PARMÉNIEN III
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LIVRE TROISIÈME. Examen des autres passages de l'Ecriture, cités par Parménien.

 

I. L'unité d'esprit dans les liens de la paix, tel est le but que se proposent sans cesse la raison inspirée par la foi,la discipline ecclésiastique, dirigée par la sagesse; telle est la grande loi dont l'Apôtre fait reposer l'observation sur la charité réciproque. Dès que.cette loi est violée, la répression du mal devient non-seulement superflue, mais encore pernicieuse; elle cesse d'être un remède pour devenir un poison. Or, ces enfants d'iniquité, mus non pas par la haine du péché, mais par le besoin de troubles et de divisions, font grand bruit de leur nom pour soulever les populations toujours très-mobiles, et les entraînent à leur suite ou du moins jettent dans leur sein des germes de discorde qui ne tardent pas à croître et à grandir. Tous les désordres s'ensuivent et ne sont que la conséquence nécessaire de l'orgueil dont ils se gonflent, de l'obstination qui les aveugle, des calomnies qu'ils enfantent, des séditions qu'ils attisent. Pour empêcher qu'on ne les accuse d'aveuglement et d'erreur, ils affectent la sévérité extérieure la plus rigide ; tous les passages de la sainte Ecriture, dans lesquels l'Esprit-Saint commande de réprimer les vices et de faire la guerre aux passions, tout en restant dans les limites de la charité et dans les bornes de l'unité, ils s'en font une arme pour asseoir le schisme et le sacrilège et faire régner la division, ils triomphent surtout de ces paroles de l'Apôtre « Enlevez le mal de vous-mêmes ». Or, ajoutent-ils, si le mal ne nuisait point aux justes eux-mêmes, l'Apôtre nous ordonnerait-il de le faire disparaître?

II. Examinons si ce n'est pas à dessein que saint Paul, pesant la portée de ses paroles, et pouvant dire : Chassez les méchants de votre société, a cru devoir prendre cette forme de langage : « Chassez le mal de vous-mêmes ». En effet, du moment que l'on ne peut séparer les méchants de la société de l'Eglise, pour s'en séparer de coeur il suffit de chasser le mal de soi-même, et par ce moyen, non-seulement on est spirituellement uni aux bons, mais on se trouve séparé des méchants. S'adressant à Timothée, l'Apôtre avait dit également: « N'ayez aucune part aux péchés de vos frères » ; c'était affirmer clairement qu'il n'est pas toujours possible de chasser de l'Eglise certains pécheurs, que l'on est ainsi forcé de tolérer. Puis, voulant lui faire comprendre dans quel sens il ne devait avoir aucune part aux péchés de ses frères, il ajoute : « Gardez« vous pur vous-même (1) ». Un méchant peut se mêler aux méchants, mais le juste ne saurait leur être mêlé quoique membre extérieur de la même société. Quant aux Corinthiens, il leur avait dit : «Ai-je à juger ceux qui sont au dehors? Et ne jugez-vous pas vous-mêmes ceux qui vous sont unis intérieurement ? » Mais, craignant aussitôt qu'ils ne se laissassent effrayer par la multitude des pécheurs auxquels ils sont mêlés comme le froment à la paille; et dont ils ne, peuvent se séparer pour se soustraire à leurs vexations, l'Apôtre ajoute : « Arrachez le mal de vous-mêmes (2) ». En admettant donc qu'ils ne peuvent chasser les méchants de leur société ; en arrachant le mal de leur propre coeur, c'est-à-dire en évitant de pécher avec eux, de consentir ou d'applaudir à leurs péchés, ils peuvent conserver au milieu des méchants leur sainteté et leur innocence. En effet, c'est en péchant soi-même que l'on s'unit aux pécheurs. Qu'on arrache le péché de son cœur, et le péché des autres sera pour nous sans atteinte. Supposons encore que, méprisant la discipline de l'Eglise de Dieu, tel chrétien et surtout tel ministre contemple sans chagrin les pécheurs avec lesquels il ne pèche pas, et auxquels il n'applaudit pas, qu'il cesse de les avertir, de les reprendre, de les corriger, pourvu que cette abstention lui soit inspirée par la crainte exagérée de troubler la paix de l'Eglise, s'il venait seulement à refuser la participation aux sacrements, ce chrétien, ce ministre se rendrait coupable, mais d'un péché purement personnel, et non des péchés qu'il tolère dans les autres. Dans une matière d'aussi grande importance, la négligence est une faute

 

1. I Tim. V, 22. — 2. I Cor. V, 12, 13.

 

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très-grave ; dès lors, selon le conseil de l'Apôtre, s'il arrache le mal de son coeur, non-seulement il ne s'expose ni à. commettre le péché ni à y applaudir, mais il éloigne toute paresse dans la correction et toute négligence dans la punition du mal, tout en usant, conformément au précepte du Sauveur, de toute la prudence possible pour ne porter aucune atteinte au, froment (1). A ces conditions, quiconque, arrachant le mal de son coeur, tolère la zizanie au milieu du bon grain, n'a pas à craindre d'en être souillé; il distingue cette zizanie et la juge transitoirement, car il ne sait pas ce qui peut arriver le lendemain. Dès lors, sans blesser en quoi que ce soit la charité, et avec l'espérance plus ou moins fondée d'assurer la conversion, il frappe tout ce qu'une sévérité nécessaire lui ordonne de frapper. Mais les observations précédentes nous paraîtront encore mieux fondées quand nous aurons apporté à ce passage de l'Apôtre un examen plus approfondi.

III. « Que voulez-vous, dit-il? Me présenterai-je devant vous la verge à la main, ou « bien dans la charité et l'esprit de mansuétude? » Il est clair qu'il parle de châtiment, puisqu'il s'annonce la verge à la main. Eu conclura-t-on que la verge peut marcher sans la charité, parce que se servant d'une forme disjonctive, il s'écrie : « Me présenterai-je la verge à la main, on dans la charité? » Tout doute disparaît à l'instant; car ces mots. « L'esprit de mansuétude », annoncent assez clairement que la verge ne peut marcher sans la charité. Toutefois, autre est la charité de la sévérité, autre la charité de la mansuétude. C'est une seule et même charité, mais elle se diversifie dans ses opérations. « On parle parmi vous de fornication et d'une fornication telle qu'on ne la trouve pas même parmi les Gentils, un fils ayant commerce avec l'épouse de son père ». Le crime est horrible; voyons de quel châtiment il va le juger digne. « Et cependant vous vous gonflez, plutôt que de vous jeter dans les pleurs pour faire retrancher du milieu de vous celui qui s'est rendu coupable de cette action honteuse ». Pourquoi des larmes, plutôt que de la colère? N'est-ce point parce qu'il dit ailleurs : « Quand un membre souffre, tous les autres membres souffrent avec lui (2)? » Il demande des larmes, non point parce qu'on

 

1. Matt. XIII, 29. — 1. I Cor. XII, 26.

 

le séparait, mais afin qu'on le séparât; c'est-à-dire, afin que la douleur de ces coeurs attristés montât jusqu'à Dieu, et obtînt de lui qu'il fît disparaître du milieu d'eux cette grande iniquité, dans la crainte qu'en voulant l'arracher eux-mêmes, ils arrachassent en même temps le bon grain. Quand donc il est besoin de recourir à ce mode de châtiment, l'humilité de la prière et des larmes doit implorer la miséricorde que repousse toujours l'orgueil dans ceux qui sévissent; le salut de celui-là même que l'on sépare ne doit pas être négligé. Dès lors on doit faire en sorte que le châtiment lui soit utile; on doit recourir aux voeux et aux prières, si les reproches sont menacés d'impuissance. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute : « Pour moi, à la vérité absent de corps, mais présent en esprit, j'ai déjà prononcé ce jugement comme si j'étais présent; vous et mon esprit étant donc assemblés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que celui qui est coupable de ce crime, soit, par la puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, livré à Satan pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1) ». L'Apôtre faisait-il autre chose que de pourvoir au salut spirituel par la mort de la chair ? Faisant appel ou bien à la peine ou à la mort corporelle, comme on avait vu Ananie et sa femme tomber aux pieds de l'apôtre saint Pierre, ou bien à la pénitence, comme il le fit en livrant ce malheureux à Satan, saint Paul ne voulait qu'une seule chose, tuer en lui la concupiscence scélérate de la chair. Le même Apôtre dit ailleurs : « Mortifiez vos membres qui sont sur la terre, et parmi ces membres il énumère la fornication (2) ». Ailleurs il dit également : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si vous mortifiez les oeuvres de la chair par l'esprit, vous vivrez (3) ». Toutefois il ne retranche pas de la charité fraternelle celai qu'il ordonne de séparer de la société fraternelle. Il s'en explique clairement avec les Thessaloniciens, quand il leur dit : « Si quelqu'un n'obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le et n'ayez point de commerce avec lui, afin qu'il en ait de la confusion. Ne le considérez pas néanmoins comme votre ennemi, mais avertissez-le comme votre

frère ». Que nos adversaires prêtent donc       

 

1. I Cor. IV, 21; V, 5. — 2. Coloss. III, 5. — 3. Rom. VIII, 13.

 

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l'oreille et comprennent que la charité apostolique nous ordonne de nous supporter réciproquement et de conserver l'unité de l'esprit dans le lien de la paix (1). Ces belles paroles

« Ne le considérez pas comme votre ennemi, mais avertissez-le comme un frère », nous sont expliquées par ce qui suit immédiatement : « Que le Dieu de la paix vous donne la paix en tout lieu et en tout temps (2) ». Quand donc il s'agit de l'incestueux de Corinthe, ne nous étonnons pas que l'Apôtre prescrive avant tout les pleurs et recommande la paix et la charité. Aussi, parlant de lui-même il s'exprime en ces termes : « De crainte que Dieu ne m'humilie lorsque je reviendrai vous voir, et que je ne sois obligé d'en pleurer plusieurs de ceux qui, étant déjà a tombés dans des impuretés, des fornications et des dérèglements infâmes, n'en ont point fait pénitence »; il ajoute aussitôt: « Je vous l'ai dit précédemment lorsque j'étais présent parmi vous, et maintenant que je suis absent, je vous dis encore que si je viens une seconde fois, je ne pardonnerai ni à ceux qui avaient péché auparavant, ni à tous les autres (3) ». Baigné dans ses larmes, il jugeait donc que, pour humilier et corriger les pécheurs, il devait s'armer de la miséricorde de Dieu, sans porter aucune atteinte au lien de la paix, dans lequel réside notre salut; et nous voyons que c'est là ce qu'il fit à l'égard de l'incestueux dont nous avons parlé. Nous ne voyons pas en effet à quel autre qu'à lui on pourrait appliquer ces paroles que nous lisons dans la seconde épître aux Corinthiens : « Il est vrai que je vous écrivais alors dans une extrême affliction, dans un serrement de coeur et avec une grande abondance de larmes, non dans le dessein de vous attrister, mais pour vous faire connaître la charité toute particulière que j'ai pour vous. Que si l'un d'entre vous m'a attristé, il ne m'a pas attristé moi seul, mais vous tous aussi, au moins dans une certaine mesure, et je le dis pour ne point l'opprimer dans son affliction. Quant à celui qui a commis ce crime, c'est assez pour lui qu'il ait subi la correction et la peine qui lui a été imposée par votre assemblée. Maintenant vous devez le traiter avec indulgence et le consoler, de crainte qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse. C'est

 

1. Eph. IV, 2, 3. — 2. II Thess. III, 14-16. — 3. II Cor. XII, 21; XIII, 2.

 

pourquoi je vous prie de lui donner des preuves effectives de charité. Et c'est pour cela même que je vous en écris, afin de vous éprouver et de reconnaître si vous êtes obéissants en toutes choses. Ce que vous accordez à quelqu'un par indulgence; je l'accorde aussi; et si j'use moi-même d'indulgence, j'en use à cause de vous, au nom et en la personne de Jésus-Christ, afin que Satan n'ait aucun empire sur nous, car nous connaissons ses desseins (1) ». Se pourrait-il plus de modération, plus de charité, une sollicitude plus affectueuse, plus pieuse, plus paternelle et maternelle? De même qu'il applique la correction au pécheur, de même il ordonne de prodiguer les consolations à celui qui est converti, qui a broyé et humilié son cœur dans la pénitence, « dans la crainte, dit-il, qu'il ne soit accablé sous le poids de sa tristesse ». Mais quel est le sens de cette conclusion : « Afin que Satan n'ait aucun empire sur vous, car nous connaissons ses desseins? » N'est-ce pas Satan qui, sous prétexte d'une juste sévérité, inspire une rigueur cruelle, ne donnant d'autre but à son astuce infernale que de corrompre et de briser le lien de la paix et de la charité? Que ce lien se conserve parmi les chrétiens, et toutes les forces du démon deviennent impuissantes à nous nuire, ses trames et ses embûches se brisent, et tous ses projets de destruction s'évanouissent.

IV. Lors même que dans sa seconde épître aux Corinthiens l'Apôtre parlerait d'un autre que l'incestueux, ses paroles resteraient toujours pour nous prouver avec quelle charité la discipline ecclésiastique doit procéder à l'égard de tous les coupables. Mais aveuglés par leurs préventions, nos adversaires, pour enrichir le trésor de leurs calomnies, citent de préférence ces paroles : « Le juste m'avertira dans la miséricorde et me reprochera mes fautes, mais l'huile du pécheur ne sera a pas versée sur ma tête (2) ». Or, comme ils ne savent pas s'armer de la miséricorde pour corriger, ils ont noirci de cruels soupçons l'innocence de Cécilien, et oint de l'huile d'une fausse adulation la puissance d'Optat de Gildon. Si c'eût été par respect pour le lien de la paix qu'ils toléraient dans les gémissements et dans les larmes l'iniquité d'Optat, on ne les verrait pas troubler la paix

 

1. II Cor. II, 4-11. — 2. Ps. CXL, 5.

 

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chrétienne et catholique dans l'univers, et briser les liens de la paix; du moins, saisis d'une sainte douleur au souvenir du criminel aveuglement qui a poussé leurs ancêtres à briser cette paix, se trouvant eux-mêmes obligés, pour la paix du donatisme, de tolérer parmi eux un si grand nombre de pécheurs, ne devraient-ils pas étouffer leurs calomnies et chercher la paix dans une conversion véritable ?

V. Mais revenons aux conséquences de cette première épître aux Corinthiens. L'Apôtre avait dit: « Qu'il soit livré à Satan, pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Insistant de nouveau et de toutes ses forces, pour leur prouver que ce résultat devait s'obtenir par l'humilité et les larmes, et non par l'orgueil et la cruauté, il ajoute aussitôt : « Vous n'avez point sujet de vous tant glorifier » ; ou, si l'on veut, mais sous la forme d'une sanglante ironie : « Vous avez bien sujet de vous glorifier ». Ces deux versions se rencontrent également, mais le sens est toujours le même. Comment supposer, en effet, qu'il ait pu les louer jusqu'à leur dire sérieusement: « Vous avez bien sujet de vous glorifier », quand il venait de leur dire : « Vous vous enflez d'orgueil pendant que vous devriez être plongés dans les larmes », ajoutant aussitôt : « Ne savez-vous pas qu'il suffit d'un peu de levain pour corrompre toute la masse (1) ? » Cette dernière parole peut parfaitement se rapporter à la corruption même de la vaine gloire. En effet, c'est l'orgueil qui a fait tomber le premier homme; depuis lors il est comme le levain antique qui fermente dans les esprits et réunit dans les mêmes aspirations tous ceux qui consentent aux entraînements d'une vaine jactance. Se glorifier, non pas de ses propres péchés, mais à l'occasion des péchés des autres, comme si ces péchés rehaussaient notre innocence, n'est-ce pas encore là le petit levain dont parle l'Apôtre? Il serait grand, si l'on allait jusqu'à se glorifier de ses propres iniquités ; mais l'autre, quoique petit, suffit pour corrompre ta masse tout entière. L'orgueilleux tombe par le poids même de son orgueil, et en cherchant à justifier ses péchés il commence à vouloir se glorifier. L'Apôtre prévoyait cet abus, quand il s'écriait: « C'est pourquoi, que

 

1. I Cor. V, 6.

 

celui qui se croit debout prenne garde de tomber (1) ». Ailleurs : « Si quelqu'un est tombé par surprise dans quelque péché, vous qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous rentrant en soi-même et craignant d'être soumis à la même tentation. Portez les fardeaux les ans des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ (2) ». Quelle est cette loi de Jésus-Christ, sinon celle-ci : «Je vous donne un commandement nouveau, celui de vous aimer réciproquement (3) ? » Quelle est cette loi de Jésus-Christ, sinon celle-ci : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix (4) ? » Quand donc l'Apôtre s'écrie « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus« Christ u, il ne fait qu'annoncer ce qu'il répète ailleurs : « Vous supportant réciproquement dans la charité, vous appliquant à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (5) ». Dans le Pharisien de l'Evangile, le Sauveur nous montre les suites du levain de l'orgueil; car, loin de gémir sur sa condition de pécheur, il se faisait un point d'orgueil de ses mérites en les rapprochant des péchés du publicain. Celui-ci cependant descendit en confessant ses péchés et fut justifié, tandis que le Pharisien fut condamné malgré les mérites qu'il proclamait avec tant d'emphase: « Car celui qui s'exalte sera humilié, et celui qui s'humilie sera exalté (6) ». L'Apôtre continue donc en ces termes : « Purifiez le vieux levain, afin que vous deveniez une nouvelle pâte comme vous êtes des azymes ». Remarquons ces mots : « Afin que vous deveniez », et ceux-ci : « Comme vous êtes ». Ces paroles n'expriment-elles pas ce qu'ils étaient et ce qu'ils n'étaient pas, en leur prouvant par des modèles ce qu'ils doivent devenir? Toutefois, en s'adressant à tous il se sert du singulier, afin de ne pas donner occasion à ceux qui étaient bons, de désespérer de ceux qui n'en étaient pas encore à ce degré de perfection, et de croire qu'ils n'appartenaient pas à l'union de son corps ; c'est là le sens de ces paroles

« Afin que vous deveniez comme vous êtes ». Après ces avertissements réitérés de l'Apôtre, ceux qui étaient déjà parfaits savaient et devaient savoir de plus en plus supporter les imparfaits, afin qu'en se supportant ainsi réciproquement

 

1. I Cor. X, 12. — 2. Gal. VI, I, 2. — 3. Jean, XIII, 34. — 4. Id. XIV, 2. — 5. Ephés. IV, 2. — 6. Luc, XVIII, 10-14.

 

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dans la charité, ils conservassent l'unité d'esprit dans le lien de la paix, et qu'en portant les fardeaux les uns des autres ils accomplissent la loi de Jésus-Christ. Cette loi, le Sauveur ne l'a-t-il pas accomplie lui-même, quand, pour nous apprendre le chemin de l'humilité, il a daigné s'humilier jusqu'à la mort de la croix (1), et quand, se faisant le médecin des malades il supporta avec une charité sans borne les pécheurs dont il avait dit : « Le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades (2)? » Aussi c'est Jésus-Christ que l'Apôtre nous propose immédiatement comme modèle « Car Jésus-Christ notre Pâque a été immolé», afin qu'à cet exemple de profonde humilité, les fidèles apprissent à purifier le vieux levain, c'est-à-dire tout ce qui pouvait rester en eux de l'orgueil du premier homme. « Célébrons donc, dit-il, ce jour de fête » ; ce jour, c'est toute notre vie, « non pas dans le vieux levain, ni dans le levain de la malice et de la méchanceté, mais dans les azymes de la sincérité et de la vérité ». Cette malice, cette méchanceté paraissait signifier l'orgueil que l'on éprouverait à la vue des péchés des autres, comme si l'on devait se glorifier de sa propre justice, quand on a sous les yeux un pécheur. Au contraire, la sincérité et la vérité font une obligation à celui qui est parfait de se souvenir de ce qu'il était précédemment, et de s'éprendre d'une immense pitié pour ceux qui tombent. En effet, s'il est juste aujourd'hui, n'est-ce pas parce qu'il a été relevé de sa chute par la miséricorde de Jésus-Christ qui, sans avoir commis aucun péché, s'est profondément humilié pour les pécheurs?

VI. Suit-il de là que l'on peut rester entièrement indifférent et insensible à l'égard des péchés d'autrui? Ce serait une cruauté non moins grande contre laquelle l'Apôtre veut nous mettre en garde par ces paroles : « Je vous ai écrit dans une lettre, que vous n'eussiez aucun commerce avec les fornicateurs; ce que je n'entends pas des fornicateurs de ce monde, non plus que des avares, des ravisseurs ou des idolâtres, autrement il vous faudrait sortir de ce monde ». En effet, la grande oeuvre que vous avez à accomplir en ce monde, c'est de sauver les pécheurs en les gagnant à Jésus-Christ. Or, cette oeuvre ne pourrait s'accomplir

 

1. Philipp. II, 8. — 2. Matt. IX, 12.

 

si vous refusiez obstinément de converser et de vivre avec eux. « Quand donc je vous ai écrit de n'avoir aucun commerce avec ces sortes de personnes, j'ai entendu que si celui qui est du nombre de vos frères est fornicateur, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur du bien d'autrui, vous ne mangiez pas même avec lui. Aussi, pourquoi entreprendrais je de juger ceux qui sont dehors? N'est-ce pas ceux qui sont dans l'Eglise que vous avez droit de juger? Quant à ceux qui sont dehors, Dieu ne les jugera-t-il pas? Retranchez ce méchant du milieu de vous (1)».

VII. Voilà comment l'Apôtre a été amené à prononcer cette sentence dont Parménien à cru ne devoir citer que la dernière partie « Arrachez ce méchant du milieu de vous». « Or, dit-il, si la présence de ce méchant ne nuisait pas aux bons, il n'ordonnerait pas de le séparer». Quant aux prémisses qui ont amené cette conclusion, il les passe sous silence. Cependant, puisqu'il voulait prouver que l'on doit établir contre les pécheurs la séparation corporelle, il aurait pu invoquer en sa faveur ces paroles de l'Apôtre : « Vous ne devez pas même manger avec lui ». Pourquoi donc ce silence sur un passage qui lui était fourni si à propos? Puisqu'il met tant d'instances à soutenir que l'on doit se séparer, même corporellement, des pécheurs, pourquoi ne pas citer ces paroles de l'Apôtre « Si celui qui est du nombre de vos frères est fornicateur, ou idolâtre, ou avare, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur, vous ne devez pas même manger avec lui ? » N'a-t-il pas compris que s'il invoquait ce passage, on pourrait lui répondre : N'avez-vous donc parmi vos frères aucun fornicateur, ou aucun idolâtre, ou bien ne les connaissez-vous pas? Vous ne voyez parmi vous, vous ne connaissez aucun avare, aucun médisant, aucun ivrogne, aucun voleur? Et s'il y en a, comment donc méprisez-vous le précepte de l'Apôtre, jusqu'à manger avec eux, c'est peu, jusqu'à participer avec eux à la cène du Seigneur? C'est cette réplique que Parménien a voulu s'épargner, quand il a passé sous silence un texte qui semblait si bien justifier sa thèse. Si ce chapitre de la lettre apostolique lui avait échappé, en aurait-il cité les dernières paroles: « Arrachez ce méchant du milieu de vous? »

 

1. I Cor. V, 7-12.

 

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VIII. Parce que je viens d'établir ces raisonnements, peut-être auront-ils l'audace de nier qu'il y ait parmi eux des avares, des médisants, des ivrognes, des voleurs; n'iront-ils pas même jusqu'à prendre la défense d'Optat, qui est connu de toute l'Afrique, et qu'ils ont toléré aussi longtemps qu'ils ont eu à le craindre? S'ils le peuvent, qu'ils nous disent si leur église est aujourd'hui plus belle et plus pure que ne l'était l'unité, du temps du bienheureux Cyprien. Ce glorieux martyr, sans se séparer corporellement de ses collègues, sans en désigner aucun nominativement, mais leur appliquant un remède aussi sévère que prudent et salutaire, leur reprocha vertement d'aspirer à d'abondantes richesses, quand leurs frères étaient poursuivis par la faim, de recourir à des fraudes insidieuses pour s'emparer des propriétés, et à des usures sans nombre pour accroître leurs trésors. Enfin, pour prouver jusqu'à la dernière évidence que ces reproches s'adressaient à des collègues avec lesquels il était en communion dans l'Eglise, il termine en ces termes : « A quels châtiments ne devons-nous pas nous attendre, pour expier de tels crimes (1)? » Il ne dit pas : A quels châtiments doivent-ils s'attendre ; mais : « Ne devons-nous pas nous attendre ? » Lui qui certainement n'était point coupable, aurait-il ainsi parlé, s'il n'avait pas voulu montrer qu'il versait des gémissements et des larmes sur les crimes de ceux qui lui étaient unis, non-seulement comme membres de la même Eglise, mais comme membres du même épiscopat, quoiqu'il y eût entre eux et lui une grande différence de vie, de moeurs, de coeur et de résolutions? Que nos adversaires nous disent donc que leur église est aujourd'hui plus belle et plus pure, et que dans leurs rangs ils n'ont pas de collègues, comme Cyprien en avait autrefois dans l'unité. On est libre de les croire si l'on veut, et de fermer les yeux sur les maux sans nombre que leurs moeurs ont engendrés, et que n'ont pu cacher les ressources abondantes de leur dissimulation. De mon côté, je les rappellerai à ces premiers temps de l'unité, et je leur demanderai si l'Eglise était ou n'était pas l'Eglise du Christ, même à l'époque où le grand évêque de Carthage exhalait ses gémissements sur les désordres de ses collègues, et les consignait librement

 

1. Cyp. Discours pour les Tombés.

 

dans des livres qui devaient passer à la postérité. Si c'était bien la véritable Eglise de Jésus-Christ, je demande comment Cyprien et d'autres que lui, animés du même zèle, accomplissaient ce précepte de l'Apôtre : « Si celui qui est du nombre de vos frères est fornicateur, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou voleur, vous ne devez même pas manger avec lui? » Est-ce qu'ils ne mangeaient pas le pain du Seigneur, et ne buvaient pas le calice avec ces avares et ces voleurs, qui n'aspiraient qu'à augmenter leurs richesses, pendant que leurs frères étaient réduits à mendier pour vivre, et qui usaient de toutes les fraudes pour s'emparer du bien d'autrui?

IX. Dira-t-on que ces crimes sont légers et de peu d'importance? C'est là, en effet, la réponse qu'ils font d'ordinaire ; au lieu de jeter ces crimes dans la balance équitable des divines Ecritures, ils les pèsent dans la balance frauduleuse de leurs habitudes. Crimes et iniquités, tout ce qui enivre la multitude ne peut être la règle du jugement. Mais les oracles divins, tel est le miroir impartial offert aux hommes; c'est là que chacun doit apprécier la gravité du péché, s'il ne veut pas imiter ces pécheurs qui, dans leur aveuglement, éprouvent à peine du mépris pour le péché le plus grave. Or, les oracles divins pouvaient-ils lancer contre l'avarice une accusation plus grave que de la comparer à l'idolâtrie et de lui en infliger le nom, comme le fait l'Apôtre « Et l'avarice, qui est une véritable idolâtrie (1) ? » Pouvait-on la frapper d'un châtiment plus terrible que de la ranger au nombre des crimes qui excluent du royaume des cieux? Qu'ils ouvrent les yeux de leur coeur, s'ils ne veulent pas ouvrir en vain les yeux de leur corps, et qu'ils lisent le libre prédicateur de la vérité, écrivant dans sa première épître aux Corinthiens : « Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les impudiques, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs ne seront héritiers du royaume de Dieu (2) ». Comment donc Cyprien et avec lui les justes, mangeaient-ils le pain et buvaient-ils le calice du Seigneur, dans l'Eglise de l'unité, avec avares et des voleurs, avec ceux qui ne seront pas héritiers du royaume

 

1. Coloss. III, 5. — 2. I Cor. VI, 9, 10.

 

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de Dieu, quand ces malheureux n'étaient pas seulement des laïques et des clercs, mais même des évêques? L'Apôtre ne défend-il pas « de se mêler avec eux » et « de manger avec un tel frère? » Parce qu'ils ne pouvaient se séparer d'eux corporellement, dans la crainte d'arracher en même temps le bon grain, ne leur suffisait-il pas de s'en séparer par le coeur, de s'en distinguer par la vie et par les moeurs, pour conserver la paix et l'unité, pour assurer le salut de ces froments encore faibles et jusque-là nourris de lait, enfin, pour épargner aux membres du corps de Jésus-Christ les déchirements d'un schisme sacrilège ?

X. Toutefois, je ne veux imposer à aucun d'eux cette manière d'interpréter le texte. Qu'ils nous expliquent du moins comment cette Eglise pouvait être alors glorieuse, sans tache et sans ride (1), quand à côté de pauvres faméliques on voyait des évêques aspirer à de grandes richesses, enlever le bien d'autrui par la ruse et la fraude, accroître leurs trésors par des usures sans nombre, et enfin se souiller de toutes ces iniquités qui excluent du bonheur du ciel. D'un autre côté, si l'Église sans tache et sans ride se composait exclusivement de ceux qui gémissaient et. pleuraient sur ces iniquités dont ils étaient les témoins attristés; si c'est en protestant par leurs gémissements et leurs larmes qu'ils ont mérité, selon la prophétie d'Ezéchiel, d'être marqués du signe salutaire qui les a soustraits à la destruction et à la perdition des coupables ; que nos adversaires cessent donc enfin de calomnier les bons qui résistent au mal et tolèrent les méchants, afin de mieux pratiquer cette charité pacifique dont il a été dit: « Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (2) ». Quand le Saint-Esprit, par l'organe du prophète Ezéchiel, veut désigner les méchants, que les bons tolèrent dans l'unité, il se sert d'une expression qui indique que les méchants se trouvent placés au milieu des bons. Au contraire, s'il disait que les bons sont placés au milieu des méchants, ces bons sembleraient être au dehors, à l'extérieur. « Ils gémissent, dit-il, et pleurent sur les iniquités de mon peuple, sur les crimes qui se commettent au milieu d'eux (3) ». De cette manière, les méchants nous sont présentés tout à la fois

 

1. Ephés. V, 27. — 2. Matt. V, 9. — 3. Ezéch. IX, 4.

 

comme étant du dehors et renfermés dans l'intérieur.

XI. Si donc l'Église avait cessé d'exister, parce qu'après avoir entendu Cyprien, et tous les justes avec lui, pousser de longs gémissements et des plaintes amères, sur les avares et les voleurs qu'ils connaissaient, d'un autre côté, nous les voyons se réunir ensemble à l'Église, participer ensemble aux mêmes sacrements, et par un commerce aussi intime partager infailliblement leur sort et se souiller à leur contact, au lieu d'obéir au précepte de l'Apôtre, qui leur défend même de manger avec les pécheurs, et leur ordonne de les chasser du milieu d'eux; si, dis-je, l'Église avait nécessairement péri, pourquoi discuter plus longtemps? Comment se vantent-ils d'avoir encore une église, si toute Eglise avait disparu depuis cette époque? Qu'ils nous disent dans quelle société sont nés Majorin et Donat, ces glorieux pères de Parménien et de Primien. A quoi peut-il leur servir de soutenir mensongèrement qu'ils n'ont parmi eux, ou du moins qu'ils ne connaissent dans leurs rangs aucun de ces avares ou de ces voleurs avec lesquels l'Apôtre puisse leur défendre de manger? Ne suffit-il pas que des pécheurs de ce genre se soient trouvés dans cette Église de l'unité, Eglise qu'ils regardent tellement comme leur mère, qu'ils osent soutenir qu'elle ne s'est conservée que parmi eux, c'est-à-dire dans la communion de Donat? Puisqu'ils prétendent que l'Église périt en restant en communion avec ces pécheurs, comment donc n'affirment-ils pas qu'elle avait déjà succombé à l'époque de saint Cyprien? Mais alors, ils ne pourront plus ni nous expliquer leur origine, ni soutenir que la véritable Eglise s'est conservée parmi eux, puisque toute Église avait cessé depuis cette époque reculée. D'un autre côté, si l'Église s'est conservée, se conserve, et se conservera toujours parmi les bons qui ont horreur de tous ces crimes dont nous avons parlé, qu'ils comprennent donc enfin le sens véritable de ces paroles de l'Apôtre : « Arrachez ce méchant du milieu de vous » ; qu'ils sachent qu'il ne s'agit nullement de faire schisme, sous prétexte d'arracher la zizanie, en arrachant en même temps le bon grain. Si nous insistons sur tous ces détails, c'est afin de rappeler à nos lecteurs ou à nos auditeurs que jamais ils n'ont pu prouver que Cécilien, ou les fidèles (53) qui lui étaient indissolublement attachés, eussent été de la zizanie; ils ne l'ont pu du vivant de Cécilien, alors que l'hérésie était encore toute récente, ils ne le peuvent pas, maintenant que la conviction de l'innocence des accusés s'affermit de plus en plus dans l'univers entier, et que la paix règne dans l'Eglise chrétienne. Nous faisons ces remarques, afin que chaque fidèle persévère en toute sécurité dans l'unité de l'Eglise, et qu'il n'imite point ceux qui se sont séparés de l'unité, s'il ne veut pas périr avec eux. En effet, lors même que Cécilien et ses partisans auraient été la zizanie, on aurait dû les tolérer jusqu'à la moisson, plutôt que d'arracher le froment dans les commotions du schisme.

XII. Mais, dira quelqu'un, « comment pourrons-nous accomplir le précepte de l'Apôtre, quand il nous défend même de manger avec le pécheur, tel qu'il nous le dépeint? En effet, s'il n'entendait prescrire que la séparation du coeur, il ne dirait pas : « Je vous ai averti dans ma lettre de n'avoir aucun a commerce avec les fornicateurs, ce que je a n'entends pas des fornicateurs de ce monde», c'est-à-dire de ceux qui ne sont pas chrétiens et dont il dit plus loin : « Pourquoi entreprendrais-je de juger ceux qui sont dehors? Ne jugez-vous pas ceux qui sont dans l'Église? Quant à ceux qui sont dehors, Dieu les jugera ». La séparation qu'il prescrit, n'a donc pas pour objet les méchants qui ne sont pas chrétiens, mais ceux qui sont chrétiens, tandis que la séparation du coeur s'applique sans distinction à tous les méchants. Si donc nous devons nous séparer de coeur de ces méchants qui ne sont pas chrétiens, comment ne pas comprendre que l'Apôtre nous défend d'avoir avec les mauvais chrétiens qu'il nous désigne certaines relations que nous pouvons avoir avec les païens dans les usages ordinaires de la société humaine? De là ce conseil qu'il nous donne dans un autre passage : « Si un infidèle vous invite et que vous vouliez accepter, mangez de ce qui vous est présenté, sans faire aucune question (1) ». S'agit-il du pécheur dont il vient de parler, il ne permet pas même de manger avec lui. Quand il s'agit des infidèles, c'est-il dire de ceux qui n'ont pas cru en Jésus-Christ, et que « Dieu jugera », parce

 

1. I Cor. X, 27.

 

qu'ils sont dehors, il autorise à manger avec eux ce qui est présenté; s'agit-il, au contraire, de ceux qui sont dans l'Eglise, c'est-à-dire de celui qui, étant du nombre de vos frères, est fornicateur, idolâtre, ou avare, ou médisant, ou ivrogne, ou voleur, l'Apôtre défend même de manger avec lui. Il invite donc à séparer, avant la moisson, la zizanie d'avec le froment. Si nous refusons de le faire, parce que Dieu le défend, alors nous n'avons plus qu'à tolérer la zizanie et à ne nous séparer d'elle que d'une séparation de coeur et de volonté; conséquemment nous mangerons avec eux, malgré la défense que nous en fait l'Apôtre ».

XIII. Sur une question aussi délicate, je ne dirai rien qui sente la nouveauté ou l'excentricité. Me bornant donc à ce que réclame la santé de l'Eglise, je déclare que si l'un de nos frères, c'est-à-dire un membre intérieur de l'Eglise, est surpris en délit assez flagrant de péché pour mériter qu'on le frappe d'anathème, on doit l'en frapper réellement, pourvu qu'il n'y ait aucun danger de schisme et qu'on pratique cette charité, dont le précepte nous est imposé en ces termes : « Ne le traitez pas comme un ennemi, mais corrigez-le comme un frère (1) ». Ce n'est pas pour l'arracher qu'on le frappe, mais pour le corriger. S'il ne rentre pas en lui-même, s'il refuse de faire une pénitence salutaire, il sortira lui-même de l'Église, et sera, par sa propre volonté, retranché de la communion de l'Église. A ses serviteurs qui voulaient arracher la zizanie, le Seigneur parle en ces termes : « Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson » ; il en donne la raison : « De crainte qu'en voulant arracher la zizanie vous n'arrachiez en même temps le bon grain (2)». Il suit de là que si ce danger n’existe pas, que si la stabilité du froment est telle qu'on n'ait rien à craindre pour sa sécurité, c'est-à-dire, que si le crime est tellement connu, et s'il apparaît tellement exécrable à tous que personne ne soit tenté de le justifier, ni de s'obstiner dans cette justification jusqu'à faire schisme, on ne doit point laisser dormir la sévérité de la discipline, mais se souvenir que la répression est d'autant plus efficace, qu'on respecte avec plus de soin les droits de la charité. Or, sans porter aucune atteinte à la paix et à l'unité, sans compromettre en aucune manière la sécurité du froment, on peut toujours frapper quand la multitude des

 

1. II Thess. III, 15. — 2. Matt. XIII, 30.

 

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fidèles n'éprouve que de l'horreur contre le crime que l'on frappe d'anathème. Car alors la multitude vient en aide au supérieur qui punit, plutôt que de favoriser la résistance du

coupable; elle s'abstient salutairement de tout commerce avec lui et refusera même de manger avec lui, non point par sentiment de haine, mais pour aider à la correction fraternelle. Quant au coupable lui-même, il est saisi de crainte et trouve sa guérison dans sa propre honte, lorsque, se voyant anathématisé par l'Eglise universelle, il ne peut trouver autour de lui personne qui se réjouisse de son crime et insulte les bons.

XIV. N'est-ce pas pour énoncer cette pensée que l'Apôtre s'exprime en ces termes : « Si l'on nomme parmi vous quelque frère? » « Quelque frère », dit l'Apôtre, c'est-à-dire tel ou tel membre isolé, dont la correction est d'autant plus facile qu'il est à peu près seul pour se livrer au péché, au milieu de ses frères qui résistent obstinément à l'entraînement du mal. « Si l'on nomme », dit-il encore; il ne suffit pas que tel ou tel soit réellement coupable; on doit le nommer, le bruit public doit s'en occuper, afin que tous puissent connaître qu'il a réellement mérité la sentence qui le frappe. Dans de telles conditions, le coupable est corrigé sans que la paix en souffre; s'il est frappé, ce n'est point pour lui ôter la vie.; s'il est brûlé spirituellement, c'est pour le guérir. Voilà pourquoi, parlant de celui qu'il voulait guérir par ce remède, il avait dit : « Il lui suffit de la correction qui lui est faite par la multitude ». Or, cette correction parla multitude ne peut être salutaire, qu'autant que le coupable n'a pas pour complice la multitude elle-même. Mais quand la même maladie sévit contre le plus grand nombre, il ne reste plus aux bons que la douleur et les gémissements pour échapper intacts à la dévastation générale, portant sur leur front le signe révélé au prophète Ezéchiel (1). S'adressant donc à Celui qui ne peut errer, ils s'écrient : « Seigneur, ne perdez pas mon âme avec les « impies, et ma vie avec les hommes de sang (2) ». En voulant arracher la zizanie, ils craignent d'arracher en même temps le bon grain; le zèle les porterait bien à purifier la moisson du Seigneur, mais ils craignent qu'un peu de témérité ne jette au nombre des balayures.

 

1. Ezéch. IX, 4. — 2. Ps. XXV, 9.

 

Revenons à l'Apôtre. Quand il eut appris qu'à Corinthe un grand nombre de chrétiens s'étaient souillés par la luxure et la fornication, il adressa aux Corinthiens une seconde épître, dans laquelle, cette fois, il ne leur défend plus de manger avec ces pécheurs. Parce qu'ils étaient trop nombreux, il ne pouvait plus dire, comme il avait dit du premier : « Si l'on vient à nommer l'un de vos frères, comme fornicateur, ou idolâtre, ou avare, refusez même de manger avec lui »; il dit au contraire: « Quand je retournerai vous voir, je tremble que Dieu ne m'humilie, que je n'aie à pleurer un grand nombre de ceux qui ont péché précédemment et n'ont pas fait pénitence sur leur impureté, leur luxure et leurs fornications ». En leur annonçant ses larmes il les menace des châtiments du ciel, comme devant remplacer toute autre correction qui consisterait à se priver de toute relation avec eux. Voilà pourquoi il ajoute

« Voici la troisième fois que je me dispose à aller vous voir, et alors tout se jugera sur le témoignage de deux ou trois témoins. Je vous l'ai dit, quand j'étais au milieu de vous, et je vous le dis encore maintenant, étant absent : si je viens encore une fois, je ne pardonnerai ni à ceux qui avaient péché auparavant, ni à tous les autres, puisque vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle par ma bouche (1) ». Cette parole sévère: « Je ne pardonnerai pas », n'est que la reproduction, sous une autre forme, de ces autres paroles précédentes : « Que je sois obligé d'en pleurer plusieurs ». Par ces larmes il devait demander à Dieu de châtier ceux qui, à raison même de leur grand nombre, ne pouvaient plus être corrigés, lors même que les justes eussent rompu toute relation avec eux, pour les couvrir de honte; cette mesure en elle-même, très-efficace n'était possible que quand le coupable était seul et voyait la foule protester contre lui. Par le fait, quand la contagion du péché a gagné la multitude, il n'y a plus d'autre ressource que la sévère miséricorde de la divine discipline. Tous les projets de séparation sont alors vains, pernicieux et sacrilèges, car ils ne peuvent plus être inspirés que par l'impiété et l'orgueil, et ils troublent plutôt les bons dans leur faiblesse, qu'ils ne corrigent les méchants de leurs mauvaises dispositions.

 

1. II Cor. XII, 21; XIII, 1-3.

 

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Nous en avons une preuve dans le bienheureux Cyprien. Témoin attristé de l'avarice de

ses collègues, il voyait dans les maux qui, de son temps, troublaient l'Église, les effets de la censure et de la vengeance divines. Puis déroulant sous ses yeux les moeurs dépravées de ces évêques qui n'aspiraient qu'à accroître leurs richesses et usurpaient le bien d'autrui par la ruse, la fraude et l'usure, pendant que leurs frères subissaient les horreurs de la faim, il s'écriait : « Quels châtiments ne doivent pas attirer sur nous des crimes de cette espèce? » Rappelant donc que ces maux dont souffre l'Église sont l'effet indubitable de la vengeance divine, il cite ce passage du psaume : « Si ses enfants abandonnent ma loi, et ne marchent pas dans mes justices; s'ils profanent mes jugements et n'observent pas mes préceptes, la verge en main je visiterai leurs iniquités, et je lancerai tous les fléaux sur leurs crimes, sans néanmoins les rendre étrangers à ma miséricorde (1) ».

XV. Que l'homme s'inspire donc de la miséricorde pour corriger ce qu'il peut; ce qu'il ne peut pas corriger, qu'il le tolère patiemment; que sa charité alors lui arrache des gémissements et des larmes, jusqu'à la conversion des coupables, mais qu'il attende la moisson pour arracher la zizanie et vanner la paille. Quant aux bons chrétiens qui peuvent s'appuyer sur l'espérance de leur salut, tandis qu'ils désespèrent de ceux qu'ils ne peuvent corriger, qu'ils resserrent de plus en plus les liens de la plus étroite unité, qu'ils rejettent le mal du milieu d'eux, c'est-à-dire qu'ils ne reproduisent dans leur vie aucune des taches qui leur déplaisent dans la conduite des pécheurs. L'Apôtre avait dit : « M'appartient-il de juger a ceux qui sont dehors? Ne jugez-vous pas ceux qui sont dans l'Église? Quant à ceux qui sont dehors, Dieu les jugera. (2) » Supposant alors que les chrétiens lui répondent : Que faisons-nous quand, accablés par la multitude des pécheurs, toute mesure nous est impossible pour exercer quelque correction? Alors, réplique l'Apôtre, « rejetez le méchant du milieu de vous ». En d'autres termes, si vous ne pouvez pas rejeter les méchants de votre société, rejetez le méchant lui-même. Si on entend par là que l'on doit chasser de la

 

1. Ps. LXXXVIII, 31-34 ; — Cyprien, Discours sur les Tombés. — 2. I Cor. V,12.

 

société des frères celui qui s'obstine dans le péché, pourvu qu'on le fasse dans le seul motif de le guérir, et non par haine et en vue de sa perte, une telle interprétation ne peut être rejetée par personne. Quant aux précautions à prendre, et aux circonstances à observer pour ne pas troubler la paix de l'Église, pour épargner le bon grain et ne pas l'arracher avec la zizanie, nous en avons suffisamment parlé. Celui qui fait de cette oeuvre importante l'objet d'une étude particulière, se garde bien, pour conserver l'unité, de négliger la sévérité de la discipline, et de rompre le lien de l'unité par une répression immodérée.

XVI. « Ne mangez même pas avec un pécheur de cette sorte ». Cette parole de l'Apôtre n'est-elle pas fidèlement accomplie par un grand nombre de bons chrétiens, à l'égard de ceux qu'ils traitent plus familièrement, avec lesquels ils peuvent rompre toute relation dans l'espérance de les corriger par cette mesure, ou s'ils désespèrent de les corriger, dans le but très-louable de les empêcher de semer parmi les autres la contagion du mal? Or, cette conduite, ainsi dictée par une humble charité et par une sévérité bienveillante, ne sied mieux à personne qu'à celui qui est placé pour conduire ses frères, et qui doit s'en regarder comme le très-humble serviteur, comme Jésus-Christ le lui enseigne par ses leçons et par ses exemples (1). Ainsi agit-il sans aucun orgueil contre l'homme, mais avec toutes les larmes d'une fervente prière présentée à Dieu. Un évêque peut facilement user de cette sévérité à l'égard de l'un de ses clercs ; un évêque, un clerc, ou un supérieur à l'égard des pauvres que l'Église nourrit; ou à l'égard des laïques ; dans ce cas ils peuvent refuser de manger avec tel pécheur, selon le précepte de l'Apôtre. Mais s'il s'agit de la multitude des pécheurs, on ne peut pas la séparer ni la retrancher du milieu des bons. Dans leurs maisons particulières, les chrétiens fidèles, quand il s'agit de leurs enfants ou de leurs serviteurs, établissent toujours leur administration de manière à faire respecter ce précepte : « Ne mangez même pas avec un pécheur de cette sorte » ; si donc, dans leur famille, ils voient quelqu'un mériter cette répression, la charité elle-même leur fait un devoir d'en user. Quant à la foule des pécheurs, si l'occasion se présente de parler au peuple, on doit

 

1. Matt. XX, 26-28.

 

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lui faire entendre des reproches généraux, surtout quand quelque fléau, s'abattant du ciel, vient fournir l'occasion opportune de leur faire comprendre que ce sont leurs péchés qui sont pour eux la cause de ces malheurs. En face de ces fléaux, les auditeurs prêtent plus sûrement l'oreille à la parole qui vient les guérir, leurs coeurs affligés se ferment à la résistance et au murmure pour se répandre dans les larmes et la confession de leurs fautes. N'est-il pas probable que le bienheureux Cyprien lui-même n'aurait pas tenu un tel langage sur ses collègues, si la sévérité divine ne lui en avait pas fourni l'occasion ? L'époque dans laquelle il parlait, était tellement triste, cruelle et déplorable, que non-seulement ses adversaires n'osèrent s'irriter, mais qu'ils comprirent que l'irritation soulevée contre eux était telle qu'ils pourraient à peine implorer leur pardon. En dehors de toute calamité extérieure, quand on le peut, c'est une mesure très-utile de reprendre la multitude devant la multitude même; séparez-la, elle s'irrite; réunissez-la, vos reproches lui arracheront des gémissements et des larmes. Ainsi donc le précepte de l'Apôtre doit être suivi avec soin, quand on le peut sans danger de troubler la paix de l'Église ; ce n'est qu'à cette condition, du reste, que le précepte a été formulé, de séparer le méchant de l'assemblée des bons ; la condition principale à observer c'est, en nous supportant réciproquement, de nous appliquer à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (1). Mettons également en pratique le commandement du Sauveur dans l'Évangile: « S'il n'écoute pas l'Église, qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain (2) », sans négliger celui qui nous défend d'arracher la zizanie, dans la crainte d'arracher en même temps le bon grain (3). Ce double précepte, dans son accomplissement, n'a rien d'impossible pour ceux à qui il a été dit : « Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (4) ».

XVII. Passons à l'examen des autres passages cités par Parménien. II en est un entre tous, dans la citation duquel se.dévoile pleinement son orgueil sacrilège. Il est tiré du prophète Jérémie, et notre adversaire a osé le citer pour prouver au genre humain tout entier que non-seulement la secte des Donatistes

 

1. Eph. IV, 2, 3. — 2. Matt. XVIII, 17. — 3. Id. XIII, 29. — 4. Id. V, 9.

 

est la véritable Eglise, mais qu'elle est aujourd'hui même dans une pureté telle que la purification dernière n'aura plus rien à y ajouter. Je ne sais si l'on peut pousser plus loin la présomption sacrilège, et l'orgueil le plus insensé. On sait que la présomption déborde de tous leurs discours ; cependant quelquefois la honte les saisit, quand la vérité les pousse de trop près, quand, par exemple, on les presse de dire s'ils ont parmi eux des pécheurs; ou s'ils ne sont pas pécheurs eux-mêmes. Mais quand ils ressaisissent le passage de Jérémie, leur impie vanité et leur perversité ne connaissent plus ni bornes ni mesures. Or, Jérémie, tout en supposant que les bons et les méchants peuvent, pour un temps, ne former qu'une seule société, voulant montrer quelle distance les sépare au point de vue de leurs moeurs et de leurs mérites respectifs, s'écrie: « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment (1) ? » De son côté, Tichonius, en cela fidèle à la doctrine de l'Église, avait enseigné que, pour le bien de la paix, les bons doivent tolérer les méchants jusqu'à la séparation suprême du jugement dernier. Or, pour le confondre, Parménien lui oppose ce passage de Jérémie, prouvant ainsi que sa perversité et son erreur ne sont satisfaites qu'autant qu'il peut jeter le feu criminel de la discorde et de la sédition dans l'âme de tous ceux qui partagent son erreur et sa perversité; Qu1conque dès lors, dans le gonflement de son orgueil, se croit quelque chose, quoiqu'il ne soit rien (2), se flattant aussitôt que lui et ses semblables sont des grains d'une pureté parfaite, ne se croit plus obligé d'entrer dans l'unité de l'Église, parce que tous les membres de cette Eglise, qui appartiennent à la vie éternelle, se croient obligés de tolérer ceux qui appartiennent au feu éternel, comme le froment doit rester mêlé à la paille jusqu'à la purification dernière. Aucun autre souffle n'a chassé de l'aire du Christ la paille légère avant le temps de la ventilation; aucune autre présomption n'a produit ces schismes sacrilèges, quelque part qu'on les rencontre.

XVIII. Voici donc comment s'exprime Parménien : « Jérémie nous avertit de séparer la foule infructueuse et stérile des pécheurs, de l'honorable fécondité des justes, quand il a dit: Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? » Trompette de fureur !

 

1. Jérém. XXIII, 28. — 2. Gal. VI, 3.

 

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Exécrable voix de pestilence l Le genre humain est-il donc si profondément enseveli dans l'erreur, qu'il ne puisse plus saisir les aspirations de Parménien à se poser comme le purificateur suprême? Où Parménien cède-t-il cet honneur à Donat, sauf à se glorifier d'être entré dans la masse par lui purifiée? Je ne sais s'il daigne reconnaître la prééminence de Majorin. Mais enfin ces trois apostats ont-ils donc été, dans la main de Dieu, les trois soufflets d'un van mystérieux, à l'aide duquel toute la moisson de l'univers aurait été purifiée ? L'Afrique est-elle la contrée choisie pour contenir toute la masse élue, tandis que la paille rejetée couvrirait le reste de la terre? D'où vient donc tout ce troupeau de Circoncellions? D'où viennent ces multitudes de convives pris de vin, de filles non mariées et qui exhalent la corruption ? D'où vient cette foule de voleurs, d'avares, d'usuriers? D'où viennent ces hommes parfaitement connus dans les contrées qu'ils habitent, pleins de prétentions, mais impuissants à les réaliser, et si bien nommés les Optats? A ces questions que peuvent-ils répondre? Rien de tout cela n'existe-t-il? Ou bien tous ces malheureux sont-ils le froment? S'ils nient que tous ces crimes soient réels parmi eux, je réponds : Malheur à une négation aussi impudente ! malheur également à leur perversité scélérate, si dans tout cela ils ne voient que du froment ! D'ailleurs cette masse de froment, déjà purifiée par une autorité aussi imposante que celle de Majorin, de Donat et de Parménien, celui-ci ose encore la cribler de nouveau, afin de pouvoir séparer de sa communion les Maxilllianistes. Aurait-il par hasard rejeté le froment? Mais alors, pourquoi reste-t-il avec ceux qui ont rejeté ce froment ? Ou bien ce froment a-t-il subi une purification telle que les grains ne puissent pas se reconnaître les uns les autres, et sont-ils nécessités à se purifier de plus en plus en se condamnant réciproquement? La paille a-t-elle pu baptiser le froment? Si elle l'a pu, pourquoi disent-ils : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? » Si elle ne l'a pas pu, pourquoi Félicien, qui avait volé au dehors avec les pailles Maximianistes, a-t-il pu, lui et ceux qu'il avait baptisés, rentrer dans cette masse d'une pureté parfaite ? Quand enfile nos adversaires ont dans leurs rangs des hommes de cette classe, comment ne se disent-ils pas : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? »

XIX. Qu'ils secouent donc enfin leur sommeil et qu'ils comprennent cette parole du Prophète : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? » Pour peu que le sens humain leur reste, qu'ils se demandent où cette parole peut être prononcée. Dans un champ, peut-on dire : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment, puisque tous deux sont entés sur la même racine ? » Peut-on le dire également dans l'aire, puisqu'ils p sont battus en même temps ? Mais, sur le grenier, ne peut-on pas dire : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment? » En effet, le père de famille viendra « le van à la main, et il purifiera son aire ; quant au froment, il l'entassera sur le grenier, et il brûlera la paille dans un feu inextinguible (1) ». Dans une autre parabole, le froment est désigné sous le nom des brebis, et la paille sous le nom des boucs, deux classes diverses de troupeaux mêlés temporairement l'un avec l'autre et conduits par le même pasteur. « Le Fils de l'homme viendra avec ses anges,  tontes les nations seront réunies en sa présente, et il les séparera les unes des autres comme le berger sépare les brebis d'avec les boucs; il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Il dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, bénis, de mon Père, possédez le royaume qui vous a  été préparé depuis le commencement du monde. A ceux qui seront à sa gauche il  dira : Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges (2) ». Ne sera-ce pas l'accomplissement de la prophétie : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment? » puisque le même pâturage ne saurait être commun entre les brebis et les boucs. Si les bons poissons, mêlés avec les mauvais dans ce filet dont le Seigneur a dit : « Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer», peuvent dire à ces derniers : Séparez-vous de nous, ou nous nous séparerons de vous, jusqu'à ce que tous soient conduits au rivage, que les bons soient placés par les ange dans des vases réservés, et que les mauvais soient jetés dehors (3); ne peut-on voir alors l'accomplissement de cette prophétie : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment ? » Quant à ceux qui regardent leur

 

1. Matt. III, 12. — 2. Id. XXV, 31-41. — 3. Id. XIII, 47, 48.

 

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secte comme formée exclusivement du froment le plus pur, ils se sont envolés comme des pailles desséchées,loin du mélange du froment et de la paille. Ceux qui ne se sentent plus conduits avec les boucs par un seul pasteur, se sont laissé prendre aux embûches des loups, et se sont séparés du troupeau du Seigneur. Ceux qui ne se croient pas mêlés aux mauvais poissons, non-seulement sont des poissons mauvais, mais ils ont encore rompu les filets de l'unité. Que si, dès ce monde, nous croyons entrevoir la réalisation de cette parole de Jérémie : « Qu'y a-t-il de et commun entre la paille et le froment? » n'oublions pas que cette prophétie ne recevra son parfait accomplissement qu'à la fin du monde, quand se fera la ventilation suprême, quand les bons jusque-là mêlés seront séparés, même corporellement. Toutefois, en attendant ce grand jour, le coeur, pour le froment, tend sans cesse vers les choses célestes, tandis que pour la paille, il tend vers la terre. En effet, la paille cherche son avantage et non la gloire de Jésus-Christ (1): le froment, au contraire, amasse des trésors pour le ciel; or, là où est son trésor, là est son coeur (2).

XX. C'est dans ce sens aussi que l'on doit interpréter certaines paroles d'Isaïe, que notre adversaire affecte de ne pas comprendre et qu'il voudrait dénaturer pour y trouver un appui à ses erreurs. Voici ces paroles : « Retirez-vous, retirez-vous ; sortez d'ici et gardez-vous de toucher à ce qui est immonde : sortez du milieu de ce peuple et séparez-vous, vous qui portez les vases du Seigneur (3) ». Est-ce que ces paroles ne peuvent pas être invoquées toutes les fois qu'il s'agit de se séparer des méchants par le coeur? En effet, il ne touche pas à ce qui est immonde, celui qui ne se lie à personne pour commettre le péché. Il sort pour rendre sa cause agréable au Seigneur, celui qui, tout en respectant les droits de la paix, ne néglige pas la difficile obligation de reprendre et de corriger. D'un autre côté, celui qui veut se séparer corporellement des pécheurs, comme s'ils étaient tous publics, se sépare spirituellement des bons occultes, et quoiqu'il ne les connaisse pas, il se voit dans la nécessité de les accuser pour justifier sa séparation.

XXI. Mais enfin, nous posons cette question

 

1. Philipp. II, 21. — 2. Matt. VI, 20, 21. — 3. Isa. LII, 11.

 

à nos adversaires : Si Félicien est pur, pourquoi est-il sorti du milieu d'eux? S'il n'est pas pur, pourquoi lui est-il donné de toucher à ce qui est pur? S'il était impur quand il a consommé sa séparation, ceux qu'il a baptisés dans ces conditions sont impurs, puisqu'ils ont touché à ce qui était impur. En revenant avec lui ont-ils été purifiés? Des hommes baptisés hors de leur secte, des hommes qu'ils n'ont pas baptisés dans leur communion, peuvent donc être purifiés? Mais alors pourquoi rebaptiser les autres ? Est-ce que des hommes condamnés par un concile de trois cent dix évêques à Bagaïum peuvent encore mériter quelque considération ? et s'ils soutiennent que tout chrétien du monde entier, avant d'entrer dans leur secte, doit être rebaptisé, serait-ce parce que le monde entier n'a pas mérité l'insigne distinction d'être condamné parle concile de Bagaïum? Quoi donc ! Tous ceux qui ont été baptisés par Maximien et par ceux de ses sectaires qui ne sont pas rentrés dans la communion de Primien, sont baptisés de nouveau? Est-ce une grâce qu'on leur fait? Si on leur réitère le baptême, on viole la considération dont les a entourés le concile de Bagaïum, puisque dans ce concile tous ceux qui les ont baptisés ont été solennellement condamnés. Si c'est une grâce qu'on leur fait, ils doivent conjurer le concile de Bagaïum de se réunir de nouveau; et si le nombre de trois cent dix est un nombre consacré, que trois cent dix évêques se rassemblent de nouveau, et qu'ils portent une sentence de condamnation contre l'univers entier, sommeils en ont porté une contre les Maximianistes, afin que celui qu'ils voudraient rebaptiser, de quelque coin du monde qu'il se présentât, pût alléguer en sa faveur le même privilège, et soutenir qu'on doit lui accorder le privilège qu'on accorde à celui qui a été baptisé par un Maximianiste. En effet, ce ne sont pas seulement les Maximianistes, mais l'univers tout entier qui a mérité d'être condamné par le concile de Bagaïum. Enfin ils échapperont à cette haine immense soulevée contre eux, en cessant de réitérer le baptême à ceux qui l'ont déjà reçu dans cette Eglise établie sur toute la terre ; et si quelqu'un leur demande pourquoi ils n'agissent plus comme auparavant, qu'ils répondent : Quand nous agissions ainsi, nous n'avions pas encore tenu le concile de Bagaïum pour condamner le (59) monde entier. Aujourd'hui, cédant à d'instantes prières, et pressés par un sentiment de miséricorde, nous avons accordé à tous les chrétiens la faveur de les condamner, comme nous avions condamné les Maximianistes, auxquels nous ne réitérons pas le baptême. Qu'y a-t-il donc de si grand, de si difficile à accorder à toutes les nations la faveur d'une condamnation? Est-il permis de réitérer le baptême à tout l'univers, tandis qu'il ne serait pas permis de lui réitérer une condamnation? Lors même qu'ils seraient sans inquiétude sur ce point, nous ne trouverions pas dans quel concile ils ont condamné tant de nations et de provinces. Ils ont condamné certains individus en Afrique, mais, au jugement de l'univers entier, ils ont été vaincus par leurs victimes, et plus tard ils n'ont pas eu la hardiesse de condamner les juges qui les avaient frappés d'une aussi honteuse défaite; et en effet, n'eût-ce pas été la plus horrible impudence, la plus grande folie? Bien moins encore ont-ils pu condamner les chrétiens disséminés sur toute la face du monde, surtout quand ils les ont vus croire à la parole des juges ecclésiastiques, plutôt qu'à celle d'argumentateurs vaincus. Et cependant, malgré la condamnation portée par trois cent dix évêques contre les Maximianistes, leur baptême est approuvé, reçu, accepté, tandis qu'ils désapprouvent, annulent et réitèrent le baptême de l'univers entier, par lequel l'héritage de Jésus-Christ s'est établi conformément à la promesse dont ils faisaient partie peu d'années auparavant, qu'ils n'ont pu condamner à aucun titre, et devant lequel la perversité même de leur concile a dû s'incliner. O sainte condamnation, que celle qu'ont méritée les Maximianistes ! ô douloureuse innocence des nations, parce.qu'elle n'a pas donné prise à une condamnation, elle leur a fait perdre le nom même de chrétiens aux yeux des Donatistes !

XXII. Diront-ils que s'ils ne réitèrent pas le baptême aux Maximianistes, ce n'est qu'à aux qui reviennent avec les ministres qui le leur ont conféré; que c'est ainsi, du reste, qu'ils agissent à l'égard de Prétextat et de Félicien? Mais comment donc ne voient-ils pas qu'à l'égard du même baptême conféré dans le même schisme, ils ont une conduite contradictoire, puisqu'ils le ratifient dans les uns et l'annulent dans les autres, puisqu'ils l'honorent d'un côté et le violent de l'autre? En le violant, ils se rendent coupables, et en le ratifiant, ils se rendent les propres témoins de leur crime. S'ils le ratifiaient de manière à ne plus le violer, on verrait là, non pas une contradiction, mais un rappel à la discipline. Mais non, ils approuvent dans les uns ce qu'ils condamnent dans les autres; ils s'exposent tout à la fois à se voir accusés dans ceux-ci, et à l'égard de ceux-là à rendre témoignage contre eux-mêmes. Dites-moi pourquoi vous ne réitérez pas le baptême à ceux que Félicien a baptisés dans le schisme de Maximien; est-ce parce qu'ils ont reçu le baptême de Jésus-Christ, ou celui de Félicien? Dans ce dernier cas, je dis que Félicien était déjà frappé de condamnation avec les Maximianistes et qu'il a conféré le baptême hors de votre communion; c'est donc le même baptême que celui de Salvius de Membrésite et autres semblables. Si c'est le baptême de Jésus-Christ, Félicien a donc plus de pouvoir sur le baptême de Jésus-Christ parmi les Mustitains, que Jésus-Christ lui-même n'en a sur toute la terre. Le baptême de Jésus-Christ est conféré plus validement par celui qui est séparé de vous et condamné par vous, qu'il ne l'est par celui qui est assis à la droite de son Père et qui pour vous a été crucifié? Pour ne pas déplaire à Félicien, on approuve le baptême de Jésus-Christ dans un très-petit nombre de chrétiens, mais on se garde bien de l'approuver, pour empêcher que Jésus-Christ ne soit chassé d'une multitude innombrable de peuples.

XXIII. On ne croirait jamais à quel degré d'aveuglement et de perversité des hommes peuvent arriver, si leurs oeuvres et leurs actions n'étaient là pour le prouver. Jugeons en par un seul fait. Quand ils citent les passages de la sainte Ecriture, ne dirait-on pas que leur grande préoccupation, c'est de mettre la conduite des Prophètes en contradiction avec le sens qu'ils prétendent donner à leur parole? En s'écriant : « Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment? » Jérémie ne croyait nullement s'obliger à se séparer de la paille de son peuple auquel il faisait entendre de si grandes vérités. Isaïe dit également : « Retirez-vous, retirez-vous, sortez, et gardez-vous de toucher à ce qui est impur ». Lui qui poursuivait l'iniquité par des paroles aussi sévères, pourquoi donc se mettait-il en contact avec elle en restant au (60) milieu de son peuple? Qu'ils lisent les reproches véhéments et trop vrais qu'il adressait aux pécheurs, sans opérer entre eux et lui aucune séparation corporelle. David dit aussi : « Je ne me suis point assis dans l'assemblée des insensés, et je n'entrerai point dans la maison des pécheurs ; j'ai haï la présence des coupables, et je ne siégerai point avec les impies (1) ». Qu'ils lisent tout ce qu'à cette époque il a toléré dans ce peuple; plein de respect pour le sacrement mystique de l'onction, il n'en méprisa jamais le caractère, même dans la personne de Saül devenu le plus grand des criminels, et lui prodigua sans cesse les plus grands honneurs. Si nous opposions leurs paroles à leurs actions, ces Prophètes ne pourraient-ils pas nous répondre : Entre eux et nous il y a toujours eu une véritable séparation de coeur, et nous ne touchions jamais à ce qui était impur, quand le contact aurait pu nous souiller. En d'autres termes, par la volonté et les dispositions de notre conscience, nous nous retirions, nous sortions de la compagnie de ces pécheurs; non-seulement nous ne marchions pas sur leurs traces, mais nous condamnions leurs oeuvres. Quant à ces hommes séditieux et insensés qui cherchent la justification de leur schisme dans les oracles des Prophètes, il ne leur reste qu'un seul parti à prendre, et que peut seul leur inspirer l'impiété la plus audacieuse : mettre en contradiction les paroles avec la conduite des Prophètes. Diront-ils qu'à cette époque les justes n'avaient pas, comme aujourd'hui, le pouvoir de se séparer des pécheurs? Ce serait le comble de la perversité. Quoi donc ! les bons ne pouvaient se séparer corporellement des pécheurs, à une époque où toutes les observances avaient, avant tout, un caractère purement corporel; et maintenant il ne faudrait rien moins qu'une séparation corporelle, quand nos observances ont avant tout un caractère spirituel ?

XXIV. Malheur aux aveugles qui se donnent pour guides, et aux aveugles qui se font esclaves des premiers ! Les Donatistes. dans leur orgueilleux langage, ne craignent donc pas que sur cette immense étendue de l'univers, tout imprégné du parfum de la foi et du nom de Jésus-Christ, il ne se soit trouvé, dans une contrée très-éloignée de l'Afrique, des justes qui

 

1. Ps. XXV, 4, 5.

 

auraient rompu toute relation avec les autres peuples pour se soustraire au contact du mal? Et alors les Donatistes, se trouvant devancés, ne pourraient-ils pas se demander s'ils ne vivent pas aujourd'hui au sein même de la contagion de l'iniquité? Si l'on doit se séparer des pécheurs, qui peut leur garantir qu'avant d'être faite par eux, cette séparation n'avait pas été accomplie sur quelque plage assez lointaine, pour que l'Afrique n'en eût aucune connaissance, pas plus que dans ces contrées reculées du monde on ne connaît la secte de Donat? Diront-ils que ce qu'ils ne connaissaient pas ne saurait leur nuire ? Soit, mais alors qu'ils avouent donc aussi que ces contrées lointaines n'ont pu souffrir de ce qui s'est passé en Afrique, puisqu'ils ne le connaissaient pas, lors même que les crimes dont ils chargent calomnieusement certains évêques d'Afrique seraient véritables et prouvés. Diront-ils qu'un tel événement, s'il s'accomplissait, ne pourrait rester inconnu? Alors qu'ils nous disent quel schisme s'est produit dans l'univers. Mais c'est trop exiger de leur part. Sans sortir de l'Afrique, que les Donatistes Carthaginois, ou les habitants de Carthage, quels qu'ils soient, nous disent combien de sectes particulières sont sorties de la secte de Donat, dans la Numidie et la Mauritanie ; ils doivent assurément connaître les causes de toutes ces divisions. Supposé que dans ces régions, quelques justes se soient crus obligés de se séparer et de sortir de la société et de l'assemblée des méchants, de se soustraire à tout contact impur et de ne jamais siéger avec les pécheurs, ne pourrait-on pas conclure qu'en se séparant depuis déjà plusieurs années pour se retirer dans quelque coin de la Numidie ou de la Mauritanie, ces froments ont laissé la paille à elle-même, sans même savoir que ce ne fût que de la aille? D'où vient donc la sécurité des Donatistes ? Serait-ce de l'intime conviction qu'on ne saurait regarder comme justes des hommes qui se sont séparés de l'unité de communion de Donat, dont les partisans sont répandus dans toute l'Afrique ? En effet, s'ils avaient à souffrir autour d'eux quelques méchants dont ils ne pouvaient prouver publiquement la culpabilité, ils devaient les tolérer plutôt que de se séparer de tant d'innocents auxquels ils n'ont pu prouver la culpabilité de quelques-uns de leurs frères, quoiqu'ils en fussent eux-mêmes parfaitement convaincus. Mais alors pourquoi (61) ne pas attribuer cette innocence à l'univers entier, à cette multitude de nations qui constituent l'héritage du Christ, et qui connaîtraient ainsi ce que peuvent être ces hommes qui se disent bons et qui se séparent de l'unité catholique? Ils se croient justes et ils méprisent les autres; comment donc pourraient-ils chanter le cantique nouveau, puisqu'ils sont tout remplis de l'orgueil du vieil homme? Ne sont-ils pas séparés de la communion à laquelle il a été dit : « Chante au Seigneur un cantique nouveau; toute la terre, chantez au Seigneur (1) ? » S'ils étaient justes, ils seraient humbles; s'ils étaient humbles, lors même qu'ils auraient à souffrir autour d'eux de la présence des méchants qu'ils ne peuvent chasser de l'unité du Christ, ils les toléreraient avec charité, par amour pour Jésus-Christ. Mais comment pourraient-ils se montrer justes dans le jugement qu'ils portent sur les méchants qui les entourent, quand on les voit accuser indignement et avec un aveuglement des plus téméraires des chrétiens qu'ils ne connaissent aucunement et dont ils sont séparés par de vastes contrées? Quant à ceux de leurs concitoyens ou de leurs voisins qu'ils accusent, qu'ils aient l'intime conviction de leur culpabilité, c'est possible, mais l'univers n'en sait rien. S'agit-il, au contraire, de ceux dont ils sont séparés par une grande distance, et dont ils ne peuvent connaître la vie, l'univers sait parfaitement qu'ils s'en sont séparés par le schisme, fruit d'un aveuglement téméraire; l'univers sait également que la patience chrétienne ordonne de tolérer les méchants, dans la crainte de condamner les bons sans les connaître. Dès lors l'univers conclut en toute certitude, qu'on ne saurait regarder comme bons ceux qui se séparent du monde catholique, en quelque lieu qu'ils habitent.

XXV. Enfin, si les Prophètes ont averti les générations futures de ne point attendre la ventilation suprême pour se séparer corporellement des pécheurs, et par cette séparation, de ne point toucher à ce qui est impur et de ne point s'allier avec les méchants, pourquoi donc l'apôtre saint Paul a-t-il désobéi à ces prescriptions prophétiques ? Est-ce qu'ils n'étaient pas de la paille, ceux qui annonçaient Jésus-Christ, non par amour pour la vérité, mais par jalousie ? N'étaient-ils pas impurs ceux qui souillaient la prédication de l'Evangile ?

 

1. Ps. XCV, 1

 

l'Apôtre nous apprend qu'il y avait de ces hommes à son époque (1), et la patience avec laquelle il les a tolérés est encore le plus beau modèle de charité que l'on puisse proposer aux générations futures. N'est-ce pas quelque alose d'impur que l'avarice, contre laquelle Cyprien protesta toujours de tout son coeur, tout en ayant des relations pacifiques avec les avares qu'il rencontrait parmi ses collègues ? Il foulait donc aux pieds les paroles du Sauveur jusqu'à s'asseoir dans le couventicule de la vanité, jusqu'à pénétrer parmi les pécheurs, jusqu'à aimer l'assemblée des méchants et siéger avec les impies ? Ne formaient-ils pas un conventicule de vanité, ces évêques qui n'aspiraient qu'à briller de l'éclat des richesses, pendant que dans l'Église leurs frères étaient poursuivis par la faim? N'étaient-ils pas criminels, ceux qui usaient de fraudes et de ruses pour s'emparer du bien d'autrui, et augmentaient leur fortune par des usures sans nombre? De son côté, Cyprien lavait ses mains avec les innocents et entourait l'autel du Seigneur. Si donc il tolérait les méchants, c'était pour ne point se séparer des justes avec lesquels il lavait ses mains, parce qu'il aimait la beauté de la maison de Dieu, beauté dont les vases d'honneur sont le principal rayon. « Or, dans une grande maison il.n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, on y en trouve aussi de bois et d'argile. Les uns sont des vases d'honneur, et les autres d'ignominie ». Cyprien se purifiait donc de tout contact avec ces derniers, afin de devenir « un vase d'honneur, utile à Dieu et préparé pour toute espèce de bonnes oeuvres (2) ». Toutefois, dans la présence des vases d'ignominie il ne trouvait pas une raison de se séparer de la grande maison; il les y tolérait en leur reprochant leur ignominie, et il se purifiait en refusant de les imiter.

XXVI. Parménien n'hésite pas à citer ces paroles du Prophète : « Je ne suis point assis dans le conventicule de la vanité, je n'entrerai point chez les méchants et je haïrai l'assemblée des pécheurs. Je laverai mes mains avec les pécheurs et j'entourerai l'autel du Seigneur, afin, d'entendre les chants de la louange et de raconter vos merveilles. Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison, et le tabernacle de votre splendeur. Ne perdez pas mon âme avec les pécheurs,

 

1. Philipp. I, 15-17. — 2. II Tim. II, 20, 21.

 

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« et ma vie avec les hommes de sang ; leurs mains ne sont pleines que de crimes, et leur droite est remplie de présents (1) ». Parménien ose citer ces paroles, et il ne voit pas qu'elles sont la condamnation solennelle de toute division sacrilège. Ce qui fait la beauté de la maison et du tabernacle du Seigneur, c'est, comme je l'ai dit, l'éclat des vases, quoique parmi ces vases il 9 en ait d'ignominie; tout dépend donc des vases d'honneur, utiles au Seigneur, et préparés pour toutes sortes de bonnes oeuvres.Quiconque aime dans ces vases la beauté de la maison de Dieu et l'éclat de son tabernacle, tolère les vases d'ignominie, et se garde bien de trouver dans leur présence un motif de sortir de la maison, dans la crainte de devenir lui-même, non pas un vase d'ignominie, même toléré dans cette demeure, mais une sorte d'ordure qu'on en expulse avec horreur. Se voyant donc obligé temporairement de vivre avec les méchants dans la même maison, il adresse à Dieu cette prière : « Ne perdez pas mon âme avec les pécheurs, et ma vie avec les hommes de sang, car leurs mains sont pleines de péchés et leur droite est remplie de présents ». Il fait cette prière, dans la crainte de périr avec ceux que la charité lui commande de tolérer, et c'est en vue de ce sacrifice qu'il a dit précédemment: « Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison et l'éclat de votre tabernacle ». Parce que j'ai aimé la beauté de votre maison, en raison même de cet amour, je tolère les vases d'ignominie, parce que la charité tolère tout et que je ne veux pas perdre mon âme avec eux. Dans ces paroles, ne croit-on pas entendre la voix de ceux qu'Ezéchiel nous montrait par avance gémissant et pleurant sur les iniquités dont le peuple se rendait coupable au milieu d'eux ? Et parce qu'ils étaient des vases d'honneur, ils ont mérité de recevoir le sceau particulier des élus, de telle sorte qu'au sein de la dévastation et de la ruine générales, leur âme a été par Dieu soustraite à la perte des pécheurs (2) ? Ceux dont on doit plaindre l'infortune, ce sont ceux qui se flattent de se soustraire à tout mélange avec les méchants, comme le bon grain à celui de la paille. Sous le coup de ce fâcheux orgueil, ils prennent le parti de trembler à la pensée seule de reprendre et de corriger ces foules coupables et criminelles, car

 

1. Ps. XXV, 4-10. — 2. Ezéch. IX, 4.

 

ils se verraient forcés d'avouer qu'ils sont eux-mêmes mauvais, et bientôt s'entendraient dire: Vous vous adressez au pur froment, pourquoi donc ces expressions qui sentent le mélange? Ainsi donc, précisément parce qu'ils ne sont pas justes, ils ne reprennent ni ne corrigent dans la miséricorde; au contraire ils oignent avec l'huile de l'adulation (1) la tête de ceux dont ils veulent être les chefs. Tout cela pour eux est la conséquence nécessaire du refus qu'ils opposent de faire partie sur la terre de cette unité catholique, dont la tête est au ciel. C'est en toute vérité que l'on peut dire à leurs peuples : « Ceux qui vous proclament a heureux, vous précipitent dans l'erreur et troublent les sentiers que vous parcourez (2) ».

XXVII. Que celui donc qui ne veut pas s'asseoir dans le conventicule de la vanité, ne se laisse pas enivrer par le poison de l'orgueil, car c'est en vain qu'il cherchera des conventicules de justes séparés de l'unité catholique, il n'en trouvera pas. Quant aux justes, ils se trouvent dans cette cité universelle, qui ne saurait être cachée parce qu'elle est établie sur la montagne (3). Je parle de cette montagne de Daniel sur laquelle « la pierre détachée sans aucune main d'homme, a grandi et rempli toute la terre (4) ». Dans cette cité qui couvre toute la terre, les justes gémissent et pleurent sur les iniquités qui se commettent au milieu d'eux. Ne cherchez donc pas les justes séparés, mais pleurez avec eux dans ce mélange temporel qui les rapproche des pécheurs. Celui qui agira de cette manière ne siégera pas dans le conventicule de la vanité, il siégera là où il converse: or, il entendra cette parole de l'Apôtre : « Notre conversation est dans le ciel (5) ». Là il ne sera pas mêlé à s criminels, là il n'aura pas à souffrir l'assemblée des pécheurs, là il ne siégera pas avec les impies. Qu'il habite dans cette espérance, afin qu'il mérite de parvenir un jour à ce qui fait l'objet de son espérance. Quant à notre condition présente, nous ne sommes pas encore ressuscités comme Jésus-Christ, nous ne siégeons pas encore avec lui dans le ciel ; et cependant, comme il a déposé dans nos coeurs cette glorieuse espérance, comme cette espérance transporte pour ainsi dire notre conversation avec lui dans le ciel, l'Apôtre a pu dire : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, cher

 

1. Ps. CLX, 5. — 2. Isa. III, 12. — 3. Matt. V, 14. — 4. Dan. II, 34, 35. — 5. Philipp. III, 20.

 

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chez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu; cherchez les choses

du ciel et non celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu (1) ». En vivant de cette vie qui est cachée avec Jésus-Christ en Dieu, nous ne siégeons pas dans le conventicule de la vanité; car, comme l'a dit l'Apôtre : « Il vous a ressuscités avec lui, et il vous a fait asseoir avec lui dans le ciel (2) ». Ceci toutefois n'est encore qu'une espérance et non une réalité. « Or, l'espérance qui se voit n'est point une espérance; est-ce que nous espérons ce que nous voyons? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous en attendons la réalisation par la patience (3) ». Nos malheureux adversaires ont perdu cette patience; de là cet empressement prématuré à se séparer de la paille et à prouver qu'ils n'étaient eux-mêmes qu'une paille légère que le vent a chassée de l'aire. Recueillons cette parole du Sage : « Celui qui m'écoute habitera dans l'espérance; sans crainte et sans faiblesse il gardera le silence au milieu des méchants (4) ». Puisque nous ne sommes encore que dans le séjour de l'espérance, pensons, non pas à ce que nous sommes, mais à ce que nous serons. « Nous sommes, il est vrai, les enfants de Dieu, mais nous n'avons pas encore vu ce que nous serons; quand nous l'aurons vu, nous lui serons semblables, parce que nous le contemplerons comme il est en lui-même (5) ». Habitons dans cette espérance, et comme les méchants en sont exclus, nous n'aurons à souffrir ni les conventicules de la vanité, ni les méchants, ni les pécheurs, ni les impies. Il n'en est pas de même dans notre condition présente; membres de l'Eglise catholique répandue sur toute la terre, nous aurons toujours à souffrir de notre mélange avec les pécheurs, jusqu'à ce.que toute iniquité disparaisse, jusqu'à ce que vienne le temps de la moisson pour arracher la zizanie (6), jusqu'à ce que la purification suprême sépare la paille du froment (7), jusqu'à ce que, sur le rivage, les bons poissons soient séparés de tous les mauvais et délivrés des filets qui les enveloppaient tous indistinctement (8), jusqu'à ce que les boucs soient séparés des brebis avec lesquelles ils paissaient sous la conduite d'un même

 

1. Coloss. III, 1-3. — 2. Ephés. II, 6. — 3. Rom. VIII, 24, 25. — 4. Prov. I, 33. — 5. I Jean, III, 12. — 6. Matt. XIII, 30. — 7. Id. III, 12. — 8. Id. XIII, 48.

 

pasteur, et rejetés à la gauche du souverain Juge (1).

XXVIII. L'unité ne peut donc jouir de la sécurité qu'eu se fondant sur les promesses de Dieu à son Eglise qu'il a fondée sur la montagne afin qu'elle fût visible pour tous. II faut donc que cette Eglise soit connue de toutes les parties de la terre. Dès lors, s'il est pour nous une vérité nécessaire et infaillible, c'est que les bons ne doivent jamais se séparer de cette Eglise; dussent-ils supporter la présence de pécheurs qui leur sont connus comme tels, et quelque part qu'ils habitent, jamais la présence de ces pécheurs ne justifierait le schisme sacrilège qu'ils consommeraient en se séparant témérairement des bons qu'ils ne connaissent pas et que l'on rencontre partout. Dès lors, toutes les fois qu'il est question d'un schisme présent, passé ou futur, lors même que toutes les contrées lointaines en ignoreraient l'existence ou la cause, pourvu qu'elles demeurent dans les liens de l'unité universelle, on peut être assuré que les auteurs de ce schisme n'ont pu accomplir leur oeuvre sacrilège que sous le coup des fureurs de l'orgueil, ou des ravages cruels de l'envie, ou de la corruption du siècle, ou de la perversité de la chair et des sens. Telles sont les causes ordinaires qui expliquent pourquoi trop souvent les bons sont calomnieusement accusés de crimes infâmes, pourquoi- le mal dont on les accuse est l'objet d'une crédulité si facile, pourquoi les méchants dont la présence tolérée dans un esprit de paix ne cause aucune souillure aux justes, troublent eux-mêmes la paix des bons, s'en séparent criminellement, et persécutent sans relâche le froment. Voilà enfin ce qui nous explique pourquoi des hommes osent usurper avant la moisson le rôle que doivent à la moisson remplir les anges.

XXIX. Dans un tel état de choses, si l'on invite ces schismes impies, ces hérésies sacrilèges à profiter des fléaux dont Dieu les frappe pour rentrer dans le bon chemin, on les voit aussitôt se faire des châtiments dus à leur fureur comme autant de titres, au martyre. Telle est aussi la pensée de Parménien, car vers la fin de sa lettre, il exhorte Tichonius à persévérer dans le donatisme et à souffrir la persécution. Voici ses paroles : « Ils ne doivent pas s'unir de volonté à ceux dont ils sont restés

 

1. Matt. XXV, 33.

 

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séparés, malgré la violence de la persécution ». Il invoque, à l'appui, ce passage de l'Ecriture : « Malheur à ceux qui ont perdu patience et se sont jetés dans des chemins pervers ! Que feront-ils, quand le Seigneur examinera leurs voies (1) ? » C'est là une preuve nouvelle du besoin qui le presse de citer l'Ecriture, quoique chacun de ses oracles soit pour eux une condamnation. Si quelqu'un a perdu patience, ne sont-ce pas ceux qui, après avoir chargé de crimes, qu'ils n'ont pu prouver, certains de leurs frères, n'ont pu les tolérer dans la paix de Jésus-Christ; ceux qui, réfléchissant plus tard que leur secte ne devait pas se dissoudre dans de nombreuses ramifications, se sont crus obligés de recevoir parmi eux et de tolérer, pour la paix de Donat, des hommes qu'ils avaient solennellement condamnés pour crime manifeste de sacrilège? Ce qu'ils ont eu à souffrir, de la part de Maximien, les a convaincus de l'impiété de leur conduite; qu'ils le sachent donc pour ne l'oublier jamais. Mais les raisons qui les pressent de se convertir sont d'une telle évidence, qu'ils n'ont plus qu'à en rougir ; d'ailleurs, après avoir refusé de se soumettre aux ordres des empereurs, ne craignent-ils pas, en se convertissant, de paraître renoncer aux mérites qu'ils se flattent d'avoir acquis par les souffrances auxquelles ils ont été soumis ? Mais en vérité, ne serait-il pas plus sage de renoncer à ces prétendus mérites que de s'exposer eux-mêmes à une perte certaine? Que dans la résistance aux ordres d'un empereur, ils croient voir une certaine force d'âme, c'est possible, quoique cependant il y ait là plutôt un vain simulacre de force qu'une réalité; mais à qui pourra-t-on persuader que l'on s'acquiert un titre à la gloire humaine en se mettant en contradiction avec l'évidence même de la vérité ?

Pourquoi citer, les yeux fermés, un si grand nombre de témoignages de l'Ecriture, sauf à les rejeter quand on leur a prouvé que, bien compris, ils se retournent contre eux? Dût-on même accepter l'interprétation qu'ils en donnent, ces passages suffiraient encore pour constater la perversité de leur coeur. N'est-il pas écrit : « N'opposez de contradiction d'aucune sorte à la vérité (2) ? » Or, n'est-ce pas contredire la vérité que de résister aux ordres légitimes d'un chef? D'un autre

 

1. Eccli. II, 16, 17. — 2. Id. IV, 30.

 

côté, un roi qui menace ou qui punit, ne laisse pas que d'être un fardeau pour un temps; il n'en est pas de même de ce roi qui se proclame la vérité même et leur crie par son prophète : « J'ai frappé vos fils en vain, ils n'ont pas reçu la discipline (1) ». Si donc, dans sa miséricorde, Dieu nous avertit maintenant par l'organe des puissances humaines, c'est afin de n'avoir pas à nous frapper au dernier jour, et de ne pas laisser aux orgueilleux la triste ressource de se vanter de leur condamnation. Sous les coups de la vengeance des rois, l'obstination des hommes peut vouloir se donner le nom de force; mais il n'y aura jamais de force à brûler dans les flammes éternelles. En enfer, il ne sera plus possible de oindre sa tête de l'huile de l'adulation, il n'y aura plus personne pour couronner de fleurs les damnés et les endormir en leur disant : C'est bien, c'est parfait ; jureront-ils par leurs cheveux blancs, ceux qui n'ont jamais eu la tête saine; jureront-ils par leurs coassociés, ceux qui n'ont jamais connu les voies de la paix? On aura vu sur la terre de ces multitudes se séparer de l'unité de Jésus-Christ, pour ne plus s'abriter que sous leur propre nom; puis, quand elles ont à subir les, châtiments mérités par leur schisme, elles se décernent la palme des martyrs, et célèbrent pompeusement le jour de leur mort, au milieu d'une foule de furieux. Dans ce nombre, il faut ranger tous ceux qui, sans être poursuivis par personne, se précipitent du h ut des montagnes dans la profondeur des abîmes, afin de terminer une vie mauvaise par un mort encore plus criminelle. Mais, au dernier jour, ils ne trouveront plus de ces multitudes insensées auxquelles ils puissent dire : Nous sommes justes, puisque nous souffrons persécution; on ne trouvera plus de ces aveugles auxquels on puisse vendre une pierre pour une.perle précieuse, c'est-à-dire la dureté charnelle pour la patience spirituelle. On n'en trouvera plus qui récitent le nom des princes de leur fureur, à des autels qu'ils ont soustraits à l'unité du Christ, ou qu'ils ont érigés sous le nom du Christ et contre le Christ lui-même. Et c'est pour mériter ces récompenses que, voulant avoir ce qu'ils désirent vendre, ils soulèvent contre eux, par la perversité de leur coeur, la sévérité des puissances humaines, pour empêcher que ceux qu'ils

 

1. Jérém. II, 30.

 

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séduisent et qui se croient justes, ne rentrent sérieusement en eux-mêmes et ne se demandent ce qui peut leur attirer ces souffrances, dont ils se glorifient comme d'un titre de justice. Le langage que tient Parménien à Tichonius, au sujet des persécutions à subir et de la gloire qu'on s'acquiert par la patience, s'ils y avaient quelque peu réfléchi, ils auraient compris que ç'est le même langage qui est tenu par les hérétiques contre lesquels les rois ont également à sévir. C'est aussi le langage qu'adressait à ses fidèles de Membrésitanum l'évêque Salvius, que les Abitiniens avaient couvert d'affronts et d'outrages et chassé de son siége. Ces malheureux n'étaientils pas allés jusqu'à suspendre à son cou des cadavres de chiens crevés, et ne se livrèrent-ils pas avec lui à des chants honteux et à des danses profanes? Avec quelle éloquence ne dut-il pas leur dépeindre les souffrances dont il avait été la victime, puisque, malgré leur pauvreté, il sut obtenir d'eux les fonds nécessaires pour se construire une nouvelle basilique? Quels éloges ne fit-il pas de la justice, pour laquelle il avait mérité de subir toutes ces tortures? Il se décernait la couronne des saints, parce qu'il avait souffert; et il flétrissait de la plus criante iniquité ceux qui l'avaient persécuté. On cite la cruauté inouïe de certains tyrans de la Toscane qui attachaient des hommes vivants sur des cadavres en putréfaction, en ordonnant toutefois que ce fussent des cadavres humains; quant à lier des hommes et surtout des évêques à des chiens crevés, je ne sais si pareil fait a été accompli ou seulement raconté. Personne n'ignore que les évêques prohibent les danses honteuses; a-t-il jamais été dit que des hommes appelés comme auxiliaires par des évêques, aient dansé avec eux? Peut-être Salvius n'était-il pas alors évêque, parce que sa condamnation est prononcée dans le concile de Bagaïum? Que ne s'est-il donc, par la suite, réconcilié avec Primianus, comme l'a fait Félicianus; car après avoir été condamné « par sentence véridique du Concile (1)», il aurait été reconnu comme évêque? Ou bien refuserait-on de le reconnaître, parce que si fon peut être purifié, comme Félicianus, des souillures d'un schisme sacrilège, on ne saurait l'être de celles qu'on a contractées en portant des chiens suspendus à son cou? Je voudrais savoir ce qu'ils peuvent répondre

 

1. Virg., Enéide, liv. VIII, V. 484-487.

 

à ces faits certains, publics et tout récents, eux qui nous attaquent sans cesse de leurs anciennes calomnies. Si quelqu'un d'entre eux me soupçonne de fausseté, il lui est bien facile de se transporter à Membrésitanum, de s'y enquérir de ces faits et de les justifier, s'il le peut. S'il répond que ces traitements n'étaient que justice à l'égard de ceux que trois cent dix évêques Donatistes avaient condamnés, qu'ils ne s'étonnent pas que certains châtiments pèsent parfois sur des hommes condamnés comme schismatiques, non pas seulement par trois cent dix évêques, mais par l'univers tout entier. S'il répond que Salvius n'eut à subir que des peines très-légères, je demande à faire une supposition. Si l'empereur avait condamné, un évêque donatiste à danser, en menaçant, s'il refusait, de le jeter aux bêtes ou au feu, et que l'évêque, plutôt que de danser, préférât subir tous les châtiments possibles, est-ce que les Donatistes n'élèveraient pas au rang des martyrs un évêque qui aurait subi ces affreux traitements? Salvius a donc plus souffert, parce qu'on a dansé avec lui, qu'il n'aurait souffert, s'il eût été brûlé vif. Qu'on propose à un homme le choix, non pas de danser lui-même, mais de danser avec lui, ou d'être brûlé vif, quel, pensent-ils, serait son choix? Mais ne me répondra-t-il pas que les Primianistes n'ont obtenu du proconsul d'autre faveur que celle qui autorisait les Abitiniens à chasser Salvius de sa basilique, et qu'ils portent seuls la responsabilité des cruautés et des turpitudes qu'ils lui ont fait subir? Alors qu'il se dise à lui-même que les catholiques n'ont pu obtenir des empereurs d'autre pouvoir que celui de chasser les hérétiques des basiliques qu'ils occupaient dans un schisme sacrilège; que, du reste, même en écartant toute complicité de la part de la puissance royale, les abus auxquels ils ont pu se livrer ne sont que douceur et aménité en comparaison des traitements indignes que les Abitiniens, sans aucune délégation royale, ont fait subir à Salvius de Menlbrésitanum. Qu'ils pèsent bien toutes ces considérations et qu'ils sachent d'abord ce qu'ils doivent faire, et ensuite 'quels châtiments ils méritent. En s'obstinant à fermer les yeux sur leurs actes, pour ne les ouvrir que sur les peines qui leur sont infligées, ils s'exposent à subir, sans aucun fruit, ces maux temporels et à se voir frappés des supplices éternels, au (66) suprême jugement de Dieu qui ne les infligeait temporellement que pour opérer leur salut et leur conversion. Je néglige le passé et les séductions de toute sorte employées par eux pour tromper les faibles : je me contente du présent que je veux faire toucher du doigt. Après avoir été solennellement condamnés, les Maximianistes sont parfaitement réintégrés, et des nations tout entières sont accusées sans être ni connues ni entendues. On confirme le baptême des Maximianistes, et celui des nations est annulé. Voici les Assuritains, voici les Mustitains, voici Prétextat mort depuis peu, voici Félicianus encore plein de vie, voici le nom de ceux dont la condamnation, au concile de Bagaïum, nous est attestée par les actes proconsulaires, voici ces actes eux-mêmes encore tout récents et enregistrés en leur présence; est-ce que ces témoins et ces actes ne nous disent pas clairement ce qu'a été le Donatisme depuis son origine ? Tant de crimes et de perversité devaient-ils rester impunis? Libre à eux de ne pas profiter de ces châtiments pour se convertir, mais du moins, qu'ils ne s'en glorifient pas !

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX

 

 

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