LETTRE CIII
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LETTRE CIII. (Au mois de mars de l‘année 409.)

 

NECTARIUS A SON TRÈS CHER ET TRÈS-HONORABLE SEIGNEUR ET FRÈRE  AUGUSTIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

Nos lecteurs connaissent le vieux Nectarius de Calame, ci-dessus, Lett.XC et XCI, pag. 133-134 ; voici une nouvelle lettre de lui, à l'occasion des faits violents dont nous avons parlé ailleurs. Le langage de Nectarius est à la fois un curieux monument des sentiments des païens de cette époque et un précieux témoignage de leur admiration pour saint Augustin. Du reste, Nectarius n'est pas exact dans sa réponse à l'évêque d'Hippone et ne plaide pas adroitement la cause de ses concitoyens.

 

1. En lisant cette lettre où Votre Excellence ruine le culte des idoles et toutes les cérémonies des temples, il m'a semblé entendre un philosophe, non pas celui qu’on montre à l’Académie et qui, retiré en un coin obscur, enfoncé dans la profondeur de sa pensée et la tête entre ses genoux, n'ayant rien à défendre qui lui soit propre, attaque les brillantes découvertes d'autrui et cherche à se consoler de sa pauvreté d'esprit par des accusations calomnieuses; mais, frappé de votre parole, j'ai cru voir devant moi le consul Cicéron qui, après avoir sauvé: d'innombrables têtes de citoyens paraissait avec ses lauriers au milieu des écoles de la Grèce étonnées, et leur apportait les témoignages victorieux des causes gagnées au Forum; hors d'haleine , il retournait cette trompette d'éloquence que sa juste indignation avait fait retentir contre les grands coupables et les parricides de la. république, et raccourcissait les vastes plis de sa toge pour n'en faire qu'un manteau grec.

2. Je vous ai donc écouté volontiers quand vous nous avez poussés au culte et à la religion du Dieu qui est au-dessus de tous ; quand vous nous avez engagés à lever les yeux vers la céleste patrie, j'ai recueilli vos paroles avec reconnaissance ; car la patrie dont vous sembliez parler n'est pas cette cité entourée de murs ni celle que les philosophes nous présentent; dans le monde, comme étant commune à tous; mais c'est celle que le grand Dieu habite et avec lui les âmes qui ont. bien mérité de lui, c'est celle à laquelle toutes les lois aspirent par des voies et des sentiers divers, que nous ne saurions représenter par le langage, mais que la pensée peut-être peut découvrir: Quoiqu'il faille surtout aimer cette patrie et y aspirer de tous nos voeux , je ne crois pas pourtant que nous devions abandonner celle où nous sommes nés, où pour la première fois nos yeux se sont ouverts à la lumière celle qui nous, a nourris et formés; et, pour toucher ici à mon sujet particulier,. de doctes hommes déclarent que ceux qui ont bien mérité de cette patrie , trouvent après leur mort une place dans le ciel ; ils enseignent que les services rendus à nos cités natales sont des titres pour être admis à la cité d'en-haut et qu'on demeure d'autant plus avec Dieu qu'on a contribué à sauver son pays par ses conseils ou ses oeuvres Vous nous dites en plaisantant que ce n'est point par l'éclat des armes que brille notre ville, mais par les flammes des incendies et qu'elle produit plus d'épines que de fleurs ; ce reproche n'est pas: très-grand, parce que nous savons que, le plus souvent les fleurs naissent des épines. Car personne n'ignore que ce sont les épines qui produisent les roses et que les grains mêmes des épis sont hérissés de barbes, du façon que le doux et le rude se mêlent plus d'une fois.

3. Vous dites à la  fin de votre lettre qu'on ne demande, pour venger l'Eglise, ni la tête ni le sang de personne , mais qu'on doit enlever aux coupables les biens qu'ils craignent tant de perdre. Pour moi, si je ne, me trompe; je trouve la spoliation plus: rigoureuse que la mort. Vous le savez, on lit souvent dans les livres que la mort ôte le sentiment de tous les maux, et qu'une vie d'indigence rend malheureux pour toujours : il est plus (187) triste, en effet, de vivre misérablement que de trouver par la mort le terme de: toutes. les misères. Vous-même nous l'apprenez aussi par la nature de vos oeuvres, lorsque vous secourez l'es pauvres, vous soignez les malades, vous appliquez des remèdes aux maladies du corps, et que par tous les moyens, vous travaillez à diminuer autour de vous les souffrances. Quant à la gravité des fautes, elle importe peu à celui à qui on demande pardon. Si le repentir obtient le pardon et purifie le coupable, (et même celui-là se repent qui supplie, qui embrasse les pieds) ; et si,  selon l'opinion de quelques philosophes, toutes les fautes sont, égales, on doit leur accorder un pardon commun. Un homme s'emporte en parlant, il a péché; il a dit des injures ou commis des crimes, il à péché de la même manière ; quelqu'un a dérobé le bien d'autrui, cela compte parmi les fautes ; il a violé des lieux sacrés ou profanes, ce n'est pas une, raison pour lui refuser le pardon. Enfin , il n'y aurait pas lieu à pardonner si auparavant il n'y avait pas péché.

4. Maintenant, après vous avoir répondu, nom pas comme j'aurais du, mais comme j'ai pu, peut-être en disant trop de choses et peut-être pas assez, je vous demande et je vous supplie (et que n'êtes-vous là! et que ne voyez-vous mes larmes!), je vous conjure de réfléchir à ce que vous êtes, à votre état, à vos oeuvres accoutumées ; songea à l'aspect que présente une ville d'où. on arrache des citoyens pour les mener au supplice ; songez aux gémissements des mères, des épouses, des enfants, des, parents; à la honte qui accompagne ceux qui, reviennent après; avoir subi la torture, aux douleurs renouvelées par la vue des blessures et des cicatrices. Tout ceci considéré, pensez ensuite à Dieu, à ce que diront les hommes; cédez à des sentiments de bonté et d'union; cherchez la louange dans le pardon plutôt que dans la vengeance. Que ceci soit dit pour ceux qui ont avoué leurs crimes. Vous leur avez fait grâce par la seule inspiration de votre loi religieuse, et je ne. cesse de l'admirer. A présent, c'est à peine si on peut exprimer ce qu'il y aurait de cruauté à poursuivre des innocents et à citer en justice criminelle ceux qu'il est impossible de confondre avec les coupables. S'il leur arrivait de se faire absoudre, voyez, je vous prie, quels sentiments animeraient les accusateurs obligés de lâcher des innocents après avoir de plein gré laissé aller ceux qui ne l'étaient pas. Que le Dieu souverain vous garde, qu'il vous conserve comme l'appui de la loi et. comme notre ornement.

 

 

 

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