|
|
DISCOURS SUR LE PSAUME CXLIX.SERMON AU PEUPLE.LE NOUVEAU CANTIQUE OU LÉVANGILE.
Ce cantique nouveau du psaume est le Nouveau Testament avec ses promesses spirituelles, comme le vieux cantique est lAncien Testament avec ses promesses temporelles. Lamour seul est toujours nouveau et toujours ancien, parce quil est le Verbe de Dieu, qui ne vieillit point. Lhomme vieillit par le pêché, la grâce le rajeunit. Chantons ce cantique, mais par Ioule la terre; chantons, non-seulement de la voix, mais de la pensée qui se manifeste par toutes les oeuvres, comme celle des loups revêtus de la peau des brebis. Chantons ce cantique par tonte la terre, dont nul ne doit se séparer, autrement il ne serait pas le froment ; sortir de laire est le fait de la paille. Cest te Seigneur qui sème le bon grain, lennemi livraie; car ils doivent croître jusquà la moisson. Le champ du Seigneur cest le monde, cest lassemblée des saints, autrefois prophétisée, maintenant accomplie. Israël, ou celui qui voit Dieu, doit tressaillir dans le Seigneur, et, comme Dieu est charité, aimer Dieu cest le voir, cest être Israël. Nous devons nous réjouir en Dieu, et non dans tel ou tel homme; en notre roi qui est le Cnrist, parce quil a vaincu le diable; qui est notre prêtre, puisquil sest offert pour nous, qui navions aucune hostie pure. Chantons et chantons en choeur, cest-à-dire eu accord, et sur les tambours et sur le psaltérion, en accompagnant la voix de la main, ou plutôt des oeuvres. Le tambour est une peau tendue; le. psaltérion est fait de cordes tendues aussi, ce qui désigne la mortification de la chair. Le Seigneur nous a comblés de faveurs en nous appelant à la gloire, en nous soutenant dans le combat. Les saints tressailliront dans leur gloire, parce quils recherchent les applaudissements de Dieu seul, et non ceux des hommes, comme ces fous qui revêtirent un comédien et non tes pauvres de Jésus-Christ; ils tressailliront dans leur lit de repos ou dans leur conscience, mais avec lhumilité de la crainte. Cette framée à deux tranchants est ta parole de Dieu qui règle les intérêts des temps et ceux de léternité, qui sépare te saint de limpie, établissant aussi deux Testaments; elle est aux mains des saints qui peuvent la prêcher, ou la prêcher et lécrire. Avec ce glaive les saints tuent dans lhomme le païen pour faire le chrétien, comme Saut mourut pour foire place à Paul. Les rois, en devenant chrétiens, on tmis leurs pieds dans les entraves des préceptes de lEvangile, ils se sont imposé des chaînes qui leur défendaient de faire ce quils pouvaient; chaînes de fer qui commencent par la crainte pour nous conduire au collier dor de la sagesse; chaînes de fer dans linviolabilité du mariage. Tel est le jugement que les saints accomplissent par leurs prédications.
1. Louons Dieu, mes frères, et par la voix, et par lintelligence, et par les bonnes actions; et daprès lexhortation du psaume, chantons-lui un cantique nouveau. Car cest ainsi quil commence: « Chantez au Seigneur un nouveau cantique 1». Le vieux cantique est celui du vieil homme, le nouveau cantique, celui de lhomme nouveau. Au vieux Testament le vieux cantique; au nouveau Testament le nouveau cantique; comme au vieux Testament les promesses temporelles et terrestres. Quiconque aime les choses dici-bas, aime le vieux cantique; pour chanter le cantique nouveau, il faut aimer les choses de léternité. Quant à lamour lui-même, il est
1. Ps. CXLIX, 1.
nouveau et néanmoins éternel; dès lors quil ne vieillit point, il est toujours nouveau. A le bien considérer, il est ancien, et dès lors comment peut-il être nouveau ? Quoi donc, mes frères, la vie éternelle a-t-elle commencé tout récemment? La vie éternelle, cest le Christ, et, comme Dieu, le Christ na point commencé; car, « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien na été fait 1 ». Si les choses faites var lui sont anciennes, que peut être celui qui les a faites ? Que peut-il être, sinon éternel et coéternel au Père ? Mais nous qui
1. Jean, 1, 1-3.
299
sommes tombés dans le péché, nous tombons aussi dans la vieillesse. Car cest nous qui parlons dans ce même psaume, où il est dit avec gémissement : « Jai vieilli au milieu de mes ennemis 1 ». Lhomme est vieilli par le péché, il est rajeuni par la grâce. Quils chantent dès lors un cantique nouveau, ceux qui sont renouvelés dans le Christ, commençant ainsi dappartenir à la vie éternelle. 2. Et ce cantique est celui de la paix, le cantique de lamour. Quiconque se sépare de lassemblée des saints, ne chante pas le cantique nouveau. Il sattache en effet à la haine qui est antique, et non à lamour qui est nouveau. Que trouvons-nous dans lamour nouveau, sinon la paix, le lien dune société sainte, une union spirituelle, un édifice de pierres vivantes? Où rencontrer cela ? Non point dans un seul endroit, mais dans lunivers entier. Ecoute à ce sujet un autre psaume : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau; toute la terre, chantez au Seigneur 2 ». De là nous pouvons comprendre que celui qui ne chante pas avec toute la terre, ne chante point un cantique nouveau, quelles que soient les paroles qui sortent de sa bouche. A quoi bon écouter le son de la voix, quand je connais la pensée ? Mais vous, dira-t-on, connaissez-vous la pensée ? Les actes me lapprennent. Quun homme soit surpris en flagrant délit de vol, dhomicide, dadultère, sans voir ses pensées dans son coeur, on les connaît par ses actes. Il est beaucoup de pensées qui demeurent dans notre intérieur; mais il en est beaucoup qui passent dans nos oeuvres, et qui deviennent évidentes pour les hommes. Pour ces hommes qui ont brisé avec le Christ les liens de la charité, quand ils nétaient corrompus quà lintérieur, Dieu seul les connaissait. Mais lépreuve est survenue, les a séparés et a montré aux hommes ce qui nétait connu que de Dieu. Ou ne juge du fruit que par les oeuvres. De là cette parole de lEvangile «Vous les connaîtrez à leurs fruits 3». Ainsi disait le Seigneur, à propos de ceux qui revêtent la peau des brebis, et qui ne sont à lintérieur que des loups ravissants; et de peur que lhumaine fragilité ne nous empêche de reconnaître le loup sous la peau dune brebis, le Sauveur ajoute : « Vous les « connaîtrez à leurs fruits ». Nous cherchons
1. Ps. VI, 8. 2. Id. XCV, 1. 3. Matth. VII, 16.
le fruit de la charité, et nous trouvons les épines de la division. « Vous les connaîtrez à leurs fruits ». Leur cantique est donc lancien, chantons le cantique nouveau. Nous vous lavons dit déjà, mes frères, toute la terre chante le nouveau cantique. Quiconque ne chante point le nouveau cantique avec toute la terre, pourra chanter ce quil voudra, sa langue pourra proférer lAlleluia; quil le chante, et le jour et la nuit, mes oreilles ne sarrêteront point au bruit de ses chants, je marrêterai à ses oeuvres. Que jinterroge lun deux, que je lui dise : Quel est ton chant ? Alleluia, me répond-il. Que signifie Alleluia ? Louez le Seigneur. Viens, louons le Seigneur ensemble. Si tu loues le Seigneur, moi aussi je loue le Seigneur; pourquoi serions-nous en désaccord ? La charité loue le Seigneur, la discorde lui jette le blasphème. 3. Et voulez-vous savoir où vous devez chanter ce nouveau cantique ? Voyez où saccomplit et comment saccomplit ce que va dire le Psalmiste; voyez si cest dans toute la terre, ou seulement dans une partie du monde, et vous jugerez mieux ensuite à qui appartient le nouveau cantique. Vous savez déjà ce que je viens de citer dun autre psaume: « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ». Et pour vous montrer quil y a dans ce cantique nouveau un fruit de la charité et de lunité, le Prophète ajoute : « Que toute la terre chante au Seigneur». Que nul ne se sépare, que nul ne se divise; si tu es froment, supporte la paille jusquà ce qtlelle soit vannée. Pourquoi veux-tu sortir de laire? Fusses-tu le plus noble froment, si tu es en dehors de laire, les oiseaux te trouveront et tamasseront 1. Ajoute à cela que sortir de laire et tenvoler prouve que tu nes que paille, et à cause de cette légèreté, le vent est venu tenlever de dessous les pieds des boeufs. Ceux, au contraire, qui sont le bon grain, souffrent quon les foule: ils se réjouis. sent dêtre le froment, gémissent parmi la paille, attendent celui qui doit vanner, quils regardent comme le Rédempteur. « Chantez au Seigneur un nouveau cantique; sa louange est dans lEglise des saints ». Or, cette Eglise des saints est lEglise du froment répandu dans le monde entier, et semé dans le champ du Seigneur qui est le monde
1. Matth. III, 12.
300
comme nous lexpose Jésus-Christ, quand il nous dit, à propos du semeur, « quun homme sema du bon grain dans son champ, et que lennemi vint et y sema de livraie; et les serviteurs dirent au père de famille: Navez-vous pas semé de bon grain dans votre champ? doù vient donc quil y a de livraie? Il répondit: Cest lennemi qui a fait cela ». Ils voulaient cueillir livraie, mais il les en empêcha en disant: « Laissez croître lun et lautre jusquà la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : « Cueillez tout dabord livraie, et liez-la en bottes, pour la brûler; quant au froment, mettez-le en réserve sur mon grenier ». Les disciples lui demandèrent ensuite : « Exposez -nous le sens de cette parabole de livraie». Il leur en expliqua toutes les parties, afin que nul nattribue à ses propres lumières lintelligence quil en peut avoir, mais bien à ce Maître céleste qui la exposée. Que nul ne vienne dire quil la expliquée comme il la voulu. Si le Seigneur eût expliqué la parabole dun Prophète, quand lui-même disait par leur bouche tout ce quils disaient, qui oserait dire quil ne devait point donner lui-même cette explication? A plus forte raison, quand il donne le sens dune parabole que lui-même a proposée, qui oserait contredire une vérité aussi évidente? En expliquant cette parabole, le Sauveur nous dit donc : « Celui qui sème le bon grain, cest le Fils de lHomme », se désignant ainsi lui-même. « Le bon grain, ce sont les fils du royaume », cest-à-dire lassemblée des saints; « livraie, ce sont les fils de liniquité. Le champ, cest le monde 1 ». Or, voyez, mes frères, que le bon grain est semé dans le monde entier, et que dans le monde entier il y a de livraie. Ny a-t-il dans une partie que le bon grain, et que livraie dans lautre partie? Nullement; partout est le bon grain, et partout est le froment. Le champ du Seigneur cest le monde, et non lAfrique seulement. Il nen est point de ce champ du Seigneur comme des autres terres, dont les unes, comme la Gétulie, rapportent soixante et cent pour un; les autres, comme la Numidie, seulement dix pour un. Partout Dieu récolte cent pour un , ou soixante, ou trente ; vois seulement ce que tu veux être, si tu prétends être ce grain que récolte le Seigneur. Cette Assemblée des saints
1. Matth. XIII, 21-38.
est donc IEglise catholique; et lAssemblée des saints ne saurait être lEglise des hérétiques. Cette Eglise des saints est celle que Dieu a prédite avant quelle fût visible, et quil veut rendre visible en la mettant sous nos yeux. LEglise des saints était jadis dans les livres, aujourdhui elle est dans les nations : jadis on lisait seulement que lEglise des saints existerait, aujourdhui on le lit encore, et, de plus, on voit quelle existe. On croyait en elle quand elle nexistait que dans les livres, aujourdhui quon la voit, on lui résiste. « Sa louange est dans lassemblée des saints». 4. « QuIsraël tressaille dans celui qui la fait 1». Que veut dire Israël? Celui qui voit Dieu, cest le sens que lon donne à Israël. Que celui qui voit Dieu tressaille donc dans ce Dieu qui la fait. Pourquoi donc, mes frères, disons-nous que nous appartenons à lEglise des saints? est-ce que nous voyons Dieu dès cette vie? Et si nous ne le voyons pas, comment sommes-nous Israël? Il est une vue de Dieu propre à cette vie, et une autre vue pour la vie à venir. Ici-bas nous voyons par la foi ; dans la vie future nous verrons face à face. Croire cest voir, aimer cest voir. Que voyons-nous? Dieu. Où est Dieu? Interroge saint Jean: « Dieu est charités », nous dit-il. Bénissons dès lors son saint nom, et réjouissons-nous en Dieu, si nous nous réjouissons dans la charité. Quun homme ait la charité, et dès lors lenverrons-nous bien loin pourvoir Dieu? Quil entre seulement dans sa conscience, et il y trouve Dieu. Mais si la charité nest point dans son coeur, Dieu non plus ny est pas, tandis quil y est si la charité sy rencontre. Un homme voudrait peut-être voir Dieu assis dans le ciel; quil ait la charité et Dieu habitera en lui comme dans le ciel. Soyons donc Israël, et réjouissons-nous en celui qui nous a faits. « QuIsraël tressaille en celui qui la fait ». Oui, quil se réjouisse dans celui qui la fait, et non point dans Anus, non point dans Donat, non point dans Cécilien, non point dans Proculien, non point dans Augustin. Quil tressaille dans celui qui la fait. Loin de nous, mes frères, de nous faire valoir auprès de vous; cest Dieu que nous vous recommandons, parce que nous vous recommandons à Dieu. Comment faire valoir Dieu auprès de vous? En vous
1. Ps. CXLIX, 2. 3. I Jean, IV, 16.
301
recommandant de laimer pour votre propre avantage, et non pour le sien; car ne point laimer serait nuisible pour vous et non pour lui. Dieu, en effet, nen aura pas moins la divinité, quand lhomme naurait point pour lui la charité. Cest toi qui trouves ton avantage en Dieu, et non Dieu en toi; et néanmoins le premier 1, et avant que nous leussions aimé, il nous a aimés jusquà envoyer son Fils unique à la mort pour nous 2. Celui qui nous a faits a voulu être fait parmi nous. Comment nous a-t-il faits ? « Tout a été fait par lui, et sans lui rien na été fait 3 ». Comment a-t-il été fait parmi nous? « Et le Verbe sest fait chair, et a demeuré parmi nous 4 ». Cest donc en lui que nous devons nous réjouir. Que nul ne sarroge ce qui vient de Dieu seul; cest de lui que nous vient la joie qui fait notre bonheur. « QuIsraël se réjouisse en celui qui la fait ». 5. « Et que les fils de Sion tressaillent dans leur roi». Cet Israël, ce sont les enfants de lEglise. Car Sion fut en effet une ville qui tomba: et dans ses restes habitaient quelques saints pour un temps; mais il est une véritable Sion, une véritable Jérusalem, car Sion est la même que cette Jérusalem qui subsistera éternellement dans le ciel, et qui est notre mère 5. Cest elle qui nous a engendrés, elle qui est lEglise des saints, en partie dans lexil, mais en bien plus grande partie dans le ciel. Cette partie qui est dans le ciel fait le bonheur des anges, et la partie qui est exilée en ce bas monde, fait lespérance des justes. Cest de lune quil a été dit « Gloire à Dieu au plus haut des cieux» ; et de lautre: « Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté 6 ». Que ceux donc qui gémissent en cette vie, qui aspirent à cette patrie céleste, sélancent par lamour, et non des pieds du corps, sans chercher des vaisseaux, quils se pourvoient dailes, des deux ailes de la charité. Quelles sont les deux ailes de la charité? Lamour de Dieu et lamour du prochain 7. Nous sommes en effet dans lexil,dans les soupirs, dans les gémissements. Voilà quil nous est venu des lettres de la patrie, et nous vous en donnons lecture. 6. « QuIsraël se réjouisse dans Celui qui la fait, que les fils de Sion tressaillent dans leur Roi». Dire « qui la fait» revient à dire leur
1. I Jean, IV, 19. 2. Id. III,16. 3. Id. I, 3. 4. Id. 14. 5. Gal. IV, 26. 6. Luc, II, 14. 7. Matth. XXII, 40.
« roi »; de même que « Israël » ne dit autre chose que « fils de Sion ». Se réjouir en celui qui la fait, cest se réjouir en son roi. Cest le Fils de Dieu qui vous a faits et qui a été fait parmi nous. Il est le roi qui nous gouverne, parce quil est le créateur qui nous a faits. Et celui par qui nous avons été faits, est aussi celui par qui nous sommes conduits; et nous sommes chrétiens parce quil est Christ; or, il est appelé Christ à cause du chrême ou de lonction. Les rois 1 recevaient lonction aussi bien que les prêtres 2; et celui-ci a reçu lonction de roi, de prêtre; roi, il a combattu pour nous, et prêtre, il sest offert pour nous. Eu combattant pour nous, il a paru vaincu, bien quil fût vainqueur en réalité. Car il a été cloué à la croix et de cette croix qui était son gibet, il a vaincu le diable, et est devenu notre roi. Comment donc est-il prêtre? Parce quil sest offert pour nous. Donnez au prêtre de quoi offrir. Mais, hélas! où lhomme trouvera-t-il une victime pure quil puisse offrir? Quelle victime? Que peut offrir de pur un pécheur? Homme diniquité, impie, tout ce que tu offres est impur, et il faut offrir pour toi une hostie sans tache. Cherche en toi de quoi offrir, tu ne trouveras rien. Cherche ce que tu offrirais de toi-même : ni béliers, ni boucs, ni taureaux ne sont agréables à Dieu. Tout lui appartient quand même tu noffrirais rien. Offre-lui donc une hostie pure. Mais tu es pécheur, tu es impie, ta conscience est souillée, Peut-être quune fois purifié, tu pourras offrir à Dieu une hostie pure; mais pour devenir pur, il faut offrir une victime pour toi. Que vas-tu donc offrir, afin dêtre pur? Et si tu es pur, tu pourras offrir une hostie pure. Que le prêtre sans tache soffre donc lui-même afin de te purifier. Cest là ce qua fait le Christ. Il na trouvé dans les hommes rien de pur quil pût offrir pour les hommes, et il sest offert comme une victime sans tache. Bienheureuse victime, véritable victime, victime sans tache. Ce nest donc point ce quil a pris en nous quil a offert, ou plutôt il a offert ce quil tenait de nous, mais il la offert purifié. Car cest cette même chair quil tenait de nous quil a bien voulu offrir. Mais où lavait-il prise? Dans le sein de la Vierge Marie, afin doffrir cette chair pure, pour ceux qui étaient impurs. IL est donc roi, il est prêtre, mettons en lui notre joie.
1. I Rois, X, 1; XVI, 13. 2. Exod. XXX, 30.
302
7. « Quils chantent son nom en choeur 1 ». Que signifient ces choeurs? Il en est beaucoup pour connaître ces choeurs, et comme nous parlons dans une ville, tous les connaissent. On appelle choeur laccord de plusieurs voix. Si nous chantons en choeur, chantons en accord. Dans un concert, toute voix discordante blesse loreille et trouble le choeur. Mais si un ton de voix en désaccord trouble ainsi un concert, que fera lhérésie discordante au milieu de ceux qui louent le Seigneur? Or, le concert du Christ, cest le monde entier, et ce concert du Christ résonne de lOrient et de lOccident. Voyons si le choeur du Christ a une telle étendue. Il est dit dans un autre psaume: « Du lever du soleil à son coucher, louez le nom du Seigneur 2. Quils chantent son nom en chur ». 8. « Quils chantent ses louanges au son du tambour et du psaltérion ». Pourquoi choisir ici le tambour et le psaltérion? Afin quon ne loue pas Dieu de la voix seulement, mais aussi par les oeuvres. Chanter sur le tambour ou sur le psaltérion, cest joindre la main àla voix. De même pour toi, lorsque tu chantes lAlleluia, si ta main donne le pain à celui qui a faim, revêt celui qui est nu, donne lhospitalité à létranger, alors ta voix nest point seule pour chanter, ta main chante aussi, laction est en accord avec les paroles. Tu as pris la harpe en main, et les doigts et la langue sont en harmonie. Ne passons pas sous silence la signification mystérieuse du tambour et du psaltérion. Le tambour est formé dune peau tendue, le psaltérion de cordes tendues aussi. Lun et lautre de ces instruments désignent la chair crucifiée. Il chantait admirablement sur le tambour et sur le psaltérion, celui qui disait: « Le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde 3 ». Or, il lengage à prendre le psaltérion et le tambour, celui qui aime le cantique nouveau, et qui te donne cette leçon: « Si quelquun veut être mon disciple, quil renonce à soi-même, quil prenne sa croix et quil me suive 4 ». Quil ne quitte point le psaltérion, ne quitte point le tambour, quil sétende sur le bois et dessèche la convoitise de la chair. Plus les cordes sont tendues, plus le son en est aigu. Que dit saint Paul, afin de
1. Ps. CXLIX, 3. 2. Id. CXII, 3. 3. Gal. VI, 14. 4. Matth. XVI, 24.
rendre un son plus aigu sur le psaltérion? « Joublie ce qui est en arrière, je métends vers ce qui est devant moi, poursuivant la palme de la vocation éternelle 1 ». LApôtre sétendait pour ainsi dire, et sous le doigt du Christ il rendait le son harmonieux de la vérité. « Chantez ses louanges sur le psaltérion et sur le tambour ». 9. « Parce que le Seigneur a traité son peuple favorablement ».Quel!e plus grande faveur que de mourir pour les impies? Quelle plus grande faveur que deffacer par un sang juste larrêt qui condamne le pécheur? Quelle plus grande faveur que de dire : je ne considère plus ce que vous avez été, soyez ce que vous nétiez pas? « Le Seigneur a comblé de faveurs son peuple », par la rémission des péchés, par la promesse de la vie éternelle : il le comble de faveurs en rappelant celui qui séloigne, en soutenant celui qui combat, en couronnant celui qui triomphe. « Il a comblé son peuple de faveurs, et il glorifiera les humbles par le salut ». Il est vrai que les orgueilleux se glorifient aussi, mais ce nest point par le salut. Les humbles sélèvent donc pour le salut, les orgueilleux pour la mort, cest-à-dire que les orgueilleux sélèvent et que le Seigneur les humilie, que les humbles shumilient et que Dieu les élève. « Il glorifie les humbles pour leur salut ». 10. « Les saints tressailliront dans la gloire 2». Je voudrais vous dire un mot de la gloire des saints, redoublez dattention. Il nest personne, en effet, qui naime la gloire. Cette gloire mène des insensés, quon appelle gloire populaire, a ses charmes qui nous trompent; chacun séprend de ces louanges futiles des hommes au point de vouloir vivre de manière à mériter les applaudissements, peu importe doù ils lui viennent et de quelle manière. De là ces hommes pris de vertige, enflés dorgueil, vides à lintérieur, bouffis extérieurement, qui perdent volontairement ce quils possèdent, en le donnant à des comédiens, à des histrions, à des chasseurs, à des cochers. Quels dons! quelles dépenses! Consumer ainsi non seulement les richesses du patrimoine, mais les richesses de lâme! Mais ils nont que du mépris pour le pauvre, parce que le peuple napplaudit point quand il reçoit laumône; tandis quil applaudit quand on donne à un
1. Philipp. III, 13, 14. 2. Ps. CXLIX, 5.
303
chasseur. Ils ne donneront donc rien sils ne sont applaudis; que les fous applaudissent, et les voilà fous eux-mêmes; oui, tous également fous, et celui qui se donne en spectacle, et celui qui regarde, et celui qui donne. Cest bien cette gloire folle que condamne le Seigneur, qui est odieuse aux yeux du Tout-Puissant. Et toutefois, mes frères, le Christ ne laisse pas de faire aux siens ce reproche : Jai moins reçu de vous que nont reçu des chasseurs, et pour leur donner, vous avez pris ce qui mappartenait : « Pour moi, jétais nu, et vous ne naavez point revêtu ». Mais eux: « Quand, Seigneur, vous avons nous vu sans habits, et ne vous avons-nous point revêtu 1? » Mais lui : « Quand vous lavez refusé au moindre des miens, cest à moi que vous lavez refusé». Mais tu nas voulu revêtir que celui qui te plaît. En quoi donc le Christ a-t-il pu te déplaire? Tu veux revêtir un athlète, qui te fera rougir sil est vaincu; tandis que le Christ nest jamais vaincu; cest lui qui a vaincu le diable, vaincu à la place, vaincu pour toi, vaincu en toi. Voilà le vainqueur que tu ne veux point revêtir. Pourquoi? Parce quon tapplaudit moins, parce quil y a moins de folles clameurs. De là vient, mes frères, que ceux qui se repaissent dune telle joie nont rien dans la conscience. Comme ils épuisent leurs coffres, en donnant des vêtements, ils épuisent leur conscience, de manière à ny rien conserver de précieux. 11. Quant aux saints qui tressaillent dans la gloire, il nest point nécessaire que nous parlions de leur joie : écoutez seulement le verset qui suit : « Les saints tressailliront dans la gloire, leur allégresse éclatera dans le lieu du repos » ; non point dans les théâtres ou dans les amphithéâtres, non point dans les cirques, non point dans les folies, non point hors deux-mêmes; mais dans le lieu de leur repos. Quest-ce à dire, « dans le lieu de leur repos? » dans leurs coeurs. Ecoutez comme lApôtre se réjouit dans le lieu de son repos : « Toute notre gloire, la voici, le témoignage de notre conscience 2 ». Il est à craindre néanmoins que tel homme ne muette sa confiance en lui-même, et ne sélève avec orgueil dans sa propre confiance. Chacun doit tressaillir avec crainte 3, parce que le don de Dieu qui fait sa joie ne vient point de ses propres mérites. Il en est beaucoup qui se
1. Matth. XXIV, 43-45. 2. II Cor. I, 12. 3. Ps. II, 11.
complaisent en eux-mêmes, et se croient justes; or, voici contre eux une autre page des Ecritures: « Qui peut se glorifier de posséder la pureté du coeur; ou qui osera se vanter dêtre exempt de péchés 1 ? » Il est donc une certaine manière de nous applaudir dans notre conscience, cest quand tu reconnaîtras que ta joie est pure, que ton espérance est certaine, que ta charité est sans dissimulation. Mais comme il est en nous bien dautres points capables doffenser Dieu, bénis le Dieu qui ta gratifié de ces vertus, et qui alors perfectionnera ce quil a commencé. Aussi, après avoir dit: « Ils tressailliront dans le lieu de leur repos », le Prophète semble craindre quils ne mettent leur complaisance en eux-mêmes, et il ajoute aussitôt : « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche 2 ». Ils tressailliront dès lors dans leurs lits de repos, non point de manière à sarroger le bien qui est en eux, mais de manière à louer celui de qui ils ont reçu dêtre ce quils sont, qui les appelle à être ce quils ne sont point encore, de qui seul ils attendent la perfection, quils remercient de ce quil a commencé en eux. « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche ». Voyez maintenant les saints, voyez leur gloire, voyez dans le monde entier, voyez que les jubilations de Dieu sont dans leur bouche. 12. « Et dans leurs mains des framées à deux tranchants ». On appelle framée ce que nous appelons vulgairement spatule. Il y a, en effet, des glaives qui nont quun tranchant : tels sont les sabres. Mais la framée, qui se nomme aussi espadon et spatule, est une épée à double tranchant et renferme un grand mystère. « Les framées qui sont dans leurs mains sont aiguisées des deux parts ». Par ces framées à deux tranchants nous entendons la parole de Dieu; or, cette framée est unique, mais on la met ici au pluriel, parce quil y a plusieurs langues et plusieurs bouches des saints. La parole de Dieu est donc un glaive à deux tranchants 3. Pourquoi deux tranchants? Parce quelle se prononce et sur les choses temporelles, et sur les choses éternelles parce quelle montre dans les unes et dans les autres quelle dit la vérité et quelle sépare du monde celui quelle frappe. Nest-ce point là ce glaive dont le Seigneur a dit : « Je ne suis point venu apporter la paix, mais
1. Prov. XX. 9. 2. Ps. CXLIX, 6. 3. Hébr. IV, 12.
304
le glaive 1». Considère comme il est venu disjoindre , comme il est venu séparer. Il sépare les saints, il sépare les impies, il sépare de toi tout ce qui est un obstacle. Tel fils veut servir Dieu, son père len empêche vient le glaive de Dieu, vient la parole de Dieu, qui sépare le fils du père. Telle fille veut, sa mère ne veut point, le glaive les sépare mutuellement. Telle bru veut, sa belle-mère ne veut point, apportez le glaive à deux tranchants, quil vous donne des promesses pour la vie présente, et des promesses pour la vie éternelle, le soulagement par les biens de la terre, la jouissance des biens de léternité. Voilà le glaive tranchant des deux côtés, promettant les biens du temps elles biens de léternité. En quoi nous a-t-il trompés? LEglise de Dieu nétait-elle point jadis dans le monde entier ? Elle y est maintenant. Autrefois on la lisait dans les livres, on ne la voyait pas : on la voit aujourdhui, comme on la lit dans les promesses. Tout ce qui nous est promis selon le temps regarde lun des tranchants du glaive ; tout ce qui est de léternité regarde lautre tranchant. Tu as donc lespérance des biens futurs, comme tu as la consolation dans les biens présents, ne te laisse point aller à celui qui veut te retirer de Dieu; ni père, ni mère, ni soeur, ni épouse, ni ami, que nul ne te retire de Dieu ; et alors le glaive à deux tranchants te sera avantageux. Cest pour ton bien quil te sépare, et tattacher trop serait ton mal. Notre-Seigneur est donc venu avec un glaive à double tranchant, promettant les biens éternels, accomplissant les promesses temporelles. De là viennent en effet, ce que nous appelons les deux Testaments. Quétaient donc « ces framées à deux tranchants, dans leurs mains? » Les deux Testaments sont un glaive à double tranchant. LAncien promet des biens terrestres, le Nouveau des biens éternels. Dans lun et dans lautre sest vérifiée cette parole de Dieu : « comme un glaive à double tranchant ». Pourquoi est-il entre les mains, et non sur la langue? « Entre leurs mains », est-il dit, « sont des framées à double tranchant ». Entre leurs mains signifie en leur puissance. Ils ont donc reçu la parole de Dieu, afin de la prêcher, et où ils voulaient, et à qui ils voulaient, sans craindre aucune puissance, et sans mépriser la pauvreté. Ils avaient en main
1. Matth. X, 31.
ce glaive dont ils frappaient, et quils tournaient, quils faisaient vibrer où ils voulaient; tout cela était au pouvoir des prédicateurs. Si cette parole nétait en leur pouvoir, on pourrait dire : Comment cette parole est-elle un glaive à deux tranchants, et comment se trouve-t-il entre leurs mains? Si donc cette parole nest point entre leurs mains, comment est-il écrit : « Voilà que la parole de Dieu fut entre les mains du prophète Aggée 1? »Est-ce à dire, mes frères, que Dieu écrivit sa parole sur les doigts de ce Prophète? Que signifie dès lors entre ses mains? Cest-à-dire que la puissance lui fut donnée de prêcher la parole de Dieu. Enfin nous pourrions entendre encore dune autre façon entre ses mains; car prêcher la parole de Dieu cest lavoir sur la langue, et lécrire cest lavoir dans ses mains. « Et des glaives à double tranchant dans leurs mains ». 13. Vous voyez dès à présent, mes frères, comment les saints sont armés ; considérez aussi leurs exploits sacrés, leurs glorieux combats. Car sil y a un général, il y a des soldats; sil y a des soldats, il y a des ennemis ; sil y a une guerre, il faut une victoire. Or, quont fait ceux-ci avec les glaives à deux tranchants entre leurs mains ? Cétait « pour tirer vengeance des nations 2 ». Voyez si les nations nont pas subi cette vengeance. Elle sexerce chaque jour ; et cest ce que nous faisons maintenant en vous parlant. Voyez comment nous taillons en pièces les nations de Babylone. On lui rend au double ce quelle a fait, selon cette parole : « Rendez-lui le double de ses victoires 3». Comment lui rendre au double, sinon parce que les saints tirent ces glaives à deux tranchants, et en foot des massacres, des meurtres, des séparations, et le paganisme séteint, et les idoles se brisent. Comment lui rendre au double? Pour elle, quand elle persécutait les chrétiens, elle tuait le corps, mais ne brisait pas Dieu ; maintenant on lui rend au double, puisque les païens séteignent et que les idoles sont brisées. Mais, diras-tu, comment sont tués les païens? Comment, sinon en devenant chrétiens? Je cherche le païen, et je ne le trouve plus, il est chrétien: donc le païen est mort en lui. Sils ne sont tués de la sorte, comment fut-il dit à Pierre: « Tue et mange 4?» Comment donc mourut Saul le persécuteur, et comment se leva Paul
1. Aggée, I, 1. 2. Ps. CXLIX, 7. 3. Apoc. XVIII, 6. 4. Act. X, 13.
305
le prédicateur. Je cherche Saul persécuteur, et ne le trouve plus, il est tué 1. Par quoi ? Par le glaive à deux tranchants. Mais parce quil a été tué en lui-même, il a été vivifié dans le Christ ; aussi dit-il avec confiance : « Je vis, non pas moi, mais cest le Christ qui vit en moi 2». Ce qui lui est arrivé, Dieu le fait aux autres par lui ; car devenu prédicateur, lui-même prit en main le glaive à deux tranchants pour « tirer vengeance des nations ». Et de peur quon ne représente des hommes frappés par le fer, du sang répandu, des chairs meurtries, le Prophète continue on disant : « Et réprimer les peuples ». Quest-ce que réprimer ? Cest corriger. Usez donc, mes frères, de ce glaive à deux tranchants, quil ne demeure point oisif, Dieu vous la donné pour en user à votre manière. Un homme tel que toi adore encore les idoles ? Parle ainsi à ton ami, si toutefois il en reste encore quelquun à qui tu puisses adresser ce langage: Un homme tel que toi, peux-tu abandonner Dieu qui ta fait pour adorer une idole que tu as construite? Louvrier nest-il point préférable à son ouvrage? Or, tu rougirais dadorer louvrier, et tu ne rougis point dadorer ce quil fait? Que tôn ami rougisse, quil soit touché de componction, cest une blessure que ton glaive a faite ; tu as frappé au coeur; il mourra pour revivre. Entre leurs mains, des glaives à double tranchant, pour se venger des nations, et «redresser les peuples». 14. « Afin de mettre leurs rois dans les chaînes, et leurs princes dans des liens de fer, pour exercer contre eux le jugement prescrit 3 ». Nous avons exposé sans peine commuent la framée nous fait tomber pour nous relever, nous sépare pour nous rassembler, nous blesse pour nous guérir, nous tue pour nous faire vivre. Mais que faire maintenant? Comment expliquer : « Pour mettre leurs rois dans les chaînes ?» Il faut donner des entraves aux rois des nations, et des chaînes à leurs princes et même des liens de fer. Redoublez dattention pour savoir ce que vous savez déjà, car ces paroles que nous expliquons sont obscures à la vérité, mais ce que nous devons en dire nest pas nouveau. Vous le savez déjà, et sans rien apprendre de nouveau, vous navez quà vous souvenir. Le dessein de Dieu en rendant obscurs quelques
1. Act. IX, 4. 2. Gal. II, 20. 3. Ps. CXLIX, 8, 9.
versets, est moins de nous en faire tirer une leçon nouvelle, que de nous rappeler par ces obscurités ce que nous savons déjà. Nous savons que les rois sont devenus chrétiens, que les princes des peuples ont embrasé la foi. Il y en a aujourdhui, il y en eut autrefois, il y en aura encore, et les glaives à deux tranchants sont toujours dans les mains des saints. Comment donc entendre que les rois sont chargés de chaînes, et de liens de fer? Votre charité sait déjà, et les leçons fréquentes de lEglise dont vous êtes nourris vous omit appris que « Dieu a choisi dans le monde ce qui est faible pour confondre ce qui est fort ; il a choisi ce qui est fou selon le monde pou r confondre ce qui est fort, et ce qui nest rien comme ce qui est quelque chose, pour détruire ce qui est ». Voici cri effet ce que dit lApôtre : « Voyez, mes frères, ceux dentre vous qui sont appelés; il en est peu de sages selon la chair, peu de puissants, peu de nobles ; mais Dieu a choisi ce qui est fou selon le monde, ce qui est infirme selon le monde, pour confondre ce qui est fort; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable, et ce qui nest rien comme ce qui est quelque chose, pour détruire ce qui est 1». Jésus-Christ notre Dieu est venu pour le bien de tous ; mais il sest servi dun pêcheur pour le bien des empereurs, et non dun empereur pour le bien dun pêcheur ; et il a choisi des hommes sans aucune importance dans le monde. Il les a remplis de lEsprit-Saint, leur a donné le glaive à double tranchant et leur a commandé de parcourir lunivers entier en prêchant lEvangile 2. A linstant le monde frémit de rage, le lion se leva contre lagneau, et lagneau fut plus fort que le lion. Le lion sévit et fut vaincu, lagneau souffrit et fut vainqueur. Pénétrés de crainte, les hommes se convertirent au Christ, et les rois et les grands du monde sétonnèrent à la vue des miracles, se troublèrent à laccomplissement des prophéties, et virent avec stupeur le genre humain accourir au seul nom du Christ. Que faire alors? Beaucoup renoncèrent à toute grandeur, laissèrent leurs palais, et distribuèrent leurs biens aux pauvres pour courir à la perfection. Car le Seigneur disait à lun de ces imparfaits: « Si vous voulez être parfait, allez vendre ce que vous possédez et en donnez le bien aux pauvres, puis venez
1. I Cor. I, 26-28. 2. Matth. XXVIII, 19.
306
et suivez-moi, et vous aurez un trésor dans le ciel 1 ». Voilà ce quont fait plusieurs grands du monde; mais ils nont abjuré toute grandeur mondaine, que pour embrasser la pauvreté dici-bas et la noblesse du Christ. Dautres, et en grand nombre, conservent leur noblesse, conservent la puissance royale, et nen sont pas moins chrétiens. Ils sont alors comme dans les entraves, et dans les chaînes de fer. Comment cela ? Ils se sont imposé des liens, liens de la sagesse, liens de la parole de Dieu, jour sinterdire tout ce qui est illicite. 15. Pourquoi donc des liens de fer, non des chaînes dor? Tant quil y a crainte, ils sont de fer ; quil y ait amour et ils seront dor. Que votre charité veuille bien mécouter. Vous venez dentendre ces paroles de saint Jean: « La crainte nest point dans la charité, mais la charité parfaite bannit toute crainte, parce que la crainte contient une peine 2». Voilà le lien de fer. Et néanmoins, si lhomme ne commence à servir Dieu par crainte, il narrive pas à lamour. « Craindre Dieu est le commencement de la sagesse 3 ». La sagesse commence donc par les liens de fer pour arriver au collier dor; car il est dit : « Mets ton cou dans son collier dor 4 ». Mais tu narriveras point à ce collier dor, si tout dabord tu ne mets tes pieds dans ses chaînes de fer. A commencer par la crainte, on finit par la sagesse. Combien en est-il qui nosent faire le mal, parce quils craignent lenfer, parce quils redoutent les tourments, et non parce quils aiment la justice? Quon leur promette limpunité, quon leur dise: Faites en pleine sécurité ce quil vous plaira; et alors ils se jetteront avec frénésie dans tous les crimes. Ce qui serait plus vrai des rois et des princes, à qui lon ne saurait dire facilement: Quavez-vous fait ? Pour lhomme pauvre, en effet, quand même il ne craindrait pas Dieu, comme il na nulle force, nulle puissance pour échapper au supplice quil a pu mériter, il sabstient par la crainte des hommes, sinon par la crainte de Dieu. Quant aux puissants du monde, aux rois, aux grands, quont-ils à craindre, sils ne craignent Dieu ? Mais on leur prêche, on les frappe du glaive à double tranchant ; on leur dit quil est un Dieu, pour mettre les uns à sa droite, les autres à sa gauche, pour dire à ceux de gauche : « Allez
1. Matth. XIX, 21. 2. I Jean, IV, 18. 3. Ps. CX, 10. 4. Eccli. VI, 25.
au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges 1 ». Sans aimer encore la justice, ils redoutent le châtiment, et la crainte du châtiment devient une entrave, et ces liens de fer les redressent. Voilà que vient à nous quelque grand du monde, qui aura reçu quel. ques outrages de sa femme, ou qui en aura convoité une plus belle, une plus riche; il voudrait se séparer de sa femme et nose le faire. Il entend un serviteur de Dieu, il entend le Prophète, il entend lApôtre, et il sabstient: il entend celui qui tient en main le glaive à deux tranchants, qui lui dit : Arrête, cela nest point permis, Dieu ne te permet point de quitter ta femme, si ce nest pour cause dadultère 2. Voilà ce quil entend, et la crainte le retient. Son pied trop léger chancelait déjà, il est retenu par les entraves. « Voilà une chaîne de fer, la crainte de Dieu ». On lui dit : Dieu te damnera, si tu le fais; il est souverain juge de tous, il entend les gémissements de ton épouse, et tu seras coupable à ses yeux. Le voilà entre lamorce de la convoitise, et la crainte du châtiment. Il eût -cédé à ses coupables désirs, sil neût été retenu par sa chaîne de fer. Mais plus encore, Voilà cet homme qui nous dit: Je veux vivre dans la continence, je ne veux plus dépouse. Impossible. Que faire, si tu le veux, quand ta femme ne le veut point? Ta continence doit-elle donc la jeter dans ladultère? Car elle est adultère, si de ton vivant elle passe à un autre. Or, Dieu vomis empêche de compenser un si grand mal par un lei gain. Rends le devoir, et si tu ne lexiges point, tu nes pas moins tenu de le rendre. Dieu te tiendra compte comme dun acte de sainteté parfaite, si tu rends à ton épouse le devoir sans lexiger delle. Tu crains et tu ne le fais pas, tu secoues tes chaînes ; mais elles sont des chaînes de fer, écoute bien : « Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à te délier 3 ». Voilà une chaîne dure, une chaîne de fer. Une parole du Seigneur va nous montrer aussi que cest un lien de fer. Ecoutez cette parole, ô jeunes gens, oui ce- sont des liens de fer, ny engagez pas vos pieds; si vous les y engagez, vous vous trouverez à létroit dans ces entraves. Le mains de lévêque viennent encore les resserrer davantage. Nest-ce pas lEglise que fuient les prisonniers, et dans lEglise ils recouvrent la liberté? On y voit venir des maris
1.Matth. XXV, 41. 2. Id. V, 22. 3. I Cor. VII, 3, 27, 39.
307
qui voudraient laisser leurs épouses; mais on resserre leurs chaînes, on ne les brise jamais: « Que lhomme ne sépare pas ce que Dieu a joint 1 ». Mais ces chaînes sont dures. Qui lignore? Les Apôtres ont déploré cette dureté en sécriant : « Si telle est la condition de lhomme avec sa femme, il nest pas avantageux de se marier 2 ». Si ces chaînes sont de fer, il nest pas besoin dy engager ses pieds. Et le Seigneur : « Tous nentendent pas cette parole; que celui qui peut entendre, entende 3». Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à te délier, parce que ces liens sont de fer. Nes-tu pas lié à une femme? ne cherche pas dépouse 4; ne tengage pas dans des entraves de fer. 16. « Afin daccomplir sur eux le jugement
1. Matth. XIX, 6. 2. Id. 10. 3. Id. 11. 4. I Cor, VII, 27.
prescrit». Cest là le jugement que les saints accomplissent dans toutes les nations. Pourquoi « prescrit?» Parce que tout cela fut prédit autrefois, et saccomplit maintenant. On fait maintenant ce quon lisait jadis, et quon ne sait pas. Le Prophète conclut aussi : « Telle est la gloire que Dieu destine à tous les saints ». Cest ainsi que les saints agissent dans le monde entier, parmi les nations, ainsi quils sont élevés en gloire, ainsi quils chantent le Seigneur par leurs voix, ainsi quils tressaillent dans leurs lits de repos, ainsi quils tressaillent dans leur gloire, ainsi quils sont élevés dans leur salut, ainsi quils chantent le cantique nouveau, ainsi quils chantent lalleluia, de la voix, du coeur et par leur vie. Ainsi-soit-il
|