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DISCOURS SUR LE PSAUME CXLI.SERMON AU PEUPLE.CHANT DES MARTYRS.
Méditer, cest imiter lanimal qui rumine, et qui pour cela est nommé pur. Crier vers le Seigneur, cest linvoquer, et crier de sa voix, cest parler du coeur répandre sa prière devant Dieu, cest prier où lui seul peut voir, et dans le coeur encore, et la porte close, de peur que le tentateur ny puisse entrer. Cette porte a deux battants : le désir et la crainte ; cest ouvrir la porte au démon que désirer ou craindre quelque chose de terrestre ; cest louvrir è Dieu que désirer le ciel et craindre lenfer. Les martyrs ont fermé la porte au diable en méprisant les promesses du monde et ses menaces, et ouvert au Christ qui promettait la vie éternelle, qui menaçait de jeter le corps et lâme dans le feu éternel. Ils prient, dans la crainte de sattribuer lhonneur de la résistance, et quand on le croit accablé, il marche dans les sentiers de la justice inconnus au pécheur, connus de Dieu qui nous sauve ; car connaître, pour lui, cest sauver; méconnaître, cest damner. Ces sentiers ou voies étroites sont au pluriel à cause de la pluralité des commandements, qui se réduisent à la charité, ou à la voie par excellence. Le Seigneur connaît donc nos voies, et nous conduit si nous sommes doux et humbles. Les persécuteurs ont voulu nous tendre un piège dans notre voie, ou dans le Christ ; mais comme ils sont hors du Christ, ils ont tendu le piège le long de la voie; nen sortons point et nous lévitons quon nous reproche le Crucifié, nous nous en glorifions. Le Prophète voit, parce quil regarde à droite, où sont les élus, et nul ne les connaissait, cest-à-dire ne connaissait le prix de ses souffrances. La fuite lui est fermée, quand son âme ne connais point la fuite. Le corps veut fuir, mais lâme ne saurait fuis, à moins dimiter le mercenaire qui abandonne les brebis au danger. Le Seigneur le relève, le délivre des persécuteurs cest-à-dire du diable dont les persécuteurs sont les instruments, de ces princes ou amateurs du monde, appelés aussi ténèbres. On distingue le monde fait par Dieu, en qui était le Verbe, et le monde qui ne la point connu ; les justes sont dans le monde, mais non du monde. Le Prophète veut être délivré de la prison, ou de la caverne du titre, ou du monde, ou du corps en ce sens quil est corruptible, ou bien encore de ce lieu étroit, cest-à-dire triste, et mon âme chantera vos louanges.
1. Cest à la solennité des martyrs que vous êtes redevables de ce surcroît de dévotion, M nous redevable de cet entretien. Toutefois votre charité doit se souvenir du long discours dhier. Bien que nous ayons remarqué pendant tout ce discours une avidité spirituelle qui se renouvelait sans cesse, nous ne saurions oublier notre commune fragilité, dautant plus quil nous faut rendre aux paroles admirables du Seigneur, lhonneur qui leur est dû, ainsi quil est écrit : Les paroles du Seigneur sont admirables de sagesse. Elles ne vous arrivent, il est vrai, que dans des vases bien chétifs; mais si les vases sont dargile, le pain est du ciel. LApôtre nous dit en effet: « Nous portons ce trésor dans des vases fragiles, afin que la perfection de la vertu vienne de Dieu 1 ». Or, ce trésor et ce pain sont une même chose ; sil nen était pas ainsi, lEcriture ne nous dirait pas à propos du trésor « Cest dans la bouche de lhomme sage que repose le trésor désirable, tandis que linsensé le dissipe ». Aussi, mes frères, avertissons-nous votre charité de retourner, de ramener eu quelque sorte dans votre pensée
1. II Cor. IV, 7.
le pain que loreille dépose dans lestomac de votre mémoire. Cest ainsi « quun trésor précieux repose dans la bouche du sage, tandis que linsensé le digère aussitôt 1»; en un mot, que le sage rumine et que linsensé ne rumine pas. Quest - ce à dire, en termes plus clairs et en latin ? Le sage réfléchit sur ce quil a entendu, linsensé loublie aussitôt. Car ce nest point pour un autre motif que la loi appelle animaux purs ceux qui ruminent et impurs ceux qui ne ruminent point 2, puisque toute créature de Dieu est pure. Devant Dieu qui les a créés, le porc est aussi pur que lagneau; car tout ce quil fit était éminemment bien 3, et « toute créature de Dieu est bonne 4», a dit lApôtre, comme « tout est pur pour ceux qui sont purs ». Tout est donc pur, dans sa nature même, et néanmoins lagneau est le symbole de ce qui est pur, comme le pourceau est le symbole de ce qui est impur; lagneau marque linnocence du sage qui rumine, qui réfléchit; le pourceau, limpureté dune folie oublieuse. Nous avons chanté un psaume analogue à la fête. Il est
1. Prov. XXI, 20. 2. Lévit. XII, 2-8. 3. Gen. I, 31. 4. I Tim. IV, 4. 5. Tit. I, 15.
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court, voyons si nous pourrons aussi lexposer brièvement. 2. «De ma voix, jai crié vers le Seigneur». Il me suffirait de dire : « Jai crié de la voix vers le Seigneur », et néanmoins il nest peut-être pas inutile dajouter : ma voix. Plusieurs, en effet, crient vers le Seigneur, non de leur voix, mais de la voix de leur corps. Quant, à lhomme intérieur en qui le Christ a commencé dhabiter par la foi 1, il crie vers Dieu, non par le bruit des lèvres, mais par lélan du coeur. Car loreille de Dieu diffère bien de loreille de lhomme, qui nentend quà la condition que les poumons, la poitrine et la langue formeront un son; tandis que pour Dieu notre cri cest notre pensée. « De ma voix jai crié vers Dieu, de ma voix jai invoqué le Seigneurs 2». Le Prophète nous explique le mot crier, en ajoutant : jai invoqué. Blasphémer, cest, en effet, crier aussi vers le Seigneur. Dans la première partie du verset il pousse un cri, et dans la seconde partie il donne lexplication de son cri, comme si on lui demandait quel cri il a poussé vers le Seigneur: « Jai poussé vers le Seigneur un cri de prière ». Mon cri est une invocation, et non un outrage, ni un murmure, ni un blasphème. 3. « Je répandrai ma prière devant lui 3». Quest-ce à dire «devant lui?» En sa présence. Quest-ce à dire, en sa présence ? Où ses yeux voient. Mais où ne voient-ils point ? Dire en effet où Dieu voit, laisserait entendre quil est des lieux où ut ne voit point. Mais en fait dobjets corporels, les hommes voient comme les animaux voient, tandis que Dieu voit où nos regards ne sauraient pénétrer. Car nul homme ne saurait voir tes pensées que Dieu pénètre néanmoins. Répands donc ta prière où seul peut voir Celui qui peut seul te récompenser. Car le Seigneur Jésus-Christ lordonne de prier dans le secret ; mais si tu comprends lendroit secret pour toi, si tu te purifies, cest là que tu pries Dieu. « Quand vous priez », dit le Sauveur, « nimitez point les hypocrites qui aiment à prier debout, dans les synagogues et sur les places publiques, pour être vus des hommes. Mais vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre, et, la porte close, priez votre Père dans le secret; et votre Père,qui voit dans le secret, vous le rendra 4 ». Si tu attends des hommes
1. Ephés. III, 17. 2. Ps. CXLI, 2. 3. Id. 3. 4. Matth. VI, 5, 6.
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ta récompense, prie devant les hommes; si Dieu seul doit te la rendre, répands ta prière en sa présence, et la porte close, de peur que le tentateur ny puisse entrer. Car le tentateur ne cesse de frapper pour entrer, et si la porte est close, il passe outre. Comme donc il est en notre pouvoir de clore la porte, jentends la porte de notre coeur, et non celle de nos maisons ; car cest dans le coeur aussi quest la chambre secrète; comme il est en notre pouvoir de clore cette porte: « Ne donnez aucune entrée au diable 1 », nous dit lApôtre. Sil vient à pénétrer dans ton coeur, à sen rendre maître, tu dois reconnaître que tu as fermé la porte négligemment, ou négligé complètement de la fermer. 4. Mais quest-ce à dire, fermer la porte? Cette porte a comme deux battants : celui de la convoitise, et celui de la crainte. Ou tu convoites quelque chose de terrestre, et le diable entre par là; ou tu crains quelque chose de terrestre, et il entre encore. Ferme donc au diable cette double porte de la crainte et de la convoitise, et ouvre-la au Christ. Comment ouvrir au Christ ces deux battants? En désirant le royaume des cieux, en craignant le feu de lenfer. Lamour du monde ouvre lentrée au diable, et lamour de la vie éternelle louvre au Christ; la crainte des maux temporels est une porte ouverte au démon, tandis que le Christ entre chez nous par la crainte des maux éternels. Les martyrs ont fermé la porte au diable, en louvrant au Christ. Le monde leur a promis beaucoup, ils ont ri de ses promesses et ont fermé au diable la porte de la convoitise. Voyons sils lont ouverte au Christ : « Quiconque me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans le ciel 2».Comment les confessera-t-il? « Venez », dira-t-il, « bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès lorigine du monde 3». Il les confessera en les plaçant à sa droite. Voyons sils ont ouvert au Christ la porte de la crainte, quils avaient fermée au diable. Dans le même endroit, le Seigneur nous avertit de la fermer au démon et de la lui ouvrir. « Ne craignez point», dit-il, « ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer lâme ». Il nous avertit par là de fermer au démon la porte de la crainte. Navons-nous donc rien à craindre?
1. Ephés. IV, 27. 2. Matth. X, 32. 3. Id. XXV, 34.
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et ne faut-il pas ouvrir au Christ cette porte de la crainte fermée au diable?Aussi, comme pour nous dire: fermez au démon, mais ouvrez pour moi, le Sauveur a-t-il ajouté : « Craignez au contraire Celui qui a le pouvoir de jeter lâme et le corps au feu éternel 1». Si donc, sur la foi en ces paroles, tu ouvres la porte au Christ, ferme-la au démon. Le Christ est à lintérieur, cest là quil habite; répands ta prière devant lui, ne cherche pas à te faire entendre de loin. Car elle nest pas loin de vous cette sagesse de Dieu, « qui atteint dune extrémité à lautre avec force, et dispose de tout avec douceur 2 ». Cest donc dans ton âme quil te faut répandre ta prière devant Dieu, cest là que sont ses oreilles. Ce nest, en effet, « ni de lOrient, ni de lOccident, ni des lieux déserts, que le Seigneur vous écoute; car il est juge 3 ». Or, sil est juge, vois dans ton coeur quelle est ta propre cause. 5. « Je répandrai ma prière devant lui, jannoncerai en sa présence toutes mes affiictions 4 ». Ces deux versets ne font que répéter les deux premiers. Il y a deux pensées dont chacune est répétée deux fois. La première est celle-ci : « De ma voix jai crié vers Dieu, jai imploré le Seigneur de mes cris » ; lautre : « Je répandrai ma prière devant lui, jannoncerai en sa présence toutes mes afflictions ». Devant lui est identique à sa présence, et répandre ma prière, est identique à proclamer toutes mes afflictions. Quand agiras-tu ainsi ? Linterlocuteur est alors dans la tribulation : « Quand mon âme tombe en défaillance », nous dit-il. Pourquoi donc ton âme est-elle en défaillance, ô martyr que lon persécute ? Cest de peur que je ne fasse à moi-même lhonneur de mes forces, et afin que je sache bien quun autre les produit en moi. Cest dailleurs lavertissement que donne le Seigneur à ceux dont il voulait faire ses témoins : « Quand ils, vous traîneront devant les juges, ne vous inquiétez point de ce que vous direz; car ce nest point vous qui parlez, mais lEsprit de votre Père qui parle en vous 5». Arrière donc ton esprit, et que lEsprit de Dieu parle en toi. Cest donc avec raison quil voulait en faire des pauvres desprit : « Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux
1. Matth. X, 28-32. 2. Sag. VIII, 1. 3. Ps. LXXIV, 7. 4. Id. CXLI, 4. 5. Matth. X, 19, 20.
leur appartient ». Donc bienheureux ceux qui sont pauvres de leur esprit, et riches de lEsprit de Dieu; car tout homme qui suit son esprit est un orgueilleux; quil soumette son esprit, et reçoive lEsprit de Dieu. Il cherchait les hauts lieux, quil reste dans la vallée. Sil sélève en haut, les eaux sécouleront loin de lui; sil demeure dans la vallée, il en sera rempli, et il lui arrivera comme au sein dont il est dit: « Des fleuves deau vive couleront de son sein 2 ». Donc « pendant la défaillance de mon âme, jai annoncé en votre présence ma tribulation » , jétais humble, et je confessais devant vous la défaillance de mon esprit, étant comblé de votre Esprit-Saint. 6. Quant aux hommes, en apprenant la défaillance de mon esprit, ils ont désespéré de moi, et ils ont dit : Nous lavons pris, nous lavons accablé : « Mais vous, Seigneur, vous avez connu mes sentiers ». Ils me croyaient abattu, vous saviez que jétais debout. Ceux qui me persécutaient, qui sétaient emparés de moi, croyaient que mes pieds étaient embarrassés; mais ce sont leurs pieds au contraire qui sont embarrassés, et ils sont tombés: « Mais nous nous sommes levés et redressés 3. Car mes yeux sont toujours fixés sur le Seigneur, parce que cest lui qui dégagera mes pieds du filet 4 ». Jai continué ma course; « et celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusquà la fin 5 ». Ils me croyaient accablé, et moi je marchais. Où est-ce que je marchais ? Dans les sentiers que ne voyaient pas ceux qui croyaient mavoir pris; dans les sentiers de votre justice, dans les sentiers de vos préceptes. « Vous connaissiez en effet mes sentiers », que ne connaissait pas le persécuteur; autrement il ne me porterait point envie, mais il y marcherait avec moi. Quels sont donc ces sentiers, sinon les voies dont il est dit ailleurs : « Le Seigneur connaît la voie des justes, mais la voie des impies périra 6? » Il ne dit point que le Seigneur ne connaît pas la voie des impies; mais bien : « Dieu connaît la voie des justes, celle des impies périra ». Car tout ce que Dieu ne connaît pas doit périr. Dans beaucoup dendroits de lEcriture, connaître, pour Dieu, cest sauver. Connaître, cest garder, comme ne pas connaître, cest damner. Comment, en effet, celui qui
1. Matth. V, 3. 2. Jean, VII, 38. 3. Ps. XIX, 9. 4. Id. XXIV, 15. 5. Matth. X, 12. 6. Ps. 1, 6.
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connaît tout pourrait-il dire à la fin du monde: « Je ne vous connais pas 1? » Quils ne sapplaudissent point dès lors en disant que le juge ne les connaît point. Cest déjà un châtiment que nêtre point connu du juge. Ces voies dès lors, dont il est dit que le Seigneur les connaît, le Prophète les appelle ici des sentiers, quand il dit : « Vous connaissez mes sentiers ». Tout sentier, en effet, est une voie, mais toute voie nest pas un sentier. Pourquoi donc ces voies sont-elles appelées des sentiers, sinon parce quelles sont des voies étroites ? La voie large est celle des impies, la voie étroite celle des justes. 7. Dire la voie et les voies, cest tout un, de même que dire lEglise ou les Eglises, le ciel ou les cieux. Lun est au pluriel, lautre au singulier. LEglise, à cause de son unité, nest quune Eglise: « Ma colombe est unique, lunique de sa mère 2». Mais il ya plusieurs Eglises, si lon envisage les diverses assemblées des fidèles en divers endroits : « Les Eglises de la Judée se réjouissaient dans le Christ, parce que celui qui naguère nous persécutait, annonce maintenant la foi quil voulait détruire ; et ils glorifiaient Dieu à mon sujet 3». Il dit ici les Eglises, et ailleurs il parle dune seule Eglise : « Ne donnez aucun scandale aux Juifs, ni aux Grecs, ni à lEglise de Dieu 4 ». Il en est donc de même de la voie et des voies, du sentier et des sentiers. Pourquoi les sentiers, et pourquoi le sentier? De même que maous avons donné la raison de lEglise et des Eglises, nous devons rendre compte du sentier et des sentiers. On dit les sentiers de Dieu, à cause de la pluralité des préceptes, et comme tous les préceptes peuvent se réduire à un seul, comme « la plénitude de la loi est la charité 5», toutes ces voies divisées en plusieurs préceptes peuvent se réduire à une seule, puisque notre voie cest la charité. Voyons si la charité est une voie. Ecoutons lApôtre : « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore 6 ». Quelle est cette voie, ô saint Apôtre? Ecoute bien cette voie : « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges mêmes, si je nai point la charité, je suis comme un airain sonnant et une cymbale retentissante, Quand jaurais le don de prophétie,
1. Matth. VII, 23. 2. Cant. VI, 8. 3. Gal. I, 22, 24. 4. I Cor. 32. 5. Rom. XIII, 10. 6. I Cor. XIII, 31.
que je pénétrerais tous les mystères et us toutes les sciences, et quand jaurais toute la foi possible, jusquà transporter les montagnes, si je nai point la charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais toutes mes richesses aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je nai point la charité, tout cela ne sert de rien 1 ». Cest donc la charité quil appelle une voie suréminente. Cette voie si relevée, mes frères, est une voie merveilleuse. Et parce quelle est très-relevée, elle est aussi de beaucoup la meilleure; car ce qui est éminent, est élevé; or, rien de plus relevé que la voie de la charité, et il ny a que les humbles pour y marcher. Ces sentiers donc, la charité les appelle des préceptes. « Vous connaissez mes sentiers », dit le Prophète; vous savez que tout ce que jendure, est par amour pour vous, vous savez quen moi la charité souffre tout; vous savez que si je livre mon corps pour être brûlé, jai cette charité sans laquelle rien ne me servirait. 8. Qui, mes frères, connaît véritablement ces voies de lhomme, sinon celui à qui le Prophète a dit: « Vous connaissez mes voies ? » Quelles que soient les actions des hommes sous nos yeux, nous ne savons quelle intention les a dictées. Combien est-il dimpies, qui, mesurant les autres sur eux-mêmes, disent de nous que nous cherchons dauis 1Eglise des honneurs, des applaudissements, des avantages temporels ? Combien maccusent de ne vous parler que pour me faire acclamer et applaudir par vous, et de navoir dautre but, dautre intention dans mes discours ? Comment leur montrer que telle nest point mon intention ? Je nai plus quà dire : « Vous connaissez mes sentiers ». Comment ces accusateurs savent-ils ce que vous-mêmes ne savez point? Comment savent-ils ce quà peine je connais moi-même ? Car ce nest point à moi de me juger : celui qui me juge, cest le Seigneur 2, Je ne sais ce que, dans son ignorance, Pierre présumait de lui-même, quand le médecin ne présumait point de ses forces autant que lui. Crions donc vers Dieu avec un coeur pur et plein de piété, car cest un véritable cri : « Seigneur, vous conus naissez mes voies ». Mais veux-tu que le Seigneur te conduise par ses voies ? Sois doux, sois calme, loin de toi toute obstination,
1. I Cor. XIII, I-3. 2. Id. IV, 3, 4.
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tout orgueil, garde-toi délever et de secouer la tête comme le cheval et le mulet qui nont point dintelligence 1 ». Si tu es doux, si tu es calme, tu seras une monture pour Dieu qui te conduira par ses voies. Car il conduira les humbles dans la justice, et enseignera ses voies aux hommes doux 2 . « Cest donc vous, ô mon Dieu, qui connaissez mes voies ». 9. « Dans cette voie où je marchais, ils mont caché un piège ». Cette voie par où il marchait, cest le Christ; et cest là que lui ont tendu des pièges ceux qui persécutent les chrétiens, et au nom du Christ. « Cest donc là quils mont caché un piège ». Pourquoi me porter envie, pourquoi me persécuter? Parce que je suis chrétien. Si donc cest parce que je suis chrétien quils me persécutent, « ils mont caché un piège dans la voie où je marchais». Autant quil est en eux, ils mont tendu des pièges dans la voie où je marche ; autant que le peuvent leurs désirs, que le peuvent leurs efforts, que le peuvent leurs voeux, ils ont voulu me prendre au piège dans la voie où je marchais. « Mais le Seigneur connaît la voie des justes 3 », et, « vous, Seigneur, connaissez mes sentiers ». Voilà ce quils ont désiré; mais comme cest vous qui êtes ma voie, vous ne leur permettrez point de me tendre des pièges en vous-même. Cest au nom du Christ en effet que les hérétiques veulent nous préparer des embûches, et ils se trompent eux-mêmes. Ce quils croient mettre dans la voie, ils le placent en dehors, car eux-mêmes sont en dehors; et ils ne peuvent tendre des pièges où ils ne sont point. Mais le Prophète parle dans le sens de leurs désirs, de leurs voeux, de leur intention; car il est dit formellement ailleurs: « Ils mont tendu un piège près de la route 4 ». Dire « dans la voie », cest parler dans le sens de leurs désirs, de leurs voeux; dire « près de la route », ou « près des sentiers », cest parler selon la vérité. Car le piège nest point dans le sentier, nest point dans la voie elle-même, qui est le Christ; mais bien près des sentiers. Le Christ ne leur permet pas de le placer dans la voie, de peur que nous ne puissions la suivre; il permet seulement quon le tende le long de la voie, afin de nous prémunir contre tout écart. Un païen simagine me tendre un piège dans la voie, quand il me
1. Ps. XXX, 9. 2. Id. XXIV, 9. 3. Id. I, 6. 4. Id. CXXXIX, 6.
dit: Tu adores un Dieu crucifié. Il sen prend à la croix de Jésus-Christ quil ne comprend point. Il croit mettre dans le Christ ce quil ne met que le long du chemin. Mais que je ne sorte point du Christ, et je ne quitterai point la voie pour tomber dans le piége. Quil insulte au crucifié, comme il lui plaira, je nen verrai pas moins la croix de Jésus sur le front des rois. Ce quil raille, cest mon salut. Rien de plus orgueilleux que le malade qui a des sarcasmes pour le remède qui le guérit; sil nen riait point, il le prendrait et serait sauvé. Cette croix est le symbole de lhumilité, et un excès dorgueil ne laisse point connaître à ce malade ce qui guérirait la tumeur de son âme. Et moi, si je connais ce remède, je marche dans la voie. Loin de rougir de la croix, je la porte non plus dune manière invisible, mais sur mon front. Il y a beaucoup de sacrements que nous recevons de manières différentes:les uns, comme vous le savez, cest notre bouche qui les reçoit; dautres, cest tout notre corps; mais comme cest notre front qui rougit, celui qui a dit: « Si quelquun rougit de moi devant les us hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est dans les cieux 1 », a voulu établir sur le siège même de la pudeur ce que les païens appellent une ignominie. Ecoute les reproches que lon fait à un impudent: cest un effronté, dit-on. Quest-ce à dire: il na pas de front? Cest un impudent. Que mon front ne soit donc point nu, quil soit couvert par la croix de mon Seigneur. Donc, « ils mont tendu des pièges dans cette voie où je marchais » : autant quil était en eux, car ils ne les ont placés en réalité que le long de la voie, et moi je serai en sûreté, si je ne sors point de cette voie sacrée. « Tu ne, sais point», dit lEcriture, « que tu marches parmi les pièges 2 ». Quest-ce à dire, parmi les pièges? Dans la voie du Christ bordée de pièges de part et dautre : pièges à droite, et pièges à gauche; pièges de la prospérité à droite, et pièges de ladversité à gauche; pièges à droite, ou promesses du monde; pièges à gauche, ou menaces du monde. Pour toi, marche au milieu des piéges, sans téloigner de la voie, sans te laisser prendre aux promesses, ni abattre par les menaces. « Dans le chemin où je marchais, ils mont caché leurs embûches ».
1. Luc, IX, 26 2. Eccli. IX, 20.
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10. « Je considérais à droite, et je voyais 1». Il voyait, parce quil regardait à droite; cest saveugler, que regarder à gauche. Quest-ce à dire: considérer à droite ? Où seront ceux à qui lon dira : « Venez, bénis de mon Père, et possédez le royaume 2? » Mais ils seront à gauche, ceux à qui lami dira: « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges 3 ». Au milieu du monde menaçant et frémissant de rage, au milieu des persécutions, des outrages se multipliant à chaque pas, au milieu des terreurs, le Prophète méprisait le présent, envisageait lavenir, et considérait à droite où il doit être un jour; cest là quil était par la pensée, là quil regardait, là quil voyait, et dès lors, tout lui était supportable; mais ses persécuteurs ne voyaient point. Aussi, après avoir dit: « Je considérais à droite, et je voyais », il ajoute aussitôt : « Et nul ne me connaissait ». Quand nous endurons tout, qui connaît notre dessein, et si nous regardons à droite ou à gauche? Chercher dans tes souffrances lapplaudissement des hommes, cest regarder à gauche; mais dans tes souffrances, chercher les promesses de Dieu, cest regarder à droite; mais regarder à droite, cest voir, comme regarder à gauche, cest demeurer aveugle ; et encore, regarder à droite, cest nêtre connu de personne. Qui te consolera en effet, sinon ce Seigneur à qui tu as dit: « Et vous avez connu mes sentiers! Mais nul ne me connaissait?» 11. « La fuite mest fermée ». Il se regarde comme environné de toutes parts. « La fuite mest fermée ». Que ses persécuteurs disent avec outrage: Le voilà accablé, le voilà pris, enfermé, vaincu, sa fuite nest plus possible. La fuite est fermée à lhomme qui ne fuit point. Mais celui qui ne fuit point, endure tout ce quil peut pour le Christ: cest-à-dire que son âme ne connaît point la fuite; car le corps peut fuir; on nous laccorde, on nous le permet, daprès cette parole du Sauveur : «Sils vous poursuivent dans une ville, fuyez dans une autre 4 ». Mais la fuite est fermée à lhomme dont le coeur ne fuit pas. Or, il importe de savoir pourquoi il ne fuit pas, si cest parce quil est environné, ou parce quil est pris, ou parce quil est courageux; car la fuite est fermée au captif, comme elle est fermée à lhomme vaillant. Quelle fuite alors nous faut-il éviter? Quelle fuite nous est
1. Ps. CXLI, 5. 2. Matth. XXV, 34. 3. Id. 41. 4. Id. X, 23.
fermée? Celle dont le Seigneur a dit dans lEvangile: « Que le bon pasteur donne sa vie us pour ses brebis; mais que le mercenaire et celui qui nest point pasteur senfuit quand il voit venir le loup ? » Pourquoi fuir quand vient le voleur? « Parce quil se met peu en peine des brebis 1». Cette fuite était fermée à notre interlocuteur, soit que nous lentendions de Jésus-Christ Notre-Seigneur, notre chef qui est mort pour tous, soit de nos martyrs qui sont ses membres, et qui, eux aussi, sont morts pour leurs frères. Ecoutez ce mot de saint Jean: « De même quil a donné sa vie pour nous, et nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères 2 ». Mais quand ils donnent leur vie, le Christ la donne aussi, puisquil sécrie quand on les persécute: «Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3 ? » « La fuite mest fermée, et nul ne recherche mon âme ». Il nest donc personne pour en vouloir à sa vie? Comment, il voit les hommes qui ont conjuré sa mort, qui veulent répandre son sang, et il nest personne qui recherche son âme? Cette parole peut avoir deux sens; de même que la fuite est fermée en deux manières, puisque ni le captif, ni lhomme vaillant ne fuient point; de même des persécuteurs ou des amis peuvent chercher la vie dun homme. Ainsi donc « nul ne recherche son âme », signifie ici ils persécutent mon âme, mais ils ne la recherchent point. Sils cherchaient mon âme, ils la trouveraient attachée à vous; et sils savaient la chercher, ils sauraient limiter; et pour que vous sachiez encore que des persécuteurs peuvent chercher lâme dun homme, il est dit ailleurs: « Quils soient couverts de honte et dignominie, ceux qui recherchent mon âme 4 ». 12. « Jai crié vers vous, Seigneur; jai dit: Vous êtes mon espérance 5». Au milieu de mes douleurs et de mes tribulations, jai dit: « Vous êtes mon espérance ». Ici-bas vous êtes mon espérance, et cest ce qui me donne la patience. « Vous êtes mon partage », non point ici-bas; mais « dans la terre des vivants ». Dieu donne une portion dans la terre des vivants; mais cette portion nest point en dehors de lui. Que donnerait-il à celui qui laime, si ce nest lui ? 13. « Soyez attentif à ma prière, parce que
1. Jean, X, 11-13. 2. I Jean, III, 16 3. Act. IX,4. 4. Ps. XXXIX, 15. 5. Id. CXLI, 6.
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je suis humilié à lexcès 1». Humilié par les persécuteurs, humilié par laveu. Il shumilie dune manière invisible, quand ses ennemis lhumilient visiblement. Dieu donc le relève, et dune manière visible, et dune manière invisible. Ce fut invisiblement quil releva les martyrs; mais ils le seront dune manière visible, quand ce corps corruptible sera revêtu dincorruption à la résurrection des morts, quand cette chair contre laquelle seule pouvaient sévir les méchants, sera renouvelée. « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer lâme 1». Or, quest-ce qui a péri ? quont-ils tué ? Peuvent-ils même faire périr ce quils tuent? Non pas, Ecoute la promesse du Seigneur : « En vérité, je vous le déclare, pas un cheveu de votre tête ne périra 3 ». A quoi bon tinquiéter des autres membres, quand un seul cheveu ne doit pas périr? 14. « Délivrez-moi de mes persécuteurs ». De qui pensez-vous quil veuille être délivré? Des hommes qui le persécutaient ? Sont-ce bien les hommes qui sont nos ennemis? Nous avons des ennemis invisibles qui nous persécutent bien autrement. Lhomme nous poursuit pour tuer notre corps, lautre ennemi pour enlever notre âme. Il a donc des instruments ; car il est dit qu « il exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion 4 ». Au moyen de ses instruments, cest-à-dire au moyen des hommes dont il se sert, il persécute le corps à lextérieur, afin de ruiner lâme à lintérieur; car si lâme demeure ferme quand le corps succombe, le piège est détruit et nous sommes délivrés. Nous avons donc dautres ennemis; demandons à Dieu quil nous en délivre, de peur quils ne nous séduisent, ou en nous accablant par les maux de cette vie, ou en nous corrompant par ses attraits. Quels sont ces ennemis? Voyons si quelque serviteur de Dieu, quelque soldat vaillant qui a lutté contre eux nen a point parlé ouvertement. Ecoute ce mot de lApôtre: « Vous navez point à lutter contre le sang et la chair 5 ». Nallez donc point haïr les hommes, les regarder comme vos ennemis, et croire que leurs inimitiés pourront vous accabler : ces hommes que vous craignez ne sont que chair et que sang; « et nous navons pas à combattre
1. Ps. CXLI, 7. 2. Matth. X, 28. 3. Luc, XXI, 18. 4. Ephés. II, 2. 5. Id. VI, 12.
contre le sang et la chair», dit lApôtre, voulant nous montrer son mépris pour des hommes assujétis à la mort. Contre qui donc nous faut-il combattre? « Contre les princes, contre les puissances, contre ceux qui dirigent ce monde ténébreux 1 ». Tu es effrayé à ce mot, de «directeur du monde » ; car sils sont les princes de ce monde, iras-tu donc au-delà du monde pour en être délivré? iras-tu au-delà du monde pour échapper à leur puissance? Par ceux qui dirigent ce monde ténébreux, tu ne dois donc pas comprendre ceux qui dirigent le ciel et la terre, lesquels sont les ouvrages de Dieu. Mais si lon appelle monde le ciel et la terre, les méchants sappellent aussi le monde. Pourquoi le monde? parce quils aiment le monde; et dès lors ils sont ténèbres parce quils sont impies. Aussi, que dit saint Paul à plusieurs dentre eux qui avaient embrassé la foi? « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 2 ». Voyez donc par qui vous étiez gouvernés avant dêtre lumière, et quand vous étiez ténèbres. Par qui sont dirigés les impies, sinon par le diable, comme les hommes de foi et de piété sont dirigés par Jésus-Christ? Cest donc au diable et à ses anges que saint Paul donne le nom de princes du monde, cest-à-dire princes de ceux qui aiment le monde, princes des pécheurs, ou des ténèbres de cette vie ;tels sont les ennemis dont nous devons prier Dieu quil veuille bien nous délivrer. 15. Voyez aussi deux mondes, clairement précisés dans un endroit de lEcriture, dans lEvangile; le monde que Dieu a fait, et le monde que dirige le diable, cest-à-dire les amis du monde. Car Dieu qui a fait les hommes, ne les a point faits amis du monde. Aimer le monde est un péché, et Dieu na point fait le péché. Ecoutez donc ce double monde que je vous annonçais. « Il était dans ce monde », est-il dit. Mais de qui est-il dit quil était dans ce monde, sinon de Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu, et dont je vous ai dit tout à lheure : « Elle atteint avec force dune extrémité à lautre, et dispose tout avec douceur 4? Elle atteint partout us à cause de sa pureté, et rien de souillé nest en elle 5». Donc « il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne la
1. Ephés. VI, 12. 2. Id. V, 8. 3. Jean, I, 10. 4. Sag. VIII, 1. 5. Id. VII, 24, 25.
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point connu ». Ce nest donc point le monde fait par Jésus qui est régi par les princes et par les puissances des ténèbres 1; mais le monde qui na point connu Jésus-Christ, cest-à-dire les amis du monde, les pécheurs, les injustes, les orgueilleux et les infidèles. Comment les pécheurs sont-ils le monde? Parce quils aiment le monde, et quen laimant ils habitent le monde; comme on appelle maison et la bâtisse et ceux qui lhabitent. Dire dune maison quelle est bonne, sentend souvent de la bâtisse, comme une bonne maison sentend aussi de ceux qui y demeurent. Mais on dit encore en deux manières : Gare à cette maison ! elle est mauvaise; tantôt cest parce quelle menace ruine, et que tu pourrais y être écrasé; tantôt: Prends garde à cette maison, signifie: gare au lac des chasseurs, crains, ô pauvre, dy être opprimé par le riche, ou victime de quelque fraude. Comme donc il y a maison et maison, de même il y a monde et monde. Mais pourquoi les justes, qui sont aussi dans le monde, ne sont-ils point appelés le monde? LApôtre la dit : « Etant dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair 2; mais notre conversation est dans le ciel 3». Le juste habite dans la chair; mais son coeur est en Dieu. Lui-même est appelé monde, si cest en vain quil entend : En haut les coeurs; mais sil ne lentend pas en vain, quil habite en haut. «Vous êtes morts », dit lApôtre, « et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 4 ». Mais ceux dont la vie est ici-bas, cest-à-dire ceux dont les affections et les désirs se traînent sur la terre, rétrécis et embarrassés, sont justement appelés mondains. Car il est aussi naturel dappeler monde ceux qui habitent le monde, que dappeler maison ceux qui demeurent dans une maison. Il y a donc monde et monde; « le monde a été fait par lui, et le monde ne la point connu ». Voilà donc un monde fait par le Seigneur, et un monde qui na point connu le Seigneur. Chante lédifice, aime larchitecte, et sans désirer dhabiter dans lédifice, habite dans larchitecte lui-même. 16. « Délivrez-moi de ceux qui me poursuivent; car ils se sont fortifiés contre moi ». De qui cette parole: « Ils se sont fortifiés coutre moi ? » Cest la plainte du corps du Christ, la plainte de lEglise, la plainte des membres du Christ, qui sécrient : Voilà que
1. Ephés. VI, 12. 2. II Cor. X, 3. 3. Philip. III, 20. 4. Colos. III, 3.
saccroît le nombre des pécheurs. « Or, à mesure que se multiplie liniquité, la charité se refroidit chez plusieurs 1. Délivrez-moi de ceux qui me persécutent, parce quils se sont fortifiés contre moi ». 17. « Délivrez mon âme de son cachot, afin quelle confesse votre nom ». Nos devanciers ont entendu ce cachot de différentes manières, et peut-être est-ce bien ce cachot qui est désigné dans la « caverne » du titre. Voici en effet le titre du psaume : « Prière intelligente pour David lui-même, quand il était dans la caverne ».Cette caverne serait alors le cachot dont nous parlons. Voici deux points à expliquer; comprendre lun, cest aussi comprendre lautre. Les mérites font le cachot; car une même demeure peut être une prison pour lun, une habitation pour lautre, Celui qui garde un captif, le gardât-il dans sa propre maison, et celui qui est gardé, voilà deux hommes qui sont dans la prison; mais dira-t-on du premier quil est en prison ? Cest une même demeure pour lun et pour lautre; mais la liberté en fait pour lun une maison, la captivité une prison pour lautre. Quelques-uns donc ont pensé que cette caverne, ce cachot cest le monde, et que lEglise demande à Dieu dêtre délivrée de cette prison, cest-à-dire de ce monde qui est sous le soleil, où tout est vanité, Car il est dit : « Tout est vanité et présomption desprit dans toute entreprise et tout labeur de lhomme sous le soleil 2 ». Dieu donc nous promet que hors de ce monde nous serons dans je ne sais quel repos; et cest peut-être ce qui nous fait dire à propos de cette terre : « Délivrez mon âme de sa prison ». Par la foi et par lespérance, notre âme est en Jésus-Christ, comme nous lavons dit tout à lheure : « Votre vie us est cachée en Dieu avec le Christ 3». Cest notre corps qui est dans la prison, qui est dans le monde. Si le Prophète disait: Tirez mon corps de la prison, nous comprendrions que la prison cest le monde. Et néanmoins, peut-être à cause de tout ce qui nous retient dans le monde, de ces convoitises terrestres contre lesquelles nous avons à lutter et à combattre; car « nous sentons dans nos membres une loi qui est contraire à la loi de lesprit 4», avons-nous raison de dire: Délivrez mon âme de ce monde, cest-à-dire des fatigues et des tribulations de cette vie.
1. Matth. XXIV, 12. 2. Eccles. I,2, 3. 3. Coloss. III, 3. 4. Rom. VII, 23.
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Car ce nest point cette chair que vous avez faite, mais bien la corruption de la chair, les peines et les tribulations qui sont une prison pour moi. 18. Dautres ont soutenu que cette prison, cette caverne , cest notre corps, et que tel est le sens de «tirez mon âme de la prison ». Mais ce sens nest point très-solide. Que voudrait dire, en effet: « Tirez mon âme de la prison », ou tirez mon âme de mon corps? Est-ce que les âmes des scélérats ne quittent point le corps pour aller dans des supplices plus cruels quils nen ont endurés sur la terre ? Quelle est donc limportance de cette prière: « Délivrez mon âme de la prison », puisque tôt ou tard elle doit en sortir? Serait-ce un juste qui dirait : Que je meure maintenant; délivrez mon âme de cette prison du corps? Trop dempressement serait un défaut de charité. Il doit sans doute en avoir le désir, il doit y aspirer et dire avec lApôtre : « Jai un ardent désir dêtre délivré des liens du corps, et dêtre avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur 1 ». Mais où serait la charité? Aussi dit-il ensuite: « Mais demeurer dans la chair est pour moi une nécessité à cause de vous 2 ». Que le Seigneur dès lors nous délivre du corps quand il lui plaira. On pourrait appeler aussi notre corps une prison, non que Dieu ait fait cette prison, mais parce quil est un supplice et quil est mortel. Il faut, en effet, considérer dans notre corps, et loeuvre de Dieu et la peine du péché. Cette forme, ce port, cette démarche, la disposition des membres, laction des sens, la vue, louïe, lodorat, le goût, le toucher, toute cette construction, cette admirable architecture ne peut être que loeuvre de Dieu qui a tout fait et dans le ciel et sur la terre, et ce quil y a de plus élevé comme ce qui est plus infime, et ce qui est visible comme ce qui est invisible. Où est donc le châtiment dans notre corps? Cest que la chair est corruptible, quelle est fragile, quelle est mortelle, quelle est dans lindigence; il nen sera plus ainsi au moment de la récompense. Nous aurons en effet notre corps, puisque cest le corps qui ressuscitera. Quest-ce donc que nous naurons plus? La corruption ; puisque ce corps corruptible sera devenu incorruptible 3. Si donc la chair est une prison pour toi, ce nest point le corps qui est cette prison, mais
1. Philipp. I, 23. 2. Id. 24. 3. I Cor. XV, 53.
la corruption du corps. Votre corps a été fait bon par Dieu qui est bon; mais, comme il est juge et juste, il la condamné à la corruption. Le corps est donc un bienfait, la corruption un châtiment. Alors « délivrez mon âme de sa prison » pourrait bien signifier: Tirez mon âme de la corruption. Ce sens nest plus un blasphème, on le comprend. 19. Mais enfin, selon moi, « délivrez mon âme de sa prison » voudrait dire, délivrez-la de ce lieu étroit. Un homme qui a de la joie est au large même dans sa prison; un homme qui est triste est à létroit dans une vaste plaine. Donc il supplie Dieu de le délivrer de langoisse; bien quil soit en effet au large par lespérance, le présent le tient néanmoins à létroit. Ecoute les angoisses de lApôtre: « Je nai point eu lesprit en repos, parce que je nai point trouvé mon frère Tite 1». Ailleurs: « Qui est faible sans que je sois faible avec lui? qui est scandalisé sans que je brûle 2?» Etre faible, et brûler, nest-ce donc pas être dans les peines, dans la prison ? Mais à ces peines la charité fait produire des couronnes. De là cette autre parole : « Il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge 3». Tel est le sens de ces paroles: « Tirez mon âme de son cachot, afin quelle confesse votre nom ». Une fois délivrée de la corruption, quaura-t-elle à confesser ? Il ny a là aucun péché, mais des louanges ; or, la confession sentend de deux manières: ou de laveu des péchés, ou des louanges de Dieu, Quant à la confession des péchés, chacun la connaît, elle est tellement connue du peuple, que si lon vient, dans une lecture, à prononcer le nom de confession, quil soit pris dans le sens dune confession des péchés, ou dans le sens dune confession de louanges, chacun se frappe aussitôt la poitrine. On connaît donc la confession des péchés, voyons maintenant si lon connaît la confession de louanges. Où le trouver ? On lit dans les saintes Ecritures : « Voici ce que vous direz dans votre confession: Cest que toutes les oeuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes 4 ». Cest donc là une confession de louanges. Ailleurs le Seigneur sécrie : « Je vous confesserai, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre 5 ». Que confessait-il ? Ses péchés?
1. II Cor. II, 13. 2. Id. XI, 29. 3. II Tim. IV,8. 4. Eccli., XXXIX, 20, 21. 5. Matth. XI, 25.
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Non; la confession du Christ était donc une louange. Ecoute cette louange adressée à son Père : « Cest », dit-il, « parce que vous avez dérobé ces mystères aux sages et aux savants et que vous les avez révélés aux petits 1 ». Ainsi donc, mes frères, parce que nous habiterons dans la maison du Seigneur, après ces angoisses de la corruption, toute notre vie ne sera quune louange en lhonneur de Dieu. Plusieurs fois déjà nous lavons dit : quand il ny aura plus de nécessité, tout ce qui tient à la nécessité cessera aussi. Là nous naurons plus rien à faire, je ne dirai pas ni le jour, ni la nuit, puisquil ny aura pas de nuit, mais un jour et un jour unique, nous naurons dautre tâche que de louer Dieu que nous aimons; car alors nous le verrons. Maintenant nous le désirons, nous le, bénissons sans le voir; quel amour, quels chants dallégresse quand nous le verrons ! Ce sera la louange continuelle dun amour sans fin.
1. Matth. XI, 25.
Ainsi vivrons-nous alors; « délivrez donc notre âme de ce cachot, afin quelle confesse votre saint nom » . « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, ils vous béniront de siècle en siècle 1 ». La prison nous retient maintenant, parce que « la chair qui se corrompt appesantit lâme 2 ». Ce nest point la chair qui appesantit lâme, car nous aurons alors une chair; mais « la chair qui se corrompt». Notre prison nest donc point notre corps, mais la corruption. «Délivrez mon âme de son cachot, afin quelle confesse votre nom, ô mon Dieu ». Ce qui va suivre maintenant est dit au nom de Jésus-Christ, notre chef, et cette parole est semblable à celle qui terminait hier. Voici cette parole dhier, sil vous en souvient: « Je suis seul jusquà ce que jaie passé 3». Quelle est la dernière ici ? « Les justes mattendent jusquà ce que vous mayez donné ma récompense ».
1. Ps. LXXXIII, 5. 2. Sag. IX, 15. 3. Ps. CXL; 10.
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