MISSUS EST IV
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QUATRIÈME HOMÉLIE. Sur les gloires de la Vierge mère.

1. On ne peut douter que ce que nous disons à la gloire de la mère nous ne le disions aussi à la gloire du Fils, de même que lorsque nous honorons le Fils, nous honorons également la mère. Car si, d'après Salomon : « Un fils sage est la gloire de son Père (Prov., X, 1), » quelle ne doit pas être la gloire de celle qui est la mère de la Sagesse même? Mais que tenté-je de louer celle que les prophètes déclarent, que l'Ange nous montre et que l'Evangéliste proclame digne de louanges? Je n'entreprends donc point de la louer parce que je n'ose le faire, je me contente de reprendre avec dévotion ce que le Saint-Esprit a dit par la bouche de l'Evangéliste. En effet il continue son récit en ces termes « Et le Seigneur lui donnera le trône de David son Père (Luc., I, 32). » Ce sont les propres paroles de l'Ange à la Vierge, en parlant du Fils qu'il lui a promis; il lui donne l'assurance que ce Fils occupera le trône de David. Que le Seigneur Jésus soit de la famille de David, cela ne fait un doute pour personne. Mais je me demande comment Dieu lui a donné le trône de David son père, quand je vois non-seulement qu'il n'a jamais régné à Jérusalem, mais que même lorsque la foule projetait de le faire roi, il n'a point cédé à ses désirs et que devant Pilate, il a déclaré hautement que son « royaume n'est point de ce monde (Joan., XVIII, 36). » Après tout qu'y a-t-il de grand dans la promesse qu'il s'assoira sur le trône de David son père, faite à celui qui est assis sur les Séraphins mêmes et que le Prophète a vu sur un trône élevé et sublime (Isa., VI, 1) ? Mais nous savons qu'il est question ici d'une autre Jérusalem plus noble et plus riche que celle qui subsiste encore maintenant et dans laquelle David a régné autrefois. C'est donc de celle-là que je crois qu'il est question ici, par une figure de langage habituelle aux écrivains sacrés, qui prennent souvent le signe pour la chose signifiée, Il fut donc placé de Dieu sur le trône de, David son père quand il fut établi roi par lui sur la montagne sainte de Sion. D'ailleurs le Prophète semble avoir voulu indiquer d'une manière toute particulière de quel royaume il voulait parler quand il dit qu'il régnerait non pas à Sion mais sur Sion. Car il peut se faire qu'il se soit servi du mot « sur, » parce que David régna à Sion, tau. dis que c'est sur Sion qu'est établi le règne de celui dont il a été parlé en ces termes à David: « J'établirai sur votre trône le fruit de votre ventre (Psalm. CXXXI, 11), » et dont il a été dit aussi par un autre prophète: « Il sera assis sur le trône de David et régnera sur son empire (Isa., IX, 7). » Vous retrouvez le mot sur dans tous ces passages, « sur Sion, sur le trône, sur le siège, sur l'empire. » Dieu lui donnera donc le trône de son père David, non pas celui qui n'était qu'une figure mais son trône véritable; non pas son trône temporel et terrestre mais son trône éternel et céleste. Or ce trône est appelé le trône de David, parce que celui sur lequel David s'est assis en était la figure.

2. « Et il régnera éternellement sur la maison de Jacob et son règne. n'aura point de fin (Luc. t, 32 et 33).» Ici encore si nous prenons à la lettre ce qui concerne la maison de Jacob, comment pourra-t-il régner éternellement sur elle, puisqu'elle ne doit point subsister éternellement? Il faut donc rechercher une autre maison de Jacob qui soit éternelle pour que Celui dont le règne n'aura point de fin puisse régner éternellement sur elle. Après tout est-ce que cette indigne maison de Jacob n'a point eu l'impiété de le renier et la folie de le repousser en présence de Pilate, quand ce gouverneur lui disait: « Crucifierai-je votre roi (Joan., XIX, 15) ? » elle s'écria tout d'une voix: « Nous n'avons point d'autre roi que César? » Adressez-vous à l'Apôtre, et il vous fera discerner celui qui est juif en secret, de celui qui l'est en publie, la circoncision qui est dans l'esprit, de celle qui n'existe que dans la chair, ceux qui sont fils d'Abraham selon la foi, de ceux qui ne le sont que selon, le sang (Rom., II, 28). « Car tous ceux qui descendent d'Israël ne sont point des Israélites pour cela; non plus que tous ceux qui sont de la race d'Abraham, ne sont ses vrais enfants (Rom., IX, 6). » Poursuivez et dites de même : tous ceux qui sont du sang de Jacob ne sont pas pour cela de sa maison. Par Jacob, il faut entendre la même chose que par Israël ; il n'y a donc que ceux qui seront trouvés parfaits dans la foi de Jacob qui seront censés de sa maison, ou plutôt il n'y a qu'eux qui soient véritablement la maison spirituelle et éternelle de Jacob sur laquelle le Seigneur Jésus doit régner éternellement. Or quel est celui d'entre nous qui, selon le sens du mot Jacob, supplante le diable dans son cœur, lutte contre ses vices et ses passions afin que le péché ne règne point dans son corps mortel, et que Jésus au contraire y règne maintenant par sa grâce, et dans l'éternité, par sa gloire? Heureux ceux en qui Jésus régnera éternellement, parce qu'ils régneront en même temps avec lui; or son règne n'aura point de fin. O quel royaume glorieux que celui où les rois se sont assemblés et réunis pour louer et glorifier Celui qui est le Roi des rois mêmes et le Seigneur des seigneurs; pt que les justes ne pourront contempler dans tout l'éclat de sa splendeur sans briller eux-mêmes comme le soleil dans le royaume de leur Père (Matth., XIII, 43). Oh! si Jésus veut bien se souvenir de moi, pauvre pécheur, quand il sera arrivé dans son royaume ! Oh ! si le jour où il doit remettre son empire à son Dieu et son père, il me fait la grâce de me visiter par son assistance salutaire, afin que je me voie comblé des biens qu'il réserve é. ses élus, que je goûte la joie qu'il destine à son peuple et qu'il soit loué de moi avec ceux qu'il a choisis pour son héritage (Psalm. CV, 4 et 5) ! Mais Seigneur Jésus, vexiez en attendant ce jour, arrachez les scandales de votre royaume, qui est ilion é,me, afin que vous régniez en elle comme vous le devez. En effet, l'avarice vient à moi et réclame un trône dans mon cœur; la jactance veut y dominer aussi; l'orgueil aspire à être mon roi, et la luxure me dit: C'est moi qui régnerai en toi; l'ambition, la médisance, l'envie, la colère se disputent en moi l'empire de mon âme, c'est à qui se rendra maître de moi. Pour moi je résiste tant que je puis, je les repousse de toutes mes forces. J'en appelle à Jésus, mon seigneur, c'est entre ses mains que je remets ma défense, car je reconnais que je lui appartiens. Je le tiens pour mon Dieu et pour mon seigneur, et je déclare que je n'ai pas d'autre roi que le Seigneur Jésus. Venez donc, Seigneur, dispersez-les dans votre force, et vous régnerez en moi, car vous êtes mon roi, mon Dieu, le Dieu qui a sauvé bien des fois Jacob par votre seul commandement.

3. Alors Marie dit à l'Ange : « Comment cela se fera-t-il? car je ne connais point d'homme (Luc., I, 34.) » D'abord la Vierge prudente se tait tout le temps qu'elle doute et qu'elle se demande ce que signifiait ce salut, préférant garder un humble silence que de répondre précipitamment avant de savoir ce qu'elle devait dire. Mais nue fois rassurée et qu'elle eut bien réfléchi (car en même temps que l'Ange lui parlait au dehors, Dieu même la persuadait au dedans, le Seigneur, en effet, était avec elle selon cette parole de l'Ange, « le Seigneur est avec vous, ») se sentant raffermie la crainte fit place à la foi, et la joie,fit taire toute appréhension, elle dit à l'Ange : « Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d'homme? » Elle ne doute point que ce ne soit possible, mais elle s'enquiert de la manière dont les choses se feront et en quel ordre elles doivent se passer. En effet, elle se demande si pareille chose est possible, mais seulement comment elle se fera. C'est comme si elle avait dit : Comme mon Seigneur qui lit dans ma conscience, connaît le veau que sa servante a fait de ne jamais connaître d'homme, par quel moyen, de quelle manière lui plaira-t-il que la chose se passe ? S'il faut que je renonce à mon vœu pour devenir la mère d'un tel fils, je suis heureuse du fils qui m'est promis, mais je suis inquiète pour mon vœu : pourtant que sa volonté soit faite. Mais si je dois sans cesser d'être vierge concevoir un fils et le mettre au monde, ce qui n'est pas impossible pour lui s'il veut qu'il en soit ainsi, alors je verrai qu'en vérité il a daigné regarder d'un œil favorable son humble servante. « Comment donc cela se fera-t-il? car je connais point d'homme. » L'Ange lui répondit : « Le Saint-Esprit surviendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Luc., I, 34 et 35). » L'Ange a dit plus haut à Marie qu'elle est pleine de grâce, comment se fait-il donc qu'il lui dise maintenant: « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre? » Est-ce qu'elle pouvait être pleine de grâce et n'avoir point encore le Saint-Esprit qui est le dispensateur même des grâces ? Si, au contraire, le Saint-Esprit était déjà en elle, comment donc l'Ange peut-il lui promettre qu'il surviendra de nouveau en elle? Peut-être bien au lieu de dire simplement, « il viendra en vous, » dit-il « il surviendra, il viendra sur vous » parce que comme il était déjà en elle par la plénitude des grâces, il lui annonce qu'il viendra sur elle pour signifier la surabondante plénitude de grâces qu'il doit répandre sur elle. Mais si elle est déjà pleine de grâce, comment pourra-t-elle en recevoir d'avantage? Si, au contraire, elle peut recevoir encore quelques grâces de plus qu'elle n'en a, en quel sens faut-il entendre qu'elle était pleine de grâce? Serait-ce que la première grâce ne remplissant que son âme, la seconde doit remplir son sein, puisque la plénitude de la divinité qui se trouvait auparavant en elle comme dans beaucoup de saints où elle habite spirituellement, va commencer à habiter en elle corporellement comme elle ne se trouve dans aucun autre saint?

4. Il dit donc : « Le Saint-Esprit surviendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » Qu'est ce à dire, « et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ? » Que celui qui peut comprendre cela le comprenne. En effet, à l'exception peut-être de celle qui eut seule l'immense bonheur d'éprouver par elle-même ce que cela signifie, qui peut comprendre par son intelligence et discerner par sa raison de quelle manière cette splendeur inaccessible s'est glissée dans les chastes entrailles de la Vierge, et comment cette dernière a pu supporter l'approche de nouvelles splendeurs en même temps que d'une portion de son corps auquel l'Esprit-Saint s'est uni pour la vivifier, il en put couvrir encore le reste, de son ombre ? Après tout peut-être. l'Ange s'est-il servi de ces mots : « Il vous couvrira de son ombre, » parce qu'il s'agissait là d'un mystère que la sainte Trinité voulut opérer seule avec et dans Marie seule, et qu'il ne fut donné de le connaître qu'à elle à qui il fut donné de le sentir. Disons donc que par ces mots : « L'Esprit-Saint surviendra en vous, » l'Ange a voulu vous dire, ô Vierge, que c'est par sa puissance que le Saint-Esprit doit vous rendre féconde; et par ces autres paroles : « La vertu du Très-Haut vous recouvrira de son ombre, il a eu l'intention de vous dire que la manière dont vous deviez concevoir par l'opération du Saint-Esprit, serait si bien voilée et si bien cachée dans l'ombre impénétrable de ses secrets desseins, par la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu qui n'est autre que le Christ, que ce mystère serait connu seulement de lui et de vous. C'est comme si l'Ange avait répondu à Marie : pourquoi me questionner sur une chose que vous allez bientôt ressentir en vous-même ? Oui vous allez le savoir, vous allez avoir le bonheur de l'apprendre, comment cela se peut faire, de celui même qui doit le faire et vous en instruire en même temps; quant à moi, je n'ai mission que de vous annoncer votre conception virginale, non pas de la créer. Vous ne pouvez être instruite sur ce point que par celui qui doit l'opérer, et nul que celle en qui il l'opérera ne peut l'apprendre. «C'est pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu (Luc., I, 35). » Ce qui revient à dire : comme vous ne devez point concevoir par l'opération de l'homme, mais par celle du Saint-Esprit, vous concevrez la vertu même du Très-Haut, c'est-à-dire le propre Fils de Dieu: « Car le Saint qui naîtra de vous, dit-il, sera appelé de Fils de Dieu. » C'est-à-dire, ce n'est pas seulement Celui qui du sein de son Père descendra dans le vôtre et vous couvrira de son ombre, mais encore ce qu'il empruntera à votre propre substance pour se l'unir à soi, qui sera appelé le Fils de Dieu, lors que cette union sera consommée; et de même que celui qui est engendré du Père avant tous les siècles est appelé son Fils, ainsi sera-t-il appelé le vôtre. De la sorte ce qui est né du Père est votre Fils, ce qui naîtra de vous sera son Fils, non pas qu'il y ait deux fils pour cela, il n'y en aura toujours qu'un seul, et quoiqu'il y en ait un qui naîtra de vous et un qui soit né de lui, vous n'aurez point chacun le vôtre, mais il sera votre Fils à tous les deux.

5. «Et c'est pourquoi le Saint qui naîtra de vous, sera appelé le Fils de Dieu. » Remarquez, je vous prie, avec quel respect l'Ange s'exprime: «Le Saint qui naîtra de vous. » Pourquoi donc, dit-il simplement « le Saint, » sans ajouter d'autre mot à cette appellation ? Je crois que c'est parce qu'il manquait d'un nom propre pour désigner le fruit insigne, magnifique et respectable qui devait se former de l'union de l'âme et du corps, tiré du corps très-pur de la Vierge, avec le Fils unique du Père. S'il disait la chair sainte, l’homme saint, le saint enfant ou autre chose semblable, il lui semblerait qu'il n'a point assez dit; voilà pourquoi, sans doute, il se sert de l'expression indéfinie: « Le Saint. » Il est certain en effet, que, quel que soit le fruit qui naîtra de la Vierge il ne peut être que saint et saint par excellence, tant à cause du Saint-Esprit qui l'aura sanctifié qu'à cause du Verbe de Dieu qui se le sera uni.

6. Puis l'Ange ajouta: « Voilà que votre cousine Elisabeth a elle-même conçu un fils en sa vieillesse (Luc, I, 26). » Or, quelle nécessité y avait-il d'annoncer en même temps à Marie, que cette femme stérile avait aussi conçu un fils? Était-ce pour achever de convaincre par la nouvelle de ce miracle tout récent, la Vierge qu'il voyait hésiter à croire à sa parole et conserver encore quelque doute dans l'âme ? Gardons-nous bien de le croire, car nous lisons que pour un doute pareil, Zacharie fut puni par l'Ange. Or, nous ne voyons pas que Marie ait été blâmée en quoi que ce soit, bien loin de là, nous entendons même Élisabeth la louer, en esprit prophétique, de ce qu'elle a cru: « Heureuse êtes-vous lui dit-elle en effet, vous qui avez cru, car ce qui vous a été annoncé de la part de Dieu s'accomplira en vous (Luc, I, 45).» Si donc l'Ange apprend à Marie que sa cousine, qui était stérile, a conçu un fils, c'est afin de mettre le comble à son bonheur, lui en apprenant un second miracle après le premier qu'il lui a annoncé. Or, il fallait que celle qui était sur le point de concevoir dans la joie du Saint Esprit, le Fils de l'amour du Père, commençât par être embrasée par les doubles ardeurs de la joie et de l'amour, car il n'y avait qu'un cœur aussi parfaitement dévot que gai, qui pouvait recevoir une telle abondance de douceur et de bonheur. Ou bien la conception d'Elizabeth est peut-être annoncée à Marie parce qu'il était convenable qu'une nouvelle qui allait bientôt être connue de tout le monde, lui fût annoncée par un ange, avant qu'elle l'apprît de la bouche des hommes, de peur que la mère de Dieu ne parût étrangère à ses conseils, si elle demeurait dans l'ignorance des choses qui se passaient si près d'elle sur la terre. II se peut aussi que la conception d'Elisabeth ait été annoncée à Marie afin qu'étant instruite de la venue du Sauveur et de celle de son précurseur, et connaissant l'ordre et la date de chacune, elle fût mieux en état plus tard de faire connaître la vérité sur ce point, aux écrivains sacrés et aux prédicateurs de l'Évangile, puisqu'elle se serait trouvée ainsi dès le commencement, pleinement au courant de tous ces mystères par une révélation d'en haut. Enfin, il est possible que la conception d'Elisabeth ait été annoncée à Marie afin que, en apprenant que cette parente qui était déjà avancée en âge se trouvait grosse, elle qui était jeune songeât à lui aller rendre ses devoirs, et que, par son empressement à visiter Elisabeth, elle fournit au petit prophète qu'elle portait dans son sein, l'occasion de rendre ses précoces hommages à son Seigneur, encore plus jeune que lui, et que pendant que les deux mères se rencontreraient, les deux enfants ressentissent la présence l'un de l'autre, et qu'un premier miracle en amenât un second plus merveilleux encore.

7. Mais, n'allez point croire que les grandes choses annoncées par l'Ange seront accomplies par lui. Par qui le seront-elles donc, me demandez-vous ? Ecoutez l'Ange, il vous l'apprendra. « Parce qu'il n'y a pas un mot d'impossible à Dieu, dit-il, » C'est comme s'il avait dit Toutes ces choses dont je suis le messager fidèle, ne se feront point par moi, mais par la vertu de Celui qui m'a envoyé; « attendu qu'il n'y a pas une parole impossible à Dieu. » En effet, que peut-il y avoir d'impossible à Celui qui a tout fait par son Verbe ? Mais je suis frappé de ce que l'Ange au lieu de dire: « Il n'y a rien d'impossible à Dieu, » dit expressément: « Il n'y a pas un mot d'impossible à Dieu. » Est-ce qu'il se sert de cette façon de parler pour nous faire comprendre que si les hommes peuvent, sans la moindre peine, dire ce qu'ils veulent même quand ils sont hors d'état de le faire, ainsi et même bien plus facilement encore Dieu peut faire tout ce que les hommes ne peuvent qu'exprimer ? Je m'explique; s'il était aussi facile aux hommes de faire que de dire ce qu'ils veulent, il serait vrai de dire aussi que, pour eux, il n'y a pas de parole impossible; mais comme c'est un dicton aussi ancien que répandu, qu'il y a une grande différence entre dire et faire. du moins pour les hommes, sinon pour Dieu, il s'ensuit qu'il n'y a que pour Dieu qu'on puisse dire qu'il n'est pas de parole impossible, puisque pour lui il n'y a point de différence entre faire et dire, dire et vouloir. Donnons un exemple. Les prophètes ont pu prévoir et prédire qu'une vierge stérile concevrait et enfanterait; mais ont-ils pu faire qu'elle conçût et qu'elle enfantât en effet? Mais Dieu, qui leur a donné le pouvoir de prévoir cette merveille, a pu faire par lui-même quand il l'a voulu, avec la même facilité qu'il a pu la leur faire prédire lorsque cela lui a plu; attendu qu'en Dieu la parole ne diffère point de l'intention, parce qu'il est vérité, non plus que l'acte ne diffère de la parole, parce qu'il est la puissance, et que la manière ne diffère de l'acte parce qu'il est sagesse. Voilà comment il se fait qu'il n'y a point de parole impossible pour Dieu.

8. O vierge, vous avez entendu l'annonce de ce qui va se faire et l'Ange vous a dit comment cela se doit faire ; des deux côtés il y a de quoi vous étonner et vous réjouir. Réjouissez-vous donc, fille de Sion, fille de Jérusalem, livrez-vous à toute votre allégresse. Mais puisque vous avez entendu une nouvelle qui vous comble de joie et bonheur, dites donc à votre tour les paroles que nous appelons de tous nos vœux, afin que nos os humiliés tressaillent d'allégresse. Oui, vous avez entendu la merveille annoncée et vous y avez cru, croyez aussi à la manière dont elle doit s'accomplir. On vous a dit que vous allez concevoir et que vous enfanterez un fils; on vous a dit aussi que ce ne serait point par l'opération d'un homme mais par celle du Saint-Esprit; l'Ange maintenant n'attend plus que votre réponse, il faut qu'Il retourne à Dieu. O Notre Dame, nous attendons aussi cette réponse de miséricorde, nous pauvres malheureux qui gémissons sous le coup d'une parole de damnation. Le prix de notre salut est entre vos mains, nous sommes sauvés si vous daignez consentir. Créatures du Verbe éternel de Dieu, nous périssons tous, une parole de votre bouche nous rend à la vie et nous sauve. Adam et sa triste postérité condamnés à l'exil, Abraham, David, les autres Pères, je veux dire vos propres aïeux, qui sont aussi plongés eux-mêmes, dans les ombres de la mort, vous supplient de consentir. Le monde entier à vos genoux, attend votre consentement. De vous, en effet, dépend la consolation des affligés, la rédemption des captifs, la délivrance des coupables, le salut des enfants d'Adam, de votre race toute entière. Dites, ô Vierge dites cette parole si désirée, si attendue par la terre et par les Cieux, par les enfers eux-mêmes. Le Roi des rois que vous avez charmé par votre beauté, n'attend aussi lui-même qu'un mot de réponse de vos lèvres pour sauver le monde. Celui à qui vous avez plû par votre silence sera bien plus touché d'un mot tombé de vos lèvres; l'entendez-vous, en effet, vous crier du haut du Ciel: « O vous, ma belle entre toutes les femmes, faites-moi entendre votre voix (Cant., II, 14). » Si vous la lui faites entendre, il y répondra en vous faisant voir notre salut. N'est-ce point ce que vous vouliez, ce que vous appeliez avec des gémissements et des larmes, ce qui vous faisait soupirer le jour et la nuit ? Eh quoi? êtes-vous celle à qui la promesse en a été faite ou faut-il que nous attendions une autre ? Non, non, c'est bien à vous, et ce n'est point une autre qui doit venir. Oui, c'est vous qui êtes la femme promise, la femme attendue, la femme désirée, celle en qui un de vous ancêtres, le saint homme Jacob, à son lit de mort, mettait toutes ses espérances de salut quand il s'écriait: « Seigneur, j'attendrai votre Sauveur (Gen. XLIX, 18); » Oui, vous êtes la femme en qui et par qui Dieu même, notre Roi a résolu, avant tous les siècles, d'opérer notre salut sur la terre. Pourquoi attendriez-vous d'une autre femme ce qui vous est offert à vous-même ? Pourquoi, dis-je, attendriez-vous par une autre ce qui va se faire par vous, si vous y consentez, si vous dites un mot. Répondez donc bien vite à l'Ange et par l'Ange au Seigneur. Dites une parole et recevez son Verbe ; que votre parole qui ne subsiste qu'un instant se fasse entendre et vous concevrez la Parole de Dieu, son Verbe éternel. Qui vous retient? Que craignez-vous ? Croyez, consentez et concevez. Que votre humilité se rassure, que votre timidité ait confiance. Il ne faut pas que la simplicité de la vierge oublie la prudence. En cette circonstance, ô Vierge prudente, vous ne devez pas craindre de trop présumer de vous, si votre réserve a plu par son silence, maintenant ii est nécessaire que votre charité parle. Ouvrez donc, ô Vierge bénie, votre cœur à la confiance, vos lèvres au consentement, et votre sein à son Créateur. Le Désiré des nations est là à votre porte, il frappe. S'il passe outre parce que vous le ferez attendre, vous gémirez de nouveau après Celui que votre cœur aime! Levez-vous donc, courrez au devant de lui, hâtez-vous de lui ouvrir. Levez-vous dis-je, par la foi, courrez par la prière, ouvrez par le consentement.

9. « Voici, dit-elle, la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole (Luc., I, 38). » Toujours on trouve la vertu d'humilité étroitement liée avec la grâce de Dieu ; car si Dieu résiste aux superbes il donne sa grâce aux humbles. Marie répond donc avec humilité afin de préparer les voies à la grâce. « Voici, dit-elle, la servante du Seigneur. » Qu'est-ce que cette sublime humilité qui ne sait point céder aux honneurs ni s'enorgueillir de l'élévation? Elle est prise pour être la mère de Dieu et elle se déclare sa servante, ce n'est pas la marque d'une humilité ordinaire que de ne point s'oublier quand un pareil honneur lui est fait. Il n'est pas difficile d'être humble dans la bassesse de sa condition, mais l'être au comble des honneurs, c'est faire preuve d'une grande, d'une rare vertu. En effet s'il arrive que pour mes péchés ou pour ceux des autres, Dieu permette que l'Eglise trompée par les apparences, élève un néant comme moi au moindre honneur, ne suis-je point porté à l'instant à oublier qui je suis pour me croire tel que les hommes qui ne voient point le cœur, se sont imaginé que j'étais. Je crois à l'opinion publique sans m'en rapporter au témoignage de ma conscience ; et, n'estimant point l'honneur aux vertus, mais la vertu aux honneurs, je me crois d'autant plus saint que j'occupe un poste plus élevé. On voit souvent dans l'Eglise des hommes qui, partis de bas, se trouvent élevés aux plus hauts rangs, et de pauvres sont devenus riches, s'enfler tout à coup d'orgueil, oublier leur basse extraction, rougir de leur famille et méconnaître leurs parents, parce qu'ils sont pauvres. On voit des hommes avides de richesses voler aux honneurs ecclésiastiques se croire de saints personnages dès qu'ils ont changé d'habits quoiqu'ils soient toujours dans les mêmes dispositions d'esprit, et se persuader qu'ils sont dignes du rang auquel leur ambition se trouve élevée, et qu'ils doivent, s'il m'est permis de le dire, beaucoup plus à leurs écus qu'à leurs vertus. Je ne parle point de ceux que l'ambition aveugle et pour qui l'honneur même est un aliment à leur orgueil.

10. Mais ô douleur de mon âme, j'en vois beaucoup, après avoir méprisé les pompes du siècle à l'école de l'humilité, devenir de plus en plus orgueilleux, et sous les ailes d'un Maître doux et humble de cœur, se montrer plus insolents dans le cloître et plus impatients qu'ils ne l'auraient été dans le monde. Et ce qui est pire encore, c'est qu'il s'en trouve qui n'auraient pu s'attendre qu'aux dédains et aux mépris s'ils étaient restés dans leur maison, et qui maintenant ne peuvent supporter d'être dédaignés dans celle même de Dieu. Ils n'auraient pu obtenir aucun honneur dans le monde où chacun peut aspirer à les posséder, et ils veulent en être comblés là même où chacun fait profession de les mépriser. J'en vois d'autres, ce qu'on ne peut voir sans douleur, qui, après s'être enrôlés dans la milice du Christ, s'engagent de nouveau dans les affaires du monde, et se replongent dans les cupidités terrestres: ils relèvent des murs avec un zèle tout particulier et négligent leurs mœurs; sous prétexte du bien général, ils vendent leurs paroles aux riches et leurs salutations aux dames; en dépit de l'ordre formel de leur Souverain, ils désirent le bien d'autrui et ne reculent point devant les procès pour conserver leurs biens propres, et ne tiennent aucun compte de ce que l'Apôtre leur dit au nom de leur Roi: « Votre péché est précisément d'avoir des procès les uns contre les autres. Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu'on vous fasse tort (I Cor., VI, 7) ? » Est-ce ainsi qu'ils sont crucifiés au monde et que le monde est crucifié pour eux? Jadis ils étaient à peine connus dans le hameau ou la bourgade qui leur a donné le jour, et on les voit aujourd'hui parcourir les provinces, fréquenter les cours, cultiver la connaissance des rois et rechercher l'amitié des grands. Mais que dirai-je de l'habit religieux lui-même? Ce n'est plus la chaleur mais la couleur qu'on recherche avant tout en eux, et on se met plus en peine de les soigner que d'acquérir des vertus. J'ai honte d'en convenir, mais les femmelettes avec leur amour pour la toilette sont dépassées par ces moines qui ne font cas d'un vêtement qu'à cause de sa valeur, non de son utilité. Laissant de côté toute pensée religieuse, ces soldats du Christ ne voient qu'une parure, non une armure dans l'habit qu'ils portent, au lieu de se préparer à la lutte et d'opposer aux puissances de l'air les insignes de la pauvreté, dont la vue remplit leurs ennemis de frayeur, aiment mieux leur offrir dans leur mise raffinée, les apparences de la paix, et s'exposer sans force et sans vigueur à leurs coups. Tous ces maux ne viennent que de ce que, renonçant à ces sentiments d'humilité qui nous ont fait quitter le monde, et nous trouvant ainsi ramenés aux goûts du siècle, nous devenons semblables aux chiens de l'écriture qui retournent à leur vomissement.

11. Qui que nous soyons qui nous trouvons dans ces dispositions, remarquons quelle fut la réponse de celle qui fut choisie pour être la mère de Dieu, mais qui était assez humble pour ne s'en point souvenir. « Voici, dit-elle, la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. » Ce mot « qu'il me soit fait: » exprime dans sa bouche un désir, non un doute. De même que ceux-ci « qu'il me soit fait selon votre parole, » expriment bien plutôt les vœux de son cœur que les recherches d'un esprit incertain. Rien n'empêche il est vrai qu'on ne voie dans ces mots, « qu'il me soit fait, » l'expression d'une prière. En effet personne ne demande que ce qu'il croit exister et qu'il espère obtenir, et Dieu veut qu'on sollicite de lui dans la prière les choses mêmes qu'il a promises. Peut-être même, ne nous promet-il une foule de choses qu'il a résolu de nous donner, que pour exciter notre piété par ses promesses, et nous engager à mériter par la prière et la piété, ce qu'il est disposé à nous accorder gratuitement. Voilà comment le Dieu bon qui veut que tous les hommes soient sauvés, nous force à mériter ses grâces, et comment, en même temps qu'il nous prévient en nous accordant ce qu'il doit récompenser en nous, il agit gratuitement pour ne nous point accorder ses bienfaits gratuitement. C'est ce que la Vierge prudente a compris quand, prévenue par la grâce d'une promesse gratuite, elle voulut du moins avoir le mérite de la prière, et dit : « Qu'il me soit fait selon votre parole. » C'est-à-dire qu'il me soit fait au sujet du Verbe, selon ce que vous m'avez dit. Que le Verbe, qui au commencement était en Dieu, se fasse chair de ma chair, selon votre parole ! Oui, je le demande à Dieu, que le Verbe soit fait, non ce verbe qu'on prononce, qui frappe l'air et qui passe, mais un Verbe conçu, fait chair et qui demeure. Qu'il me soit fait un verbe non-seulement sensible à l’ouïe, mais un Verbe que mes yeux puissent voir, mes mains toucher et mes bras porter. Que ce ne soit pas un verbe simplement écrit et mort, mais incarné et vivant, c'est-à-dire, que ce ne soit pas un verbe tracé par des signes muets sur des peaux mortes mais un Verbe à forme humaine et véritablement imprimé dans mes chastes entrailles, gravé non par la pointe d'un stylet privé de vie, mais par l'opération même du Saint-Esprit. Enfin qu'il me soit fait comme il n'a jamais été fait à personne avant moi, et comme il ne le sera point non plus après moi. Autrefois Dieu a parlé aux patriarches et aux prophètes de bien des manières, car on dit que la parole de Dieu s'est produite dans l'oreille de ceux-ci, dans la bouche de ceux-là et dans les mains de ces troisièmes, pour moi je demande à Dieu qu'il se produise dans mon sein selon votre parole. Je. ne veux point qu'il se produise comme le verbe dans le discours, le signe dans les figures, ou la vision dans les songes, mais qu'il vienne en moi en silence, qu'il s'y incarne en personne, qu'il se trouve corporellement dans mes entrailles. Que le Verbe donc qui ne pouvait et n'avait pas besoin d'être fait en lui-même, me fasse la grâce de se faire en moi et pour moi selon votre parole. Qu'il soit fait en général pour tout le monde, mais qu'il me soit fait à moi en particulier selon votre parole.

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Saint Bernard s'excuse d'avoir entrepris après tant d'autres, de commenter ce passage de l'Évangile.

J'ai expliqué du mieux que j'ai pu le passage de l'Évangile qui a été lu :je n'ignore pas que la manière dont je l'ai fait ne plaira point à tout le inonde, je suis même certain que je m'attirerai par là les critiques de bien des gens dont les uns trouveront que ce que j'ai fait était bien inutile, tandis que d'autres jugeront que c'était bien présomptueux à moi, d'oser venir expliquer à mon tour un passage de l'Évangile que les saints Pères ont si amplement exposé avant moi. Mais pour moi, je pense que si ce que j'ai dit après les Pères de l'Église n'est pas contraire à ce qu'ils ont dit eux-mêmes, personne n'a le droit de le trouver mauvais. Or, si je n'ai dit que ce que j'ai appris des Pères, pourvu que l'enflure de l'orgueil n'ait pas en moi étouffé le fruit de la piété, je me consolerai facilement des critiques qu'on pourra diriger contre moi. Pourtant, je veux que ceux qui me reprocheront d'avoir fait une exposition superflue, inutile même de ce passage de l'Évangile, sachent bien que je n'ai eu d'autre pensée que de prendre occasion de ces lignes pour parler de choses qu'on est toujours heureux de répéter. Si je suis répréhensible, en ce que j'ai cédé dans cette circonstance, plutôt aux tendances de ma dévotion qu'à la pensée du bien que les autres pouvaient en recueillir, la bonne Vierge est assez puissante pour excuser cette faute auprès de son miséricordieux Fils, car c'est à elle que je consacre cet opuscule, si peu qu'il vaille, avec la plus grande dévotion.

FIN DU SECOND VOLUME.

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