VIGNE I
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LA VIGNE MYSTIQUE ou TRAITÉ DE LA PASSION DU SEIGNEUR SUR CES PAROLES : JE SUIS LA VÉRITABLE VIGNE.

AVANT-PROPOS.

CHAPITRE I. Que le Christ Jésus est la véritable vigne.

CHAPITRE II. De la taille de la vigne, ou des divers mystères qui se rapportent à l'état d'anéantissement de Jésus-Christ.

CHAPITRE III. Du travail fait autour de la vigne, ou bien des embûches des Juifs et des blessures du Christ.

CHAPITRE IV. Des liens de notre vigne, c'est-à-dire, des chaînes diverses qui ont attaché Jésus-Christ, et des tourments qu'il a endurés.

CHAPITRE V. De la culture et de la beauté de notre vigne, c'est-à-dire, de la beauté intérieure et extérieure de Jésus-Christ.

CHAPITRE VI. Des feuilles de la vigne considérées en général, c'est-à-dire, des différentes paroles de Jésus-Christ qui se rapportent à la prédication des vertus.

CHAPITRE VII. De l'ombre des feuilles de la vigne, c'est-à-dire, des paroles prononcées par Jésus-Christ sur la croix.

CHAPITRE VIII. Des feuilles de la vigne en particulier, ou bien de la première parole de Jésus-Christ sur la croix. Mon Père, pardonnez-leur, etc.

CHAPITRE IX. De la seconde feuille de la vigne, ou de la seconde parole de Jésus sur la croix : Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis.

CHAPITRE X. De la troisième feuille de la vigne, c'est-à-dire de la troisième parole de Jésus sur la croix : Femme, voilà votre Fils, etc.

CHAPITRE XI. De trois espèces de charité, recommandées par les trois premières paroles de Jésus-Christ.

CHAPITRE XII. De la quatrième feuille de la vigne ou de la quatrième parole de Jésus-Christ en croix : Mon Dieu, mon Dieu , pourquoi m'avez-vous abandonné?

CHAPITRE XIII. De la cinquième feuille de la vigne, ou de la cinquième parole de Jésus sur la croix : J'ai soif.

CHAPITRE XIV. De la sixième feuille de la vigne et de la sixième parole de Jésus-Christ sur la croix : Tout est consommé.

CHAPITRE XV. De la septième feuille de la vigne, ou de la septième parole de Jésus-Christ sur la croix: Père, je remets mon âme entre vos mains.

CHAPITRE XVI. De l'agrément que l'on trouve dans les fleurs de la vigne, ou des vertus de Jésus-Christ.

CHAPITRE XVII. De la fleur d'humilité, qui est la violette.

CHAPITRE XVIII. De la fleur de la chasteté, qui est le lis.

CHAPITRE XIX. De la racine du lis, c'est-à-dire des pensées cachées dans le cœur.

CHAPITRE XX. De la tige du lis, ou du bon propos qui s'élève de la racine de la bonne pensée

CHAPITRE XXI. De la rectitude du lis, c'est-à-dire, de l'intention droite.

CHAPITRE XXII. De la force de la tige, ou de la constance du bon propos.

CHAPITRE XXIII. Des vers qui rongent la tige, c'est-à-dire des mauvaises suggestions qui corrompent la borane résolution.

CHAPITRE XXIV. De la longueur de la tige ou de la vertu de longanimité, et de la persévérance dans la bonne résolution.

CHAPITRE XXV. Des feuilles qui sont autour de la tige, c'est-à-dire les paroles pieuses et fructueuses des vierges.

CHAPITRE XXVI. Du nouveau cantique que les vierges doivent, chanter.

CHAPITRE XXVII. Des feuilles inférieures du lis, ou de l'abondance et de la rareté des paroles.

CHAPITRE XXVIII. De ce qu'il y a à contempler dans le lis, c'est-à-dire de l’éclat et de l'excellence de la véritable virginité.

CHAPITRE XXIX. Que s'inclinant vers la terre, la fleur du lis prêche l'humilité.

CHAPITRE XXX. Du nombre des feuilles de notre lis, ou de trois désagréments de la vie présente auxquels les vierges échappent, et de trois avantages de la vie future qu'elles attendent.

LA VIGNE MYSTIQUE ou TRAITÉ DE LA PASSION DU SEIGNEUR SUR CES PAROLES : JE SUIS LA VÉRITABLE VIGNE.

AVANT-PROPOS.

Bon Jésus, vigne véritable, arbre de vie placé au milieu du paradis; Seigneur Jésus-Christ, arbre sacré dont les feuilles servent de remèdes, et dont les fruits font arriver à la vie qui ne finit pas. Fleur et fruit béni de la Vierge votre très-chaste mère, sans qui nul n'est sage, parce que vous êtes la sagesse du Père éternel, daignez refaire mon faible esprit en lui donnant le pain d'intelligence et l'eau de la sagesse salutaire, afin que par vous, ô clef de David. me soient ouvertes les choses obscures ; qu'en l'éclat que vous répandez, ô lumière véritable, ce qui est ténébreux, s'illumine; et que, parlant et luisant vous-même, par les accents de votre humble ministre, prédicateur et auditeur, nous possédions tous ensemble la vie éternelle. Amen.

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CHAPITRE I. Que le Christ Jésus est la véritable vigne.

1. « Je suis la vigne véritable (Joan. XV, 1).» Avec l'aide du même Seigneur Jésus-Christ, voyons quelques-unes des propriétés de la vigne terrestre, afin de pouvoir y reconnaître les propriétés de la vigne divine: ne nous bornons point à considérer les soins extérieurs qu'on lui donne pour la cultiver. Et d'abord, la vigne d'ordinaire se plante en terre, on ne la sème pas: c'est une tige que l'on coupe sur le cep, que l'on va planter ailleurs. Cette circonstance me paraît se rapporter à la conception du Seigneur Jésus. Car la vigne née d'abord de la vigne, c'est Dieu engendré de Dieu, Fils du Père, coéternel et consubstantiel à celui dont il a été engendré. Mais afin qu'elle produisît des fruits en plus grande abondance, cette vigne fut mise en terre, c'est-à-dire, que Jésus fut conçu dans la vierge Marie, fait ce qu'il n'était pas, restant ce qu'il était. Bénie soit cette terre, qui porte la bénédiction qui se répandra sur toutes les nations. Vraiment bénie, parce que sous le regard bienveillant de Dieu, elle produisit un fruit si sacré. C'est cette terre dont il est écrit : « Personne ne travaillait la terre, mais une fontaine l'arrosait, qui montait du paradis (Gen. II, 6). » Cette terre, en effet, ne subit pas l'action de l'homme, pour concevoir le Fils de Dieu, elle fut seulement arrosée de l'eau du Saint-Esprit. C'est ce que vous lisez : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Luc. I, 35). » Il est encore écrit de cette terre . « Que la terre s'ouvre, et elle germera le Sauveur (Isa. XIV, 8). » Elle s'ouvrit par la foi, la Vierge écoutant l'Ange et obéissant à ses paroles : et elle germa la vie salutaire, notre Sauveur qui distribue les récompenses de la vie éternelle. Cette vigne ainsi mise au jour, reçut quelques-uns des traits qui constituent la culture de cette plante.

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CHAPITRE II. De la taille de la vigne, ou des divers mystères qui se rapportent à l'état d'anéantissement de Jésus-Christ.

2. On a coutume de tailler la vigne afin qu'elle donne du fruit : on peut regarder cette opération ou par rapport au corps, ou comme une figure. Jésus fut, en effet, circoncis : ce n'est pas qu'il eut besoin de la circoncision, de cette cérémonie, qui dans les anciens patriarches, détruisait le péché originel, comme le baptême l'efface en nous. Conçu sans aucune concupiscence charnelle, il n'avait rien de commun avec le péché originel, qui se contracte par le vice de la concupiscence : il la reçut, pour ne point paraître violer la loi qu'il avait donnée (Matth. V, 7). Au point de vue moral, il nous apprenait à ne pas supporter avec impatience, les châtiments d'un péché que nous ne reconnaissons pas en nous, alors que celui qui venait nous purifier de toutes les fautes, n'a pas dédaigné de subir pour nous, la peine qui y portait remède. Consolons donc nos douleurs, nous qui ne sommes pas sans péché, en voyant les souffrances de celui qui souffrit. non pour lui, mais pour nous, et qui fut blessé, non pour lui, mais afin de guérir les meurtrissures que nous avions reçues. Voyez comme il est pressé de subir la douleur, combien empressé de répandre son sang. Il est circoncis pour nous, huit jours après sa naissance (Luc. II, 21) ! Plût au ciel qu'au moins à huit ans, nous commencions de souffrir quelque chose pour le Seigneur. Mais que disons-nous là? Nous en voyons plusieurs plantés après huit ans et après quatre-vingts (Psal. LXXXIX, 19), dont la condition naturelle est le travail et la douleur, qui ne se convertissent pas, même par le désir, et qui sans penser à ce sang précieux, versé de si bonne heure, ne prennent nul souci de corriger leur vie soumise si longtemps à la vanité. Quai de plus triste ? Le Christ attend à peine le huitième jour après sa naissance pour commencer à verser son sang pour vous et vous, je ne dis pas après huit jours, ni après quatre-vingts mois, mais pas même après quatre-vingts ans, vous ne lui rendez aucun témoignage de bonne volonté ? Qu'il est bon ce Jésus, qui accueille, même à la quatrième veille, le serviteur qui revient à lui pénitent (Luc. XII, 33) ! Vous avez donné à son ennemi la force des années de votre jeunesse. Donnez au moins votre volonté, dans sa faiblesse, à cet excellent maître qui l'attend dans sa miséricorde. Il est né pour nous, comme un petit enfant, afin d'être intéressé par des petits présents, ce qui est petit va bien aux petits (Isa. IX, 6). Que si ce que vous offrez n'est pas petit, c'est-à-dire humble, vous ne pourrez par là même, pénétrer jusqu'à celui qui dit de lui-même : « Je suis la porte (Joan. X, 7), » et ailleurs : « venez à moi vous tous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Matth. XI, 29). »

3. Nous pouvons entendre d'une autre manière la taille de notre vigne, et dire que furent, comme retranchés de lui, tous les biens dont il fut privé en cette vie, bien qu'il eût pu les avoir, et appliquer à ce retranchement ces paroles de l'Apôtre : «Étant en la forme de Dieu, il s'anéantit lui-même, prenant la forme d'un esclave » (Phil. II. 7). Cet anéantissement est comme une sorte de taille. Car; ainsi que la vigne est diminuée lorsqu'on la taille, ainsi la vraie vigne, Jésus-Christ dans son incarnation, abaissé au dessous des anges, fut, ce qui est encore plus, humilié au dessous de tous les hommes. Comme sa gloire fut enlevée en lui par le couteau de l'ignominie, sa puissance, par le couteau de l'abjection, la jouissance, par celui de la douleur, et les richesses par la pauvreté! Voyez maintenant, combien cette plante sacrée a été coupée. Celui à qui rend hommage toute la gloire des cieux, bien plus, celui, qui est seul la vraie gloire, dépose pour ainsi dire son éclat. Revêtu de l'habit d'un esclave, il supporte les ignominies, il est couvert de confusion, pour vous délivrer de vos hontes, et volts rappeler à votre dignité première : celui aux signes puissants duquel tous les enfers aussi bien que les créatures qui sont sur la terre et dans le ciel sont soumises est réduit à un état d'abjection tel, qu'il est regardé comme le dernier des hommes, (Isa. LIII. 3). Il est exposé à la faim, à la soif, à la chaleur, au froid, à la douleur, à l'infirmité, et après tous ces maux, il n'échappe pas au supplice de la mort. Celui qui habite une lumière inaccessible, (I Tim. VI. 16), sur le visage de qui les anges désirent fixer leurs regards, (I Petr. I. 12), dont les parfums seuls enivrent tellement les saints, qu'oubliant le monde et s'oubliant eux-mêmes, ils courent après lui de toutes leurs forces, est livré à des tortures si affreuses qu'en lui, on trouve réellement accompli ce qu'il avait dit auparavant, par la bouche des prophètes : « ô vous qui passez par le chemin, regardez et voyez s'il est une douleur semblable à ma douleur» (Tren. I. 12). Celui en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu (Col. II. 3), le roi des rois, riche envers tous, seul sans besoin aucun, est devenu si pauvre, qu’à son témoignage, il est plus dénué de tout que les renards, et les oiseaux du ciel: « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids: mais le fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête » (Matth. VIII, 20). Pauvre en sa naissance, plus pauvre en sa vie, très pauvre sur la croix. En naissant il boit un lait virginal, et porte, pour se couvrir, de viles langes. Durant sa vie, s'il eut des habits, les aliments lui manquaient parfois. A sa mort vous le trouverez nu et livré à la soif: à moins que pour l'étancher, vous ne vouliez lui donner du vinaigre mêlé de myrrhe et de fiel. (Joan. XIX, 29).

4. Enfin, par le tranchant de la crainte furent écartés et séparés de lui, ses amis et ses proches, en sorte que nul ne se trouva pour le consoler, de tous ceux qui lui furent chers. Seul, en effet, il serra le pressoir, et nul homme du dehors n'était avec lui (LXIII. 3); et quand son cœur sentait vivement les opprobres et l'adversité, il attendit qu'on le plaignit, et nul ne le plaignit, qu'on le consolât et nul ne le consola, (Psalm. LVIII). Voyez à présent combien notre vigne a été taillée. Jamais arbuste a-t-il subi un retranchement si considérable? Mais quel est le sentiment qui le console de cette opération? C'est le fruit considérable qu'il produit. Il supporta une taille extraordinaire et incomparable. C'est avec intention qu'il a été dit: « Et des nations il n'y a pas d'hommes avec moi, » comme si on voulait faire entendre par là, que les femmes seules restèrent à sa suite. Les hommes dont la valeur est néanmoins plus forte, prenant la fuite, dans la crainte qu'ils éprouvaient, le sexe femme si faible n'abandonna pas le Sauveur, même lorsqu’il portait sa croix, et y mourait attaché; c'est là ce qu'exprimait le bienheureux Job, en la personne de Jésus-Christ, exhalant cette plainte: «Il ne m'est resté que mes lèvres . autour de mes dents (Job. XIX, 20). Par les lèvres qui sont plus molles que les autres membres, on entend symboliquement les femmes, sexe mou et faible, qui s'attachèrent seules à Jésus-Christ, (Luc. XXIII. 27), lorsque les disciples s'enfuirent effrayés, (Marc. XIV. 50). Le Seigneur, en effet, choisit ce qu'il y a de faible, pour confondre ce qui est fort. Que si nous voulons parler de la fuite mentale, à côté. du divin crucifié, il ne resta ni homme, ni femme, excepté celle-là seule qui. est bénie entre toutes les femmes, et qui seule en ce triste sabbat, garda la foi et sauva l'Église en sa semence. Aussi, c'est avec infiniment de raison, que dans toute l'Église, on a coutume de consacrer le long de l'année, chaque samedi, à louer à glorifier cette bienheureuse vierge. Pampre véritablement et singulièrement sacré, qu'aucune crainte ne put séparer de son cep. Ils furent détachés, ceux qui dirent « nous espérions qu'il rachèterait Israël » (Luc. XXIV. 21).Elles furent retranchées, ces femmes qui, bien que s'empressant de rendre à sa dépouille le devoir de la piété et de l'humanité, ne croyaient néanmoins pas qu'il ressuscitât, (Ibid. XXIII. 55). Et c'est peut-être pour ce motif (ce que je dis sans vouloir absolument affirmer, retenu par la crainte d'introduire des assertions nouvelles) que la mère du Sauveur, qui avait plus de piété, ne vint pas avec les autres saintes femmes, oindre le corps enseveli de Jésus, regardant ce soin comme inutile, sachant qu'il allait bientôt ressusciter. Voilà la femme vraiment forte, la femme qu'après son adorable fils, il faut honorer au dessus de toutes les autres. On peut l'appeler avec raison héroïne, parce que dans la force de son amour, elle n'a pas été séparée de Jésus-Christ; mais le voyant mourant et mort, elle le crut placé au faîte de la gloire de l'immortalité.

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CHAPITRE III. Du travail fait autour de la vigne, ou bien des embûches des Juifs et des blessures du Christ.

5. On bêche autour de la vigne. Ce travail signifie la fraude de ceux qui tendent des embûches. Quand on travaille à faire tomber quelqu'un dans un piège, c'est comme si on creusait une fosse devant lui. Aussi le Seigneur dit en se plaignant : «Ils ont ouvert une fosse sous mes pieds (Psalm. LVI, 7). » Aucune ruse ne pouvait se dérober à sa vue, lui qui est plein d'yeux en toutes manières ; et qui voit le passé et l'avenir, aussi bien que le présent. Tout est à nu et à découvert sous son regard (Hebr. IV, 13) . Indiquons un exemple de ces pièges qui enveloppent le Fils de Dieu. « On lui amène, » dit l'Évangile, « une femme adultère, en disant que Moïse a commandé dans la loi de lapider les personnes coupables de ce crime. Mais vous, qu'en dites-vous (Joan. VIII, 5) ? » Voyez la fosse, que ces détestables agriculteurs ont ouverte à côté de notre bienheureuse vigne, non pour la faire germer, mais plutôt afin de la faire dessécher. Leur intention néanmoins, obtint un effet opposé : et ainsi entourée, elle devint plus fertile et donna le suc de la miséricorde. Mais examinons ces perfidies. Ils dirent en eux-mêmes : si, selon la loi, il décide qu'il faut lapide cette femme, il tombera dans la cruauté, lui qui prétend « être doux et humble de cœur (Matth. XI, 29), » et qui a dit encore : «Je veux la miséricorde, et non le sacrifice (Ose. VI, 6). » Que s’il dit qu'il la faut absoudre, il tombera dans la prévarication; et il sera condamné, avec raison, comme contempteur de la loi. C'est ainsi que les pécheurs assiègent l'âme du juste (Psal. XCIII, 21), ainsi qu'ils l'observent et grincent des dents; ils ne savent pas que c'est en vain qu'on tend « des filets sur le passage de ceux qui ont des ailes (Prov. I, 17), ) » et que celui qui creuse une fosse y tombe le premier (Prov. XXVI, 27.) Mais notre Ibis bondit légèrement au dessus de ces embûches, et y fit tomber ceux qui les avaient préparées. Il dit : « Que celui d'entre vous qui est sans péché, lui jette la première pierre (Jean. VIII, 7). » Comme s'il disait: je ne contredis pas ma loi, je n'abandonne pas ma bonté. Certainement cette malheureuse a mérité d'être lapidée, mais elle ne le sera pas, car il ne se trouve personne qui puisse avec justice lui jeter la pierre.

6. Voulez-vous encore voir quelques fosses? « Est-il permis, » disent-ils, « de payer, oui ou non, le tribut à César (Matth. XXII, 17) ? » Ils avaient dit à part eux :s'il décide que oui, il sera pris comme coupable et comme destructeur de notre liberté. Car le paiement du tribut est la marque de la servitude. S'il répond que non, il sera convaincu de lèse-majesté. O insensés! L'insensé a coutume de croire les autres semblables à lui; et ce qu'il ignore, il croit que les autres l'ignorent comme lui. Mais que dit la Sagesse ? je ne déroge pas à la liberté, je n'offense point la majesté, j'évite vos embûches. « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Ibid. 21.) » Car Dieu n'est pas offensé, lui qui veut qu'on rende à chacun ce qui lui appartient. Si vous rendez à César ce qui est à César, vous ne l'outragez nullement. Si vous rendez au Seigneur ce qu'il a créé justement, vous accomplissez un acte de justice. Rendez donc à César la pièce de monnaie qui porte son empreinte, et rendez à Dieu, l'âme qu'il a créée à son image et ressemblance, et alors vous serez justes. Il serait trop long d'exposer toutes les fosses que ces ennemis malins ouvrirent à côté de notre vigne, car ils s'efforçaient de calomnier toutes ses actions et toutes ses paroles.

7. Mais lorsqu'ils virent que ces embûches ne nuisaient en rien à la vigne, et, au contraire, qu'en creusant ces fosses, ils y étaient tombés eux-mêmes, ils s'efforcèrent de travailler autour et de la déchausser, afin que, par ce moyen, elle fût frappée comme tous les autres arbres, d'une stérilité éternelle. Ils creusèrent donc et creusèrent encore, non-seulement les mains et les pieds, mais ils perforèrent avec leur lance le côté, et découvrirent l'intérieur du sacré cœur qui avait été déjà blessé de la lance de l'amour. « Vous avez blessé, » s'écriait l'Époux dans le cantique de l'amour, « vous avez blessé mon cœur, ô ma sœur, ô mon Épouse (Cant. IV, 9) ». O Seigneur Jésus, votre Épouse, votre amie, votre sœur blesse votre cœur. Pourquoi fallut-il aussi, que vos ennemis le blessassent encore? Que faites-vous, ô ennemis? Si le cœur du tendre Jésus a été atteint, ou plutôt parce qu'il a été blessé, pourquoi lui faire une seconde blessure ? Ignorez-vous que frappé par un seul coup, le cœur meurt, et que celui de ce divin maître est insensible parce qu'il a été déjà ouvert? La blessure de l'amour, la mort de l'amour s'est déjà emparée du cœur de Jésus notre Époux. Comment une autre mort y entrera-t-elle? L'amour est fort comme la mort, disons mieux, il est plus fort que la mort. Car la première mort (Cant. VIII, 6), je veux dire la charité qui mortifie les mauvaises morts ne peut être expulsée de la demeure du cœur qu'elle a acquise par un droit inviolable, c'est-à-dire par la blessure qu'elle a reçue. Deux hommes également forts courent, l'un étant dans la maison, l'autre dehors, qui doute que la victoire sera pour celui qui est dedans? Et voyez combien grande est la force de l'amour qui occupe la maison du cœur, et qui fait mourir très-doucement par la blessure qu'il produit, non-seulement Notre-Seigneur, mais encore ses serviteurs.

8. Arrivons aux martyrs. Bien qu'on les menace, ils rient; on les frappe, et ils se réjouissent : on les tue et ils triomphent. Pourquoi ? parce que déjà morts au dedans de leurs cœurs par la mort de la charité, morts au péché et au monde, devenus comme insensibles, ils ne purent sentir ni les menaces, ni les hommes, ni la mort. Qu'y a-t-il de surprenant? Ils étaient morts. « Vous êtes morts, » dit l'Apôtre (Cor. III, 3). C'est cette mort que désirait sagement un insensé qui s'écriait : « Que mon âme meure de la mort des justes et que ma fin soit semblable à la leur (Num. XXIII, 10). » Heureuse mort qui brave et méprise le trépas : bonne mort, qui promet la vie éternelle. C'est ainsi que fut blessé et que mourut le cœur de Jésus, mortifié pour nous, et regardé tout le long du jour, comme une brebis destinée à la boucherie (Psalm. XLIII, 22). La mort corporelle, survint aussi, et triompha un moment, pour être vaincue à jamais. Elle fut terrassée parce que Jésus ressuscita des morts, et parce que le trépas n'a plus d'empire sur lui (Rom. VI, 9). Mais parce que nous sommes déjà venus une fois au très-doux cœur de Jésus, et qu'il fait bon se trouver en ce séjour délicieux, ne nous laissons pas séparer de celui dont il est dit : « Ceux qui s'éloignent de vous seront écrits sur la terre (Jer. XVII, 13). » Qu'y aura-t-il pour ceux qui s'en approchent? Apprenez-le nous vous-même. Vous avez dit à ceux qui venaient vers vous : « Réjouissez-vous, parce que vos noms sont écrits dans le ciel (Luc. X, 20). » Concluons donc en rapprochant ces données, s'il en va de la sorte pour ceux qui sont écrits dans le ciel, que sera-t-il de ceux qui seront écrits sur la ferre? Ils pleureront. Mais qui ne désire se réjouir? Approchons-nous de vous, et nous tressaillerons et nous réjouirons en vous, au souvenir de votre cœur. Oh qu'il fait bon, oh! qu'il est agréable d'habiter en ce cœur ! Votre cœur, ô bon Jésus est un excellent trésor, une pierre précieuse, que nous avons trouvée en fouillant dans le champ de votre corps. Qui la rejetterait? Bien plutôt, je donnerai tout, je livrerai en échange,toutes mes pensées et toutes mes affections, et je me la procurerai, jetant toutes mes préoccupations dans le cœur du Seigneur Jésus, et sans nul doute il me nourrira.

9. En ce temple, en ce saint des saints, devant cette arche du testament, j'adorerai et je louerai le nom du Seigneur, disant avec David : « J'ai trouvé mon cœur pour prier le Seigneur ( II Reg. VII, 27). » Et moi, j'ai trouvé le cœur de Jésus mon roi, mon père et mon tendre ami. Et ne prierai-je point? je prierai assurément. Car son cœur est avec moi, je le dirai avec hardiesse, si, et même encore, parce que le Christ est mon chef. Comment ce qui est à ma tête, ne serait-il pas à moi? De même que les yeux de ma tête charnelle sont véritablement mes yeux ; de même, ce cœur spirituel est mon cœur. Il est donc bien à moi. Et moi je possède mon cœur avec Jésus. Et qu'y a-t-il d'étonnant à cela? La multitude des fidèles ne formait bien jadis qu'un seul cœur (Act. IV, 32). Ayant donc trouvé, ô très-doux Jésus, ce cœur qui est le vôtre et le mien, je vous prierai, vous qui êtes mon Dieu. Recevez seulement mes prières au lieu où vous exaucez les vœux que l'on vous présente, ou plutôt attirez-moi tout entier en votre cœur. Bien que les liens tortueux de mes péchés me retiennent et m'empêchent, néanmoins parce que ce cœur a été dilaté par une incompréhensible charité, et que seul vous pouvez rendre pur celui qui a été conçu d'une semence souillée, et me faire passer par le trou d'une aiguille après m'avoir fait déposer le poids de ce fardeau que je porte sur les épaules, ô Jésus, le plus beau des enfants des hommes, lavez-moi encore davantage de mon iniquité et purifiez-moi de mon péché, afin que justifié par vous je puisse m'approcher de vous qui êtes si pur, que je mérite d'habiter tous les jours de ma vie en votre intérieur sacré, et puisse toujours voir et accomplir eu même temps votre volonté.

10. C'est pour cela que votre côté a été ouvert, pour nous ménager une entrée. Il a été blessé, afin qu'en lui et en vous, nous puissions résider à l'abri des perturbations du dehors. Néanmoins il a été blessé aussi, afin que par la blessure visible, nous apercevions la blessure invisible de l'amour. Comment son ardeur pouvait-elle mi deux se montrer qu'en laissant blesser non-seulement le corps, mais encore le cœur lui-même d'un coup de lancé ? Cette plaie charnelle représenta donc la plaie spirituelle. C'est là peut-être ce que signifie le texte déjà cité,. dans, lequel on dit à deux reprises : « Vous avez blessé (Cant. IV, 9). » La sœur et l'Épouse a été la cause de ce double coup. C'est comme si l'Époux disait: parce que vous m'avez blessé par l'excès de votre amour, j'ai été aussi blessé par la lance du soldat. Car qui souffrirait que votre cœur fût atteint du fer, lorsque vous êtes attaché au gibet, s'il n'avait déjà reçu la blessure de cet amour ? Il dit donc : « Vous avez blessé mon cœur, ô ma sœur, ô ma fiancée, vous avez blessé mon cœur. » Mais pourquoi dire : ma sueur et mon Épouse? Le bien-aimé ne pouvait-il pas exprimer suffisamment son affection, en employant le mot de sueur ou celui d'Épouse seulement? ou pourquoi dit-il, fiancée et non Épouse, lorsque, chaque jour, l'Église ou chaque me fidèle doit produire au Christ son Époux le fruit des bonnes couvres? Je réponds en peu de mots : les fiancées non attachées encore au joug conjugal, aiment avec plus d'ardeur que dans la suite. Par le laps du temps, l'amour lui-même se calme. Notre Époux, pour montrer la grandeur de son amour qui ne s'affaiblit pas avec les années, appelle son amie fiancée, parce que l'affection qu'il éprouve pour elle est toujours nouvelle.

11. Mais comme on aime aussi charnellement les épouses, pour qu'en l'affection que ressent notre Époux, vous ne pensiez rien de charnel, il donne à son Épouse le nom de sueur, parce qu'on n'éprouve jamais pour des sœurs des sentiments grossièrement amoureux. Il dit donc : « Vous avez blessé mon cœur, » et le reste, comme s'il disait parce que je vous aime souverainement comme une fiancée; et chastement comme une sueur ; mon cœur a été blessé à cause de vous. Qui n'aimerait un cœur si profondément blessé ? Qui n'aimerait un ami qui nous témoigne tant de tendresse? Qui n'embrasserait un si chaste amant? Elle aime son cher blessé, celle qui, brûlant des plus excessifs transports d'amour, s'écrie : « Je suis blessée d'amour. » Ne rend-elle pas à son bien-aimé amour pour amour, celle qui profère ces paroles « Annoncez à mon bien-aimé que je languis d'amour (Cant. V, 8). » Elle éprouve pour lui une affection fraternelle, qu'elle traduit par ces expressions: « Qui me donnera, ô mon frère, qui sucez les mamelles de ma mère, de vous trouver dehors, de vous saisir, de vous embrasser, afin que personne ne me méprise plus? (Ib. VIII, 1). » Que veut dire ce mot, dehors? je pense qu'il signifie, hors du corps. Tant que nous sommes dans cette chair, nous voyageons loin du Seigneur. Qui supporterait avec patience cette course lointaine ? Elle est remplie de la douleur des événements passés, du travail, du présent et de la crainte de l'avenir; et bien que, durant son cours, l'Époux y fasse parfois sentir la grâce de ses consolations, il se tient néanmoins éloigné et comme derrière un mur, le corps de péché se dressant comme une cloison entre lui et nous; il ne se laisse pas facilement toucher ou embrasser : ces faveurs sont réservées à l'âme arrivée à un si haut degré de mérites qu'il lui adresse cette invitation: «Levez-vous, mon amie, ma colombe, vous qui êtes toute belle (Cant. II, 13). » Seule, cette âme heureuse, bien que cela arrive rarement, croyant l'avoir saisi en quelque façon, s'écrie « J'ai trouvé celui que mon cœur aime, je l'ai saisi, je ne le laisserai point partir. » Mais on n'arrive pas facilement à ce degré. Nous donc qui demeurons encore dedans, c'est-à-dire, dans le corps, autant que nous pouvons aimer, aimons, aimons encore, embrassons notre divin blessé, dont les agriculteurs impies ont creusé les mains et les . pieds, ouvert le côté et le cœur ; tenons-nous debout, afin qu'il daigne lier de ses chaînes et blesser de son dard, notre cœur encore dur et encore impénitent.

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CHAPITRE IV. Des liens de notre vigne, c'est-à-dire, des chaînes diverses qui ont attaché Jésus-Christ, et des tourments qu'il a endurés.

12. On attache la vigne. Qui n'aperçoit les liens de notre vigne? Considérons cependant ces liens. Le premier fut l'obéissance. Jésus-Christ, en effet, obéit à son père jusqu'à la mort, et à la mort de la croix (Phil. II. 8.) Il obéit à sa mère et à saint Joseph, selon cette parole : « Il vint à Nazareth avec eux, et il leur était soumis. (Luc. II. 51). » Il obéit aux juges terrestres, payant le tribut (Math. XVII. 26.). Le second fut le sein de la Vierge, séjour béni dont nous chantons: «Celui que les cieux ne peuvent contenir, vous l'avez porté dans vos entrailles sacrées. » Le troisième fut la crèche, conformément à ce texte : «L'enfant vagit bien emmaillotté dans une étroite crèche, la vierge mère entoure ses membres de langes, et une bandelette retient ses pieds, ses mains et ses jambes. » Le quatrième fut la corde dont on l'attacha lorsqu'il fut arrêté; voici ce que nous lisons : « alors, » c'est-à-dire, quand il était trahi, « ils mirent les mains sur Jésus et le lièrent (Matth. XXVI. 50). » O roi des rois, ô Seigneur des seigneurs, qu'y a-t-il de commun entre vous et ces chaînes? On lie les vignes, dans la crainte qu'elles ne rampent à terre, pour qu'elles ne soient pas épamprées ou que leurs raisins ne se pourrissent point, mais le fruit de cette vigne sacrée fut, et il est toujours, incorruptible. Pourquoi donc est-elle liée? Un roi fut atteint d'une flèche lancée par le bras d'un homme; comme on lui demandait de se laisser lier jusqu'à ce qu'on fit l'extraction, parce que le moindre mouvement aurait pu lui causer la mort, il répondit avec raison : il ne convient pas qu'un roi soit attaché. Que toujours la puissance royale soit libre et sauve. O Dieu des dieux, combien donc furent gravement atteintes votre liberté et votre puissance ! Que de liens vous enchaînaient, vous qui avez seul le pouvoir de lier et de délier! mais c'est à cause de votre miséricorde que vous êtes ainsi attaché, dans le but de nous délivrer de nos misères. O que rudes furent les liens dont ces cruels bourreaux serraient les membres de cet Agneau très doua! Je vous vois des yeux de l'âme, Seigneur Jésus, lié par des noeuds si rudes,, traîné comme un voleur au jugement du prince des prêtres et ensuite devant Pilate : je suis saisi d'horreur, et je suis surpris, et je tomberais en défaillance dans mon étonnement, si je ne voyais que d'abord vous êtes attaché dans votre cœur par les chaînes de la charité, chaînes qui vous ont doucement entraîné à supporter des chaînes plus cruelles. Grâces soient rendues à vos liens, ô bon Jésus, qui ont rompu si puissamment les nôtres.

13. Le cinquième lien fut celui qui attachait le Seigneur à la colon, ne, lorsqu'il était flagellé. Nous pourrions aussi, avec raison, donner le nom de liens à ces fouets qui faisaient pleuvoir les coups de tous côtés, sur son corps sacré. Bien que cruels, bien que durs et injustes, j'aime les liens de ces fouets ; il leur fut donné de toucher votre corps très-sacré, et de boire, ô divin Jésus, votre sang très-pur. Si, en effet, en votre cruelle flagellation, ce sang se répandit en si grande abondance, que la colonne qui en fut aspergée en conserve encore, ainsi qu'on l'assure, les rouges empreintes, que de sang dut s'attacher à ces fouets qui déchiraient votre corps très-doux? Le Seigneur fut flagellé avec tant de cruauté que son sang rejaillit dans les airs. Voyez avec combien de vérité, ce supplice de l'Homme-Dieu attaché à la colonne est représenté par la vigne fixée à un pieu. Qu’est-ce que ce pieu, sinon la colonne à laquelle Jésus était lié. Comme la vigne est, fixée à l'échalas, ainsi le Christ l'était à la colonne.

14. Le sixième lien fut la couronne d'épines entourant, en la faisant grandement souffrir, la tête aimable du Sauveur, y laissant l'empreinte d'un nombre considérable d'aiguillons, et faisant couler des gouttes de sang, et comme je le crois, les répandant sur sa face adorable, à peine sèche des infâmes crachats des Juifs. Ce lien le fit souffrir, sans parler du diadème qu'il porta sur le bois, et qui avait beaucoup d'éclat et de beauté. O roi de gloire, Seigneur Jésus-Christ, couronne de tous ceux qui vous confessent, qui vous suivent, qui combattent et vivent pour vous et demeurent en vous ! qui vous a attaché par ces liens si cruels et si ignominieux? Voici que la confusion couvre votre tête et se répand sur votre aimable visage. Une génération perverse et cruelle vous fait l'honneur dérisoire de vous placer un diadème sur la tête : mais les aiguillons des épines vous font éprouver à la fois douleur et honte. Je ne sais lequel vous fait le plus de mal. La couronne appelle la dérision, les épines produisent de cuisantes piqûres. «Sortez, filles de Sion, et voyez le roi Salomon portant le diadème dont sa mère l'a couronné au jour de ses fiançailles et de la joie de son cœur. » Que toute âme qui se reconnaît pour fille de Sion, c'est-à-dire de l'Église, sorte des soucis du siècle, des vaines pensées, et considère, par la contemplation de l'esprit, le roi Salomon, c'est-à-dire, le Christ Jésus, qui est notre paix, qui détruit les ennemis, et rétablit la concorde entre Dieu et l'homme.

15. Considère-le, ô âme heureuse, avec ce diadème que sa mère a placé sur son chef, je veux dire la Synagogue et la populace des Juifs. O mère cruelle ! quel péché a commis ce fils excellent, pour être lié de la sorte? C'est lui qui délivre ceux qui sont enchaînés, qui relève ceux qui sont brisés, qui accueille les étrangers, qui console les pupilles et les veuves, et il a mérité d'être enchaîné ? Voilà la dot que vous lui faites, les cadeaux que vous lui offrez à l'occasion de ses noces. Car ce jour est le jour de ses noces ; ce jour d'indignation et de blasphème, ce jour de tribulation et de misère, ce jour des plaies et des douleurs, ce jour des liens et de la mort, c'est le jour de ses fiançailles. Ce sont les arrhes,ô âme fidèle; votre époux vous a donné un gage qui vous tient obligée, et. lui, il marche comme un époux portant une couronne sur la tête. Cette couronne n'est ni d'or ni de pierreries; elle est d'épines. L'habit dérisoire de pourpre s'est aussi trouvé en cette circonstance. On lui mit sur le corps un vêtement de pourpre, bien qu'il eût rougi, d'une façon bien plus noble, la tunique de son corps, par l'effusion de son sang précieux. La pourpre ne se teint pas plus de deus fois, mais le Seigneur a trempe, non seulement à deux reprises, mais jusqu'à trois fois, la pourpre de sa chair dans le torrent de sang. Voilà votre Époux, ô âme, il est rougi par la sueur, dans la flagellation et dans le crucifiement. Levez les yeux de l'esprit, et voyez si c'est là, oui ou non, la tunique de votre Époux. Voilà qu'une bête féroce a condamné votre fils, votre frère, votre époux. Qui retiendrait ses gémissements et ses larmes ? qui ne serait livré à une profonde douleur ? Car s'il est pieux de se réjouir pour Jésus, il est aussi pieux de pleurer sur le pieux Jésus.

16. Le septième lien fut de fer, c'est celui qui attacha le Sauveur à la croix. Ce lien fut beaucoup plus cruel que les autres, non-seulement il fendit ses mains et ses pieds très-saints, mais de plus, il sépara cette âme très pure, de l'habitation sans tâche de son corps. Maintenant aussi, ô filles de Sion ; sortez et voyez votre pacifique, qui combattait pour votre liberté, succomber dans la lutte. Voyez l'auteur de votre vie,, entrer pour vous, dans les portes de la vie pour vous remettre sur le chemin qui y conduit. Voyez ces liens très-durs, ces cloux de fer pénétrer cruellement dans ces pieds et dans ces mains qui opéraient votre salut au milieu de la terre. Voyez le bois de la crois mis dans notre pain, pain très-blanc, pain délicat, pain des anges, descendu du ciel, pour devenir notre nourriture, pour refaire nos âmes soumises à un travail continuel, en leur donnant, non un aliment étrange, mais sa propre substance. et pour s'incorporer à nous, non en se réformant à l'image de notre chair, mais en nous refaisant selon son esprit. Voyez comme le juste est lié, comment notre Époux très-libre et si délicieux, est mis au rang des scélérats. Notre vie meurt, non pour ses nécessités, mais pour les nôtres. Verse des larmes sur celui qui périt enchaîné par des liens si forts, parce qu'il a pleuré le premier. Appliquez-vous, et voyez à quelle mort amère et honteuse il est condamné. Il attend encore, et il cherche avec soin s'il se trouve quelqu'un qui s'attriste avec lui, qui essuie les, effusions de son sang et qui, déposé de la croix, l'enveloppe, non dans un suaire de linge, mais en son propre cœur, et l'accompagné en pleurs au tombeau, mêlant ces larmes à celles des bienheureuses femmes.

17. L’âme qui aura été fidèle à ces pratiques, méritera, je l'espère, d'être remplie un jour de la joie de la résurrection. « Car si nous souffrons avec Jésus-Christ, nous régnerons avec lui ( II Tim. II, 12). » C'est ce que fait bien voir l'Épouse dans le Cantique de l'amour, quand elle dit tout d'abord: « Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe; il demeurera sur mon sein (Cant. I,12); » et elle ajoute : « Mon bien-aimé est une grappe de raisin de Chypre (Ibid. 12). » Qu'est-ce qu'un bouquet de myrrhe ? Cette plante amère indique l'amertume de la passion; et le bouquet, montre la réunion de plusieurs tourments. L'Époux devient donc un bouquet de myrrhe pour sa bien-aimée, quand elle se le représente par la pensée, couvert de nombreux outrages : plusieurs ont été indiqués, il faudra énumérer les autres. Quelles sont ces mamelles de l'Épouse, au milieu desquelles il affirme qu'il demeurera? Ces deux mamelles, sont la prospérité et l'adversité. Ces deux choses la nourrissent; l'adversité lui porte secours pour que la prospérité ne l'exalte pas trop. Elle place son bien-aimé entre ces mamelles, lorsqu'elle se souvient de lui, soit dans la bonne, soit dans la mauvaise fortune. De là vient que celui qui naguère était un bouquet de myrrhe, c'est-à-dire, qui avait rempli l'âme de l'Épouse, de l'amertume de ses passions, se change subitement en grappe de raisin de Chypre, renfermant en lui le vin de l'allégresse et de la joie changement qui se produit, quand l'âme, qui avait vu son bien-aimé outragé de tant d'injures et condamné à une mort ignominieuse, l'aperçoit ensuite dans le triomphe de la résurrection, couronné de gloire et d'honneur, et assis, avec l'humanité qu'il avait prise, à la droite de Dieu son Père : cette vue lui donne la confiance que, par des tribulations variées, elle entrera, elle aussi, dans la même joie du Seigneur.

18. Allons donc nous aussi, selon l'avis de l'Apôtre saint Paul, avec notre époux, le bon Jésus, hors des camps, (Hebr. XIII, 13), c'est-à-dire, hors des concupiscences du siècle présent, portant avec lui l'opprobre de la croix et le tourment causé par les liens : il ne convient pas que le chef étant crucifié, les membres soient délicats, et il ne montre pas qu'il appartient à la tête du corps, le membre qui n'a point souffert avec la tête. Soyons attachés avec les liens de la passion de l'excellent Jésus, afin de pouvoir être enchaînés avec lui par les liens de la charité. Lui-même, enlacé dans les liens de la charité, fut tiré du ciel en terre pour s'y laisser charger des chaînes de la passion : nous, au contraire, qui désirons être tirés de la terre au ciel, enlaçons d'abord à notre cou le lien de la passion, de sorte que par ce moyen, reliés par les liens de la charité, nous ne fassions qu'un avec lui, conformément à la prière qu'il adressa à son Père : « Je vous demande, mon Père, que ceux que vous m'avez donnés, » confirmés en la charité « soient un en nous, comme vous et moi sommes uns (Joan. XVII, 22). » Quoi de plus glorieux que cette unité? Après elle, que pouvez-vous désirer ou avoir ? Vous serez un avec votre Époux, ô heureuse, ô plus heureuse, ô très-heureuse unité! C'est par cette unité que l'Apôtre se sentait attaché à Jésus-Christ, lorsqu'il disait : « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ? La tribulation, (angoisse, la faim 1apersécution, le péril, la nudité, la gloire? Je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les anges, pi les principautés, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de la charité qui est en Jésus-Christ (Rom. VIII, 35).» Désirons, de toutes nos forces, d'être unis par les liens de cette charité, à notre époux et Seigneur; en sorte que, suivant ses traces, nous puissions arriver au lieu où il se trouve, lui qui a dit : « Mon Père, je veux que là où je suis, mon serviteur se trouve aussi (Joan. XII, 26). »

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CHAPITRE V. De la culture et de la beauté de notre vigne, c'est-à-dire, de la beauté intérieure et extérieure de Jésus-Christ.

19. Après avoir vu, en partie, les soins extérieurs que l'on emploie pour cultiver la vigne, fixons à présent, notre attention sur la vigne elle-même, afin de contempler plus exactement et d'une façon plus spéciale, notre plante divine, par les similitudes que nous fournira la vigne ordinaire. Tout le corps de ce végétal parait plus disgracieux que celui des autres arbustes, il semble inutile et de nulle valeur, en lui rien ne plait à la vue ou charme le regard. Que dirons-nous ici? Le corps devrait figurer le corps de Notre-Seigneur, et il se trouve que sa difformité s'éloigne beaucoup de la beauté de celui dont il est écrit : « Il est beau, plus que tous les enfants des hommes (Psalm. XLIV, 3). » Il est des personnes qui appliquent ces paroles, non à l'homme extérieur, mais à celui du dedans, c'est-à-dire à l'âme ou à la divinité, à raison desquelles le Sauveur l'emportait non-seulement sur les enfants des hommes, mais encore sur les enfants de Dieu, c'est-à-dire, sur les esprits angéliques eux-mêmes. Car il fut établi d'autant meilleur que les anges, qu'il a reçu au dessus d'eux un nom bien. différent (Hebr. I, 4). Pour ne pas contredire ce sentiment de notre propre chef, nous avons des autorités en main, bien que nous sachions que plusieurs, non devenus encore spirituels, ont une manière de voir opposée, se représentant dans le corps du Seigneur, une sorte de beauté spirituelle : s'ils entendent dire que le Seigneur eut un extérieur corporel méprisable, ils s'indignent : et s'ils ne disent rien, ils contredisent par la vivacité et l’opposition de leur âme, ne prenant pas garde à ce qui est écrit : « C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien (Joan. VI, 64). » Ils n'entendent pas ou entendent avec peine Isaïe, proférant ces paroles. « Voici que nous l'avons vu, il n'avait ni éclat ni beauté : en lui, nul extérieur : et nous l'avons demandé, il est méprisé, c'est le dernier des hommes, l'homme des douleurs et connaissant l'infirmité, son visage est comme caché et il n'a rien qui attire. Aussi n'avons-nous pas pris garde à lui. Nous l'avons tenu pour un lépreux, pour un homme frappé de Dieu et humilié (Isa. LIII, 2).» Voilà la description que le Prophète nous donne de sa personne. Quoi de plus clair? Et il se présentait réellement ainsi aux yeux des infidèles et des hommes charnels, qui ne savent remarquer que les apparences grossières.

20. Nous pouvons établir cette doctrine sur des raisons manifestes. Premièrement par le sentiment de la compassion, et ensuite par la défaillance qui eut lieu dans la passion. Et comme il avait réellement pris nos affections, voyons, pour aller du connu à l'inconnu, les sentiments que les hommes éprouvent pour ceux qu'ils aiment. Qui ne sait qu'à la vue du péril que court un ami, souvent ou éprouve une sensation et une douleur si grandes, que le corps en est atteint et blessé ? Si c'est là ce que l’homme éprouve pour l'homme, avec quelle plus grande force Jésus, homme Dieu, l'a-t-il éprouvé pour l'homme ? si lorsqu'il s'agit de l'un de vos semblables, la compassion vous porte à exposer votre corps à quelque péril : quels supplices, pensez-vous, aura supportés Notre-Seigneur pour tous les hommes ? Tous étaient à lui, et tous blessés à mort. Nous savons que saint Paul a dit de lui : « Qui est infirme, sans que je le sois avec lui? ( II Cor. XI, 29). » Et son infirmité s'étendait si loin que, comme il l'avoue lui-même, sa présence était méprisable (II Cor. X, 10) et que, selon ses propres expressions, le « monde était crucifié pour lui et qu'il était crucifié pour le monde (Gal. VI, 14).» Le monde était crucifié pour lui; tout ce qui appartenait au monde, il le regardait comme mort, et anéanti; de son côté, il était pareillement crucifié pour le monde, car le monde l'avait en horreur, en le voyant exténué de corps et presque mort, à cause des fréquentes infirmités que lui occasionnaient ses souffrances et sa compassion envers le prochain, et en ne trouvant rien en ce grand Apôtre, qui lui appartint. Que si saint Paul était infirme avec les infirmes, serviteur et frère avec les serviteurs et les frères : que sera le tendre Jésus, ce bon maître, ce père, pour la créature et pour ses enfants ? L'apôtre brillait comme s'il était échauffé par les rayons du soleil : quelles étaient, pensez-vous, les ardeurs du soleil lui-même? Si celui qui eut une étincelle de charité, est réduit à une telle infirmité par le sentiment de la compatissance, que faut-il penser, à votre avis, de la charité elle-même, à la plénitude de laquelle tous les cœurs ont puisé

21. Il ne faut nullement douter, qu'une infirmité et un affaiblissement de corps non pareils n'aient été le partage 'de celui qui venait aussi porter la croix, et qu'une plus grande souffrance n'ait assailli celui qui avait une compatissance plus tendre, et qui voyait, non-seulement les faits mais encore les pensées. A l'appui de ces raisons, vient la parole du Seigneur qui a dit : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la houle rassemble ses petits sous ses ailes, et tu n'as pas voulu ? (Mat. XXIII, 37) Voyons ce que signifie ce détail, que le Seigneur ait voulu se comparer plutôt à une poule qu'à un autre animal: cela vient, tel est le sentiment des saints pères, de ce qu'il avait à cœur d'exprimer l'incomparable tendresse de sa charité. Aucun animal ne, montre autant de sollicitude pour ses petits que la poule. Tout son corps se hérisse, sa voix s'altère et s'enflamme tous ses membres s’affaiblissent et elle arrive à une extrême défaillance. Que si un animal privé de raison a tant d'attachement pour ses petits ; quelle affection pensez-vous que l'excellent Jésus éprouva pour le genre humain? A quelle faiblesse et infirmité fut-il réduit? Quel dépérissement et quelle maigreur s'emparèrent de lui, qui souffrit, comme on le sait, pour tous les hommes? D'où vient qu'Isaïe dit : il a « vraiment porté nos langueurs, et nos péchés ont été entassés sur lui. » (Lsa. LIII. 4).

22. Mais venons à la défaillance de sa passion. Nous appelons passion, non pas seulement le jour où il mourut, mais encore sa vie tout entière. Car la vie tout entière de Jésus-Christ fut une croix et un martyre. Disons donc en peu de mots, mais méditons longtemps, combien il fut sobre dans l'abstinence; combien long dans ses veilles, combien assidu à la prière; combien appliqué au travail et à la fatigue, qui faisait couler les sueurs de son front lorsqu'il parcourait les villages et les bourgades, prêchant et guérissant en tous lieux, et combien de fois il souffrit la faim et la soif, lui qui est le pain vivant et la fontaine de l'eau qui jaillit jusqu'à la vie éternelle. Considérons cet autre jeûne de quarante jours et de quarante nuits, après lesquels il eut faim; et à sa sortie du désert, marchons à sa rencontre, et considérons son visage aimable exténué par tant de privations. Et c'est avec beaucoup de raison qu'à la fin de ce jeûne, l'Evangile a dit : « Il eut faim (Matth. IV.2),» afin de faire savoir que Jésus-Christ le pratiqua, non par la force de la divinité, mais par celle de son humanité. Qu'y aurait-il d'extraordinaire s'il avait jeûné quarante jours, dans la vigueur de la divinité, selon laquelle il n'éprouva jamais de défaillance?

23. Mais hâtons-nous d'arriver à l'agonie du dernier jour, et il nous sera impossible d'ignorer ce qui a déformé son corps. Que notre méditation commence !au lieu même, où d'après son témoignage, il fut saisi de crainte et d'ennui, et fut triste jusqu'à la mort (Marc. XIV. 33 ). Lorsqu'il priait, il était livré à l'agonie, la sueur de sang arrosa ses membres avec tant d'abondance, que non-seulement elle suintait, mais qu'elle tombait, goutte à goutte jusqu'à terre. Mettons-nous à présent en marche, et parcourons les souffrances de cette nuit : voyons comment il fut saisi, lié, traité, mis dans un cachot, battu, couvert de crachats, meurtri de coups et meurtri de soufflets, couronné d'épines, frappé à la tête de coups de roseau, déchiré de fouets très-mordants, chargé du fardeau de sa propre croix, portant d'abord cet instrument de supplice qui devait le porter ensuite. Considérez Jésus en cet état. Où est la place des jouissances en cette passion? Où est l'éclat de la beauté? Qui chercherait en un corps ainsi meurtri, la grâce de la forme ?

24. Arrivons à la fin. Jésus est dépouillé de ses vêtements. Pourquoi ? afin que vous puissiez considérer les meurtrissures qui déforment son corps sacré. Ce bon maître est donc mis à nu. Hélas! celui qui a donné aux cieux les astres pour parure, dépouillé devant sa croix, nu qu'il était, y est aussi attaché livide. Hélas! La lueur de la lumière éternelle s'obscurcit dans la chair polir sauver la chair, et ce visage, que désirent contempler les chérubins et les séraphins, était gonflé de larmes. Le Seigneur est dépouillé de ses habits, lui qui régnant avant les siècles, est revêtu d'éclat et de force, comme nous le chantons à sa louange : « Vous avez revêtu la splendeur et la magnificence comme un vêtement (Psal. CIII, 2). » Il devient le spectacle et la risée du monde et des hommes; il est pour plusieurs, comme une chose curieuse et comparable à un objet qui fait remuer les têtes, lui qui est notre chef, notre joie, notre gloire, le bon Jésus. Mais pourquoi différer d'en venir au principal? Après avoir été élevé sur la croix, on lui perce les mains et les pieds. Le peu de sang qui lui restait, s'échappe de ses veines. Notre médiateur est devant son Père, il lui résiste, pour ainsi dire, afin d'écarter sa colère et l'empêcher de nous frapper. Son esprit ne faiblit pas, et sa bonne volonté persévère infatigable. O doux Jésus, en quel état vous vois-je? Très-doux et très-aimant Sauveur, qui vous a condamné à une mort si amère et si odieuse? Unique Sauveur de nos antiques blessures, qui vous a décidé à souffrir des blessures, non-seulement très-cruelles, mais encore très-honteuses? O vigne très-suave, bon Jésus, c'est donc là le fruit que vous a donné cette vigne que vous avez transplantée d'Egypte. Vous avez patiemment attendu jusqu'au jour de vos noces qu'elle vous présentât des raisins, et elle ne vous a donné que des ronces. Elle vous a couronné d'épines et vous a entouré des aiguillons de ses péchés. Voilà comment est devenue amère, cette vigne qui n'est plus voire, mais bien plutôt étrangère. Elle vous renia en s'écriant « Nous n'avons d'autre roi que César (Joan. XIX, 15). »

25. Après vous avoir chassé de la vigne de votre cité et de votre héritage, les cultivateurs sacrilèges vous immolaient, non pas tout d'un coup, mais après vous avoir fait subir d'une manière prolongée le supplice de la Croix, et vous avoir infligé les plaies causées par les fouets et les clous. O Seigneur Jésus, que de personnes vous blessent! Votre Père vous frappe, lui qui n'a pas épargné son fils, et qui vous a livré pour nous tous (Rom. VIII, 32). Vous vous frappez vous-même; car vous livrez à la mort votre âme, que personne ne peut vous enlever, si vous n'y consentez (Joan. X, 18). Votre disciple impie vous frappe en vous trahissant et vous donnant un hypocrite baiser. Le Juif vous frappe de soufflets et de coups de poing. Les Gentils vous frappent en vous flagellant et en vous crucifiant. O que de bourreaux, que de personnes qui vous livrent! Votre Père céleste vous a livré parce que, comme nous l'avons dit, il vous a donné pour nous tous. C'est pourquoi un de vos serviteurs s'écriait, parlant de vous et se sentant tout glorieux : « Il nous a aimés et s'est livré pour nous! » (Ephes. V, 2). O admirable commerce! le roi se donne pour son esclave, un Dieu pour un homme, le créateur pour la créature, l'innocent pour le coupable. Vous vous êtes donc mis entre les mains de votre disciple perfide; il vous vendit aux Juifs, et les Juifs vous livrèrent aux Gentils pour être outragé, insulté, flagellé et crucifié (Marc. X, 34). Vous annonçâtes tout cela d'avance et tout fut réalisé (Luc. XVIII, 31). Tout ayant été consommé, on vous crucifia. Ce n'est pas assez que vous soyez blessé, on ajoute blessure sur blessure, et dans votre soif, on vous présente de la myrrhe mêlée de fiel.

26. Je suis pénétré de douleur à cause de vous, ô mon Dieu, mon maître, mon Père, bien plus, mon père, Seigneur Jésus-Christ, plus aimable que l'affection des femmes, dont la flèche n'est jamais revenue en arrière (II. Reg. I, 26). Car votre flèche, c'est-à-dire votre doctrine, est aiguë, parce que votre parole est vive et efficace, et plus incisive qu'un glaive à deux tranchants, atteignant jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit (Heb. IV, 12). Votre bouclier ne cède pas dans la guerre. Car vous nous avez couronnés du bouclier de la bonne volonté. La pique de vos prières n'a pas été inclinée, parce que vous avez prié même pour les pécheurs, demandant qu'ils ne périssent pas; combien plus avez-vous prié pour vos amis qui vous chérissaient? Vous êtes plus courageux que le lion. Car, Lion de la tribu de Juda (Apoc. V, 5), vous avez terrassé ce lion qui fait le tour en rugissant et en cherchant une proie à dévorer. Vous êtes plus rapide que l'aigle (Psalm. XVIII, 7). Car, semblable à un géant, vous vous êtes élancé pour fournir votre carrière, afin d'accomplir le saint mystère de votre incarnation; et puis, comme un aigle qui appelle ses petits, vous avez étendu vos ailes sur la croix, et, volant au-dessus de nous, vous nous avez pris, et nous avez portés sur vos ailes, dans votre force, jusqu'à votre sainte demeure, jusqu'en la maison de votre clarté et de votre intimité : où, à cause de la joie que vous éprouvez d'avoir retrouvé la brebis et la drachme perdues, vous avez donné un banquet à vos voisins et à vos amis, les bienheureux esprits du ciel, les invitant à se réjouir, excitant l'allégresse de la cour céleste, à cause du retour d'un seul pénitent. Et, bien qu'étant si grand et si bon, vous êtes condamné à une mort très-honteuse, et, recommandant votre âme à votre Père, inclinant la tète, vous rendez le dernier soupir.

27. Venez et ayez compassion de cette victime, vous qui désirez vous réjouir dans le Seigneur. Voyez notre vaillant, comme il a été brisé; notre désiré, comme il a été tristement déformé; notre le pacifique, comme il a été tué dans le combat. Où est sa teinte rose? où est l'éclat de sa jeunesse? où, dans un corps aussi meurtri, trouverez-vous la beauté? Voici que nos jours se sont éclipsés, au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est seul le jour sans ténèbres, et ses os ont été desséchés comme le bois sec. Il a été coupé comme le foin, et son cœur s'est tari: il a été élevé, et, puis pitoyablement brisé; et, en sa beauté extérieure, il retenait vraiment, au-dedans, son éclat et sa grâce. Ne défaillez donc pas dans les tribulations que vous avez à supporter pour lui, car tous virent sur la croix le plus beau des enfants des hommes; eux qui n'apercevaient que l'extérieur l'aperçurent sans beauté et sans majesté; son apparence était abjecte et sans attrait. C'est cette difformité du Rédempteur néanmoins, qui a produit le prix de notre beauté, mais de notre beauté intérieure. Car toute la beauté de la fille du roi est au-dedans (Psalm. XLIV, 14). Elle l'avait compris, celle qui s'écrie dans le Cantique de Salomon : « Je suis noire, mais belle, ô filles de Jérusalem, je suis comme les peaux des tentes de Salomon (Cant. I, 4) . » Si le corps du Seigneur Jésus n'avait pas été déformé; nous avons expliqué plus haut en partie sa noirceur; qui redira sa beauté intérieure (parce qu'en lui se trouve toute la plénitude de la divinité) ? Soyons déformés, nous aussi, extérieurement dans le corps avec Jésus-Christ, pour être réformés au-dedans et dans l'âme avec Jésus, éclatant de grâce. Conformons-nous en notre chair au corps de notre vigne, afin que, de son côté, il réforme le corps de notre humanité, en le rendant semblable à son corps glorieux. Soyons imitateurs de l'apôtre saint Paul, comme saint Paul le fut de Jésus-Christ (I Cor., XI, 1), lui qui dit : Je suis attaché à la croix avec Jésus-Christ (Gal., II,19) ; et ailleurs : « je porte toujours en mon corps les stigmates de Jésus-Christ (Gal., VI, 17).» Il portait bien la marque de la passion du Sauveur en son cœur, celui pour qui le monde était mort et qui était mort au monde. Il fut bruni parce que le soleil de la Passion et la charité du Christ altéra sa couleur. Il faut remarquer néanmoins, que ce que nous avons dit de la difformité du corps gracieux de Jésus, doit s'entendre d'une laideur accidentelle, et non originelle, qui n'accusait pas en lui un défaut de la nature, mais qui faisait éclater la charité qu'il montra en sa passion.

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CHAPITRE VI. Des feuilles de la vigne considérées en général, c'est-à-dire, des différentes paroles de Jésus-Christ qui se rapportent à la prédication des vertus.

28. Les feuilles de la vigne l'emportent sur les feuilles de presque tous les arbres. Que représentent ces feuilles, sinon les paroles du très-doux Sauveur, notre véritable vigne? La vigne brille par ses feuilles, le Seigneur Jésus était fort remarquable en ses paroles. Les ministres que les Juifs avaient envoyés pour l'amener, l'avaient compris, et ils dirent après avoir été accusés de ne l'avoir pas saisi. «Jamais homme n'a parlé comme lui (Joan. VII, 46)». Voyant la beauté des feuilles, ils n'accusèrent pas le peu de grâce. du tronc : et même par ces feuilles, ils comprirent qu'en cette faible chair, se cachait un élément différent de celui qu'ils voyaient. Pierre l'avait compris, lorsqu'abandonné de plusieurs, Jésus-Christ interrogeait ses douze apôtres et leur disait : « Et vous, voulez-vous, vous aussi vous retirer? » Il lui répondit «Seigneur où irons-nous? vous avez les paroles de la vie éternelle (Joan. VI, 60) : et nous, à quel autre nous adresserions-nous? loin de nous ce malheur! Comme s'il disait : vous avez des feuilles magnifiques qui nous protégerons contre toute chaleur. Donnez-nous quelqu'un plus beau. quelqu'un meilleur que vous, et alors nous porterons nos pas vers lui, et nous vous quitterons. Et comme vous ne pouvez nous donner un tel personnage, vous qui pouvez tout, à qui irions-nous? Elle avait senti la vertu de ces feuilles, je veux dire des paroles de Jésus, cette femme qui, lorsqu'il parlait à la foule, transportée d'une joie singulière à la vue de leur beauté, disait, non pas en secret, mais en élevant la voix au milieu de la populace: « Heureux le sein qui vous a porté et les mamelles que vous avez sucées (Luc. XI, 27) ! » Vraiment heureuse et très-heureuse la terre qui avait produit une vigne semblable, la Vierge Marie, mère de Jésus : et vous aussi, vous êtes véritablement heureuse, vous qui avez considéré la beauté des feuilles, qui, au milieu de tant d'embûches dressées par les calomniateurs, avez rendu seule, avec une sainte audace, témoignage, à la vérité. Et je crois que maintenant vous avez déjà et que vous aurez plus tard, une récompense pour cette confession , puisque la vérité, à qui vous avez rendu témoignage, vous confesse déjà devant son Père, et vous reconnaîtra, lorsqu'il dira à ceux qui la calomnient : « Je ne vous connais pas. Retirez-vous de moi et allez au feu éternel ». Et à ses amis : « Venez, les bénis de mon Père (Matth. XXV, 41). » Pierre, Jean et Matthieu virent la fraîcheur de ces feuilles, lorsqu'ils abandonnèrent, sur son invitation, les deux premiers, leurs filets, et le dernier, son bureau. Qui pourrait suffire à exprimer la vérité des paroles de Jésus? Quelle est la force des paroles qui n'éclate dans celle qu'il proféra? Aucune assurément.

29. Voulez-vous entendre ces paroles, qui, semblables à des feuilles, nous donnent de la fraîcheur contre l'ardeur des vices ? Pour inculquer l'humilité, le Sauveur dit : « Que celui qui voudra être le premier parmi vous, soit votre serviteur (Matth. XX, 27). » Et : «le Fils de l'homme n'est point venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour le rachat de plusieurs (Ibid. 28). » Et encore : « Qui s'humilie sera exalté ( Matth. XXIII, 12).. » Pour recommander la douceur contre la colère . « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Ibid. XI, 29).» Et encore : « Heureux ceux qui sont doux, car ils auront la terre pour héritage (Ibid. V, 4). » Pour inspirer la charité contre l'envie : « Chérissez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et vous calomnient, afin que vous soyez les enfants de votre Père, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber sa pluie sur les justes et les injustes (Ibid. V, 44). » Pour exciter à la ferveur dans les exercices spirituels contre la paresse, il dit à ses disciples : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation (Ibid. XXVI, 41). » Et ailleurs : « Il faut toujours prier et ne se ralentir jamais (Luc. XVIII, 1). » Ici, il faut entendre que la prière; consiste non-seulement dans les paroles, mais encore dans la dévotion. Nous pouvons ne pas toujours crier en agitant nos livres, mais nous pouvons toujours brûler d'un saint désir : c'est là ce que nous montre le Seigneur adressant ces paroles à Moïse, qui ne disait rien : « Pourquoi cries-tu vers moi (Exod. XIV, 15) ? » Il donne au désir de ce saint homme le nom de cri, lorsqu'à coup sûr sa langue était muette. De là vient que le Seigneur dit dans le Psaume . « Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres : votre oreille a entendu la préparation de leur cœur (Psalm. X, 17). » Pour prémunir contre l'avarice par la largesse : « Faites l'aumône et tout est pur pour vous (Luc. X, 41). » Et encore : « Faites-vous des amis du trésor d'iniquité, afin que lorsque vous mourrez, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels (Luc. XI, 9). » De ces richesses d'iniquité, c'est-à-dire d'inégalité, c'est-à-dire encore, qui affluent chez nous lorsqu'elles manquent chez les autres, nous nous faisons des amis, lorsque nous les donnons aux pauvres : en sorte que si nous sommes miséricordieux envers eux, par leur entremise, après cette vie, nous obtiendrons miséricorde. Car bienheureux les miséricordieux parce qu'ils obtiendront miséricorde. Pour engager à l'abstinence contre la gourmandise : « Veillez, » dit-il, «de crainte que vos cœurs ne soient appesantis par la crapule et l'ivresse, et que le jour imprévu ne fonde sur vous (Luc. XXI, 34). » A ces paroles il ajouta la parabole du riche qui faisait des repas splendides, et qui, après sa mort, se trouvant dans les tourments, demanda, sans pouvoir l'obtenir,une goutte d'eau à Lazare qui se reposait après le trépas, souffrant ainsi des châtiments éternels pour un plaisir d'un moment. Prêchant la chasteté contre la luxure : « Vous avez entendu ce qui a été dit aux anciens : tu ne commettras pas l'impureté. Et moi je vous dis : qui aura vu une femme pour la convoiter, l'a déjà souillée dans son cœur (Matth. V, 28).» Que nos yeux soient voilés par la feuille de cette parole; de crainte que s'ils n'étaient pas, fermés avec précaution, cette sentence de Jérémie ne se vérifiât pour nous : « La mort est entrée par las fenêtres (Jerem. IX, 21). » Les fenêtres de l'âme sont les ouvertures de nos sens, c'est-à-dire des yeux, des oreilles, des narines et de la bouche c'est par elle que la mort s'introduit, toutes les fois qu'elles s'ouvrent pour des choses criminelles. C'est par ces paroles et un grand nombre d'autres semblables, que notre vigne, l'aimable Jésus, nous met comme sous des feuilles, et nous rafraîchit contre la chaleur invisible des vices, et nous ranime par la douce influence des vertus.

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CHAPITRE VII. De l'ombre des feuilles de la vigne, c'est-à-dire, des paroles prononcées par Jésus-Christ sur la croix.

30. Mais comme l'ombre des feuilles de la vigne est plus agréable, lorsque cette plante s'élève sur des bois réunis et croisés et se répand de tous côtés, voyons si notre véritable vigne fut élevée et étendue, et examinons, si en ce moment, pour nous protéger, elle ne produisit pas les feuilles de ses douces paroles. Qu'elle ait été élevée, elle l'affirme elle-même en ces termes : « Si je suis élevé au-dessus de terre, je tirerai tout à moi. (Joan. XII, 32). » Encore : «comme Moïse éleva le serpent dans le serpent de même il faut que le Fils de l'homme soit. exalté (Joan. III, 14). » Il fut donc élevé percé qu'il fut exalté. Il est manifeste que cette exaltation fut annoncée en vue du crucifiement. Et voyez avec quelle ressemblance l’agencement des bois sur lesquels les vignes sont d'ordinaire dirigées , représente la croix. On les croise, c'est-à-dire qu'on les met en diagonale, et par ce moyen la vigne qui s'attache à eux s'étend beaucoup mieux. Les bras de la croix sont mis l'un sur l'autre : et notre vigne, le bon Jésus y est élevé, ses bras et tout soit corps y sont étendus. Il y fut étendu à un tel point, que tous ses membres pouvaient se compter. C'est ainsi qu'il s'exprime par un Prophète : « Ils ont creusé mes mains et mes pieds: ils ont compté tous mes os (Psal. XXI, 17). ), Combien on a creusé son corps, nous l'avons dit plus haut ; combien il fut distendu, c'est ce qui est ajouté par ces expressions : « ils ont compté tous mes os. » C'est comme s'il disait : j'ai été tellement distendu de droite et de gauche, et de haut en bas, que mon corps, comme ces peaux dont on recouvre certains instruments sonores, ont permis facilement de compter tous mes os. O âme chrétienne, regarde la face de toit Christ, lève les yeux et considère ses tourments, non sans pleurer, et dans la douleur de ton cœur, en poussant de profonds gémissements, vois quelles tribulations et quelles angoisses il a rencontrées, lorsqu'il te cherchait. Écoute, avec beaucoup d'attention, les paroles qu'il prononce au milieu d'une douleur si extrême, et après les avoir entendues, cache-les, comme un trésor précieux, dans l'intime de ton cœur. Le voici étendu sur son lit cruel de mort, ifs veux dire sur sa croix. Conserve les dernières volontés de ton époux, si tu veux obtenir l'héritage sans tache et sans flétrissure. Les paroles qu'il a proférées à ses derniers moments ne sont pas nombreuses, l'épouse du Christ qui le voudra, les pourra facilement conserver.

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CHAPITRE VIII. Des feuilles de la vigne en particulier, ou bien de la première parole de Jésus-Christ sur la croix. Mon Père, pardonnez-leur, etc.

31. Il y a sept courtes paroles que notre vigne proféra, lorsqu'elle était élevée sur la croix, comme sept feuilles toujours vertes. Notre Sauveur était alors semblable à une lyre, dont la croix était le bois, et son corps remplaçait les cordes de cet instrument, étendues sur ce bois. S'il n'avait pas été étendu et cloué sur ce gibet, jamais il n'aurait prononcé, comme un joueur de lyre, ces paroles qui sont pour vous le sujet d'une grande joie. Prêtez une attention plus grande, la lyre a sept cordes. C'est pour vous qu'il chante, pour vous qu'il fait vibrer cet instrument: il vous invite à écouter, vous qui auriez dû plutôt l'engager à parler. Examinez donc les feuilles de votre vigne, et gravez-les dans votre mémoire d'une manière ineffaçable. Ces sept paroles sont disposées de différentes manières; on n'en peut trouver facilement la disposition, parce qu'aucun évangéliste en particulier, ne l'a rapportée. Arrangeons-les donc en leur donnant la suite que nous avons pu y découvrir.

32. Au rapport de saint Luc, nous apprenons que Jésus étant crucifié dit : « Mon Père , pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (Luc. XXIII, 34). O feuille verdoyante ! ô parole digne du Verbe du Père souverain ! Il pratique, cet excellent docteur, ce qu'il avait enseigné. Il prie, non-seulement pour ceux qui le poursuivent et le calomnient, mais encore pour ceux qui le tuent. Mettez cette feuille dans le trésor de votre cœur, afin que, lorsque vos ennemis vous font sentir leurs rigueurs, vous puissiez vous rappeler le souvenir de l'abondance de la suavité de Jésus, opposant toujours cette feuille, comme un bouclier, aux attaques de vos adversaires. Jésus-Christ prie pour ses bourreaux, ne prierez-vous point pour vos détracteurs ?

33. Mais examinons avec plus d'attention cette prière. « Père, dit-il. Pourquoi mettre ce nom de « Père ? « Les enfants ont coutume, lorsqu'ils veulent demander quelque chose avec plus d'affection, de prononcer le nom de leur père, dans le but de lui rappeler sa tendresse naturelle, et d'obtenir par là, plus facilement, ce qu'ils sollicitent. Ainsi, notre Rédempteur, bon et miséricordieux, patient et plein de compatissance, et suave en toutes ses actions, bien qu'il sût que son père l'exauce toujours, pour nous faire. néanmoins comprendre avec quelle affection il faut prier pour ses ennemis, mit en avant ce nom si aimable de Père. Comme s'il disait : par la dilection paternelle qui fait que nous sommes un, je vous en conjure, écoutez-moi, et pardonnez à ces bourreaux qui m'arrachent la vie. Reconnaissez l'affection de votre cher Fils, et faites grâce à ses ennemis. Et il ajoute aussi le motif qui doit porter à accorder ce pardon : « Car ils ne savent ce qu'ils font. » Que dirons-nous aussi? Ignoraient-ils qu'ils crucifiaient celui qu'ils attachaient à la croix? Nullement, mais ils ne savaient pas quel était celui qu'ils crucifiaient. Car s'ils l'avaient connu, jamais ils n'auraient ainsi maltraité le Seigneur de la gloire (I Cor. II, 8). » Ils ne surent pas ce qu'ils faisaient, parce qu'ils ne savaient point toute l'étendue de leur crime. C'est ainsi que vous devez penser, ainsi que vous devez prier, vous qui devez être appelée l'Épouse de Jésus-Christ. Quand vos ennemis sont irrités contre vous, lorsqu'ils vous frappent au visage, bien plus, lorsqu'ils vous font périr, souvenez-vous de la feuille de votre vigne, rappelez-vous les sons de votre lyre; suivez, c'est-à-dire imitez votre Époux, et dites-lui de tout votre cœur : ô Époux, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font, c'est-à-dire ils ne connaissent pas toute l'étendue de leur faute. S'ils savaient en effet quelle béatitude ils perdent, à quel malheur ils s'exposent en péchant, assurément ils ne pécheraient pas, car qu'est-ce qui pousse tous les hommes à pécher, sinon l'ignorance du bien qu'ils perdent et du mal dans lequel ils se précipitent ? Par le péché on perd un Dieu très bon, on se dévoue aux peines de l'enfer: échange que nul n'accepte s'il n'est complètement fou, Et, en vérité, tous ceux qui, perdant avec connaissance les délices du ciel, se plongent dans les tourments des abîmes infernaux, sont insensés et ne savent pas ce qu'ils font. Quand il s'agit de ces malheureux, il faut donc leur pardonner et en vue de notre salut, et à cause de leur ignorance. Il faut aussi prier pour eux et avec une grande confiance ; ce sont là les prières qui entrent avec force dans les oreilles du Seigneur. Il exauce volontiers les autres dans une demande en laquelle il voulut, lui aussi, être exaucé. Et il fut exaucé, lorsqu'à la prédiction de saint Pierre, en un seul jour, trois mille, et en un autre, quatre mille de ceux qui avaient crié et demandé la mort du Fils de Dieu, furent convertis. Quelle joie dans le ciel, lorsque la victime conduit, par ses prières, son bourreau dans le ciel ; quand celui qui a reçu le coup, y amène celui qui l'a frappé ! quel tressaillement cause à saint Étienne la conversion de saint Paul qui, ramené par les prières du premier martyr, fut ensuite lapidé pour la foi, comme il avait lapidé les autres, et souffrit pour l'amour du Christ, les tourments nombreux qu'il avait fait supporter aux autres. Suivons donc de tels exemples en priant pour nos ennemis, afin de pouvoir obtenir la vie éternelle et pour eux et pour nous.

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CHAPITRE IX. De la seconde feuille de la vigne, ou de la seconde parole de Jésus sur la croix : Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis.

34. La seconde feuille de notre vigne, et la seconde corde de notre lyre, est la seconde parole que notre Seigneur sur la croix, adressa au larron reconnaissant ses fautes, et demandant à partager le sort du divin crucifié : « Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis (Luc. XXIII, 43). » Quelle fraîcheur de verdure à cette parole! avec quelle douceur résonne cette corde ! que subitement ce personnage est devenu d'ennemi, ami; d'étranger, intime; d'éloigné, prochain; de larron, confesseur! ô quelle confiance dans ce voleur! Trouvant tout mal en lui, n'y voyant aucun bien, violateur de la loi, ravisseur de la vie et des biens d'autrui, étant arrivé au terme de ses jours, aux portes de la mort, désespérant de la vie présente, il ne craint pas de chercher l'espoir heureux de la vie future qu'il avait tant de fois perdue et qu'il n'avait jamais mérité de partager. Qui désespèrera ici, quand le larron espère? Mais il importe de considérer attentivement duel fut ce malheureux, dans la crainte de tomber dans la présomption, si nous ne connaissions pas le motif de son espérance. Tous les amis et les proches, les connaissances, les parents du Seigneur, tous les disciples qu'il avait choisis et tirés du monde, dans une telle tempête de souffrances, dans une confusion si extraordinaire, dans des opprobres si excessifs, s'enfuirent comme des brebis errantes, quand le pasteur fut frappé. Il avait aussi pris la fuite, le disciple que Jésus chérissait. Celui qui était si ardent d'abord, suivait de loin; ils oubliaient tous les prodiges divins qu'ils avaient vu si souvent opérer par le Sauveur, et qu'eux-mêmes ils avaient opérés. Et en ce moment même, le larron, au milieu de tant d'outrages et de tant de misères, au sein des tourments de la croix et de la mort, reconnaît celui qu'auparavant il avait méconnu, et il demande avec confiance secours à celui qu'il voyait destitué de toute assistance. Quel disciple eût eu tant de hardiesse? Tous ils se sont dispersés après avoir confessé le Sauveur quand il vivait; et le larron reconnaît, à la mort, celui qu'il avait renié durant la vie.

35. Il prie avec foi, espérance et charité, disant : « Souvenez-vous de moi, Seigneur, quand vous viendrez en votre royaume. » Assurément, il croit en celui qu'il appelle Seigneur et roi. Qui demande ce qu'il n'espère pas ? Il aime celui à qui il veut être réuni. Qui refuserait à une telle prière, ce bon pasteur qui avait poussé, surtout lorsqu'il était assis sur son siège nuptial au jour de ces noces, le larron à la lui adresser. Le lit nuptial était la croix, c'est là que le véritable Époux s'est uni son épouse l'Église, lui donnant pour arrhe, le sang qui sortait de ses plaies. Le Christ écoula donc, non l'âme du larron, mais l'âme de celui qui le confessait, et il fortifia par nue réponse très-digne son Épouse qui le priait : « Je te dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. « A qui s'adresse ce mot : « Je te le dis? A toi » qui m'a confessé sur la croix de mon supplice, je te le dis, tu seras en ma société dans le paradis des délices. « Avec moi, » dit-il. Étonnante bonté ! Il ne dit pas simplement, tu seras dans le paradis, ou avec les anges ; mais, « tu seras avec moi. » Tu seras rassasié de celui que tu désires posséder : tu verras en l'éclat de sa majesté, celui que tu reconnais humilié dans l'infirmité. Je ne diffère pas ce que je te promets : « aujourd'hui » tu seras avec moi. Le doux et bon Jésus exauce promptement, il promet de suite, et donne aussitôt. Qui concevrait de la• défiance, à l'égard d'un cœur qui est si tendre pour écouter si prompt à promettre, si empressé à donner? Nous avons espéré en vous, nous qui connaissons votre nom suave, et qui savons que vous n'abandonnez pas ceux qui vous cherchent. Nous nous approchons donc de vous, ô tendre Jésus, assis sur le trône de votre majesté; et de toute notre ferveur, nous vous prions de nous introduire en ce séjour heureux, où est entré votre larron, après vous avoir confessé sur le trône de la croix.

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CHAPITRE X. De la troisième feuille de la vigne, c'est-à-dire de la troisième parole de Jésus sur la croix : Femme, voilà votre Fils, etc.

36. Préparons maintenant également l'œil et l'oreille de notre cœur pour considérer la troisième feuille de notre vigne. « Femme, » dit-il, « voilà votre Fils, voilà votre Mère (Joan. XIX, 26). » Parole suave et douce, parole étonnante et renfermant une grande tendresse de véritable charité ! Nous lisons que notre Seigneur Jésus-Christ, surtout lorsqu'il était arrivé à un âge plus avancé, s'était attaché plus tendrement à sa très-chère Mère, qu'il avait eu avec elle des relations plus fréquentes, et lui avait parlé avec plus de douceur encore qu'à toutes les autres. Mais combien fut grande son affection envers cette créature chérie, lorsqu'il était sur le point de la quitter corporellement, il le fit voir en quelques courtes paroles. Et sans parler de la passion sur la croix combien vive, pensez-vous, fut la douleur de son cœur très-aimant dans la compassion réciproque que ressentit à l'égard de cette bienheureuse Mère, qu'il voyait clairement percée cruellement d'un glaive si douloureux? La souffrance de ses douleurs fut accrue par la compassion maternelle avec lequel le cœur brisé, les mains tordues, les yeux versant des torrents de larmes, le visage contracté, la voix plaintive, privée entièrement de forces, il la vit se tenir à côté de sa croix. Que de fois à ces tourments affreux, pensez-vous, qu'elle leva ses yeux pudiques ? Si pourtant elle ne les y eut pas constamment fixés, ou si, baignés de larmes, ils étaient capables de distinguer quelque objet? Que de fois, la tète couverte à cause de sa modestie virginale et de l'immensité de sa douleur, comme je le pense, gémissait-elle en pleurant son Fils et s'écriant : Jésus, mon Fils, Jésus, mon Fils ! qui me donnera de mourir avec vous et pour vous, ô Jésus, mon cher Fils! que de fois croyez-vous qu'elle pùt tomber en défaillance à cause de l'étendue de sa douleur, douleur si excessive qu'il est vraiment étonnant qu'elle n'en soit pas morte? Elle mourait en vivant, supportant sans mourir une souffrance plus cruelle que la mort. Mais son Fils la fortifia, pour qu'elle ne succombât point. Elle fut soutenue au dedans et extérieurement consolée tendrement par des paroles et des actes. Comment la mère de Jésus était-elle debout auprès de la croix de son Fils ? Elle était vraiment debout, parce que la mère du Sauveur la portait avec une douleur plus grande que tous les autres. Les autres saintes femmes étaient là, mais elle était tout-à-fait près.

37. « Jésus donc ayant vu sa Mère et le disciple qu'il aimait, debout, dit à sa Mère : Femme, voilà votre Fils. Et s'adressant au disciple « voilà votre Mère. » C'est comme s'il disait : Vous perdrez corporellement en moi votre Fils ; aussi, je vous donne à ma place celui que j'aime plus que les autres; sa présence vous consolera, tant que je ne serai pas avec vous. Pour vous, disciple chéri, vous perdez en moi votre père : aussi, je vous donne ma mère, pour être votre mère très-aimée. O que vous êtes généreux dans vos noces, ô roi, ô époux, ô bon Jésus ! Avec quelle largesse vous avez distribué tout ce que vous possédiez ! A ceux qui vous crucifient, vous avez donné la tendresse de votre prière; au larron, le paradis; à votre mère, un fils; à votre fils, une mère; aux morts, la vie; votre âme, à votre père; à tout le monde, les signes de votre puissance; pour racheter un esclave, vous avez donné non pas en partie, mais entièrement, et par des ouvertures larges et nombreuses, votre sang; à celui qui vous a trahi, le châtiment de son crime; et confié à la terre, pour un temps, votre corps sacré, qui ne devait pas connaître la corruption.

38. Ce qui m'émeut, c'est qu'après avoir dit : « Femme, voilà votre fils, » Jésus ajouta : « Voici votre mère, » puisque, sans cette addition, il était devenu nécessaire qu'elle fût la mère de celui qui lui avait été donné pour Fils. Mais cette parole ajoutée, me semble faire éclater l'affection de la charité mutuelle qui se rencontre en cet endroit. Car, il en est plusieurs qui veulent être aimés de tous, mais qui n'éprouvent aucune affection pour personne. Ils ne veulent pas que les travaux et les souffrances des autres soient adoucies; et s'ils sont atteints de beaucoup de fatigues, ils ne veulent porter la charge d'aucun de leurs frères, etc. Le Christ n'a ni prêché ni pratiqué une telle doctrine. Il a porté votre fardeau, vous invitant à porter le sien, c'est-à-dire, à imiter sa passion. Il a souffert, nous laissant un exemple, afin que nous marchions sur ses traces (I Petr. II, 21). C'est ce qu'il montra, lorsqu'il recommanda sa mère à son disciple, et réciproquement son disciple à sa mère : ne voulant pas que la charité spirituelle demeurât froide d'un côté : mais désirant que, dormant ensemble, c'est-à-dire., reposant de concert, dans une charité pure et vraie, ces deux âmes se réchauffassent, c'est-à-dire s'excitassent mutuellement aux œuvres de la charité. Car la marque réelle d'une charité pure et vraie, consiste en ce que ceux qui sont unis spirituellement par les liens moraux de la dilection, s'excitent mutuellement aux exercices religieux, de sorte qu'on se plaît à prier avec plus de dévotion, à fléchir les genoux plus souvent, à recevoir glus fréquemment la discipline corporelle, et surtout, de sorte que nul n'ait de jalousie, mais plutôt, se réjouisse en voyant qu'un troisième, qu'un quatrième ou que plusieurs autres s'adjoignent pour aimer celui quon chérit : pourvu qu'il s'agisse de personnes dont la fréquentation ne soit point suspecte, et qu'en une telle société et autres semblables, on persévère dans la ferveur de la charité. Le ruisseau de la charité ne paraît pas venir d'une bonne source lorsqu'il décroît par moments. Aimons-nous donc réciproquement et montrons par nos œuvres l'efficacité de notre amour : parce que la charité vient de Dieu, qui est la fin du précepte et qui accomplit la loi.

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CHAPITRE XI. De trois espèces de charité, recommandées par les trois premières paroles de Jésus-Christ.

39. Dans les trois paroles que nous venons d'analyser, trois espèces de charité me semblent recommandées. «La première» qui s'adresse même aux ennemis qui ne veulent pas se réconcilier, charité dont parle saint Jean : Aimons le Seigneur qui nous a aimés (I Joan. IV, 19), » lorsque nous étions ses ennemis : et c'est là la charité souveraine et la plus digne d'admiration. Car aimer ses ennemis est chose plus divine qu'humaine. « La seconde, » qui a pour objet ceux qui jadis étaient ennemis et avec qui on a fait la paix, parce qu'on a demandé à se réconcilier; d'où vient que saint Paul a dit: « Nous avons été réconciliés avec Dieu par le sang de son Fils ( Rom. V, 10). » « La troisième» que l'on éprouve pour ceux qui n'ont jamais été ennemis; le même Apôtre en parle en ces termes: « Faisons le bien envers tous, surtout envers ceux qui nous sont liés dans la foi (Gal. VI, 10). » Le premier de ces sentiments de charité nous est inculqué par la première parole, par laquelle le Seigneur Jésus prie pour ses ennemis. Le second, dans la promesse faite au larron qui demandait le paradis. Le troisième, par les soins que Jésus prend de ses principaux amis. Mettons-nous à l'ombre de ces feuilles. Écoutons et entendons ces sons de notre lyre, qui résonnent avec une extrême douceur, et nous purgeant de toute amertume de détraction, d'adulation et de simulation, avec le secours de Notre-Seigneur qui est la vraie charité, suivons-le en toutes les espèces de charité, l'imitant d'esprit et par les œuvres.

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CHAPITRE XII. De la quatrième feuille de la vigne ou de la quatrième parole de Jésus-Christ en croix : Mon Dieu, mon Dieu , pourquoi m'avez-vous abandonné?

40. Préparons à présent notre oreille et notre œil pour voir la quatrième feuille et pour entendre la quatrième corde. Cette feuille de mande des yeux perçants, cette corde exige des oreilles bien fines et parfaitement purifiées : et, ce qui est plus, elle peut elle-même purifier l'oreille et rendre les yeux perçants, parce que le Seigneur Jésus ne l'a pas proférée simplement comme les autres paroles: mais, ainsi que l'atteste l'Evangéliste, vers la neuvième heure, il s'écria d'une voix puissante : Héli, Héli, lamma sabacthani, ce qui veut dire : « Mon Dieu, mon Dieu , pourquoi m'avez-vous abandonné. » Quels yeux ne voient pas cette feuille ? quelles oreilles n'entendent pas vibrer cette corde ? pourquoi cria-t-il, sinon pour être mieux entendu ? Quelle était excessive cette douleur, lorsque le Seigneur, tiré dans tout son corps, poussa ce cri ? Mais prenez garde de penser qu'à cause de cette parole le Seigneur tomba dans l'impatience ? Se trouvant dans toute l'amertume du supplice de la croix, rien ne sortit de son cœur que la douceur. Dans des tortures si affreuses, il garda la patience, ainsi que nous le montrerons en parlant de la feuille et de la corde suivante ; il ne fit que découvrir l'étendue de sa douleur, ce qui avait été indiqué par des paroles et des faits à l'avance dans le bienheureux Job, mot qui signifie « homme qui se plaint. » Ce saint personnage ayant reçu les tristes nouvelles que lui apportaient les messagers, montra assez au dehors la tristesse de son âme. Après avoir déchiré ses habits et coupé ses cheveux, il se roula à terre. Voilà l'étendue de sa souffrance. Il dit ensuite : « Le Seigneur m'avait tout donné, le Seigneur m'a tout enlevé, il en a été ce qu'il en a plu à sa divine majesté : que le nom du Seigneur soit béni (Job. I. 21.) » Voilà la vertu de patience. Si Job supporta avec résignation ses peines, avec combien plus de patience pensez-vous que Notre-Seigneur souffrit la mort de la croix, qu'il était venu subir ?

41. Qu'il ait proféré ces paroles en la nature de l'homme qu'il avait prise, et qui formait avec le fils de Dieu une seule personne, on le voit clairement par ces termes qu'il emploie « Seigneur mon Dieu » ce que ne dirait pas celui qui est un seul Dieu avec le Père, s'il ne s'était incarné. Mais que signifie ce qu'il ajoute : « Pourquoi m'avez-vous abandonné ? » Est-ce que le Père pouvait abandonner son fils unique? C'est impossible : c'est pour tout son corps, c'est-à-dire pour lui et pour toute l'Église qu'il parle de la sorte. Car le Seigneur Jésus, notre chef, voulant faire éclater l'unité et montrer la charité qu'il porte à l'Église, son Epouse, montre qu'il souffrira aussi en tous ses membres, puisqu'il souffre présentement la passion dans la tête, c'est-à-dire dans son propre corps qu'il tenait de la Vierge. Il crie qu'il est abandonné, lui qui ne pouvait l'être, parce que beaucoup de ses membres devaient être cri proie à une tribulation si excessive, qu'ils para! traient comme abandonnés de Dieu. Il les résumait tous en sa personne, celui qui disait « Ceux qui tenaient mon âme captive, ont formé conseil entre eux ; ils ont dit : Dieu l'a abandonné, poursuivez-le et saisissez-le, parce qu'il n'est personne qui puisse le délivrer. (Ps. LXX. 10. ) C'est là aussi le reproche que l'on adressa au bon Jésus, lorsqu'il subissait le tourment de la croix : «Si vous êtes le fils de Dieu, sauvez-vous?»

42. On peut encore expliquer ces paroles en disant que le Seigneur, prévoyant que plusieurs, et même un grand nombre de membres de son corps mystique, sortiraient par l'hérésie ou par d'autres crimes de l'enceinte de son Église, criait, en s'adressant à eux : «Pourquoi m'avez vous abandonné. » Comme s'il disait: pourquoi un seul d'entre vous va-t-il en arrière, et périt-il en s'éloignant de l'unité de mon corps, moi qui ai tant souffert pour me les attacher ? Aussi il est dit de la personne des martyrs dans le psaume : « Notre ventre a été collé à la terre (Psal. XIII, 25). » Par le ventre, qui est la partie la plus molle et la plus faible de l'homme, se trouvent désignés ceux qui, dépourvus de patience et de constance, et défaillant à raison de cela même au milieu de la rigueur des tourments, se sont attachés à la terre, c'est-à-dire aux pensées et aux actions d'en-bas. Pour nous qui vivons encore dans les tribulations que nous apporte chaque ,jour, qui sommes donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes (Cor. IV, 9), et sommes la balayure de tous jusqu'à cette heure, concevons une confiance inexprimable de cette pensée surtout, que le Seigneur lui-même, consolateur de toutes les souffrances, nous est lié par une belle union de charité et d'esprit, qu'il a daigné manifester par des paroles si excessives, le sentiment et le rôle de notre conformité, prouvé et réalisé en lui; maître admirable qui, encore aujourd'hui, intercède pour nous auprès de son Père, en lui montrant ses blessures, et lui demande de n'être point abandonné en ses membres inférieurs, lui qui n'a jamais pu être abandonné en sa tète. Et comment ces membres périraient-ils, lorsqu'ils savent que leur salut est dans la volonté de leur chef ? En notre corps mortel, y a-t-il quelque membre auquel notre tète ne porte pas sympathie ? Si le pied ou la main sont affligés, aussitôt la tète agite la langue et s'écrie : Pourquoi suis-je blessé ? (Act. IX, 4) Le Seigneur criait à Paul, qui persécutait ses membres: « pourquoi me persécutes-tu, » alors pourtant qu'il était bien en sûreté dans le ciel. Béni soit le Seigneur Jésus, qui a d'abord souffert en sa personne pour nous, et qui, encore en nous, daigne souffrir avec nous la peine et la tribulation que nous ressentons, selon l'exigence de la justice, les regardant comme siennes, et disant : « Je suis avec lui dans la tribulation,» voulant ainsi augmenter notre confiance.

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CHAPITRE XIII. De la cinquième feuille de la vigne, ou de la cinquième parole de Jésus sur la croix : J'ai soif.

43. La cinquième feuille, ou la cinquième corde semble courte, mais si on l'analyse, si on la considère avec attention, nous y trouverons un indice très-expressif d'amour. L'Évangéliste dit, en effet : « Voyant Jésus que tout était terminé, pour que les Ecritures fussent accomplies (Joan. XIX, 23), comme devaient l'être celles qui portaient : « Pour ma nourriture ils m'ont donné du fiel, et dans ma soif ils m'ont présenté du vinaigre (Psalm. LXVIII, 22).» Le saint auteur poursuit : « Il y avait donc un vase rempli de vinaigre ; et l'un des soldats courant, en imbiba une éponge, et l'entourant d'hissope, il lui donnait à boire (Joan. XIX, 29). Un autre évangéliste, exposant avec plus de détails uniment la prophétie fut accomplie, parle aussi du fiel en ces termes : « Et ils lui donnaient du vin imbibé de myrrhe et mêlé avec du fiel (Marc. XIV, 23). Tous ses membres étant brisés de douleur, le doux Jésus voulut que la langue eût aussi son tourment. La vigne étrangère changeant ses sucs en amertume, lui donnait dans son fruit un breuvage très-amer, une boisson qu'il s'agissait non de boire, mais de goûter,car pour faire souffrir la langue il suffit qu'elle ait goûté du vinaigre.

44. Mais bien que ceci ait eu lieu réellement pour accomplir l'Écriture, néanmoins cette parole « j'ai soif, » a une autre signification. Je pense qu'en la prononçant, Notre-Seigneur a voulu nous montrer l'immensité de son ardente charité, parce que l'homme, tourmenté de la soif, soupire plus vivement après le breuvage que celui qui est affamé ne court après les aliments solides. Le Seigneur Jésus doue, afin de montrer en son cœur ce désir qui brûle d'avoir quelque chose, recourt à cette expression pour figurer l'ardeur de charité qui le dévore. Ce n'est pas que nous puissions penser avec raison qu'il ait eu réellement soif, lui qui, desséché dans tout son corps par l'effusion de son sang adorable, sentit ses os arides comme le bois sec, Mais il n'est pas à croire qu'il ait parlé de cette soif corporelle, ni qu'il ait demandé un breuvage matériel, lui qui se savait arrivé à l’instant même de sa mort; nous pensons plutôt que sa soif fut un désir excessif de nous sauver. Mais il est un point qui peut nous émouvoir, c'est qu'au moment de l'approche de sa passion, le Seigneur, se mettant en prières, se prosterna la face coutre terre, priant et disant: « Mon Père, s'il est possible, éloignez ce calice de moi (Marc. XIV, 36). » Et il ne prononce pas une fois seulement ces paroles, il. les répète une seconde et une troisième fois. Par ce calice qu'il devait boire, il désignait, sans nul doute, sa passion qu'il devait subir: et maintenant, ce même calice vidé, il s'écrie : « J'ai soif. » Qu'est-ce que ceci ? Avant de le goûter, ô bon Jésus, vous demandiez qu'il s'éloignât entièrement, et après l'avoir bu, vous avez encore soif, comme je le vois, vous êtes un buveur puissant. Votre calice était-il rempli du vin de la joie, ou plutôt n'y avait-il pas le vin de la componction et d'une extrême amertume ? Il s'y trouve et jusques aux bords, une componction très-amère, qui devrait produire, non la soif, mais le dégoût de boire.

45. Mais, comme je le pense, avant la passion, vous avez demandé l'éloignement du calice de votre Père, non pour échapper à la passion que vous êtes venu subir, et sans laquelle il n'y aurait pas eu de salut pour le genre humain, mais afin que nul ne pensât que, vrai homme à cause de l'union glorieuse avec la divinité, vous n'eu sentiez pas l'amertume, par ces paroles, qui à deux ou trois reprises ont demandé que cette coupe s'écartât de vos lèvres, vous avez montré à ceux qui auraient à concevoir des doutes la souveraine amertume de vos souffrances: à nous qui marchons sur vos pas, vous nous avez laissé un modèle dans vos paroles et vos exemples, nous montrant qu'à l'approche du péril même, pouvant tourner à notre utilité, nous pouvons et nous devons prier le Seigneur avec plus d'instance de daigner éloigner de nous les fléaux de sa colère ; que si néanmoins ils ne sont pas écartés, vous nous apprenez aussi par votre passion à les souffrir avec reconnaissance, avec patience, avec force et en toute constance. Et quand vous avez épuisé cette coupe dont vous aviez sollicité d'abord l'écartement, vous dites : «J'ai soif. » Vous avez donc fait voir l'étendue de votre dilection pour nous, comme si vous disiez : Bien que ma passion ait été si cruelle, qu'à n'obéir qu'aux sentiments de l'humanité, j'aurais pu la fuir et l'éviter, néanmoins, ô homme, votre amour triomphe de moi, et surmonte même les douleurs de la croix ; j'ai soif de subir, s'il est nécessaire, des tourments plus nombreux et plus violents. Il n'est rien que je refuse de subir et de souffrir pour vous, pour le rachat de qui je donne ma vie. Que chaque âme fidèle imite son Époux, le tendre Jésus soupirant pour elle après un calice si amer, et le buvant pour son amour ; et que buvant elle-même pour lui les adversités présentes, elle ait aussi soif de son Epoux très-tendre, dont les amertumes actuellement goûtées, lui feront mieux comprendre toute la douceur, dont les peines, supportées en vue de lui, lui feront éprouver une soif plus confiante, et lui arracheront ce cri que poussait le Prophète : « Mon âme a eu soif de Dieu, fontaine d'eau vive; quand viendrai-je et apparaîtrai-je en présence du Seigneur (Psal. XLI, 3) ? » Et encore : mon âme a eu soif de vous, et ma chair en combien de manières crie-t-elle après vous (Psal. LXII, 2) ? »

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CHAPITRE XIV. De la sixième feuille de la vigne et de la sixième parole de Jésus-Christ sur la croix : Tout est consommé.

46. Dans la sixième feuille de la vigne, ou dans la sixième corde de notre lyre, c'est la vertu de persévérance qui nous est recommandée et qui éclate à nos yeux. L'Évangile dit que le doux Jésus, après avoir goûté le vinaigre amer, dit : » tout est consommé : » qu'est-ce que ceci? Nous avons vu plus haut que le Seigneur, voyant que tout était achevé, afin que les Écritures fussent accomplies, s'écria : « j'ai soif », et qu'ayant goûté le vinaigre qu'on lui offrait, il ajouta : « tout est consommé ». Car, fut consommé, c'est-à-dire parfaitement réalise le témoignage da l'Écriture qui dit : « ils m'ont donné du fiel pour nourriture, et pour étancher ma soif ils m'ont présenté du vinaigre (Psal. LXVIII. 22) ». Et par-là, toute l'Écriture qui se rapportait à lui reçut son complément. De même donc que nôtre chef souffrit jusqu'au bout la rigueur de sa passion pour nos péchés, c'est-à-dire qu'il persévéra patiemment et arriva à l'entière réalisation des Ecritures qui le concernaient, de même, si nous voulons être les membres d'un tel chef, conservons, en toutes nos adversités, la persévérance, de telle sorte que suivant le tendre Jésus, et parvenant sous sa conduite au terme de toutes nos souffrances, nous puissions dire avec lui en toute confiance : « tout est consommé » Ce qui veut dire : Par votre secours et non par ma propre force, j'ai combattu le bon combat, j'ai achevé la course, j'ai gardé la foi. Rendez donc ce que vous avez promis à ceux qui luttent comme il faut dans la carrière, c'est-à-dire la couronne de justice que, juge équitable, vous mettrez sur la tête de vos serviteurs en ce jour qui n'a pas de nuages ; en ce jour, qui passé dans votre palais vaudra mieux que mille autres, et en lequel vous lutterez seul, comme un unique soleil. O soleil de justice, ô bon Jésus, luisant par votre propre éclat, vous donnant vous-même pour récompense éternelle à tous ceux qui persévèrent dans la lutte ! Ils recevront de vous une splendeur éternelle en laquelle ils se réjouiront, heureux d'un bonheur sans terme.

47. Mais cette gloire, nul ne la pourra obtenir que celui qui persévèrera jusqu'à la fin. Parce que la force et le mérite de la bonne œuvre, c'est la persévérance. Seule, elle reçoit la couronne de justice. De quoi sert-il, en effet, d'être bon, d'être sage, d'être puissant, si vous n'allez pas jusqu'au bout? Saül était bon, il était excellent; l'Écriture nous apprend que dans tout le peuple d'Israël il n'y avait point d'homme qui fût meilleur que lui. Mais quelle fut sa fin ? Il tomba, et fut réprouvé; il en vint à ne pas obéir à la voix du Seigneur, à mépriser le Prophète, à être vexé par l'esprit mauvais, et à poursuivre un homme innocent, en voulant lui donner la mort, à consulter enfin la Pythonisse et à être misérablement tué par un étranger. O qui fut plus sage que Salomon ? Mais s'écartant des ordres du Seigneur, s'alliant à des femmes païennes, il bâtit des temples à leurs dieux ou plutôt à leurs démons, au point qu'il les adorait avec elles, se livrant d'autant plus à l'égarement et à la folie, qu'il avait été auparavant plus élevé en sagesse. De combien de personnages lisons-nous le malheur dans la vie des Pères? Ces hommes puissants, dans les veilles, dans les jeûnes, dans les travaux, à un degré qui dépassait les forces humaines, bien plus, brillant du don des miracles, sont tombés parce qu'ils n'ont point persévéré jusqu'à la fin. « Qui ira jusqu'au bout », dit le Seigneur « sera sauvé (Matt. VII, 2). » Ce n'est pas le combat, c'est le terme qui couronne. Louez le bonheur du navigateur, mais quand il sera arrivé au port. Aussi le poète a dit : « Tu as mieux commencé que tu ne finis : le début fait place à la suite, et quelle différence en ce personnage entre l'enfant et l'homme. » Oh! quelle humilité et quelle terreur vous inspirera avec raison le spectacle du chef des anges tombant dans le ciel avec un grand nombre de ses compagnons; le vue du premier homme chassé du paradis avec son Epouse; de tant de sagesses, de tant de puissants qui ont péri dans notre terre parce qu'ils ne sont pas arrivés jusqu'à la consommation des bonnes œuvres? L'un est plus juste que l’autre, et ne sait s'il est digne d'amour ou de haine. Pourquoi? Parce qu'il ignore s'il persévèrera et s'il sera couronné.

48. Un remède efficace à opposer à cette crainte, c'est de placer notre confiance, notre espoir et notre force en celui à qui le Psalmiste chante ces paroles: « Mon secours, c'est en votre honneur que je chante parce que vous êtes mon Dieu, mon refuge et ma miséricorde (Psalm. LVIII. 18) ». C'est aussi de ce Dieu que parle Isaïe : « Voici mon Dieu, mon Sauveur, j'agirai avec confiance et sans crainte : parce que le Seigneur est ma force et ma louange, et il est devenu mon salut (Isa. XII. 2). » Tous ceux qui sont tombés ne doivent imputer leur chute qu'à la présomption qui les a portés à compter plutôt sur eux que sur Dieu. Ils ont bâti la maison de leur intention sur le sable. La tempête des tentations s'étant élevée, les fleuves, c'est-à-dire les concupiscences passagères qui excitent l'appétit, ont coulé ; le vent de la superbe et de la vaine gloire a soufflé; leur édifice s'est écroulé, et tout ce qu'ils avaient fait a été détruit, parce qu'ils ont bâti sur le sable, c'est-à-dire sur eux-mêmes, se confiant trop en leurs propres forces. Pour nous, posant un fondement bien meilleur, celui dont parle l'Apôtre : « Nul ne peut placer un autre fondement que celui qui a été mis, qui est le Christ Jésus (I Cor. III. 11)». Élevons-le en toute sûreté au dessus les bonnes œuvres; tant qu'elles seront liées à celte base, elles ne pourront crouler, jusqu'à ce qu'avec l'aide de celui qui a commencé, elles arrivent à la consommation prescrite.

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CHAPITRE XV. De la septième feuille de la vigne, ou de la septième parole de Jésus-Christ sur la croix: Père, je remets mon âme entre vos mains.

49. Considérons en ce moment la dernière feuille de notre vigne, ou la dernière corde de notre lyre : gravons-la d'une manière ineffaçable dans notre mémoire, et redisons-la toujours sans nous lasser jamais. « Père, s'écria le bon Jésus, je place mon âme entre vos mains (Luc XIII. 46).» La lettre est très-claire. Mais que signifie le soin avec lequel le Fils coéternel et consubstantiel confiait son âme à son Père d'une façon si expressive , lorsque son Père l'eût gardé avec une égale attention, lors même qu'il ne lui aurait pas adressé ces paroles? Nous trouvons dans l'Évangile de saint Jean, que lorsque le Seigneur Jésus était sur le point de ressusciter, Lazare s'écria : « Mon Père, je vous rends grâces, de ce que vous m'exaucez toujours, mais je l'ai dit à cause de ceux qui sont autour de moi, afin qu'ils croient, eux aussi, que vous m'avez envoyé (Joan. XII. 25) ». Il en est de la même manière en cet endroit. Bien qu'il sût que son âme très-sainte était recommandée entre les mains de son Père, lui qui avait dit peu auparavant : Le prince de ce monde, c'est-à-dire : « Satan est venu, et il n'y a rien eu en moi qui lui appartienne (Joan. XIV. 30), » néanmoins, pour nous apprendre, à nous qui sommes cendre et fumée, à confier notre âme entre les mains du Père céleste, pour qu'à l'heure de sa sortie du corps elle ne soit pas saisie par le prince du monde, qui, hélas ! trouvera en nous, bien des choses qui seront à lui : exemple bien persuasif, car celui qui n'avait rien à démêler avec le péché, et qui était venu le détruire, recommande à son Père son esprit très-pur, lorsqu'il était sur le point de quitter son corps immaculé; non que cette précaution fût nécessaire, mais pour qu'elle nous servit de modèle. Nous pouvons l'imiter, dans l'espoir d'obtenir grâce et miséricorde, si nous nous mettons à l'abri sous les feuilles dont nous venons de parler : si nous entendons des oreilles du cœur les sons des cordes de notre lyre, c'est-à-dire si nous prions pour nos ennemis, si nous pardonnons de tout notre cœur à ceux qui nous ont offensés lorsqu'ils se repentent de leurs mauvais procédés; si nous rendons à nos proches une charité mutuelle; si dans toutes nos tribulations nous espérons en celui qui, à cause de nous, s'est fait. homme, afin de rester uni à notre nature si nous souhaitons d'un désir ardent, le salut du prochain, et si, enfin, nous persévérons jusqu'à la fin dans les bonnes œuvres. Si nous sommes fidèles à ces pratiques, nous pourrons dire avec confiance au Père éternel, avec le Seigneur Jésus : « Seigneur, je remets mon âme entre vos mains. Toujours priant tant qua nous vivons, afin qu'en ces mêmes paroles après lesquelles il rendit l'esprit, il daigne aussi faire sortir notre âme de sa prison et la confier d'une manière efficace et sûre à la garde de ses mains puissantes.

50. Voilà que, selon nos forces, mais non selon notre devoir, ni selon notre volonté , nous avons montré à votre charité les sept feuilles de notre vigne étendues sur son bois : ce n'est pas assez de les regarder, il faut s'en approcher et s'asseoir à l'ombre qu'elles répandent, afin de pouvoir dire avec vérité à l'Épouse : « Je me suis assis à l'ombre de celui que j'avais désiré » ? De qui ? Sans nul doute, de l'Époux dont les feuilles projettent un ombrage d'autant plus étendu, que l'Époux lui-même, Verbe du Père souverain, profère des paroles plus aimables dans leurs vertus, plus voisines du salut, plus empreintes de piété et plus à la portée de l'intelligence de tous. Car, bien que le bon Jésus ait parlé dans tous les prophètes et les apôtres , je ne trouve personne dont les accents conviennent aux faibles et aux forts, aux sages et aux insensés, comme les paroles du Verbe très-docte, le Seigneur Jésus, car, comme on l'a dit « les eaux de la source sont plus douces ». On doit se rappeler qu'à l'ombre de ces feuilles, c'est-à-dire sur les paroles du Seigneur, il faut méditer le jour et la nuit, leur ombre nous protège, lorsque, tentés par le démon ou par les vices, nous tirons de l'Évangile quelque passage dont l'autorité et la lumière nous font résister aux assauts qui nous sont livrés. Par exemple, si, attaqués par l'orgueil, vous voulez commander et refuser d'obéir , aussitôt s'offre à vous la parole du Seigneur: « Que celui qui voudra être le premier entre vous, soit le serviteur de tous (Matth. XX. 27) », parce que comme « celui qui s'élève sera humilié, aussi celui qui s'humilie sera exalté Ibid. XXIII. 12) ». Si la colère vous brûle de ses ardeurs, vous avez de suite une feuille de notre vigne à lai opposer, c'est celle qui affirme « que se mettre en colère contre son frère sans motif, c'est être capable du jugement (Matth. V. 22); » et aussi contre chaque tentation vous trouverez des sentences qui peuvent vous défendre contre la chaleur des vices et conserver la vertu avec le secours de la vigne elle-même qui est le Christ Jésus.

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CHAPITRE XVI. De l'agrément que l'on trouve dans les fleurs de la vigne, ou des vertus de Jésus-Christ.

51. Inclinons notre attention pour voir l'agrément des fleurs de notre vigne, ou plutôt élevons les yeux et voyons comment elle les a produites. Elle a fleuri, et avec d'autant plus d'abondance et de suavité par dessus toutes les autres créatures, qu'elle est plus excellente que toutes les autres plantes; sa grandeur, s'élevant au dessus des cieux et voyant tout à ses pieds, a été toujours favorable, bien que, vaincu par notre charité, il ait été pour un temps placé au dessous des anges. Car, c'est dans ce but qu il s'est anéanti, prenant la forme d'un esclave, et que, planté dans notre terre, il a pris la laideur de notre corps. Il s'est couvert de feuilles, il a fleuri et a donné beaucoup de fruits, afin de nous relier à sa divinité par les éléments qu'il avait de commun avec notre nature. Mais parce que sans fleur il n'y a pas de fruit, le bon Jésus a donné ses fleurs. Quelles sont ses fleurs, sinon ses vertus? Cette vigne a fleuri d'une façon merveilleuse et tout-à-fait excellente, elle a donné, non pas une seule sorte de fleur, comme les vignes et les autres arbres, mais une fleur qui contenait en elle la beauté de toutes les autres. Parmi les saints, l'un est plus chaste, l'autre plus patient, l'autre d'une charité plus fervente : mais cette vigne l'emportait sur tous les anges et sur tous les hommes en humilité, en patience, et en chasteté et en toute espèce de vertu. Elle eut l'éclat non d'une seule sorte de vertu, mais de toutes les vertus : la violette de l'humilité, le lis de la chasteté, la rose de la patience et de la charité, et la fleur de l'abstinence que nous appelons safran. Combien agréable sera, pensez-vous, le fruit de votre vigne donnant des fleurs si délicieuses ?

52. Mais d'après l'inspection de notre vigne, parlons un peu en détail des fleurs qu'elle nous donne : en faisant d'avance cette réflexion, que les fleurs frappent l'œil, par leur éclat, et l'odorat par leur suavité on ne les mange pas, seulement les abeilles en sucent quelques-unes et en forment une nourriture fort suave. Nous avons dit que nulle fleur, c'est-à-dire nulle vertu, signifiée par une fleur, ne manque à notre vigne. Quelle vertu manquerait en effet, au Dieu des vertus ?

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CHAPITRE XVII. De la fleur d'humilité, qui est la violette.

53. Occupons-nous d'abord de la fleur de l'humilité, c'est-à-dire, de la violette. Son port, les lieux qu'elle habite, son odeur, sa couleur et les effets qu'elle produit signifient l'humilité. Son port, c'est-à-dire ses dimensions, sont peu considérables. Où trouver une fleur plus petite ? Les humbles sont petits à leurs yeux. Voici comment l'Apôtre, qui avait travaillé plus que les autres, parle de lui-même : « Je suis le moindre de tous les apôtres; je ne suis pas digne d'être appelé apôtre (I Cor. XV. 9) ». Vous voyez combien ce grand homme était petit dans l'estime qu'il faisait de lui-même. et c'est chose étonnante que ceux dont la conscience est en sûreté, qui n'ont aucun reproche à se faire, aient des sentiments si bas d'eux-mêmes. Cette fleur se trouve très-près de terre et cela est très-bien. Voici l'enseignement de l'Apôtre : « N'ayant pas de jugements altiers, mais à l'unisson de tout ce qui est humble. (Rom. XII. 16) ». Ceux-là n'ont pas la propriété de cette vertu qui se croient ou veulent paraître meilleurs que les autres, bien qu'ils soient petits à leurs propres yeux. Car, il en est qui en leur confiance se jugent inférieurs et médiocres, mais ils veulent passer au dehors meilleurs que les autres. Ils ont la taille de cette fleur, puisqu'en leurs pensées ils sont petits, mais ils n'en ont pas la position, parce qu'ils veulent s'élever au dessus de tous les autres. Salomon dit d'eux ces paroles : « Avoir mesure et mesure, poids et poids, c'est une abomination aux yeux du Seigneur (Rom. XX. 10) ». Dans la loi de Moïse, il est défendu d'avoir deux poids (Deut. XXV. 13) ». Il a véritablement deux poids celui qui, ayant conscience du mal qu'il a fait, se regarde comme méchant, et qui au dehors veut paraître bon et meilleur que les autres; par les jugements qu'il porte de lui, il est près de terre, et il désire paraître élevé au dessus de ses frères. Ces personnages, quels qu'ils soient, sont pris du vice de l'hypocrisie : nous avons parlé d'eux avec étendue dans l'ouvrage que nous avons écrit sur les petits.

56. L'odeur de la violette est suave et salutaire : parce que les louanges de l'humilité se répandent et tombent même de la bouche des superbes. La bonne renommée est la suavité de l'odeur, et elle est véritablement salutaire : et parfois en entendant faire l'éloge des humbles, les auditeurs se corrigent, bien qu'ils soient de ceux qui perdent cette odeur, quoiqu'ils la considèrent avec soin. Cette couleur, comme on le voit, n'a rien d'éclatant, et elle est peu prisée de ceux surtout qui ignorent la vertu de la petite fleur qui la porte : mais pour ceux qui en connaissent les effets, ce manque de brillant excite l'affection et l'attention. Nous reconnaîtrons tout cela facilement dans le bon Jésus maître d'humilité, selon cette parole de l'Apôtre . « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour tes Gentils: mais pour ceux qui sont appelés saints, le Christ est la force et la sagesse de Dieu (I Cor. I, 23). » Oui, le Christ crucifié est une violette. Sur la croix il devint très-humble. En cet état humilié, pour les Juifs et les païens qui ne regardent que l'extérieur, la couleur sous laquelle il se montra parut vile; mais pour nous qui connaissons la vertu de sa passion, même cette humilité méprisée, cette humilité du Christ nous plaît et éclate extrêmement dans toutes les humiliations qu'il a éprouvées. Au mépris de la couleur, ajoutons la vertu cachée dans l'intérieur de cette fleur : et ainsi, par cette force intime, ce qui extérieurement parait vil ne sera pas méprisé, mais en sera aimé davantage.

55. Considérons en ce moment d'un œil plus parfait et plus pur combien s'est ouverte et développée cette fleur singulière dont il est écrit : « Une tige s'élèvera de la racine de Jessé et une fleur s'épanouira de cette tige, et l'esprit du Seigneur se reposera sur elle ( Isa. I, 1). » Heureuse fleur sur laquelle le Saint-Esprit Seigneur et Dieu vient se fixer, et, bien que cette fleur, le Seigneur Jésus qui affirme de lui : « Je suis la fleur de la campagne (Cant. II, 1), » ait en elle la vertu et la beauté de toutes les fleurs sans diminution quelconque : à nulle cependant mieux qu'à la violette il convient de servir au Saint-Esprit de lieu de repos. Ce n'est pas moi qui l'avance, c'est le Seigneur qui le dit : » Sur qui reposera mon esprit, sinon sur celui qui est humble et tranquille et qui redoute mas paroles (Isa. LXVI, 2). » Quoi de plus clair ? Voulant indiquer le lieu du repos du Saint-Esprit, n'aurait-il pas parlé de la rose de la patience et de la charité, du lis de la chasteté, du safran de l'obéissance? Il néglige ces fleurs, il marque la violette de l'humilité qui est accompagnée du calme et de la crainte. Les violettes, c'est-à-dire toux qui sont humbles, ne peuvent être agitées parle vent de l'orgueil, qui cherche toujours, comme l'a dit un poète, les cœurs altiers pour les frapper.

La jalousie monte toujours, et les vents s'attaquent aux cimes élevées. Ceux qui sont humbles ne peuvent être déracinés. Ils sont donc en repos, et, ne se trouvant atteints ni du vent de l'orgueil ni de celui de la jalousie, ils n'agitent pas l'esprit qui fixe en eux sa demeure. La crainte, non de perdre l'argent ou des biens passagers, mais la crainte des paroles du Seigneur accompagne l'humilité : parce que, ne présumant rien de lui-même, celui qui est humble, considérant les préceptes du Seigneur qu'il veut accomplir pour le bonheur de sa conscience, a toujours peur de n'y point réussir et d'offenser son Père qui les lui a donnés. Excellente fleur qui produit le repos et la crainte, et de la crainte vient la sécurité, parce qu'il est écrit : « Qui craint Dieu fera le bien (Eccli. XV, 1). » Quelle récompense aura ce bien pratiqué, sinon le repos éternel?

56. La violette est une fleur assurément très-excellente; c'est elle qui par son odeur merveilleuse a attiré le Verbe du Père éternel, fleur céleste, dans le sein de la très-heureuse Vierge, fleur de la terre, selon qu'elle le chante elle-même : Mon esprit a tressailli en Dieu mon salut, parce qu'il a regardé l'humilité de sa servante (Luc. I, 47). » Que dites-vous? N'avez-vous pas d'autres fleurs? J'en possède d'autres, répond-elle. Je suis toute fleur, aucune fleur ne me magique, car je ne suis privée d'aucune vertu, parce que je suis toute belli et; il n'y a pas de tache en moi. Je possède le lis de la chasteté ; la première de toutes les créatures, j'ai fait le vœu de conserver ma virginité au Seigneur. Je possède la rose de la charité: si je n'avais pas, en effet. aimé aussi fortement le Seigneur, d'où me serait venue la confiance si hardie, et l'audace si grande qui m'a portée, jeune enfant tendre et timide, à entrer dans une voie toute nouvelle opposée aux ordres de la loi de Moïse et encore sous l'autorité paternelle ? Mais, pour tout avouer, l'amour me rendait entreprenante, cette rose ardente a dévoré la crainte servile et m'a poussée à faire un vœu nouveau, à produire un lis tout particulier et m'a mise en état de dire à mon bien-aimé : Je suis blanche et rouge comme vous. Il y a bien en moi d'autres fleurs, mais il n'en est aucune que le Seigneur ait daigné considérer avec autant de complaisance que la fleur de ma violette: « Car il a regardé l'humilité de sa servante.» Et voulez-vous voir tous à qui je dois ces fleurs, combien je me suis enrichie d'une seule fleur ? « Voici que dès lors toutes les générations m'appelleront bienheureuse. » Je veux dire : « dès lors » que le Seigneur a abaissé les yeux sur moi. La fleur de ma violette a répandu le parfum de l'humilité, « parce que mon nard, » qui signifie la même chose que la violette, a donné son odeur (Cant. , 11). » Cette senteur agréable a délecté le roi, le Fils du roi, Dieu, le Fils de Dieu, lorsqu'il allait au lieu de son repos, c'est-à-dire dans le sein de son Père, et elle l'a attiré, comme par la force d'un certain entraînement, jusques en moi, et fleur, il a voulu être conçu dans une fleur, au milieu d'une fleur, c'est-à-dire dans Nazareth, qui veut dire a fleur, » pour devenir une fleur qui s'épanouit, c'est-à-dire Nazaréen. Tout y convient à une fleur. Il est conçu demeurant sous une fleur, c'est-à-dire à Nazareth. Oh oui ! bonne et délicieuse fleur que la violette; c'est elle qui par ses parfums, et comme par un charme d'invincible tendresse, a fait pencher la fleur du ciel dans le sein de notre fleur, de l'humble Vierge Marie.

57. Que tous apprennent, mais surtout les fleurs du monde, c'est-à-dire les vierges qui brillent dans toute l'Église de Dieu comme des fleurs dans une prairie, que la première des vierges, la plus sainte et la plus chaste de toutes, place sa gloire dans l'humilité, bien que son cœur, le lis, jetât son éclat incomparable de blancheur, et la rose fit étinceler sa pourpre éblouissante. Vierge, ne vous enorgueillissez pas de la chasteté du corps, bien que ce soit une vertu louable. Plus vous êtes grande, plus il faut vous humilier, afin de trouver grâce devant Dieu. Ce n'est pas la chasteté de sa servante que le Seigneur a regardée, c'est sun humilité. Si vous voulez qu'il vous regarde de l'œil de sa miséricorde et de sa grâce, soyez humble. L'Écriture le dit : « Il donne sa grâce aux humbles (Isac. IV, 6), » « parce qu'il a regardé l'humilité de sa servante (Matth. XXV, 8). » Si vous voulez que vos lampes soient pleines d'huile lorsque l'époux viendra pourles noces, ce qui veut dire, si vous voulez avoir une conscience joyeuse et sans tache (car l'huile dans la lampe c'est la joie spirituelle dans le cœur), n'ayez point des sentiments trop élevés de la hauteur de votre lis, c'est-à-dire de la pureté de votre chasteté. Ne recherchez pas les louanges du dehors: dans la crainte qu'après vous avoir fermé la porte du royaume des cieux, l'Epoux ne vous dise : « En vérité, je vous le déclare, je ne vous connais pas ; » et qu'il ne vous éloigne de lui, lui « qui a regardé l'humilité de sa servante. » Beaucoup de vierges seront exclues parce que nulle ne sera admise si elle est orgueilleuse. Nul, pourvu qu'il soit humble, ne sera refusé, vierge ou marié. La porte du ciel est étroite, elle ne laisse passer que les petits. Ceux qu'enfle la superbe en sont repoussés, bien plus, ils ne peuvent en aucune façon s'en approcher, de quelque sexe, condition ou âge qu'ils soient. Et pour bien dire en deux mots: nulle vertu n'y touche qui n'ait été inclinée vers la violette de l'humilité. C'est ce que dit, c'est ce qu'apprend le maître de l'humilité, lorsque, appelant un petit enfant, il le plaça au milieu de ses disciples et dit: « Si vous ne changez pas, et ne devenez comme ce petit enfant, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (Mat. XVIII, 3). » Le Seigneur ne donna-t-il pas alors en exemple le lis de la chasteté de saint Jean, ou la rose de la charité de saint Pierre, apôtres, dont le premier, comme on le dit, fut appelé et choisi par le Seigneur loin de l'état du mariage; et dont le second, par le triple aveu qu'il fit au Seigneur Jésus qu'il ne pouvait tromper, montra la vivacité de son amour parfait (Juan. XXI, 15). Car comme en saint Jean éclate avec une vivacité particulière la vertu de chasteté, ainsi en saint Pierre se fait remarquer une charité plus fervente. Le Seigneur, néanmoins, ne les proposa point pour modèles à ceux qui devaient entrer dans le royaume des cieux, il mit sous leurs yeux un petit enfant très-grand par la vertu d'humilité.

58. Voyons donc de quel vif éclat le Seigneur de toutes les vertus a fait briller en lui l'humilité. Portons d'abord notre attention vers le passage où il est dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes » (Matth. XI, 29) Qu'est-ce que ceci, ô bon maître, ô délicieux Jésus ? Est-ce que tous les trésors de sagesse et de science se trouvent entassés en vous, pour que vous nous donniez cette unique leçon, que vous êtes « doux et humble de cœur » Vous n'apprenez pas à fabriquer des mondes, à faire des miracles, à ressusciter des morts et à opérer d'autres prodiges semblables, tout ce que vous dites, c'est que vous êtes « doux et humble de cœur. » Ce qui est petit est-il donc si grand ? Quelle est la cause de tout notre travail, quel est le but de tout notre combat, sinon de trouver le repos pour nos âmes ? Une doctrine abrégée nous a été prêchée, un chemin court nous a été indiqué. Apprenez-le du Seigneur Jésus, qui est doux et humble de cœur, c'est-à-dire, voyez et combien et pourquoi il s'est humilié « celui qui est élevé au dessus de toutes les nations et dont la gloire brille par dessus les cieux. » Apprenez également que vous êtes boue et cendre, et ainsi vous trouverez le repos de votre âme. Mais remarquez le terme qu'emploie le divin maître «humble de cœur. » Une humilité feinte n'apaise pas celui qui est humble de cœur, il exige le réalité de cette vertu. C'est l'humilité du cœur qui ravit celui dont l'œil sonde les reins, parce qu'il prend son repos dans les cœurs de ceux qui sont humbles. Il cherche les cœurs des humbles pour les élever, et non les cœurs enflés par l'orgueil ; il s'en éloigne avec dégoût.

59. Mais parce que nous avons indiqué deux sujets à considérer, à savoir combien et pourquoi s'est humilié Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre vigne, expliquons-les, parce qu'ils plairont à votre charité et lui seront utiles. L'esprit humain défaille, la raison succombe lorsqu'on examine jusqu'à quel point Notre-Seigneur s'est humilié durant sa vie. Comment pouvez-vous mesurer la profondeur de son abaissement, si vous ne connaissez l'excellence et l'élévation de sa puissance. Parlez, en effet. Que pouvez-vous ? arriverez-vous à mesurer sa gloire, sa puissance et sa beauté ? Ni les anges, ni les Chérubins, ni les Séraphins n'y sont parvenus. Aucune créature ne tonnait Dieu pleinement et parfaitement, selon tout ce qu'il est. Combien moins l'homme, ou le fils de l'homme, qui est un ver ? Et cependant cet être souverain, si grand que sou immensité n'a point de bornes, cet être souverain s'est anéanti au point que, fils de l'homme, il est devenu ver de terre. O humilité excessive ! Le Dieu incompréhensible veut être compris, le TrèsHaut être abaissé, le tout-puissant être méprisé, la beauté être défigurée, la sagesse par excellence devenir comme un animal sans raison, l’immortel mourir, et, pour tout exprimer en une parole, un Dieu devenir un petit ver. Quoi de plus élevé que Dieu ? Quoi de plus vil qu'un vermisseau ? « Je suis un ver », dit-il, « et non un homme » (Psal. XXI. 7. ) Pourquoi un ver ? Parce qu'il est fils de l'homme. Voici ce que vous trouvez au livre de Job : « Les astres ne sont pas purs en sa présence » (Job. XV. 15. ) Combien moins l'est l'homme qui est pourriture, et le fils de l'homme qui est vermine.

60. Si donc le fils de l'homme est un ver, ii est donc ver lui aussi, car, d'après son témoignage, il est fils de l'homme. «Que dit-on qu'est le fils de l'homme », demande-t-il ? (Matt. XVI. 3). Voilà quelle distinction il établit entre l'homme et le fils de l'homme. Il appelle hommes ceux qui sont descendus par voie de corruption du premier homme, Adam. D'où vient que le saint homme parle ainsi : «Combien plus l'homme est-il pourriture?» (Job. XXV. 6) Parce que la corruption se trouve dans la pourriture. Le Seigneur Jésus seul est pur, parce qu'il est né sans corruption de la vierge Marie sa mère ; il ne se donne pas le titre d'homme, car l'homme est corruption ; mais il se nomme « Fils de l'homme », parce que le fils de l'homme est ver de terre. Comme le ver vient de la terre seule, aussi Jésus est engendré seulement d'une vierge. O quel humble vermisseau, qui fut l'opprobre des hommes et le rebut du peuple, méprisé sans motifs par les humains et foulé aux pieds comme un ver, sans qu'il l'eût mérité. (Psal. XXI. 7. ) Lorsqu'on le maudissait, il ne maudissait pas. Il s'est humilié en se faisant homme, en se soumettant aux hommes, à sa bienheureuse mère et à saint Joseph, son père nourricier, à Siméon qui attendait sa venue, non-seulement aux bons, mais même aux méchants, payant aux puissances terrestres, avec saint Pierre, le tribut de la pièce trouvée dans la gorge du poisson (Matth. XVII. 26. ) Dans son baptême, il fut soumis à saint Jean, qui aurait dû plutôt être baptisé de ses mains divines. Ce bon maître s'humilia jusqu'à laver les pieds de ses disciples. Enfin il s'anéantit et devint obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix (Phil. II. 8.) Pourrons-nous aller plus loin encore ? Il mourut, non d'une mort quelconque, mais de la mort de la croix, condamné à. ce supplice honteux. Voyez-vous donc comment cette violette a fleuri dans notre vigne, dans le très-bon Jésus ? Plusieurs ont été humiliés jusqu'à être contraints de subir la mort : mais jamais ils ne descendirent à ce degré d'abaissement et d'abjection, parce que jamais ils n'avaient été élevés à une grandeur si considérable. De tous les justes mourants, quel est celui qui a pu s'appliquer ce qui a été dit de Jésus-Christ : « Etant dans la forme de Dieu, il n'a pas regardé comme un larcin d'être l'égal de Dieu ? » Nul assurément, parce que nul, excepté lui, n'était Dieu. Il fut donc excessivement humilié lorsque, étant seul l'égal de Dieu, il s'anéantit en prenant la forme d'un esclave, et se réduisit à un tel état d'abjection, que les hommes le regardaient, non comme un homme, mais comme un ver de terre.

61. Mais quel fut le motif d'un si grand abaissement ? Ce n'est pas sans une nécessité suffisante et sans une cause juste que le Fils et la sagesse du Père fut ainsi humilié, lui qui ne fait rien sans raison. Pourquoi en chercher d'autres et nous y appesantir ? Il s'est fait homme pour racheter l'homme, infirme pour soulager nos infirmités, pauvre afin de nous enrichir; il s'est humilié pour nous élever ; il a été livré à la mort, il a rendu l'âme pour nous donner la vie. Quel homme raisonnable refusera d'être humilié pour l'amour de celui qui s'est tant abaissé pour nous ? Et, bien qu'il y ait beaucoup de motifs qui nous forcent à pratiquer l'humilité, notre origine honteuse, notre vie pleine de douleurs, notre foi remplie d'angoisses, la crainte de l'enfer, l'espoir des biens célestes, sans parler de ces sujets et des autres, s'il en existe, la seule humilité de notre roi, de notre rédempteur, de notre Père très-tendre , du bon Jésus , devrait non-seulement nous engager à la vertu d'humilité, mais encore nous y entraîner avec violence. Humilions-nous donc, et pour les causes que nous avons indiquées, afin de rendre la pareille au Seigneur Jésus humilié pour nous, lui offrant la violette d'humilité qu'il a fait fleurir, vigne sacrée, d'une façon si excellente ; afin aussi que lorsque nous porterons dans notre cœur cette fleur qu'il a si spécialement recommandée en lui, il la reconnaisse, et daigne, au temps de sa visite, nous exalter avec lui qui a été élevé au dessus de tout nom.

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CHAPITRE XVIII. De la fleur de la chasteté, qui est le lis.

62. En notre vigne en fleur ne pouvait manquer de briller la fleur du lis blanc, image frappante de la chasteté. Entre toutes les vertus, par une prérogative spéciale, la chasteté a mérité le nom de fleur, et elle est figurée pas le lis. Et en cet endroit entendez par chasteté, non une chasteté quelconque, mais cette espèce de chasteté que nous appelons virginité. Il y a aussi la chasteté des continents ou des vierges et la chasteté conjugale. On ne les appelle point fleurs, parce qu'elles ont perdu la fleur du lis de la virginité. Nous voulons présentement décorer de ce lis ceux qui n'ont pas perdu cette vertu, c'est-à-dire ceux qui sont vierges : et en parlant ainsi, nous rue faisons nulle injure aux continents et à ceux qui sont mariés. Quand nous louons la chasteté de saint Jean, nous ne blâmons pas le mariage d'Abraham ; les éloges donnés à la virginité de Marie ne sont pas une attaque dirigée contre le veuvage d'Anne. Chacun de ces personnages a son mérite, mais entre ces mérites quelle étonnante différence ! Qui ne loue dans l'état de mariage, le fruit qui produit au trentième : dans les veuves, le fruit donné au soixantième; bien qu'excellemment au dessus de tous on ne place et ne vante le centuple germé par la virginité.

63. Sur le point de parler de la grâce de ce lis en qui notre vigne a fleuri, voyons, aux lueurs de la lumière véritable, pourquoi une vertu si éminente est désignée par le lis. La pensée qui se présente de suite, c'est que cette fleur a été choisie de préférence aux autres pour en être l'emblème, à cause de sa blancheur. C'est avec raison que la pureté virginale est représentée par le lis. Ensuite aucune autre fleur n'offre même à son aspect autant de grâce que celle-ci : c'est aussi à juste titre que la plus pure et la plus belle des vertus trouve en elle son expression sensible. Par quelles louanges vous célébrer, ô candeur virginale ! je l'ignore entièrement. Qu'il daigne éclairer mon ignorance, ce lis singulier, la sagesse incréée de Dieu, le Seigneur Jésus, le Fils unique du Père, et le fils unique du lis incomparable, c'est-à-dire de la très-chaste Vierge sa mère, qui, se trouvant sur les limites de l'ancienne et de la nouvelle loi, consacra et fit le vœu d'une virginité perpétuelle et parfaite. Qu'il m'apprenne, dis-je, en considérant le lis matériel, à connaître sous tous ses aspects le lis virginal. Attachons-nous donc à étudier avec soin, selon les détails que nous avons déjà parcourus, le lis matériel, en examinant sa racine, sa tige, ses feuilles, et les autres petites fleurs qui y sont renfermées. Nous espérons que cette analyse nous fera tenir en très-parfaite estime la virginité complète.

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CHAPITRE XIX. De la racine du lis, c'est-à-dire des pensées cachées dans le cœur.

64. Trois choses distinguent la racine du lis : elle est blanche, elle est éclatante, elle est tendre et souple. Cette racine cachée en terre, que signifie-t-elle, sinon la pensée cachée dans le cœur ? Dans la blancheur de la racine, nous voyons donc la pureté de la pensée. Qu'est la pureté de la chair sans la pureté de la pensée ? C'est à ce sujet que le Seigneur a donné cet ordre : « Lavez-vous et soyez purs» (Isa. I. 16. ) Et dans la crainte qu'on n'entendît en ces paroles que la pureté extérieure, il ajouta : « Enlevez de devant mes yeux le mal de vos mauvaises pensées. » Ibid. ) Car les pensées mauvaises séparent de Dieu. Et ainsi que la vérité l'atteste : « c'est du cœur que sortent les pensées mauvaises, les homicides, les adultères, les vols, les blasphèmes, » et les autres crimes, « qui souillent l'homme. » (Matth. XV. 19.) Les pensées noires ou souillées se divisent en pensées diaboliques, mauvaises et charnelles. Lorsque quelqu'un s'estime meilleur qu'un autre, l'orsqu'il veut s'égaler à celui qui est au dessus de lui, et qu'il refuse d'obéir à son supérieur, ce sont là les pensées diaboliques, parce que c'est le démon qui en est l'inventeur; et il les emploie plus fréquemment que les autres, de sorte que l'orgueil est appelé son propre caractère. Les pensées mondaines sont celles qui prennent l'âme comme dans un lacet par l'attrait des biens; elles font qu'elle s'attache avec trop de soin à les acquérir, et qu'elle les possède avec trop de délectation; elles l'empêchent d'en faire part au prochain dans ses nécessités, et l'éloignent par-là de la charité de Dieu; car il est écrit: « Celui qui a les richesses de ce monde et voit son frère dans le besoin, et ferme ses entrailles à son malheur, la charité de Dieu est-elle en lui? (I Joan. III. 17.) Les pensées charnelles sont celles qui entraînent l'homme à la luxure de la chair, lorsque, avec une affection et une délectation désordonnées, les hommes pensent aux femmes et les femmes aux hommes. Les hommes insensés osent appeler amour ce qui pourrait avec plus de vérité être appelé haine. Il y a aussi la luxure du boire et du manger qui se rencontre lorsqu'on cherche des mets succulents et exquis pour le goût et non pour la santé. On pourrait user avec modération des choses délicates : cela est pourtant difficile. Il faut penser la même chose de ceux qui veulent se servir d'habits recherchés.

65. On perd la qualité de lis et l'éclat de la virginité, si la racine n'a pas de blancheur et la pensée de pureté virginale. Car si le corps est extérieurement pur, et si, à l'intérieur, la pensée est souillée, cela n'est plus vertu, c'est hypocrisie. Il faut savoir, au témoignage du pape saint Grégoire, qu'une pensée, quelque immonde qu'elle soit, ne souille pas l'esprit, si la raison n'y donne son consentement. Qui peut, en effet, retenir si efficacement son esprit, qu'il ne soit pas remué par quelque impureté ? Mais il faut réprimer de suite les saillies de ces sortes d'idées, de telle manière que l'ennemi se retire vaincu par les armes avec lesquelles il espérait nous terrasser. C'est ce qui a lieu toutes les fois que, sollicités par les pensées immondes et impures, nous recourons de suite au signe de la croix, au souvenir de la passion du Seigneur, et au secours des larmes, et due, devenus vaillants dans le combat, nous frappons l'ennemi de ses traits.

66. La racine du lis est non-seulement blanche, mais éclatante. Cet éclat semble désigner l'hilarité de l'âme. Il existe plusieurs personnes qui font des œuvres bonnes, à la vérité, mais provenant de la coaction, ou de la nécessité, ou de l'habitude. Mais nulle promptitude joyeuse ne les porte à les produire ; ce vice s'appelle la paresse ou la torpeur spirituelle. Les âmes religieuses sont surtout attaquées de ce mal. Car ceux qui habitent d'ans le siècle remarquent à peine si c'est là un défaut ; attachés au monde, à peine peuvent-ils saisir le nom d'un vive spirituel, et cependant il est au nombre des sept péchés capitaux. Parlons à présent de ce mal aux personnes religieuses qui sont en état de le comprendre. Le vice de la paresse spirituelle jette l'âme dans une sorte de torpeur, en sorte que tous les exercices religieux paraissent insipides et engendrent un lourd ennui. C'est de cet ennui que le psalmiste clin : « filon aine a dormi dans son ennui (Psal. CXVIII, 28). » Et ailleurs : « Leur âme a en horreur toute nourriture, et ils sont allés jusques aux portes de la mort (Psal. CVI, 18.) » Quelquefois l'âme des justes ressent les allures de ce mal à un tel point, qu'elle a en dégoût tout exercice spirituel ; elle ne peut se livrer tranquillement à la prière, à la lecture, à la méditation ou au travail des mains. Bien plus, elle va jusqu'aux portes de la mort, c'est-à-dire, qu'ayant la vie à charge, elle désire en finir par la mort, et s'écrie avec le saint homme Job « Mon âme s'ennuie de ma vie (Job. X, 1). » C est à ce défaut que porte remède l'allégresse désignée par le brillant de la racine du lis ; elle refait l'esprit malade et comme renversé, elle l'excite à la méditation et lui redonne le désir de travailler, de prier, de lire ; elle le fait bondir comme un géant pour fournir sa carrière, et lui fait dire avec le Psalmiste : « J'ai couru la voie de vos commandements lorsque vous avez dilaté mon cœur (Ps. CXVIII, 32). » Car, en effet, on court la voie des préceptes de Dieu lorsque fi,, cœur est dilaté, c'est-à-dire ouvert par l'allégresse spirituelle. Au peint de vue naturel, on dit qu'il est formé par la crainte et la tristesse et qu'il s'ouvre par la sécurité et la joie. Combien pensez-vous que cette vertu d'hilarité convient, aux vierges sacrées qui, pour l'amour de Jésus leur Seigneur, ont méprisé la joie de ce monde et tout l'éclat du siècle, pour que, ce qui leur manque au dehors soit remplacé ait dedans? « Réjouissez-vous donc dans le Seigneur, » car vous avez rejeté les vaines joies. « Je vous le dis encore, réjouissez-vous (Philip. IV, 4), » car vous avez mérité d'être unis à la joie véritable, et d'avoir dans la pensée de votre cœur l'éclat perpétuel de l'hilarité sainte. Dieu qui donne l'allégresse incomparable et véritable, aime qui donne avec joie.

67. La racine du lis est très-douce, nous devons voir en cette propriété la vertu de mansuétude. II est un grand nombre d'hommes qui sont recommandables par leur charité, mais tellement faciles à émouvoir pour le moindre ou sans le moindre motif, qu'ils deviennent grandement à charge, soit à eux, soit à ceux contre lesquels s'excite leur vivacité; âmes inquiètes qui ont toujours l'esprit agité par ce qu'elles voient ou qu'elles entendent. Cet état ne convient pas à une vierge du Christ, ce divin maître qui nous instruit et qui nous dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (31att. XI, 29). » Rémunérateur magnifique qui promet la béatitude à ceux qui ont la douceur. « Bienheureux ceux qui sont doux, car ils possèderont la terre ( Ibid. V, 4). » Que sera-t-il donc de ceux qui ne sont pas doux ? Ils seront exilés sur la terre? De quelle terre? de celle dont il est dit : « Je plairai au Seigneur dans la terre des vivants (Psal. XIV, 9). » De quoi sert la chasteté, à ceux qui sont exilés de cette terre ? Ils ne sont pas des lis ceux à qui manque cette propriété. Aussi, ils n'appartiennent point à ce lis très-parfait, au tendre Jésus, qui assure de lui-même, qu'il est « la fleur de la campagne et le lis des vallées (Cant. II, 1). » Quels sont les lis qui sont à lui? Ecoutez-le : « Comme un lis entre les épines, ainsi est ma bien-aimée entre les filles (Ibid. 2). » Le lis est souple et doux ; les épines sont dures et piquent. Pour supporter la pointe des épines, le lis ne perd par sa douceur. O, dans la communion de la foi, que de mauvaises filles, que d'épines, à cause de l'amertume de leurs mœurs! Pour vous, si vous voulez être un lis véritable, si vous désirez être loué par votre tendre époux, soyez un lis parmi les filles, parmi les âmes qui ont la même profession et la même foi que vous. Que si par leurs mœurs déplorables, et par le piquant de leurs paroles, elles vous blessent, soyez parmi elles doux et souple. Ne vous troublez pris à chaque mot, prenez patience, afin de mériter de vous entendre dire : « Comme un lis entre les épines, etc. »

68. Que si nous parlons ainsi, ce n'est pas afin que la perversité de tons échappe à la faveur du silence et que les perturbateurs ne soient pas réprimandés, ou que les superbes ne soient pas réprimés. Bien plus, il faut adresser des reproches à ceux qui ont le malheur de se trouver en semblable état, si vous ne voulez pas perdre la souplesse de votre racine, vous qui voulez être un lis. Mais, d'après l’apôtre, « faites-leur des observations, suppliez les, commandez-les, faites-leur des instances opportunes, en toute douceur et patience ( II, Tim. IV, 2). » Comme si ce saint personnage disait : « Montrez au dehors le zèle pour la discipline, de telle sorte qu'au dedans vous ne perdiez pas la suavité, et qu'en rappelant une âme égarée, vous ne vous égariez point vous-même. Parfois, il faut reprendre les vices des méchants, parfois il faut les taire, selon qu'on le juge expédient pour le bien de chacun. Tous les malades ne doivent pas être soumis au même traitement.

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CHAPITRE XX. De la tige du lis, ou du bon propos qui s'élève de la racine de la bonne pensée

69. Il faut maintenant examiner la tige du lis ; nous y trouvons trois choses: la rectitude, la force et la longueur. Cette tige qui s'élève de la racine, c'est le bon propos qui vient de la bonne pensée. Vous avez eu de bonnes pensées, si elles se fortifient en votre âme comme une racine qui se fixe dans la terre; il devient nécessaire que cette idée qui vous plait, vous vous proposiez de la mener à son terme et d'en faire une bonne action. Et ainsi vous avez de suite la tige du lis, c'est-à-dire du bien, ou, en d'autres termes, le bon propos venant d'une bonne racine et d'une sainte pensée.

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CHAPITRE XXI. De la rectitude du lis, c'est-à-dire, de l'intention droite.

70. La rectitude du bon propos est nécessaire à cette tige, c'est-à-dire, il faut que, dans une intention droite, nous nous proposions de faire le bien pour Dieu, ne cherchant ni les richesses terrestres, ni les faveurs humaines, ni l'éclat des honneurs qui passent. Car Satan, le serpent rusé, s'il ne peut s'opposer au commencement de la bonne pensée, tend des piéges sur la route, afin de pouvoir empêcher l'attention qu'anime le bon propos, et enfin aussi de rendre amère, par une tige mauvaise, la racine de la bonne intention. Le Psalmiste se plaint de ces embûches : « Par le chemin où je passais, les superbes m'ont caché des lacets (Psal. CXXXI, 6 et Psal. CXLI, 9). » O combien ont été. pris et trompés de la sorte ! Après avoir bien commencé, des pensées étrangères survenant, ils ont dévié de la rectitude de leur bon propos, en se pervertissant totalement ; et après avoir acquis par leurs bonnes œuvres ou les richesses, ou les honneurs, ou les plaisirs, perdant de vue leur intention première, cherchant autre chose que Dieu, ils sont devenus idolâtres, ils ont. altéré la gloire de Dieu, qui est seul glorieux, seul digne d'être recherché, et prodiguent leurs hommages à la ressemblance des oiseaux, des bêtes et des serpents. Comment changent-ils la gloire de Dieu en la faisant semblable aux oiseaux ? Parce que, changeant la direction droite de leur intention, ils font, pour la vaine gloire du monde, les bonnes œuvres que, dès le début, ils voulurent faire pour la gloire de Dieu. Les oiseaux représentent les âmes légères et inconstantes, qui gagnent les hauteurs, et vivent dans la vanité. Ils changent la gloire de Dieu en la manière des bêtes, ceux qui accomplissent, .pour satisfaire les voluptés de la chair, les bonnes œuvres dans lesquelles ils se proposaient d'abord l'honneur de Dieu. La volupté est, en effet, symbolisée dans les animaux, qui ne recherchent que ce qui est de la chair. Ceux-là changent la gloire de Dieu à la façon des serpents, qui pratiquent, en vue d'obtenir des richesses, les bonnes actions qui devraient être faites en vue seulement des biens célestes et pour la gloire de Dieu Les serpents qui mangent la terre sont l'image des avares, qui ne courent qu'après les gains terrestres, et désirent en remplir la capacité de leur âme.

71. Voilà les piéges que le démon. cache sous les pas de ceux qui marchent dans le droit chemin de la bonne intention, pour en faire détruire en quelque manière la tige du lis, c'est-à-dire le bon propos que l'on a formé. Hélas ! hélas! Seigneur mon Dieu, qui échappera à ces embûches ? Pour ne rien dire des séculiers, que de supérieurs d'ordre religieux avons-nous vus, qui, conduits sans nul doute par une excellente intention, après avoir suivi nus le Christ nu, et après avoir été élevés malgré eux à la prélature, bientôt, ou plutôt de suite, corrompent leur intention, vicient la tige, changent leur résolution, ils s'attachent à ces positions qu'ils avaient acceptées contre leur gré, ils désirent commander plutôt que se rendre utiles, ils s'adonnent aux festins délicieux et recherchés, visant à satisfaire la volupté du ventre, plutôt qu'au soin de la santé ou qu'à l'accomplissement de la volonté divine. Assez souvent même, dit-on, ils ramassent, non en vue des besoins de leurs enfants spirituels, mais pour faire des largesses superflues à leurs neveux et à leurs amis. O plaise au ciel que je me trompe, Seigneur Jésus, plaise au ciel que je sois dans ferreur, et que, me faisant seul illusion, tous persévèrent dans la droite et véritable voie.

72. Pour ce qui vous concerne, ô vierges de Jésus-Christ, je crois que la vertu d'humilité que nous recommandons fréquemment à votre charité suffit en très-grande partie à vous donner cette rectitude d'intention. Vous trouvant élevées à une hauteur si considérable de charité, Satan votre adversaire cherche à vous en faire tomber. Il nous crie souvent, bien plus, sans cesse il nous fait entendre cette parole : « Baisse-toi, pour que nous passions. » Qu'est-ce à dire : baisse-toi ? Fléchis vers les choses de la terre ton intention que tu as érigée vers les biens du ciel, afin qu'une voie s'ouvre un passage pour nous et que nous te foulions aux pieds. Ne consentez pas à cette instance de votre ennemi, ô âme chaste, ô vierge du Christ, amie de votre Époux, épouse de votre ami; ne consentez point, ne vous abaissez pas, cela veut dire ne cherchez rien de terrestre, ni les louanges humaines, ni les honneurs, ni les richesses d'ici-bas; car si vous inclinez votre âme vers ces biens, par vous passera cet esprit menteur; il vous foulera aux pieds, il vous écrasera et vous brisera; il placera sur votre cou son joug insupportable, si vous rejetez le joug de Jésus-Christ, joug suave et léger. O combien sont-ils insensés ceux qui courbent de la sorte la rectitude de leur intention ; qui reçoivent, comme cavalier, Satan, cet esprit très-pervers et très-dangereux, en rejetant le premier, le très-beau et très-bon guide, le Seigneur Jésus, dont le joug, ainsi qu'il nous l'assure lui-même, est très-suave et le fardeau très-léger.

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CHAPITRE XXII. De la force de la tige, ou de la constance du bon propos.

73. La force de la tige produit cette vertu qui s'appelle force. Dans le sens que nous lui donnons ici, la force est une vertu soutenant les assauts de toutes les tentations, non-seulement de celles qui sont tristes, mais aussi de celles qui sont agréables. Elle convient fort bien à la tige de notre lis, au bon propos de l'action sainte et surtout au vœu de virginité. Par cette raison que plus ce vœu est louable, plus le démon emploie de ruses et de forces pour empêcher de bien achever ce qu'il n'a pu empêcher de commencer. On a réellement besoin d'une telle tige qui soit en état de résister an poids. Les fâcheuses atteintes que reçoit le bon propos viennent de la paresse spirituelle; les élus en sont quelquefois désarmés à un tel point, comme nous l'avons dit plus haut, qu'ils ne peuvent ni lire ni méditer, ni rien faire autre des œuvres qui sont le soutien de l'âme ; c'est par l'oraison, la lecture, la méditation ou même par l'occupation extérieure du corps, que les forces de l'âme se réparent, se conservent et s'augmentent; que si elles viennent à cesser, il faut que l'âme languisse et qu'un froid mortel la gagne; et aussitôt la luxure se présente, elle réclame une place dans ce cœur refroidi et lui fait sentir la déplorable chaleur de ses feux impurs. Sous les yeux de notre lis, le Christ vierge, il faut sans relâche prier, lire, méditer, ou se livrer à quelque occupation extérieure, pour

éviter que la tige de la bonne résolution ne vienne à se corrompre. Ainsi que l'enseigne le bienheureux Augustin, ces pratiques, si on les observe avec discrétion, afin qu'elles ne dérangent pas la santé du corps, se changent en délices pour l'âme.

74. La chaleur qui corrompt la tige du bon propos, c'est la prospérité du siècle . on ne saurait croire le nombre d'embûches que les ennemis y ont cachées. Nous trouvons beaucoup de personnes qui résistent à l'adversité, parce qu'on y voit manifestement une épreuve. Le corps est en santé ; les chagrins qui émeuvent l'âme et les tentations font silence : que reste-t-il, sinon la sécurité ? Prenez garde, prenez garde malheur à cette tranquillité, malheur à cette paix dont la Vérité elle-même a dit : « Quand le fort armé garde son logis, tout ce qui lui appartient est en paix (Luc. XI, 21). » Redoutez donc que lorsque tout est tranquille et en repos, Satan, le fort armé, ne vous possède sans résistance. Ne dites point en vous-même ce que dit ce riche dont le champ fertile produisit des fruits en abondance : « Mon âme, tu as des provisions pour plusieurs années, mange, bois, fais des banquets (Luc. II, 19). » Parce que lorsqu'ils diront, paix et sécurité, soudain la mort fondra sur eux et ils ne pourront échapper (I Thessal. V, 3). Pour vous, si vous voulez avoir la véritable paix et la tranquillité réelle, veillez à n'être pas en sécurité, sachant que rien ne vous est plus à craindre que la paix actuelle, qui engendre, sans nul doute, la crainte éternelle. Vous n'êtes pas meilleur, en effet, que tous les saints qui ont été éprouvés et améliorés par les tentations. Qui est plus juste que le bienheureux Job, à qui le Seigneur lui-même rend ce témoignage qu'il était « un homme simple et droit et craignant Dieu, s'éloignant du mal, et qui n'avait pas son semblable sur la terre (Job. I. 1) ? » Voyez une conduite pareille tenue par rapport à tous ceux qui ont craint le Seigneur, las apôtres, les martyrs : tous ces saints personnages, combien ont-ils soufferts de tourments pour arriver en sûreté à la palme du royaume, ils sont devenus forts dans la guerre et non dans la prospérité (Hebr. XI, 34).

75. Les tempêtes qui tourmentent la tige de notre lis, ce sont les adversités manifestes: l'unique remède qu'il y faut employer, c'est de recourir à l'excellent médecin, à ce chef qui ne fait pas égarer, à ce roi qui relève ses sujets, à cet athlète invincible combattant et triomphant dans les siens et pour les siens, et trouvant de là sujet de couronner leurs succès, le Seigneur Jésus. Que cherchez-vous qui ne se trouve pas en lui? Si vous êtes malade, il est médecin; si vous vous égarez, il est votre guide; si vous êtes désolé, il est roi; si vous Ales attaqué, il est lutteur; si vous avez soif, il est breuvage; si vous êtes transi, il est vêtement; si vous êtes attristé, il est la joie; si vous êtes dans les ténèbres, il est la lumière; si vous êtes orphelin, il est père. Il est époux, il est ami, il est père, souverain, très-parfait, très-miséricordieux, très-fort, très-beau, très-sage; il gouverne tout sans tin. Mais pourquoi se fatiguer à expliquer ceci d’avantage ? Tout ce que vous pouvez et devez vouloir, le Seigneur Jésus-Christ est tout cela : désirez-le, recherchez-le. Voilà la seule véritable pierre précieuse pour l'acquisition de laquelle il faut vendre tout ce que vous avez. Après l'avoir obtenue, vous ne craindrez aucune tempête. Qu'il soit le terme vers lequel se dirige votre intention ; qu'en lui soit votre valeur, et non dais vos propres forces, et vous ne serez nullement ébranlé, parce qu'il est seul le très-vrai et très-bon consolateur dans l'adversité et dans l'oppression.

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CHAPITRE XXIII. Des vers qui rongent la tige, c'est-à-dire des mauvaises suggestions qui corrompent la borane résolution.

76. Les vers qui corrompent la tige de la bonne résolution sont les tentations intérieures qui, d'autant plus voisines qu'elles sont plus familières, souvent sous prétexte de bien, corrompent le- saint projet qu'on a formé. Voici un homme qui de la racine de la bonne pensée a fait germer la tige du bon propos. Il se décide à quitter tout ce qui est du monde pour suivre nu le Christ nu : mais au dedans naît le ver d'une mauvaise inspiration qui lui dit : ta sœur est sans dot, ta mère est pauvre; peut-être il y a des frères ou des enfants ou d'autres amis gênés dans leurs affaires, qui dépendent de toi seul, qui n'ont d'espoir qu'en toi: si tu les abandonnes, ou bien ils iront mendier, à la honte de ta famille, ou bien ils enlèveront furtivement ou par force le bien d'autrui et encourront ainsi à la fois la mort du corps et celle de l'âme. Si pouvant leur venir en aide en gardant le bien que tu possèdes, tu sembles les abandonner à un péril certain, et avoir fermé tes entrailles sur leur sort pitoyable, comment la charité de Dieu est-elle en toi? Donc pour rester dans la charité, demeure en eux : parce que sans la charité, quoi que tu fasses, rien ne te serviras. Que si même sans cette vertu, tu devais avoir quelque avantage, il serait bien plus parfait de conserver plusieurs, personnes avec toi que de te sauver seul. Y a-t-il quelque part un ordre du Seigneur que tous absolument abandonnent le monde ? C'est surtout par les œuvres de miséricorde que les élus et les âmes sauvées, au jour du jugement dernier, seront recommandés. Pourquoi cherches-tu donc hors du monde ce que tu peux avoir dans le monde avec plus de sécurité et d'une manière préférable? A ces vers s'en joignent d'autres aussi dangereux, c'est-à-dire la difficulté que présentent les règles de la vie cloîtrée et la pensée que si la position est plus haute, la chute est plus grande ; le peu de nourriture, les jeûnes, les veilles, un travail intolérable, sans repos, les lits durs, la continuité de la fatigue, et par dessus tout le renoncement à la volonté propre, avec le danger des faux frères et la dureté des supérieurs. Il faut absolument résister à ces vers, il faut rigoureusement les faire périr sous le coup des raisons fournies par la Sainte-Écriture.

77. Le ver qui persuade d'une façon si peu réglée la charité et la compassion de la miséricorde, il faut le faire mourir dans le parfum de cette sentence du Seigneur : « Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père, et sa mère, et son épouse, et ses enfants, et ses frères, et ses sœurs, et aussi encore son âme, n'est pas digue de moi (Luc. XIV, 26). » Comment il faut les aimer et comment il faut les haïr? nous l'apprenons par les vaches qui traînaient le chariot avec l'arche du Seigneur. Leurs veaux étaient renfermés dans l'étable et elles, portant l'arche, marchaient droit vers Bethsamès ; entendant les gémissements de leurs veaux, elles mugirent en signes de tendresse naturelle, néanmoins elles ne cessèrent point de poursuivre la route qu'elles avaient entreprise (I Reg. VI, 12). Pour vous, si déjà vous portez, soit en vertu d'une résolution secrète, soit par une profession solennelle et déclarée, le joug du Seigneur, c'est-à-dire une règle quelconque établie par nos pères dans le Saint-Esprit : si les suggestions des vers dont nous venons de parler commencent à vous attaquer, imitez les vaches des étrangers portant l'arche du Seigneur: mugissez, c'est-à-dire donnez un signe d'affection, compatissez, consolez ceux qui vous sont unis par les liens d'une tendresse naturelle : marchez toujours néanmoins dans la route entreprise, poursuivez l'exécution de votre bon propos, dirigez vos pas vers Bethsamès, vers « la maison du soleil, » c'est-à-dire vers la céleste patrie, là où est le souverain et spirituel séjour de notre soleil, le Seigneur Jésus, soleil de justice qui, en ce palais, brille de toute sa force, habitant une lumière inaccessible. C'est ainsi qu'il faut haïr les amis, pour conserver envers eux le sentiment de l'amitié . c'est de la sorte qu'il les faut aimer, de manière à ne jamais placer l'amour que nous ressentons pour eux au dessus de l'amour que nous devons avoir pour Dieu : bien plus, nous ne devons pas mettre au dessus de son amour l'intérêt de notre âme; mais il faut la haïr en l'affligeant par les jeûnes, les veilles et les châtiments, pour lui apprendre à obéir aux préceptes du Seigneur. Et ceux dont nous pourrions soulager le séjour en demeurant dans le siècle, nous les confierons à la garde de celui qui est le roi des rois, et riche envers tous ceux qui l'invoquent, le priant de diriger leur sort de la manière qu'il saura être expédiente pour leur salut.

78. Les vers qui s'attachent à l'austérité de la vie seront bientôt détruits, si nous prenons soin d'oindre notre esprit de myrrhe, c'est-à-dire de l'amertume de la passion du Seigneur : à côté d'elle, tout ce que nous pourrons souffrir ne sera que peu ou même ne sera rien. Ces vers s'attachent surtout au dessein de garder la virginité, parce que Béelzébub, le maître de ces vers, qui, à l'origine du monde, trompa si facilement Eve vierge, souffre avec beaucoup de peine d'être maintenant surmonté tant de fois par des vierges de l'un et l'autre sexe. Voyez donc, et regardez à l'avance, et méfiez-vous des vers qui vous tendent des embûches, ô vierge de Jésus-Christ. Lorsque parfois vous pensez être déjà arrivée à la stature parfaite du chaste lis, ou bien que vous y parviendrez facilement, écartez et secouez loin de vous les vers de ces pensées nuisibles qui menacent à la fois la racine et la tige de votre lis, et qui voua disent dans leurs suggestions dangereuses : Que fais-tu ? jusqu'où t'abaisseras-tu? veux-tu détruire la fleur de ta jeunesse ? n'éprouveras-tu pas la douceur de l'union conjugale? tu n'auras donc pas des fils chéris, des filles de consolation que tu laisseras après toi ? tu seras privé du service des ministres fidèles? tu rentres dans une route insensée, imite tes parents qui t'ont donné le jour. Engendre, toi aussi, des enfants, et, selon l'institution du Seigneur, jouis du mariage, car il n'a pas donné de préceptes concernant les vierges.

79. Ce sont là des vers insidieux, ô vierge du Christ, il faut leur cracher dessus. Si vous prenez soin d'échapper à leur attente, regardez avec plus d'attention ce qu'est Jésus-Christ ? ô âme virginale : est-il vierge ou marié, celui-là qui il a confié la vierge sa mère, le disciple qu'il a aimé d'une façon plus intime ? Pourquoi beaucoup de détails ? Le Christ Jésus, né d'une vierge, est vierge, il a recommandé sa mère à un disciple très-pur, c'est-à-dire au bienheureux Jean, qu'une prérogative spéciale de chasteté avait rendu digne d'un amour plus grand. C'est ce Jésus , c'est cet époux que vous devez suivre plutôt que vos parents, si vous voulez conserver la fleur juvénile de votre âme à l'abri de la caducité et de la flétrissure. Car la virginité ne passera jamais. Si même vous voulez parler de la fleur de corps, n'est-ce pas que les vierges ont plus de fraîcheur dans l'âme et dans le corps tout à la fois que ceux qui ne le sont pas? Oui, ceux qui sont purs fleurissent vraiment soit dans la chair soit dans l'esprit, lis singuliers d'un lis incomparable, gui, comme je l'espère, en cette vie mortelle, répand sur ces lis plus abondamment que sur les autres plantes l'étendue de sa suavité, parce qu'il a mieux exprimé en eux la ressemblance qui les rend conformes à lui. Car, où que le Christ aille, le vierges le suivent, et elles deviennent fécondes, conservant de son esprit la bonne résolution et produisant les bonnes couvres qui ne périssent pas : tandis que la génération terrestre se fait dans le péché, fait enfanter dans la. tristesse, nourrir dans l'anxiété, et quitter ou abandonner avec douleur la vie qu'elle a donnée. Ainsi ne seront pas vos enfants, ô vierge du Christ. Jamais ils ne mourront, jamais ils ne se perdront, toujours ils vous suivront; soit que vous viviez, soit que vous mouriez, ils vous protégeront et vous accompagneront dans lit vie éternelle. Les enfants de celle qui est abandonnée, c'est-à-dire de la vierge du Christ qui paraît abandonnée à cette heure, sont plus nombreux et sont meilleurs que les fils de celle qui a un mari selon la chair. Si vous réunissez souvent en votre esprit ces pensées ou autres semblables, sans aucun doute les vers des suggestions mauvaises périront, et ils ne parviendront, en aucune manière, à corrompre la tige de votre bonne résolution avec l'assistance de votre époux qui vous protégera.

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CHAPITRE XXIV. De la longueur de la tige ou de la vertu de longanimité, et de la persévérance dans la bonne résolution.

80. La longueur de la tige du lis qui se dresse en l'air désigne la longanimité, vertu qui est souverainement nécessaire à ceux qui veulent persévérer. Mais comme nous avons déjà parlé au long de cette vertu plus haut, en traitant de la sixième feuille, nous n'en dirons ici que peu de mots. Cette vertu paraît devoir être recommandée grandement aux vierges, surtout aux femmes, dont la faiblesse et la débilité de l'âme et du corps est naturellement. opposée à la longanimité on à la persévérance. Mais béni soit le Seigneur qui aujourd'hui choisit ce qu'il y a de faible dans le monde pour confondre ce qui est fort, et qui se donne lui-même pour défenseur aux vierges très-tendres, pour briser la tête au premier et terrible corrupteur, je veux dire, le serpent ancien qui tend des pièges aux humbles vierges du Christ. Quel homme, si son esprit est sain, ne tressaillerait en voyant notre époque couronnée des lis de tant de vierges, qui luttent vigoureusement contre la fureur du dragon infernal, non par leurs propres forces, mais par celles de leur époux, et qui méritent la couronne du triomphe ?

81. Je me réjouis extrêmement de ce que les lis se trouvent et dans las bourgs et dans les villes et dans les cloîtres; et comme beaucoup de contrées désertes et inaccessibles sont remplies de demeures de vierges, on peut dire en vérité que les champs du désert fleurissent et répandent, par leurs fleurs, la sainte odeur du Seigneur. Ces tendres tiges s'élèvent du désert, remplies des délices des vertus, s'appuyant, non sur elles, mais sur leur bien-aimé, attendant avec patience l'arrivée de l'époux : afin que lorsque le cri sera poussé de préparer leurs lampes et d'entrer avec lui aux noces éternelles, en ce banquet sacré où la joie et l'allégresse seront enlacées sur leurs tètes et ou notre Dieu leur donnera en héritage un nom éternel. Vous donc, ô vierge du Christ, ne défaillez pas en attendant sa ventre. Il viendra bien vite cet époux; s'il diffère de se présenter, c'est pour récompenser votre attente avec vos autres bonnes œuvres. Je sais, bien que je n'en aie point fait l'expérience, combien vous gémissez, combien vous souffrez dans la couche très-pure de votre cœur. Ne défaillez point dans voire bonne résolution, afin de parvenir à la consommation de vos bonnes œuvres, et à la persévérance filiale qui vous fera mériter la couronne éternelle.

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CHAPITRE XXV. Des feuilles qui sont autour de la tige, c'est-à-dire les paroles pieuses et fructueuses des vierges.

82. Examinons à cette heure les feuilles qui entourent la tige. Comme nous l'avons dit en parlant des feuilles de la vigne, les feuilles représentent les paroles. Il est à remarquer que celles d'en bas sont toujours vertes et. que celles qui sont près du sol sont plus grandes et plus nombreuses que celles de la partie supérieure; et que, placées sous les apostumes, elles les fout ouvrir et les adoucissent. Les paroles des vierges doivent être semblables à ces feuilles. La verdeur des fleurs signifie la vertu des paroles : c'est-à-dire, il faut que la bouche de la vierge de Jésus-Christ ne profère aucune parole qui ne renferme aucun élément de vertu. Il faut ici que soient retranchés les propos honteux, bouffons, les paroles de plaisanteries, de luxure, d'orgueil, de colère, de détraction, d'adulation, et même les paroles superflues. Une parole superflue ou oisive est une feuille sèche, mais une feuille sèche n'est pas une feuille de lis. Si donc vous voulez être un lis, proférez des paroles de vertu, de ces feuilles vertes dont il est écrit : « sa feuille ne tombera jamais »( Psalm. I. 3. ) Voulez-vous voir qu'une parole oiseuse est une feuille sèche? écoutez la vérité mène, le Seigneur Jésus : « Toute parole oiseuse que les hommes auront proférée, ils en rendront compte au jour dit jugement ( Matth. XII. 36.) » O quelle terreur! Le juge très-sage qui compte tonies les gouttes de pluie, qui discerne toutes les pensées de tons les hommes, depuis Adam, le premier, jusqu'au dernier qui existera à la fin des temps, veut qu'on rende compte de toutes les paroles oiseuses lorsqu'il viendra siéger sur le trône de la majesté de son jugement où ce ne sera plus la miséricorde mais la justice que l'on chantera au Seigneur. Que ferons-nous alors, misérables et malheureux ? Vous êtes très-sage, Seigneur, on ne peut vous tromper : vous êtes très-juste, on ne peut vous corrompre. Le temps de la commisération sera alors passé, parce que vous jugez l'univers dans l'équité : vous jugerez les peuples selon la justice après leur avoir, une première fois, fait grâce et leur avoir pardonné. Que dirai-je donc ? Ayez pitié de moi, je vous en conjure, tant que dure le temps de la bonté, afin que vous ne me jugiez pas au jour de la rigueur. Placez une garde à ma bouche, et autour de mes lèvres un mur de circonspection, afin que j'évite non-seulement les paroles mauvaises et honteuses, mais encore celles qui sont oiseuses, pour qu'il ne m'en faille point rendre compte au jugement, alors qu'il faudra répondre des feuilles bonnes et vertes et de plus de celles qui sont mauvaises et sèches.

83. Mais qu'est-ce qu'une parole oiseuse ? Au témoignage du pape saint Grégoire, c'est une parole dite sans une juste nécessité ou sans motif de pieuse utilité. Tout ce que vous proférez sans avoir la pensée d'être utile à quelqu'un est oiseux. Qui peut rendre compte de toutes ces paroles ? Que tout homme modère donc sa langue, conseil qui s'adresse surtout aux vierges de Jésus-Christ: qu'elles sachent quand il faut parler et ce qu'il faut dire. Il ne convient pas, en effet, que de la bouche qui chantera à l'époux le cantique nouveau, il sorte quelque parole qui soit en désaccord avec ce cantique. Qu'est-ce donc que le cantique nouveau? Le cantique de la charité. Pourquoi est-il nouveau ? Parce que dès le commencement du monde, les premières créatures chantèrent un cantique vieux,opposé à la charité. Voulez-vous le connaître ? Sur le point de tomber, l'ange chanta le cantique de l'orgueil dans le ciel : « Je placerai mon siège à l'Aquilon et je serai semblable au Très-Haut. (Isa. XIV. 13. ) Il chanta ensuite dans le paradis le cantique de la détraction, lorsqu'il dit à la femme en s'approchant: « Pourquoi Dieu vous a-t-il défendu de manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal? » (Gen. III. 1.) Comme s'il disait : C'est pour un motif mauvais qu'il a fait cette défense. La femme chanta le cantique du doute, disant : « N'en mangeons point, de peur que peut-être nous ne mourions. (Ibid.) «Peut-être,» que de maux tu as attirés sur nous! Le démon voyant la femme dans le doute, se met à chanter le cantique du mensonge : « Nullement, vous ne mourrez pas. » O méchant, où est maintenant ton « nullement? » Les voilà morts et morts d'une double mort, ceux à qui tu affirmais qu'ils ne mourraient nullement. « Nullement, vous ne mourrez pas. » Tel est le cantique vieux et mauvais, contraire à la vérité. Car Dieu avait dit : «Le jour où vous mangerez de ce fruit, vous mourrez de mort, » c'est-à-dire de la mort de l'âme ; ou, comme d'autres l'expliquent, « vous mourrez, » c'est-à-dire vous deviendrez mortels, vous serez dans la nécessité de mourir, vous qui présentement pouvez; ne pas mourir. Si nos premiers parents avaient persévéré dans l'obéissance, ils ne seraient pas morts. Adam chanta aussi le cantique de l'excuse dans sou péché, lorsqu'il dit : « La femme que vous m'avez donnée pour compagne, m'en a donné et j'en ai mangé. » Comme s'il disait : c'est bien plutôt vous qui seriez à accuser de m'avoir donné une belle femme qui m'engageât à pécher.

84. Mes amis, ces cantiques sont vieux, cantique de l'orgueil, cantique de la détraction, cantique du doute, cantique du mensonge et cantique d'excuse. O vierges du Christ, il faut éviter à tout prix de les proférer, si vous voulez chanter un cantique nouveau. Vous n'ouvrirez pas même les oreilles à ces chants, vous qui désirez ouïr plus spécialement et plus familièrement la voix de Jésus-Christ. Le serpent ennemi vit encore, et, sous un dehors de vierge, c'est-à-dire, sous prétexte d'une bonne conversation, il distille les venins de sa malignité. Il chante encore, dans le cœur de ceux qui l'écoutent, le cantique de l'orgueil, lorsqu'il leur suggère secrètement d'aspirer, à cause de leur noblesse, ou de leur science ou de leur sainteté, aux dignités et aux prélatures. C’est ainsi qu'il fut trompé lui-même : se voyant placé au-dessus du choeur des autres anges par l'éclat de sa beauté, par sa sagesse et ses vertus, il se mit à entonner le chant de l'orgueil qui le fit tomber; et il entraîne dans sa chute tous ceux qui osent chanter avec lui le même cantique.

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CHAPITRE XXVI. Du nouveau cantique que les vierges doivent, chanter.

85. Ce n'est point ainsi que chanta la mère du Christ, celle qui redit le cantique nouveau, le véritable lis vraiment entouré de fleurs verdoyantes. Voulez-vous voir ses feuilles? Elevée, et plus qu'il n'est possible de le dire ou de le penser, mise au dessus de tout le monde et de tous les cieux, elle ne s'élève pas au dessus d'elle, mais elle chante le cantique de l'humilité, qui est aussi le cantique de la charité, parce que la charité ne s'enfle pas. Il tira de son cœur saintement enivré une parole bonne et suave, le cantique nouveau que doivent redire les vierges après elle. Et que dit-elle? « Mon âme glorifie le Seigneur (Luc. I, 46) ? » Voyez combien ce cantique est opposé à celui que chantait l'ange au bord de 1 abîme. L'un débuta très-haut, aussi il ne descendit pas, mais il tomba dans les gouffres profonds. Marie commence par ce qui est bas, pour s'élever à ce qui est en haut. Elle glorifie le Seigneur, elle ne se glorifie pas elle-même, bien qu'elle soit exaltée d'une façon incomparable, observant ce qui est écrit; « Plus vous êtes grand, plus humiliez-vous en toutes choses. » Aussi, mérite-t-elle d'être placée au dessus des choeurs de tous les anges. Satan s'éleva au dessus du Seigneur, aussi fut-il justement précipité au dessous de tout ce qui existe. L'esprit de l'humble Vierge Marie tressaillit en Jésus son Seigneur, aussi elle reçut avec plus d'abondance que ses compagnes l'onction de l'huile de la joie. L'ange insensé s'exalta en lui-même; aussi fut-il justement condamné à un deuil perpétuel. Marie se glorifie de ce que son humilité a été regardée, aussi aura-t-elle une récompense dans le jugement qui sera fait des saintes âmes: l'ange se glorifiait dans l'éclat de sa force, aussi a-t-il encouru le châtiment d'un mépris éternel.

86. Vous donc, ô vierges de Jésus-Christ, soyez verdoyantes dans vos feuilles, dans les paroles de charité, d'humilité et de patience. Suivez le lis incomparable, marchez à la suite de la mère du souverain lis, du bon Jésus. glorifiant celui-là qui seul est grand, en lui, et par lui et avec lui méritez d'être exaltées. Faites attention à éviter le cantique « de la détraction » commencé dans le paradis, cantique vieux et conduisant à la vieillesse du péché. Et considérez combien il est opposé en toute manière au cantique nouveau de la charité : car, nécessairement, on n'aime point, celui dont on dit du mal. Cette vertu n'a pas coutume de murmurer et de mordre, mais bien plutôt elle excuse les péchés des autres : ou bien si, par cas, il est nécessaire de les réprimander, elle le fait non dans un esprit de malice, mais n'ayant en vue que la correction du prochain. Prenez garde aussi au cantique « du doute : » n'éprouvez pas de défiance à l'égard de la miséricorde du Seigneur; mais avec une sainte hardiesse, jetez en lui toute votre inquiétude, parce qu'il a soin de vous. Il n'est pas cruel, il ne vous laissera pas tomber, si, comme il vous y engage, vous vous jetez sur son sein paternel, car il sait que pour son amour vous vous êtes volontairement privé de toute consolation terrestre; pour ne point tomber dans le vice de la présomption, ne mettez pas en doute les châtiments qui seront infligés aux méchants selon leurs démérites; pour ne pas vous perdre dans le désespoir si dangereux, tenez pou très-certaines les récompenses qui seront destinées aux justes. Veillez aussi à ce que le cantique « du mensonge » ne sorte jamais de votre b niche, il vous ferait dédaigner de louer spirituellement votre époux qui est vérité. La bouche de la vierge perd sa virginité toutes les fois que, sciemment et dans un esprit de malice, elle profère des mensonges contre la vérité. Prenez aussi soin d'éviter le cantique de « l'excuse » dans le péché, ayant toujours dans l'esprit le témoignage rendu par l'Apôtre vierge, saint Jean, à la vérité : « Mes enfants, dit-il, si nous disons que nous n'avons point de péchés, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous. Que si nous confessons nos péchés, Dieu est fidèle et juste; c'est lui qui nous remet nos péchés et nous purifie de toute iniquité (I Joan. I, 8). » Que personne donc ne pense être sans péché; que nul, s'il connaît ses manquements, ne cherche à s'excuser, ainsi que le font certains insensés qui répètent aujourd'hui la parole d'Adam et disent : La femme que Dieu m'a donnée, m'a séduit. Pourquoi le Seigneur a-t-il attaché à moi cette belle compagne qui me trompe ? Cette femme qui séduit l'homme, c'est la chair, entraînant notre esprit à consentir au péché; c'est à cause d'elle que chaque jour des esprits mat éclairés accusent Dieu, se roulent dans les fautes, et disent qu'ils ne peuvent résister aux attraits de la chair qu’ils ont reçue de lui. C'est un crime extrêmement grand d'accuser le Seigneur très-bon qui a fait. pour vous des créatures si parfaites : et qui a comblé de ses dons l'homme par dessus tous les autres êtres de la création. Le Dieu bon vous a fait bon sans nul doute, lui qui a tout fait bon et fort bon pour vous, il ne serait pas bon s'il vous avait mal fait, vous pour qui il a tout fait, et fait tout fort bon. Le Seigneur vous a fait doux, bon et très-bon. Et bon vous-même, vous vous rendez véritablement mauvais. Si vous détruisez en vous ce que vous faites vous-même, vous vous trouverez très-bon parmi les créatures a qui il a donné l’être. D’abord il vous a fait selon lui, et par la suite il a été fait selon vous. Le premier, il vous a fait à son image et ressemblance, et ensuite il s'est fait homme pour être semblable à vous. Car « le Verbe s'est fait chair. » Louez donc Dieu qui vous a fait selon lui. Aimons-le, car pour nous il s'est fait selon nous. Prions-le de daigner réformer miséricordieusement en nous son image, si en quelque partie elle a été déformée en notre âme, et de vouloir bien aussi conserver sans souillure notre corps, cette chair qu'il a prise à un ange de notre nature. Et produisons des feuilles verdoyantes, c'est-à-dire des paroles contenant des vertus, si nous voulons être des lis qui ne redisent pas les paroles des cantiques anciens, mais des paroles qui conviennent an cantique nouveau, c'est-à-dire à la charité, à l'espérance, à l'humilité et aux autres vertus.

87. Produisons des feuilles (ce qui s'adresse surtout à vous, ô vierges du Christ, dont le nom tire son origine du mot qui exprime la verdeur), produisons des feuilles verdoyantes, et qui, placées sur les abcès, les fassent ouvrir, las adoucissent et les guérissent en attirant au dehors la mauvaise humeur : c'est ce qui a lieu toutes les fois que, par des paroles douces et conformes à la vérité, nous attirons l'impudique à la chasteté, l'orgueilleux à l'humilité, le colère à la douceur, l'avare à la générosité, le gourmand à la sobriété, l'envieux à la charité, le paresseux à la promptitude. Ces vices attaquent l'âme comme des ulcères, ils renferment en eux le poison de l'impureté et de la mauvaise habitude. Comme, dans le Traité des feuilles de la vigne, nous nous rappelons avoir donné un exemple de chacun d'eux, nous croyons, pour abréger, devoir les passer sous silence. Nous nous bornons à dire, que chacun doit examiner de quel vice il est attaqué, afin d'y appliquer, selon la grandeur et la qualité du mal, le remède de la parole, comme il a été dit plus haut. Car il faut savoir qu'il ne faut pas toujours garder le silence, bien qu'on doive s'y appliquer avec grand soin : mais parfois nous devons fermer la porte de notre bouche, et parfois l'ouvrir, et nous attacher à taire le mal sans taire avec lui ce qui est bon et utile. C'est ce que donne à entendre le Prophète lorsqu'il disait dans sa prière

« Seigneur, mettez une garde à ma bouche et entourez mes lèvres d'une haie de circonspection (Psalm. CXL. 3) ». La porte de la maison n'est pas toujours ouverte ni toujours fermée; mais en la demeure du sage, elle est ouverte aux sages pour laisser passer les messagers ; elle est fermée pour retenir au-dehors les insensés. De même notre bouche, qui est la porte de notre cœur, ouverture par laquelle les paroles sortent comme des émissaires, annonçant ce qui se passe à l'intérieur dans le cœur, doit être ouverte durant un temps, et proférer des paroles prudentes et utiles; mais elle doit être constamment fermée aux paroles perverses qui s'élèvent des mouvements du cœur. Il y a en effet un temps de parler, et un temps de se taire. Celui qui retient la parole dans le temps opportun n'est pas moins coupable que celui qui scandalise les autres par des paroles mauvaises. Qui néglige d'administrer à son prochain les paroles qui lui ont été confiées pour le bien des âmes paraît trop avare et trop jaloux. Quand pensez-vous qu'il donnera aux pauvres de ses propres richesses qui se diminuent en se divisant, lui qui ne lui distribue pas les paroles qui ne diminuent jamais ? Que le Seigneur place donc une garde à notre bouche, afin que nous sachions quand et comment nous devons parler ; et une porte de circonspection à nos lèvres, pour que non-seulement elle s'ouvre, mais encore qu'elle se ferme dans le temps voulu, et pour que nous ne péchions ni en parlant ni en gardant silence. Et enfin, fasse le ciel que, mises sur les abcès des âmes infirmes, nos paroles, comme les feuilles des lis, avec l'aide du Seigneur, en ôtent l'humeur mauvaise des vices, et y insèrent la vigueur des vertus.

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CHAPITRE XXVII. Des feuilles inférieures du lis, ou de l'abondance et de la rareté des paroles.

88. Que veut dire ce détail : près de terre, les feuilles des lis sont plus grandes et plus abondantes, dans le haut de la tige, elles sont rares et plus petites: sinon que les justes, et surtout les vierges, plus ils s'approchent du faîte des vertus, laissant en bas les pensées et les cupidités terrestres, doivent être plus réglés et plus sobres dans leurs paroles? La diminution des feuilles dans la partie supérieure indique la discipline à observer dans le parler: parce que ceux qui sont bien réglés affaiblissent leurs paroles et leur font subir une sorte de circoncision, pour qu'on n'y puisse rien trouver de contraire à la pudeur ou à la discipline, tandis que ceux qui sont sans retenue et sans vergogne profèrent des paroles sans honnêteté, enflées et dans leur crudité naturelle. Par la rareté des feuilles on entend avec raison la sobriété dans les propos; les saintes âmes s'y appliquent d'autant plus qu'elles sont plus attachées à la culture des vertus. Aussi nous lisons d'un père qui voulait apprendre et pratiquer la retenue de la langue, que, durant trois ans, il portait un caillou dans la bouche ; on dit d'un autre que, durant trente ans, il ne prononça pas un seul mot. Nous voyons plusieurs personnes, au commencement de leurs bonnes résolutions et comme encore voisines de la terre, influencées encore par leur habitude première, ne pouvoir observer ni la modestie ni la sobriété dans leur conversation : leurs paroles sont désagréables par les feuilles qui sont au bas de la tige du lis; mais par le laps du temps et avec l'aide de la grâce, ces mêmes personnes règlent leurs discours selon leur progrès et s'adonnent au silence de manière à éviter non-seulement les propos pervers, mais encore ceux qui sont oiseux.

89. A quel état conviennent mieux la règle et la sobriété des paroles qu'à la profession des vierges de Jésus-Christ? Car, s'il est commandé à tout chrétien, que ni les paroles honteuses, ni la bouffonnerie ne sortent de leur bouche, mais bien plutôt l'action de grâces (Eph. V, 4), à combien plus forte raison la vierge, consacrant au Seigneur sa pudeur, doit s'abstenir en tout temps de ces excès? Qui n'a donné aucune atteinte à sa pureté doit rendre à Dieu des actions de grâces d'autant plus grandes qu'il a reçu une grâce plus considérable. Être bien vierge, c'est un souverain bien, une grâce souveraine, parce que, seules, les âmes virginales suivent l'agneau partout où il ira (Apoc. XIV. 4). Combien aussi le cœur pur doit éviter la multiplicité des paroles ! qui ne le voit, car toute loquacité est un indice d'impureté qui ne peut naturellement exister avec la pureté virginale. Que les vierges pudiques s'appliquent donc, avec un très-grand soin, à éviter le péché de bavardage, si elles veulent conserver leur vertu. Car, il est manifeste. que dans la multiplicité des paroles se rencontrera le péché (Prov. X. 18), mais, peu-à-peu, des paroles oisives, on en vient aux détractions, jusqu'à ce qu'on en vienne aux insultes manifestes. L'apôtre saint Jacques blâme en ces termes la loquacité : « Si quelqu'un se croit religieux, ne bridant pas sa langue, mais séduisant son cœur, sa religion est vaine (Jac. I. 26). Que personne donc ne se glorifie de porter l'habit religieux, s'il n'a pas encore appris à retenir sa langue. Modérez-la si vous voulez être religieux, parce que, sans cette précaution, la religion est vaine. Aussi les très-saints personnages, fondateurs des ordres religieux, et ceux qui les ont suivis, ont, avec une très-grande prudence, ainsi qu'ils l'avaient appris du Saint-Esprit, ordonné très-strictement de garder le silence : n'ignorant pas que l'homme qui ne peut, en parlant, retenir son esprit-., est comme une ville ouverte, et sans remparts qui la ferment. Et, comme le dit le Psalmiste «L'homme bavard ne sera jamais dirigé sur la terre (Psal. CXXXIX. 12).» Les hommes spirituels qui en ont fait l'expérience savent aussi combien cause de dissipation intérieure la liberté laissée constamment à la langue. Car, comme la fournaise dont l'entrée est toujours ouverte ne peut retenir la chaleur en son sein, de même le cœur ne peut garder en lui la dévotion, si son ouverture, qui est la bouche, ne se trouve fermée par le silence. Fermons donc notre bouche, afin de pouvoir conserver, dans la ferveur de notre âme et l'ordre de notre dévotion, le Christ qui nous donne le saint amour.

90. Vous surtout, ô vierges épouses de Jésus-Christ, entrez dans le sanctuaire de votre cœur, et, après avoir fermé l'ouverture de votre bouche, priez avec familiarité, avec humilité, avec larmes, avec joie, douceur et confiance, votre Époux, votre roi, votre père et votre consolateur. Répandez vos cœurs en présence de celui qui scrute toutes les âmes : entretenez-vous avec lui, vous souvenant de lui, répandez vos âmes sur vous-mêmes et, abandonnant toutes les choses corporelles, élevez-vous avec les ailes spirituelles de la charité, et passez jusqu'au lieu du tabernacle admirable, jusqu'à la maison de Dieu, séjour délicieux, où l'oreille du cœur et non celle du corps, entend la voix de l'allégresse, l'harmonie de la louange, célébrant le jour de fête : là, remplissez-vous de la consolation intérieure, afin que, lorsque l'heure de la tempête, du danger et de la tentation sera venue, vous puissiez vous souvenir de cette abondance des joies célestes, et dire. : « Mon âme, pourquoi es-tu triste et pourquoi me troubles-tu ? Espère en Dieu, parce qu'encore je célébrerai ses louanges, lui oui est le salut de mon visage et mon Dieu (Ps. XLII. 4)». Souvenez-vous de Dieu qui est un si excellent maître; souvenez-vous-en et trouvez vos délices en ce souvenir, et que l'esprit de votre chair tombe en défaillance, pour que vous soyez refaites par l'esprit, de celui qui est plus doux que le miel, et pour que vous appreniez à priser peu les entretiens extérieurs, après avoir goûté la suavité du colloque qui se fait ait dedans. O qu'il est bon et agréable, très-doux Jésus, et d'habiter et de ne faire qu'un avec vous, de s'entretenir avec vous, de vous dévoiler l'état de notre âme et de jouir de la réponse de votre consolation ! O qu'il est bon, sous la conduite de la charité, de s'approcher de vous qui résidez en une lumière inaccessible; avec elle, si elle nous conduit seule, rien ne peut être inabordable. Votre cœur, ô doux Jésus, blessé par la lance de l'amour, sait ouvrir à la charité un passage qui ne lui sera jamais fermé.

91. Approchez-vous donc avec les pieds rapides de l’amour de Jésus par Jésus, et soyez illuminés. Goûtez combien il est doux. Ceux qui en ont fait l'expérience le savent, et. ceux qui, d'un autre côté, ont goûté le don délicieux du Seigneur, qui ont été parfois introduits par notre véritable vigne dans le cellier de ses voies, savent bien aussi,, combien il est amer et triste d'être éloigné d'une contemplation si douce et d'être réduit à voir ou entendre les effets du corps. Lorsque cet excellent Jésus veut, autant que cela est possible en la vie présente, conduire à l'écart sur la montagne de la contemplation ses familiers, loin des autres disciples, se transfigurer en leur présence et apparaître à leurs yeux ravis dans l'habit blanc de sa douceur et de sa bonté, et les enivrer de la solide charité après les avoir visités auparavant par la crainte du jugement ou les attaques salutaires des tentations (parce que bien des fois le Seigneur se présente au cœur les siens le fouet à la main); lors donc, disons-nous qu'il daigne se transfigurer dans le cœur des siens et changer leur tristesse en joie : si pendant que ces douces réalités se passent, je ne sais comment, quelqu'une se présente qui réclame au dehors la présente de celui qui est ainsi émotionné, et le contraint à descendre de la montagne de cette aimable contemplation, pensez-vous que cette âme, heureuse souffrira patiemment ce désagrément extérieur et ne s'écriera pas avec saint Pierre : «Seigneur, il fait bon d'être ici (Matth. XVII. 4, 1. » Et avec saint Paul : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera. da ce corps de mort (Rom. VII. 24) ». O qu'il est amer pour les cœurs qui se sont sentis rassasiés de cette suavité intérieure, d'être contraints de revenir aux choses du dehors? Ils croient mourir, et réellement c'est une' sorte de mort que d'être arraché à la contemplation de la vie, à là contemplation de Jésus si brillant, à la contemplation de son visage éclatant comme le soleil, pour rentrer encore dans les ombres et les ténèbres, et de passer du bonheur de Marie à la vie occupée de Marthe.

92. Je le dis en un mot, tous ceux qui savent appliquer les yeux de leur âme aux contemplations intérieures et fermer leur bouche pour vaquer au colloque du dedans, non-seulement ne trouvent aucune jouissance à voir les choses du dehors ou à s'entretenir avec les autres, mais même ils en sont grandement fatigués. Quant à ceux qui, aveugles et muets au dedans, ne savent se livrer à la contemplation de Dieu et aux prières dévotes, ils cherchent un secours dans les sens extérieurs, et !`efforcent de dépenser dans des conversations inutiles un temps dont la durée leur est à charge. Vouloir être distrait par les colloques extérieurs. c'est l'indice très-assuré d'une âme oisive, qu'aucune dévotion n'attire à s'élever pour s'entretenir avec Dieu. Ils n'ont certainement pas encore atteint le sommet du lis, ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas éloigner leur langue de la multiplicité des paroles; moins on se plaît à converser avec les hommes, plus on connaît qu'on a fait de progrès dans la vertu, à moins qu'il ne s'agisse de s'entretenir avec ces hommes en qui le Seigneur parle et par la bouche desquels on entend la parole de Dieu. On les écoute, non à cause d'eux, mais à cause de bleu qui habite et parle en eux, et en causant avec eux, avec l'aide du Seigneur, souvent nous sommes délivrés de nos doutes, retirés du mal et confirmés dans les saintes résolutions. Cependant en toute chose il faut demander au ciel l'esprit de discrétion, afin qu'à sa lumière nous sachions à quel esprit nous fier, à qui il faut révéler la pensées de nos cœurs simples, de la bouche de qui découle la parole du salut, de crainte que notre simplicité ne soit trompée par les ruses du serpent astucieux qui a coutume de mêler le bien avec le mal, le faux avec le vrai, ce qui est erroné avec ce qui est juste.

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CHAPITRE XXVIII. De ce qu'il y a à contempler dans le lis, c'est-à-dire de l’éclat et de l'excellence de la véritable virginité.

93. Venons-en maintenant à contempler la fleur même du lis. Considérez ô vierge du Christ, par quelle ravissante beauté cette fleur, qui représente la fleur de votre âme, l'emporte sur toutes les autres: Voyez quelle grâce particulière il a; grâce que ne présentent point les autres plantes qui croissent sur la terre. Voyez quelle louange particulière il reçoit de la bouche de votre Epoux. « Examinez les lis, » dit-il, « Voyez comment ils croissent. Je vous le dis en vérité, Salomon lui-même, dans tout l'éclat de sa gloire, ne fut pas revêtu comme l’un d’eux (Luc. XII, 27) » Lisez donc, et en entier, et relisez souvent cette parole prononcée par votre bien-aimée, ô vierge, et comprenez combien, en louant cette fleur, il a exalté votre propre gloire. Le très-sage créateur de tous les êtres a renfermé tout l'éclat du monde sous cette petite fleur; et ce n'est pas la gloire qu'il a préférée à la fleur, c'est la fleur qu'il a mise au dessus de la gloire. On lit de Salomon, qu'il fut magnifique par ses richesses et par ses grandeurs plus que tous les rois de l'univers (III. Reg. X. 23); vous devez donc voir en lui toutes les gloires du monde. Dans la fleur du lis, qui vous représente et qui résume toutes les vierges du Christ, contemplez la gloire de la virginité. Si donc la Vérité elle-même loue la beauté de votre lis, qu'elle la préfère à toute la gloire des habits magnifiques que Salomon devait, sans nul doute, porter, conformément à l'éclat de sa majesté, de quels éloges doit être célébré le lis même de votre virginité sans tache et à l'abri de toute corruption, lorsque ce qui en est l'ombre et l'image a mérité de tels hommages de la; part du Sauveur ? Si tous: les vêtements qui exprimaient la gloire de Salomon ne peuvent être comparés à la beauté d'un petit lis grossier, quelle beauté sera comparable à votre virginité, qui est votre lis véritable et particulier lorsqu'elle s'épanouit ? Aucune, je vous le dis. Par cette raison que nul charme de la terre ne peut s'élever au dessus de l'éclat souverain de vos attraits, et que Salomon « dans toute sa pompe ne fut revêtu comme l'une de ces fleurs (Luc. XII. 27.) »

94. Ne chantez donc pas avec tristesse : « Pour l'amour de Jésus-Christ Notre-Seigneur, j'ai foulé aux pieds le royaume de ce monde et tout l'éclat de ce siècle. » Jésus-Christ vous a donné, même en cette vie présente, une beauté plus grande que toute beauté mondaine, quand il a conservé en vous le lis de la pureté, et en se le consacrant particulièrement par dessus tous les autres charmes des vertus, et en se l'attachant par une affection particulière. Vous trouverez avec plaisir cette pensée dans le cantique de l'amour; parlant à peine des autres fleurs, l'Époux y fait souvent mention du lis : «Comme le lis entre les épines, ainsi ma bien-aimée est entre les filles (Cant. II. 2). » Et encore: « Mon bien-aimé est entré dans le trésor de ses parfums pour cueillir des lis (Ibid. XI. 1). » Et derechef : « Mon bien-aimé est à moi et je suis à lui, il se repaît parmi les lis (Ibid. II. 2). » Lis digne de louange, ô amie de l'Époux : lis aimable que cueille l'Époux. Ainsi que je le pense, on ne le détache point pour qu'ensuite il se flétrisse : mais afin de le placer sur l'autel d'or qui est devant la face du Seigneur, c'est-à-dire dans le sanctuaire céleste, pour qu'il y serve d'ornement aux autres saints. C'est un lis bien délicieux que celui au sein duquel l'Époux se nourrit, non qu'il ne se délecte qu'en lui, mais parce que, à raison d'une affection plus spéciale, il y trouve une jouissance plus suave. Ce n'est pas sans raison. Dans les vierges il y a un double bien qui se trouve diminué de moitié dans les âmes qui ne le sont point. Comme toute l'Église est vierge dans l'âme, n'ayant aucune ride, ni tache, dans une foi, une espérance et une charité sans altération, à raison de quoi on l'appelle vierge, elle mérite d'être louée par son Epoux : de quels éloges pensez-vous que soient dignes nos lis qui, ici-bas, ont aussi bien dans le corps que dans l'âme ce que toute l'Eglise n'a que dans l'âme ? Les vierges de Jésus-Christ sont comme la moëlle et la graisse de l'Eglise, et par un privilège spécial qui les élève au-dessus des autres fleurs, elles se tiennent attachées avec plus de familiarité aux embrassements de l'Epoux.

95. Les vierges qui trouvent tant de jouissances dans la fleur doivent considérer avec beaucoup d'attention que cette fleur est blanche, soit au dedans, soit au dehors. Que désigne la partie extérieure, qui est blanche, sinon la pureté du corps, et celle du dedans, blanchis aussi, sinon la pureté de l'âme? Si cette fleur manquait de l'une ou de l'autre de ces blancheurs, fleur d'ignominie, elle ne serait pas un lis: de même aussi n'est pas vierge qui n'a pas la double chasteté du corps et de l'âme. Et ici je ne fais nul doute que plusieurs vierges des deux sexes, vierges morts corporellement, ne soient sauvés, qui ne mériteront néanmoins pas la récompense destinée aux vierges. Ils sont trépassés, leur corps n'était pas corrompu, mais leur esprit l'était: la corruption de leur âme ne les entraîne cependant point à la mort éternelle, parce qu'ils attendaient un mariage légitime sans lequel ils ne voulurent pas contracter d'union illicite. Car, ainsi que l'Apôtre le dit, « Si la vierge se marie, elle n'a pas péché (3 Cor. VII. 28 ), » elle qui s'est mariée seulement à cause du plaisir, bien que déjà elle ait corrompu en son esprit la fleur de virginité. Saint Augustin adopte ce sentiment, lorsqu'il dit que la vierge qui aspire au mariage n'est pas meilleure que la femme qui est déjà mariée: celle qui est mariée se contente d'un seul homme; celle qui veut le faire, cherche, dans tout le peuple, un homme pour s'attacher à lui, et ainsi sa pensée lui fait commettre une sorte de fornication avec plusieurs. Un lui plaît aujourd'hui, demain ce sera un autre, ensuite un troisième et un quatrième et peut-être davantage ; et si elle meurt en cet état, aura-t-elle la récompense due aux vierges sans tache ?

96. Quant aux questions de savoir si les vierges qui, après le vœu de virginité, souffrent violence, mais ne consentent pas à la corruption; si celles qui, avant d'émettre ce veau, avaient résolu de contracter mariage, bien qu'après, touchées de pénitence, elles ont fait leur veau ; si celles qui, après avoir promis de garder la virginité, se sont écartées en volonté seulement de leur résolution mais y sont revenues et y ont persévéré jusqu'à la fin, si, dis-je, de telles vierges sont récompensées, j'avoue que je ne suis renseigné à cet égard par aucune autorité. Je pense qu'il faut 'abandonner cette décision aux hommes plus habiles, ou plutôt au jugement de Dieu; quant aux premières qui souffrent violence, je dis, plutôt comme opinion que comme décision arrêtée, si elles ne consentent nullement à la corruption ni par volonté ni par délectation, elles ne seront point privées de la récompense destinée aux vierges; il semble qu'on peut le prouver par les paroles de sainte Luce, si elles sont authentiques. Que des vierges perdent, par violence et sans consentement de leur part, la chasteté virginale, j'espère qu'une telle perte tournera en bien pour celles qui la subissent : parce que le bon Jésus a peut-être permis que ce bien leur fût ravi parce qu'il prévoyait qu'elles n'en feraient pas un bon usage. Il serait utile à une âme qui voudrait s'enorgueillir du mérite de sa virginité, de perdre la chasteté et de gagner ainsi la vertu d'humilité.

97. Les vierges doivent éviter, avec un soin extrême, les lieux et les temps qui favorisent les ennemis de leur vertu, dans la crainte que, si par leur manque de prudence, elles leur donnent occasion de les corrompre, elles ne paraissent, avec raison, s'être attiré ce mal et ne perdent leur couronne. Si Bethsabée ne se fût pas lavée avec indécence et sans précaution sur sa terrasse, et Suzanne dans son verger, où on pouvait les voir en quelque manière, elles ne seraient pas tombées, l'une dans l'adultère, et l'autre dans le danger de perdre la vie. Que les vierges soient prudentes comme elles sont chastes. Qu'elles apprennent à fermer les fenêtres de leurs yeux et de leurs oreilles, à cacher leur visage, dans la crainte que, voyant ou qu'entendant peut-être ce qui ne convient pas, elles ne s'exposent à la mort ; dans la crainte aussi, qu'étant vues et entendues des autres, faute de réserve de leur part, elles ne leur donnent la mort, bien qu'en l'ignorant. Nous savons que cela a eu fréquemment lieu par les suggestions et les embûches du malin esprit, dont il est dit : «Il se tient en embuscade avec les riches, en des lieux cachés, pour tuer l'innocent (Psal. X. 8). » Relativement à celles qui sont tombées quelquefois avant leur vœu, ou ne sont tombées, après l'avoir formé, qu'en volonté seulement, sauf meilleur avis, il me semble qu'elles ne perdent pas la couronne de la virginité, si cependant elles reviennent promptement à leur vœu et y demeurent constamment fidèles : je crois, néanmoins que l'éclat de leur couronne sera un peu diminué à raison du changement qu'a subi leur volonté, de sorte que, si durant un laps de temps considérable, elles ont voulu rompre leur vœu de virginité ou si elles y persévèrent avec une volonté arrêtée, elles auront d'autant moins de mérite et partant moins de récompensa. La couronne parfaite sera entièrement la possession de celles qui dans les premières années de leur vie auront consacré et conservé leur virginité au Seigneur Jésus leur époux.

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CHAPITRE XXIX. Que s'inclinant vers la terre, la fleur du lis prêche l'humilité.

98. Il ne faut pas omettre de faire remarquer que la fleur même du lis, si blanche, si éclatante, si délicieuse, est toujours inclinée vers la terre. Quelle leçon nous donna cette circonstance, sinon une leçon d'humilité ? Courber la tête vers le sol, c'est appliquer notre esprit à considérer notre naissance grossière et fragile de la terre, pensée qui nous empêche d'avoir des sentiments présomptueux de nous qui sommes boue et cendre. Cette vertu n'est plus nécessaire à personne qu'aux vierges; elle les empêche de tomber dans le gouffre de l'orgueil en considérant l'excellence de leurs mérites. Car, encore vivantes sur la terre, les vierges de Jésus-Christ mènent la vie des anges, puisqu'elles sont dans l'état où le Seigneur a dit que se trouveraient les hommes après la résurrection : alors ils ne se marieront pas, ils ne seront pas mariés, mais ils seront semblables aux anges de Dieu dans le ciel (Matth. XXII. 30). Elles n'attendent pas l'incorruptibilité de la résurrection, mais même actuellement elles vivent sans corruption, rivalisant certainement avec les esprits bienheureux et menant déjà leur vie. Pour éviter donc de tomber tristement par orgueil de ce degré sublime où elles, se sont généreusement élevées, non pour obéir à un précepte, mais de leur plein gré, qu'elles se penchent vers la terre, comme la fleur du lis ; qu'elles se souviennent qu'elles sont poussière et que leurs jours se fanent comme l'herbe ; qu'elles ne croient pas encore être ressuscitées à la béatitude de l'immortalité, mais qu'elles considèrent qu'elles sont toujours entourées de ce mur de chair qui s'élève entre elles et Jésus leur bien-aimé. Qu'elles observent ce serpent astucieux qui leur tend un si grand nombre de piéges, dans la crainte qu'il ne les porte à avoir quelque présomption d'elles-mêmes; et qu'elles ne viennent à penser que ce qu'elles ont de bon vient, non du serpent, mais de leur propre vertu ; qu'elles l'ont reçu à cause de leurs mérites ; ou quelles s'en estiment meilleures que les autres à cause de ce que Dieu leur a donné; ou qu'enfin elles croient posséder ce que réellement elles n'ont pas. Ce sont là les quatre sortes de jactance par lesquelles cet esprit très-mauvais trompe plus d'une foi les âmes bonnes.

99. Et dans la première espèce, ceux qui croient n'avoir pas reçu de Dieu les biens qu'ils ont, tombent dans le plus grand des péchés, dans l'ingratitude. Quoi de pire, en effet, que de ne pas reconnaître que Dieu est le distributeur de tout bien ? Si on ne le pense pas, comment rendra-t-on grâce à celui dont du croit n'avoir rien reçu? Et assument, il ne manque point d'hommes de ce genre; ainsi vous pouvez le comprendre à leurs paroles. Que disent-ils en effet? Pourquoi, demandent-ils, n'avez-vous pas gardé votre chasteté ? Pourquoi n'avez-vous pas la vertu d'humilité et de patience? Pourquoi n'y a-t-il pas en vous la dévotion de la prière et le don des larmes? Quelle est, croyez-vous, la pensée de ceux qui parlent ainsi, sinon qu'eux ils ont ces biens d'eux-mêmes et que chacun peut les avoir de ses propres forces ? Ne le croyez pas ainsi, ô vierge du Christ, mais sachez que vous n'avez rien de vous-même, sinon les péchés: tous les autres biens qui sont en vous, sont venus de la grâce de votre époux. Ayez donc à la fois de la joie et de la reconnaissance envers celui qui vous a donné d'être, et d'être bien ; et chérissez d'autant plus votre bien-aimé, qu'il vous montre la tendresse qu'il éprouve pour vous, par des bienfaits plus considérables et plus nombreux. Et de plus, chérissez et conservez avec plus de soin les dons des vertus, parce que vous avez mérité de les recevoir de cet ami si aimé et si aimable, aussi bien que si vous les obteniez par vos propres forces. Montrez votre affection pour votre époux généreux, en gardant soigneusement ce qu'il vous donne : un bienfaiteur si riche ne doit pas faire de présents médiocres.

100. Les autres sont ceux qui croient bien avoir reçu de Dieu ce qu'ils ont, mais à cause de leurs mérites; ils veulent dépouiller le Seigneur Jésus, si généreux, de la grâce de ses bienfaits. Pourquoi croyez-vous avoir reçu la vertu à cause de vos mérites? Dites-moi qui vous a donné de pouvoir mériter ? Qu'avez-vous, en effet, que vous n'ayez reçu? Pourquoi vous glorifier comme si vous ne l'aviez pas reçu ? Et si vous voulez savoir comment vous l'avez reçu, entendez le même apôtre : (I Cor. IV, 7.) Nous avons été sauvés, dit-il, « par la grâce de Dieu (Eph. II, 8). » Que si nous sommes sauvés selon nos œuvres, ce n'est point par nos propres justices ; mais la grâce est donnée pour récompenser la grâce. C'est par la grâce: que nous sommes ce que nous sommes, soit pour obtenir les vertus, soit pour posséder lesbiens célestes.

101. Les troisièmes qui, à raison du don céleste, se croient meilleurs que les autres et les méprisent comme vils, sont atteints du même mal que ce Pharisien, qui pécha, tout en rendant grâces pour les vertus qu'il avait obtenues, car il méprisa le publicain. Mais comme plusieurs ont cette maladie, tâchons, avec l'aide du Seigneur, de leur donner quelque remède. Je crois qu'il faut prêter attention. Cet homme est dépourvu de quelque vertu spirituelle ; il en a peut-être une autre qui lui est semblable ou même qui est plus grande. Aussi saint Jérôme dit : La virginité et la vertu de pudeur sont des dons excellents, si d'autres taches ne les gâtent et ne les affaiblissent pas. Plus grand est celui à qui il faut plaire, plus il faut s'appliquer à lui être agréable. Si vous êtes vierge, vous ne savez pas, au certain, à quel degré de virginité vous êtes parvenu, car toutes les vierges n'ont , pas le même mérite. Qui, parmi les saints, peut être égalé à saint Jean en chasteté et en mérites? Quelle femme est jamais arrivée à la hauteur de la dignité de la vierge Marie. Ne vous élevez donc pas au dessus de qui que ce soit dont vous ne connaissez pas l'âme, de peur de tomber au dessous de tous. Si par le mérite vous occupez le dernier degré de la virginité, comment oserez-vous vous comparer à celui qui est arrivé presque au plus haut point de l'humilité, ou de la charité, ou de l'obéissance ? Que sera-ce si celui au dessus de qui vous osez vous mettre a atteint une perfection si élevée, qu'il ne fasse pas difficulté, bien plus, qu'aux yeux de Dieu, à qui sa conscience est connue, il brûle de toute son âme du désir de vider, pour l'amour du Seigneur, le calice de la mort ? Mais en ce moment vous dites peut-être, que d'après le témoignage de votre cœur, vous êtes prêt à souffrir le martyre. A quoi nous répondons, que personne ne peut réellement reconnaître s'il y a en lui une telle constance de vertu, à moins que l'événement ou l'expérience ne le lui ait fait voir clairement. Combien pensez-vous qu'il y en a qui ont défailli dans la rigueur des tourments, qui croyaient persévérer avec courage jusqu'à la mort ? Ne vous jugez donc point, puisque vous ne vous connaissez pas, lorsque le plus parfait des hommes, saint Paul dit : Je ne me juge pas » moi-même, mais celui qui me juge c'est le Seigneur (I Cor. IV, 4). » Encore moins devez-vous juger les autres; voilà pourquoi on lit à la suite du même passage : « Ne jugez donc pas avant le temps, jusqu'à ce que le Seigneur vienne ; c'est lui qui éclairera l'obscurité des ténèbres, et manifestera les secrets des cœurs. » Alors, sans nul doute, plusieurs, contrairement à l'opinion que les hommes avaient d'eux, seront mis au premier rang au jugement du Seigneur qui voit tout, et plusieurs seront mis à une place inférieure, tandis qu'on leur attribuait à tort la première. Il est encore une raison puissante pour vous détourner de cette sorte d'orgueil. La voici : Bien qu'il y en ait de plus justes et de plus saints les uns que les autres, nul ne sait, néanmoins, s'il est digne d'amour ou de haine.

102. C'est ainsi que, si parfaits qu'ils soient, les hommes exerceront leur âme, et, à l'exemple du lis, la crainte et l'humilité les inclineront vers la terre, lorsqu'ils réfléchiront à cette idée qu'ils ne savent s'ils sont dignes d'amour ou de haine. Et, en vérité, ils ne savent et ils ignorent ce que leur amènera le jour ou même l'heure qui va venir; à combien plus forte raison ne connaissent-ils pas quelle sera leur fin, ou la fin de ceux qui à cette heure sont mauvais ? Si vous eussiez vu le traître Judas, alors qu'il était disciple et au rang des principaux, chasser les démons au nom de Jésus, et que vous eussiez considéré ensuite le larron crucifié à côté de Jésus-Christ, criminel qui avait passé jusque là sa vie dans les brigandages et les homicides, je ne doute pas que vous n'eussiez préféré le disciple au larron, et cependant nous savons tous qu'il fut mis au dessous de l'autre, lorsque la fin fut venue. Quand même donc vous seriez arrivé à une si haute perfection que vous fassiez des miracles, craignez qu'au dernier jour, vous ne soyez placé avec Judas au rang des réprouvés. Si vous apercevez un homme tout-à-fait livré aux œuvres mauvaises , ne vous préférez pas à lui, car vous ne savez pas si, à l'exemple du larron, il ne se convertira pas la à fin, comme il est écrit : « Heureux l'homme à qui le Seigneur n'a point imputé son péché (Psal. XXXI). » Texte qui s'entend communément de ceux qui, après leurs iniquités, sont convertis à Dieu par le Seigneur, qui considère en quel état chacun quitte la vie. N'ayez donc la présomption de juger personne, et ne vous préférez pas, bien que très-bon, à qui que ce soit, fût-ce le pire des hommes, parce que vous ignorez quelles seront votre fin et la sienne. Inclinez-vous donc vers la terre avec la fleur du lis, c'est-à-dire considérez la fragilité qui est en vous, parce que vous êtes terre et cendre ; et plus vous êtes grand, plus il faut vous humilier en tout, abaissant la pureté de la chair par l'humilité de l'âme.

103. Quoi de plus vain que ceux qui croient avoir ce qu'ils n'ont pas ? Mais, à coup sûr, tout le genre humain est atteint dans ce fléau. Qui est-ce qui se tonnait parfaitement lui-même, si ce n'est celui à qui cela a été donné par le Père des lumières, par la lumière véritable qui illumine tout homme? C'est du ciel qu'est venu cette parole, gnothi seauton, c'est-à-dire, cannais-toi toi-même. Dans le Cantique des cantiques, l'Épouse elle-même, qui soupirait après les embrassements de l'Époux, qui avait senti la suavité de ses parfums, reçut en quelque manière des reproches sur ce qu'elle s'ignorait elle-même : l'Époux lui disait : « Si tu ne te connais pas, ô la plus belle des femmes, éloigne-toi de moi (Cant. I, 17). » Voyez donc quel grand mal est toute ignorance qui empêche de se connaître soi-même, puisque l'Épouse, à cause d'elle, mérite d'être repoussée de son Époux, si aimant. Revenons-en donc à nous connaître nous-mêmes, c'est-à-dire, inclinons-nous vers notre terre, si nous voulons être de véritables lis et être admis à la présence de l'Époux. Examinons constamment notre intérieur, criant sans relâche au bon et sincère Jésus, afin d'obtenir qu'il daigne éclairer les yeux de notre âme, pour nous faire connaître nous-mêmes à nous mêmes.

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CHAPITRE XXX. Du nombre des feuilles de notre lis, ou de trois désagréments de la vie présente auxquels les vierges échappent, et de trois avantages de la vie future qu'elles attendent.

104. Actuellement, à la lumière de Jésus notre fleur très-éclatante, examinons le nombre des feuilles que présente et porte la fleur elle-même. Dans les lis complets, la corolle blanche renferme au plus six feuilles, indiquant les six motifs qui doivent engager à la pureté l'esprit des vierges; trois de ces motifs se rapportent à la vie présente, trois se rapportent à la vie future. L'état conjugal a trois désagréments, tels que la virginité est désirable afin de les éviter. La gloire future a aussi trois avantages pour l'acquisition desquels la vie chaste et pure doit être choisie et pratiquée jusqu'au bout. La malédiction qui fut lancée sur Ève, notre première mère, après son pêché, a produit deux désagréments pour la vie actuelle. Le serpent reçut trois malédictions, Ève en reçut deux, Adam une seule. Le Seigneur dit au serpent : « Tu ramperas sur ton ventre, tu mangeras la terre, et la femme t'écrasera la tête (Gen. III, 14). » Il dit à Ève : « Tu enfanteras dans la douleur, et tu seras sous la puissance de l'homme. » Il dit à Adam : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front (Ibid.)

105. Ici sont expressément marquées deux des malédictions lancées sur Ève, et, par elle, sur toutes les femmes mariées. elles enfantent dans la douleur et sont sous la puissance de leurs maris. Combien grandes sont les douleurs de l'enfantement ? Nul ne le sait, si ce n'est celles qui les ont éprouvées. L'Écriture-Sainte en fait mention bien des fois; quand nous voulons indiquer une grande douleur, nous la comparons aux souffrances de l'enfantement. Et le Seigneur, qui connaît assurément boutes les douleurs, prévoyant que ses disciples seraient excessivement contristés de sa mort, voulut comparer leur chagrin à la tristesse que souffre une femme lorsqu’elle enfante : « La femme, lorsqu'elle donne le jour à un fils, est dans la tristesse, parce que son heure est venue : de même à présent vous êtes dans le chagrin (Joan. XVI, 21). « Le bienheureux apôtre saint Paul tient le même langage lorsqu'il veut indiquer la douleur de ceux qui, au jour du dernier jugement, ne seront pas trouvés prêts : « Lorsqu'ils auront dit, paix et sécurité, soudain le trépas fondra sur eux, comme la douleur qui saisit la femme enceinte; et ils n'échapperont pas (l Thess. V, 3). Dans les prophètes et dans les autres livres de l'Ecriture, on trouve de nombreux exemples qui donnent à entendre la violence de cette souffrance. Mais puisque ceux qui vivent peuvent nous en rendre témoignage d'après leur propre expérience, nous pensons ne pas devoir insister davantage sur ce sujet. Heureuses et vraiment prudentes les vierges qui, sans parler des avantages temporels, ont préféré d'être unies plus intimement au Seigneur par l'esprit, donnant à Jésus, leur Époux immortel, non chaque année mais chaque jour, des fruits spirituels, c'est-à-dire de bonnes œuvres, d'une façon bien meilleure, plus abondante et plus certaine ; elles aiment celui dans la couche nuptiale et chaste duquel la pudeur les a introduites, en plutôt celui qt;'elles ont reçu dans leur cœur; elles ont entendu sa voix résonner dans ses préceptes et dans les promesses qu'il a faites des biens célestes, et aux accents de leur bien-aimé, elles ont répondu par l'obéissance, lui dont l'amour produit et conserve la chasteté, dont le toucher fait fleurir la pureté, et dont l'union consacre les vierges. O vraiment heureuses, celles qui ont consacré à un si noble Époux non-seulement la pureté de leur âme, mais encore celle de leur corps ! En s'unissant à lui, leurs âmes sont rendues tellement fécondes, qu'elles deviennent les mères de toutes les vertus ; que leurs fils habitent éternellement dans la demeure céleste et que la suite de leurs œuvres se déroulera dans les siècles, sous les yeux de leur Époux.

106. Les vierges vite notre mère, et, par elle, sur toutes les femmes mariées, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas sous la puissance d'un homme martel. Et examinons avec plus d'attention quel grand bien vous trouvez en ce point, et quel mal vous y évitez. Entendons à ce sujet la sentence de saint Paul. « La vierge qui n'est pas mariée pense à ce qui appartient à Dieu et s'attache à être sainte de corps et d'esprit. Mais la personne qui est liée par le mariage pense à ce qui est du monde, et veut plaire à son Époux (I Cor. VII. 34). » Qu'acquiert-on ? On évite un mal qui n'est pas mines., 1e. préoccupation mondaine de plaire à un époux. Quel profit, pour leur dévotion, trouvent les âmes virginales à pouvoir librement, quand elles le veulent et quand elles le doivent, se livrer à la prière et aux autres exercices spirituels, sans qu'aucun souci les en vienne empêcher? Les personnes mariées, combien d'ennuis éprouvent-elles lorsque, voulant servir Dieu religieusement, leurs époux, à qui elles doivent être obéissantes, y mettent obstacle ? Car le mariage est un grand fardeau lorsque les femmes s'unissent à des hommes qui ne sont pas à l’unisson de leurs bonnes mœurs et de leur bonne conduite. Combien pensez-vous qu'il y a de personnes liées parce sacrement qui voudraient acheter par des supplices le bonheur d'être délivrées du joug des méchants et de pouvoir servir librement le Seigneur ? Heureuses donc les vierges qui, prenant le Christ pour Époux, ne se soumettent qu'à lui, tendre maître dont le joug est suave et le fardeau léger; et désirent de toute leur âme pure et intègre plaire à celui qui est assurément le plus « beau des enfants des hommes (Psal. XLIV, 3);» sans partager leur cœur, sans s'inquiéter d'un côté de plaire à Dieu, et de l'autre de plaire à leur Époux terrestre : elles se donnent entièrement à celui qui leur a donné d'être et d'être bien, et par dessus elles ont reçu, en don gratuit, ce même Époux divin. Que pouvez-vous rendre dignement à votre bienfaiteur? En vous créant, il vous a communiqué l'être : il vous a restitué à vous-même, lorsqu’il vous a donné d'être dans l’ordre; pour que vous ne vinssiez pas à défaillir en route, il vous a donné en viatique son corps et son sang, lui-même tout entier, vrai Dieu et vrai homme; et vous, que lui rendrez-vous ? Si vous ne pouvez suffisamment reconnaître le bienfait de la création par laquelle il vous a donné l'existence; comment reconnaîtrez-vous la faveur infinie par laquelle il s'est donné à vous? Quand vous pourriez vous donner des milliers de fois, que seriez-vous en comparaison de Dieu ? Rendez néanmoins tout ce que vous pouvez, offrez-vous tout entière à lui, qui vous a donnée et rendue vous-même entièrement à vous, et qui, non content de cela, s'est livré lui-même à vous: aimez de toute votre âme un ami si aimant et si rare, aimez-le de tout votre cœur et de toutes vos forces, parce qu'il vous a donné lui-même la bonne volonté, l'âme raisonnable et les forces nécessaires pour accomplir ce qui est bien. Que votre âme bénisse le Seigneur, et n'oublie jamais toutes les bontés dont il vous a comblée; enchaînez-vous par les liens de son amour, afin d'être plus libre, et de pouvoir mieux goûter combien le, Seigneur est doux. Si vous le goûtez bien, ses attraits seront si triomphants que jamais vous ne retomberez sous la puissance d'un autre. Quiconque est sage ne voudra pas s'affranchir du service du grand roi dont on a dit avec raison que le servir c'est régner. Qui refuserait de régner? Voulez-vous régner heureusement? servez le bon maître qui est Jésus-Christ et vous régnerez car le servir c'est régner. C'est ce qu'on lit des saints . « Ils régneront éternellement avec le Christ (Apoc. XX, 6). » Qu'est-ce à dire, ils règneront? Ils seront rois, c'est ce qu'assure l'Apôtre : « Ils seront les héritiers de Dieu et les cohéritiers de Jésus-Christ (Rom. VIII, 47). » Ils seront donc réellement rois, héritiers du royaume de Dieu, et cohéritiers du roi. Très-heureuses donc les âmes vierges soumises au seul joug de ce roi qui change ses serviteurs en rois, et dont le règne demeure éternellement.

107. Le troisième motif de désirer la virginité, c'est l'exemption de ces nombreux soucis, soucis inexprimables qu'amène l’éducation des enfants. Combien est grande cette préoccupation, les parents seuls le savent. L'étendue de cette sollicitude se mesure à l'étendue de l'affection que les parents ont pour leurs enfants, et cette affection, nul ne la connaît que les parents. Il a dit vrai celui qui a émis cette pensée :

Jusqu'où s'étend l'amour pour les enfants, les parents seuls le savent.

Ce souci va parfois jusqu'à s'emparer de toutes les forces de l'esprit et jusqu'à faire tout laisser de côté pour ne s'occuper que des enfants. L'esprit se précipite, il va et vient, il parcourt la mer et la terre : il tente toutes sortes de moyens ; souvent la pensée de procurer à ces êtres chéris de l'argent et des biens brise, par un travail varié, le corps dés malheureux parents. On ne s'arrête pas même lorsqu'on est parvenu à se procurer le nécessaire, car l'avarice s'introduit dans l'âme à l'occasion de l'attachement pour les enfants, et

L'amour de l’argent croît à mesure que l'argent s'entasse.

On le désire moins quand on ne l'a pas : et conséquemment les parents meurent malheureux : ils ne peuvent compatir, ils ne veulent pas être touchés de miséricorde et ils se rendent ainsi indignes de la recevoir. Par-là vous voyez, je le crois, quel mal cause la sollicitude à l'égard des enfants et à quel terme elle aboutit. Et de plus, quel surcroît d'anxiétés même pour les bons parents, et surtout pour les mères qui ont d'ordinaire plus de tendresse pour le fruit de leur sein, lorsqu'elles voient que ces chers enfants, abandonnant le chemin de la vertu, errent dans les sentiers détournés des vices, lorsqu'elles regardent les corps, rongés par les infirmités, et enfin, lorsqu'elles les assistent aux derniers moments qui précèdent la mort? Dans de si grands maux, quelle place trouver pour la contemplation des choses de Dieu? Comment, tiré par tant de poids lourds, le cœur peut-il s'élever en haut vers le Seigneur ? O qu'heureuses sont les vierges; leur époux ne peut mourir, leurs enfants, c'est-à-dire les vertus, vivent toujours, et, ce qui est plus, les conduisent elles-mêmes à la source de la vie ; et leur esprit, oubliant ce qui est en arrière, ne s'abaisse pas aux divers objets qui sont sur la terre. Ces vierges fortunées portent déjà, autant que cela est donné à l'homme, dans leur âme, le ciel avec ses joies, le ciel qui les portera un jour. Elles volent déjà à travers les réjouissances d'en haut, elles traversent, par un bonheur singulier, les choeurs des esprits bienheureux; dans la vivacité de leur intelligence, elles comprennent les rôles spéciaux de chaque choeur, elles savourent de toute l'avidité de leur esprit, dégagé de toute entrave, les récompenses joyeuses de chaque vierge, qui leur sont préparées par leur époux et leur roi, sans que le souci des enfants de la terre les en empêche eu quoi que ce soit.

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