12 - LE MONACHISME OCCIDENTAL

 

LE MONACHISME GAULOIS
I. Au centre de la Gaule
II. Le monachisme provençal
III. Le monachisme ibérique
IV. Les Règles gauloises

LE MONACHISME CELTE
I. Généralités
II. Saint Patrick et sa postérité
III. Saint Colomban

Chronologie du monachisme occidental (tableau)

Bibliographie


 

LE MONACHISME GAULOIS

 

Nous connaissons mal les origines du christianisme en Gaule, sauf en ce qui concerne l'Eglise de Lyon qui a laissé un récit célèbre de la mort de ses martyrs durant la persécution de 177.

Jusqu'au milieu du quatrième siècle, les chrétiens sont une minorité de la population gauloise. A la fin du siècle, le christianisme progresse notablement, dans les villes d'abord, puis dans les campagnes. C'est dans ce contexte de progression que naît en Gaule une vie religieuse profonde où se développe l'idéal ascétique.

On voit alors apparaître des "vierges données à Dieu" dès le début du quatrième siècle ; vraisemblablement elles vivaient leur consécration en restant dans leur famille. Par ailleurs, des chrétiens fervents désireux de suivre le Christ de plus près, abandonnent les facilités du monde pour vivre une vie ascétique par la nourriture, le vêtement ; ils s'adonnent à la lecture de l'Ecriture, à la prière liturgique. On les appelle les "saints"ou les "tournés vers Dieu" ou "continents". C'est une ébauche de vie monastique.

Celle-ci semble être très ancienne en Gaule, puisqu'on connaît l'existence d'un groupe d'ermites dans l'Ile-Barbe, près de Lyon, dès 250, donc 1 an avant la naissance d'Antoine. Par la suite l'influence de la vie anachorétique d'Egypte marquera les ascètes gaulois : ils feront un mélange savant de leur mode de vie et de celui des moines égyptiens.

La première génération monastique de Gaule est marquée par la haute personnalité de saint Martin, né de famille païenne. C'est donc que la grâce de Dieu travailla aussi parmi les païens.


I. AU CENTRE DE LA GAULE

1. Saint Martin

Nous connaissons saint Martin par la "Vie de Martin" de Sulpice Sévère, vie vraisemblablement idéalisée. La date de naissance de saint Martin est discutée, soit 315, soit 336. Antoine aurait donc 54 ou 85 ans. Il naît à Sabria, en Pannonie (Hongrie actuelle) où son père, tribun militaire, païen, était alors en garnison avant d'être envoyé en Italie, à Pavie. C'est là que Martin est élevé et rencontre probablement le christianisme. Son père le veut soldat comme lui et l'engage dans l'armée ; Martin y va à contre-coeur, assure son biographe, car il était déjà orienté vers le Christ. Il est à Amiens quand, en hiver, il partage son manteau avec un pauvre qui a très froid. La légende assure que ce pauvre était Jésus. Martin, alors catéchumène, est baptisé à Pâques 354. Deux ans après, en 356, il quitte l'armée, rend visite à ses parents, convertit sa mère, mais non son père. Il est possible qu'il ait rencontré Hilaire de Poitiers vers 356. Il est probable qu'il avait fait des expériences de vie ascétique en Italie de 357 à 360. Il est sûr qu'après le retour d'exil d'Hilaire (360), il fonde un monastère à Ligugé, près de Poitiers. Il y vit comme moine pendant 10 ans attirant des disciples.

Mais en 371, il est élu évêque de Tours. Il veut rester moine et se bâtit une cellule en bois à l'extérieur de la cathédrale. Des disciples viennent près de lui et il fonde alors le monastère de Marmoutier, ce qui veut dire : le "grand monastère". Mais c'était plutôt un groupement d'ermitages, qu'un grand monastère. La vie à Marmoutier était une vie pauvre, avec mise en commun des biens, vie cénobitique assez souple comparée aux communautés pacômiennes : les fils de familles gallo-romaines n'étaient pas les jeunes paysans égyptiens ; une grande orientation était donnée à la contemplation, au point qu'il n'y avait aucun travail autorisé, sinon celui de copier des livres. Marmoutier annonce déjà les ateliers de copistes des monastères médiévaux.

Nous n'avons aucun document direct et personnel de Martin sur sa vie intérieure. Aussi est-il difficile de se faire une idée de sa spiritualité d'après la biographie apologétique de Sulpice Sévère. Il semble que ce qui caractérise Martin, c'est d'être resté soldat. Dans sa communauté, il insiste sur l'obéissance. Quant à lui, il a conscience que le moine est le successeur des martyrs et qu'il doit le montrer par sa patience et son humilité à la suite du Christ. Soldat, il l'est aussi en combattant le diable. Combat intérieur, certes, comme Antoine Martin a la visite du diable, mais aussi combat extérieur en détruisant les sanctuaires païens, car pour lui le paganisme était l'oeuvre du diable, et en guérissant les possédés. Enfin Martin est un pasteur formé par Hilaire. Sa spiritualité, exigeante et active, est pastorale : son ascétisme est mis au service de l'implantation de la Parole.

Comme Pacôme, Martin était une grande personnalité, un abba charismatique. Mais comme lui non plus, il n'a pas donné une base théologique et spirituelle suffisante à son monachisme. Aussi dès son vivant apparurent des conflits à l'intérieur du monastère, et à sa mort, en 397, il semble que tout s'effondra. Des nombreux moines que Sulpice Sévère nous montre pleurant sa mort, que restera-t-il quelques années plus tard ?



2. Sulpice Sévère

Parmi ces chrétiens fervents que nous avons signalés plus haut, deux ont marqué leur époque. Deux membres de l'aristocratie gallo-romaine, deux amis, furent gagnés à cette vie ascétique : Paulin de Nole et Sulpice Sévère.

Celui-ci qui sera le biographe de saint Martin naît vers 360, à Bordeaux. Il y fait ses études, et c'est sans doute là qu'il se noue d'amitié avec Paulin. Il épouse une jeune fille d'une riche famille, mais sa femme meurt en pleine jeunesse. Ce fut pour lui un choc : il vend alors ses biens, se réservant deux petites propriétés pour y vivre la vie monastique à Primuliac. Monachisme dans le style de celui instauré par Martin, avec sans doute aussi bien des traits caractéristiques de la vie dans une villa gallo-romaine où le riche propriétaire était entouré de sa famille et de sa domesticité. Sulpice passe son temps à faire oeuvre littéraire : Vie de saint Martin et Histoire sacrée. Il y mène une vie monastique assez décontractée : la solitude était assez lâche, car bien des gens de passage venaient voir l'écrivain qui avait conservé bien des amitiés au dehors. En 404 on sait qu'il était encore en vie, car Paulin lui écrivit, mais après, on ne connaît rien des dernières années de Sulpice Sévère.



3. Paulin de Nole

Les dates de naissance et de mort de Paulin sont exactement les mêmes que celles d'Augustin : 354-430. Lui aussi naît à Bordeaux dans une des plus riches familles, où l'on vit un christianisme de routine. Après ses études, Paulin débute comme consul, puis comme gouverneur de Campanie, en Italie actuelle. C'est là, à Nole, qu'il est très impressionné par des miracles qui se font sur le tombeau de saint Félix, et son coeur s'ouvre à la lumière du Christ, comme il l'écrira plus tard. Il épouse une pieuse espagnole qui lui donne un fils qui meurt très jeune. Peu de temps après son baptême, Paulin et sa femme se retirent dans la solitude, en Espagne. Paulin projette de se rendre à Nole, et l'évêque de Barcelone l'ordonne prêtre, peut-être pour le retenir en Espagne. Mais il persévère dans son projet et se rend à Nole où lui et sa femme vivent durant 35 ans, auprès du tombeau de saint Félix. Deux petites communautés, l'une d'hommes, l'autre de femmes, se forment autour d'eux. Paulin devient évêque. De caractère aimable, il entretient une correspondance avec Jérôme, Rufin, Augustin. Ni théologien, ni exégète, il laisse transparaître dans ses écrits une expérience spirituelle. La vie monastique qu'il mène est assez proche de celle de l'évêque d'Hippone, en lien avec la vie cléricale : le chef du monastère est aussi l'évêque de la cité.



4. Les Pères du Jura

Dans le Jura, CONDAT (aujourd'hui Saint-Claude) est fondé par Romain en 435. La "Vie des Pères du Jura" nous montre la naissance et la croissance d'une communauté ainsi que l'évolution de ses institutions à travers la vie de trois abbés : Romain, Lupicin et Oyend.

Romain, propriétaire d'un grand domaine dans le Jura, s'était formé d'abord à Lyon d'où il avait apporté un document législatif. Il commence à vivre seul sous un grand sapin, au confluent de deux petites rivières (confluent = Condat). Puis des disciples survenant, il s'établit dans un endroit plus plat et plus facilement cultivable. Il fut ordonné prêtre en 444. Romain était un homme très calme, modeste, doux, miséricordieux, accueillant. Sa doctrine spirituelle était de rester très pur, de ne pas avoir l'idée du mal.

A Romain succède son frère : Lupicin, d'un tempérament opposé : il est austère, ferme, exigeant sur la discipline, sévère à l'égard des orgueilleux et des opiniâtres, mais il a le sens de l'éducation et sait être bon. Aussi les novices affluent et il doit fonder un autre monastère : Loconne. C'est là qu'il meurt vers 480.

De son côté, la soeur de Romain et Lupicin avait fondé le monastère de moniales de La Balme.

Après Lupicin, Oyend parachève la législation existante, vers 500. Il introduit la lecture au réfectoire et le dortoir commun. La réforme d'Oyend est présentée comme une adaptation des règles orientales, pacômiennes surtout, au tempérament gaulois, "en fonction du climat du pays et des exigences du travail".

Un point intéressant : le monachisme est vu comme un don fait à l'Eglise sous l'inspiration du Verbe divin (12).


Un monachisme urbain se développe aussi dans différentes villes de Gaule : Rouen, Toulouse, Auxerre, Vienne, Dijon.

II. LE MONACHISME PROVENÇAL

1. Marseille

Port de commerce, ouvert aux influences extérieures, Marseille a connu très tôt des moines. Autour des années 400, Paulin de Nole y signale une "fraternité". Dix ans plus tard, Jérôme écrit à un marseillais désireux d'entrer en religion. Il l'adresse à l'évêque Proculus. Marseille était donc préparée à recevoir Jean Cassien et son enseignement.

Nous avons étudié Cassien et avons vu l'influence exercée par lui sur Benoît. Si Cassien n'a pas apporté le monachisme en Gaule, il y livre par écrit son enseignement monastique qu'il dédicace à des évêques gaulois. Ces conférences furent très lues et apportèrent au monachisme gaulois une doctrine qui lui manquait.

Cassien fonde peut-être deux monastères à Marseille : l'un d'hommes (Saint Victor), l'autre de femmes (Saint-Sauveur). Mais le monastère de Lérins existait déjà auparavant.



2. Lérins

Ce monastère de Lérins, coeur d'un centre monastique très important à l'époque, a été fondé vers 410. Avec Ligugé, c'est sans doute le plus ancien des monastères actuels où il y ait toujours des moines.

Plusieurs personnalités marquantes l'ont illustré :

HONORAT
D'abord son fondateur, Honorat. Né en Gaule-Belgique vers 365, il se retire à Cannes où il mène une vie d'ascète solitaire. Après plusieurs pèlerinages en Grèce, il finit par se retirer dans une grotte de l'Estérel, puis vers 410 sur l'île de Lérins, alors infestée de serpents. Il y accueille de nombreux disciples dont un de ses proches parents : Hilaire qui écrira sa vie. Elu en 428 évêque d'Arles, il n'y reste que deux ans et meurt en 430. Il fonda un autre monastère sur une île du Rhône.

HILAIRE D'ARLES
Entré à Lérins, Hilaire accompagne Honorat à Arles, où il est élu pour lui succéder comme évêque. Arles est alors une métropole dont la juridiction englobe plus de vingt-cinq évêchés de Provence. Hilaire fait l'éloge funèbre d'Honorat, dépeignant ce qu'est la vie monastique. On retrouve dans cette "Vita" les thèmes traditionnels. La vie monastique est définie comme un service de Dieu.

Hilaire se signala par une grande bonté. Il mourut en 449, à 48 ans.


EUCHER DE LYON
Eucher, issu d'une famille distinguée et cultivée, est marié et a deux fils. Les époux se convertissent, confient leurs garçons aux moines de Lérins et se bâtissent chacun un ermitage dans une île voisine de Lérins. Eucher devient évêque de Lyon peu après 432 et meurt vers 450. Quant à ses deux fils, ils deviendront eux aussi évêques !

Un peu plus tard :

CESAIRE D'ARLES
Césaire naît en 470 près de Châlon-sur-Saône. Très jeune, il part pour l'Egypte, attiré par le renom de la terre des moines. Arrivé à Marseille, il s'embarque et . . . débarque à Lérins ! Il avait environ 20 et y reste une dizaine d'années

Tombé malade, on l'envoie se soigner à Arles. Il y est ordonné diacre, puis prêtre et envoyé comme abbé au monastère de Trinquetaille. Puis le voici évêque d'Arles où il fonde le monastère de moniales de Saint-Jean. Il rédige alors une règle pour ce monastère, rédaction en deux temps où il s'appuie d'abord sur les "orientaux", puis sur Augustin. Vers la fin de sa vie, il rédigera une Règle pour des moines, qui est un résumé de sa grande Règle pour les vierges.

L'encadré ci-dessous donne un rapide aperçu de l'oeuvre monastique de Césaire. Nous donnons aussi des textes de la Règle des vierges.

L'Oeuvre monastique de Césaire


La Règle des vierges se situe au centre de l'oeuvre monastique de Césaire, après les sermons aux moines et avant la Règle des moines. Ces trois écrits ne sont pas les seuls de Césaire, mais ce sont les trois principaux qui se complètent. La spiritualité y apparaît plus que dans les autres Règles occidentales.

Les six Sermons aux moines supposent des moines parfaits ; mais Césaire les met en garde contre le danger de se croire "arrivé". Même dans un port tranquille, un navire peut faire naufrage, soit par de petites infiltrations d'eau continuelles (les petits péchés), soit par le vent soudain de l'orgueil. On se rappelle que dans la tradition antérieure, l'orgueil est la plus tenace des "pensées", le péché des parfaits.

Césaire insiste donc sur l'humilité et l'obéissance qui sont les deux ailes de l'âme. La charité en est inséparable : humilité, obéissance, charité, c'est le trio des vertus du moine. Le cénobite se doit d'en donner l'exemple à tous ses frères.

La Règle des Vierges s'occupe très peu de ces trois vertus cénobitiques, mais insiste sur les attitudes de séparation par rapport au monde. Les premiers mots sont pour dire que la vierge qui entre au monastère n'en sortira plus (1), et Césaire revient encore par la suite sur la clôture stricte. Cette séparation du monde se traduira surtout par les deux vertus de pauvreté et de chasteté. Après avoir traité de plusieurs observances particulières : mesure de la nourriture et de la boisson, qualité du vêtement, lecture et prière, la Règle esquisse un horaire monastique.

Le ton de cette lettre est personnel, pressant, affectueusement passionné. Nous en donnons quelques passages dans les textes du Fascicule 2.

Tout autre est le ton neutre de la Règle des moines qui est un simple résumé de la grande oeuvre pour les moniales. Par contre, elle est émaillée de citations scripturaires nouvelles et se termine par un bel épilogue sur la persévérance dont on retrouve un écho dans la Règle de saint Benoît.


D'autres figures seraient à citer : LOUP qui après avoir embrassé la vie monastique à Lérins, devient évêque de Troyes ; SALVIEN qui après un passage à Lérins, gagne Saint-Victor de Marseille où il est ordonné prêtre ; VINCENT de Lérins qui, s'il n'est pas devenu évêque, est un théologien véritable ; il a composé plusieurs ouvrages, dont son Commonitorium (aide-mémoire) où il relève l'importance de consulter à la fois l'Ecriture et les Pères. Aujourd'hui encore, il est garant de l'autorité des Pères de l'Eglise.


On voit par-là l'importance du monachisme provençal. Lérins jouera plus tard en Occident le même rôle "mythique" que l'Egypte aux quatrième et cinquième siècles.



III. LE MONACHISME IBÉRIQUE

Dans la péninsule ibérique (L'Espagne en tant qu'entité politique, ne date guère que du VIIème siècle), l'institution monastique se développe aussi. Déjà vers 400, la nonne Egérie, originaire du sud de la Gaule ou probablement de Galice, avait rapporté des détails pittoresques sur son voyage à Jérusalem. Aussi rien d'étonnant à ce que ce monachisme ibérique s'inspire d'abord directement du monachisme oriental, comme l'avait fait le monachisme provençal.

Le personnage le plus célèbre, à l'époque qui nous occupe, est un autre Martin, celui-là évêque de Braga. Né comme Martin de Tours, en Pannonie, d'une famille de hauts fonctionnaires, il reçut une formation soignée. Il vécut longtemps en Orient, en Palestine où il se sent appelé par Dieu, et devient prêtre. Il arrive ensuite par mer en Galice où il traduit et fait traduire les Apophtegmes et établit un monastère à Dumio, près de Braga, vers 556. En 570, il est métropolite de Braga, et comme Martin de Tours, à qui il avait une grande dévotion, l'avait fait, il établit là un monastère de type épiscopal. C'est là qu'il meurt après 579. Sa vie d'évêque aura été consacrée à ramener les Suèves ariens à la foi catholique. Plus à l'est, saint Emilien établit un monastère à Asan, en Aragon.

Dans le sud de la péninsule, une autre influence se fait jour, celle de la Règle de Saint Augustin, apportée d'Afrique par des moines qui fuient devant l"invasion Vandale. Dans la région de Valence arrive un abbé accompagné de 70 moines apportant leur bibliothèque.

Au siècle suivant, le monachisme continuera à s'épanouir en prenant les formes les plus diverses. De grands noms sont à citer : Léandre et Isidore de Séville, Fructeux de Braga, Valère de Bierzo.





IV. LES RÈGLES GAULOISES

1. Leur origine

Un trait caractéristique de ce monachisme gaulois est la prolifération des Règles : le codex de Benoît d'Aniane en contient 25, mais ce sont seulement celles qui ont subsisté. Il y en eut certainement davantage.

Ce phénomène vient qu'à l'origine des divers monastères figurent des hommes charismatiques, comme l'étaient les Pères du désert et Pacôme. Ceux-ci groupent autour d'eux des disciples, et le nombre augmentant, il faut codifier. Chaque monastère élabore alors sa propre règle en s'inspirant des documents antérieurs. De plus des évêques croient bon d'écrire eux aussi des règles pour les moines vivant sous leur juridiction.

Après saint Benoît et saint Colomban, les seules règles de ces deux fondateurs d'Ordre tendent à s'imposer. Parfois certains législateurs en font un document unique. Après Benoît d'Aniane, seule subsiste la règle bénédictine.

Nous donnons plus loin quelques textes de ces règles gauloises, choisis parmi les plus intéressants. D'autres se trouvent dans le Travail : "Les Règles gauloises et Benoît". Voir aussi le Tableau 10 qui indique leur origine, leur caractéristique, leur tonalité. Se référer aussi aux tableaux 4 et 5 illustrant le chapitre 4 : "Les Règles Monastiques".



2. Leur spiritualité

Si l'on excepte la Règle des vierges de Césaire qui tire son importance de ce qu'elle est la première Règle faite pour des moniales qui nous est parvenue, l'enseignement de ces règles manque un peu de profondeur : on n'y voit peu de théologie et de spiritualité derrière les règlements qui en sont la façade. Ce sont des documents nés de l'expérience, appuyés toutefois sur des Règles anciennes, surtout sur les deux Règles-Mères de Pacôme et Augustin :


PACÔME : On met en premier l'obéissance et le respect de l'abbé. C'est le fondement de l'ascèse de tous. Le monastère est alors considéré comme le Corps du Christ.

AUGUSTIN : On y reprend : "Habiter tous ensemble dans la maison". L'obéissance est la clé de l'unanimité.

Partout on s'élève contre le murmure et l'on recommande la patience, le support des injures.
La séparation du monde, caractéristique traditionnelle du monachisme n'apparaît comme un point essentiel que chez Césaire. Ailleurs, elle est supposée.
Parfois on entrevoit que le but de la vie monastique est de favoriser le progrès de chacun, et même la visite de l'Epoux et l'entrée dans le Royaume.

Car ces règles ne sont pas tristes. Souvent on fait mention de la joie et l'on assure que le moine trouvera la joie en les mettant en pratique. C'est là un témoignage de l'expérience spirituelle de leurs auteurs.




3. Leur évolution

L'intérêt de ce monachisme gaulois est qu'il est à la racine du monachisme de Moyen-Age, celui qu'ont vécu Clunisiens et Cisterciens. Mais évidemment il y eut auparavant quelques évolutions au cours des siècles :

Les petites communautés du début, composées en majorité de laïcs, sont devenues par la suite des communautés avec prédominance de clercs.

Dans ces premiers temps, la vie monastique était caractérisée par la prière et le travail. La partie liturgique était souvent très simple et peu importante. Par la suite se développe un cycle quotidien d'heures dans lesquelles la messe solennelle prend la première place.

Etre moine était alors un appel de Dieu à un individu. Par la suite, bien que l'appel puisse être toujours là, le monachisme sera envisagé trop souvent comme une profession comme une autre, avec un rôle social.

L'obligation d'une stricte clôture, trait caractéristique de la vie contemplative féminine, que l'on voit apparaître chez Césaire, ira se renforçant en Occident jusqu'à Vatican II.





LE MONACHISME CELTE




Vers la même époque, parallèlement au monachisme Provençal, se développe dans la Grande Bretagne actuelle un monachisme celtique dont un des caractères propres sera d'essaimer ailleurs, et qui aura de ce fait une grande influence.



I. GÉNÉRALITÉS

Un peu avant 450, la Bretagne romaine est envahie par les Anglo-Saxons qui s'établissent à l'est, refluant les populations celto-romaine vers l'ouest, ce qui va avoir en contre coup un développement du christianisme en Cornouailles et dans le Pays de Galles. Apparaît alors une Eglise qui revêt des caractères bien particuliers ; aussi peut-on parler d'une Eglise celtique. Celle-ci en effet, relativement isolée, possédait des usages propres : tonsure particulière des prêtres, autre date pour la fête de Pâques ; mais surtout le monachisme y connut un prodigieux développement, avec des monastères comprenant parfois plus d'un millier de moines et un pullulement d'ermitages.

Ce monachisme celte aura lui-même des caractères spéciaux.

D'abord, alors qu'ailleurs l'église épiscopale est la cellule fondamentale de l'organisation religieuse, ici c'est de façon presque exclusive le monastère qui remplit ce rôle

Une ascèse très rigoureuse qui nous paraît exagérée. On retrouve des performances semblables à celles des déserts d'Egypte et de Syrie, dans un milieu et un sous un climat différent : jeûnes aussi prolongés et mortifications diverses poussées jusqu'au défi de la nature ; par exemple l'immersion dans un étang glacé remplaçait l'exposition au soleil des hypêtres et des stylites. C'est que là aussi, il y avait des tempéraments fougueux, portés aux extrêmes.

 

Certains de ces caractères spéciaux de ce monachisme celte ont eu une influence sur la chrétienté latine :

L'implantation du christianisme en Irlande y a suscité l'apparition d'une culture latine d'inspiration chrétienne si bien que plus tard, cette culture rayonnant sur le continent européen presque complètement barbarisé, sera un des foyers principaux où s'alimentera la renaissance carolingienne.

La pénitence sacramentelle sous sa forme privée et réitérable connaît dans les monastères d'Irlande un grand développement, alors qu'ailleurs, elle n'avait pas dépassé une forme embryonnaire. De là vient une curieuse littérature : les livres pénitentiels qui tarifient les pénitences exigées pour telle ou telle faute, en fonction de sa gravité et de la qualité du coupable. Les pénitences de ces rituels qui nous paraissent très rigoureuses correspondaient à un besoin, à une exigence pastorale fortement ressentie. C'est ainsi que le catholicisme latin hérite de l'Irlande un des aspects les plus caractéristiques de sa piété : la confession fréquente accompagnée de la direction spirituelle.



Une des pratiques ascétiques les plus chères aux moines celtiques était l'exil volontaire, la peregrinatio pro Christo ou pro amore Dei. Qu'il y ait eu chez ces peuples un certain goût de l'aventure ou quelque instabilité psychologique favorisant cette ascèse, ne doit pas en minimiser la portée : c'était quitter un pays aimé où l'on était en sécurité, pour aller vivre dans un milieu inconnu, plus ou moins hostile. En tous cas, ce mouvement religieux qui connut une étonnante popularité, fut d'une particulière fécondité : les moines de Colomban peupleront la Gaule et même l'Italie, tandis que les moines irlandais évangéliseront les îles, jusqu'au nord de l'Ecosse.


II. SAINT PATRICK ET SA POSTÉRITÉ

Que saint Patrick ait été moine n'est pas tellement sûr ! Les sources qui le mettent en relation avec saint Germain à Auxerre, et même amené à Tours pour être moine avec Martin, ou encore ayant été formé à Lérins, sont très tardives. Les oeuvres de Patrick ne nous en disent rien, et si l'on s'en tient à elles, il aurait reçu sa formation en Bretagne et non en Gaule. Il est fort probable qu'avant de devenir évêque, il a pratiqué une forme de vie ascétique, seul ou au milieu d'un groupe. En tout cas l'évangélisateur de l'Irlande eut une postérité monastique imposante. Lui-même fait plusieurs fois allusion aux moniales et aux moines qu'il a institués en Irlande.

Nous avons de Patrick lui-même une vie qui dans un langage simple nous fait connaître un homme véritablement humble à la fois reconnaissant pour les grâces reçues de Dieu et plein de méfiance envers lui-même, mais pourtant capable de prendre des décisions importantes : tout cela étant la marque d'une véritable humilité.

Il naît vers 385 dans l'ancien Cumberland, près de l'Ecosse, dans cette partie ouest de l'Angleterre où les Anglo-Saxons avaient refoulé la population celte, (actuellement Cumbria). Lui-même nous raconte son enfance en Bretagne : de famille chrétienne, il est enlevé par des pirates venus d'Irlande lors d'un raid (Texte 1). Il passe près d'eux six ans en esclavage (Texte 2), puis s'évade et retourne chez lui. Là, il se sent appelé par Dieu à partir évangéliser l'Irlande (Texte 3). Consacré évêque, son apostolat doit se situer entre les années 432 à 461, date de sa mort.

Nous citons encore de sa "Confession" deux passages qui nous font entrevoir à la fois son humilité et son sens de la grandeur de Dieu, de son amour, de sa Providence de Père (Textes 4 & 5).

Parmi tous ces moines qui forment la postérité de l'évangélisateur de l'Irlande, il faut citer NINIAN, un moine qui visita Rome, résida quelque temps près de saint Martin et fonda le monastère appelé : "Candida Casa" (Maison-Blanche) au sud-ouest de l'Ecosse (aujourd'hui Whithorn). Un de ses disciples, entré dans ce monastère, saint ENDA, fonda un premier monastère dans l'île d'Aran, sur la côte ouest de l'Irlande, vers 520. D'autres saints ont illustré d'autres monastères : saint FINIAN de Clonard (470-549), sainte BRIGIDE de Kildare († 523), saint CIARAN de Clonmacnois, saint COEMGEN de Glendalough. Plus tard, saint COLUMCILLE (521-597), après avoir fondé plusieurs monastères en Irlande quitta son pays pour aller fonder dans une petite île sur la côte ouest de l'Ecosse le monastère d'Iona qui devint un foyer d'évangélisation (en 563 environ). Plus tard encore, vers 650, saint AIDAN fondera sur un îlot en face du Northumberland le monastère non moins célèbre de Lindisfarne d'où l'Evangile se répandit parmi les Anglo-Saxons, conquérants du pays.




III. SAINT COLOMBAN

La vie de saint Colomban nous est connue par un certain JONAS, né en Italie et entré au monastère colombanien de Bobio. Celui-ci rédige cette vie environ 25 ans après la mort du saint, mais ayant la confiance de l'abbé Attale, successeur du saint, il connaît ce qu'il raconte.

Colomban est né en Irlande, dans l'ouest du Leinster. Il commence par vivre auprès d'un saint homme, Sinell, puis entre au monastère de Bangor, dirigé alors par l'Abbé Comgal. Après y être resté quelques années, il sent l'appel à s'expatrier, à cette peregrinatio pro Christo dont nous avons parlé. D'après Jonas, il avait alors 20 ans quand il quitte son pays et débarque en Gaule. Il vient alors s'établir dans la Bourgogne où régnait Gontran, et il y fonde trois monastères assez proches : Annegray, Luxeuil et Fontaine. Le second connut un rapide développement qui le rendit célèbre. C'est là que Colomban écrivit ses Règles et son Pénitentiel, d'une sévérité bien irlandaise. Les foules accoururent vers lui et il exerça une grande influence.

Mais au bout de 20 ans, intransigeant en ce qui concerne la morale, il fait des reproches au Roi et encourt sa colère et celle de sa grand-mère, la terrible Brunehaut. On le chasse de la Bourgogne et l'on veut le ramener dans son pays. Mais au moment où on l'embarque, à Nantes, il s'échappe et gagne les pays de la Moselle et du Rhin, soulevant l'enthousiasme, suscitant des vocations qui seront à l'origine de nombreux monastères. Il annonce l'Evangile parmi les païens encore nombreux chez les Germains, en particulier dans l'Alsace et la Suisse actuelles, jusqu'alors peu touchées par les missionnaires. Puis Colomban continue sa peregrinatio pro Christo ; il traverse les Alpes et passe en Italie où il fonde dans l'Apennin le monastère de Bobio. C'est là qu'il meurt en 615


Colomban a laissé un Pénitentiel recueil de sanctions pour les fautes commises ; la plupart concernent les clercs et les laïcs, mais le début et la fin concerne les moines. Nous avons aussi de lui une Règle conventuelle qui elle aussi ne contient que des pénalités. Par contre, sa Règle des Moines est son écrit le plus riche qui traite surtout des grandes vertus monastiques.

La Règle des Moines est comme le coeur du monachisme colombanien. Elle s'inspire des autres auteurs monastiques que nous avons étudiés, surtout Cassien et aussi Benoît. L'obéissance y est primordiale. C'est à elle qu'est consacré le premier chapitre (Texte 1). Le Christ est le modèle de l'obéissance. Avant ce chapitre sur l'obéissance on lit quelques mots qui montrent que le but principal de la Règle est d'apprendre à aimer Dieu et le prochain. Cette marche vers l'amour se fait comme chez Cassien par le dénuement et la purification des vices, pour aboutir à la prière continuelle (Texte 2). Dans les pénitences inhérentes à la vie monastique, Colomban maintient la nécessité de la discrétion (Textes 3 & 4). La virginité du corps n'est rien si on n'est vierge dans son coeur (Texte 5). S'il demande de grandes mortifications à ses moines, Colomban est persuadé que l'amour les rendra douces (Texte 6). C'est qu'elles les conduiront à l'humilité qui fait trouver doux le joug du Seigneur (Texte 7). On voit ainsi la saveur évangélique de cette Règle des Moines.

 

 

CHRONOLOGIE DU MONACHISME OCCIDENTAL
Saint Paul, ermite (?)
250
Groupes d'ermites à l'Ile-Barbe, près de Lyon
Antoine ermite aux abords du village
270
 
 
312
Groupe d'ascètes à Clermont-Ferrand
Pachôme fonde Tabennes
323
 
Macaire fonde Scétée
325
 
Ammoun fonde Nitrie
326
 
Naissance d'Augustin
354
Naissance de Paulin de Nole
Vie d'Antoine par Athanase
357
Martin ascète en Italie
Basile à Annésis
 
Rédaction du Petit Ascéticon
358
 
 
360
Martin fonde Ligugé
 
Naissance de Sulpice Sévère
 
370
Traduction de la Vie d'Antoine
 
371
Martin, évêque, fonde Marmoutiers
Rufin et Mélanie à Jérusalem
378
 
Mort de Basile
379
 
 
385
Naissance de saint Patrick
Jérôme et Paule à Bethléem
386
 
Augustin et le monastère du jardin, à Thagaste
388
 
Augustin et le monastère des clercs, à Hippône
391
 
Règle d'Augustin : Le Praeceptum
 
Rufin traduit en latin le Petit Ascéticon
397
Mort de Martin. Sulpice Sévère publie sa vie.
 
405
Honorat fonde Lérins. Règle des 4 Pères
Mort de Rufin
410
 
 
415
Cassien fonde les monastères de Marseille
Mort de Jérôme
419
Cassien publie Les Institutions
Saint Siméon Stylite sur sa colonne
423
 
 
426
Cassien publie les Conférences
 
427
Seconde Règle des Pères.
Mort d'Augustin
430
Mort d'Honorat
 
435
Romain fonde Condat
 
449
Mort d'Hilaire d'Arles et d'Eucher de Lyon
 
461
Mort de Patrick
 
470
Naissance de Césaire d'Arles
 
480
Mort de Lupicin
 
490
Naissance de saint Benoît (?)
 
495
Règle de Macaire.
 
500
Césaire réforme le monastère d'Arles
 
Oyend achève la législation des monast. du Jura
 
Ninian fonde Candida Casa (?)
(Mort de Clovis)
511
 
 
513
Règle Orientale.
 
515
Troisième Règle des Pères.
 
520
Enda fonde dans l'île d'Aran
 
521
Naissance de Columcille (?)
 
529
Benoît vient au Mont-Cassin
 
534
Règles de Césaire
 
540
Règle de saint Benoît
 
Naissance de Colomban





BIBLIOGRAPHIE



* Sulpice Sévère, Vie de Saint Martin, SC 133, 1967.

* * Dr Clare E. Stancliffe, Le Martin de Sulpice, Lettre de Ligugé 234.

* Vie des Pères du Jura, SC 142, 1968.

* Hilaire d'Arles, Vie de Saint Honorat, SC 235,

* * Césaire d'Arles, Oeuvres monastiques, SC 345 & 398, 1988 & 1994

* Règles monastiques d'Occident, col. Vie Monastique n°9, Bellefontaine 1980.

* Patrick, Confession et lettre à Coroticus, S.C 249.

* Jonas de Bobbio, Vie de saint Colomban et de ses disciples, Col. Vie Monastique,

Bellef. n° 19

* * Colomban, Règles et pénitentiels monastiques, id. N° 20