SECONDE PARTIE DE LINTRODUCTIONCONTENANT DIVERS AVIS POUR LÉLÉVATION DE LAME A DIEU PAR LORAISON ET LES SACREMENTS
DE LINVOCATION, SECOND POINT DE LA PRÉPARATION DE LA PROPOSITION DU MYSTÈRE . TROISIÈME POINT DE LA PRÉPARATION. DES CONSIDÉRATIONS SECONDE PARTIE DE LA MÉDITATION DES AFFECTIONS ET RÉSOLUTIONS TROISIÈME PARTIE DE LA MÉDITATION DE LA CONCLUSION ET BOUQUET SPIRITUEL QUELQUES AVIS UTILES SUR LE SUJET DE LA MÉDITATION POUR LES SÉCHERESSES QUI ARRIVENT EN LA MÉDITATION DE LEXERCICE DU SOIR ET DE LEXAMEN DE CONSCIENCE DES ASPIRATIONS, ORAISONS JACULATOIRES ET BONNES PENSÉES DE LA TRÈS-SAINTE-MESSE ET COMME IL LA FAUT OUÏR DES AUTRES EXERCICES PUBLICS ET COMMUNS QUIL FAUT HONORER ET INVOQUER LES SAINTS COMME IL FAUT OUIR ET LIRE LA PAROLE DE DIEU COMME IL FAUT RECEVOIR LES INSPIRATIONS CHAPITRE IDE LA NÉCESSITÉ DE LORAISON 1. Loraison mettant notre
entendement en la clarté et lumière divine, et exposant notre volonté à la chaleur de
lamour céleste, il ny a rien qui purge tant notre entendement de ses
ignorances et notre volonté de ses affections dépravées : cest leau de
bénédiction qui, par son arrosement, fait reverdir et fleurir les plantes de nos bons
désirs, lave nos âmes de leurs imperfections et désaltère nos coeurs de leurs
passions. 2. Mais surtout je vous conseille la
mentale et cordiale, et particulièrement celle qui se fait autour de la vie et passion de
Notre Seigneur: en le regardant souvent par la méditation, toute votre âme se remplira
de lui ; vous apprendrez ses contenances, et formerez vos actions au modèle des siennes.
Il est la lumière du monde: cest donc en lui, par lui et pour lui que nous devons
être éclairés et illuminés; cest larbre de désir à lombre duquel
nous nous devons rafraîchir; cest la vive fontaine de Jacob pour le lavement de
toutes nos souillures. Enfin, les enfants à force douïr leurs mères et de
bégayer avec elles, apprennent à parler leur langage; et nous, demeurant près du
Sauveur par la méditation, et observant ses paroles, ses actions et ses affections, nous
apprendrons, moyennant sa grâce, à parler, faire et vouloir comme lui. Il faut sarrêter là, Philothée,
et croyez-moi, nous ne saurions aller à Dieu le Père que par cette porte; car tout ainsi
que la glace dun miroir ne saurait arrêter notre vue si elle nétait enduite
détain ou de plomb par derrière, aussi la Divinité ne pourrait être bien
contemplée par nous en ce bas monde, si elle ne se fût jointe à la sacrée humanité du
Sauveur, duquel la vie et la mort sont lobjet le plus proportionné, souef,
délicieux et profitable que nous puissions choisir pour notre méditation ordinaire. Le
Sauveur ne sappelle pas pour néant le pain deScendu du ciel; car, comme le pain
doit être mangé avec toutes sortes de viandes, aussi le Sauveur doit être médité,
considéré et recherché en toutes nos oraisons et actions. Sa vie et mort a été
disposée et distribuée en divers points pour servir à la méditation, par plusieurs
auteurs: ceux que je vous conseille sont saint Bonaventure, Bellintani, Bruno, Capilia,
Grenade, Du Pont. 3. Employez-y chaque jour une heure devant
dîner, sil se peut au commencement de votre matinée, parce que vous aurez votre
esprit moins embarrassé et plus frais après le repos de la nuit. Ny mettez pas
aussi davantage dune heure, si votre père spirituel ne le vous dit expressément. 4. Si vous pouvez faire cet exercice dans
léglise, et que vous y trouviez assez de tranquillité, ce vous sera une chose fort
aisée et commode parce que nul, ni père, ni mère, ni femme, ni mari, ni autre
quelconque ne pourra vous bonnement empêcher de demeurer une heure dans léglise,
là où étant en quelque sujétion vous ne pourriez peut-être pas vous promettre
davoir une heure si franche dedans votre maison. 5. Commencez toutes sortes
doraisons, soit mentale soit vocale, par la présence de Dieu, et tenez cette règle
sans exception, et vous verrez dans peu de temps combien elle vous sera profitable. 6. Si vous me croyez, vous direz votre
Pater, votre Ave Maria et le Credo en latin; mais vous apprendrez aussi à bien entendre
les paroles qui y sont, en votre langage, afin que, les disant au langage commun de
1Eglise, vous puissiez néanmoins savourer le sens admirable et délicieux de ces
saintes oraisons, lesquelles il faut dire fichant profondément votre pensée et excitant
vos affections sur le sens dicelles, et ne vous hâtant nullement pour en dire
beaucoup, mais vous étudiant de dire ce que vous direz, cordialement ; car un seul Pater
dit avec sentiment vaut mieux que plusieurs récités vitement et couramment. 7. Le chapelet est une très utile
manière de prier, pourvu que vous le sachiez dire comme il convient : et pour ce faire,
ayez quelquun des petits livres qui enseignent la façon de le réciter. Il est bon
aussi de dire les litanies de Notre Seigneur, de Notre Dame et des saints, et toutes les
autres prières vocales qui sont dedans les Manuels et Heures approuvées, à la charge
néanmoins que si vous avez le don de loraison mentale, vous lui gardiez toujours la
principale place; en sorte que si après icelle, ou pour la multitude des affaires ou pour
quelque autre raison, vous ne pouvez point faire de prière vocale, vous ne vous en
mettiez point en peine pour cela, vous contentant de dire simplement, devant ou après la
méditation, loraison dominicale, la salutation angélique et le symbole des
apôtres. 8. Si faisant loraison vocale, vous
sentez votre coeur tiré et convié à loraison intérieure ou mentale, ne refusez
point dy aller, mais laissez tout doucement couler votre esprit de ce côté-là, et
ne vous souciez point de navoir pas achevé les oraisons vocales que vous vous
étiez proposées; car la mentale que vous aurez faite en leur place est plus agréable à
Dieu et plus utile à votre âme. Jexcepte loffice ecclésiastique si vous
êtes obligée de le dire; car en ce cas-là, il faut rendre le devoir. 9. Sil advenait que toute votre
matinée se passât sans cet exercice sacré de loraison mentale, ou pour la
multiplicité des affaires, ou pour quelque autre cause (ce que vous devez procurer
nadvenir point, tant quil vous sera possible), tâchez de réparer ce défaut
laprès-dînée, en quelque heure la plus éloignée du repas, parce que ce faisant
sur icelui, et avant que la digestion soit fort acheminée, il vous arriverait beaucoup
dassoupissement, et votre santé en serait intéressée. Que si en toute la journée
vous ne pouvez la faire, il faut réparer cette perte, multipliant les oraisons
jaculatoires, et par la lecture de quelque livre de dévotion avec quelque pénitence qui
empêche la suite de ce défaut;. et, avec cela, faites une forte résolution de vous
remettre en train le jour suivant. CHAPITRE IIBRIÈVE MÉTHODE POUR LA MÉDITATION ET PREMIÈREMENT DE LA PRÉSENCE DE DIEU PREMIER POINT DE LA PRÉPARATION Mais vous ne savez peut-être pas,
Philothée, comme il faut faire loraison mentale; car cest une chose laquelle,
par malheur, peu de gens savent en notre âge. Cest pourquoi je vous présente une
simple et brève méthode pour cela, en attendant que, par la lecture de plusieurs beaux
livres qui ont été composés sur ce sujet, et surtout par lusage, vous en puissiez
être plus amplement instruite. Je vous marque premièrement la préparation, laquelle
consiste en deux points, dont le premier est de se mettre en la présence de Dieu, et le
second, dinvoquer son assistance. Or, pour vous mettre en la présence de Dieu, je
vous propose quatre principaux moyens, desquels vous vous pourrez servir à ce
commencement. Le premier gît en une vive et attentive
appréhension de la toute présence de Dieu, cest-à-dire que Dieu est en tout et
partout, et quil ny a lieu ni chose en ce monde où il ne soit dune
très véritable présence; de sorte que, comme les oiseaux, où quils volent,
rencontrent toujours lair, ainsi, où que nous allions, où que nous soyons, nous
trouvons Dieu présent. Chacun sait cette vérité, mais chacun nest pas attentif à
lappréhender. Les aveugles ne voyant pas un prince qui leur est présent, ne
laissent pas de se tenir en respect sils sont avertis de sa présence; mais la
vérité est que dautant quils ne le voient pas, ils soublient aisément
quil soit présent, et sen étant oubliés, ils perdent encore plus aisément
le respect et la révérence. Hélas, Philothée, nous ne voyons pas Dieu qui nous est
présent; et, bien que la foi nous avertisse de sa présence, si est-ce que ne le voyant
pas de nos yeux, nous nous en oublions bien souvent, et nous comportons comme si Dieu
était bien loin de nous; car encore que nous sachions bien quil est présent à
toutes choses, si est-ce que ny pensant point, cest tout autant comme si nous
ne le savions pas. Cest pourquoi toujours, avant loraison, il faut provoquer
notre âme à une attentive pensée et considération de David, quand il sécriait :
« Si je monte au ciel, o mon Dieu, vous y êtes; si je descends aux enfers, vous y
êtes » ; et ainsi nous devons user des paroles de Jacob, lequel ayant vu
léchelle sacrée : «Qh ! que ce lieu, dit-il, est redoutable! Vraiment Dieu
est ici, et je nen savais rien ». ii veut dire quil ny pensait pas; car
au reste il ne pouvait ignorer que Dieu ne fût en tout et partout. Venant donc à la
prière, il vous faut dire de tout votre coeur et à votre coeur: « O mon coeur, mon
coeur, Dieu est vraiment ici. » Le second moyen de se mettre en cette
sacrée présence, cest de penser que non seulement Dieu est au lieu où vous êtes,
mais quil est très particulièrement en votre coeur et au fond de votre esprit,
lequel il vivifie et animé de sa divine présence, étant là comme le coeur de votre
coeur et lesprit de votre esprit; car, comme lâme étant répandue par tout
le corps se trouve présente en toutes les parties dicelui, et réside néanmoins au
coeur dune spéciale résidence, de même Dieu étant très présent à toutes
choses, assiste toutefois dune spéciale façon à notre esprit: et pour cela David
appelait Dieu, «Dieu de son coeur », et saint Paul disait que « nous vivons, nous nous
mouvons et sommes en Dieu ». En la considération donc de cette vérité, vous
exciterez une grande révérence en votre coeur à lendroit de Dieu, qui lui est si
intimement présent. Le troisième moyen, cest de
considérer notre Sauveur, lequel en son humanité regarde dès le ciel toutes les
personnes du monde, mais particulièrement les chrétiens qui sont ses enfants, et plus
spécialement ceux qui sont en prière, desquels il remarque les actions et déportements.
Or, ceci nest pas une simple imagination, mais une vraie vérité; car encore que
nous ne le voyions pas, si est-ce que de là-haut il nous considère : saint Etienne le
vit ainsi au temps de son martyre. Si que nous pouvons bien dire avec lépouse : «
Le voilà quil est derrière la paroi, voyant par les fenêtres, regardant par les
treillis. » La quatrième façon consiste à se servir
de la simple imagination, nous représentant le Sauveur en son humanité sacrée comme
sil était près de nous, ainsi que nous avons accoutumé de nous représenter nos
amis et de dire : je mimagine de voir un tel qui fait ceci et cela, il me semble que
je le vois, ou chose semblable. Mais si le très Saint Sacrement de lautel était
présent, alors cette présence serait réelle et non purement imaginaire ; car les
espèces et apparences du pain seraient comme une tapisserie, derrière laquelle Notre
Seigneur réellement présent nous voit et considère, quoi que nous ne le voyions pas en
sa propre forme. Vous userez donc de lun de ces quatre moyens, pour mettre votre
âme en la présence de Dieu avant loraison; et ne faut pas les vouloir employer
tous ensemblement, mais seulement un à la fois, et cela brièvement et simplement. CHAPITRE IIIDE LINVOCATION, SECOND POINT DE LA PRÉPARATION Linvocation se fait en cette
manière: votre âme se sentant en la présence de Dieu, se prosterne en une extrême
révérence, se connaissant très indigne de demeurer devant une si souveraine Majesté,
et néanmoins, sachant que cette même bonté le veut, elle lui demande la grâce de la
bien servir et adorer en cette méditation. Que si vous le voulez, vous pourrez user de
quelques paroles courtes et enflammées, comme sont celles ici de David: « Ne me rejetez point, O mon Dieu, de devant votre face, et ne
môtez point la faveur de votre Saint Esprit. Eclairez votre face sur votre
servante, et je considérerai vos merveilles. Donnez-moi lentendement, et je
regarderai votre loi et la garderai de tout mon coeur. Je suis votre servante, donnez-moi
lesprit »; et telles paroles semblables à cela. Il vous servira encore
dajouter linvocation de votre bon ange et des sacrées personnes qui se
trouveront au mystère que vous méditez.: comme en celui de la mort de Notre Seigneur,
vous pourrez invoquer Notre Dame, saint Jean, la Madeleine, le bon larron, afin que les
sentiments et mouvements intérieurs quils y reçurent vous soient communiqués; et
en la méditation de votre mort, vous pourrez invoquer votre bon ange, qui se trouvera
présent, afin quil vous inspire des considérations convenables; et ainsi des
autres mystères. CHAPITRE IVDE LA PROPOSITION DU MYSTÈRE . TROISIÈME POINT DE LA PRÉPARATION. Après ces deux points ordinaires de la
méditation, il y en a un troisième qui nest pas commun à toutes sortes de
méditations : cest celui que les uns appellent fabrication du lieu, et les autres,
leçon intérieure. Or, ce nest autre chose que de proposer à son imagination le
corps du mystère que lon veut méditer, comme sil se passait réellement et
de fait en notre présence. Par exemple, si vous voulez méditer Notre Seigneur, en la
façon que les Evangélistes le décrivent. Jen dis de même quand vous méditerez
la mort, ainsi que je lai marqué en la méditation dicelle, comme aussi à
celle de lenfer, et en tous semblables mystères où il sagit de choses
visibles et sensibles ; car, quant aux autres mystères, de la grandeur de Dieu, de
lexcellence des vertus, de la fin pour laquelle nous sommes créés, qui sont des
choses invisibles, il nest pas question de vouloir se servir de cette sorte
dimagination. Il est vrai que lon peut bien employer quelque similitude et
comparaison pour aider à la considération; mais cela est aucunement difficile à
rencontrer, et je ne veux traiter avec vous que fort simplement, et en sorte que votre
esprit ne soit pas beaucoup travaillé à faire des inventions. Or, par le moyen de cette imagination,
nous enfermons notre esprit dans le mystère que nous voulons méditer, afin quil
naille pas courant çà et là, ni plus ni moins que lon enferme un oiseau
dans une cage, ou bien comme lon attache lépervier à ses longes, afin
quil demeure dessus le poing. Quelques-uns vous diront néanmoins quil est
mieux duser de la simple pensée de la foi, et dune simple appréhension toute
mentale et spirituelle, en la représentation de ces mystères, ou bien de considérer que
les choses se font en votre propre esprit; mais cela est trop subtil pour le commencement,
et jusques à ce que Dieu vous élève plus haut, je vous conseille, Philothée, de vous retenir en la basse vallée que je vous
montre. CHAPITRE VDES CONSIDÉRATIONS SECONDE PARTIE DE LA MÉDITATION Après laction de limagination, sensuit
laction de lentendement que nous appelons méditation, qui nest autre
chose quune ou plusieurs considérations faites afin démouvoir nos affections
en Dieu et aux choses divines : en quoi la méditation est différente de létude et
des autres pensées et considérations, lesquelles ne se font pas pour acquérir la vertu
ou lamour de Dieu, mais pour quelques autres fins et intentions, comme pour devenir
savant, pour en écrire ou disputer. Ayant donc enfermé votre esprit, comme jai
dit, dans lenclos du sujet que vous voulez méditer, ou par limagination, si
le sujet est sensible, ou par la simple proposition, sil est insensible, vous
commencerez à faire sur icelui des considérations, dont vous verrez des exemples tout
formés ès méditations que je vous ai données. Que si votre esprit trouve assez de
goût, de lumière et de fruit sur lune des considérations, vous vous y arrêterez
sans passer plus outre, faisant comme les abeilles qui ne quittent point la fleur tandis
quelles y trouvent du miel à recueillir. Mais si vous ne rencontrez pas selon votre
souhait en lune des considérations, après avoir un peu marchandé et essayé, vous
passerez à une autre; mais allez tout bellement et simplement en cette besogne, sans vous
y empresser. CHAPITRE VIDES AFFECTIONS ET RÉSOLUTIONS TROISIÈME PARTIE DE LA MÉDITATION La méditation répand des bons mouvements
en la volonté ou partie effective de notre âme, comme sont lamour de Dieu et du
prochain, le désir du paradis et de la gloire, le zèle du salut des âmes,
limitation de la vie de Notre Seigneur, la compassion, ladmiration, la
réjouissance, la crainte de la disgrâce de Dieu, du jugement et de lenfer, la
haine du péché, la confiance en la bonté et miséricorde de Dieu, la confusion pour
notre mauvaise vie passée: et en ces affections, notre esprit se doit épancher et étendre le
plus quil lui sera possible. Que si vous voulez être aidée pour cela, prenez en
main le premier tome des Méditations de dom André Capilia, et voyez sa préface, car en
icelle il montre la façon avec laquelle il faut dilater ses affections; et plus
amplement, le Père Arias en son Traité de lOraison. Il ne faut pas pourtant, Philothée,
sarrêter tant à ces affections générales, que vous ne les convertissiez en des
résolutions spéciales et particulières pour votre correction et amendement. Par
exemple, la première parole que Notre Seigneur dit sur la croix répandra sans doute une
bonne affection dimitation en votre âme, à savoir, le désir de pardonner à vos
ennemis et de les aimer. Or, je dis maintenant que cela est peu de chose, si vous ny
ajoutez une résolution spéciale en cette sorte: or sus donc, je ne me piquerai plus de
telles paroles fâcheuses quun tel ou une telle, mon voisin ou ma voisine, mon
domestique ou ma domestique disent de moi, ni de tel et tel mépris qui mest fait
par cestui-ci ou cestui-là; au contraire, je dirai et ferai telle et telle chose pour le
gagner et adoucir, et ainsi des autres. Par ce moyen, Philothée, vous corrigerez vos
fautes en peu de temps, là où par les seules affections vous le ferez tard et
malaisément. CHAPITRE VIIDE LA CONCLUSION ET BOUQUET SPIRITUELEnfin il faut conclure la méditation par
trois actions, quil faut faire avec le plus dhumilité que lon peut. La
première, cest laction de grâces, remerciant Dieu des affections et
résolutions quil nous a données, et de sa bonté et miséricorde que nous avons
découvertes au mystère de la méditation La seconde, cest laction
doffrande par laquelle nous offrons à Dieu sa même bonté et miséricorde, la
mort, le sang, les vertus de son Fils, et, conjointement avec icelles, nos affections et
résolutions. La troisième action est celle de la supplication, par laquelle nous
demandons à Dieu et le conjurons de nous communiquer les grâces et vertus de son Fils,
et de donner la bénédiction à nos affections et résolutions, afin que nous les
puissions fidèlement exécuter; puis nous prions de même pour lEglise, pour nos
pasteurs, parents, amis et autres, employant à cela lintercession de Notre Dame,
des anges, des saints. Enfin jai remarqué quil fallait dire le Pater noster
et Ave Maria, qui est la générale et nécessaire prière de tous les fidèles. A tout cela, jai ajouté quil
fallait cueillir un petit bouquet de dévotion; et voici que je veux dire. Ceux qui se
sont promenés en un beau jardin nen sortent pas volontiers sans prendre en leur
main quatre ou cinq fleurs pour les odorer et tenir le long de la journée: ainsi notre
esprit ayant discouru sur quelque mystère par la méditation, nous devons choisir un ou
deux ou trois points que nous aurons trouvés plus à notre goût, et plus propres à
notre avancement, pour nous en ressouvenir le reste de la journée et les odorer
spirituellement. Or, cela se fait sur le lieu même auquel nous avons fait la méditation,
en nous y entretenant ou promenant solitairement quelque temps après. CHAPITRE VIIIQUELQUES AVIS UTILES SUR LE SUJET DE LA MÉDITATION Il faut surtout, Philothée, quau
sortir de votre méditation vous reteniez les résolutions et délibérations que vous
aurez prises, pour les pratiquer soigneusement ce leur-là. Cest le grand fruit de
la méditation, sans lequel elle est bien souvent, non seulement inutile, mais nuisible,
parce que les vertus méditées et non pratiquées enflent quelquefois lesprit et le
courage, nous étant bien avis que nous sommes tels que nous avons résolu et délibéré
dêtre, ce qui est sans doute véritable si les résolutions sont vives et solides;
mais elles ne sont pas telles, ains vaines et dangereuses, si elles ne sont pratiquées.
Il faut donc par tous moyens sessayer de les pratiquer, et en chercher les occasions
petites ou grandes : par exemple, si jai résolu de gagner par douceur lesprit
de ceux qui moffensent, je chercherai ce jour-là de les rencontrer pour les saluer
amiablement ; et si je ne les puis rencontrer, au moins de dire bien deux, et prier
Dieu en leur faveur. Au sortir de cette oraison cordiale, il
vous faut prendre garde de ne point donner de secousse à votre coeur, car vous
épancheriez le baume que vous avez reçu par le moyen de loraison; je veux dire
quil faut garder, sil est possible, un peu de silence, et remuer tout
doucement votre coeur, de loraison aux affaires, retenant le plus longtemps
quil vous sera possible le sentiment et les affections que vous aurez conçues. Un
homme qui aurait reçu dans un vaisseau de belle porcelaine, quelque liqueur de grand prix
pour lapporter dans sa maison, il irait doucement, ne regardant point à côté,
mais tantôt devant soi, de peur de heurter à quelque pierre ou faire quelque mauvais
pas, tantôt à son vase pour voir sil penche point. Vous en devez faire de même au
sortir de la méditation : ne vous distrayez pas tout à coup, mais regardez simplement
devant vous; comme serait à dire, sil vous faut rencontrer quelquun que vous
soyez obligée dentretenir ou ouïr, il ny a remède, il faut
saccommoder à cela, mais en telle sorte que vous regardiez aussi à votre coeur,
afin que la liqueur de la sainte oraison ne sépanche que le moins quil sera
possible. Il faut même que vous vous accoutumiez à
savoir passer de loraison à toutes sortes dactions que votre vacation et
profession requiert justement et légitimement de vous, quoiquelles semblent bien
éloignées des affections que nous avons reçues en loraison. Je veux dire, un
avocat doit savoir passer de loraison à la plaidoirie ; le marchand, au trafic; la
femme mariée, au devoir de son mariage et an tracas de son ménage, avec tant de douceur
et de tranquillité que pour cela son esprit nen soit point troublé; car, puisque
lun et lautre est selon la volonté de Dieu, il faut faire le passage de
lun à lautre en esprit dhumilité et dévotion. Il vous arrivera quelquefois
quincontinent après la préparation, votre affection se trouvera toute émue en
Dieu : alors, Philothée, il lui faut lâcher la bride, sans vouloir suivre la méthode
que je vous ai donnée; car bien que pour lordinaire, la considération doive
précéder les affections et résolutions, si est-ce que le Saint-Esprit vous donnant les
affections avant la considération, vous ne devez pas rechercher la considération,
puisquelle ne se fait que pour émouvoir laffection. Bref, toujours quand les
affections se présenteront à vous, il les faut recevoir et leur faire place, soit
quelles arrivent avant ou après toutes les considérations. Et quoique jaie
mis les affections après toutes les considérations, je ne lai fait que pour mieux
distinguer les parties de loraison; car au demeurant, cest une règle
générale quil ne faut jamais retenir les affections, ains les laisser toujours
sortir quand elles se présentent. Ce que je dis non seulement pour les autres affections,
mais aussi pour laction de grâces, loffrande et la prière qui se peuvent
faire parmi les considérations; car il ne les faut non plus retenir que les autres
affections, bien que, par après, pour la conclusion de la méditation, il faille les
répéter et reprendre. Mais quant aux résolutions, il les faut faire après les
affections et sur la fin de toute la méditation, avant la conclusion, dautant
quayant à nous représenter des objets particuliers et familiers, elles nous
mettraient en danger, si nous les faisions parmi les affections, dentrer en des
distractions. Emmi les affections et résolutions, il
est bon duser de colloque, et parler tantôt à Notre Seigneur, tantôt aux anges et
aux personnes représentées aux mystères, aux saints et à soi-même, à son coeur, aux
pécheurs et même aux créatures insensibles, comme lon voit que David fait en ses
psaumes, et les autres saints, en leurs méditations et oraisons. CHAPITRE IXPOUR LES SÉCHERESSES QUI ARRIVENT EN LA MÉDITATION Sil vous arrive, Philothée, de
navoir point de goût ni de consolation en la méditation, je vous conjure de ne
vous point troubler, mais quelquefois ouvrez la porte aux paroles vocales : lamentez-vous
de vous-même à Notre Seigneur, confessez votre indignité, priez-le quil vous soit
en aide, baisez son image si vous lavez, dites-lui ces paroles de Jacob : « Si ne
vous laisserai-je point, Seigneur, que vous ne mayez donné votre bénédiction s;
ou celles de la Chananée: « Oui, Seigneur, je suis une chienne, mais les chiens mangent
des miettes de la table de leur maître. » Autres fois, prenez un livre en main, et le
lisez avec attention jusques à ce que votre esprit soit réveillé et remis en vous ;
piquez quelquefois votre coeur par quelque contenance et mouvement de dévotion
extérieure, vous prosternant en terre, croisant les mains sur lestomac, embrassant
un crucifix: cela sentend si vous êtes en quelque lieu retiré. Que si après tout cela vous nêtes
point consolée, pour grande que soit votre sécheresse, ne vous troublez point, mais
continuez à vous tenir en une contenance dévote devant votre Dieu. Combien de courtisans
y a-t-il qui vont cent fois lannée eu la chambre du prince sans espérance de lui
parler, mais seulement pour être vus de lui et rendre leur devoir. Ainsi devons-nous
venir, ma chère Philothée, à la sainte oraison, purement et simplement pour rendre
notre devoir et témoigner notre fidélité. Que sil plaît à la divine Majesté de
nous parler et sentretenir avec nous par ses saintes inspirations et consolations
intérieures, ce nous sera sans doute un grand honneur et un plaisir délicieux; mais
sil ne lui plaît pas de nous faire cette grâce, nous laissant là sans nous
parler, non plus que sil ne nous voyait pas et que nous ne fussions pas en sa
présence, nous ne devons pourtant pas sortir, ains au contraire nous devons demeurer là,
devant cette souveraine bonté, avec un maintien dévotieux et paisible; et lors
infailliblement il agréera notre patience, et remarquera notre assiduité et
persévérance, si quune autre fois, quand nous reviendrons devant lui, il nous
favorisera et sentretiendra avec nous par ses consolations, nous faisant voir
laménité de la sainte oraison. Mais quand il ne le ferait pas, contentons-nous,
Philothée, que ce nous est un honneur trop plus grand dêtre auprès de lui et à
sa vue. CHAPITRE XEXERCICE POUR LE MATIN Outre cette oraison mentale entière et
formée, et les autres oraisons vocales que vous devez faire une fois le jour, il y a cinq
autres sortes doraisons plus courtes, et qui sont comme agencements et surgeons de
lautre grande oraison, entre lesquelles, la première est celle qui se fait le
matin, comme une préparation générale à toutes les oeuvres de la journée. Or, vous la
ferez en cette sorte: 1. Remerciez et adorez Dieu profondément
pour la grâce quil vous a faite de vous avoir conservée la nuit précédente; et
si vous aviez en icelle commis quelque péché, vous lui demanderez pardon. 2. Voyez que Je jour présent vous est
donné afin quen icelui vous puissiez gagner le jour à venir de léternité,
et ferez un ferme propos de bien employer la journée à cette intention. 3. Prévoyez quelles affaires, quels
commerces et quelles occasions vous pouvez rencontrer cette journée-là pour servir Dieu,
et quelles tentations vous pourront survenir de loffenser, ou par colère ou par
vanité, ou par quelque autre dérèglement; et, par une sainte résolution,
préparez-vous à bien employer les moyens qui se doivent offrir à vous de servir Dieu et
avancer votre dévotion; comme au contraire, disposez-vous à bien éviter, combattre et
vaincre ce qui peut se présenter contre votre salut et la gloire de Dieu. Et ne suffit
pas de faire cette résolution, mais il faut préparer les moyens pour la bien exécuter.
Par exemple, si je prévois de devoir traiter de quelque affaire avec une personne
passionnée et prompte à la colère, non seulement je me résoudrai de ne point me
relâcher à loffenser, mais je préparerai des paroles de douceur pour la
prévenir, ou lassistance de quelque personne qui la puisse contenir. Si je prévois
de vouloir visiter un malade, je disposerai lheure et les consolations et secours
que jai à lui faire ; et ainsi des autres. 4.
Cela fait, humiliez-vous devant Dieu, reconnaissant que de vous-même vous ne sauriez rien
faire de ce que vous avez délibéré, soit pour fuir le mal, soit pour exécuter le bien.
Et comme si vous teniez votre coeur en vos mains, offrez-le avec tous vos bons desseins à
la divine Majesté, la suppliant de le prendre en sa protection et le fortifier pour bien
réussir en son service, et ce par telles ou semblables paroles intérieures : « O
Seigneur, voilà ce pauvre et misérable coeur qui, par votre bonté, a conçu plusieurs
bonnes affections; mais hélas! il est trop faible et chétif pour effectuer le bien
quil désire, si vous ne lui départez votre céleste bénédiction, laquelle à
cette intention je vous requiers, o Père débonnaire, par le mérite de la Passion de
votre Fils, à lhonneur duquel je consacre cette journée et le reste de ma vie. s
Invoquez Notre Dame, votre bon ange et les saints, afin quils vous assistent à cet
effet. Mais toutes ces actions spirituelles se doivent faire brièvement et
vivement, devant que lon sorte de la chambre sil est possible, afin que, par
le moyen de cet exercice, tout ce que vous ferez le long de la journée soit arrosé de la
bénédiction de Dieu; mais je vous prie, Philothée, de ny manquer jamais. CHAPITRE XIDE LEXERCICE DU SOIR ET DE LEXAMEN DE CONSCIENCE Comme devant votre dîner temporel vous
ferez le dîner spirituel par le moyen de la méditation, ainsi avant votre souper il vous
faut faire un petit souper, au moins une collation dévote et spirituelle. Gagnez donc
quelque loisir un peu devant lheure du souper, et, prosternée devant Dieu,
ramassant votre esprit auprès de Jésus-Christ crucifié (que vous vous représenterez
par une simple considération et oeillade intérieure), rallumez le feu de votre
méditation du matin en votre coeur, par une douzaine de vives aspirations, humiliations
et élancements amoureux que vous ferez sur ce divin Sauveur de votre âme; ou bien en
répétant les points que vous aurez plus savourés en la méditation du matin, ou bien
vous excitant par quelque autre nouveau sujet, selon que vous aimerez mieux. Quant à lexamen de conscience qui
se doit toujours faire avant qualler coucher, chacun sait comme il le faut
pratiquer. 1. On remercie Dieu de la conservation
quil a faite de nous en la journée passée. 2. On examine comme on sest
comporté en toutes les heures du jour; et pour faire cela plus aisément, on considérera
où, avec qui, et en quelle occupation on a été. 3. Si lon trouve davoir fait
quelque bien, on en fait action de grâces à Dieu; si au contraire lon a fait
quelque mal, en pensées, en paroles ou en oeuvres, on en demande pardon à sa divine
Majesté, avec résolution de sen confesser à la première occasion et de sen
amender soigneusement. 4. Après cela, on recommande à la
Providence divine son corps, son âme, lEglise, les parents, les amis ; on prie
Notre Dame, le bon ange et les saints de veiller sur nous et pour nous ; et avec la
bénédiction de Dieu, on va prendre le repos quil a voulu nous être requis. Cet exercice ici ne doit jamais être oublié, non plus que celui du
matin ; car par celui du matin vous ouvrez les fenêtres de votre âme au Soleil de
justice, et par celui du soir, vous les fermez aux ténèbres de lenfer. CHAPITRE XIIDE LA RETRAITE SPIRITUELLE Cest ici, chère Philothée, où je
vous souhaite fort affectionnée à suivre mon conseil ; car en cet article consiste
lun des plus assurés moyens de votre avancement spirituel. Rappelez le plus souvent que vous pourrez parmi la journée votre
esprit en la présence de Dieu par lune des quatre façons que je vous ai
remarquées; regardez ce que Dieu fait et ce que vous faites vous verrez ses yeux tournés
de votre côté, et perpétuellement fichés sur vous par un amour incomparable. O Dieu,
ce direz-vous, pourquoi ne vous regardé-je toujours, comme toujours vous me regardez ?
Pourquoi pensez-vous en moi si souvent, mon Seigneur, et pourquoi pensé-je si peu souvent
en vous? Où sommes-nous, o mon âme? notre vraie place, cest Dieu, et où est-ce
que nous nous trouvons ? Comme les oiseaux ont des nids sur les
arbres pour faire leur retraite quand ils en ont besoin, et les cerfs ont leurs buissons
et leurs forts dans lesquels ils se recèlent et mettent à couvert, prenant la fraîcheur
de lombre en été; ainsi, Philothée, nos coeurs doivent prendre et choisir quelque
place chaque jour, ou sur le mont de Calvaire, ou ès plaies de Notre Seigneur, ou en
quelque autre lieu proche de lui, pour y faire leur retraite à toutes sortes
doccasions, et là salléger et recréer entre les affaires extérieures, et
pour y être comme dans un fort, afin de se défendre des tentations. Bienheureuse sera
lâme qui pourra dire en vérité à Notre Seigneur : « Vous êtes ma maison
de refuge, mon rempart assuré, mon toit contre la pluie et mon ombre contre la
chaleur. » Ressouvenez-vous donc, Philothée, de
faire toujours plusieurs retraites en la solitude de votre coeur, pendant que
corporellement vous êtes parmi les conversations et affaires; et cette solitude mentale
ne peut nullement être empêchée par la multitude de ceux qui vous sont autour, car ils
ne sont pas autour de votre coeur, ains autour de votre corps, si que votre coeur demeure
lui tout seul en la présence de Dieu seul. Cest lexercice que faisait le roi
David parmi tant doccupations quil avait, ainsi quil le témoigne par
mille traits de ses psaumes, comme quand il dit : « O Seigneur, et moi j e suis toujours
avec vous. Je vois mon Dieu toujours devant moi. Jai élevé mes yeux à vous, o mon
Dieu, qui habitez au ciel. Mes yeux sont toujours à Dieu. » Et aussi les conversations
ne sont pas ordinairement si sérieuses quon ne puisse de temps en temps en retirer
le coeur pour le remettre en cette divine solitude. Les père et mère de sainte Catherine de Sienne lui ayant ôté
toute commodité du lieu et de loisir pour prier et méditer, Notre Seigneur
linspira de faire un petit oratoire intérieur en son esprit, dedans lequel se
retirant mentalement, elle pût parmi les affaires extérieures vaquer à cette sainte
solitude cordiale. Et depuis, quand le monde lattaquait, elle nen recevait
nulle incommodité, parce, disait-elle, quelle senfermait dans son cabinet
intérieur, où elle se consolait avec son céleste Epoux. Aussi dès lors elle
conseillait à ses enfants spirituels de se faire une chambre dans le coeur et dy
demeurer. Retirez donc quelquefois votre esprit
dedans votre coeur, où, séparée de tous les hommes, vous puissiez traiter coeur à
coeur de votre âme avec son Dieu, pour dire avec David : « Jai veillé et ai été
semblable au pélican de la solitude; jai été fait comme le chat-huant ou le hibou
dans les masures, comme le passereau solitaire au toit. » Lesquelles paroles, outre leur
sens littéral (qui témoigne que ce grand roi prenait quelques heures pour se tenir
solitaire en la contemplation des choses spirituelles), nous montrent en leur sens
mystique trois excellentes retraites et comme trois hermitages, dans lesquels nous pouvons
exercer notre solitude à limitation de notre Sauveur, lequel sur le mont de
Calvaire fut comme le pélican de la solitude, qui de son sang ravive ses poussins morts;
en sa Nativité dans une établerie déserte, il fut comme le hibou dedans la masure,
plaignant et pleurant nos fautes et péchés; et au jour de son Ascension, il fut comme le
passereau, se retirant et volant au ciel qui est comme le toit du monde ; et en tous ces
trois lieux, nous pouvons faire nos retraites emmi le tracas des affaires. Le bienheureux
Elzéar, comte dArian en Provence, ayant été longuement absent de sa dévote et
chaste Delfine, elle lui envoya un homme exprès pour savoir de sa santé, et il lui fit
réponse : « Je me porte fort bien, ma chère femme; que si vous me voulez voir,
cherchez-moi en la plaie du côté de notre doux Jésus, car cest là où
jhabite et où vous me trouverez; ailleurs, vous me chercherez pour néant ».
Cétait un chevalier chrétien, celui-là ! CHAPITRE XIIIDES ASPIRATIONS, ORAISONS JACULATOIRES ET BONNES PENSÉES On se retire en Dieu parce quon
aspire à lui, et on y aspire pour sy retirer; si que laspiration en Dieu et
la retraite spirituelle sentretiennent lune lautre, est toutes deux
proviennent et naissent des bonnes pensées. Aspirez donc bien souvent en Dieu,
Philothée, par des courts mais ardents élancements de votre coeur: admirez sa beauté,
invoquez son aide, jetez-vous en esprit au pied de la croix, adorez sa bonté,
interrogez-le souvent de votre salut, donnez-lui mille fois le jour votre âme, fichez vos
yeux intérieurs sur sa douceur, tendez-lui la main, comme un petit enfant à son père,
afin quil vous conduise, mettez-lui sur votre poitrine comme un bouquet délicieux,
plantez-le en votre âme comme un étendard, et faites mille sortes de divers mouvements
de votre coeur pour vous donner de lamour de Dieu, et vous exciter à une
passionnée et tendre dilection de ce divin Epoux. On fait ainsi les oraisons jaculatoires,
que le grand saint Augustin conseille si soigneusement à la dévote dame Proba.
Philothée, notre esprit sadonnant à la hantise, privauté et familiarité de son
Dieu, se parfumera tout de ses perfections ; et si, cet exercice nest point
malaisé, car il se peut entrelacer en toutes nos affaires et occupations, sans aucunement
les incommoder, dautant que, soit en la retraite spirituelle, soit en ces
élancements intérieurs, on ne fait que des petits et courts divertissements qui
nempêchent nullement, ains servent de beaucoup à la poursuite de ce que nous
faisons. Le pélerin qui prend un peu de vin pour réjouir son coeur et rafraîchir sa
bouche, bien quil sarrête un peu pour cela, ne rompt pourtant pas son voyage,
ains prend de la force pour le plus vitement et aisément parachever, ne sarrêtant
que pour mieux aller. Plusieurs ont ramassé beaucoup
daspirations vocales, qui vraiment sont fort utiles; mais par mon avis, vous ne vous
astreindrez point à aucune sorte de paroles, ains prononcerez ou de coeur ou de bouche
celles que lamour vous suggérera sur le champ, car il vous en fournira tant que
vous voudrez. Il est vrai quil y a certains mots qui ont une force particulière
pour contenter le coeur en cet endroit, comme sont les élancements semés si dru dedans
les psaumes de David, les invocations diverses du nom de Jésus, et les traits
damour qui sont imprimés au Cantique des Cantiques. Les chansons spirituelles
servent encore à même intention, pourvu quelles soient chantées avec attention. Enfin, comme ceux qui sont amoureux
dun amour humain et naturel ont presque toujours leurs pensées tournées du côté
de la chose aimée, leur coeur plein daffection envers elle, leur bouche remplie de
ses louanges, et quen., son absence ils ne perdent point doccasion de
témoigner leurs passions par lettres, et ne trouvent point darbre sur
lécorce duquel ils nécrivent le nom de ce quils aiment; ainsi ceux qui
aiment Dieu ne peuvent cesser de penser en lui, respirer pour lui, aspirer à lui et
parler de lui, et voudraient, sil était possible, graver sur la poitrine de toutes
les personnes du monde le saint et sacré nom de Jésus. A quoi même toutes choses les
invitent, et ny a créature qui ne leur annonce la louange de leur bien-aimé; et,
comme dit saint Augustin après saint Antoine, tout ce qui est au monde leur parle
dun langage muet mais fort intelligible en faveur de leur amour; toutes choses les
provoquent à des bonnes pensées, desquelles par après naissent force saillies et
aspirations en Dieu. Et voici quelques exemples: Saint Georges, évêque de Nazianze, ainsi
que lui-même racontait à son peuple, se promenant sur le rivage de la mer, considérait
comme les ondes savançant sur la grève laissaient des coquilles et petits cornets,
tiges dherbes, petites huîtres et semblables brouilleries que la mer rejetait, et
par manière de dire crachait dessus le bord ; puis, revenant par des autres vagues, elle
reprenait et engloutissait derechef une partie de cela, tandis que les rochers des
environs demeuraient fermes et immobiles, quoique les eaux vinssent rudement battre contre
iceux. Or sur cela, il fit cette belle pensée: que les faibles, comme coquilles, cornets
et tiges dherbes, se laissent emporter tantôt à laffliction, tantôt à la
consolation, à la merci des ondes et vagues de la fortune, mais que les grands courages
demeurent fermes et immobiles à toutes sortes dorages ; et de cette pensée, il fit
naître ces élancements de David: « O Seigneur, sauvez-moi, car les eaux ont pénétré
jusques à mon âme! O Seigneur, délivrez-moi du profond des eaux! Je suis porté au
profond de la mer et la tempête ma submergé. s Car alors il était en affliction
pour la malheureuse usurpation que Maximus avait entreprise sur son évêché. Saint
Fulgence, évêque de Ruspe, se trouvant en une assemblée générale de la noblesse
romaine que Théodoric, roi des Goths, haranguait, et voyant la splendeur de tant de
seigneurs qui étaient en rang chacun selon sa qualité: « O Dieu, dit-il, combien doit
être belle la Jérusalem céleste, puisquici-bas on voit si pompeuse Rome la
terrestre! Et si en ce monde tant de splendeur est concédée aux amateurs de la vanité,
quelle gloire doit être réservée en lautre monde aux contemplateurs de la
vérité! » On dit que saint Anselme, archevêque de
Cantorbéry, duquel la naissance a grandement honoré nos montagnes, était admirable en
cette pratique des bonnes pensées. Un levraut pressé des chiens accourut sous le cheval
de ce saint prélat, qui pour lors voyageait, comme à un refuge que le péril éminent de
la mort lui suggérait; et les chiens clabaudant tout autour nosaient entreprendre
de violer limmunité à laquelle leur proie avait eu recours; spectacle certes
extraordinaire, qui faisait rire tout le train, tandis que le grand Anselme, pleurant et
gémissant : « Ah! vous riez, disait-il, mais la pauvre bête ne rit pas; les ennemis de
lâme, poursuivie et malmenée par divers détours en toutes sortes de péchés,
lattendent au détroit de la mort pour la ravir et dévorer et elle, tout effrayée,
cherche partout secours et refuge ; que si elle nen trouve point, ses ennemis
sen moquent et sen rient. s Ce quayant dit, il sen alla soupirant.
Constantin le Grand écrivit honorablement à saint Antoine; de quoi les religieux qui
étaient autour de lui furent fort étonnés, et il leur dit: « Comme admirez-vous
quun roi écrive à un homme? Admirez plutôt de quoi Dieu éternel a écrit sa loi
aux mortels, ains leur a parlé bouche à bouche en la personne de son Fils. » Saint
François voyant une brebis toute seule emmi un troupeau de boucs : « Regardez, dit-il à
son compagnon, comme cette pauvre petite brebis est douce parmi ces chèvres; Notre
Seigneur allait ainsi doux et humble entre les Pharisiens. » Et voyant une autre
fois un petit agnelet, mangé par un pourceau: « Eh ! petit agnelet, dit-il tout en
pleurant, que tu représentes vivement la mort de mon Sauveur! » Ce grand personnage de notre âge,
François Borgia, pour lors encore duc de Gandie, allant à la chasse faisait mille
dévotes conceptions: « Jadmirais, dit-il lui-même par après, comme les faucons
reviennent sur le poing, se laissent couvrir les yeux et attacher à la perche, et que les
hommes se rendent si revêches à la voix de Dieu s. Le grand saint Basile dit que la rose
emmi les épines fait cette remontrance aux hommes : « Ce qui est de plus agréable en ce
monde, o mortels, est mêlé de tristesse; rien ny est pur : le regret est toujours
collé à lallégresse, la viduité au mariage, le soin à la fertilité,
lignominie à la gloire, la dépense aux honneurs, le dégoût aux délices et la
maladie à la santé. Cest une belle fleur, dit ce saint personnage, que la rose;
mais elle me donne une grande tristesse, mavertissant de mon péché, pour lequel la
terre a été condamnée de porter les épines. » Une âme dévote regardant un ruisseau,
et y voyant le ciel représenté avec les étoiles en une nuit bien sereine: « O mon Dieu, dit-elle, ces mêmes
étoiles seront dessous mes pieds quand vous maurez logée dans vos saints
tabernacles; et comme les étoiles du ciel sont représentées en la terre, ains les
hommes de la terre sont représentés au ciel en la vive fontaine de la charité divine.
» Lautre, voyant un fleuve flotter, sécriait ainsi : « Mon âme naura
jamais repos quelle ne se soit abîmée dedans la mer de la Divinité qui est son
origine s; et sainte Françoise, considérant un agréable ruisseau sur le rivage duquel
elle sétait agenouillée pour prier, fut ravie en extase, répétant plusieurs fois
ces paroles tout bellement : « La grâce de mon Dieu coule ainsi doucement et souèvement
comme ce petit ruisseau. » Un autre voyant les arbres fleuris soupirait :
« Pourquoi suis-je seul défleuri au jardin de lEglise ? » Un autre voyant
des petits poussins ramassés sous leur mère: « O Seigneur, dit-il, conservez-nous sous
lombre de vos ailes. » Lautre, voyant le tourne-soleil, dit : «
Quand sera-ce, mon Dieu, que mon âme suivra les attraits de votre bonté? » Et voyant
des pensées de jardin, belles à la vue mais sans odeur : « Eh ! dit-il, telles
sont mes cogitations, belles à dire, mais sans effet ni production. » Voilà, ma Philothée, comme lon
tire les bonnes pensées et saintes aspirations de ce qui se présente en la variété de
cette vie mortelle. Malheureux sont ceux qui détournent les créatures de leur Créateur
pour les contourner au péché; bienheureux sont ceux qui contournent les créatures à la
gloire de leur Créateur, et emploient leur vanité à lhonneur de la vérité. «
Certes, dit saint Grégoire Nazianzène, jai accoutumé de rapporter toutes choses
à, mon profit spirituel » Lisez la dévote épitaphe que saint Jérôme a faite de
sa sainte Paule; car cest belle chose à voir comme elle est toute parsemée des
aspirations et conceptions sacrées quelle faisait à toutes sortes de rencontres. Or, en cet exercice de la retraite
spirituelle et des oraisons jaculatoires gît la grande oeuvre de la dévotion : il peut
suppléer au défaut de toutes les autres oraisons, mais le manquement dicelui ne
peut presque point être réparé par aucun autre moyen. Sans icelui, on ne peut pas bien
faire la vie contemplative, et ne saurait-on que mal faire la vie active; sans icelui, le
repos nest quoisiveté, et le travail, quembarrassement; cest
pourquoi je vous conjure de lembrasser de tout votre coeur, sans jamais vous en
départir. CHAPITRE XIVDE LA TRÈS-SAINTE-MESSE ET COMME IL LA FAUT OUÏR 1. Je ne vous ai encore point parlé du
soleil des exercices spirituels, qui est le très saint, sacré et très souverain
sacrifice et sacrement de la messe, centre de la religion chrétienne, coeur de la
dévotion, âme de la piété, mystère ineffable qui comprend labîme de la
charité divine, et par lequel Dieu sappliquant réellement à nous, nous communique
magnifiquement ses grâces et faveurs. 2. Loraison faite en lunion de
ce divin sacrifice a une force indicible, de sorte, Philothée, que par icelui,
lâme abonde en célestes faveurs, comme appuyée sur son bien-aimé, qui la rend si
pleine dodeurs et suavités spirituelles, quelle ressemble à une colonne de
fumée de bois aromatique, de la myrrhe, de lencens et de toutes les poudres du
parfumeur, comme il est dit ès Cantiques. 3. Faites donc toutes sortes
defforts pour assister tous les jours à la sainte messe, afin doffrir avec le
prêtre le sacrifice de votre Rédempteur à Dieu son Père, pour vous et pour toute
lEglise. Toujours les anges en grand nombre sy trouvent présents, comme dit
saint Jean Chrysostôme, pour honorer ce saint mystère; et nous y trouvant avec eux et
avec une même intention, nous ne pouvons que recevoir beaucoup dinfluences propices
par une telle société. Les choeurs de lEglise triomphante et ceux de lEglise
militante se viennent attacher et joindre à Notre Seigneur en cette divine action, pour
avec lui, en lui et par lui ravir le coeur de Dieu le Père et rendre sa miséricorde
toute nôtre. Quel bonheur a une âme de contribuer dévotement ses affections pour un
bien si précieux et désirable. 4. Si, par quelque force forcée, vous ne
pouvez pas vous rendre présente à la célébration de ce souverain sacrifice, dune
présence réelle, au moins faut-il que vous y portiez votre coeur pour y assister
dune présence spirituelle. A quelque heure donc du matin, allez en esprit, si vous
ne pouvez autrement, en léglise; unissez votre intention à celle de tous les
chrétiens, et faites les mêmes actions intérieures au lieu où vous êtes, que vous
feriez si vous étiez réellement présente à loffice de la sainte messe en quelque
église. 5. Or pour ouïr, ou réellement ou
mentalement, la sainte messe comme il est convenable : 1. Dès le commencement jusques à
ce que le prêtre se soit mis à lautel, faites avec lui la préparation, laquelle
consiste à se mettre en la présence de Dieu, reconnaître votre indignité et demander
pardon de vos fautes. 2. Depuis que le prêtre est à lautel jusques à
lévangile, considérez la venue et la vie de Notre Seigneur en ce monde, par une
simple et générale considération. 3. Depuis lévangile jusques après le Credo,
considérez la prédication de notre Sauveur; protestez de vouloir vivre et mourir en la
foi et obéissance de sa sainte parole et en lunion de la sainte Eglise catholique.
4. Depuis le Credo jusques au Pater noster, appliquez votre coeur aux mystères de la mort
et passion de notre Rédempteur, qui sont actuellement et essentiellement représentés en
ce saint sacrifice, lequel avec le prêtre et avec le reste du peuple, vous offrirez à
Dieu le Père pour son honneur et pour votre salut. 5. Depuis le Pater noster, jusques à
la communion, efforcez-vous de faire mille désirs de votre coeur, souhaitant ardemment
dêtre à jamais jointe et unie à notre Sauveur par amour éternel. 6. Depuis la
communion jusques à la fin, remerciez sa divine Majesté de son incarnation, de sa vie,
de sa mort, de sa passion et de lamour quil nous témoigne en ce saint
sacrifice, le conjurant par icelui de vous être à jamais propice, à vos parents, à vos
amis et à toute lEglise ; et vous humiliant de tout votre coeur, recevez
dévotement la bénédiction divine que Notre Seigneur vous donne par lentremise de
son officier. Mais si vous voulez pendant la messe faire
votre méditation sur les mystères que vous allez suivant de jour en jour, il ne sera pas
requis que vous vous divertissiez à faire ces particulières actions; ains suffira
quau commencement vous dressiez votre intention à vouloir adorer et offrir ce saint
sacrifice par lexercice de votre méditation et oraison, puis quen toute
méditation se trouvent les actions susdites, ou expressément ou tacitement et
virtuellement. CHAPITRE XVDES AUTRES EXERCICES PUBLICS ET COMMUNS Outre cela, Philothée, les fêtes et
dimanches il faut assister à loffice des heures et des vêpres, tant que votre
commodité le permettra; car ces jours-là sont dédiés à Dieu, et faut bien faire plus
dactions à son honneur et gloire en iceux que non pas ès autres jours. Vous
sentirez mille douceurs de dévotion par ce moyen, comme faisait saint Augustin, qui
témoigne en ses Confessions que oyant les divins offices au commencement de sa
conversion, son coeur se fondait en suavité, et ses yeux, en larmes de piété. Et puis
(afin que je le dise une fois pour toutes), il y a toujours plus de bien et de consolation
aux offices publics de lEglise, que non pas aux actions particulières, Dieu ayant
ainsi ordonné que la communion soit préférée à toute sorte de particularité. Entrez volontiers aux confréries du lieu
où vous êtes, et particulièrement en celles desquelles les exercices apportent plus de
fruit et dédification; car en cela vous ferez une sorte dobéissance fort
agréable à Dieu, dautant quencore que les confréries ne soient pas
commandées, elles sont néanmoins recommandées par lEglise, laquelle, pour
témoigner quelle désire que plusieurs sy enrôlent, donne des indulgences et
autres privilèges aux confrères. Et puis, cest toujours une chose fort charitable
de concourir avec plusieurs et coopérer aux autres pour leurs bons desseins. Et, bien
quil puisse arriver que lon fît daussi bons exercices à part soi comme
lon fait aux confréries en commun, et que peut-être lon goûtât plus de les
faire en particulier, si est-ce que Dieu est plus glorifié de lunion et
contribution que nous faisons de nos bienfaits avec nos frères et prochains. Jen dis le même de toutes sortes de prières et dévotions
publiques, auxquelles, tant quil nous est possible, nous devons porter notre bon
exemple pour lédification du prochain, et notre affection pour la gloire de Dieu et
lintention commune. CHAPITRE XVIQUIL FAUT HONORER ET INVOQUER LES SAINTS Puisque Dieu nous envoie bien souvent les
inspira. tions par ses anges, nous devons aussi lui renvoyer fréquemment nos aspirations
par la même entremise. Les saintes âmes des trépassés qui sont en paradis avec les
anges et, comme dit Notre Seigneur, égales et pareilles aux anges, font aussi le même
office, dinspirer en nous et daspirer. pour nous par leurs saintes oraisons.
Ma Philothée, joignons nos coeurs à ces célestes esprits et âmes bienheureuses ; comme
les petits rossignols apprennent à chanter avec les grands, ainsi, par le sacré commerce
que nous ferons avec les saints, nous saurons bien mieux prier et chanter les louanges
divines : « Je psalmodierai, disait David, à la vue des Anges. » Honorez, révérez et respectez dun
amour spécial la sacrée et glorieuse Vierge Marie : elle est mère de notre souverain
Père, et par conséquent notre grandmère. Recourons donc à elle, et, comme ses
petits-enfants, jetons-nous à son giron avec une confiance parfaite; à tous moments, à
toutes occurences réclamons cette douce Mère, invoquons son amour maternel, et, tâchant
dimiter ses vertus, ayons en son endroit un vrai coeur filial. Rendez-vous fort familière avec les
anges; voyez-les souvent invisiblement présents à votre vie, et surtout aimez et
révérez celui du diocèse auquel vous êtes, ceux des personnes avec lesquelles vous
vivez, et spécialement le vôtre; suppliez-les souvent, louez-les ordinairement, et
employez leur aide et secours en toutes vos affaires, soit spirituelles soit temporelles,
afin quils coopèrent à vos intentions. Le grand Pierre Favre, premier prêtre,
premier prédicateur, premier lecteur en théologie de la sainte Compagnie du nom de
Jésus, et premier compagnon du bienheureux Ignace, fondateur dicelle, venant un
jour dAllemagne, où il avait fait des grands services à la gloire de Notre
Seigneur, et passant en ce diocèse, lieu de sa naissance, racontait quayant
traversé plusieurs lieux hérétiques, il avait reçu mille consolations davoir
salué en abordant chaque paroisse les anges protecteurs dicelles, lesquels il avait
connu sensiblement lui avoir été propices, soit pour le garantir des embûches des
hérétiques, soit pour lui rendre plusieurs âmes douces et dociles à recevoir la
doctrine de salut. Et disait cela avec tant de recommandation, quune damoiselle,
lors jeune, layant ouï de sa bouche, le récitait il ny a que quatre ans,
cest-à-dire plus de soixante ans après, avec un extrême sentiment. Je fus
consolé cette année passée de consacrer un autel sur la place en laquelle Dieu fit
naître ce bienheureux homme, au petit village du Villaret, entre nos plus âpres
montagnes. Choisissez quelques saints particuliers,
la vie desquels vous puissiez mieux savourer et imiter, et en lintercession desquels
vous ayez une particulière confiance: celui de votre nom vous est déjà tout assigné
dès votre baptême, CHAPITRE XVIICOMME IL FAUT OUIR ET LIRE LA PAROLE DE DIEU Soyez dévote à la parole de Dieu : soit
que vous lécoutiez en devis familiers avec vos amis spirituels, soit que vous
lécoutiez au sermon, oyez-la toujours avec attention et révérence; faites-en bien
votre profit et ne permettez pas quelle tombe à terre, ains recevez-la comme un
précieux baume dans votre coeur, à limitation de la très sainte Vierge, qui
conservait soigneusement dedans le sien toutes les paroles que lon disait à la
louange de son Enfant. Et souvenez-vous que Notre Seigneur recueille les paroles que nous
lui disons en nos prières, à mesure que nous recueillons celles quil nous dit par
la prédication. Ayez toujours auprès de vous quelque beau livre de dévotion, comme
sont ceux de saint Bonaventure, de Gerson, de Denis le Chartreux, de Louis Biosius, de
Grenade, de Stella, dArias, de Pinelli, de Du Pont, dAvila, le Combat
spirituel, les Confessions de saint Augustin, les épîtres de saint Jérôme, et
semblables; et lisez-en tous les jours un avec une grande dévotion, comme si vous lisiez
des lettres missives que les saints vous eussent envoyées du ciel, pour vous montrer le
chemin et vous donner le courage dy aller. Lisez aussi les histoires et Vies des Saints, esquelles, comme dans
un miroir, vous verrez le portrait de la vie chrétienne; et accommodez leurs actions à
votre profit selon votre vacation. Car bien que beaucoup des actions des saints ne soient
pas absolument imitables par ceux qui vivent emmi le monde, si est-ce que toutes peuvent
être suivies ou de près ou de loin : la solitude de saint Paul, premier ermite, est
imitée en vos retraites spirituelles et réelles, desquelles nous parlerons et avons
parlé ci-dessus; lextrême pauvreté de saint François, par les pratiques de la
pauvreté telles que nous les marquerons, et ainsi des autres. Il est vrai quil y a
certaines histoires qui donnent plus de lumière pour la conduite de notre vie que
dautres, comme la vie de la bienheureuse mère Thérèse, laquelle est admirable
pour cela, les vies des premiers Jésuites, celle de saint Charles Borromée, archevêque
de Milan, de saint Louis, de saint Bernard, les Chroniques de saint François et autres
pareilles. Il y en a dautres où il y a plus de sujet dadmiration que
dimitation, comme celle de sainte Marie Egyptienne, de saint Siméon Stylite, des
deux saintes Catherine de Sienne et de Gênes, de sainte Angèle et autres telles,
lesquelles ne laissent pas néanmoins de donner un grand goût général du saint amour de
Dieu. CHAPITRE XVIIICOMME IL FAUT RECEVOIR LES INSPIRATIONS Nous appelons inspirations tous les
attraits, mouvements, reproches et remords intérieurs, lumières et connaissances que
Dieu- fait en nous, prévenant notre coeur en ses bénédictions par son soin et amour
paternel, afin de nous réveiller, exciter, pousser et attirer aux saintes vertus, à
lamour céleste, aux bonnes résolutions, bref, à tout ce qui nous achemine à
notre bien éternel. Cest ce que lEpoux appelle heurter à la porte et parler
au coeur de son Epouse, la réveiller quand elle dort, la crier et réclamer quand elle
est absente, linviter à son miel et à cueillir des pommes et des fleurs en son
jardin, et à chanter et faire résonner sa douce voix à ses oreilles. Pour lentière résolution dun
mariage, trois actions doivent entrevenir quant à la damoiselle que lon veut
marier: car premièrement, on lui propose le parti; secondement, elle agrée la
proposition, et en troisième lieu, elle consent. Ainsi Dieu voulant faire en nous, par
nous et avec nous, quelque action de grande charité, premièrement, il nous la propose
par son inspiration; secondement, nous lagréons; tiercement, nous y consentons;
car, comme pour descendre au péché il y a trois degrés, la tentation, la délectation
et le consentement, aussi y en a-t-il trois pour monter à la vertu linspiration,
qui est contraire à la tentation, la délectation en linspiration, qui est
contraire à la délectation de la tentation, et le consentement à linspiration,
qui est contraire au consentement à la tentation. Quand linspiration durerait tout le
temps de notre vie, nous ne serions pourtant nullement agréables à Dieu si nous ny
prenions plaisir; au contraire, sa divine Majesté en serait offensée, comme il le
fut contre les Israélites auprès desquels il fut quarante ans, comme il dit, les
sollicitant à se convertir, sans que jamais ils y voulussent entendre dont il jura contre
eux en son ire quonques ils nentreraient en son repos. Aussi le gentilhomme
qui aurait longuement servi une damoiselle, serait bien fort désobligé si, après cela,
elle ne voulait aucunement entendre au mariage quil désire. Le plaisir quon prend aux
inspirations est un grand acheminement à la gloire de Dieu, et déjà on commence à
plaire par icelui à sa divine Majesté: car si bien cette délectation nest pas
encore un entier consentement, cest une certaine disposition à icelui. Et si
cest un bon signe et chose fort utile de se plaire à ouïr la parole de Dieu, qui
est comme une inspiration extérieure, cest chose bonne aussi et agréable à Dieu
de se plaire en linspiration intérieure : cest ce plaisir, duquel parlant
lEpouse sacrée, elle dit : « Mon âme sest fondue daise, quand mon
bien-aimé a parlé ». Aussi le gentilhomme est déjà fort content de la damoiselle
quil sert et se sent favorisé, quand il voit quelle se plaît en son service. Mais enfin cest le consentement qui
parfait lacte vertueux; car si étant inspirés et nous étant plu en
linspiration, nous refusons néanmoins par après le consentement à Dieu, nous
sommes extrêmement méconnaissants et offensons grandement sa divine Majesté, car il
semble bien quil y ait plus de mépris. Ce fut ce qui arriva à lEpouse; car,
quoique la douce voix de son bien-aimé lui eût touché le coeur dune sainte aise,
si est-ce néanmoins quelle ne lui ouvrit pas la porte, mais sen excusa
dune excuse frivole; de quoi lEpoux justement indigné, passa outre et la
quitta. Aussi le gentilhomme qui après avoir longuement recherché une damoiselle et lui
avoir rendu son service agréable, enfin serait rejeté et méprisé, aurait bien plus de
sujet de mécontentement que si la recherche navait point été agréée ni
favorisée. Résolvez-vous, Philothée, daccepter de bon coeur toutes les
inspirations quil plaira à Dieu de vous faire; et quand elles arriveront,
recevez-les comme les ambassadeurs du Roi céleste, qui désire contracter mariage avec
vous. Oyéz paisiblement leurs propositions ; considérez lamour avec lequel vous
êtes inspirée, et caressez la sainte inspiration. Consentez, mais dun consentement
plein, amoureux et constant à la sainte inspiration; car en cette sorte, Dieu, que vous
ne pouvez obliger, se tiendra pour fort obligé à votre affection. Mais avant que de
consentir aux inspirations des choses importantes ou extraordinaires, afin de nêtre
point trompée, conseillez-vous toujours à votre guide, à ce quil examine si
linspiration est vraie ou fausse ; dautant que lennemi voyant une âme
prompte à consentir aux inspirations, lui en propose bien souvent des fausses pour la
tromper, ce quil ne peut jamais faire tandis quavec humilité elle obéira à
son conducteur. Le consentement étant donné, il faut
avec un grand soin procurer les effets, et venir à lexécution de
linspiration, qui est le comble de la vraie vertu; car davoir le consentement
dedans le coeur sans venir à leffet dicelui, ce serait comme de planter une
vigne sans vouloir quelle fructifiât. Or, à tout ceci sert merveilleusement de
bien pratiquer lexercice du matin et les retraites spirituelles que jai
marquées ci-dessus ; car par ce moyen, nous nous préparons à faire le bien, dune
préparation non seulement générale, mais aussi particulière. CHAPITRE XIXDE LA SAINTE COMMUNION Notre Sauveur a laissé à son Eglise le
sacrement de pénitence et de confession afin quen icelui nous nous lavions de
toutes nos iniquités, toutes fois et quantes que nous en serons souillés. Ne permettez
donc jamais, Philothée, que votre coeur demeure longtemps infecté du péché, puisque
vous avez un remède si présent et facile. La lionne qui a été accostée du léopard va
vitement se laver pour ôter la puanteur que cette accointance lui a laissée, afin que le
lion venant nen soit point offensé et irrité: lâme qui a consenti au
péché doit avoir horreur de soi-même, et se nettoyer au plus tôt, pour le respect
quelle doit porter aux yeux de sa divine Majesté qui la regarde. Mais pourquoi
mourrons-nous de la mort spirituelle, puisque nous avons un remède si souverain ? Confessez-vous humblement et dévotement
tous les huit jours, et toujours sil se peut quand vous communierez, encore que vous
ne sentiez point en votre conscience aucun reproche de péché mortel; car par la
confession, vous ne recevrez pas seulement labsolution des péchés véniels que
vous confesserez, mais aussi une grande force pour les éviter à lavenir, une
grande lumière pour les bien discerner, et une grâce abondante pour réparer toute la
perte quils vous avaient apportée. Vous pratiquerez la vertu dhumilité,
dobéissance, de simplicité et de charité; et en cette seule action de confession,
vous exercerez plus de vertu quen nulle autre. Ayez toujours un vrai déplaisir des
péchés que vous confesserez, pour petits quils soient, avec une ferme résolution
de vous en corriger à lavenir. Plusieurs se confessant, par coutume, des péchés
véniels et comme par manière dagencement, sans penser nullement à sen
corriger, en demeurent toute leur vie chargés, et par ce moyen perdent beaucoup de biens
et profits spirituels. Si donc vous vous confessez davoir menti, quoique sans
nuisance, ou davoir dit quelque parole déréglée, ou davoir trop joué,
repentez-vous-en et ayez ferme propos de vous en amender; car cest un abus de se
confesser de quelque sorte de péché, soit mortel, soit véniel, sans vouloir sen
purger, puisque la confession nest instituée que pour cela. Ne faites pas seulement ces accusations
superflues que plusieurs font par routine : je nai pas aimé Dieu tant que je devais
; je nai pas prié avec tant de dévotion que je devais; je nai pas chéri le
prochain comme je devais ; je nai pas reçu les sacrements avec la révérence que
je devais, et telles semblables : la raison est, parce quen disant cela vous ne
direz rien de particulier qui puisse faire entendre au confesseur létat de votre
conscience, dautant que tous les saints de paradis et tous les hommes de la terre
pourraient dire les mêmes choses sils se confessaient. Regardez donc quel sujet
particulier vous avez de faire ces accusations-là, et lorsque vous laurez
découvert, accusez-vous du manque. ment que vous aurez commis, tout simplement et
naïvement. Par exemple, vous vous accusez de navoir pas chéri le prochain comme
vous deviez; cest peut-être parce quayant vu quelque pauvre fort
nécessiteux, lequel vous pouviez secourir et consoler, vous nen avez eu nul soin.
Eh bien! accusez-vous de cette particularité et dites: ayant vu un pauvre nécessiteux,
je ne lai pas secouru comme je pouvais, par négligence, ou par dureté de coeur, ou
par mépris, selon que vous connaîtrez loccasion de cette faute. De même, ne vous
accusez pas de navoir pas prié Dieu avec telle dévotion comme vous devez; mais si
vous avez eu des distractions volontaires, ou que vous ayez négligé de prendre le lieu,
le temps et la contenance requise pour avoir lattention en la prière,
accusez-vous-en tout simplement, selon que vous trouverez y avoir manqué, sans alléguer
cette généralité, qui ne fait ni froid ni chaud en la confession. Ne vous contentez pas de dire vos péchés
véniels quant au fait, mais accusez-vous du motif qui vous a induite à les commettre.
Par exemple, ne vous contentez pas de dire que vous avez menti sans intéresser personne;
mais dites si ça été ou par vaine gloire, afin de vous louer et excuser, ou par
vaine joie, ou par opiniâtreté. Si vous avez péché à jouer, expliquez si ça
été pour le plaisir de la conversation, et ainsi des autres. Dites si vous vous êtes
longuement arrêtée en vôtre mal, dautant que la longueur du temps accroît pour
lordinaire de beaucoup le péché, y ayant bien de la différence entre une vanité
passagère, qui se sera écoulée en notre esprit lespace dun quart
dheure, et celle en laquelle notre coeur aura trempé un jour, deux j ours, trois
jours. Il faut donc dire le fait, le motif et la durée de nos péchés; car encore que
communément on ne soit pas obligé dêtre si pointilleux en la déclaration des
péchés véniels, et que même on ne soit pas tenu absolument de les confesser, si est-ce
que ceux qui veulent bien épurer leurs âmes pour mieux atteindre à la sainte dévotion,
doivent être soigneux de bien faire connaître au médecin spirituel le mal, pour petit
quil soit, duquel ils veulent être guéris. Népargnez point de dire ce qui est
requis pour bien faire entendre la qualité de votre offense, comme le sujet que vous avez
eu de vous mettre en colère, ou de supporter quelquun en son vice. Par exemple, un
homme lequel me déplaît, me dira quelque légère parole pour rire, je le prendrai en
mauvaise part et me mettrai en colère; que si un autre qui meût été agréable en
eût dit une plus âpre, je leusse prise en bonne part. Je népargnerai donc
point de dire : je me suis relâchée à dire des paroles de courroux contre une personne,
ayant pris de lui en mauvaise part quelque chose quil ma dit, non point pour
la qualité des paroles, mais parce que celui-là métait désagréable. Et
sil est encore besoin de particulariser les paroles pour vous bien déclarer, je
pense quil serait bon de les dire ; car saccusant ainsi naïvement, on ne
découvre pas seulement les péchés quon a faits, mais aussi les mauvaises
inclinations, coutumes, habitudes et autres racines du péché, au moyen de quoi le père
spirituel prend une plus entière connaissance du coeur quil traite et des remèdes
qui lui sont propres. Il faut néanmoins toujours tenir couvert le tiers qui aura
coopéré à votre péché, tant quil sera possible. Prenez garde à une quantité de péchés
qui vivent et règnent bien souvent insensiblement dedans la conscience, afin que vous les
confessiez et que vous puissiez vous en purger ; et à cet effet lisez attentivement les
chapitres VI, XXVII, XXVIII, XXIX, XXXV et XXXVI de la troisième Partie et le chapitre
VII de la quatrième Partie. Ne changez pas aisément de confesseur,
mais en ayant choisi un, continuez à lui rendre compte de votre conscience aux jours qui
sont destinés pour cela, lui disant naïvement et franchement les péchés que vous aurez
commis; et de temps en temps, comme serait de mois en mois ou de deux mois en deux mois,
dites-lui encore létat de vos inclinations, quoique par icelles vous nayez
pas péché, comme si vous étiez tourmentée de la tristesse, du chagrin, ou si vous
êtes portée à la joie, aux dé. sirs dacquérir des biens, et semblables
inclinations. CHAPITRE XXDE LA FRÉQUENTE COMMUNION On dit que Mithridate, roi du Pont, ayant
inventé le mithridat renforça tellement son corps par icelui, que sessayant par
après de sempoisonner pour éviter la servitude des Romains, jamais il ne lui fut
possible. Le Sauveur a institué ce sacrement très auguste de lEucharistie qui
contient réellement sa chair et son sang, afin que qui la mange vive éternellement;
cest pourquoi, quiconque en use souvent avec dévotion affermit tellement la santé
et la vie de son âme, quil est presque impossible quil soit empoisonné
daucune sorte de mauvaise affection. On ne peut être nourri de cette chair et vivre
des affections de mort; si que, comme les hommes demeurant au paradis terrestre pouvaient
ne mourir point selon le corps, par la force de ce fruit vital que Dieu y avait mis, ainsi
peuvent-ils ne point mourir spirituellement, par la vertu de ce sacrement de vie. Que si
les fruits les plus tendres et sujets à corruption, comme sont les cerises, les abricots
et les fraises, se conservent aisément toute lannée étant confits au sucre et au
miel, ce nest pas merveille si nos coeurs, quoique frêles et imbéciles, sont
préservés de la corruption du péché lorsquils sont sucrés et emmiellés de la
chair et du sang incorruptibles du Fils de Dieu. O Philothée! les chrétiens qui seront
damnés demeureront sans réplique lorsque le juste Juge leur fera voir le tort
quils ont eu de mourir spirituellement, puisquil leur était si aisé de se
maintenir en vie et en santé par la manducation de son Corps quil leur avait
laissé à cette intention. « Misérables, dira-t-il, pourquoi êtes-vous mort, ayant à
commandement le fruit et la viande de la vie ? » « De recevoir la communion de
lEucharistie tous les jours, ni je ne le loue ni je ne le vitupère; mais de
communier tous les jours de dimanche, je le suade et en exhorte un chacun, pourvu que
lesprit soit sans aucune affection de pécher. s Ce sont les propres paroles de
saint Augustin, avec lequel je ne vitupère ni loue absolument que lon communie tous
les jours, mais laisse cela à la discrétion du père spirituel de celui qui se voudra
résoudre sur ce point; car la disposition requise pour une si fréquente communion devant
être fort exquise, il nest pas bon de le conseiller généralement; et parce que
cette disposition-là, quoiquexquise, se peut trouver en plusieurs bonnes âmes, il
nest pas bon non plus den divertir et dissuader générale. ment un chacun,
ains cela se doit traiter par la con. sidération de létat intérieur de chacun en
particulier. Ce serait imprudence de conseiller indistinctement à tous cet usage si
fréquent; mais ce serait aussi imprudence de blâmer aucun pour icelui, et surtout quand
il suivrait lavis de quelque digne directeur. La réponse de sainte Catherine de
Sienne fut gracieuse, quand lui étant opposé, à raison de sa fréquente communion, que
saint Augustin ne louait ni ne vitupérait de communier tous les jours: « Eh bien!
dit-elle, puisque saint Augustin ne le vitupère pas, j e vous prie que vous ne le
vitupériez pas non plus, et je me contenterai ». Mais, Philothée, vous voyez que saint
Augustin exhorte et conseille bien fort que lon communie tous les dimanches; faites
le donc, tant quil vous sera possible. Puisque, comme je présuppose, vous
navez nulle sorte daffection du péché mortel, ni aucune affection au péché
véniel, vous êtes en la vraie disposition que saint Augustin requiert, et encore plus
excellente, parce que non seulement vous navez pas même laffection du
péché; si que, quand votre père spirituel le trouverait bon, vous pourriez utilement
communier encore plus souvent que tous les dimanches. Plusieurs légitimes empêchements peuvent
néanmoins vous arriver, non point de votre côté mais de la part de ceux avec lesquels
vous vivez, qui donneraient occasion au sage conducteur de vous dire que vous ne
communiiez pas si souvent. Par exemple, si vous êtes en quelque sorte de sujétion, et
que ceux à qui vous devez de lobéissance ou de la révérence soient si mal
instruits ou si bizarres quils sinquiètent et troublent de vous voir si
souvent communier, à laventure, toutes choses considérées, sera-t-il bon de
condescendre en quelque sorte à leur infirmité, et ne communier que de quinze jours en
quinze jours; mais cela sentend en cas quon ne puisse aucunement vaincre la
difficulté. On ne peut pas bien arrêter ceci en général, il faut faire ce que le père
spirituel dira; bien que je puisse dire assurément que la plus grande distance des
communions est celle de mois en mois, entre ceux qui veulent servir Dieu dévotement. Si vous êtes bien prudente, il ny a
ni mère, ni femme, ni mari, ni père qui vous empêche de communier souvent: car, puisque
le jour de votre communion, vous ne laisserez pas davoir le soin qui est convenable
à votre condition, que vous en serez plus douce et plus gracieuse en leur endroit et que
vous ne leur refuserez nulle sorte de devoirs, il ny a pas de lapparence
quils veuillent vous détourner de cet exercice, qui ne leur apportera aucune
incommodité, sinon quils fussent dun esprit extrêmement coquilleux et
déraisonnable; en ce cas, comme jai dit, à laventure que votre directeur
voudra que vous usiez de condescendance. Il faut que je dise ce mot pour les gens
mariés Dieu trouvait mauvais en lancienne Loi que les créanciers fissent exaction
de ce quon leur devait ès jours des fêtes, mais il ne trouva jamais mauvais que
les débiteurs payassent et rendissent leurs devoirs à ceux qui les exigeaient.
Cest chose indécente, bien que non pas grand péché, de solliciter le paiement du
devoir nuptial le jour que lon sest communié, mais ce nest pas chose
malséante, ains plutôt méritoire de le payer. Cest pourquoi, pour la reddition de
ce devoir-là, aucun ne doit être privé de la communion, si dailleurs sa dévotion
le provoque à la désirer. Certes, en la primitive Eglise, les chrétiens communiaient
tous les jours, quoi. quils fussent mariés et bénis de la génération des
enfants; cest pourquoi jai dit que la fréquente communion ne donnait nulle
sorte dincommodité ni aux pères, ni aux femmes, ni aux maris, pourvu que
lâme qui communie soit prudente et discrète. Quant aux maladies corporelles, il
ny en a point qui soit empêchement légitime à cette sainte participation, si ce
nest celle qui provoquerait fréquemment au vomissement. Pour communier tous les huit jours, il est
requis de navoir ni péché mortel ni aucune affection au péché véniel, et
davoir un grand désir de se communier; mais pour communier tous les jours, il faut,
outre cela, avoir surmonté la plupart des mauvaises inclinations, et que ce soit par avis
du père spirituel. CHAPITRE XXICOMME IL FAUT COMMUNIER Commencez le soir précédent à vous
préparer à la sainte communion par plusieurs aspirations et élancements damour,
vous retirant un peu de meilleure heure afin de vous pouvoir aussi lever plus matin. Que
si la nuit vous vous réveillez, remplissez soudain votre coeur et votre bouche de
quelques paroles odorantes, par le moyen desquelles votre âme soit parfumée pour
recevoir lEpoux, lequel, veillant pendant que vous dormez, se prépare à vous
apporter mille grâces et faveurs, si de votre part vous êtes disposée à les recevoir.
Le matin levez-vous avec grande joie, pour le bonheur que vous espérez, et vous étant
confessée, allez avec grande confiance, mais aussi avec grande humilité, prendre cette
viande céleste qui vous nourrit à limmortalité. Et après que vous aurez dit les
paroles sacrées: « Seigneur, je ne suis pas digne s, ne remuez plus votre tête ni vos
lèvres, soit pour prier soit pour soupirer, mais ouvrant doucement et médiocrement votre
bouche, et élevant votre tête autant quil faut pour donner commodité au prêtre
de voir ce quil fait, recevez pleine de foi, despérance et de charité Celui
lequel, auquel, par lequel et pour lequel vous croyez, espérez et aimez. O Philothée!
imaginez-vous que comme labeille ayant recueilli sur les fleurs la rosée du ciel et
le suc plus exquis de la terre, et layant réduit en miel, le porte dans sa ruche,
ainsi le prêtre ayant pris sur lautel le Sauveur du monde, vrai Fils de Dieu, qui
comme une rosée est descendu du ciel, et vrai Fils de la Vierge, qui comme fleur est
sorti de la terre de notre humanité, il le met en viande de suavité dedans votre bouche
et dedans votre corps. Layant reçu, excitez votre coeur à venir faire hommage à
ce Roi de salut; traitez avec lui de vos affaires intérieures, considérez-le dedans
vous, où il sest mis pour votre bonheur; enfin, faites-lui tout laccueil
quil vous sera possible, et comportez-vous en sorte que lon connaisse en
toutes vos actions que Dieu est avec vous. Mais quand vous ne pourrez pas avoir ce
bien de communier réellement à la sainte messe, communiez au moins de coeur et
desprit, vous unissant par un ardent désir à cette chair vivifiante du Sauveur. Votre grande intention en la communion
doit être de vous avancer, fortifier et consoler en lamour de Dieu; car vous devez
recevoir pour lamour ce que le seul amour vous fait donner. Non, le Sauveur ne peut
être considéré en une action ni plus amoureuse ni plus tendre que celle-ci, en laquelle
il sanéantit, par manière de dire, et se réduit en viande afin de pénétrer nos
âmes et sunir intimement au coeur et au corps de ses fidèles. Si
les mondains vous demandent pourquoi vous communiez si souvent, dites-leur que cest
pour apprendre à aimer Dieu, pour vous purifier de vos imperfections, pour vous consoler
en vos afflictions, pour vous appuyer en vos faiblesses. Dites-leur que deux sortes de
gens doivent souvent communier: les parfaits, parce quétant bien disposés, ils
auraient grand tort de ne point sapprocher de la source et fontaine de perfection,
et les imparfaits, afin de pouvoir justement prétendre à la perfection; les forts, afin
quils ne deviennent faibles, et les faibles, afin quils deviennent forts ; les
malades afin dêtre guéris ; les sains, afin quils ne tombent en maladie; et
que pour vous, comme imparfaite, faible et malade, vous avez besoin de souvent communier
avec votre perfection, votre force et votre médecin. Dites-leur que ceux qui nont
pas beaucoup daffaires mondaines doivent souvent communier parce quils en ont
la commodité, et ceux qui ont beaucoup daffaires mondaines, parce quils en
ont nécessité, et que celui qui travaille beaucoup et qui est chargé de peines doit
aussi manger les viandes solides et souventefois. Dites-leur que vous recevez le Saint
Sacrement pour apprendre à le bien recevoir, parce que lon ne fait guère bien une
action à laquelle on ne sexerce pas souvent. Communiez souvent, Philothée, et le plus
souvent que vous pourrez, avec lavis de votre père spirituel; et croyez-moi, les
lièvres deviennent blancs parmi nos montagnes en hiver parce quils ne voient ni
mangent que la neige, et à force dadorer et manger la beauté, la bonté et la
pureté même en ce divin Sacrement, vous deviendrez toute belle, toute bonne et toute
pure.
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