution, et je crois qu'elle sera ferme en sa vocation ; c'est un très-bon sujet. Elle est entrée avec son petit habit ; elle croyait prendre celui de novice, mais M. son père s'est trouvé absent, et dit qu'il veut qu'elle sorte pour être abbesse de Saint-Andoche. Je ne crois pas qu'elle se résolve à cela. C'est une fille qui fera très-bien, ainsi que je l'espère avec la grâce de Dieu, que je loue et bénis de tout mon cœur du contentement qu'il vous donne, ma très-chère fille, en la conduite de votre chère famille, ainsi que je l'apprends de nos bonnes Sœurs de céans. Je prie sa Bonté de répandre de plus en plus sur vous ses saintes bénédictions. Mille saluts à toutes nos chères Sœurs. Je les conjure [524] de continuer à soulager votre travail par leur fidélité à l'observance. Vous savez, ma très-chère fille, que c'est de cœur que je suis très-entièrement votre très-humble, etc.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d’Annecy.

LETTRE MDCCCLI - À LA MÈRE MARIE-AIMÉE DE BLONAY

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Bon état des monastères de Paris, Melun, Montargis et Nevers. — Éloge de Mgr de Sens et de saint Vincent de Paul. — Estime qu'inspire M. Marcher ; son prochain retour à Annecy. — Conseils de charité.

VIVE † JÉSUS !

[Décembre 1641]

Ma très-chère Mère et ma vraie fille uniquement bien-aimée,

Je commence à vous écrire par les chemins : ces billets sont les fruits du voyage, car vraiment je n'ai pas le loisir de respirer, quand je suis dans nos maisons. Enfin nous sommes parties de Paris, où certes j'ai reçu grande consolation de la bonté de nos Sœurs et de leur bonne observance. Elles m'ont témoigné un amour et désir de profiter de notre entrevue tout extraordinaire. Tout allait bien, mais j'espère en Dieu que tout ira encore mieux ; et, à le dire à vous, ma Mère et ma très-chère fille, il était expédient de faire ce voyage, et je crois que Dieu l'a voulu pour plus de bien que nous ne voyons. Les autres monastères de Melun et Montargis se ressentent du bonheur d'être sous la conduite de Mgr de Sens. Nevers va bien : notre passage a déjà servi et servira encore, comme j'espère.

J'ai eu la grâce de voir fort particulièrement Mgr de Sens, allant et retournant de Paris, étant venu exprès de Sens à notre rencontre. C'est un grand et ferme pilier de l'Eglise, qui, à mon avis, n'est pas au bout des persécutions ; car il n'est pas homme à plier sous le faix des contradictions ni à se rendre à ce qui serait tant soit peu contre la très-sainte Eglise et sa [525] conscience. Faites fort prier pour l'Église et pour ce bon prélat. J'ai vu aussi Mgr de Châlon qui veut vivre tout à Dieu, avec un peu de splendeur pourtant. M. Vincent est un saint, et ne se peut dire comme Dieu redouble son esprit sur lui et sur ses enfants.

Or sus, ma très-chère Mère ma vraie fille, nous voici enfin arrivées à Moulins très-heureusement le 2 de ce mois, et en parfaite santé, après avoir séjourné à Nevers dix ou douze jours, Dieu l'ayant [permis] pour le bien et consolation de ces chères âmes qui en ont fait, et dès notre premier passage, un profit incroyable. C'est une bonne famille, et où il y a nombre de filles d'espérance. Enfin, ma très-chère fille, il semble que Dieu a donné des bénédictions tout extraordinaires à ce voyage par les fruits qui en paraissent : et voilà comme ce souverain Maître fait ce qu'il lui plaît, par de bien pauvres et chétifs instruments.

Notre très-bon M. Marcher, qui sait toutes choses les plus particulières, vous les dira ; car c'est une chose extraordinaire que la confiance, estime et affection que tous les monastères lui ont et témoignent. Ils admirent sa grande discrétion, sagesse et retenue, et avec cela sa franchise et son zèle à dire ce qu'il faut, et qu'il pense être pour le bien de l'Institut et des maisons qui l'approchent. Chacun en voudrait bien avoir un semblable. Madame du Bouchage, que vous connaissez, désire qu'il l'aille conduire jusqu'à Lyon. Nous ne pouvons pas lui refuser cette courtoisie, et je crois que Monseigneur trouvera très à propos qu'il passe à Nessy pour aller porter de nos nouvelles plus amplement, et rendre un peu de devoir à son église et à sa petite bergerie : il lui fâche de nous quitter, mais cela me semble raisonnable. Il ne fait rien ici qu'un autre ne fasse facilement : vous le renverrez quand vous le jugerez à propos ; mais de tout l'hiver il ne me semble pas qu'il fût nécessaire. Quant à notre retour et où nous passerons, je laisse tout cela à Monseigneur et à vous.

Je n'ai point trouvé de lettre de M. Pioton : j'en suis marrie, car je voudrais bien savoir ce qui s'est passé à ce Fribourg. [526] Si le bon M. Pioton n'était instruit de l'habileté de l'esprit de M. M., je ne m'étonne pas qu'il ait trouvé que tout va bien. Mais, ma très-chère fille, lui pardonnerez-vous sa liberté d'ouvrir les paquets que les Supérieures m'écrivent sans lui faire voir son tort ? M. Pioton aura-t-il coulé cela avec sa douceur ? Je le trouve bien important, car cela peut être suivi de fâcheux effets. Hélas ! mon Dieu, ma Mère, gagnez quelque chose sur cet esprit-là, s'il y a moyen, car elle a de bonnes conditions, et si elle pouvait s'affranchir des autres ce serait un grand bien.

Notre Sœur la Supérieure de Lyon m'écrit aussi que vous n'écrivez point. Hélas ! ma très-chère Mère, je n'ai eu jamais l'intention de comprendre la Supérieure de Lyon au nombre de ses filles, quand je vous priai de ne leur écrire que lorsqu'elles le feraient ; certes, cela n'édifie pas, et je vous conjure, ma très-chère fille, d'écrire au plus tôt à la Mère de Bellecour quelque cordiale excuse, rejetant le sujet de votre silence sur ce que je vous avais écrit de ne point écrire aux Sœurs de Bellecour qu'en réponse, et que vous aviez pensé que je l'y comprenais. Enfin, ma très-chère fille, il faut regarder Dieu et l'édification du prochain, tâcher toujours de faire notre devoir selon cela, et supporter doucement que l'on ne le fasse pas envers nous ; car enfin le tort leur demeurera et nous pratiquerons la vertu. Je vous dis ma pensée comme à ma propre âme, vous chérissant comme cela, vous le savez, ma vraie très-chère fille. Je suis bien consolée du contentement que nos Sœurs vous donnent. Mon Dieu ! que cette troupe m'est chère ! Je la salue tendrement. Dieu la bénisse ! — 9 décembre.[126]

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [527]

LETTRE MDCCCLII - CIRCULAIRE ADRESSÉE À TOUT L'ORDRE DE LA VISITATION

Dernières recommandations de la Sainte à ses Filles : respect et déférence envers le monastère d'Annecy ; union cordiale entre les monastères pour s'entr'aider au besoin ; fidélité à garder les Règles et à vivre en simplicité, pauvreté, humilité, amour de l'abjection, charité sincère, etc. — Éloge de la duchesse de Montmorency.

VIVE † JÉSUS !

Moulins, 12 décembre 1641.

Mes très-chères et bien-aimées filles,

Me trouvant sur le lit du trépas, nonobstant et avec un très-grand désir de ne plus penser à chose quelconque qu'à faire ce passage en la bonté et miséricorde de Dieu, je vous conjure, mes très-chères filles, que, pour les affaires de l'Institut, l'on ne s'y précipite point, et que personne ne prétende d'y présider, mais de suivre en cette occasion, comme en toute autre, les intentions de notre Bienheureux Père, qui a voulu que le monastère de Nessy fût reconnu pour mère et matrice de tout l'Institut. Et je vous prie, mes très-chères Sœurs, de continuer en cette union, comme vous avez fait jusques ici, et que ces premiers et principaux monastères aient toujours soin des petits, et soient prêts, autant qu'il leur sera possible, de les secourir et assister charitablement. Je vous prie d'avoir soin de la paix de Dieu entre vous, et de l'union charitable entre les monastères, bonheur qui vous obtiendra de très-grandes grâces de Dieu.

Ayez une très-grande fidélité à vos observances, mes chères Sœurs : vous vous êtes obligées par vœu solennel à garder tout ce qui est de votre Institut, et les Supérieures de le faire garder. Prenez garde, mes très-chères filles, de ne pas ajuster vos Règles à vos inclinations, mais de soumettre humblement et [528] fidèlement ces mêmes inclinations à leur obéissance. Gardez la sincérité de cœur en son entier, la simplicité et pauvreté de vie, et la charité à ne dire et faire à vos Sœurs, je dis universellement, que ce que vous voudriez qu'elles dissent et fassent pour vous. Voilà tout ce que je vous puis dire, quasi dans l'extrémité de mon mal.

Mes chères filles, avant que de finir, il faut que je vous supplie et conjure d'avoir un grand respect, une sainte révérence et une entière confiance pour madame de Montmorency, qui est une âme sainte que Dieu manie à son gré, et à qui tout l'Institut a des obligations infinies pour les biens spirituels et temporels qu'elle y fait. Je vous estime heureuses de l'inspiration que Dieu lui a donnée : c'est une grâce très-grande pour tout l'Ordre et pour cette maison en particulier. Elle vit parmi nos Sœurs avec plus d'humilité, bassesse, simplicité et innocence que si c'était une petite paysanne. Rien ne me touche à l'égal de la tendresse où elle est pour mon départ de cette vie : elle croit que vous la blâmerez de ma mort. Mais, mes chères filles, vous savez que la divine Providence a ordonné de nos jours, et qu'ils n'en eussent pas été plus longs d'un quart d'heure. Ce voyage a été d'un grand bien pour les maisons où nous avons passé et pour tout l'Institut.

Ne soyez point en peine des lettres que vous m'aurez écrites depuis mon départ de cette vie ; elles seront toutes jetées au feu sans être vues.

Je me recommande de tout mon cœur à vos plus cordiales prières. J'espère en l'infinie Bonté qu'elle m'assistera en ce passage, et qu'elle me donnera part en ses infinies miséricordes et mérites ; et si je ne suis point déçue en mes espérances, je prierai le Bienheureux de vous obtenir l'esprit d'humilité et bassesse, qui seul vous fera conserver cet Institut. C'est tout le bonheur que je vous souhaite, et non point de plus grande [529] perfection. Je demeure de tout mon cœur en la vie et en la mort, mes très-chères et bien-aimées Sœurs,

Votre très-humble et indigne Sœur et Servante en Notre-Seigneur.

Sœur Jeanne-Françoise Frémyot,
de la Visitation Sainte-Marie. Dieu soit béni.[127] [530]

LETTRES SANS DATES

LETTRE MDCCCLIII - À MADAME ROYALE, CHRISTINE DE FRANCE

À TURIN

Remercîments d'une offrande faite au tombeau de saint François de Sales.

VIVE † JÉSUS !

Madame,

Nous venons de recevoir l'offrande que Votre Altesse Royale a envoyée à notre Bienheureux Père, votre grand et singulier Protecteur ; et au sortir de la très-sainte communion, que nous avons faite selon l'intention de Votre Altesse Royale, et de celle de Monseigneur votre fils notre aimable prince, je viens faire à Votre Altesse Royale mille très-humbles remercîments des charités qu'elle exerce envers ce monastère ; et j'ose quasi vous assurer, Madame, me confiant en la bonté de Dieu, que bientôt vous recevrez de sa divine douceur le centuple de vos charités, et que ce divin, Sauveur regardera les bonnes et chrétiennes dispositions du cœur de Votre Altesse Royale, et écoutera les instantes prières que lui font continuellement tant et tant de bonnes âmes, entre lesquelles, quoique nous ne méritions pas de tenir rang, j'ose néanmoins assurer Votre Altesse Royale, que comme elle n'a personne dans ses États qui lui soit plus obligé que nous, aussi n'en a-t-elle point qui soit plus constamment attaché à prier pour sa conservation, et à souhaiter perpétuellement devant Dieu ses bénédictions sur votre régence.

La confiance que votre cœur royal a daigné me donner par [531] sa suave débonnaireté envers moi, chétive, me fait prendre la liberté de vous supplier en toute humilité, Madame, qu'il vous plaise d'ordonner aux prédicateurs d'exhorter soigneusement vos peuples à l'esprit de pénitence, et à faire profit pour la vie éternelle des tribulations temporelles. Quand cela sera, l'intention de Dieu sera suivie, et après les troubles Il envoyera le calme. Il est le Dieu des armées, j'espère qu'il bénira celles de Votre Altesse Royale], et couronnera sa généreuse vertu de grands surcroîts de ses bénédictions. Ce sont les souhaits, Madame, de votre très-humble, etc.

LETTRE MDCCCLIV - À UN ÉVÊQUE

Réponse de la Sainte au sujet de l'éducation des jeunes filles.

VIVE † JÉSUS !

Monseigneur,

J'ai confiance que votre bonté qui a reçu nos chères Sœurs avec tant de clémence et de paternelle affection n'aura point désagréable que je prenne la hardiesse de lui offrir nos très-humbles remercîments, avec notre filiale obéissance et nos souhaits, à ce qu'il plaise à l'infinie Bonté d'être la récompense de tant de biens et de faveurs, dont votre débonnaireté a voulu obliger ces petites servantes de Dieu, et en leurs personnes toute notre Congrégation, qui vous en rendra une perpétuelle obéissance. Ma Sœur la Supérieure nous écrit que Messieurs de votre ville désirent bien fort qu'elles s'appliquent à l'éducation des jeunes filles ; je vous assure, Monseigneur, que, si notre condition nous le permettait, nous le ferions de tout notre cœur pour votre seul respect, bien que ce soit chose de grande distraction. Ce que nous pouvons contribuer en cela sans contrevenir aux intentions de notre saint Fondateur, nous le ferons [532] franchement. Je l'écris à nos Sœurs vos filles, Monseigneur, et je m'assure que vous jugerez que ces Messieurs s'en devront contenter. Je supplie derechef la divine Majesté de faire abonder sur votre digne personne, Monseigneur, les plus riches trésors de sa grâce, sur tout votre cher troupeau, et particulièrement sur cette nouvelle plante que votre bonté a mise au jardin de son Eglise, afin qu'elle fructifie à sa gloire et à votre consolation.

LETTRE MDCCCLV - À UN ÉVÊQUE

Prière de changer le confesseur d'un monastère de la Visitation établi dans son diocèse.

VIVE † JÉSUS !

Monseigneur,

La bonté que Notre-Seigneur a mise dans votre cœur, et la singulière affection que je sais que vous portez à mes plus proches me donnent confiance que vous ne désapprouverez point la liberté que je prends de vous supplier très-humblement de laisser à nos très-chères Sœurs, vos Filles de la Visitation de N., la liberté de ne se point confesser à M. N., qu'elles n'aient le bonheur et l'honneur de vous voir et vous faire entendre les justes raisons qu'elles ont de ne le pas faire ; car je suis très-assurée, Monseigneur, que quand vous aurez entendu leurs raisons, et ce qui se passe de la part de cet ecclésiastique, vous jugerez bientôt qu'il n'a pas l'humeur propre à être confesseur d'une maison religieuse. Pour ce qui est de son esprit naturel et manière de procéder, en ce peu de temps que je communiquai avec lui, je reconnus aussitôt qu'il n'était nullement convenable à l'office qu'il faisait chez nos Sœurs et l'écrivis à la Mère. Pour Dieu, Monseigneur, faites la charité à cette pauvre maison si affligée ; que si vos affaires ne vous veulent permettre d'aller là, faites-leur la grâce de leur envoyer [533] au plus tôt quelque ecclésiastique intelligent de notre manière de vie et vertueux, comme pourrait être M. N., afin d'examiner exactement les Religieuses, et connaître au vrai le procédé de notre Sœur la Supérieure et l'état du monastère, pour vous en faire un fidèle rapport, et j'espère, Monseigneur, que vous en recevrez un entier contentement. J'en supplie la divine Bonté, et de répandre les plus riches trésors de ses grâces et faveurs célestes sur vous, Monseigneur, à qui je suis en tout respect et soumission pour jamais, Monseigneur, votre, etc.

LETTRE MDCCCLVI - AU RÉVÉREND PÈRE BROSSARD

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

Recommandation en faveur d'un aspirant à la vie religieuse.

VIVE † JÉSUS !

Mon Révérend et très-cher Père,

Je loue Dieu qui me donne cette occasion de saluer Votre Révérence, et la ressouvenir de ma très-humble obéissance et du singulier respect que je vous porte devant Dieu, les abondantes grâces duquel je vous souhaiterai incessamment, selon ma petite portée, me confiant aussi, mon très-cher Père, que vous ne m'oublierez point devant cette infinie Bonté.

La charité que je sais être en votre cœur me donne la liberté de vous recommander ce gentilhomme et ses bonnes intentions. Il aurait un grand désir de se ranger en votre sainte Compagnie ; mais il n'ose quasi espérer un si grand bien, s'en reconnaissant incapable ; et cette humilité, ce me semble, est une grande bonne disposition, et [je] crois que les bonnes qualités dont Notre-Seigneur a gratifié son âme, et le soin que sa Providence paternelle a eu de lui, toucheront le cœur de Votre Révérence et la rendront affectionnée à sa consolation. Il a désiré que je vous déclarasse cette sainte intention ; et je le fais [534] simplement et avec toute confiance en votre bonté. Mon très-cher Père, je vous supplie avec le plus d'affection qu'il m'est possible, d'être favorable à ce vertueux gentilhomme. Je prie Dieu qu'il vous inspire, et à tous les Révérends Pères, ce qui sera pour sa plus grande gloire en cette âme-là. Je demeure sans fin et de tout mon cœur, mon très-cher Père, votre très-humble.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCLVII - À UN RELIGIEUX NOVICE

Moyen de distinguer les consolations célestes des illusions du démon.

VIVE † JÉSUS !

Mon très-bon et cher frère,

Je reçus seulement hier votre lettre, à cause de notre absence qui a été de quatre semaines. Je vous assure qu'en la lisant Notre-Seigneur m'a fait ressentir une très-grande consolation et mouvement de grâce et remercîment à sa divine Bonté, pour les miséricordes qu'elle répand sur votre chère âme. L'esprit malin ne donne point de telles amorces, mais il nous déçoit du bien ; au contraire, le très-débonnaire Sauveur répand ses parfums dans nos cœurs, afin que les jeunes âmes soient attirées à le suivre par les suavités de ses odeurs. Jouissez de ces faveurs avec une grande humilité, mon très-cher frère, et vous affermissez par le moyen de cette grâce, en la voie où Dieu vous a mise et en la pratique de toutes les vertus, et surtout au renoncement de vous-même, à la poursuite de l'union de votre âme avec Dieu, par la sainte oraison et totale remise de vous-même en ses mains. Cela fait, ne craignez point l'esprit malin, ains Dieu seul ; car Satan ne vous saurait nuire, voulant être tout à Celui pour lequel vous avez quitté toutes choses et vous-même. Allez fort simplement, ne faites guère de réflexions.

Je ne pensais pas vous tant dire, sachant qu'au lieu où vous [535] êtes, les meilleurs avis ne manquent pas ; mon affection que je sens toute maternelle pour vous m'a tiré ces paroles. Cependant je prie Dieu qu'il vous tienne toujours de sa sainte main, et vous conduise Lui-même jusqu'à la très-haute perfection qu'il requiert de vous. Je ne vous oublierai jamais devant sa Bonté ; ne m'y oubliez pas aussi, et croyez que de cœur je suis et serai toute vôtre, etc.

LETTRE MDCCCLVIII - À UNE PRIEURE DE CARMÉLITES

Extension que prend le culte de saint François de Sales ; envoi de ses reliques. — Réponse à la proposition d'une fondation.

VIVE † JÉSUS !

Ma révérende et très-honorée mère,

Notre bon Sauveur soit la paix et l'éternelle consolation de votre chère âme !

Nous avons reçu la vôtre avec un singulier contentement, nous étant avis que vous êtes notre bonne Mère Prieure, que nous avons eu le bonheur de voir autrefois en votre monastère de Bourges ; que si cela est, ma très-chère Mère, nous vous reconfirmons notre humble obéissance et sincère affection. Que si la mémoire me. trompe, nous ne laissons de vous offrir la même dilection, chérissant avec un honneur spécial tout ce qui est de votre saint Ordre. — Nous bénissons Dieu de la consolation qu'il nous donne de voir que par toute la chrétienté la sainteté de notre Bienheureux Fondateur est connue, révérée et invoquée. Les merveilles que Dieu a opérées par ses intercessions en une infinité d'endroits de la France, de l'Italie, et par deçà, sont en si grand nombre, que de toutes parts l'on vient révérer son saint corps en ce monastère, qui a le bonheur de posséder ce sacré trésor. Nous vous envoyons de ses reliques des plus précieuses que nous ayons ; nous mettons à part celles [536] de Mgr l'évêque auquel, en les présentant, nous vous supplions très-humblement de prendre sa sainte bénédiction pour tout ce monastère.

Pour ce qui est de mesdames ses sœurs qui désirent une de nos maisons en votre ville, nous ne savons quel lieu c'est, ni en quelle part ; mais puisqu'il y a un prélat qui y fait sa résidence et un couvent de votre saint Ordre, nous ne doutons nullement qu'il ne soit propre à ce dessein. C'est pourquoi, si Mgr l'évêque désire de nos Religieuses, nous en donnerons de bon cœur pour cela, pourvu que nous ayons un logement convenable pour ce commencement, qu'il y ait une église et ce que Votre Révérence sait être nécessaire pour les meubles des Religieuses et leur entretien, jusqu'à ce que la divine Providence donne moyen par la réception des filles de se pouvoir entretenir d'ailleurs. Et voilà, ma très-chère Mère, ce que nous en pouvons dire. Que si les bonnes affections de ces dames continuent et veulent réduire en effet, nous vous supplions d'en faire le traité comme pour vous. Que si Dieu donne acheminement à cette affaire, nous vous prions de nous en avertir et de nous faire savoir par quelle voie nous vous pourrons faire tenir nos lettres ; nous envoyons celle-ci à ma Sœur la Supérieure de Paris pour vous la faire tenir sûrement.

LETTRE MDCCCLIX - À UNE RELIGIEUSE CARMÉLITE

Le Traité de l'Amour de Dieu contient la solution de toutes les difficultés qui se rencontrent dans la vie spirituelle.

VIVE † JÉSUS !

Ma Révérende et très-chère Mère,

L'amour sacré de ce divin Sauveur règne en nos cœurs ! J'ai vu par la vôtre la singulière dévotion que vous avez à notre Bienheureux Père, et le profit que votre chère âme tire de son [537] livre de l'Amour divin. C'est un bon et solide directeur, qui conduit droitement à la très-haute perfection et union de nos âmes avec Dieu, et qui répond presque à toutes les difficultés qui arrivent en la vie spirituelle ; mais néanmoins, comme vous dites, ma très-chère Mère, c'est un grand bien que d'avoir quelque personne digne de notre confiance à qui nous puissions ouvrir nos cœurs, car notre bon Dieu permet quelquefois qu'il nous arrive des peines ou des consolations qui semblent nécessaires d'être communiquées. Toutefois, quand sa Providence nous prive de ce secours, nous devons croire que c'est pour un plus grand bien, et que l'amoureuse soumission à sa sainte volonté dans les souffrances intérieures nous est plus utile, pour une plus intime union, que la consolation de nous soulager en disant notre mal. Ce sacré livre de l'Amour céleste dit, que « quand nous sommes tombés dans les filets des afflictions, que nous ne devons point regarder nos pièges et nos aventures, mais Dieu, et le laisser faire ». Certes, qui pourrait tenir son esprit dans cet unique regard en Dieu et attendre en paix son secours, je crois que cela lui suffirait, niais c'est à cette divine Bonté de communiquer cette grâce quand il lui plaît. Je le supplie vous rendre de plus en plus toute sienne. Votre, etc.

LETTRE MDCCCLX - À UN GENTILHOMME

Saint Augustin ne conseillait à personne de se fixer à la cour.

VIVE † JÉSUS !

Monsieur,

Quand je reçus votre lettre, j'étais si mal d'une violente douleur de tête que je n'y sus faire réponse ; et maintenant je viens de communier à votre intention de tout mon cœur. J'ai recommandé de tout mon cœur aussi à Notre-Seigneur votre affaire, et supplié sa bonté de vous donner sa sainte lumière, pour [538] choisir non ce qui sera spécieux aux yeux du monde, mate ce que sa sainte Providence vous a destiné, qui est sans doute, selon mon sentiment, l'emploi le moins périlleux. Je pense avoir ouï dire que notre grand saint Augustin ne conseillait jamais à personne d'aller à la cour, au moins pour s'y engager. Je n'ose avec un si solide avis recevoir aucun sentiment contraire à cela, puisque Dieu m'a donné une affection de vous honorer comme un vrai frère. J'excepte toutefois un commandement ou une semonce cordiale, honorable ou avantageuse, faite par le seul mouvement du Souverain. Voilà pour ce point mes pensées, puisque votre bonté et humilité les désirent avoir.

Quant à l'autre parti, je le trouve incomparablement plus doux et désirable ; et même, Monsieur, le Père N... vous le proposant, je craindrais que derechef cela ne le rebutât contre vous. C'est un digne sujet pour vous faire monter à la place que l'on vous avait fait espérer ; car, communiquant avec ce bon Père dans la droiture, franchise et confiance, il ne tardera pas de reconnaître en vous les mêmes bonnes qualités et mérites qu'il y avait autrefois. J'espère en Dieu que vous reprendrez en son affection et estime la place qu'il vous y avait donnée. Certes, Monsieur, vous m'avez bien obligée de me faire savoir le retour de ce bon Père envers vous ; cela était tout à fait nécessaire pour votre paix. Dieu m'a donné un cœur qui me fera toujours prendre part à vos biens et à vos maux, bien que je vous sois tout à fait inutile : sa Bonté fasse abonder de plus en plus ses bénédictions sur vous et sur toute votre chère famille, spécialement celle de son saint amour et crainte filiale. Je suis et serai sans fin, Monsieur, votre, etc. [539]

LETTRE MDCCCLXI - À UNE COUSINE

Rien n'arrive que par la providence de Dieu. — Combien sont méprisables toutes les choses de ce monde.

VIVE † JÉSUS !

Madame ma très-chère cousine,

Je vous assure que votre lettre a touché mon cœur de compassion, vous voyant dans les peines et les pertes où vous êtes ; ce sont de grands exercices de patience. Mais, ma très-chère cousine, il faut regarder en cela le très-saint bon plaisir de Dieu pour s'y soumettre doucement ; car, puisque la foi nous apprend que rien, rien du tout ne nous arrive que par l'ordre de sa divine Providence, hormis le péché, nous devons croire et espérer fermement que c'est pour notre bien qu'elle dispose ainsi de nous. Cela ne peut être selon le goût de la nature et de la prudence humaine ; mais cela doit être selon l'esprit de la foi, nous confiant que Dieu fera tout concourir à sa gloire et à notre profit éternel, qui est ce que nous devons désirer souverainement.

Ma chère cousine, considérez quelquefois le soin que mon cher cousin et vous avez pris pour obtenir votre charge, qui n'est qu'une ombre d'honneur pour une vie périssable, où rien n'est certain ni stable ; et ensuite pensez à celui que nous devrions avoir pour acquérir les vrais honneurs et les biens de la sainte éternité. Mon Dieu ! quand sera-ce que les hommes deviendront sages, et ne s'amuseront plus comme des petits enfants à courir après les fantômes des grandeurs et des richesses périssables ! Je ne prétends pas blâmer les justes soins et désirs que l'on peut et l'on doit avoir de conserver les biens que Dieu nous donne, et de nous établir selon notre qualité dans les charges qui nous sont convenables, mais de s'empresser pour [540] cela, et de s'engager en de grandes difficultés, je crois que c'est s'y procurer de grandes croix. Or je pense que mon cousin et vous êtes trop sages pour avoir fait cela ; c'est pourquoi il faut supporter patiemment les peines que vous rencontrez et que vous n'avez pas pu prévoir.

Ce m'est une consolation très-grande de vous savoir dans la douceur de votre union fraternelle avec mon très-cher cousin, votre très-vertueux frère, et sa très-chère petite femme ; j'en bénis et remercie Notre-Seigneur, que je supplie vous combler tous de ses grâces, et je vous salue très-chèrement tous ensemble.

LETTRE MDCCCLXII (Inédite) - À UNE NOUVELLE CONVERTIE

Exhortation, à persévérer dans la foi catholique.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je bénis Dieu de la miséricorde qu'il vous a faite de vous avoir convertie à la foi catholique et supplie sa Bonté vous faire la grâce d'y persévérer, car je vous assure, au péril de mon âme, que vous êtes dans la vraie voie qui conduit à la bienheureuse éternité. L'Eglise catholique où vous êtes entrée est l'unique Épouse du Fils de Dieu et la vraie Mère de salut ; les ministres n'ont jamais su dénier cette vérité qu'elle est l'ancienne Mère Eglise en laquelle on peut se sauver. Demeurez donc fidèlement dans ce lieu de sûreté, et soyez humble et reconnaissante de la très-grande grâce que Dieu vous a faite, car je vous assure derechef, sur mon âme, que c'est la vraie voie.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Meaux. [541]

LETTRE MDCCCLXIII - À UNE COMMUNAUTÉ DE LA VISITATION

Quelles vertus sont les plus nécessaires aux Filles de la Visitation.

VIVE † JÉSUS !

Mes très-chères sœurs et filles bien-aimées en Notre-Seigneur,

Nous supplions le divin Sauveur de faire abonder en vous les dons sacrés de son Esprit. J'ouïs lire avec une tendre consolation celle que vous avez écrite à nos chères Sœurs de céans, lesquelles se sont acquittées de bon cœur de la commission que vous leur avez donnée de nous embrasser de votre part. Je leur ai rendu le réciproque avec un amour universel, par lequel, en esprit, je vous presse toutes ensemble sur mon sein, ou plutôt j'ai une entière affection et consolation de vous tenir toutes ensemble dans mon cœur et vous loger là, dans le plus intime de la sacrée dilection que Dieu m'a donnée pour toutes les Filles delà Visitation, auxquelles ce que je désire spécialement, c'est,

1° Une grande fidélité pour suivre amoureusement notre bon Dieu, par l'exacte observance de toutes les choses de l'Institut.

2° Une douceur cordiale pour aimer et supporter le prochain sincèrement.

3" Une totale dépendance de la conduite de la divine Providence...

Invoquez sur moi ses divines miséricordes, afin qu'il ne me prive pas du seul désirable bonheur de le louer et de l'aimer pendant l'éternité. Je demeure d'une affection incomparable, mes très-chères Sœurs et filles bien-aimées, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Marseille. [542]

LETTRE MDCCCLXIV - À UNE COMMUNAUTÉ DE LA VISITATION

Moyen d'acquérir l'esprit de la Visitation. — La simplicité doit reluire dans toutes les actions des Religieuses de cet Institut et surtout dans leur style.

VIVE † JÉSUS !

Je vous souhaite aussi, mes chères filles, par un réciproque, non les siècles de cette vie périssable, mais ceux de la bienheureuse éternité, après toutefois que vous aurez longuement et saintement rendu plusieurs bons services à Dieu, par une très-exacte observance. Notre Bienheureux Père disait que le grand moyen de prendre l'esprit de cette vocation était de bien pratiquer les instructions qui sont en icelle ; et vous savez que les principales sont l'humilité, l'anéantissement de soi-même et la sainte simplicité, qui retranche toutes sortes de vanités et propres recherches des satisfactions de soi-même. Si vous pratiquez bien cette sainte vertu, elle paraîtra en toutes vos actions et paroles. Surtout je vous désire la simplicité, qui est l'ornement des Filles de la Visitation ; car pour vous dire ce petit mot en passant, puisque la bonté de vos cœurs que le mien chérit parfaitement et sincèrement m'en donne la confiance, et que je crois que vous le voulez bien, je trouve votre lettre d'un bon style et bien coulant, mais avec des termes qui ne sont pas assez simples, ce me semble ; et c'est pourquoi je vous dis que je souhaite que ces saintes vertus reluisent en vos esprits, paroles et actions, et n'y ait rien qui ressente le bien dire, le bien écrire, le bien parler, et telles autres choses bien polies. Voire, je désire que nous paraissions plutôt grossières en toutes ces choses-là, que gentilles d'esprit. Je vous en conjure, mes très-chères Sœurs, et de prier notre bon Dieu pour moi, qui vous souhaite toute sainte perfection. Votre, etc. [543]

LETTRE MDCCCLXV - À UNE COMMUNAUTÉ DE LA VISITATION

Mépriser les écarts de l'imagination et obéir fidèlement à la Supérieure.

VIVE † JÉSUS !

Nous avons reçu tant de consolation, mes chères filles, en la lecture de vos lettres, pour y avoir vu les désirs que vous avez de vous avancer en la perfection de la sainte vocation où Dieu vous a mises, et l'affection que sa Bonté a répandue dans vos bons cœurs envers moi, quoique très-indigne, que je vous assure que j'en ai été excitée et fort émue à une grande tendresse et reconnaissance envers Dieu, de la grâce qu'il me fait, que toutes les Filles de cette Congrégation se tiennent si jointes et unies par la sainte dilection avec moi pauvre et chétive qui, en vérité vous dis derechef, suis très-indigne de ce bien, duquel j'offrirai en action de grâces à la divine Majesté, selon vos intentions une communion, vous conjurant toutes de me continuer l'assistance de vos prières, afin que je puisse bien employer le reste de mes jours au service de Dieu et de l'Institut auquel Il m'a destinée.

Et, de mon côté aussi, je supplierai Notre-Seigneur de vous faire à toutes la grâce de le servir avec humilité, simplicité et sincérité, regardant toujours, et cherchant purement Dieu et l'avancement de vos âmes dans la voie où II vous a mises, sans vous arrêter nullement aux discours et imaginations qui peuvent tomber dans vos esprits pour les troubler, ce que je dis, parce qu'il me semble avoir remarqué que plusieurs d'entre vous en sont travaillées. Cela est une marque que le malin esprit se jette dans vos âmes pour les obscurcir, et leur donner cet amusement inutile et préjudiciable à leur paix. Mais, croyez-moi, donnez-lui le déplaisir de mépriser tout cela, et n'en faire nul état, tâchant de vous tenir occupées en Dieu et en l'action, par [544] la fidélité des pratiques des vertus dans les occasions qu'il vous présentera, et vous verrez que vous en recevrez une grande utilité.

Au surplus, je vois que Dieu vous a donné une très-vertueuse Mère, et je reçois une grande consolation de remarquer par vos lettres l'amour et l'estime que vous avez pour elle, en quoi vous avez bien raison. Continuez donc, et suivez simplement et humblement sa direction, vous arrêtant toujours fermement à ce qu'elle vous dira sur vos petites difficultés ; car assurez-vous que Dieu ne manquera pas de lui donner la lumière nécessaire pour votre bien, pourvu que vous soyez fidèles à vous tenir unies avec sa Bonté, par l'exacte observance, qui est le grand bonheur que je vous souhaite, comme à mes très-chères filles, que j'aime certes cordialement et sincèrement, demeurant à toutes pour jamais, votre, etc.

LETTRES À DES SUPÉRIEURES DE LA VISITATION

LETTRE MDCCCLXVI

Conseils pour le bon gouvernement de sa communauté.

VIVE † JÉSUS !

MA CHÈRE FILLE,

Faites tant que vous pourrez toutes choses avec l'agrément des Sœurs, et ne vous étonnez point toutefois si quelqu'une contrôle vos actions. Souvenez-vous que Jésus-Christ, vrai Supérieur, n'a pas été exempt de censure. — Ne vous gênez point pour vos Sœurs conseillères ; communiquez-leur cordialement les affaires, et quand leur avis se trouvera dissemblable du vôtre, tâchez suavement, et non point mélancoliquement ni [545] impérieusement, de les faire joindre à vous. Non, je vous assure, ma fille, le Coutumier réimprimé n'entend pas que vous leur demandiez avis pour toutes ces menues occasions que vous me marquez, ni pour faire des présents de petite valeur, ce n'est que quand il s'agit de choses bien notables. — Ayez fort soin de la santé de vos filles ; il n'est pas croyable comme le soin cordial qu'une Supérieure prend d'elles les contente.

Ne souffrez point que plusieurs Sœurs s'empressent pour votre santé, et lorsque celles qui en ont le soin vous voudront faire quelque chose dont vous ne sentez pas avoir besoin, ne leur résistez pas opiniâtrement ni sèchement, mais en sorte qu'elles en demeurent plus édifiées que mortifiées. Ayez un soin raisonnable de votre santé, comme de celle des autres. Ne souffrez en façon quelconque, quand vous serez incommodée, que l'on vous fasse des délicatesses, car les servantes de Dieu doivent éviter de tout leur cœur tout ce qui ressent la sensualité, outre que telles petites choses ne sont pas bonnes à l'estomac ni à la santé ; mais souffrez qu'on vous donne du mouton, ou des œufs si c'est jour maigre, ce sont viandes propres aux infirmes. Ne prenez pas ceci à la rigueur, ma très-chère fille, ni pour le temps d'une grande maladie où la charité et le médecin doivent donner loi.

Ne veuillez autre gloire ni récompense que de Dieu. Ne faites point d'amis au dehors, pour vous, ni pour vous soutenir, mais pour la maison et le soutien d'icelle. [546]

LETTRE MDCCCLXVII

Ce serait contre la clôture d'ouvrir tous les jours la porte à une personne pour la faire manger et dormir. — Entretenir une union cordiale avec les Mères Bernardines. — La fidélité à se tenir dépendante de Dieu, l'humble et charitable support du prochain, la fermeté à maintenir l'observance sont les grandes vertus d'une bonne Supérieure. — Il ne faut dans les bâtiments du monastère ni cordons ni entablements de pierre de taille, excepté à l'église. Peut-on paver le cloître d'ardoises ? -

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

J'ai été très-aise d'entendre un peu de vos nouvelles et de votre chère petite troupe. Vous avez donc, par la grâce de Notre-Seigneur, mademoiselle votre sœur. Ce sont de bonnes conditions pour être Religieuse que d'avoir l'esprit sans finesse et duplicité, un naturel doux et qui comprenne les exercices spirituels. Vous me marquez bien quelques autres qualités de son esprit qui, si elles grossissaient, seraient fâcheuses ; mais il faut espérer que Dieu la perfectionnera par les exercices religieux ; car enfin, étant jeune, son esprit se fortifiera et affranchira de ses petites mélancolies, comme vous voyez qu'elle fait déjà. Je prie Dieu qu'il la rende sa bonne et fidèle servante, j'en aurai une spéciale consolation pour l'amour de vous.

Quant à cette bonne veuve, à la vérité, si le besoin de son fils l'oblige à avoir soin de lui, ce sera le mieux qu'elle sorte de chez vous. Que si elle y demeure, ce serait contre la clôture d'ouvrir tous les jours votre porte pour la faire boire, manger et dormir chez vous, et faudra tâcher d'alentir cela, et le régler à quelque jour de la semaine qu'elle pourra passer dans le monastère. — Je vous prie d'avoir, autant qu'il vous sera possible, une grande union avec les bonnes Mères Bernardines ; la Mère de [Ballon] est parente de notre Bienheureux Père ; et, de plus, Dieu s'est servi de lui pour donner les premiers mouvements de cette réforme, et nos Sœurs les ont servies pour les règlements et observances religieuses. [547]

Au reste, ma fille, assurez-vous que l'une des bonnes marques et dispositions qu'une âme puisse avoir pour le gouvernement, c'est de n'y avoir non-seulement point d'inclination, mais plutôt de la répugnance, par la connaissance qu'elle a de son incapacité, pourvu toutefois que cette répugnance soit accompagnée de paix et soumission, et qu'étant parvenue à la charge, l'on mette toute sa confiance en Dieu ; c'est ce que, par la grâce de Dieu, je vois être dans votre esprit. Voire règle particulière, et tant d'instructions qui sont dans l'Institut vous fourniront absolument de tout ce qui sera nécessaire pour être bonne Supérieure ; mais, en abrégé, je vous dirai que la fidélité de se tenir dépendante et proche de Dieu, avec l'humble et charitable support, et la fermeté accompagnée d'une parfaite douceur pour maintenir chacune dans le devoir d'une exacte observance, sont, ce me semble, les grandes maximes du bon gouvernement. Notre-Seigneur commande aussi à ses Apôtres d'apprendre de Lui à être doux et humbles, de cœur, et notre Bienheureux Père nous a laissé ces deux puissantes vertus pour fondement de l'esprit de notre Institut. — Je sais bon gré à nos Sœurs de vous avoir témoigné de la joie de votre élection.

Je vois que ce peu de bâtiment que vous entreprenez vous coûtera gros. Pour l'amour de Dieu, qu'il se fasse tout simplement ; qu'il n'y ait cordons ni entablements de pierre de taille, excepté à l'église ; car cela ne sert qu'à l'embellissement et non à la solidité. Je m'en suis fort enquise étant en France, à cause que les monastères que nous y avons vus ont tous ces embellissements. Je sais que les N. N. sont fort splendides en leurs bâtiments, et cette proposition de paver votre cloître d'ardoises le montre. Je ne crois pas qu'il le faille faire, [l'ardoise] étant rare en vos quartiers, bien qu'en des occasions il leur faille un peu condescendre, leur remontrant toujours la pauvreté et simplicité que vous devez garder, outre que vous êtes nécessiteuses, ainsi que vous m'écrivez, puisque tout votre fonds s'en ira au [548] bâtiment. J'espère en Dieu que le servant fidèlement dans vos observances, le pain quotidien ne vous manquera pas. Ayez confiance en la vérité de ses promesses ; car il a dit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes choses nécessaires à la vie vous seront données. » — J'estime grandement la paix et l'union dans lesquelles nos Sœurs vivent, et encore plus la source d'où leur vient ce bonheur, qui est la fidélité qu'elles ont à se tenir proches de Dieu et à observer exactement ce qui est de leur Institut. Au nom de sa Bonté, vivez selon l'esprit de notre Bienheureux Père, et nos Sœurs aussi, car je désire que nous soyons toutes de vraies filles de ce grand Saint. Votre, etc.

LETTRE MDCCCLXVIII

Du bon pli donné à une maison naissante dépend son bonheur à venir. — Sous prétexte d'économie il ne faut pas faire usage de viandes moins communes que celles marquées au Coutumier. — Il ne faut pas faire entrer les séculières dans l'espérance de leur inspirer la vocation. — La Supérieure ne doit pas laisser graver son nom sur la première pierre du bâtiment. — Quand peut-on faire vitrer les cloîtres. — Comment traiter avec une Sœur tourière empêchée de faire son oblation au temps voulu. — Défi à donner au noviciat. — Le Père spirituel ne va prendre les voix des Sœurs malades à l'infirmerie que pour la seule élection de la Supérieure.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère et bien-aimée fille,

Bien que cette commodité soit pressée, si ne la puis-je laisser passer sans vous aller saluer très-cordialement dans votre chère nouvelle maison, avec votre chère petite troupe, et faire mille souhaits de bénédictions sur votre commencement, afin qu'il ait un progrès aussi heureux qu'on le doit espérer des Filles de Sainte-Marie. Tâchez de tout votre pouvoir, ma chère fille, d'établir une ponctuelle observance, car nous avons grande expérience que du commencement des maisons, et du bon pli que l'on leur donne en leur naissance, dépend une partie de leur [549] bonheur : de la bonne semence vient le bon grain ; et du bon fondement, la solidité de l'édifice. Ce vous est un grand avantage d'avoir mené de si bonnes Sœurs : tenez-vous bien unies ensemble et en estime l'une de l'autre, afin que celles qui seront reçues prennent le même train de la sainte et supportante charité. Ayez une attention particulière sur le noviciat, afin que l'on fonde bien les filles dans la dévotion et profonde humilité, car je vous dis derechef que du bon fondement dépend en partie la solidité du petit bâtiment que la divine Providence a commis à votre soin. Travaillez-y donc avec un grand courage, appuyé sur le divin secours qui ne vous manquera jamais, pourvu que vous soyez toujours cordialement jalouse de vos observances.

Quant à ce que vous me dites, ma très-chère fille, que la volaille est meilleur marché dans votre petite ville que la grosse viande, et partant si vous ne pouvez pas bien nourrir votre communauté de volaille. Je vous réponds qu'il ne faut point prendre cette coutume, et qu'il vaut mieux se tenir au règlement du Coutumier. Mon Dieu ! ma très-chère fille, nous ne saurions jamais trop craindre le relâchement en quoi que ce soit. Nous ne devons point prendre de prétexte ni de bon ménage, ni de quelque épargne, surtout quand les choses nous tirent dans la délicatesse ou sensualité ; il les faut fuir comme la mort, et se contenter de la permission que le Coutumier donne d'acheter de la volaille pour les malades : on en peut bien quelquefois faire manger à la communauté, quand on en donne par aumône ou par présent au monastère, car cela, à mon avis, n'arrive pas souvent.

Je suis bien marrie que cette fille, dont vous me parlez, ait le naturel si mélancolique et si chagrin ; ce sont deux fâcheuses pièces en une Religieuse ; et si une puissante grâce et un ferme courage ne mortifient ces humeurs-là, elles donnent bien de la peine aux autres, et sont martyres à elles-mêmes. Je ne puis [550] ni ne dois déterminer de son renvoi ou de sa réception, c'est à vous et à nos bonnes Sœurs qui voyez les déportements ; vous devez conférer [comparer] cette fille avec la Règle et les Entretiens de notre Bienheureux Père. Ce n'est rien qu'elle soit malade de plusieurs défauts, pourvu qu'avec humilité et simplicité elle fasse usage des remèdes qu'on lui donne pour la rendre digne de la grâce de persévérer dans la vocation religieuse. — Croyez-moi, ma fille, ne prenez point cette pratique de faire entrer les filles séculières chez vous, afin qu'elles prennent envie de se faire Religieuses ; c'est au Saint-Esprit à mettre ce bon mouvement dans leurs cœurs. Dieu n'est pas obligé de donner la grâce de la vocation religieuse à celles que nous désirons qui le soient, car il ne nous appartient pas de faire ce choix, c'est à Dieu seul, et à nous de recevoir et bien cultiver celles que sa seule inspiration nous envoie. — Non, je vous assure, ma très-chère fille, la Supérieure ne doit point permettre que l'on grave son nom sur une première pierre du bâtiment ; c'est une vaine recherche. Nous devons en tout fuir ce qui ressent l'éclat et l'apparence mondaine et nous attacher à la vraie et sincère humilité. — Oui, ma chère fille, l'on peut faire vitrer les cloîtres aux lieux où l'on a grande commodité d'avoir du verre, comme quand on est proche des verreries.

Quant à votre bonne Sœur tourière, puisque vous avez appris depuis son entrée en votre maison, que son mari est banni du pays pour avoir été condamné à la mort, si elle est bonne, vertueuse, dévote, surtout grandement humble, je ne la renverrais pas. Prenez bon conseil là-dessus des personnes intelligentes ; mais pour éviter tout accident et tout conteste, vous pouvez garder cette bonne fille et vous en servir dans la condition de tourière, sans lui faire faire son oblation pendant que l'on doutera que son mari soit encore en vie ; mais il ne faut pas laisser de tirer les voix pour elle au bout de ses deux années de noviciat, afin d'assurer sa demeure parmi vous, et aussi qu'elle [551] assure sa demeure au monastère. Il y a tant de sortes de misères en ce monde, et tant de personnes affligées de diverses sortes, que quand nous pouvons aider à quelqu'un à porter sa croix nous en devons être bien aises : c'était la grande et journalière pratique du cœur tout charitable de notre Bienheureux Père, et je suis aise de tomber sur ce propos pour vous faire une conjuration toute particulière, que dès le commencement vous donniez de bons principes et des maximes de douceur et charité à vos filles pour ce cher prochain ; si elles ne peuvent faire autre chose pour lui, qu'au moins elles n'en parlent jamais qu'en bonne part, et ne leur permettez point de vous parler des maux où il n'y a point de remède ; car cela est inutile, et il faut toujours que nous ayons de bonnes fins et des sujets solides pour parler de l'amendement des autres quand ils en ont besoin.

Accoutumez fort vos novices aux propos des choses utiles, qu'elles prennent de tout sujet de parler de Dieu dans les récréations. Donnez-leur souvent des défis de la pratique des vertus intérieures : portez-les à une grande estime et affection à la sainte oraison. Or sus, ma très-chère fille, il ne me reste plus qu'une de vos questions à résoudre. Non vraiment, quand il y a une des Sœurs conseillères malades, lorsqu'on fait l'examen d'une novice, il ne faut pus que le Supérieur entre pour prendre son sentiment : il suffit qu'il parle aux trois autres conseillères, à la directrice et à la Supérieure. Ce n'est point la coutume céans que le Supérieur entre pour recevoir l'examen de la visite [régulière] des Sœurs qui se trouvent arrêtées à l'infirmerie par maladie : la Constitution n'ordonne de telles entrées pour prendre les voix et sentiments des Sœurs malades, que pour la seule occasion de l'élection de la Supérieure ; il s'en faut tenir là. — Mon Dieu, que vous me faites grand plaisir, ma très-chère fille, de ne vous point hâter de recevoir des filles ! vous verrez que vous vous en trouverez bien et qu'elles en seront [552] bien mieux fondées dans la vertu, et vous m'obligez encore singulièrement en la confiance que vous me témoignez. Vous me pouvez dire toutes choses avec franchise, sans crainte de m'importuner ; rien ne me console tant que cette cordiale confiance de nos Sœurs les Supérieures envers moi. Je vous réponds aussi, comme à l'une de mes plus chères filles, à laquelle je souhaite une abondante participation aux mérites de la Passion de Notre" Seigneur, auquel je suis toute vôtre, etc.

LETTRE MDCCCLXIX

Les lettres des Religieuses doivent être simples, sans termes affectés ni exagérants ; la Supérieure les doit lire. — Il ne faut pas recevoir d'esprit difficile ; tenir la balance bien droite pour n'excéder ni en faiblesse ni en rigueur.

VIVE † JÉSUS !

Votre cœur va fort bien, ma très-chère fille, à ce que je vois ; Dieu l'y maintienne, et accroisse en lui son saint amour.

Vous voulez que je continue ma sincère confiance avec votre bonté, je savais que c'était son désir, et que ce le sera toujours ; certes aussi avez-vous raison, car je le chéris parfaitement, et n'en trouverez jamais un plus fidèle et assuré en son affection pour son bien. Tout simplement donc je vous dirai, ensuite de ma véritable confiance, que la lettre que votre communauté a écrite à la nôtre fut lue, selon notre coutume, sur la fin de la récréation du soir. Je vis bien qu'elle n'était pas d'un style assez simple et que nos Sœurs le remarquaient, et que les témoignages d'affection étaient affectés et exagérants. Ce qui le fit mieux connaître, c'est qu'après on en lut une autre d'une de nos maisons, qu'on avait reçue en même temps, qui était fort simple. Tout aussitôt il me vint en la pensée que je serais bien marrie si cette lettre-là passait en d'autres communautés, parce qu'elle n'y serait pas bien reçue, et que je devais vous dire, [553] comme je fais, que jamais vous ne laissiez sortir aucune lettre de votre maison que vous ne l'ayez lue, ou fait voir par quelque Sœur dont vous vous assurez qui en fera bon jugement, ou que vous vous fiiez bien en la discrétion de celles qui les ont écrites.

En deuxième lieu, ma fille, prenez garde de ne point recevoir d'esprit difficile ; car, bien que vous en veniez à bout et que vous les teniez en leur devoir, toutes les Supérieures n'ont pas cette adresse.

Je prie notre bon Dieu de vous faire la grâce d'être un flambeau reluisant qui porte la lumière du bon exemple devant toutes vos Sœurs : servez-les en vérité et sainteté. Tenez la balance bien droite pour n'excéder ni en tendreté ni en rigueur. Faites en sorte, ma chère fille, que toutes vos Sœurs trouvent en vous de quoi se consoler et édifier, et non de quoi se repentir de vous avoir élue. Priez, je vous supplie, pour celle qui est toute vôtre.

LETTRE MDCCCLXX

Les grands esprits sont dangereux dans une communauté quand ils ne s'adonnent pas à la soumission et à la mortification. — On ne doit pas recevoir une novice à la profession dans l'espoir qu'elle fera mieux à l'avenir. — Il est d'usage que les parents fassent un présent au monastère lors de la profession de leurs filles, mais on ne doit pas le leur suggérer. — Une Sœur qui ne voudrait pas former son jugement sur les décisions à prendre au Chapitre doit être privée de voix.

VIVE † JÉSUS !

De vrai, ma très-chère fille, vous me marquez trois choses fort fâcheuses en l'esprit de votre novice : qu'elle est forte à son jugement et volonté, qu'elle n'a point de simplicité et se consume toute en réflexions, et celle que je trouve plus importante, c'est le dégoût de sa vocation ; c'est pourquoi, si elle continue et que vous la puissiez renvoyer, ou que d'elle-même elle s'en voulût aller, certes je la laisserais faire. Elle est d'autant plus dangereuse qu'elle a bon esprit ; car ces grands esprits, quand [554] ils ne s'adonnent pas à la dévotion, soumission et mortification, sont pour ravager toute une maison religieuse, oui même tout un Ordre. Et remarquez bien ceci, ma très-chère fille, que nous ne devons jamais admettre aucune fille à la profession, sous l'espérance qu'elle fera mieux à l'avenir ; car il faut voir les conditions présentes de l'esprit nécessaires pour lui donner l'habit, parce que nous nous devons fonder sur ce que nous voyons du présent et non de l'avenir, n'étant pas obligée de le savoir. — Pour ce que vous me demandez de permettre aux filles de dire à leurs parents qu'ils envoient des présents au jour de leur profession, c'est la coutume qu'ils donnent quelque chose, mais je ne voudrais pas que les filles se mêlassent de cela.

Quant à ce que vous dites s'il se trouvait quelque esprit qui, par scrupule ou autre fantaisie, ne voulût former son jugement pour donner sa voix ou la refuser aux filles que l'on propose au Chapitre, même ne la donnerait point du tout, ni pour leur réception ni pour leur renvoi, ou bien la donnerait indifféremment ou la refuserait de même, certes, je crois que si c'était quelque esprit qui n'eût pas la capacité pour discerner celles à qui il la faut donner ou celles à qui il la faut refuser, qu'on la pourrait déclarer incapable de cela, et qu'elle n'eût pas de voix au Chapitre. Mais si elle ne faisait cela que par caprice ou scrupule, il faudrait tâcher de la rendre capable de discerner comment il la faut donner ou refuser ; car, au reste, une fille qui ne voudrait pas appliquer son esprit et former son jugement, ayant la capacité pour le faire, ains voudrait donner sa voix généralement à toutes les filles que l'on proposerait, ou la refuser à toutes, je crois qu'elle pécherait grandement, et il ne faudrait nullement permettre cela. [555]

LETTRE MDCCCLXXI

Surmonter par la douceur les difficultés qui s'opposent à L'établissement du monastère. — Regret de ne pouvoir procurer à cette Supérieure un portrait de saint François de Sales.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Nous avons eu une réciproque consolation au retour de ce bon Père Capucin, par le récit qu'il nous a fait de vos nouvelles, desquelles il nous a entretenue fort amplement, nous disant que tout allait bien en votre maison, et que vous êtes en amour et estime au lieu où la Providence vous a mises, ce qui est un grand sujet de bénir et remercier sa divine Majesté, ainsi que nous faisons de tout notre cœur. Ce bon Père nous a dit les contradictions et les difficultés que vous avez pour votre établissement et logement ; c'est une chose presque ordinaire, quand on a affaire à la populace. Je ne sais pourtant si cette voie de force sera guère propre ; car, d'arracher par cette voie quelque pièce des créatures, il est à craindre qu'il ne reste toujours quelques petites amertumes de cœur contre nous, ce qui ne se peut effacer que par la suite de quelques années. Néanmoins, vous avez Mgr le cardinal, duquel vous devez suivre entièrement les volontés et sentiments pour ce qui est de votre établissement. Ce Père nous a dit encore qu'il ne croyait pas que vous puissiez vous établir en aucun lieu dans la ville ; et moi j'aurais une grande difficulté de vous établir hors de la ville, n'y ayant point de faubourg. Mais pour tout ceci, vous avez MM. vos Supérieurs ; vous leur devez faire entendre tout ce qui se passe, et suivre en tout, comme je vous l'ai déjà dit, leurs avis, pour ce qui est de votre logement. Mais pour ce qui est de l'aigreur de ce peuple contre vous, je désirerais, ma très-chère fille, qu'en tout ce qui se passera de votre part, vous procédassiez avec lui en toute charité, le plus doucement et cordialement qu'il vous sera [556] possible, car cette voie apaise l'ire de Dieu, et gagne le cœur de ses créatures. Vous devez aussi beaucoup prier et faire prier pour eux, afin qu'il plaise à Dieu les changer et les disposer à un doux agrément de tout ce que vous désirez d'eux.

Pour le tableau que vous désirez de notre Bienheureux Père, certes, ma très-chère fille, si nous avions un peintre en cette ville, nous vous en ferions faire un de très-grand cœur ; mais il n'y en a pas un seul. Vous devez vous adresser pour cela à nos Sœurs de Lyon ou d'Avignon, qui ont là un excellent peintre : nous vous offrons de le payer, car en tout où nous pourrons vous servir et votre maison nous le ferons toujours de très-grande affection, je vous en assure. Et nous ne cesserons de prier l'infinie bonté de Notre-Seigneur de répandre sur vous et sur toutes nos chères Sœurs, que je salue très-chèrement avec vous, l'abondance des grâces de son divin amour, auquel et pour lequel je serai invariablement et de tout mon cœur, ma très-chère fille, votre, etc.

LETTRE MDCCCLXXII

Déférence réciproque que doivent avoir les monastères quand il s'agit de fondation. — Avantages de la douceur dans la direction des âmes.

VIVE † JÉSUS !

Vous vous êtes conduite comme il faut, ma très-chère fille, pour la fondation, de laquelle Dieu fera ce qui lui plaira ; car voyez-vous, jamais, quoique l'on fasse, nous ne devons donner espoir de recevoir ni fondation, ni fille, ni bien, ni quoi que ce soit, que nous savons d'avoir été ôté ou proposé à quelqu'une de nos maisons, sinon que la maison même nous en priât. Voilà à quoi je vous prie de tenir ferme, et aussi à ne recevoir facilement aucun soupçon contre pas une de nos Sœurs. Si quelqu'une faisait quelque chose qui eût apparence de moindre affection [557] et confiance que celle que nous nous devons, je voudrais, avant que de le croire et d'en parler, lui écrire avec toute simplicité et franchise, non comme une chose que vous croyez, mais de laquelle vous désirez de savoir la vérité d'elle, pour vous y arrêter.

Je vous prie, ma très-chère fille, faites votre gouvernement avec grande dilatation de cœur : donnez une sainte liberté à vos Sœurs ; bannissez de votre esprit et des leurs toute servitude et contrainte. Si quelqu'une manquait de confiance, ne lui en témoignez aucune froideur, mais gagnez tout par amour et bienfaits. Ne vous laissez préoccuper l'esprit contre aucune et soyez fort égale envers chacune ; enfin conduisez-les avec un soin non empressé ni soucieux, mais amoureux, suave et cordial. Je sais que l'on ne peut mieux réussir en la conduite des âmes que par cette voie-là : plus vous leur montrerez de bonté, de franchise et de support, plus vous avancerez en l'entière possession de leurs cœurs ; ce qui est le grand moyen de les avancer en la perfection de leur vocation. Or, tenez-vous aux communautés le plus que vous pourrez, et leur témoignez combien vous vous y plaisez. — Vous nie dites que vous ne pouvez plus supporter le faix de la supériorité. O ma fille ! je vous supplie, que je n'oie plus cette parole de vous. Quoi ! voulez-vous enfouir les talents que Dieu vous a donnés, et rendre inutiles tant de dons et de grâces que sa Bonté a mis en vous, et vous a départis pour l'accroissement de sa gloire au gouvernement des maisons qu'il vous confie ? et cela faute de détermination, et de tenir votre esprit au-dessus de vous-même et de vos inclinations timides et craintives. Foulez-les aux pieds, ma très-chère fille, et regardant Dieu et son bon plaisir dans l'éternel dessein qu'il a sur vous, abandonnez-Lui vos jours, afin qu'il les emploie ès actions et services qui seront selon son gré, et non selon le vôtre ; et remettez entre ses mains toutes vos consolations, et me croyez à jamais votre, etc. [558]

LETTRE MDCCCLXXIII

Les Supérieures doivent donner l'exemple de la ponctualité aux exercices de la communauté, gouverner avec grande douceur, témoigner une sincère estime des Sœurs, et leur laisser une raisonnable liberté dans les emplois.

VIVE † JÉSUS !

Or sus, Dieu vous veuille fortifier, ma chère fille, afin que vous le serviez utilement, portant la lumière du bon exemple devant vos Sœurs par l'exactitude d'observance en tout, tâchant d'être toujours la première aux Offices et oraisons et à tous les autres exercices de communauté ; il n'est pas croyable combien cela est profitable aux familles religieuses : le contraire détruit celles qui le font et leur communauté. Soyez bien douce en votre gouvernement, ce que je vous dis parce que je sais que quelquefois les maux du corps chagrinent et aigrissent les esprits. Je crois que notre Sœur N. s'acquittera fort bien de la charge de directrice et d'assistante : nourrissez une grande union et bonne intelligence entre vous deux ; c'est un point nécessaire. Et que les Supérieures se nourrissent en bonne opinion de la bonne suffisance [capacité] de leurs Sœurs, afin d'estimer leurs conseils, et qu'elles leur laissent la liberté pour l'exercice de leur charge, et qu'elles ne se réservent que celle de leur dire les défauts qu'elles y pourraient commettre : cette pratique. est importante, et se doit observer avec grande charité et humilité pour bannir l'esprit de contrainte si nuisible aux âmes religieuses.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [559]

LETTRE MDCCCLXXIV

Exhortation à porter courageusement le faix de la supériorité.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Le divin Sauveur soit votre force et conduite en toutes vos actions ! Je pense que vous vous serez trouvée d'abord étonnée de cette maison, à cause du changement. La famille est toute bonne, et leurs cœurs maniables : avec la douceur cordiale que vous savez bien employer, vous devez agir sur ces esprits-là avec une autorité maternelle, mais toute cordiale et raisonnable, leur faisant voir le bien, et comme vous agissez sur elles par le véritable zèle que vous avez de leur perfection, et non pour les avilir ou mépriser. Dieu vous fera connaître la voie la meilleure pour leur bonheur, et réduira tout à la paix et union de charité, Dieu vous ayant donné une si bonne main à la conduite, et y répandant tant de bénédictions.

Quand vous aurez fait vos six ans à N., il faut un peu aller à N. et à N., au moins en chacune trois ans ; car ce sont des pauvres petits colombiers où les pauvres petites colombes ont prou peine de vivre ; il sera bien raisonnable qu'elles jouissent à leur tour du fruit de votre bonne conduite. Je serais fort aise, ma fille, si nos Sœurs N. N. sont bonnes Religieuses ; mais faut-il que je vous prie de prendre soigneusement garde au fond du cœur et de la vocation de ces âmes-là, et à leur persévérance : car il est vrai que le changement de monastère fait quelquefois quelque changement ès mœurs des filles ; car elles sont attirées par la douceur et caresses dont on tâche de les gagner. Mais quand l'attrait de Dieu n'est pas au fond du cœur, et qu'elles ne s'habituent pas à la mortification de leurs passions, cette petite apparence de vertu étant sans racine, le moindre vent de contradiction l'emporte, et dans peu de temps ces esprits se [560] rendent très-nuisibles dans leur monastère, où telles filles sans vocation ne peuvent vivre en bonnes Religieuses. Ma très-aimée fille, je vous dis ainsi simplement ma pensée, assurée que vous le voulez bien. Dieu nous veuille ouvrir les yeux pour nous faire voir à toutes les infinis trésors spirituels que son amour a cachés dans les disettes temporelles. Priez ce divin Sauveur pour moi, et me croyez en Lui, votre, etc.

LETTRE MDCCCLXXV

Servir les âmes joyeusement, simplement et courageusement.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Votre cœur est toujours ardent, encore qu'il ne semble que de glace. Marchez sans vous regarder vous-même, je vous prie, et ne veuillez rien, puisque Dieu veut cela de vous. Ne voyez simplement que Dieu, auquel vous vous êtes remise sans réserve.

Il est bon d'avoir l'esprit de joie, pourvu que l'observance marche ; et encore qu'aux récréations le recueillement ne marché comme vous voudriez, il n'y a remède, pourvu qu'aux autres temps on le voie reluire ; car c'est un moyen pour bien prier Dieu et vous humilier beaucoup devant Lui pour le bien de votre maison. Ma fille, servez Dieu en ces chères âmes joyeusement, simplement et courageusement ; contentez-vous de Dieu seul ; car vous l'avez en vérité. Cheminez donc fidèlement sans recherche d'aucune satisfaction. Encouragez bien nos chères Sœurs novices à l'observance et à bien dire l'Office ; n'épargnez pas de les reprendre. Je les conjure, ces très-chères filles, de chercher leur Époux fidèlement, par une vraie et ponctuelle exactitude, et qu'elles vident leurs esprits de tout ce qui n'est pas Dieu ; aimons-le tant que nous pourrons, mais aimons-le et [561] le servons comme Il veut, sans goût ni connaissance, nous contentant de vouloir être à jamais toute sienne. Ma fille, ayez bon courage pour persévérer à les servir. Attendez-les patiemment, supportez-les doucement, et les excitez amoureusement. Votre, etc.

LETTRE MDCCCLXXVI

La coadjutrice doit faire en secret et humblement ses observations à la Supérieure, laquelle doit être le miroir de toutes les vertus pour la communauté.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Vous voulez bien que je vous écrive tout confidemment par la main de ma Sœur N. ce que je ne puis faire de la mienne. À la vérité, c'eût été une grande suavité si vous et ma Sœur N. eussiez pu avoir l'ouverture de cœur l'une envers l'autre. Ayez au moins la franchise et la sincérité que votre Règle vous dicte, et la vraie charité qui doit régner dans nos cœurs et entre les vraies Filles de la Visitation.

Il est vrai que je ne saurais approuver cette grande correction qu'elle vous alla faire en présence de trois ou quatre Sœurs ; car si bien elle doit vous reprendre, ce doit être secrètement et humblement. — Il me semble bien, ma très-chère fille, qu'il n'était pas besoin que vous demandassiez de changer de voile pour la venue du chirurgien ; cela dénote un cœur qui ressent encore le monde. Je dis de même pour vos souliers, puisque personne n'en portail de semblables dans la maison. J'aurais voulu suivre en cela la communauté, car nous devons fuir extrêmement tout ce qui ressent la singularité ; et je vous prie, ma fille, soyez fort attentive à ne laisser dans votre cœur aucune inclination à la vanité et particularité, et que le mépris des choses extérieures reluise en [562] toutes vos actions. Recevez les choses communes comme elles sont données aux autres ; recevez-les avec égale affection et satisfaction. Cette pratique est extrêmement nécessaire aux Supérieures, surtout aux jeunes. Rendez-vous-y donc attentive, ma fille, je vous en conjure. Quand vous vîtes vos souliers faits d'une autre façon que le Coutumier ne marque, vous les deviez renvoyer, et je crois que vous ne les devez pas user.

Au reste, vous faites très-bien de ne pas approuver les pensées que les filles vous vont dire, qui désapprouvent ce que ma Sœur la déposée peut faire ou dire. Surtout prenez bien garde à ceci, qui est que, quelque témoignage d'affection ou de confiance que l'on vous puisse donner, il ne vous échappe jamais de dire à aucune Sœur quelque parole que vous ne voulussiez bien dire vous-même à ma Sœur la déposée. Et je pense que vous feriez bien de prendre la confiance de lui dire tout cordialement en particulier ce que vous connaissez qu'elle ne doit pas faire, comme de vous avertir devant les Sœurs, crainte que cela ne diminue l'estime et le profit de ce que vous leur dites, à quoi elles sont obligées pendant que vous êtes Supérieure ; et lui donnez une grande confiance de vous dire tout ce qu'elle connaîtra vous devoir dire. Et quand même il lui échapperait encore de vous dire quelque chose et vous reprendre devant les Sœurs, recevez-le doucement, en couvrant le plus qu'il vous sera possible les défauts du prochain ; car la charité requiert cela. Et croyez, ma très-chère fille, personne n'est sans défaut ; c'est pourquoi, tant que nous sommes en cette vie, nous devons lâcher de nous supporter l'une l'autre. Je vous prie derechef de le faire paraître entre vous deux, et maintenez toujours en bonne estime cette chère Sœur en votre communauté. [563]

LETTRE MDCCCLXXVII (Inédite)

Devoirs réciproques des Supérieures et des Sœurs déposées.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère sœur et fille bien-aimée en notre-seigneur,

Tandis que Notre-Seigneur me lairra en cette chétive vie, je crois que les bons cœurs et vraies Filles de la Visitation, comme je sais que vous êtes, auront agréable que je leur dise toujours ce que noire bon Dieu daignera me faire connaître pour le bien de cette petite Congrégation et la paix et union des maisons dans l'observance, qui est le bien plus précieux du dedans et qui donne la bonne odeur au dehors. Nous n'avons, à mon grand regret, que trop d'expérience du trouble et grand déchet que plusieurs de nos maisons ont souffert pour le défaut d'intelligence entre les Supérieures élues et les déposées ; c'est pourquoi je vous supplie et conjure au nom de Notre-Seigneur, ma très-chère Sœur, et toutes celles qui nous succéderont et qui seront déposées en nos maisons, d'observer fidèlement ce qui est ordonné au Coutumier, conservant une sainte liberté et sincère confiance entre vous deux, qui ne tendent qu'à la gloire de Dieu, à l'entière observance et à l'avancement de nos Sœurs en la perfection de leurs âmes. Et, pour venir aux particulières pratiques, je crois que sans une absolue nécessité, et généralement parlant, il est tout à fait nécessaire de laisser les déposées une année entière sans aucun emploi particulier, sinon, comme dit la Règle, pour conseiller la nouvelle Supérieure. Elle fera sagement et humblement de prendre ses avis dans les occasions, et de se prévaloir de son assistance selon ses besoins, bien que la déposée ne doit pas le requérir, beaucoup moins s'en fâcher ni plaindre quand la Supérieure ne le ferait pis ; car elle lui doit laisser une entière liberté d'agir en sa charge, ainsi que la Constitution le dit. [564]

Mon Dieu ! que nous serions heureuses si nous prononcions de cœur et d'affection ces paroles : « Je renonce et dépose la supériorité », et qu'après avoir ouï celles-ci : « La Congrégation vous décharge au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », nous nous tinssions comme nous devrions, tout à fait libres et exemptes du soin de la maison, comme si jamais nous n'avions gouverné, sinon autant et quand la Supérieure nous emploiera à quelque chose que ce fut, qu'il faudrait s'y porter avec toute promptitude et humilité.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCLXXVIII

Ne pas faire de réprimande quand on se sent émue. — Quel doit être le conseil et le repos de l'âme.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je vous conjure de tout mon cœur d'accompagner toutes vos paroles et actions de douceur, tranquillité, modestie, suavité et gravité rabaissée. Soyez gracieuse et non point sèche ni trop curieuse. Mais je répète de tout mon cœur la conjuration que je vous fais pour la parfaite douceur : ne faites point de correction, tant qu'il vous sera possible, par promptitude, ni lorsque vous vous sentez émue ; mais regardez Dieu, comme lui demandant son aide et sa sainte conduite, afin qu'elle soit profitable à celle à qui vous la faites ; et observez ce document en toutes les actions principales de votre charge, voire, en toute la conduite de votre vie. Que votre amour soit tout pour Dieu et en Dieu ; que votre conseil principal soit l'oraison, et votre repos, l'oubli de toutes choses passées. Faites fidèlement ceci, ma pauvre chère Sœur, et Dieu vous bénira et votre monastère, si [565] vous avez la défiance parfaite de vous-même, qui est la mère delà confiance en Dieu ; c'est là la vraie vertu d'une Supérieure. Étrécissez votre cœur en vous-même, mais élargissez-le en Dieu. Je suis en Lui votre, etc.

LETTRE MDCCCLXXIX

La Supérieure doit traiter toutes ses Sœurs avec impartialité et douceur, ne point s'étonner de leurs petits pas dans la perfection, mais les encourager avec bienveillance, se conserver calme et joyeuse au milieu des inégalités de la vie.

VIVE † JÉSUS !

Eh ! pourquoi, ma très-chère Sœur, n'êtes-vous pas joyeuse ? O Dieu ! il le faut être et ne point tant regarder ce que fait ou sent notre cœur intérieurement. Il me semble que je le vois, ce cœur de ma très-chère fille ; patience, s'il vous plaît. Aimez bien tendrement les filles qui font bien, parce qu'elles font bien, et leur soyez douce et gracieuse ; mais aimez bien aussi celles qui ne sont pas si exactes et ponctuelles à ce qu'elles doivent faire, parce qu'il y a plus à aimer et à faire pour Dieu. Ne vous étonnez pas de ce que votre cœur n'aura pas tant de suavité que lorsque tout ira bien, cela ne se peut ; mais il ne faut pas délaisser la joie pour cela. Il faut souffrir l'aigreur sans y penser, et, parmi tels sentiments, faire les actes de vraie douceur, comme je viens de dire. Enfin celles qui servent les âmes ne doivent point s'étonner des petits pas qu'elles font, mais les poursuivre doucement et suavement, pour leur faire suivre tranquillement les avis qu'on leur donne ; et enfin, faisant ce qui est en nous, remettre le tout à Dieu, qui a plus d'intérêt à leur perfection que nous, et demeurer en repos. Hélas ! ma fille, ce que je vous dis et que je vous conjure de faire, est d'être joyeuse en ce saint service.

Ayez bien soin de votre cœur, tenez-le net et toujours en la [566] présence de Dieu ; ne vous troublez de chose quelconque qui vous puisse arriver, et demeurez ferme à ne point offenser cette divine Bonté à votre escient. Vous avez raison, ma fille, de dire que c'est un grand bonheur que le parfait anéantissement de soi-même à la volonté de Dieu. Hélas ! c'est l'unique gloire des âmes dédiées au saint amour ; faisons bien cette pratique, et pour cela ne faisons rien selon nos humeurs et inclinations, mais tout selon la raison et vraie piété, soit en faisant ou souffrant. Gravez dans le cœur de vos filles l'esprit d'humilité et de douce charité ; qu'elles se forment selon le modèle qui leur est donné dans la Règle, et elles seront bien heureuses, et vous aussi, d'avoir contribué votre service à un ouvrage si excellent. Rapportons bien à Dieu la gloire de toutes choses, et l'aimons avec une très-humble obéissance et douceur de cœur, laquelle s'acquiert en faisant toutes nos actions et disant toutes nos paroles doucement ; la multitude de tels actes donnera l'habitude de la douceur à votre cœur. De même, celui qui veut avoir la vertu du support du prochain, il faut qu'il s'accoutume à le supporter avec douceur en ses défauts, et en toutes ses actions qui ne sont selon notre goût, reprenant suavement les fautes de ceux que nous avons en charge, sans leur avoir jamais pourtant de l'aversion, je veux dire en la partie raisonnable et supérieure, car nous n'avons pas l'autre en notre pouvoir. — Il faut être courageuse et acquérir la sainte joie comme les autres vertus, par les actes, quoique faits par pure raison et non par inclina-lion. Je loue Dieu de vous savoir en cet état de paix, demeurez-y et agrandissez votre confiance et abandonnement en cette divine Providence ; c'est le lieu de repos et d'assurance ; vous avez toujours été attirée à cela. Votre, etc. [567]

LETTRE MDCCCLXXX

Quand la soumission et l'humilité manquent aux esprits faibles, il faut que la charité condescende à leur infirmité. Sentiment de saint François de Sales à ce sujet.

VIVE † JÉSUS !

C'est la vérité, ma très-chère fille, que c'est une mauvaise, quoique trop ordinaire tentation, que celle de ce soupçon, que, parce que les Supérieures n'aiment pas, elles ne donnent pas les charges relevées. Plusieurs maisons religieuses en sont exercées ; mais que ferons-nous à cela, ma très-chère Sœur, que de supporter avec une très-grande patience et douceur ces esprits-là, tâchant par notre cordialité et sincère affection envers elles d'arracher de leurs cœurs tels soupçons. Notre Bienheureux Père me dit une fois que lorsque la soumission et l'humilité manquaient à tels esprits, il fallait que notre charité suppléât et condescendit à leur infirmité, leur accordant ce qu'elles désiraient ; mais il faut faire cela avec telle dextérité, qu'elles ne s'en aperçoivent pas, et qu'elles ne connaissent pas que c'est pour leur condescendre, mais par amour ; puis, quand par condescendance on les a guéries, et donné la croyance et confiance qu'on les aime, l'on en fait par après tout ce que l'on veut. J'ai éprouvé cela utilement.

Enfin, ma chère Sœur, « il faut tout faire, disait notre Bienheureux Père, pour le profit et consolation de notre prochain, hors de nous damner ». Et il disait encore, ce Bienheureux, que quand nous perdrions et relâcherions du nôtre quelque chose pour cela, Dieu nous le récompenserait bien ; autrement ces pauvres âmes se mettent dans un labyrinthe de misères et d'entortillements, et nuisent grandement aux autres ; bref, vaut mieux les gagner que de les vouloir plier, car on les romprait, si elles sont faibles. Voilà mon sentiment, fondé sur les enseignements de notre Bienheureux Père, et sur ce que je lui ai vu [568] pratiquer ; mais toutefois il faut que la Supérieure, qui voit et peut considérer selon les occasions présentes, emploie ces avis selon la prudence, et que toujours elle dissimule beaucoup de petites tricheries que font ces pauvres malades d'esprit, et qu'elle tâche par tous les moyens possibles de leur donner croyance qu'elle les aime. Enfin nous ne devons regarder cela que comme des exercices que Dieu nous envoie pour pratiquer beaucoup de vertus, et surtout celle qui les comprend toutes, la très-sainte charité Notre bon Dieu nous donne tant de consolations par la vertu de plusieurs, que nous nous engourdirions, si nous n'avions de ces petits réveille-matin. — Or, je loue Dieu de la vertu de notre bonne Sœur N... ; étant si fidèle et éclairée, Dieu la conduira bien avant. Une âme seule comme celle-là en vaut cent, et attire beaucoup de bénédictions où elle est. Votre, etc.

LETTRE MDCCCLXXXI

Interpréter en bien ce qu'on voit faire au prochain. — Travailler à l'union de son âme avec Dieu par l'exacte observance des Règles.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Nous autres qui sommes Filles d'un Père qui était si parfait en charité et qui sommes toutes nourries dans cette école, devons avoir un très-grand soin de bien interpréter tout ce que nous voyons faire au prochain et surtout à nos Sœurs. Vous savez bien ce qu'a fait ma Sœur N... pour ces lettres écrites à Mgr le cardinal, mais vous ne savez pas que peut-être avait-elle commandement de lui, qui était le Supérieur, d'en user ainsi. J'en dis de même pour les autres choses que vous me marquez, lesquelles il n'y a eu que le zèle, grande pureté et droiture d'intention qui les lui aient fait faire. Ce n'est pas que je veuille approuver le mal ; mais aussi je ne le puis ni ne le dois en [569] conscience croire légèrement d'une âme de vertu, de laquelle j'ai reçu tant de bons témoignages de personnes dignes de foi, et particulièrement de feu notre chère Sœur N... Concluons donc, ma chère fille, qu'il serait temps de quitter cette manière de traiter de part et d'autre, et de vivre dans la suavité, cordialité et charité que doivent avoir les vraies Filles de la Visitation entre elles.

Pardonnez-moi, ma très-chère fille, si je vous parle de la sorte, car je suis faite d'une façon qu'il faut que je dise franchement que le blanc est blanc, et que le noir est noir. Oubliez donc le mal si vous l'avez vu, et ne pensez plus qu'au véritable bien que je sais être en cette Sœur-là, afin de vous remettre dans votre premier train d'amour, d'estime et d'union ensemble ; car c'est chose indigne des servantes de Dieu que d'avoir de l'altération. Je n'ai pas reconnu qu'elle en ait eu contre vous, quoiqu'elle sût bien ce que vous avez dit d'elle. Or sus, ma très-chère fille, il ne faut plus penser à tout ce qui s'est passé, mais prendre un nouveau courage pour vous remettre dans votre première simplicité. L'on m'a rendu tant de bons témoignages de vous, que je suis marrie de voir votre esprit embarrassé ; mais je vous supplie, que désormais vous ne regardiez ni prétendiez plus qu'à l'entière union de votre âme avec son Dieu par la voie de l'exacte observance. Et si vous rencontrez quelque chose contre cela en votre chemin, laissez-le à quartier et marchez droitement et sincèrement, afin de conduire votre âme à son souverain Bien, que je supplie la vouloir combler de ses plus célestes grâces et celle de votre chère assistante, de la vertu de laquelle j'ai reçu aussi de si bons témoignages, que j'en sens dans mon cœur un grand amour plein d'estime pour elle. Je vous prie de la saluer chèrement de ma part, et vous assurer que je suis à toutes deux d'une affection entièrement sincère, votre, etc. [570]

LETTRE MDCCCLXXXII

Sentiments de la Sainte sur la proposition de faire changer d'air aux Sœurs malades. — La bonté, la patience d'une Supérieure est le souverain remède pour rendre supportable la diversité des caractères. — Les Filles reçues par les voix du Chapitre ne peuvent être renvoyées que par le Chapitre.

VIVE † JÉSUS !

Ma bonne et très-chère fille,

J'ai répondu il y a longtemps à la proposition de faire changer d'air à vos malades : certes, outre que je crois que cela leur serait inutile, celles qui sont atteintes de phthisie mourraient ailleurs comme à N., il y a beaucoup de considérations à faire là-dessus ; de sorte que, tout bien considéré, je ne puis être de ce sentiment. Toutefois, ma très-chère fille, si l'on vous presse grandement, surtout Mgr votre évêque, vous devez condescendre, ou plutôt obéir. Mais où les enverrez-vous ? Il faudra s'adresser aux maisons plus proches, qui auront la commodité de logis pour faire cette charité.

Ma très-chère fille, je vous dirai mon sentiment sincèrement devant Dieu : je crois que cette pauvre Sœur a grand tort ; mais je pense aussi et le crains, que les médecines qu'on lui a données aient été trop fortes pour la faiblesse de sa complexion. Un enfant ne saurait supporter la charge d'un homme sans demeurer accablé sous le faix. L'expérience m'a appris et m'apprend tous les jours, mais surtout je l'ai appris de notre très-heureux Père et Fondateur, que la douceur et patience vainquaient toutes choses, et qu'un cœur maternel, cordial et pitoyable sur les misères de ses enfants, est le souverain remède pour guérir, ou du moins pour rendre supportables les maladies de l'esprit. Je sais bien que, grâce à Dieu, vous avez une grande charité, mais je reconnais, ce me semble, que votre zèle et la grande pureté de votre esprit et sa force à tendre droitement à la perfection vous portent à les y porter trop impétueusement, [571] ce qu'elles n'ont pas la force de supporter. C'est pourquoi votre douceur maternelle les devrait prendre entre ses bras et les porter amiablement dans le sein de sa charité, jusqu'à ce que, par la grâce divine, la force leur soit donnée de cheminer en leur devoir.

Voilà, ma très-chère fille, ce que la conscience me dicte de vous dire en toute confiance, quoique avec un peu de répugnance, avouant devant Dieu ce véritable sentiment que je sais que vous êtes incomparablement plus capable de me donner des avis, que moi à vous ; mais Dieu voulut bien enseigner un prophète par une ânesse. Ne pensez nullement que je veuille excuser cette malade : non certes ; mais considérant son naturel et son état présent, je suis incitée de vous écrire ainsi et de conjurer votre bonté, ma très-chère Sœur, de prendre dorénavant pour elle et pour tous les faibles, un cœur non-seulement de mère, mais de nourrice ; car je sais qu'il est impossible à l'avenir, non plus que par le passé, qu'il ne se trouve toujours des esprits difficiles dans les maisons de Religion, lesquels demeureraient sous la pesanteur de leur misère, et sous la force des remèdes, comme ces deux ont fait. Mais surtout, au commencement des maladies, il faut aller autour de ces pauvres esprits bien délicatement, usant plus de divertissement et de l'amour cordial que de peines et de pénitences. L'on voit par expérience que l'amour cordial et la douceur les entretiennent en paix ; et, comme disait notre Bienheureux Père, « après tout c'est la vérité qu'il en faut venir là ». Si le mal de cette fille n'est envieilli et endurci, j'aurais bonne espérance que votre douceur, avec l'aide de Notre-Seigneur, la relèverait ; et je le veux encore espérer, en cas que l'on puisse changer de lieu. L'attente de ma présence pour cela serait de longue haleine.

Je vous prie d'excuser celle longue et ennuyeuse lettre, que j'ai confiance toutefois que Votre Charité recevra avec la simplicité et amour que je vous l'écris, et je vous en conjure, ma [572] fille. Il ne sera pas besoin de licence pour celles qui iront pour servir les malades. — Les filles qui sont admises par les voix [du chapitre] ne peuvent être renvoyées que par les voix. Dieu dictera à votre cœur de découvrir le mal de la novice, sans manifester celui de la professe. Je crois que c'est un de ses plus grands sujets de plainte, que vous l'ayez mise à mépris parmi les autres, et que vous la voulez toujours tenir basse. Prenez garde à ces deux points, ma fille ; car ils seraient pour faire bien du mal, comme leur contraire est un moyen de grande paix et profit aux monastères. — Pardonnez-moi, je vous prie, et croyez qu'en vérité mon âme chérit et estime la vôtre avec une affection cordiale et extraordinaire, et que l'une de mes chères consolations sera de vous voir encore une fois. Dieu vous remplisse de son saint amour ! Votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCLXXXIII

Se résignera combattre toute la vie contre ses mauvais penchants et à ne goûter de paix qu'à l'heure de la mort. — La science de la Visitation n'est qu'humilité, simplicité et sainte liberté d'esprit.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-bonne et chère fille,

Vous m'avez dépeint votre intérieur et vos combats si naïvement qu'il me semble que je le vois comme s'il était sur ma main. « Nul ne sera couronné qu'il n'ait vaillamment combattu ; et celui qui vaincra héritera la gloire. » O ma fille ! sur ces paroles delà Vérité éternelle, il faut à tout moment rehausser nos esprits au-dessus de nous-mêmes, et prendre nouveau courage pour persévérer en cette bataille, qui est vraiment de Dieu, sans jamais nous lasser ni ennuyer ; et aller ainsi jusqu'à ce que le divin Sauveur nous vienne donner sa paix, qui ne sera [573] peut-être qu'à l'heure de notre mort ; mais n'importe, pourvu qu'il soit avec nous, et Il y est certainement, car sa Bonté nous assure qu'il est avec ceux qui sont en tribulation. Marchez donc dorénavant en cette sainte compagnie.

Vous m'avez fait un très-grand plaisir de me dire le bon état de votre maison, laquelle vous me dépeignez avec des couleurs qui nous sont grandement agréables. Je prie Dieu qu'il bénisse ces chères âmes, et les fortifie de plus en plus dans celle sainte innocence et simplicité de vie. Oh ! qu'elles sont heureuses si elles persévèrent ! Je suis très-aise qu'elles comprennent bien la science de leur vocation qui n'est qu'humilité, simplicité et liberté d'esprit sans gêne. Dites-leur bien qu'elles sont libres de dire tout ce qu'elles voudront à leurs Supérieures, et obligées de leur rendre un bon et fidèle compte de leur intérieur ; mais elles ne sont pas obligées de leur dire leurs péchés, ni de leur faire voir les confessions écrites ; absolument elle ne les doit pas lire, ni la directrice encore moins ; mais l'une et l'autre sont obligées d'écouter très-simplement et sans interroger ce que l'on leur veut dire. Hé ! Seigneur Jésus ! faites la grâce aux Filles de la Visitation de vivre dans cette innocente enfance envers leurs bonnes Mères, et toujours elles respireront l'air de la très-désirable paix. Je vous dis donc, ma très-chère fille, que vous avez bien fait d'avoir toujours été sincère envers votre Supérieure, tandis que vous avez été inférieure. Conservez bien cet esprit d'humble simplicité et me croyez votre, etc. [574]

LETTRE MDCCCLXXXIV

Il ne faut pas se troubler, même pour les fautes qui se commettent à l'Office. — Comment observer la règle qui ordonne l'attention à la présence de Dieu. — Vertus nécessaires au temps de la maladie. — Dans une jeune Supérieure, l'humble gravité de paroles et d'actions doit suppléer à l'âge.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Aimez Jésus-Christ crucifié, humilié, mortifié et abandonné de tout le monde, et prêchez, gravez et inculquez cette précieuse leçon à votre chère troupe. Dieu soit béni, ma fille, qui vous a délivrée de vos petites aversions et craintes ! Or je vous prie, tenez votre âme fort affranchie de telles choses et de tout ce qui la peut troubler ; même des fautes qui se commettent à l'Office, ne vous en inquiétez point, car tout ce qui vous inquiète doit être évité, cela ne provenant que d'amour-propre. — La règle qui recommande [l'attention à] la présence de Dieu est suffisamment, voire, parfaitement pratiquée, quand nous avons la fidélité de retourner fréquemment notre esprit en Lui, et que nous faisons tout pour son seul amour. Je désire que vous viviez toute [dénuée] de ce qui n'est point Lui.

Vous me dites, ma très-chère fille, que vous êtes toujours malade, c'est donc le temps d'enrichir votre cœur de toutes les vertus qui sont autour de la croix que notre bon Dieu vous envoie : le doux acquiescement à la maladie et à toutes les incommodités qu'elle traîne après soi, les paroles suaves et pleines de gratitude à celles qui sont autour de vous, l'aimable condescendance, et l'acceptation des soulagements, des viandes, et de toutes les autres petites vertus que vous savez mieux que moi, au moins par la pratique. — Nous n'avons pas besoin de tant multiplier les maisons ; à mesure que Dieu donnera des pierres fondamentales, Il pourvoira de fonds convenables pour les poser. Il faut souffrir doucement les contradictions. [575] Dites beaucoup en vous taisant, par la modestie, égalité, douceur et patience. Ne répondez pas promptement, mais tardivement, humblement et amiablement, et cela d'autant qu'il faut que la maturité et humble gravité de paroles et d'actions suppléent à votre âge. Gravez encore dans les esprits de ces chères filles les vraies et vivantes vertus : qu'elles soient toutes pures et obéissantes, pauvres, modestes, cordiales, et alors elles pourront reposer dans le sein de leur Époux céleste, qui les comblera de toutes bénédictions avec vous. Je me recommande à vos dévotes prières.

LETTRE MDCCCLXXXV

Indulgence et support que doit avoir la Supérieure pour les âmes défaillantes.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je viens de recevoir votre lettre, et bien que je sois prête à me coucher, parce que je me trouve toute mal, je ne puis toutefois m'empêcher de vous prier et conjurer encore cette fois, par la douceur de notre bon Dieu et le support que notre Bienheureux a toujours eu des défaillants, couvrant et cachant leurs défauts dans son sein, d'étouffer entièrement toutes les tracasseries dont cette bonne Sœur est accusée, puisque c'est une vérité que la charité couvre tout et supporte tout.

Pour l'amour de Dieu, ne parlez plus de tout cela ; laissez-le à Dieu, pour l'amour de Dieu qui requiert cela de vous. Encore une fois, ma très-chère fille, au nom de Dieu, qu'il ne se parle plus de tout cela chez vous, beaucoup moins dehors, et laissez réunir ces trois bonnes âmes, qui reviendront à leur devoir d'elles-mêmes lorsqu'elles verront que l'on ne fait point d'attention sur elles. Quel mal peuvent-elles faire ? Tirez-les à votre union, ma très-chère, et me croyez ; car, si je ne me trompe fort, les [576] conseils que je vous donne sont de Dieu, et parlant, il vous sera utile et à vos Sœurs de les suivre. Si vous revoyez mes lettres, vous verrez qu'elles ne parlent que de paix, et Dieu le veut ainsi auquel je suis toute vôtre.

Je ne puis répondre de votre confesseur, que Monseigneur ne soit de retour ; je n'ai su avoir le temps de lire la lettre de N. Envoyez à ma Sœur M. -Fr. les tuniques et habits qu'elle a demandés.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MDCCCLXXXVI

On doit abîmer en la bonté de Dieu toutes ses craintes et ses sollicitudes. — Ne pas s'affliger outre mesure pour les fautes de ses Sœurs.

VIVE † JÉSUS !

L'Esprit Très-Saint soit votre force et consolation, ma fille ! Que vous me touchez le cœur de voir ainsi le vôtre pressé et affligé de tant de diverses attaques, que je vois clairement n'être que des pures tentations et embrouillements ! Dieu me veuille donner ce qu'il veut que je vous die ! Il me semble, ma fille uniquement chère, que vous devez vous abîmer et perdre comme une petite goutte d'eau dans l'immense bonté de l'amour éternel que la divine Majesté a pour vous, et demeurer là simple et confiante comme un enfant entre les bras de son cher Père, sans plus jamais arrêter votre esprit à considérer ni regarder délibérément ce qui se passe en vous, ni cette variété de sentiments, d'affections, de confusions, de craintes et semblables, si l'on est satisfait de vous ou non, si vous vous trompez ou non. Rien plus de tout cela, je vous supplie, ma très-chère fille, ayez seulement une douce et simple attention et affection pour bien faire ; mais, ayant fait un court abaissement d'esprit devant Dieu, relevez votre cœur pour mieux faire et retournez [577] votre esprit à sa simplicité ; car ne vous souvenez-vous pas de ce que nous a dit ce grand père et très-cher seigneur [S. F. de Sales], « que les plus misérables devaient avoir le plus de confiance ». Suivez ce chemin, ma très-chère Sœur, ne tracassez point autour des grâces de Dieu ; jouissez-en simplement et de même recevez-en la privation et toutes autres croix et contradictions. Enfin, je vous prie, ma très-chère fille, allez simplement avec Notre-Seigneur, et sans réplique. Arrive ce qu'il lui plaira, pourvu que nous nous tenions toujours à Lui, par la résolution de ne l'offenser point mortellement et d'être toute sienne ; conservez cela, et sa Bonté fera le reste. Exercez le plus de douceur, de charité et de patience qu'il vous sera possible autour de celle bonne Sœur : ne vous laissez point aller aux attendrissements pour les fautes qui se commettent, et ne faites plus de si rudes pénitences pour cela ; il n'a pas été mauvais pour une fois. Je crois que votre zèle servira, mais il faut user rarement de telles mortifications. Le doux Jésus comble votre âme de ses grâces ! Je suis en Lui toute vôtre, etc.

LETTRE MDCCCLXXXVII

Dieu ne laissera pas sans lumières suffisantes l'âme qui ne cherche que Lui.

VIVE † JÉSUS !

C'est cela que je veux de vous, ma très-chère fille, que vous cheminiez comme aveugle, sans connaissance ni désir de me voir pour savoir si vous allez bien ou non ; je dis même parmi vos troubles, impuissances, imbécillités et peines. Il faut se contenter de ce que nos Supérieurs nous disent qu'ils en connaissent ; car Dieu ne les laissera pas sans suffisante lumière pour nous conduire et ne vouloir que ce que Dieu veut. Or sa Boulé veut que nous obéissions à ses commandements, et à ceux [578] de nos Supérieurs, et que nous demeurions douces, tranquilles et toutes soumises à sa volonté.

Vous m'avez demandé, ma fille, si nous ne nous verrons point et tous nos monastères. Je n'en sais rien, Dieu le sait. Pour vous dire mon sentiment, il me semble qu'à cause du grand amour que les Sœurs me portent par une disposition divine, et de cette affection que j'ai à la simplicité de l'observance, que cela pourrait servir ; mais je considère d'ailleurs les parlements [discours] que cela pourra causer, que je fais la générale, et que sais-je moi que le monde dit ? De sorte que je demeure sans aucune inclination ni prétention que de suivre la volonté de Dieu, à quelque prix que ce soit, lorsqu'il la fera connaître par quelque occasion ou commandement de mes Supérieurs. Cependant je fais les petites besognes que Dieu m'envoie, que j'ai prou peine à accomplir.

LETTRE MDCCCIXXXVIII

Regarder Dieu et ne pas réfléchir sur soi-même. — La Supérieure doit accepter les soulagements nécessaires avec la même liberté qu'elle les ferait donner à ses Sœurs

VIVE † JÉSUS !

Ma chère fille,

Cheminez en la présence de Dieu, en l'esprit d'une sainte et absolue liberté. Ne craignez point de vous distraire l'esprit : laissez le soin de vous-même à sa Bonté. Si vous quittez quelque chose pour son service et celui des âmes qu'il vous a commises, assurez-vous que vous n'y perdrez rien. Regardez-le seulement dans les occasions où il faudra vous dispenser de quelque communauté, et puis faites ce qui vous semblera le mieux sur-le-champ ; ne retournez nullement après cela sur vous-même ni sur vos actions. Allez toujours devant vous, appuyée en Dieu et toute joyeuse de ce qu'il se sert de vous. [579] Ayez soin de vous tenir en santé et en force de corps ; car cela vous est nécessaire, autrement vous ne pourriez fournir aux obligations de la charge de Supérieure, qui est grande. Ne vous tenez point en contrainte ni craintive, mais agissez librement dans la douceur.

J'ai peine à supporter cette extrême aversion que vous avez à vos soulagements ; je vous supplie d'adoucir cette humeur et de les prendre et demander avec la même douceur, liberté et charité que votre conscience vous dicterait de les faire donner à une Sœur qui aurait le même mal. Certes, je vois bien que vous ne durerez pas, si vous ne vous soumettez à cela, car vos incommodités s'iront grossissant et se rendront importantes, et peut-être que par votre faute et pour mon affliction je vivrai plus que vous.

LETTRE MDCCCLXXXIX

Même sujet. — Les grâces extraordinaires doivent être négligées quant au sentiment et non quant à l'effet.

VUE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Les ressentiments de joie que votre bon cœur me témoigne avoir eus en la réception de la mienne dernière me rendent toute confuse, voyant le trop d'état que votre bon cœur fait d'une chose qui ne le mérite pas, aussi bien que nos chères Sœurs vos filles, qui montrent par là que ce sont des terres bien fertiles et disposées, qui reçoivent avec humilité et utilité les petits grains qu'on leur jette, pour leur faire produire leurs fruits en leur saison. Mais je vous prie, ma chère fille, de ne point demander à Dieu, comme vous me marquez, la prolongation d'une grande suite d'années, mais seulement que sa volonté s'accomplisse en moi, et qu'il me fasse la grâce de me disposer pour bien mourir. [580]

Pour ce qui est du soin de votre santé, j'en dirai un mot à ma Sœur N., puisque vous le désirez. Je n'approuve point les empressements des filles autour de leurs Supérieures pour cela ; mais je voudrais aussi que les Supérieures fussent simples à prendre les soulagements dont elles ont besoin, comme elles les feraient donner aux autres, d'autant que leur santé est plus nécessaire dans les communautés que [celle] d'aucune autre ; et je vous prie, ma fille, de garder simplement celle règle pour vous. — Vous me consolez du bien que vous me dites de ma Sœur N. ; je vois en cela sa fidélité à conserver ce qu'elle a puisé en ce monastère où vraiment elle s'y comportait exemplairement. Je suis certes touchée de la froideur de N., et bien résolue, moyennant la divine grâce, de m'essayer de crever cet apostème, en lui disant ce que Dieu m'inspirera sur foute cette conduite ; que si mon affection à la guérir demeure inutile, il faudra prendre patience, et ne laisser pas d'espérer que le temps amènera toutes choses au point que Dieu les a destinées, et bien prier Dieu pour elle.

Ma chère fille, ne prenez point garde, et ne faites nulle attention si votre bouche est douce ou amère, le jour de communion ; cela peut être d'imagination, aussi bien que de grâce : toutes ces choses extraordinaires doivent être négligées quant à leur sentiment, et non quant à l'effet qu'elles doivent opérer en l'âme. Laissez passer les fleurs, mais conservez les fruits. Celle vicissitude de tribulation et de consolation intérieure n'est que bonne ; car si les tribulations duraient toujours, notre faiblesse serait en danger de succomber sous la tentation ; et si la consolation durait aussi toujours, l'orgueil dresserait de grandes embûches à l'âme. Enfin Dieu est un bon Maître, abandonnons-nous à Lui et Il nous conduira. Votre, etc. [581]

LETTRE MDCCCXC

L'anéantissement de soi-même en Dieu est une grande grâce. — Mieux vaut recevoir un soulagement par obéissance que de s'en priver par sa propre volonté.

VIVE † JÉSUS !

Me voici bien en peine, ma très-chère fille, de savoir le pourpre en voire maison. Oh ! Dieu vous en préserve et veuille combler votre âme de celui de sa très-sainte et sacrée dilection ! Certes, vous êtes bien obligée à cette infinie Bonté qui vous départ si abondamment ses grâces et lumières. Je me réjouis de votre bonheur et de la grâce de voire correspondance, car j'estime cette continuelle vue de votre néant, le désir de pureté, et cet anéantissement continuel de vous-même en ce divin Océan, j'estime, dis-je cela, une grâce fort précieuse. Faites toujours cette pratique de retenir, mais comme insensiblement, l'activité de votre esprit, et me croyez, anéantissez cette grande aversion que vous avez aux soulagements de votre corps ; car, bien qu'elle soit sous un bon prétexte de mortification, l'amour-propre et l'inclination de la propre volonté y peut dominer, et il faut craindre l'ennemi de la vanité, et estimer davantage l'obéissance qui mortifie telles imperfections que l'austérité du corps, d'autant que celle de l'esprit vaut mieux incomparablement. Votre, etc.

LETTRE MDCCCXCI

Dans la privation des grâces sensibles il faut demeurer aussi paisible et contente que lorsqu'on jouissait du sentiment des faveurs divines. — Travailler autour des âmes avec douceur et patience, se résigner même à ne recueillir aucun fruit de ses peine.

VIVE † JÉSUS !

Ma toute chère fille,

Je bénis notre débonnaire Sauveur de ce que le mal contagieux ne s'étend point en votre ville, ainsi que vous nous assurez. [582] Monsieur votre très-bon Père spirituel est un vrai cœur de père et véritable ami. Oh ! qu'ils sont rares ! il lui faut bien correspondre. Je vois que Dieu vous a visitée, et fait ressentir sa grâce présente. Au nom de sa Bonté, demeurez toujours également assurée de sa divine assistance et amitié, autant quand il vous en retirera les sentiments que lorsque vous les aurez ; car très-assurément Il vous tient de sa très-sainte main, et vous aime très-particulièrement : demeurez en repos dans cette assurance, sans plus vous alarmer de crainte. Je vois que cette infinie Bonté vous favorise de grands dons intérieurs : cette tendresse pour les âmes, ce zèle et affection à leur bien, quittant vos plus chères consolations pour cela ; ces faveurs-là sont précieuses, et d'un grand prix. Mais, me direz-vous, les sentiments ne durent pas toujours : aussi n'ont-ils pas toujours été sensibles aux Saints, afin que leur fidélité fut mieux connue et exercée en la solidité des vertus et plus enracinée. Or, demeurez donc désormais également contente, en paix et repos, autant en l'absence des grâces sensibles, qu'en leur présence, sans réflexion ni ennui volontaire.

Quant à ces filles, travaillez doucement autour d'elles, sans vous en tourmenter ; Dieu est plus intéressé que vous en leurs défauts ; Il les permet bien. Souffrez-les aussi doucement, sans les jeter sur vous ; car, grâce à la divine Bonté, vous n'en n'êtes nullement coupable. Elles reviendront avec le temps, et feront peut-être plus de profit de vos instructions et exemples quand elles auront une autre Mère, que non pas maintenant. Notre-Seigneur ne permettra pas qu'elles perdent le fruit de votre charitable travail autour d'elles ; mais peut-être ne veut-il pas que vous en ayez le fruit et consolation, le réservant pour une autre. Certes, ma très-chère fille, je vous dis derechef que je vois que Notre-Seigneur vous gratifie de beaucoup de grâces. Et, bien que toujours il y ait changement et diversité de sentiment et d'occupation intérieure, qui est un grand témoignage de la [583] conduite spéciale de Dieu sur vous, je remarque toutefois que, faute de le bien entendre, cela vous cause de la crainte en celle voie spirituelle ; mais c'est l'amour-propre qui la produit. Vous ne devez nullement écouter cela, ni faire aucune réflexion sur ce qui se passe en vous. Bref, adoucissez votre âme et ses ardeurs, le plus que vous pourrez, en la tenant toujours paisible et tranquille. Priez pour moi, ma fille, qui suis toute vôtre, etc.

LETTRE MDCCCXCII

C'est une chose fort importante pour le bon gouvernement de ne rien faire avant d'avoir regardé et invoqué Notre-Seigneur. — On peut juger si les consolations sensibles viennent de Dieu par les effets qu'elles produisent. — Deux prêtres peuvent dire alternativement la messe de communauté.

VIVE † JÉSUS !

Ma toute chère fille,

Je commence à vous répondre où vous commencez de m'écrire, qui est de vos imperfections. Je vous dis simplement, selon mon habitude de le faire avec les Filles de la Visitation, que vous avez failli ; mais pourtant cela n'est rien, puisque, comme je crois, vous avez bonne volonté de vous amender. Je vous prie de le faire fidèlement : et surtout je voudrais bien que vous ne fissiez point de correction avec passion ; mais quand vous vous sentez émue, vous la remissiez en un autre temps convenable, et que vous tâchassiez d'être douce et suave en la conversation avec vos Sœurs. C'est une chose fort importante pour le bon gouvernement de ne rien faire sans bonne considération, et sans avoir premièrement regardé et invoqué Notre-Seigneur. C'est pourquoi, tâchez de modérer et alentir votre promptitude : si elle vous est naturelle, comme je crois qu'elle est, elle vous donnera bien de la peine ; mais pourtant, si vous avez bon courage pour entreprendre de la dominer, vous en viendrez à bout. [584] Faites-le, ma fille, pour l'amour et révérence que nous devons porter à la présence de Notre-Seigneur qui voit toutes nos actions, et qui prend plaisir à nous voir remporter quelque petite victoire sur nous-mêmes.

Pour ce qui est de votre oraison, je crois que vous vous en devez tenir à ce que feu la bonne N. vous en a dit, et demeurer dans votre train de la sainte simplicité. Cette variété d'états que vous y ressentez n'est que bonne, et voire, nécessaire ; mais quand vous y serez consolée, ne vous amusez point curieusement à regarder d'où procèdent vos consolations. Pourvu qu'elles produisent en vous des bons effets, qui sont l'humilité, la mortification, la douceur et la sainte joie, contentez-vous de cela. Et quand vous y serez aride et désolée, aimez vos désolations pour le respect de Celui qui vous les envoie ou permet qu'elles vous arrivent, et unissez amoureusement votre volonté à la sienne. Au surplus, je me sens fort votre obligée pour la peine que vous avez prise de m'écrire de votre intérieur avec tant de simplicité ; je vous en remercie, car cette naïveté que je vois en votre lettre me donne une entière connaissance de la bonté de votre cœur.

Quanta la bonne Sœur N., qui a tant de consolations sensibles, on en dit une chose qui me fait soupçonner que tout ce qu'elle a procède plus de la nature que d'autre source, et c'est ce que vous me marquez, qu'elle s'attache facilement aux créatures et à ces tendretés et caresses qu'elle désire ainsi ; car, pour l'ordinaire, les consolations sensibles en ces âmes tendres et fades ne procèdent que de leur nature qui leur cause cela. Mais pourtant il ne faut pas beaucoup s'amuser en ces examens-là : il faut regarder si ces consolations produisent des bons fruits tels que j'ai dit ci-dessus, de vraie humilité, douceur et exacte observance ; car si elle ne vit détachée des choses créées, c'est signe évident que l'Esprit de Dieu ne régente pas en elle. Vous ferez fort bien de l'employer et divertir aux choses extérieures, puisque même elle y est si adroite. [585]

Quant à la crainte que vous avez de vous perdre et les autres aussi, ma très-chère fille, pourvu que vous fassiez votre gouvernement selon l'esprit de votre Institut, qui est doux, humble et charitable, vous n'avez rien à craindre en cela, car Dieu sera avec vous et vous aidera. — Nous avons été bien consolées d'entendre comme votre établissement s'est fait avec tant de bénédictions et applaudissements universels de tout le peuple ; c'est un témoignage de la spéciale conduite de Dieu sur votre maison, comme aussi le bonheur que vous avez eu en la rencontre d'un si digne prélat. — Il n'y a pas du danger de laisser dire votre messe à deux prêtres ; mais pour la confession, il est bon que ce soit un même, tant qu'il se peut. Votre, etc.

LETTRE MDCCCXCIII

Bénir la Providence des adversités comme des prospérités. — Pour les élections, il est bon de se contenter des Sœurs qu'on a chez soi. — Bien choisir le confesseur extraordinaire. — Autorité de la Supérieure pour dispenser des jeûnes de Constitution et de l'oraison.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-bonne et vraie fille,

Le divin Sauveur qui va naître petit Enfant pour nous élever à la grandeur d'être enfants de Dieu, soit éternellement béni et glorifié par nos âmes ! Que béni soit-il aussi pour toutes les miséricordes qu'il départ à ce pauvre petit Institut, particulièrement dans la manifestation de son saint Fondateur ; cela nous est à toutes une très-grande consolation. Hélas ! que la divine Providence sait bien faire le mélange ! Mais bénite soit-elle aux adversités comme aux prospérités ! Cette affaire que l'on a élevée contre nous se trame toujours plus à N. et aux maisons voisines, et c'est pour cela spécialement que l'on croit être d'une absolue nécessité que j'y conduise nos Sœurs ; les envies se mêlent par là dedans, et l'on est bien aise de nous décréditer, [586] car l'on dit que nous attirons toutes les braves et riches filles de qualité. Enfin, l'esprit malin se fourre par là dedans sous des prétextes qui paraissent bons ; mais j'espère fermement que Dieu prendra notre cause en main et dissipera toutes ces fumées.

Pour ce qui est de votre élection, je vous assure, ma fille, qu'il est bon de se contenter de ce que l'on peut avoir chez soi, si la nécessité ne contraint de chercher ailleurs ; surtout je ne vois rien à craindre pour votre maison, puisque vous y demeurez. Mais, hélas ! ma très-chère fille, que notre suffisance et capacité est chétive et imbécile, si elle n'est soutenue et guidée de Dieu, unique source de tout bien. — Je vous supplie, ma fille, de me recommander souvent à sa Bonté, et toutes nos chères Sœurs aussi que je salue cordialement avec vous. Mon Dieu ! ma fille, quel plus grand bonheur que d'avoir la paix en sa famille, et qu'une communauté de bonne intelligence et bien unie est digne d'honneur ! C'est le bien des biens, après ceux qui regardent le culte divin, que cette paisible et cordiale union du dedans. Assurément, plus nous nous tiendrons unies à nos Supérieurs, mieux nous nous en trouverons. Ce n'est pas qu'il ne soit bon d'avoir un confesseur extraordinaire, cela est nécessaire pour la plus grande liberté de conscience. Mais croyez, ma très-chère fille, qu'il faut bien choisir celui que l'on emploie à cela, et qu'il connaisse notre manière de vie, l'aime et l'estime.

Quant aux demandes que vous me faites touchant les jeûnes des Constitutions, et pour dispenser quelques Sœurs infirmes ou qui auraient fort à faire, de ne faire que demi-heure d'oraison le matin pour quelque temps, vous pouvez dispenser nos Sœurs de tout cela, selon que vous connaîtrez les infirmités corporelles ou délicatesse naturelle ; encore faut-il regarder la portée et complexion des esprits. Et pour ce qui est de dispenser quelques Sœurs de s'absenter de l'oraison plus de deux jours, vous le pouvez à celles que vous connaîtrez être fort incommodées ; [587] mais il faut faire cela en sorte qu'il ne soit pas tiré à conséquence par celles qui n'en ont pas besoin. — Je vous remercie de tout mon cœur des prières que vous faites pour moi. Continuez-moi cette charité pour mon âme et non pour mon corps, pour l'éternité et non pour la vie présente.

LETTRE MDCCCXCIV

Pauvreté des commencements de l'Institut. — Exhortation à jeter toutes ses sollicitudes en Dieu, qui n'abandonne jamais les âmes humbles et confiantes. — Après le péché, la tristesse est le plus grand mal qui puisse arriver à une âme.

VIVE † JÉSUS !

Enfin, ma très-chère Sœur, il n'a pas plu à la divine Providence que vous ayez trouvé plus de fonds à votre fondation que nous n'en avons eu en la plupart de celles qui se sont faites, sur lesquelles je vous conjure de jeter les yeux, et voir le soin paternel par lequel ce grand Père céleste a pourvu à toutes leurs nécessités ; et voyez qu'il n'y avait aucun fonds temporel ; mais de plus que nous étions le rebut de tout le monde, sans aucun appui, et toutes les puissances supérieures bandées contre nous. Cependant le bon Sauveur nous couvrait de ses ailes, comme des petits poussins, nous nourrissait et faisait vivre en repos et assurance, consolées de n'en avoir qu'en Lui. Et me semble, ma chère Sœur, qu'il n'y a point de tel contentement que celui de jeter tout son soin en Dieu. Je sais que c'a toujours été votre grand refuge ; c'est ce qui nie fait espérer et croire fermement que bientôt vous expérimenterez les effets de cette Providence paternelle. Il faut que je vous dise avec simplicité que je suis consolée de vous savoir en cet état, et parmi les occasions de pratiquer l'entière et parfaite confiance que vous devez avoir en notre bon Dieu. « Jetez tout votre soin en Lui, et Il vous nourrira. » Ayez toujours devant vos yeux cette parole du Fils [588] de Dieu : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu, et toutes choses nécessaires vous seront données. » La Vérité éternelle a promis cela, n'est-ce pas assez pour nous tenir en repos ? « Les yeux de tous espèrent en vous, Seigneur, et vous leur donnez nourriture en temps convenable. » Au reste, ma très-chère Sœur, si nous n'avions qu'un morceau de pain, nous le partagerions pour vous ; et si Dieu ne vous assiste en vos petites affaires, nous vous recevrons, mais cordialement.

Hélas ! que je plains votre pauvre Sœur prétendante en sa mélancolie ! C'est le plus grand mal qui puisse arriver à une âme, après le péché, que la tristesse ; c'est pourquoi il faut que votre cœur soit fort attentif pour tenir nos Sœurs gaies et contentes. [Avec] cela la charge de la Religion leur sera légère, et tontes choses faciles : la cordialité et douceur d'un cœur maternel peut tout envers les filles. Vôtre, etc.

LETTRE MDCCCXCV

Des bienfaitrices séculières. — Le bonheur de cette vie est de beaucoup faire et souffrir pour Dieu. — La Providence ne laissera jamais manquer le pain matériel aux âmes qui cherchent premièrement le royaume de Dieu et sa justice.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Le divin Sauveur vive et règne en nos cœurs, selon que la grandeur de sa miséricorde nous le fait espérer ! Je vous remercie de la charité que vous me faites et toutes nos bonnes Sœurs, de me recommander si soigneusement à sa Bonté ; mais je vous prie que ce soit seulement pour obtenir les richesses de l'âme par l'entier dépouillement que sa Bonté veut en moi ; car je ne désire que cela, mais je le souhaite aussi à toutes les Filles de la Visitation, à tous les catholiques, mes chers frères en Notre-Seigneur. [589]

Je suis extrêmement aise que vous ayez tâché de contenter ma bonne Sœur N. ; car enfin il faut toujours que la douceur surnage en tout. — Quant à ces sorties, je vous dirai bien qu'en toutes nos maisons où il y a des bienfaitrices séculières, on leur donne la licence de sortir quand elles veulent, et qu'il est nécessaire. Je vous dis ceci pour vous ôter le scrupule que vous pourriez avoir de ces sorties ; ce n'est pas qu'il ne soit bon de les régler, selon qu'il se peut bonnement. — Ce que vous me dites que vous vous estimez bien heureuse de souffrir quelque chose pour Dieu, me donne sujet de le bénir, et le supplier de vous accroître ce courage et à toutes les âmes chrétiennes ; car « le plus grand bonheur en cette vie est de faire et souffrir », comme dit notre Bienheureux Père. Ce m'est une consolation de vous savoir si abandonnée et résignée au bon plaisir de Dieu. Enfoncez-vous toujours davantage là dedans, par une entière confiance en sa Bonté qui vous donne ces sentiments, et à toutes nos chères Sœurs, avec une si grande abondance de courage, pour supporter tout ce qu'il permettra vous arriver. Mon Dieu ! que cette disposition est sainte, et qu'il en faut bien référer la gloire à Celui qui la donne ! J'espère en la vérité de sa parole que, cherchant le royaume de Dieu et sa justice, Il pourvoira à nos nécessités temporelles, non peut-être abondamment, mais selon qu'il sera absolument nécessaire ; et l'expérience que les Sœurs en ont faite nous fait voir que dans le vrai besoin, l'on se [contente] de peu. Tâchez donc de pratiquer la pauvreté de bonne heure, afin que le peu que vous avez dure longtemps. Priez pour celle qui est toute vôtre, etc. [590]

LETTRE MDCCCXCVI

Il faut bannir toute crainte pour le temporel et bâtir les monastères quand Dieu en donne les moyens. — Se tenir humble devant les créatures et en soi-même est le moyen de s'attirer l'assistance du ciel.

VIVE † JÉSUS !

Je vous assure que oui, ma très-chère fille, que je dis que vous êtes bien mauvaise ; et si j'étais auprès de vous, je vous ferais bien dire très-humblement votre coulpe, du jugement que vous avez fait de notre bonne Sœur N... qu'elle n'est pas simple : vous ne connaissez pas cette âme-là, d'autant que je sais bien qu'en toutes ces affaires de fondation elle n'y agit que fort simplement et sincèrement. Or, voyez donc, ma fille, si vous n'avez pas de tort de l'accuser de ce côté-là ! Mais il ne réussira de cette fondation que ce que Dieu en ordonnera, et nous verrons ce qu'il en voudra, moyennant sa sainte grâce. Peut-être n'y aura-t-il pas grand fondement, ni pour les unes ni pour les autres, puisque cela va si lentement. Au surplus, croyez, ma chère fille, que vous eussiez fait une bonne charité à nos bonnes Sœurs de N... de leur faire avoir ces quatre mille livres qu'elles vous ont demandées : car elles sont prisonnières jusqu'à ce qu'elles aient fait cette clôture, pour laquelle elles ont besoin de cet argent-là. Mais je ne sais par quel trou vous avez laissé entrer dans votre esprit tant de craintes et d'appréhensions pour le temporel, parce qu'il me semble que cela est fort contraire à votre esprit naturel et surnaturel. Hélas ! ma fille, vous vous plaignez pour ce petit engagement, duquel je m'assure que vous serez bientôt dehors : nous en avons bien d'autres, et plus grands que celui-là, et si, grâce à Dieu, nous ne nous lamentons pas, parce que nous espérons toujours que la divine Providence nous pourvoira de tout, comme elle l'a fait jusques ici. Je vous prie donc, ma très-chère fille, de fermer [591] désormais la porte de votre esprit, afin que ces appréhensions n'y entrent plus, ni aucune sorte de crainte pour ces choses-là, ains que vous ayez un cœur large et dilaté dans la confiance en Dieu.

Jésus ! que me dites-vous encore, ma fille ? que vous êtes si dégoûtée des bâtiments, que jamais, en quelle part que vous soyez, vous n'entreprendrez d'en faire, parce que cela ruine les maisons, et que vous agréez grandement le sentiment de Monseigneur N... qui est que l'on demeure dans les maisons comme on les trouve. Ma fille, comme me dites-vous cela ? Oh ! Jésus, je vous prie que je n'entende plus cette parole de vous. Eh quoi ! vous préférez donc le sentiment d'un particulier à celui de tous nos anciens Pères et fondateurs de Religions, et de notre Bienheureux Père particulièrement, lequel, quoique nous fussions ici en une petite ville, et que nous ne reçussions que des filles pauvres, voulut néanmoins que l'on entreprit le bâtiment d'un monastère. Enfin, je ne veux plus ouïr cette parole de ma très-chère fille. Me voilà donc bien aise, puisque la fondation de N... vous demeure, et de tout mon cœur nous vous la cédons, à condition toutefois que vous ferez une charité à notre maison de N... de la décharger d'une Sœur, ou de leur donner la dot d'une ; car il y a plus de quinze jours que je porte cela dans mon esprit, que nous vous quitterions cette fondation, en ménageant cette petite charité pour ce pauvre monastère-là. Nous avons ici celle maxime inviolable, de ne nous point empresser pour aller faire des fondations ; il nous suffit de suivre la Providence divine, et seconder doucement les bonnes volontés de ceux qui nous désirent.

Votre intérieur va bien ; mais, je vous prie, gardez-vous des recherches de l'amour-propre, et des désirs d'estime. Tenez-vous très-humble devant les créatures et en vous-même : car c'est le seul moyen d'assurer votre chemin et de conserver la grâce, pour bien faire voire gouvernement par la conduite de [592] l'assistance d'en haut. Soyez la première en toutes nos observances, soyez exacte en tout et ferme à la faire conserver, et que chose quelconque de l'Institut ne demeure en arrière pour les affaires temporelles et spirituelles. Ayez un soin juste et charitable ; gardez-vous de désapprouver aucunement le gouvernement ni le procédé de celle qui vous a devancée. Si quelque chose y manque, couvrez-le et l'excusez, et ne permettez aux filles d'en parler ; car certes elles auraient grand tort, et celles qui le feraient, ce serait plutôt par flatterie de votre personne que par autre motif.

LETTRE MDCCCXCVII

Bonheur d'une âme qui n'a d'autre appui que Dieu. — Comment la Supérieure doit travailler à la perfection de ses Sœurs.

VIVE † JÉSUS !

Je vous assure, ma chère fille, que j'ai été bien consolée de recevoir de vos nouvelles et de cette nouvelle plante. Dieu lui donne un saint accroissement en l'esprit de sa vocation ! Oh ! que bienheureuse et favorable est l'obéissance qui nous dépouille et dénué de toutes consolations et appuis en la terre, car alors l'âme est conduite à Dieu son seul et unique trésor, où elle trouve des richesses abondantes pour subvenir à toutes ses nécessités. « Celui est trop avare à qui Dieu ne suffit. » Bienheureuse nécessité qui nous fait reposer en Dieu seul ! Que je suis contente, ma fille, de vous voir en la possession d'un si grand bien ! Conservez-le uniquement, et vous verrez que sa Bonté prendra soin de bien dresser et conduire vous et les chères âmes qu'il commettra à votre charge. Il les faut pousser, mais doucement, et plutôt les soulever simplement par votre exemple et vos encouragements suaves. Il faut que nous travaillions autour des âmes sans effort. C'est bien à nous, ma chère fille, de cultiver et arroser les âmes ; mais Dieu seul les peut [593] faire croître et avancer en la voie de perfection. J'ai ferme confiance que Dieu fera fleurir l'esprit simple, humble et doux, en noire petite Congrégation de la Visitation. — C'est une vérité assurée que votre âme m'a toujours été singulièrement chère, pour y avoir reconnu la vraie sincérité et droiture envers Dieu, qui a accoutumé de me lier tout à fait aux cœurs où je la vois régner. Sa Bonté vous augmente celle grâce ! Votre, etc.

LETTRE MDCCCXCVIII

Quand même l'abjection nous devrait anéantir, qu'importe, pourvu que Dieu soit servi ! — Ne rien ajouter ni diminuer à ce qui est de l'observance.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

La description que vous me faites de votre misère m'est une grande consolation : car bien que je voie que Notre-Seigneur vous permette de vifs ressentiments de la partie inférieure, je remarque aussi les solides grâces et lumières qu'il vous donne, pour gagner pays parmi les déserts où Il vous conduit. Oh ! que vous êtes heureuse, ma chère amie ! la main de Dieu vous soutient et vous guide, ne craignez rien. La vue et les sentiments que vous avez en la suprême partie de votre esprit, sont une grâce plus solide et précieuse que si vous vous fondiez en douceur : prisez-la beaucoup et la faites valoir, vous tenant par ce moyen forte et puissante, au-dessus de tout ce qui vous pourrait arriver en cette vie, quoi que ce soit. Soyez préparée à tout, à être Supérieure ou inférieure ; bref, à tout ce que Dieu voudra. Quand l'abjection vous devrait anéantir, qu'importe, pourvu que Dieu soit servi ! et jamais nous ne le servirons mieux que par cette voie d'humilité. Embrassez-la fortement, sans vous soucier de ce que le monde dira et s'il sera content ; nous n'avons que faire de son contentement, mais seulement de l'honneur et gloire de Dieu. [594] Ma fille, que rien n'ébranle votre cœur : puisque le divin Maître vous a commis cette charge, ne craignez rien ; marchez vos pas accoutumés. Dites souvent à Notre-Seigneur qu'il vous donne tout, qu'il fasse tout, que vous n'êtes qu'un chétif instrument mis en sa main ; et parlant soyez assurée qu'il vous mènera heureusement.

Rendez-vous gracieuse aux séculiers. Ayez un soin tout maternel de vos filles : en toutes leurs nécessités, penchez du côté de la douceur et du support ; tenez leurs esprits joyeux, et pour cela, conservez-leur une sainte liberté aux récréations, ne les y reprenant, ni leur disant rien qui les mortifie, sinon qu'il fût bien nécessaire. Ma fille, il faut être bien ferme à ne point recevoir de changement : il ne faut rien laisser ajouter ni rien diminuer. Enfin il ne faut rien craindre ni appréhender que le péché. Croyez-moi, Dieu sera votre conduite et votre guide en tout, si vous vous tenez bien humble, et si vous avez un extrême support et douceur pour le prochain ; et voilà le grand point. Votre, etc.

LETTRE MDCCCXCIX

Quand une âme est fidèle à ne pas faire de fautes volontaires, Dieu couvre celles qui échappent à sa fragilité. — Conseils pour l'oraison.

VIVE † JÉSUS !

Ce mot n'est que pour vous saluer chèrement sur le lit de la croix, où je m'assure, ma chère Sœur, que la douceur de Notre-Seigneur vous aura fait recueillir mille bonnes vertus, et aura grandement accru son saint amour dans votre chère âme ; car jamais cette main paternelle ne frappe nos corps par les souffrances et maladies que pour nous enrichir de ses dons spirituels. Ma fille, nonobstant vos combats, demeurez haut élevée, dans l'acquiescement du bon plaisir divin ; il faut demeurer là [595] fermement, et avoir patience avec vous-même. Pourvu que vous soyez fidèle à ne point faire de fautes volontaires, Il couvrira celles de votre fragilité, desquelles vous ne devez nullement vous affliger, mais en nourrir l'amour de votre abjection dont la pratique est riche devant Dieu. N'entretenez point ce désir de la mort : l'amour-propre en peut tirer des vaines complaisances et satisfactions.

Quant à votre oraison, ma toute très-chère fille, je vous ai dit, selon qu'il a plu à Dieu m'en donner la lumière, qu'elle était fort bonne, que vous y devez continuer avec grande paix et tranquillité d'esprit, car par cette manière vous tenez votre âme en disposition pour recevoir ce qu'il plaît à la divine Boulé d'y verser... [mots usés]. Les grâces qu'elle vous fait vous [les] devez recevoir fort simplement, sans vous arrêter ni à les regarder, ni à les [savourer], ains tenez votre âme fixement en Lui tant que vous pourrez, vous anéantissant sous ses grâces et sous son saint vouloir. Moins vous agirez, tant mieux vous ferez ; et remarquez que vous devez demeurer constamment en cette disposition, également contente dans le fait du bon plaisir de Dieu, soit qu'il vous console ou désole, qu'il vous remplisse de Lui-même ou qu'il vous laisse vide : voilà ma pensée, et d'être toujours toute vôtre en Celui que je supplie vous remplir de son pur et saint amour. Amen.

La seconde partie de cette lettre, traitant de l'oraison, est conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Venise.

LETTRE MCM

Conduite que doit tenir une âme qui se sent impuissante à tout bien.

VIVE † JÉSUS !

Dieu soit béni, ma très-chère fille, qui a voulu vous mener dans le désert avec sa Bonté, pour y recevoir des peines et des [596] tentations et à la fin une petite visite ! Tout cela vous doit être précieux, vous étant donné de la bonne main de Dieu. Assurez-vous que si vous tenez votre âme ferme en cette sainte présence et vue de la divine Majesté, en la manière qu'il lui plaira, vous accomplissez sa volonté, laquelle ne vous peut être mieux signifiée que par vos propres impuissances, quand il lui plaît de vous y laisser, et dans les consolations, quand Il vous les donne. Enfin, vous devez connaître clairement qu'il y a une puissance au-dessus de vous, qui vous domine et attire comme il lui plaît ; car ne voyez-vous pas qu'il est hors de votre pouvoir d'être consolée et éclairée intérieurement quand vous le désirez ? Voilà l'arrêt auquel il faut s'arrêter. L'on peut bien tout doucement, mais rarement, essayer s'il plaît au divin Maître que nous fassions quelque chose ; trouvant que non, demeurons en paix devant Lui sans nous remuer, nous contentant d'être à sa vue et dans son bon plaisir.

Ne faites point de vœux nouveaux, mais observez cordialement les trois vôtres de religion, et mettez en pratique ces bons désirs de suivre la lumière du bien et fuir le mal. Votre, etc.

LETTRE MCMI

Bienheureuses sont les âmes qui souffrent pour Dieu. — Instances respectueuses à faire auprès du prélat pour retarder la vêture d'une postulante jusqu'à ce qu'elle ait atteint sa quinzième année. — Prévenir avec zèle toutes les occasions de relâchement.

VIVE † JÉSUS !

Vous êtes donc toujours sur le lit de la croix, ma très-chère fille, comme je crois avec Notre-Seigneur, que je supplie nous rendre participantes des mérites sacrés de sa sainte Passion. Mon Dieu ! que bienheureuses sont les âmes qui souffrent en Dieu et pour Dieu leurs maladies et afflictions ! Certes, ma fille, je ne vois rien en ce monde de si précieux et désirable. Je [597] vous dis derechef, ma fille, que vous êtes bienheureuse, et d'autant plus que je vois que vous êtes souffrante et agissante, puisque la divine Bonté vous fait la grâce de ne rien laisser de ce que vous devez faire en votre gouvernement ; et que, grâce à Dieu, votre maison va fort bien pour le spirituel et temporel.

Si vous êtes si heureuse que d'aller voir notre souverain Bien, vous ne m'oublierez point dans ces délices immortelles, et je vous en conjure. Vous trouverez là grand nombre de nos chères Sœurs, et notre très-saint Père. Hélas ! de grâce, recommandez-moi à cette dilection qu'ils m'ont tant témoignée en cette vie, et ne cessez d'invoquer la divine clémence, afin que par la grandeur de sa miséricorde je puisse parvenir à la jouissance de leur douce société, pour, avec tous les Saints, bénir et aimer éternellement le souverain Bien-Aimé de nos âmes. Je vous fais cette prière les larmes aux yeux. Hélas ! que je trouve mon bannissement long ! Mais de toutes les forces de mon âme je ne veux que ce que mon Dieu veut pour moi. Votre cœur est en la vraie disposition que je souhaite à toutes les Filles de la Visitation.

Quant à ce que vous dites de la vêture de la petite N. avant ses quinze ans, [soumettez-vous] pourvu que vous ayez fait tout ce que vous aurez pu envers les parents, afin qu'ils ne recherchent cela vers Mgr N. et que ce ne soit pas la fille qui le lui ait demandé, car cela ne serait pas une faveur pour elle, mais très-grande défaveur de vouloir entrer dans la Religion par la porte du dérèglement ; je crois qu'elle n'en recevrait pas bénédiction, ni celles qui l'ont instruite, si elles ne lui ont inculqué la fidélité et révérence à l'observance et conservation de l'Institut qu'elle veut embrasser. Outre cela, ma fille, vous devez faire tout ce que vous pourrez vers Monseigneur N. afin que l'on n'ouvre point la porte aux dérèglements dans votre maison, par des faveurs purement vaines et mondaines ; et faut encore que par quelque personne bien adroite vous lui fassiez savoir comme la Bulle de [598] l'approbation des Constitutions défend à Messeigneurs les Supérieurs de rien changer ni innover sans l'expresse permission du Saint-Siège. Mais au bout, quand vous aurez fait tout ce qui vous sera possible, si Monseigneur N. veut de son autorité absolue que cela soit, soumettez-vous humblement, et instruisez bien vos filles, à ce que cela leur serve à prendre de nouvelles forces et courage à ne se jamais relâcher ; mais qu'au contraire elles soient soigneuses à prendre garde à toutes les occasions qui les y pourraient porter, pour les prévenir. Mon Dieu ! ma chère fille, qu'il nous faut bien humilier, invoquer Dieu et lui être fidèles, afin qu'il conserve en son intégrité les règlements qu'il lui a plu nous donner par notre saint Fondateur, et que les hommes ne les dissipent point ; mais il faut que ce soit nous-mêmes qui, par notre zèle et affection de nos observances, prévenions les occasions de dérèglement. Croyez qu'il ne faut être ni tendre ni molle en ceci. Votre, etc.

LETTRE MCMII

Porter la croix avec patience et sans la regarder inutilement.

VIVE † JÉSUS !

Ma très chère fille,

Ayez un grand soin de tenir votre âme en paix dans la conduite que Dieu fait de vous. Votre voie est très-bonne et assurée, quoique pénible : cheminez-y avec toute la douceur d'esprit qui vous sera possible, vous abandonnant pour jamais au soin de notre bon Dieu, et vous reposez et confiez totalement en son amour, et cela très-simplement, sans vous gêner la tête pour en faire des actes. Portez patiemment vos peines, et ne les regardez que le moins que vous pourrez ; adoucissez les mouvements de votre âme, et l'accoisez en la volonté de Dieu sitôt que vous la verrez émue, et faites mourir dans cette même très-sainte [599] volonté les désirs et recherches de votre propre satisfaction ; et par ce moyen vous posséderez la vraie paix que de tout mon cœur je souhaite au vôtre très-cher, et prie Dieu vous la donner. Suppliez aussi sa Bonté pour moi à ce qu'il lui plaise me faire miséricorde. Amen.

LETTRE MCMIII

La souffrance est la voie la plus directe pour aller à Dieu.

VIVE † JÉSUS !

O vrai Dieu ! ma très-chère fille, qu'il faut avoir un bon et ferme courage pour supporter avec douceur et profit les croix que la divine Providence vous met sur les épaules, afin que vous ne perdiez [pas] le fruit d'un si digue arbre, comme est celui de l'affliction ! Ce grand Dieu vous aime, Il vous veut toute sienne, et pour cela Il vous appelle et vous mène par la voie où vous cheminerez [plus] droitement et plus sûrement à Lui. Marchez-y donc fermement, ma très-chère fille, et généreusement ; et, sans doute, au bout de cette carrière vous trouverez la bienheureuse éternité que cette infinie Bonté nous a préparée en l'excès de sa miséricorde. Espérez fermement ce bonheur, et, en cette attente, soyez généreuse, et dites avec votre patron saint François : « Pour les biens que j'attends, les peines me sont passe-temps. » Mais, avec cela, tâchez d'adoucir soigneusement la violence de vos passions et ressentiments, je vous en prie, ma fille très-chère et bien-aimée, et me mandez le plus tôt que vous pourrez, comme se portent vos pauvres malades ; car j'en suis en peine et de vous.

Nous avons fait faire une neuvaine de messes et la communion générale pour vos besoins de toutes. Je n'ai loisir de vous dire davantage. Ma fille, tenez votre cœur en Dieu, en paix et patience dans son divin bon plaisir, que je vous conjure de voir [600] en vos travaux, et les aimer pour cela. À Dieu que je supplie vous aider et vos chères malades : je n'ai garde de vous oublier, ni ma petite assistante.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans.

LETTRE MCMIV

Comment correspondre aux attraits divins. — Pauvreté d'un monastère de l'Ordre.

VIVE † JÉSUS !

Je suis maintenant comme ces nourrices, quand elles ont un peu été absentes de leurs poupons l'abondance du lait les leur fait désirer afin d'être allégées. Enfin c'est grand cas d'être mère. Je vois dans votre lettre que Dieu vous sèvre de toute sorte de sentiments et de goûts des choses extérieures, pour vous faire voir et goûter les intérieures, et Lui seul sans mélange ; qu'il soit donc béni ! Il faut demeurer là sans chercher autre chose. Non, ma très-chère Sœur, vous ne devez appliquer votre esprit ailleurs ; aussi bien ne vous serait-ce que peine, ainsi que vous me dites. Tout ce que vous devez faire de votre part, c'est de demeurer abaissée et anéantie devant cette divine Majesté, ne laissant pourtant de vous employer soigneusement aux choses de votre charge et de contribuer tout doucement par paroles et actions d'une suave joie, quand il est requis pour l'édification et consolation des Sœurs. J'aime parfaitement les âmes qui vont simplement, ayant grande aversion aux réflexions, toutefois il faut supporter doucement celles qui en sont souvent travaillées.

Votre bonté et la chère affection que vous me portez vous font penser que je dois être en considération par-dessus les autres. Mais, hélas ! ma très-chère Sœur, je ne le suis ni ne le mérite pas ; aussi ne le désirai-je point, ce me semble. — J'oubliais de vous dire que notre maison de N. est en si extrême nécessité [601] que si nos maisons ne l'aident, elle est en danger, selon le jugement humain, de succomber. C'est pourquoi je crois que, selon la charité, nous sommes obligées de l'aider, je ne dis pas du superflu, mais de ce qui nous serait bien nécessaire. Ma fille, je vous supplie, contribuez à cette charité le plus que vous pourrez. Votre, etc.

LETTRE MCMV

L'union de l'âme avec Dieu se fait plus parfaitement dans la souffrance que dans la jouissance.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je l'avoue, ceux qui vous attribuent de l'artifice et de l'ambition sont bien trompés en vous, et vous connaissent très-mal. Mon Dieu ! est-il possible que telles personnes se laissent tromper à leur propre sens jusques à l'extrémité d'un tel aveuglement ? Je vous prie de me dire ceux qui tiennent ce langage, et ne craignez point ; je ne gâterai rien, s'il plaît à Dieu, mais leur profiterai sans rien découvrir, moyennant la divine grâce.

Il me semble que j'entends assez votre disposition intérieure, et la manière avec laquelle vous recevez toutes ces grâces, quoique au travers d'une grande obscurité : car Dieu seul est la lumière et l'intelligence de cet état surnaturel. Il appartient à ce souverain Maître de faire ce qui lui plaît dans les âmes qui se sont livrées sans réserve à son pouvoir : cela est au-dessus de la compréhension de l'esprit humain. Je vous l'ai déjà dit, que votre voie intérieure est un état qui se peut voir, goûter et sentir, mais non pas exprimer ; nous avons une vue trop obscure en cette vie et une intelligence trop grossière. Le profit que votre chère âme reçoit parmi tous ces états obscurs est infiniment plus grand, par l'unité de l'esprit ; et la perfection est pratiquée dans une manière bien plus excellente que si votre [602] cœur se fondait dans les sentiments amoureux et dans les actes positifs des vertus, dont l'on vous présente la pratique par les mauvais jugements qu'on fait de vous. Peu d'âmes se rendent capables de cette voie divine, de demeurer unies à Dieu et sans se plaindre des torts qu'on leur fait. Tout cela se convertira à la gloire de Dieu et à votre profit spirituel. Votre, etc.

LETTRE MCMVI

Le bonheur et la perfection de la vie religieuse se trouvent dans l'observance de la règle, la pauvreté d'esprit et le délaissement de soi-même au bon plaisir divin.

VIVE † JÉSUS !

O ma très-chère fille, si nous lisions et pratiquions fidèlement nos Règles, que nous serions heureuses ! Elles nous guériraient de tout : c'est notre voie, cheminons-y sans nous en détourner, quelque difficulté qui nous puisse arriver. Si nous cherchions bien dans ce petit livret, nous y trouverions tous les remèdes. Allez joyeusement, et ne regardez point si vous avez de la clarté, de l'intelligence, et semblable : contentez-vous que Notre-Seigneur est riche de tous ces dons et grâces ; aimez-les en Lui, et ne les désirez nullement pour vous. Bienheureux sont les pauvres d'esprit. Oh ! la grande richesse de ne vouloir chose quelconque que Dieu ! en cela consiste notre bonheur.

Il faut que je vous dise la vérité, ma très-chère fille : je suis grandement touchée de vous voir toujours marcher avec ces ennuis et abattements d'esprit. Ne sauriez-vous faire cet entier et irrévocable délaissement de vous-même entre les mains de Dieu, vous dépouillant de tout soin de vous et du désir des vertus, n'en voulant que celles qu'il vous donnera, et selon les occasions qui s'en présenteront, auxquelles il faut être fidèle. Nue et sans vertu je suis venue au monde, et sans-vertu quelconque je me remets, mon Dieu, en vos mains : dites cela, ma fille, et quand vous verrez que votre esprit se voudra revêtir, [603] à cause qu'il s'est dépouillé, ne faites autre chose que de le retourner simplement à son Dieu, et demeurez entre les bras de sa Providence comme un enfant, lui laissant sans réserve le soin de ce qui vous regarde ; car ces ennuis d'esprit ne procèdent que de ce que vous n'avez pas la perfection que vous désirez. Or, il vous faut contenter de celle que Notre-Seigneur veut que vous ayez, étant la vraie perfection que celle résignation et ce repos d'esprit. Je vous écris ceci avec un extrême désir que vous le pratiquiez soigneusement, et ne devez jamais chercher autre exercice que celui-ci, qui vous est grandement propre, et servira de remède à tout ce qui vous pourra arriver. Que si votre travail n'est suivi de la victoire, embrassez ces croix amoureusement, et soyez joyeuse de n'être pas joyeuse. Bienheureux sont les nus, car Dieu les revêtira : sa Bonté nous fasse la grâce d'être parfaitement dépouillées. Votre, etc.

LETTRE MCMVII

Définition de la pauvreté d'esprit ; c'est an chemin assuré pour aller à Dieu. — Danger des réflexions inutiles sur soi-même. — Vertus qu'une Supérieure doit principalement inculquer a sa communauté.

VIVE † JÉSUS !

Ma vraiment très-chère fille,

Je vous dis que bienheureux sont les pauvres d'esprit, car le royaume des cieux leur appartient. Notre-Seigneur veut que vous alliez à lui par cette voie, cela est hors de doute. Ce chemin est celui des Saints et le plus assuré ; mais il est pauvre, privé de sentiment, de satisfaction, de goût, de sentiment, de connaissance, de pouvoir, d'affection, de désir, de gentiment, d'amour et semblables. Enfin, il est pauvre et destitué de tout, hors d'une résolution de ne vouloir point offenser Notre-Seigneur volontairement, et de vouloir lui plaire en toutes choses et surtout être tout à Lui. Votre pauvre âme n'a que cela, et [604] encore en telle sorte qu'elle n'en reçoit point de satisfaction ni de sentiment, seulement elle dit, quoique sans goût, qu'elle ne veut point pécher, et qu'elle désire que Notre-Seigneur fasse d'elle son bon plaisir ; elle s'abstient du mal et fait le bien par la seule pointe de la raison, demeurant en tout, sans aucune satisfaction, sinon celle-ci qui vaut mieux que mille autres, et de laquelle elle doit se contenter, qui est d'être et vouloir demeurer volontairement et doucement en cette privation pour le seul bon plaisir de Dieu qui le veut ainsi, faisant plus d'état de sa sainte volonté que de toutes les consolations et propres satisfactions. [Faire ainsi] c'est être pauvre d'esprit, et c'est en cet état que Notre-Seigneur vous veut. Demeurez-y paisiblement et de bon cœur, sans vous mettre en peine d'aucune chose : faites, dites, et opérez le bien et la vertu tant qu'il vous sera possible, vous contentant de dire quelquefois à Notre-Seigneur, quoique sans goût : Seigneur, je suis entièrement vôtre, et ne veux rien faire ni laisser à faire que pour votre seul amour. Et ne faites jamais aucune réflexion inutile pour regarder ce que votre âme fait, ce qu'elle a fait, ce qu'elle fera, ou quelles sont ses tentations, peines et inclinations ; car toutes telles curiosités sont non-seulement inutiles, mais fort dangereuses ; mais, au lieu de cela, regardez à Dieu en faisant le bien et fuyant le mal, tant que vous pourrez. Et quand vous y manquerez, retournez à Dieu avec un esprit abaissé et plein d'une douce confusion ; puis, cela fait, passez outre, disant : Dieu m'aidera, et je ferai mieux. Ma très-chère, il faut bien faire ceci, et être joyeuse, je vous en conjure tout de bon : soyez patiente et souffrante sous la croix de Notre-Seigneur et ne désirez point d'en être déchargée, mais cheminez comme aveugle, en simplicité, et obéissez fidèlement à ce qu'on vous conseille.

Quant à votre conduite envers nos Sœurs, pour Dieu, ne vous ennuyez point de la multitude de leurs demandes. Répondez à toutes selon que Dieu vous mettra en la bouche, et n'en soyez [605] pas en souci : soyez bien douce et leur témoignez un extrême amour ; ne leur enseignez rien tant que la sainte humilité, présence de Dieu, et observance de nos saintes Règles qui comprennent foute perfection pour elles. Celles qui ne traiteront pas avec vous en confiance, ne leur en témoignez aucun mécontentement. Il faut avoir bon courage ; mais surtout tenez votre esprit content de tout ce que Dieu fait et fera à jamais de vous, et servez nos chères Sœurs le plus cordialement que vous pourrez : Dieu vous en saura gré, je vous en assure, ma très-chère fille. Faites bien ce que je vous ai dit ci-dessus : vivez de la volonté de Dieu qui veut que vous viviez sans goût ni sentiment ; reposez-vous en sa Bonté et lui dites souvent, quoique sans sentiment, qu'il est tout voire bien et que vous espérez en Lui. Votre, etc.

LETTRE MCMVIII

Admirable définition de l'esprit de la Visitation.

VIVE † JÉSUS !

Allez simplement dans l'exercice de votre charge, ma chère fille ; ne vous laissez pas aigrir ni chagriner l'esprit par des petites choses et qui ne servent à rien pour l'éternité. Vivez avec une parfaite douceur, cordialité et charité dans votre maison, et avec une sainte joie d'être si heureuse que de préparer une retraite pour des âmes qui loueront éternellement la divine Majesté. Louez-le aussi, ce bon Dieu, sincèrement et amoureusement, de votre si sainte vocation, et lui en rendez les fruits qu'il désire. Ne témoignez aucune fâcherie de ce que l'on ne vous amène pas promptement ces filles ; laissez le soin de cela à Notre-Seigneur : le pain quotidien ne manquera jamais où la volonté de Dieu sera accomplie. Tâchez d'établir solidement l'esprit de la Visitation qui est d'une haute perfection, laquelle est d'autant plus excellente qu'elle est plus intime : ce n'est [606] autre qu'une mort de la nature et du vieil homme, pour établir solidement le règne de la grâce ; et voilà une perfection d'amour à quoi nous devons tendre. Dites bien à nos chères Sœurs que l'âme qui désire que Dieu vive en elle ne laisse rien en soi qui puisse déplaire à ses yeux divins, qu'elle ne mortifie et ne passe plus outre ; car pressée de ce désir, elle se violente de si bonne façon qu'elle meurt heureusement en elle-même, afin que Dieu vive éternellement en elle. Dites bien encore à vos chères novices que les vraies délices d'une bonne Religieuse doivent être de se retirer du monde aussi bien de cœur que de corps, afin de s'entretenir et familiariser cordialement avec Dieu, s'adonnant à la parfaite et ponctuelle observance de ses Règles. Servez bien toutes ces chères âmes, chacune selon leur talent, portée et capacité. Vous savez bien, ma fille, que la perfection de la Visitation n'est pas fondée sur les choses extraordinaires, mais sur les solides et vraies vertus : la profonde humilité, la douce charité, le cordial support, la prompte et simple obéissance, la naïveté et sincérité envers les Supérieurs et Supérieures, la franche accusation de nos fautes, la tranquille modestie, la suave et dévote conversation, et l'attention à la sainte présence de Dieu. Demandez-lui cette perfection pour celle qui est toute vôtre.

LETTRE MCMIX

Estime qu'on doit faire de la souffrance.

Ma précieuse fille,

Il y a bien de quoi bénir Dieu en ce que vous m'écrivez de votre disposition intérieure : notre débonnaire Sauveur vous en continue la grâce, et augmente s'il lui plaît, jusqu'au comble d'une consommée perfection ! Je vous estime heureuse de porter avec tant de douceur, de paix et d'union avec Dieu, vos incommodités corporelles. Elles sont piquantes au corps, mais [607] bien savoureuses à l'âme. Je vois bien que notre Sauveur vous veut sur le lit de cette croix corporelle, et que comme vous êtes résolue à la souffrir et aimer, nous tâchions aussi de nous résigner à vous voir en cet état, tant qu'il plaira à la divine Bonté, qui fait tout pour le profit des siens. À jamais, à jamais, puissions-nous être toutes transformées dans ce divin vouloir et dans son céleste amour ! Ma fille, que j'ai besoin d'être assistée de vos saintes prières et de celles de vos filles. Béni soit Dieu de ce qu'elles vous donnent tant de contentement par leur exacte observance : soient-elles à jamais bénies de Dieu. — C'est aujourd'hui un jour d'actions de grâces pour nous. Jour heureux, auquel nous entrâmes au chemin qui nous conduira à la très-sainte éternité, moyennant la miséricorde de Notre-Seigneur. Je vous conjure, mon unique Sœur, de vous soumettre à tout ce qui sera requis pour votre soulagement. Vous devez cela à ma consolation, au bien de votre maison et de notre cher Institut. De toutes mes affections, je vous souhaite incessamment le pur amour du Sauveur, auquel vous savez que de cœur incomparable, et au-dessus de toute comparaison, je suis entièrement vôtre, etc.

À DES MAÎTRESSES DE NOVICES

LETTRE MCMX

Conseils pour la direction des novices.

VIVE † JÉSUS !

Vous m'avez demandé, ma très-chère fille, de vous donner quelques avis pour la charge de maîtresse des novices, voici mes petites pensées : [608]

Ayez l'esprit attentif à Dieu en tout ce que vous ferez, et le regardez si fidèlement que vous ne laissiez point emporter votre cœur à l'affection des choses où vous serez obligée de vaquer. Ne déterminez et ne faites rien que vous n'en ayez conféré avec la divine Majesté et avec vos Supérieurs, en ce qui est important. Comportez-vous gravement dans le noviciat et lorsque vous donnerez quelque obéissance. Parlez doucement dans le particulier et sérieusement dans le général, et représentez avec des paroles fermes l'exemple de Jésus-Christ. — Retranchez toute superfluité de discours ; ne dites que peu de paroles, mais qu'elles soient édifiantes.

Laissez aux Sœurs la liberté de dire ce qu'elles veulent ; répondez-leur selon leur nécessité, et renvoyez-les en paix. Observez la discrétion en tout, et rendez les novices simples, courtes et claires dans leurs redditions. Faites quelquefois semblant de ne pas voir leurs défauts ; mais lorsqu'elles retombent fréquemment, reprenez-les en particulier si la faute est secrète, et en public si elle est manifeste. — Devant que de reprendre les défaillantes, pesez leurs fautes devant Dieu, et lui demandez la grâce de connaître ce qu'il faut faire, afin de ne point suivre l'inclination ou l'aversion naturelle, et puis parlez selon la lumière qu'il vous communiquera.

Excitez les filles à l'exacte observance et à la parfaite soumission en toutes choses. Animez les novices à poursuivre leur entreprise avec un grand courage, leur faisant espérer qu'elles arriveront enfin à leur prétention, qui est d'être à jamais unies à Dieu, pourvu qu'elles soient fidèles à répondre à ses grâces. [609]

LETTRE MCMXI (Inédite)

Ne pas s'étonner des manquements des novices. — Le plus grand combat mérite la plus grande couronne. — S'appliquer à la pratique de la douce charité et de l'humilité.

VIVE † JÉSUS !

Ma fille,

Apprenez à rendre votre partie supérieure du tout soumise à Dieu, et à tenir votre esprit dans une douce autorité sur vos passions pour les régler d'après la raison, et à vous tenir toujours généralement égale en tous les événements. Soyez toute et toujours douce ; attirez avec grand soin les cœurs des filles ; afin que vous le leur ouvriez, ouvrez-leur aussi le vôtre. Ne vous étonnez jamais de voir qu'il y en ait qui fassent des grosses fautes, même ne les en faites pas étonner elles-mêmes, encore que leurs manquements fussent d'importance ; mais remettez-les tout doucement à la connaissance de leurs misères.

Nous devons prétendre à cette vertu parfaite que requiert notre vocation, mais il ne s'ensuit pas qu'on ne fasse plus de fautes ; non, puisque la vertu la plus fine ne s'acquiert que parmi les contrariétés, si ce n'est qu'on ne la possède déjà avec travail, parce qu'alors les choses les plus difficiles ne nous causent plus de peine. Ce n'est pas que le mérite soit moindre, puisque le travail précédent rend tout ce qu'on fait dans la suite très-méritoire, avec un avantage toujours plus grand. Les vertus naturelles ne sont méritoires que par le soin que nous avons de dresser nos intentions : enfin, le plus grand combat nous donne la plus grande couronne et le triomphe le plus éminent ; et pour cela il ne faut point l'éviter, sous quel prétexte que ce soit, ni s'étonner des soulèvements de nos passions, ni des répugnances des autres. Il faut aborder les personnes qui en témoigneraient pour nous avec un visage plein de douceur, nous souvenant que chacun a, comme nous, deux parties en soi : qu'une veut le [610] bien, et l'autre tend au mal. Ma fille, recourez en tout et partout à Dieu, surtout aux choses difficiles. Que votre cœur soit toujours en attention pour se tenir avec un extérieur doux et suave, vous représentant incessamment la douceur et charité que Dieu exerce à l'égard des créatures, surtout de celle qu'il eut pour la Magdelaine et pour tous les pécheurs, et de ces douces paroles qu'il dit à ses Apôtres : « Ne savez-vous pas que je ne suis pas venu dans l'esprit d'Élie ? »

Lorsque vous en verrez quelqu'une en peine, allez-leur au-devant avec des paroles de tendresse et d'amour, regardant incessamment ce que nous sommes pour mériter cette grande grâce que Dieu nous départ, d'avoir le pouvoir sur des anges et pour être destinées à leur conduite. Répugnez à la répugnance que vous avez à cet emploi et dites souvent : O mon Dieu, mon cher Sauveur ! plutôt mourir mille fois que de vivre selon mon inclination. Non, mon Dieu, je ne veux qu'une tranquille humilité et un doux amour à mon abjection, [qui] me donne un parfait acquiescement à vos volontés. Je me tiendrai en cette humilité tranquille devant vous, dans une parfaite confiance en votre divine Bonté.

Il faut, ma fille, avoir un grand courage de servir Dieu en toutes les façons qu'il lui plaira, tantôt par des consolations, d'autres fois par des peines et afflictions qui arrivent dans nos charges, surtout dans la vôtre, puisque toute votre prétention doit être de plaire à Dieu, d'employer votre cœur, votre esprit, votre personne à son service, pour vous rendre une grande sainte par l'humilité, douceur et charité. Vous ne devez jamais vous mettre en peine, puisque vous ne devez pas vous appuyer sur vos forces, mais sur celles de Dieu.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [611]

LETTRE MCMXII

Comment diriger une novice éprouvée intérieurement. — On ne doit pas réfléchir sur ses tentations ni disputer avec elles.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

J'ai grande compassion des angoisses que cette pauvre Sœur dont vous me parlez, souffre ; véritablement, cela me touche jusqu'au cœur : il n'y a point d'artifice en cette âme-là, et elle est digne que l'on exerce un grand support et une charité de longue haleine. Il lui faut faire faire souvent des protestations contre ses tentations et des actes de prière et d'adoration, comme vous dites que vous lui faites faire ; et enfin vous avez là un si bon, si sage et si expérimenté Père, comme je sais qu'est le Révérend Père N., lequel aussi pourra bien connaître s'il y a quelque maléfice, et ensuite faire ce qu'il jugera nécessaire : mais il faut que le tout se passe fort secrètement. Le Père N. retourne là qui pourra aider à faire ce jugement. Et je trouve qu'il est nécessaire de ne point découvrir l'affaire à la personne que vous me dites : car de vrai, selon les marques que vous me donnez de son esprit, ce serait mettre la chose au vent. Néanmoins, tant qu'il se pourra, il faut faire en sorte que les petits mécontentements que les filles peuvent avoir demeurent en dedans plutôt que d'être mis au dehors. Le bon Père ne gâtera rien où on lui aura confiance, mais il faut tout conduire doucement.

Revenant à vous, ma très-chère fille, je vois que Dieu vous exerce en beaucoup de manières, mais que parmi tout cela Il vous tient de sa sainte main. Vous savez qu'il ne faut ni réfléchir ni contester, ni s'étonner des pensées et tentations qui attaquent nos esprits ; mais que, sans faire semblant de les voir, il se faut jeter à corps perdu entre les bras de Dieu, nous abandonnant [612] toutes à son bon plaisir, et nous confiant en sa bonté qu'il ne nous donnera pas plus de charge que nous n'en pouvons porter. Il se faut divertir et faire avec grande fidélité tout le bien qui se rencontre et purement pour Dieu, et souffrir le plus doucement que vous pourrez la peine pendant qu'elle dure. Regardez la volonté de Dieu aussi bien en vos incommodités comme en toute autre chose, afin qu'en tout vous trouviez également du contentement.

J'ai lu la lettre de votre novice, mais je n'y trouve rien que ce que vous me dites dans la vôtre : je lui vais écrire un billet. Dieu par sa divine bonté la veuille fortifier pour supporter tous ses travaux et vous donne la lumière pour la conduire selon son bon plaisir : il faut grandement faire prier pour elle. Ma fille, je supplie notre divin Sauveur qu'il vous comble de ses grâces et toutes vos novices que je salue, me recommandant à leurs prières, et vous prie de croire que je suis toute vôtre et de cœur.

LETTRE MCMXIII (Inédite)

Soutenir le courage d'une novice dont la profession est retardée.

VIVE † JÉSUS !

J'avais dit à M. Marcher la réponse de tout ce que contient votre lettre, touchant ces deux filles et votre conduite au Chapitre, qui a été fort bonne en tout cela. Il faut conforter la novice et lui donner du courage pour se relever de ses manquements, l'affranchir de ses passions et lui faire estimer et tirer profit de son retardement ; et cela en lui témoignant un grand amour, lui donnant une bonne espérance d'elle-même. Sitôt qu'on la verra bien affermie en ses résolutions, promettez-lui de travailler à sa consolation. Pour moi, j'espère que cette faute lui sera profitable, pourvu qu'elle la reconnaisse et en soit marrie ; [613] et sitôt que vous lui verrez cela, faites tirer les voix ; car j'espère en Dieu qu'elle sera bonne, et fera toujours mieux, et que la sainte profession l'aidera fort à cela. Dieu lui en fasse la grâce, et vous bénisse toutes. Priez pour moi, ma fille, qui suis toute vôtre. Dieu soit béni.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXIV

Souhaits de bonne année. — L'empressement pour les biens terrestres est opposé à l'esprit de la Visitation. — Ce n'est pas manquer d'abandon à Dieu que d'apprendre ce qu'on doit savoir et enseigner.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je suis consolée qu'en obéissant à ma très-chère Sœur la Supérieure de Lyon, qui nous a priée de répondre à la vôtre, je puisse m'entretenir un peu avec vous, après vous avoir souhaité en ce commencement d'année mille saintes bénédictions, et jusqu'au comble de toutes les bénédictions de notre bon Dieu, sur la chère âme de notre bonne Sœur la Supérieure, sur la vôtre, ma fille, et sur celles de toutes nos chères Sœurs, que je salue aussi très-cordialement, en me recommandant à leurs plus dévotes prières et aux vôtres.

En deux mots, je vous dis que si la cession de droit, que vous désire faire cette bonne Sœur novice, tire après soi quelque procès ou des notables dégoûts et amertumes à son frère, que vous ne l'acceptiez pas ; car je ne vois pas qu'il y ait tant de biens temporels à gagner qu'il s'en perdrait peut-être de spirituels ; outre que nous devons éviter, tant que nous pourrons, le bruit et le fait d'être tirantes et grandes amatrices des richesses périssables, cela étant tout à fait contraire à notre esprit. Mais, outre ce que je vous en dis, prenez conseil du Révérend Père [614] recteur qui vous le donnera plus solidement et à propos encore, pouvant savoir les circonstances de cette affaire. Je suis consolée de savoir que Mgr l'archevêque vous ait recommandée si parfaitement à lui.

Quant à votre scrupule, il est sans fondement, ma très-chère fille ; car ce n'est nullement contrevenir à la confiance et dépendance que nous devons avoir au soin de Notre-Seigneur d'apprendre ce que nous devons savoir et enseigner aux autres ; au contraire, ce serait présomption de vouloir que Notre-Seigneur fît des miracles sans nécessité. Si ce moyen d'apprendre nous était ôté, alors il faudrait s'assurer que notre bon Dieu suppléerait à ce manquement. Lisez l'Entretien de l'Abandonnement, et vous verrez ce que notre Bienheureux Père nous en a dit autrefois. Il faut donc travailler, ma très-chère fille, pour coopérer à la grâce qui veut cette diligence de notre part, et toutefois ne nous fier qu'en cette même grâce. Mais je suis bien aise de vous voir toujours ferme en ce train bienheureux de la parfaite et absolue confiance en Dieu ; ne vous en départez jamais, ma très-bonne et chère fille, et ayez-y quelquefois mémoire de celle qui vous chérit très-cordialement en l'amour de notre doux et souverain Sauveur. Qu'il soit béni éternellement. Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXV

Combien est avantageuse à une âme la connaissance de son néant.

VIVE † JÉSUS !

Ma bien-aimée et chère fille,

Le très-débonnaire Sauveur soit la lumière de votre chère âme, laquelle je vois toujours, ce me semble, dans ses craintes et sécheresses ! Que vous serez heureuse, ma fille, si en repos [615] d'esprit et entière soumission vous demeurez amoureusement dans cette pauvreté intérieure, en laquelle Dieu vous tient par une miséricorde toute paternelle, afin que vous connaissiez par expérience votre néant et inutilité ! car bien souvent nous nous attribuons les grâces et faveurs quand nous n'avons pas la claire connaissance de notre misère. Estimez donc grandement voire disposition en la très-sainte volonté de Dieu. Ne demandez point d'en être délivrée ; tenez votre esprit au-dessus de vous-même et de tout ce qui se passe en vous. Perdez tous vos raisonnements humains, vos vues et vous-même en Dieu, par un entier abandonnement de tout ce qui vous regarde, et même de votre perfection. Laissez-la à Dieu, et ne vous réservez que le soin de l'aimer et de lui être fidèle dans les occasions ; mais cela sans étendre votre vue plus loin qu'au moment présent. Puisque Dieu vous a mise au noviciat, faites qu'eu vous et en vos chères novices l'esprit d'une parfaite candeur, simplicité et douceur reluise de toutes parts. Saluez-les comme les chères filles de mon cœur, lesquelles je prie Dieu bénir de l'abondance de l'esprit de leur sainte vocation ; et prenez la meilleure part de ce souhait pour vous, car vous êtes ma bien-aimée fille. Votre, etc.

LETTRE MCMXVI

Avec quelle circonspection permettre aux novices la lecture des livres qui traitent des oraisons extraordinaires. — La lâcheté est le mal le plus dangereux qui puisse exister en Religion. Comment procéder a l'égard d'une novice atteinte de ce défaut.

VIVE † JÉSUS !

Oui, ma très-chère fille, j'agrée bien fort que de temps en temps vous me fassiez savoir des nouvelles de votre noviciat et de votre bon cœur ; car je chéris tout cela parfaitement. C'est [616] un riche trésor que le désir que vous avez de vous perfectionner selon l'esprit de votre vocation, par la parfaite observance de tout ce qu'elle vous ordonne. Certes, je sais bon gré à ma chère Sœur la Supérieure de vous avoir donné à toutes les livres de notre Bienheureux Père. Cela se peut, bien que je ne le fasse pas ; mais c'est un bon moyen de prendre l'esprit de ce Bienheureux que la fréquente lecture et pratique de ses écrits.

Pour ce que votre Directoire vous ordonne, de ne pas laisser lire aux novices les livres qui traitent des oraisons extraordinaires, c'est pour celles que Dieu ne conduit pas par cette voie, afin qu'elles ne s'y ingèrent pas d'elles-mêmes. Mais pour celles qui y sont attirées, c'est à la sage directrice de leur faire lire ceux qu'elle jugera les pouvoir aider et donner lumière ; et même elle peut, selon la connaissance qu'elle a des esprits qu'elle conduit, les laisser lire quelquefois à celles qui ne sont pas attirées à cette oraison surnaturelle, afin de leur donner appétit de la pureté intérieure et mortification requises pour y parvenir.

Cette négligence et lâcheté, que vous me dites qui paraît en quelqu'une de vos novices, est bien le mal le plus dangereux à la Religion. Si elle est seulement au corps, elle n'est pas tant à craindre ; mais si elle est en l'esprit, elle fait beaucoup de mal, et spécialement celui de faire les choses sans esprit [de foi] et par coutume. Il faut faire tout ce qui se peut pour bien éclairer l'entendement de celles qui sont atteintes de ce mal, en leur faisant connaître l'importance, la beauté et l'utilité du bien qu'il y a de faire toutes ses actions vigoureusement, avec application de volonté et purement pour Dieu, car cela ne bande point l'esprit ; il faut seulement que le cœur agisse.

C'est beaucoup, ma chère fille, d'avoir dix novices qui travaillent à prendre l'esprit de leur vocation ; et il faut souffrir avec douceur et patience de voir que toutes ne marchent pas également et avec la détermination et résolution requises. Tous [617] les fruits d'un arbre ne sont pas mûrs en même temps. Et quant à cette bonne Sœur que vous me dites, qui est extrêmement lâche intérieurement et extérieurement, qui n'a point d'attrait aux choses intérieures et ne s'y peut appliquer, et qui a le naturel fort et revêche, certes je ne sais pas qui la tirera de tous ces défauts-là, sinon que Dieu fît quelque miracle ; mais Il en fait rarement en tels sujets. Vous pourrez assez connaître quel est mon sentiment pour sa profession, par ces paroles ; mais remettant tout à la Providence divine, comme nous devons faire, je dirais franchement au Chapitre, quand elle y serait proposée, ce que j'en saurais, et prierais fort les Sœurs de la bien considérer et recommander à Notre-Seigneur, puis ferais tirer les voix ; car son défaut est en la nature, laquelle n'a ni attrait ni courage aux choses spirituelles, pour se surmonter avec l'aide de la grâce qui ne lui manquerait pas, si elle voulait travailler et se déterminer comme il est requis à son besoin.

Je suis grandement consolée de quoi Dieu a donné un peu plus de santé à ma très-chère Sœur votre Supérieure ; vous le verrez toujours, ma fille, que plus on la connaîtra, plus on l'aimera et estimera. Croyez que vous avez raison de croire fermement que je vous aime, et d'une amitié fort sincère et cordiale, car il est vrai ; c'est Dieu qui m'a donné, dès le commencement de votre connaissance, cette affection.

Vous me dites que vous sentez votre âme en paix, et votre esprit, selon la partie supérieure, fort attaché à Dieu et à sa sainte volonté : voilà la vraie perfection que je vous désire. Demeurez là et vivez toute de cette divine volonté, autant dans les menues occasions que dans les plus grandes ; tout vous sera égal par ce moyen, et [vous] serez autant consolée, voire plus dans les obéissances des choses difficiles, que [dans les] plus faciles. Si l'on vous envoie Supérieure à N., Dieu sera là votre Dieu comme au lieu où vous êtes ; et son secours et conduite vous seront d'autant plus présents et favorables que vous en [618] aurez moins d'ailleurs. Jetez bien tout votre soin sur ses épaules et vous y reposez entièrement ; c'est notre vieille leçon, mais il n'y en a pas de meilleure. — J'aime fort notre Sœur N. et désire qu'elle soit une fille forte ; et toutes vos novices, je les aime bien aussi. Dieu les rende toutes selon son amour ! Votre, etc.

LETTRE MCMXVII

Donner aux novices les fondements du vrai esprit de la Visitation.

VIVE † JÉSUS !

Vous étant dès longtemps abandonnée à la sainte conduite de Notre-Seigneur, Il aura un soin spécial sur vous, afin que toutes vos actions soient dirigées selon son bon plaisir. Demeurez ferme dans ce très-saint abandonnement et confiance en Dieu. Ma vraie fille, allez droitement et purement en sa sainte présence dans l'exacte observance de nos saintes Constitutions. Si vous faites cela, Dieu fera par vous toute la besogne qu'il vous commet. Tenez votre esprit ferme dans la sainte bassesse. Servez-vous fort dans vos charges des instructions qui vous sont données tant au Directoire qu'aux éclaircissements [Réponses], et Dieu vous bénira, et fera prospérer celles qu'il mettra en votre soin. Portez les novices à une grande, mais très-humble générosité, qui leur fasse entreprendre avec joie la poursuite de la perfection à laquelle leur vocation les appelle. Marchez humblement et rondement avec la Mère et les Sœurs.

Ma très-chère fille, je vous conjure encore de donner aux novices les fondements du vrai esprit de la Visitation, selon les instructions de notre Règle et de celle de l'Entrée des novices : elles comprennent tout. Mais conduisez-les à ce bonheur avec une grande douceur, chacune selon sa portée. Tenez-vous parmi elles suavement sérieuse et cordiale. Et remarquez ce [619] point : gardez-vous d'avoir aucune particularité d'affection plus aux unes qu'aux autres, sinon selon leurs vertus, sans pourtant en rendre des témoignages qui donnent peine aux autres. Gardez-vous de leur parler des choses du monde ni de la maison, ains seulement de ce qui appartient à leur profit spirituel. Au nom de Dieu, ma fille, observez bien ces petits avis. Je suis de tout mon cœur toute vôtre, etc.

LETTRE MCMXVIII

Il ne faut pas beaucoup parler à l'âme que Dieu gratifie.

VIVE † JÉSUS !

N'êtes-vous pas bien heureuse, ma très-chère fille, d'être dépouillée de ce qui vous tenait le plus au cœur, pour être revêtue de la très-sainte volonté de Dieu ? Je vous conjure de demeurer en cette bienheureuse nudité, avec toute la paix, douceur, résignation et soumission qu'il vous sera possible ; et vous estimez trop honorée d'être employée de Dieu par la sainte obéissance, pour un si digne service que celui où vous êtes. Dites souvent à ce divin Sauveur : Mon Dieu, mon doux Maître, que je suis heureuse que vous soyez ma seule et unique consolation ! Tenez votre cœur en courage et joie dans celle sainte affection. Tâchez de vous tenir en santé et ne soyez pas tendre ; mais aussi ne soyez pas tant âpre, ni trop sévère sur vous-même, ains faites ce que vous approuveriez en une autre.

Je ne vous veux pas beaucoup parler sur votre état intérieur ; car que peut-on dire à l'âme que Dieu gratifie il y a si longtemps, et l'attire continuellement à se reposer dans le sein de sa divine Providence, sinon : demeurez là, ma fille, et vous tenez à recoi au plus secret lieu de son saint tabernacle, vous laissant absolument manier au gré de Celui qui daigne prendre [620] soin de vous ; ayez seulement celui de lui plaire par cette entière dépendance et confiance en son amour, et par la suave vigilance que vous devez avoir d'avancer vos chères novices à la pureté de son divin service, par l'exacte observance, vous rendant extrêmement attentive à la douceur et support sans crainte d'excéder en ces saintes vertus. Soyez généreuse, allègre et suave en cet exercice, et vous y trouverez abondamment les grâces de Notre-Seigneur, ainsi que je l'en supplie de toute mon âme, qui chérit la vôtre très-parfaitement. Votre, etc.

LETTRE MCMXIX

Comment correspondre à l'attrait de simplicité intérieure. — Cultiver soigneusement les novices. — Plus on s'approche de Dieu, mieux on voit ses propres défauts.

VIVE † JÉSUS !

Ma fille très-chère,

Je suis très-aise que vous preniez la liberté de m'écrire, je vous en remercie. Mais je n'ai pas trouvé dans votre lettre ce qui était le plus requis pour me donner la lumière nécessaire pour bien entendre quelle est votre manière d'oraison et attrait intérieur. Je le collige seulement de ces paroles que vous me dites, que vous seriez bien en peine de dire par quel mouvement vous faites vos actions, pour être assurée si vous vous délaissez bien à la divine Providence, n'en ayant point d'autre assurance que celle que Dieu vous donne, qui est bien mince et à la pointe de l'esprit. Je pense que vous êtes attirée à une grande simplicité avec Notre-Seigneur, par le moyen des lumières qu'il répand dans votre âme, tendant à l'union ou plutôt unité de votre esprit avec Lui, par un total délaissement de vous-même à la conduite de la divine Providence ; et bien que ces lumières soient minces, si laissent-elles une grande [621] assurance et confiance à l'âme. Voilà ma pensée, ma fille ; est-elle conforme à ce que vous sentez ? L'âme qui est conduite de Dieu de cette sorte, ne doit jamais s'essayer de faire des considérations, sinon à mesure qu'elle se sentira excitée intérieurement par Notre-Seigneur, mais doit demeurer dans cet abandonnement de soi-même entre les mains de Dieu.

Puisque cette même volonté vous a chargée du soin des novices, vous les devez conduire si allègrement, si soigneusement et avec tant de suavité, que vous les animiez par l'odeur de votre bon exemple, et encore par les affections que vous sentez à la poursuite du vrai bien. N'épargnez en façon quelconque les paroles requises à cela ; ce que je dis, parce que je sais que les âmes attirées à cette union ont peine quelquefois à parler beaucoup ; mais elles doivent préférer la volonté de l'Époux à la consolation et inclination qu'elles ont à jouir de sa douce présence.

Peut-être que ce qui vous empêche de connaître vos défauts, c'est l'attention que vous avez à Dieu ; mais, ma fille, on a accoutumé de voir plus clairement les atomes à la lueur du soleil, que quand le temps est obscur. C'est pourquoi je m'étonne que vous n'ayez pas la lumière pour les connaître. Il est vrai que bien souvent nous voyons plus clairement les manquements du prochain que les nôtres, notre misérable nature tendant toujours à cela ; et c'est en quoi il y a sujet de grandement s'humilier devant Dieu pour cette ignorance, et confesser que pour cela nous ne laissons pas d'en faire plusieurs. Ayez un grand courage, ma fille, et vous tenez sur vos gardes afin de ne rien faire qui déplaise à Dieu. Votre, etc. [622]

LETTRE MCMXX

Exhortation au dépouillement de soi-même et à la perte en Dieu.

VIVE † JÉSUS !

Oh ! demeurez en paix, ma très-chère et très-bonne Sœur, avec votre petite troupe. Je vous en conjure au nom de Notre-Seigneur, entre les bras duquel je vous supplie de vous jeter et abandonner sans réserve ; remettez-lui tous vos désirs, toutes vos sollicitudes, toutes vos craintes et vos prétentions. Dites-lui hardiment, car il y prendra plaisir, que dorénavant vous ne voulez plus avoir d'entendement, de sagesse, ni de volonté, ni aucun soin, et qu'en Lui vous prétendez de trouver tout ce qui vous est nécessaire pour la conduite de la barque qu'il vous a donnée, de laquelle vous lui remettez le gouvernail, réservant pour vous le soin fidèle de sa chère présence et de coopérer soigneusement à sa sainte grâce, par l'exacte observance de la Règle, en vous et en vos chères novices. Et ainsi dépouillée de vous-même et remise en Dieu, demeurez par un amour de parfaite confiance toute reposée au soin et amour que la divine Bonté a pour vous. Je la supplie d'exaucer mes souhaits pour sa gloire, en vous et en cette bénite troupe, que je ressalue avec vous par votre entremise. Vous savez que je suis celle que Dieu vous a donnée pour vous aimer et servir sans réserve. Commandez-moi donc librement quand vous aurez besoin.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [623]

LETTRE MCMXXI

Il faut inspirer aux novices une humilité généreuse.

VIVE † JÉSUS !

Mon Dieu ! ma très-chère fille, que je vous aime de ne vous point étonner pour les afflictions : il me semble que j'ai connu cela dans vos deux lettres. Au reste, soyez joyeuse dans l'éducation de ces chères novices : Dieu sans doute répandra ses bénédictions sur vous et sur elles ; surtout portez-les à la très-sainte humilité, mais humilité généreuse et noble, qui n'abat point le cœur, ains l'élève en la sainte confiance en Dieu. Point de tendreté, ma fille, mais un amour mâle et fort, qui se montre à la pratique.

À DES RELIGIEUSES DE LA VISITATION

LETTRE MCMXXII (Inédite)

Bienheureuse est l'âme qui se laisse dépouiller.

VIVE † JÉSUS !

MA TRÈS-CHÈRE FILLE,

Nous devons adorer en toutes choses les dispositions de la divine Providence, et honorer d'une amoureuse soumission les ordonnances de nos Supérieurs. Puisque les vôtres ont trouvé à propos de renvoyer notre Sœur M. F. et nous de la retirer, il faut croire que c'est pour le mieux. Oui certes, vous êtes toujours ma petite chère Sœur Angélique, à laquelle je souhaite un cœur doux, candide et souple sous la conduite de Dieu et de la bonne Mère qu'il vous a donnée, laquelle ayant beaucoup [624] de lumière pour reconnaître votre chemin, vous devez suivre avec grande simplicité sa direction. Vous serez bien heureuse si vous vous laissez bien dépouiller à Dieu et à elle : faites-le, ma chère fille, car c'est la voie royale, et vous revêtez de Notre-Seigneur crucifié, c'est-à-dire de ses saintes vertus, de l'humilité, patience, charité et obéissance, qui l'ont accompagné en toute sa vie. Je supplie sa Bonté vous enrichir de ses trésors, et vous, de prier toujours pour celle qui est toute vôtre en son amour. Il soit béni.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Voiron.

LETTRE MCMXXIII (Inédite)

Il faut s'abandonner à l'aveugle entre les mains de Dieu.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère et vraie fille,

Votre lettre, qui me parle de son cœur, remplit le mien d'une très-grande consolation et sujet de bénir Dieu, que je supplie vous tenir dans cette sainte disposition. Oui, ma fille, il faut être invariable, et vous le serez, j'ai cette ferme confiance en Celui qui vous a déjà départi tant et de si précieuses grâces. Il le faut servir à l'aveugle, et, comme disait notre Bienheureux Père, « nous devons regarder Dieu sans nous divertir de Lui, et le laisser faire, suivant sa conduite et ses dispositions, à l'aveugle ». Dieu nous en fasse la grâce, ma toute chère et bien-aimée fille. Hélas ! je n'ose regarder arrêtément votre perte ! Je la prie toujours, car sans doute elle jouit de notre vrai et souverain Bien. Dieu soit béni Amen.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [625]

LETTRE MCMXXIV (Inédite)

L'âme qui veut reposer sur la poitrine du Sauveur doit se retrancher tous désirs et satisfactions naturelles.

VIVE † JÉSUS !

Encore ce billet, nonobstant mon accablement. Ma très-chère fille, que j'aime votre cœur pour sa grande bonté et franchise ; mais que je le désire voir, ce cher cœur, au-dessus de soi-même et de toutes ses inclinations naturelles ! Ma fille, travaillez à cela, mais sans travail, car il ne faut que simplement lui retrancher ses superfluités de soins, de désirs, de desseins, et le faire reposer tout doucement sur la poitrine amoureuse de son Sauveur, lequel je vois qui le désire et attire à cet état ; mais il est impossible d'y parvenir que par l'exercice du retranchement que nous avons dit. Courage, ma très-chère fille, il se faut dépouiller de soi-même, afin de se revêtir de Lui. Je salue la bonne Mère, et votre chère âme que j'aime chèrement.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Chambéry.

LETTRE MCMXXV (Inédite)

Se tenir humble devant Dieu. — Bonheur d'une âme destituée de toute consolation humaine. — Support cordial du prochain.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je crois qu'il vous était nécessaire de connaître, par la propre expérience de vos fautes, combien est grand et profond l'abîme de la misère humaine ; mais il suffit d'y être tombée une fois, et que cela nous serve pour nous maintenir le reste de notre vie dans la véritable méfiance de notre imbécillité et faiblesse, et dans une entière dépendance de la grâce, reconnaissant que [626] tout notre bien dépend d'elle, et par ce moyen jeter au fond de notre cœur un solide fondement de la véritable humilité et d'une entière confiance en Dieu. Tâchez d'en imprimer une grande estime et désir aux âmes que vous servirez. Conservez précieusement l'amour et connaissance qui vous ont été donnés du bonheur d'une âme destituée de toute consolation, hors de celle d'être toute à Dieu, et ensuite dépouillez-vous, autant qu'il vous sera possible, du désir de l'amour spécial de toute créature, et n'en aimez aucune que de l'amour saint, de la pure charité en Dieu et pour Dieu.

Ne perdez non plus jamais le sentiment qui vous a été donné pour le support et souffrance du prochain, sans vous étonner de quelque sorte de misère que vous puissiez rencontrer. Cette pratique est un trésor qui enrichira les âmes qui la feront. — Souffrez avec une humble patience ces rébellions de votre partie inférieure. Ne vous regardez point, mais Dieu simplement, et faites fidèlement les actes des vertus extérieures selon que Dieu vous les présentera, et lui dites souvent, quoique sans goût, des paroles d'abandonnement et d'une filiale et humble confiance. Après l'humble soumission, les lumières retourneront ; cependant celles de la sainte foi nous suffisent ; la divine Bonté ne délaissera point en nous ce qu'elle a commencé.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation d'Arone (Lombardie).

LETTRE MCMXXVI (Inédite)

La principale prétention d'une Religieuse doit être d'acquérir l'humilité.

VIVE † JÉSUS !

31 juillet

Ma très-chère petite,

Je suis tout aise de revoir un peu votre chère âme que j'aime bien. Sur toutes les prétentions que vous devez avoir, celle de la très-sainte humilité doit tenir le dessus. Je vous prie, ma [627] fille, [de] vous y [rendre] attentive, afin que vous rendiez son principal fruit, qui est la parfaite et très-simple douceur et soumission d'entendement et volonté. Vous agissez en l'oraison selon votre naturel qui a toutes ses passions fortes ; car, comme vous savez, de quelque côté que ce soit qu'elles soient émues, vous pâlissez de grandes violences ; c'est pourquoi en l'oraison, comme aux autres occasions, il les faut adoucir le plus qu'il vous sera possible et retenir vos sentiments, conservant seulement la vue et la connaissance des choses qui vous y sont arrivées pour les mettre en pratique, et c'est le vrai fruit qu'il faut tirer de tout cela. Ces mines froides et mélancoliques se doivent éviter absolument, car l'esprit de Dieu est suave et joyeux. Découvrez avec une entière confiance tout votre cœur à votre bonne et chère Mère, et faites fidèlement ce qu'elle vous dira ; elle vous conduira sûrement et bien. Je prie Dieu, mon enfant, qu'il vous en fasse la grâce. Croyez que votre bonheur dépend de cette soumission et conduite. Je salue nos chères Sœurs toutes et de tout mon cœur ; qu'elles prient pour nous et pour mes enfants qui en ont grand besoin. Ma petite, saluez aussi [mots illisibles] votre bonne Mère et Sœur. Je suis leur servante très-humble, et la vôtre, ma fille, et plus que cela, toute vôtre en Jésus Notre-Seigneur. Qu'il soit éternellement béni ! Jour saint Ignace.

Conforme à une copie de l'original gardé au deuxième monastère de la Visitation de Rouen.

LETTRE MCMXXVII (Inédite)

Le cœur d'une Religieuse ne doit point se laisser préoccuper de l'amour des créatures. — Il faut rompre et briser toutes les attaches humaines.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

J'ai vraiment été touchée de voir que votre cœur, que Dieu a si souvent favorisé de ses divines suavités, se soit laissé [628] préoccuper et si fort saisir de l'affection d'une créature. Oh ! que votre misère est grande ! Retirez-vous de là, ma très-chère fille, rompez, brisez, et coupez toutes ces chaînes de l'amour des créatures, quelles qu'elles soient, parents ou autres, et vous attachez au seul désir de plaire, aimer et servir notre très-débonnaire Sauveur, qui soit béni éternellement de la miséricorde qu'il vous fait de vous donner le désir de vous retirer de ces fâcheux embarrassements. Il vous témoigne en cela son divin amour, ce doux Jésus si amateur des âmes, qu'il ne les peut jamais abandonner tandis qu'il leur voit un brin de volonté de quitter le mal. Bon courage donc, ma très-chère fille, jetez votre confiance en son infinie Bonté, qu'elle vous donnera son sacré secours, pourvu que de votre côté vous fassiez fidèlement ce que vous devez, pour vous déprendre. Je sais bien qu'il faudra que la nature souffre pour cela ; mais ne vous étonnez point, ne vous efforcez point de la guérir ; souffrez doucement sa peine sans la regarder ni en faire aucun semblant, et tenez votre esprit et votre volonté fermes en Dieu, faisant fidèlement le bien qu'il vous montrera, et non jamais ce que ces fausses et perverses affections vous suggéreront ; mais agissez en cette occasion doucement, tranquillement, mais fidèlement. Si l'on vous pouvait faire changer de monastère pour quelque temps, cela vous aiderait ; mais, s'il ne se peut bonnement en un des plus proches, ayez courage et force en Dieu, qu'il vous assistera. J'en supplie sa Bonté de tout mon cœur, et vous, de croire que je vous chéris en son divin amour invariablement, mais je vous conjure de lui être fidèle.

Conforme à une copie de l’original gardé à la Visitation de Voiron. [629]

LETTRE MCMXXVIII (Inédite)

Souvenirs affectueux ; demande de prières.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je ne suis nullement touchée de ce que vous me dites, mais oui un peu de ce qu'il me semble que vous eûtes un peu de répugnance ou mécontentement de ces bonnes Sœurs, qui m'avaient témoigné tant de désir de votre assurance de leur franchise, et affection de vivre en parfaite intelligence et union. Hélas ! ma fille, que votre cœur m'est bon, et que je remercie bien Notre-Seigneur des faveurs qu'il vous fait. Je vous prie de recommander le mien chétif à sa Bonté parmi tant de distractions, et qu'il me fortifie pour accomplir sa sainte volonté.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Pielenhofen (Bavière).

LETTRE MCMXXIX (Inédite)

Explication relative à une affaire temporelle.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Ne vous mettez en nulle peine des blâmes des hommes quand ils sont sans fondement, comme grâce à Dieu ils sont : cela s'en ira en fumée ; prions pour les malveillants et demeurons en paix. — Ne croyez nullement que M. le *** se soit réjoui de la perte du procès : cette bonne dame dit cela selon les préoccupations qu'elle a contre lui et ses parleries du monde. Si l'on eût cru le conseil de M. F. l'on eût bien fait, car il me tint parole comme vrai ami, afin que l'on terminât à l'amiable. L'on pensa que c'était qu'il avait peur que votre partie ne fût condamnée, cela n'était pas, car il a toujours cru qu'il l'emporterait sur vous : il m'a promis d'étouffer tout cela, et que l'on [630] mesurera ses bois, afin que ce qui vous appartient vous demeure selon ses contrats. — Pour Dieu, ne vous mettez plus en peine de vos promptitudes et impatiences : pratiquez ce conseil de notre Bienheureux Père : « Ce que nous ne pouvons amender en nous ni aux autres, remettons-le à Dieu », et ne nous en tourmentons plus. Faites cela. M. Marcher vous dira le reste. Priez pour moi.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXXX

L'usage de la vue est plus nuisible qu'utile à la vie spirituelle.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Votre lettre m'a apporté de la consolation pour y avoir vu comment vous prenez en patience votre cécité, et en lirez un si bon fruit, comme est celui de la soumission au bon plaisir de Dieu, qui peut-être a voulu vous priver de la lumière corporelle pour vous faire plus abondamment jouir de la spirituelle, ce qui est un grand motif pour bénir Dieu de cette infirmité. Et, comme disait un Saint à un aveugle, qui était aussi fort vertueux : « Il n'y a pas de quoi se glorifier en cette vue corporelle, qui nous est commune avec les bêtes, mais oui bien nous réjouir en Dieu, qui nous a donné la vue intérieure, qui nous fait connaître et aimer sa Bonté. » Je suis bien aise que nos bonnes Sœurs exercent avec tant de soin leur affection envers vous, que cela vous donne de la satisfaction. Je les estime bien heureuses d'en avoir une si agréable occasion, car il faut que je vous dise ce qui peut-être vous consolera : j'ai toujours fait fort peu d'état de la vue corporelle, m'étant avis qu'elle nuit plus qu'elle n'aide à la spirituelle, si ce n'est pour la lecture des bons livres et quelques autres dévotions. Mais pour tout le reste, il serait [631] quasi plus à désirer de ne l'avoir pas que d'en jouir, à cause que la vue intérieure en demeurerait plus ferme, plus épurée des objets et solidement arrêtée en Dieu. C'est ce bien-là seul qui me semble souhaitable. Si néanmoins vous vous sentez inspirée de demander votre guérison à Dieu, faites-le, mais toujours avec votre ancienne résignation, et priez pour celle qui est toute vôtre, etc.

LETTRE MCMXXXI

Conseils relatifs à une élection.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Votre paquet précédent, celui du 18e avril, a été perdu, et je n'ai reçu qu'hier celui où vous me parlez de l'élection qui se doit faire en votre maison. La difficulté que Mgr votre digne prélat fait de vous aller proposer pour l'élection, à cause de l'ordonnance de la Règle, m'a grandement fait connaître votre bonheur d'être sous la conduite d'un si saint pasteur, qui est tant affectionné à la conservation de notre Institut ; j'en bénis et remercie de tout mon cœur la bonté de Notre-Seigneur. Or, néanmoins je crois que quand il saura la pratique qui s'est faite en ce sujet, pendant la vie de notre Bienheureux Père et depuis son trépas, qu'il le tolérera, et je l'écris au long à M. de Saint-Germain, ce qui m'empêchera de le répéter ici. Car comme disait ce Bienheureux : « En ce commencement de l'Ordre il est force d'en user de la sorte, à cause de la multiplicité des maisons qui se font, et que pourvu que les filles eussent des bons talents et de la vertu pour la conduite, et que les Sœurs fissent l'élection librement et volontairement, il n'y a point de danger ». Vous pouvez donc être mise sur le catalogue, si mondit seigneur le trouve bon, avec ma Sœur N., et s'il y a [632] encore quelque autre Sœur en votre maison qui ait de la disposition pour le gouvernement, elle y peut aussi être mise. J'espère que le Saint-Esprit présidera sur cette élection, et vous inspirera à chacune ce que vous aurez à faire ; et celle qu'il choisira, il lui donnera infailliblement tout ce qui lui sera nécessaire pour bien faire sa charge, et conduira par elle toute la troupe. Car aussi vois-je de grandes difficultés à faire aller une Supérieure en un lieu si loin, et je suis grandement consolée, ma très-chère fille, de voir l'appréhension que vous avez que l'on ne préoccupe les esprits de nos Sœurs à votre considération ; car c'est la vérité que le plus simplement que l'on peut aller en cette occasion est toujours le mieux, cela attire les bénédictions de Dieu. Que si néanmoins Monseigneur désire que vous retardiez l'élection jusqu'à ce que vous soyez entrée dans votre cinquième année de profession, vous devez avec toute soumission lui obéir, bien que le moins que l'on puisse laisser une maison sans Supérieure est toujours le meilleur ; mais vous ne sauriez faillir en suivant les sentiments et avis de ce saint et digne prélat.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXXXII

Il faut marcher en esprit d'humilité, opérant le bien que la grâce nous montre et évitant le mal avec grand soin.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

J'ai fait lire votre grande lettre devant moi par une Sœur de confiance, n'ayant pas maintenant des yeux pour le faire moi-même. Je vous vais répondre en toute sincérité aux principaux points que vous me proposez. [633]

Si comme vous dites, ma chère fille, vous voyez si distinctement les trois parties agir en vous, et que la supérieure tienne le dessus sans s'étonner ni ébranler, voilà qui va fort bien ; mais il faut prendre garde à une parole que vous dites, que tandis que cette maîtresse partie tient le dessus, les choses mauvaises qui s'offrent ont leur effet. Ma fille, il faut entendre ceci : si elles font leur effet, seulement vous donnant de la peine et de la souffrance, cela n'est rien ; mais si elles font leur effet en vous et par vous, vous poussant jusques aux actions et paroles, cela ne vaut rien, et le faut corriger ; et bien que vous ne deviez pas vous mettre en peine de tous les sentiments d'estime de vous-même et des désirs que les autres vous estiment et emploient, si faut-il que la négligence de tels sentiments soit de ne rien faire de tout ce qu'ils suggèrent, et reconnaître que cela sont des rejetons d'une grande racine d'orgueil qui est en vous, laquelle il faut très-soigneusement arracher par la pratique de la très-sainte humilité, vous tenant très-basse en votre propre estime, vous réjouir dans l'humiliation et les petits emplois, je dis vous réjouir non par sentiment de cette joie, mais par vraie affection à l'humiliation. J'en dis de même de la confiance en Dieu, laquelle il faut avoir intimement, et quoique nous ne la sentions pas, dire à Notre-Seigneur : Mon Dieu, je me veux confier entièrement en vous.

Je remarque, ma chère fille, qu'en un autre endroit de votre lettre, vous dites que vous êtes tellement à Dieu que vous n'en êtes plus à vous-même et que vous lui dites que vous n'avez plus affaire de rien, non pas même de Lui-même. O Jésus ! ma fille, il faut que je vous confesse que je n'ai pas agréé cette parole-là ! Hélas ! Il n'a jamais affaire de nous, mais nous avons toujours affaire de Lui, et si le moindre de tous les moments ce bon Dieu nous laissait, nous tomberions dans l'abîme du non-être. Croyez-moi, ma fille, ne vous amusez pointa ces subtilités de spiritualité, qui ne sont rien moins que la spiritualité ; mais suivez le grand chemin de votre Bienheureux Fondateur. Demeurez vraiment sans soin de vous-même, mais dans la dépendance de Dieu, par l'amoureuse acceptation de chaque événement permis par sa Bonté, dans l'humble soumission à ceux qui vous tiennent sa place, très-douce, amiable et serviable envers toutes les Sœurs, et très-méfiante de vous-même, et voilà le nœud et le solide de toute bonne et véritable spiritualité.

Quant à ces paroles si distinctes que vous entendez dans votre tête, ce n'est, à mon avis, que votre imagination qui fait cela ; il ne s'y faut pas arrêter, mais s'en divertir doucement. Pour ces connaissances que vous dites avoir après la communion, de la transformation déifique des bienheureux et de toute la grandeur de la Divinité, ma fille, ô bon Dieu ! que vous allez haut ! toute la grandeur de la Divinité ! Tout le ciel ne la peut comprendre, non pas même la Sainte Vierge. Dieu est compréhensible à Lui seul ; à nous il convient de l'adorer en toute crainte et révérence, nous contentant de la simple et sainte lumière de la foi.

Ayant trouvé votre lettre un peu subtile et curieuse, je vous la renvoie, et vous prie, ma chère fille, de la faire voir à quelque bon et docte serviteur de Dieu et leur montrer aussi ma réponse ; car, comme je ne m'entends pas à ces belles choses, possible pourrais-je ne vous pas bien entendre, ou possible y pourrait-il avoir quelque curieux amusement dans tout cela. Au moins, ma chère fille, il me semble que vous subtilisez un peu trop ; et vous voulez trop voir et trop savoir de choses, et de ce qui se passe en vous. Ma fille, pour bien suivre la conduite de la grâce il faut marcher en esprit de très-profonde humilité, allant toujours devant vous, opérant le bien sans réfléchir, ni sur vous, ni autour d'autrui ; c'est par ce droit chemin que tant de Mères et Sœurs que nous avons en l'autre monde sont arrivées au ciel ; c'est par là que cheminait la chère défunte que vous regrettez et que je regrette aussi avec sujet ; et vous pouvez [635] connaître, ma fille, par les grands ennuis que vous sentez de sa séparation, que souvent nous croyons d'être tout à Dieu quand nous sommes tout à la créature et tout à nous-même. Il faut donc travailler bien humblement et simplement à votre perfection, et Dieu vous bénira.

LETTRE MCMXXXIII

L'amour humain doit être banni d'un monastère.

VIVE † JÉSUS !

C'est un grand amour-propre, ma très-chère fille, de vouloir être tant aimée et se rendre si tendre autour de la Supérieure. II faut mortifier cela généreusement, recherchant à la bonne observance le saint amour de Jésus sans plus, nous contentant de l'assurance que nous devons avoir, que nos Mères nous aiment autant que Dieu le veut ; et cela est assez. L'amour humain doit être banni d'entre nous, et la seule très-sainte et sacrée dilection y doit régner, laquelle n'apporte point de jalousie.

Vous me promettez de faire ce que je vous dis, et moi, ma très-chère fille, je vous assure, si vous le faites, que vous serez bientôt remplie de toutes les bénédictions et perfections, ainsi que de tout mon cœur j'en supplie notre bon Dieu, en l'amour duquel je suis, votre très-humble, etc.

Conforme à une, copie de l'original gardé à la Visitation de Chambéry. [636]

LETTRE MCMXXXIV

Exhortation à la pratique de l'humilité, de l'obéissance et de la mort à soi-même. — Rien n'est plus dangereux que les affections humaines.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je ne vous puis répondre distinctement sur tout ce que vous me demandez ; mais je vous dirai seulement ce que je crois que vous devez faire pour vous rendre agréable à Dieu, et correspondre à ce qu'il désire de vous, qui est de vous adonner sérieusement et fidèlement à l'humilité, simplicité et pureté ; car si vous ne le faites pas, je vous avertis que Dieu vous en demandera un compte très-étroit pour les bonnes lumières et dispositions qu'il vous a données, pour le bien servir en la vocation où Il vous a mise, et que, comme vous dites, ce n'est pas assez de connaître la volonté du Maître si on ne l'exécute. Au contraire, celui qui la connaîtra et ne la fera pas, sera battu de plus de coups que celui qui ne la connaîtra pas.

Pour l'amour de Dieu, ma chère fille, commencez tout de bon à mourir à vous-même, à toutes vos répugnances, désirs et pensées ; et ne cherchez ni désirez plus rien, sinon que Dieu fasse de vous selon son bon plaisir, et que votre principale pratique d'humilité soit la simple et sincère obéissance à tout ce qui vous sera ordonné. Je vous conjure derechef de prendre bon courage et vivre dans une parfaite union de volonté et jugement avec votre Supérieure, et une dilection très-cordiale envers vos Sœurs, parlant toujours bien d'elles, et leur faisant tout le bien que vous pourrez.

Quant à M. votre Père spirituel, je crois que vous le devez porter à rendre son affection égale et universelle envers toutes les Sœurs ; car il n'y a rien de plus dangereux que les affections humaines et particulières des Supérieurs et Supérieures envers [637] les Religieuses. Puis donc qu'il a de la créance en vous, tâchez de l'affranchir entièrement de cette singularité, lui faisant entendre que cela pourrait causer de petites jalousies et envies parmi les Sœurs, et tenez toujours votre cœur ouvert à votre Supérieure de tout ce qu'il vous dira, si ce n'est de sa personne particulière, comme s'il vous disait quelque chose de son intérieur ou des peines qui le travailleraient, il ne serait pas besoin ni à propos d'en aller parler, ni de ses affaires qu'il ne voudrait pas être communiquées. C'est pourquoi, ma fille, vous pourrez garder cette lettre, si vous jugez qu'elle vous puisse servir, et croyez que de tout mon cœur, je suis vôtre et prie Dieu de vous rendre toute sienne. Amen.

Je ne puis pas vous écrire souvent.

LETTRE MCMXXXV

Pour aller à Dieu il faut se dépouiller de soi-même.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je vous suis bien obligée d'avoir pris la peine et la confiance de m'écrire si particulièrement l'état de votre cœur, lequel je vois n'avoir besoin que de détermination pour correspondre aux inspirations et semonces de Dieu.

Hélas ! ma très-chère fille, si la douce et puissante voix de ce souverain Seigneur ne vous émeut point pour vous tirer de vos misères, ainsi que vous dites, de quoi vous pourraient servir les paroles mortes d'une chétive créature comme moi ? Seulement donc je vous conjure, ma très-chère fille, avec les plus tendres affections de mon âme, que vous encouragiez vivement la vôtre à la suite des saintes inspirations ; et pour le faire, déchargez-vous, ma fille, et dépouillez-vous du pesant fardeau [638] de vous-même, et de l'amour humain de toutes les créatures. Vous me direz : C'est ce que j'ai plus de peine à faire. Je le crois bien, ma fille, mais assurez-vous que la difficulté que vous aurez à cheminer avec cette charge sera incomparablement plus grande que celle de vous en défaire tout à coup, outre la perte que vous ferez des biens et vertus inestimables que vous pourrez acquérir par ce moyen. Prenez donc un bon courage, ma chère fille, et déterminez-vous à bon escient de mettre la main à l'œuvre de votre salut. Ne perdez point l'occasion de votre avancement, ni les moyens que Dieu vous donne maintenant, par les exemples et les conseils de votre bonne Mère, qui ne désire rien tant que de vous servir dans cette voie. Dieu vous en fasse la grâce, ma très-chère fille ; j'en supplie sa Bonté, et vous, ma fille, de me tenir pour votre, etc.

LETTRE MCMXXXVI

Les premiers mouvements imparfaits ne deviennent coupables que par le consentement de la volonté.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

La naïve et sincère déclaration que vous me faites de vos manquements adoucit grandement la peine qu'ils me pourraient faire. Mon Dieu ! ma très-chère fille, gardez-vous fidèlement de convertir en œuvres vos mauvaises inclinations ; car tout le mal que vous faites [ne vient] que de là, d'autant que je m'assure que Dieu ne vous imputera point vos sentiments et mouvements intérieurs, ains seulement les actions que vous ferez ensuite. C'est pourquoi, encore que vous ne sentiez dans votre cœur ni l'honneur et l'amour dus à votre Supérieure, ni l'amour à vos Sœurs, ni la douceur à demander pardon, tout cela n'est rien ; il n'est que dans votre sentiment, et vous n'en serez nullement [639] coupable, tandis que vous ne ferez point d'action en suite. Je vous conjure donc, ma chère fille, de retenir les actions et vos paroles, et ne faites que dire simplement que vous ne voulez pas consentir à vos sentiments. Dieu vous bénira, si vous faites ceci. Je conjure sa Bonté de vous en faire la grâce, et vous, ma très-chère fille, de me croire en ceci et me tenir pour toute vôtre en Notre-Seigneur. Qu'il soit béni !

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Nevers.

LETTRE MCMXXXVII

La Sainte la rassure dans îles craintes au sujet de sa prédestination.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je ne puis emprunter la main de personne pour vous écrire ; car ce que nous avons à dire nous deux, c'est de cœur à cœur. O ma fille ! je ne sais bonnement de quoi vous vouliez que je vous assurasse, mais je vous dirai bien que tant plus je vois votre cœur s'affermir au désir de prendre les moyens de vivre tout à Dieu, tant plus j'ai d'espérance sainte que la glorieuse Vierge non-seulement ne vous rejettera pas de dessous son manteau, mais qu'elle vous y tiendra à couvert contre toutes les attaques de l'esprit malin. Et non-seulement j'espère, quand je lis les promesses si fermes que vous me faites de croire et suivre entièrement mes petits conseils, mais je me promets et assure de la bonté de mon Dieu, que déjà Il vous a établie en grâce, et qu'il vous y conservera en cette vie, et enfin vous fera jouir de son immortelle félicité avec les Bienheureux. Demeurons donc humblement en nos résolutions, et en cette sainte confiance, conservez celle que Dieu vous a donnée, et vous verrez que vous aurez sujet de bénir et glorifier son saint Nom. Votre, etc.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [640]

LETTRE MCMXXXVIII

Même sujet.

VIVE † JÉSUS !

Je viens de lire votre lettre, ma très-chère fille, laquelle me représente fort naïvement l'état de votre cœur, et je vous dis premièrement, que j'ai un sentiment tout contraire à celui que vous avez de la méfiance de votre salut, lequel j'espère avec beaucoup de confiance, regardant la bonté de Dieu et les signes évidents que je remarque dans votre lettre, d'une spéciale Providence et miséricorde divine sur vous. Affranchissez-vous donc de cette crainte préjudiciable à votre âme et désagréable à Dieu. Abandonnez-vous toute et votre salut éternel entre les mains de sa Bonté, lui en laissant le soin ; et prenez celui de demeurer dans une humble confiance, cheminant tant qu'il vous sera possible dans une exacte observance, profitant des rencontres qui se présenteront pour la pratique des vertus, à quoi vous ne devez pas attendre d'être attirée puisque Dieu ne vous conduit point par cette voie-là ; mais vous vous y devez porter par élection de volonté, laquelle doit être d'une résolution inviolable. Embrassez cette pratique pour le seul bon plaisir de Dieu, qui veut que vous le serviez ainsi avec la pointe de l'esprit, sans consolations ni sentiments sensibles.

Vous ne devez en nulle façon rechercher ni penser pourquoi Notre-Seigneur vous mène par ce chemin épineux, mais vous devez vous y soumettre amoureusement. Vous avez bonne et grande compagnie en cette voie qui est la royale. Il y faut donc cheminer gaiement et royalement, sans jamais se relâcher, ni ennuyer de fortifier votre cœur pour lui faire produire les actes de vertu, quoique sans goût ni sentiment, lesquels n'étant pas en [641] notre pouvoir, nous ne sommes pas obligées de les avoir. J'espère que Celui qui vous en prive dans ce monde vous comblera de sa sainte suavité en l'autre ; c'est ce que mon cœur vous souhaite, comme à ma très-chère fille. Votre, etc.

LETTRE MCMXXXIX

Conseils de direction.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Assurez-vous que ce n'est pas sans mortification de ma part que je souffre la privation de voir votre bonne Mère, qui est une de mes filles plus chères, et vous toutes que j'aime d'un cœur vraiment maternel ; mais j'espère que Dieu nous donnera en son éternité le bien d'une éternelle société, et là effacera toutes nos petites douleurs. O ma fille ! qui m'avez toujours été si chère, quand sera-ce que Dieu me donnera la consolation de savoir que nous vivons au-dessus de la nature, et que vous serez fidèle à suivre les lumières du bien que vous savez ! Non vraiment, je ne veux point vous donner de nouvelles pratiques ; mais je vous conjure, ma fille ma chère âme, d'employer courageusement celles dont vous avez si bien la mémoire. Pour Dieu, retranchez toutes ces réflexions inutiles et tous ces soins du corps. Tenez-vous au-dessus de tout cela, et vous laissez au soin de la divine Providence et à celui que votre bonne Mère a pour vous ; car faisant tout ce qui sera en votre pouvoir, assurez-vous que Dieu ne lairra de vous chérir, bien que vous choppiez quelquefois, pourvu aussi que vous aimiez bien votre abjection. C'est là le vrai bien que je vous désire. Votre, etc. [642]

LETTRE MCMXL

Même sujet.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je n'obéirai pas à votre bonne Mère pour ce coup, ne pouvant m'empêcher de vous témoigner le contentement que j'ai reçu en lisant votre lettre, qui me montre si naïvement l'état de votre cœur. Tout cela va fort bien, ma fille, et avez grand sujet de bénir Dieu qui vous aplanit votre chemin avec tant de suavité.

Il est vrai, ce que l'on vous a dit, qu'il y a des âmes qui rencontrent des grandes difficultés en Religion ; mais, pour l'ordinaire, ce sont celles qui ont vécu au monde avec plus de liberté et de passions fâcheuses, ce que vous n'avez pas fait, par la grâce de Dieu, votre naturel ayant toujours été doux et soumis, et la raison dominante en vous ; c'est pourquoi elle se trouve maintenant satisfaite dans la vie et vocation que vous avez choisies, où tout est réglé selon la vraie raison et piété ; et pour ce sujet je crois que vous n'aurez jamais plus de difficultés que vous en avez. Mais vous me dites une parole toute d'or et qui m'a fort consolée, qu'après un peu d'ennui que vous eûtes sur ce sujet, vous vous remîtes tout à Dieu, vous confiant que s'il vous donnait des difficultés, Il vous donnerait la force de les supporter ; cela est un trait digne de l'esprit de la Visitation. Non, ma fille, n'appréhendez jamais rien, et n'occupez votre esprit aux réflexions, quelque bonne apparence qu'elles puissent avoir : faites avec fidélité ce que Dieu vous présentera en chaque moment et lui laissez le soin du reste ; cette pratique vous apportera une grande paix et liberté d'esprit. Je prie sa Bonté la vous rendre facile et vous en donner une claire intelligence, afin que son amour règne en vous. Votre, etc. [643]

LETTRE MCMXLI

Les réflexions inutiles sont nuisibles à la perfection : on ne peut l'acquérir sans peine.

VIVE † JÉSUS !

Ma fille toute chère.

Je vous prie de recevoir l'assurance que je vous donne de la continuation de mon amour pour votre cœur, lequel je souhaite plein des deux chères vertus de son Sauveur : la sainte douceur et l'humilité de cœur. Faites ce que vous me promettez, et Dieu vous bénira. Retranchez les réflexions inutiles comme ennemies de votre perfection. Appliquez-vous à Dieu sans vous amuser à vous-même. Soyez toute pure, toute simple et douce, ne désirez rien, ne refusez rien, ne regardez point les inclinations de vos Sœurs ni leurs pensées sur votre charge ; faites-la en toute simplicité et fidélité. Ma chère fille, prenez le dessus de vos inclinations pour vivre meshui selon l'esprit parfait de vos saintes Règles ; et ne pensez pas d'avoir la perfection sans peine, cela ne se peut. C'est pourquoi il faut travailler, quoi qu'il vous en coûte, pour vous rendre digne du bonheur de votre vocation ; car si vous ne le faites Notre-Seigneur vous demandera compte des grâces et des talents qu'il vous a donnés pour cela. Ayez confiance en sa Bonté et lui demandez pardon du peu d'avancement que vous avez fait ; promettez-lui de tout votre cœur de mieux correspondre à ses grâces.

Ma très-chère fille, mortifions cette prudence humaine qui est si nuisible en la Religion. Simplifiez fort votre esprit, et lui retranchez toutes sortes de discours, je dis quels qu'ils soient, sans prendre garde si vous avez de la peine ou non, ni faire de grandes considérations, mais tout doucement retournez voire esprit à Dieu, lui disant quelques paroles d'amour ou de [644] confiance telles ou semblables : Mon Père, je me jette entre vos bras comme un enfant entre ceux de sa mère. Mon Dieu, je ne veux rien que vous ! Soyez fidèle, je vous conjure, à pratiquer ceci. Votre, etc.

LETTRE MCMXLII

Il ne faut voir et aimer que Dieu en toutes choses.

VIVE † JÉSUS !

Dieu soit votre consolation, ma très-chère fille ! Vous m'avez fait un très-grand plaisir de m'ouvrir votre cœur, vous n'avez que trop tardé, je le voyais bien ! Que cela vous serve pour une autre fois. Si jamais Notre-Seigneur vous permettait telle tentation, découvrez-vous promptement avec une entière confiance ; car, ma fille, ne suis-je pas votre Mère ? Oui certes, et Dieu le veut. Croyez-moi, ma fille, votre trouble n'est qu'une tentation ; elle provient de l'amour-propre qui veut ses satisfactions. À la vérité, cette humeur froide, sèche, et peu communiquable de votre Supérieure défavorise votre naturel. O ma fille ! vous avez un cœur qui est très-bon et que Dieu appelle à une perfection entière. Il veut sevrer votre amour-propre de ces contentements qu'il a eus autrefois par des entretiens plus attrayants et satisfaisants, et veut que vous aimiez la seule vertu, voire, que vous n'aimiez, estimiez et ne voyiez que sa Bonté dans vos Supérieurs, afin que votre amour, que votre obéissance soit pure et parfaite. Correspondez à Dieu et demeurez fort en paix, vous rendant plus cordiale, franche et simple ; et si vous le faites, Dieu vous bénira. Votre, etc. [645]

LETTRE MCMXLIII

Comment envisager la mort.

VIVE † JÉSUS !

Ma toute chère fille,

Le divin Sauveur de nos âmes soit le grand amour de la vôtre très-chère ! Vous m'êtes aussi présente et chère que si nous n'étions point séparées de lieu. Voilà ce que c'est, ma fille, que de s'aimer en Dieu et pour Dieu ; les affections sont constantes, quand elles ont ce fondement. Il m'a fait grand bien de recevoir de vos nouvelles et des personnes que vous chérissez le plus. Dieu fasse abonder sur tous les richesses de sa croix, et nous fasse la grâce de joindre toujours les nôtres petites à la grandeur et mérite de la sienne. La mort nous est si commune et naturelle qu'elle ne me semble quasi plus affliction. Aussi certes, si nous la regardions de l'œil qu'il faut, elle nous serait consolation, puisqu'elle est la fin des travaux de cette misérable vie elle commencement de notre béatitude pour l'autre. Courage donc, ma fille, préparez votre âme et l'ouvrez devant Dieu, afin qu'il la remplisse de Lui-même et de tout ce qu'il lui plaira, soit-il doux ou amer à notre goût, espérant qu'il nous fera la grâce que sa sainte volonté nous servira pour toute consolation. — Je remercie notre Bienheureux Père des aides qu'il vous donne : sans doute qu'il vous a plus agréable que moi qui, par mon indignité, ne mérite pas qu'il me regarde, bien que j'aie confiance qu'il le fasse, avec sa débonnaireté et compassion ordinaires. Je suis de tout mon cœur pour jamais, votre, etc. [646]

LETTRE MCMXLIV

Moyens de combattre les scrupules.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Ne craignez pas de me dire vos peines, ni de m'être importune, car, pourvu que mes lettres vous profitent, ce me sera consolation.

Vous êtes toujours après vos confessions, et ceux qui vous ont donné ces conseils que vous m'écrivez, ne vous connaissent pas, ni votre état, ni aussi la conduite de votre bonne Mère, laquelle est très-bonne pour vous et uniquement propre, pourvu que vous la croyiez ; mais je vois bien que vous ne pouvez vous y soumettre, et que la force de vos scrupules est si grande qu'elle vous trouble et ôte la capacité du discernement ; car moi aussi je sais que la plupart des choses que vous pensez être péchés mortels ne sont rien du tout, et je m'assure que, par la grâce de Dieu, vous n'en faites aucun. Que si vous êtes si heureuse que de vous soumettre humblement aux conseils que l'on vous donne, ne répondant pas une seule parole à tous vos scrupules, mais souffrant comme une tribulation la peine qu'ils vous donnent, sans y acquiescer, mon Dieu ! que dans peu de temps vous vous trouverez soulagée ; car je considère que tout ce que vous m'écrivez ne sont que des abîmes de réflexions et des manquements de force. Vous craignez de mentir quand vous dites à Notre-Seigneur que vous avez de la confiance en Lui, que nous y espérez : voilà de vos péchés et comme ils se font, sans toutefois qu'il y en ait aucun ; car tout ce que vous dites, [sans] sentiment conforme à vos paroles, vous croyez que c'est péché ; ce qui n'est pas toutefois. Voyez ce que notre Bienheureux Père en dit en tant d'endroits dans les Entretiens. Au contraire, quand nous avons une grande aversion et dissentiment de nous [647] confier en Lui, et que nous lui disons que nous nous y confions de tout notre cœur, nous faisons une bonne pratique de vertu. Or, pour conclusion, je désirerais, ma très-chère fille, que quand vous vous sentez venir ces scrupules et réflexions, vous vous jetiez aux pieds de Notre-Seigneur, en esprit, et lui disiez : Voici, Seigneur, mes faiblesses qui me viennent attaquer. Je ne les veux ni voir ni regarder, et proteste que je ne veux jamais vous offenser mortellement, destinément et volontairement ; vous ne voulez de moi que cette résolution, je ne puis aussi autre chose. Pour tout le reste de mes misères et défauts, je les jette dans l'abîme de votre miséricorde et moi avec elles, vous délaissant le soin de mon salut, et je veux l'attendre de votre seule bonté, mérites, et non de mes examens et confessions, ni de toutes les grandes œuvres que je pourrais faire avec votre grâce. Maintenant, je ne veux autre science que cette confiance, avec la soumission à ma Supérieure. Voilà, ma très-chère fille, un remède, lequel, si vous le pratiquez, vous rendra soulagée dans peu de temps ; et j'en supplie notre bon Dieu, et de vous combler de ses grâces. Je suis en Lui, votre très-dévouée. Priez pour moi.

Conforme à l'original gardé à la Visitation du Mans.

LETTRE MCMXLV

Souhaits de perfection. — Ne pas dire des choses inutiles à la reddition de compte.

VIVE † JÉSUS !

Dieu vous donne sa très-sainte bénédiction, ma fille, et à toute la petite famille assemblée pour le service de sa gloire et de sa très-digne Mère ! Croissez et multipliez en désirs, et surtout en véritable humilité et amiable simplicité, si agréables à l'Époux céleste qu'elles ravissent son Cœur. Volez comme une [648] pure abeille dans votre ruche, et composez le miel de toutes les vertus et sainteté, avec paix et joie au Saint-Esprit ; c'est ce que je vous souhaite, ma très-chère fille. Tenez votre cœur fort haut dans cette maternelle Providence, soyez humble et absolument soumise à son bon plaisir. — Ne vous amusez point en la reddition de compte de vouloir dire toutes ces petites niaiseries qu'il ne faut pas seulement remarquer ; car ce n'est que l'amour-propre qui recherche satisfaction en cela. Que je n'oie donc plus ces paroles d'amusement sur ces tricheries d'une fille qui doit marcher fermement en la présence de son Dieu, en l'observance de sa Règle, tout abandonnée et remise à sa Providence, lui laissant le soin de ce qui la regarde. Oh ! vrai Dieu ! que je désirerais de pouvoir graver dans le cœur de nos Sœurs cet esprit de générosité et de très-humble humilité ! Soyez joyeuse et courageuse quoi qu'il arrive ; tenez votre esprit dans une sainte liberté et disposition de joie ; faites tout ce que vous pourrez pour Dieu. Allez toujours devant vous, pensant à ce que vous aurez à faire, et non à ce que vous avez fait ; au lieu de cela, contournez amoureusement votre cœur à Dieu, quoique sans goût ni sentiment. Je supplie sa Bonté de vous remplir toute de soi-même. Votre, etc.

LETTRE MCMXLVI

Tout ce que Dieu permet nous arriver est pour notre plus grand bien. — Recevoir avec une amoureuse soumission les mépris, humiliations et contradictions.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Croyez que si j'ai été tardive à vous répondre, ce n'est pas par manquement d'affection, car Dieu me l'adonnée très-grande pour votre bien ; et je vois que sa divine Providence vous a mise dans le creuset de diverses tentations. Ma fille, tout cela est pour [649] votre mieux ; et il faut que vous graviez cette maxime dans votre cœur, que jamais Notre-Seigneur ne permet qu'il nous arrive chose quelconque que pour notre plus grand bien. Coopérez donc à ses desseins, selon les occasions qui vous arrivent, comme d'embrasser avec une amoureuse tranquillité les mépris qu'on fait de vous, les interprétations qu'on donne à vos actions, toutes contraires à vos intentions. Portez avec douceur la mortification qui vous revient de la défense de ne point vous assembler avec vos chères compagnes, quoiqu'il vous semble que cela pourra refroidir les bons désirs qu'elles et vous nourrissiez par le moyen de vos petites conférences spirituelles. Faites allègrement ces obéissances si pénibles et fâcheuses, pour le respect de la très-sainte volonté de Dieu, pour votre bien et avancement dans son amour. Si vous faites ainsi, ma fille, je vous assure que vous avancerez plus en un mois, que vous ne feriez dans une année parmi les douceurs et emplois agréables et revenants à vos inclinations. Ne voyez-vous pas que le divin Sauveur tire de vos plus grosses fautes une force pour vous faire cheminer, par l'aide et le courage que vous tirez des douces consolations intérieures qu'il vous fait ressentir, après l'acte de contrition que vous faites ? Et ne philosophez point sur ce qui vous arrive, soit consolation ou contradiction ; mais recevez tout de la main de Dieu et en faites bon usage.

Je salue vos compagnes, et je prie Dieu de faire abonder sur tous vos cœurs le saint et pur amour du sien très-sacré, vous conjurant toutes de persévérer à bien faire, et surtout à éviter et vous garder de toute offense, tant que vous pourrez, spécialement des murmures et amertumes contre le prochain. Ne mettez point votre affection à chose du monde qu'à Dieu. Quand vous faites la lecture, lisez avec une grande attention ; et, après avoir un peu lu, ruminez-le en vous-même, afin, ma fille, que vous en fassiez votre profit. Votre, etc. [650]

LETTRE MCMXLVII

Dieu permet que nous soyons accusés injustement pour éprouver notre amour. — Dans les difficultés on doit consulter sa Règle.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Recevez tout ce qui vous arrivera, quoi que ce soit, avec amour, comme provenant de la main de Notre-Seigneur, qui ne permet jamais qu'aucune chose nous arrive que ce ne soit pas pour notre plus grand bien. Il permet quelquefois que l'on nous accuse de choses que nous n'avons pas faites, pour connaître si nous l'aimons et si nous le voulons imiter en quelque chose. Il faut être bien aise que l'on voie nos manquements ; et si vous n'avez pas fait ceux desquels on vous avertit, humiliez-vous profondément ; et croyez en votre cœur que vous en avez bien fait de plus grands qui sont cachés aux yeux des créatures, voire, même aux vôtres, et que l'on ne saurait jamais vous accuser à tort.

Ma très-chère fille, soyez toute douce et simple. Laissez-vous conduire à Dieu sans aucune résistance, par la voix de l'obéissance. Ne vous mettez point en peine des charges qu'on vous donnera, mais exercez-les avec humilité, douceur et simplicité de cœur, sans considérer votre incapacité ; moins il y aura du vôtre, plus il y aura de Dieu. Regardez droit à Lui dans toutes vos actions, sans vous arrêter aux créatures. Quand vous ne saurez pas ce qu'il faudra faire en votre charge, prenez vos Règles et votre Directoire qui vous l'enseigneront. Demandez souvent l'assistance du Saint-Esprit, et soyez fidèle à suivre les inspirations et lumières qu'il vous donnera. Quand on vous demandera votre avis et conseil de quelque chose, ne répondez jamais sans rentrer en vous-même pour demander à Dieu qu'il vous inspire ce que vous devez dire. Et puis, ma chère fille, faites et dites la première chose qui vous viendra dans l'esprit Votre, etc. [651]

LETTRE MCMXLVIII

L'humilité et la simplicité sont les deux roues sur lesquelles doit tourner notre vie spirituelle.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Oui, j'ai bien reçu votre lettre ; mais je suis si accablée de tant d'écritures que je ne puis pas toujours répondre, outre qu'il me semble que ce que je vous ai dit et écrit autrefois pour votre intérieur vous doit suffire, avec la conduite de votre bonne Mère, et qu'enfin, ma très-chère fille, l'humilité et la simplicité, la soumission et l'obéissance aux ordonnances de ceux qui conduisent nos âmes, sont les deux grandes roues sur lesquelles nous devons tourner toute notre vie. Si vous faites bien cela, ma chère fille, vous n'aurez pas besoin de grand conseil. Je supplie Notre-Seigneur de vous en faire la grâce et vous donner son pur et saint amour, auquel je demeure d'une affection invariable, votre, etc.

LETTRE MCMXLIX

La fidélité au document Ne demandez rien, ne refusez rien, est supérieure à tous les actes extérieurs d'humilité.

VIVE † JÉSUS !

Ma toute chère fille,

Il me serait impossible de vous flatter ou traiter mollement, puisque votre chère âme me donne tant de confiance et de liberté, et qu'il m'est avis que Notre-Seigneur vous a donné un esprit qu'il veut que vous teniez au-dessus de toutes choses, surtout de vous-même, de vos passions et inclinations, pour bonne apparence qu'elles aient : c'est le plus grand sacrifice et le plus agréable que vous puissiez faire à Notre-Seigneur. [652]

Quant à ce désir ancien de vous voir Sœur domestique, ma fille, croyez-moi, la pratique du Bienheureux de ne rien demander et rien refuser, est au-dessus de tout cela et de toutes sortes de pratiques d'humilité. J'avoue que Dieu veut que vous soyez extrêmement humble, et il est vrai, mais c'est par les voies qu'il a choisies pour vous, et non par celles dont vous ferez élection. Employez donc bien ce mépris, ces calomnies, et toutes ces autres occasions que sa Providence vous présentera, tant en vous que de la part des créatures, et soyez assurée que c'est l'unique moyen d'avoir l'humilité véritable et solide que Dieu veut de vous. Le vrai siège de l'humilité est dans le centre de notre esprit ; et si nous avons la vraie connaissance et amour de notre bassesse, vileté et abjection, et si nous aimons d'être tenues et traitées comme cela, nous pourrons nous assurer d'avoir la vraie humilité. Ne pensez donc plus, au moins d'une pensée arrêtée, à ces humiliations extérieures, ni au changement de lieu pour cela, puisque Dieu vous a destinée à d'autres services. Rien n'est égal en grandeur et dignité à Dieu et à sa sainte Mère, et rien n'égalera jamais leur humilité. Abandonnez tous vos désirs à son soin et demeurez en paix. Votre, etc.

LETTRE MCML

Anéantir tout propre intérêt et toute satisfaction naturelle.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je supplie Notre-Seigneur de me donner la lumière pour vous dire sa divine volonté. Il m'est venu que sa Bonté désirait de vous une entière détermination de le servir, par une constante fidélité à vous vaincre dans toutes les choses qui s'opposeront à la pratique des vertus, par lesquelles Il veut unir votre chère âme à la sienne, qui sont la très-sainte et solide humilité, [653] qui vous fasse anéantir tout propre intérêt et recherche de vous-même et des satisfactions de l'amour-propre, vous exerçant dans l'amour de votre propre abjection et de toute action humble et basse, mais cela de cœur, joyeusement et franchement, en contemplation des humiliations incomparables de notre doux Sauveur.

L'autre vertu est la très-sainte simplicité qui vous fasse incessamment simplifier votre esprit, lui retranchant toutes sortes de réflexions sur soi et sur les autres ; mais, au lieu de cela, portez-le à Dieu par des actes d'amour, de confiance, d'humilité, et enfin selon que vous vous sentirez excitée. Dieu vous fasse la grâce de pratiquer ceci fidèlement, ma très-chère fille ; j'en supplie sa divine Bonté, et vous, ma fille, de m'obtenir de sa miséricorde que je sois éternellement toute sienne, et je suis vôtre, dans son saint amour, très-cordialement. Dieu soit béni ! Amen !

LETTRE MCMLI

La vraie simplicité ne regarde que Dieu.

VIVE † JÉSUS !

Ma fille très-chère,

Quand vous et moi garderions le silence toute notre vie, nous ne devrions pourtant jamais entrer en aucun doute de la réciproque affection l'une de l'autre, puisque, grâce à Dieu, elle subsiste toujours en sa parfaite vigueur.

Je suis bien aise de l'emploi que sa Bonté vous a donné, espérant qu'il vous donnera aussi ce qui vous sera nécessaire pour y réussir à sa gloire. J'ai été consolée de la remarque que vous faites sur les puissances de l'âme, car, ma chère fille, cela n'est que bon, pourvu que vous teniez toujours votre esprit relevé en Dieu, et que vous ménagiez bien ses impuissances, [654] comme je vois que vous faites. Vous savez que ç'a toujours été la voie par laquelle Dieu vous a conduite que celle des combats intérieurs ; aussi est-ce la plus assurée, et celle qui mérite la couronne de gloire immortelle ; il ne faut sinon avoir bon courage pour vaincre nos ennemis

Je suis consolée de vous voir si affectionnée à lire les écrits de notre Bienheureux Père ; assurément l'âme qui étudiera bien là dedans n'aura pas grande question à faire. Vous comprenez fort bien la simplicité que doivent avoir les vraies Filles de la Visitation, car il est vrai qu'elle retranche toutes sortes de vues non nécessaires sur soi-même ; mais pourtant il est encore vrai que tandis qu'on a besoin de se purifier et de regarder un peu là où l'on met les pieds, crainte de chopper, on doit être attentive à méditer, considérer et regarder devant soi, afin de ne s'exposera tomber en quelque manquement par surprise de passion ou autrement. Et voilà comme la vraie simplicité doit être pratiquée par les âmes. — Je vous conjure, ma fille, de me recommander à Notre-Seigneur, car je suis dans un âge où j'ai plus besoin de penser à la mort qu'à autre chose. Votre, etc.

LETTRE MCMLII

Comment jeter en Dieu toutes ses sollicitudes.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère petite fille,

Laissez bien à ce divin Sauveur le soin de votre intérieur et de votre salut éternel, et n'en recevez aucun que celui de lui plaire par la fidèle pratique des fréquents retours de votre esprit en Lui, et d'employer amoureusement les occasions que sa Providence vous présentera pour l'exercice des vertus. Tenez votre esprit en tranquillité, le reposant souvent dans le sein de [655] notre bon Père céleste. Le plus souvent que vous pourrez, pensez à la bienheureuse éternité, vous confiant humblement que par les mérites du Sauveur vous entrerez un jour dans sa pleine possession. Oh ! ma fille, plus de désir que d'aimer Dieu, faire et souffrir tout ce qu'il lui plaira et aspirer à cette glorieuse et incompréhensible immortalité. Là nous jouirons, sans crainte de plus perdre Celui qui nous a choisies pour ce bonheur, dont Il soit éternellement béni. Amen, ma très-chère petite fille.

LETTRE MCMLIII

La vraie vertu gît dans le parfait anéantissement de soi-même.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Vous m'avez représenté avec tant de clarté l'état passé et présent de votre âme, que la mienne en est demeurée toute consolée, et je bénis Dieu des grâces qu'il fait aux pauvres Filles de Sainte-Marie. Votre état premier était dans la jouissance, celui où vous êtes est dans la souffrance. O ma très-chère fille ! que le dernier est bien plus assuré et fructueux que le premier si, avec patience et de tout votre cœur, quoique sans sentiment, vous vous délaissez à l'aveugle entre les bras de la Providence divine, acquiesçant à sa sainte volonté en tous les dépouillements qu'il lui plaira faire de vous, en vous et sur vous, sans regarder la cause ni les effets de votre pauvreté et nudité. Croyez que bientôt vous vous trouverez en la liberté des enfants de Dieu. Il me semble que Dieu vous y met déjà, puisque parmi toutes ces soustractions et délaissements, Il maintient et conserve sa sainte paix et tranquillité en votre esprit ; et cela est une grâce très-précieuse, qui vous doit suffire. Coopérez aux desseins de Dieu sur vous, vous anéantissant en [656] toutes choses où la nature se peut rechercher. Car, voyez-vous, ma fille, la vraie et vivante vertu gît en ce point du parfait anéantissement qui est la solide humilité, hors de laquelle il n'y a que des ombres et simples images de vertu. Vous êtes destinée à ce bonheur et à cette perfection si pure, je le sais bien ; car je connais votre âme jusqu'au fond, et Dieu me la fait chérir avec un amour très-cordial, et me sera une consolation d'en savoir l'état et progrès. Je prie Dieu de remplir votre cœur de son saint amour. Votre, etc.

LETTRE MCMLIV

La vertu se perfectionne dans les ténèbres et les impuissances spirituelles.

VIVE † JÉSUS !

Croyez, ma très-chère fille, que la consolation que vous me donnez par votre confiance est une des plus sensibles que j'aie eues il y a bien longtemps. Cela est si vrai que Dieu m'a donnée à vous, que vous ne devez jamais laisser ébranler cette vérité. Or sus, ma très-chère fille, je vois que notre bon Dieu vous donne des croûtes de pain bien sèches et bien dures, après le lait des consolations intérieures qu'il vous a donné si longuement. Et n'est-il pas bien raisonnable d'affermir vos gencives, et nourrir dorénavant votre estomac spirituel de la viande des grands et robustes ? Oui certes, ma fille, car autrement jamais nous n'atteindrions à cette générosité et vaillance spirituelles que notre Bienheureux Père nous a tant enseignées. Courage, ma chère âme, embrassons et chérissons tendrement nos dégoûts, nos insensibilités et répugnances ; et, sous leur faveur et le moyen qu'elles nous prêtent, produisons les actes des véritables et solides vertus, lesquelles ne se pratiquent jamais plus utilement et parfaitement que quand nous sommes parmi les ténèbres et les impuissances. « Et une seule produite en ce temps-là en [657] vaut cent, disait notre Bienheureux Père, de celles qui se font parmi les douceurs et consolations spirituelles. » Et pour conclusion, il nous doit suffire que Dieu le veut ainsi ; et il ne faut pas faire cette réflexion, que c'est nous qui en sommes la cause. — Au reste, n'appréhendez point la séparation de votre bonne Mère ; pourvu que Dieu nous demeure, n'est-ce pas assez ? Je suis très-aise de vous voir en l'amour et estime de cette Mère ; c'est une grande servante de Dieu et puissante en vertu. Sa Bonté vous la veuille conserver ! Votre, etc.

LETTRE MCMLV

Même sujet.

VIVE † JÉSUS !

Béni soit notre divin Sauveur en nos afflictions, comme en ses consolations I Si vous n'eussiez un peu été dans la tribulation, je ne vous eusse pas écrit ; mais vous m'avez donné une petite compassion, encore que je voie bien que le mal n'est pas trop grand, excepté les réflexions que vous faites toujours sur vous-même, et ces exagérations de vos infidélités. Je vois bien que cela procède d'une bonne source, qui est la haine de vous-même ; mais il la faut avoir avec plus de douceur, par manière de compassion et non de pressure. Jamais Notre-Seigneur ne fut plus près de vous, je vous en assure : Il vous laisse un peu à sec, et sans lumière ni consolation ; ce n'est que pour vous faire cheminer dans la foi nue et simple, et vous apprendre que la vraie paix de l'âme se doit conserver en cet état, comme dans les consolations. Pour Dieu, ne regardez point ce qui se passe en vous, mais Dieu très-simplement, comme vous pourrez, tenant votre cœur tranquille et paisible dans son travail, sans le surcharger de la recherche de vos infidélités et aveuglement. Je vois que Dieu vous comble de grâces, de [658] lumières, de bons désirs et sentiments, et que vos abandonnements et aveuglements sont accompagnés de grâces et lumières précieuses ; et de tout cela vous n'en tirez qu'un tourment pour vous. Certes, vous vous consumez, et n'y a moyen que vous ne brûliez tout votre sang, et que bientôt vous ne tombiez en quelque grand accident. Hé ! pour Dieu, laissez le soin de votre perfection à Notre-Seigneur ; faites gaiement et de bon cœur ce que vous pourrez : humiliez-vous de vos manquements, mais joyeusement et courtement ; et allez grosso modo à la bonne foi, sans tant pointiller autour de vous-même. Quel respect et obéissance rendez-vous aux avis de notre saint Père, qui sont tout à fait opposés à ce que vous faites ? Suivez, suivez, je vous prie, cette conduite, et non plus la vôtre. Mais, au nom de Dieu, que je sois crue cette fois, et faites profit du sentiment de douleur que vous me donnez de vous voir ainsi tracasser votre cœur. Voyez-vous, je suis courroucée ; mais guérissez-moi bientôt par votre guérison propre. Votre, etc.

LETTRE MCMLVI

Les peines intérieures sont le fondement nécessaire sur lequel doit s'élever l'édifice de la perfection. — Avec quelle monnaie on acquiert le trésor de la paix.

VIVE † JÉSUS !

Dieu soit au milieu de votre cœur, ma très-chère fille, et y répande ses dons précieux, afin que fortifiée et encouragée par le céleste amour vous marchiez et couriez fermement au lieu où sa Bonté vous désire !

Il y a longtemps que je souhaitais vous écrire, surtout depuis que j'ai su par votre bonne Mère que la divine Providence exerce votre cœur par diverses attaques de tentations. Oh ! que voilà qui va bien, ma fille ! ce fondement est nécessaire où l'on veut élever la perfection de l'amour divin, afin que les misères [659] et faiblesses expérimentées en nous-même nous portent à une douce et charitable humilité.

Ayez un grand courage et ne perdez point la constance, ni ne vous étonnez point des attaques de votre ennemi ; ne disputez point avec lui, et au lieu de lui répondre, parlez à votre Époux d'autre chose. Souffrez patiemment, et vous divertissez tant qu'il vous sera possible, et cela toujours selon nos saintes observances ; car j'ai remarqué que les vraies peines nous sont comme un éperon qui nous aide à nous maintenir dans notre devoir. Certes, ma chère fille, j'ai de la compassion de votre cœur que j'aime chèrement, parce que je crains que, comme jeune novice en l'école du Sauveur, vous ne vous étonniez de sentir tant de combats. Mais non, ma fille, ne craignez rien, je vous prie ; ne vous troublez ni laissez aller à la mélancolie ; et surtout ne permettez pas à votre esprit de faire ces réflexions sur soi-même. Pour mon contentement je vous dis ces choses, et pour le grand désir que j'ai que vous avanciez chemin parmi les troubles des tentations ; car c'est le temps le plus propre pour faire grand chemin en la perfection.

Ma fille, la parfaite soumission de jugement et de volonté est la monnaie avec laquelle Notre-Seigneur veut que nous acquérions le précieux trésor de la sainte paix du cœur. Qu'importe-t-il que nous ayons goût ou dégoût, consolation ou désolation, pourvu que nous fassions ce que nous devons ? Au contraire, la vertu pratiquée avec contradiction est plus puissante et plus parfaite, et par conséquent plus agréable à Dieu, lequel je supplie de vous fortifier afin qu'il soit glorifié en vous.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy. [660]

LETTRE MCMLVII

La tentation est un feu dans lequel Dieu purifie les âmes. On ne doit pas désirer d'en être délivré.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Le divin Sauveur comble votre âme de son pur amour ! Je vous vois toujours fort alarmée de l'exercice où Dieu permet que vous soyez, duquel vous agrandissez la peine par défaut de soumission et résignation au bon plaisir de Dieu, et de suivre les conseils qu'on vous donne. Ceux qui vous parlent, comme a fait Mgr N. votre bon prélat, le Père N. et les autres, voient clairement que vos tentations ne sont qu'un feu dans lequel Dieu vous veut purifier, et que tout cela passera à l'heure que la divine Providence a marquée ; cependant il faut avoir patience. Je vous prie de lire soigneusement quelque endroit de trois ou quatre grandes Épîtres de notre Bienheureux Père, où il traite du remède de vos tentations ; outre cela, je vous conseille d'abandonner votre salut et tout ce que vous êtes entre les mains de Dieu, et n'y pensez plus pour vous en inquiéter, et soyez fidèle d'éviter le mal. Gardez-vous bien de quitter vos exercices spirituels ni vos communions. Ne tâchez point de vous guérir, ni ne désirez de l'être. Remettez le tout à Dieu, et souffrez patiemment votre travail sans vous effrayer, car assurément sa Bonté vous aime et vous veut rendre toute sienne par cette voie.

Vous avez là des bons Pères et un bon, docte et pieux confesseur. Que si vous étiez ici, vous seriez privée de ce secours qui vous est entièrement nécessaire maintenant. Dieu vous conservera, s'il lui plaît, votre bonne maîtresse, envers laquelle vous devez observer le commandement que vous fit Mgr l'évêque, ne lui parlant qu'en général de vos tentations. [661]

LETTRE MCMLVIII

Conduite à tenir dans les peines intérieures. — Mieux vaut s'attacher à la vie commune que pratiquer des mortifications volontaires.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Je vois toujours votre cœur en ses combats ; mais bon courage. Si vous êtes fidèle à la grâce de Dieu et aux enseignements que l'on vous donne, vous verrez qu'en faisant ainsi vous avancerez en peu de temps. Patience donc avec vous-même, et n'étonnez pas votre esprit de ce qu'il ne se range pas si facilement que vous désireriez ; mais encouragez-le tout doucement à l'amour et pratique de la sainte humilité et simplicité ; et dans peu d'années, moyennant la grâce de Dieu, il ne goûtera plus que les délicieuses vertus chères et bien-aimées du Sauveur, et tant recommandées par notre Bienheureux Père. Or sus, cela n'est rien, sinon une permission de Dieu qui a voulu que votre corps et votre esprit aient été exercés. Que faire à cela, ma fille, sinon adorer la divine Providence parmi vos travaux et peines, et vous y soumettre doucement et de bon cœur, y voyant et adorant la très-sainte volonté de Dieu qui les permet, et ne les point regarder, quoique vous les sentiez, ne les point appréhender, n'en vouloir être guérie, ni chercher autre remède que la soumission simple de cette souffrance tant qu'il plaira à Dieu de la vous laisser, et se divertir un peu en des actions intérieures et extérieures, parlant à Dieu de tout autre chose, sans goût ni sentiment. Faites cela, ma fille, et vous serez bien heureuse.

Quand on voit une âme tendre sujette aux scrupules, l'on dit que c'est une marque de bonne conscience ; mais si elle ne se soumet aux conseils qu'on lui donne, l'on voit qu'il y a de l'opiniâtreté et une secrète présomption, et l'on est assuré de la voir bientôt tomber en de grands embarrassements et [662] inquiétudes d'esprit. Je dis de même de votre inclination aux mortifications : cela montre qu'il y a du feu de l'amour divin dans votre cœur ; mais si cette inclination n'est absolument soumise à la direction de votre Supérieure, et qu'elle vous trouble et donne de l'empressement, et vous retire de la douce et tranquille attention que vous devez avoir à la présence de Dieu, assurez-vous que vous êtes en cela poussée par votre esprit humain et par les saillies naturelles, et que le diable y peut encore mettre ses tentations. Car l'esprit de Dieu nous porte à la parfaite soumission ; il agit en nous doucement et suavement, et nous fait préférer l'égalité et conformité de vie et d'actions de nos Sœurs à toutes ces imaginaires et prétendues vertus, que nous pensons rencontrer dans les mortifications extérieures que nous nous forgeons. Si donc vous me croyez, ma chère fille, vous vous mortifierez à ne vous point mortifier de cette sorte que vous désirez. Et croyez-moi, qu'en cela vous pratiquerez la vraie mortification et zèle que Dieu désire de vous. Combattez donc fidèlement cette inclination de vouloir faire plus que les autres, et vous soumettez à la volonté de votre Supérieure ; tenez-vous dans cette sainte indifférence qui nous est tant recommandée. Ne demandez rien et ne refusez rien ; mais tenez-vous prête pour faire tout ce qu'il plaira à Dieu et à la sainte obéissance de vous ordonner ; n'estimez chose quelconque qui soit hors de cette soumission.

Quand Dieu vous tirera au repos de sa douce présence, ne vous en divertissez nullement que pour les choses de l'obéissance. Qui a Dieu a tout, et n'a que faire de chercher des moyens pour le trouver ; il le faut seulement conserver chèrement par l'exacte observance. Priez Dieu pour moi, ma fille, qui vous souhaite le vrai bonheur de l'obéissance et me dis de tout mon cœur, votre, etc. [663]

LETTRE MCMLIX

S'abandonner à Dieu quand il semble nous avoir abandonné est un acte d'amour parlait.

VIVE † JÉSUS !

Eh bien ! ma très-chère fille, voilà votre âme, ce vous semble, toute renversée, troublée et inquiétée, sans espoir de la revoir jamais dans sa paix et quiétude ! C'est Dieu qui fait ou qui permet ce renversement et discorde pour y établir l'ordre de la seule régence de son bon plaisir, plus solidement qu'il n'y était parmi les douceurs et consolations de votre noviciat ; car, ma fille, quand Dieu contente, il n'y a rien de plus facile à contenter ; mais quand Il retire un peu le sentiment de sa divine présence et secours sensible, pour faire voir à l'âme ce qu'elle peut d'elle-même et sa misère, oh ! certes, c'est à ce point où la vraie fidélité se montre, et où se fait l'acte du vrai abandonnement de nous-même à la merci de cette divine volonté ! Voilà donc ce que Dieu veut de vous, ma fille, qu'à yeux clos, sans jamais regarder volontairement ce qui se fait en vous, ni autour de vous, vous demeuriez à sa merci et le laissiez faire tout ce qu'il lui plaira, ne faisant, de votre côté, que le regarder simplement en la manière que je vous dis, sans vous remuer ni animer à faire des actes, sinon à mesure qu'il vous excitera à cela. Et tenez ferme en cette pratique, souffrant paisiblement la peine que vous donnent vos passions et cette fourmilière d'attaques dont vous êtes assaillie ; car c'est par les tourments que votre Époux vous veut purifier, comme l'or dans la fournaise. — Ne faites aucun avertissement de toute cette année. Si vous rencontrez quelque chose en votre chemin, détournez-vous-en simplement et allez à Dieu comme je vous ai dit. Faites tout avec gaieté et sans pointillerie les œuvres de l'obéissance, et Dieu vous [664] bénira. Je l'en prie, ma chère fille. — Faites bien ce que vous dit ici votre chétive Mère, Sœur Jeanne-Françoise Frémyot, qui vous aime de tout son cœur.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMLX

Conduite que doit tenir l'âme désireuse d'atteindre à la perfection.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Soyez à Dieu sans aucune réserve de cœur, de corps, d'esprit, sans exception d'aucune chose qui soit en vous ou hors de vous, laissant tout à la disposition de la divine Providence, en laquelle vous vous devez paisiblement et confidemment reposer comme un enfant au sein de sa douce mère. Et tout ce qui vous arrivera, recevez-le de la main de Dieu, par un très-saint acquiescement à sa volonté, sans vous amuser à philosopher et réfléchir sur vous-même, ains aimez-la souverainement [cette très-sainte et divine volonté], puisqu'elle est la règle de toute perfection et cause de notre bonheur. Ayez un amour spécial à la pratique de ce document, qui nous doit être en si grande révérence : Ne demandez rien, ne refusez rien de tout ce qui est en la Religion, j'excepte ce que la Constitution ordonne. Ayez une sincère, mais généreuse humilité de cœur, qui ne resserre point votre esprit, mais le dilate à la sainte joie ; ayez plus de désir et de soin de plaire à Dieu que de crainte de lui déplaire. Soyez fort douce, suave et gracieuse en votre conversation, et affectionnez surtout la cordiale union de cœur envers vos Sœurs, et ayez charité pour toutes. Observez et aimez vos Règles. Ayez un saint zèle pour la conservation de l'Institut, non-seulement en vous, mais en tout ce que vous pourrez. Prenez à cœur ces deux paroles de Notre-Seigneur : [665] « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez repos en vos âmes. » Inculquez-les tant que vous pourrez dans les âmes : elles sont la moelle et l'esprit de notre vocation. Vous devez chérir l'occasion qui vous a fait faire un si digne et entier dépouillement ; j'espère que cette occasion attirera sur votre âme une puissante grâce de notre bon Dieu, lequel aime souverainement la parfaite nudité de tout ce qui n'est point Lui. Vivez donc, ma fille, dans ce bienheureux état, et ne soyez jamais revêtue que du saint et pur amour d'accomplir la volonté de notre divin Époux qui, comme j'espère, nous donnera la consolation de nous revoir, sans toutefois nous revêtir. Je salue nos pauvres chères Sœurs, que je porterai, tant que je vivrai, dans mon cœur, quelque part que Dieu me mène.

LETTRE MCMLXI

Comment discerner les opérations de l'Esprit de Dieu en l'âme.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

La bonté de Notre-Seigneur est si grande, que non-seulement Il peut faire à une âme les grâces que vous m'écrivez, mais de bien plus excellentes et précieuses, et parce qu'on dit communément que les bons arbres portent des bons fruits, je ne vous puis dire autre chose, pour l'assurance de ces grâces, sinon que vous regardiez aux œuvres ; et si vous êtes bien humble, obéissante et observante, assurément l'Esprit de Dieu agit en vous. Mais si tout cela vous manque, tenez-vous extrêmement humble, et lâchez de l'acquérir. Quant à ce que vous me dites qu'il vous semble qu'il y a plus d'humilité à tenir ces choses-là cachées, je vous dirai ce que nous a enseigné notre Bienheureux Père, disant que la première chose qu'enseigne l'Esprit de Dieu, c'est de se découvrir sincèrement de tout à ceux qui dirigent nos âmes ; et ce qu'enseigne l'esprit malin, c'est de [666] garder le secret. Vous voyez donc, ma fille, qu'il faut suivre l'instinct de l'Esprit de Dieu et fuir les tentations du malin esprit. Soyez donc bien humble, ainsi que vous dit votre Règle, mais surtout à bien faire ce qu'elle vous dit pour la parfaite sincérité et droiture. Je prie Dieu vous en donner la grâce, et en cette affection je demeure vôtre, etc.

LETTRE MCMLXII

La fidélité à garder les lois de l'Institut attire les bénédictions célestes.

VIVE † JÉSUS !

Ma chère fille,

Je loue notre bon Dieu de ce qu'il lui a plu détourner avec tant de douceur l'entrée de M *** et de ses filles : c'eût été un mauvais coup pour une maison. De là j'espère en la divine Bonté que, tandis que nous aurons une humble et généreuse fidélité à conserver ce que nous avons reçu de notre très-saint Père [F. de Sales], pourvu que nos défenses soient raisonnables et accompagnées de véritable respect, douceur et soumission, que jamais Mgrs les prélats ne nous violenteront. Il faut donc toujours faire ainsi, ma chère fille ; c'est la conduite que le Coutumier nous enseigne et que notre Bienheureux Père nous a laissée. — Vous aurez peut-être ma chère Sœur votre Supérieure avant que vous receviez ce billet. Persévérez, ma très-chère fille, en cette bonté, suavité et support en votre gouvernement, et tenez votre cœur et celui de nos Sœurs en la sainte latitude et liberté des vraies filles de Dieu. Je vous salue toutes chèrement, et madame la marquise et notre Sœur de... et avec un singulier respect notre vertueux et cordial M. N., que je chéris et honore comme un très-digne serviteur de Dieu et grand amateur de la pauvre Visitation.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Voiron. [667]

LETTRE MCMLXIII

Nul ne sera couronné s il n'a vaillamment combattu.

VIVE † JÉSUS !

Je ne saurais douter que les bons sentiments que vous avez reçus ne soient du bon esprit, et vous ne devez recevoir aucune pensée contraire à cela, ni amuser votre esprit à les examiner. Faites le bien qu'ils vous dictent autant fidèlement lorsqu'ils vous sont ôtés que quand vous les sentez présents, ne vous y attachez nullement, car en cela consiste la loyauté de l'âme envers son Dieu ; et c'est le seul moyen d'arrêter nos inconstances et changements, non ès sentiments et attaques, mais en la volonté supérieure, qui doit dominer et regarder au-dessus de tout ce qui nous veut détourner de Dieu. Je confesse qu'en cette bataille il faut du courage, de la force et de la persévérance ; mais pourquoi ne l'avez-vous pas, ma chère fille, puisque Dieu a mis tout cela en vos mains et que l'on voit que sa grâce spéciale le requiert de vous ? Bon courage donc, je vous en prie ; affermissez votre courage et l'échauffez en l'amour et suite de ce divin Sauveur qui vous appelle à cette bataille, car nul ne sera couronné qu'il n'ait vaillamment combattu ; mais aussi son esprit a dit qu'il donnera à celui qui vaincra la manne secrète et qu'il héritera sa gloire. Je sais que les âmes pures et épouses ne peuvent regarder que le contentement de leur chaste Époux et non les récompenses ; néanmoins, il est bon dans l'effort des combats de penser à ces paroles du Prophète royal, s'encourageant par ces considérations. Si vous faites ceci, Dieu sera lui-même votre directeur, et n'aurez à faire qu'à suivre les lumières qu'il vous donnera dans chaque occasion ; et pour les mieux connaître tenez-vous fort attentive à sa divine présence, et par ce moyen votre âme demeurera plus tranquille. Je vous recommande surtout cette aimable vertu [668] de simplicité, et la très-sainte humilité qui vous apprendra à ne vous point troubler pour vos chutes et imperfections, mais à vous en humilier, et retournera Dieu avec une fidèle confiance. Dieu soit béni.

LETTRE MCMLXIV - À LA SŒUR JEANNE-MARIE DE FONTANY[128]

AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

VIVE † JÉSUS !

Ma chère Sœur,

Vous devez résister vivement et fidèlement à votre aversion, ne disant aucune parole par ce mouvement, et prenez garde de conserver le respect et soumission que vous devez, et par ce moyen vous vous affranchirez de coulpe et de votre aversion même, Dieu aidant. Vous ferez fort bien de vous approcher de ma Sœur et de la caresser, pourvu que cela se fasse humblement et avec un cœur attentif sur la douceur. Dieu vous en fasse la grâce, ma très-chère Sœur ; je suis vôtre en son amour.

Conforme à l'original gardé- aux Archives de la Visitation d'Annecy. [669]

LETTRE MCMLXV - À LA MÈRE FRANÇOISE-ANGÉLIQUE GARIN[129]

SUPÉRIEURE À ARLES

VIVE † JÉSUS !

Ma vraie fille, je loue Dieu qui vous maintient et vous avance dans le bon, suave et très-assuré chemin de la très-aimable simplicité et confiance en sa Providence céleste : il faut demeurer là constamment. Pour ce qui est de celle chaleur et pressure de cœur que vous sentez quelquefois à l'oraison, il est clair, ce me semble, que cela procède de l'ardeur de l'amour, qui s'enflamme d'ordinaire en la bienheureuse fournaise de la sainte oraison ; car notre âme se trouvant si proche de son Dieu, qui est tout amour et tout feu, il ne se faut pas étonner si elle y participe. Recevez ces ardeurs et pressures en voire manière simple, ma très-chère fille, sans les accroître de vous-même. Qu'il vous suffise d'être comme un vase vide pour recevoir tout simplement ce qu'il plaira à la sacrée dilection du Sauveur d'y verser.

L'insatisfaction que vous avez de votre conduite est un effet de votre humilité et de la grâce que Dieu vous fait pour vous perfectionner, de vous cacher le bien qu'il a mis en vous ; mais [670] je vous supplie de vivre doucement en paix, et qu'il vous suffise que Dieu et moi, votre vieille et chétive Mère, soyons satisfaits. Cette parole est bien hardie, ma vraie chère fille ; mais Dieu me pousse à la dire pour votre bien.

LETTRE MCMLXVI - À LA SŒUR ANNE-FRANÇOISE DE MONTRAMBAULT[130]

À DIJON

Conseils pour l'oraison et la pratique des vertus.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Quand il vous tombera au cœur de m'écrire de votre intérieur, ne marchandez pas à le faire, car certes je suis toute vôtre, et mon cœur chérit votre âme d'un amour tout spécial : vivez donc en liberté à mon égard. Dieu vous a dès longtemps attirée à cette manière d'oraison de simple présence de Dieu, et je vois que cette grâce vous est continuée, dont je bénis sa Bonté, croyant qu'elle ne vous sera pas levée. Mais gardez-vous bien de la contrarier, ni par des craintes, ni par des considérations et recherches de propres satisfactions. Si la divine grâce vous est retirée pour un peu, et que vous demeuriez sans sentiments ni lumières, ce sont des changements que chacun expérimente ; n'y contribuez que par l'humble et douce souffrance [671] et quelques actes de soumission, de confiance et de remise faits tranquillement, sans effort, attendant le retour de la grâce, et soyez aussi contente en cet état que si la grâce sensible continuait. N'embarrassez pas votre esprit de chose quelconque ; mais surtout ne faites aucune réflexion pour voir ce qui se passe en vous, ni pour savoir d'où vient votre peine et sécheresse. Demeurez ferme en Dieu, comme vous pourrez, mais paisible et patiente dans sa très-sainte volonté.

Pour les tracassements de votre esprit, tâchez de les tranquilliser ; si vous ne le pouvez, souffrez-les sans vous en mettre en peine ; mais arrêtez-le autant qu'il vous sera possible, par un simple regard en Dieu, par la certitude de sa présence, encore que vous ne la sentiez pas. Enfin point de réflexions, et demeurez en l'état où Dieu vous veut, vous exerçant fidèlement aux deux pratiques que vous me marquez de la présence de Dieu, et de vous tenir au-dessus de vous-même pour être libre en la pratique des vertus, selon l'occasion que Dieu vous présentera. Quant à ces mortifications et actions hors du train de la communauté, je n'en voudrais pas beaucoup faire, s'il n'y avait bien de la clarté que Dieu le veut et que l'obéissance le commande ou approuve.

Extraite de l'histoire de la Fondation du monastère de Dijon.

LETTRE MCMLXVII - À LA SŒUR FRANÇOISE-DOROTHÉE LONGIS[131]

AU PREMIER MONASTÈRE D'ANNECY

Conseils à une âme que Dieu visite par des peines intérieures.

VIVE † JÉSUS !

Ma très-chère fille,

Croyez-moi, je vous prie, ne vous mettez plus en peine de votre peine ! C'est une vraie affliction qui nous est imposée de [672] Dieu, duquel la bonté permet à notre ennemi de nous inquiéter de mauvaises pensées, de craintes effroyables et de fâcheuses imaginations, afin que les douleurs et peines que nous ressentons nous soient un feu de tribulation où Dieu nous épure comme l'or dans la fournaise, ainsi qu'il a fait à ses fidèles serviteurs pour accroître leurs mérites. Ne pensez donc plus que ce soit une mauvaise disposition ; au contraire, c'est une grâce, croyez-le bien ; et partant, ce que Dieu veut de vous en cet état, c'est une entière soumission à cette souffrance, avec une continuelle remise et abandonnement de vous-même à sa sainte [673] volonté, ou par des actes ou par des paroles, quand vous le pourrez facilement, ou par un simple acquiescement, ou bien simplement en touchant vos résolutions. Ne disputez ni ne regardez jamais volontairement ce qui se passe en vous ; au lieu de cela, retirez-vous en Dieu, sans regarder comme vous y êtes ; enfin surtout, point de réflexions. Tenez-vous joyeuse, nonobstant les angoisses, vous divertissant avec vos Sœurs. Ayez une grande fidélité à fuir toute apparence de mal et à faire le bien que vous connaîtrez, surtout de l'observance, et vous assurez que Dieu vous tient de sa main ; je l'en supplie, et c'est de tout mon cœur.

FRAGMENTS

LETTRE MCMLXVIII

Vous m'avez donné un bon sujet de confusion de m'avoir demandé mon oraison. Hélas ! ma fille, ce n'est que distraction et un peu de souffrance pour l'ordinaire ; car que peut faire un pauvre chétif esprit rempli de mille sortes d'affaires, que cela ? Et je vous dis confidemment et simplement que, il y a environ vingt ans, Dieu m'ôta tout pouvoir de rien faire à l'oraison avec l'entendement et la considération ou méditation, et que tout mon faire est de souffrir et d'arrêter très-simplement mon esprit en Dieu, adhérant à son opération par une entière remise, sans en faire les actes, sinon que j'y sois excitée par son mouvement, attendant là ce qu'il plaît à sa Bonté de me donner. Voilà comme je satisfais à votre désir, mais à vous seule ces trois dernières lignes ; quand nous nous verrons, nous dirons le reste, si Dieu le veut. [674]

LETTRE MCMLXIX

O Dieu ! ma très-chère fille, que les filles sont dangereuses quand elles se laissent préoccuper de leur propre sens ; elles ne sont pas capables de l'innocence, simplicité et bonne foi de celles qui agissent par cet esprit et ne regardent que Dieu et le bien des âmes.

Ma fille, quand Messeigneurs nos prélats désirent quelque chose de nous qui n'est pas essentiel, après leur avoir humblement représenté nos coutumes, il nous faut soumettre : car ce nous est un grand bonheur d'avoir leur bienveillance. Il y a bien de la différence entre les prélats qui n'ont point de connaissance de nos affaires, et ceux qui en veulent avoir, et qui daignent prendre soin de nous. Pendant la vie de notre Bienheureux Père et de feu Monseigneur son successeur, nous n'eussions rien osé faire d'important sans le leur communiquer, parce qu'ils nous étaient non-seulement prélats, mais vrais pères. Où l'on a de tels évêques, les Pères spirituels n'ont pas grande affaire, quoique toujours il en faut avoir un et le traiter cordialement ; mais c'est notre centre que la conduite de nos bons prélats.

LETTRE MCMLXX

J'écris parce que vous le voulez à N... ; mais désormais, ma fille, il me faudra dispenser de telles écritures : les maisons se multiplient, nos affaires aussi, et mon âge commence à me rendre excusable. Vous croiriez difficilement la multitude de lettres qui nous arrivent ; et puis je me souviens que notre Bienheureux Père disait que ses paroles ne faisaient pas des miracles ; et moi sans comparaison, puis bien dire avec un [675] véritable sentiment, que mes paroles, étant bien éloignées de l'efficace des siennes, n'en font pas non plus. Je vous supplie donc, ne me laissez plus écrire par les filles en particulier, si les choses ne sont extraordinaires. Pour les témoignages d'affection et choses semblables, il nous le faut témoigner devant le bon Dieu, plus que sur le papier. Dites à ces chères Sœurs qui m'ont écrit que je les aime de tout mon cœur, qu'elles prient Dieu pour moi, et que désormais nous avons plus besoin de faire que d'apprendre. Je les salue cordialement, et quand vous verrez Monseigneur (que je tiens pour mon père et que j'honore en cette qualité), prenez sa sainte bénédiction pour moi et pour cette famille, nous recommandant à ses saints sacrifices, et croyez-moi d'une affection inviolable, votre, etc.

LETTRE MCMLXXI

Ayez un grand courage, ma fille, et priez votre Père spirituel de maintenir votre Institut jusqu'aux moindres petites choses, surtout ce qui est des Règles et Constitutions. Voilà donc mon sentiment, ma très-chère fille, qui, à mon avis, sera conforme au vôtre. Mais, voyez-vous, je désire que dorénavant quand vous me demanderez avis de quelque chose, vous formiez votre jugement dessus, et puis que vous me le mandiez ; car mon très-cher seigneur et Bienheureux Père faisait ainsi avec moi, et si je juge bien des choses, je le tiens de lui comme toute autre grâce (si aucune il y en a en moi) et le tout procédant de la divine miséricorde. [676]

LETTRE MCMLXXII

Ma très-chère fille, je vous assure qu'il m'a fait grand bien de savoir de vos nouvelles. J'espérais bien toujours en Notre-Seigneur que la tempête qui semblait se préparer sur vous se terminerait en une douce pluie. Si Dieu permet que vous soyez davantage affligée, faites de cette croix l'usage que la divine Bonté en prétend. J'espère que ce grand Maître fera connaître à Messieurs vos Supérieurs quelle est la sincérité du procédé des Filles de la Visitation.

LETTRE MCMLXXIII

Je vois, ma chère fille, que pour la conduite vous avez une petite épine dans le pied, qui vous pique bien ; ce n'est pas trop de n'en avoir qu'une, car le mal en est tant plus aisé à souffrir et l'on a tant plus de loisir pour le panser. Il faut toujours avoir quelque croix à souffrir, au commencement, au progrès et à la fin, car cette vie en est toute parsemée. J'espère que Notre-Seigneur nous fera la grâce d'en tirer de l'utilité.

LETTRE MCMLXXIV

Ne permettons jamais à nos esprits de désirer rien de contraire à nos Règles, ni de nous faire accroire que nous puissions nous en détourner ni à dextre ni à sénestre, puisqu'en vérité nous ne le saurions faire ; bien que l'on peut quelquefois relâcher quelque chose selon le besoin. La charité et la nécessité sont les vraies Règles d'un cœur qui est bien à Dieu et à son Institut. [677]

LETTRE MCMLXXV (Inédite) - À LA MÈRE HÉLÈNE-ANGÉLIQUE LHUILLIER

SUPÉRIEURE AU PREMIER MONASTÈRE DE PARIS

Dites toujours de bons mois à la petite Cantaline[132] pour la porter à la douceur, condescendance, et soumission aux volontés d'autrui, et surtout à la vraie sainte crainte de Dieu et alentissement de l'estime des choses de ce monde. Je veux bien écrire à Messieurs de Coulanges, mais je n'en ai encore le loisir. Faites-moi ce bien de les faire saluer de ma part, et la bonne madame de Coulanges et la petite. — Ma vraie très-chère fille, tout uniquement bien-aimée, le doux et glorieux Sauveur de nos âmes les comble de la pureté de son divin amour. Mille saluts à nos bien-aimées Sœurs et à la chère Sœur [de Villeneuve] et aux nièces.

Conforme à la copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Paris.

LETTRE MCMLXXVI (Inédite) - À LA SŒUR ANNE-FRANÇOISE B0URGEAT

Vous voilà, ma très-chère fille, au point où je vous désirais. Il était nécessaire que les occasions de divers tracas vous affranchissent. Tenez ferme dans la sainte indifférence où Notre-Seigneur vous a mise, et vous serez bien heureuse si vous persévérez à le servir avec un parfait dénûment, sans autre appui que Lui-même et son seul bon plaisir. C'est le chemin royal, marchez-y fermement et très-humblement.

Conforme à une copie de l'original gardé au premier monastère de la Visitation de Marseille. [678]

LETTRE MCMLXXVII - À LA SŒUR PÉRONNE-MARIE DUCHÊNE

NOVICE À PONT-À-MOUSSON

Ayez une particulière affection à la sainte oraison, et pour cela, aimez le silence et la retraite en vous-même pour y traiter avec Notre-Seigneur. " Soyez généreuse en l'exercice de la mortification, c'est le solide fondement de la vie spirituelle ; mais pratiquez-la joyeusement et sans intermission, en toutes les occasions qui le requerront, afin que vous rangiez toutes vos passions, affections et habitudes sous le bon plaisir de Dieu, tous les lois de la Règle et de l'obéissance. Par ce moyen, ma fille, vous arriverez à la parfaite union de votre âme avec son Dieu, qui est le souverain bien de la Religion, lequel je vous souhaite de tout mon cœur, qui vous chérit maternellement.

LETTRE MCMLXXVIII - À UNE AUTRE NOVICE

Ma très-chère Sœur, puisque la quantité de nos années nous tient assurées de n'en avoir plus guère à passer en cette vie, tâchons, je vous supplie, d'employer ce qui nous en reste le plus saintement qu'il nous sera possible, employant fidèlement toutes les occasions que Dieu nous présentera pour nous avancer en son pur amour, soit en souffrant, soit en agissant ; surtout rendons-nous attentives pour observer au plus près possible tout ce qui est de notre saint Institut. [679]

LETTRE MCMLXXIX - À UNE AUTRE NOVICE

Ma très-chère fille, demandez souvent à votre âme, à l'exemple de saint Bernard, qu'est-ce que vous êtes venue faire ici ? et là-dessus, excitez votre cœur à bien et fidèlement observer votre Règle, car c'est pour cela que la divine Providence vous y a amenée. Rappelez, le plus souvent que vous pourrez, votre esprit à vous-même pour le mettre en la présence de Notre-Seigneur crucifié, et le tenez là en attention le plus qu'il vous sera possible. Quand vous parlez, regardez ce que vous dites, afin que vos paroles soient sages et convenables à une vraie fille et servante de Notre-Seigneur.

LETTRE MCMLXXX

Ma très-chère fille, accablée d'affaires, je ne puis vous écrire ; je l'ai fait depuis peu. Croyez que de grand cœur je vous souhaite le comble des grâces de la divine enfance de notre cher Sauveur. Mon Dieu ! ma fille, les admirables leçons d'humilité, d'anéantissement et de toutes les vertus ! Sa douce Bonté vous en fasse part, s'il lui plaît, et à toutes nos Sœurs que je salue, et tous ceux que vous trouverez bon. Bonjour et bonne année, ma vraie très-chère fille.

Conforme à une copie gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMLXXXI

Dieu tout bon soit toujours et à jamais l'unique amour et désir de nos cœurs, mes très-chères Sœurs et bien-aimées filles. Vivez de ce divin amour, qui vous tiendra unies d'une sacrée [680] dilection, qui opérera incessamment la fidélité exacte à vos saintes observances. C'est l'unique bien que je vous désire comme pour moi-même, étant toute vôtre en cette sacrée dilection. Dieu soit béni.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMLXXXII

Ayez, ma très-chère fille, un grand et généreux courage qui s'ajuste amoureusement au très-saint bon plaisir de Dieu, sans plus réfléchir sur vos inclinations, désirs ou aversions, car tout cela est humain, et je désire, ma très-chère fille, que rien que l'esprit de Dieu ne demeure en vous, que je chéris toujours fort sincèrement. Je salue votre cher cœur et celui de toutes nos Sœurs. Dieu soit béni.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMLXXXIII

Je conjure toutes nos très-chères Sœurs de persévérer et croître tous les jours de bien en mieux. Faites que tout votre ménage marche en paix et joyeusement, et vous verrez tout prospérer. J'aime bien toutes nos pauvres Sœurs domestiques et les porte à avoir bon courage ; car elles sont heureuses de beaucoup travailler pour Dieu. J'aime votre Sœur dépensière, elle sait qu'elle est ma fille, et pour ma très-chère Sœur l'économe, certes je l'aime de tout mon cœur, n'en doutez pas. Ma bonne Sœur, voilà le sermon que je vous avais promis : Dieu nous fasse la grâce de bien fidèlement pratiquer les sacrés documents que nous avons reçus de ce très-heureux Père.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de la Côte-Saint-André. [681]

LETTRE MCMLXXXIV

Ma très-chère fille, voilà notre bon Père dom Juste [Guérin] duquel, à mon avis, vous serez consolée. C'est une âme des plus sincères, innocentes et simples que je connaisse, avec prudence toutefois, et qui est entièrement nôtre. Notre Bienheureux Père l'aimait uniquement. S'il a besoin d'argent, je vous supplie, ma fille, lui en fournir jusqu'à quarante pistoles, car nous les avons entre nos mains ; il ne les a pas voulu porter crainte de mauvaises rencontres. Dieu soit béni !

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMLXXXV (Inédite)

Ma très-chère fille, le doux Sauveur vient donner paix partout et effacer nos fautes passées. J'espère que sa Bonté vous bénira de ses saintes consolations. Tenez votre cœur au large et ne le peinez plus de rien. Soyez joyeuse et courageuse : Dieu est tout nôtre. Gloire soit au Ciel, et paix en terre aux âmes de-bonne volonté. Je suis toute à vous.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMLXXXVI (Inédite)

Ma très-chère fille, il faut bien dire un petit mot à votre cher et tout bon cœur qui m'est en la considération que Dieu seul sait. Je ne sais que vous dit ce billet de cette chétive santé ; mais n'en soyez en nulle peine, car ce ne sont que des incommodités ordinaires, que la saison grossit un peu. Hélas ! que dignes de [682] compassion étaient les douleurs qu'on fit souffrir à notre saint Père, il y a dix ans environ, à cette heure ! Dieu nous fasse la grâce d'en suivre la douceur, la patience et tous ses désirs sur nous.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMLXXXVII (Inédite)

Supportez doucement, ma pauvre Sœur, madame de N. Ce n'est pas son cœur qui fait le tracassement sur la maison, c'est la tentation qu'on lui donne ; mais vous faites bien de lui offrir de la payer, cela diminuera la fantaisie de ceux qui lui montent la tête. Enfin, aimez-la bien, et la confortez cordialement le plus que vous pourrez, et ne faites point connaître aux Sœurs cette tentation. Je vous remercie de vos saintes communions. Je suis de bon cœur toute vôtre en Notre-Seigneur. Qu'il soit béni !

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMLXXXVIII (Inédite)

Vraiment, ma très-chère petite, j'ai été toute contente du compte que vous m'avez rendu. Mon Dieu ! ma petite, encouragez-vous fort et allez de bien en mieux. Tenez-vous fort proche de Dieu, et soyez toujours veillante à cette essentielle mortification de vos passions et inclinations. Ma fille, on ne doit pas se dispenser d'une communauté sans congé des Supérieures ; mais aux novices le congé de la maîtresse suffit.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Pistoie (Toscane). [683]

LETTRE MCMLXXXIX (Inédite)

Ma très-chère fille, cette lettre est très-importante et pressée. Je crois que le courrier partira pour Rome le saint jour de Noël. Je vous prie de l'envoyer incontinent chez le maître des postes, avec cette petite commission. Je vous souhaite mille et mille bénédictions comme à ma plus chère fille, le cœur de laquelle je chéris de tout le mien, suppliant le saint Enfant de le remplir des fruits de sa très-sainte Naissance.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXC (Inédite)

Je salue nos pauvres très-chères Sœurs, que je porte et porterai tant que je vivrai au fin milieu de mon cœur, quelque part que Dieu me mène ; mais j'espère en sa Bonté qu'il me ramènera auprès de leurs chères dilections, si elles persévèrent à prier pour moi, comme leur sainte affection me le fait croire, et que la mienne me le fait désirer ; mais surtout la grâce qu'elles vivent tout à Dieu en douceur et charité mutuelle.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXCI (Inédite)

Ma très-chère fille, ne vous regardez pas tant, mais ayez un cœur joyeux et en courage, cherchant Dieu avec allégresse, et tâchez de tenir ainsi l'esprit de vos Sœurs content de vous et assuré de votre confiance envers elles. Dieu nous fasse la grâce de le louer à jamais avec tous ses Saints. Amen. Il soit béni.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy. [684]

LETTRE MCMXCII (Inédite)

Ma très-chère fille, Dieu soit béni éternellement, qui nous a ramenée auprès de toutes nos très-chères Sœurs. Il me tardera bien, ma très-chère fille, de vous voir et votre chère troupe, mais il faut un peu de temps pour voir cette maison. Priez bien ce bon Dieu que notre retour et notre séjour soient tout à sa gloire. Je suis de cœur toute vôtre et à toutes nos bonnes Sœurs, que je salue tendrement avec vous. Dieu soit béni.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXCIII (Inédite)

Ma très-chère fille, vos résolutions sont toutes bonnes ; mais il ne se faut pas contenter de reprendre et avertir les Sœurs de leurs défauts pour une seule fois, mais autant qu'il sera requis, le tout pourtant avec grande douceur et charité. Soyez généreuse et joyeuse, ma très-chère fille. Priez pour celle qui est toute vôtre. Dieu soit béni, que je supplie nous bénir toutes.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXCIV (Inédite)

Enfin, ma très-chère fille, « il faut souffrir, disait notre Bienheureux, que nous soyons de la nature humaine sujette à faillir ». Je vous prie donc derechef que vous ne vous fâchiez plus de vos manquements et que vous ne vous regardiez plus tant. Allez à la bonne foi, tout franchement, surtout avec votre bonne Mère, et dites librement votre pensée dans les occasions, et [685] ne vous mettez point en peine si l'on ne la suit. Notre bon Dieu soit notre vie et consolation éternellement. Je suis tout à fait vôtre en son saint amour.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXCV (Inédite)

Ma très-chère fille, les imperfections des particulières ne nous doivent nullement troubler, encore qu'elles soient en la Supérieure ; mais demeurez toujours ferme en l'obéissance et simplicité, et par ce moyen vous aurez l'esprit de la Visitation. Ne parlez point en particulier que ce ne soit pour quelque chose nécessaire, afin de ne pas agrandir le trouble et la peine de votre Supérieure. Demeurez en paix, Dieu mettra ordre partout, n'en douiez point. Je suis toute vôtre, vous le savez ; mais, encore une fois, je vous prie, demeurez en paix et faites pour les novices ce que la Mère vous dira.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXCVI (Inédite)

Ma très-chère fille, j'avais déjà bien reçu une de vos lettres, mais l'extrême surcharge que j'ai pour les réponses m'empêche de le faire bien souvent comme je désirerais, et il me faut néanmoins pardonner. J'ai vu cette dernière, ma très-chère fille, par laquelle vous m'ouvrez votre cœur avec tant de confiance et simplicité, que cela m'a fort consolée, et voudrais bien avoir le loisir de vous écrire longuement ; mais je ne puis. Le principal sujet de toutes vos peines procède de manquement de soumission aux conseils que je m'assure que l'on vous donne. [686] Premièrement donc, je vous dis, ma très-chère fille, qu'absolument vous soumettiez votre jugement et votre volonté à faire ce que l'on vous dit. Secondement... [Le reste de la lettre est coupé dans l'original gardé à la Visitation de Chambéry.]

LETTRE MCMXCVII (Inédite)

Jamais on n'a guère vu une personne sortir d'un Ordre pour aller à un autre sous prétexte de plus grande austérité, qui ait bien réussi de tel changement, et on peut croire probablement que c'est une tentation, et partant une menée du diable pour perdre cette âme. Voyez ce que notre Bienheureux Père en a dit aux Entretiens et au livre de l'Amour de Dieu. « Pour chétive que soit notre barque, disait ce grand Serviteur de Dieu, elle est assez bonne pour nous passer au port de la gloire, si nous y voulons faire notre devoir. » Or, je ne parle pourtant pas des monastères qui seraient déréglés et scandaleux. Dieu vous bénisse, et priez pour moi.

Conforme à l'original gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy.

LETTRE MCMXCVIII (Inédite)

Je vous prie encore, ma chère Sœur, de faire prendre garde que l'on ne mette rien de superflu dans les lettres des mortes [annonçant la mort]. À celles des communications les unes aux autres, il faut écrire les choses remarquables et importantes brièvement et retrancher les communes et superflues, mais je vous en prie. S'il nous arrive le décès d'une Sœur, nous y pouvons ajouter nos petites nouvelles, afin que cela soit fait pour un an. Et, tant qu'il se peut, il faut envoyer nos lettres par les messagers ou coches, quand il n'y a rien qui presse, afin de soulager [687] les monastères qui payent les ports, dont je sais qu'il y en a d'extrêmement chargés, à cause que les postes le prennent fort gros. Celles qui écrivent doivent faire considération là-dessus.

Conforme à l'original gardé à la Visitation de Montpellier.

LETTRE MCMXCIX (Inédite)

... Ma fille, vous trouverez, à mon avis, notre Sœur J. C. plus [propre pour] toutes les charges que sa mine ne fait juger, et je pense qu'elle [pourra mieux] servir au noviciat que pas une que vous ayez là pour le présent. Elle sait tout ce qui est de l'Institut, mais cela est en votre liberté, du moins dressera-t-elle utilement les trois petites Sœurs. Enfin elle est reconnue céans pour fort vertueuse, et propre et intelligente à beaucoup de choses. — Nous envoyons notre montre et ferons faire un compte ; car il ne s'en est pas trouvé de fait. Vous savez que vous pouvez faire avec nous ainsi que vous trouvez bon et tout confidemment, car je suis tout à fait vôtre. L'Esprit Très-Saint vous remplisse de son saint amour. Amen.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Soleure.

LETTRE MM (Inédite)

Bienheureuses les âmes qui, entre toutes sortes d'événements, tiennent toujours leur attention et affection sur la Bonté éternelle pour l'honorer et chérir à jamais, sans réfléchir sur ce qui s'est fait, sur ce qui se fait, sur ce qui se fera, ni comme on le fera, laissant à Dieu ce soin, non-seulement des événements, mais aussi celui comme nous recevrons les événements, car Il aura soin de nos affaires, et de vouloir et de faire pour nous ce qui sera le meilleur. Jetons toute notre sollicitude sur Lui, car [688] Il a soin de nous. Reposons-nous en Lui de toutes choses et n'arrêtons notre esprit qu'en Lui seul, nous contentant de sa très-pure, très-simple et unique volonté et [du bonheur] d'être gouvernées par ce bon Dieu, sans aucun mélange d'acte ni de désir, sinon qu'il fasse en nous, de nous et par nous tout ce qu'il lui plaira, recevant sans distinction aucune, ains avec un égal amour tout ce qui arrivera, le prenant de sa main paternelle, voire même, aimant mieux les afflictions que les consolations, parce qu'il y a un peu plus de son bon plaisir. Et ceci est l'unique pratique intérieure que l'âme abandonnée en Dieu doit faire par une simple remise et confiance en Lui, se rendant fidèle à suivre et faire le bien qui lui sera montré dans les occasions que chaque moment présentera, sans les prévoir de plus loin, n'occupant l'esprit à penser à ce qu'on fera, ains en Dieu qui nous aidera, car Il dit : « Vous ne pouvez rien faire sans moi. »

Conforme à une copie gardée au premier monastère de la Visitation de Paris.

LETTRES OUBLIÉES

DANS LE COURS DE LA PUBLICATION

À MONSIEUR BAYTAZ DE CHATEAU-MARTIN

DOYEN DE LÀ COLLÉGIALE DE NOTRE-DAME D'ANNECY PÈRE SPIRITUEL DU PREMIER MONASTÈRE DE LA VISITATION

Respect et déférence de la Sainte pour la volonté de son Supérieur.

VIVE † JÉSUS !

[Lyon, juillet 1636.]

Mon très-Honoré et cher Père,

Nous voici arrivée heureusement, grâce à Dieu, en assez bonne santé, et toute consolée en l'espérance de vous voir bientôt, s'il plaît à Notre-Seigneur, que je supplie me faire la grâce de vous trouver en bonne santé ; car certes, mon très-cher Père, votre personne m'est précieuse et très-chère. — Voilà des nouvelles instances que l'on me fait pour aller en Auvergne : pour moi je n'ai aucune inclination ni considération que pour la sainte obéissance ; je n'ai pas cru que celle que vous m'aviez donnée pour la Provence me donne pouvoir d'aller en une autre province, qui est en arrière de mon chemin de trois journées. C'est pourquoi, mon très-cher Père, vous verrez devant Dieu ce qu'il vous plaira me commander, et je le ferai, Dieu aidant, de tout mon cœur ; car il me faut bien douze ou quinze jours pour les deux maisons de cette ville, parce que les familles sont fort grandes. Après cela je me retirerai le plus droit à vous, sinon que vous m'ordonniez d'aller voir ces monastères d'Auvergne : que si vous ne le jugez à propos, il faudra que nous séjournions ici quelques jours de plus pour y voir les Mères qui désirent y venir, en cas que nous n'allions pas à elles.

Notre bon Dieu vous comble de ses abondantes grâces et vous conserve en santé Mon très-honoré Père, je demeure en tout respect et de tout cœur, votre, etc.

Conforme à une copie de l'original gardé à la Visitation de Montélimart. [690]

À MADAME LA MARÉCHALE DE...

Les consolations divines peuvent seules guérir les douleurs de l'âme.

VIVE † JÉSUS !

Madame,

À ce que j'apprends par ma Sœur la Supérieure de N..., Dieu visite et remplit votre cœur de beaucoup d'angoisses et d'afflictions. Mais, puisque vos douleurs procèdent d'une main et d'une affection paternellement tout incomparable en sa sainte dilection, j'espère que vous les souffrirez en paix par le moyen de l'amoureuse et très-humble soumission de votre volonté à celle de Dieu, en laquelle dès longtemps je sais que vous vivez. Hélas ! Madame, que pouvons-nous attendre en cette chétive vie, que mort, qu'affliction, et renversement de nos desseins et contentements, puisqu'il n'y a rien de stable et de solide ? Vous avez considéré et expérimenté cette vérité, je le sais bien, et qu'aussi vous avez jeté en Dieu et en la sainte éternité tous vos désirs, votre amour et vos prétentions : c'est ce qui me fait espérer que la divine Bonté aura soutenu votre cœur durant les cuisants efforts de votre affliction et qu'enfin elle vous fera abonder en ses saintes et douces consolations, qui sont l'onguent précieux seul capable de guérir les grandes douleurs de nos âmes, surtout quand elles sont mêlées avec une parfaite résignation de tout notre être et de toutes choses au bon plaisir divin. C'est le bonheur et le secours que je vous souhaite dans vos travaux, et vous supplie de me croire toujours pour ce que je veux et dois être sans fin, d'une affection incomparable. C'est, Madame, votre, etc.

fin du cinquième volume de la correspondance, dernier de la publication.

TABLE DES MATIÈRES

année 1638.

Lettre MDXXXIII. — À un Religieux. — Peines intérieures de la Sainte ; elle réclame des prières. 2

Lettre MDXXXIV. — À M. le marquis de Lullin, à Thonon. — Consolation sur la mort de sa fille unique.   2

Lettre MDXXXV. — À madame la marquise de Lullin, à Thonon. — Même sujet.              3

Lettre MDXXXVI. — À la Mère F. -G. de la Grave, à Bourges. — Le choix des confesseurs extraordinaires doit être approuvé par l'évêque. —Il faut avoir beaucoup de confiance aux Pères Jésuites. — Remercîment pour un secours donné aux Sœurs de Saint-Amour........................................................................................................................ 4

Lettre MDXXXVII. — À Mgr André Frémyot, à Paris. — Il est jugé nécessaire que la Sainte aille présider à la fondation de Turin. — Nouvelles calomnies contre l'Institut................................................................... 6

Lettre MDXXXVIII. — Au Nonce apostolique, à Turin. — Envoi d'une lettre du Nonce de Paris. — Humble prière de dissiper les préventions répandues contre l'Institut.......................................................... 8

Lettre MDXXXIX. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paria. — Les calomnies répandues contre la Visitation obligent à ajourner la fondation de Turin. — Éloge des monastères d'Annecy et de Paris.                9

Lettre MDXL. — À Mgr B. -T. de Chevron-Villette, à Moutiers. — Témoignages d'humble gratitude.          11

Lettre MDXLI. — À la Mère M. -B. de Lucinge, à Annecy. — Se fortifier par la pensée de l'éternité au milieu des misères de cette vie. — Pieux souhaits.................................................................................................. 12

Lettre MDXLII. — À une Supérieure de la Visitation. — L'Institut se maintiendra par l'humilité et la charité.               13

Lettre MDXLIII (Inédite). — À une Supérieure de la Visitation. — Oppositions que la Sainte a dû surmonter pour maintenir l'Institut sous l'autorité des évêques ; elle n'attend sa récompense que de Dieu........ 14

Lettre MDXLIV. — À M. l'avocat Pioton, à Chambéry. — Désir de le voir entrer dans l'état ecclésiastique. — On a obtenu des Bulles pour la fondation de Turin................................................................................ 15

[692]

Lettre MDXLV. — À Madame Mathilde de Savoie, à Turin. — Remercîments pour le zèle avec lequel elle prépare la fondation de Turin : mérites qu'elle acquiert par cette bonne œuvre............................. 16

Lettre MDXLVI. — À Mgr B. -T. de Chevron-Villette archevêque de Tarentaise, à Moutiers. — Dispositions relatives à la fondation de Moutiers.......................................................................................................... 17

Lettre MDXLVII (Inédite). — À la Mère A. -T. de Préchonnet, à Rouen. — Encouragement à porter le fardeau de la Supériorité ; ce serait faire brèche à l'Institut que de demander a être déposée avant le temps. — S'abandonner à Dieu au milieu des peines intérieures, et les regarder le moins possible. — Pour ce qui concerne sa santé, la Supérieure doit se rendre aux désirs de la coadjutrice............................................................................................................................... 18

Lettre MDXLVIII. — À Mgr André Frémyot, à Paris. — La Sainte se réjouit de l'espoir de la naissance d'un Dauphin. — Mort de la Mère de Bréchard. — Convalescence de la Mère H. -A. Lhuillier ; son dévouement pour l'Institut. — Le voyage de Turin est remis après Pâques.......................................................................................................... 20

Lettre MDXLIX. — À une Supérieure de la Visitation. — Divers points relatifs à l'élection de la Supérieure. — La Sainte demande des prières pour la reine....................................................................................... 23

Lettre MDL. — À la Mère M. -É-. de Lucinge, à Annecy. — Faire une neuvaine pour obtenir la lumière divine à M. Pioton. — De la prochaine élection du deuxième monastère d'Annecy...................................... 24

LETTRE MDLI. — À la Révérende Mère Marie de la Trinité, Carmélite, à Troyes. — Demande de prières. — Éloge de la Mère de Châtel. — De l'union projetée entre l'Ordre du Carmel et celui de la Visitation....... 26

Lettre MDLII. — À Mgr B. -T. de Chevron-Villette, archevêque de Tarentaise, à Moutiers. — Témoignage de respect et de reconnaissance....................................................................................................................... 27

Lettre MDLIII. — Sans Adresse. — Affaires d'intérêt.................................... 28

Lettre MDLIV (Inédite). — À la Sœur A. -M. Bollain, à Paris. — Prière d'adresser ses commissions à Sœur M. -A. de Vosery................................................................................................................................................... 29

Lettre MDLV (Inédite). — À la Sœur L. -D. de Marigny, à Montpellier. — Elle l'invite à tenir son cœur dans une sainte joie................................................................................................................................................... 30

Lettre MDLVI. — Au Révérend Père Binet. — La pauvreté est le trésor des servantes de Dieu. — On ne doit pas recevoir un plus grand nombre de jeunes filles que celui permis par le Coutumier, et ne pas les admettre au noviciat avant l'âge de quinze ans................................................................................................................................................... 30

Lettre MDLVII. — À la Mère F. -O. de la Grave, à Bourges. — Ligne de conduite à tenir lorsqu'on se trouve obligé de défendre des intérêts temporels........................................................................................... 32

Lettre MDLVIII. — À la Mère M. -É. de Lucinge, à Annecy. — Élection de la Mère M. -A. de Rabutin au monastère de Thonon.................................................................................................................................... 33

Lettre MDLIX. — À la Mère M. -S. Baudet, à Nevers. — Conseils pour le gouvernement de sa communauté. — On ne doit pas permettre aux dames bienfaitrices d'avoir des chiens et des oiseaux dans l'intérieur de la maison. — Ne pas excéder le nombre de Religieuses prescrit par la Règle.......................................................................................... 34

Lettre MDLX. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Souhaits de bénédictions pour la réussite de ses projets...................................................................................................................................... 36

[693]

Lettre MDLXI (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — La charité qui couvre les défauts du prochain attire de grandes grâces sur les âmes. — Divers avis................................................................ 37

Lettre MDLXII. — À la Mère C. -É. de la Tour, à Gray. — Cordiales salutations de quelques Sœurs d'Annecy. — La Sainte prie cette Supérieure d'agir avec suavité et charité dans la conduite d'une affaire...... 38

Lettre MDLXIII. — À la même. — S'accommoder charitablement avec la Supérieure de Besançon. — Estime pour le Bienheureux Pierre Fourier.................................................................................................... 40

Lettre MDLXIV. — À la Mère J. -S. de Chamousset, à Aoste. — La Sainte applaudit à l'élection de cette Supérieure ; comment exercer sa charge................................................................................................... 42

Lettre MDLXV. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Notre-Seigneur prend soin de la perfection de la Supérieure quand elle travaille à le faire régner dans le cœur des Religieuses................................. 43

Lettre MDLXVI. — Circulaire adressée aux Supérieures de la Visitation. — Envoi du Coutumier ; désir d'en voir la pratique solidement établie dans l'Institut. — Promesse de communiquer bientôt a tous les monastères les Vies des Sœurs défuntes, les Fondations, les Méditations, les Petites Coutumes et plusieurs points omis dans les Entretiens de saint François de Sales.  44

Lettre MDLXVII (Inédite). — À la Mère M. -H. de Prunelay, à Rennes. — On doit être très-réservé dans les communications avec le dehors. Maxime de saint François de Sales à ce sujet........................................ 45

Lettre MDLXVIII (Inédite). — À la Mère F. -A. Brung, à Bourg en Bresse. — Éloge de la Mère M. -Aimée de Blonay................................................................................................................................................... 47

Lettre MDLXIX. — À Mgr Octave de Bellegarde, à Sens. — La Sainte se réjouit d'avoir pu connaître et apprécier la Mère Prieure des Ursulines de Loudun. — Combien il importe à chaque monastère d'avoir un l'ère spirituel attentif à maintenir l'observance de la Règle. — Utilité de la Visite canonique. — Envoi de reliques de saint François de Sales.         48

Lettre MDLXX. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Voyage à Annecy de la Mère Prieure des Ursulines de Loudun. Estime de la Sainte pour cette Religieuse. — Dieu sollicite quelquefois à faire un bien dont cependant II ne veut pas l'exécution. — Sentiment de saint François de Sales sur le zèle qu'il faut avoir pour entreprendre une bonne œuvre, et l'indifférence à pratiquer quand Dieu en arrête le progrès.......................................................................... 50

Lettre MDLXXI. — À la Mère A.. -M. Clément, a Melun. — La Sainte applaudit à la réélection de cette Supérieure. 54

Lettre MDLXXII (Inédite). — À la Sœur A. -M. Bollain, à Paris. — Recommandations au sujet de la santé de la Mère Lhuillier. — Demande de cent exemplaires du Coutumier. — Affaires d'intérêt. — Moyens à prendre pour empêcher une Religieuse de la Visitation d'accepter une abbaye. — Opposition faite à la réélection de la Mère A. -Marg. Clément, à Melun.          54

Lettre MDLXXIII. —À Mgr Octave de Bellegarde, à Sens. — Prière [694] de s'opposer fortement à ce qu'une Religieuse de la Visitation accepte une abbaye............................................................................................. 58

Lettre MDLXXIV. — À la Mère M. -M de Martel, à Condrieu. — Quand le Chapitre s'est trompé, il peut revenir sur sa décision................................................................................................................................... 59

Lettre MDLXXV. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Plusieurs réponses au sujet de la clôture. — Du soin charitable des malades.......................................................................................................... 60

Lettre MDLXXVI (Inédite). — À la Sœur L. -D. de Marigny, à Montpellier. — Reconnaissance pour Mgr de Montpellier. — Nécessité de l'union entre la Supérieure et la déposée ; maux qui résulteraient du contraire. — De la fondation de Toulouse.  61

Lettre MDLXXVII. — À la Sœur A. -M. de la Luxière, à Draguignan. — Demeurer tout abandonnée à Dieu avec une entière confiance................................................................................................................................. 65

Lettre MDLXXVIII. — À la Sœur M. -S. Suret, à Draguignan. — L'âme qui aspire à l'union divine doit se borner à regarder Dieu et a le laisser faire.......................................................................................................... 65

Lettre MDLXXIX. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — La Sainte la reprend de sa trop grande dureté sur elle-même........................................................................................................................................ 66

Lettre MDLXXX. — À un Religieux. — Joie de la Sainte en voyant que Dieu manifeste la sainteté de son Bienheureux Père. — Remercîments.................................................................................................................... 67

Lettre MDLXXXI. — À la Mère M. -P. de Pédigon, à Charolles. — Désir de recevoir de ses nouvelles. — Promesse de quelques secours................................................................................................................... 68

Lettre MDLXXXII (Inédite). — À la Mère P. -E. de Vidonne de Nouvery, à Montpellier. — Assurance de maternelle affection. — Message pour la Sœur déposée.................................................................... 69

Lettre MDLXXXIII. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Se contenter de demeurer en paix auprès de Dieu. — Une Supérieure doit travailler sans empressement à la perfection de ses filles.................... 70

Lettre MDLXXXIV. — À la Mère M. -M. Michel, à Fribourg. — Dispositions pour la fondation de Gruyères. — La clôture doit être rigoureusement observée. — Prochain départ de la Sainte pour Turin......... 71

Lettre MDLXXXV. — À la Mère P. -G. de la Grave, à Bourges. — Divers éclaircissements au sujet des confesseurs extraordinaires. — Les Supérieures doivent traiter ensemble avec une douce charité. 73

Lettre MDLXXXVI. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Sollicitudes pour la santé de la Mère Lhuillier. — Conseils de direction. — Départ des Sœurs fondatrices du monastère de Turin... 75

Lettre MDLXXXVII. — À la Sœur M. -A. Teste de Vosery, à Annecy. Il n'est permis de sortir du monastère que pour les occasions très-importantes. — Supporter les faiblesses qu'on ne peut corriger......... 77

Lettre MDLXXXVIII. — À la Mère P. -A. de la Croix de Fésigny, à Annecy. — La bonté et le support gagnent les cœurs. — Caractères de la vraie amitié................................................................................................. 78

Lettre MDLXXXIX. — À Mgr B. -T. de Chevron-Villette, archevêque de Tarentaise, à Moutiers. — Heureux commencements de la fondation [695] de Turin. — Difficultés survenues pour l'achat d'une maison. — Nomination du Père dom Juste à l'évêché de Genève............................................................................................................. 79

Lettre MDXC (Inédite). — À la Sœur M. -A. Teste de Vosery, à Annecy. — Affaires. — Réception de deux postulantes. — Les Sœurs ne doivent pas parler à l'assistante hors la nécessité................................... 81

Lettre MDXCI. — À la Mère A. -M. de Lage de Puylaurens, à Poitiers. — Avis relatifs à une acquisition. — Charité des Sœurs de Paris. — Regret de ne pouvoir secourir le monastère de Poitiers. — Motifs pour lesquels la Mère de Blonay a dû quitter Lyon ; éloge de cette Supérieure. — Réclamer au monastère de Moulins la pension de Sieur M. -A. de Bigny.            83

Lettre MDXCII. — À Mgr J. -J. de Neuchèze, à Châlon. — Recommandation en faveur du Père dom Cerisier.            87

Lettre MDXCIII (Inédite). — À la Sœur M. -A. Teste de Vosery, à Annecy. — Affaires d'intérêt. 88

Lettre MDXCIV. — À la Sœur J. -F. Marcher, à Thonon. — Avantages des souffrances endurées avec paix et humilité................................................................................................................................................... 89

Lettre MDXCV (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Conseils de direction.    90

Lettre MDXCVI (Inédite). — À la Sœur M. -A. Teste de Vosery, à Annecy. — User de ménagement envers le prochain. — Messages................................................................................................................................ 91

Lettre MDXCVII (Inédite). — À la même. — Elle recommande les malades aux soins de la Sœur infirmière. 91

Lettre MDXCVIII. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — C'est un grand bonheur de connaître sa misère ; combien on doit estimer l'humiliation. — Admirables conseils de charité ; oublier et dissimuler les torts du prochain. — On doit cacher soigneusement dans son cœur le baume du mépris......................................................... 92

Lettre MDXCIX. — A. M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Comment on doit allier les devoirs de son emploi avec le soin de sa perfection................................................................................................ 94

Lettre MDC. — À une Supérieure de la Visitation........................................... 96

Lettre MDCI. — À Mgr B. -T. de Chevron-Villette, archevêque de Tarentaise, à Moutiers. — Le monastère de Turin est définitivement établi. — Éloge de madame de Chevron................................................... 97

Lettre MDCII (Inédite). — À la Sœur M. -C. de Bressand, à Nantes. — Avantages de l'humiliation. — Condescendance envers une âme imparfaite.................................................................................................... 99

Lettre MDCIII. — À la Mère F. -A. de la Croix de Fésigny, à Annecy. — Souhaits de bénédiction. — Perte de plusieurs lettres..................................................................................................................................... 100

Lettre MDCIV. À la Sœur F. -A. de la Pesse, à Annecy. — Elle l'exhorte au complet abandon entre les mains de Dieu................................................................................................................................................. 101

[696]

année 1639.

Lettre MDCV. — À la Sœur M. -A. Teste de Vosery, à Annecy. — Nouvelles du monastère de Turin. — Conseils pour la conduite des novices. — L'expérience de notre faiblesse doit nous faire excuser les fautes du prochain.      103

LETTRE MDCVI (Inédite). — À la Mère H -A. Lhuillier, à Paris. — La Sainte lui sait bon gré de n'avoir pas ajouté foi à des rapports malveillants, au sujet de la fondation projetée à Saint-Denis........................ 104

Lettre MDCVII. — À une Supérieure de la Visitation. — Vanité de tout ce qui passe. — Décès des Supérieures de Marseille et de Digne. — Peu d'esprits sont capables de mettre la paix où est la guerre........... 105

Lettre MDCVIII. — À Madame Mathilde de Savoie, à Turin. — Congratulations sur le rétablissement de sa sauté. — Désir de recevoir sa visite............................................................................................................. 106

Lettre MDCIX. — À M. Baytaz de Château-Martin, à Annecy. — Lenteur des affaires de la fondation de Turin. — La Sainte demande son obéissance pour revenir à Annecy........................................................... 107

Lettre MDCX (Inédite). — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Détails sur la communauté de Turin. — On ne peut dispenser de l'assistance aux Offices du chœur que dans une absolue nécessité. — Ce serait charité de recevoir au monastère de Bourg les Sœurs de Saint-Amour réfugiées dans cette ville.................................... 108

Lettre MDCXI (Inédite). — À la Sœur A. -M. Rosset, à Annecy. — Témoignage de maternelle affection.   109

Lettre MDCXII — À la Sœur F. -A. de la Pesse, à Annecy. — Recevoir avec une profonde humilité les lumières et faveurs divines................................................................................................................................... 110

Lettre MDCXIII. — À M. Baytaz de Château-Martin, à Annecy. —Les affaires de la fondation ne seront pas achevées avant Pâques. — La Sainte juge inutile la prolongation de son séjour à Turin.................... 111

Lettre MDCXIV. — Au même. — Le Père dom Juste est préconisé évêque de Genève. — Achèvement des affaires de la fondation. — Prochain retour en Savoie.......................................................................... 112

Lettre MDCXV. — À Madame Mathilde de Savoie, à Turin. — Hommage de respectueux dévouement.      113

Lettre MDCXVI. — a la même. — Arrivée de la Sainte à Chambéry. — Promesse d'un continuel souvenir devant Dieu pour le marquis de Pianesse exposé aux dangers de la guerre............................................... 114

Lettre MDCXVII. — À la Mère M. -É. de Lucinge, à Turin. — Sollicitudes pour la communauté de Turin. — Instruction sur les devoirs d'une Supérieure.............................................................................................. 115

Lettre MDCXVIII. — À la Mère P. -J. Favrot, à Nancy. — Heureuse est l'âme qui chemine simplement et paisiblement dans sa vocation............................................................................................................................ 117

[697]

Lettre MDCXIX. — À Madame Mathilde de Savoie, à Turin. — La Sainte prend part à ses inquiétudes et l'excite a se confier en la divine Providence, qui fait tout pour le bien des élus........................................... 118

Lettre MDCXX (Inédite). — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — C'est une grande vertu de se soumettre à la volonté de Dieu dans l'insuccès des œuvres entreprises pour sa gloire. — Souffrir patiemment les distractions. — Explications relatives aux fondations faites par le commandeur pour la célébration d'une messe quotidienne et la réception d'une prétendante sans dot.......................................................................................................................................... 119

Lettre MDCXXI. — À une Supérieure de la Visitation. — Agir fidèlement selon Dieu et s'abandonner à son Esprit. — Bien choisir les sujets propres à l'Institut, et ne jamais admettre les filles qui feignent d'être extatiques. — Détails sur le voyage de Turin................................................................................................................................................. 124

Lettre MDCXXII (Inédite). — À la Sœur A. -F. Bourgeat, à Avignon. — Obligation pour une Religieuse de se rendre au monastère où l'obéissance l'envoie. — Éloge des Sœurs de Marseille........................ 126

Lettre MDCXXIII (Inédite). — À la Sœur M. -F. de Monceau, à Aix en Provence. — Bon témoignage que les Sœurs d'Arles rendent de leur Supérieure ; elles s'opposent à ce qu'on avance sa déposition. Les difficultés survenues seront soumises au jugement de la Mère de Saint-Michel................................................................................................. 128

Lettre MDCXXIV (Inédite). — À quelques Religieuses de la Visitation, à Arles. — La Sainte les remercie de s'opposer à la déposition de leur Supérieure. — Avec quelle prudence on devrait procéder, s'il était jugé nécessaire de le faire avant le temps................................................................................................................................................. 129

Lettre MDCXXV (Inédite). — À la Mère M. -J. Favre, à Bourg en Bresse. — Elle bénit Dieu de l'élection de cette Mère et lui rappelle les devoirs réciproques des Supérieures et des déposées............................. 131

Lettre MDCXXVI. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Impossibilité de se rendre à Thonon. — Dans quel esprit la Supérieure doit travailler à la perfection de ses Sœurs. — Du remède à toutes les tentations.           133

Lettre MDCXXVII. — À la Mère C. -É. de La Tour, à Cray. — Envoi du Coutumier et des Méditations. — Raisons qui justifient l'élection de la Mère H. -F. Belin à Besançon. — Remercîments pour une aumône faite au deuxième monastère d'Annecy................................................................................................................................................. 135

Lettre MDCXXVIII (Inédite). — À la Sœur A. -M. Bollain, à Paris. — Témoignage de sainte amitié.             138

Lettre MDCXXIX (Inédite). — À Mgr Claude d'Achey, à Besançon. — Assurance de soumission et de profond respect. — Sieur M. -Agnès de Bauffremont sera reçue avec plaisir au premier monastère d'Annecy. — La Mère M. -Marg. Michel a été calomniée ; estime que saint François de Sales faisait de sa vertu.............................. 139

Lettre MDCXXX, — À M. le marquis de Pianesse, a Suse. — Douleur de la Sainte en apprenant la maladie de Madame. Mathilde ; prières faites pour elle...................................................................................... 141

[698]

Lettre MDCXXXI. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Respectueuse affection. — Félicitations de son rétablissement. — Oratoire de Saint-Joseph............................................................ 142

Lettre MDCXXXII. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Remercîments pour la promesse d'établir des Prêtres de la Mission dans le diocèse de Genève........................................................... 143

Lettre MDCXXXIII. — À saint Vincent de Paul, à Paris. — La Sainte se réjouit de l'arrivée des Prêtres de la Mission, et s'informe de ce qui est nécessaire à l'ameublement de leur maison.............................. 145

Lettre MDCXXXIV (Inédite). — À la Mère J. -F. de Challes, à Chambéry. — Conseils pour le choix des Sœurs qui doivent être proposées à la prochaine élection, et le changement des officières..................... 145

Lettre MDCXXXV. — Au Révérend Père de Condren, à Paris. — Demande d'un souvenir devant Dieu. — Désir de voir prolonger le séjour d'un Père Oratorien à Annecy.......................................................... 147

Lettre MDCXXXVI (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Différer la conclusion d'une affaire.     149

Lettre MDCXXXVII (Inédite). — À la même. — Dispositions à prendre pour un voyage de la Sainte à Thonon.       150

Lettre MDCXXXVIII. — À M. le marquis de Pianesse, à Turin. — Félicitations sur la guérison de sa mère. — Joie d'apprendre qu'elle a fait vœu de se consacrer à Dieu au premier monastère d'Annecy. 151

Lettre MDCXXXIX. — À Mgr Juste Guérin, à Annecy. — Regret de partir pour Thonon, sans avoir reçu sa bénédiction. — Vœu fait par Madame Mathilde de Savoie....................................................................... 152

Lettre MDCXL. — À la Mère M. -I. Joly de la Roche, à Belley. — Éloge de M. des Échelles. — L'abandon à la volonté de Dieu est le chemin par lequel doivent marcher les Filles de la Visitation. — Nouvelles de Turin.      153

Lettre MDCXLI (Inédite). — À la Mère M. -M. Michel, à Fribourg. — Réponses au sujet des difficultés qu'offre la fondation de Fribourg............................................................................................................................ 155

Lettre MDCXLII. — À M. Baytaz de Château-Martin, à Annecy. — Désir d'apprendre de ses nouvelles. — Offres de service.................................................................................................................................... 156

Lettre MDCXLIII. — À la Mère C. -É. de la Tour, à Gray. — Bon état du monastère de Thonon. — Les malheurs du temps et l'autorisation de l'archevêque de Besançon justifient l'élection de la Mère H. -F. Belin. 156

Lettre MDCXLIV. — À M. le marquis de Pianesse, à Turin. — Consolations sur la mort de Madame Mathilde de Savoie. — Abandon à la divine Providence au milieu des tribulations de la vie. — La Sainte recommande le monastère de Turin à sa protection................................................................................................................................................. 158

Lettre MDCXLV. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Tendre sollicitude pour cette Supérieure. 160

Lettre MDCXLVI. — À la Sœur L. -D. de Marigny, à Montpellier. — Estime pour la Mère M. -A. de Rabutin. Il est dangereux de recevoir des Religieuses d'un autre Ordre.................................................................. 161

[699]

Lettre MDCXLVII (Inédite). — À la Sœur J. -F. Ponsillion, à Turin. — Encouragement à servir Dieu avec allégresse et générosité. — Messages.................................................................................................... 162

Lettre MDCXLVIII. — À M. Truitat, à Turin. — Demander à Dieu les lumières nécessaires pour bien s'acquitter de ses fonctions............................................................................................................................... 163

Lettre MDCXLIX (Inédite). — À la Mère M -A. de Rabutin, à Thonon. — Maternelles recommandations. 164

Lettre MDCL. — À la Mère M. -A. Le Roy, à Paris. — Satisfaction que la Sainte a reçue du bon état de la maison de Thonon. — Rédiger la relation d'un miracle opéré par saint François de Sales. — Mort de Sœur A. -Marg. de la Luxière.          165

Lettre MDCLI. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Désir de la bienheureuse éternité. — Nouvelles des Sœurs de Turin. — Entretenir de charitables relations avec les deux monastères de Lyon.                166

Lettre MDCLII. — À M. le marquis de Pianesse, à Turin. — Combien est précieux a la Sainte un souvenir que lui a fait remettre feu Madame Mathilde de Savoie. — Promesse de prières............................. 168

Lettre MDCLIII. — À la Mère H. -F. Belin, à Besançon. — Dieu nous donne les biens et les maux avec une égale bonté. — L'amour de l'abjection est la crème de l'humilité. — Éviter tout examen inutile.......... 169

Lettre MDCLIV (Inédite). — À la Mère A. -C. de Beaumont, à Pignerol. — Compassion pour une âme faible.            171

Lettre MDCLV. — À M. Truitat, à Turin. — Sollicitude pour les Sœurs de Turin. — Reconnaissance des soins dont il les entoure................................................................................................................................... 172

Lettre MDCLVI (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Mesures à prendre pour se garantir de la peste................................................................................................................................................. 173

Lettre MDCLVII. — À la Sœur M. -M. de Granieu, à Grenoble. — C'est par une disposition de la Providence qu'elle a été envoyée au monastère de Grenoble. — Encouragements............................................. 174

Lettre MDCLVIII. — À saint Vincent de Paul, à Paris. — Espérance de voir saint Vincent de Paul faire un voyage à Annecy................................................................................................................................................. 175

Lettre MDCLIX. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Souhaits de bénédictions. — De quel secours est à un pauvre prêtre la fondation de la messe quotidienne. — Avantage des Missions dans le diocèse de Genève.      175

Lettre MDCLX. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — La Sainte s'oppose à ce que la Mère de Blonay aille faire la fondation de Bordeaux........................................................................................... 177

Lettre MDCLXI (Inédite). — À la Mère A. -T. de Préchonnet, à Rouen. — Prévisions pour l'élection qui doit se faire à Rouen. — La différence des nations ne doit pas altérer l'union des cœurs. — Décès de trois Supérieures de grand mérite.       178

Lettre MDCLXII. — À Mgr André Frémyot, à Paris. — Joie de la Sainte en voyant la résignation de son frère dans une perte temporelle. — Elle applaudit à ses projets de retraite..................................................... 182

Lettre MDCLXIII. — À la Mère M. -S. Mangot, à Saint-Flour. — [700] Regrets du trépas de la Mère M. -M. des Roches, éloges de ses vertus. — Nouvelles du monastère d'Alby. — Mgr de Toulouse désire confier à la Visitation la réforme d'une abbaye. — La Supérieure commet une faute quand sans motif elle ne fait pas rendre compte aux Sœurs tous les mois. — Le bon exemple produit plus de fruits que les paroles. — Comment agir quand on travaille à réformer une maison religieuse.               183

Lettre MDCLXIV. — À madame de Noailles, à Saint-Flour. — Encouragement a exécuter généreusement la volonté de Dieu................................................................................................................................................. 185

année 1640.

Lettre MDCLXV. — À la Mère M. -S. Baudet, à Nevers. — On ne doit pas chercher de soulagements contraires à l'observance. — N'envoyer en fondation que des Supérieures capables d'enseigner par leurs exemples une vraie mortification................................................................................................................................................. 186

Lettre MDCLXVI. — À la Mère C. -É. de la Tour, à Gray. — Souhaits de bonne année. — Nouvelles des Sœurs de Turin. — Affaires.................................................................................................................................. 188

Lettre MDCLXVII (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. Conseils pour l'âme appelée à l'état de simplicité. — Affectueuses recommandations. — Divers détails........................................................ 189

Lettre MDCLXVIII (Inédite). — À la Sœur M. -M. de Granieu, à Grenoble. — Comment combattre des craintes sur la prédestination. — Saints encouragements...................................................................... 191

Lettre MDCLXIX (Inédite). — À la Mère A. -C. de Beaumont, à Pignerol. —Affaires d'intérêt. — Avis pour la direction de quelques Religieuses. — Dieu a retiré de ce monde quatre Supérieures de rare vertu. 191

Lettre MDCLXX. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Empressement avec lequel les Prêtres de la Mission ont été reçus en Savoie. Dispositions prises pour l'ameublement de leur maison.                195

Lettre MDCLXXI. — À saint Vincent de Paul, à Paris. — Arrivée des Prêtres de la Mission à Annecy. — Joie avec laquelle ils ont été accueillis. — Observations sur quelques-uns d'entre eux.......................... 197

Lettre MDCLXXII. — À la Mère A. -M. de Lage de Puylaurens, à Poitiers. — Souhaits de bonne année. — Sainte mort de Sœur M. -A. de Bigny. — Nomination du Père dom Juste à l'évêché de Genève. — Nouvelles des Sœurs de Turin.    198

Lettre MDCLXXIII. — À une Supérieure de la Visitation. — La douce gravité est nécessaire à une Supérieure. — Les écrits de saint François de Sales doivent faire la lecture ordinaire de ses Filles. — Décision sur un point touchant les élections.       199

Lettre MDCLXXIV. — À la Sœur CM. -F. de Cusance, à Gray. — La Sainte bénit Dieu de ses ferventes dispositions................................................................................................................................................. 201

[701]

Lettre MDCLXXV (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Prochaine visite de Madame Royale au premier monastère d'Annecy............................................................................................................ 202

Lettre MDCLXXVI. — À M. le marquis de Pianesse, à Turin. — La Providence divine nous enrichit de grâces par la tribulation.............................................................................................................................. 203

Lettre MDCLXXVII. — À la Mère A. -L. de Marin de Saint-Michel, à Avignon. — Avis favorable pour la fondation de Tarascon. — Bonheur d'une âme entièrement livrée à Dieu. —Humilité de la Sainte. 204

Lettre MDCLXXVIII. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Reconnaissance pour l'établissement des Prêtres de la Mission à Annecy......................................................................................... 206

Lettre MDCLXXIX. — À la Mère M -A. de Rabutin, à Thonon. — Ne pas employer à l'examen de conscience plus de temps que le Directoire en donne. — On doit s'humilier de ses fautes, mais ne pas s'en inquiéter.               206

Lettre MDCLXXX. — À Mgr André Frémyot, à Paris. — La question du Visiteur doit être soumise au Saint-Siège. — Regrets sur la mort du Père Binet...................................................................................... 207

Lettre MDCLXXXI. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Ne pas se charger de la fondation de Bordeaux. — Affaire du Visiteur apostolique.................................................................................... 208

Lettre MDCLXXXII. — À quatre prétendantes, à Fribourg. — Promesse de les compter au nombre des Religieuses d'Annecy. Vertus qu'elles doivent acquérir..................................................................... 209

Lettre MDCLXXXIII (Inédite). — À la Mère M. -J. Favre, à Bourg en Bresse. — La Sainte applaudit à sa résolution de garder auprès d'elle la Sœur déposée................................................................................ 210

Lettre MDCLXXXIV (Inédite). — À la Mère M -A. de Rabutin, à Thonon. — Demande de renseignements sur une jeune personne entrée au monastère de Thonon...................................................................... 211

Lettre MDCLXXXV. — À la Mère M. -É. de Maupeou, à Caen. — Éclaircissement sur la constitution XIVe. — Promesse de prier pour la conversion de son père. — Souhaits de bénédictions. — Dans quel cas on peut prendre une cinquième Sœur domestique............................................................................................................................ 212

Lettre MDCLXXXVI (Inédite). —AU Sœur M. -C. de Bressand, à Nantes. — Conseils pour la distribution des charges. — La Sœur déposée ne doit pas être maîtresse des novices pendant la première année de sa déposition, sans une très-grande nécessité................................................................................................................................................. 213

Lettre MDCLXXXVII. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Précautions à prendre en temps de peste.       215

Lettre MDCLXXXVIII. — À la Mère M. -É. Gontal, a Nice. — Mieux vaut souffrir un tort que d'entrer en procès. — Dans quelle mesure on peut s'occuper de l'instruction des jeunes filles. — Regrets de la mort du chevalier Janus de Sales.                216

Lettre MDCLXXXIX. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Affectueux intérêt pour la communauté de Thonon exposée a la contagion. [702] — Affaires diverses. — L'âme doit demeurer paisible dans l'état où Dieu l'a mise.          218

Lettre MDCXC (Inédite). — À la même. — Diverses affaires. — Recommandations affectueuses.                220

Lettre MDCXCI. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — La Sainte s'excuse de ne pouvoir se rendre à Moulins. — Désir de la bienheureuse éternité. — Projet de la fondation d'Avallon. 221

Lettre MDCXCII. — À la Mère C. -E. de la Tour, à Gray. — Conseils pour l'élection qui doit se faire à Gray ; de quel jour faire dater l'établissement de ce monastère-. — Les Petites Coutumes ne sont pas achevées.   222

Lettre MDCXCIII (Inédite). — À la Mère H. -A. Lhuillier, à Paris. — Envoi des Petites Coutumes et des Vies des Sœurs défuntes ; prière de les examiner........................................................................................ 223

Lettre MDCXCIV. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Maternelles sollicitudes. — Précautions dont il faut user en temps de peste................................................................................................................ 224

Lettre MDCXCV. — À M. le marquis de Pianesse, à Turin. — Vœux de la Sainte pour la conservation du marquis ; elle lui recommande le monastère de Turin................................................................................... 225

Lettre MDCXCVI. — À. M. de Coysia, à Chambéry. — Elle le félicite de sa promotion à la dignité de sénateur.         226

Lettre MDCXCVII. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Fruits de salut que les Prêtres de la Mission opèrent dans le diocèse de Genève................................................................................... 227

Lettre MDCXCVIII (Inédite). — À la Sœur A. -P. Baillard, à Crémieux. — Invitation à lui écrire en toute confiance.  228

Lettre MDCXCIX. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Il est utile de ne pas faire la correction pour des fautes de fragilité................................................................................................................................... 228

Lettre MDCC (Inédite). — À la Mère M. -M. Michel, à Fribourg. — Conseils de douceur et de modération. — Soumettre à Mgr de Besançon les difficultés survenues entre le monastère de Besançon et celui de Fribourg.   229

Lettre MDCCI. — À la Mère C. -É. de la Tour, À Gray. — Regrets de la mort de Sœur C. -M. de Cusance. — Fondation définitive de la communauté de Gray. — Affaires touchant le rétablissement du monastère de Champlitte. — Reconnaissance due à la Mère M. -M. Michel............................................................................................................ 233

Lettre MDCCII. — À la Mère M. -S. Lescalopier, à Poitiers. — Vertus nécessaires à une Supérieure. — Éloge de la Sœur A. -M. de Lage de Puylaurens.................................................................................................. 238

Lettre MDCCIII. — À la Mère M. -S. Baudet, à Nevers. — Remercîments pour l'envoi d'une serviette de communion. — Divers points d'observance relatifs à la clôture et aux vêtements................................ 239

Lettre MDCCIV. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Maternelles sollicitudes pour cette Supérieure et sa communauté. — La peste ravage la Provence : elle a fait une victime au monastère de Mamers.      241

[703]

Lettre MDCCV (Inédite). — À la Mère A. -O. de Beaumont, à Pignerol. — Nouvelles de la famille de Beaumont. — On ne doit pas admettre les jeunes filles au noviciat avant leur quinzième année. — Avis relatifs à deux dames séculières. — Dangers auxquels sont exposées les Sœurs de Turin. — La peste sévit en Savoie.................. 242

Lettre MDCCVI (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Désir d'avoir de ses nouvelles. — Périls où se trouve le monastère de Turin............................................................................................. 245

Lettre MDCCVII. — À une Supérieure de la Visitation. — L'union cordiale est le caractère des enfants de Dieu. — On ne doit pas faire des avertissements pour des choses qui ne sont pas contre l'observance. Comment on les fait à Annecy. — On peut avancer Complies les jours de fête. — Chant des litanies, seconde table, quart d'heure du soir. — Les grâces extraordinaires sont périlleuses sans l'humilité................................................................................................... 246

Lettre MDCCVIII. — À M. Noël Brulart, commandeur de Sillery, à Paris. — Heureux succès dont sont couronnés les travaux des Prêtres de la. Mission................................................................................................... 248

Lettre MDCCIX. — À saint Vincent, de Paul, à Paris. — Même sujet........ 249

Lettre MDCCX. — À la Mère M. -É. de Lucinge, à Turin. — Bonheur d'une âme dépouillée et abandonnée au bon plaisir divin. — Dieu donne les inspirations nécessaires aux Supérieures qui réclament son secours. — Espoir que la communauté sera préservée de tous dangers................................................................................................. 250

Lettre MDCCXI. — À la Sœur M. -F. de Corbeau, à Turin. — Tendresse pour les Sœurs de Turin. — Compassion pour une postulante éprouvée intérieurement ; comment la diriger.............................................. 252

Lettre MDCCXII. — À la Mère M -A. de Rabutin, à Thonon. — Refus d'une postulante. —Faire copier le livre des Fondations. — Appréciation que fait la Sainte de la Solitude de Philagie............... 254

Lettre MDCCXIII. — À la Mère C. -C. de Crémaux de la Grange, à Bordeaux. — La Sainte se réjouit de la fondation de Bordeaux. — Édification qu'on attend de ce nouveau monastère. — Souhaits de bénédiction.        255

Lettre MDCCXIV (Inédite). — À la Sœur M. -M. de Granieu, à Grenoble. — Promesse d'une communion générale et d'une neuvaine. — Les tentations ne sauraient souiller une âme qui les rejette.................. 257

Lettre MDCCXV. — À la Mère M. -J. Favre, à Bourg en Bresse. — Heureuses sont les âmes dont l'exil en ce monde est abrégé. — Prendre conseil pour le choix de la ville où elle devra transférer sa communauté chassée de Saint-Amour. — Regret de ne pouvoir la secourir............................................................................................................... 257

Lettre MDCCXVI. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Prière de donner fréquemment de ses nouvelles.  260

Lettre MDCCXVII. — À la Mère J. -S. de Chamousset, à Aoste. — Divers envois. — Affectueux message à la communauté et à M. Besançon................................................................................................................. 260

Lettre MDCCXVIII (Inédite). — À la Mère A. -M. Guérin, à Paris. — Mécontentement qu'exciterait dans l'Ordre l'établissement d'un Visiteur. — S'en tenir aux moyens d'union prescrits par saint François de Sales.             261

[704]

Lettre MDCCXIX. — À la Mère M. -M. de Martel, à Condrieu. — Un cœur droit trouvera auprès de sa Supérieure le secours dont il a besoin. — L'habit religieux remplace ceux de toutes les confréries.............. 263

Lettre MDCCXX. — À la Mère L -D. de Marigny, à Montpellier. — Promesse de répondre fidèlement à ses lettres. — Obéissance pour le retour de Sœur F. -E. de Nouvery. — Les monastères de Provence sont préservés de la peste.    264

Lettre MDCCXXI. — À la Mère M. -A. d'Avoust, à Mamers. — Il est bon aux âmes destinées à la direction de connaître par expérience les difficultés de la vie spirituelle. — L'humilité est la vertu la plus nécessaire. — Cordiale déférence qui doit régner entre la Supérieure et la Sœur déposée ; celle-ci ne devrait exercer la première année de sa déposition que les charges de conseillère et de coadjutrice ; il ne faut pas donner aux Sœurs une permission générale de lui parler en particulier.   266

lettre MDCCXXII. — À la Sœur J. -A. Provenchère, à Mamers. — La Sainte bénit Dieu de la préservation des Sœurs de Mamers et loue leur charité. — Du bon choix des Sœurs conseillères. — Tempérer par la suavité un zèle trop ardent. — Avis pour la confession et la direction.................................................................................................... 269

Lettre MDCCXXIII. — À la Mère B. -M. Bouvart, au Mans. — Conseils pour le bon gouvernement de sa communauté ; quel recours avoir à la Sœur déposée. — Les Filles de la Visitation doivent demeurer cachées sous les larges feuilles de leur petitesse. — La Sœur déposée devrait n'avoir d'autre charge que celle de conseillère pendant la première année de sa déposition.                271

Lettre MDCCXXIV (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — La Sainte lui propose un nouveau confesseur................................................................................................................................................. 274

Lettre MDCCXXV (Inédite). — À la même. — Qualités de l'ecclésiastique qui s'offre pour confesseur au monastère de Thonon. — Les Supérieures déposées n'entrent pas en retraite après leur déposition. 275

Lettre MDCCXXVI. — À la Mère L. -D. de Marigny, à Montpellier. — Quelle doit être sou occupation intérieure pendant la retraite. — Sœur F. -K. de Nouvery est rappelée à Annecy.......................................... 277

Lettre MDCCXXVII. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Indifférence au bon plaisir divin. — Conseils pour le gouvernement de la communauté...................................................................................... 279

Lettre MDCCXXVIII. — À Mgr Claude d'Achey, à Besançon. — Humilité de la Sainte. — Charitable accommodement entre les communautés de Besançon et de Fribourg. — Don fait pour une fondation à Lons-le-Saulnier. 280

Lettre MDCCXXIX. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Promesse de se rendre à Moulins, si Mgr de Genève le permet.................................................................................................................. 283

Lettre MDCCXXX. — À Mgr Octave de Bellegarde, à Sens. — Remercîments pour l'envoi d'un livre. — Prévisions au sujet des élections qui doivent se faire aux monastères de Montargis et de Melun. — Mort du commandeur de Sillery.      284

[705]

Lettre MDCCXXXI (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Conduite que doit tenir l'âme attirée à la simplicité................................................................................................................................ 285

Lettre MDCCXXXII. — À la Mère C. -É. de la Tour, à Gray. — Encouragement à porter le poids de la supériorité. — Témoigner une respectueuse dilection à la Supérieure de Fribourg. — Préservation du monastère de Turin. — Élection de Sœur M. -Françoise Humbert à Crest................................................................................................. 287

Lettre MDCCXXXIII. — À M. le marquis de Pianesse, à Turin. — Actions de grâces à Dieu pour la conservation du marquis et de la communauté de Turin pendant la guerre............................................................ 289

Lettre MDCCXXXIV (Inédite). — À la Mère C. -É. de la Tour, à Gray. — Prière de céder la fondation de Champlitte au monastère de Fribourg........................................................................................................ 290

Lettre MDCCXXXV. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Choix d'une Supérieure pour Moulins. — Désir que la Mère de Blonay soit élue à Annecy...................................................................... 291

Lettre MDCCXXXVI (Inédite). — À la même. — Douleur qu'éprouverait la Sainte si elle ne pouvait obtenir cette Mère pour le monastère d'Annecy. — Une Supérieure ne doit pas permettre des louanges et des flatteries autour de sa personne.           293

Lettre MDCCXXXVII (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Les grâces de Dieu doivent être conservées par la mortification............................................................................................................... 294

Lettre MDCCXXXVIII. — À la Révérende Mère Marie de la Trinité, à Troyes. — Mort du commandeur de Sillery. — Union proposée et acceptée entre l'Institut de la Visitation et le saint Ordre du Carmel. — Désir du ciel.    295

Lettre MDCCXXXIX (Inédite). — À la Sœur M. -F. de Corbeau, à Turin. — Elle lui souhaite de progresser en humilité et simplicité................................................................................................................................ 297

Lettre MDCCXL. — À la Sœur J. -B. Gojos, à Turin. — Le cœur que Dieu gouverne n'a pas besoin d'autre directeur................................................................................................................................................. 298

année 1641.

Lettre MDCCXLI. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Comment recevoir les consolations et les désolations................................................................................................................................................. 299

Lettre MDCCXLII. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Envoi d'une lettre de Mgr de Genève, relativement au voyage de la Sainte à Moulins............................................................... 300

Lettre MDCCXLIII (Inédite). — À la Mère M. -M. Michel, à Fribourg. Souhaits de bonne année. — Promesse de recevoir une postulante de Fribourg................................................................................................ 302

Lettre MDCCXLIV. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Elle l'engage à se maintenir dans le simple regard en Dieu................................................................................................................................................. 303

Lettre MDCCXLV. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. [706] — Qualités que les Sœurs de Moulins désirent à leur future Supérieure. — Prévoir l'élection de Bourg. — La communauté de Vannes souhaite la Mère de Chastellux. — Éloge de madame de Montmorency. — Aller d'un monastère à l'autre est contre la clôture. — Le cardinal de Lyon ne désire pas que la Mère de Blonay retourne à Bellecour............................................................................................... 303

Lettre MDCCXLVI. — À la Mère M. -A. d'Avoust, à Mamers. — On ne doit rien négliger de son devoir au temps de la tribulation intérieure. — Divers points d'observance touchant l'entrée des Sœurs tourières, la Sœur portière, le coffre à trois clefs et le catalogue pour l'élection. — Il faut dire l'Office rondement et ne pas changer le chant noté par saint François de Sales. — Joie d'apprendre que le Saint visite le monastère de Mamers par des odeurs célestes. — Les communautés qui peuvent se suffire font bien de ne pas prendre une Supérieure au dehors. — Au milieu des dangers de peste, se tenir confiantes en la volonté de Dieu.    307

Lettre MDCCXLVII. —À la Sœur A. -M. Almeras, à Amiens. — Vertus nécessaires aux Religieuses envoyées en fondation. Leur influence sur l'avenir du monastère.......................................................................... 311

Lettre MDCCXLVIII (Inédite). — À la Sœur A. -M. Bollain, à Paris. — Recommandations pour le soulagement de la Mère H. -A. Lhuillier. — Succès qu'obtiennent les Prêtres de la Mission dans le diocèse de Genève ; croyance populaire à leur sujet. — Prière de faire passer les Vies des Sœurs défuntes au deuxième monastère. — Divers envois de livres.     312

Lettre MDCCXLIX — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Prévisions pour les élections de Moulins et de Bourg. — Les limes qui aiment la bassesse et la pauvreté possèdent un trésor. — Il serait prudent et charitable que la Mère de Blonay fût réélue à Lyon. — Il faut être très-réservé à parler des fautes du prochain........... 315

Lettre MDCCL. — À la Mère J. -S. de Chamousset, à Aoste. — Conseils pour le choix des Religieuses destinées à la fondation de Verceil ; dans quelles vertus elles doivent exceller. — Estime particulière pour Sœur F. -C. Solar.            318

Lettre MDCCLI. — À une Supérieure de la Visitation. — La bénédiction divine accompagne le gouvernement fait avec suavité. — On peut recevoir une bienfaitrice muette. — Désir d'être déchargée de toute supériorité.             320

Lettre MDCCLII. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Dispositions intérieures de la Sainte. — Anéantir les inclinations humaines par un simple regard en Dieu...................................................... 321

Lettre MDCCLIII (Inédite). — À M. de Béget, abbé de Saint-Vozy. — Respect de la Sainte pour cet ecclésiastique ; elle recommande le monastère du Puy à sa sagesse.............................................................. 322

Lettre MDCCLIV. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Les Sœurs du deuxième monastère d'Annecy demandent à placer cette Supérieure sur leur catalogue pour la prochaine élection........................ 323

Lettre MDCCLV. — À une Supérieure de la Visitation. — Vertus les plus nécessaires à une Supérieure.     324

[707]

Lettre MDCCLVI. — À la Mère C. -M. de Pierre, à Angers. — Les novices ne doivent pas sortir au parloir extérieur pour être examinées avant la profession. — Ne pas éconduire les infirmes, quand elles ont le cœur et l'esprit sains. — Il ne faut pas mettre les novices officières dans les emplois. — Il est important que la Supérieure assiste aux exercices de communauté. — Le bon air et les jardins sont nécessaires aux maisons religieuses........................................................... 325

Lettre MDCCLVII (Inédite). — À la Sœur A. -M. Bollain, à Paris. — La Mère H. -A. Lhuillier demande sa déposition ; on ne peut la lui refuser, vu le mauvais état de sa santé........................................................... 327

Lettre MDCCLVIII (Inédite). — À la Sœur M -S. Duret, à Draguignan. Instances faites par le monastère de Draguignan pour obtenir de la conserver. — Le comble de l'humilité consiste dans l'abandon de soi-même entre les mains de Dieu.      328

Lettre MDCCLIX. — À la Mère L. -D. de Marigny, à Montpellier. — Désir de connaître son avis sur Sœur F. -E. de Nouvery, demandée pour être Supérieure à Saint-Flour. — Prolongation de séjour en Provence de quelques Religieuses d'Annecy. — Extrême pauvreté du monastère de Nancy...................................................................................... 329

Lettre MDCCLX, — À un Révérend Père Jésuite, à Aoste. — La fonda-lion de Verceil a été proposée au monastère d'Annecy, qui la céderait volontiers a celui d'Aoste. —Justification de la Mère J. -S. de Chamousset ; persécution dont elle est victime. — Sentiment d'estime pour Sœur F. -C. Solar.................................................... 331

Lettre MDCCLXI. — Circulaire adressée aux Supérieures de la Visitation. — Union de prières entre l'Ordre du Carmel et celui de la Visitation. Insérer cet acte dans le Livre du Chapitre............................................ 334

Lettre MDCCLXII. — À la Mère M. -Aimée de Rabutin, à Thonon. — Démarches faites par les Sœurs de Thonon pour conserver leur Supérieure. Désir de la voir élire au deuxième monastère d'Annecy. — Avis spirituels.           336

Lettre MDCCLXIII. — À la Sœur P. -J. de Monthoux, à Blois. — Ne pas s'opposer a ce qu'on l'inscrive sur le catalogue pour la prochaine élection............................................................................................................ 337

Lettre MDCCLXIV. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Promesse de se rendre à Moulins. — Incertitude pour l'époque précise du départ.................................................................... 338

Lettre MDCCLXV. — À la Mère C. -M. de Pierre, à Angers. — On ne recourt au Père spirituel que dans des occasions importantes. — Dès le commencement de 1'Institut on a pris la discipline deux fois la semaine. — Les maladies mentales des parents ne sont pas toujours un empêchement à la réception des enfants.............................. 339

Lettre MDCCLXVI. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Réponse favorable du cardinal de Lyon pour le retour de cette Mère à Annecy ; joie qu'en éprouvent la Sainte et toute la communauté. — Comment traiter avec les Sœurs de Bellecour................................................................................................................................ 341

[708]

Lettre MDCCLXVII. — À une Supérieure de la Visitation. — Conseils pour le bon gouvernement de sa communauté. — Une Sœur infirme peut avoir deux tours de lit de futaine. — Devoir des Supérieures et des Sœurs déposées. — Une vraie Religieuse craint le parloir et la perte du temps. Pensée de saint François de Sales à ce sujet. — Ce serait manquer à la clôture de permettre à une enfant retirée dans le monastère de sortir toutes les semaines pour aller voir sa mère......... 343

Lettre MDCCLXVIII. — À la Mère M. -C. de Bressand, à Nantes. — Humilité de la Sainte à recevoir une observation. — Quand les jeunes Sœurs surpassent les anciennes en vertus et en capacité, il faut les employer aux charges du monastère. — Comment doivent se conduire les Sœurs déposées ; elles doivent être averties de leurs manquements ; égards qui leur sont dus. — Extrême pauvreté de quelques monastères. — Conseils au sujet d'une vocation..... 346

Lettre MDCCLXIX. — À la Mère M. -P. Aysement, à Apt. — Extrême indigence des Sœurs de Nancy. — Estime qu'on doit faire de la pauvreté. — Avis au sujet d'une fondation. — Ne pas sortir de la clôture pour traiter d'affaires qui peuvent l'être par écrit................................................................................................................................................. 349

Lettre MDCCLXX. —À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Envoi de son obéissance pour revenir à Annecy................................................................................................................................................. 351

Lettre MDCCLXXI. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulin ». — Regret de ne pouvoir se rendre à Moulins. — Désir de voir la duchesse faire un pèlerinage au tombeau de saint François de Sales.   352

Lettre MDCCLXXII. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Dispositions à prendre pour son retour à Annecy. — Pauvreté de plusieurs monastères............................................................... 353

Lettre MDCCLXXIII. —À la Mère C. -É. de la Tour, à Gray. — Moyens à prendre pour correspondre plus facilement. — Félicitations sur le bon état spirituel et temporel delà communauté de Gray. — Accommodement avec celle de Fribourg. — Maladie de l'archevêque de Bourges..................................................................................................... 355

Lettre MDCCLXXIV. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — De l'élection de Thonon. — Affaires. — Hors du monastère de sa profession, on ne donne pas de voix pour l'élection de la Supérieure. — Le bonheur et l'avancement de l'âme consistent à suivre l'attrait intérieur de Dieu................................................................... 357

Lettre MDCCLXXV. — À la Mère A. -C. de Beaumont, à Pignerol. — Il n'est pas nécessaire que le Coutumier soit approuvé de Rome. — Se tenir étroitement attachées à l'observance ; mais en province étrangère on peut faire quelquefois de petites concessions, afin de mieux conserver l'essentiel de la Règle........................................ 359

Lettre MDCCLXXVI. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Oppositions que fait Mgr de Genève au voyage de la Sainte a Moulins........................................................................................... 360

Lettre MDCCLXXVII. — À la Mère B. -M. Bouvart, au Mans. — Le bonheur d'une communauté consiste dans l'union des cœurs. — Avantages [709] de la tentation. — Les réflexions sur soi-même sont un grand obstacle à la perfection.     361

Lettre MDCCLXXVIII. À la Mère M -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Joie que la Sainte attend de l'arrivée de cette Supérieure............................................................................................................................. 363

Lettre MDCCLXXIX. — À la Sœur P. -J. de Monthoux, à Blois. — On ne doit pas empêcher une Supérieure déposée de rentrer au monastère de sa profession.............................................................................. 364

Lettre MDCCLXXX. — À la Mère M -A. de Blonay, à Bourg en Bresse. — Prière de hâter son retour à Annecy et de ne point parler de ce qui s'est passé à Lyon......................................................................... 365

Lettre MDCCLXXXI. — À la Mère M. -R. de Guéroust, à Rennes. — Avant de confier aux jeunes Religieuses les emplois importants, il faut les consumer dans la soumission. — Vertus nécessaires à une maîtresse des novices. — Une Sieur tourière infirme doit être gardée dans l'intérieur du monastère sans toutefois changer de rang. — La Supérieure peut ordonner le silence dans quelques lieux du monastère. — Exhortation à la pratique de la pauvreté.................. 366

Lettre MDCCLXXXII. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — La Sainte permet à cette Supérieure de rester au monastère de Thonon pour un second triennat. — La Mère de Blonay est élue à Annecy.               368

Lettre MDCCLXXXIII. — À Mgr J. -J. de Neuchèze, à Châlon. — Pieux souhaits. — Avec quel détachement on doit posséder les biens de ce monde. — Maternelles sollicitudes de la Sainte pour l'établissement de ses deux petites-filles.          369

Lettre MDCCLXXXIV. — À une Supérieure déposée. — Heureux effets des peines intérieures. —Divers éclaircissements sur la Constitution XVIe. — Qui peut servir de clerc dans l'administration des sacrements. — En quel cas une Sœur tourière peut coucher dans la clôture. — Déposition de la Sainte ; élection de la Mère de Blonay. 372

Lettre MDCCLXXXV. — À un Révérend Père Jésuite. — Elle le remercie de ses prières. — Désir du ciel. — Soumission a la sainte volonté de Dieu........................................................................................................ 374

Lettre MDCCLXXXVI. — À la Mère M. -E. Guérard, à Lyon. — La fréquentation des parloirs est dangereuse. — Réception d'une bienfaitrice séculière. — Décès de Mgr de Bourges. — Élection de la Mère M. -A. de Blonay.             375

Lettre MDCCLXXXVII. — À la Mère M. -M. Michel, à Fribourg. —Prière d'être très-réservée dans la réception des sujets. — Lettre du roi en faveur du monastère de Fribourg. — Arrivée de la Mère de Blonay. — Mgr de Genève ne permet à personne l'entrée du monastère d'Annecy, pas même à madame de Toulonjon.......................... 376

Lettre MDCCLXXXVIII. — À la Mère M -É. de Lucinge, à Turin. — Comment triompher du trouble et du découragement. — Regarder Dieu et faire en tout sa volonté. — Dans les monastères établis en pays étrangers il est raisonnable de s'accommoder aux usages, soit pour la nourriture, soit pour le langage...................................................... 378

[710]

Lettre MDCCLXXXIX (Inédite). —À la Sœur M. -M. de Granieu, à Grenoble. — L'âme impuissante à faire l'oraison doit au moins y suppléer par des aspirations fréquentes. — Motifs de persévérance au service de Dieu.   380

Lettre MDCCXC — À la Sœur L. -A. de La Fayette, à Paria. — Le trop grand empressement à acquérir la perfection est un obstacle à la perfection même............................................................................................ 382

Lettre MDCCXCI (Inédite). — À un Religieux. — Droiture et simplicité de la Sainte à réparer le tort d'une de ses filles................................................................................................................................................. 384

Lettre MDCCXCII (Inédite). — À la Sœur M.. A. Teste de Vosery, à Annecy. — Satisfaction que donne la conduite de la Mère de Blonay.................................................................................................................... 384

Lettre MDCCXCIII. — À la Sœur M. -M. Dubuysson-, à Moulins. — Maintenir l'exacte observance et se tenir très-unie a la Sœur déposée. — Mort de Mgr de Bourges.................................................................... 385

Lettre MDCCXCIV (Inédite). — À M. de la Fléchère, en Savoie. — Condoléances.          386

Lettre MDCCXCV (Inédite). — À la Mère M. -J. Favre, et à la Sœur F. -A. Brung, à Saint-Amour. — Pressante exhortation à accepter l'élection que la communauté de Saint-Flour a faite de Sœur Fr. -Augustine Brung.            387

Lettre MDCCXCVI. — À la Sœur M. -M. Dubuysson, à Moulins. — Peine qu'éprouve la Sainte de son élection à Moulins ; impossibilité de l'accepter................................................................................................... 388

Lettre MDCCXCVII. — Aux Sœurs de la Visitation de Moulins. — Même sujet. — Dieu a fait un grand don à la Visitation en la personne de madame de Montmorency....................................................................... 389

Lettre MDCCXCVIII. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Joie de la Sainte en apprenant que la duchesse est entrée au noviciat de Moulins................................................................... 391

Lettre MDCCXCIX. — À la Sœur M. -F. de Corbeau, à Turin. — Exhortation au parfait abandon à Dieu et à l'ouverture de cœur envers la Supérieure................................................................................................... 392

Lettre MDCCC — À la Mère L. -E. de Fontaine, à Paris. — Encouragement à porter avec confiance le fardeau de la supériorité. — La force et la bénédiction divine se trouveront dans l'union avec les Sœurs déposées. — Consolation de savoir que Mgr de Bourges est inhumé dans l'église du premier monastère de Paris. — Reconnaissance des soins donnés à madame de Toulonjon.............................................................................................................................. 393

Lettre MDCCCI. — À une Supérieure de la Visitation. — Nul ne peut porter joyeusement la croix sans amour. — Difficultés de la direction d'une maison de Repenties ; ne l'accepter qu'après de sérieuses réflexions.                395

Lettre MDCCCII. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Mgr de Genève ne consentira au voyage de la Sainte à Moulins que sur la demande de l'évêque d'Autun.......................................... 397

Lettre MDCCCIII. — À la Sœur M. -M. Dubuysson, à Moulins. — Éviter les réflexions inutiles sur soi-même. — Comment faire la correction.................................................................................................................. 398

[711]

Lettre MDCCCIV. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Encouragements pour l'exercice de sa charge. — Il faut travailler à la perfection des âmes avec calme et patience............................................. 398

Lettre MDCCCV. — À M. Chaudon, à Dijon. — Sainte mort de Mgr de Bourges. — Affaires concernant les communautés de Beaune et de Semur........................................................................................................ 400

Lettre MDCCCVI. — À Mgr J. -J. de Neuchèze, à Châlon. — Se consoler de la mort de Mgr de Bourges par un humble acquiescement à la divine volonté.................................................................................... 401

Lettre MDCCCVII (Inédite). — À la Révérende Mère Marie de la Trinité, à Troyes. — Assurance de religieuse affection. — Demande de prières. — Éloge de madame de Montmorency........................................ 402

Lettre MDCCCVIII. — À une Supérieure de la Visitation. — Remercîment d'un secours envoyé au monastère de Nancy. — À quelle condition on peut changer la destination d'un don fait pour l'autel. — Condescendance à permettre qu'une Sœur passe au rang de choriste. — Agir avec prudence et humilité quand il est nécessaire de changer les choses établies par une déposée. — Heureuse mort de Mgr de Bourges................................................................................... 403

Lettre MDCCCIX. — À une Supérieure de la Visitation. — Compassion pour sa communauté. — Il faudrait bien se garder de disperser les Religieuses chez leurs parents. — Ne transférer le monastère dans une autre ville qu'à toute extrémité. — Secours charitables qu'on se dispose à lui envoyer...................................................................... 404

Lettre MDCCCX. — À la Mère M. -M. Michel, à Fribourg. — Affaires temporelles des monastères de Besançon et de Fribourg. — Qualités que doivent avoir les postulantes qui désirent être reçues au premier monastère d'Annecy.      405

Lettre MDCCCXI (Inédite). — À M. le marquis de Pianesse, à Turin. — Pieux souhaits. — Remercîment.   409

Lettre MDCCCXII (Inédite). — À une Supérieure de la Visitation. — Nos manquements servent à nous faire acquérir la connaissance de nous-même. — Porter courageusement le poids de la supériorité. 409

Lettre MDCCCXIII (Inédite). — À la Mère M. -A. Teste de Vosery, à Annecy. — Satisfaction que donne la Mère de Blonay. — On ne doit pas surcharger la communauté d'ouvrage................................ 411

Lettre MDCCCXIV. — À la Mère L. -D). de Marigny, à Montpellier. — Élection de Grasse. — Voyage à Moulins. — La question du Visiteur est entièrement abandonnée. — Pauvreté du monastère de Nancy.   412

Lettre MDCCCXV. — À la Mère B. -M. Bouvart, au Mans. — On désire que la Sainte fasse un voyage à Paris. — Maladie de Sœur M. -Anastase Pavillon. — Tenir main à ce que la visite canonique se fasse exactement. — Les difficultés notables qui pourraient survenir avec le Supérieur doivent être soumises au prélat. — Conseils de direction.     413

Lettre MDCCCXVI. — À une Supérieure de la Visitation. — Avoir des âmes sans malice, qui ont la crainte de Dieu, le désir du bien et l'amour de leur vocation, c'est une grande grâce. — Prière d'avoir un soin spécial [712] de deux professes d'Annecy qui se trouvent dans sa communauté. — La Supérieure ne doit jamais témoigner aucune défiance à ses Religieuses. — Conseils de direction. — Départ pour Moulins. — Éloge de la Mère de Blonay.............................................. 416

Lettre MDCCCXVII. — À la Mère M. -É. de Lucinge, à Turin. — Éloge des Sœurs de Turin. Prédiction en leur faveur................................................................................................................................................. 418

Lettre MDCCCXVIII. — À la Sœur M. -S. Duret, à Draguignan. — Départ de la Sainte pour Moulins ; sa profonde humilité. — Conseils pour la direction du noviciat......................................................................... 419

Lettre MDCCCXIX. — À une Supérieure de la Visitation. — Le charitable support attire les bénédictions de Dieu. — Éloge de la Mère de Blonay........................................................................................................... 420

Lettre MDCCCXX. — À la Mère C. -M. Rochette, à Saint-Étienne. — Regret de ne pouvoir aller jusqu'à elle. — Inculquer à ses Sœurs l'humilité, la douceur et la simplicité............................................................... 421

Lettre MDCCCXXI. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Annecy. — Nouvelles de la communauté de Lyon.  422

Lettre MDCCCXXII. — À la même. — Ne se plaindre qu'à Dieu de l'ingratitude des créatures.       423

Lettre MDCCCXXIII (Inédite). — À la Mère M. A. de Rabutin, à Thonon. — Assurance d'un affectueux souvenir. 424

Lettre MDCCCXXIV. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Annecy. — État du monastère de Bellecour. — Admirables recommandations sur la charité. — Le cardinal n'a pas permis à la Sainte d'aller au monastère de l'Antiquaille. — Voyage de la Supérieure de Mâcon à Lyon. — Retard de la prise d'habit de madame de Montmorency. 425

Lettre MDCCCXXV. — À la même. — La Mère de Chastellux va gouverner la communauté de Semur.         427

Lettre MDCCCXXVI. — À la Mère L. -E. de Fontaine, à Paris. — La Sainte est disposée à faire le voyage de Paris.  428

Lettre MDCCCXXVII. — À la Mère F. -M. Ariste, et à la maîtresse des novices, à Troyes. — Joie de voir les bons rapports du monastère de Troyes avec le deuxième de Paris. — Supporter les esprits faibles. — Message pour la Mère M. de la Trinité. — Une élection doit se faire prochainement à Moulins.............................................................. 428

Lettre MDCCCXXVIII. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Annecy. — Procession de La Roche au tombeau de saint François de Sales. — La duchesse de Montmorency ne peut prendre l'habit que l'année prochaine. — Instances faites pour obtenir que la Sainte aille jusqu'à Paris. — Désir de connaître la volonté des Supérieurs à ce sujet. — Au retour du voyage la duchesse entrerait au noviciat : bel éloge de ses vertus. — Nécessité de passer l'hiver à Moulins............. 430

Lettre MDCCCXXIX. — À Mgr J. -J. de Neuchèze, à Châlon. — Promesse de passer à Châlon en rentrant à Annecy................................................................................................................................................. 433

Lettre MDCCCXXX. — À la Sœur F. -M. de Chaugy, à Annecy. — Mort [713] de madame de Chaugy. — Exhortation à se soumettre religieusement aux ordres de Dieu.................................................................. 434

Lettre MDCCCXXXI. — À la Mère L. -D. de Marigny, à Montpellier. — Douleur d'apprendre les calomnies répandues contre une déposée, et les flatteries dont on a usé envers une Supérieure nouvellement élue. — Diverses affaires. — La prise d'habit de la duchesse de Montmorency est renvoyée à l'année suivante.............................. 436

Lettre MDCCCXXXII. — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Prière de ne lui écrire que pour choses très-importantes. — Élection de Sœur F. -J. de Musy au monastère de Moulins. — Conduite à tenir envers quelques Religieuses. 439

Lettre MDCCCXXXIII. — À M. Pioton, à Annecy. — M. Marcher rentrera à Annecy avant l'hiver.              441

Lettre MDCCCXXXIV. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Annecy. — La Sainte annonce son prochain départ pour Paris ; ce voyage sera utile à la gloire de Dieu. — Éloge de madame de Montmorency et de la communauté de Moulins. — Recommandations en faveur de quelques Sœurs d'Annecy................................................................................ 442

Lettre MDCCCXXXV (Inédite). — À la Sœur A. -F. de Prâ, à Annecy. — Remèdes contre les tentations.   445

Lettre MDCCCXXXVI. — À madame la comtesse de Toulonjon, à Alonne. — Elle lui annonce la visite de M. Marcher, et la prie d'aviser aux moyens à prendre pour se ménager une entrevue............................. 446

Lettre MDCCCXXXVII (Inédite). — À la Mère M. -A. de Rabutin, à Thonon. — Annonce de son départ pour Paris. — Maternels encouragements................................................................................................ 447

Lettre MDCCCXXXVIII. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Nouvelles du voyage. — Assurance de parfait dévouement.............................................................................................................. 448

Lettre MDCCCXXXIX. — À la Mère M. -A. d'Avoust, à Mamers. — La Supérieure ne doit permettre aucune flatterie ou applaudissement autour d'elle. — Utilité que sa présence apporte à la communauté. — Conseils de direction.            448

Lettre MDCCCXL. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Désir de recevoir de ses nouvelles et de rentrer à Moulins à l'époque fixée...................................................................................... 450

Lettre MDCCCXLI. — À la Mère P. -J. de Monthoux, à Blois. — Regret de ne pouvoir aller à Blois. — Autorisation à communier une fois chaque semaine de plus que la communauté............................... 451

Lettre MDCCCXLII. — À la Sœur G. -D. Forest, à Meaux. — Souvenir de maternelle affection.      451

Lettre MDCCCXLIII. — Aux Sœurs de la Visitation du Mans. — Éloge de la Mère B. -M. Bouvart. — Exhortation à vivre dans la parfaite observance, la pureté de cœur et la simplicité de vie. — Demande d'une communion générale pour le 23 janvier suivant................................................................................................................................... 452

Lettre MDCCCXLIV. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Départ de Paris. — Témoignage de respectueuse affection........................................................................................................ 453

[714]

Lettre MDCCCXLV. — À la Mère I.. -E. de Fontaine, à Paris. — Affectueux messages. — Demande de deux exemplaires des Méditations pour la solitude............................................................................................ 454

Lettre MDCCCXLVI. — À madame la duchesse de Montmorency, à Moulins. — Arrivée de la Sainte à Nevers.       455

Lettre MDCCCXLVII. — À la même. — Prière de lui envoyer une voiture pour se rendre à Moulins.            455

Lettre MDCCCXLVIII. — À M. Baytaz de Château-Martin, à Annecy. — Retour de M. Marcher à Annecy. — Madame de Montmorency est résolue de prendre l'habit religieux................................................... 456

Lettre MDCCCXLIX. — À la Sœur F. -M. de Chaugy, à Annecy. — Encouragement à profiter des lumières divines. — Éviter les retours inutiles sur soi-même. — Parole prophétique sur les épreuves réservées à Sœur F. -Madeleine.   457

Lettre MDCCCL. — À la Mère M. -H. de Chastellux, à Semur. — Détails sur le voyage de Paris. — Nouvelles de la Sœur de Monsors................................................................................................................................ 459

Lettre MDCCCLI. — À la Mère M. -A. de Blonay, à Annecy. — Bon état des monastères de Paris, Melun, Montargis et Nevers. — Éloge de Mgr de Sens et de saint Vincent de Paul. — Estime qu'inspire M. Marcher ; son prochain retour à Annecy. — Conseils de charité............................................................................................................... 460

Lettre MDCCCLII. — Circulaire adressée à tout l'Ordre de la Visitation. — Dernières recommandations de la Sainte à ses Filles : respect et déférence envers le monastère d'Annecy ; union cordiale entre les monastères pour s'entr'aider au besoin ; fidélité à garder les Règles et à vivre en simplicité, pauvreté, humilité, amour de l'abjection, charité sincère, etc. — Éloge de la duchesse de Montmorency....................................................................................................................... 463

lettres sans dates

Lettre MDCCCLIII. — À Madame Royale, Christine de France, à Turin. — Remercîments d'une offrande faite au tombeau de saint François de Sales........................................................................................................ 465

Lettre MDCCCLIV. — À un Évêque. — Réponse de la Sainte au sujet de l'éducation des jeunes filles.        466

Lettre MDCCCLV. — À un Évêque. — Prière de changer le confesseur d'un monastère de la Visitation établi dans son diocèse................................................................................................................................... 467

Lettre MDCCCLVI. — Au Révérend Père Brossard. — Recommandation en faveur d'un aspirant à la vie religieuse. 468

Lettre MDCCCLVII. — À un Religieux novice. — Moyen de distinguer les consolations célestes des illusions du démon................................................................................................................................................. 469

Lettre MDCCCLVIII. — À une Prieure de Carmélites. — Extension que prend le culte de saint François de Sales ; envoi de ses reliques. — Réponse à la proposition d'une fondation........................................... 470

[715]

Lettre MDCCCLIX. — À une Religieuse Carmélite. — Le Traité de l'Amour de Dieu contient la solution île toutes les difficultés qui se rencontrent dans la vie spirituelle....................................................... 471

Lettre MDCCCLX. — À un gentilhomme. — Saint Augustin ne conseillait à personne de se fixer à la cour.                472

Lettre MDCCCLXI. — À une cousine. — Rien n'arrive que par la providence de Dieu. — Combien sont méprisables toutes les choses de ce monde...................................................................................................... 473

Lettre MDCCCLXII (Inédite). — À une nouvelle convertie. — Exhortation à persévérer dans la foi catholique.        474

Lettre MDCCCLXIII. — À une communauté de la Visitation. — Quelles vertus sont les plus nécessaires aux Filles de la Visitation............................................................................................................................... 474

Lettre MDCCCLXIV. — À une communauté de la Visitation. — Moyens d'acquérir l'esprit de la Visitation. — La simplicité doit reluire dans toutes les actions des Religieuses de cet Institut et surtout dans leur style.           475

Lettre MDCCCLXV. — À une communauté de la Visitation. — Mépriser les écarts de l'imagination et obéir fidèlement à la Supérieure............................................................................................................................. 476

à des supérieures de la visitation

Lettre MDCCCLXVI. — Conseils pour le bon gouvernement de sa communauté.              477

Lettre MDCCCLXVII. — Ce serait contre la clôture d'ouvrir tous les jours la porte à une personne pour la faire manger et dormir. — Entretenir une union cordiale avec les Mères Bernardines. — La fidélité à se tenir dépendante de Dieu, l'humble et charitable support du prochain, la fermeté à maintenir l'observance sont les grandes vertus d'une bonne Supérieure. — Il ne faut dans les bâtiments du monastère ni cordons ni entablements de pierre de taille, excepté à l'église. Peut-on paver le cloître d'ardoises ?................................................................................................................................................ 478

Lettre MDCCCLXVIII. — Du bon pli donné à une maison naissante dépend son bonheur à venir. Sous prétexte d'économie, il ne faut pas faire usage de viandes moins communes que celles marquées au Coutumier. — Il ne faut pas faire entrer les séculières dans l'espérance de leur inspirer la vocation. — La Supérieure ne doit pas laisser graver son nom sur la première pierre du bâtiment. — Quand peut-on faire vitrer les cloîtres. — Comment traiter avec une Sœur tourière empêchée de faire son oblation au temps voulu. — Défi à donner au noviciat. — Le l'ère spirituel ne va prendre les voix des Sœurs malades a l'infirmerie que pour la seule élection de la Supérieure............................................................................................................................. 481

Lettre MDCCCLXIX. — Les lettres des Religieuses doivent être simples, sans termes affectés ni exagérants ; la Supérieure les doit lire. — Il ne faut pas recevoir d'esprit difficile ; tenir la balance bien droite pour n'excéder ni en faiblesse ni en rigueur................................................................................................................................................. 484

[716]

Lettre MDCCCLXX. — Les grands esprits sont dangereux dans une communauté quand ils ne s'adonnent pas à la soumission et à la mortification. — On ne doit pas recevoir une novice à la profession dans l'espoir qu'elle fera mieux à l'avenir. — Il est d'usage que les parents fassent un présent au monastère lors de la profession de leurs filles, mais on ne doit pas le leur suggérer. Une Sœur qui ne voudrait pas former son jugement sur les décisions à prendre au Chapitre doit être privée de voix.  485

Lettre MDCCCLXXI. — Surmonter par la douceur les difficultés qui s'opposent à l'établissement du monastère. — Regret de ne pouvoir procurer à cette Supérieure un portrait de saint François de Sales.......... 487

Lettre MDCCCLXXII. — Déférence réciproque que doivent avoir les monastères quand il s'agit de fondation. — Avantages de la douceur dans la direction des âmes......................................................................... 488

Lettre MDCCCLXXIII. — Les Supérieures doivent donner l'exemple de la ponctualité aux exercices de la communauté, gouverner avec grande douceur, témoigner une sincère estime des Sœurs, et leur laisser une raisonnable liberté dans les emplois................................................................................................................................................. 489

Lettre MDCCCLXXIV. — Exhortation à porter courageusement le faix de la supériorité.   490

Lettre MDCCCLXXV. — Servir les âmes simplement, joyeusement et courageusement.   491

Lettre MDCCCLXXVI. — La coadjutrice doit faire en secret et humblement ses observations à la Supérieure, laquelle doit être le miroir de toutes les vertus pour la communauté.................................................. 492

Lettre MDCCCLXXVII (Inédite). — Devoirs réciproques des Supérieures et des Sœurs déposées.              493

Lettre MDCCCLXXVIII. — Ne pas faire de réprimande quand on se sent émue. — Quel doit être le conseil et le repos de l'âme........................................................................................................................................ 495

Lettre MDCCCLXXIX. — La Supérieure doit traiter toutes ses Sœurs avec impartialité et douceur, ne point s'étonner de leurs petits pas dans la perfection, mais les encourager avec bienveillance, se conserver calme et joyeuse au milieu des inégalités de la vie........................................................................................................................................... 495

Lettre MDCCCLXXX. — Quand la soumission et l'humilité manquent aux esprits faibles, il faut que la charité condescende à leur infirmité. Sentiment de saint François de Sales à ce sujet...................................... 497

Lettre MDCCCLXXXI. — Interpréter en bien ce qu'on voit faire au prochain. — Travaillera l'union de son âme avec Dieu par l'exacte observance des Règles.......................................................................................... 498

Lettre MDCCCLXXXII. — Sentiments de la Sainte sur la proposition de faire changer d'air aux Sœurs malades. — La bonté, la patience d'une Supérieure est le souverain remède pour rendre supportable la diversité des caractères. — Les Filles reçues par les voix du Chapitre ne peuvent être renvoyées que par le Chapitre................................. 499

Lettre MDCCCLXXXIII. — Se résigner à combattre toute la vie contre ses mauvais penchants et à ne goûter de paix qu'a l'heure de la mort. — La [717] science de la Visitation n'est qu'humilité, simplicité et sainte liberté d'esprit.    502

Lettre MDCCCLXXXIV. — Il ne faut pas se troubler, même pour les fautes qui se commettent à l'Office. — Comment observer la règle qui ordonne l'attention à la présence de Dieu. — Vertus nécessaires au temps de la maladie. — Dans une jeune Supérieure, l'humble gravité de paroles et d'actions doit suppléer à l'âge.................. 503

Lettre MDCCCLXXXV. —Indulgence et support que doit avoir la Supérieure pour les âmes défaillantes.   504

Lettre MDCCCLXXXVI. — On doit abîmer en la bonté de Dieu toutes ses craintes et ses sollicitudes. — Ne pas s'affliger outre mesure pour les fautes de ses Sœurs...................................................................... 505

Lettre MDCCCLXXXVII. — Dieu ne laissera pas sans lumières suffisantes l'âme qui ne cherche que Lui.   506

Lettre MDCCCLXXXVIII. — Regarder Dieu et ne pas réfléchir sur soi-même. — La Supérieure doit accepter les soulagements nécessaires avec la même liberté qu'elle les ferait donner à ses Sœurs. 507

Lettre MDCCCLXXXIX. — Même sujet. — Les grâces extraordinaires doivent être négligées quant au sentiment et non quant à l'effet........................................................................................................................ 508

Lettre MDCCCXC — L'anéantissement de soi-même en Dieu est une grande grâce. — Mieux vaut recevoir un soulagement par obéissance que de s'en priver par sa propre volonté.............................................. 509

Lettre MDCCCXCI. — Dans la privation des grâces sensibles il faut demeurer aussi paisible et contente que lorsqu'on jouissait du sentiment des faveurs divines. — Travailler autour des âmes avec douceur et patience, se résigner même à ne recueillir aucun fruit de ses peines.................................................................................................... 510

Lettre MDCCCXCII. — C'est une chose fort importante pour le bon gouvernement de ne rien faire avant d'avoir regardé et invoqué Notre-Seigneur. — On peut juger si les consolations sensibles viennent de Dieu par les effets qu'elles produisent. — Deux prêtres peuvent dire alternativement la messe de communauté................................... 511

Lettre MDCCCXCIII. — Bénir la Providence des adversités comme des prospérités. — Pour les élections, il est bon de se contenter des Sœurs qu'on a chez soi. — Bien choisir le confesseur extraordinaire. — Autorité de la Supérieure pour dispenser des jeûnes de Constitution et de l'oraison.............................................................................. 513

Lettre MDCCCXCIV. — Pauvreté des commencements de l'Institut. — Exhortation à jeter toutes ses sollicitudes en Dieu, qui n'abandonne jamais les âmes humbles et confiantes. — Après le péché, la tristesse est le plus grand mal qui puisse arriver à une âme......................................................................................................................................... 515

Lettre MDCCCXCV. —Des bienfaitrices séculières. — Le bonheur de cette vie est de beaucoup faire et souffrir pour Dieu. — La Providence ne laissera jamais manquer le pain matériel aux âmes qui cherchent premièrement le royaume de Dieu et sa justice................................................................................................................................................. 516

Lettre MDCCCXCVI. — Il faut bannir toute crainte pour le temporel et bâtir les monastères quand Dieu en donne les moyens. — Se tenir humble devant [718] les créatures et en soi-même est le moyen de s'attirer l'assistance du ciel.    517

Lettre MDCCCXCVII. — Bonheur d'une âme qui n'a d'autre appui que Dieu. — Comment la Supérieure doit travailler à la perfection de ses Sœurs...................................................................................................... 519

Lettre MDCCCXCVIII. — Quand même l'abjection nous devrait anéantir, qu'importe, pourvu que Dieu soit servi ! — Ne rien ajouter ni diminuer à ce qui est de l'observance.............................................................. 520

Lettre MDCCCXCIX. — Quand une âme est fidèle à ne pas faire de fautes volontaires, Dieu couvre celles qui échappent à sa fragilité. — Conseils pour l'oraison.............................................................................. 521

Lettre MCM. — Conduite que doit tenir une âme qui se sent impuissante à tout bien.      522

Lettre MCMI. — Bienheureuses sont les âmes qui souffrent pour Dieu. — Instances respectueuses à faire auprès du prélat pour retarder la vêture d'une postulante jusqu'à ce qu'elle ait atteint sa quinzième année. — Prévenir avec zèle toutes les occasions de relâchement........................................................................................................................... 523

Lettre MCMII. — Porter la croix avec patience et sans la regarder inutilement.   524

Lettre MCMIII. — La souffrance est la voie la plus directe pour aller à Dieu. 525

Lettre MCMIV. — Comment correspondre aux attraits divins. — Pauvreté d'un monastère de l'Ordre.          526

Lettre MCMV. — L'union de l'âme avec Dieu se fait plus parfaitement dans la souffrance que dans la jouissance.    527

Lettre MCMVI. — Le bonheur et la perfection de la vie religieuse se trouvent dans l'observance de la règle, la pauvreté d'esprit et le délaissement de soi-même au bon plaisir divin......................................... 528

Lettre MCMVII. — Définition de la pauvreté d'esprit ; c'est un chemin assuré pour aller à Dieu. — Danger des réflexions inutiles sur soi-même. — Vertus qu'une Supérieure doit principalement inculquer à sa communauté.             529

Lettre MCMVIII. — Admirable définition de l'esprit de la Visitation.......... 531

Lettre MCMIX. — Estime qu'on doit faire de la souffrance......................... 532

à des maîtresses de novices

Lettre MCMX. — Conseils pour la direction des novices........................... 533

Lettre MCMXI (Inédite). — Ne pas s'étonner des manquements des novices. — Le plus grand combat mérite la plus grande couronne. — S'appliquer à la pratique de la douce charité et de l'humilité................. 533

Lettre MCMXII. — Comment diriger une novice éprouvée intérieurement. — On ne doit pas réfléchir sur ses tentations ni disputer avec elles............................................................................................................... 535

Lettre MCMXIII (Inédite). — Soutenir le courage d'une novice dont la profession est retardée.    537

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Lettre MCMXIV. — Souhaits de bonne année. — L'empressement pour les biens terrestres est opposé à l'esprit de la Visitation. — Ce n'est pas manquer d'abandon à Dieu que d'apprendre ce qu'on doit savoir et enseigner.     537

Lettre MCMXV. — Combien est avantageuse à une âme la connaissance de son néant.  538

Lettre MCMXVI. — Avec quelle circonspection permettre aux novices la lecture des livres qui traitent des oraisons extraordinaires. — La lâcheté est le mal le plus dangereux qui puisse exister en Religion. Comment procéder à l'égard d'une novice atteinte de ce défaut............................................................................................................ 539

Lettre MCMXVII. — Donner aux novices les fondements du vrai esprit de la Visitation.  541

Lettre MCMXVIII. — Il ne faut pas beaucoup parler à l'âme que Dieu gratifie.    542

Lettre MCMXIX. — Comment correspondre à l'attrait de simplicité intérieure. — Cultiver soigneusement les novices. — Plus on s'approche de Dieu, mieux on voit ses propres défauts.................................. 543

Lettre MCMXX. — Exhortation au dépouillement de soi-même et à la perte en Dieu.        545

Lettre MCMXXI. — II faut inspirer aux novices une humilité généreuse.. 545

à des religieuses de la visitation

Lettre MCMXXII (Inédite). —Bienheureuse est l'âme qui se laisse dépouiller.   546

Lettre MCMXXIII (Inédite). — Il faut s'abandonner à l'aveugle entre les mains de Dieu. 546

Lettre MCMXXIV (Inédite). — L'âme qui veut reposer sur la poitrine du Sauveur doit se retrancher tous désirs et satisfactions naturelles....................................................................................................... 547

Lettre MCMXXV (Inédite). — Se tenir humble devant Dieu. — Bonheur d'une âme destituée de toute consolation humaine. — Support cordial du prochain......................................................................................... 547

Lettre MCMXXVI (Inédite). — La principale prétention d'une Religieuse doit être d'acquérir l'humilité.       549

Lettre MCMXXVII (Inédite). — Le cœur d'une Religieuse ne doit point se laisser préoccuper de l'amour des créatures. — Il faut rompre et briser toutes les attaches humaines........................................................ 549

Lettre MCMXXVIII (Inédite). — Souvenirs affectueux ; demande de prières.     550

Lettre MCMXXIX (Inédite). — Explication relative à une affaire temporelle. 551

Lettre MCMXXX. — L'usage de la vue est plus nuisible qu'utile à la vie spirituelle.          552

Lettre MCMXXXI. — Conseils relatifs à une élection.................................. 552

Lettre MCMXXXII. — Il faut marcher en esprit d'humilité, opérant le bien que la grâce nous montre et évitant le mal avec grand soin............................................................................................................................. 554

[720]

Lettre MCMXXXIII. — L'amour humain doit être banni d'un monastère.. 556

Lettre MCMXXXIV. — Exhortation à la pratique de l'humilité, de l'obéissance et de la mort à soi-même. — Rien n'est plus dangereux que les affections humaines............................................................................ 556

Lettre MCMXXXV. — Pour aller à Dieu, il faut se dépouiller de soi-même. 558

Lettre MCMXXXVI. — Les premiers mouvements imparfaits ne deviennent coupables que par le consentement de la volonté................................................................................................................................... 559

Lettre MCMXXXVII. — La Sainte la rassure dans des craintes au sujet de sa prédestination.        559

Lettre MCMXXXVIII. —Même sujet............................................................... 560

Lettre MCMXXXIX. — Conseils de direction............................................... 561

Lettre MCMXL. — Même sujet........................................................................ 562

Lettre MCMXLI. — Les réflexions inutiles sont nuisibles à la perfection ; on ne peut l'acquérir sans peine.                563

Lettre MCMXLII. — Il ne faut voir et aimer que Dieu en toutes choses... 564

Lettre MCMXLIII. —Comment envisager la mort.......................................... 564

Lettre MCMXLIV. — Moyens de combattre les scrupules......................... 565

Lettre MCMXLV. — Souhaits de perfection. — Ne pas dire des choses inutiles à la reddition de compte.   566

Lettre MCMXLVI. — Tout ce que Dieu permet nous arriver est pour notre plus grand bien. — Recevoir avec une amoureuse soumission les mépris, humiliations et contradictions................................................... 567

Lettre MCMXLVII. — Dieu permet que nous soyons accusés injustement pour éprouver notre amour. — Dans les difficultés on doit consulter sa Règle............................................................................... 568

Lettre MCMXLVIII. — L'humilité et la simplicité sont les deux roues sur lesquelles doit tourner notre vie spirituelle................................................................................................................................................. 569

Lettre MCMXLIX. — La fidélité au document Ne demandez rien, ne refusa rien est supérieure à tous les actes extérieurs d'humilité............................................................................................................................... 570

Lettre MCML. — Anéantir tout propre intérêt et toute satisfaction naturelle.     571

Lettre MCMLI. — La vraie simplicité ne regarde que Dieu.......................... 572

Lettre MCMLII. — Comment jeter en Dieu toutes ses sollicitudes............ 573

Lettre MCMLIII. — La vraie vertu gît dans le parfait anéantissement de soi-même.           573

Lettre MCMLIV. — La vertu se perfectionne dans les ténèbres et les impuissances spirituelles.    574

Lettre MCMLV. — Même sujet........................................................................ 575

Lettre MCMLVI. — Les peines intérieures sont le fondement nécessaire sur lequel doit s'élever l'édifice de la perfection. — Avec quelle monnaie on acquiert le trésor de la paix..................................................... 576

Lettre MCMLVII. — La tentation est un feu dans lequel Dieu purifie les âmes. On ne doit pas désirer d'en être délivré................................................................................................................................................. 577

Lettre MCMLVIII. — Conduite à tenir dans les peines intérieures. — Mieux vaut s'attacher à la vie commune que pratiquer des mortifications volontaires............................................................................................ 578

[721]

Lettre MCMLIX. — S'abandonner à Dieu quand il semble nous avoir abandonné est un acte d'amour parlait.            580

Lettre MCMLX. — Conduite que doit tenir l'âme désireuse d'atteindre a la perfection.     581

Lettre MCMLXI. — Comment discerner les opérations de l'esprit de Dieu en l'âme.           582

Lettre MCMLXII. — La fidélité à garderies lois de l'Institut attire les bénédictions célestes.           582

Lettre MCMI. XIII. — Nul ne sera couronné s'il n'a vaillamment combattu. 583

Lettre MCMLXIV. — À la Sœur J. -M. de Fontany, à Annecy.................... 584

Lettre MCMLXV. — À la Mère F. -A. Garin, à Arles.................................... 585

Lettre MCMLXVI. — À la Sœur A. -F. de Montrambault, à Dijon. — Conseils pour l'oraison et la pratique des vertus................................................................................................................................................. 586

Lettre MCMLXVII. — À la Sœur F. -D. Longis, à Annecy. — Conseils à l'âme que Dieu visite par des peines intérieures................................................................................................................................................. 587

fragments

Lettre MCMLXVIII............................................................................................. 588

Lettre MCMLXIX................................................................................................ 589

Lettre MCMLXX................................................................................................. 589

Lettre MCMLXXI................................................................................................ 590

Lettre MCMLXXII.............................................................................................. 590

Lettre MCMLXXIII............................................................................................. 590

Lettre MCMLXXIV............................................................................................. 591

Lettre MCMLXXV (Inédite). — À la Mère H. -A. Lhuillier, à Paris............ 591

Lettre MCMLXXVI (Inédite). — À la Sœur A. -F. Bourgeat....................... 591

Lettre MCMLXXVII. — À la Sœur P. -M. Duchêne, à Pont-à-Mousson... 592

Lettre MCMLXXVIII. — À une autre novice................................................. 592

Lettre MCMLXXIX. — À une autre novice................................................... 592

Lettre MCMLXXX.............................................................................................. 593

Lettre MCMLXXXI............................................................................................. 593

Lettre MCMLXXXII........................................................................................... 593

Lettre MCMLXXXIII.......................................................................................... 593

Lettre MCMLXXXIV.......................................................................................... 594

Lettre MCMLXXXV (Inédite).......................................................................... 594

Lettre MCMLXXXVI (Inédite)......................................................................... 594

Lettre MCMLXXXVII (Inédite)........................................................................ 595

Lettre MCMLXXXVIII (Inédite)...................................................................... 595

Lettre MCMLXXXIX (Inédite)......................................................................... 595

Lettre MCMXC (Inédite)................................................................................... 596

[722]

Lettre MCMXCI (Inédite)................................................................................. 596

Lettre MCMXCII (Inédite)................................................................................ 596

Lettre MCMXCIII (Inédite)............................................................................... 596

Lettre MCMXCIV (Inédite)............................................................................... 597

Lettre MCMXCV (Inédite)................................................................................ 597

Lettre MCMXCVI (Inédite)............................................................................... 597

Lettre MCMXCVII (Inédite)............................................................................. 598

Lettre MCMXCVIII (Inédite)............................................................................ 598

Lettre MCMXCIX (Inédite).............................................................................. 599

Lettre MM (Inédite)........................................................................................... 599

lettres oubliées
dans le cours de la publication

À M. Baytaz de Château-Martin, à Annecy. — Respect et déférence de la Sainte pour la volonté de son Supérieur.     600

À madame la Maréchale de... — Les consolations divines peuvent seules guérir les douleurs de l'âme.            601

fin de la table des matières du cinquième volume de la correspondance dernier de la publication.

paris. typographie de e. plon et cie, 8, rue garancière.



[1] On a peine à croire que des calomnies aussi absurdes aient pu trouver quelque croyance dans les esprits ; elles s'évanouirent, il est vrai, mais ce ne fut qu'après avoir donné le temps à sainte J. F. de Chantal et à ses filles de recueillir les fruits précieux de la patience et de l'amour du mépris.

[2] M. l'avocat Pioton entra, en effet, peu après dans les Ordres sacrés, et s'y distingua par sa piété et ses vertus sacerdotales.

[3] La fondation projetée à Moutiers n'eut pas lieu.

[4] Ce fut au monastère de Riom, 18 novembre 1637, que la Mère Jeanne-Charlotte de Bréchard couronna sa vie par une mort dont le ciel attesta la sainteté. Aussitôt qu'elle eut exhalé le dernier soupir, un rayonnement des clartés éternelles sembla illuminer ses traits altérés par l'austérité et la souffrance. Le Seigneur ne tarda pas à manifester le pouvoir de son humble servante dont l'existence ici-bas n'avait été qu'une longue chaîne de contradictions. En retour de cet invincible amour qui l'avait fait se complaire dans l'abjection et la pauvreté, elle semblait avoir reçu le droit de disposer des trésors du ciel : son crédit auprès de Dieu se révélait spécialement en faveur des pauvres, dont elle s'était plu dès sa jeunesse à panser les ulcères, à consoler toutes les douleurs. On l'invoquait surtout dans les maux d'yeux ; bien des personnes qui les avaient presque entièrement perdus recouvrèrent la vue par son intercession. Ces prodiges et une foule d'autres permirent de solliciter l'introduction de la cause de béatification en même temps que celle de sainte J. F. de Chantal. En 1714, les deux procès furent envoyés à Rome, et d'après l'avis du cardinal Lambertini, plus tard Pape sous le nom de Benoît XIV, il fut décidé que la cause de la Fondatrice serait entreprise seule, et que plus tard celle de la Mère de Bréchard pourrait être présentée avec espoir de réussite. On sait que le procès de J. F. de Chantal dura près de cinquante ans ; puis survinrent les jours désastreux de la grande Révolution, pendant lesquels s'évanouirent les espérances que l'Ordre de la Visitation avait conçues de voir la V. Mère de Bréchard placée sur les autels.

Dieu conserva dans un état parfait d'incorruptibilité la dépouille mortelle de cette humble Religieuse jusqu'en 1793, triste époque où les saintes Reliques furent profanées. Lorsqu'en 1818 le monastère de Riom se reconstitua, il ne lui fut plus possible de retrouver en entier le corps de la servante de Dieu. Le chef avec quelques ossements avaient seuls été conservés.

[5] Terme d'affection que la Sainte aimait à donner à sa petite-fille Marie de Chantal.

[6] La date du 18 février que la Mère de Blonay attribue à cette lettre, page 455 de son édition, est certainement fautive. Comment, en effet, sainte J. F. de Chantal aurait-elle pu annoncer le 18 février une nouvelle qu'elle n'a apprise que le 25 du même mois ? (Voir la lettre précédente à Mgr Frémyot.)

[7] La Sainte désignait ainsi le second monastère.

[8] Pendant que la fondation de Turin allait être soumise à de nouveaux délais, celle d'Alby se préparait activement par les soins de madame de Vennac. Cette pieuse veuve obtint pour commencer le nouveau monastère cinq Religieuses de Saint-Flour et deux de Montferrand, dont l'une, Sœur M. -Angélique de Lagrave, fut nommée Supérieure, La cérémonie de leur établissement à Alby eut lieu le 25 mai 1638. (Histoire inédite de la fondation du monastère d'Alby.)

[9] Sœur M. -Suzanne, native de Compiègne, était douée d'un esprit juste, solide et cultivé. Ses connaissances de la langue latine lui permirent de traduire les Psaumes et autres Livres sacrés. Admise au premier monastère de Paris par sainte J. F. de Chantal, elle y parut, au témoignage de la Mère de Bressand, « un modèle de recueillement, de modestie, de fidélité, de mortification, et reçut dès son noviciat un don d'oraison très-éminent : son attention à la présence de Dieu ne lui permit jamais de s'arrêter à aucun retour sur soi-même et à aucune superfluité. » Telle était Sœur M. -Suzanne au monastère de Paris, telle on la vit à celui de Nevers, où elle devint successivement assistante, maîtresse des novices et Supérieure.

En novembre 1641, elle reçut la visite et recueillit les derniers entretiens de sa Bienheureuse Fondatrice, qui la précéda de deux ans seulement dans la gloire (1643). La princesse Anne de Gonzague honora de sa présence les obsèques de la Mère M. -Suzanne, dont un grand serviteur de Dieu put dire : « Cette âme était un trésor enfoui dans le champ de la Religion. Elle eût sans doute possédé tous les esprits si elle avait voulu se manifester. Sa vie a été cachée avec J. C. en Dieu. Comme la lumière, elle n'a paru que pour éclairer, et ne s'est montrée qu'autant que la justice le demandait. » (Année Sainte, XIe volume.)

[10] M. de Sillery avait eu la pensée d'établir dans son Ordre de Malte « quelques séminaires, tant pour l'instruction des prêtres que des peuples. M. le grand prieur de France l'avait même nommé son vicaire général, partageant avec lui son pouvoir et son autorité pour visiter les commanderies et établir le règne de Dieu dans les âmes ; mais les contradictions s'élevèrent si fort contre ces projets que M. de Sillery dut les abandonner. »

[11] Bien que dans cette lettre, dont l'original est gardé aux Archives de la Visitation d'Annecy, on ne trouve que le seul post-scriptum de la main de la Sainte, il a paru intéressant de laisser les billets des quatre Sœurs comme preuve de la simplicité des rapports qui existent entre les Religieuses du même monastère.

[12] Dans le procès de canonisation de sainte J. F. de Chantal, d'où cette lettre est extraite, on lit en marge la note suivante : « Ce Père était le Bienheureux Pierre Fourier, général et réformateur des chanoines réguliers de la Congrégation de Notre Sauveur, retiré pour lors à Gray, où il mourut le 9 décembre 1640 d'une fièvre qui lui prit en retournant de confesser les Religieuses de la Visitation, comme on le voit dans le procès pour la béatification et canonisation de ce Serviteur de Dieu. Il les dirigea depuis le commencement de 1638 jusqu'à sa mort. C'est le même qui a institué la Congrégation de Notre-Dame. »

[13] Professe de Chambéry, cette Religieuse put compter chacun de ses jours par quelque faveur particulière de la Providence. Longtemps cependant elle avait lutté contre la plus précieuse de toutes, l'appel à la vie parfaite. Après bien des combats, elle se livra au Seigneur avec toute la plénitude de son âme qui se trouva pour jamais fixée dans cette vie surhumaine définie pur ces paroles de l'Apôtre : « Le juste vit de la foi. »

À peine âgée de vingt-trois ans, Sœur Jeanne-Séraphine fut envoyée à la fondation d'Aoste pour y remplir les charges d'assistante et de maîtresse des novices. Lors de son élection en 1638, les trois Personnes de l'adorable Trinité la pénétrèrent sensiblement de leur présence, en lui disant : Dieu est pureté. Sa fidélité à correspondre aux lumières célestes lui en attira de nouvelles. Au moment de la fondation de Turin, elle eut le bonheur de posséder quelques jours sainte J. F. de Chantal, et d'être témoin de plusieurs guérisons miraculeuses opérées par la Sainte en faveur des Religieuses malades. Les croix de tous genres qui fondirent sur le monastère d'Aoste firent briller la vertu de la Mère de Chamousset. Mgr Vercelin, évêque de la cité, disait qu'en la voyant il lui semblait voir sainte Catherine de Sienne ou un Séraphin embrasé des flammes de la charité. Cette digne Supérieure avait achevé son sixième triennat quand le 11 mars 1671 elle s'éteignit paisiblement en prononçant ces paroles : « Je suis une petite goutte d'eau qui va se perdre et s'abîmer dans l'océan de l'immensité divine. » (Année Sainte, IIIe volume.)

[14] Plusieurs monastères conservent un exemplaire de cette circulaire, signé de la main de la Sainte. Celui de Poitiers ayant un post-scriptum plus complet que les autres est reproduit de préférence.

[15] Ces divers ouvrages annoncés par sainte J. F. de Chantal ne parurent point aussi promptement qu'elle l'espérait. Les Vies des Sœurs défuntes, écrites par la Mère de Chaugy, ne furent publiées qu'en 1659, et les Fondations sont encore inédites.

[16] Cette lettre est un second post-scriptum ajouté par la Sainte à la circulaire précédente.

[17] C'est-à-dire logées hors du monastère de Bourg.

[18] La Mère Jeanne des Anges, Prieure des Ursulines de Loudun. Voir la note de la lettre suivante.

[19] Les circonstances extraordinaires de la possession des Ursulines de Loudun appartiennent à l'histoire. Il suffira de rappeler ici les faits relatifs au voyage de la Mère Jeanne des Anges il Annecy. On sait que cette Religieuse, tourmentée par plusieurs démons, n'avait pu en être délivrée qu'après avoir fait vœu de se rendre au tombeau de saint François de Sales. Contraints alors d'obéir aux exorcismes du Père Surin, Jésuite, les esprits de ténèbres avaient quitté la Mère Jeanne des Anges en laissant imprimés sur sa main gauche les noms de Jésus, Marie, Joseph, François de Sales, « afin que ce prodige, dit un auteur contemporain, persuadât le monde entier de la réalité de cette possession et de la soumission des démons à la sainte Eglise du Christ. » Deux millions de personnes tant de la France que de l'étranger ont constaté le fait.

Ce fut seulement en 1638 que la Mère Prieure put accomplir le pèlerinage voué deux ans auparavant. Elle avait été précédée à Annecy par le Père Surin, qui, victime à son tour de la rage de l'enfer, était devenu muet et se trouvait réduit à un état pitoyable. À peine ce grand serviteur de Dieu eut-il avalé une parcelle du sang de saint François de Sales, qu'il articula les noms sacrés de Jésus et de Marie, mais sans pouvoir rien ajouter. Revenu à Lyon, il rencontra la Mère Jeanne des Anges qui lui apportait, au nom de Richelieu, l'ordre de revenir avec elle au tombeau de saint François de Sales. Le Père recouvra alors la facilité de parler, laquelle augmentait en approchant d'Annecy, où, comme la première fois, il fut reçu avec vénération par sainte J. F. de Chantal. La Mère Prieure entra au premier monastère ; mais elle ne put y séjourner longtemps, car le peuple venait en foule réclamer la faveur de la voir et de vénérer l'onction de saint Joseph. On appelait ainsi cinq gouttes d'une onction miraculeuse que la Mère Jeanne des Anges avait recueillies sur un linge, lorsque saint Joseph, en la touchant de son doigt, l'avait guérie d'une maladie mortelle en 1636. La reine Anne d'Autriche avait une telle confiance en cette relique, qu'elle voulut l'avoir auprès d'elle au moment de la naissance de Louis XIV, ce qui obligea la Mère Ursuline de hâter son retour à Paris.

[20] La réélection de la Mère A. M. Clément avait déjoué toutes les prévisions de la sagesse humaine ; car, ainsi qu'on le verra dans la lettre suivante, toutes les mesures avaient été prises pour l'empêcher, au point que le nom de cette Vénérable Mère n'avait pas été inscrit sur le catalogue des Sœurs proposées à la votation du Chapitre. Mais comme, au témoignage du Père Galice, son directeur, « elle était arrivée à ce dépouillement parfait où le soleil de justice resplendit au fond de l'âme pour la retirer d'elle-même et de toutes les choses créées, sa volonté demeurant captive et enlacée dans les liens du divin bon plaisir, elle n'avait rien voulu dire ni faire pour empêcher l'action humiliante de la grâce cachée sous celle de la créature.

« Dieu bénit magnifiquement cet acte de fidélité à la conduite de sa Providence ; car, à dater de ce moment, continue le Père Galice, cette vraie Fille de S. François de Sales s'éleva plus noblement encore au-dessus de toutes les vicissitudes humaines, ne cherchant et n'aimant que Dieu, sans regarder ni ses faveurs ni le plaisir qu'elles procurent, s'abîmant intérieurement en Lui et lui rapportant toujours avec une simplicité parfaite ce qu'elle recevait de sa Bonté, faisant remonter tous ses dons vers leur source, et y remontant elle-même par une aspiration continuelle. Aussi Dieu gouverna-t-il visiblement par son organe le monastère de Melun, qui expérimenta la vérité de l'oracle évangélique : Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné comme par surcroît. » (Archives de la Visitation d'Annecy.)

[21] Copies de la circulaire, voir page 44.

[22] On sait qu'à cette époque la France possédait un grand nombre de riches abbayes, dans la plupart desquelles on vivait très-agréablement. Ces maisons déchues de la primitive observance étaient recherchées par les familles nobles, qui y plaçaient à l'envi les filles qu'elles ne voulaient pas établir dans le monde. De là à l'humble cloître de la Visitation il y avait loin ! Il était donc tout naturel que les personnes du siècle briguassent pour leurs parentes la crosse en échange de la croix.

Sainte J. F. de Chantal, gardienne si vigilante et si ferme de l'esprit d'humilité et de simplicité que saint François de Sales a légué à ses Religieuses, déploya un zèle admirable afin de les empêcher d'abandonner leur Institut pour des considérations humaines. Ses enseignements furent compris : il n'y eut que quelques rares défections à signaler dans la première moitié du dix-septième siècle. Après la mort de la Sainte, les monastères de la Visitation, par l'entremise de ceux de Paris, ne tardèrent pas à mettre un terme aux vues ambitieuses des parents et aux perplexités des âmes faibles, en obtenant de Louis XIV, en 1676, la confirmation de la promesse précédemment donnée par la reine régente Anne d'Autriche, que jamais les Religieuses de leur Ordre ne seraient nommées aux abbayes vacantes. « Il n'y a que les Jésuites et les Filles de Sainte-Marie qui fassent de pareilles demandes », dit Colbert en présentant au Roi le placet qui sollicitait cette faveur. L'Histoire de la fondation du premier monastère de Paris a consacré le texte de la requête et celui de la réponse de Louis XIV.

[23] Il s'agit de Religieuses d'un prieuré que Mgr Fenouillet avait obtenu de réunir à la Visitation de Montpellier.

[24] Voici comment l'épreuve de la Mère de Blonay est racontée dans l’Histoire des Fondations, et dans la Vie de cette Supérieure, par Mgr Charles-Auguste, de Sales, évêque de Genève : « Dieu ayant appelé si promptement à Lui nos Mères Favre, de Châtel et de Bréchard, que chacun considérait comme les solides et brillantes colonnes de l'Institut, il était de la sagesse divine d'en polir et façonner d'autres qui tinssent le rang des trois qui furent transportées au temple de sa gloire. Notre Mère de Blonay étant une de ces âmes prédestinées par le souverain architecte pour soutenir l'humble édifice de notre petite Visitation, il était nécessaire qu'elle fût taillée et ciselée afin de resplendir de tout l'éclat que donne la sainteté. La divine Bonté permit que cette T. H. Mère, après sa déposition de 1637, tombât dans une grave maladie, qui la tint au lit plusieurs mois. Mgr le cardinal du Plessis-Richelieu l'honora souvent de sa visite, et dès que les médecins lui trouvèrent assez de forces pour essayer si le changement d'air la pourrait remettre entièrement, il lui ordonna de passer au monastère de l'Antiquaille qu'elle avait établi. Cette digne Mère n'eut pas plutôt appris ce commandement, qu'elle se mit en devoir de l'exécuter, quoiqu'elle ne pût ignorer que quelque autre motif eût été de concert pour extorquer un ordre si précipité. Le jour même, 24 avril 1638, la Mère de Blonay quitta le monastère de Bellecour dont elle était le cœur et la vie.

« Mais ce ne fut pas assez d'un tel procédé pour éprouver la vertu de cette âme généreuse. On en vint à faire l'examen de sa conduite, alors qu'elle n'avait plus moyen de la justifier. Cependant, l'ecclésiastique commis pour faire la visite canonique au monastère de Bellecour n'y trouva rien qui méritât censure, sinon que les Sœurs avaient trop d'affection et d'attache à la Mère de Blonay. Celle-ci peu après dut quitter le monastère de l'Antiquaille pour se rendre à celui de Bourg en Bresse où elle venait d'être élue Supérieure. »

[25] Les accusations calomniatrices au sujet de la confession.

[26] Voici comment l’Histoire de la fondation de Charolles raconte l'extrême détresse du monastère : « On aura peine à croire qu'un morceau de pain et du lard gros comme une noisette étaient pour les Religieuses un gros dîner ; les jours d'abstinence il n'y avait pas autre nourriture qu'une écuelle de lait bouilli. Un jour, voulant restaurer une pauvre malade qui avait eu un violent accès de fièvre, on ne put trouver qu'un bouillon de lentilles. Mais ces chères Fondatrices s'estimaient bien fortunées de suivre Jésus pauvre et souffrant, vivant ainsi abandonnées aux soins du Père céleste. »

[27] Cet établissement se fit à Gruyères le 21 novembre 1638. La Mère M. -Marguerite Michel y conduisit elle-même les six Religieuses destinées à la fondation, et revint ensuite à Fribourg. Mais quinze ans plus tard, il fut jugé bon de transférer cette communauté de Gruyères à Langres, où elle a subsisté jusqu'en 1793.

[28] Pressée par les instances de Madame Royale qui lui avait écrit pour la supplier d'aller en personne présider à la fondation de Turin, sainte J. F. de Chantal partit le 14 septembre 1638. Elle était accompagnée des Sœurs Mad. -Élisabeth de Lucinge, M. -Françoise de Corbeau, M. -Madeleine Faber, Jeanne-Augustine Machet, M. -Philiberte de Saint-Innocent et Jeanne-Bénigne Gojos, novice domestique. Cette dernière, extraordinairement prévenue de la grâce, était, après la Bienheureuse Fondatrice, le plus riche trésor qu'Annecy envoyait à Turin. (Histoire manuscrite de la fondation de Turin.)

[29] « Cette Religieuse, née à Chambéry d'une famille plus avantagée de noblesse que de biens temporels », avait été reçue en 1625 au premier monastère d'Annecy. Sainte J. F. de Chantal se plaisait à la nommer son bras gauche, à cause de la grande capacité dont elle était douée pour les affaires. Sœur M. -Antoinette ne s'occupait des choses de la terre que le cœur fixé au ciel, « car son grand attrait était de s'attacher à Dieu et de mépriser extrêmement tout ce qui ne tend pas à Lui. Elle demeura assistante durant le voyage que notre digne Mère fit pour la fondation de Turin, et prit alors, comme elle a fait aux maisons de Besançon, de Thonon et à la seconde de cette ville, où elle a été Supérieure, un soin infatigable pour l'observance exacte. Tant de saintes actions l'ont heureusement conduite à sa fin, après qu'elle eut passé trente ans au service très-fidèle, très-religieux et très-utile des quatre communautés qui l'ont possédée successivement. » (Livre des Vœux du premier monastère d'Annecy. Année Sainte, Xe volume.)

[30] On peut voir dans les Mémoires de la Mère de Chaugy, qui forment le premier volume de cette publication, les témoignages de vénération que la Sainte reçut pendant le voyage d'Annecy à Turin. Les foules se pressaient sur ses pas pour recevoir sa bénédiction, on coupait ses vêtements, on gardait comme de précieuses reliques tout ce qui avait été à son usage, les évêques et les grands venaient la saluer, et tenaient à honneur de la recevoir dans leurs maisons. Madame Royale, à son tour, l'accueillit avec une grande joie, et promit toute sa protection au nouveau monastère, qui fut définitivement établi le 21 novembre 1638.

[31] C'était sur Charles-Auguste de Sales, qui, quelques années plus tard, fut en effet nommé coadjuteur de l'évêque de Genève.

[32] Il succéda à Mgr Jean-François de Sales ; le siège de Genève était resté vacant depuis 1635.

[33] La faute que commit la Mère M. -Marguerite de Sainte-Colombe est du nombre de celles qui inspirèrent à saint Bernard ces consolantes paroles : « Une chute n'est-elle pas un bien, lorsque nous en devenons plus humbles et plus vigilants ? N'est-ce pas Dieu même qui soutient celui qui tombe, et qui se fait son refuge lorsqu'il lui fait trouver un asile dans l'humilité ? » La Mère de Sainte-Colombe sut recueillir cet avantage de sa faiblesse pendant les deux années qu'elle vécut encore à Bellecour. Ne voulant que Dieu seul pour confident et consolateur des peines qui résultèrent de la sortie de la Mère de Blonay, se réjouissant même d'avoir à partager les ignominies du divin Maître, elle pénétra dès lors si avant dans les mystères de la douloureuse Passion, qu'il ne lui fut plus possible de souhaiter autre bonheur que la croix et le Calvaire. Ainsi expérimenta-t-elle la vérité de ces autres paroles de saint Bernard : « Le juste tombe sur la main du Seigneur, en sorte que, par une merveilleuse disposition de sa bonté, le péché même qu'il commet le conduit à une nouvelle justice, selon cet oracle de l'Apôtre : Nous savons que tout tourne à bien à ceux qui aiment Dieu, »

La Mère de Sainte-Colombe décéda le 15 mai 1640, âgée de trente-cinq ans. (Archives de la Visitation d'Annecy.)

[34] Pour le petit habit.

[35] Pendant ses cinquante ans de vie religieuse, la conduite de Sœur Jeanne-Françoise Marcher, première professe du deuxième monastère d'Annecy, fut un commentaire incessant de cette parole : « La vraie Fille de la Visitation doit être une hostie vivante, et n'avoir de regard sur soi-même que pour détruire tout ce qui s'oppose au règne du pur amour. » La Mère de Lucinge seconda merveilleusement le travail de la grâce dans cette âme affamée de justice et de sainteté. Prêtée en 1638 au monastère de Thonon, alors si pauvre qu'on y vivait à la façon des anachorètes, elle y pratiqua jusqu'à l'héroïsme les vertus de charité, de prudence, de mortification. Après six ans de supériorité au deuxième monastère d'Annecy, elle fut élue à celui de Seyssel. C'est là que Jésus l'attendait pour l'inonder de « la rosée dont son chef divin fut comme emperlé dans la nuit de sa Passion ». Grâce à une lumière divine, l'humble Religieuse ne vit dans les humiliations, souffrances et abjections, « que de petites gouttelettes distillées de la chevelure précieuse de son Époux ». Elle sut aussi les recueillir avec une pieuse avidité aux maisons de Bourg en Bresse et de Saint-Amour qu'elle gouverna successivement. Lors de sa réélection à Bourg en 1677, chacun put s'apercevoir que l'Esprit-Saint avait achevé son œuvre de sanctification en cette digne Mère. La crainte, la tristesse, ni les autres passions humaines ne soulevaient plus d'orages dans les régions où la grâce l'avait élevée : le bruit de la tempête retentissait jusque-là, mais il ne pouvait troubler la paix et la joie dont son âme surabondait dans l'attente des biens éternels. Le 20 février 1685 la mit en possession de cet héritage conquis par les mérites et la mort du Sauveur. (Année Sainte, IIe volume.)

[36] Dans l'édition de la Mère de Blonay cette lettre porte la date du 4 juillet, ce qui prouve évidemment qu'elle est composée de plusieurs originaux ; car, dès les premières lignes, il est question des grâces reçues pendant les retraites annuelles, lesquelles ne se font qu'aux ; mois d'octobre et de novembre, et vers le milieu de la lettre, on trouve intercalée la circulaire adressée aux Supérieures pour leur présenter le Coutumier. Cette circulaire, datée du 4 juillet, étant à sa place respective, il résulte que la présente lettre est raccourcie de moitié. Des cas analogues se retrouvent fréquemment dans l'édition de la Mère de Blonay.

[37] La translation de la communauté du Croisic à Vannes avait eu lieu le 8 septembre de cette année 1638.

[38] Cette Religieuse, issue d'une noble famille d'Annecy, avait été dans son enfance l'objet d'un éclatant miracle. On sait que le 28 avril 1623, s'étant malheureusement noyée dans une rivière profonde, d'où après trois heures on la retira avec tontes les marques d'une mort certaine, elle fut ressuscitée par saint François de Sales, qui ne tarda pas à l'adopter pour sa fille au premier monastère d'Annecy. C'est en n'épargnant rien de ce qu'il y avait en elle de plus sensible, en appliquant aux parties les plus vives de son être le fer et le feu, que Sœur F. -Angélique put arriver à cet état bienheureux de l'âme qui, mourant à sa propre vie, ne vit plus qu'eu Dieu et pour Dieu. Des faveurs très-spéciales la préparaient à supporter les opérations détruisantes de la grâce. Un jour qu'elle hésitait à recevoir une humiliation, Notre-Seigneur lui apparut sous la figure de l'ecce homo et lui dit : Voilà le modèle, que tu dois imiter, une autre fois, effrayée de la responsabilité inhérente à la charge de maîtresse des novices qui venait de lui être confiée au deuxième monastère d'Annecy, elle entendit son souverain Seigneur lui faire cet amoureux reproche : O âme soucieuse que crains-tu, ne sais-tu pas que je suis proche de toi ? Les billets de sainte J. F. de Chantal font allusion aux grâces particulières que recevait cette humble Religieuse, « qui gouverna dans la suite les monastères d'Agen, Saint-Amour et le deuxième d'Annecy, avec mille bénédictions du ciel et fidélité aux maximes de l'Institut ». (Livre des Vœux du premier monastère d'Annecy. Année Sainte, IXe volume.)

[39] Il s'agit de la fondation de Saint-Denis, pour laquelle la Mère H. A. Lhuillier rencontra de nombreuses difficultés, qu'aplanit la puissante intervention de la reine Anne d'Autriche. Le 30 juin 1639, un petit essaim sorti du premier monastère de Paris, sous la conduite de la Mère Françoise-Élisabeth Phelippeaux de Pontchartrain, alla commencer cette ruche bénie, où se pratiquèrent de grandes et sublimes vertus. Aussi saint Vincent de Paul, premier Supérieur du monastère, disait-il : « Je ne respire que Dieu quand j'entre dans cette maison, parce que je vois l'Institut dans sa première ferveur. Je n'ai jamais fait de visite dans d'autres monastères où j'aie reçu plus de contentement, ni trouvé plus de régularité. » Sainte J. F. de Chantal ayant passé à Saint-Denis lors de son dernier voyage, en 1641, s'exprimait à peu près dans les mêmes termes : « J'ai eu un parfait contentement, dit-elle, d'avoir trouvé cette petite communauté dans la pureté, l'innocence, la simplicité et ferveur primitives de l'Institut. » (Histoire inédite de la fondation de Saint-Denis.)

[40] À la Visitation, le soin de cacheter les lettres est une des attributions de la charge de coadjutrice.

[41] Les premiers bruits de la guerre qui allait éclater en Piémont obligèrent la Bienheureuse Fondatrice de hâter son départ. Elle quitta Turin le mardi de la semaine sainte, 19 avril 1639, emportant non-seulement les regrets de ses filles, mais encore ceux de Madame Royale, de Madame Mathilde, et de toutes les personnes qui l'avaient connue. Chacun proclamait sa sainteté, se recommandait à ses prières, ou réclamait l'honneur de lui faire cortège. Après avoir passé huit jours au monastère de Pignerol, le pas de Suze étant fermé, elle prit la route du Dauphiné, visita le monastère d'Embrun, et rentra à Annecy sur la fin de mai. (Histoire de la fondation de Turin.)

[42] La mort de Victor-Amédée avait été le signal de la guerre civile et de la guerre étrangère, les deux partis qui se disputaient la tutelle du jeune duc Charles-Emmanuel II ayant appelé à leur aide l'Espagne et la France, le Piémont se trouva le théâtre d'une longue et désastreuse guerre. Le 27 août 1639, la ville de Turin tomba au pouvoir des Espagnols.

[43] Le commandeur de Sillery fondait alors en plusieurs monastères du Carmel et de la Visitation deux œuvres d'une grande générosité. Il assurait, 1° la réception d'une fille sans dot destinée à honorer la très-sainte Vierge ; 2° la célébration d'une messe quotidienne pour remercier l'adorable Trinité des grâces et prérogatives accordées à cette auguste Mère de Dieu. Ce pieux ecclésiastique étendit cette seconde fondation jusque dans le Canada, et donna des sommes considérables pour assurer la perpétuité de ces œuvres.

[44] Dès son entrée au premier monastère de Lyon en 1620, Sœur Anne-Françoise Bourgeat comprit « l'excellente beauté d'une âme dépouillée de toutes les choses de la terre et uniquement possédée de Dieu ». Aussi saint François de Sales recommanda-t-il à la Mère de Blonay d'avoir un soin particulier de cette jeune professe, « parce que, dit-il, si elle venait à tomber, elle tomberait de bien haut, et si elle persévérait, elle irait bien avant dans la perfection. Cette courageuse persévérance est la faveur que Dieu lui a faite (ajoutent les anciens Mémoires), ayant été une de ces âmes que Dieu mène de grâces en grâces, en sorte qu'allant de vertus en vertus elles parviennent à la totale destruction d'elles-mêmes et à la possession du souverain Bien. » Envoyée en 1623 à la fondation du monastère d'Avignon, Sœur Anne-Françoise y succéda à la Mère J. M. Compain dans la charge de Supérieure, et prépara l'établissement des maisons de Forcalquier et du Pont-Saint-Esprit. Plus tard elle gouverna les communautés de Marseille et de Saint-Flour, et contribua à la fondation d'Aurillac. De pénibles épreuves marquèrent la dernière supériorité de cette généreuse Mère, et contribuèrent puissamment à l'élever au degré de perfection que saint François de Sales avait prévu qu'elle atteindrait. « Le 22 juillet 1658 elle fut appelée à jouir de cette meilleure part de Marie qu'elle avait choisie et qui ne lui sera jamais ôtée. » (Année Sainte, VIIe volume.)

[45] Cet article a été inséré dans l'addition aux Constitutions.

[46] L'histoire des Fondations n'a conservé aucun détail sur cette Mère, si ce n'est qu'elle fut la première novice reçue au monastère de Bourg par la grande Supérieure du même nom, dont elle avait l'honneur d'être cousine germaine.

[47] La Mère Madeleine-Séraphine Maréchal, Supérieure de Besançon, était décédée le 2 juillet de cette année 1639.

[48] Sœur M. -Antoinette Petit, nièce de M. de Coulanges, professe du premier monastère de Paris dès 1627, décéda en 1640. Sa sœur, Françoise-Jacqueline, professe dès 1620, avait été envoyée à la fondation de Saint-Denis, où elle mourut en 1651. Elles furent l'une et l'autre des exemplaires de toutes les vertus religieuses.

[49] Sœur Marie-Agnès de Bauffremont, qui était encore à Fribourg avec la Mère M. -Marg. Michel.

[50] Voici comment l'Histoire de la fondation de Moulins explique cette réponse de la Sainte : « Madame de Montmorency, ayant obtenu une guérison miraculeuse par l'intercession de saint Joseph, fit bâtir dans notre jardin une si belle chapelle que nos Sœurs en eurent de la peine, à cause de la simplicité recommandée par le Coutumier. Mais notre Bienheureuse Fondatrice résolut ce scrupule en approuvant la générosité de la princesse », par les lignes qu'on vient de lire.

[51] Sainte J. F. de Chantal avait elle-même suggéré au commandeur de Sillery la pensée de faire cette bonne œuvre.

[52] Admise au monastère de Chambéry dès 1624, mademoiselle de Challes y reçut plus tard le voile des mains de sainte J. F. de Chantal, qui voulut aussi lui donner son nom. Tout ce qui n'est pas Dieu ne m'est rien, telle était la devise de la nouvelle Religieuse ; mortification de soi-même et charité pour le prochain, sa pratique continuelle. « Nous devrions arracher la paupière de, nos yeux pour couvrir, si nous pouvions, les défauts de nos Sœurs », disait-elle souvent. Ses rares vertus la firent choisir en 1637 pour succéder à la Mère M. J. Favre, qui sembla lui avoir transmis le secret de guérir toutes les douleurs, et de faire goûter les plus sévères maximes évangéliques. Le monastère de Besançon jouit ensuite du bienfait de son religieux gouvernement ; mais l'élection de 1649 la rappela à Chambéry, où elle devait encore porter pendant douze ans le fardeau de la supériorité. La Mère Jeanne-Françoise, qui avait commencé et poursuivi l'œuvre de sa perfection dans le travail et le dévouement, dut la consommer dans la souffrance intérieure. Une vive impression de la sainteté de Dieu et de sa propre faiblesse la fit entrer dans ce redoutable purgatoire de l'âme, dont tant de Saints ont expérimenté les rigueurs, et qui rend si sensible la vérité de cette parole de l'Apôtre : « Notre. Dieu est un feu consumant. » Après avoir été purifiée comme l'or dans le creuset, le 5 décembre 1669 elle fut jugée digne d'entrer dans la structure de la céleste Jérusalem. (Année Sainte, XIIe volume.)

[53] Mgr Juste Guérin avait été sacré à Turin le 25 juin 1639 ; toutefois, il ne fit son entrée à Annecy que le 17 août suivant.

[54] « Madame Mathilde de Savoie étant tombée gravement malade à Suze, où elle avait suivi la cour, demanda elle-même les derniers sacrements (dit l'Histoire de la fondation de Turin), et serrait fréquemment sur son cœur le petit crucifix dont notre Vénérable Mère lui avait fait présent, disant : « Ma Mère et mes filles me porteront au ciel. Dieu sait que je les aime de tout mon cœur, et que je n'ai pas eu de plus grand plaisir que de les servir et assister. » Cette généreuse fondatrice les recommanda à Madame Royale et à M. le marquis de Pianesse, son fils, entre les bras duquel elle mourut le 7 septembre 1639. Peu auparavant elle avait envoyé à notre Vénérable Mère quelque petit présent de dévotion, lui protestant qu'elle mourait sa fille et sa Religieuse au rang des Sœurs domestiques, et que son amour plus fort que la mort passerait à l'éternité bienheureuse, qu'elle espérait obtenir par ses prières. »

[55] Cette Religieuse, à qui la Sainte donne le titre si affectueux de filleule, n'était autre que la comtesse Provane de Leyni, née Ponsillion. Pendant plusieurs années elle avait vécu dans le monde comme n'étant pas du monde, et dès que la mort de son époux lui eut rendu la liberté, elle confia ses enfants aux soins de leur grand'mère et sollicita une dernière place dans la maison du Seigneur. Admise à la Visitation de Turin, la généreuse veuve se livra sans mesure à la grâce, et se distingua par la pratique de toutes tes vertus, surtout par une abnégation portée jusqu'à l'héroïsme. Sainte J. F. de Chantal l'assura que sa fille alors âgée de quatre ans la rejoindrait un jour dans le cloître, ce qui s'est réalisé en la personne de Sœur Gertrude-Élisabeth Provane de Leyni, qui fut une des grandes Supérieures du monastère de Turin.

[56] « M. Truitat, prêtre du diocèse de Genève, doué de toutes les qualités qu'on pouvait souhaiter (est-il dit dans l’Histoire de la fondation de Turin), se fit un devoir de renoncer à tous les emplois qu'il avait et à ceux qu'il pouvait espérer dans sa patrie, où il était fort estimé, pour obéir au désir de notre Vénérable Mère et venir rendre ses services ; à notre maison naissante en qualité de confesseur ordinaire. » C'est pendant le siège surtout que ce digne ecclésiastique donna des preuves de son dévouement à la Visitation. Il passait les journées entières à porter des pierres, à faire des tranchées pour protéger le monastère, et les nuits, à monter la garde autour des murs de clôture.

[57] « Les petits pots à mettre le vin tiennent environ deux petits verres. » (Coutumier.)

[58] Sœur Anne-Marguerite de la Luxière, décédée à Draguignan le 8 août 1639.

[59] Pendant toute sa vie, la Mère Belin expérimenta combien est vraie la parole de sainte Thérèse : Le privilège des amis de Notre-Seigneur ici-bas est d'y souffrir beaucoup. Des premières reçues à la fondation de Besançon, elle marcha vaillamment à la conquête du pur amour, et en 1639 les suffrages de la communauté l'appelèrent à remplacer la Mère Mad. -Séraphine Maréchal. Cette élection prématurée devint le signal des peines les plus accablantes. Le Christ, se détachant un jour de la croix des processions, tomba entre ses bras et lui dit au fond du cœur : « Ma fille, tu n'auras plus que moi, mais je serai ta force !... » Mgr l'archevêque, prévenu contre cette digne Supérieure, empêcha sa réélection et l'envoya au monastère de Gray. L'air doux, silencieux, rabaissé, de l'innocente persécutée suffit à sa justification, et bientôt les Sœurs fondatrices de Salins obtinrent la grâce de l'associer à leur mission. Après avoir admiré en sa conduite l'assemblage de toutes les vertus monastiques, elles l'élurent Supérieure eu 1649 et la réélirent en 1658. La Providence, dans ses secrets conseils, n'avait permis cette espèce de réparation à l'égard de la Mère Belin, que pour donner à son âme de nouveaux traits de ressemblance avec Jésus, Homme de douleurs. Mais persuadée que toute créature peut devenir, messager du vouloir divin, instrument salutaire et efficace pour opérer le travail de vie et de mort que l'Esprit-Saint requiert de l'urne désireuse de la sainteté, elle regarda Dieu et laissa faire... Sa plus douloureuse angoisse dut être la privation de la communion journalière qu'elle faisait depuis quatorze ans... À Belley, où son frère était évêque, tout changea de face : Dieu bénit son gouvernement, et lui fit goûter la manne promise aux victorieux.

De retour à Besançon, la Mère Belin y parut consommée en sainteté, brillante comme un diamant taillé par des mains habiles. La croix avait opéré cet heureux effet en l'âme de la vénérable Religieuse, qui, le 12 mars 1695, alla présenter au Seigneur l'hommage de soixante-trois années de fidélité à son divin service. (Année, Sainte IIIe volume.)

[60] Madame de Granieu avait obtenu que sa fille passât du monastère de Chambéry à celui de Grenoble.

[61] Oratorien, vicaire général de Mgr l'évêque de Clermont.

[62] D'un deuxième monastère à Rouen.

[63] Cette Religieuse, professe de Montferrand, avait succédé à la Mère M. -Michelle des Roches dans le gouvernement de la communauté de Saint-Flour. En 1638, elle eut à s'occuper de l'établissement du monastère d'Alby, qui trois ans plus tard se plaça sous sa conduite. Élue Supérieure à Montferrand en 1660, elle contribua à la fondation de Thiers, eut la joie de faire célébrer dans son monastère les fêtes de béatification de saint François de Sales, et celle de se voir remplacée à la fin de son second triennat par la Mère Fr. -Madeleine de Chaugy.

[64] Cette dame, novice Bénédictine, fille du duc François III de Noailles, se disposait à sacrifier non-seulement les magnifiques espérances que lui donnait l'illustration de sa famille, mais encore la coadjutorerie d'une riche abbaye, pour embrasser la vie pauvre et cachée de la Visitation. Le 2 juillet 1641 elle reçut le voile au monastère de Saint-Flour, et réalisa toute sa vie la parole prophétique que saint François de Sales avait dite à la duchesse de Noailles, avant la naissance de cette enfant prédestinée : « Elle sera une de mes plus dignes filles. » La jeune Religieuse, connue sous le nom de M. -Christine, fit preuve de tant de sagesse dans les emplois de maîtresse des novices et d'assistante, que l'évêque de Saint-Flour son oncle la choisit bientôt pour travaillera la réforme d'une communauté d'Aurillac. Ce fut elle encore qui, en 1651, vint établir en cette ville un monastère de la Visitation. La nouvelle maison eut le bonheur d'être gouvernée trente-six ans par cette digne Mère, dont l'exemple, plus persuasif encore que les paroles, développa autour d'elle les grandes et fortes vertus. Propagatrice infatigable de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, elle eut la consolation de faire célébrer solennellement la fête de ce Cœur adorable, presque aussitôt après la mort de la Bienheureuse Marguerite-Marie.

La fondation de Saint-Céré est due en partie au zèle de la Mère M. -Christine, qui ne se servit des libéralités de son frère le cardinal de Noailles que pour venir en aide non-seulement aux pauvres monastères de l'Ordre, mais encore à tous les malheureux qui recouraient à sa charité. — Cette vénérable Supérieure, qui avait combattu si longtemps les bons combats du Seigneur, alla recevoir de sa main la couronne de justice, le 18 septembre 1711. (Année Sainte, IXe volume.)

[65] Cette fondation se fit le 25 mars 1640, sur les instances d'une dame de qualité, qui offrait une somme suffisante pour cette bonne œuvre. Mais les Sœurs fondatrices venues de Nevers, sous la conduite de la Mère Fr. -Gabrielle de Douët, ne trouvèrent rien de ce qui leur avait été promis. Bien loin de se plaindre, elles s'estimèrent heureuses d'avoir à souffrir pour le nom du Seigneur Jésus une pauvreté telle, que « souvent en hiver leurs lits étaient couverts de neige, et qu'il leur arrivait d'être obligées de plier leurs serviettes presque aussitôt après s'être mises à table, le peu qu'on avait à leur présenter ne pouvant s'appeler un repas ». (Histoire de la fondation de La Châtre.)

[66] Dès son arrivée en Piémont, le comte d'Harcourt, commandant de l'armée française, s'était déclaré le protecteur de la petite communauté de Pignerol. « Ce vertueux général, voyant que ses forces n'étaient pas égales à celles des Espagnols, crut (disent les anciens Mémoires) que, pour mettre la victoire dans son parti, il fallait avoir recours au Dieu des batailles. Il promit là-dessus d'envoyer cinq cents livres au monastère de Pignerol ; l'on sut bientôt après qu'il avait battu le marquis de Léganez, emporté la ville de Turin, et fait une des plus belles actions qu'on lise dans l'histoire. Il disait lui-même qu'il attribuait ce glorieux succès aux prières de la Mère Anne-Catherine de Beaumont, qui, pour les rendre plus efficaces, entreprit, nonobstant sa pauvreté, de faire assister et visiter les pauvres soldats malades. Comme pour récompenser cette charité, Dieu permit qu'un commissaire général de l'artillerie du Roi s'aperçût que le monastère manquait de cloches ; aussitôt il envoya du métal en telle quantité, qu'il suffit pour toutes celles dont on avait besoin. »

[67] D'après les Mémoires de la Mère de Chaugy, les Prêtres de la Mission arrivèrent à Annecy en février 1640. On voit par les Lettres de la Sainte de quel pieux empressement, de quelle vénération les Fils de Saint-Vincent de Paul furent l'objet dans cette catholique Savoie, où, jusqu'à la révolution de 1793, ils travaillèrent avec un zèle infatigable soit à la formation du clergé, soit à l'évangélisation du peuple.

[68] En écrivant ces lignes, la Sainte ignorait que le 2 février cette chère victime était allée présenter au Seigneur ses longues expiations. Pendant les deux ans et quelques mois de son séjour à Poitiers, « elle souffrit une agonie intérieure fort pénible par laquelle elle honorait l'agonie sacrée de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Lorsqu'il fallut laver son pauvre corps pour l'ensevelir, on s'aperçut qu'elle avait gravé sur son cœur un Nom de Jésus de la hauteur et de la largeur de quatre doigts ; il en sortit une odeur si suave que toutes les Religieuses en furent embaumées et confirmées dans l'estime qu'elles avaient de la vertu de cette très-honorée Sœur. » (Extrait d'une lettre de la Mère A. M. de Lage de Puylaurens gardée aux Archives de la Visitation d'Annecy.)

[69] Sainte J. F. de Chantal inculqua toujours à ses Filles l'importance de s'adonner à la lecture des Livres de l'Institut préférablement a tout autre : « Il ne faut pas être chiche, dit-elle une fois, de mettre plusieurs Livres du Bienheureux dans la chambre des assemblées, afin que toutes les Sœurs en puissent avoir. À Nessy, il y en a trois de chaque sorte : d'Amour de Dieu, de Philothée, d'Entretiens, d'Épîtres, de Vies, de Coutumier et de Réponses. En somme, toutes ces lectures-là sont le vrai pain des Filles de la Visitation. Il y en a aussi à l'infirmerie et au noviciat, afin que partout l'on se nourrisse de cette doctrine. » (Déposition des contemporaines de la Sainte.)

[70] Cette Religieuse, qu'une admirable pureté avait fait surnommer dans son enfance l’Ange de Comté, appartenait à l'antique famille des comtes de Berghen, de Champlitte et de Belvoir. Conduite à treize ans à l'établissement de la Visitation de Champlitte qui lui devait le titre de fondatrice, reçue au bruit du canon, haranguée parles magistrats, acclamée par le peuple que ses ancêtres avaient comblé de bienfaits, elle préféra aux félicités de la terre le bonheur de vivre pauvre et obéissante dans l'obscurité du cloître. Peu après, lorsque les guerres survenues entre la France et l'Espagne obligèrent de transférer la communauté de Champlitte dans la petite ville de Gray, devenue bientôt, par les ravages de la peste, un vaste champ de morts et de mourants, rien ne fut capable d'ébranler sa résolution d'être à Dieu, et pleine de confiance au pouvoir de la grâce, elle y demeura calme, joyeuse, indifférente, au milieu de privations inouïes, étonnant une province entière « qui ne savait qu'admirer davantage en une jeune fille de quinze ans, ou sa modestie ou sa grandeur d'âme, poussées l'une et l'autre jusqu'à l'héroïsme ». À seize ans elle prononça les vœux sacrés avec des ardeurs séraphiques. « Le feu du ciel qui la consumait lui fit exhaler une odeur de si grande suavité qu'elle embauma tout l'Ordre du parfum de ses vertus. » Sœur Claire-Marie de Cusance fut à la Visitation ce que saint Stanislas de Kostka avait été dans la Compagnie de Jésus : comme lui « exemplaire d'amour divin et de pénitence », comme lui favorisée de communications célestes, comme lui encore n'ayant au cœur que Dieu et sa Règle, elle ne trouvait d'autre imperfection à se reprocher qu'un trop grand empressement pour les emplois les plus vils du monastère.

Après dix-huit années d'une vie toute céleste, le 8 mars 1640, « elle s'élança vers le ciel (selon l'expression de Mgr d'Achey, archevêque de Besançon), pour y recevoir des mains de Dieu la couronne de gloire qu'elle avait méritée ; car, ayant vécu comme un Ange sur la terre, elle est allée prendre la place d'un Ange dans le paradis ». Aussitôt l'annonce de son trépas, « le maire fit sonner toutes les cloches, et toute la ville de Gray, par un mouvement subit, voulut assister à ses obsèques avec des flambeaux ; honneurs qu'ils publiaient rendre plutôt à sa vertu qu'à sa naissance. La Visitation de cette ville n'ayant pas alors de lieu pour la sépulture, les Révérendes Mères Annonciades prièrent qu'on leur confiât ce sacré-dépôt, et le reçurent avec une solennité et révérence très-religieuses. Il fallut la laisser quelques jours exposée pour la consolation du peuple. Chacun croyait voir briller à travers les ombres et les ténèbres du trépas un reflet des beautés immortelles. Des grâces nombreuses lurent accordées aux prières de ceux qui prenaient l'humble Religieuse pour médiatrice et avocate. On a imprimé en Flandre l'image de cette chère défunte, en diverses formes très-dévotes, attendant si un jour l'Eglise, dans le temps ordonné de Dieu, lui fera rendre des honneurs plus vénérables. »

« Quatorze jours après [la sépulture], les Mères Annonciades écrivaient à la Supérieure de Gray : « Cette chère défunte est toujours belle et maniable ; on lui voit les veines comme à une personne vivante, ce qui nous fait bien connaître que [ce corps] a été le domicile d'une âme purement angélique et séraphique. Plusieurs personnes ont senti des odeurs très-suaves sortir de son cercueil, et d'autres y ont reçu des lumières intérieures, du tout extraordinaires. » (Vies de IX Religieuses de la Visitation, par la Mère de Chaugy.)

[71] Les Annales du premier- monastère d'Annecy nous ont conservé les détails de cette visite : « Madame Royale Christine de France, alors régente, voulut mettre toute son auguste maison sous la protection de notre glorieux Père et Fondateur, et pour cela vint à son tombeau avec l'Altesse Royale son fils, y fit ses dévotions avec une piété remarquable, rendant à cet homme de Dieu une vénération toute particulière. Elle déposa à ses pieds une riche couronne d'or d'où pendaient cinq grands cœurs, sur l'un desquels était attachée une belle croix de diamants, don de Mgr le duc. Notre auguste princesse prétendait par cette couronne donner à penser à tout le monde que si François de Sales étant ici-bas avait mérité l'honneur d'être son premier aumônier, à présent qu'elle le croyait fort élevé au ciel, elle réclamait sa protection et le reconnaissait digne d'être son protecteur et celui de toute la famille royale de Savoie. »

[72] Les magistrats de Fribourg, n'ayant reçu dans leur ville les Religieuses de la Visitation qu'à titre de réfugiées, ne leur permettaient pas de se recruter par l'admission de nouveaux sujets. « La Mère M. -Marg. Michel, ne pouvant se résoudre à éconduire les âmes désireuses de se consacrer à Dieu dans notre Institut, pria sainte J. F. de Chantal de l'autoriser à les recevoir en qualité de novices d'Annecy. » — « Oui, ma très-chère fille, répondit la Sainte, ce sera avec plaisir que nous ouvrirons les portes de notre maison à ces filles, puisqu'elles sont si généreuses que de vouloir non-seulement quitter leurs parents, mais encore leur patrie, pour se consacrer à Dieu dans notre Ordre. » Les quatre prétendantes honorées de la lettre de la Sainte étaient mesdemoiselles de Praroman, de Diesbach, de Gléresse et de Reynold, issues des plus nobles familles de Fribourg. (Histoire de la fondation de Fribourg.)

[73] La grâce de la vocation religieuse n'avait pénétré dans le cœur de la respectable Mère de Maupeou que par des brèches sanglantes. Issue de parents très-connus à la cour de France sous le règne de Henri IV, elle avait été enchaînée dans les liens du mariage contrairement à sa volonté et se vit pendant huit années victime des plus aveugles passions. Aussi, dès son entrée au premier monastère de Paris (1628) jusqu'à sa mort (1674), ne pouvait-elle se lasser de répéter : Le joug du Seigneur est doux et son fardeau léger !

Un total oubli d'elle-même, joint à une grande force d'esprit, la rendit bientôt capable de servir l'Institut. Elle gouverna six ans la communauté de Caen, d'où sa charité s'étendit aux pauvres monastères de Lorraine qu'elle assista en jeûnant avec ses Religieuses plusieurs jours de la semaine. Sainte J. F. de Chantal, ravie de cette inspiration charitable, s'écria les yeux pleins de larmes : Voilà qui est sorti du cœur d'une vraie fille de la Visitation ! En 1641, la Mère de Maupeou dut se rendre aux désirs de Mgr François Fouquet, son neveu, qui, l'année précédente (21 septembre), avait fondé à Bayonne un monastère de la Visitation. Les sept Religieuses sorties du premier de Paris étaient demeurées sous la conduite d'une assistante commise, Sœur M. -Geneviève de Furnes, jusqu'à l'arrivée de la Mère Madeleine-Élisabeth, dont le sage gouvernement assura la prospérité de la communauté naissante.

Rentrée en 1655 à sa maison de profession, elle y fut élue Supérieure, et de là employée avec le même succès en divers apostolats, chez les Ursulines de Melun, à Port-Royal et à la Magdelaine. Avant de quitter l'exil, la fervente Mère de Maupeou eut l'indicible joie de voir son vieux père, intendant et contrôleur des finances, abjurer le calvinisme et mourir enfant de la sainte Eglise romaine. (Année Sainte, VIIe volume.)

[74] C'est-à-dire de l'eau dans laquelle on a fait tremper quelques reliques de saint François de Sales ; ce moyen, plus efficace que tous les remèdes humains, a garanti de la peste grand nombre de monastères de la Visitation.

[75] Le chevalier Janus, frère de saint François de Sales, était décédé à Nice en février 1640, dans les plus édifiantes dispositions.

[76] Le monastère de Turin, placé entre les batteries des deux armées, courait le plus grand danger. Les Religieuses voyaient les boulets de canon percer leurs murailles, briser les couverts et les planchers, passer sur leurs lits et tomber dans le réfectoire et dans le chœur. Ce fut pendant ce temps que Jeanne-Bénigne Gojos, humble Sœur domestique, fit des choses qui, surpassent la croyance humaine, « Cette humble fille, favorisée de grâces surnaturelles, avait à son service des aides invisibles qui avaient ordre de ne la pas laisser choir. Son Ange gardien surtout l'abritait sous ses ailes lorsque, au milieu du jardin pour y cueillir les fruits ou les légumes nécessaires à l'entretien de la communauté, elle voyait une douzaine de boulets frapper à ses pieds ou passer sur sa tête, sans qu'un péril si imminent la fit sortir de sa profonde paix. Une fois même, le canon emporta la moitié d'un arbre sur lequel elle était montée ; mais elle n'en témoigna ni frayeur ni surprise » (Voir la note sur Sœur Jeanne-Bénigne Gojos, à la dernière lettre de 1640.)

Le 20 septembre, la ville capitula. Grâce à la protection de la Saint-Vierge, le monastère fut épargné : pas un soldat n'y pénétra. Plusieurs même, en reconnaissance des secours reçus de la communauté, allèrent de leur plein gré faire la garde autour des murs de clôture pour empêcher des vexations, disant agréablement « qu'ils n'oublieraient jamais les Religieuses savoisiennes, et qu'ils porteraient dans leur pays le souvenir des bontés et des charités qu'elles avaient eues pour les blessés ». (Histoire de la fondation de Turin.)

[77] Les Religieuses de la Visitation de Champlitte, après avoir séjourné quelque temps à Gray, à titre de réfugiées, s'y fixèrent définitivement, tout en conservant l'espoir de rétablir plus tard leur monastère de Champlitte. Cet espoir ne fut jamais réalisé.

[78] Cette Religieuse, native de Paris, avait été reçue au monastère de Bourges sur la recommandation de sainte J. F. de Chantal, et envoyée quelques années plus tard à la fondation de celui de Poitiers. En 1640, elle fut élue pour succéder à la Mère A. M. de Lage de Puylaurens, avec laquelle elle alterna pendant trente ans dans le gouvernement de cette communauté. De bonne heure la Mère M. -Suzanne comprit que le Seigneur Jésus lui serait un Époux de sang : elle sut apprécier cet honneur, et recevoir avec joie les souffrances et les humiliations qui remplirent sa vie, avouant que « Dieu lui faisait en ces occasions des grâces toutes particulières, et qu'elle ne goûtait jamais tant de douceurs ». Menant sur la terre une vie toute séparée des sens, toute dirigée par les lumières célestes, une vie toute d'immolation et de sacrifices, elle fut, selon son désir, « la perpétuelle victime de la croix et de l'amour divin ». Ce feu sacré consuma tout ce qui était humain dans son être, et l'abîma elle-même dans le sein de Dieu, le 24 juin 1671. (Année Sainte, VIe volume.)

[79] La première moitié de cette lettre est extraite de la Fondation de Nevers. La date du 25 octobre que lui assigne la Mère de Blonay, page 546me de son édition, n'est pas admissible, puisque la Sainte dit : C'est au jour de la solennité de la fête du Saint-Sacrement que j'emploie l'occasion de vous écrire cette lettre.

[80] Cette Religieuse, membre d'une très-noble famille du Dauphiné alliée à saint François de Sales, avait apporté au premier monastère d'Annecy (1626) les germes des grandes et fortes vertus. Grâce à une direction vigoureuse, ils se développèrent si rapidement dans son âme que sainte de Chantal n'hésita pas à lui confier l'emploi de maîtresse des novices à la fondation du monastère de Turin. Lors du siège de cette ville, Sœur M. -Françoise affronta souvent les coups de canon pour aller cueillir au jardin les herbes et les racines nécessaires aux pauvres soldats du quartier. Oublieuse d'elle-même jusqu'à l'excès, elle aurait imité les anciens solitaires dans leurs jeûnes, veilles et macérations de tous genres, si les Supérieurs n'eussent posé des limites à ses saintes cruautés.

L'établissement du monastère de Rome lui offrit de quoi satisfaire son ardeur pour la souffrance. Cette fondation que désirait vivement le Pape Alexandre VII, et pour laquelle, peu avant sa mort, il avait cédé le château de Vétrolle, fut poursuivie par son successeur Clément IX, qui en juin 1668 fit intimer à la communauté de Turin l'ordre d'envoyer des Religieuses. La Mère de Lucinge choisit pour cette importante mission les Sœurs Gertrude-El. Provane de Leyni, Cécile-Marg. de Roëre et M. -Domitille Tarin, leur donnant pour Supérieure Sœur M. -Françoise de Corbeau. Mgr l'archevêque de Turin, annulant cette nomination, mit Sœur Gertrude-El. à la tète de la petite communauté. Grande à cette nouvelle fut la joie de Sœur M. -Françoise et plus grande alors sa douleur quand, après quelque séjour à Rome, elle se vit, par le rappel de la jeune Supérieure, chargée seule de la sainte et difficile entreprise. La mort prématurée de Clément IX avait empêché de conclure un établissement définitif. Poursuivre la fondation sans appuis ni ressources paraissait téméraire, quand tout à coup, par la miraculeuse guérison du prince Borghèse, saint François de Sales acquit à ses Filles de puissants protecteurs. Le cardinal Rospigliosi, réalisant les promesses faites par son oncle Clément IX, obtint du nouveau Pape Clément X une Bulle pour l'érection du monastère. Dès lors les familles les plus éminentes devinrent les amies fidèles de la petite communauté, et tinrent à honneur de lui donner, en la personne de leurs enfants, des âmes généreuses qui ont appris aux générations présentes à aimer et bénir les saints Fondateurs de la Visitation. Le 23 novembre 1672 vit terminer l'exil de la Mère M. -Françoise de Corbeau, dont la mémoire est en bénédiction au premier monastère d'Annecy, où elle passa douze ans, à celui de Turin, qui s'édifia pendant trente ans de son esprit religieux, et à celui de Rome, qui la garda quatre ans, et la considère à bon droit comme sa fondatrice, sa protectrice et son modèle. (Année Sainte, XIe volume.)

[81] La fondation de Bordeaux fut inspirée par la Sainte Vierge elle-même. Une dame de qualité étant résolue d'établir une maison religieuse vit cette Reine du ciel lui présenter des Filles de la Visitation, en disant : « Ce sont celles-ci que je veux. »

La Mère Catherine-Charlotte de Crémaux de la Grange, accompagnée de Sœur Marguerite-Élisabeth Sauzion et de neuf autres professes de Bellecour, arriva à Bordeaux le 1er juin 1640. Toutefois, divers obstacles retardèrent leur installation jusqu'au 2 juillet suivant. Les libéralités de la fondatrice ne purent empêcher les Religieuses de participer largement aux trésors de la pauvreté de Jésus-Christ, qui les dédommagea de la privation des biens de ce monde par des faveurs intérieures très-spéciales, (Histoire inédite de la fondation de Bordeaux.)

[82] Ce fut cependant à Montluel que la petite communauté chassée de Saint-Amour se fixa définitivement, le 21 novembre de cette année 1640. Treize ans plus tard, un essaim sorti de ce monastère alla rétablit- celui de Saint-Amour, qui subsista jusqu'à la Révolution française.

[83] Ce recours au Saint-Père ne fut jamais nécessaire ; l'Institut s'est conservé dans sa ferveur primitive par les seuls moyens de charité et de cordiale déférence indiqués par les saints Fondateurs.

[84] Le Seigneur dut lancer bien des rayons de lumière et des flèches d'amour au cœur de cette Religieuse avant de la conquérir sans retour. Mais, une fois subjuguée, elle marcha rapidement dans les étroits sentiers des conseils évangéliques, prenant pour devise cette parole énergique : Rien à demi !... Ainsi livrée à la grâce, elle entendit son céleste vainqueur lui dire un jour : « Je veux détruire l'être que tu tiens d'Adam, afin qu'il ne reste rien en ton âme que ce qu'elle a reçu de Moi ! » parole efficace qui produisit tout à coup un grand vide. L'Esprit-Saint s'emparant de ses puissances y opéra des merveilles et lui révéla des mystères ineffables. Dépouillée du pesant fardeau d'elle-même, le regard fixé sur le Soleil de justice et d'amour, où toutes créatures venaient pour elle s'absorber et se perdre, Sœur M. -Augustine ne trouva plus d'autre bonheur que celui de glorifier Dieu, en s'abandonnant corps et âme à l'action de la Providence.

Peu après sa profession, en 1633, il lui fallut quitter sa chère communauté de Blois pour coopérer à la fondation du monastère de Mamers qu'elle gouverna douze années. Un petit Traité de la Contemplation et des Paraphrases sur les Psaumes, composés pendant ses loisirs, ont excité l'admiration de plusieurs évêques et docteurs, lesquels ont assuré qu'elle avait trouvé le véritable sens du prophète et pouvait dire comme Salomon : « La grâce de toutes les voies m'appartient. » Après la mort de sainte J. F. de Chantal, les signalés miracles opérés en faveur de la communauté de Mamers prouvèrent l'affection de la Sainte pour le monastère et sa digne Supérieure. Il semblait qu'il y eût un défi entre les deux grands Fondateurs de la Visitation à qui gratifierait le plus cette pépinière de Religieuses d'une haute vertu. Chacune d'elles, sous l'influence de la Mère d'Avoust, semblait vouloir par l'ardeur de sa course emporter le prix et ravir le Cœur Sacré de Jésus. Ce fut le 8 janvier 1657 que le divin Maître couronna son épouse bien-aimée. Après sa mort elle devint si belle et si pleine de majesté qu'on ne pouvait la regarder sans être pénétré d'un sentiment de profonde vénération.

Le Père Nouet de la Compagnie de Jésus a rendu le témoignage suivant de la vénérable Supérieure : « Je n'ai point vu de personne plus solidement humble, ni mieux établie dans le mépris de soi-même... Les autres admireront les grâces que Dieu lui a faites ; pour moi, elles ne servent qu'à me faire admirer davantage son anéantissement, et les voies que Dieu a tenues sur elle pour la conduire au point d'un parfait détachement... Je révère l'esprit du saint Évêque de Genève dans toutes tes âmes que Dieu a appelées dans votre Ordre, mais je ne l'ai jamais mieux connu qu'en celle vertueuse fille. » (Année Sainte, Ier volume.)

[85] C'est à la douce lumière de Celle que l'Église invoque sous le titre Étoile du matin, que la Mère Barbe-M. Bouvard commença, poursuivit et acheva saintement sa carrière religieuse. Reçue en 1629 au premier monastère de Paris, d'où on l'envoya à la fondation de celui du Mans, « elle le servit pendant quatre triennats (disent les anciens Mémoires) avec une vertu et utilité nonpareilles, tant au spirituel qu'au temporel, étant également intelligente et soigneuse de l'un et de l'autre, et aussi utile dans la qualité d'inférieure que dans celle de Supérieure. Notre Bienheureuse Mère de Chantal, qui faisait un grand état de sa vertu et des dons intérieurs que Dieu lui avait départis, la nommait Fille des cœurs, tant elle avait d'attraits pour les gagner à Dieu et de force pour les engager de s'unir à la divine Majesté. » Après avoir passé tous ses jours sous le regard et dans l'amour de Marie, la Mère Bouvard rendit le dernier soupir en invoquant cette Reine immaculée, le 13 septembre 1656. (Année Sainte, IXe volume.)

[86] Une nièce de la Mère Marie-Aimée de Blonay.

[87] Le 80e monastère de la Visitation est celui de Dieppe, établi le 25 avril 1640, par des Religieuses de Rouen.

Le 14 septembre de cette même année le deuxième monastère de Paris fit la fondation d'Amiens, qui eut pour première Supérieure la Mère M. -Euphrosine Turpin. Cette sainte entreprise avait d'abord rencontré de puissantes oppositions : elles s'évanouirent devant l'enthousiasme universel qu'excita le miracle opéré en faveur de M. Adrien Gambard, confesseur du deuxième monastère de Paris. Ce respectable ecclésiastique, atteint d'une maladie mortelle pendant qu'il négociait à Amiens les affaires de la fondation, avait été rappelé des portes du tombeau, par l'attouchement d'un autographe de saint François de Sales. Une âme favorisée de grâces extraordinaires, que le Père Saint-Jure, Jésuite, assurait être à l'abri de toute illusion, eut vers le même temps une connaissance particulière que Dieu serait bien servi dans le futur monastère, et qu'il y serait glorifié jusqu'à la fin des siècles. (Histoire de la fondation d'Amiens.)

[88] Ce ne fut qu'après la mort de sainte J. F. de Chantal que Sœur. M. A. de Bauffremont fut reçue au premier monastère d'Annecy, où, d'après le Livre des Vœux, elle passa l'année 1644 et les quatre suivantes.

[89] Aussitôt après la mort de M. de Sillery, arrivée le 26 septembre de cette année 1640, saint Vincent de Paul écrivit : « Il est mort en saint, comme il a vécu depuis qu'il s'est retiré de l'embarras du monde... Il est allé au ciel comme un monarque qui va prendre possession de son royaume, avec une force, une confiance, une paix et une douceur qui ne se peuvent exprimer. J'en parlais ces jours passés à Son Éminence (le cardinal de Richelieu), et je l'assurais avec raison que, depuis huit ou dix ans que j'avais l'honneur de l'approcher, je n'avais remarqué en lui ni pensée, ni parole, ni aucune action qui ne tendit à Dieu, et que sa pureté allait au delà de tout ce qu'on peut dire. »

[90] La fille du marquis de Pianesse qu'on élevait au monastère de Turin.

[91] Ce vœu de sainte J. F. de Chantal a été réalisé jusqu'à ce jour dans l'Institut de la Visitation où l'on professe envers l'Ordre du Carme, une estime toute particulière. On y a conservé chèrement la pratique des communions, telle que la sainte Fondatrice l'indique ici, et cette union qu'elle a cimentée elle-même durera autant que sa Congrégation.

[92] Cette humble Sœur domestique, émule de la Bienheureuse Marguerite-Marie dans l'héroïsme de l'amour et de la pénitence, naquit à Viuz en Veronay, diocèse de Genève. Depuis son entrée au premier monastère d'Annecy (1635), sa vie est un magnifique enchaînement de grâces surnaturelles de l'ordre le plus élevé. Sainte J. F. de Chantal la conduisit à la fondation de Turin, où Jeanne-Bénigne prononça les vœux sacrés le 10 juin 1640. « Depuis le jour de sa profession, il ne lui semblait plus être sur la terre. Plusieurs volumes seraient insuffisants à contenir le détail des faveurs qu'elle reçut de la magnanimité du Père céleste, de l'amour du Verbe, de la libéralité du Saint-Esprit. La Reine Immaculée fut le canal par lequel la Sainte Trinité se communiquait à elle ; ses Anges gardiens, les ambassadeurs visibles que lui députait son divin Époux. Saint Joseph, saint Pierre et saint Paul, saint Augustin et saint François de Sales la visitaient dans sa pauvre cellule, et la comblaient de si pures délices qu'elle se demandait parfois si elle était transportée au ciel ou si le ciel s'abaissait jusque dans le monastère. » Pour expliquer les grâces reçues par l'adorable Sacrement de nos Autels, « la plume d'un Séraphin, dit cette humble fille, resterait court ». Sa correspondance à tant de faveurs a été admirable : éclairée d'un rayon divin au pied du tombeau de saint François de Sales, elle fut dès lors comme sourde, aveugle et muette pour toutes les choses de la terre, étrangère à tout sentiment humain ou naturel, a passant de tout le créé au céleste, à l'infini, en sorte qu'après cinquante-sept ans de vie religieuse elle pouvait dire : Dieu a été incessamment l'unique objet de mon esprit, le seul amour de mon cœur, et sa gloire, la fin de toutes mes actions. — Les dépositaires de sa conscience ont pu assurer qu'elle n'avait jamais rien refusé au saint mouvement de la grâce, ni rien accordé à la nature de ce qu'elle pouvait lui retrancher sans mourir, »

Son amour pour le prochain lui faisait non-seulement oublier ses propres intérêts, mais, à l'exemple de l'auguste Victime, prendre sur elle, devant Dieu et devant les hommes, les fautes qu'il commettait, les expiant par des austérités effroyables. Une fois entre autres, pour obtenir des grâces de préservation à des âmes menacées de perdre la foi, elle coucha pendant trois ans sur le pavé de sa cellule.

« La qualité de Serviteur que Jésus a prise, disait-elle, a plus glorifié Dieu que celle de Sauveur. » Aussi ne voulut-elle jamais quitter son rang de Sœur domestique. Les laborieux emplois qui lui furent confiés toute sa vie étaient au-dessus des forces de plusieurs personnes ; mais ses Anges gardiens se faisaient avec elle « jardiniers, cuisiniers, boulangers, dépensiers, allumeurs de feu, dresseurs de table ». Parler des multiplications dues à ses prières, et constatées par les personnes du dehors et la communauté de Turin, serait trop long. Il ne le serait pas moins d'énumérer les prédictions qu'elle a faites : toutes se sont réalisées. — Le Saint-Esprit l'a conduite dans les voies les plus sublimes de la mysticité, avec des lumières et des communications ineffables, « Il était surprenant, a déposé le confesseur de la Visitation de Turin, de voir cette simple fille, sans étude et sans instruction, comprendre admirablement les Psaumes, tirer de la Sainte Écriture les passages les plus appropriés aux divers états de la vie spirituelle, les appliquer avec une justesse qui étonnait les plus doctes, » — À ses vœux de Religion elle en avait joint de secrets, dont la pratique effrayait ses directeurs, qui assuraient y voir une perfection aussi élevée que dans l'héroïque engagement contracté par sainte Thérèse et sainte J. F. de Chantal. — Contemporaine de la Bienheureuse Marguerite-Marie, Sœur Jeanne-Bénigne eut une connaissance surnaturelle des grandes manifestations du sacré-cœur de Jésus, quoique à cette époque il n'en fût point question en Italie. La Supérieure, lui demandant si elle recevait autant de grâces que la sainte confidente de ce Cœur adorable, en obtint cette réponse : « Ma Mère, elle est plus fidèle que moi, mais Bénigne n'a rien à lui envier !... »

Après l'avoir fait longtemps jouir des splendeurs du Thabor, le divin Époux voulut que cette épouse privilégiée terminât sa vie comme Lui au milieu des ténèbres et des angoisses du Calvaire. Dès longtemps elle avait eu révélation de ce dessein providentiel, et se réjouissait dans l'espoir de devenir conforme au Sauveur mourant. Elle soutint avec une invincible constance des souffrances intimes mille fois plus douloureuses que celles dont son corps était torturé, et le 5 novembre 1692 elle put prononcer le Consummatum est !... « Les grâces nombreuses obtenues par l'invocation de cette humble et sainte fille attestent son crédit auprès de Dieu, qui a promis d'exaucer les prières qu'elle déposerait au pied du tronc de l'Agneau. »

Sa vie a été imprimée à Turin sous ce titre : Le charme du divin amour, ou Vie de la dévote Sœur Jeanne-Bénigne Gojos, Religieuse domestique de la Visitation Sainte-Marie, morte en odeur de sainteté au monastère de Turin. Volume in-12.

[93] Après avoir passé plusieurs années au monastère de Moulins dans la pratique des plus admirables vertus, madame de Montmorency comprit que Dieu lui demandait davantage. L'idée de la vie religieuse avait toujours été repoussée par cette âme. qui dans son humilité s'estimait indigne du titre d'Épouse de Jésus-Christ. Mais à ce moment le Seigneur parlait si haut que, toute résistance devenant impossible, elle ne pensa plus qu'a obéir à l'appel divin, par un complet divorce avec un monde dont elle avait connu toutes les amertumes et méprisé toutes les grandeurs. Sans avouer ouvertement son projet, la duchesse suppliait sainte J. F. de Chantal de faire un voyage à Moulins, dans l'espoir d'être initiée à la perfection religieuse par cette grande directrice des âmes.

[94] Née à Paris d'une « très-qualifiée et sainte famille », cette Religieuse avait fait profession depuis quelques années au deuxième monastère de cette ville et venait d'être envoyée à la fondation d'Amiens. De la charge de maîtresse des novices, Sœur Anne-Marie passa bientôt à celle de Supérieure, à laquelle les suffrages de la communauté l'appelèrent quatre fois. « Elle se montra généreuse dans toute sa conduite, sans respect humain lorsqu'il s'agissait des intérêts de Dieu ou de la plus parfaite observance de la Règle : en toutes ses pensées, paroles et actions, elle ne vivait, ne respirait et n'aspirait qu'en Dieu. Sa vie se termina le 7 décembre 1677, par un acte d'adoration et d'amour. » (Archives de la Visitation d'Annecy.)

[95] Confesseur du premier monastère de la Visitation de Paris.

[96] À Moulins, selon le désir et d'après les instantes prières de madame de Montmorency.

[97] Sœur Françoise-Catherine fut une de ces âmes choisies que le Seigneur cache de bonne heure dans le secret de son tabernacle, et dont Il ne permet pas au monde d'approcher, de peur que sa malice ne corrompe leur innocence. Elle était fille de M. le comte Solar, écuyer des Sérénissimes Infantes de Savoie, qui la choisirent pour demoiselle d'honneur. « Véritablement, dit la Mère de Chaugy, encore que ces grandes princesses ne gardassent pas une clôture religieuse, elles vivaient très-vertueusement sous l'habit du Tiers Ordre de saint François. Leur cour était la vraie cour sainte » ; toutes y menaient secrètement une vie très-austère, n'allant aux fêtes du monde que sous l'armure du cilice, consacrant aux pauvres leurs biens, leur personne et leur vie. Mademoiselle Solar n'obtint pas sans peine des Sérénissimes Infantes la permission de les quitter ; mais aidée des conseils du Père dom Juste Guérin, Barnabite, directeur des princesses, elle sut rompre tous les obstacles, et sortir d'un somptueux palais pour aller s'enfermer dans l'incommode et pauvre monastère d'Aoste. Peu d'années après sa profession on lui commit le soin du noviciat. En 1638, lors de la fondation de Turin, sainte J. F. de Chantal s'arrêta quelques jours dans cette solitude, et assura la Supérieure qu'elle devait estimer la nouvelle directrice comme un trésor rare et précieux, assurant avoir trouvé en elle « un abîme d'humilité, une sublime perfection, jointe à un éminent degré d'union à Dieu ».

Dès qu'il fut question d'établir le monastère de Verceil, l'Infante Marie, qui patronnait cette œuvre, désira voir au nombre des fondatrices mademoiselle Solar, son ancienne amie et confidente intime. On vit bientôt combien était juste ce choix qu'approuva la Sainte. La jeune directrice ne désirait pas seulement des âmes confiées à sa sollicitude le commencement de l'amour, elle en exigeait la consommation. l'Ile voulait que cet amour détruisit tout ce qui n'était pas Lui, et leur paraphrasait admirablement par sa conduite mieux encore que par ses paroles celle invitation du Cantique des cantiques : lève-toi, ma bien-aimée et viens. « Allons, disait-elle, dans la caverne, dans un désert odieux aux sens, à la nature. Dépouillement de tout, mort à tout, esprit de prière, de sacrifice, d'abandon au divin bon plaisir : voilà le creux de la pierre où Jésus appelle les Filles de la Visitation. »

Après quatorze ans de fidélité à suivre les inspirations de la grâce, cette victime de l'amour divin alla recevoir avec la couronne des Vierges la palme des Martyrs. (Histoire de la fondation du monastère d'Aoste.)

[98] Reçue au premier monastère de Paris dès l'année 1623, Sœur Claire-Madeleine y avait apporté une foi vive, un jugement solide, un cœur noble et généreux. Elle travailla si constamment à l'acquisition des fortes vertus évangéliques, que la Mère A. C. de Beaumont la choisit peu après sa profession pour être une des pierres fondamentales du deuxième monastère de Paris, d'où plus tard on l'envoya à Angers. La Mère Claire-Madeleine, après avoir solidement établi le monastère de cette ville, qu'elle gouverna avec beaucoup de sagesse ainsi que celui de Tours, eut à s'occuper de la fondation de Saumur. C'est là que par de longues souffrances intérieures et extérieures, elle combla la mesure de ses mérites, et en 1674 entendit la voix de l'Époux la convier aux éternelles rémunérations. (Année Sainte, VIe volume.)

[99] Il s'agit ici d'un personnage fort savant qui, n'ayant pu réussir à gagner la confiance de la Mère J. S. de Chamousset, se vengeait en répandant contre elle les plus noires calomnies. Il porta même ses accusations mensongères jusqu'à sainte de Chantal, qui écrivit à l'innocente inculpée : « Je me suis aperçue qu'il y a beaucoup de persécution en cette affaire, et la quantité de lettres que j'ai contre vous m'a fait dire que c'est trop. Et si je ne connaissais votre vertu, on m'aurait mise en peine, ne pouvant croire qu'une Fille de la Visitation fût capable des manquements dont cette personne vous accuse. » Le malheureux imposteur, reconnu comme tel, ne tarda pas à voir retomber sur lui toute la confusion dont il voulait envelopper la digne Supérieure. De toutes parts on rendit hommage a la vertu de celle-ci, qui reçut entre autres ce beau témoignage de son prélat : « Vous êtes la femme forte ; votre générosité a triomphé de la faiblesse de vos ennemis. » (Histoire de la fondation d'Aoste.)

[100] La Mère Marie-Constance de Bressand, l'une des plus grandes Supérieures de l'Institut, en faisant remarquer à sainte J. F. de Chantal qu'on s'étonnait de ce qu'elle se laissait appeler digne Mère, se croyait sans doute encore sous le poids d'une obéissance qu'elle avait reçue vingt ans auparavant, ainsi qu'on le lit dans sa vie : « À Paris, la Sainte la choisit pour son aide spirituelle avec ordre de l'avertir très-simplement de ses défauts. »

[101] Madame de Montmorency ne se laissa point décourager par les oppositions de l'évêque de Genève, « Malgré les obstacles que l'on met à votre voyage, écrivait-elle alors à la sainte Fondatrice, Dieu fera pour moi ce que les hommes ne veulent pas m'accorder. »

[102] Ces lignes étaient ajoutées sous forme de post-scriptum à une lettre écrite par la Sœur A. M. Rosset à la Mère M. A. de Blonay.

[103] Depuis l'année 1634, toutes les permissions avaient été obtenues pour rétablissement d'un deuxième monastère de la Visitation à Rennes. Les constructions commencées peu après ne furent cependant terminées qu'en juillet 1641, époque où les Religieuses fondatrices allèrent en prendre possession. Ce fut au prix d'énormes sacrifices que la Mère M. -Renée de Guéroust et sa communauté avaient conduit à bonne fin cette difficile entreprise. Aussi sainte. J. F. de Chantal, s'associant aux sollicitudes de la digne Supérieure, lui écrivait-elle dans une lettre dont ce fragment seul a été conservé : « Que vous reste-t-il de fonds et de revenu, ma chère fille, pour nourrir les colombes qui vous restent dans l'ancien colombier, après avoir fait un si beau bâtiment, une si grande et belle dépense ? Il a bien fallu que Notre-Seigneur ait tendu la main de son divin secours il votre maison pour y avoir pu fournir. Je ne serai donc pas en peine de vos dettes, mais bien consolée que vous n'aimiez point à devoir. C'est un très-grand bien de ne point engager les maisons ; il vaut mieux pâtir quelque chose. » (Histoire de la fondation du deuxième monastère de Rennes.)

[104] On lit dans un ancien manuscrit de la Visitation d'Annecy : « Notre sainte Mère avait bien de la compassion de sa petite-fille de Chantal, la voyant si jeune orpheline de père et de mère ; et quoique cette petite demoiselle demeurât fort riche et que ce fût un fort bon parti, la Sainte souhaitait qu'elle se fit Religieuse et priait Dieu pour cela, et ne perdait pas espérance que cela fût. Elle dit une fois fort gracieusement qu'elle offrait tous les jours à Dieu ses petites-filles de Toulonjon et de Chantal, et elle ajoutait : « Pour Gabrielle (de Toulonjon), je n'ose pas demander qu'elle soit Religieuse, parce qu'elle est à sa mère, qui ne le voudrait pas ; mais pour la petite de Chantal qui n'a point de mère, je l'offre de bon cœur à Dieu, et je suis consolée de le faire, me semblant que je lui fais un prou joli présent. » On sait que les vœux de sainte J. F. de Chantal n'ont pas été exaucés et combien ses inquiétudes maternelles au sujet de l'établissement de ses deux petites-filles furent tristement réalisées. Gabrielle de Toulonjon épousa en 1643 le trop célèbre comte Roger de Bussy-Rabutin, dont les brillantes qualités dissimulaient de tristes défauts. Elle décéda en 1646, laissant trois filles : deux se firent Religieuses, et la troisième devint marquise de Coligny. Marie de Chantal épousa, en 1614, un gentilhomme breton, le marquis de Sévigné, bien dépourvu, pour son malheur et celui de sa jeune femme, des qualités tant souhaitées par la Sainte. Il mourut huit ans plus tard des suites d'une blessure reçue en duel, laissant deux enfants : Françoise-Marguerite, si connue sous le nom de madame de Grignan, et Charles, qui n'eut pas de postérité.

[105] La vocation de mademoiselle de La Fayette appartient si fort au domaine de l'Histoire qu'il est superflu d'en rappeler ici les circonstances providentielles. Douce et pure colombe, elle s'envola de sa famille à la cour, et de la cour au désert de la Religion (19 mai 1637), sans que sa blancheur fût souillée en traversant des régions funestes à l'innocence et à la piété.

Le premier monastère de la Visitation de Paris admira bientôt la puissance de la grâce en cette âme d'élite. La vénérable Mère de Fontaine, alors maîtresse des novices, a pu rendre le témoignage suivant du premier essai de mademoiselle de La Fayette dans la pratique des vertus religieuses : « Elle s'est donnée parfaitement à Dieu dès son commencement. Son cœur et son esprit furent de saintes victimes qu'elle immola si entièrement qu'il ne lui resta rien, pour ainsi dire, du propre amour ; tout en elle fut sacrifié à Dieu par un parfait holocauste... On était surpris qu'une personne élevée dès sa plus tendre jeunesse au milieu de la cour en eût si tôt oublié les principes... » — « Les œuvres pénibles et basses (disent les anciens Mémoires), balayer le monastère, laver la vaisselle, servir les malades, aider aux lessives, etc., etc., étaient ses occupations favorites. Jamais elle n'était plus contente que lorsqu'elle avait la hotte sur le dos. Son premier emploi fut le soin de la basse-cour. À la voir courir joyeusement les sabots aux pieds, après la poule et ses poussins, on eût dit un chercheur de perles. » Elle trouva en effet la plus précieuse de toutes, l'amour de l'abjection, parure d'une beauté sans égale, qui attira sur son âme les complaisances du Dieu de toute sainteté.

En 1651, saint Vincent de Paul choisit Sœur Louise-Angélique pour coopérera la fondation du monastère de Chaillot, destiné à la retraite de l'infortunée Henriette de France, reine d'Angleterre. Elle y seconda activement le zèle de la Mère Lhuillier, et à la mort de cette vénérable Supérieure fut élue pour lui succéder. Quoique toujours altérée de silence et d'oraison, elle dut s'incliner devant la marche de la Providence, à qui lui avait départi le don spécial de consoler et d'instruire les rois ». Louis XIII et Louis XIV, Charles II d'Angleterre et son malheureux successeur, Anne d'Autriche et Marie-Thérèse, vinrent tour à tour lui demander le secret de sanctifier leurs triomphes et leurs infortunes. Henriette d'Angleterre, la princesse Bénédicte, fille du prince Palatin, devenue plus tard duchesse de Brunswick ; mademoiselle d'Aumale, destinée à monter sur le trône de Portugal ; la princesse Louise-Hollandine, fille de Frédéric V, roi de Bohème, et petite-fille du roi d'Angleterre Jacques Ier, lui durent le bonheur de comprendre leurs devoirs de chrétiennes et le courage de les accomplir. Plus tard, la veuve de Jacques II, Marie-Béatrix d'Esté, allait à Chaillot pour s'y consoler d'un trône perdu et d'un sceptre à jamais brisé.

Grâce à la vigilance de la Mère de La Fayette, les apparitions successives de ces grandeurs terrestres ne portèrent aucune atteinte à l'esprit de ferveur et de pénitence. Le monde, au contraire, aimait à publier que « ce monastère était un séjour de sainteté, que la régularité y était admirable, qu'on y voyait un miracle d'amour de la retraite, de simplicité et de mépris du monde, au milieu du monde même ». Surtout on ne se lassait pas d'admirer les vertus de l'éminente Supérieure, dont la vie était vraiment angélique. À l'imitation de saint François de Sales, « elle n'étouffait pas les passions, elle les épurait ; elle n'éteignait pas la sensibilité, elle l'alimentait au foyer de l'amour divin ; elle se perdait en Dieu pour ne pas s'égarer parmi les créatures... Diriger, concentrer toutes les vives forces de son être vers un but que la foi seule lui montrait, se soutenir toujours à la même hauteur sans chute et sans fatigue ; se mêler aux agitations du monde, sans les partager ; à ses passions, pour les combattre et les redresser ; à ses misères, pour les plaindre et les soulager », telle a été la conduite de la Mère L. A. de La Fayette au milieu de la cour et dans l'obscurité de son cloître.

Mais, si élevée que fût cette âme, elle ne pouvait être à l'abri des orages de la calomnie. L'épreuve vint donner à ses vertus un dernier degré de perfection, et révéler à tous que les blâmes les plus injustes ou les témoignages d'admiration étaient aux yeux de sa foi une seule et même chose.

L'élection de 1664, qui rappela cette digne Mère au gouvernement du monastère de Chaillot, sembla n'être pour elle que le prélude du triomphe éternel. L'Époux divin la couronna le 11 janvier 1665. (Histoire de la fondation du premier monastère de Paris. Année Sainte, IVe volume.)

[106] « Notre communauté ayant à faire élection en cette année 1641 (dit l’Histoire de la fondation de Moulins), par un mouvement unanime élut notre Vénérable Fondatrice ; mais cette digne Mère ayant absolument refusé, on attendit son arrivée à Moulins pour procéder à une nouvelle élection, et pendant cet intervalle, notre Sœur M. -Marguerite Dubuysson fut nommée assistante-commise. L'humilité, l'amour du silence et de la vie cachée étaient les traits caractéristiques de cette âme, dont Dieu s'était plu jusque-là à favoriser les désirs, et qui obtint bientôt par ses prières la grâce de rentrer dans l'aimable condition d'inférieure. L'élection de 1666 lui imposa un sacrifice plus pénible encore que le premier, en l'appelant à remplacer la Vénérable Mère de Montmorency dans le gouvernement du monastère de Moulins. » La Mère M. -Marguerite marcha fidèlement sur les traces de sa sainte devancière, que bientôt elle rejoignit dans la gloire.

[107] Cette lettre commune, demeurée si longtemps en route, avait été écrite le 19 mai : elle annonçait à la Sainte son élection au monastère de Moulins, et le désir que témoignait madame de Montmorency d'entrer prochainement au noviciat.

[108] En devenant l'humble postulante de la Visitation, la duchesse de Montmorency avait voulu, non-seulement abdiquer ses titres de noblesse, mais encore changer son nom de baptême contre celui qu'elle devait recevoir avec le voile sacré. Nommée Marie-Félice, du nom de Marie de Médicis et de Félix Peretti (Sixte-Quint), son oncle maternel, elle désira, dès son entrée au noviciat, n'être plus appelée que Sœur M. -Henriette.

[109] La Mère de Fontaine, une des gloires de l'Ordre de la Visitation, était issue de parents calvinistes honorés de la confiance de Henri IV. Grâce au zèle du Révérend Père Jérôme Lallemant, Jésuite, elle abjura l'erreur, à peine âgée de quatorze ans. Les luttes intimes qui préparèrent sa conversion, l'étude approfondie qu'elle dut faire pour dissiper les préjugés de son esprit, les sacrifices acceptés pour être fidèle aux maximes évangéliques, avaient mûri son jugement, trempé son caractère, et fait germer en son âme une forte vocation de vierge et d'apôtre. Entrée au premier monastère de Paris (1628), « elle prouva bientôt, disent les anciens Mémoires, que son cœur était comme un autel qui conservait toujours le feu sacré ; elle en devint l'heureuse victime, et en fit passer quelques étincelles dans un grand nombre, d'âmes qu'elle gagna à Jésus-Christ ».

Le premier labeur offert à son zèle fut la réforme de l'abbaye de la Perrine, au diocèse du Mans. Après y avoir rétabli l'observance monastique, elle rentra dans sa communauté et bientôt dut accepter la direction d'un noviciat nombreux et florissant. De ses vingt-cinq disciples, douze, élues Supérieures dans l'Institut, y maintinrent la pureté de l'esprit et des vertus de saint François de Sales, pendant que d'autres se sanctifiaient au premier monastère dans une vie de pénitence et de prière. On remarquait entre toutes la princesse Hamilton, connue sous le nom de Sœur Paule-Marie, dont l'unique ambition semblait être de s'effacer autant qu'elle avait brillé dans les cours d'Écosse et d'Angleterre. — La sagesse de la Mère de Fontaine qui s'éclairait dans une constante et intime union avec Dieu, la puissante charité qui faisait jaillir de son cœur un admirable mélange de douceur et de force, de prudence et de simplicité, de fermeté et d'indulgence, l'inflexible et loyale franchise de sa conduite qui l'élevait au-dessus de toute considération personnelle quand il s'agissait d'accomplir un devoir, lui méritèrent la confiance de la communauté, qui l'élut Supérieure en 1641. Les plus illustres dames de la cour, Anne d'Autriche, de grands prélats recouraient à ses conseils. M. Olier, le Père Nouet et plusieurs autres célèbres Jésuites lui vouèrent une profonde estime, u Saint Vincent de Paul, qui l'avait vue agir en certaines occasions difficiles, allait jusqu'à dire qu'un ange n'aurait pu s'y comporter avec plus de vertu. — En 1649, après avoir présidé à la fondation de Compiègne, la Mère de Fontaine eut à s'occuper de celle de Chaillot. Trois ans plus tard, menacés par les troubles de la Fronde, les monastères de Meaux, Saint-Denis, Chaillot et Dammartin lui demandèrent un refuge. Elle les accueillit avec un amour tendrement généreux, obtint des miracles de préservation en faveur des quatre communautés réunies, et la multiplication des choses nécessaires à leur existence. Son industrieuse charité ne connaissait point de bornes. À l'exemple du Sauveur, « elle faisait du bien à tous », et semblait être partout l'instrument de la divine miséricorde. Les pauvres monastères de la Visitation eurent la plus large part à ses libéralités et à son dévouement.

En 1664, une difficile mission fut confiée à ce cœur apostolique. Louis XIV et Mgr Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, justement alarmés de voir le jansénisme « retranché à Port-Royal comme dans sa forteresse », lui ordonnèrent de s'y rendre pour essayer de soumettre les Religieuses à l'autorité de la sainte Eglise romaine. L'erreur s'étant enracinée dans les intelligences à l'aide de tous les subterfuges qu'imaginaient les chefs du parti, la victoire devenait difficile. Plusieurs obstinées refusant de signer le Formulaire, durent quitter l'abbaye ; cependant, bon nombre d'âmes dociles réjouirent la Mère de Fontaine, qui, après quinze mois de rudes labeurs, les laissa résolues de mourir plutôt que d'abandonner les croyances catholiques. Malgré les instances du Roi, elle refusa constamment le titre d'abbesse et se hâta de rentrer sous les humbles lois de son Institut.

D'autres conversions remarquables, dues à la sagesse de cette digne Supérieure, firent proclamer bien haut qu'elle avait hérité de sainte J. F. de Chantal le secret de l'intuition des âmes et le zèle à les diriger : zèle universel qui s'étendait à toutes sans exception ; zèle sage qui n'exigeait pas les mêmes vertus de renoncement et de sacrifice, mais qui, proposant la perfection à acquérir, y conduisait par des roules proportionnées a l'attrait, aux forces de chacune ; zèle tendre et généreux qui, loin de s'indigner, portait compassion à la faiblesse et sacrifiait volontiers ses satisfactions personnelles au bien, à la tranquillité, à la consolation d'autrui ; zèle actif et patient qui attendait, pressait, punissait, consolait à propos, sans se laisser dominer ni par le respect humain ou une coupable timidité, ni rebuter par les fatigues, ni décourager par l'insuccès d'un travail assidu ; zèle parfaitement désintéressé, dont Dieu seul était l'inspirateur, le mobile et la fin.

Bien loin de se glorifier des hommages unanimes qu'on rendait à ses vertus et à son mérite, « la sainte Supérieure en prenait occasion (disent les contemporaines) de s'abîmer dans le centre de son néant, car elle était de ces âmes dont parle Isaïe, lesquelles ne voyant plus que Dieu, lui réfèrent tout l'honneur qu'elles reçoivent des créatures, persuadées que la grâce a pu seule opérer les œuvres qui leur attirent des applaudissements ».

Les croix, les contradictions de toutes sortes ne manquèrent pas cependant à cette fidèle servante du Seigneur ; mais les flots de la tribulation, loin de submerger sa grande âme, ne servirent qu'à l'élever toujours davantage dans les régions de la foi et de l'espérance : son amour triompha de tout. Le 29 septembre 1694, après une carrière de quatre-vingt-six ans, dont trente-trois furent consacrés au gouvernement du premier monastère de Paris, la Vénérable Mère de Fontaine s'endormit dans le Seigneur. Elle emporta les regrets de tout l'Ordre de la Visitation, dans lequel, selon la parole d'un grand évêque, sa mémoire mérite d'être éternelle. (Vie de la Vénérable Mère Louise-Eugénie de Fontaine.)

[110] Voir dans les Mémoires de la Mère de Chaugy (page 312) quelques détails sur le départ de la Sainte et son dernier voyage en France.

[111] Dans l'édition de la Mère de Blonay, cette lettre (la 127e du IIe livre) contient un paragraphe qu'on a dû retrancher ici, vu qu'il est la reproduction du commencement de la lettre précédente dont l'original est conservé.

[112] Fidèle disciple du divin Maître, la Mère C. M. Rochette, professe du monastère de Saint-Étienne, « avait découvert dès son commencement, à la lumière de la grâce (disent les anciens Mémoires), l'excellence inestimable de la sainte vertu d'humilité, et n'oublia rien pour posséder cette pierre précieuse qui est le fondement de la sainteté. Son intérieur et son extérieur ne respiraient qu'abaissement et humiliation, car elle s'étudiait de tout son pouvoir à vivre toute cachée et inconnue avec Jésus-Christ. Mais Dieu, qui l'avait destinée à être une digne Supérieure, voulut lui remettre le soin de cette communauté qu'elle a gouvernée avec beaucoup de sagesse et de prudence. Le zèle constant qu'elle mit à pratiquer la mortification et le recueillement la conduisit assez lot à l'oraison de quiétude, puis à celle d'union et enfin à une très-haute contemplation, où il ne lui restait presque d'autre action que celle d'un suave acquiescement aux opérations divines. Quelque temps avant son bienheureux décès, Dieu la mit dans un état de pure souffrance, où elle ne laissait pas de jouir d'une profonde paix, ne respirant qu'une entière séparation de tout le créé. Ce fut le 14 mars 1660 que cette belle âme quitta la terre pour entrer dans la joie de son Seigneur. » (Histoire de la fondation de Saint-Étienne.)

[113] « La Mère F. M. Ariste, professe du premier monastère de Paris dès 1623, était fille de condition (dit la Mère de Chaugy), et joignait à cet avantage ceux de la beauté, de l'excellente mémoire, de la bonne et douce humeur, de l'agréable voix et d'une facilité à bien parler si grande, qu'on la nommait la belle éloquente. Sa générosité a suivre l'appel de Dieu la fit cacher dans le cloître où Dieu la cacha tellement à elle-même, qu'elle ne voyait que difformités en son âme ; aussi ne se chercha-t-elle jamais plus que pour s'abattre, s'anéantir et se détruire. Aussitôt après sa profession, Notre-Seigneur lui montra que, par un retour d'amour pour ses trois vœux, Il voulait se lier à elle par trois présents de son Cœur, qui lui seraient fort profitables : le don d'oraison intérieure, celui de la mortification de tous les sens et de l'esprit, et celui d'une longue infirmité corporelle. » Cette infirmité n'empêcha pas cependant Sœur F. -Madeleine d'être envoyée à la fondation du deuxième monastère de Paris, puis à celle de Troyes, « où elle s'est rendue très-utile, et où Dieu a consommé la perfection en sa bénite âme. Elle fut élue Supérieure après la Mère C. M. Amaury, et servit pendant douze ans la maison de Troyes avec tant de vertu, de perfection et de bonheur, que sa mémoire y sera en perpétuelle bénédiction. » (Année Sainte, VIe volume.)

[114] La Mère Françoise-Jacqueline de Musy, professe d'Annecy et déposée de Montargis, fut alors élue à Moulins.

[115] Les habitants de La Roche, petite ville située à quatre lieues d'Annecy, étaient allés en pèlerinage au tombeau de saint François de Sales.

[116] Le Ciel qui prédestinait cette Religieuse à devenir un des fermes soutiens, une des brillantes lumières de l'Ordre de la Visitation, lui avait départi les dons éminents de nature et de grâce qui constituent un grand et beau caractère.

Elle naquit en Bourgogne le 1er janvier 1611, d'une ancienne famille « illustrée par plusieurs personnages remarquables donnés à. l'Eglise et à l'État ». Une éducation brillante faillit ruiner les plans divins sur son avenir. Éblouie des hommages prodigués de toutes parts à la rare distinction de sa personne, à la culture de son esprit toujours occupé de littérature, de musique et de Latin, etc., etc., elle ne tarda pas à devenir esclave de la vanité. En 1628, sainte J. F. de Chantal, providentiellement conduite au château d'Alonne, résidence ordinaire de sa fille madame de Toulonjon, y trouva mademoiselle de Chaugy brisée sous le poids d'une affection contrariée. De son œil pénétrant, la Sainte découvrit bientôt sur ce front voilé de tristesse le sceau dont Dieu marque les âmes créées pour de grandes œuvres, et résolut de lui conquérir celle-ci. Un voyage à Annecy fut aussitôt accepté que proposé ; mais à la condition expresse qu'il ne serait jamais parlé de vocation religieuse. Le Seigneur s'était réservé la victoire ; elle fut si complète que bientôt « la fière damoiselle » entrait au noviciat. « Quels combats (disent les contemporaines) n'eut pas à se livrer cette nature plutôt impérieuse que tendant à l'impériosité, ce cœur passionné pour le beau, intrépide au combat, renversant tous les obstacles opposés à ses projets, quand il fallut greffer sur ces qualités naturelles l'esprit doux et humble de l'Evangile ! »

Sainte de Chantal, ravie des premiers pas de la nouvelle Religieuse dans les voies de la perfection, appréciait vivement le don fuit en sa personne à l'Institut naissant ; aussi, pour la préparer à la mission que Dieu lui destinait, la choisit-elle bientôt pour secrétaire. Dix ans de la plus étroite intimité avec une Sainte « au caractère juste, grand, fort et tempéré », l'étude assidue de l'Écriture sainte, la lecture des œuvres de son Bienheureux Père, trésors d'onction et de doctrine, servirent merveilleusement à développer les aptitudes de Sœur Françoise-Madeleine et à favoriser l'éclosion de ses heureux talents d'écrivain. Bientôt parut en manuscrit I'Histoire des fondations, récit des merveilles opérées par le Cœur de Jésus en faveur de la Visitation et des sublimes vertus qui marquèrent les premiers jours de cet Ordre. Aux quatre volumes des Vies des premières Mères, imprimés sur le désir du Pape Alexandre VII, succéda 1'Année Sainte, ouvrage resté inachevé pendant deux siècles, et complété dans ces dernières années, sinon avec le talent de l'auteur, du moins avec le même désir de glorifier Dieu.

En 1641, lorsque la Visitation pleurait sa Fondatrice, la fidèle secrétaire fit plus que donner des larmes à cette sainte mémoire : elle entreprit de la conserver à la postérité, et sous l'inspiration de son cœur filial parut l'admirable biographie qui forme le premier volume de cette publication.

Élue en 1647 pour gouverner la communauté d'Annecy, la Mère de Chaugy étendit son influence aux cent six monastères que comptait alors la Visitation : tous recouraient à ses conseils, et, sans se lasser jamais, elle répandait abondamment sur chacun lumière, fécondité, chaleur. Mais l'œuvre par excellence de la grande Supérieure, celle qui doit immortaliser son nom, c'est la reprise et l'achèvement du procès de canonisation de saint François de Sales, procès deux fois interrompu par défaut de formalités. Ce qu'il lui en coûta de peines, de travaux, de sacrifices, de filiale obstination, reste à jamais le secret de Dieu. Elle rédigeait des mémoires, soutenait le zèle des commissaires apostoliques, servait de greffier dans les enquêtes, nourrissait les paysans qui venaient en foule déposer sur les grâces reçues par l'intercession du Serviteur de Dieu (sans compter les quatre-vingts et même cent personnes étrangères qui travaillaient aux procédures), obtenait des miracles pour subvenir aux énormes dépenses faites en cour de Rome, et tout cela sans interrompre une prodigieuse correspondance, sans négliger les nombreux devoirs de la supériorité, sans abandonner son travail d'annaliste de l'Institut.

Après quinze ans d'un héroïque dévouement, ses efforts étaient couronnés et saint François de Sales placé sur les autels (1661).

La glorification du B. Évêque de Genève devint comme le signal des épreuves de la Mère de Chaugy. Jusqu'alors son zèle, ses talents, sa personne avaient excité l'admiration des hommes et provoqué d'unanimes applaudissements : ses souffrances et ses humiliations devaient désormais réjouir les Anges, et donner à sa vertu l'onction qui la divinise. « Des murmures ingrats s'élèvent contre elle : on lui reproche son activité, son ardeur même pour les intérêts de l'Ordre et de son glorieux Fondateur ; on lui fait un crime des livres écrits par obéissance, et de l'influence que lui ont acquise tant de mérites et de succès. » Le flot grossissant de la calomnie monte jusqu'au trône de Charles-Emmanuel II ; un ordre d'exil en émane et relègue l'éminente Supérieure dans le monastère de Seyssel, le plus pauvre de l'Institut (1664). « On vit alors ce qu'on avait ignoré, que sa vertu surpassait son génie. » — « Dieu seul qui voit les cœurs et qui en pénètre le fond, écrivait-elle un jour, sait que le mien est fort tranquille parmi toutes ces traverses. Et pourquoi se troublerait-il, puisqu'il a mis toute son espérance en Dieu seul, qui n'abandonne jamais la vérité ?... Oui, je voudrais mal à mon cœur s'il avait fait jeter à ma bouche un seul soupir et verser à mes yeux quelques larmes dans cette pénible conjoncture !... »

La haine et l'envie poursuivent la généreuse victime au monastère de Montferrand qui l'a élue Supérieure. On va jusqu'à mettre en doute son orthodoxie, à lui interdire l'usage des sacrements, à l'expulser !... Rentrée au monastère de Seyssel, elle le quitte bientôt pour gouverner ceux de Crest et de Carpentras, qu'elle sauve d'une ruine certaine. C'est alors que la duchesse de Savoie, devenue régente par la mort de son époux Charles-Emmanuel II, lui ordonna de se rendre à la Visitation de Turin, afin de recourir plus facilement à ses lumières et à ses conseils. La jeune souveraine pouvait-elle oublier tout ce que la grande Religieuse avait communiqué de force, de sagesse et de résignation à sa mère Élisabeth de Vendôme aux jours de l'épreuve ? Entourée de la vénération de la régente, des respects de toute la cour, la Mère Françoise-Madeleine se montra ce qu'elle avait toujours été, une vraie fille de saint François de Sales.

Enfin le calice des douleurs était épuisé. Le ciel se prononçant si hautement en faveur de l'innocence persécutée, chacun voulut devancer l'heure des suprêmes réparations. Alors brilla de nouveau la grandeur d'âme de celle illustre opprimée, qui s'empressa de répondre aux auteurs de son long et douloureux martyre : Tout est pardonné, tout est oublié !...

L'heure des éternelles récompenses sonna pour la Mère Françoise-Madeleine de Chaugy le 7 septembre 1680. Dix-huit mois après, sa dépouille mortelle fut trouvée sans corruption, exhalant une odeur très-suave, symbole du parfum de sainteté qui reste pour jamais attaché à son nom et au souvenir de ses sublimes vertus. (Archives de la Visitation d'Annecy.)

[117] M. Marcher, confesseur du premier monastère d'Annecy, qui accompagnait la Sainte en son voyage, avait été remplacé momentanément par M. Pioton.

[118] À l'école du divin Maître, Sœur Anne-Françoise comprit de bonne heure cet oracle sacré : le grain de froment pour germer et porter beaucoup de fruits doit tomber dans le sillon et mourir. C'est au premier monastère d'Annecy que s'opéra le travail préparatoire à la riche moisson de mérites qui fera éternellement la gloire de cette vraie fille de la Visitation. Originaire de la Bourgogne, mademoiselle de Prâ, par suite des guerres qui désolèrent cette province, dut se réfugier en Savoie. Bientôt elle vint se jeter aux pieds de sainte J. F. de Chantal, qui développa si habilement les dons surnaturels cachés dans ce cœur généreux, qu'à la sollicitation des Supérieurs de Besançon, la Mère de Blonay n'hésita pas à l'accorder pour gouverner la fondation de Dôle (1646). Cette œuvre accomplie au prix de rudes labeurs commençait à offrir des consolations, lorsque le monastère d'Annecy rappela subitement la Mère Anne-Françoise pour lui confier une entreprise plus difficile encore : la fondation de Varsovie préparée par la reine Marie de Gonzague, épouse de Jean-Casimir. L'humble Mère entrevit les croix sans nombre attachées à cette mission lointaine ; mais, abandonnée sans réserve au divin bon plaisir, elle partit en 1653, accompagnée de Sœur M. -Madeleine de Grandmaison, professe de Rumilly, et de quelques Sœurs de Troyes.

Les difficultés qu'offrit le voyage paraissent à peine croyables : l'état désolant de l'Allemagne à cette époque ne permettant pas aux Religieuses de traverser ces contrées, il leur fallut se diriger vers le Nord. À peine furent-elles embarquées à Dieppe que tout sembla conjuré pour anéantir les passagers : lutte contre les corsaires qui capturèrent hardes et provisions, mauvais traitements de ces pirates, tempête affreuse suivie d'un incendie plus effroyable encore, dure captivité en Angleterre où les débris du vaisseau allèrent échouer, telles sont les tribulations qu'eut à endurer la petite colonie, Grâce à la protection de la reine Marie de Gonzague, les prisonnières recouvrèrent la liberté et se rendirent a Calais.

De graves maladies les ayant réduites aux portes de la mort, elles ne purent profiter du départ d'un navire qui devait les transporter en Pologne. Ces épreuves et les humiliations qui les accompagnèrent furent suivies d'autres épreuves plus amères encore : la courageuse Mère de Prâ, accablée de censures injustes, de blâmes immérités, de noires calomnies, ne trouva aucun appui dans les personnes qui auraient dû la soutenir et la défendre. On put dès lors admirer plus que jamais les héroïques vertus de cette fidèle compagne de la Passion du Sauveur. À l'exemple du divin Modèle, elle ne proféra aucune plainte, aucune parole de justification, laissant à la sagesse éternelle de faire connaître son innocence. Peu après, le titre et la charge de Supérieure de la fondation de Varsovie furent donnés à Sœur M. C. de Glétain. (Voir la note de la lettre MDI, tome IV des Lettres.)

La Mère Anne-Françoise, qui avait été accueillie avec bonheur au monastère d'Amiens, dut le quitter en 1656 pour aller gouverner celui de Bordeaux. Les merveilles que le ciel y opéra par son entremise rappellent les prodiges accordés à la foi d'un saint François de Paule et d'une sainte Colette.

Après six nouvelles années de supériorité à Dole, elle fut élue à Tours (1676). Là était la dernière station de son douloureux pèlerinage. Un séjour de quelques mois suffit aux Religieuses pour admirer en leur vénérable Mère une âme dépouillée des faiblesses de l'humanité, vivant, parlant, se taisant, par le seul mouvement de la grâce, qui ne l'avait élevée à ce degré sublime de perfection qu'en la faisant passer par « la vive mort des sens, de l'esprit et du cœur ». (Année Sainte, Ve volume.)

[119] Madame de Toulonjon, retenue à Alonne par la maladie et la mort de sa belle-sœur, madame de Chaugy, se hâta, dès qu'elle fut libre, d'accourir à Moulins auprès de sa sainte Mère, y passa une partie du mois de septembre et l'accompagna à Paris. Vers la fin de novembre, sachant que la Sainte effectuait son retour de Paris et approchait de Nevers, madame de Toulonjon alla à sa rencontre et la reconduisit à Moulins.

[120] La Mère Paule-Jéronyme, après avoir inutilement sollicité la Sainte d'aller visiter sa communauté de Blois, avait obtenu la permission de se rendre à Paris pour la consulter sur quelque affaire importante. La même faveur ayant été accordée à plusieurs Supérieures des monastères voisins, elles se trouvèrent réunies au nombre de dix ou douze autour de leur Bienheureuse Fondatrice, qui leur parut consommée en sainteté. « À sa voix, dirent-elles unanimement, la vraie sagesse entrait dans nos cœurs, et la science de Dieu plaisait à nos âmes » (Archives de la Visitation d'Annecy.)

[121] Sœur Geneviève-Dominique, sourde et presque muette, était si vertueuse qu'on la considérait « comme un trésor du ciel et un aimant sacré qui attirait les célestes bénédictions sur le monastère de Meaux ». Elle reçut ce billet par l'entremise de sa Supérieure, qui avait eu le bonheur d'aller voir la Sainte pendant son séjour à Paris.

[122] La Mère Barbe-Marie Bouvart était du nombre des Supérieures qui se rendirent à Paris pour conférer avec la Sainte.

[123] Le 11 novembre, la Sainte quitta Paris « où, d'après les contemporaines, elle avait paru comme le soleil qui ranime ses feux en s'abaissant sur l'horizon, et semble projeter à son couchant une plus vive lumière. La vieillesse de cette Bienheureuse Mère avait le doux éclat du soir d'un beau jour. Dans chacun de ses actes on voyait un reflet de la sagesse et de la force de Dieu ». Sous la double action de l'amour divin et de la pénitence, son être tout entier se transformait en Jésus-Christ. Ce triomphe de la grâce éclata surtout dans l'insensibilité que montra la Sainte au milieu de l'empressement et des honneurs dont elle fut l'objet en ce dernier voyage. Telle était la foule de ceux qui voulaient la voir, l'entendre, la consulter, qu'elle était obligée de se lever dès trois heures du matin pour trouver le temps de vaquer à ses exercices de piété. Au lieu de s'étonner comme autrefois des témoignages d'une vénération souvent indiscrète, on la voyait ne plus même s'en apercevoir, donner sa bénédiction à quiconque la réclamait, abandonner ses mains à tous ceux qui les voulaient baiser. Absorbée en Dieu, morte à tout ce qui n'est pas Lui, sa pensée ne redescendait vers la terre que pour tout reporter au ciel.

Mais, ainsi surnaturalisée, l'âme de la Sainte n'avait rien perdu de sa tendresse. Chacun remarquait au contraire que plus elle s'approchait du foyer de l'éternel amour, plus elle y puisait de nouveaux trésors de charité. Toute personnalité terrestre disparaissant à ses yeux, elle ne voyait plus que l'action et l'image divine dans les âmes ; elle les aimait en Dieu, d'une ardeur toute céleste, et n'aimait que Dieu en elles. C'est pourquoi jamais son cœur ne s'était montré plus affectueux à l'égard du premier monastère de Paris, où la grâce produisait des fruits abondants de justice et de sainteté. Les Religieuses pressentaient que cette visite de leur Bienheureuse Mère serait la dernière ; et, comme si elle en eût eu la certitude, la Sainte leur dit en les quittant : « Adieu, mes filles, adieu, mes chères filles, jusqu'à l'éternité ! »

[124] Dès son retour à Moulins, la Sainte était résolue de se consacrer uniquement à former la duchesse aux grands devoirs de la vie religieuse. « Je ne veux plus m'occuper, avait-elle dit, que de conduire au Fils de Dieu la nouvelle Épouse qu'il me confie. Je ne négligerai rien pour la parer à ses yeux de tous les ornements du salut, s'il y a pourtant à ajouter aux admirables traits qu'il a mis en elle de sa divine main ». Dieu ne lui laissa pas le temps de réaliser ce projet. Saisie presque aussitôt de la maladie qui devait l'enlever à la vénération de son Ordre, la Bienheureuse Fondatrice ne put que donner ses derniers conseils à la duchesse et lui fit adopter les trois résolutions suivantes : 1° Restituer à sa famille la dot qu'elle en avait reçue. — 2° Ne pas rendre opulent le monastère de Moulins, de peur que l'esprit de mortification et de pauvreté fût exposé à se perdre au milieu du bien-être. — 3° Retarder sa prise d'habit jusqu'à l'entière conclusion de ses affaires temporelles. Ce retard que l'on pensait alors devoir n'être que de quelques mois se prolongea jusqu'au 30 septembre 1657. Le 6 octobre de l'année suivante la princesse prononça les vœux sacrés. Élue Supérieure du monastère de Moulins en 1665, elle ne le gouverna qu'une année ; mais ce fut suffisant pour prouver à tous qu'elle avait hérité du cœur et de l'esprit de sainte J. F. de Chantal. (Histoire de la fondation de Moulins.)

[125] Quoique dans l'édition de la Mère de Blonay cette lettre soit datée de 1638, la Vie manuscrite de la Mère de Chaugy, dont elle est fidèlement extraite, assure au contraire qu'elle fut « comme le dernier adieu que la Vénérable Fondatrice vint dire à sa chère fille, étant décédée à quelques jours de là ». D'ailleurs, la Vie imprimée donne positivement la date du 5 décembre 1641.

[126] Pour se rendre compte des retouches que la Mère de Blonay a fait subir aux Lettres de sainte J. F. de Chantal, il suffit de comparer celle-ci, qui est une reproduction exacte de l'original, avec l'épître 120e du IIIe livre de l'édition de 1644.

[127] Sainte J. F. de Chantal était à la veille de son bienheureux trépas quand elle adressa aux Religieuses de la Visitation ces conseils maternels dont la pratique assurera la ferveur et la prospérité de leur Institut.

On a vu dans les Mémoires de. la Mère de Chaugy comment, peu après son retour à Moulins, cette grande Servante de Dieu fut saisie d'une violente fièvre qu'elle reconnut être « la clameur annonçant la venue de l'Époux ». Il ne devait plus se faire longtemps attendre. Le 13 décembre, un vendredi, entre six et sept heures du soir, la sainte malade entendit la parole si désirée : « Voici l'Époux qui vient ! » — « Je m'en vais, répondit-elle, Jésus ! Jésus ! Jésus ! » et en prononçant ce Nom sacré « elle acheva de mourir, pour commencer de vivre et de paraître en la vraie vie, avec Jésus en gloire ».

La duchesse de Montmorency fit embaumer le saint corps qu'elle révérait comme le tabernacle où l'Esprit de Dieu s'était complu à faire sa demeure. Elle fut la première à vénérer les caractères sacrés du nom de Jésus que la main de cette Femme forte avait autrefois gravés sur sa poitrine avec un fer rougi au feu ; et bientôt elle put visiblement contempler, non sans d'indicibles émotions, « le grand cœur qui avait battu près de ces héroïques stigmates ».

Malgré les efforts et les protestations réitérées des magistrats de Moulins, malgré les réclamations plus vives encore du monastère, la princesse voulut renvoyer à Annecy la dépouille mortelle de la Vénérable Mère de Chantal. Pendant que la ville entière se pressait à lui rendre les honneurs funèbres, on craignit un instant l'intervention de Louis XIII qui offrait au premier monastère de Paris de lui faire apporter le précieux dépôt ; mais, par un désintéressement au-dessus de tout éloge, les Religieuses respectèrent les désirs de leur Bienheureuse Fondatrice qui avait assuré que vive ou morte elle retournerait à Annecy reposer aux pieds de son glorieux Père, saint François de Sales. Ses restes vénérés y furent conduits avec respect par les soins de la duchesse de Montmorency. Bientôt des miracles éclatants prouvèrent combien était juste la vénération de l'Europe entière pour la mémoire de l'humble et grande Fondatrice de l'Ordre de la Visitation !

[128] Pendant toute sa longue carrière religieuse, Sœur Jeanne-Marie de Fontany se montra digne du bonheur qu'elle avait eu de recevoir le voile sacré des mains de saint François de Sales. Elle passa cinquante-quatre ans, tant au monastère d'Annecy qu'à celui de Seyssel, à cueillir, selon la parole du même Saint, les humbles et petites vertus qui croissent au pied de la croix, entre autres la patience dans de longues infirmités et l'amour de la vie humble et cachée en Dieu avec Jésus-Christ. (Livre des Vœux du premier monastère d'Annecy.)

[129] La Mère Garin, qui, au témoignage des anciens Mémoires, « exprimait son nom d'Angélique en toute sa conduite intérieure et extérieure », avait été reçue au premier monastère d'Annecy en 1627, et envoyée trois ans plus tard à celui d'Arles, où elle remplit d'abord la charge de maîtresse des novices, puis celle de Supérieure. Sainte J. F. de Chantal la rappela à Annecy en 1641, et dit « que cette aimable fille était revenue encore plus angélique qu'elle ne s'en était allée, ayant fait un très-grand progrès dans la voie intérieure, nue, simple et fidèle où Dieu l'avait établie dès son noviciat ». Élue cette même année au monastère de Paray-le-Monial, l'humble Religieuse avança sans relâche dans le sentier des justes comme une aurore resplendissante, et ne cessa d'y croître jusqu'à la perfection du jour éternel, qui brilla pour elle le 14 septembre 1645.

[130] Sœur Anne-Françoise de Montrambault, nièce de madame de Vigny, n'avait que dix ans lorsqu'elle entra avec sa tante au monastère de Dijon en qualité de bienfaitrice. Toujours cette âme fervente réalisa la parole que prononça sainte J. F. de Chantal en lui donnant le petit habit : « Voici un trésor de vertus, et si Dieu donne vie à cette chère fille, elle sera une fille de bénédictions et d'utilité très-grande à la Religion. » Le Seigneur la tint pendant plusieurs années sur la croix, par de continuelles et pressantes infirmités, ce qui ne l'empêcha pas de remplir les principales charges du monastère et même d'être élue Supérieure à Semur, où elle décéda le 29 août 1669. (Année Sainte, VIIIe volume.)

[131] Sainte J. F. de Chantal a fait elle-même un magnifique éloge de cette Religieuse en assurant qu'elle n'avait jamais connu d'âme plus semblable à la sienne. Comme la Bienheureuse Fondatrice, Sœur Françoise-Dorothée dut passer la plus grande partie de sa vie « dans les angoisses spirituelles qui rendent l'amour extrêmement pur et net ; car, étant privé de tout plaisir par lequel il puisse être attaché à son Dieu, il nous joint et unit à sa Bonté immédiatement, volonté à volonté, cœur à cœur, sans aucune entremise de contentement ou prétention ». Comprenant que le Seigneur voulait élever une âme si éprouvée jusqu'aux hauteurs de la sainteté, la Bienheureuse Fondatrice ne négligea rien pour lui aider à gravir la route ardue qui y conduit. Pendant un certain temps, elle consacra même une heure chaque jour à la fortifier, et sur son lit de mort lui donna encore une dernière preuve d'affection, en confiant pour elle ce message à la Mère de Blonay : « Dites à notre chère fille Françoise-Dorothée qu'elle demeure dans l'assurance que je lui ai donnée ; qu'elle chemine en paix dans la voie où Dieu la conduit et le plus joyeusement qu'elle pourra. » Et dans une autre lettre elle ajouta : « Dites seulement et secrètement à la petite Sœur Françoise-Dorothée que je la porte dans mon cœur joyeusement comme une âme que je sais être chère à Dieu : qu'il la bénisse ! » Les monastères de Castellane et de Soleure, gouvernés dans la suite par cette fervente Religieuse, expérimentèrent qu'elle avait reçu, avec la dernière bénédiction de sainte J. F. de Chantal, une ample participation à ses vertus et à son esprit de force et de sagesse. Rentrée à Annecy, elle y goûta les consolations divines à proportion des amertumes qui avaient inondé son âme, et le 10 février 1683 s'endormit paisiblement dans le Seigneur, en présence de Mgr d'Arenthon d'Alex, qui s'écria après l'avoir assistée à ce dernier passage : « La mort perd dans mon esprit tout ce qu'elle a d'affreux, quand je vois mourir les Filles de Sainte-Marie. » (Année Sainte, IIe volume.)

[132] Terme d'affection que la Sainte donnait à sa petite-fille, Marie de Chantal.