RAMEAUX
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SERMON POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX.

Guillaume Estius a pensé que ce discours, tiré de l'abbaye de Marchiennes, reproduisait le style, le genre et la piété de saint Bernard : bien que (pour ne rien dire du style) il manque dans tous les manuscrits dans les sermons du temps.

1. Mes très-chers frères, notre Rédempteur, Notre Seigneur Jésus-Christ, envoyé par le Père dans le monde, pour être une victime salutaire, aux approches de sa mort, voulut (ainsi que vous le savez), se montrer sensiblement présent au lieu où il devait la subir. Venu pour mourir, il vit d'avance le lieu, le temps et le genre de son trépas, l'ayant écrit devant ses yeux de toute éternité. En voici les trois circonstances . Jérusalem, la Pâque et la croix. Si vous en demandez le lieu, c'est à Jérusalem ; le genre, c'est le supplice de la croix; le temps, c'est aux approches de la solennité de la Pâque. Comme vous le savez parfaitement pour l'avoir lu et l'avoir entendu dire, les Juifs ennemis essayèrent auparavant en d'autres manières en d'autres lieux de lui arracher la vie. Car lorsqu'ils le conduisirent pour le précipiter, et qu'il s'échappait en passant au milieu d'eux, ils ne vinrent pas à Jérusalem, ils n'attendirent point la Pâque, ils ne cherchèrent nullement à dresser une croix ; mais pour le tuer, ils ne purent changer ni le moment ni le lieu, ils ne purent également ni devancer ni retarder l'époque. Il vint donc en ce jour à Jérusalem, c'est-à-dire cinq jours avant la Pâque, indiqués, ainsi qu'il était figuré par cet agneau qui devait être immolé le quatorzième jour du mois du printemps, qui devait être enlevé totalement le dixième jour et conservé jusqu'à ce terme (Exode, XII).

2. Beaucoup de personnes ont parlé avant nous de cette entrée de Jésus à Jérusalem: pour que nous reconnaissions toutes ces explications comme catholiques et vraies, il est juste que nous les approuvions par notre silence. Le sentiment commun c'est que cette entrée à Jérusalem, c'est l'arrivée de Jésus dans l'Eglise : les deux disciples qui détachent l'ânesse et l'ânon et les conduisent au Seigneur, sont les deux sortes de prédicateurs envoyés les uns vers les Juifs, les autres vers les Gentils, déliant ces deux peuples des chaînes de leurs péchés, et les amenant à la connaissance de la véritable foi. Les vêtements placés sur la monture, sont les mystères de la foi confiés au peuple chrétien; Jésus s'y assied, parce que, par la foi, Jésus-Christ habite dans le cœur des fidèles. « Cette foule nombreuse qui étendait ses habits sur le passage, » c'est la multitude des saints martyrs, exposant leurs corps aux supplices, à l'imitation du Seigneur. « Ceux qui coupent les branches des arbres » sont les docteurs, tirant des livres saints les formules catholiques. «Ceux qui marchaient devant et ceux qui venaient ensuite criaient Hosannah: «parce que le peuple Juif qui précédait et le peuple gentil qui a suivi professaient la même foi chrétienne. Et cette interprétation doit être approuvée en tous points, parce que son sens est saint et catholique. Tout en l'approuvant, cherchons-en une autre qui ne soit point étrangère dans ce même endroit de l'Evangile, et creusant dans la moëlle du sens moral tournons notre prédication à l’édification des mœurs.

3. Je crois que chaque jour le Seigneur s'approche de Jérusalem venant de Bethphagé et de Bethanie au mont des Oliviers, envoyant deux de ses disciples au château situé en face d'eux, pour qu'ils lui mènent une monture ; mais tout cela se passe spirituellement. Le Seigneur Jésus est un esprit devant notre face, et si nous l'avons connu selon la chair, nous ne le connaissons plus de la sorte (II. Cor. V. 16). Il faut donc rechercher quelle est son arrivée mystique à Jérusalem, et comment, ce qui se passa en ce jour, aux approches de sa passion sacrée, à son arrivée dans cette ville, il daigne le réaliser encore aujourd'hui en nos âmes. « Il s'approcha de Jérusalem ; » ainsi que l'Evangéliste le dit. S'approcher de Jérusalem ; pour lui, c'est s'approcher de l'âme. Non-seulement cela, mais se rapprocher de nous, pour lui c'est faire que nous nous rapprochions de lui. Car, par la piété, étant trés-éloignés de lui, comment, par une vie sainte nous rapprocherions nous de lui, si d'abord il ne s'approchait de nous ? De même que saint Jean dit que la charité ne consiste pas en ce que nous ayons aimé Dieu, mais en ce que Dieu nous a aimés le premier (I. Joan. IV. 10) : de même nous pouvons et nous devons dire, que la grâce, ce n'est pas que nous nous approchions de Dieu, mais que Dieu s'est approché de nous. En s'approchant de Jérusalem « il vient à Bethphagé, et de Béthanie à la montagne des Oliviers : nous donnant à comprendre, ainsi que je le pense, par ce saint itinéraire, que nous ne pouvons arriver à la paix véritable, si par un vœu sincère, nous ne découvrons notre intérieur, si nous n'obéissons avec promptitude et humilité, et si nous n'avons une miséricordieuse compatissante pour les nécessités des autres.

4. Car Jérusalem, comme vous le savez, s'appelle vision de la paix. Nous nous acheminons vers elle, par la voie droite et royale, quand nous marchons dans la pureté de la confession, dans l'humilité de « l'obéissance » et dans la grandeur de « la miséricorde. » Trois vertus excellentes, dont la première se rapporte à nous-mêmes, la seconde aux supérieurs, la troisième à nos proches. A vous « la confession, » étant souillé par le péché, purifiez-vous par l'aveu que vous en ferez. A votre supérieur, l'obéissance, obéissez-lui, soyez-lui soumis, parce qu'il veille, comme devant rendre compte pour votre âme (Heb. XIII, 17). A vos proches, la miséricorde, subvenez à leurs nécessités selon vos forces, et désirez leur être utile, plus que vous ne le pouvez en réalité. Bethphagé, qui signifie la maison de la bouche, désigne la première de ces vertus. Bethanie, qui veut dire demeure de l'obéissance, représente la seconde. La troisième est symbolisée dans le mont des Oliviers, parce que, dans les Ecritures, l'huile est la figure de la miséricorde, ainsi que vous le savez. D'où viennent, mes frères, les cultes et les désunions qui éclatent entre nous? N'est-ce point de notre propre imperfection, parce que nous refusons de rendre ce que nous nous devons à nous-mêmes, ce que nous devons aux supérieurs et à nos frères? Car si nous voulions aller de Bethphagé à Jérusalem, nous pourrions pénétrer au dedans de nous-mêmes: nous ne pourrons avoir une paix parfaite tant que cachant nos fautes au dedans de nous, nous ne les découvrirons point par une confession pure et humble. Est-ce que je m'adresse à des gens dépourvus d'expérience ? Toujours et en tous lieux la conscience nous tourmente, sans cesse elle place sous nos yeux la blessure de notre âme, et la réprimande avec sévérité sur les ténèbres dans lesquelles elle s'enveloppe. O ver, qui ne cesse tant qu'il est en vie, de ronger l'intérieur du cœur, qui, par là même qu'il ne meurt pas, le dévore sans relâche, si une humble confession ne la perce de l'aiguillon de sa sincérité.

Si nous voulions aller à Béthanie, nous pourrions arriver à Jérusalem, et à obéir à nos supérieurs. Nous nous séparons d'eux pour notre perte, lorsque nous résistons orgueilleusement aux ordres qu'ils nous donnent selon Dieu. Que si nous gravissions la montagne des Oliviers, alors, sans nul doute, nous atteindrions bientôt Jérusalem. Cette montagne est, en effet, près de la ville sainte, parce que l'obéissance produit les amis, et nous édifierions Jérusalem dans l'âme de nos frères. Nous jouirons pleinement de la paix lorsque, remplis d'une pieuse sollicitude les uns pour les autres, condescendant avec miséricorde à nos nécessités mutuelles, nous y subvenons avec diligence, dans la mesure de nos forces. Vous voyez donc que ce ne fut pas sans raison que le Seigneur, sur le point d'aller à Jérusalem, voulut également passer par Bethphagé, par Béthanie et par le mont des Oliviers. Nous marquant ainsi, que l'occasion et la cause de la paix étaient pour nous la sincérité de la confession, la promptitude de l'obéissance à l'égard des supérieurs, et la tendresse de la miséricorde, par rapport à nos frères.

6. « Il renvoie deux de ses disciples au château qui se dresse devant eux. » Ce château qui se dresse contre les disciples de Jésus-Christ, est l'âme pécheresse qui, par son endurcissement et son orgueil, est contraire aux vertus intérieures et spirituelles de notre rédemption. L'âme, dans cet état, a l'orgueil pour tour, et l'obstination pour rempart. Elle est formée par la terre de l'entêtement, et s'élève par la hauteur de l'orgueil. C'est cette tour que jadis les enfants d'Adam entreprirent de dresser ; l'Écriture en parle, lorsqu'elle dit que, partant de l'Orient, ils « trouvèrent une plaine très-vaste, dans la terre de Sennaar (Gen. IX, 1). » Quels sont ces hommes, sinon ceux qui sont réprouvés, désireux de vaine gloire, enflés d'orgueil? Par les dispositions de leur cœur, et par leurs œuvres, ils s'éloignent de celui dont le Prophète dit : « Voici l'homme, Orient est son nom (Zach. VI, 12). « Ils marchent par la voie large, dans les turpitudes de leur conduite coupable, voie qui mène à la perdition, parce que Sennaar signifie leur puanteur. « Bâtissons une tour, » disent-ils, « et illustrons notre nom. » Ce sont ces hommes qui exaltent leur nom, sur la terre, et s'élevant en eux-mêmes dans leur propre orgueil, « aiment les premières places dans les dîners, et les premières chaires dans les synagogues, d'être salués sur les places publiques, et d'être appelés par les hommes : maîtres (Mati. XXIII, 6). » Et avec quels matériaux élèvent-ils cette tour ruineuse? « Ils eurent, dit l'histoire véridique, « des briques pour pierres, et du bitume pour ciment. » Les pierres expriment la force de la bonne œuvre, les briques sont cuites et durcies au feu. Les réprouvés sont brûlés par la flamme de la passion et deviennent rebelles. L'œuvre est le bitume, la concorde, le ciment. On dit que le bitume naît d'une terre frappée de la foudre, et nous savons que l'envie' naît dans une âme gonflée d'orgueil. C'est par le ciment que les pierres sont liées dans les édifices. Et quelle est l'autre vertu que la concorde, qui, dans l'édifice de la charité, réunit les pierres vivantes qui construisent chaque jour la céleste Jérusalem! Ils ont donc des briques pour pierres, et du bitume pour ciment. Parce que renonçant à la force de la bonne action, ils se souillent dans la boue d'une sordide passion, et rejetant le ciment de la concorde, ils s'attachent à l'entêtement de la vie.

7. Cette tour est d'une masse énorme. Ce qui empêche de la renverser facilement, c'est d'abord son élévation, et de plus la force de son mur d'enceinte. C'est là, que se brisent tous nos efforts, lorsque nous l'attaquons. Par la sainte prédication comme par des machines, nous renverserons dans l'âme l'orgueil, si l'obstination de l'entêtement ne nous opposait pas une résistance pour ainsi dire invincible. Que gagnez-vous avec elle, devenue insensible et dure comme le diamant, vous ne pouvez ni la fléchir par les préceptes, ni l'attirer par les conseils, ni l'incliner par des caresses, ni l'effrayer par des menaces, ni la corriger par des châtiments, ni l'amollir par les bienfaits. Ne diriez-vous pas qu'il est presqu'impossible qu'elle soit guérie? Cependant ce qui est impossible aux hommes, est possible à Dieu. Le Seigneur, plein de miséricorde et de tendresse, envoie sa parole à la terre, c'est-à-dire qu'il fait pénétrer en cette âme l'inspiration de sa grâce, vers laquelle arrive avec rapidité sa divine parole qui reviendra ne jamais vide vers lui, mais fera tout ce qu'il voudra, et produira les heureux effets qu'il s'était proposés. En adressant ainsi en cet endroit, le Seigneur envoie deux disciples au château qui se dresse devant eux. » Et dans quel but? Pour qu'ils détachent et lui amènent l'ânesse qu'ils trouveront liée avec son ânon. Et accomplissant cet ordre, non-seulement ils la délient et l'amènent, mais pour que la parole sortant de la bouche du maître obtienne l'heureux résultat qu'il veut, «ils la couvrent de leurs vêtements, et le font se placer dessus. A cette circonstance :paraît se rapporter le souvenir que celui qui envoie sa parole à la terre, jette la neige comme la laine, revêtant de sa justice ceux qui, auparavant, étaient froids par leur faute « Il répand les brouillards comme la cendre ; » en donnant à ceux qui étaient dans l'obscurité de l'ignorance la connaissance de leur corruption, il les ébranle par la pénitence. « Il envoie sa glace comme des bouchées (Psal. CXI.XIX, 7), » s'incorporant par la mansuétude, ceux qui étaient endurcis par obstination. Mais comment opère-t-il cette œuvre de salut? Il envoie sa parole, et il les fait couler comme l'eau; son esprit soufflera, et ces eaux couleront, » en sorte que deux disciples, allant au château qui se dresse devant eux, ils feront de l'ânesse et de l'ânon ce que nous avons brièvement indiqué.

8. Mais quels sont ces deux disciples? Peut-être la crainte et l'amour, ces deux vertus remarquables. L'une effraie par sa sévérité, en menaçant de choses tristes et rudes; l'autre, promettant des choses douces et joyeuses, console par sa suavité. La crainte est le commencement de la sagesse, l'amour en est la consommation. L'une vous enlève ce qui est mauvais, pour vous purifier de toute souillure ; l’autre donne ce qui est bien, afin de vous orner de la justice. L'une ôte de l'âme l'iniquité, l'autre lui donne la sainteté. Ces vertus sont deux anges, et ils délivrent Loth du lieu de perdition (Gen. XIX), lorsqu'ils arrachent aux vices l'âme que Dieu a choisie. Elles sont les deux lévites spirituels : quand les camps sont remués, ils se trouvent à la porte du tabernacle, sonnant les trompettes d'argent, parée que la crainte et l'amour se taisant devant l'ouverture de l'âme, ils font du bruit et excitent des pensées intérieures à abandonner le mal, et: à pratiquer le bien. L'une fait retenir sa voix comme la trompette et dit: « Cesse de commettre l'iniquité (Isa. I, 16),» l'autre dit : « apprenez à faire le bien (Ibid. 17). L'une: «Arrachez et détruisez, chassez et rejetez; l'autre : « édifiez, et plantez (Jerem. I, 10). » L'une : « détournez-vous du mal ; » l'autre : faites le bien (Psalm. XXXIII. 15). » Elles sont ces deux hommes qui portent aux, enfants d’Israël la grappe de raisin de la terre promise, lorsqu'elles nous font goûter dans nos méditations intérieures , quel est le fruit qui se trouve dans la patrie céleste. Elles sont ces deux messagers qui arrachent Rahab à la destruction de Jéricho, lorsqu'elles enlèvent à une perdition semblable l'âme que Dieu orne de ses présents (Jos. VI. 17). Elles sont enfin ces deux disciples dont nous parlons actuellement qui, envoyés à ce château, délient l'ânesse et l'ânon, et l'amènent à Jésus-Christ.

9. C'est avec raison que l'on en dit: « qui se dresse contre vous. » Qu'y a-t-il, en effet, de plus opposée l'amour divin que l'orgue, qui enfle l'âme? Qu'y a-t-il de plus contraire à la crainte que l'entêtement de la superbe et de l'obstination? L'orgueil, comme quelques-uns, le définissent, est l'amour de sa propre excellence. Et tant que, désireux de vaine gloire, vous aimez votre propre excellence, n'est-ce pas que vous dérobez entièrement l'honneur et la gloire de celui dont saint Paul a dit : « A Dieu seul la gloire et l’honneur (I. Tim. I. 17). L’obstination, , comme parlent plusieurs, est l'entêtement d'une âme insensible quine veut pas acquiescer, mais qui est toujours prête à résister. Quand cette maladie mortelle possède entièrement le cœur, elle le rend insensible aux aiguillons de l'amour divin. Et ce château qui est contre les disciples tant qu'ils sont dehors, est avec eux, lorsqu’ils y sont entrés. Ils se le soumettent avec force, parce que « l’amour » en assurant qu’ailleurs on peut avoir une grandeur éternelle et céleste, et partant préférable à celle qu'on peut préférer ici-bas, renverse la tour de l'orgueil. Et la « crainte, promettant à ceux qui ont le front indomptable les supplices éternels de l'enfer, brise l'obstacle de l'obstination. Et aussi ce château qui était contre eux, lorsqu'ils étaient dehors, est avec eux lorsqu'ils y ont pénétré. Et il arrive par là: que, selon la prophétie d'Isaïe, la cité prostituée, dont les habitants étaient homicides, peut avec raison être appelée « la cité du juste, la ville fidèle (Isa. I. 26).»

10. Mais il faut, que les disciples s'occupent de délier l'ânesse et son ânon et de les amener à Jésus-Christ. Mes frères, deux vertus sont. fort nécessaires à l'homme, une humble simplicité et une liberté , active et prompte. L'une peut se trouver exprimée par l'ânesse, l’autre, par l'ânon. L'ânesse, en effet, est mise sous le joug, et l'ânon est encore abandonné à sa propre liberté. Voilà pourquoi, nous invitant à la mansuétude de l'humilité, Notre Seigneur Jésus-Christ nous offre son joug à porter : « Prenez, » dit-il « mon joug; sur vos épaules.» Et qu’est-ce que porter son joug, il l'indique, lorsqu'il ajoute : « et apprenez de moi, que je suis doux et humble de cœur (Matth. XI. 27). » L'Écriture a pensé que dans le fils de l'ânesse il fallait voir la liberté, lorsqu'elle dit de l'homme vain, rempli d'orgueil « qu'il se croit né libre comme le fils de l'onagre (Job. XI. 12). » Bien que saint Paul entende ici la liberté mauvaise, quand il emploie ces expressions : « lorsque vous étiez esclaves du péché, et que vous étiez affranchis de la justice, » parce que le poulain n'est pas encore soumis au joug, il montra que dans lui on pouvait voir la liberté dont nul obstacle n'empêche les mouvements agiles. Ces deux animaux, l'ânesse et son poulain, sont attachés à ce château, car l'âme pécheresse dont cette maison est l'image, ainsi qu'il a été dit plus haut, peut avoir peut-être ces deux vertus de simplicité et de liberté, quant à l'intelligence, mais à coup sûr, elle ne les possède pas en pratique.

11. Si vous cherchez quels sont les liens qui retiennent ces animaux, vous trouverez que c'est d'abord la rougeur de la honte, et l'engourdissement de la crainte. Car, dans l'homme méchant, la mauvaise honte empêche la simplicité, et la crainte, la liberté; en sorte que l'une n'ose pas montrer en soi une véritable humilité, ou que l'autre ne s'attache pas à pratiquer la pureté. Très-souvent, beaucoup de personnes reconnaissent avec évidence que l'humble simplicité, ou si l'on trouve ces termes plus convenables, l'humilité simple, est une très-haute vertu mais, n'ayant pas l'esprit encore dépouillé de la gloire de la vie présente, ils répugnent à paraître vils, et ils ne le pratiquent d'aucune façon. D'autres comprennent combien chose sublime est la pureté de la liberté mais tremblants, ils redoutent ou désirent qu'elle ne soit pas stable ou maîtresse d'elle-même, ou bien, entraînés par un désir coupable de gagner, ou saisis d'une frayeur de perdre ce qu'ils ont, ils ne la pratiquent ni de voix, ni d'action. Bien qu'en ces âmes, vous trouviez la simplicité et la liberté, au point de vue de l'intelligence, n'est-il pas vrai qu'elles y sont liées par rapport à la pratique?

12. Du reste, le Saint-Esprit qui apparut sous la forme de colombe (Matth. XIII), et de feu, (Act. II.) rend ses élus simples dans l'humilité pour qu'ils ne s'élèvent point par orgueil, et courageux par rapport à la pureté, de crainte que la paresse ne les fasse languir dans l'inertie. Rappelez en votre pensée le souvenir de ces deux hommes de vertu, je veux dire le prophète David et l'apôtre saint Paul, et voyez si chacun d'eux n'eut pas en lui cet animal, aussi bien l'ânesse de la simplicité, que le poulain de la liberté, mais ces animaux n'étaient pas liés en eux, ils y étaient détachés. Le saint roi David dit en effet « Je danserai devant le Seigneur et je deviendrai plus vil que je n'ai été, et je serai bas à mes yeux (II Reg. VI, 22 ). » Le Saint-Esprit dit avec raison de lui, qu'il était un tendre vermisseau des bois. Aussi, s'adressant au Seigneur, il laissa éclater des accents : « Seigneur, mon cœur ne s'est point exalté, mes yeux ne se sont pas enorgueillis, je n'ai pas marché dans les grandes choses qui étaient bien au-dessus de moi (Psal. LXXX.1). Voilà l'ânesse dans la maison de David. Voyez aussi le poulain : « N'est-il pas vrai, Seigneur, que j'ai haï ceux qui vous haïssaient, et que je séchais de colère contre vos ennemis. Je leur portais une haine parfaite, et ils étaient mes propres ennemis; (Ps. CXXXVIII. 21). Saint Paul lui aussi, selon l'étymologie de son nom, est un petit poulain, il est bien peu de chose au milieu de ses disciples : et, bien qu'il soit affligé de tous côtés, la parole de Dieu néanmoins n'est pas enchaînée dans son cœur (II Tim. II. 9). Il suppliait ses enfants par la mansuétude et la modestie de Jésus-Christ (II Cor. X. 1), assurant que, parmi eux, il était d'une apparence chétive. A Antioche, il résiste en face à Céphas lui-même parce qu'il le trouve répréhensible (Gal. II. 11). Étonnez-vous donc de le voir d'un côté si humble, soumis par l'humilité, et d'un autre si élevé par la liberté. Et Moïse, pour insister sur ces exemples, brise Pharaon sous son autorité, et obéit par humilité aux conseils de Jéthro (Exod. VIII, IX). Samuel, l'homme de Dieu, croit commettre un péché s'il ne cesse de prier pour le peuple qui lui ôte le pouvoir (I Reg. XII, 23), et il ne craint pas de faire hâcher Agag (I Reg. XXV). Comment admirerons-nous assez le très-saint prophète Élie (IV. Reg. IV, XIX), en le voyant tantôt si humilié, que vil à ses yeux, et se méprisant lui-même, les reins ceints, il court humblement devant Achab, tantôt se redressant avec tant d'autorité, que plein de zèle pour le Seigneur des armées, et indigné à la vue des idolâtres, il ne craint pas de leur arracher la vie? Et Élisée son saint disciple, suivant sa liberté pleine de simplicité, et sa simplicité pleine de liberté, ne dédaigne pas d'être touché par une pauvre femme, et il ne sort pas pour voir Naaman. Il ne faisait aucune attention au roi d'Israël, et ne le regarderait même pas, s'il ne craignait pas de déplaire à Josaphat, roi de Juda. Ces hommes et ceux qui leur ressemblaient, je dis qu'en leur âme, ils avaient délié et l'ânesse de l'humilité et le poulain de la liberté . en s'humiliant en toutes choses, ils sont simples et doux, et pour attaquer vivement tout ce qui est contre Dieu, ils se redressent et sont libres.

13. Que s'il est quelqu'un parmi vous qui ait en lui ces deux animaux, mais attachés, il faut que les deux disciples dont nous venons de parler viennent les délier. Quels sont ces disciples, quels ces animaux, et quels les liens qui les enchaînent? Vous l'avez déjà entendu expliquer. Et quel est celui qui a en lui ces animaux, mais les a liés ? Quand vous verrez un homme s'enorgueillir sous l'extérieur de l'humilité, réglant tout ce qui l'entoure, plus pour briller par superbe que pour conserver la souvenance, sachez qu'il a l'ânesse, mais attachée. Il est parfaitement instruit sait très-bien avec quelle humilité il se doit comporter en sa démarche, en sa position, en ses actions, en son extérieur, dans son visage, et en ses affections, en un mot dans toute sa conduite : mais rougissant de se montrer en réalité de cette manière, il possède bien en lui l'ânesse de la simplicité, mais retenu par le lien de la honte. De même, lorsque vous apercevrez quelqu'un, comme une mauvaise sentinelle, apercevant le glaive briller, sans sonner de la trompette, semblable à un mercenaire, voyant venir le loup et prenant la fuite, à l'instar d'un cultivateur négligent et paresseux, sachant que les épines et les buissons et les autres plantes inutiles et nuisibles croissent dans le jardin du Seigneur, sans mettre la main pour les déraciner ou, ce qui est moins pénible, pour les couper, reconnaissez qu'en lui se trouve le poulain, mais lié. Il voit en effet le mal et peut être n'y veut-il pas consentir, mais il n'ose pas l'attaquer à cause de la personne et de la chose elle-même, selon le lieu et le temps, et chez lui, le poulain est attaché par le lien de la crainte.

14. Mais que les disciples regardent et qu'ils délient l'ânesse, qu'il, délient pareillement le poulain, qu'un amour ordonné chasse la mauvaise crainte, afin que la simplicité prenne le dessus, qu'une crainte réglée chasse la frayeur engourdissante, afin que la liberté s'exerce pleinement. Désormais donc que l'âme, de non pieuse quelle était, devienne pieuse, qu'elle aime l'a vérité nu point d'avoir en haine la vanité, qu'elle craigne de tomber sous le coup du châtiment, de telle manière qu'elle redoute et fuie de tout son pouvoir les fautes qui l'attirent. Que si cet heureux résultat s'obtient dans le château qui auparavant se dressait coure les disciples, l'ânesse est déliée, son ânon l'est aussi : pour que cette âme qui naguère s'opposait par l'orgueil à l'amour et par l'obstination à la crainte, prévale et domine, soit la simplicité qui bannit tout faste, soit la liberté qui exerce, à l'égard du prochain la piété de son zèle.

15. « Détachez-les, « dit le Sauveur, et « amenez-les moi ». Que les disciples détachent l'ânesse et l'ânon, qu'est-ce autre chose, sinon quel amour, en intervenant, délivre la simplicité des entraves de la mauvaise honte, et que la sainte crainte dégage la liberté de la frayeur qui engourdit l'âme? Déliés, ces deux animaux sont conduits à Jésus, lorsque ces deux vertus sont pratiquées avec l'intention pure d'obtenir le fruit; de salut véritable. Il les a bien déliés, ces animaux, mais non amenés à Jésus, celui qui cultive virilement ces vertus, mais en vue d'obtenir ou la faveur des hommes, ou quelque avantage terrestre, et non le salut Vous voyez donc que ce n'est point assez qu'en votre château, l'ânesse et son petit soient détachés, si après avoir été déliés ils ne sont conduits à Jésus : parce que, selon la sentence de saint Paul, « Dieu rend à chacun n selon ses œuvres, à ceux qui vivent dans la patience des bonnes œuvres, gloire, honneur et immortalité, mais s'ils cherchent la vie éternelle. (Rom. II. 7).» Parce que l'Apôtre assure que le Seigneur donnera la gloire, l'honneur et l'immortalité à ceux qui vivent dans la patience des bonnes œuvres, entendez les animaux dont nous parlons pleinement déliée. Parce qu'il dit que ces biens seront accordés à qui cherche la vie éternelle, reconnaissez ces mêmes animaux, mais conduits à Jésus.

16. Mais ces considérations sont hautes et profondes, elles ne conviennent qu'aux parfaits, et elles conduisent les hommes à la perfection. J'assure que vous êtes parfait, car je vous Sois constamment appliqué à vous corriger, exerçant sur toutes vos actions un contrôle sévère, et déployant envers les autres un pieux zèle de ferveur. Aussi, si vous désirez atteindre au faîte de la perfection, et si la pusillanimité vous empêche de réduire en actes cette doctrine, sachez que sans cette pratique vous ne pouvez être parfait. Aussi le Seigneur dit à ses disciples « si quelqu'un vous fait quelque observation, dites-lui que le maître en a besoin.» Lorsque ces disciples délient en nous l'ânesse et son ânon, qui est-ce qui dit quelque chose, sinon les pensées folles qui sont en nous, et, en tant qu'orgueilleuses, empêchent l’amour de délier la simplicité, et en tant que timides, s'opposent à ce que la crainte n’affranchisse la vigueur de la liberté ? Mais « le Seigneur en a besoin : » parce que quiconque désire parvenir au sommet de la perfection doit pratiquer ces vérités. A tout Seigneur spirituel, deux choses sont fort nécessaires, la puissance et le courage: c'est-à-dire, ne vous regardez jamais comme maître si toujours vous n'êtes en état de pouvoir juger avec humilité celui qui commet une action illicite, et si vous n'osez pas reprendre, comme il a été dit plus haut, ceux qui font mal selon le temps, les personnes et les lieux.

17. « Ils amenèrent l'ânesse et son ânon, les couvrirent de leurs vêtements, et le firent asseoir par dessus. » Les vêtements des disciples sont les ornements des vertus. Et que font-ils en plaçant ainsi leurs habits, sinon apporter tout ce qui peut exciter à l'amour et à la crainte de Dieu ? Jésus s'y place dessus, lorsque au sommet de tous ces mobiles domine le désir du véritable salut. D'abord, l'ânesse et son petit sont détachés par les mains des disciples ; en second lieu, ils sont amenés à Jésus : puis, ils reçoivent les vêtements dont on les couvre, enfin Jésus lui-même se place par dessus. Et pourquoi tout cela ? Assurément pour qu'en premier lieu nous pratiquions toutes sortes de bonnes œuvres, opérant le bien envers tous. ( Galat. VI.) Pour que, secondement nous désirions, en tout cela, ne plaire qu'à Dieu seul, cherchant la vie éternelle, et enfin pour que nous voulions de plus en plus profiter dans le bien, nous appliquant à ce qu'il y a au dedans de nous, et désirions paraître devant la face de Dieu, ayant grande envie de mourir et d'être avec Jésus-Christ. «Un très-grand nombre dans la foule étendirent leurs habillements sur le chemin » parce que les pensées intérieures déposent leurs bons effets dans le fond de notre âme. Les autres coupaient des branches d'arbres et les jetaient sur la route, » parce que, non-seulement les bonnes âmes s'humilient dans les bonnes œuvres faisant partie de l'exercice du corps, qui, selon l'Apôtre, est d'une médiocre utilité, mais encore parce que, rameaux des arbres spirituels, elles se détachent des hauteurs de la contemplation, et s'abaissent autant que possible, conduite qui se rapporte à la piété, utile à tout.

18. Et ces âmes s'humilient, non-seulement dans tous les biens extérieurs, touchant le corps et dans tous les fruits intérieurs se rapportant à l'esprit, mais encore au milieu de toutes les vertus qu'elles possèdent, ou infuses par la nature, ou surajoutées par la grâce, s'adonnent avec instance à la prière pour obtenir le salut éternel : parce que «ceux qui marchaient devant, et ceux qui suivaient criaient Hosanna. » Glissons sur ces paroles, puisque nous avons hâte de terminer ce discours. Il y a en nous de bonnes affections, produites les unes par la nature, les autres par la grâce. Les unes précèdent, les autres suivent. La nature a mis en nous du bien : mais comme ce bien ne suffisait pas pour le salut, ce qu'elle donnait en moins, la grâce l'a donné en plus. Il faut se rappeler cependant que comme la grâce produit des biens de la conscience, de même elle en produit de naturels, les uns viennent de la grâce en tant qu'elle crée, les autres de la grâce en tant qu'elle sauve. A l'une les biens de la nature doivent leur commencement, à l'autre ils doivent leur accroissement et leur perfection. Mais en ces pensées pieuses, en ces veilles inquiètes concernant le salut, les biens de la nature qui courent les premiers et ceux de la grâce qui viennent ensuite, crient Hosanna : et cela afin que les âmes, pour obtenir le salut, ne se confient point tant dans le mérite et la qualité de leurs succès, que dans l'assiduité pure et la pureté assidue et constante de la prière. Le mot « Rosé » en effet, comme on le dit, signifie « qui sauve; » quant au mot « Anna » qui s'y ajoute, il exprime le mouvement affectueux du cœur qui prie. C'est pourquoi, mes frères, humilions-nous dans nos biens tant extérieurs qu'intérieurs et au milieu des vertus nombreuses que la nature nous a données et la grâce y a ajoutées, de tout notre cœur, crions : Hosanna. Si nous avons en nous quelque chose de mauvais, eussions-nous quelque chose de bon, ne lui répondons pas, mais, avec le bienheureux Job, prions notre juge qu'adorent les Dominations, que les Puissances redoutent, le Dieu tout puissant qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.

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