II TIMOTHÉE VIII

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HOMÉLIE VIII. OR SACHEZ QUE DANS LES DERNIERS JOURS IL VIENDRA DES TEMPS FACHEUX ; CAR IL Y AURA DES HOMMES AMOUREUX D'EUX-MÊMES, AVARES, GLORIEUX, SUPERBES, MÉDISANTS, DÉSOBÉISSANTS A LEURS PARENTS, INGRATS, IMPIES, ENNEMIS DE LA PAIX ET DE LA CHARITÉ, CALOMNIATEURS, INTEMPÉRANTS, INHUMAINS, SANS AFFECTION, TRAÎTRES, INSOLENTS, ENFLÉS D'ORGUEIL, ET PLUS AMATEURS DE LA VOLUPTÉ QUE DE DIEU. (III, 1-4. JUSQU'AU VERSET 15.)

 

Analyse.

 

1. Ca été de tout temps que le démon a cherché à opposer le mensonge à la vérité, le mal au bien.

2 et 3. La vie de l'homme est un combat sans trêve.

4, 5. Le saint orateur exhorte à la lecture de l'Écriture. — Il conjure ses auditeurs de ne pas vouloir examiner trop curieusement les secrets de Dieu, dans la conduite qu'il tient envers les bons et les méchants. — Contre les devins et la vanité de leurs prédictions.

 

1. Si quelqu'un trouve étrange qu'il y ait aujourd'hui des hérétiques , qu'il considère qu'il en a toujours été ainsi dès le commencement, parce que, de tout temps, le diable a cherché adroitement à mêler le mensonge à la vérité. Dieu, dès le commencement, avait promis à l'homme beaucoup de biens; le démon aussi vint les séduire par ses promesses trompeuses. Dieu leur avait planté un jardin de délices, et le démon leur vint dire: « Vous serez comme des dieux ». Ne pouvant rien leur donner en effet, il les éblouit par ses promesses : c'est ce que font tous les séducteurs. Après on vit Caïn et Abel, ensuite les fils de Seth et les filles des hommes; puis encore Cham et Japhet, Abraham et Pharaon, Jacob et Esaü, Moïse et les magiciens, les prophètes de Dieu et les faux prophètes, les apôtres et les faux apôtres, Jésus-Christ et l'antéchrist. Après la venue du Sauveur on a encore vu la même opposition, et en même temps que les apôtres on voit paraître Teudas, Simon le magicien, Hermogènes, Philète et d'autres. Vous ne trouverez pas une époque où le démon n'ait opposé le mensonge à la vérité. Ne nous scandalisons donc point de voir des hérésies, il y a longtemps qu'elles ont été prédites. C'est ce qui fait dire à saint Paul: « Sachez que dans a les derniers jours il viendra des temps fâcheux; car il y aura des hommes amoureux d'eux-mêmes, avares, glorieux, superbes, médisants, désobéissants à leurs parents, ingrats, impies, etc. »

L'ingrat est donc un grand coupable; et cela se comprend. En effet, comment devra se conduire envers les autres hommes celui qui est sans reconnaissance envers son bienfaiteur? L'ingrat est un homme sans foi, l'ingrat est un homme sans entrailles. « Calomniateurs », dit saint Paul; comme ils ne sentent en eux-mêmes rien de bon, ils trouvent une sorte de consolation à incriminer les intentions des autres, ce qui est pour eux l'occasion de mille péchés. — « Intempérants » de la langue , du ventre et de tout le reste. — « Inhumains ». La dureté et la cruauté viennent de ce qu'on a la passion de l'argent, de ce qu'on s'aime trop soi-même, de ce qu'on est ingrat ou débauché. — « Sans affection, « traîtres, insolents ». Traîtres à l'amitié; insolents et téméraires, c'est-à-dire, ne se soumettant à aucune loi. — « Enflés », c'est-à-dire, remplis d'orgueil. — « Plus amateurs de la volupté que de Dieu; qui auront une apparence de piété , mais qui en ruineront la vérité ». L'apôtre s'exprime presque de même dans son épître aux Romains : « Ils ont », dit-il, « l'apparence, la forme de la science et de la vérité dans la loi ». (Rom. II, 20.) Mais là c'est un éloge qu'il décerne, et ici c'est un blâme qu'il inflige, et même un blâme très-sévère. D'où vient cette différence? C'est que le même mot n'est pas pris selon la même acception. C'est ainsi que le mot image se prend dans l'Écriture, tantôt dans le sens de ressemblance, et tantôt en mauvaise part (388) pour exprimer quelque chose d'inanimé, un objet de rien. Par exemple, écrivant aux Corinthiens, l'apôtre dit : « L'homme ne doit point se voiler la tête parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu » (I Cor. XI, 7); et de. son côté le Psalmiste dit : « L'homme passe en image». (Ps. XXXVIII, 7.)

C'est ainsi que le lion est tantôt pris pour signifier quelque chose de royal et de majestueux, comme dans ce passage : « Il s'est endormi comme un lion et comme un lionceau, qui le réveillera? » (Gen. XLIX, 9.) Tantôt pour exprimer quelque chose de mal comme la rapine : « Tel qu'un lion ravisseur et rugissant». (Ps. XXI, 14.) Nous ne parlons pas autrement nous-mêmes. L'infinie variété des objets de la nature est telle que, pour les exprimer, nous sommes obligés d'avoir recours à toute sorte d'exemples et de comparaisons. Ainsi, quand nous voulons parler avec admiration d'une belle personne, nous la comparons à une peinture; nous disons d'une belle peinture qu'elle est parlante. Nous n'avons pas la même chose en vue dans les deux cas : dans celui-ci nous considérons la ressemblance, dans celui-là la beauté. Il en est de même du mot de « forme » dont saint Paul se sert, et qu'il prend là pour la figure, l'image, la règle et le modèle de la piété, ici pour une image inanimée, pour une figure morte et une vaine représentation. La foi donc sans les oeuvres n'est qu'une apparence sans solidité. Un beau corps, paré des plus belles couleurs, mais sans vigueur, et pareil à ceux que l'on voit sur les tableaux des peintres, telle est la pure foi sans les oeuvres. Admettons qu'un homme soit un avare, un traître, un insolent, et que sa foi soit pure , qu'y gagnera-t-il s'il n'a aucune des autres qualités qui font le chrétien, s'il ne pratique aucune oeuvre de piété , s'il est plus impie qu'un païen, s'il ne vit que pour la perte de ceux qui le fréquentent, que pour blasphémer le saint nom de Dieu et pour déshonorer par sa conduite la foi dont il fait profession? « Fuyez-les », dit saint Paul. Mais si ces hommes ne devaient venir qu'à la fin des temps, pourquoi l'apôtre recommande-t-il à son disciple de les éviter? C'est que vraisemblablement il y en avait déjà de tels dès ce temps-là, quoique relativement en petit nombre; mais la vérité est que le conseil d'éviter ces hommes ut s'adresse pas plus à Timothée qu'à nous tous. — « Car de ce nombre sont ceux qui s'introduisent dans les maisons, et qui traînent après eux comme captives, des femmes de rien, chargées de péchés et possédées de diverses passions; lesquelles apprennent toujours et n'arrivent jamais à la connaissance de la vérité (6, 7) ».

2. Voyez-les user de la même fraude que l'antique séducteur. Ils se servent du même instrument dont le démon se servit contre Adam. — « Qui s'introduisent dans les maisons », dit l'apôtre, employant une expression qui peint parfaitement l'impudence, la dégradation, la fraude, la basse flatterie.« Qui traînent après eux comme captives, des femmelettes ». Est femmelette quiconque se laisse facilement séduire et est loin de la fermeté virile. C'est le propre des femmes de se laisser tromper, ou plutôt c'est le propre non des femmes, mais des femmelettes. — « Chargées de péchés ». Vous voyez d'où vient qu'elles se laissent facilement séduire; cela vient de la multitude de leurs péchés et du mauvais état de leur conscience. « Chargées de péchés » est une expression d'une admirable propriété; . elle peint non-seulement la multitude des péchés, mais encore le désordre et la confusion. — « Et possédées de diverses passions ». Ce n'est point le sexe qu'il accuse, il ne dit pas simplement des femmes, mais il ajoute de quelle sorte de femmes il veut parler. — « De diverses passions ». Quelles passions? Il a en vue la mollesse, le dévergondage, la luxure, ainsi que la cupidité, la vanité , la présomption, l'amour des honneurs, et peut-être d'autres passions encore plus honteuses. — « Lesquelles apprennent toujours, et qui n'arrivent jamais jusqu'à la connaissance de la vérité ». Ce n'est pas pour les excuser qu'il parle de la sorte, mais bien pour les menacer fortement; car elles ont elles-mêmes enseveli sous la masse de leurs péchés .leur intelligence qui en a été aveuglée.

« Comme Jannès et Mambrès résistèrent à Moïse, ceux-ci de même résistent à la vérité ». Qui sont ces hommes, sinon des magiciens du temps de Moïse ? Mais comment se fait-il qu'on ne lit leurs noms nulle part ailleurs ? Il faut que saint Paul ait appris leurs noms soit par la tradition, soit par l'inspiration du Saint-Esprit. — « Ceux-ci de même résisteront à la vérité. Ce sont des hommes corrompus dans l'esprit et pervertis dans la (389) foi. Mais le progrès qu'ils feront aura ses bornes». Leur folie sera rendue visible à tous les yeux comme celle des magiciens. « Mais leur progrès aura des bornes ». Cependant saint Paul dit plus haut ( II, 16) que leur impiété n'aura pas de bornes; comment concilier cela? Plus haut il veut dire que les novateurs, une fois qu'ils se seront mis à l'oeuvre, ne s'arrêteront plus dans la voie de l'égarement, qu'ils inventeront sans cesse de nouvelles fraudes et de nouveaux mensonges. Ici il déclare qu'ils ne tromperont pas toujours, qu'ils n'entraîneront jamais tout après eux, quelques chutes qu'ils aient d'abord causées, mais que bientôt ils seront démasqués. Que ce soit là sa pensée, ce qui suit le prouve. « Car leur folie sera rendue visible à tous, comme le fut alors celle de ces magiciens » . Quelque prestige qu'exerce d'abord l'erreur, jamais elle ne subsiste jusqu'à la fin. Telle est la destinée des choses qui ne sont belles qu'en apparence et non en réalité. Elles ont un instant de vogue, puis on en voit le néant, et elles tombent aussitôt. Mais telle n'est pas notre doctrine, vous en êtes témoins, nous ne nous soutenons point par la fraude. Le mensonge n'est pas ce que nous prêchons; qui voudrait mourir pour le mensonge ?

« Quant à vous, vous avez été assez longtemps avec moi pour savoir quelle est ma doctrine, ma manière de vie, la fin que je me propose, ma foi, ma tolérance, ma charité, ma patience, etc. » — « Vous avez été « assez longtemps avec moi, etc. », soyez donc fort. L’apôtre ne dit pas seulement : Vous avez été avec moi, mais: « Vous avez été assez longtemps avec moi »; tel est le sens du mot dont il se sert. « Quelle est ma doctrine », voilà pour l'enseignement par la parole. — « Quelle est ma manière de vie », voilà pour la conduite et les oeuvres. — « Quelle est la fin que je me propose », voilà pour l'intention et le but pratique. Je ne me suis pas borné à parler, dit-il, j'ai agi ; je ne me suis pas contenté d'une sagesse en paroles. — « Quelle est ma foi, ma longanimité »; vous savez que rien ne m'a troublé dans l'accomplissement de ma mission. — « Quelle a été ma charité », vertu étrangère aux partisans de l'erreur, ainsi que la patience, et vous savez qu'elle a été la mienne. Il a usé de longanimité envers les hérétiques, et de patience contre les persécutions.

« Quelles ont été mes persécutions , mes afflictions ». Voilà deux choses capables d'effrayer un prédicateur de la foi, le grand nombre des hérétiques, et le manque de force pour souffrir les afflictions. Ces hérétiques, il en a déjà beaucoup parlé; il a dit qu'il y en a toujours eu, qu'il y en aura toujours, qu'aucune époque n'en est exempte, qu'ils ne pourront en aucune façon nous nuire; enfin, qu'il y a dans le monde des vases d'or et des vases d'argent. C'est pourquoi il ne parle plus que de ses afflictions. — « Ce qui m'est arrivé à Antioche , à Icone , à Lystre ». Pourquoi, d'un si grand nombre d'afflictions qu'il avait souffertes, ne rapporte-t-il que celles-ci, sinon parce que son disciple connaissait les autres? Peut-être aussi fait-il une mention particulière, de celles-ci par la seule raison qu'elles étaient toutes récentes: Il ne s'arrête pas à énumérer toutes ses tribulations, parce qu'il est ennemi de la vaine gloire et de l'ostentation. Il parle pour encourager et consoler son disciple, et non pour faire étalage de ses mérites. Il s'agit ici d'Antioche, de Pisidie et de Lystre , patrie de Timothée. — « Quelles persécutions j'ai endurées, et comment le Seigneur m'a tiré de toutes ». Voilà deux grands motifs d'encouragement. J'ai montré une généreuse ardeur, dit saint Paul, et Dieu de son côté ne m'a pas abandonné; ma couronne a été d'autant plus glorieuse que j'avais plus souffert. Voilà ce qu'il veut dire par ces mots : « Quelles persécutions j'ai endurées, et comment le Seigneur m'a tiré de toutes ».

3. « Ainsi tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ seront persécutés ». Pourquoi parler de moi en particulier? dit-il, est-ce que tout homme qui voudra vivre dans la piété ne sera pas persécuté? Par persécutions il entend ici les peines et les tribulations de la vie. On ne peut point marcher par le chemin de la vertu et être exempt de chagrin, d'affliction, de douleur, d'épreuves de toutes sortes. Comment en serait-il autrement puisque c'est marcher dans la voie étroite et resserrée , puisqu'il a été dit : « Vous aurez des tribulations dans ce monde? » (Jean, XVI, 33.) Si de son temps Job a pu dire : « La vie de l'homme sur la terre n'est qu'une épreuve continuelle » (Job, VII, 1), combien cela: est-il plus vrai encore aujourd'hui ?

« Mais les hommes méchants et les imposteurs avanceront de plus en plus dans le (390) mal, égarant les autres, et s'égarant eux« mêmes ». Si les méchants sont dans la joie et vous dans les épreuves, ne vous en troublez pas : la nature des choses le veut ainsi. Mon histoire vous apprendra que l'homme qui fait la guerre aux méchants ne peut pas ne pas être dans la tribulation. L'athlète ne peut vivre dans les délices ; le lutteur ne saurait se livrer à la bonne chère. Est-ce qu'un soldat connaît le repos et les délices? La vie présente est un combat,,une guerre, une tribulation perpétuelle, une angoisse sans fin, une épreuve, c'est un stade où les luttes sont incessantes. Le temps du repos viendra plus tard, le temps présent est celui des travaux et des fatigues. Est-ce que l'athlète qui est déjà entré dans la lice, qui a déposé ses vêtements et qui s'est frotté d'huile demande à se reposer? Si vous voulez vous reposer, pourquoi êtes-vous entré dans la lice? Il ne vous reste plus qu'à lutter. Est-ce que je ne lutte point, direz-vous? — Non, vous né luttez point, puisque vous ne domptez pas votre concupiscence, puisque vous ne résistez pas à l'entraînement de votre nature..

« Quant à vous, demeurez ferme dans les choses que vous avez apprises, et qui vous ont été confiées, sachant, de qui vous les avez apprises; et considérant que vous avez été nourri dès votre enfance dans les lettres saintes qui peuvent vous instruire pour le salut par la foi qui est en Jésus-Christ ». S. Paul donne ici le même avis que David lorsqu'il dit : « Ne soyez point jaloux des méchants». (Ps. XXXVI, 1.) Demeurez ferme, dit-il, dans les choses non-seulement que vous avez apprises, mais qui vous ont été confiées, et où vous avez vu qu'est la véritable vie. Si vous voyez des apparences contraires à votre croyance, ne vous troublez pas. Abraham voyait des. choses contraires à ce qu'on lui avait promis, et. néanmoins il n'hésita pas. Dieu lui avait promis que ce serait d'Isaac que sortirait sa postérité; cependant lorsque Dieu lui commanda de lui immoler ce même Isaac, il n'en fut ni ébranlé ni troublé.

Que personne donc, mes frères, ne se scandalise au sujet des méchants. Il y a longtemps que l'Ecriture nous a donné cet avis. Et que penser en. voyant les bons dans la, joie et les méchants châtiés? — Que les méchants soient châtiés, rien de plus naturel; mais que les bons jouissent d'une prospérité inaltérable ici-bas, c'est ce qui n'est pas possible. Personne

n'égalait saint Paul, et néanmoins il passa tout le temps de sa vie dans l'affliction, dans les larmes, dans les gémissements le jour et la nuit. « Avec des larmes répandues jour et nuit », dit-il, « pendant trois ans, je n'ai pas cessé d'avertir» ; et encore : «Je suis accablé d'affaires tous les jours ». (Act. XX, 31 et II Cor, XI, 28.) Il n'était pas aujourd'hui dans la joie, demain dans la douleur; il ne se passait pas un jour sans qu'il souffrit quelque peine. — Cependant, saint Paul dit que les méchants avanceront de plus en plus dans le mal. — Oui, mais il ne dit pas qu'ils trouveront le repos, c'est vers le mal que se fait leur progrès. Il ne dit pas qu'ils seront dans la joie. S'il arrive qu'ils soient châtiés, ils le sont pour que vous ne croyiez pas à l'impunité du péché. Comme la menace de l'enfer ne suffit pas pour arrêter a notre malice, il nous réveille de temps en temps dans sa bonté par le châtiment temporel.

Si aucun méchant n'était, puni, personne ne croirait que Dieu préside, aux affaires de ce monde. Si tous étaient punis, personne n'at. tendrait plus la résurrection, si l'on volait que tous reçoivent ici-bas. leur récompense. Voilà pour quelle raison, Dieu tantôt punit et tantôt ne punit point ici-bas. Si les justes sont affligés en ce monde, c'est qu'ils n'y sont qu'en passant, comme des étrangers et des exilés. De plus les épreuves qu'endurent les justes servent à épurer leur vertu. Ecoutez ce que Dieu dit à Job : «Croyez-vous, que je vous aie traité  de la sorte pour une, autre raison, sinon afin que vous parussiez juste? » (Job, XI, 3.) Quant aux pécheurs, s'il leur arrive aussi d'être affligés, c'est en, punition de leurs iniquités. Rendons grâces à Dieu, quelle que soit la manière dont il nous traite, car c'est toujours pour notre bien. Il n'agit jamais par haine et aversion pour nous, il est toujours mu par une tendre sollicitude pour nos intérêts. Saint Paul dit à Timothée qu'il a été nourri dans les saintes lettres dès le berceau, c'est-à-dire dans l'Ecriture sainte. Puisqu'il a été nourri de cet aliment sacré dès son enfance, sa foi doit s'en, être fortifiée au point d'être devenue inébranlable. Elle a eu le temps de pousser d'assez, profondes racines pour résister à tous les assauts. Ces saintes lettres, lui dit-il encore, sont capables de vous rendre sage, c'est-à-dire qu'elles le préserveront de toutes les folies où donnent la plupart des hommes.

 

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4. En effet, l'homme qui sait les Ecritures comme il faut les savoir, ne se scandalise jamais; quoi qu'il arrive, il supporte tout avec un généreux courage, tantôt il se réfugié dans la foi et dans la divine providence dont les secrets sont souvent impénétrables, tantôt aussi il découvre les raisons des événements, guidé par les exemples qu'il voit dans les Ecritures. C'est du reste la preuve d'un véritable savoir, que de ne pas céder à une curiosité superflue, que de ne pas vouloir tout savoir. Et si vous voulez, je m'expliquerai par un exemple. Supposons un fleuve, ou plutôt supposons des fleuves, (ma supposition n'est pas gratuite, elle est conforme à la vérité) ; ils ne se trouvent pas tous également profonds; les uns le sont plus, les autres moins. Les uns peuvent noyer dans leurs eaux profondes et emporter dans leurs tourbillons les imprudents qui s'y aventurent; les autres sont faciles à traverser sans danger. C'est donc une grande sagesse que de ne pas s'exposer également à tous les -fleuves, et ce n'est pas fine preuve médiocre de science que de vouloir bien ne pas sonder toutes les profondeurs. Vouloir en effet affronter tous les endroits d'un fleuve, c'est montrer qu'on ignore les propriétés des fleuves. Si la facilité avec laquelle vous avez passé un endroit peu profond vous enhardit à tenter le passage aux endroits profonds,vous périrez infailliblement. Il en est ainsi de Dieu; vouloir pénétrer tous les mystères de la divinité, et s'aventurer dans cette recherche, c'est montrer qu'on ignore entièrement ce qu'est Dieu. Encore ma comparaison est-elle insuffisante, car au lieu que dans les fleuves la plupart des endroits sont sûrs et que les tourbillons et les endroits profonds tiennent moins déplace que les autres, en Dieu c'est tout le contraire qui est vrai, il est presque partout insondable, et il n'y a pas moyen de suivre la trace de ses oeuvres. Pourquoi nous précipiter dans ces abîmes? Sachez seulement que Dieu mène tout par sa providence, qu'il pourvoit à tout, qu'il nous laisse notre libre arbitre, qu'il fait ou permet tout ce qui arrive ; qu'il ne veut pas le mal; que tout ne se fait pas par sa seule volonté, mais aussi par la nôtre; que tout le mal se fait par la nôtre seule; que tout le bien s'accomplit et par notre volonté et par sa grâce; enfin que rien ne lui est caché. C'est pourquoi il opère tout le bien.

Instruit de ces vérités fondamentales, instruisez-vous ensuite de ce qui est bien, de ce qui est mal, et de ce qui est indifférent : la vertu est un bien, le péché est un mal; les richesses ou la pauvreté, la mort ou la vie sont des choses indifférentes. De ces instructions passez à celles-ci : Que les bons sont affligés afin d'être couronnés, et les méchants afin de recevoir la peine qu'ils méritent; mais que tous les méchants ne sont point punis en ce monde, de peur que les hommes ne croient point la résurrection; que tous les bons ne sont pas non plus dans l'affliction, de peur que le crime ne liasse pour une chose louable et qu'il n'usurpe les hommages dus à la vertu. Que ce soient là vos règles, vos principes, et faites ce que vous voudrez; pourvu que vous les suiviez, vous ne courrez aucun risque. De même qu'il y a chez le grammatiste un nombre de six mille lettres qui servent à toutes espèces d'opérations, et qu'au moyen de ce nombre de six mille lettres on peut, comme le savent ceux qui ont appris à calculer par cette méthode, faire toutes les divisions et toutes les multiplications possibles sans risquer de se tromper; de même celui qui saura bien ces règles, que je vais répéter plus brièvement, pourra s'avancer hardiment dans la vie sans heurter à aucune pierre de scandale. Quelles sont donc ces règles? Que la vertu est un bien, que le péché est un mal, que les maladies, là pauvreté, les embûches qu'on nous tend, les calomnies qui attaquent notre réputation, et autres disgrâces de ce genre, sont des choses indifférentes; que généralement les justes sont ici-bas dans l'affliction ; que s'il y en a qui coulent des jours exempts d'affliction, c'est pour empêcher que la vertu ne soit odieuse; que les méchants sont ici-bas dans la joie, parce que Dieu se réserve de les punir ailleurs; que s'il y en a quelques-uns que Dieu punit dès cette vie, c'est pour empêcher que le péché ne passe pour un bien, et qu'on ne croie qu'il demeurera impuni; que tous ne sont pas punis afin de ne pas discréditer le dogme de la Résurrection. Que les hommes les plus vertueux ne sont pas sans quelques fautes qu'ils expient dès ici-bas par leurs souffrances; que les plus pervers peuvent avoir fait quelques bonnes actions dont Dieu les récompense en ce monde afin de n'avoir plus qu'à les châtier dans l'autre; que les actes de Dieu sont la plupart incompréhensibles; qu'il y a entre Dieu et nous une distance infinie. Ayons sans (392) cesse ces pensées présentes à l'esprit, et quoi qu'il arrive nous ne nous troublerons point. Lisons les Ecritures, et nous y trouverons beaucoup d'exemples semblables, lisons-les, car elles nous instruiront pour le salut, comme dit saint Paul à son disciple, puisqu'elles nous marquent ce que nous devons ou ce que nous ne devons pas faire. Ecoutez ce que dit encore ce bienheureux apôtre dans un autre endroit : « Vous vous flattez d'être le conducteur des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des simples et des enfants ». (Rom. II, 19.) Voyez-vous que la loi est la lumière de ceux qui sont dans lés ténèbres? Si l'on peut dire de la loi qui, nous a donné la lettre, la lettre qui tue, qu'elle est une lumière, que dira-t-on de la loi qui nous a donné l'Esprit qui vivifie? Si la loi ancienne est une lumière, que sera la loi nouvelle qui nous a révélé de si grands mystères? Que diraient des personnes qui ne connaîtraient que la terre, et à qui on découvrirait tout à coup le ciel et les merveilles qu'il renferme? Or, il, n'y a pas moins de différence entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Le Nouveau Testament nous a fait connaître avec certitude les supplices de l'enfer, le bonheur du ciel, et la sévérité du jugement final.

N'ajoutons pas foi aux jongleries des devins, il n'y a là que de l'imposture. — Mais, direz-vous, si cependant ce qu'ils disent arrive? Cela arrive parce que vous y croyez, si toutefois cela arrive. Mais un charlatan-vous tient captif, il est maître de vous, de votre vie, il fait de vous ce qu'il veut. Dites-moi, si un chef de brigands avait entre ses mains et dans sa puissance le fils d'un roi qui se serait donné à lui et qui serait venu volontairement vivre dans sa société, pourrait-il lui dire s'il vivra ou s'il mourra? Assurément il .le pourrait; non pas parce qu'il saurait l'avenir, mais parce qu'il serait le maître de laisser vivre ou de faire mourir l'enfant qui l'aurait fait l'arbitre de sa destinée. Il est clair que ce chef de brigands pourrait disposer à son gré de cette vie qu'on lui a livrée, de l'anéantir ou de la laisser subsister. Il peut encore lui dire : Vous serez riche ou vous serez pauvre, parce qu'il peut faire l'un et l'autre.,La plus grande partie de la terre s'est elle-même assujettie à la puissance du démon.

5. De plus l'homme qui s'est habitué à ajouter foi aux paroles de ces imposteurs, de. vient d'une crédulité qui fait admirablement leurs affaires. On ne remarque même pas s'ils se trompent, mais seulement si par hasard ils rencontrent juste. S'il est vrai qu'ils savent prédire l'avenir, amenez-les-moi à moi qui suis fidèle. Ce n'est pas l'orgueil qui me fait parler de la sorte; il n'y a pas assez de mérite à s'affranchir de ces sottises, pour qu'on en soit fier. Je suis plein de péchés, mais je ne crois pas pour cela devoir m'humilier ici; parla grâce de Dieu je me ris de tous ces sortilèges. Je vous le répète, amenez-moi un de vos magiciens, et s'il a quelque vertu prophétique, qu'il me- dise ce qui m'arrivera demain, ce que je deviendrai. Je suis sûr qu'il ne parlera pas. Car je suis sous la puissance de mon roi légitime. Le tyran n'a aucun pouvoir sur moi; je me tiens éloigné de ses antres et de ses cavernes; je sers dans l'armée du roi. mais, direz-vous, un tel a commis un vol, et tel magicien l'a décelé. Cela n'est pas toujours vrai, Ce n'est qu'une plaisanterie, ce n'est qu'un mensonge. Ils ne savent rien; s'ils savent deviner, ils devraient bien employer leur art pour eux-mêmes, et dire que sont devenues les offrandes de leurs idoles qui ont été enlevées, et découvrir tout l'or qui a été fondu. Pourquoi ne l'ont-ils pas prédit à leurs prêtres? Ils ne savent donc rien. Ainsi ils ne peuvent pas dire même un mot pour sauver leurs richesses ni pour prévenir les incendies qui les ont sou. vent dévorés eux et leurs temples. Pourquoi ne S'occupent-ils pas d'abord de leur propre salut? Si donc ils ont jamais fait une prédiction qui, se soit réalisée, ç'a été par pur hasard.

Nous avons des prophètes nous autres, mais ils ne se trompent jamais. On ne les voit point tantôt rencontrer juste, tantôt se tromper, mais dire infailliblement la vérité. Le propre de la vertu prophétique est en effet de ne se tromper jamais. Abstenez-vous donc, mes frères, je vous en conjure, abstenez-vous de, ces folies, si vous croyez en Jésus-Christ. Que si vous ne croyez pas en Jésus-Christ, pourquoi vous dégradez-vous, pourquoi vous trompez-vous vous-mêmes? Jusques à quand clocherez-vous des deux jambes? Pourquoi allez-vous à ces devins? Que leur demandez-vous? Dès que vous, allez à eux, dès que vous les interrogez, vous vous faites leur esclave. Si vous les consultez, c'est que vous croyez en eux. — Nullement, dites-vous, je les consulte, non parce que j'ai (393) foi en eux, mais parce que je veux les éprouver. — Vouloir les éprouver, c'est n'être pas encore pleinement convaincu qu'ils mentent, c'est encore en douter. Quand même ils vous diraient: Voici ce qui arrivera, mais faites ceci et vous éviterez le mal qui vous menace, ce ne serait pas une raison pour vous livrer à l'idolâtrie. Mais leur effronterie ne va pas jusque-là. Si leur prédiction se trouve par hasard exacte, qu'y gagnez-vous, sinon une tristesse inutile? Si la prédiction est fausse, et que l'événement ne la justifie pas, cela n'empêche pas le chagrin de vous consumer pour rien.

S'il vous était expédient de connaître l'avenir, Dieu ne nous eût pas envié cet avantage, il ne nous eût pas privés par jalousie, lui qui nous a dévoilé les secrets du ciel. « Je vous ai fait savoir », dit-il, « tout ce que j'ai appris de mon Père; je vous ai annoncé tout ce que mon Père m'a dit, c'est pourquoi-je ne vous appelle pas serviteurs, mais je vous appelle mes amis». (Jean, XV, 15.) Pourquoi donc ne nous a-t-il pas fait connaître ces choses, sinon parce qu'il veut que nous n'en tenions aucun compte? Ce qui montre que ce n'est point par envie qu'il nous refuse ces sortes de connaissances, c'est qu'il les communiquait aux anciens, et qu'il faisait par exemple retrouver des ânesses perdues. Il agissait ainsi alors parce qu'il avait affaire à un peuple enfant : pour nous, il veut que nous méprisions ces misères, et il a dédaigné de nous les faire savoir. Que nous apprend-il en échange ? Des vérités que les juifs n'ont pas eu le bonheur d'apprendre. Ces divinations étaient peu de chose. Mais nous, voici ce que nous apprenons : Que nous ressusciterons ; que nous sommes immortels, incorruptibles, qu'une vie sans fin nous est réservée ; que la figure de ce monde passera; que nous serons ravis dans les nues du ciel; que les méchants subiront leur juste châtiment, et mille autres choses importantes, qui sont autant de vérités certaines. N'est-il pas plus important de savoir ces choses que de savoir où l'on retrouvera une ânesse perdue ? Voilà que vous avez recouvré votre ânesse ; vous l'avez retrouvée, quel avantage est-ce pour vous ? Ne la perdrez-vous pas de nouveau d'une autre manière ? Si elle ne vous quitte plus, vous la quitterez, vous, à la mort. Quant aux vérités que je vous ai dites, si vous voulez vous en mettre en possession, vous en jouirez éternellement. Voilà ce qu'il nous faut rechercher, les biens qui sont stables, les biens qui sont. sûrs. Méprisons les devins, les sorciers, les imposteurs de toute espèce, n'écoutons que Dieu qui sait tout avec certitude, qui possède la pleine connaissance de toutes choses. C'est ainsi que nous saurons tout ce qu'il faut savoir, et que nous obtiendrons tous les biens. Ainsi soit-il.

 

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