PAQUES III
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TROISIÈME SERMON POUR LES FÊTES DE PAQUES. Sur les sept immersions de Naaman dans les eaux du Jourdain et sur la guérison de sept sortes de lèpres; sur les sept apparitions de Jésus-Christ après sa résurrection, lesquelles nous rappellent les sept dons du Saint-Esprit.

1. De même que dans la médication du corps on commence par le purger avant de lui donner des fortifiants, afin de le débarrasser d'abord de toutes les mauvaises humeurs pour le fortifier ensuite par des aliments solides, ainsi le médecin de nos âmes, le Seigneur Jésus, dont toute la conduite dans la chair n'est autre chose que la médecine du salut, a commencé, avant la passion, par nous donner sept purgatifs, pour nous donner ensuite, une fois ressuscités , sept aliments , aussi doux que salubres. Notre grand prophète Elisée ordonna au lépreux Naaman d'aller se plonger sept fois dans le Jourdain, dont le nom signifie descente. Ainsi est-ce dans la descente de Notre-Seigneur, c'est-à-dire, dans l'humilité de sa vie toute entière, avant sa passion, que nous sommes purifiés et purgés, et dans sa résurrection aussi bien que pendant les quarante jours qu'il passe alors sur la terre, que nous sommes fortifiés et nourris d'aliments délicieux. La lèpre d'orgueil qui nous ronge est de sept sortes. Ainsi, il y a la lèpre de la propriété, celle des vêtements luxueux et celle des voluptés charnelles, il y en a deux aussi qui s'attaquent à la bouche et deux qui rongent le cœur. La première des sept est donc la lèpre de la propriété, elle ronge ceux qui veulent être riches en ce monde ; on s'en purifie, en se plongeant dans le Jourdain, c'est-à-dire dans la descente de Jésus-Christ. En effet, nous voyons qu'étant riche il se fit pauvre pour nous. Il quitta les richesses inénarrables des cieux pour descendre en ce monde, dépouillé de tous ces biens, y vivre dans une telle pauvreté, que, à sa naissance, il eut une crèche pour berceau et ne put trouver place dans une hôtellerie (Luc. I, 58). Qui rie sait qu'ensuite le Fils de l'homme n'a point eu où reposer la tète? Si on se plonge bien dans ce Jourdain symbolique, comment recherchera-t-on encore les biens de ce monde? Au fait, quel abus excessif qu'un misérable ver de terre veuille être riche quand le Dieu de toute majesté, le Seigneur de Sabaoth, a voulu être pauvre pour lui!

2. Par la lèpre des vêtements, j'entends toutes les pompes du monde, et on s'en guérit comme de l'autre, toujours en se plongeant dans le Jourdain où on trouve le Christ du Seigneur enveloppé de misérables langes, devenu l'opprobre des hommes et l'abjection du peuple. Quant à la lèpre du corps, on s'en purifie également, mais encore dans les eaux du même Jourdain, c'est-à-dire dans la pensée de la passion de Notre-Seigneur, qui nous fera rougir de courir après les voluptés charnelles. Mais j'ai dit qu'il y a deux lèpres qui s'attaquent à la bouche. La première des deux est le murmure auquel nous nous laissons aller dans les contrariétés, et qui coule de nos lèvres, comme l'humeur viciée de la lèpre, en paroles d'impatience. Mais nous guérirons de cette lèpre-là, en considérant «Celui qui fut conduit à la mort comme un muet agneau, sans même ouvrir la bouche (Isa. LIII, 7), qui ne sut ni répondre aux malédictions, ni faire entendre des paroles de menace au milieu des supplices (Petr. II, 23). » Dans la prospérité, au contraire, malgré ces paroles de l'Apôtre : « Ce n'est pas celui qui rend témoignage à lui-même qui est vraiment estimable ( II Cor. X, 17), » nous nous exaltons nous-mêmes, non pas avec une patience admirable, mais avec une sorte d'arrogance; nous sommes alors atteints d'une lèpre, celle de la jactance. Pour nous débarrasser, allons toujours nous plonger dans les eaux du Jourdain, et, marchant sur les pas de Celui qui ne cherche point sa propre gloire, mais qui ordonnait même aux démons, lorsqu'ils proclamaient qu'il était le Fils de Dieu, de garder le silence (Luc. IV, 34), et qui défendait aux aveugles-nés guéris par lui, de parler de lui (Matt. IX, 30).

3. Quant au cœur, il peut être rongé par deux sortes de lèpres aussi; par celle de la volonté propre, et par celle du propre conseil ; deux véritables pestes. d'autant plus dangereuses qu'elles ne paraissent point au dehors. Or j'entend par volonté propre, celle qui n'est pas en même temps volonté de Dieu et volonté des hommes; mais uniquement nôtre, ce qui arrive lorsque ce que nous voulons, ce n'est point pour la gloire de Dieu, ni pour le lien de nos frères, mais pour notre satisfaction personnelle que nous le voulons. Elle est diamétralement opposée à la charité, qui n'est autre que Dieu. En effet, elle soulève des inimitiés, et fait une guerre des plus cruelles à Dieu. En effet, qu'est-ce que Dieu déteste et punit, sinon la volonté propre? Que notre volonté propre cesse d'exister et il n'y a plus d'enfer. Quel aliment, en effet, ses flammes dévoreront-elles, dès que notre volonté propre ne leur en fournira plus ? Or, maintenant, lorsque le froid ou la faim, ou tout autre chose, nous fait souffrir, qu'est-ce qui est blessé en nous, sinon la volonté propre? Au contraire, dès que nous souffrons ces choses avec patience, il n'y a plus de volonté, propre en nous, elle devient commune, mais il nous en reste toujours une sorte de faiblesse et de démangeaison, dont nous avons toujours à, souffrir dans toutes nos peines, jusqu'à ce que tout soit consommé. Or, j'entends par volonté propre, celle qui nous anime et qui fait plier notre libre arbitre : sous elle. Or , tous ces désirs et toutes ces concupiscences qui nous dominent malgré nous, ce sont moins une volonté que la corruption même de la volonté. Mais, que les esclaves de leur volonté propre apprennent, et tremblent en l'apprenant, avec quelle fureur elle attaque le Seigneur de toute majesté. En premier lieu, elle se soustrait au pouvoir et s'arrache à la domination de celui à qui elle devait être soumise comme à son auteur, tant qu'elle se fait sienne; mais se contentera-t-elle du moins de cette injustice-là? Non certes, elle va beaucoup plus loin, elle ôte, elle ravit autant qu'il est en elle, tout ce qui appartient à Dieu. En effet, quelles bornes se pose la cupidité humaine? Est-ce que celui qui, par des pratiques usuraires, a acquis quelques misérables pièces d'argent, n'essaierait point d'acquérir le monde entier, s'il le pouvait, si les moyens répondaient à son désir ? Je le dis hardiment, il n'y a pas d'homme esclave de sa volonté propre, dont l'ambition serait satisfaite de la possession du monde entier. Mais, plût à Dieu qu'elle se contentât de cette possession, et qu'elle n'allât point, ô horreur, jusqu'à porter en quelque sorte les mains sur son créateur même ! Or, c'est ce qu'elle fait autant qu'il est en elle; oui, la volonté propre s'attaque même à Dieu. En effet, elle voudrait que Dieu, ou ne pût ou ne voulût point punir ses excès, ou bien même qu'il n'en eût ;point connaissance. Elle voudrait donc que Dieu ne fût pas Dieu, puisqu'elle voudrait, autant que cela dépend d'elle, qu'il fût impuissant, injuste, ou ignorant. N'y a-t-il pas une malice aussi cruelle qu'exécrable à souhaiter qu'il n'y ait plus en Dieu ni puissance, ni justice, ni science? Or, c'est la volonté propre qui est bête cruelle et féroce, pire que toutes les bêtes féroces, cette louve rapace , cette lionne dévorante. Voilà, quelle est la lèpre hideuse de l'âme pour laquelle il faut aller nous plonger dans le Jourdain, et imiter celui qui n'est pas venu pour faire sa volonté, comme il le dit dans la passion, lorsqu'il s'écrie : « Que ce ne soit pas ma volonté, mais la vôtre qui se fasse, ô mon Père (Luc. XXII, 42) ».

4. Quant à la lèpre du propre conseil, je la trouve d'autant plus pernicieuse qu'elle est plus cachée, et que plus elle est développée, plus on se croit net et sain. C'est la lèpre de ceux qui ont le zèle de Dieu, mais non point selon la science, qui suivent leurs voies erronées avec une telle obstination, qu'ils n'acceptent de conseil de personne. Les gens qui en sont atteints , sèment la division là où l'unité régnait, sont ennemis de la paix, étrangers à la charité, bouffis d'orgueil, satisfaits d'eux-mêmes, grandes à leurs propres yeux, ils ignorent ce qu'est la justice de Dieu à laquelle ils veulent substituer la leur. Que se peut-il imaginer de plus grand que l'orgueil d'un homme qui met son propre jugement au dessus de celui de toute une communauté, comme s'il n'y avait que lui qui eût l'esprit de Dieu. « Or, c'est aine espèce de magie de ne vouloir point se soumettre, et une sorte d'idolâtrie de ne point céder (Reg. XV, 23). » Après cela, qu'on aille se faire plus religieux que les autres, se croire autrement que le reste des hommes; c'est tomber dans le péché de magie et d'idolâtrie, si toutefois, ceux qui ont ce malheur, ne s'en rapportent pas plus à eux-mêmes qu'à celui qui leur a dit leur fait, comme nous venons de l'entendre. D’ailleurs, le langage du Prophète ne diffère pas de celui de la Vérité même, qui a dit aussi «Quiconque n'écoute point l'église sera pour vous comme un païen et un publicain (Matt. XVIII, 47). » Or, je vous le demande, en quel autre endroit que dans le Jourdain pourrons-nous nous purifier d'une semblable lèpre ? Allez donc vous y plonger ; qui que vous soyez qui vous en trouvez frappé, et remarquez bien la conduite qu'a tenue l'Ange du grand conseil, comment il a fait venir son propre conseil après celui des autres, et même comment il l'a subordonné à la volonté d'une simple femme, je veux parler de la Sainte-Vierge, et d'un pauvre artisan, de Joseph enfin. En effet, trouvé par eux, au milieu des docteurs qu'il écoutait, et à qui il posait des questions, comment répondit-il aux reproches de sa Mère, qui lui disait : «Mon fils, pourquoi en avez-vous usé ainsi avec nous ? Pourquoi me cherchiez-vous, leur dit-il? Ne saviez-vous point qu'il faut que je sois occupé aux choses qui regardent le service de mon Père ? Mais, ils ne comprirent point ce qu'il leur disait (Luc. II, 48). » Que fit le Verbe ? il ne s'en tint point à lui, il partit avec ses parents , il leur était soumis. Or, qui est-ce qui maintenant ne rougira pas d'être opiniâtrement attaché à son propre sens, en voyant que la Sagesse même renonce au sien, mais y renonce si bien que Jésus ne recommença son œuvre que lorsqu'il eut atteint l'âge de trente ans? Car depuis cet âge de douze ans, où il était arrivé alors, jusqu'à celui de trente ans, on n'entend plus parler ni de sa doctrine ni de ses œuvres.

5. Mais peut-être y a-t-il lieu à lui demander de quelle manière il renonça à sa volonté propre et à son propre conseil. O Seigneur, comment entendre que cette volonté dont vous demandiez qu'elle ne s'accomplît point si elle n'était pas bonne, ait été votre volonté (Marc. XIV, 36)? Et de même si votre dessein n'était pas bon, comment pouvait-il être vôtre? Et s'il était bon, comment avez-vous dû y renoncer? Or, dessein et volonté étaient bons et étaient bien à lui et cependant il dent y renoncer afin qu'ils devinssent meilleurs. En effet, il ne fallait pas qu'il fit passer ses desseins et sa volonté propre avant les desseins et la volonté commune. Ainsi, c'était bien la volonté du Christ, et elle était bonne quand il disait : « Si c'est possible, que ce calice s'éloigne de moi. » Mais elle était meilleure lorsqu'il s'écriait : « Que votre volonté soit faite, ô mon père (Mati. XXVI, 49), » attendu qu'elle était en même temps commune au Père, au Fils, qui ne fut offert en sacrifice que parce qu'il le voulut, et à nous en même temps. En effet, si le grain de froment n'est jeté en terre et n'y meurt, il demeure seul; mais s'il meurt il porte beaucoup d'autres grains (Joan. XIII, 24). Or, la volonté du Père était d'avoir des enfants d'adoption, celle de Jésus, d'être le premier né de beaucoup de frères, et la nôtre qu'il nous rachetât. J'en dis autant de ses desseins. Ils étaient bien les desseins du Christ, et en même temps ils étaient bons quand il dit : « Il faut que je sois occupé aux choses qui regardent le service de mon Père (Luc. II, 49). » Mais comme Marie et Joseph ne le comprirent point, il renonça à ces desseins afin de nous purifier de la lèpre de nos propres desseins, car il nous a donné l'exemple afin que nous fissions comme lui. Il savait bien, dès le principe, ce qu'il devait faire, mais il voulut nous donner la forme de l'humilité et nous préparer, dans sa personne divine, un vrai Jourdain où nous pussions nous plonger. Que ceux donc qui sont atteints en même temps de la lèpre de la volonté propre et du propre conseil, prêtent l'oreille et entendent ce que le Saint-Esprit dit aux Eglises, ils verront qu'il condamne en deux mots cette double lèpre. « La sagesse qui vient d'en haut, dit-il, d'abord est chaste, » ce qui condamne l'impureté de la volonté propre, puis elle est pacifique (Jac. III, 47), » ce qui condamne l'obstination et la volonté du propre conseil.

6. Mais quand l'âme malade s'est guérie de ces sept lèpres différentes, qu'elle recherche dans les sept dons du Saint-Esprit, sept aliments qui la remontent et la fortifient, comme le ferait une personne que sept purgations successives auraient épuisée. Or, de même que dans la vie de Notre-Seigneur, nous trouvons sept purifications avant la passion, ainsi, après sa résurrection, nous avons dans ses sept apparitions, les sept dons du Saint-Esprit. Dans la première nous trouvons l'esprit de crainte, alors que l'ange de Dieu descendit du ciel au devant des saintes femmes et qu'il se fit un tremblement de terre; car la crainte des saintes femmes fut telle qu'il fallût que l'ange les rassurât (Matt. XXVIII, 2). Quant à l'esprit de piété, nous le trouvons dans l'apparition de Jésus à Simon Pierre; en effet, c'était une grande, une très-grande grâce de la bonté de Notre-Seigneur Jésus, de daigner se montrer avant d'apparaître aux autres apôtres, d'abord à Simon Pierre que les remords de sa conscience tourmentaient au souvenir de son triple reniement, et de faire surabonder la grâce là où le péché avait abondé. Nous avons l'esprit de science dans son apparition aux deux disciples d'Emmaüs, alors qu'il leur expliqua le long de la route, les Saintes-Ecritures, en commençant par Moïse et les Prophètes (Luc. XXIV, 27). Nous voyons l'esprit de force se manifester quand il entre dans le Cénacle dont les portes étaient fermées (Joan. XX, 19), et qu'il montre à ses disciples ses mains et son côté, comme on a coutume de montrer les trous faits au bouclier dont on se servait en preuve de la force avec laquelle on a combattu. C'est l'esprit de conseil qui engagea les apôtres, après avoir passé la nuit entière à pêcher sans rien prendre, à jeter néanmoins les filets à droite de la barque (Joan. XXI, 6). On reconnaît l'esprit d'intelligence quand il ouvre l'intelligence à ses apôtres et les met en état de comprendre les Ecritures (Luc. XXIV, 51). Enfin c'est dans un esprit de sagesse, que le quarantième jour de sa résurrection, il se montre à eux encore, et s'enlève dans le ciel à leurs propres yeux. (Act. I, 9), en sorte qu'ils virent le Fils de l'homme remonter à la place qu'il avait occupée auparavant. Jusqu'à ce jour, il semble que la foi qui sauvait ceux qui croyaient en lui, était une sorte de folie; mais à partir du moment où il remonta vers son Père, à leurs propres yeux, croire en lui commença à être réputé une véritable sagesse.

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