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SEIZIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES MARTYRS
SCILLITAINS.
DIX-SEPTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES
MACHABÉES (I ).,
DIX-HUITIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DU MARTYR
QUADRATUS (1).
DIX-NEUVIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DE
L'APÔTRE : « JE VOUS ENSEIGNE UNE VOIE BEAUCOUP PLUS RELEVÉE [1 Cor. XII, 31] (1)
».
VINGTIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DU PSAUME
XXXVIII, 1-5 « J'AI DIT : JE VEILLERAI SUR MES VOIES (1) ».
VINGT ET UNIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DU
PSAUME XXXII, v. 1: « TRESSAILLEZ DANS LE SEIGNEUR, Ô VOUS QUI ÊTES JUSTES,
ETC. »
VINGT-DEUXIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DU
PSAUME LI, v. 10 « J'AI ESPÉRÉ DANS LA MISÉRICORDE DE DIEU (1) ».
VINGT-TROISIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DU
PSAUME CXLV, v. 1 : « JE BÉNIRAI LE
SEIGNEUR PENDANT MA VIE ; ETC. (1) ».
VINGT-QUATRIÈME SERMON. SUR CES PAROLES
DE L'ÉVANGILE, [LUC, XVI, 19-31] : « IL Y AVAIT UN HOMME RICHE, ETC.
(1) ».
VINGT-CINQUIÈME SERMON. SUR CES PAROLES
DE L'ÉVANGILE [MATTH. XII, 41-50] : « IL Y A ICI PLUS QUE JONAS, ETC.
(1) »
ANALYSE. 1. A l'exemple des martyrs, on ne doit renier le
Christ, ni à cause des biens superflus du monde, ni à cause des biens
nécessaires. 2. D'où vient et qu'est-ce que l'amour du prochain.3. La santé
et un ami, deux choses nécessaires, comment les envisager. 4. Lutte entre le martyr et le persécuteur, au
sujet du superflu. 5. Lutte entre le martyr et le persécuteur, au sujet du
nécessaire. 6. De quelle manière on apostasie le Christ. 7. La constance
récompensée dans le ciel.
1. Craignant de mourir s'ils vivaient.,
les saints martyrs, les témoins de Dieu, ont préféré mourir afin de vivre, de peur que
l'effroi de la mort ne leur fît renier la vie, ils ont méprisé la vie par amour de la
vie. Pour leur faire apostasier le Christ, l'ennemi leur promettait la vie, mais non telle
que la promettait le Christ. Leur foi donc aux promesses du Sauveur leur a fait dédaigner
les menaces des persécuteurs. Mes frères, quand nous célébrons les fêtes des martyrs,
puissions-nous connaître ce que nous pouvons acquérir en imitant leurs exemples. Cette
foule qui se presse n'ajoute rien à leur gloire. Car leur couronne est en spectacle à la
foule des Anges; et nous, la lecture de leurs combats nous les peut faire connaître. Ce
qu'ils ont acquis, « l'il ne l'a point vu, l'oreille ne l'a point entendu
(1) ». Parmi les biens de cette vie, en effet, les uns sont superflus, les autres
nécessaires. Ecoutez à ce sujet nos paroles , et distinguons autant que possible quels
sont ici-bas les biens superflus, et quels sont lesbiens nécessaires, afin que vous
compreniez qu'on ne doit apostasier le Christ ni pour les biens superflus, ni pour les
biens nécessaires. Qui pourra énumérer les choses superflues de la vie ? Entreprendre
de les énumérer, c'est nous retarder beaucoup. Disons donc ce qui est nécessaire ; le
reste, quel qu'il soit, sera superflu. Voici les deux biens
nécessaires en ce monde : la santé et un ami. Tels sont les deux
biens dont nous devons faire grand cas, et que nous ne saurions mépriser. La santé et un
ami sont deux biens naturels. Dieu, en faisant l'homme, voulut qu'il existât, qu'il
vécût. c'est la santé. Mais de peur qu'il ne demeurât seul, il lui donna l'amitié.
Dès lors l'amitié commence par l'épouse et par les enfants , pour s'étendre jusqu'aux
étrangers. Mais si nous considérons que nous n'avons qu'un seul père et une seule
mère, quel sera pour nous l'étranger? Tout homme a pour prochain tout autre homme.
Interroge la nature. Est-ce un inconnu? c'est un homme. Un ennemi? c'est un homme. Un
étranger? c'est un homme. Un ami? Qu'il demeure ami. Est-il ennemi? Qu'il devienne ami.
2. A ces deux choses nécessaires en cette
vie, la santé, et un ami, vient se joindre la Sagesse qui est étrangère. Elle ne trouve
ici-bas que des insensés, qui s'égarent, qui s'éprennent du superflu, qui aiment ce qui
est du temps, qui ne savent rien de l'éternité. Cette sagesse n'est point aimée des
insensés. Or, comme elle n'était point aimée des insensés, elle a revêtu la forme du
prochain, et s'est ainsi approchée de nous. C'est là tout le mystère du Christ. Quoi de
plus éloigné que la folie et la sagesse ? Quoi de plus rapproché que l'homme et
l'homme? Oui , dis -je , quoi de plus éloigné que la folie et la sagesse? La sagesse
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donc s'est revêtue de l'humanité, et s'est approchée de l'homme
par ce qui en était le plus près. Et voilà, car la sagesse elle-même l'a dit à
l'homme, voilà que la piété c'est la sagesse: le propre de la sagesse dans l'homme est
d'adorer Dieu, puisque telle est là piété; et dès lors deux préceptes sont donnés à
l'homme : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de
tout ton esprit ». Voici l'autre précepte : « Tu « aimeras ton prochain comme
toi-même (1) ». Et celui qui entendait répliqua : « Et qui donc est mon prochain (2)?
» Il pensait que le Seigneur allait dire : C'est ton père, c'est ta mère, c'est ton
épouse, ce sont tes enfants, tes frères, tes sueurs. Telle ne fut point sa réponse;
mais pour vous bien faire comprendre que tout homme est le prochain de tout autre homme,
le Sauveur commença ce récit : « Un certain homme », dit-il. Qui, ce certain homme?
Enfin un homme. «Un homme donc ». Qui, cet homme? Quelqu'un, mais un homme. «
Descendait de Jérusalem à Jéricho, et tomba entre les mains des voleurs (3) ». On
appelle aussi voleurs ceux qui nous persécutent. Blessé, dépouillé, demi mort,
abandonné sur le grand chemin, il fut un objet de mépris pour le prêtre et le lévite
qui vinrent à passer, et remarqué du samaritain qui le rencontra. Voilà qu'on
s'approche de lui , qu'on lui donne des soins, qu'on le met sur un cheval, pour le
conduire à l'hôtellerie, qu'on donne l'ordre de le soigner, qu'on paie sa dépense. Or,
le Sauveur demande à celui qui l'avait interrogé: Quel est le prochain de cet homme demi
mort? Car deux hommes l'avaient dédaigné, et ces dédaigneux étaient ses proches; ce
fut l'étranger qui l'aborda. Car cet homme de Jérusalem avait pour proches les prêtres,
les lévites, et les Samaritains pour étrangers. Les proches passèrent donc, et
l'étranger lui devint un proche. Quel était donc le prochain pour cet homme? Réponds,
ô toi qui avais fait cette question : « Qui est mon prochain? » Réponds à ton tour,
selon la vérité. C'était l'orgueil qui questionnait , que la nature parle. Que dit-il
donc? « Je crois que c'est celui qui a usé de miséricorde envers lui ». Et le Seigneur
: « Va, et fais de même à ton tour (4) » .
3. Revenons à notre sujet. Nous avons
déjà trois objets: la santé, l'ami, la sagesse. Mais il
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n'y a de ce monde que la santé et l'ami; la sagesse est d'ailleurs.
C'est pour la santé que nous avons la nourriture et le vêtement, et en cas de maladie la
médecine. A ceux qui ont la santé, l'Apôtre en santé lui-même disait : « Or,
c'est,une grande richesse que la piété qui se
contente du nécessaire. Nous n'avons rien apporté en ce monde, et nous n'en pouvons rien
emporter. Ayant la nourriture et le vêtement, nous devons nous en contenter ». Voilà ce
qui est nécessaire pour la santé. Que dira-t-il pour le superflu? « Quant à ceux qui
veulent s'enrichir (c'est bien là le superflu) ils tombent dans la tentation, dans les
piéges, dans une foule de désirs insensés et nuisibles qui précipitent l'homme dans la
mort et dans la perdition (1) ». Où donc est la santé? C'est donc à la santé que
revient cette parole : « Ayant la nourriture et le vêtement, nous devons nous en
contenter ». Que dira-t-il pour l'ami? Que dire de plus que ceci : « Tu aimeras ton
prochain comme toi-même?» Que la santé soit donc à toi, et la santé encore à ton
ami. A propos du vêtement de l'ami : « Que celui qui a deux tuniques en donne une à
celui qui n'en a point ». Et pour la nourriture de cet ami : « Que celui qui a de la
nourriture agisse de même (2)». Tu es rassasié, rassasie les autres ; tu es vêtu,
revêts les autres. Tout cela est de ce monde : quant à ce qui vient d'en haut, ou la
sagesse, tu l'apprends et tu l'enseignes.
4. Remettez maintenant devant vos yeux le
combat des martyrs. L'ennemi vint et voulut faire renier le Christ. Mais voyons d'abord
ses flatteries, et non ses fureurs. Il promet honneurs et richesses. Ce sont là des
choses superflues. Quiconque trouverait en ces biens une tentation de renier le Christ,
n'est pas encore descendu dans l'arène, ne s'est pas initié au combat, n'a point encore,
par une vigoureuse résistance, provoqué l'antique ennemi. Mais il a méprisé tous les
biens qu'on lui offrait, l'homme fidèle qui s'est écrié: Est-ce pour de tels biens que
je renierai le Christ? Des richesses me feront-elles renoncer aux richesses ? L'or me
fera-t-il renier le vrai trésor? N'est-ce pas en effet le Christ qui, « étant riche,
s'est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir de sa pauvreté (3)? » N'est-ce point
de lui que l'Apôtre a dit : « En.
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lui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science
(1) ? » Tu considères ce que tu promets, parce que tu ne saurais voir ce que tu
veux nous ravir. Pour moi, c'est par la foi que je vois ce que tu veux m'enlever, et toi
par les yeux de la chair ce que tu veux donner. Ce que découvre 1'il du coeur est
bien préférable à ce que voit l'oeil de la chair; car ce que l'on voit est temporel, ce
que l'on ne voit pas est éternel. Dès lors je méprise tes dons, dit l'âme fidèle, qui
sont temporels, qui sont superflus, qui sont périssables, qui sont changeants, qui sont
pleins de périls, pleins de tentations. Nul ne les possède à son gré, on les perd
quand on ne le voudrait point. Nous méprisons le prometteur, en voici un autre, c'est le
persécuteur. On repousse la séduction, voici que vient la violence : on méprise le
serpent, il se change en lion. Tu ne veux pas, dit-il, être par moi comblé de richesses?
Eh bien ! si tu ne renonces au Christ, je t'enlèverai ce que tu possèdes. Ce n'est
là sévir que contre mon superflu. « Tu agis en fourbe, comme le rasoir tranchant
(2) » ; tu rases les cheveux, mais sans entamer la peau. Enlève-moi tous ces biens;
oui, puisque tu as vu qu'ils me servent à faire des largesses aux pauvres, à recevoir
l'étranger, à suivre l'avis de Paul : « Ordonnez aux riches de ce monde », a-t-il
dit à Timothée, « ordonnez-leur de n'être point orgueilleux,de ne mettre point leur
confiance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec
abondance ce qui est nécessaire à la vie ; d'être bienfaisants, riches en bonnes
oeuvres, de donner de bon coeur, de faire part de leurs biens, de se faire un trésor et
un fondement solide pour l'avenir, afin d'embrasser la véritable vie ». Voilà des
oeuvres que je ne ferai plus, dès que tu m'enlèves mes biens. En serai-je amoindri
devant Dieu, pour vouloir sans pouvoir ? Serai-je à ce point sourd à la parole des anges
: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (3) » ? Enlève donc mon
superflu. Nous n'avons rien apporté sur la terre, et nous n'en pouvons rien emporter. «
Ayant de quoi nous nourrir et nous vêtir, nous devons nous en contenter (4) ».
5. Mais, dit le persécuteur, j'enlèverai
la
nourriture et le vêtement. Voilà le combat qui commence. L'ennemi
sévit avec plus de violence. Il n'y a plus de superflu, nous voici au nécessaire. « Ne
vous éloignez pas de moi, parce que la tribulation est proche (1) ». Rien n'est
plus proche de notre âme que notre chair. C'est dans la chair que se font sentir et la
faim, et la soif, et la chaleur. C'est là que je veux te voir, ô courageux martyr !
noble témoin de Dieu ! Vois ! me dit-il, vois ! « Qui nous séparera
de l'amour du Christ ? A quoi bon tes menaces, de m'enlever la nourriture et le vêtement?
Sera-ce la tribulation, l'angoisse, la faim, la nudité (2) ? » Tourne ailleurs tes
menaces. Je t'enlèverai ton ami, j'égorgerai sous tes yeux ceux qui te sont les plus
chers, je massacrerai ton épouse et tes enfants ! Tuer, tuer, dis-tu ? Qu'ils ne
renoncent pas au Christ, et tu ne les tueras pas. Comment, tu ne saurais m'effrayer pour
moi-même, et tu m'effraieras pour les miens ? Si les miens ne renoncent pas, tu ne
saurais les tuer; s'ils renoncent, tu ne tueras que des étrangers. Que le persécuteur
insiste, et que dans sa fureur il s'écrie : Si tu n'as nul souci des tiens, c'est toi que
je priverai de cette lumière. De cette lumière ? Mais de la lumière éternelle ? De
quelle lumière pourras-tu me priver ? De celle qui m'est commune avec toi ? Elle n'est
pas grande, celle dont tu jouis. Mais, pour cette lumière, je ne veux point renoncer à
la lumière. Car, « il était la lumière véritable (3) ». Je sais encore à qui
je dois dire: « En vous est la source de la vie, et c'est dans votre lumière que nous
verrons la lumière (4) » . Ote-moi cette vie, ôte-moi cette lumière, j'aurai une
autre vie, j'aurai une autre lumière. J'aurai une vie que tu ne pourras tuer en moi,
j'aurai une lumière que, non-seulement toi, mais aucune obscurité ne pourra me dérober.
Le martyr a triomphé, et pourrions-nous rencontrer quelque part un plus noble combat ?
Sans le menacer de la mort, le persécuteur en veut à son salut :,il le laboure de ses
ongles, le déchire dans les tourments, il l'expose aux flammes, à la fureur des bêtes ;
et c'est lui qui est vaincu. Pourquoi est-il vaincu ? « Parce que nous pouvons tout
surmonter en celui qui nous a aimés (5) » .
6. Donc, mes frères, ne renonçons au
Christ ni pour notre superflu, ni pour notre
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nécessaire. Nul n'est plus nécessaire que lui. J'appelais
nécessaires, la santé, un ami. Pour la santé, te voilà pécheur, apostat du Christ.
Mais ton amour de la santé te fait manquer la véritable santé. Pour ton ami, te voilà
pécheur, et pour ne point l'offenser tu renies le Christ. Hélas ! malheur à
nous ! Il suffit souvent de rougir pour le renier. Il n'y a là ni violence de la
persécution, ni spoliation de l'exécuteur, ni menace de bourreau ; tu crains seulement
de déplaire à un ami, et tu renies ton Dieu. Je vois ce que t'a enlevé un ami ;
montre-moi ce qu'il pourra te donner. Oui, que pourra-t-il te donner? Ses amitiés qui
seront une source de péché pour toi, qui t'envelopperont et feront de toi un ennemi de
Dieu. Celui-là ne serait point ton ami, si tu savais l'aimer. Mais parce que tu es son
ennemi , tu prends pour un ami ton propre ennemi. Comment cet homme peut-il être ton ami
? Parce que tu aimes l'iniquité. « Or, aimer liniquité, c'est haïr son âme
(1) ». Toutefois on ne renie point le Christ, pour plaire à un ami impie et
pervers, on ne le renie point toujours, mais cet impie blasphème le Christ, cet impie
l'accuse, et un fidèle n'ose le défendre, il en rougit, il l'abandonne; au lieu de le
prêcher, il se tait. Le blasphème se répand, la louange se tait. Combien de crimes l'on
commet, sous prétexte du nécessaire, pour la nourriture, pour le vêtement, pour la
santé, pour un ami, et tout ce que l'on recherche ainsi n'en périt que plus sûrement.
Mais si, au contraire, tu méprises les biens du temps, Dieu te donnera les biens
éternels. Méprise la santé, et tu auras 1'immortûlité; méprise la mort, et tu auras
la vie; méprise les honneurs, tu auras une couronne; méprise l'amitié d'un homme, tu
auras l'amitié de Dieu. Et là même où tu jouiras de l'amitié de Dieu, tu ne seras pas
sans amitié du prochain. Tu auras pour amis ceux dont nous
lisions tout à l'heure les actes et les confessions.
7. Nous venons d'entendre les actes virils
des hommes, leurs vaillantes confessions. Nous venons d'entendre ces femmes, oublieuses de
leur sexe, et s'attachant au Christ, non plus comme des femmes. Or, la haut nous formerons
avec ces bienheureux cette amitié pure de toute convoitise charnelle, et nous n'aurons de
commun avec nos amis que les jouissances de la sagesse. Voilà ce que nous perdrons, si
nous aimons les biens d'ici-bas, jusqu'à renier le Christ. C'est là que la mort du
prochain n'aura rien d'effrayant pour nous. Il n'y a nul deuil à redouter, dès lorsqu'on
jouit de la vie éternelle, et le nécessaire ne sera plus dans cette parole « Ayant la
nourriture et le vêtement, nous devons être satisfaits ». Notre vêtement sera
l'immortalité, notre nourriture la charité ; la vie sera sans fin, nous n'y ferons plus
de ces oeuvres que l'on appelle bonnes oeuvres, et toutefois nous ne saurions y parvenir
qu'en les faisant ici-bas. On ne te dira plus : « Partage ton pain avec celui qui a
faim (1) », puisqu'il n'y aura nul affamé. On ne te dira point : Donne
l'hospitalité, puisqu'il n'y aura point d'étranger. On ne te dira point : Délivre
l'opprimé, puisqu'il n'y aura nul oppresseur. On ne te dira point : Accommode ces
différends, puisqu'il y aura une paix inaltérable. Voyez, mes frères, combien on
souffre ici-bas pour acquérir cette paix, que nous posséderons où nous ne pourrons plus
périr. Tu veux la santé? Méprise-la, et tu la trouveras. Tu renies le Christ parce que
tu crains d'offusquer l'amitié des hommes? Confesse le Christ, et tu auras pour amies, et
la cité des anges, et la cité des patriarches, et la cité des prophètes, et la cité
des apôtres, et la cité des martyrs, et la cité de tous les fidèles qui auront fait le
bien. Car c'est elle que le Christ a fondée pour l'éternité (2).
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ANALYSE.- 1. Les paroles de l'Evangile regardent tous les
âges. 2. Exposition de la parabole de la construction de la tour, et des deux
rois. 3. Le jeune homme riche qui vent se joindre au Christ. 4. Après les
apôtres, beaucoup de Juifs convertis, et beaucoup de chrétiens ont renoncé à leurs
biens. 5. Comment nous devons faire preuve de notre foi au Christ, même dans ce qui
est de chaque jour. 6. Les promesses doivent nous exciter à faire preuve de notre
foi.- 7. Combat des Machabées avec les spectacles profanes. 8, 9. Eloignement qu'il
faut avoir pour les spectacles profanes.
1. L'Evangile, la parole vive du Seigneur,
qui pénètre au vif de l'âme, qui s'adresse au plus intime du coeur, s'offre à nous
tous pour notre salut, et ne revient à l'homme, qu'à la condition que l'homme revienne
à lui-même. Voilà que, devant nous, se pose comme un miroir dans lequel nous devons
nous considérer, et si notre visage accuse à nos regards quelque tache, il nous la faut
essuyer avec grand soin, de peur qu'un second retard ne nous oblige de rougir. La foule
suivait le Seigneur, comme nous l'avons entendu à la lecture de l'Evangile, et il se
tourne vers ceux qui le suivaient, pour leur parler. Car s'il n'eût adressé qu'aux seuls
apôtres les enseignements qu'il donna, chacun de nous eût pu dire : C'est pour eux, et
non pour nous qu'il a parlé. Autres, semble-t-il, sont les enseignements adressés aux
pasteurs, autres ceux qui s'adressent aux troupeaux. Le Sauveur s'est adressé à ceux qui
le suivaient, donc à vous tous, et à nous tous. Et parce que nous n'étions pas encore,
il ne faut pas croire qu'il n'a point parlé pour nous. Nous croyons en effet en ce même
Dieu qu'ils ont vu; nous tenons, par la foi, à celui qu'ils ont considéré des yeux ;
l'important n'était pas de voir le Christ des yeux de la chair ; autrement la nation
juive serait arrivée la première au salut, puisqu'il est certain que les juifs l'ont vu
et néanmoins l'ont méprisé, et, de plus, après l'avoir vu et méprisé, l'ont mis à
mort. Mais nous, assurément, nous ne l'avons pas vu, et néanmoins nous croyons en lui,
et néanmoins notre coeur fait accueil à celui que n'ont point vu nos yeux. De là cette
parole adressée à l'un des siens qui était parmi les douze: « Parce a que tu as vu, tu
as cru. Bienheureux ceux qui ne voient point, et qui croient (1) ». Que
Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur soit maintenant devant nous en sa chair et garde
le silence, que nous en reviendra-t-il ? Mais si sa parole a été utile, il parle
maintenant, quand on nous lit l'Evangile. Toutefois, comme Dieu il nous procure de grands
avantages par sa présence. Où donc n'est pas Dieu, et quand serait-il éloigné ? Toi,
ne t'éloigne pas de Dieu, et Dieu sera avec toi. L'important, c'est qu'il nous a fait une
promesse, et que nous tenons cette promesse écrite comme une cédule. « Voilà que
je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (2) ». C'est nous qu'il
avait en vue, c'est à nous qu'il promettait.
2. Revenons donc à notre sujet, écoutons
ses paroles, et, comme je l'ai déjà dit, considérons-nous, afin d'essuyer avec soin
tout ce que nous verrons faire tache à notre beauté,qui plaît à ses yeux. Et comme
nous ne saurions suffire, implorons son secours. Qu'il nous réforme celui qui nous a
formés, que le Créateur nous crée de nouveau, afin que, ayant semé en nous le froment
, il récolte en nous aussi un froment parfait. Voici donc ses paroles : « Quel homme,
voulant bâtir une
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tour, ne se rend pas compte auparavant de la dépense nécessaire,
pour savoir s'il peut l'achever ? De peur que, s'il jette les fondements et ne puisse
terminer, ceux qui passeront par là ne disent: Voilà un homme qui a commencé à bâtir
sans pouvoir achever. Ou bien, quel est encore le roi qui, voulant combattre un autre roi,
n'examine pas, auparavant , s'il peut marcher avec dix mille hommes contre celui qui en a
vingt mille? Et, s'il ne le peut, il lui envoie demander la paix quand il est encore loin
». Et voici la conclusion qu'il donne à ces deux comparaisons: « De même, tout homme
qui ne renonce point à tout ce qu'il possède ne saurait être mon disciple (1)».Or,
s'il n'y a que les disciples présents pour porter ce nom, ces paroles ne s'adressent
point à nous. Mais comme, selon le témoignage de l'Écriture, tous les chrétiens sont
disciples du Christ: « Car vous « n'avez qu'un seul maître qui est le Christ" 1b,
que celui-là seul renonce à être disciple du Christ, qui ne veut point le Christ pour
maî tre. Ce n'est point, en effet, parce que nous vous parlons d'un lieu plus élevé,
que nous sommes des maîtres pour vous. Car c'est le maître de tous qui a sa chaire
par-dessus tous les cieux, et vous et nous sommes condisciples; seulement, nous sommes des
moniteurs, comme les plus élevés en classe. Il y a donc une tour et des dépenses, la
foi et la patience. La tour c'est la
foi, les dépenses sont la
patience. Quiconque ne saurait supporter les peines de cette vie, est au-dessous des
dépenses. Le roi méchant qui marche avec vingt mille hommes, c'est le diable ; et celui
qui marche avec dix mille, c'est le chrétien. Un contre deux; la vérité contre le
mensonge, la simplicité contre la duplicité ; sois simple de coeur ; loin de toi toute
hypocrisie , qui montre une chose et en fait une autre, et tu vaincras la duplicité qui
se transforme en ange de lumière. D'où viennent et où sont ces dépenses? Où est cette
simplicité parfaite, absolument stable et inébranlable dans sa persévérance ? Dans la
parole qui suit et qui nous paraît dure : c'est-à-dire, comme nous l'avons avancé, que
la parole ,de Dieu n'est flatteuse pour personne. Celle-ci, par exemple : « Quiconque ne
renonce point à tout ce qu'il possède, ne saurait être mon disciple ». Beaucoup l'ont
fait et se sont anéantis
avant d'être pressés par la persécution, et ont renoncé à tout
ce qu'ils avaient au monde pour suivre le Christ. Ainsi en fut-il des Apôtres, qui dirent
: « Voilà que nous avons tout abandonné pour vous suivre (1)». Toutefois eux-mêmes
n'ont pas abandonné de grands biens, puisqu'ils étaient pauvres ; mais, à nos yeux,
vaincre toutes les convoitises, c'est abandonner de grandes richesses.
3. Enfin, les disciples tinrent ce langage
au Seigneur, quand s'en alla, tout triste, le jeune homme riche qui avait recueilli de la
bouche du Maître le plus véridique, le conseil de la vie éternelle qu'il avait
demandé. Un jeune homme riche était venu en effet trouver le divin Maître, et lui avait
dit : « Bon Maître, quel bien dois-je faire pour acquérir la vie éternelle (2) ?
» On dirait que parmi les interminables délices de ses richesses, il ressentait
l'aiguillon de la mort à venir, et séchait de dépit ; car il savait qu'il n'emporterait
rien avec lui de ses grands biens, et son âme dénuée de tout gémissait au milieu des
richesses du temps. Environné de biens, il disait, ce semble, en lui-même : Tout cela
est bien, tout cela est beau, tout cela est délicieux, tout cela est agréable; mais
quand viendra l'heure unique, l'heure dernière, il faudra tout abandonner, rien de tout
cela ne s'emporte. Il ne reste que la vie et la conscience; oui, après le corps, la vie
de l'âme, et uniquement la conscience. Et si la conscience est mauvaise, ce n'est plus
une vie, mais une autre mort, qu'il faut appeler, et la pire des morts. Rien en effet
n'est pire que la mort, sinon cette mort quine meurt point. Telles étaient, au milieu de
ses délices, les pensées de ce jeune homme si riche qui vient trouver le Sauveur. Il se
disait donc: Si je puis avoir la vie éternelle après ces grandes richesses, quel bonheur
surpassera le mien ? De là cette inquiétude qui le porte à interroger et à dire :
« Bon Maître, que ferai-je pour acquérir la vie éternelle?» Et le Seigneur lui
répondit tout d'abord : « Pourquoi m'appeler bon ? Il n'y a de bon que Dieu seul
(3)». Ce qui revient à dire : Nul ne peut te rendre heureux, que Dieu seul. Les biens
que possèdent les riches sont des biens, à la vérité, mais qui ne rendent pas bons
leurs possesseurs. Si ces biens rendaient bons, l'homme serait d'autant supérieur en
bonté, qu'il l'est en. richesses. Mais quand nous les
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voyons d'autant plus mauvais qu'ils sont plus ripes, assurément il
nous faut chercher d'autres biens qui nous fassent bons. Ce sont les biens que ne peuvent
avoir les méchants : la justice, la piété, la tempérance, la religion, la charité, le
culte de Dieu, et Dieu enfin. Tel est le bien qu'il nous faut rechercher, et nous ne
pourrons l'avoir qu'en méprisant les autres.
4. Est-ce à moi de vous ménager, quand
l'Evangile n'a de ménagements ni pour vous, ni pour nous ? Je me borne à exalter votre
charité, mes frères, selon cette parole de l'Apôtre : « Le temps est court. Il faut,
dès lors, que ceux qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas, et ceux qui pleurent,
comme ne pleurant point, et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas, et
ceux qui achètent comme n'achetant point, et ceux qui usent des choses de ce monde, comme
n'en usant pas (1) ». Les Apôtres donc abandonnèrent tout ce qu'ils possédaient, et de
là cette parole de Pierre: « Voilà que nous avons tout abandonné ». Qu'as-tu
abandonné, Pierre ? Une barque, un filet ? J'ai abandonné l'univers entier, me
répondrait-il, puisque je ne me suis rien réservé. La pauvreté chez tous,
c'est-à-dire chez tous les pauvres, n'a que peu de biens, mais elle a de grands désirs.
Et Dieu ne regarde pas ce qu'elle possède, mais ce qu'elle désire. C'est notre volonté
qui est jugée, et que sonde invisiblement celui qui est invisible. Ils ont donc tout
abandonné, et abandonné l'univers entier, parce qu'ils ont renoncé à toute espérance
dans ce monde, et qu'ils ont suivi celui qui a créé le monde et cru en ses promesses,
ainsi que beaucoup l'ont fait dans la suite. Est-il étonnant, mes frères, que des hommes
l'aient fait ? Ceux-là mêmes l'ont fait, qui ont mis à mort le Sauveur. Là, dans
Jérusalem, après que le Seigneur fut monté aux cieux, et eut, dix jours après,
accompli sa promesse par l'envoi du Saint-Esprit, les disciples, remplis de
l'Esprit-Saint, parlèrent les langues de toutes les nations (2). Alors beaucoup de Juifs
qui étaient à Jérusalem, et qui les entendaient, pleins d'admiration poux ces dons de
la grâce du Sauveur, et se demandant avec stupeur d'où venait ce prodige, reçurent des
Apôtres cette réponse, que celui qui opérait. ces prodiges par son Esprit-Saint, était
celui-là même qu'ils avaient mis à mort, et demandèrent
comment ils pourraient être sauvés. Ils étaient en effet saisis de
désespoir, et ne pensaient point qu'ils pussent obtenir le pardon de ce crime énorme,
d'avoir mis à mort le Maître de toutes créatures. Or, les Apôtres les consolèrent,
leur promirent le pardon, et cette promesse du pardon leur fit embrasser la foi, et
devenus d'autant meilleurs qu'ils avaient eu plus de crainte, ils vendaient leurs biens
pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres. La crainte leur extorqua leurs délices.
Voilà ce que firent ceux qui avaient mis à mort le Seigneur ; beaucoup d'autres l'ont
fait depuis, et le font encore. Nous le savons, nous en avons des exemples, beaucoup nous
donnent cette consolation, beaucoup cette joie, parce que la parole du Seigneur n'est
point inutile pour eux, puisqu'ils l'écoutent avec foi. Mais quelques-uns qui n'agirent
point ainsi, n'ont-ils pas été éprouvés par la persécution ? Oui, parce qu'ils
usaient de ce monde comme n'en usant pas. Non-seulement des hommes du peuple,
non-seulement des artisans, non seulement des pauvres, des indigents, des gens médiocres,
mais des grands, mais des riches, mais des sénateurs, mais des femmes illustres, en face
de la persécution, ont su renoncer à leurs biens , afin d'élever leur tour et de
vaincre, par la simplicité du courage et de la piété, la duplicité et les artifices du
diable.
5. Jésus-Christ donc, Notre-Seigneur,
nous exhortant au martyre, a dit : « De même, celui qui ne renonce point à tout ce
qu'il possède, ne saurait être mon disciple ». C'est donc à toi que je m'adresse,
ô âme chrétienne ! Si je te répète ce qui fut dit au riche : « Va, et toi
aussi vends ce que tu as, et tu posséderas un trésor dans le ciel, puis viens et suis le
Christ (1) », t'en iras-tu avec tristesse ? Car le jeune homme de l'Evangile s'en
alla triste. Et pourtant, il n'y a que le chrétien pour comprendre ces paroles. Or,
pendant qu'on lisait l'Evangile, as-tu bien pu boucher tes oreilles, contrairement à ton
salut ? Tu as entendu ceci : « Quiconque ne renonce à tout ce qu'il possède ne saurait
être mon disciple ». Réfléchis donc en toi-même : Te voilà devenu fidèle, tu
es baptisé, tu as embrassé la foi. Tu n'as pas abandonné tes biens, mais j'en appelle
à ta foi. Comment as-tu pu croire ? Voici pour ta foi le danger. On te dit : Si tu
persistes, je saisis ton bien.
429
C'est ton âme que j'interroge ; si tu dis en ton âme : Qu'il prenne
ce que je possède, mais je n'abandonne point ma foi 1 tu possèdes et tu as néanmoins
renoncé. Et tu possèdes sans être possédé. Ce n'est pas posséder qui est un mal,
mais bien être possédé. Oui, le mal est d'être possédé. Toutefois, il n'y a point de
persécution, et tu n'as aucun moyen de prouver à Dieu la fidélité à tes promesses ?
Les affaires de chaque jour sont pour l'homme une épreuve. Mais qu'arrivera-t-il, si
quelqu'un t'excite au faux témoignage, un homme puissant, que l'on puisse craindre
ici-bas, s'il te menace, et s'il peut réellement nuire, qu'arrivera-t-il s'il te vient
demander un faux témoignage? Il ne te dit point: Renonce au Christ ; car c'est contre
cela que tu étais prêt. Mais, dans sa duplicité, il s'insinue chez toi d'une manière
que tu n'attendais pas et à laquelle tu n'étais point préparé. Fais-moi, dit-il, ce
faux témoignage. Si tu ne le fais, je m'en vengerai de telle ou telle manière. Il menace
de la proscription, de la mort. C'est là qu'il te faut éprouver, qu'il faut veiller sur
toi. Feras-tu le faux témoignage ? C'est renier le Christ qui a dit: «Je suis la
vérité (1) ». Tuas fait un faux témoignage, tu, as donc parlé contre la vérité, et
dès lors renié le Christ. Or, que pouvait te faire cet homme en te menaçant de la
proscription ? Te rendre pauvre ? Mais de quoi peux-tu manquer, si Dieu est avec toi ?
Mais sa menace était plus grave. Comment plus grave? Il menaçait de te tuer. Ta chair,
est-ce ton âme ? Tu considères la menace, et non ce que tu dois faire. Cet adversaire
menaçait de tuer ta chair. « Or, la bouche qui ment tue l'âme $ », est-il dit. Vous
voilà deux, ton ennemi et toi; et toutefois, c'est un homme comme toi. Vous avez tous
deux une chair corruptible, tous deux une âme immortelle, tous deux vous passerez dans le
temps, et n'êtes sur la terre que des étrangers et des pèlerins. Lui te menace de la
mort, ne sachant pas s'il ne mourra point avant d'avoir accompli sa menace; et toutefois,
admettons que cette menace il l'accomplisse : examinons lequel des deux, lui ou toi, est
plus ennemi de toi-même. Il prend une hache pour tuer ta chair, et toi la langue du
mensonge pour tuer ton âme. Quel glaive a frappé? lequel a donné une mort plus
déplorable? lequel a pénétré plus avant? L'un a
429
pénétré jusqu'aux os, jusqu'aux entrailles, toi jusqu'au coeur.
Or, tu n'as plus rien d'intact dès que ton cur est perdu. « La bouche qui ment tue
», est-il dit, non le corps, mais l'âme.
6. Tels sont journellement les efforts des
hommes. Quand on se trouve en face de l'iniquité, sur le point, ou de commettre
l'iniquité, ou d'endurer ce qu'il plait à Dieu de nous faire endurer en cette vie, vois
dès lors le double ennemi, vois les défenses de cette tour. Mais la pensée te fait
défaillir; invoque alors celui qui a donné des préceptes. Qu'il aide ses préceptes en
toi, et il te rendra de lui-même ce qu'il a promis. Or, que t'a promis Dieu ? Que
dirai-je, mes frères, pour stimuler nos désirs? Que dirai-je ? Est-ce de l'or ? Est-ce
de l'argent ? Des domaines, des honneurs? Tout ce que nous connaissons sur la terre ? Tout
cela est vil. Mais « l'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, le cur de
l'homme n'a jamais compris ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment (1) » ; en un
mot, ce ne sont plus des promesses, c'est Dieu lui-même. Il est plus grand que tout,
celui qui a tout créé. Il est plus beau que tout, celui qui a donné à chaque objet sa
beauté. Il est plus puissant que tout, celui qui a donné la force à tout ce qui est
fort. Donc, tout ce que nous aimons sur la terre, n'est rien en comparaison de Dieu. C'est
peu dire, tout ce que nous aimons n'est rien, mais nous-mêmes ne sommes rien. Celui qui
aime doit se mépriser en comparaison de ce qu'il doit aimer. Telle est la charité qui
nous est ordonnée : « De tout notre coeur, de toute « notre âme, de tout notre esprit
». Mais le Seigneur ajoute : « Tu aimeras ton prochain « comme toi-même. Ces deux
préceptes résument toute la loi et les Prophètes (2) ». Ce qui te laisse à comprendre
qu'aimer le Seigneur c'est t'aimer toi-même ; et que ne pas aimer le Seigneur, au
contraire, c'est ne point t'aimer. Si donc tu aspires à t'aimer en aimant le Seigneur,
élève ton prochain jusqu'à Dieu, afin de jouir du bien, et de ce grand bien qui est
Dieu.
7. Tout à l'heure nous avons eu en
spectacle ce grand combat des sept frères et de leur mère. Noble lutte, mes frères, si
nos esprits ont su la considérer ! Comparez à ce saint combat les plaisirs
voluptueux des théâtres. Là, les
430
yeux sont souillés; ici, les coeurs purifiés; ici, il y a gloire
pour le spectateur, s'il devient imitateur; là, honte pour le spectateur, et infamie pour
l'imitateur. Enfin j'aime les martyrs et je considère les martyrs. Quand on lit les
souffrances des martyrs, je regarde. Dis-moi : Sois martyr, c'est un éloge. Pour toi,
vois le mime, vois le pantomime; et je te dirai : Sois semblable, et ne t'en fâche pas.
Que si cette parole : Sois semblable, vient à t'irriter, voilà que tu es accusé non par
mes paroles, mais par ta colère. Ta colère fait juger de toi-même; car tu aimes ce que
tu redouterais d'être. Le spectacle des saints Machabées, dont nous solennisons
aujourd'hui la victoire, nous vient à propos afin de dire un mot à votre charité, au
sujet des spectacles du théâtre. O mes frères de Bulla (1) ! dans toutes les
villes qui vous environnent, la licence qui règne chez vous consterne la piété. Ne
rougissez-vous point d'être les derniers à donner asile à ces vénales turpitudes ? Sur
ces marchés romains, dans ces grands encans, où vous achetez le blé, le vin, l'huile,
des animaux, du bétail, y a-t-il donc un charme pour vous à trafiquer de la honte, à
l'acheter ou à la vendre ? Et quand les étrangers viennent dans ces contrées, pour ces
échanges, si on leur disait: Que cherchez-vous ? des mimes? des prostituées? vous en
trouverez à Bulla ; serait-ce pour vous un honneur, pensez-vous? Pour moi, je ne vois
point de plus grande infamie. Oui, mes frères, c'est la douleur qui me fait parler, mais
toutes les villes qui vous environnent vous condamnent et devant les hommes et au jugement
de Dieu. Quiconque veut suivre le mal prend exemple sur vous dans notre Hippone, où tout
cela est fini depuis longtemps; c'est de votre ville que l'on nous amène ces infamies.
Mais, direz-vous, en cela nous ressemblons à Carthage. II y a sans doute à Carthage un
peuple saint et religieux, mais la foule est si nombreuse dans cette grande cité, que
chacun peut rejeter cela sur les autres. Ce sont des païens, ce sont des Juifs qui
agissent ainsi, peut-on dire à Carthage, mais ici il n'y a que des chrétiens, et des
chrétiens agissent de la sorte ! C'est avec une douleur bien vive que je vous parle
ainsi. Puissiez-vous un jour, en vous corrigeant, guérir la blessure de notre
cur ! Nous le disons à votre charité : Nous
connaissons au nom du Seigneur, et votre ville et les villes
voisines, nous savons quelle en est la population, quel en est le peuple. Pouvez-vous
n'être point connus de celui qui est constitué pour vous dispenser la parole de Dieu et
les sacrements ? Qui peut se disculper de cette honte ? Voici des spectacles. Que les
chrétiens s'abstiennent, et nous verrons si le vide n'est pas tel, qu'il fera rougir la
turpitude elle-même. Voyons si ces personnages infâmes ne finiront point par secouer
leurs chaînes pour se tourner vers Dieu, ou abandonner cette ville, s'ils veulent
persévérer dans leur honteux métier. Procurez-vous cet honneur, ô chrétiens ; ne
hantez plus les théâtres.
8. Mais je ne vous vois ici qu'en petit
nombre. voici que viendront les jours de la passion du Christ, que viendra Pâques, et ces
lieux seront trop étroits pour votre multitude. Ils occuperont donc ces places, ces
mêmes hommes qui remplissent aujourd'hui les théâtres? Ah! comparez les lieux, et
frappez vos poitrines. Vous direz peut-être : s'abstenir, c'est bien pour vous, qui êtes
clercs, qui êtes évêques; mais nous sommes laïques. Quelle justesse voyez-vous donc
dans cette excuse? Eh! que sommes-nous si vous venez à périr? Autre est ce que nous
sommes pour nous, et autre ce que nous sommes pour vous. C'est pour nous que nous sommes
chrétiens, pour vous seulement que nous sommes clercs et évêques. Ce n'est ni aux
clercs ni aux évêques, ni aux prêtres que s'adressait l'Apôtre quand il disait : «
Vous êtes les membres du Christ » ; c'est à la multitude , c'est aux fidèles, c'est
aux chrétiens qu'il disait. « Vous êtes les membres du Christ ». Voyez de quel
corps vous êtes les membres, voyez sous quelle tête vous vivez dans l'union d'un même
corps. Je reprends donc les paroles de l'Apôtre : « Prendrai-je les membres du Christ,
pour en faire les membres d'une prostituée (1) ? » Et nos chrétiens non-seulement
aimeront, mais encore établiront des prostituées? Non-seulement ils aiment celles qui
l'étaient, mais ils en font de celles qui ne l'étaient point, comme si ces femmes
n'avaient point une âme, comme si le sang du Christ n'eût pas été répandu pour elles,
comme s'il n'était pas dit : « Les prostituées et les publia tains entreront avant vous
dans le royaume
431
des cieux (1) ». Et
dès lors, quand il nous faut les gagner à la vie, on choisit de périr avec elles, et
c'est là le fait des chrétiens ! je n'oserais dire des fidèles. Un catéchumène
se méprisant lui-même, nous dira: Je ne suis qu'un catéchumène. Comment, tu es
catéchumène? Oui, catéchumène. Autre est donc ton front marqué du signe du Christ, et
autre ton front pour aller au théâtre? Tu veux y aller? Change ton front, et va ensuite.
Mais ce front que tu ne saurais changer, garde-toi de le perdre. Le nom du Seigneur est
invoqué sur toi, le nom du Christ est invoqué sur toi, Dieu est invoqué sur toi, le
signe de la croix du Christ a été marqué, peint sur ton front. C'est vous tous que
j'exhorte, mes frères, à vous tous que je m'adresse. Vous verrez combien le nom de
Notre-Seigneur Jésus-Christ sera bien plus glorieux pour vous.
9. Oserai-je vous dire : Imitez la ville
qui vous avoisine ? Imitez la ville de Simittu (2) qui est proche ? Je n'en dis pas
davantage. Ou plutôt parlons plus clairement au nom du Seigneur Jésus. Là nul n'entre
au théâtre nul libertin n'est resté là. Un légat voulut y rétablir ces obscénités;
nul homme de la haute ni de la basse classe n'y mit le pied ; pas un juif n'y entra. N'y
a-t-il pas là des habitants
honorables? n'y a-t-il pas là une cité ? Cette colonie n'est-elle
pas d'autant plus honorable qu'il y a moins de ces obscénités ? Je ne vous tiendrais pas
ce langage, si j'entendais dire de vous le même bien. Mais je crains que mon silence
n'attire sur moi une semblable condamnation. Dieu donc a voulu, mes frères, que je vinsse
à passer par ici. Mon frère m'a retenu (1), m'a commandé, m'a supplié, m'a forcé de
vous prêcher. Que dire, sinon ce que je redoute le plus? Que dire, sinon ce qui m'est le
plus douloureux? Ne savez-vous point que moi, que nous tous, nous rendrons compte à Dieu
de vos louanges (2) ? » Croyez-vous que ces éloges soient un honneur pour nous?
C'est une charge plus qu'un honneur. Il nous sera demandé un compte sévère de ces
louanges, et je crains sérieusement que le Christ ne nous dise au jour de son jugement :
Mauvais serviteur, vous receviez volontiers les acclamations de mon peuple, et vous
gardiez sur leur mort un coupable silence. Mais le Seigneur notre Dieu nous accordera
d'entendre à l'avenir du bien de vous, et dans sa miséricorde, il nous consolera par
votre conversion. Ma joie sera d'autant plus grande alors que aujourd'hui ma tristesse est
plus profonde.
ANALYSE. 1. Trois sortes d'hommes vont à Dieu. 2.
L'exemple de saint Paul leur est proposé. 3. Autre est celui qui voyage
parfaitement, autre celui qui arrive parfaitement, ce qu'on- voit dans saint
Quadratus. 4. Donner maintenant à la justice autant qu'on a donné auparavant à
l'impureté. 5. Et même on doit plus donner à la justice. 6. Et cela en
dehors de tout respect humain. 7. Principalement à l'égard des païens qui
insultent aux Chrétiens.
1. Le Seigneur notre Dieu nous a fait
cette grâce, dont nous le remercions, de vous voir et d'être vu par vous. Et si nous
voir en cette chair mortelle, « a rempli de joie notre
432
bouche, et notre langue d'allégresse (1) », que sera-ce quand nous
nous retrouverons dans ces lieux où nous n'aurons plus aucune crainte? L'Apôtre l'a dit
: « Nous jouissons dans l'espérance (2) ». Notre joie ici-bas est donc dans
l'espérance, et non dans la réalité. « Or, l'espérance que l'on voit n'est déjà
plus l'espérance; comment espérer ce que l'on voit? Si donc nous espérons ce qui est
invisible pour nous, nous l'attendons par la patience (3) ». Or, si des compagnons de
voyage se réjouissent quand ils sont en chemin, quelle ne sera point leur joie dans la
patrie ? Telle est la voie sur laquelle ont combattu les martyrs, et en combattant ils
marchaient, et en marchant ils n'hésitaient point. Aimer, en effet, c'est marcher. Or, ce
n'est point avec des pas, mais avec l'amour que l'on va vers Dieu. Notre voie veut donc
des marcheurs (4). Mais il y a trois sortes d'hommes que voit le Seigneur : l'homme qui
s'arrête, l'homme qui rebrousse chemin, et l'homme qui s'égare. Avec le secours de Dieu,
puisse notre voyage être affranchi, délivré de ces trois maux ! Et toutefois,
quand nous marchons, l'un va plus lentement, l'autre plus vite; tous deux marchent
néanmoins. Il faut donc stimuler ceux qui s'arrêtent, rappeler ceux qui retournent,
ramener au bon chemin ceux qui s'égarent, exhorter les retardataires, imiter ceux qui
précipitent la marche. Ne faire aucun progrès, c'est s'arrêter en chemin. Abandonner
une bonne résolution pour revenir à ce qu'on avait délaissé, s'appelle rebrousser
chemin. Abandonner la foi, c'est errer. Occupons-nous de ceux qui ralentissent leur marche
, en comparaison des plus empressés, mais qui marchent néanmoins.
2. Quel est l'homme qui ne marche point?
Celui qui s'est cru sage, qui a dit : Il me suffit d'être comme je suis; qui n'écoute
point cette parole : « J'oublie ce qui est en arrière, pour m'étendre à ce qui est
devant « moi, pour atteindre ce but auquel je suis « appelé par Dieu en Jésus-Christ
(5) ». L'Apôtre dit qu'il court; il dit qu'il cherche. Il ne s'arrête point et ne
regarde pas en arrière, lui qui
enseignait la voie, qui la suivait, qui la montrait. Pour nous faire
imiter sa vitesse, il nous dit : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ (1)
». Nous croyons donc, mes frères, marcher avec vous dans la voie; si nous sommes
attardés, devancez-nous. Sans aucune jalousie, nous cherchons quelqu'un à suivre.. Si
vous trouvez rapide notre course, courez avec nous. Il est un point que tous nous .voulons
atteindre, soit que nous marchions vite, soit que nous marchions lentement. L'Apôtre nous
l'indique : « Il est un point », dit-il, « c'est que, oubliant ce qui est en arrière,
et m'étendant à ce qui est devant moi, je me propose d'atteindre la palme à laquelle
Dieu m'appelle en Jésus-Christ Notre-Seigneur ». L'ordre de ces paroles est celui-ci :
« Je ne poursuis qu'un seul but », Or, pour parler ainsi, qu'avait-il dit auparavant? «
Mes frères, je ne me flatte point d'être arrivé (2) ». Voilà l'homme qui ne s'arrête
pas en chemin, qui ne s'imagine pas être arrivé. Le voilà qui ne veut pas d'un long
pèlerinage; le voilà qui ne s'arrête pas en chemin et qui se réjouira dans la patrie :
« Pour moi », dit-il; qui moi? « moi qui ai travaillé plus que les autres (3) »;
et toutefois, dire : « J'ai travaillé plus que les autres », ce n'est point dire : «
Je ne me crois pas arrivé au but ». J'aime qu'il dise : « Pour moi », quand il faut
s'humilier, et non s'élever. « Pour moi », dit-il, « autant a que j'en puis juger, je
ne pense pas avoir atteint le but ». Voilà sa parole. Et quand il dit : « J'ai
travaillé plus que les autres », il ajoute : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec
moi ». Est-ce que la grâce n'a pas atteint le but? Il a raison de dire ici: « pour moi
». Car ne pas atteindre le but, c'est l'effet de notre faiblesse, et l'atteindre c'est
l'effet de la grâce divine, et non de la faiblesse humaine. Qui donc nous montrera la
voie? Qui nous instruira? Qui pourra convenablement nous convaincre de cette vérité, qui
est une vérité indubitable, qu'il n'y a en nous rien qui nous soit propre, sinon le
péché? Voilà ce que doit reconnaître la piété, ce que l'infirmité doit accuser en
elle-même, ce que la charité cherche à guérir. « Non que « j'aie atteint mon but, ou
que je sois parfait (4) ». Et alors il ajoute : « Mes frères, je ne
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crois pas que j'aie moi-même atteint le but », et quand il
nous exhorte à courir et à étendre notre coeur « à ce qui est en avant, nous qui
sommes parfaits, a-t-il ajouté, soyons de ce sentiment (1) ». Plus haut il avait
dit : « Non que j'aie atteint le but ou que je sois parfait » ; et le voilà qui
ajoute : « Nous qui sommes parfaits, soyons de ce sentiment ». Et tout à l'heure,
tu voyais de l'imperfection dans un si grand Apôtre, et tu vois maintenant un si grand
nombre d'hommes parfaits que tu dis : « Nous qui sommes parfaits, soyons de ce sentiment
». Il y a donc perfection et perfection.
3. Il y a le parfait voyageur, qui n'est
point le parfait arrivant: Le parfait voyageur s'avance bien, marche bien, suit le bon
chemin; mais il est voyageur et n'est pas encore au but. Et cela est évident, puisqu'il
marche, puisqu'il est en- chemin, qu'il se dirige sur quelque point, et qu'il veut
atteindre un but. L'Apôtre non plus, n'avait pas atteint le but où il s'efforçait
d'arriver. Il exhorte les parfaits, afin qu'ils sachent qu'ils ne sont point complètement
parfaits, qu'ils connaissent leur imperfection. La perfection, pour un voyageur, est de
savoir qu'il n'est point arrivé au but qu'il poursuit. Il sait en effet et le chemin
qu'il a fait, et celui qui lui reste à faire. Sachons donc bien que nous ne sommes point
parfaits, quelle que soit notre perfection, afin de ne point demeurer imparfaits. Que
dirons-nous, mes frères? Le martyr Quadratus (2) n'était-il point parfait? Quoi de plus
parfait que Quadratus ou le carré? Ses côtés sont égaux, sa forme est partout la
même, et sur quelque face qu'on puisse le poser, il se tient debout et ne tombe point. O
nom magnifique, qui désigne une figure et présage l'avenir. Il s'appelait déjà
Quadratus avant d'être couronné. Alors n'était pas encore venue l'épreuve qui devait
montrer cette quadrature, et toutefois ce nom qui lui est donné était, même avant la
création du monde, le signe de sa prédestination, et pour être ainsi appelé, il devait
souffrir, afin de le justifier; et néanmoins il marchait, et néanmoins il était
encore en voyage, et tant qu'il était dans ce corps mortel, il y
avait à craindre, ou qu'il ne demeurât en chemin, ou qu'il ne retournât en arrière, ou
qu'il ne sortît de la voie. Maintenant, voilà qu'il a couru, qu'il est au bout de sa
route, que son pied est demeuré ferme, et qu'il a trouvé place dans la construction de
cette arche du Seigneur, qui dut être, en figure, construite de bois carrés: Maintenant
il n'a plus aucune épreuve à redouter. Il a entendu l'appel de Dieu, et Dieu a entendu
sa prière, il a suivi son Sauveur, qu'il porte maintenant en lui-même (1). Il a
méprisé les séductions du monde, vaincu ses menaces, échappé à ses violences. Elle
est grande, mes frères, la gloire des martyrs, c'est la première dans l'Église. Toutes
les autres, quel qu'en soit l'éclat, ne viennent qu'après. Ce n'est pas en effet sans
raison qu'il a été dit à quelques-uns : « Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au
sang, dans la lutte contre le péché (2); comment soutenir, comment supporter les
violences du monde, si l'on n'en méprise pas les séductions ?
4. Le même Apôtre nous dit : « Je parle
humainement, à cause de la faiblesse de votre chair. Comme vous avez fait servir vos
membres à l'impureté pour l'iniquité, de même, faites-les servir maintenant à la
justice pour votre sanctification (3) ». C'est là sans doute un noble but que l'on
nous présente. Que chacun se mesure sur ces paroles de l'Apôtre. Que nul ne se flatte,
mais que chacun se pèse et se dise la vérité. Que veut-il entendre de moi ? Qu'il se le
dise lui-même. Tout mon but est de vous mettre sous les yeux un miroir où chacun se
puisse considérer. Car je ne suis point ce brillant du miroir qui réfléchit à chacun
l'image de sa face. Et en parlant de face, je veux dire votre face intérieure. Je puis
l'aller trouver par l'oreille, mais je ne saurais la voir. C'est donc un miroir que je
propose. Que chacun se considère et renonce à soi-même. Prenez pour miroir les paroles
de l'Apôtre, que je viens de citer. « Je parle humainement à cause de la faiblesse de
votre chair. Comme vous avez fait servir vos membres à l'immondice pour l'iniquité,
ainsi, faites-les servir maintenant
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à la justice pour votre sanctification
». Qu'est-ce à dire « ainsi ? » Faites l'un dans
la proportion que vous avez fait l'autre. Quand tu faisais de tes membres des instruments
qui servaient au péché par l'impureté, y trouvais-tu des charmes ?Voilà ma question.
Ecoute et réponds-moi. Y trouvais-tu des charmes ?Ton silence même est une réponse pour
moi. Tu ne l'aurais point fait sans ce plaisir. De même donc que tu as livré tes membres
comme instruments d'impureté pour le péché, et que tu as en cela goûté un plaisir, de
même qu'il y ait un plaisir pour toi dans la pratique de la justice. Je ne veux point que
tu agisses par crainte, dit le Seigneur. Ce que tu faisais, en effet, le faisais-tu par
crainte? « De même », est-il dit, « de même que vous avez livré vos membres comme
instruments d'impureté pour l'iniquité, de
même aujourd'hui livrez vos membres comme instruments de justice pour la sanctification
». C'est la crainte qui te pousse à la justice, et c'était l'amour qui te faisait
courir à l'iniquité. Quoi de plus beau que la sagesse? je vous le demande. Elle est
digne qu'on l'aime, comme l'on aimait l'impureté. Quand tu courais à l'impureté, il y
avait une défense, et tu y courais néanmoins. Tu outrageais ton père, et tu y courais.
Tu préférais être privé de l'héritage plutôt que de rompre avec la dépravation.
Qu'en dis-tu ? La justice exige de toi tout ce que l'impureté avait chez toi. N'avez-vous
pas entendu l'Evangile : « Je ne suis point venu apporter la paix, mais le glaive (1)? »
Le Seigneur dit qu'il séparera les fils de leurs parents. Vois alors cette hache à deux
tranchants. Peut-être veux-tu servir Dieu, et un père t'en empêche ? Mais quand tu
aimais l'impureté, tu y courais malgré ton père, Maintenant c'est la justice que tu
aimes qui te l'interdit. Ici encore tu trouveras un père qui la défend. Déploie ici ta
liberté, comme tu as déployé ta passion. Tu préférais être privé de l'héritage,
plutôt que de rompre avec la dépravation ; préfère maintenant être sans héritage,
plutôt que de rompre avec les charmes de la justice. C'est grand, mais c'est juste. Qui
donc oserait nous dire: Mais l'impureté a dû être plus aimée que la justice? La
justice, toutefois, se borne pour le moment à une comparaison. Assurément, dit-elle, je
ne lui ressemble pas ; il y a un espace immense
entre les ténèbres de l'injustice et la lumière que je répands,
entré sa dépravation et ma beauté, entre sa laideur et mon éclat. Il y a tout un
monde. J'établis néanmoins une com. paraison. Telle est ma volonté. Car je dois aller
plus loin, oh ! bien plus loin. Plus je suis éloignée, plus je dois marcher. «
Mais je parle humainement », je fais une concession à cause de ce qui est humain,
pourquoi en faire en ce qui est divin ? « Je parle d'après l'humanité, à cause de
l'infirmité de votre chair ». Je dis donc, « de même », par égard pour l'humanité.
C'est pourquoi, « de même que vous avez mis vos « membres au service de l'impureté
pour l'injustice », de
même (vous devez plus faire maintenant sans aucun doute), mais marchez au moins ainsi,
arrivez à ce point, pour passer outre ensuite. En attendant, « je le dis par égard pour
l'humanité », mais faites l'un comme vous faisiez l'autre.
5. Quadratus fit-il donc ainsi? Non pas
ainsi, mais plus et beaucoup plus. Voyez ces impuretés, et voyez combien exigent de vous
davantage, et la piété, et la charité, et la splendeur de la justice, et les douceurs
de la sanctification. Voyez ce que tout cela exige en plus de vous. L'homme adonné à
l'impureté ne veut point que l'on connaisse ses fautes ; il craint de s'attirer par là
une condamnation, il craint la prison, il craint le juge, il craint le bourreau. Il
cherche à séduire l'épouse d'un autre, il trompe le mari, il cherche les ténèbres, il
redoute surtout un témoin, il craint le juge, il craint d'être connu, parce qu'il craint
le châtiment qui en peut survenir. Or, ce qu'exige de plus la beauté de la justice, et
que l'Apôtre met de côté, quand il nous dit : « Je parle d'après l'humanité à cause
de la faiblesse de votre chair » , écoutez-le dans la bouche du Seigneur : « Ce que je
vous enseigne dans les ténèbres » , c'est-à-dire dans le secret, « dites-le au grand
jour, et ce que je vous dis à l'oreille, prêchez-le sur les toits (1) ». Or,
l'adultère va-t-il prêcher son déshonneur sur les toits ? Mais pourquoi cet homme, loin
de prêcher sa faute sur les toits, cherche-t-il à la cacher sous le toit ? Pourquoi cela
? Parce que si l'amour impur a pu aller jusque-là, néanmoins il craint d'être
découvert, il craint le châtiment. Mais les
435
amants de cette invisible beauté, les amants de cette gloire, où
nous rencontrons « Celui qui surpasse en beauté les enfants des hommes (1) », les
amants de cette beauté, disons-nous, pourquoi ne craignent-ils point de prêcher sur les
toits ce qu'ils ont entendu de leurs oreilles ? Cherche ce qui fait craindre à l'un
d'être connu et châtié ; cherche aussi ce qui empêche l'autre de rien redouter. Le
Seigneur a daigné nous le dire ensuite. Après ces mots : « Ce que je vous enseigne dans
les ténèbres, dites-le à la lumière, et ce que je vous dis, prêchez-le sur les toits;
ne craignez pas » , a-t-il ajouté , « ceux qui tuent le corps (2) ». Afin d'oser
dire en plein jour ce que vous avez entendu dans les ténèbres, et de prêcher sur les
toits ce qu'ont entendu vos oreilles : « Gardez-vous de craindre ceux qui tuent le
corps ». L'adultère peut craindre ceux qui tuent le corps, car pour lui, perdre le
corps c'est perdre le siège des voluptés. Il peut craindre la perte du corps, lui qui
vit par le corps ; car c'est par le corps qu'il arrive à l'objet de ses convoitises ;
aussi nul plaisir ne peut lui suffire; il brûle de désirs, jusqu'à ce qu'il arrive aux
immondes voluptés du corps. Mais toi, ô homme de Dieu ! si ton cur a des yeux
pour te montrer la gloire de la charité, la gloire de la piété ; si ton coeur a des
yeux, vois comment tu pourras jouir de l'objet de ton amour. Pour en jouir, tu n'as nul
besoin des membres du corps. Qu'il craigne la mort ce corps qui aime les sordides
voluptés, mais « paix sur la terre aux hommes de bonne « volonté (3) » .
6. Combien tu es loin de cet amour, ô
chrétien ! Puisses-tu en venir à ce degré humain encore, de goûter le plaisir
dans le bien, comme tu le goûtais auparavant dans le mal. Si le bien a pour toi des
charmes, si la foi dans le Christ a des charmes, s'il y a des charmes pour toi à goûter
sa sagesse dans la mesure de tes capacités, si tu trouves des charmes à écouter ses
préceptes et à les accomplir , alors il est en toi déjà, ce degré humain, à cause de
ton infirmité. Déjà tu commences à goûter le don d'en haut, sans égaler encore
Quadratus. Mais, je l'ai dit, une fois arrivé là, continue, tu as encore du chemin à
faire ; ne t'arrête point ; tu as beaucoup à travailler encore. Bannis toute crainte,
et loin de toi de cacher par crainte tes bonnes uvres. Ceux qui
te blâment, qui te haïssent, que diront-ils? Te voilà un grand Apôtre tes pieds sont
suspendus au ciel. D'où viens-tu ? Et tu n'oserais répondre: de l'église, de peur qu'on
n'ajoute : Un sage comme toi ne rougit pas d'aller avec les veuves et les vieilles femmes
? La peur de la raillerie t'empêche de dire: de viens de l'église. Comment supporter la
persécution quand on redoute un sarcasme ? Et pourtant nous sommes en temps de paix; et
ce sont les persécuteurs qui doivent rougir. Ils rougissent, ces hommes sans nombre qui
sont arrivés, et ils ne rougissent point les quelques-uns qui sont demeurés païens. Où
sont arrivés les uns? où sont demeurés les autres ? Les uns sont arrivés à la
lumière de la paix , les autres sont demeurés dans les ténèbres de la confusion. Ne
rougirez-vous donc point de rougir quand il faut vous glorifier? Ils ne rougissent point
de leur honte, et vous rougissez de votre gloire ? Où est donc cette parole que vous avez
entendue: « Approchez-vous de lui , et soyez éclairés, et
la honte ne couvrira point votre visage (1) ? »
7. Si je vous ai tenu ce langage, mes
frères, c'est que je sais bien, et j'en suis attristé, que l'on redoute les langues de
ces quelques païens, qui sont loin de sévir, qui ne peuvent qu'insulter, et que c'est
là ce qui retient les curs de ceux qui voudraient croire, et les empêcher de
céder aux exhortations des chrétiens. Bornons-nous ici; que puis-je vous dire encore ?
Tu vois qu'on harcèle ce païen, pour l'empêcher d'embrasser la foi chrétienne; et toi,
chrétien,tu gardes le silence et tu prends pour beaucoup d'être épargné, c'est-à-dire
de n'être pas insulté ? Quand on détourne cet autre, tu dis en ton coeur : Grâces à
Dieu l On ne m'a rien dit. Tu fuis ; non ta chair, mais ton esprit; tu es là, et tu n'en
fuis pas moins. Tu crains que cette langue ne se tourne vers toi pour te maudire, et tu ne
viens pas en aide à celui que tu dois gagner au Christ. Tu ne lui viens pas en aide, tu
gardes le silence ; tu fuis, ai-je dit, non ta chair, mais ton esprit, tues un mercenaire,
tu fuis à la vue du loup (2). Que dirai-je de plus ? Nous venons de l'entendre tous. Que
le Seigneur nous inspire de la crainte. Qu'on le craigne, celui qu'on doit aimer. «
Quiconque n, dit-il, « me confessera devant « les hommes n. Et voyez, quand parlait-il
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ainsi ? Quand ce monde, bien loin de croire, frémissait de colère.
« Celui qui rougira de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est
au ciel. Mais celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant
mon Père qui est au ciel (1) » . Veux-tu être avoué ou désavoué par le Christ ? Tes
insulteurs seront-ils donc loin de toi, quand le Christ te désavouera? Il viendra,
puisqu'il l'a promis. Celui qui s'est montré si véridique, serait-il menteur pour le
seul jour du jugement ? Nullement. Que les païens gardent leur infidélité, ou plutôt,
qu'ils ne soient plus infidèles; vous, soyez pour eux des modèles
en confessant Jésus-Christ, et non des vaincus qui gardent le silence. S'ils voient en
effet que les plus forts d'entre les chrétiens soutiennent les plus faibles dans
l'affirmation de leur foi, par la sainte liberté de leur confession, par leur prudence à
les instruire, par leur charité à les former, ils se tairont, croyez-le bien. Car ils
n'ont plus rien à dire. Les cris ne sont rien, c'est « une cymbale retentissante
(1) », qui a cessé dans leur temple et qui n'est plus que dans leur bouche.
ANALYSE. 1. La charité surpasse tous les autres dons que
l'on pourrait avoir sans elle. 2. Prophétie sans charité en Saül et en sa
garde. 3. Prophétie sans la charité en Caïphe. 4. La foi sans la charité
chez les démons. 5. Exemple de la charité réciproque dans les membres du corps
humain. 6. Diverses dignités dans les membres, et surtout la santé qu'il faut
considérer. 7. Les Donatistes, membres malades, sont retranchés. 8.
Condamnation de Crispions, et auparavant des Donatistes dans la cause de Cécilien et de
Majorin. 9. Ces membres retranchés peuvent revenir é l'Eglise. 10. L'Eglise
répandue dans tout l'univers est catholique, vraie. 11. Le don des langues,
accordé aux premiers fidèles, signifiait que lEglise les parlerait toutes.
12. Il engage les Donatistes à opérer leur retour.
1. A ceux qui aiment la charité, il est
bon de parler de cette vertu qui fait aimer comme il convient tout ce que l'on aime. C'est
dans la charité, en effet, que se trouve la voie la plus relevée dont a parlé
l'Apôtre. On le lisait tout à l'heure, et nous l'avons entendu. « Je vous
montre », dit-il, « une voie bien plus relevée (1) ».Il énumère ensuite
plusieurs dons, des plus éclatants, et qu'on ne saurait dédaigner; et toutefois il
déclare qu'ils ne servent de rien aux hommes, s'ils n'ont la charité. Parmi ces dons il
fait mention de parler la langue des hommes et des anges, de posséder toute prophétie,
toute science, toute foi, jusqu'à
transporter les montagnes, jusqu'à distribuer tous ses biens aux
pauvres, jusqu'à livrer son corps pour être brûlé 1. Tout cela sans doute est grand,
est divin; mais à la condition d'avoir pour base la charité, de grandir sur la racine de
la charité. Qu'il y ait eu beaucoup de chrétiens pour posséder beaucoup de ces dons
sans avoir en môme temps la charité, c'est ce que je n'oserais dire, si l'exemple de
certains hommes, non pas les premiers venus, ni pris au hasard, mais choisis dans les
saintes écritures, ne nous apprenait que nul ne saurait avoir la charité, s'il n'a
d'abord la foi. Mais parmi les principaux, que nous y rencontrons,
437
c'est un grand don que la prophétie ou la foi. Que dire du reste?
S'il ne sert de rien à personne de posséder le don de prophétie, sans avoir aussi la
charité; si nul, même avec la foi, ne saurait sans la charité arriver au royaume de
Dieu, que dirons-nous du reste? Parler diverses langues, qu'est-ce que cela auprès de la
prophétie et de la foi? Qu'est-ce, auprès de la prophétie, que distribuer son bien aux
pauvres et livrer son corps pour être brûlé? Des téméraires, des hommes sans retenue,
font souvent cela. Il y a donc là deux dons, et des plus grands, et il y aurait de quoi
nous étonner si nous pouvions trouver un homme possédant le don de prophétie sans avoir
la charité, ou bien ayant la foi sans avoir aussi la charité.
2. Pour la prophétie, nous en trouvons un
exemple dans le livre des Rois (1): Saül persécutant David qui était saint. Or, dans
ces poursuites, il envoya des gardes pour le prendre et le faire mourir; et ces gardes
envoyés pour amener David au supplice, le trouvèrent parmi les Prophètes, avec qui
était aussi Samuel, ce saint enfant d'Anne, autrefois stérile, qui avait demandé au
Seigneur d'être mère, qui l'avait reçu du Seigneur, et l'avait consacré au Seigneur
dès sa naissance. Samuel était donc là en même temps que David, Samuel, ce Prophète
par excellence et qui donna à David l'onction royale. Ainsi lorsque David était
poursuivi par Saül, il chercha un asile auprès de Samuel, comme ferait aujourd'hui un
homme poursuivi au dehors, et qui chercherait un refuge dans l'église. David était donc
venu auprès de Samuel, et cet éminent Prophète n'était point seul, mais beaucoup
d'autres Prophètes étaient auprès de lui. Ce fut donc au milieu d'eux, quand ils
prophétisaient, que vinrent les envoyés de Saül pour prendre David et le mener au
supplice. L'Esprit de Dieu les saisit, et voilà qu'ils commencèrent à prophétiser, eux
qui venaient ravir par le glaive, et emmener du milieu des Prophètes le juste, le saint
de Dieu. Les voilà tout à coup pleins de l'esprit de Dieu, et devenus Prophètes.
Peut-être ceux-ci étaient-ils innocents, puisqu'ils n'étaient point venus d'eux-mêmes
pour prendre David , mais sur un ordre du roi. Peut-être venaient-ils, à la vérité,
où était David, mais sans le dessein d'exécuter les ordres de Saül. Peut-être
devaient-ils demeurer en ce lieu. Car tout cela arrive encore
aujourd'hui. Le pouvoir suprême envoie un héraut enlever un homme de l'église. Cet
envoyé n'ose agir contre Dieu, et pour ne pas encourir la peine du glaive, demeure dans
cette église, où il a été envoyé. Quelqu'un dira dans son étonnement que ces
envoyés sont tout à coup devenus Prophètes , parce qu'ils étaient innocents, et que
cette innocence est prouvée par la prophétie elle-même. Ils sont venus sur l'ordre qui
leur a été donné, mais ils n'eussent pas exécuté l'ordre injuste. Croyons-le de
ceux-ci. D'autres sont envoyés, et voilà que l'esprit de Dieu s'en empare, et ils
prophétisent à leur tour. Accordons encore à ceux-ci l'innocence comme aux premiers.
D'autres sont envoyés en troisième lieu, et il en fut de même. Tous étaient innocents.
Comme ils tardaient à venir, et que l'ordre de Saül ne s'accomplissait point, il vint
lui-même. Etait-il innocent, lui aussi? Etait-il envoyé à son
tour par quelque puissance d'en haut, et n'obéissait-il point à sa coupable volonté? Et
néanmoins il fut à son tour saisi de l'esprit de Dieu et se mit à prophétiser. Voilà
donc Saül qui a le don de prophétie, mais qui n'a pas la charité. Il a été un
instrument qu'a touché l'Esprit-Saint, mais sans le purifier.
3. Car l'Esprit-Saint touche en effet, par
le don de prophétie, certains coeurs qu'il ne purifie point. Mais les toucher sans les
purifier, n'est-ce point pour l'Esprit-Saint se souiller à son tour? Il est de la
substance divine de toucher à tout sans contracter aucune souillure. Et ne soyez point
étonnés que cette lumière qui nous vient du ciel touche à toutes les immondices
répandues çà et là, sans en être obscurcie le moins du monde. Or, il n'en est pas
seulement ainsi de la lumière qui nous vient du ciel, mais de la lumière qui vient d'une
lampe: quiconque porte cette lumière, passera parfois dans un cloaque et en sera maculé;
mais la lumière de cette lampe qu'il porte passera sur toutes sortes d'objets sans
contracter la moindre souillure. Or, si Dieu a pu donner un tel privilège à des corps
lumineux, lui qui est la lumière véritable, éternelle, inaltérable, pourra-t-il être
maculé quelque part? ou bien la lumière de Dieu peut-elle faire défaut quelque part,
quand il est dit d'elle, a qu'elle atteint d'une a extrémité à l'autre avec force, et
dispose (438) « toutes choses
avec douceur (1)
? » Elle touche donc ce qu'elle
veut, et purifie ce qu'elle veut. Sans purifier tout ce qu'elle touche, elle touche ce
qu'elle a purifié. L'Esprit de Dieu n'avait donc point purifié Saül, mais l'avait
touché dans le sens prophétique. Caïphe, prince des prêtres, persécutait le Christ,
et néanmoins il prophétisa, quand il dit : « Il vous est bon qu'un homme meure, et non
a pas que toute la nation périsse (2) ». L'Evangéliste, après nous avoir donné le mot
prophétique, poursuit: « Or, il ne dit point cela de lui-même, mais étant grand
prêtre de cette année, il prophétisa (3) ». Caïphe donc prophétisa, Saül
prophétisa. Ils avaient la prophétie, sans avoir néanmoins la charité. Avait-il en
effet la charité, ce Caïphe persécuteur du Fils de Dieu, venu parmi nous par la
charité? Avait-il la charité, ce Saül qui persécutait celui dont la vaillante main
l'avait délivré de ses ennemis, lui, non-seulement jaloux, mais ingrat ? La prophétie
peut donc se trouver chez un homme qui n'a pas la charité: nous en avons fait la preuve.
Chez ceux-là le don de prophétie ne sert de rien, selon cette parole de l'Apôtre: « Si
je n'ai point la charité, je ne suis rien (4) ». Il ne dit point: la prophétie
n'est rien, ou la foi n'est rien; mais bien: Je ne suis rien, si je n'ai la charité. Bien
qu'il ait de grands dons, et quels que soient ces dons, il n'est rien. Car ces dons
éminents qu'il possède, au lieu de le soutenir, servent pour son jugement. C'est un
avantage de n'avoir point de grands dons, mais bien user des grands dons que l'on possède
est un avantage aussi. Or, c'est n'en pas bien user, que n'avoir point la charité. Car il
n'y a que la volonté vraiment bonne qui puisse faire d'une chose un bon usage; or, il n'y
a pas de volonté vraiment bonne sans charité.
4. Que dire de la foi? Où trouver un
homme qui ait la foi sans la charité? Il en est beaucoup qui croient sans aimer. Sans
compter les hommes, il y a les démons qui croient ce que nous croyons, sans aimer ce que
nous aimons. Car l'apôtre saint Jacques blâmait ceux qui se persuadaient qu'il leur
suffit de croire, et qui refusaient de vivre régulièrement, ce qui n'est possible que
par la charité; car une vie régulière est du domaine de la charité, et .l'on ne peut
avoir la charité et mal vivre, puisque bien vivre n'est autre chose que se laisser
diriger par la charité. Quelques-uns donc se vantaient de croire en
Dieu, et ne voulaient point mener une vie régulière et conforme à la sainteté de cette
foi qu'ils avaient embrassée, et l'Apôtre les compare à des démons et s'écrie : « Tu
dis qu'il n'y a qu'un Dieu unis que, c'est bien croire; mais les démons a croient aussi
et tremblent (1) ». Si donc tu as la foi sans la charité, tu as cela de commun avec les
démons. Pierre dit: « Vous êtes le Fils de Dieu », et il lui est répondu: « Tu
es bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que la chair et le sang ne te l'ont point
révélé, mais mon Père qui est dans les cieux (2) ». Nous voyons que les démons
dirent aussi: « Qu'y a-t-il de commun entre vous et nous, ô Fils de Dieu (3) ? »
Les Apôtres donc le proclament Fils de Dieu, et les démons aussi le proclament Fils de
Dieu. La confession est égale, mais la charité inégale. Les premiers croient et aiment,
les autres croient et tremblent. L'amour attend sa récompense, la crainte son châtiment.
Nous le voyons donc, il est possible d'avoir la foi sans avoir la charité. Que nul ne se
vante de posséder quelque don dans l'Eglise, surtout s'il n'est élevé dans l'Eglise
qu'à l'occasion de ce privilège, mais qu'il considère s'il a la charité. Le même
apôtre saint Paul, qui a parlé de ces dons si divers d'en haut, qui les a énumérés
parmi les membres du Christ ou dans l'Eglise, dit que chacun a le don qui lui est propre,
et qu'il est impossible que tous aient le même don. Toutefois, nul ne demeurera sans
quelque don. L'Apôtre énumère les Prophètes, les docteurs, les interprètes, le don de
parler, le don de guérir les maladies, le don d'assistance, le don de gouvernement, le
don de parler diverses langues. Voilà ce qu'il énumère, et nous voyons que tel a cette
vertu, tel autre une autre vertu. Que nul donc ne s'afflige de n'avoir point le don qu'il
trouve dans les autres. Qu'il ait la charité, et sans rien envier à celui qui possède,
il aura ce que celui-ci possède. Tout ce qui est en effet chez mon frère, si je ne lui
porte point envie, si j'ai la charité, tout cela est à moi ; si je ne l'ai point en moi,
je l'ai en lui. Mais ce ne serait point à moi, si nous n'étions dans un même corps et
sous une même tête.
5. Que ta main droite, par exemple, qui
fait partie de ton corps, ait un anneau, sans que ta
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main gauche en ait un aussi. Est-ce que cette dernière est tout à
fait sans ornement? Vois chacune des mains, et tu verras un anneau à l'une, rien à
l'autre. Vois l'enchaînement des parties du corps, parmi lesquelles ces deux mains, et
vois que l'une, qui n'a pas d'anneau, en a un néanmoins dans celle qui l'a. Tes yeux
voient où l'on va; tes pieds vont où voient tes yeux, et néanmoins tes pieds ne
sauraient voir, ni tes yeux marcher. Mais le pied te répond: J'ai la lumière, non pas en
moi, mais dans l'il. Car l'oeil ne voit pas pour lui seul; il voit pour moi. Les
yeux disent à leur tour: Nous marchons, non par nous-mêmes, mais bien par les pieds; car
les pieds ne se portent point seuls, mais nous avec eux. Donc chacun des membres agit
selon la faculté qui lui est départie, et selon que l'esprit le dirige. Toutefois ces
membres constitués en un même corps et tenant à l'unité sans s'arroger pour chacun
d'eux ce qu'ont les autres membres, et qu'ils n'ont point, ne se regardent point comme
frustrés de ce qui est dans un même corps, et dont ils jouissent également. Enfin, mes
frères, qu'un membre du corps vienne à souffrir, quel autre membre lui refusera son
secours ? Dans l'homme, quoi de plus éloigné que le pied, et dans le pied quoi de plus
éloigné que la plante? Et dans cette plante, quoi de plus éloigné que la peau qui
foule la terre? Et toutefois cette extrémité de tout le corps tient si bien à l'unité,
que si une épine la vient meurtrir quelque part, tous les membres viennent à son secours
pour arracher, cette épine. Les jarrets se plient à l'instant, on courbe l'épine, non
pas celle qui a meurtri le pied, mais celle qui soutient notre dos ; on s'assied afin
d'arracher l'épine maudite. Mais s'asseoir pour en agir ainsi, c'est l'oeuvre de tout le
corps. Combien est rétréci l'endroit qui souffre! C'est un endroit bien étroit que
celui qu'une épine peut meurtrir, et à cette extrémité; et néanmoins tout le corps ne
dédaigne pas de soulager une souffrance dans un endroit si restreint. Les autres membres,
sans souffrir en eux-mêmes, souffrent néanmoins dans cet unique endroit. De là vient
que l'Apôtre a pris là un exemple de charité, en nous exhortant à nous aimer, les uns
les autres, de cet amour qui est entre les membres d'un même corps. « Si quelque membre
vient à souffrir », nous dit-il, « tous les autres souffrent en lui; et si un membre
reçoit de l'honneur, tous les autres se réjouissent en lui. Vous êtes le corps du
Christ et ses membres (1) ». S'il y a de l'amour entre ces membres qui ont leur chef sur
la terre, comment se doivent aimer des membres qui ont leur chef dans le ciel?
Assurément, ils ne s'aiment point eux-mêmes, s'ils sont abandonnés de leur chef. Mais
ce chef, vraiment chef, est élevé en gloire, est placé à la droite de Dieu, dans le
ciel, de manière, néanmoins, à souffrir sur la terre, non en lui-même, mais dans ses
membres, au point de dire au dernier jour: « J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'ai été
étranger » ; et quand on lui demandera: « Quand est-ce que nous vous avons vu
avoir faim ou soit? » il semblera répondre: Pour moi je suis la tête et j'étais
dans le ciel, mais sur la terre mes membres avaient soif; il ajoutera enfin: « Ce que
vous avez fait au moindre des miens, c'est à moi que vous l'avez fait (2) »; et à
ceux qui ne l'auront point soulagé: « N'avoir rien fait pour le moindre des miens, c'est
n'avoir rien fait pour moi? » Ce n'est donc que par la charité que l'on s'unit à
un tel chef.
6. Nous voyons en effet, mes frères, que
dans nos membres chacun a un office qui lui est propre: c'est à l'oeil de voir, et non
d'agir; à la main, au contraire, d'agir et non de voir; à l'oreille, d'entendre, sans
voir et sans agir; à la langue, de parler sans entendre et sans voir; et, bien que chacun
de ces membres ait son office à part, ils n'en forment pas moins un seul et même corps,
ayant quelque chose de commun à tous. Les offices sont divers, la santé est la même. La
charité sera donc pour les membres du Christ ce qu'est la santé aux membres du corps
humain: L'oeil occupe la plus haute place, l'endroit le plus éminent; il est placé à
dessein dans une citadelle, d'où il peut découvrir, voir et montrer. L'oeil a l'honneur
d'occuper un lieu plus élevé, d'être un sens plus vif, d'avoir une agilité, une
certaine force qu'on ne retrouve point dans les autres sens. Aussi la plupart des hommes
jurent-ils par leurs yeux, plutôt que par tout autre membre. Nul ne dit à un autre: Je
t'aime comme mes oreilles; quoique le sens de l'ouïe soit presque égal à celui des
yeux, et tout rapproché. Que dirai-je des autres? Chaque jour on dit: Je t'aime comme mes
yeux. Et l'apôtre saint Paul témoigne
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que nous avons pour nos yeux plus d'amour que pour les autres
membres, quand il exprime ainsi l'attachement des Églises pour lui: « Je « vous rends
ce témoignage que vous étiez « prêts à vous arracher les yeux, s'il eût été
possible, pour me les donner (1) ». Dans le corps humain donc, la place la plus
élevée, la plus honorable, est pour les yeux, et dans ce même corps, rien n'est plus
éloigné que le dernier doigt du pied. Et toutefois, dans un corps humain, un doigt qui
est sain est plus avantageux que l'il qui est chassieux et obscurci. Car, la santé
qui est commune à tous les membres du corps, est plus précieuse néanmoins quand il
s'agit de l'office de chacun. De même, tu vois dans l'Eglise un homme peu élevé, mais
qui a reçu quelque don, et qui a la charité; un autre homme est plus élevé dans
l'Eglise par un don supérieur, mais il n'a pas la charité. Que l'un soit pour nous le
dernier doigt, et l'autre l'oeil. Celui-là est plus lié au corps, qui jouit d'une santé
plus complète. Enfin ce qu'il y a de malade en un corps, est nuisible à tout autre
corps, et tous les membres s'appliquent à guérir une partie malade, et souvent y
parviennent. Mais si l'on ne peut la guérir, et qu'elle soit gangrenée au point de ne
plus guérir, on garantit les autres membres, en retranchant cette partie de l'unité du
corps.
7. Que le premier venu, que Donat, par
exemple, soit comme l'il dans le corps humain; qu'il soit donc l'il, car nous
ne savons ce qu'il a été, mais qu'il soit l'homme doué, comme son nom l'indique; de
quoi lui a servi la supériorité de l'honneur et de la gloire? 11 n'a pu conserver la
santé, parce qu'il n'avait pas la charité. Ensuite, ces membres-là sont tellement
gangrenés, qu'il a fallu de toute nécessité les retrancher, et ceux qu'ils se vantent
d'avoir gagnés sont des vers de pourriture. Ce sont des vers retranchés, et qui ne
sauraient arriver à la santé. Car un membre peut revenir à la santé, tant qu'il fait
partie du corps, sans en être retranché. Des membres sains, en effet, peut découler la
santé sur un endroit blessé. Mais qu'un membre soit retranché et souffre d'une
blessure, il n'y a plus pour lui ni canal, ni source, d'où la santé puisse arriver
jusqu'à lui. Aussi sont-ils comparés à des sarments retranchés, dans notre Evangile,
lequel est d'accord avec l'épître
de l'Apôtre. Là aussi, le Seigneur ne nous a recommandé, pour
demeurer en lui, rien de si efficace que la charité: « Pour moi », dit-il, « je
suis la vigne, vous êtes les branches, et mon Père le vigneron. Tout sarment qui
rapporte du fruit en moi, il l'émonde, afin qu'il en rapporte davantage; mais il
retranche tout ce qui ne rapporte aucun fruit en moi (1) ». Or, le fruit vient de la
charité ; car le fruit ne vient que sur la racine. Et l'Apôtre a dit « Soyez enracinés
et fondés sur la charité (2) ». La racine est donc là d'où sort tout fruit. Quiconque
en est séparé , bien qu'il paraisse y tenir, ou bien est déjà retranché secrètement,
ou bien le sera au grand jour: il ne peut donc rapporter aucun fruit. Ceux-là étaient
jadis dans l'unité, on les a retranchés; d'où retranchés? de l'unité. Mais, c'est
vous, disent-ils, qui êtes retranchés. Que faire? Moi je vous dis: Vous êtes
retranchés; vous, de votre côté, me dites: C'est vous qui êtes retranchés. Que le
Seigneur en juge. C'est donc remettre la cause, pour la porter au jugement de Dieu? Point
du tout. Bien souvent nous en agissons ainsi, quand le jugement de Dieu ne s'est point
encore manifesté. Mais quand il apparaît, saisissons-le, et nulle remise. J'ouvre les
Ecritures, et je vois qui est retranché de l'Eglise. Si l'Ecriture, en effet, rend
témoignage au parti de Donat, à quelque Eglise établie sur une certaine partie de la
terre, comme le parti de Donat est établi en Afrique, qu'ils disent que nous sommes
retranchés, qu'ils disent que ce sont eux qui sont sur la racine. Mais si l'Ecriture ne
rend témoignage qu'à l'Eglise qui est répandue par toute la terre, à quoi bon plaider
notre cause au tribunal d'un homme? Nous avons Dieu pour juge; et s'il ne siège pas sur
un tribunal, il siège dans l'Evangile.
8. Naguère on a jugé Crispinus comme
hérétique (3). Mais qu'a-t-il dit? Suis-je donc condamné par l'Evangile ? alléguant
ainsi qu'il n'est point condamné, puisque c'est le proconsul et non le Christ qui s'est
prononcé contre lui. Lui-même a importuné le proconsul, pour lui demander une sentence;
lui-même a dit : Ecoutez-moi. Je ne suis point un hérétique. Tu déclines maintenant le
jugement que tu as toi-même invoqué ? Pourquoi ?
Parce qu'il est contre toi. Qu'il soit en ta laveur, et il serait bon
; mais dès qu'il est contre toi . il est mauvais. Avant de prononcer, il était
compétent ce juge à qui tu as dit : Je ne suis point hérétique, écoutez-moi; mais,
dit-il encore, le proconsul a prononcé d'après la loi des empereurs, et non d'après les
lois de l'Evangile. Soit, que le proconsul ait jugé d'après les lois des empereurs; mais
si les empereurs ont tort de te condamner, pourquoi du proconsul en appeler aux empereurs
? Les lois des empereurs étaient-elles déjà contre toi, ou non ? Si elles n'étaient
pas contre toi, ce n'est point d'après ces lois qu'a prononcé le proconsul. Si elles
étaient contre toi, les empereurs iront-ils, pour toi, juger contre leurs lois? Mais je
te demanderai ensuite : Quelles sont ces lois des empereurs qui sont contre toi ? Que
s'est-il fait ? renseigne-moi. Il est évident, et personne ne le niera, qu'il y a contre
ces gens beaucoup de lois impériales. D'où vient cela ? Comment cela s'est-il fait ?
C'est nous peut-être qui sommes des persécuteurs et qui avons mal parlé de vous aux
empereurs. Voilà ce qu'ils racontent à ces malheureux ignorants qu'ils parviennent à
tromper. Car ils se gardent bien de dire à ces gens qu'ils veulent tromper comment s'est
plaidée leur cause. Mais, en dépit de leurs efforts, voilà qu'on la déterre, qu'on la
place au grand jour, qu'on la met sous les yeux mêmes de ceux qui les ferment et ne
veulent pas voir. Qu'on fasse la lumière devant ceux qui ferment les yeux, qui ne veulent
point voir la lumière. Qu'ils ne puissent cacher l'évidence ! Qu'ils ne se puissent
détourner de ce qui est visible , ni obscurcir ce qui est clair. Je les poursuivrai avec
la torche de la vérité. Vous avez sollicité le jugement de l'empereur. C'est faux,
disent-ils. On en lit le monument public (1). Les Donatistes du parti de Majorin, qui fut
ordonné le premier, allèrent contre Cécilien au proconsul d'alors, Anullinusl, et lui
présentèrent des pièces d'accusation contre Cécilien, alléguant qu'elles étaient
scellées dans les enveloppes, mais qu'ils avaient contre Cécilien des crimes consignés
sur l'acte d'accusation, et le suppliant d'envoyer cette accusation à l'empereur,
443
en son palais. Il existe encore, ce compte rendu du proconsul
Anullinus, écrivant à l'empereur Constantin que des hommes du parti de Majorin étaient
venus le trouver avec des pièces portant accusation contre Cécilien, le suppliant
d'envoyer ces pièces à l'empereur, et disant qu'il a fait selon leur demande. L'empereur
en écrivit à l'évêque Meltiade (1) et à Mareus, déclinant ainsi une cause
ecclésiastique et la leur envoyant. Dans ces mêmes lettres l'empereur écrit qu'il
envoie les pièces venues par Anullinus, et comme les lettres ne font point connaître les
pièces, on le sait néanmoins par la relation d'Anullinus, consignée aujourd'hui dans
les recueils publics. Ensuite Constantin écrit à Anullinus, lui enjoignant d'envoyer les
parties à Rome, au jugement du souverain Pontife. Puis, Anullinus constate qu'il a
envoyé les parties. C'est donc vous qui êtes allés à l'empereur, vous qui avez porté
au tribunal d'un homme une cause de l'Eglise. L'empereur a mieux jugé que vous. Vous
portiez devant lui une cause qu'il a déférée aux évêques. C'est donc d'après vos
accusations, que la cause a été tout d'abord plaidée devant les évêques. La sentence
a été en faveur de Cécilien. Mais eux, mécontents de cette sentence, murmurèrent et
en appelèrent une seconde fois à l'empereur; ils invoquèrent le jugement impérial
après le jugement des évêques; une seconde sentence lut rendue à Arles Q: nouvel appel
de leur part à l'empereur. Encore vaincu par leur importunité, il voulut lui-même
évoquer leur cause et en connaître. Le voilà qui siège, qui instruit la cause, qui
juge Cécilien tout à fait innocent, et qui renouvelle contre eux toutes les
prescriptions des empereurs. Quoi d'étonnant? Tu en appelles à un tribunal, puis tu oses
bien récuser la sentence ? Pourquoi vouloir lui déférer ta cause ? Ton église était
en Afrique, et non dans toute la terre ? Mais où donc allaient-ils, ceux qui déjà s'en
étaient détachés ? Ils ne tenaient déjà plus à l'Eglise, mais il y tenait, cet
empereur dont ils invoquaient le jugement. Ce fut donc par bienveillance qu'il fit juger
la cause par des évêques, puis leur succéda pour juger lui-même. Delà ces lois qui
sont contre vous; voyez si vous n'êtes point contre elles. C'est vous qui avez
442
attaqué les premiers, accusé les premiers; appelé les derniers, et
les derniers encore. murmuré. Et toutefois, est-ce donc l'Evangile qui nous a condamnés,
disent-ils? Vous êtes condamnés au tribunal que vous avez choisi.
9. Mais nous ne récusons point le
jugement de l'Évangile. Et quand notre adversaire ne le dirait point, nous lirions
l'Évangile pour en tirer des citations, des preuves. Qu'on lise l'Évangile. Mais voyons
où est l'Église, d'après Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car assurément c'est à lui
qu'il faut ouvrir et nos oreilles et nos coeurs. Écoutons-le. Qu'il nous dise où est
l'Église. S'il nous dit que son Eglise est en Afrique, nous nous rangeons tous au parti
de Donat. Mais s'il dit que l'Église est répandue dans l'univers entier, c'est aux
membres retranchés à revenir à l'unité. Car ces rameaux ne sont point coupés de
manière qu'une nouvelle insertion soit impossible. Nous avons l'apôtre saint Paul qui
nous le dit: « Ces rameaux », diras-tu, «ont été brisés pour que je fusse inséré.
Il est vrai. Mais ils ont été rompus à cause de leur incrédulité, et toi, c'est par
la foi que tu es debout. Garde-toi de t'élever, mais crains. Car si Dieu n'a pas
épargné les branches naturelles, il pourra bien ne te pas épargner (1) ». Ainsi donc
les Juifs, qui étaient comme les branches naturelles, ont été brisés, et les gentils
ont été insérés comme l'olivier sauvage sur l'olivier franc. Par ces rameaux
insérés, par cet olivier sauvage ainsi enté, nous avons tous notre part à l'olivier.
Mais selon cette menace que faisait l'Apôtre aux rameaux orgueilleux de l'olivier
sauvage, nos adversaires sont devenus tels par leur orgueil, qu'ils ont mérité à cause
de cet orgueil, d'être brisés à leur tour avec les rameaux naturels déjà retranchés.
Or, que dit l'Apôtre? « Pour eux», dit-il, « s'ils ne demeurent point dans leur
incrédulité, ils seront insérés à leur tour (2) », de même que tu seras retranché,
si tu ne demeures pas dans la foi. Que nul donc ne s'enorgueillisse dans la vigne, que nul
ne désespère, en dehors de la vigne. En t'enorgueillissant dans la vigne, crains d'en
être retranché. Que ceux qui sont en dehors de la vigne se prémunissent contre le
désespoir, qu'ils osent espérer l'insertion. Cette insertion n'est pas l'oeuvre de la
main, puisque l'Apôtre, dit : « Dieu est assez puissant pour les enter de nouveau (3)
». Qu'ils ne
disent point : Comment insérer de nouveau un rameau retranché,
brisé ? Cela est impossible, sans doute, si l'on s'en tient aux forces de l'humanité;
mais non si l'on fait appel à la Majesté divine. Quoi donc ? Ce qui a été fait par le
Seigneur, tout vigneron pourrait le faire? Il prend un olivier sauvage, et il y insère
l'olivier franc, et le sauvageon inséré sur l'olivier donne l'olive, et non des baies
amères ? Qu'un homme le fasse aujourd'hui, qu'il ente le sauvageon sur l'olivier, et il
verra qu'il n'en sortira que des baies sauvages. Dieu donc a la puissance d'enter, non
l'olivier sur le sauvageon, mais bien le sauvageon sur le franc, de faire couler dans le
sauvageon la succulence de l'olivier franc, de manière qu'il n'ait plus aucune amertume,
mais une saveur agréable, et il ne pourrait t'insérer par l'humilité, toi qui es
retranché à cause de ton orgueil ? C'est bien, dira notre homme, vous m'exhortez, mais
il faut d'abord me montrer que je suis retranché, de peur que vous n'ayez à vous
prêcher vous-même, afin de venir à moi, et non moi à me faire enter sur vous-même.
J'ose bien dire : Écoute-moi, et néanmoins cet écoute-moi, je crains de le dire, je
crains qu'il ne méprise l'homme en moi ; eh bien 1 soit, qu'il méprise l'homme. Car s'il
méprisait l'homme, il ne suivrait point le parti de Donat. Donat aussi était homme. Si
donc nous parlons de nous-mêmes , qu'il nous méprise mais si nous parlons avec le
Christ, qu'il entende celui qu'on n'entend point en vain, qu'on ne méprise point en vain.
L'écouter, en effet, c'est mériter une récompense; ne l'écouter point, c'est mériter
le supplice. Ecoutons-le donc, donnons la parole au Seigneur.
10. Il nous parle de l'Église en
plusieurs endroits ; et pourtant j'en citerai un. Après sa résurrection, vous le savez,
mes frères, il se montra à ses disciples, étala devant eux ses plaies, qu'il leur fit
toucher et non-seulement voir. Eux, néanmoins, qui le voyaient, le touchaient, le
reconnaissaient, hésitaient encore dans leur joie, comme nous l'apprend l'Evangile, qu'il
nous faut croire, qu'il est criminel de révoquer en doute. Comme donc ils hésitaient
dans leur joie, comme ils doutaient encore, le Sauveur les raffermit par les saintes
Écritures, et leur dit. « Voilà ce que je vous disais quand j'étais avec vous : c'est
qu'il faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi, dans les
Prophètes (443) et dans les psaumes. Il leur ouvrit alors l'intelligence, afin qu'ils
entendissent les Écritures, puis il leur dit: Il fallait, selon qu'il a est écrit, que
le Christ souffrît et qu'il ressuscitât le troisième jour, et qu'on prêchât a en son
nom la pénitence et la rémission des a péchés à toutes les nations, en commençant a
par Jérusalem (1) ». Tu n'es pas là, toi. Mais j'y suis, à quoi bon attendre qu'un
homme prononce à ton sujet du haut d'un tribunal? Écoute le Christ dans l'Évangile:
« Dans toutes les nations», dit-il, « en commençant par Jérusalem». Es-tu
de cette Eglise? Es-tu en communion avec toutes les nations? En communion avec cette
Eglise répandue parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem? Si tu es en
communion, tu es avec elle, dans la vigne, et non retranché. LEglise du Christ, en
effet, n'est autre que cette vigne qui a pris de laccroissement, qui a rempli toute
la terre; c'est le corps du Christ, dont la tête est au ciel. Mais si tu communiques
seulement avec les Africains, et si de l'Afrique tu ne saurais envoyer qu'à la dérobée
consoler quelques étrangers, ne vois-tu point que tu es seulement dans la partie, et en
dehors du tout? Qu'as-tu dit au jugement du proconsul? Je suis catholique. Telle est en
effet sa parole. On la trouve dans les Actes. Catholique, sois dans le tout. « Holon
», en effet, signifie tout, et l'Église a été surnommée Catholique, parce qu'elle est
partout. Est-ce bien Catamérique, son nom, et pas Catholique? « Meros » veut dire,
en effet, partie, et « Holon » le tout. Catholique vient du grec et signifie
totalité. Te voilà donc en communion avec l'univers? Non, répond-il. Donc tu es dans la
partie, et dès lors comment seras-tu catholique? Il y a bien de la différence entre le
tout et la partie. D'où vient à l'Église le surnom de Catholique? Tu as reçu ton nom
du parti de Donat, elle se nomme catholique, de toutes les parties de la terre. Mais c'est
nous qui nous disons dans toutes les contrées de la terre, et peut-être Dieu ne le
dit-il pas? Nous en avons appelé à l'Évangile, et cité ce passage de l'Évangile
« Dans toutes les nations », dit-il, « en commençant par Jérusalem ».
N'est-ce pas de là que l'Évangile est venu en Afrique? S'il commence par Jérusalem, il
est venu jusqu'à toi, en remplissant toute la terre, non en se desséchant
quelque part. Qui donc viendra nous dire: On a conduit le ruisseau de
manière à l'amener à moi, mais il s'est desséché en chemin et m'est arrivé. S'il
s'est desséché sur la voie, par où a-t-il pu arriver à toi? Il n'est arrivé jusqu'à
toi qu'en remplissant toute la terre. Canal ingrat, pourquoi blasphémer contre la source?
Si elle ne coulait, tu ne serais pas rempli. Mais je crains pour toi le desséchement. Car
tout canal séparé de la source tarit nécessairement. Ils parlent contre l'Église avec
une désolante sécheresse: ils auraient des paroles de douceur, s'ils étaient arrosés
par elle. Je suis catholique, qu'est-ce qu'un catholique? Un homme de Numidie? Interroge
au moins les Grecs; car le mot catholique n'est point de langue punique, c'est un mot
grec. Cherche un interprète. Il est bien juste que tu sois dans une erreur de langage,
quand tu es en désaccord avec toutes les langues.
11. Quand l'Esprit-Saint vint du ciel, et
remplit ceux qui croyaient en Jésus-Christ, ils parlèrent toutes les langues, et parler
toutes les langues, c'était alors le signe que l'on avait reçu l'Esprit-Saint (1). Mais,
aujourd'hui, l'Esprit-Saint n'est-il donc plus donné? Gardons-nous de le croire,
autrement nous n'aurions plus l'espérance. Nos adversaires avouent, en effet, que
l'Esprit-Saint est donné aux fidèles; or, nous le disons aussi, nous le croyons, nous
disons surtout que cela n'a lieu que dans l'Église catholique. Que nos adversaires soient
catholiques, et l'Esprit-Saint est donné chez eux; que nous soyons catholiques, et c'est
chez nous qu'est donné l'Esprit-Saint. Pour le moment, ne cherchons point quelle est la
différence et quels sont les catholiques; il est évident que le Saint-Esprit est donné.
Pourquoi tous ceux qui ont reçu l'Esprit-Saint ne parlent-ils point toutes les langues,
si ce n'est parce que dans ce moment était figuré dans quelques-uns ce qui devait plus
tard apparaître dans tous? Que voulut prédire l'Esprit-Saint, en touchant les coeurs de
ceux quil remplissait, et en leur apprenant toutes les langues? A peine un homme
apprend-il deux langues, ou trois, quatre tout au plus, soit par des maîtres, soit en se
familiarisant avec le pays qu'il parcourt. Mais ceux qui reçurent l'Esprit-Saint les
parlaient toutes, et tout à coup, sans les avoir apprises peu à peu. Que voulait donc
nous
444
enseigner l'Esprit-Saint? Dis-moi, pourquoi ne le fait-il plus
maintenant, sinon parce qu'il y avait là une figure? Quelle était cette figure, sinon
que l'Evangile serait prêché en toutes les langues? J'ose l'affirmer. Et voilà que
maintenant on le prêche en toute langue. C'est en toute langue que l'Evangile se fait
entendre, et ce que je .disais tout à l'heure des membres, je le dis maintenant des
langues. Et de même que l'oeil dit: Le pied marche pour moi; que le pied dit à son tour
L'oeil voit pour moi; de même je dis maintenant: La langue grecque est la mienne, la
langue hébraïque est la mienne, la langue syriaque est la mienne. Car tous n'ont qu'une
même foi, tous sont dans les liens de la même charité. Ce que le Seigneur a démontré,
les Prophètes l'avaient prédit: «Leur voix a retenti dans toute la terre, et leurs
paroles jusqu'aux extrémités du monde (1) ». Ainsi l'Eglise a grandi, au point
d'être appelée catholique, de l'univers entier. Et voyez que toutes les langues ont
parcouru toutes les terres. « Il n'est point d'idiome, point de langage dans lequel on
n'entende cette voix (2) ».
12. Je suis donc dans cette Eglise, et toi
tu n'y es pas. Si donc tu en es retranché, vois d'où tu es retranché; reviens pour
être inséré de nouveau, de peur que tu ne viennes à dessécher pour être jeté au
feu. Ce sont les Prophètes, ce sont les Apôtres, c'est le Seigneur qui vous parle de
l'Eglise répandue dans toute la terre. Tous portent ce jugement qui te condamne. Du
proconsul, on va au tribunal de l'empereur; mais de l'Evangile, à qui en appeler? A
Donat? Donat jugera à l'encontre du Christ? Que t'enseignera Donat ? J'ai mon Christ que
j'ai prêché en Afrique. Que t'enseignera-t-il? Dira-t-il: Je me suis exposé pour le
Christ, et : j'ai succédé au Christ? Tel est son unique parti : dire qu'il a osé
retrancher des hommes du corps de l'Eglise, parce qu'il a succédé au Christ. Telle est
la sentence da Christ, ainsi disent les Evangiles. « Dans toutes les nations », dit
le Seigneur, «en commençant
par Jérusalem ». C'est donc par Jérusalem que l'Evangile a
commencé; c'est là qu'est descendu le Saint-Esprit, là qu'étaient les Apôtres quand
il est descendu sur eux, là que l'Evangile a commencé à être prêché pour passer de
là en Afrique. Où donc est-il allé ensuite? Les aurait-il abandonnés? Il ne les a
point abandonnés, s'ils ne le veulent point. Car nous aussi, nous sommes de l'Afrique. Et
l'Evangile venu en Afrique est demeuré parmi les catholiques africains, comme il demeure
chez toutes les nations. Parmi toutes les nations, en effet, il y a des hérétiques, les
uns ici, les autres là, et ceux des autres nations ne sont point nés en Afrique. Ils ont
été retranchés de la vigne, car la vigne catholique les connaît tous, tandis
qu'eux-mêmes ne se connaissent point. Elle connaît les sarments, cette vigne d'où ils
ont été retranchés; elle les connaît tous, et ceux qui demeurent en elle, et ceux qui
en sont retranchés, puisque l'Eglise catholique est répandue partout. Ces sarments sont
demeurés à l'endroit même où ils ont été retranchés, ils n'ont pu se disperser çà
et là dans le monde; au lieu que cette vigne répandue partout alimente partout ses
rameaux, et partout pleure ceux qui sont retranchés. Elle crie à tous de revenir, afin
qu'on les insère de nouveau. Son appel n'est point toujours entendu, et toutefois les
mamelles de sa charité ne se fatiguent point à épancher le lait de l'exhortation. Elle
est dans l'anxiété pour ceux qui sont retranchés; en Afrique, elle crie vers les
Donatistes; en Orient, vers les Ariens, vers les Photiniens, vers les autres, et ces
autres encore. Répandue en effet partout, elle trouve partout à rappeler en elle ceux
qui étaient ses branches et qui sont retranchés. Ce sont des sarments qui ont commencé
par devenir stériles et qu'on a dû séparer. S'ils ne s'obstinent point dans
l'infidélité, ils seront insérés de nouveau. Voilà, mes frères, ce qu'il nous faut
écouter avec crainte, et sans orgueil; avec charité, afin de prier pour eux.
Adressons-nous au Seigneur, etc.
ANALYSE. 1. Du souci d'avancer chaque jour, et pour cela
d'implorer le secours divin. 2. Lusage de la langue aussi nécessaire que
dangereux. 3. La langue est dirigée par l'esprit. 4. La langue trompeuse des
Juifs couverte de confusion. 5. Le bon usage de la langue chez une femme
adultère. 6. La confession de la femme adultère est une instruction pour
nous. 7. Comment agir avec celui qui nous insulte. 8. Il faut pardonner à
ceux qui nous injurient et prier pour eux. 9. Quelle est la fin de l'homme.
10. La fin de l'homme c'est le Christ. 11.
C'est par la foi et par les oeuvres que l'on peut y atteindre. 12. Quel est le but
des tentations et comment nous y comporter. 13. Récapitulation.
1. C'est un devoir pour les chrétiens, de
s'avancer chaque jour vers Dieu, de concevoir une sainte joie de Dieu et de ses dons. Car
le temps de notre pèlerinage est très-court, et notre patrie ne connaît point le temps.
Il y a, en effet, une grande distance entre le temps et l'éternité. C'est ici que la
piété s'enquiert, là qu'elle repose. De là, pour nous, comme pour de bons négociants,
la nécessité de connaître le gain de chaque jour. Car notre sollicitude ne doit pas se
borner à écouter, mais il faut agir aussi. Dans cette école, où Dieu seul est maître,
il faut de bons disciples, non d'un moment, mais vraiment studieux. L'Apôtre dit: « Ne
soyez point paresseux dans ce qui est du devoir, mais fervents en esprit, joyeux par
l'espérance (1) ». Dans cette école donc, nous apprenons chaque jour. Nous nous
instruisons dans les préceptes, dans les exemples, et dans les sacrements; cartels sont
les remèdes à nos blessures, les stimulants à nos études. Nous répondions tout à
l'heure : « Exaucez, ô mon Dieu, mes supplications et mes prières ». Inaurire,
c'est-à-dire: « Recevez mes larmes dans votre oreille (2) ». Que penses-tu que doive
demander le Prophète quand il désire que Dieu lui soit propice? Que demandera-t-il à
Dieu? Voyons, écoutons. Peut-être les richesses ou quelque jouissance de cette vie?
Qu'il nous dise ce qu'il va
demander quand il fait à Dieu cette supplication. Il a vu, en effet,
qu'il ne saurait avoir de lui-même, et qu'il peut avoir par Dieu. Il a entendu cette
parole: «Demandez et vous recevrez (1) » . Il savait donc ce qu'il devait demander
, puisqu'il suppliait Dieu. Donc « Exaucez ma prière, ô mon Dieu ». Et comme si on lui
demandait: Que veux-tu, pourquoi frapper, pourquoi crier, pourquoi en appeler à Dieu ?
J'écouterai. Que veux-tu ? Qu'est-ce que je veux? répond-il. Ecoutez ma résolution et
perfectionnez vos oeuvres. Quelle est ma résolution ? « J'ai dit : Je veillerai sur mes
voies, afin que je ne pèche pas avec ma langue (2)». Ce qu'il se propose est difficile,
mais il n'hésite pas, parce que tout d'abord il invoque le Seigneur. Il connaissait cette
doctrine de saint Paul: « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi (3) ».
2. Donc: « J'ai dit: je veillerai sur mes
Voies». Quelles voies? Les voies de la terre. Est-ce que nous marchons sur la terre, au
moyen de la langue? Sur la terre, où nous nous servons de nos pieds, ou des pieds des
autres. Car les animaux nous transportent, ou nous allons sur nos pieds. Que signifie donc
cette parole, et quelle voie cherche le Prophète ? Il ne veut point pécher, par la
langue. C'est là, mes frères, un grand enseignement. De même que, dans une seule
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heure, nous pouvons manger et nous reposer, nous est-il aussi facile
de parler et de nous taire dans l'espace d'un instant? Comme nous avons des yeux pour
voir, des oreilles pour entendre, et les autres sens pour recevoir des impressions, nous
avons aussi la langue pour parler. Et nous avons un grand besoin de la langue. Il nous
faut écouter pour répondre, ou parler pour enseigner. Est-ce au moyen de loeil que
nous parlons, et non de la langue? Et si c'est l'oreille qui entend, c'est la langue qui
doit répondre. Que faisons-nous d'un membre si utile? Nous prions Dieu, nous réparons
nos offenses, nous chantons les louanges de Dieu, nous le célébrons d'une voix unanime,
et chaque jour nous exerçons la miséricorde, en parlant aux autres, ou en donnant des
conseils. Que faisons-nous maintenant? Notre langue nous prête son ministère auprès de
vous. Que faisons-nous pour ne point pécher par la langue, surtout qu'il est dit: « La
mort et la vie sont au pouvoir de la langue (1)? » et encore : « J'en ai vu
beaucoup tomber par le glaive, mais en moins grand nombre que ceux qui sont tombés par la
langue (2) » ; et encore: « Et la langue est un de nos membres qui infecte tout le
corps (3)». Enfin le même Seigneur nous dit aussi: « Ils ont appris à leur langue à
dire le mensonge (4) ». Ils ont enseigné. C'est en effet l'habitude qui fait dire
le mensonge : elle dit le mensonge en quelque sorte malgré nous. Voyez une roue, si vous
lui imprimez un premier mouvement, dès que vous la poussez de la main, sa configuration,
sa rondeur la fait mouvoir en quelque sorte dans son instabilité, dans son mouvement
naturel; il en est de même de notre langue: il n'est pas besoin qu'on lui apprenne à
dire le mensonge: elle va spontanément à ce qui la fait mouvoir avec plus de facilité.
Autre est votre pensée, et autre parfois ce qu'elle dit par habitude. Que faire alors,
mes frères? Vous le voyez, assurément, quel balancier ne faut-il pas établir dans le
coeur, pour que la langue émette quelque chose au dehors ! Car elle ne se meut point
d'elle-même, c'est le coeur qui la met en mouvement.
3. Il est en effet une force qui donne
l'impulsion et à elle-même et à tout ce qui dépend d'elle. Or, que celui qui dirige
soit bon et, avec
le secours de la grâce, il surmontera toute habitude perverse. Que
le ministre soit bon, et le ministère se calme. Un soldat a bien des armes, elles ne
servent de rien s'il n'en frappe. De même notre langue est parmi nos membres une arme
pour l'âme. C'est d'elle qu'il est dit: « C'est un mal sans repos (1) ». Oh oui, sans repos. Qui a fait ce mal, sinon celui qui
est sans repos ? Pour toi, ne sois pas sans repos, et ce mal cessera. Garde-toi de
l'agiter, et rien ne s'agitera. Car ce n'est point l'esprit qui a besoin d'être mis en
mouvement, mais le corps qui est inerte. Ne l'agite pas, et il est sans mouvement. Or,
vois comme c'est toi qui agites cette langue. C'est d'elle que beaucoup d'hommes se
servent pour la fraude, dans le culte de l'avarice, et quand il s'agit d'une affaire, ils
oublient que ce membre est. créé pour la louange de Dieu, et s'en servent pour
blasphémer le Seigneur et dire: Par le Christ ! j'ai acheté tant, je vends tant.
Quand je t'ai dit: Donne-moi ta parole, quel est ton dernier prix? Je t'ai bien demandé
ton dernier prix. Dix pièces, vingt pièces d'argent. Jures-tu par le Christ? Jure par
tes yeux, jure par tes enfants, ta conscience en est à l'instant troublée. O langue
impie ! Tu méprises le Créateur, pour épargner la créature. « O mal inquiet, ô
langue pleine d'un venin mortel ! C'est par elle que nous bénissons Dieu, notre
Père ». Notre Dieu par sa nature, notre Père par sa grâce. « Et par elle nous
maudissons l'homme qui a été créé à l'image de Dieu (2) ». Voyez, mes frères,
ce que vous portez; oui, dis-je, voilà ce que nous portons, car moi je suis homme comme
vous. Mais reprenons...
4. « Ecoutez ma prière, ô mon
Dieu ». C'est de là que viennent ces Juifs dont il était question tout à l'heure
dans l'Evangile. Leur langue les conduisit à la mort. Nous l'avons entendu tout à
l'heure, en effet. Ces Juifs, dit l'Evangile, amenèrent au Seigneur une femme de mauvaise
vie, et lui dirent pour le tenter: « Maître, nous avons surpris cette femme en adultère
(3) ». Or, il est écrit dans la loi de Moïse que toute femme surprise en adultère doit
être lapidée. « Vous donc, que dites-vous? » Voilà ce que disait la langue, mais sans
le connaître comme Créateur. Ils étaient loin, ces hommes, de prier et de dire: «
Délivrez mon âme des fourberies de la langue (4) ». Car ils ne venaient que par
fourberie,
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et n'avaient d'autre dessein. Or, le Seigneur était venu, «non pour
détruire la a loi, mais pour l'accomplir (1) » et pardonner les péchés. Les Juifs donc
se disaient entre eux: S'il dit: Qu'elle soit lapidée ! nous lui répondrons: Où est
donc le pardon des péchés? N'est-ce point vous qui dites: « Vos péchés vous sont
pardonnés (2)?» S'il dit : Qu'on la renvoie ! nous répondrons: Comment se fait-il
que vous soyez venu pour accomplir la loi, non pour la détruire? Voyez la langue fourbe
en face de Dieu. Celui qui était venu pour racheter et non pour condamner (car il était
venu racheter ce qui avait péri (3)) se détourna d'eux comme pour n'y point arrêter ses
regards. Cette aversion du Sauveur pour ces fourbes ne manque pas d'un certain sens, et
l'on y peut découvrir quelque chose. Le Sauveur semble dire: Vous m'amenez une
pécheresse, vous pécheurs ! Si vous croyez que je doive condamner les pécheurs,
c'est par vous que je commence. Or lui, qui était venu pour remettre les péchés, leur
dit: « Que celui d'entre vous qui se croit sans péché, lui jette la première pierre
(4) ». Admirable réponse, ou plutôt admirable proposition ! S'ils commencent à
lapider la pécheresse, à l'instant il leur dira: « On portera contre vous le jugement
que vous aurez porté (5) ». Vous avez condamné, vous serez condamnés. Pour eux,
néanmoins, bien qu'ils ne reconnussent pas en lui le Créateur, ils connaissaient leur
propre conscience. Dès lors, se tournant le dos mutuellement, afin de ne pas se voir l'un
l'autre à cause de leur honte, ils se retirèrent; c'est là ce que dit l'Evangile,
depuis les plus anciens jusqu'aux plus jeunes. L'Esprit-Saint avait dit: « Tous se sont
égarés, tous sont devenus incapables; ils n'en est pas un qui fasse le bien, pas un seul
(6) ».
5. Tous donc se retirèrent. Il ne resta
que Jésus et la pécheresse, que le Créateur et la créature, que la misère et la
miséricorde, que celle qui connaissait son péché et Celui qui remettait le péché. Car
voilà ce que signifiait son action d'écrire sur la terre. Le Sauveur écrivait en effet
sur la terre, dit l'Evangile; or, quand l'homme pécha, il lui fut dit: Tu es terre (7).
Et quand le Seigneur accordait à la pécheresse son pardon, il le lui accordait en
écrivant sur la terre. Il accordait donc le pardon, et en accordant
ce pardon, levant les yeux vers la pécheresse : « Personne ne vous a-t-il condamnée,
lui dit-il? » Et cette femme ne dit point: Pourquoi me condamner? Qu'ai-je fait,
Seigneur? Suis-je donc une coupable? Elle ne dit point ainsi; mais seulement: « Personne,
Seigneur ! » C'est là s'accuser. Parce que les Juifs ne purent prouver, ils se
retirèrent. Mais elle avoua, cette femme dont le Seigneur connaissait la faute, et
cherchait la foi et l'aveu. « Personne ne vous a-t-il condamnée ? » Personne,
Seigneur ! Personne est ici pour l'aveu du péché, et Seigneur, pour le pardon de
ses fautes. « Personne, Seigneur (1) » Je connais tout à la fois, et qui vous êtes, et
qui je suis. Je vous le confesse; car j'ai entendu cette parole: « Confessez au Seigneur,
parce qu'il est bon (2) ». Je connais ma confession, et je connais votre miséricorde.
Elle s'est dit: « Je veillerai sur mes voies, afin de ne point pécher par la langue ».
Pour eux, ils ont péché en faisant la fourberie; et, pour elle, son aveu lui a valu son
pardon. « Personne ne vous a-t-il condamnée ? Personne », répondit-elle. Et Jésus
écrivit une seconde fois en silence. Il écrivit deux fois. Comprenons cette figure. Il
écrivit deux fois: une
première fois en accordant le pardon; et une seconde fois, en renouvelant le précepte.
Voilà ce qui se renouvelle quand le pardon nous est accordé. L'empereur a souscrit. Puis
vient une seconde formule, comme si l'on nous enjoignait d'autres préceptes. Ce sont les
mêmes qui nous prescrivent la charité, comme nous l'avons vu dans l'Apôtre (2). Car
nous avons d'abord entendu cette lecture; puis le Seigneur nous a dit lui-même: « Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces,
et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux préceptes renferment la loi et les
Prophètes (3)».
6. Pour ne point donner à chercher, il y
a là deux paroles : Dieu et le prochain ; Celui qui t'a créé, et celui qu'il t'a donné
pour compagnon. Nul ne t'a dit : Aime le soleil, aime la lune, aime la terre, et tout ce
qui a été fait; mais on doit louer Dieu dans toutes
448
ces oeuvres, on doit en bénir l'auteur. « Combien vos oeuvres sont
admirables ! » disons
nous. « Vous
avez tout fait dans votre sagesse (1) ». Tout cela est à vous, car tout est votre
ouvrage. Grâces vous en soient rendues ! Mais vous nous avez créés au-dessus de
tout cela. Grâces vous en soient rendues ! Nous sommes votre image et votre
ressemblance. Grâces vous en soient rendues ! Nous avons péché, et vous nous avez
recherchés. Grâces vous en soient rendues ! Nous vous avons négligés, sans être
négligés de vous. Grâces vous en soient rendues ! Nous vous avons méprisé sans être
méprisé de vous. De peur que l'homme n'en vînt à oublier votre divinité et à vous
perdre, vous avez daigné revêtir notre humanité. Grâces vous en soient rendues !
Où n'est-il point de grâces à vous rendre? « J'ai dit, dès lors: Je garderai mes
voies, pour ne point pécher par ma langue ». Cette femme que l'on présente au
Sauveur, pour cause d'adultère, reçut son pardon et fut délivrée, et des chrétiens
trouveront onéreux que tous reçoivent le pardon de leurs péchés par le baptême, par
la confession, par la grâce? Qu'on ne vienne pas nous dire : Cette femme reçut son
pardon, et moi je suis encore catéchumène. A moi l'adultère, puisque j'en recevrai le
pardon. Faites que je sois seul comme cette femme qui avoua sa faute et fut délivrée.
Notre Dieu est bon, et s'il m'arrive de tomber dans le péché, je lui confesserai ma
faute et en obtiendrai le pardon. Tu fais attention à sa bonté, mais considère sa
justice. De même que la bonté l'incline au pardon, la justice l'incline au châtiment.
« J'ai dit : Je veillerai sur mes voies, pour ne point pécher par ma langue ». Je
voudrais bien savoir s'il n'est personne pour pécher par sa langue, dans l'instant même
où nous prêchons votre charité. Depuis que nous sommes ici, nul sans doute n'a dit
aucun mal, mais peut-être a-t-il pensé au mal. Ecoutez alors: « J'ai dit : Je
garderai mes voies, afin de ne point pécher par ma langue ». Dis en toute vérité
: «J'ai mis un frein à ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi (2) ».
7. Ecoutez : « J'ai mis un frein à
ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi ». Voilà qu'un méchant
s'élève contre toi, t'accablant d'injures, te reprochant même
ce que tu ignores. Mets alors un frein à ta bouche. « J'ai dit: Je
garderai mes voies, pour ne point pécher par ma langue ». Laisse-le dire; entends et
tais-toi. De deux choses l'une, ou ce qu'il dit est vrai, ou bien cela est faux. S'il dit
vrai, tu lui as donné occasion de parler, et c'est peut-être un acte de miséricorde.
Comme tu ne veux pas entendre ce que tu as fait, Dieu, qui prend soin de toi, te le dit
par un autre, afin que la confusion qui va te couvrir te force à recourir au remède.
Garde-toi donc de lui rendre le mal pour le mal, puisque tu ne sais qui te parle ainsi par
sa bouche. Si donc il te reproche ce que tu as réellement fait, reconnais que tu as
obtenu miséricorde ; car ou tu avais oublié ta faute, ou tu dois penser que ces injures
sont pour ta confusion. Si tu n'es point coupable, ta conscience est libre. Pourquoi
t'inquiéter, pourquoi t'irriter de ce que tu n'as point fait? Qu'a dit, en effet, ton
adversaire? Voleur ! Ivrogne ! Cherche à l'instant dans les replis de ta
conscience. Examine-toi intérieurement. Sois pour toi un juge, un examinateur sévère.
C'est là qu'il te faut chercher. Où penses-tu que sont placés les péchés que j'ai
commis? Si tu n'en as point, dis : Je n'en ai point. Si ta conscience répond : Je n'en ai
point, dis alors : « Telle est notre gloire, le témoignage de notre conscience
(1) ». Or, ta conscience t'a dit: Tais-toi et plains celui qui t'injurie. Dis encore
au Seigneur : Mon Père, pardonnez-lui, car il ne sait ce qu'il dit. Prie Dieu pour lui.
« J'ai dit : Je garderai mes voies pour ne point pécher par ma langue. J'ai mis une
garde à ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi ». Loin de toi de croire
que l'on te prendra pour un saint, parce que nul ne te met à l'épreuve; mais tu es un
saint, quand les injures ne t'émeuvent point, quand tu plains celui qui t'injurie, quand,
sans t'arrêter à ce que tu souffres, tu plains celui qui te fait souffrir. Voilà toute
la miséricorde. Tu plains cet homme, parce qu'il est ton frère, un de tes membres. Il
s'emporte follement contre toi, c'est un homme en délire, un malade. Tu dois le plaindre,
sans t'en réjouir aucunement; n'aie d'autre joie que dans la sincérité de ta
conscience, mais lui, tu dois le plaindre. Tu es homme; vois à n'être point tenté, toi
aussi. Car il est dit : « Portez mutuellement (1)
450
vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ (1)
». Maintenant qu'il crie, tais-toi; plus tard, quand il s'apaisera, dis-lui : Mon frère,
par ton salut, pourquoi me reprocher ce que je n'ai point fait? Tu m'as offensé, et
néanmoins je prie Dieu pour toi. Je te pardonne en invoquant pour toi mon Dieu que tu as
offensé par tes injures contre moi. N'en dis point davantage, préserve-toi de l'orgueil!
Je ne dis point : Vengez-moi, mon Dieu, de celui qui m'a reproché ce que je n'ai point
fait. Je ne veux point tenir ce langage. « J'ai mis une garde à ma bouche, quand le
pécheur s'élevait contre moi ».
8. « Je suis demeuré sourd et
humilié », dit ensuite le Prophète, « je me suis tu sur le bien (2) ». « Je
suis demeuré sourd ». Je n'ai point écouté ses clameurs. Quel progrès dans cet homme
qui tonnait l'erreur de son frère, mais qui, fort de la joie de sa conscience, n'entend
même pas que l'on aboie contre lui ! Quelle âme ! quelle sécurité !
quelle joie ! C'est elle qui dit à Dieu : « Je marchais dans l'innocence de mon
coeur, au milieu de votre maison (3) ». Les voleurs en battaient les portes, mais la
maison résistait. « Je suis donc demeuré sourd et humilié
», sans aucun orgueil en face de mon adversaire; « et dans mon humilité, je me suis tu
sur le bien »; car ce n'était point le moment pour moi de parler du bien. Ton seul parti
alors, c'est le silence; et quand il sera revenu à la vérité, tu pourras parler, il te
comprendra. Quelquefois, dans le délire d'une maladie, des enfants ont frappé leurs
parents, et en face de cette maladie, les parents essuyaient ces injures et pleuraient. De
quelle tendresse des parents n'environnent-ils point leurs enfants contre la mort, et
n'appellent-ils point leur santé ! Mais, diras-tu, mon adversaire n'est point mon
fils ! Il est toutefois l'oeuvre de Dieu, l'image de Dieu, le fils de Dieu. Si tu le
dédaignes, parce qu'il n'est point ton fils, ne dédaignes en lui ni le fils de Dieu, ni
ton frère. « Donc, je suis demeuré sourd et humilié ». Je ne me suis point livré à
l'orgueil, mais « je me suis tu sur le bien, et ma douleur en a été renouvelée », non
à mon sujet, mais au sujet de celui qui m'a reproché ce que je n'ai point fait. J'ai
souffert, mais souffert parce qu'il a parlé de la sorte.
Car c'est ma sollicitude pour mon frère qui a attisé ma douleur.
Telle est la voie, car c'est ainsi qu'en agit le Seigneur notre Père, qui est appelé
aussi l'Epoux. « Les fils de l'Epoux ne jeûneront point tant que l'Epoux est avec eux
(1) », est-il dit. Il a donc souffert de la part de ses enfants en délire, ces
frénétiques l'ont mis à mort. Il a prié pour eux. Plus tard, ils sont revenus à la
vérité, l'ont reconnu, ont cru en lui, et ceux qui n'avaient pas voulu être guéris par
le médecin se sont laissé guérir par le disciple du médecin; car ce fut Pierre qui les
guérit. Comme Pierre, en effet, leur reprochait leur crime, « que ferons-nous? »
dirent-ils. Et Pierre: «Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de
Jésus-Christ Notre-Seigneur (2) ». Les voilà furieux, puis les voilà fidèles. Voyez
ce que produit la maladie d'abord, la santé ensuite. Pendant leur maladie, Dieu les
tolère; quand ils sont guéris, ils sont rachetés. De là pour nous, mes frères, la
nécessité de garder le silence, quand nous souffrons les mêmes injustices, afin de ne
point nous départir de ceci : Ou il dit vrai, ou il dit faux. Quand il ne le dirait
point, si je l'ai fait, qu'arrivera-t-il ?Et dès lorsqu'il se tait, et que je suis
coupable, il faut désirer qu'il le publie, afin que, coupable, je sois couvert de
confusion. Mais s'il publie ce que je n'ai point fait, je dois me réjouir de ma
sécurité et m'affliger de la faiblesse de mon frère. « Mon coeur s'est échauffé en
moi-même (3)», mon coeur a tressailli pour mon frère d'une effervescence d'amour; mais
je n'ai pu faire naître le temps de parler. De là ce mot de saint Paul: « Je n'ai pu
vous parler comme à « des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels (4) ».
Et néanmoins, il a parlé. Quel a été son langage? « Mon cur s'est échauffé en
moi-même, un feu m'embrase dans ma méditation ». C'est le feu de la charité qui est en
moi, et je n'ai personne à qui je puisse parler, tant ils sont faibles. Je m'humilierai
donc, et un temps viendra sans doute où je pourrai parler. Toutefois, « remettez-nous
nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent (5) ». Je lui pardonnerai,
parce que rien ne pèse sur ma conscience. C'est peu que rien ne pèse sur ma conscience,
mais je
450
prierai pour lui, à cause de ma conscience.
9. Le Prophète avait dit : « J'ai dit :
Je garderai mes voies, afin de ne point pécher en ma langue : J'ai mis un frein à ma
bouche, et je me suis humilié »; puis : « Un feu s'est embrasé dans ma
méditation ». Je ne sais maintenant ce qui tout à coup se produit de plus grand,
et après tant de combats et des luttes si violentes, écoutez ce qu'il dit : « J'ai a
parlé dans ma langue (1) ». Or, la langue est pour l'âme le mouvement de la
volonté. De même, en effet, que la langue a son mouvement dans le corps, de même la
volonté est un mouvement dans l'âme. Tel est le langage primitif, c'est par là que l'on
parle à Dieu. La langue du corps a son mouvement pour les hommes placés au dehors ; mais
le langage qui consiste dans le mouvement de la volonté, n'a de mouvement que pour celui
qui demeure dans son temple intérieur. Cest là le véritable langage. De là vient
que le Seigneur a dit de ceux qui l'adorent, « qu'ils doivent l'adorer en esprit et en
vérité (2) ». Tel est donc le véritable langage. « J'ai dit dans ma langue
: Seigneur, faites-moi connaître ma fin et quel est le nombre de mes jours, afin que je
sache ce qui me fait défaut (3) ». Avec un peu d'attention, votre sainteté doit
comprendre cette pensée, et le Seigneur, dans sa miséricorde dont nous faisons
journellement l'expérience, nous donnera par nos prières de pouvoir vous l'exposer, ce
qui est assez difficile. « J'ai parlé en ma langue : Seigneur, faites-moi connaître ma
fin et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui me fait défaut ».
Voyez ce qu'il demande : « Seigneur, faites-moi connaître quelle est ma fin ».
Notre fin, mes frères, c'est le but auquel nous tendons et où nous devons demeurer. En
sortant de nos maisons, notre fin était de venir à l'église. Donc notre voyage est à
sa fin. De là pour chacun une fin nouvelle, qui est de retourner à la maison. C'est là
la fin, là qu'il tendait. Donc, dans le pèlerinage de cette vie, nous avons une fin vers
laquelle nous tendons. Où tendons-nous dès lors ?Vers la patrie. Quelle est notre
patrie? Jérusalem, la mère de ceux qui sont pieux, la mère des vivants. C'est là que
nous tendons ; telle est notre fin. Et comme nous n'en connaissions pas la voie, le
maître de cette cité s'en est fait la voie. Nous ne
savions où aller. Des circuits hérissés d'épines et de rochers
nous faisaient une voie très-difficile. Et voilà que celui qui est le principal citoyen
de la cité est descendu le premier pour chercher des habitants. Nous étions égarés, en
effet; citoyens de Jérusalem, nous étions devenus citoyens de Babylone, fils de la
confusion; car Babylone signifie confusion. Il est donc descendu, et, pour se chercher des
citoyens, il s'est fait notre concitoyen. Nous ne connaissions point cette cité, nous
ignorions cette province. Mais parce que nous n'allions point à cette cité par
excellence, voilà qu'il est descendu vers ses concitoyens, qu'il s'est fait l'un deux,
non en prenant leurs pensées, mais en prenant leur nature. Il est descendu ici-bas. Comment est-il descendu? Sous la forme de
l'esclave. Dieu-Homme, il a demeuré parmi nous. Comme homme seulement, il n'eût pu nous
conduire à Dieu. Dieu seulement, il n'eût pu se lier avec les hommes. Il a donc partagé
avec nous l'égalité de condition, lui qui possédait la divinité avec son Père ; il a
voulu être avec nous dans le temps, celui qui possède avec son Père l'éternité. Egal
à nous ici-bas, égal à son Père dans le ciel. Il descend donc pour être notre
concitoyen et nous dire : Que faites-vous ? Habitants de Jérusalem, ce n'est qu'en
Jérusalem que l'on porte bien haut l'image et la ressemblance de Dieu ! Ce n'est
point en cette vie que s'élèvent les statues de Dieu. Travaillons à retourner. Où
retourner? Voilà que je me mets sous vos pieds, que je deviens votre voie et ainsi votre
fin. Soyez mes imitateurs. « Faites-moi connaître, Seigneur quelle est ma fin » .
Nous l'en croyons, celui qui est notre fin.
10. C'est Dieu le Père qui parle
maintenant. Je te le dis, ô âme que j'ai créée, ô homme que j'ai créé ; je te le
dis, tu avais fini. Qu'est-ce à dire, tu avais fini ? Tu avais péri. J'ai envoyé
quelqu'un pour te chercher, quelqu'un pour marcher avec toi, quelqu'un pour te pardonner,
ses pieds donc ont marché, ses mains ont pardonné. De là, quand il revint après sa
résurrection, il montra ses mains, son côté, ses pieds ; ses mains, qui avaient
accordé le pardon des péchés ; ses pieds, qui étaient venus annoncer la paix aux
hommes délaissés; son côté, d'où coula le sang de la rédemption. « Le Christ est
donc la fin de la loi pour tous ceux qui croiront (1), Seigneur,
faites-moi connaître ma fin ». Déjà cette fin, qui est la tienne,
est connue de toi. Comment s'est-elle fait connaître à toi? Ta fin a été pauvre, ta
fin a été humble, ta fin a été souffletée, ta fin a été couverte de crachats, ta
fin a été en butte au faux témoignage. « J'ai mis un frein à ma bouche, quand le
pécheur s'élevait contre moi ». Lui-même encore s'est fait ta voie. « Celui qui dit
qu'il demeure en Jésus-Christ, doit marcher lui-même comme Jésus-Christ a marché (1)
». Il est la voie, marchons maintenant, sans craindre de nous égarer. Ne marchons pas en
dehors de la voie, car il est dit : « Ils ont placé près du chemin des piéges pour me
prendre, ils ont a ouvert pour moi un précipice près du chemin (2) », Et voici la
miséricorde. Afin que tu évites le piège, tu as pour voie la miséricorde. « Seigneur,
faites-moi connaître ma fin ». Telle est donc votre fin, imitez le Christ votre
rédempteur. « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ (3) ». Quand est-ce que
Paul imita le Christ ? Ecoutez ses paroles. « Dans la faim et dans la soif, dans le froid
et dans la nudité », et le reste, jusqu'à ces autres : « Qui donc est scandalisé sans
que je brûle (4) ? » Je me suis fait tout à tous, afin de les gagner tous (5). J'ai mis
un frein à ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi ». Ainsi dit saint Paul,
mes frères. « Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ? » Ecoute la fin. « Qui
pourra me séparer de l'amour du Christ? la tribulation, l'angoisse, la persécution, la
nudité, le péril (6) ? » Quel homme, plein d'amour, de ferveur, qui court, qui
arrive ! Que pouvait endurer cette âme ? quelle ferveur, quel enseignement ! «
Qui me séparera de l'amour du Christ ? l'angoisse », et le reste jusqu'à ces
paroles: « ou le glaive ? » Voilà ce qu'il a souffert; et de peur qu'on ne croie qu'il
en tire vanité, il ajoute : « Mes frères, je ne prétends pas être arrivé (7) » .
11. Mais pourquoi maintenant : «
Faites-moi connaître , Seigneur, quelle est ma fin et quel est le nombre de mes jours »
: combien j'ai de jours ici-bas. De quoi te servira de connaître ces jours ? « Afin de
savoir ce qui me manque ». Oui, ce qui me manque, mais pour l'éternité. Ecoute aussi
Paul. Après de si grands travaux qu'il énumère, « je ne
me flatte point d'être arrivé ». Ecoute-le nous dire : « Ce qui
me manque ». Que nul ne dise : J'ai beaucoup jeûné, beaucoup travaillé, beaucoup
pardonné ; j'ai accompli tous les préceptes de Dieu. Je l'ai fait hier, je l'ai fait
aujourd'hui, et il y aura encore un aujourd'hui, si tu l'as fait quelquefois. Hier a
toujours un aujourd'hui. Si tu arrives au lendemain, ce sera un aujourd'hui, et dans dix
ans, si tu vis, ce sera aujourd'hui. Dis donc chaque jour : Qu'est-ce qui me manque
aujourd'hui ? Si Paul, en effet, ce laborieux champion du ciel, si Paul, après tant de
travaux, de si sublimes révélations, Paul ravi jusqu'au troisième ciel, pour entendre
d'ineffables paroles , dut néanmoins ressentir l'aiguillon de la chair qui l'humiliait,
de peur que ses révélations ne lui donnassent de l'orgueil, qui oserait dire : Il me
suffit ? De là donc cette parole du Prophète : « Seigneur, faites-moi connaître ma fin
». Voilà que tu as devant toi le Christ qui est ta fin. Tu n'as plus rien à chercher.
Croire, pour toi, c'était connaître. Cependant la foi ne suffit point seule, il faut la
foi et l'oeuvre. L'une et l'autre sont nécessaires.
« Car les démons aussi croient et
tremblent (1) », vous a dit l'Apôtre ; et la foi ne leur sert de rien. C'est peu que la
foi seule, si l'on n'y joint les oeuvres. « C'est la foi qui agit par la charité (2) »,
dit l'Apôtre. « Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et quel est le nombre
de mes jours ». C'est ce qui ne se dit point, car si chacun de nous connaissait l'heure
de sa mort , il prendrait la résolution de bien vivre en ce moment. De là cette parole
du Maître qui voulait nous laisser dans l'inquiétude, et à qui l'on demandait le jour
et l'heure : « Quant au jour et quant à l'heure, nul n'en sait rien », dit-il. Car il
ne voulait pas le leur enseigner. « Pas même le Fils (3) », a-t-il ajouté.
C'est-à-dire, il n'est pas utile pour vous de le savoir, vous en seriez négligents, et
non pleins de sollicitude. Mais votre vie en sera d'autant plus pure, quand vous serez
dans l'ignorance du jour ; car ce n'est pas que je l'ignore, puisque « tout ce qui est à
mon Père est à moi (4). Faites-moi connaître, ô mon Dieu, quelle est ma fin, et quel est le nombre de mes
jours ». Faites-le moi connaître, de manière à me tenir dans une inquiétude
452
continuelle, parce que je ne sais quand viendra le voleur, faites-moi
connaître « ce qui me fait défaut ».
12. Ici, mes frères, soyons sur nos
gardes, afin de savoir ce qui nous fait défaut. La tentation du chrétien est l'épreuve
du chrétien. Car celui qui est tenté comprend ce qui lui manque. De deux choses l'une :
ou il comprend ce qu'il possède, ou il comprend ce qui lui manque. Abraham fut tenté,
non pour qu'il comprît ce qui lui manquait, mais afin que nous pussions voir en lui un
modèle à imiter. Il fut tenté au sujet de son fils. Quelle fut cette tentation ? Il
désira un fils quand son âge avancé ne lui en laissait plus espérer. Et néanmoins,
quand il entendit la promesse de Dieu, il n'hésita pas un instant ; il crut et eut un
fils ; il le mérita et le reçut du Seigneur. Ce fils naquit, fut nourri, avança en
âge, fut sevré, et il fut dit à Abraham : « Toutes les nations seront bénies en
ta race (1) ». Abraham savait en qui de sa race; et nous en avons le témoignage dans
l'Evangile. « Abraham désira voir mon jour », dit le Sauveur, « il le vit et en
tressaillit de joie (2) ». Abraham le connaissait donc. Après tout ce qu'il avait cru,
il entendit cet ordre du Seigneur: Abraham, va m'offrir ton fils en sacrifice. Pourquoi
cette tentation (3) ? Dieu ne connaissait-il point sa foi ? Assurément, mais c'est pour
nous que Dieu daigna la mettre en évidence. C'est à nous qu'il est dit : Offre-moi ta
bourse en sacrifice ; et nous hésitons. Quel est ce sacrifice ? « Faites l'aumône, et
voilà que tout est pur pour vous (4) ». Et encore : « Je veux la miséricorde
plutôt que le sacrifice (5) ». Donne de ta bourse, dit l'Evangile, et toi tu la
resserres. Que serait-ce, si l'on te demandait ton fils ? Quand tu hésites au sujet de ta
bourse, que ferais-tu au sujet de ton fils ? « Afin que je sache ce qui me fait
défaut. ». Je le dirai, mais non sans en souffrir et en rougir. Bien des femmes
veulent souvent se dévouer au service de Dieu, et quand elles en ont le courage, elles
disent à leurs parents : Laissez-moi aller. Je veux être la vierge de Dieu, ou je veux
être le serviteur
de Dieu ; et ils s'entendent répondre: ni sauvée, ni sauvé. Il
n'en sera point selon tes désirs. Tu feras ce que je voudrai. Que serait-ce, si l'on te
disait : Donne-toi la mort ? Tu vis, la vie éternelle t'est promise, elle est devant toi,
et tu refuses, tu hésites, tu entres en lutte ? Assurément, tu es chrétien ? Pourquoi,
mon cher ? Parce que je suis chrétien, faut-il que je sois sans postérité ? Faut-il que
tu sois sans postérité ? Tu sais alors ce qui te fait défaut. Tu as jeûné hier ?
Chante ce que chantait David : « Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et le
nombre de mes jours, afin que je sache ce qui me fait défaut ». Que Dieu, dans sa
miséricorde, nous mette chaque jour dans l'agitation, dans la tentation, dans l'épreuve,
dans le labeur, afin que nous avancions dans la vertu. « Car la tribulation produit la
patience, la patience l'épreuve, et l'épreuve l'espérance. Or, cette espérance n'est
point vaine (1) ».
13. Donc, mes frères, soyons avides
chaque jour de connaître ce qui nous fait défaut, de peur que, si nous étions dans la
sécurité, le grand jour ne vienne et qu'il n'y ait plus rien de ce que nous comptions
avoir ; et qu'alors nous n'entendions cette parole : « Qui vous confessera dans l'enfer
(2) ? » Donc, mes frères, appliquons-nous à marcher vers Dieu chaque jour, faisant
bon marché de ces biens passagers que nous devons laisser ici-bas. Fixons les yeux sur la
foi d'Abraham, et comme lui aussi fut notre père, imitons sa piété, imitons sa foi. Si
l'épreuve nous vient à propos de nos enfants, demeurons sans crainte ; si elle vient du
côté de nos biens, soyons également sans crainte ; s'il nous arrive des infirmités
corporelles, plaçons notre espoir dans le Seigneur. Nous sommes chrétiens, nous sommes
étrangers ici-bas. Soyons sans crainte, la patrie n'est point en cette vie. Celui qui
veut se faire une patrie sur la terre, perdra cette patrie et n'arrivera point à l'autre.
Comme des fils dévoués, allons à cette patrie; afin que Dieu lui-même approuve et
dirige notre course. Tournons-nous du côté du Seigneur, etc.
453
ANALYSE. 1. A qui convient-il de louer Dieu. 2. On ne
doit pas juger de Dieu sur le bonheur temporel des méchants. 3. Les hommes au
cur droit louent Dieu, même dans l'adversité. 4. Dieu nous châtie en
Père. 5. C'est l'usage qui rend les richesses bonnes ou mauvaises. 6. Exemple
de Job proposé aux chrétiens. 7. Droiture du cur de Job dans toutes ses
épreuves. 8. On doit adorer les desseins de Dieu et non les discuter. 9. Nous
devons néanmoins l'implorer dans l'adversité.
1. Le psaume que nous venons de chanter
nous avertit de bénir Dieu avec joie et de conformer notre vie à la louange de Dieu. «
Tressaillez dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes ; c'est aux curs droits qu'il
appartient de le bénir (1) ». S'il appartient aux coeurs droits, il n'appartient
pas aux coeurs dépravés. Or, ces coeurs droits que le Prophète convie à bénir le
Seigneur sont aussi les justes, et c'est à eux qu'appartient la louange. Quels sont les
hommes dépravés, sinon les pécheurs, qui ne sauraient tressaillir dans le Seigneur; car
la louange ne leur convient pas. C'est avec raison qu'un autre psaume a dit : « Dieu
a dit au pécheur : Est-ce à toi qu'il appartient de publier mes décrets, et pourquoi ta
bouche annonce-t-elle mon alliance (2) ? Car c'est aux coeurs droits qu'il «appartient de
me louer », et les secrets de Dieu, comme le testament de Dieu, sont bien l'objet de
la louange. C'est donc à bon droit qu'il est dit ailleurs : « La louange est sans éclat
dans la bouche de l'impie (3) ». Elle est en effet sans éclat où elle ne convient
point, et où elle convient elle reprend cet éclat.
2. Or, en feuilletant les Ecritures, nous
connaissons quels sont les hommes droits, et chacun peut connaître si la louange de Dieu
convient dans sa bouche. Nous lisons dans un psaume : « Combien est bon le Dieu d'Israël
aux hommes qui ont le cur droit ».
Et ensuite : « Mes pieds se sont presque égarés, parce que je me
suis indigné contre les méchants, en voyant la paix des pécheurs (1) » . Le
Prophète nous confesse ici, non point son aversion, non plus que sa chute, mais le danger
qu'il a couru. Il ne dit point qu'il est tombé, mais que ses pieds chancelaient à le
faire tomber. Voici en effet ses paroles : « Combien est bon le Dieu d'Israël pour
les hommes au cur droit ». « Mes pieds ont presque chancelé ». Comme il
part de son aversion pour se distinguer de ceux qui ont le cur droit, il confesse
dès lors que son cur n'a pas toujours été droit, et dès lors ses pieds ont
presque chancelé. « Le Dieu d'Israël est donc bon aux yeux des hommes au cur
droit », mais un jour je ne vis point qu'il était bon, parce que mon cur
n'était pas droit. Le Prophète n'ose point dire : Dieu ne m'a point paru bon ; et
néanmoins il le dit. Quand, en effet, il s'écrie : « Combien est bon le Dieu
d'Israël aux yeux des hommes au cur droit ; quant à moi, mes pieds ont presque
chancelé », il nous laisse entendre que ses pieds chancelaient précisément parce
que Dieu ne lui paraissait pas bon. D'où vient alors qu'il n'a point vu la bonté de Dieu
? « Mes pieds ont presque chancelé ». « Presque », en quel sens ? Peu s'en
est fallu qu'ils ne chancelassent. Pourquoi ? « C'est que j'étais indigné contre les
pécheurs, en
454
voyant la paix dont ils jouissent u. J'ai vu; dit-il, des pécheurs
qui n'adorent pas Dieu, qui blasphèment Dieu, qui lui lancent l'insulte; je les ai vus au
comble de la paix, au comble de la félicité, et il m'a paru qu'un Dieu qui donne le
bonheur à ceux qui le blasphèment n'est point juste dans ses jugements. A cette vue,
c'est-à-dire à la vue du bonheur des méchants, le Prophète nous dit que ses pieds ont
chancelé, au point que Dieu ne lui paraissait point juste. Mais ensuite, parce qu'il a
connu, selon qu'il est dit dans le psaume : « Je me suis imposé la tâche de connaître
», et qu'il ajoute : « Tel est le labeur qui s'impose à moi » ; c'est-à-dire la cause
du bonheur des méchants « est un labeur qui s'impose à moi ; jusqu'à ce que j'entre
dans le sanctuaire de Dieu et que je comprenne quelle sera leur fin (1) » ;
c'est-à-dire que si les méchants jouissent aujourd'hui d'une félicité passagère,
c'est qu'une peine éternelle les attend au dernier jour. Cette connaissance, une fois
acquise, a donné au Prophète un cur droit, et dès lors il s'est mis à louer Dieu
en toutes choses, et dans les perplexités de l'homme juste, et dans la félicité du
méchant, parce qu'il voit qu'au dernier jour Dieu rendra à chacun ce qui sera juste,
bien qu'il accorde une félicité temporelle à quelques-uns, auxquels est réservée la
damnation éternelle au dernier jour; bien qu'il mette aujourd'hui à l'épreuve du
malheur ceux qu'il se réserve de combler du bonheur éternel; car les rôles doivent
changer , comme il arriva pour ce riche « qui a donnait tous les jours de magnifiques
repas (2) », et pour ce pauvre couvert d'ulcères, couché à la porte du riche et
désirant se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche. A la mort de l'un
et de l'autre, le premier subit son châtiment dans l'enfer, et le second se reposa au
sein d'Abraham. Or, comme cela paraissait insupportable au riche, et qu'il désirait que
le doigt de Lazare fît tomber sur lui une goutte d'eau, lui dont Lazare enviait les
miettes qui tombaient de sa table, qui envie à son tour une goutte d'eau tombant du doigt
de Lazare, entendit de la bouche d'Abraham cette sentence de la justice de Dieu : « Mon
fils, souvenez-vous que vous avez reçu les biens pendant la vie, et Lazare les maux; or,
maintenant le repos est pour lui, et pour vous le châtiment
(1) ». C'est donc sur le dernier jour qu'il jette son regard, en entrant dans le
sanctuaire de Dieu, cet homme à qui Dieu ne paraissait pas juste, parce qu'il s'irritait
contre les justes, à la vue de la paix dont ils jouissent ; il reconnaît que les
jugements de Dieu sont droits et justes, et ce qui existe même aujourd'hui, mais couvert
d'un voile, deviendra manifeste au dernier jugement ; et alors, en face de cette règle de
la justice de Dieu, qui redresse les coeurs tortueux, son coeur se redressa de sa
dépravation naturelle, et il s'écria : « Combien est bon le Seigneur d'Israël, pour
les hommes au coeur droit ! » Aujourd'hui que mon cur est droit, je
comprends que Dieu est bon ; auparavant, il ne me paraissait point juste, parce que mes
pieds chancelaient. « Je me suis indigné contre les pécheurs, en voyant la paix dont
ils jouissent ».
3. Si donc le Seigneur te parait bon,
même quand il donne la félicité aux méchants, ce qui soulevait autrefois tes murmures
contre lui, alors ton cur est droit, et il te convient de le louer : « C'est aux
coeurs droits qu'il appartient de le bénir ». Mais si tu es dépravé, la louange ne va
point dans ta bouche. Pourquoi n'y va-t-elle point? Cette louange que tu donnes à Dieu ne
sera point persévérante. Car tu bénis Dieu seulement quand tu es heureux ; tu
blasphèmes Dieu dès qu'il t'arrive un malheur. Car Dieu te plaît quand il t'envoie la
félicité, il te déplaît s'il te châtie. Ton cur n'est donc point droit, et tu
ne saurais chanter cette parole d'un autre psaume : « Je bénirai le Seigneur en tout
temps , sa louange sera toujours en ma bouche (2) ». Comment le bénir
« toujours », si tu le bénis dans la félicité, et non dans l'adversité ?
Car ce que l'on appelle adversité pour toi, est un bien, si tu comprends que c'est un
père qui te redresse. C'est l'enfant insensé qui aime le maître, alors qu'il en est
flatté, qui le déteste quand il en est corrigé ; mais l'enfant vraiment intelligent
comprend que c'est la bonté du maître qui le porte à corriger comme à flatter. On
flatte un enfant, pour qu'il ne se trouve point en défaut ; on le châtie, de peur qu'il
ne se perde. Un homme donc ayant un cur semblable, c'est-à-dire un cur droit,
de telle sorte que Dieu ne lui
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déplaise point, quand même il lui paraîtrait momentanément
ennemi, cet homme peut louer Dieu en toute sécurité, parce qu'il le bénira « toujours
» et que la louange convient dans sa bouche, et qu'il chante en toute vérité : « Je
bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche. Il châtie
celui qu'il reçoit parmi ses enfants (1) ». Que choisis-tu donc ? Etre châtié et
reçu, ou épargné mais non reçu ? Vois quel fils tu veux être. Si tu aspires à
l'héritage paternel, ne refuse point le châtiment. Si tu refuses le châtiment, renonce
à l'héritage. Pourquoi te redresser, sinon pour te donner son héritage ? Pour arriver
à l'héritage de ton père, n'as-tu pas été par lui réprimandé , redressé , châtié
, fustigé ? Dans quel but ? Afin que tu devinsses l'héritier d'une maison qui tombera un
jour, d'un fond de terre qui passera, d'un or qui ne doit durer en cette vie qu'autant que
toi qui le possèdes. Car, ou bien tu le perdras pendant ta vie, ou tu le laisseras à ta
mort. C'est pour un héritage aussi peu durable que tu as supporté les châtiments de ton
père, et tu murmures lorsque Dieu te redresse pour-te donner le royaume des cieux?
4. Si donc tu es disposé à aimer Dieu,
à l'aimer quand il te corrige, car ou bien il y a en toi quelque chose que le châtiment
doit redresser, ou c'est ta droiture qui est mise à l'épreuve du châtiment; dès que tu
es ainsi disposé, bénis le Seigneur; car tu le bénis en toute sécurité. Pourquoi en
sécurité? Parce que tu le bénis convenablement et avec persévérance. Car je ne crains
plus alors que tu le bénisses maintenant, pour le blasphémer tout à l'heure. Je ne
crains plus que l'homme en santé bénisse Dieu, et que la langue du malade appelle, soit
l'astrologue, soit le sorcier, soit l'enchanteur, soit l'alligator avec ses ligatures
diaboliques. Je suis sans crainte, parce que tu as compris que Dieu est bon, même quand
il châtie, et que tu sais bien que celui qui châtie un fils connaît le moment de
pardonner. Il te convient donc de le bénir, parce que tu le béniras toujours et que la
louange du Seigneur sera continuellement dans ta bouche. Tu reçois avec joie les caresses
d'un père, reçois avec la même joie ses châtiments. Tu ne cours point après lui,
quand il te flatte, pour fuir quand il te châtie.
Autrement tu ressemblerais à l'enfant qui, fuyant le châtiment de
son père, tomba dans les caresses du marchand d'esclaves, qu'il trouvait bon, quand son
père lui paraissait méchant, qui préféra la fourberie des caresses à la vérité du
châtiment, et à qui cette préférence fit échanger l'héritage paternel contre
l'esclavage. Change de dessein, et fais-toi un coeur droit: Ce n'est point Dieu qui change
quand il te châtie , mais c'est toi qui es changeant. Pour lui, il a un but en te
changeant, c'est de te changer en mieux, pour te donner son héritage. T'abandonner, te
négliger, c'est un terrible effet de sa colère, alors même qu'il te paraît bon. Que
votre charité veuille bien écouter ce que dit dans un autre psaume la sainte Ecriture :
« Le pécheur a irrité le Seigneur », est-il dit. Com. ment l'a-t-il irrité ? Voyez à
l'endroit où le Prophète nous parle de cette irritation du Seigneur. Mais le pécheur a
excité a son comble cette colère de Dieu. « Sa colère est si grande que Dieu ne le
recherchera point (1) »; dit le Prophète.
5. Le saint homme Job, au contraire,
bénis sait Dieu en tout temps, avait toujours sa louange à la bouche ; au temps de ses
richesses, il bénissait Dieu par ces mêmes richesses qu'il employait à toutes ces
bonnes oeuvres énumérées dans son livre, à donner du pain au pauvre, à vêtir celui
qui était nu, à recevoir l'étranger, et toutes ces autres uvres qui sont le seul
avantage que les riches peuvent tirer de leurs biens, le seul bénéfice qui leur en
revienne. Ce n'est pas un gain, en effet, ce n'est pas prélever un bénéfice que de
laisser du bien à ses enfants; car on ne sait qui doit posséder après la mort le fruit
de tant de labeur. Aussi l'Ecriture a-t-elle mis cela au nombre des vanités: « Tout
homme vivant sur la terre n'est que vanité », nous dit-elle. « Il amasse les
trésors et ne sait qui les recueillera (2) ». Donc tout le gain que l'on peut faire
au moyen des richesses, c'est le trésor du royaume des cieux. De là ce conseil que te
donne le Seigneur, non de perdre ton or, mais de le changer de place. Il ne te dit point
que le donner c'est le perdre ; mais, comme il ne profite point sur la terre, je te le
conserverai dans le ciel. Pourquoi crains-tu de le perdre? Tu le mets dans le ciel sous la
garde du Christ. Si le lieu
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t'inspire de la crainte, c'est le ciel; si c'est le gardien, c'est le
Christ. Comment craindrais-tu de le perdre? Tel est donc l'usage que Job faisait de ses
biens, et dès lors ces oeuvres étaient une louange à Dieu, il bénissait Dieu dans les
biens qu'il en avait reçus. Car c'est à tort, mes frères, que l'on accuse les
richesses. Quand vous voyez de mauvais riches, pensez-vous que, pour cela, les richesses
soient mauvaises ? Ce ne sont pas les richesses, mais les riches qui sont mauvais. Quant
aux richesses, elles sont un don de Dieu. Mettez-les entre les mains d'un juste, et vous
verrez l'usage qu'il en fera. Le vin serait-il donc mauvais parce que tel individu
s'enivre? Donnez-le à l'homme sobre, et il y verra un présent divin. De même, donnez de
l'or à l'homme avare, et, pour grossir son bien, il ne reculera devant aucun crime.
Donnez de l'or à l'homme juste, au contraire, et voyez comme il fera des aumônes,comme
il viendra au secours des autres, comme il soulagera autant qu'il pourra les besoins des
autres. Ce ne sont donc point les richesses qui sont mauvaises, mais celui qui en use mal.
Job fit de ses richesses un saint usage, ainsi qu'Abraham. Il était bien pauvre sans
doute, mes frères, ce mendiant couvert d'ulcères, couché à la porte du riche, et dont
les chiens léchaient les plaies. Voilà ce que nous lisons, voilà ce qui est écrit, et
néanmoins où fut-il porté? « Dans le sein d'Abraham (1) ». Compulse les Ecritures,
vois si cet Abraham fut pauvre sur la terre. Tu verras qu'il possédait beaucoup d'or,
beaucoup d'argent, de grands troupeaux, beaucoup d'esclaves, et de grands biens. Le pauvre
trouve donc le soulagement au sein du riche. Si la pauvreté lui était un mérite,
Abraham ne le précéderait pas au lieu du repos , il ne le recevrait point venant après
lui; mais comme il y avait chez ce pauvre Lazare tout ce qu'on trouvait chez le riche
Abraham, c'est-à-dire l'humilité, la piété, le culte de Dieu, l'observance de ses
préceptes; pour l'un, les richesses ne furent point un obstacle, ni pour l'autre la
pauvreté; la piété constitua pour l'un et pour l'autre le vrai mérite. De là vient,
mes frères, que, dans ce riche de l'Evangile qui a si tristement changé les rôles, ce,
ne sont point ses richesses que l'on blâme, mais son esprit. « Il était revêtu de
pourpre et de fin lin, et donnait
de grands festins tous les jours (1) ». Et il endurait qu'un
mendiant couvert d'ulcères fût couché à sa porte ? Et, dans son orgueilleux mépris,
il n'apaisait pas sa faim ? Quelles paroles de mépris contre l'indigent mettrez-vous dans
la bouche de ce riche ? Que fait ce mendiant couché à ma porte ! Il était donc
bien juste que sa langue souhaitât une goutte d'eau du doigt de ce pauvre qu'il avait
méprisé.
6. Donc le saint homme Job, comme je l'ai
dit, au milieu de ses richesses, loua Dieu et fut tenté pour être mis à l'épreuve,
éprouvé pour devenir un modèle. Il était en effet inconnu aux hommes, et non-seulement
aux hommes, mais au diable qui voit de plus près qu'aucun homme. On ne connaissait donc
point ce qu'était Job; mais le Seigneur le connaissait. Il permit au tentateur de
l'éprouver, et il voulut cette épreuve non pour lui, mais pour nous donner un modèle à
imiter. Car ce n'est point au diable que le Seigneur voulait montrer Job, mais à `nous
par le moyen du diable, afin de proposer à notre imitation sa victoire sur le diable.
Donc, après avoir tout perdu, non peu à peu, mais tout d'un coup, il s'écria : « Le
Seigneur l'a donné, le Seigneur l'a ôté. Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été
fait, que le nom du Seigneur soit béni (2) ». « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a
été fait ». Ce qui plaît au cur droit ne peut être dépravé ; ce qui plaît à
celui qui est bon ne saurait être mauvais. « Le Dieu d'Israël est bon aux yeux de
l'homme au cur droit ». Job avait le cur droit et, dès lors, il lui
convenait de louer Dieu. « Le Seigneur l'a donné, le Seigneur l'a ôté. Comme il a plu
au Seigneur, ainsi il a été fait ». Sa confession est une louange: « Que le nom du
Seigneur soit béni. Le Seigneur l'a donné, le Seigneur l'a ôté ». C'était alors
l'abondance, maintenant c'est la pauvreté. Les biens sont changés pour moi, mais Dieu
n'est point changé. Pour moi, je suis tantôt riche, et tantôt pauvre; mais Dieu est
toujours riche, toujours droit, toujours père. « Que le nom du Seigneur soit
béni ! » Non pas que le nom du Seigneur ait été béni dans mes richesses, et
maudit pendant ma pauvreté. Qu'à Dieu ne plaise ! Voilà ce que disait Job enrichi des
biens intérieurs.. Toute sa maison était en ruine, mais son cur regorgeait.
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Sa maison était en ruine, son or perdu, mais son cur était
plein. Dieu lui-même lui tenait lieu de tout ce qu'il lui avait donné. « Le Seigneur
l'a donné, le Seigneur l'a ôté ». Voyez comme il comprend cette puissance
suréminente. Garde-toi, ô chrétien, d'adorer Dieu pour le royaume du ciel, et de
craindre le diable pour les biens d'ici-bas. Toute puissance, et la souveraine puissance
est en Dieu. Le diable a seulement eu la volonté de nuire; mais il ne l'a pu sans la
permission de Dieu. C'est donc en Dieu qu'est toute la puissance. Au reste, si le diable
avait le pouvoir comme la volonté, qui donc serait encore chrétien? Dieu aurait-il
encore un adorateur sur la terre ? Ne voyez-vous point s'effondrer le temple du démon,
ses idoles se briser, ses prêtres se convertir au vrai Dieu? Croyez-vous qu'il n'y ait en
cela nulle douleur pour le diable, nulle torture ? Si donc sa puissance égalait sa
douleur , quelle église pourrait encore subsister ici-bas ? De là vient que, dans sa
sainteté, Job dépouillé de tout par les artifices du démon, ne lui accorde néanmoins
aucune puissance. Quand il bénit Dieu, il ne dit point: Le Seigneur l'a donné, le diable
l'a ôté; mais il s'écrie : « Le Seigneur l'a donné, « le Seigneur l'a ôté ». Que
le diable ne s'arroge rien. C'est par Dieu que j'étais riche, et par Dieu encore que je
suis pauvre. S'il lui a été permis de m'éprouver, il ne lui a pas été permis de
m'ôter la vie. Or, il m'eût ôté la vie, non en me tenant à la gorge et en
m'étranglant, mais en tuant mon âme. Que Job, en effet, au milieu de ses tribulations,
eût échappé de sa bouche une parole de blasphème, t'eût été mourir, puisque t'eût
été chasser de lui-même l'esprit de vie. Or, c'est ce qu'il ne fait ni dans sa
pauvreté si subite, ni dans ses derniers malheurs.
7. C'était peu, en effet, pour le diable,
de lui avoir enlevé toutes ses possessions; il lui enleva aussi ses enfants, pour qui il
possédait ses richesses, et ne lui laissa que sa femme. Il n'y eut qu'elle qu'il n'enleva
point, parce qu'il avait dessein de s'en servir. Il savait que Adam avait été séduit
par Eve. Il se réservait donc en elle une ressource plutôt qu'une consolation pour son
mari. C'était encore peu pour lui d'avoir ôté à Job tous ses biens, ne lui laissant
que sa femme qui devait lui servir pour le tenter, il demanda à lui ôter aussi la santé
du corps. Il lui fut permis de l'ôter encore, afin que, dans cette nouvelle,blessure, Job
louât Dieu dans la droiture de son coeur, sans varier nullement, puisque c'est à lui que
convient la louange. Cette femme donc réservée pour cette tin, s'approcha de Job et lui
persuada de blasphémer Dieu, lui conseilla même. « Quels malheurs sont les
nôtres ! » dit-elle en effet : « Parle contre Dieu et meurs (1) ». Eve, la
première, fut séduite par le diable qui semblait la convier à vivre, et trouva la mort.
Le diable, en effet, lui avait dit: « Tu ne mourras point de mort (2)». Dans la pensée
qu'elle vivrait, elle trouva la mort, parce qu'elle agit contrairement au précepte du
Seigneur, et qu'elle persuada à son mari d'agir contre ce précepte. Ici c'est le
contraire : « Parle contre Dieu et meurs ! ». Qu'il suffise à Eve d'avoir engagé
son mari à transgresser le précepte de Dieu. Celle-ci est une nouvelle Eve. Mais Job
n'est plus Adam. Elle était pleine de l'esprit du diable, et lui, corrigé par l'exemple.
Job sur son fumier est supérieur à Adam au paradis. Afin que vous compreniez ce que
c'est qu'avoir un cur droit, comment Job put-il vaincre le diable, dans sa pauvreté
et couvert de telles plaies ? Voici, en effet, la réponse qu'il fit à sa femme « Vous
avez parlé comme une femme insensée ; si nous avons
reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n'en pas recevoir les maux (3) ? » Il bénit
le Seigneur en tout temps, sa louange fut toujours en sa bouche. Car son cur était
droit, et il lui convenait de bénir Dieu. Ayez le cur droit. Et si vous voulez
avoir le cur droit, que Dieu ne vous déplaise en rien. Ou bien, en effet, tu
découvres la cause qui fait agir Dieu, et à la vue de cette cause, tu ne saurais te
plaindre, ou cette cause t'échappe, et tu dois alors savoir que celui qui agit ne saurait
déplaire en rien.
8. Un homme renverse sa maison, et on l'en
blâme. Si l'on connaît la cause qui le fait agir, il peut arriver qu'on ne l'en blâme
point. Nous voici dans une basilique fort étroite, et il plaît au Seigneur que l'on en
bâtisse une autre; alors on détruira celle-ci. Qu'un homme la voie détruire quand on y
mettra les ouvriers, il dira : N'est-ce point là qu'on priait? là qu'on invoquait le nom
du Seigneur? Que fait cet oratoire à ces hommes, pour le détruire? On désapprouve
l'ouvrage, parce qu'on en ignore le dessein. C'est donc
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ainsi que Dieu agit quelquefois. Ou tu connais ses motifs d'agir, et
tu le bénis; ou tu les ignores, et tu crois si tu as le coeur droit. Tel homme, en effet,
a le coeur droit, qui bénit Dieu dans les causes qu'il découvre et qui n'accuse pas Dieu
de son ignorance quand il ne comprend point. Il y a injustice, ô homme, qui gouvernes ta
maison, il y a folie de te blâmer, quand on ignore les motifs de tes actions, quand on
ignore tes desseins ! Et toi, tu oses bien t'en prendre à Celui qui gouverne le
monde entier, au Créateur du ciel et de la terre, quand le vent souffle, quand la vigne
meurt, quand un nuage s'élève et vomit la grêle ? Loin de toi tout blâme. Dieu sait
diriger et compter toutes ses oeuvres. Assurément tu n'as pu bâtir le ciel et la terre,
et pourtant, peu s'en faut que tu ne dises à Dieu : Ah ! si je gouvernais, je m'y
prendrais autrement. Qu'une chose te déplaise dans les oeuvres de Dieu, ne voudrais-tu
pas gouverner le monde? Honte à toi. Vois à qui tu voudrais succéder. Toi, mortel, à
Celui qui est immortel; toi, homme, à Dieu ! Il est mieux à toi de lui céder, que
de chercher à lui succéder. Cède à Dieu, parce qu'il est Dieu, lui qui, en agissant
quelquefois contre ta volonté, n'agit cependant point contre ton bien. Combien de fois
les médecins n'agissent-ils pas contre le gré des malades, sans rien faire contre leur
santé? Or, un médecin se trompe quelquefois, mais Dieu, jamais. Si donc tu te confies au
médecin qui se trompe, si tu as confiance à un homme, non-seulement pour panser une
plaie, ce qui est peu de chose, ou pour poser un appareil souvent douloureux; mais pour
brûler, pour trancher, pour amputer un de tes membres né avec toi; si tu as foi en lui,
tout en disant Celui-ci peut-être se trompe, et j'en serai pour un doigt de moins ; si tu
lui permets d'enlever ton doigt de peur que la gangrène ne gagne tout le corps , ne
permettras-tu pas à Dieu de trancher , afin de récolter en toi quelques fruits, si tu es
assez sage pour pratiquer l'obéissance?
9. Ayez donc, mes frères, le cur
droit, c'est-à-dire que Dieu ne vous déplaise en rien. Loin de moi de vous dire de ne
point prier; au contraire, priez dans l'affliction, autant que vous le pouvez. Refuse-t-il
la pluie, il faut le prier ; nous la donne-t-il, bénissons-le ; mais dût-il la refuser,
qu'il faut le louer et le prier. Nous ne vous prêchons pas de ne pas prier. Parfois il se
laisse fléchir et accorde à ceux qui demandent, refusant tout à ceux qui ne demandent
point. Dieu veut qu'on le prie, au point de ne rien accorder qu'à la prière. Mais alors
l'âme la plus humble contribue à la grandeur de Dieu, s'il vient à son secours dans la
tribulation, de manière à nous consoler quand nous prions dans nos épreuves. S'il est
miséricordieux envers nous, c'est pour notre avantage et non pour le sien. Vois en effet
combien il serait malheureux que le monde eût pour toi des douceurs et Dieu des
amertumes, lui qui a fait le monde. Ne faudrait-il pas te changer, te redresser, pour
avoir le coeur droit? Que le monde alors ait pour toi des amertumes, et Dieu des douceurs.
Que le Seigneur notre Dieu répande alors des amertumes sur les biens de ce monde. Oui,
qu'il y répande l'amertume? Jouir ici-bas, être dans l'abondance, regorger de délices,
oublier Dieu, voilà ce qui plaît. A-t-on (1) quelque superflu d'argent, on l'emploie en
frivolités, on refuse d'en faire un noble usage, d'acheter le ciel à ce prix ; on
s'obstine à perdre cet argent, et soi-même, et les autres compagnons de dé. penses. Ne
voulez-vous donc point que Dieu retranche le superflu, pour empêcher la gangrène de
s'étendre partout? Dieu sait ce qu'il doit faire. Laissons-le agir, abandonnons-nous à
ses soins qui nous guériront, et ne donnons pas de conseils au médecin. Tournons-nous
vers le Seigneur, etc.
ANALYSE. 1. Combien doit durer notre espérance. 2.
Les espérances humaines traînent en longueur, sont vaines, trompeuses. 3. Quand
est-ce que notre espérance est vraie.
1. Il me faut répondre tout d'abord à
mon frère, à mon collègue dans l'épiscopat. J'ai avancé, le matin, que la charité
n'est pas tranquille, point paresseuse ; mais puisqu'il l'a voulu, nous obéirons et à
lui, et à Dieu par lui, et à vous, demandant au Seigneur qu'il mette en vous
l'obéissance. Nous venons de chanter : « J'ai espéré dans la miséricorde de Dieu
(1) ». Disons un mot de notre espérance. Quand il en sera temps, nous mettrons un
terme aux paroles de notre discours, mais l'espérance dont il est question doit durer
toujours, et ne point finir avec notre discours lui-même. Que nous parlions et que nous
cessions de parler, notre espérance crie incessamment vers le Seigneur. Toutefois
l'espérance elle-même (ce que je vais dire paraîtra dur, sans doute, mais ne blessera
personne, j'ai la confiance que ma parole bien expliquée sera inoffensive), cette même
espérance n'aura point une éternelle durée. Quand la réalité sera venue, il n'y aura
plus d'espérance. Elle porte en effet ce nom d'espérance, tant que nous ne possédons
pas la réalité, selon cette parole de l'Apôtre : « L'espérance que l'on voit n'est
plus une espérance. Comment espérer ce que l'on voit? Or, si nous espérons ce que nous
ne voyons pas, nous l'attendons par la patience (2) ». Si donc l'espérance que l'on
voit n'est plus une espérance, puisque nul ne saurait espérer ce qu'il voit, et qu'elle
porte ce nom d'espérance parce qu'elle a pour objet ce que nous ne
voyons point; quand cet objet sera devenu visible, alors il n'y aura
plus espérance, mais réalité. Ce ne sera point alors une malédiction d'être sans
espérance; tandis que maintenant, vivre sans espérance, c'est pour chacun une
malédiction, un opprobre. Malheur à celui qui est sans espérance en cette vie ! Vivre
en effet sans espérance est un grand malheur ici-bas, puisque nous ne tenons pas la
réalité. Mais en face de la réalité, arrière toute espérance.
2. Toutefois, cette réalité que nous
tiendrons alors, quelle est-elle? Qu'est-ce qui doit succéder à l'espérance? Nous
rencontrons bien des hommes qui nourrissent beaucoup d'espérances terrestres et purement
de cette vie. Pour nul homme la vie n'est sans espérance, et cette espérance ne
s'éteint qu'à la mort. Pour les enfants, il y a espérance de grandir, de s'instruire,
de connaître. L'adolescent a pour espérance le mariage, des enfants. Les parents ont
l'espérance de nourrir leurs enfants, de les instruire, de voir grandir ceux qu'ils ont
cajolés dans leur enfance. En sorte qu'on pourrait dire que c'est l'espérance qui domine
dans la vie humaine, que c'est ce qu'il y a de plus naturel, de plus excusable et de plus
vulgaire. Il est en effet bien des espérances vulgaires et très-répréhensibles ; mais
bornons-nous à la plus honnête, à la plus naturelle. Chacun ne vient au monde que pour
croître, pour s'unir par le mariage, pour avoir des enfants, les instruire, être appelé
près de ses enfants. Que cherche-t-il de
460
plus? Là ne se borne point son espérance. Il aspire à donner des
épouses à ses fils; il l'espère encore. A-t-il atteint ce but, qu'il désire des
petits-fils. Quand il en a, quand il est à sa troisième génération, le voilà
vieillard, mais cédant à regret sa place à ses petits-fils. Il cherche encore ce qu'il
pourrait désirer, ce qu'il pourrait espérer, et il se drape de bienveillance. Puisse,
dit-il, cet enfant m'appeler grand-père; puissé-je entendre ce mot de sa bouche et
mourir ! L'enfant grandit, l'appelle grand-père; mais celui-ci ne se regarde point
encore comme aïeul. Car s'il est aïeul, s'il est vieillard, pourquoi ne point
reconnaître qu'il doit s'en aller et faire place aux autres ? Mais quand il entend ce nom
d'honneur dans la bouche d'un enfant, cet enfant, il veut l'instruire. Et pourquoi se
refuserait-il l'espérance d'un arrière-petit-fils ? C'est ainsi qu'il meurt, tout en
espérant; qu'il espère tantôt une chose, tantôt une autre chose, quand il a obtenu ce
qu'il espérait. Mais voir une espérance réalisée ne le satisfait point, il se jette
dans une autre. Pourquoi cette espérance vient-elle à se réaliser? Assurément, c'est
pour mettre un terme à ton voyage ; car ce terme n'est pas reculé. Et combien sont dupes
de cette espérance, espérance usée? D'abord elle ne satisfait point, quand elle se
réalise, et combien n'arrivent pas à la réalité ! Combien ont espéré le
mariage, sans y arriver? Combien l'ont espéré, avec celles qu'ils aimaient, ont réussi,
pour n'aboutir qu'à des tourments ! Combien ont désiré des enfants sans pouvoir en
obtenir ! Combien ont dû gémir de ceux qu'ils avaient obtenus ! Ainsi du
reste. Tel désire les richesses, ne les a-t-il point, que le désir le dévore ; les
a-t-il, qu'il est torturé par la crainte. Il n'est personne qui cesse d'espérer,
personne qui soit rassasié. Les dupes sont en si grand nombre, et toutefois nul
n'abandonne ses espérances mondaines.
3. Qu'elle se réalise un jour cette
espérance qui n'est point trompeuse, mais qui rassasie, qui nous donnera ce bien qu'on ne
saurait dépasser. Quel est donc cet objet de notre espérance, dont la réalisation
mettra fin à toute espérance ? Quel est cet objet ? La terre? Non. Quelque chose qui
naît sur la terre, comme l'or, l'argent, un arbre, des moissons, des fleuves ? Rien de
tout cela. Quelque chose qui vole dans les airs? Mon âme l'a en horreur. Serait-ce le
ciel, si beau, si étincelant de lumière ? Quoi de plus beau parmi les choses visibles,
quoi de plus séduisant ? Ce n'est point cela non plus. Qu'est-ce donc ? Tout cela est
beau, est délicieux, plein de charmes. Cherche celui qui a fait tout cela. C'est lui, ton
espérance. Il est ici-bas ton espérance, avant d'être plus tard ton bien. L'espérance
pour la foi, la réalité pour la vision. Dis-lui : « Vous êtes mon
espérance ». Oui, tu as raison de dire ici-bas : « Vous êtes mon espérance ».
Car tu crois, tu ne vois pas encore. Tu as la promesse, non la réalité. Tant que tu es
dans ce corps, tu es éloigné de Dieu, tu es en chemin, non dans la patrie. C'est Dieu
qui te dirige ; celui qui a fait la patrie s'est fait aussi la voie pour t'y conduire.
Dis-lui donc maintenant : « Vous êtes mon espérance ». Que sera-t-il ensuite
? « Ma portion dans la terre des vivants (1) ». Celui-là qui est maintenant ton
espérance, sera plus tard ta portion. Qu'il soit ton espérance sur la terre des
mourants, et il sera ta portion sur la terre des vivants. Tournons-nous vers le Seigneur,
etc.
461
ANALYSE. 1. La louange de Dieu doit se prolonger au-delà de
cette vie. 2. Rien ne dure en cette vie. 3. Que le chrétien ne s'abuse point
sur son bonheur passager. 4. Que la fin du riche et de Lazare soit une leçon pour
nous.
1. Daigne le Seigneur m'accorder de vous
dire un mot sur les paroles du psaume que nous venons de chanter. Nous avons dit en effet
: « Je bénirai le Seigneur pendant ma vie, je chanterai mon Dieu tant que je vivrai
(1) ». A ces paroles, nous devons un avis à votre charité: c'est de ne point
comprendre, quand vous entendez dire, ou que vous dites vous-mêmes : « Je bénirai Dieu
tant que je vivrai », qu'après cette vie finira aussi la louange du Seigneur. Nous
le bénirons mieux, en réalité, quand nous jouirons de la vie sales fin. Si nous le
bénissons, en effet, dans ce pèlerinage qui doit finir, comment le bénirons-nous dans
ce palais d'où nous ne sortirons plus ? On dit, on chante, on lit dans un autre psaume :
« Bienheureux ceux qui habitent votre maison ; ils vous béniront dans les siècles des
siècles (2) ». Or, quand tu entends « les siècles des siècles », il n'y a
aucune fin, et l'on jouit de cette vie bienheureuse, où l'on voit Dieu sans trembler, on
l'aime sans l'offenser, on le bénit sans fin. Notre vie alors sera de voir Dieu, de
l'aimer, de le bénir. Si donc nous bénissons Dieu quand nous ne le voyons que par la
foi, comment le bénirons-nous quand nous le verrons à découvert ? Quelle sera
l'allégresse de la claire-vue, si telle est la bénédiction de la foi ? L'Apôtre nous
dit en effet : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous marchons loin du Seigneur; car
nous n'allons à lui que par la foi, sans le voir à découvert (3) ». Ici-bas c'est
donc la foi, là-haut ce sera la claire-vue. Maintenant nous croyons
ce que nous ne voyons pas, alors nous verrons ce que nous aurons cru. Celui qui croit, le
fait sans confusion, car il est vrai qu'il verra. Le Seigneur a d'abord établi en nous la
foi, afin que si la foi mérite une récompense, on ne 1a cherche point avant d'avoir cru.
2. Mais, dira-t-on, pourquoi le psaume
dit-il : « Je chanterai mon Dieu tant que je vivrai », et non: Je chanterai mon
Dieu éternellement ? Cette expression, en effet: « Tant que je vivrai », semble
appeler une fin, bien qu'on ne l'entende pas ainsi. Si tu veux appliquer « tant que je
vivrai n à cette vie terrestre, vois si cette vie est bien longue. Quel que soit le
nombre des années, la vie est courte. Comment serait longue une vie qui ne te rassasie
point ? Un enfant dit que tel homme qu'il voit vieillard a vécu longtemps; mais que
lui-même arrive à l'âge de cet homme, et il sait que ce temps est peu long. Les années
s'envolent et les moments se précipitent si rapidement, que c'est avant-hier que nous
étions enfants, hier adolescents, aujourd'hui vieillards. Nous sommes donc fondés à
croire que ces paroles: « Aussi longtemps que je vivrai je chanterai mon Dieu », ne
s'entendent pas de cette vie. Dès lors, en effet, que le Prophète a dit : « Aussi
longtemps que je vivrai », on ne saurait l'entendre de cette vie où rien ne dure «
longtemps ». Des sages de ce monde ont pu en faire la remarque, et des chrétiens ne le
462
pourraient voir ? Un de ces sages, l'homme le plus éloquent a dit:
« Qu'est-ce donc, en effet, que ce longtemps, puisqu'il a une fin (1) ? » Il ne
veut donc point qu'il y ait un longtemps, quand la fin peut arriver un jour. Es-tu parvenu
à la dernière vieillesse ? tu as vécu un temps, et non pas un long temps. Car la vie
d'un homme , surtout aujourd'hui , n'est « qu'une fumée qui apparaît un moment ».
Ce que je dis, l'Ecriture le dit aux hommes dans leurs jubilations, alors qu'ils
s'élèvent dans leur orgueil et ne savent point s'ils ne mourront pas à l'instant. Les
divines Ecritures leur tiennent ce langage et leur donnent cet avertissement dans leur
accès d'orgueil, dans la vaine confiance que leur donne une fragilité si peu durable. «
Qu'est-ce que votre vie, dit-elle? C'est une vapeur qui parait un moment jusqu'à ce
qu'elle soit dissipée (2) ». S'élever dès lors dans l'orgueil, c'est se confier
dans une vapeur, s'enfler de vaine gloire, pour périr avec cette vapeur. II faut donc
réprimer notre orgueil, le fouler aux pieds autant que possible, comprendre que nous ne
vivons ici-bas que pour mourir, élever nos pensées vers cette fin qui ne finira pas. Qui
que tu sois, en effet, ô homme qui as vieilli, si tu en ressens de l'orgueil, si tu crois
avoir vécu longtemps, toi qui dois finir un jour, sache que si Adam vivait encore, et
devait mourir, non pas maintenant, mais à la fin du monde, il n'aurait pas vécu un temps
bien long, puisque ce temps aurait une fin (3). Et ceci est très-vrai, tout homme prudent
le comprendra, et non-seulement c'est une vérité que l'on prêche, mais une vérité que
les auditeurs comprennent.
3. Reportons notre attention au psaume que
nous avons chanté, afin d'y trouver que le Prophète n'a dit : « Je chanterai le
Seigneur « aussi longtemps que je vivrai », que dans le sens de cette vie qui dure
toujours. S'il n'est, en effet, rien de bien long dans cette vie, parce qu'elle a une fin,
ce n'est point cette vie que nous sommes appelés à désirer quand nous devenons
chrétiens. Et de fait, nous ne devenons point chrétiens pour être heureux en cette vie
de la terre. Car si nous avons embrassé le christianisme, pour jouir du bonheur seulement
en cette vie du temps, et
encore d'un bonheur si frivole, si vaporeux, nous sommes dans une
profonde erreur; vos pieds seront chancelants en voyant un homme, revêtu de dignité et
dominant ceux qui l'entourent, jouir de la santé corporelle et arriver à une vieillesse
qui s'éteint lentement. Voilà ce que voit le chrétien pauvre, sans honneur, soupirant
chaque jour dans la peine et les gémissements, et qui dit en lui-même : Que me
revient-il d'être chrétien ? En quoi suis-je plus heureux que cet autre qui ne l'est
pas? que cet autre qui ne croit pas au Christ? que cet autre qui blasphème mon Dieu?
Voici l'avertissement du Psalmiste: «Ne mettez point votre confiance dans les
princes ». Quel charme a pour toi la fleur du foin ? « Car toute chair n'est qu'un
foin ». C'est ce que dit le Prophète, qui non-seulement le dit , mais le crie. Et
le Seigneur lui dit: « Crie ». Et il répondit : « Que faut-il crier? Que toute chair
n'est qu'un foin, et toute beauté de la chair, la fleur du foin. Le foin est desséché,
la fleur est tombée ». Tout donc a-t-il péri? Non. « Le Verbe de Dieu demeure
éternellement (1) ». Quel charme a pour toi du foin? Voilà que ce foin périt; veux-tu
ne point périr? Attache-toi au Verbe. Ainsi le dit aussi notre psaume. Ce chrétien dans
lindigence, dans la bassesse de sa condition, voyait dans ce païen riche et
puissant la fleur du foin, et peut-être eût-il préféré être à son service plutôt
qu'au service de Dieu. C'est à lui que le Psalmiste adresse ces paroles. « Ne mets point
ta confiance dans les princes, ni dans les fils des hommes, en qui n'est pas le salut
(2) ». Et notre interlocuteur de répondre: Veut-il parler de celui qui a le salut?
Le voilà en santé. Je le vois aujourd'hui plein de verdeur. Et moi je suis plutôt
misérable et languissant. A quoi bon t'arrêter à ce qui a pour toi de l'attrait et des
charmes? Ce n'est point là le salut. « Le souffle s'en ira de lui, et il retournera dans
la terre qui est son partage ». Voilà tout salut pour lui. « C'est une vapeur qui
apparaît un instant. L'esprit sortira de lui, et il retournera dans la terre qui est son
partage ». Laissez passer quelques années, laissez écouler l'eau du fleuve comme
à l'ordinaire. Parcourez quelques tombeaux des morts, et distinguez les os du riche des
os du pauvre. Quand l'esprit s'est retiré, il est retourné dans la terre qui est son
463
partage. Le Prophète a grandement raison de ne rien dire de l'esprit
de cet homme qui n'a eu pendant sa vie nulle pensée spirituelle. « Il est retourné dans
la terre qui lui est propre », c'est-à-dire cette chair, ce corps qui était tout pour
lui, ce corps d'orgueil, cette chair si trompeuse et dont l'apparente félicité
t'aveuglait. « L'esprit sortira, et il retournera dans la terre qui est son partage; en
ce jour périront toutes leurs pensées (1) ». Ces pensées qui étaient si terrestres ;
voilà ce qu'il faut faire, ce qu'il faut achever, où il faut parvenir. Voilà ce que je
veux acheter, ce que je veux acquérir, à quel honneur je prétends arriver. «En ce jour
s'évanouiront toutes ses pensées ».Mais comme « la vertu de Dieu demeure
éternellement », en t'attachant au Verbe, pour lui demander la vie éternelle,
non-seulement ta pensée ne périra point, mais c'est alors qu'elle se réalisera. Quand
elle périt pour lui, elle se réalise pour toi. Cet homme n'avait que des pensées du
temps et de la terre, d'ajouter un champ à un champ, d'entasser trésor sur trésor, de
briller dans les honneurs, de s'enfler de sa puissance. Comme donc il avait de telles
pensées, « ces pensées mourront toutes en ce « jour ». Mais toi, chrétien, si tes
pensées, loin de s'arrêter à la félicité de cette vie, ont pour objet le repos sans
fin, lorsque ton corps retournera dans la terre, c'est alors que ton âme aura trouvé ce
repos.
4. Ecoute l'Evangile, vois et considère
les pensées de deux hommes. «Il y avait un riche, qui était revêtu de pourpre et de
fin lin, et qui donnait tous les jours de splendides festins (2) ». Tous les jours le
foin, et la fleur du foin. Ne te laisse pas séduire parla félicité de cet homme qui est
revêtu de pourpre et de fin lin, et qui donne de splendides festins chaque jour. C'était
un orgueilleux, un impie, n'ayant que des pensées vaines et de vains désirs. Quand il
mourut, ce jour-là ses pensées moururent avec lui. Or, il y avait à sa porte un pauvre
nommé Lazare. L'Evangile, qui tait le nom du riche, nous dit le nom du pauvre. Dieu n'a
point dit un nom qu'emporte le vent. Mais Dieu a daigné nommer celui dont on ne disait
pas le nom. Ne t'en étonne pas, je t'en prie. Dieu a raconté ce qu'il a vu écrit en son
livre. Or, il est dit des impies: « Qu'ils ne soient pas inscrits sur votre livre (3)».
De même, quand les Apôtres se glorifiaient de
ce qu'au nom du Seigneur les démons leur étaient soumis, de peur
qu'ils ne vinssent à en concevoir de l'orgueil, comme le reste des hommes, à s'en
vanter, bien que ce fût une grande et glorieuse puissance, le Sauveur leur dit: « Ne
vous réjouissez point de ce que les démons vous soient soumis; mais réjouissez-vous de
ce que vos noms sont écrits dans le ciel (1) ». Le Dieu qui habite le ciel garda le
silence sur le nom du riche, qu'il ne trouva point écrit dans le ciel; il proclama celui
du pauvre, parce qu'il l'y vit écrit, ou plutôt qu'il l'y fit écrire. Mais voyez ce
pauvre. A propos des pensées de ce riche
impie , fastueux, vêtu de pourpre et de fin lin et
donnant de splendides festins tous les jours, nous avons dit qu'elles périrent avec lui
à sa mort. Or, à la porte de ce riche était un pauvre du nom de Lazare, « couvert
d'ulcères, et qui désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche,
sans que personne les lui donnât; tandis que les chiens venaient et léchaient ses
ulcères (2) ». C'est là que je veux te voir, ô chrétien; car c'est là que nous
apprenons la fin de ces deux hommes. Dieu, dans sa puissance, peut nous donner le salut en
cette vie, et nous délivrer de la pauvreté, et donner au chrétien ce qui est suffisant.
Et toutefois, si cela venait à manquer, que choisirais-tu? D'être ce pauvre ou ce riche?
Loin de toi toute illusion. Ecoute la fin, et tu verras quel choix est mauvais.
Assurément ce pauvre, qui était pieux, méditait, au milieu de ses malheurs temporels,
sur cette vie qui doit finir un jour et sur le repos éternel qui doit nous échoir. Tous
deux moururent, mais les pensées de ce pauvre ne périrent point avec lui. Car s'il
mourut pauvre, il fut porté par les anges au sein d'Abraham. En ce jour toutes ses
pensées se réalisèrent. Et comme Lazare signifie, en latin, Adjutus ou aidé, la
parole du Psalmiste s'accomplit. « Bienheureux l'homme à qui le Dieu de Jacob vient en
aide (3) ». Quand son esprit s'en alla, quand sa chair retourna dans la terre qui est son
partage, ses pensées ne périrent point avec lui, « parce que son espérance était dans
le Seigneur son Dieu ». Voilà ce que l'on apprend donc à l'école où enseigne le
Christ, voilà ce qu'espère l'âme de son disciple fidèle, voilà la plus réelle
récompense du Sauveur.
464
ANALYSE. 1. Les Juifs ne croient pas encore aux oracles des
Prophètes qui concernent le Christ et son Eglise. 2. L'incrédulité des Juifs est
combattue par l'exemple de ce riche aux grands festins. 3. Ce riche est pour nous un
exemple salutaire. 4. Suffisamment avertis de l'avenir, nous n'avons aucune
excuse. 5. Ce qui est accompli, ce que Dieu nous a promis, doit confirmer notre
foi. 6. Promesses que Dieu a faites dans la nation juive, au sujet d'Abraham, dont
la foi est hautement proclamée. 7. Fidélité de Dieu dans l'accomplissement de ses
promesses, et folie des idolâtres. 8. Dieu cherche son image dans notre âme, comme
César sur sa monnaie. 9. Combien de promesses de Dieu sont accomplies
déjà. 10. La foi d'Abraham est pour nous un exemple. 11. Double comparaison
pour nous faire supporter l'adversité. 12. Nous devons user de la patience de Dieu
et l'imiter. 13. Dans l'adversité, il faut nous confier à Dieu sans nous
plaindre. 14. Exhortation à la patience.
1. Telle est la foi chrétienne, qui est
pour les impies et pour les infidèles un sujet de dérision, c'est que nous croyons qu'il
est une autre vie après celle-ci, qu'il y a une résurrection des morts, et, après la
fin du monde, un jugement. Comme ce point de foi n'était point en vigueur parmi les
hommes, et qu'il leur paraissait même inacceptable, en dépit des prédications et des
affirmations des Prophètes serviteurs de Dieu et de la loi établie par le ministère de
Moïse, Jésus-Christ, notre Seigneur et Sauveur, est venu en ce monde pour le persuader
aux hommes. Lui qui était Fils de Dieu, né du Père d'une manière invisible et
ineffable, lui, coéternel au Père et égal au Père, et Dieu unique avec le Père; lui,
Verbe du Père, par qui tout a été fait; lui, conseil du Père, par qui tout se dirige,
déposa pour un temps cette grandeur sans mesure, cette incompréhensible majesté, cette
sublime puissance, en venant sur la terre se revêtir de notre chair et se montrer aux
yeux des hommes. Comme donc on ne voyait pas Dieu ou la divinité dans le Christ, on
méprisait sa chair que l'on voyait; mais lui prouvait par des prodiges la divinité qui
était en lui. Et comme, au simple aspect, 1'il humain pouvait le mépriser, il
faisait de tels miracles, que ces oeuvres montraient en lui le Fils de Dieu. Comme donc il
opérait des prodiges, donnait des préceptes utiles, corrigeait les vices et les
reprenait, enseignait les vertus, guérissait même les maladies du corps, afin de guérir
les esprits des infidèles, le peuple où il avait pris naissance, grandi, fait ses
prodiges, s'irrita contre lui et lui donna la mort. Mais lui, qui était venu pour naître
parmi nous, était venu aussi pour mourir. Or, cette mort de son corps, qu'il avait voulu
subir pour nous donner un exemple de résurrection, il ne voulut pas qu'elle fût
infructueuse; mais il permit -qu'elle lui fût donnée par la main des impies, de sorte
que ces hommes qui ne voulaient point obéir à ses préceptes lui firent souffrir ce
qu'il voulait. Ainsi fut fait. Le Christ fut mis à mort, enseveli, ressuscita, comme nous
le savons, comme l'atteste l'Evangile, comme on le prêche dans l'univers entier, et les
Juifs, vous le voyez, ne veulent point croire au Christ, même après qu'il est
ressuscité d'entre les morts, qu'il a été glorifié aux yeux de ses disciples en
montant au ciel, quand s'accomplissent dans l'univers entier les oracles des Prophètes.
Car tous les Prophètes qui ont annoncé que le Christ devait naître, mourir, ressusciter
, monter au ciel, ont prédit aussi que l'Eglise s'étendrait par toute la terre. Quant
aux Juifs, s'ils n'ont point vu le Christ à sa résurrection et à son ascension
465
au ciel; du moins, qu'ils voient l'Eglise répandue sur la terre
entière, et dans ce fait l'accomplissement des paroles des Prophètes.
2. Maintenant s'accomplit parmi eux ce que
nous venons d'entendre dans l'Evangile. Ils n'écoutent pas le Christ après qu'il est
ressuscité d'entre les morts, parce qu'ils n'ont -pas écouté le Christ vivant sur la
terre. C'est ce que dit Abraham à ce riche, qui était tourmenté dans l'enfer, et qui
voulait que l'on envoyât en ce monde avertir ses frères de ce que l'on souffre en enfer,
et, avant qu'ils ne tombassent dans ce lieu de tourments, de bien vivre, de faire
pénitence de leurs péchés, afin de mériter d'aller dans le sein d'Abraham, plutôt que
dans ces supplices où lui-même était tombé. Voilà ce que faisait ce riche tardivement
miséricordieux, qui avait méprisé le pauvre couché devant sa porte, et sans doute en
punition de son orgueil envers lui, sa langue était desséchée, et il soupirait après
une goutte d'eau. Comme il n'avait point fait sur la terre ce qu'il y devait faire pour ne
point arriver au lieu des tourments, il fut trop tard miséricordieux envers les autres.
Mais que lui dit Abraham ? « S'ils n'écoutent point Moïse et les Prophètes, ils ne
croiront pas, quand même quelqu'un des morts ressusciterait (1) ». Voilà ce qui
s'est vérifié, mes frères. 'On ne saurait aujourd'hui persuader aux Juifs de croire en
Celui qui est ressuscité des morts, parce qu'ils n'écoutent pas Moïse et les
Prophètes. S'ils voulaient, en effet, les écouter, ils trouveraient en eux la
prédiction de ce qui vient de s'accomplir et qu'ils ne veulent pas croire. Ce que nous
disons des Juifs faisons-le donc pour nous, de peur qu'en regardant les autres, nous ne
tombions nous-mêmes dans l'impiété. On ne lit point l'Evangile aux Juifs, mes frères
bien-aimés, on leur lit Moïse et les Prophètes, qu'ils ne veulent point croire.
Gardons-nous de faire, quand on nous lit l'Evangile, ce qu'ils font quand on leur lit les
Prophètes. Car ce n'est point chez eux, dis-je, mais chez nous, qu'on récite l'Evangile.
3. L'Evangile, vous venez de l'entendre,
nous annonce deux vies : la vie présente et la vie future. Nous avons la vie présente,
nous croyons à la vie à venir. Nous sommes dans la vie présente, sans être arrivés
encore à la vie future. Mais en cette vie présente, amassons-nous de quoi mériter la
vie éternelle ;
car nous ne sommes point morts encore. Est-ce que l'on récite
l'Evangile dans les enfers ? Quand même on l'y réciterait, ce riche l'entendrait en vain
, puisque sa pénitence ne saurait plus être fructueuse. C'est ici-bas qu'on le lit pour
nous, et nous l'entendons ici-bas où nous pouvons nous corriger tant que dure notre vie,
de peur que nous ne tombions dans ces tourments. Croyons-nous, ou ne croyons-nous pas ce
qu'on nous lit ? Loin de moi d'outrager votre charité jusqu'à penser que vous ne croyez
point ! Car vous êtes chrétiens, et vous ne seriez nullement chrétiens si vous ne
croyiez point à l'Evangile. Il est donc évident que vous croyez à l'Evangile dès lors
que vous êtes chrétiens. Nous l'avons entendu ; on vient de nous le réciter. Il y avait
donc un homme riche, plein d'orgueil, se prévalant de ses richesses, qui « était vêtu
de pourpre et de fin lin, et qui donnait de splendides festins tous les jours (1) ».
Or, à sa porte était couché un pauvre du nom de Lazare, couvert d'ulcères que les
chiens venaient lécher ; et « il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la
table du riche (2) » et ne le pouvait. Voilà donc le crime du riche ; c'est qu'il
désirait se rassasier de miettes, et ne pouvait le faire, celui qui devait se revêtir de
la nature humaine. Et dès lors si ce riche eût pris en pitié le pauvre couché à sa
porte, il serait arrivé où ce pauvre est arrivé lui-même. Ce qui a conduit en effet
Lazare au lieu du repos, c'est moins la pauvreté que l'humilité ; et ce qui en a
détourné le riche, ce sont moins les richesses que l'orgueil et l'infidélité. Car,
vous le savez, mes frères, le langage qu'il tient dans les enfers prouve que ce riche fut
infidèle sur la terre. Ecoutez en effet. Il voulait que quelqu'un d'entre les morts
allât annoncer à ses frères ce que l'on endure en enfer, et comme Abraham le lui
refusait en disant : « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu'ils les écoutent. Non,
Abraham, mon père », répond-il, « mais si quelqu'un d'entre les morts y allait,
il les persuaderait » ; nous montrant par là que lui-même, quand il était en
cette vie, ne croyait ni à Moïse, ni aux Prophètes, mais désirait qu'un homme sortit
d'entre les morts pour venir à lui. Examinez ceux qui pensent comme lui, et voyez, si
vous avez la foi, quel avertissement nous donne l'exemple de ce
466
riche. Combien nous disent maintenant Jouissons de la vie tant
qu'elle dure ? Mangeons, buvons, plongeons-nous dans les délices ! Qu'est-ce que
l'on nous annonce, qu'il y a une autre vie ? Qui en est revenu ? Qui est ressuscité?
Voilà ce qu'on nous dit, ce que disait ce riche, qui éprouve après la mort ce qu'il ne
croyait point pendant sa vie. Il eût été mieux de se corriger utilement pendant la vie,
que d'endurer après la mort tant de tourments inutiles !
4. Retournons maintenant ses paroles, afin
de voir s'il n'y a personne parmi nous pour raisonner comme lui. Car Dieu n'a point mis
sous nos yeux ici-bas ce qu'il nous a ordonné de croire ; et il nous l'a dérobé afin
que notre foi fût méritoire. Quel mérite, en effet, aurais-tu de croire, si Dieu te
l'avait mis sous les yeux ? Ce ne serait plus croire alors, mais voir. C'est donc pour
attiser ta foi que Dieu ne t'a rien manifesté ; il t'ordonne ici-bas de croire, et se
réserve de te montrer à découvert ce que tu crois. Mais si tu ne crois pas quand il
t'impose la foi, il ne te réserve point de voir sa face, mais il te réserve les
tourments du riche dans l'enfer. Et quand viendra Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur,
dont on nous prêche qu'il est venu, de manière à nous faire espérer qu'il doit venir,
il viendra avec des rétributions pour les fidèles et pour les infidèles ; aux fidèles
il donnera des récompenses, et jettera les infidèles au feu éternel. Il annonce en
effet, dans l'Evangile, comment il doit juger à la fin du monde: il mettra les uns à sa
droite, les autres à sa gauche, il fera le discernement des nations, comme le berger qui
sépare les brebis des boucs ; il placera les justes à sa droite, les impies à sa
gauche, et dira aux justes : « Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume qui
vous est préparé dès l'origine du monde » ; aux impies et aux infidèles : «
Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges (1) ». Ce
juge pouvait-il être plus obligeant pour toi, que de t'annoncer la sentence définitive,
pour te faire éviter de l'encourir? Mes frères, tout homme qui menace ne veut point
frapper, mais s'il nous surprenait tout à coup, c'est alors qu'il nous frapperait.
Quiconque dit : Garde à toi, ne veut trouver personne à frapper. C'est donc pour les
hommes se préparer un châtiment, c'est pour les
hommes s'amasser un trésor de douleur, que refuser de croire , quand
Dieu nous dit Garde à vous. Quant à la peine de nos errements en cette vie, c'est
souvent quelque affliction, quelque fléau, qui est pour nous corriger ou nous mettre à
l'épreuve. Ou bien, en effet, Dieu veut corriger l'homme de ses fautes, de peur que son
impénitence n'aboutisse à de grands châtiments, ou il met à l'épreuve la foi de
chacun de nous, afin de voir avec quel courage, avec quelle patience nous demeurerons sous
le châtiment d'un père, sans murmurer de ses paternelles corrections , nous réjouissant
de ses caresses, et toutefois ne goûtant cette joie qu'en lui rendant grâces même quand
il nous redresse ; « puisque Dieu châtie celui qu'il reçoit parmi ses enfants
(1) ». Quelles ne furent point les douleurs des martyrs ! Quel fut leur courage
! Quelles chaînes, quelles prisons fétides, quels déchirements des chairs, quelles
flammes, quelle férocité des bêtes, quels genres de mort ! Ils triomphèrent de
tout. L'esprit leur montrait de quoi mépriser ce qu'ils voyaient des yeux du corps. Car
il y avait en eux 1'il de la foi fixé sur l'avenir, et qui dédaignait le présent.
biais celui dont l'il ne voit point l'avenir, craint pour le présent et, n'arrive
point à cet avenir.
5. C'est donc la foi qui s'édifie en
nous. Que tout homme qui refuse maintenant de croire que le Christ est né de la vierge
Marie, qu'il a souffert, qu'il a été crucifié, en croie les Juifs quant à son
existence et à sa mort, et en croie l'Evangile quant à sa naissance d'une Vierge et à
sa résurrection. Il y a là des motifs de croire. Les Juifs nos ennemis n'oseraient dire
: Le Christ n'a pas existé dans notre nation, ou bien : il n'a pas existé cet Homme
qu'adorent les chrétiens. Il a existé, disent-ils, et nos pères l'ont mis à mort, et
il est mort comme tout autre homme. Si nous trouvons dans les Prophètes ce qui devait
suivre sa mort, que l'on devait parcourir le monde en son nom, que toutes les nations
devaient l'adorer, ainsi que toutes les contrées habitées, parce que tous les rois
eux-mêmes devaient accepter son joug, et si nous voyons s'accomplir après la mort du
Christ ce qui était annoncé bien avant sa naissance, dans quelle erreur ne tombons-nous
point si nous refusons de croire le reste des prophéties,
467
quand nous en voyons déjà tant d'accomplies parmi nous? Et en
effet, mes frères, nous chrétiens qui sommes ici, nous ne sommes point nous seulement,
nous sommes le monde entier. Il y a quelques années, nous n'étions pas, et ce qu'il y a
de surprenant, c'est qu'on voie aujourd'hui s'accomplir ce qui pendant tant de siècles
n'était pas. Voilà ce que nous lisons dans les Prophètes ; nous le trouvons prédit, de
peur que nous n'en venions à n'y voir que l'effet du hasard. Voilà ce qui doit augmenter
notre foi, l'édifier, la consolider. Nul ne dit : Cela s'est fait subitement. D'où cela
vient-il ? Nous voyons, de nos jours, ce qui n'est jamais arrivé sur la terre. De fois à
autre, nous trouvons dans les Ecritures que Dieu est traité comme un débiteur, mais qui
doit s'acquitter au temps qu'il a choisi. Comment Dieu pouvait-il devoir ? S'était-il
donc vu dans la nécessité d'emprunter, lui qui donne à tous en surabondance, lui qui
avait ceux mêmes qui devaient recevoir ses dons? Car, auparavant, il n'y avait aucun
homme qu'il pût combler de ses bienfaits Quelqu'un me dira-t-il : C'est à mes mérites
que Dieu a bien voulu accorder tous ces dons. Mais ton existence, aux mérites de qui
l'a-t-il accordée ? De qui pouvait-il se gratifier quand tu n'étais pas ? D'une
existence gratuite. Car tu n'avais pu la mériter avant d'être. C'est sur sa parole qu'il
te faut croire qu'il t'a fait gratuitement les autres dons. Nous sommes donc en possession
de la grâce de Dieu, et Dieu était en quelque sorte le débiteur du monde entier. Ou
plutôt, le monde n'avait aucun titre sur Dieu, parce qu'il ne connaissait pas la caution
qu'il nous avait faite. Il s'est fait débiteur par ses promesses, et non par l'emprunt
qu'il nous a fait. Car un homme peut être appelé débiteur de deux façons. Il doit
rendre ce qu'il a reçu ou ce qu'il a promis. Mais comme on ne saurait employer le mot
rendre, à l'occasion des promesses de Dieu, puisque Dieu, qui a tout donné à l'homme,
n'en a rien reçu ; il n'y a plus pour lui qu'un moyen d'être débiteur, c'est qu'il a
daigné promettre.
6. Or, cette promesse était consignée
dans les Ecritures, et les Ecritures étaient entre les mains de la nation juive, qu'il
avait choisie, afin de naître de la chair de son serviteur, de son fidèle, qui crut en
lui. Et de qui est née cette nation ? D'Abraham déjà vieux, et de Sara qui était
stérile ? Ce fut un miracle, que l'enfantement, que la naissance d'Isaac, souche de la
nation juive (1). Le vieillard n'osait plus rien espérer de ses membres vieillis, il
n'osait rien désirer d'une épouse stérile. Or, ce qu'il n'espérait plus, Dieu le lui
offrit, et il crut à Dieu qui lui offrait ce qu'il n'eût osé demander à Dieu même. Et
comme, en récompense de sa foi, un fils lui était né, en qui il croyait avoir une
postérité innombrable, voilà que Dieu lui demande de lui offrir ce même fils en
sacrifice (2). Or, telle était la foi d'Abraham, qu'il n'hésita point à immoler ce
fils, au sujet duquel il avait reçu les promesses de Dieu. Le voyons-nous hésiter et
dire à Dieu : Seigneur, un fils dans ma vieillesse était une grande faveur, le comble de
mes vieux, une joie ineffable, un fils m'est né contre mon espérance; et vous exigez que
je l'immole ? Ne m'en point donner n'eût-il pas été mieux que me le redemander après
me l'avoir donné? Il ne dit rien de semblable, mais il crut utile tout ce qu'il voyait
que Dieu exigeait. Telle est la foi , mes frères. Ce pauvre dont nous parlons fut porté
au sein d'Abraham, et le riche précipité dans les supplices de l'enfer. Or, afin que
vous sachiez que ce n'est pas dans les richesses qu'est le péché, il était riche cet
Abraham au sein duquel fut porté Lazare; Abraham était riche sur la terre, comme
l'Ecriture nous l'enseigne. Il avait beaucoup d'or et d'argent, de troupeaux, de
serviteurs. Il était riche, mais sans orgueil; afin de vous faire comprendre que la cause
des tourments du riche de l'Evangile, c'était son orgueil, c'étaient ses vices. Eux
seuls méritaient le châtiment, et non une substance de Dieu; car une substance de Dieu
est un bien, peu importe à qui il la donne. Mais quiconque en use bien s'acquiert une
récompense, quiconque en use mal encourt un châtiment. Or, voyez comment Abraham
possède les richesses. Les réserve-t-il à son fils? Quel mépris n'avait-il point pour
des richesses, l'homme qui, pour obéir à Dieu, lui offrit son fils même.
7. Les Juifs donc ne comprenaient point ce
passage de l'Ecriture, où Dieu se faisait notre débiteur par ses promesses. Or, voici
venir Jésus-Christ Notre-Seigneur , né selon les Ecritures, parce qu'il nous est rendu
selon cette même Ecriture encore. Il a souffert selon lEcriture, parce qu'elle
annonçait ce
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qu'il devait souffrir. Selon l'Ecriture encore, il est ressuscité,
parce qu'elle annonçait sa résurrection. Selon l'Ecriture, il est monté aux cieux,
parce qu'elle annonçait son ascension. Après cette ascension ignorée des Juifs, il
envoya ses Apôtres vers les nations, afin de les réveiller en quelque sorte de leur
sommeil, et de leur dire : Levez-vous, recevez ce qui vous est dû, ce que l'on vous a
promis dans les temps anciens ! Qui donc va éveiller son créancier, pour lui offrir
ce qu'il lui doit? Car ce ne sont point les nations qui se sont éveillées, parce
qu'elles avaient Dieu pour débiteur. Elles ont été appelées, ont commencé à examiner
les Ecritures et à y lire qu'elles recevaient ce qui leur avait jadis été promis. Elles
ont accueilli le Christ promis et mis sous leurs yeux; elles ont accueilli la grâce de
Dieu, l'Esprit-Saint promis et manifesté; elles ont accueilli l'Eglise dispersée parmi
les nations, promise et manifestée. Les idoles qu'adoraient les nations, Dieu avait
promis de les détruire. Voilà ce qu'on lit dans les Ecritures, voilà ce qu'on y trouve
(1). Vous voyez comment Dieu accomplit de nos jours ce qu'il a promis tant de milliers
d'années auparavant. Car les hommes s'étaient détournés de celui qui les avait
créés, pour se tourner vers l'ouvrage de leurs mains. Or, comme l'ouvrier est toujours
supérieur à son oeuvre, Dieu dès lors est supérieur non-seulement à l'homme qu'il a
fait, mais supérieur à tous les anges, aux vertus, aux puissances, aux trônes, aux
dominations, puisqu'il les a tous créés (2) et que toute oeuvre de l'homme est
inférieure à l'homme lui-même. Telle était la démence des hommes, qu'ils adoraient
les idoles qu'ils auraient dû condamner. Encore s'ils eussent adoré l'ouvrier qui avait
fait l'idole, car l'ouvrier est supérieur à l'idole qu'il a faite. Adorer un ouvrier,
t'eût été de la part des hommes une abomination, et les voilà qui adorent l'idole
faite par l'ouvrier. C'eût été une abomination d'adorer l'ouvrier, mais t'eût été
mieux encore que d'adorer l'idole. Or, s'il faut condamner ceux qui font mieux, quelles
pleurs donner à ceux qui font pire ? Et si nous portons condamnation contre celui qui
adore l'ouvrier, celui qui abandonne l'ouvrier pour passer à l'idole, qui délaisse le
mieux pour passer au pire, quelle condamnation
méritera-t-il ?Mais quel mieux a-t-il délaissé tout d'abord ?
Dieu, par qui il a été fait. Il cherche l'image de Dieu, et il l'a en lui-même.
L'ouvrier n'a pu faire l'image de Dieu, mais Dieu a pu se faire une image. Or, adorer
l'image de l'homme qu'a faite l'ouvrier, c'est mutiler l'image de Dieu, gravée en toi par
Dieu même. Et quand il t'appelle pour te ramener à lui, c'est pour te rendre cette image
que tu as perdue, effacée, en l'usant au contact des convoitises terrestres.
8. C'est pourquoi, mes frères, Dieu nous
redemande son image. C'est ce qu'il veut dire aux Juifs quand ceux-ci lui présentèrent
une pièce de monnaie. D'abord ils voulaient le tenter, en disant : « Maître, est-il
permis de payer le tribut à César (1) ? » afin que, s'il répondait : il est permis,
ils pussent l'accuser de malédiction contre Israël, qu'il voudrait assujétir à
l'impôt et rendre tributaire sous le joug d'un roi. Que si, au contraire, il répondait :
Il n'est pas permis, ils pussent l'accuser de parler contre César, d'être cause qu'on
refusait l'impôt que l'on devait, puisqu'on était sous le joug. Il vit leur piège,
comme la vérité découvre le mensonge, et il les convainquit de mensonge par leur propre
bouche. Il ne les condamna point de sa propre bouche, mais il leur fit prononcer
eux-mêmes leur sentence, ainsi qu'il est écrit : « Tu seras justifié par tes paroles
et condamné par tes paroles (2). Pourquoi me tentez-vous », leur dit-il? «
Hypocrites, montrez-moi la pièce d'argent du tribut ». Et ils lui en montrèrent
une. « De qui est cette image et cette inscription? De César, répondirent-ils. Et le
Sauveur : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (3)
». De même que César cherche son image sur une pièce de monnaie, Dieu recherche son
image en ton âme. Rends à César, dit le Sauveur, ce qui appartient à César. Que
réclame de toi César ? Son image. Que réclame de toi le Seigneur? Son image. Mais
l'image de César est sur une pièce de monnaie, l'image de Dieu est en toi. Si la perte
d'une pièce de monnaie te fait pleurer, parce que tu as perdu l'image de César ; adorer
les idoles , ne sera-ce point pour toi un sujet de larmes, puisque c'est faire injure en
toi à l'image de Dieu?
9. Examinez donc, mes frères, la promesse
470
du Seigneur notre Dieu, et voyez, d'après le nombre de ses
promesses, combien il nous a déjà donné. Le Christ n'était point né encore, mais il
était promis dans les saintes Ecritures ; il a tenu cette promesse. Il est né; mais il
n'avait point souffert encore, il n'était pas ressuscité; il a également tenu cette
promesse. Il a souffert, a été crucifié, est ressuscité. Sa passion est notre
récompense, son sang le prix de notre rédemption. Il est monté aux cieux, comme il
l'avait promis ; nouvelle promesse que Dieu a tenue. Il a envoyé l'Evangile dans toutes
les nations, et c'est pour cela qu'il voulut avoir quatre évangélistes, afin que ce
nombre de quatre indiquât l'univers entier, par l'Orient et l'Occident, le Nord et le
Midi. Pour cela encore qu'il voulut avoir, douze disciples, afin d'en envoyer trois dans
chacune des quatre parties, parce que le monde entier est appelé en la sainte Trinité,
au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Encore une promesse qu'il a tenue. Il a
donc lancé l'Evangile selon cette prédiction : « Qu'ils sont beaux, les pieds de ceux
qui annoncent l'Evangile de paix, qui évangélisent les vrais biens (1) ! Leur voix s'est répandue par toute la terre, et leurs
paroles sur les confins de la terre (2) ». II a donc envoyé comme il l'avait promis.
C'est dans toutes les contrées que l'Evangile est écrit. L'Eglise aussi tout d'abord
souffrit persécution : c'est une promesse acquittée par Dieu qui avait promis des
martyrs. Cite-nous cette promesse : « Précieuse est devant le Seigneur la mort de ses
justes (3) ». Que doit-il acquitter encore ? « Tous les rois de la terre se
prosterneront en sa présence (4) ». Ils ont cru aussi, ces rois qui, tout d'abord,
avaient fait des martyrs par la persécution. Nous voyons donc aussi maintenant des rois
qui embrassent la foi. Dieu a donc tenu à ses promesses, au point qu'ils ordonnent
maintenant de briser les idoles, ces mêmes rois qui ordonnaient de mettre à mort les
chrétiens. Il a fait encore disparaître les idoles, comme il l'avait promis : « Les
idoles des nations ne seront point épargnées (5) ». Après l'accomplissement de tant de
promesses, pourquoi, mes frères, ne point croire en lui? Dieu est-il donc devenu un
débiteur moins solvable ? Quand même il n'aurait rien accompli
encore, il n'en serait pas moins débiteur solvable, lui qui a créé
le ciel et la terre. Car il ne saurait devenir pauvre au point de n'avoir pas de quoi
payer, ni tromper, puisqu'il est la vérité, ou bien la puissance de Dieu peut-elle être
renversée avant qu'il ait le temps de s'acquitter?
10. Il est juste, mes frères, que l'on
croie en Dieu avant qu'il acquitte quoi que ce soit; car il ne saurait ni mentir, ni
tromper aucunement. Il est Dieu. Ainsi nos pères ont cru en lui. Ainsi crut en lui
Abraham. C'est ainsi que la foi est louable, qu'elle est exemplaire. Il n'avait rien reçu
de Dieu encore, et il crut à sa promesse; et nous qui avons déjà tant reçu de lui,
nous ne croyons pas. Abraham pouvait-il lui dire : Je croirai en vous parce que vous avez
accompli telle promesse que vous m'aviez faite? A la première injonction, il crut sans
rien avoir vu s'accomplir de semblable. « Sors de la terre, lui fut-il dit, de ta
parenté, et va dans la terre que je te montrerai (1) ». Et il crut à l'instant,
quoique Dieu ne lui eût point donné cette terre, mais l'eût réservée à sa
postérité, et que promit-il à cette postérité? « En ta postérité seront bénies
toutes les nations (2)». Sa postérité c'est le Christ, puisque d'Abraham naquit Isaac,
d'Isaac Jacob, de Jacob les douze patriarches, des douze patriarches le peuple juif , du
peuple juif la vierge Marie, et de la vierge Marie Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ce même
Jésus-Christ Notre-Seigneur est donc la postérité d'Abraham, et la promesse faite à
Abraham, nous la voyons accomplie en nous. En « ta postérité, lui fut-il dit,
seront bénies toutes les nations ». Voilà ce qu'il crut avant d'avoir rien vu. Il crut
sans avoir vu ce qu'on lui promettait. C'est nous qui voyons la promesse qui lui fut
faite. Et tout ce qui lui était promis devait s'accomplir. Qu'est-ce que Dieu n'a point
accompli ? Il a 'prédit des peines pour cette vie, des peines pour ses saints, ses
fidèles, qui en recueilleront le fruit par la patience (3). Il les a prédites, et nous
les voyons; nous ployons sous les calamités. Quelles épreuves ne sont point annoncées
encore? Gardez-vous de croire, en effet, mes frères, que les malheurs qui nous accablent
dans ces temps ne sont point consignés dans les saintes Ecritures. Tout est consigné, et
la patience recommandée aux chrétiens, et sur
470
tout les biens à venir, parce que sont venus sur nous les maux qui
devaient arriver d'après les prédictions. Si les maux prédits n'étaient point
arrivés, ils nous rendraient incrédules au sujet des biens; mais les maux sont accomplis
pour nous faire croire aux biens de la vie future.
11. Tel est le monde ici-bas; c'est un
pressoir qui foule. Mais si tu n'es que le marc impur, tu vas aux cloaques; si tu es
l'huile, tu es recueilli dans le vase. Il faut en effet qu'il y ait un pressoir. Voyez
plutôt le pressoir et voyez l'huile. Le pressoir foule quelquefois dans le monde; ainsi,
c'est la famine, la guerre, la disette, la pauvreté, la mortalité, les pillages,
l'avarice, la misère des pauvres, les calamités des villes. C'est tout cela, et nous le
voyons. Tout cela est prédit, et nous le voyons s'accomplir. Or, au milieu de ces
calamités, nous entendons des hommes qui murmurent et qui disent : Combien de malheurs
depuis que le monde est chrétien ! Avant qu'on ne fût chrétien, quelle abondance
de richesses ! Nous n'avions pas à subir tant de calamités. C'est le marc sortant
du pressoir, et coulant au cloaque. Aussi sa bouche est-elle noire de ses blasphèmes; il
n'a nulle beauté, tandis que l'huile a un certain éclat. Nous rencontrons un autre homme
qui sort du pressoir, de dessous cette meule qui l'a broyé. S'il est tout disloqué,
n'est-ce point l'effet du pressoir ? Après avoir entendu le marc, prêtez l'oreille à
l'huile. Grâces au Seigneur ! Que votre nom soit béni, ô mon Dieu ! Tous ces
maux dont vous nous accablez étaient prédits. Nous voici dans la certitude que les biens
viendront aussi. Quand vous nous redressez ainsi que les méchants, c'est votre volonté
qui s'accomplit. Nous trouvons en vous un Père dans vos promesses, un Père encore dans
vos châtiments. Redressez-nous, et rendez-nous l'héritage que vous nous avez promis pour
la fin. Nous, bénissons votre saint nom, parce que le mensonge ne fut jamais en vous.
Toujours vous avez dirigé les événements selon votre prédiction. C'est au milieu de
ces bénédictions qui s'échappent du pressoir, que l'huile s'écoule dans les vases. Et
toutefois, comme le monde entier n'est qu'un pressoir, on en tire une autre comparaison.
De même que c'est dans la fournaise que l'on éprouve l'or et l'argent, de même c'est au
feu de la tribulation que le juste est mis à l'épreuve ; et le creuset de l'orfèvre
nous fournit cette comparaison. Dans cet étroit creuset, nous trouvons trois choses : le
feu, l'or et la paille ; et voilà ce qui nous donne l'image du monde entier. Il y a dans
le monde, en effet, et de la paille, et de l'or, et du feu ; de la paille qui est
brûlée, du feu qui embrase, de l'or qui est éprouvé. De même, en ce bas monde, on
rencontre partout des justes, des impies et la tribulation. Le monde ressemble à la
fournaise de l'orfèvre, les justes à l'or, les impies à la paille, et la tribulation au
feu qui embrase. Pourrait-on purifier l'or si la paille n'était brûlée ? De là vient
que les impies sont réduits en cendres. Ils ne sont que cendres en effet, quand ils
blasphèment, quand ils murmurent contre Dieu. Ils sont un or épuré, les justes qui
supportent patiemment toutes les calamités de cette vie, qui bénissent le Seigneur au
milieu de leurs tribulations, et que Dieu met dans ses trésors comme un or précieux. Car
Dieu a des trésors où il met l'or épuré, de même qu'il a des égouts pour jeter les
cendres de la paille. Or, il redemande pour lui tout ce qui est en ce monde. Vois ce que
tu es, car il faut que le feu vienne. S'il trouve que tu sois de l'or, il épurera en toi
les scories; s'il trouve que tu sois de la paille, il te consumera et te réduira en
cendres. Choisis le sort que tu veux subir ; car tu ne saurais dire : J'éviterai le feu.
Te voilà dans le creuset de l'orfèvre, où le feu viendra nécessairement; et il est
plus nécessaire encore que tu y sois, puisque tu ne saurais éviter le feu.
12. Pourquoi donc, mes frères, ne pas
croire que la fin du monde arrivera, ainsi que le jour du jugement, afin que chacun de
nous reçoive selon ses oeuvres en cette vie, bonnes ou mauvaises ? Quand nous voyons
s'accomplir, se manifester, et nous arriver tant de promesses faites, pourquoi, pendant
notre vie, ne point choisir le parti qui nous fera vivre toujours? Ainsi, parce que nous
avons été négligents, soyons diligents aujourd'hui. Car la négligence ne nous est
jamais permise. Tu ne sais ce que demain sera pour toi. Dieu, dans sa patience, nous
avertit de redresser et nous et notre vie, si elle a été mauvaise, et de faire un
meilleur choix quand il en est temps. Pensez-vous que Dieu dort et ne voit point ceux qui
font le mal? En nous enseignant la patience, il nous en donne le (471) premier l'exemple.
Or, il trouve un homme qui a fait des progrès, qui ne marche plus comme il marchait,
c'est-à-dire dans le mal. Mais cet homme est en butte à la méchanceté d'un ennemi , et
il voudrait que Dieu le retirât de ce monde ; et il murmure contre le Seigneur, qui lui
laisse ici-bas un ennemi puissant, et ne le délivre point de ses vexations. Cet homme
oublie que le Seigneur l'a supporté avec patience, et que, s'il eût usé de sévérité
envers lui, il ne serait plus là pour murmurer. Tu demandes à Dieu d'être sévère ?
Mais tu as passé, souffre qu'un autre passe aussi. Car tu n'as pas, après ton passage,
coupé le pont de la divine miséricorde. Il en est d'autres à passer. Dieu t'a fait bon,
de mauvais que tu étais, il veut qu'un autre aussi, de mauvais devienne bon, comme
toi-même as changé du mal au bien. Ainsi tous viennent à leur tour. Mais certains
refusent de venir, d'autres viennent volontiers. C'est aux premiers que l'Apôtre a dit :
« Par votre dureté, par l'impénitence de votre coeur, vous vous amassez un trésor
de colère pour le jour de la colère et de la manifestation a du juste jugement de Dieu
qui rendra à chacun selon ses oeuvres (1) ». Et puis, si le méchant veut persévérer
dans le mal, au lieu d'être un compagnon pour toi, il sera une occasion d'épreuve. Car
s'il est méchant, et toi bon, ta patience à supporter le mal prouve en toi la bonté. Tu
recevras donc la couronne de l'épreuve, tandis qu'il subira la peine de sa persévérance
dans le mal. Quoi que fasse le Seigneur, attendons avec patience sa paternelle correction.
Il est père, en effet, il est bienveillant, il est miséricordieux. Qu'il laisse nos
jours s'écouler en paix, c'est alors que, pour notre malheur, il s'irrite contre nous.
13. Voyez, mes frères, jetez un coup
d'oeil sur ces amphitéâtres qui s'écroulent aujourd'hui. La luxure les a construits.
Pensez-vous, en effet, qu'ils soient l'oeuvre de la piété ? Non, ils ne sont l'oeuvre
que de la luxure des hommes impies. Or, ne voulez-vous point que s'écroulent un jour les
édifices de la luxure et que s'élèvent les édifices de la piété? Quand on
construisait ces monuments, Dieu permit qu'un jour les hommes reconnussent les désordres
qu'ils commettaient. Mais comme ils ne les voulurent point reconnaître, Notre-Seigneur
Jésus-Christ est venu, a commencé
à prêcher leurs désordres , à détruire ce qu'ils avaient de plus
cher, et les voilà qui disent : Les temps sont mauvais depuis le christianisme. Pourquoi
? Parce que l'on détruit sous tes yeux ce qui te faisait mourir. Mais, nous disent-ils,
on regorgeait de biens, quand se donnaient ces spectacles. Sans doute, et c'est de là que
venaient ces grands biens. Si donc tu reconnais que Dieu t'a donné un jour cette
abondance dont tu as fait mauvais usage, usage de perdition, comprends que cette abondance
t'a conduit à la mollesse et à la perte de ton âme. Alors est venu le Père qui a dit
avec sévérité: Voilà un enfant indiscipliné. Je lui ai confié tel ou tel bien ,
comment donc a-t-il perdu l'un et l'autre ? Si nous-mêmes nous ne confions aucune semence
à la terre, qu'elle ne soit bien préparée, de peur que cette semence ne vienne à se
perdre, comment voulez-vous que Dieu nous donne ses biens en abondance, quand nous sommes
insubordonnés au point de négliger notre vie, quand cette abondance deviendrait une
source d'abus, et ne voulez-vous pas que Dieu arrête les hommes sur la pente de la
perdition. Mes frères, Dieu est médecin, et il sait nous enlever un membre gangréné,
de peur que le mal ne gagne les autres. Il faut couper ce doigt, dit-il; car un doigt de
moins est mieux que tout le corps s'en allant en pourriture. Si le médecin, qui est un
homme, en agit ainsi d'après son art, si l'art médical retranche quelque partie des
membres , pour empêcher la gangrène de tout envahir, pourquoi Dieu n'amputerait-il pas
chez les hommes ce qu'il connaît de gangréné, pour les faire arriver au salut?
14. Loin de nous donc, mes frères, cet
ennui pour la main sévère de Dieu, de peur qu'il ne nous laisse et que nous ne
périssions éternellement; demandons-lui plutôt qu'il tempère les châtiments, qu'il
les proportionne de manière que nous ne succombions point, demandons-lui qu'il nous
redresse pour notre salut, qu'il mesure l'épreuve, et nous rende ensuite ce qu'il a
promis à ses saints. Voyez ce qu'a dit l'Ecriture : « Le pécheur a irrité le Seigneur,
et dans sa grande colère il n'en tirera point vengeance (1).» Qu'est-ce à dire, qu'
« il n'en tirera pas vengeance dans sa colère? » C'est-à-dire que telle est
sa colère, qu'il ne recherchera point ses fautes, mais qu'il
472
le laissera périr éternellement. Si donc négliger le châtiment
est l'effet d'une grande colère, nous exercer est l'effet de sa miséricorde. Or, il nous
exerce , quand il nous châtie, quand il attire à lui notre coeur par l'affliction.
Tenons donc à ce salut qu'il nous présente, et ne fuyons point ses châtiments. Tels
sont les enseignements et les avertissements qu'il nous donne, c'est en cela même qu'il
nous affermit. Lui, Fils de Dieu, qui est venu ici-bas nous consoler, quelle prospérité,
dites-moi, a-t-il goûtée ici-bas? Il est, à n'en pas douter, le Fils de Dieu, Verbe de
Dieu, par qui tout a été fait. Or, quelle prospérité at-il goûtée en cette vie?
N'est-ce point lui qui, en chassant les démons, entendait résonner à ses oreilles cette
injure : « Vous êtes possédé du démon (1) ». Oui, au Fils de Dieu qui
chassait les démons, les Juifs disaient: « Vous êtes possédé du démon ».
Ils valaient mieux que les Juifs, ces démons qui confessaient qu'il était le Messie (2).
Ils faisaient du moins cette confession que les Juifs ne faisaient point. Or, telle était
sa patience, telle était sa grandeur, telle était sa puissance, qu'il endurait toutes
ces injures. Il fut flagellé et outragé, sa face fut meurtrie de soufflets, couverte de
crachats, il fut couronné d'épines, tourné en dérision, insulté, enfin suspendu à
la croix, puis enseveli. Tout cela, le Fils de Dieu l'a enduré. S'il
en est ainsi du Maître, à combien plus forte raison du disciple? Ainsi de celui qui nous
a créés, à combien plus forte raison de sa créature? Lui qui nous a légué la
patience afin de nous donner l'exemple. Pourquoi manquer de patience, comme si nous avions
perdu notre chef qui nous a précédé au ciel? Mais ce chef ne nous a précédé au ciel
que pour nous dire en quelque sorte : C'est là, là qu'il vous faut venir par la douleur
et la patience. Telle est la voie que j'ouvre devant vous. Mais où conduit cette voie par
laquelle vous me voyez monter? Au ciel. Refuser de prendre cette voie, c'est refuser
d'aller au ciel. Quiconque veut venir à moi, doit y venir par le chemin que j'ai
enseigné, et vous ne pouvez y :arriver que par le chemin des chagrins, des douleurs, des
tribulations, des angoisses. C'est par là que tu arriveras au repos qui ne t'est point
refusé. Mais si tu aspires à ce repos qui est pour un temps, si tu veux t'éloigner de
la voie du Christ, considère les tourments de ce riche qui était torturé dans les
enfers, et qui, en recherchant le repos d'ici-bas, trouva les peines éternelles. Mes
frères bien-aimés, choisissons la vie pénible qui doit aboutir au repos sans fin.
Tournons-nous du côté du Seigneur, etc.
ANALYSE. 1. Les Juifs pires que les Ninivites, et la reine
de Saba. 2. Comment le dernier état de lhomme délivré du démon devient-il
pire que le premier. 3. Le Christ enseigne aux parents à n'empêcher point les
enfants en fait de bonnes oeuvres. 4. Le. Christ en naissant a fait honneur aux deux
sexes, de là le devoir des enfants. 5. Réfutation des Manichéens qui soutiennent
que le Christ n'eut point de mère. 6. Preuve contre les Manichéens que le Christ
eut une mère. 7. De là, excellence de la vierge Marie. 8. Comment le
chrétien peut-il devenir mère du Christ.
1. Si nous voulions reprendre en détail,
mes frères bien-aimés, tout ce qu'on vient de
nous dire dans l'Evangile, c'est à peine si notre temps suffirait
pour chacun des Points,
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et dès lors il sera loin de nous suffire pour tous. Le Sauveur
lui-même veut bien nous montrer que, dans le Prophète Jonas qui fut jeté dans la mer,
qu'un monstre marin reçut dans ses entrailles et vomit le troisième jour, il y avait-
une figure du Sauveur, qui souffrit et qui ressuscita le troisième jour. Le Seigneur
accusait les Juifs en les comparant aux Ninivites, car ces Ninivites auxquels Jonas fut
envoyé pour les réprimander, apaisèrent la colère de Dieu par la pénitence et
méritèrent qu'il les prit en pitié. « Or », dit le Sauveur, « il y a ici plus
que Jonas (1) », voulant nous faire comprendre que c'est lui, le Christ et le Seigneur.
Les Ninivites écoutèrent le serviteur et redressèrent leurs voies ; tandis que les
Juifs entendirent le Maître, et non-seulement ils ne redressèrent point leurs voies,
mais ils le mirent à mort. « La reine du Midi s'élèvera au jugement contre cette
génération, pour la condamner », dit le Sauveur. « Car elle vint des confins de
la terre, pour entendre la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon (2)». Ce
n'était point s'élever pour le Christ, que se mettre au-dessus de Jonas, au-dessus de
Salomon; car il était le maître, tandis que ceux-ci n'étaient que les serviteurs. Et
toutefois, quels sont ces hommes qui ont méprisé le Seigneur présent sous leurs yeux,
quand des étrangers ont obéi à ses serviteurs !
2. Nous lisons ensuite : « Quand l'esprit
immonde sort d'un homme, il erre dans les lieux arides, cherchant le repos, et il ne le
trouve pas; et il dit: Je reviendrai dans ma maison d'où je suis sorti; et, revenant, il
la trouve vide, nettoyée et ornée. Alors il va et prend avec lui sept autres esprits
plus méchants que lui, et entrant, ils y habitent, et le dernier état de cet homme
devient pire que le premier, et ainsi en sera-t-il de cette génération criminelle
(3) ». Il nous faudrait un long discours pour exposer ce passage convenablement.
Nous en dirons néanmoins quelques mots avec le secours de Dieu, afin de ne point vous
laisser sans quelque idée de ces paroles. Quand on nous remet nos péchés par les
sacrements, on nettoie la maison; mais il est nécessaire que le Saint-Esprit la vienne
habiter. Or, le Saint-Esprit n'habite que chez les humbles de coeur. Car le Seigneur a
dit: «En qui repose mon Esprit? »Et il fait cette réponse: « Sur l'homme humble,
sur l'homme calme, sur l'homme qui redoute ma parole (1)». Que
l'Esprit-Saint habite en nous, en effet, et alors il nous absorbe, nous redresse, nous
conduit, nous arrête dans le mal, nous excite au bien, nous fait goûter les charmes de
la justice à ce point que l'homme fait le bien par amour pour le bien et non par la
crainte du châtiment. Or, agir ainsi par lui-même, l'homme ne le trouve point dans sa
nature; mais que le Saint-Esprit habite en lui, il l'aide à faire toutes sortes de bien.
Que l'orgueilleux, au contraire, après la rémission de ses péchés, compte pour faire
le bien sur l'unique impulsion de sa bonne volonté, son orgueil éloigne de lui
l'Esprit-Saint, et alors il est une demeure purifiée des péchés, mais vide de tout
bien. Tes péchés te sont remis, il n'y a plus aucun mal en toi, mais il n'y a que le
Saint-Esprit seul qui te puisse remplir de biens; et ton orgueil l'éloigne de toi, ta
présomption le force à t'abandonner. Ta confiance en toi te livre à toi-même. Mais
cette convoitise qui te rendait mauvais et que tu as expulsée de toi-même ou de ton
âme, lorsque tes péchés ont été remis, erre dans les lieux arides, cherchant le repos
et ne le trouvant point, cette convoitise revient à la maison, qu'elle trouve nettoyée,
« elle amène avec elle sept autres esprits plus méchants qu'elle-même, et le dernier état de cet homme devient pire que le
premier ». « Elle amène sept autres esprits avec elle ». Que signifient ces
« sept autres? » L'esprit immonde est-il septénaire à son tour? Qu'est-ce que
cela signifie? Le nombre sept exprime l'universalité : il était parti entièrement, il
est entièrement revenu, et plût à Dieu qu'il pût revenir seul ! Qu'est-ce à
dire, qu' « il amène avec lui sept autres esprits? » C'est-à-dire des esprits que
le méchant n'avait point dans ses désordres, et qu'il aura, quand il ne sera bon qu'en
apparence. Prêtez-moi toute votre attention, dont j'ai besoin pour vous expliquer ma
pensée autant que je le puis avec le secours de Dieu. Il y a sept actes du Saint-Esprit
tel qu'on nous le prêche; il est pour nous « l'Esprit de sagesse et d'intelligence, de
conseil et de force, de science, de piété et de crainte de Dieu (2) ». Or, à ce
nombre septénaire du bien, opposez sept actes mauvais: l'esprit de folie et d'erreur,
l'esprit de témérité et de lâcheté, l'esprit
474
d'ignorance et d'impiété, et l'esprit d'orgueil opposé à l'esprit
de crainte de Dieu. Voilà les sept esprits du mal. Quels soit les sept autres pires. Nous
retrouvons les sept autres pires dans l'hypocrisie. C'est un mauvais esprit que l'esprit
de folie, il a son pire dans la sagesse simulée. L'esprit d'erreur est mauvais, la
vérité simulée est pire. L'esprit de témérité est mauvais, le conseil simulé est
pire encore ; l'esprit de paresse est un mal, le courage simulé est pire encore ;
l'esprit d'ignorance est un mal, une science simulée est pire encore; l'esprit
d'impiété est un mal, la piété simulée est pire encore ; l'esprit d'orgueil est un
mal, la crainte simulée est pire encore. En supporter sept était difficile; mais
quatorze, qui le pourra? Dès lorsque la vérité simulée vient s'ajouter à la malice,
il est nécessaire que le dernier état de cet homme devienne pire que le premier.
3. « Comme il parlait ainsi devant la
foule (je cite l'Evangile), sa mère et ses
frères étaient au dehors, cherchant à lui parler. Quelqu'un lui dit: Voilà votre mère
et vos frères qui sont dehors et qui désirent parler avec vous. Et lui : Qui est ma
mère et qui sont mes frères? Puis, étendant la main sur ses disciples, il dit: Voici ma
mère et mes frères. Car, quiconque fera la volonté de mon Père qui est dans les cieux,
celui-là est mou frère, est ma soeur, est ma mère (1) » . C'est à ceci que je
voudrais me borner, mais pour n'avoir pas voulu laisser ce qui précède, j'y ai donné,
je le sens, une assez grande part de mon temps. Ce que j'entreprends maintenant a bien des
faux-fuyants, bien des difficultés, comment Notre-Seigneur Jésus-Christ a pu, dans sa
piété filiale, mépriser sa mère, non telle ou telle mère, mais une mère vierge, et
une mère d'autant plus vierge qu'il lui avait apporté la fécondité sans effleurer son
intégrité, une mère qui concevait dans sa virginité, qui enfantait dans sa virginité,
qui demeurait dans une perpétuelle virginité. Ce fut cette mère qu'il méprisa, de peur
que l'affection maternelle ne lui fût un obstacle dans l'uvre qu'il accomplissait.
Quelle était cette oeuvre? Il parlait aux populations, détruisait le vieil homme,
faisait naître l'homme nouveau, délivrait les âmes, déliait ceux qui étaient
enchaînés, éclairait les esprits aveugles, faisait le bien, et, dans l'accomplissement
du bien,
apportait le feu de son action et de sa parole. Ce fut alors qu'on
lui fit part d'une affection charnelle. Vous avez entendu sa réponse, à quoi bon la
répéter? Que les mères l'entendent, et que leur affection charnelle ne soit point un
obstacle aux bonnes oeuvres de leurs enfants. Apporter de tels obstacles, entraver des
actions saintes, au point de les interrompre, c'est mériter le mépris de leurs fils. Et
quand le Christ ne. prend point garde à la vierge Marie, que sera-ce d'une mère, mariée
ou veuve, qui s'irrite contre son fils qui s'adonne au bien de toute son âme, et qui dès
lors né prend point garde à l'arrivée de sa mère? Mais, direz-vous Est-ce que vous
comparez mon fils au Christ? Je ne le compare point au Christ, ni vous à Marie. Le
Seigneur, sans condamner l'affection maternelle, nous a donné en lui-même un grand
exemple du peu d'obstacle que doit être une mère dans l'uvre de Dieu; sa parole
était un enseignement, le peu de cas qu'il faisait un enseignement, et il a daigné faire
peu attention à sa mère, afin de t'apprendre à ne pas t'arrêter à ton père et à ta
mère, quand il s'agit de travailler pour Dieu.
4. Sans doute Notre-Seigneur Jésus-Christ
ne pouvait devenir homme sans une mère, lui qui l'a bien pu sans un père. S'il fallait,
ou plutôt parce qu'il fallait que celui qui a fait l'homme devint homme, à cause de
l'homme lui-même, considérez bien attentivement comment il fit le premier homme. Le
premier homme fut fait sans père et sans mère. Or, les dispositions que Dieu a pu
prendre tout d'abord pour établir la race humaine, n'aurait-il pu ensuite se les
appliquer à lui-même quand il s'agit de réparer cette race des hommes? Etait-ce donc
une difficulté pour la sagesse de Dieu, pour le Verbe de Dieu, pour la vertu de Dieu,
pour le Fils unique de Dieu, était-ce une difficulté de prendre quelque part, à son
gré, cet homme qu'il devait s'adapter à lui-même? Les anges sont devenus des hommes,
pour communiquer avec les hommes. Abraham donna un festin à des anges, et les invita
comme s'ils eussent été des hommes, et non-seulement il les vit, mais il les toucha,
puisqu'il leur lava les pieds (1). Or, tout ce que firent alors les anges n'était-ce donc
que des jeux fantastiques? Si donc un ange a pu, à son gré, prendre une forme humaine,
et forme
475
réelle, le Maître des anges ne pouvait-il pas prendre où il
voulait cet homme qu'il devait s'unir? Toutefois, il ne voulut point avoir un homme pour
père, ni venir parmi les hommes, par le moyen de la convoitise charnelle; mais il voulut
avoir une mère, afin qu'en ne s'arrêtant point à cette mère, quand il faisait
l'uvre de Dieu, il donnât l'exemple aux hommes. Il voulut choisir pour lui le sexe
de l'homme, et néanmoins honorer dans sa mère le sexe de la femme. Car au commencement
ce fut la femme qui commit le péché et qui le fit commettre à l'homme (1). Chacun des
deux époux fut trompé par la ruse du diable. Que le Christ se soit fait homme, sans
avoir relevé en honneur le sexe féminin, les femmes désespéreraient d'elles-mêmes,
surtout que c'est par la femme que l'homme est tombé. Il a donc voulu honorer l'un et
l'autre sexe, les relever, les consacrer en lui-même. Il est né d'une femme. Ne
désespérez point, ô hommes, puisque le Christ a daigné se faire homme. Ne désespérez
point, ô femmes, puisque le Christ a daigné prendre une femme pour mère. Que chacun des
deux sexes ait sa part dans le salut du Christ. Que l'homme y vienne, que la femme y
vienne aussi. Car dans la foi il n'y a ni homme ni femme (2). Donc le Christ t'enseigne
tout â la fois et à mépriser tes parents, et à aimer tes parents. C'est aimer ses
parents avec le dévouement qui convient, que ne point les préférer à Dieu. « Celui
qui aime son père et sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi (3) ». Ce sont
les paroles du Seigneur, et ces paroles semblent nous dissuader d'aimer, ou plutôt, si
l'on y fait attention, elles nous avertissent d'aimer nos parents. Le Seigneur aurait pu
dire: Celui qui aime son père ou sa mère n'est pas digne de moi. Or, il n'a point tenu
ce langage, pour ne point parler contre la loi; car c'est lui qui a donné la loi par
Moïse, son serviteur, loi qui porte : « Honore ton père et ta mère (4) ». Il n'a
point proclamé une loi contraire, mais il a recommandé celle-ci, en y réglant la
piété filiale sans la détruire. « Celui qui aime son père ou sa mère plus que
moi ». Qu'il les aime donc, mais non plus que moi. Dieu est Dieu, et l'homme est
homme. Aime tes parents, obéis à tes parents, honore tes parents; mais si Dieu t'appelle
à de plus hauts desseins
où l'amour des parents puisse être un obstacle, observe l'ordre et
ne renverse pas la charité.
5. Or, dans cette doctrine si vraie de
Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, qui croirait que les Manichéens sont allés
chercher ces assertions calomnieuses par lesquelles ils voudraient nous enseigner que
Notre-Seigneur Jésus-Christ n'eut point de mère. Dans leur sagesse, ou plutôt dans leur
folie, ils nous disent que le Seigneur Jésus n'eut point de mère dans la race de
l'homme, et cela contrairement à l'Évangile, contre la vérité la plus éclatante. Et
voyez d'où ils tirent leur argumentation. Voilà, disent-ils, que lui-même l'a
enseigné. Que dit-il? « Qui est ma mère, et qui sont mes frères (1) ? » Le voilà qui
nie, et ce qu'il nie, tu veux nous forcer à le croire. Lui-même dit : « Qui est ma
mère et qui sont mes frères? » et tu viens nous dire : Il a une mère. O insensé,
ô misérable, ô détestable disputeur ! Réponds-moi: d'où sais-tu que le Seigneur
a dit : « Qui est ma mère et qui sont mes frères? » Tu prétends que le Christ
n'eut point de mère, et cette prétention, tu veux l'appuyer sur cette parole : « Qui
est ma mère, et qui sont mes frères? » Qu'un autre s'en vienne et te dise que le
Seigneur n'a point tenu ce langage, comment pourras-tu l'en convaincre? Réponds, si tu le
peux, à celui qui viendra nier cette parole du Christ. Ton arme pour le convaincre doit
te convaincre toi-même. Est-ce bien le Christ qui t'a soufflé à l'oreille qu'il a tenu
ce langage? Réponds, afin d'être convaincu par ta propre bouche. Réponds, afin de me
convaincre que le Christ a tenu ce langage. Je sais ce que tu vas dire. Je prendrai son
livre, j'ouvrirai l'Évangile, et je réciterai ses paroles consignées dans l'Évangile.
C'est bien, très-bien ! C'est avec l'Évangile que je te tiendrai, avec l'Évangile
que je vais t'enlacer, avec l'Évangile que je vais t'étouffer. Récite dans l'Évangile
ce que tu crois en ta faveur. Ouvre et lis : « Qui est ma mère? » Tu verras plus
haut ce qui te fait parler de la sorte. Quelqu'un lui vint dire : « Voilà votre mère et
vos frères qui se tiennent dehors (2) ». Je ne te presse pas encore, je ne te tiens pas,
je ne t'étouffe pas encore , puisque tu peux dire que c'était là une assertion fausse,
contraire à la vérité, mensongère, et que dès lors le Seigneur la réfuta,
476
puisque à cette nouvelle il répondit « Qui est ma mère? » comme
s'il disait: Tu viens me dire que ma mère est dehors, et moi je te réponds : « Qui
est ma mère?» Auquel devons-nous croire ? A celui qui donne cette nouvelle, ou au Christ
qui n'accepte pas ce qu'il semblait dire? Ecoute-moi bien, encore une question, seulement
fixe-toi à lEvangile, et ne jette point le livre derrière toi. Tiens l'Evangile,
acceptes-en l'autorité, autrement tu ne pourras plus me prouver que le Seigneur a dit :
« Qui est ma mère ? » Et quand tu auras reconnu l'autorité de l'Evangile, écoute
ma question. Tout à l'heure, je te demandais d'où sais-tu que le Christ a dit: « Qui
est ma mère? » Qu'est-ce qui prouve cette question ? Quelqu'un vient dire au Christ
: Votre mère est dehors. Mais avant la parole de cet homme, ou plutôt pour le faire
parler ainsi, qu'est-ce qui précède? Lis bien, je t'en prie. On dirait que tu crains de
lire. « Le Seigneur répondit et dit ». Qui est-ce qui parle ici? Je ne dis
point qui est-ce qui dit : « Qui est ma mère ? » car tu me répondras :
C'est le Seigneur; mais bien qui est-ce qui dit : « Le Seigneur répondit ». Tu es
forcé de répondre que c'est l'Evangéliste. Or, cet Evangéliste a-t-il dit vrai ou non?
Tu ne sauras échapper, il te faut dire qu'il a dit vrai ou faux. Cette parole de
l'Evangéliste : « Le Seigneur répondit et lui dit » est-elle vraie ou non ? Si tu
me dis que cette assertion de l'Evangéliste, que le Seigneur répondit, est une assertion
fausse; d'où sais-tu que le Seigneur dit : « Qui est ma mère ? » Mais si tu nous
affirmes que cette parole: « Qui est ma mère » est vraiment du Sauveur, par cela
seul que l'Evangéliste le lui attribue, tu ne saurais affirmer que le Seigneur a tenu ce
langage sans croire à l'Evangéliste. Mais si tu crois à l'Evangéliste, et si tu ne
saurais rien affirmer sans croire à l'Evangéliste, lis aussi ce que cet Evangéliste a
dit plus haut.
6. Combien je dois t'impatienter !
Combien je te tiens en suspens ! C'est mon avantage pour te vaincre plus tôt. Vois,
considère et lis. Tu ne voudrais pas, je crois. Donne le livre et je lirai : « Comme il
parlait ainsi à la foule ». Qui tient ce langage? L'Evangéliste, et si tu ne crois
pas à l'Evangéliste, alors le Christ n'a rien dit. Si le Christ n'a rien dit, il n'a pas
dit : « Qui est ma mère? » mais s'il a dit : « Qui est ma mère? » ce qu'a
écrit l'Evangéliste est selon la vérité. Ecoute ce qu'il a dit auparavant : « Comme
il parlait ainsi à la foule, sa mère et ses frères se tenaient au dehors, cherchant à
lui parler ». Cet homme n'a rien annoncé encore d'où tu puisses l'accuser de
mensonge. Vois ce qu'il a dit, vois ce que l'Evangéliste a écrit plus haut : « Comme le
Seigneur parlait ainsi a à la foule, sa mère et ses frères se tenaient dehors ».
Qui parle ainsi ? L'Evangéliste, que tu en crois quant à cette parole du Seigneur :
« Qui est ma mère? » Mais si tu ne crois pas les paroles précédentes, aussi
bien que ces dernières, alors le Seigneur n'a donc point dit: « Qui est ma mère?»
Mais le Seigneur a vraiment dit : « Qui est ma mère ? » Crois donc à celui
qui attribue au Seigneur cette parole : « Qui est ma mère? » Celui qui attribue au
Seigneur cette parole : « Qui est ma mère? » a dit aussi : « Comme il parlait de la
sorte, sa mère se tenait au dehors ». Pourquoi donc a-t-il nié qu'elle fût sa
mère. Loin de là! comprends bien. Sans renier sa mère, il lui préféra l'uvre
qu'il faisait. Il ne nous reste plus qu'à chercher pourquoi le Seigneur a dit : « Qui
est ma mère ? » Voyons d'abord ce qu'on lui rapportait, pour dire : « Qui est
ma mère ? » On lui disait qu'elle était là dehors, et voulait lui parler.
Réponds-moi, d'où sais-tu cela? L'Evangéliste le rapporte, et si je ne l'en crois
point, le Seigneur n'a rien dit. Donc il avait une mère; mais que veut dire : « Qui est
ma mère ? » Dans l'oeuvre que j'accomplis, qu'est-ce que ma mère? Qu'un homme qui
a un père, soit exposé au danger, et dis-lui : Que ton père te délivre, quand surtout
il sait que ce père ne pourrait délivrer son fils, ne répondra-t-il point en toute
vérité et sans offenser la piété filiale : « Qu'est-ce que mon père? » Dans
l'oeuvre que j'entreprends, et pour le besoin que je ressens, qu'est-ce que mon père? Or,
pour l'oeuvre du Christ qui délivrait les captifs,,qui rendait la lumière aux aveugles,
qui édifiait l'homme intérieur, qui se construisait un temple spirituel, qu'était-ce
que sa mère? Mais si tu veux en conclure qu'il n'avait point de mère ici-bas , parce
qu'il dit : Qui est ma mère? les disciples, à leur tour, n'auront point de père en
cette vie, puisque le Seigneur leur dit : « Ne dites point que vous avez un père sur la
terre ». Ce sont là les paroles du Seigneur : « N'appelez personne (477) votre père ;
vous n'avez qu'un seul père qui est Dieu (1) ». Non pas qu'ils n'aient point de pères,
mais quand il s'agit de la régénération, cherchons un père dans le sens de la
régénération, et sans condamner celui qui nous a engendrés, préférons-lui celui qui
nous a régénérés.
7. Mais considérez bien ceci, mes frères
bien-aimés, considérez, je vous en supplie, ce que dit Notre-Seigneur Jésus-Christ en
étendant la main sur ses disciples : « Voici ma mère, voici mes frères. Et celui qui
fera la volonté de mon Père qui m'a envoyé, celui-là est mon frère, ma soeur et ma
mère ». N'a-t-elle point fait la volonté du Père, cette vierge Marie qui a cru, qui a
conçu par la foi, qui a été choisie, afin que d'elle le salut vînt aux hommes; qui a
été créée par le Christ avant que le Christ fût créé en elle ? Oui, Marie qui est
sainte a fait la volonté du Père, et dès lors il est plus glorieux pour Marie d'avoir
été disciple du Christ que mère du Christ, plus heureux pour Marie d'avoir été
disciple du Christ que mère du Christ. Marie était donc bienheureuse de porter le
Maître dans son coeur avant de le mettre au monde. Vois si je ne dis point la vérité.
Comme le Seigneur venait à passer avec la foule qui le suivait, et faisait des oeuvres
divines, une femme s'écria : « Bienheureux le sein qui vous a porté !
bienheureuses les entrailles qui vous ont porté (2) ! » Et le Seigneur, pour qu'on
ne recherchât point la félicité dans ce qui est charnel, que répondit-il !
« Bien plus heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et la mettent en pratique
(3) ». Le bonheur de Marie vient donc de ce qu'elle a entendu et mis en pratique la
parole de Dieu. Son âme a plus gardé la vérité que ses entrailles n'ont gardé la
chair. Car le Christ est vérité, comme le Christ est chair. A l'âme de Marie le Christ
vérité , aux entrailles de Marie le Christ fait chair. Car ce qui est dans l'âme est
bien supérieur à ce que renferment les entrailles. Marie est donc sainte, Marie est
bienheureuse, mais l'Eglise est supérieure à Marie. Pourquoi? Parce que Marie est une
portion de l'Eglise, un membre saint, membre excellent, membre suréminent, mais pourtant
membre du
corps entier. Mais si elle fait partie du corps entier, assurément
ce corps entier est supérieur à un membre. C'est le Seigneur qui est la tête, et la
tête et le corps forment tout le Christ. Que dirai-je? Nous avons une tête divine, et
Dieu est notre tête.
8. Donc, mes frères bien-aimés, écoutez
encore. Vous êtes les membres du Christ, le corps du Christ. Considérez comment vous
êtes ce qui est dit ici : « Voilà ma mère et mes frères ». Comment serez-vous
la mère du Christ? « Quiconque entend, et quiconque fait la volonté de mon Père
qui est dans le ciel, celui-là est mon frère, ma soeur, ma mère (1) ». Frères, je
comprends, soeurs, je comprends encore; car il n'y a qu'un seul héritage, et dans sa
miséricorde, le Christ Fils unique du Père ne voulut point être seul à partager
l'héritage de son Père, il voulut nous faire ses cohéritiers. Tel est en effet
l'héritage, que le grand nombre des héritiers ne saurait le diminuer. Je comprends dès
lors que nous sommes les frères du Christ et que les soeurs du Christ seront les femmes
saintes et fidèles; comment pourrons-nous comprendre les mères du Christ? Quoi donc!
Oser nous dire mères du Christ? Eh bien! oui, mères du Christ, j'oserai le dire. Je
dirai que vous êtes ses frères, et je n'oserais dire sa mère ? Mais j'oserai bien moins
encore nier ce que le Christ a dit lui-même. Voyez donc, mes bien-aimés, voyez comment
l'Eglise est l'épouse du Christ, ce qui est évident; de même elle est mère du Christ,
ce qui nous paraît plus difficile à comprendre et n'en est pas moins vrai. La vierge
Marie a été d'avance le type de l'Eglise. Or, je vous le demande, comment Marie est-elle
mère du Christ, sinon parce qu'elle a enfanté les membres du Christ? Maintenant, qui
vous a enfantés? J'entends le cri de votre coeur Notre mère la sainte Eglise. Semblable
à Marie, cette mère sainte et glorieuse enfante et demeure vierge. Qu'elle enfante, je
le prouve par vous-mêmes. C'est d'elle que vous êtes nés, et dès lors elle enfante le
Christ, puisque vous êtes membres du Christ. J'ai prouvé qu'elle enfante, je prouverai
qu'elle est vierge. Je ne suis point dépourvu de divins témoignages, ils ne me font pas
défaut. Viens parler à mon peuple, 8 bienheureux Paul. Sois le garant de mon assertion.
Crie
478
bien haut, et dis ce que je veux dire: « Je a vous ai fiancés à
cet unique époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure
(1) ». Où est donc cette virginité? Où redoute-t-on jusqu'à l'ombre de la
corruption? Qu'il réponde, celui qui a proféré ce nom de vierge. « Je vous ai fiancés
à cet a unique époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure.
Mais je crains que, comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits de
même ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est selon Jésus-Christ ».
Gardez dans vos esprits la virginité d'esprit. La virginité de la foi catholique, c'est
son intégrité. Où Eve se
laissa séduire à la parole du serpent, l'Eglise catholique doit
être vierge parle don du Tout-Puissant. Que les membres du Christ enfantent dès lors par
l'esprit, comme les entrailles virginales de Marie enfantèrent le Christ, et vous serez
par là mères du Christ. Cette oeuvre n'est point trop éloignée de vous, n'est point
au-dessus de vous, n'a rien d'incompatible avec vous. Vous avez été des fils, soyez
aussi des mères; fils de la mère quand vous avez été baptisés, alors vous êtes nés
membres du Christ. Amenez au bain du baptême ceux que vous pourrez amener; et de même
que vous avez été des fils en naissant, vous serez des mères du Christ, en donnant
naissance à d'autres.
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