TROISIÈME
SUPPLÉMENT. (2)
TREIZIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DU
BIENHEUREUX MARTYR LAURENT.
QUATORZIÉME SERMON. POUR LA FÊTE DU
BIENHEUREUX MARTYR LAURENT.
QUINZIÈME SERMON. POUR LA DÉCOLLATION DE SAINT
JEAN-BAPTISTE. I
SEIZIÈME SERMON. POUR LA DÉCOLLATION DE
SAINT JEAN-BAPTISTE. II
DIX-SEPTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES
SAINTS MARTYRS FÉLIX ET ADAUCTE.
DIX-HUITIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES
SAINTS MARTYRS FÉLIX ET ADAUCTE. (DEUXIÈME SERMON.)
DIX-NEUVIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE SAINT
CYPRIEN, MARTYR.
VINGTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE L'APÔTRE
SAINT ANDRÉ.
VINGT ET UNIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE
SAINT ÉTIENNE.
VINGT-DEUXIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES
SAINTS INNOCENTS. I
VINGT-TROISIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES
SAINTS INNOCENTS. II.
VINGT-QUATRIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES
SAINTS CÔME ET DAMIEN.
VINGT-CINQUIÈME SERMON. SUR LA TRINITÉ.
ANALYSE. 1. Victoire remportée sur le monde par saint
Laurent. 2. Imitons sa force d'âme.
1. Parmi les confesseurs couronnés de
lauriers, et que l'éternelle gloire des triomphateurs a portés jusqu'au ciel, saint
Laurent brille d'un éclat dont les nuances sont multiples ; car en souffrant le martyre,
il a mérité de porter, sur sa tête, non-seulement la couronne blanche du lévite, mais
encore celle des témoins du Christ. Les uns se sont couverts des flots d'un sang
vermeil,- les flammes ont consumé les autres, comme s'ils avaient été enfermés dans
une fournaise ; sur ceux-ci apparaissent les teintes rouges de l'or, sur ceux-là les
nuances de la pourpre, et sur les palmes du bienheureux Laurent se marient les couleurs
les plus diverses et les plus tranchantes. Ainsi les verges, le feu, le glaive et toutes
les tortures inventées par le génie des bourreaux, ont enfanté, pour les martyrs,
d'impérissables titres de gloire ; car, au lieu de se laisser vaincre, ceux-ci ont
recueilli en ce monde, pour la porter dans l'autre, la couronne triomphale. A quoi bon
torturer et supplicier ce qu'il y a en eux de terrestre ? A quoi bon le faire mourir? La
foi des martyrs a remporté sur vous la victoire; leur constance a triomphé de
vous ! La mort une fois venue, en quoi seriez. vous à craindre? Vous avez élevé
les martyrs jusqu'au ciel, mais vous ne les avez pas vaincus; toute votre puissance s'est
évanouie. Les témoins du Christ ont conservé leur patience jusqu'au terme de leurs
tortures: aussi leur avez-vous procuré un véritable bénéfice en les persécutant,
puisque vous leur avez ainsi tracé le chemin qui devait les conduire au ciel. C'est donc
bien le cas de dire: « O mort, où est ta victoire ? ô mort, où est ton aiguillon
(1) ? » Il brise tous les obstacles, celui qui ne craint pas de mourir; il triomphe de
tout, celui qui, en mourant, se hâte de parvenir jusqu'au Christ. Pourrait-on redouter
les souffrances, quand on sait qu'on passera de la mort à la vie ? Le bienheureux Laurent
aurait-il été supérieur à son brûlant supplice, s'il n'avait désiré se faire
admettre dans les parvis de la Jérusalem céleste et en goûter les joies ? Il le savait:
après la mort, la victoire; après les ardeurs du feu, les doux rafraîchissements; son
corps se disloquait et se liquéfiait sur les charbons enflammés: consumé par les
flammes, ce qu'il tenait de la terre se réduisait en fumée et en cendres. Il rendait à
sa misérable mère ce qu'elle avait enfanté et versait dans son sein limoneux le contenu
de son vase. Ce qu'il avait reçu de la terre, il le lui restituait ; ce qu'elle lui avait
donné pour grandir, devenait la proie des flammes.
Que devenait son esprit au milieu de tous ces tourments ? Il
s'envolait au ciel. N'ayant point voulu se laisser dominer pendant qu'il était uni au
corps, son âme n'avait pu céder à la crainte. Voici donc ce qu'ont dit tous les
martyrs, nous en trouvons l'écho dans un psaume: « Notre âme a été délivrée,
comme le passereau du filet de l'oiseleur. Le filet a été rompu, et nous avons été
sauvés. Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui a créé le ciel et la terre
(1) ». La cage étroite et fragile de son corps est devenue la proie des flammes, et
le passereau s'est échappé de sa prison; l'âme du martyr a recouvré sa liberté, mais,
à la fin des temps, Dieu lui rendra son corps. N'est-ce pas, en effet, le Seigneur qui a
tiré l'homme du néant ? Et, après avoir daigné compter les cheveux de sa tête, ne lui
a-t-il point promis qu'aucune partie de son corps ne périrait? « Un seul cheveu de
a votre tête ne périra pas (2) ». Voilà sa parole.
2. Rougis donc, incrédule Manichéen, qui
révoques en doute la résurrection future. Le Christ, Dieu, la Vérité même, n'a pu
mentir Eh bien ! il a affirmé qu'un seul cheveu d'homme ne périra pas. Inutile de
discuter, quand le Tout-Puissant a fait une promesse. Il n'y aura pas non plus, comme l'a
pensé Platon, une transmigration des âmes en d'autres corps, parce qu'un homme ne peut
devenir un âne ou un chameau : chacun de nous devra paraître avec son corps au jugement
de Dieu. Je le vois, perfide : la raison pour
laquelle tu crains de ressusciter, c'est que tu ne veux pas croire;
mais, bon gré, mal gré, tu ressusciteras et reconnaîtras la vérité de ce que tu nies
aujourd'hui. Mais je te laisse en paix , je ne veux pas remuer davantage la sale boue de
telles contradictions. O homme, dès lors que tu ne chercheras pas à éviter le martyre,
tu iras droit au ciel. Bon gré, mal gré, tu mourras en ce monde. Pourquoi, alors,
hésiter de mourir pour le Christ, puisqu'à n'en pas douter, il te faudra sortir un jour
de ce monde ? Louons donc, frères bien-aimés, et honorons saint Laurent ; car il a
conservé dans tout son éclat le précieux diamant de sa foi au milieu de la fumée et
des flammes. Toutes les richesses, tous les revenus, toutes les perles et les pierres
fines avec leurs nuances multiples et leur éclat, nous seront enlevés avant la mort, ou
indubitablement à l'heure de la mort, si tant est que nous puissions les conserver
jusqu'à ce moment-là. Mais le trésor de la foi, auquel ne saurait être comparée nulle
fortune; on l'acquiert en recevant le baptême, on le conserve au milieu des tourments,
et, après te martyre, on le possède éternellement. D'un côté, tu perds tes richesses,
si tu confesses le Christ en souffrant pour lui, et, si tu le renies, tu les conserves ;
de l'autre, si tu viens à plier sous l'effort et les menaces des bourreaux, et que tu
renies ton Sauveur, tu le perds; mais si tu le confesses, tu acquiers la palme du martyre.
ANALYSE.- Courage invincible de saint Laurent.
Après que les Apôtres eurent gagné la
victoire, Laurent marcha joyeusement au combat et remporta la couronne : son office dans
l'église était celui des lévites. Lorsque fut venue l'heure glorieuse de son martyre,
le juge sacrilège lui ordonna d'apporter au (548) pied du tribunal les richesses de
l'église alors le bienheureux diacre se fit amener tous les pauvres, et, après avoir
placé dans le ciel son vrai trésor, il se hâta de les combler de ses dons. A cette
nouvelle, le juge devient pareil à un fou furieux : il appelle le feu au secours de sa
méchanceté ; il s'ingénie à inventer de nouveaux tourments, et, sur son ordre, le
bienheureux martyr est précipité dans les flammes. O juge, que fais-tu ? A quoi bon te
donner tant de peine ? Pourquoi t'échauffer ainsi ? Commence, si tu en es capable, par
éteindre la flamme ardente qui consume ce grand coeur, et, puis, tu réduiras en cendres
le corps de ce martyr. Que gagnes-tu à torturer un confesseur dans la partie matérielle
de lui-même? Si tu le peux, tire vengeance de son courage à supporter la douleur. Tu
viens à son aide, et tu n'en sais rien. Tu travailles à son avantage, et tu l'ignores.
Une fois débarrassé du fardeau de son corps, notre martyr n'en sera que plus agile pour
monter vite au ciel: à mesure que son corps se consume, les forces de son courage
s'accroissent ; tu viens donc à son aide, puisqu'il ne souhaite rien tant que de sortir
de cette enveloppe mortelle, où il se voit emprisonné pour un temps tout comme les
autres hommes. Nous le savons pour l'avoir lu, mes bien chers frères : on soumet au feu
les vases du potier, afin de les éprouver. Laurent, on peut le dire, a conservé en sa
personne l'ouvrage du Christ, puisqu'il a subi, sans fléchir; les ardeurs de la
fournaise. Sa chair servait d'aliment à la flamme, tandis qu'intérieurement son esprit
veillait. Le saint et invisible vase qu'il était allé chercher à la source, il le
tenait aussi sur le feu : car, se voyant cuit d'un côté, il offrait lui-même de se
retourner sur l'autre : son désir était d'être éprouvé à droite et à gauche par les
armes de la justice (1) : « Retournez-moi », s'écriait-il, « et mangez, car c'est
cuit ». Admirable puissance de la foi, mes frères ! Laurent se moquait de
l'incendie allumé dans son corps, car la flamme de la charité le brûlait
intérieurement. Les mets destinés à la table du Seigneur, le persécuteur n'a pu les
faire servir à son propre usage, et les impies sont restés à jeun, parce que, dans leur
vanité, ils n'ont point voulu se soumettre à la foi chrétienne; mais cette foi a
conduit dans le droit chemin et jusqu'à son glorieux but l'âme de Laurent; son martyre
et sa victoire l'ont portée en la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
ANALYSE. 1. A pareil jour on célèbre plutôt la naissance
de Jean que celle d'Hérode. 2. Préparatifs du festin. 3. Honteuse ivresse
du roi et de ses convives. 4. La danse de la fille d'Hérodiade a pour résultat la
décollation de Jean. 5. Epilogue.
1. Quand on eut fini de célébrer la
naissance d'Hérode, la fille d'Hérodiade dansa au milieu de la salle du festin, et sa
danse plut au roi. Toutefois, le jour où était né ce misérable lui procura moins de
joie qu'à Jean-Baptiste, bien que celui-ci y ait perdu la vie; car il y a plus d'avantage
à prendre en Dieu une nouvelle naissance, qu'à venir au monde pour appartenir au diable.
Ce jour fut donc, à bien dire, celui de la naissance, non pas de l'impie Hérode, mais du
Prophète ; et c'est chose facile à comprendre : en effet, le jour où il a souffert le
martyre, Jean est entré en possession de la bienheureuse éternité, tandis qu'Hérode
est tombé sous les coups de la mort le jour où il est né. N'est-ce pas un triste et
lamentable jour, celui où un homme, après avoir ouvert, pour la première fois, les yeux
à la lumière, se trouve amené, non pas à recueillir la flatteuse réputation que
procure une vie de miséricorde et de mansuétude, mais à se déshonorer par une vilaine
et cruelle action? Jean avait été jeté en prison comme coupable d'avoir proféré une
réprimande imméritée ; car, pour ceux qui vivent mal, les préceptes de la justice sont
insupportables : personne ne lui reprochant plus dès lors son inqualifiable désordre, le
roi Hérode s'abandonnait à la joie. Après la condamnation du Prophète, qui avait osé
signaler l'odieuse conduite du tétrarque, qui est-ce qui se serait senti le courage de
reprendre ou d'avertir librement cet orgueilleux ? Des peines sévères ne
menaçaient-elles pas d'avance l'homme assez indépendant pour protester ? D'ailleurs, les
rois coupables ne trouvent-ils pas des flatteurs qui approuvent même leurs crimes et
leurs hontes?
2. Mais c'en est assez. Voici venu le jour
de la naissance du roi ; il nage dans la joie on le complimente sur la prolongation de son
existence, sur le nombre croissant de ses années. Pourrait-il ne pas recevoir avec
plaisir de si flatteuses paroles ? Aveugle perspicacité des hommes ! Ils se
complaisent dans le présent ou dans le bonheur, et il ne savent prévoir ni l'avenir, ni
les retours de la fortune ! Bientôt, l'intérieur de la demeure royale se revêt de
splendides et luxueux ornements: sous ces lambris dorés se prépare un sanglant festin.
Des festons de verdure contournent les portes, les murs se tapissent de fleurs ; partout,
dans ces appartements néfastes et bientôt remplis d'horreur, on aperçoit des couronnes:
on s'y croirait sous l'épaisse feuillée d'un bois. Tous les charmes du printemps,
amenés par l'art, semblent s'y rencontrer pour tromper le regard et y représenter la
nature dans ce qu'elle a de plus gracieux. Mais si quelqu'un y trouva du plaisir, ce fut,
non pas Hérode, mais Jean-Baptiste : si le parfum des fleurs vint flatter quelqu'un, ce
fut, non pas le roi, mais le martyr. A voir le tyran de la nation juive étaler, dans une
salle de festin, tant de richesse et de faste, on eût dit qu'il voulait fêter aussi
joyeusement ses convives, que s'il leur sacrifiait dans un repas tous ses revenus et sa
fortune. Des meubles en grand nombre et d'un luxe inouï éblouissent les yeux : de tous
côtés, des vases d'un travail étonnant et d'une valeur sans égale, pour montrer,
non-seulement la magnificence d'Hérode, mais aussi son opulence, pour rassasier la vue de
ses amis et de ses clients par la beauté et la diversité des ornements, en même temps
que des mets recherchés satisferont leur appétit ainsi se réalisera le véritable
idéal d'un festin, puisque, d'une part, la table ne laissera rien désirer à l'estomac,
et que, de l'autre, des prodiges de luxe ne laisseront rien désirer aux yeux. Les
invités arrivent donc plus tôt que d'habitude, ils se pressent sous les portiques; ce ne
sont que des cris de joie, carie diable aiguise leur appétit, et il a soif du sang
humain. Tout le monde s'assied, on étend les riches tapis de pourpre sur les lits
brodés, les ministres se hâtent d'apporter les mets, les tables en sont chargées, et
bien que rien ne manque dans cette profusion, le pauvre Hérode trouve encore ce festin
incomplet ; car sa cruauté n'a point là de quoi manger, ou, plutôt, de quoi dévorer.
3. Placé au premier rang, sur un lit
élevé, le roi y est étendu ; car il a mangé longuement dans ce repas funeste, et ses
coudes fatigués ne peuvent plus le soutenir : il s'est à tel point rempli de boissons,
que, s'il voulait se lever, ni son esprit ni ses jambes ne pourraient le soutenir.
Voyez-les tous à table : ils sont complètement ivres; dans leurs veines coule, non pas
du sang, mais du vin : leur sens est abêti ; de leurs yeux tombent des larmes de vin, et
leur regard n'a plus rien de fixe. Pour croire encore à l'honnêteté des convives
d'Hérode, il ne faudrait pas les regarder, car celui-ci vomit sur la table royale;
celui-là remplit la salle de morceaux de viande aigris par le vin ; d'autres ne se
possèdent plus, et, incapables de veiller même à leur conservation, ils gisent par
terre, ensevelis dans le sommeil et l'ivresse. Entre plusieurs pourrait s'engager une
lutte, pour obtenir, non pas le prix de vertu, mais celui d'ivrognerie : dans ce combat
d'un nouveau genre, l'un arroserait son ami, et l'autre noierait ses amis de table comme
sous la lave d'un volcan. Que la taverne d'un cabaretier devienne le théâtre d'une
pareille lutte, j'y (550) consens; mais, pour la maison d'un roi, c'est honteux. Je le
crois volontiers, ce noble gouverneur de la nation juive avait donné à ses soldats
l'autorisation de se battre devant lui, non à coups de lances, mais à coups de verres ;
il ne connaissait pas la guerre avec l'ennemi; c'est pourquoi il se donnait chez lui le
spectacle d'un combat entre concitoyens ivres. Quelle obscénité, quelle effronterie de
paroles sur ces pavés souillés de vin, au milieu de ces cris d'ivrognes qui retentissent
de toutes parts 1 Quel convive, en effet, se souvient du roi ? Quel domestique a conservé
la mémoire de son maître ? Quand l'homme qui devrait protéger les convenances tombe
lui-même dans le libertinage éhonté, il est sûr que tout le monde se croit libre.
4. Au milieu de ces odieuses
réjouissances apparaît la fille d'Hérodiade : toute sa personne respire la mollesse; au
lieu d'arrêter les instincts du vice, son allure dissolue semble plutôt destinée à
leur lâcher la bride. Adultère publique, sa mère ne lui avait rien appris en fait
d'honnêteté et de pudeur. Elle était peut-être vierge de corps, mais à coup sûr
c'était une effrontée : aussi le roi l'engage-t-il à danser, perdant de vue la gravité
qui sied à un roi, oubliant la sévérité, qui est le devoir d'un père. En raison de sa
puissance, il devait mettre un frein à la licence de cette jeune fille, et, loin de là,
il allumait en elle la flamme de la corruption, il attisait le feu impur; car il
promettait et jurait de lui donner tout ce qu'elle demanderait. Charmée par l'appât de
la récompense, elle est bientôt prête : sûre de l'approbation de sa mère, elle se met
en liberté; aussitôt elle se tord pour décrire des circuits insensés; elle tourne avec
la rapidité d'un tourbillon ; on la voit parfois se pencher d'un côté jusqu'à terre,
et parfois renverser sa tête et se pencher en arrière, et, à l'aide de son léger
vêtement, trahir ainsi ses formes voluptueuses; puis ses bras, étendus en l'air, font
tour à tour retentir de sourdes cymbales ; à peine tient-elle en place; à peine ses
pieds se posent-ils à terre dans les mouvements désordonnés où elle s'est lancée. La
pauvre jeune fille ! Une véritable démence s'était emparée d'elle; son âme et
son corps étaient devenus la proie de l'extravagance; ce n'étaient plus les mouvements
de ses sens qui l'entraînaient, mais des instincts diaboliques. A moins d'être fou, il
faut être sous linfluence de la boisson pour danser. Incompréhensible crime
d'Hérodiade ! Sa fille ne peut plaire qu'à la condition de devenir une furie !
Le roi trépigne de joie ; il trouve dans sa propre honte la raison de son allégresse.
Que deviennent les bienséances exigées par les lois? Que sont devenus les droits
protecteurs de la modestie? Au festin d'un roi, on donne des éloges aux compagnons de
tous les vices, à des mouvements portés jusqu'aux dernières limites du dévergondage;
ce n'est point par son adresse qu'une fille est parvenue à plaire, c'est par son
exaltation furibonde. Un roi hors de lui-même a fait une folle promesse et posé des
conditions; pour ne point se démentir, il n'a pu se résoudre à refuser la récompense
promise, la récompense qu'une concubine a conseillé de demander ; comme s'il se
déchargeait de toute culpabilité en se débarrassant de celui qui pouvait lui faire de
légitimes reproches ! La fille d'Hérodiade danse couverte de parures; mais elle
n'en désire aucune, elle ne souhaite pas les dons de la fortune : la cruauté l'emporte
sur la cupidité de l'avarice et les futilités du luxe, le triomphe appartient à la
barbarie : une intrigue sanglante s'ourdit pour faire tomber la tête de Jean, pour en
finir avec cet homme, parce qu'il applique sévèrement aux murs la règle du
Christ, parce qu'il prêche la pénitence, parce qu'il flétrit l'inceste, parce que, pour
tous ces motifs, le diable ne peut le supporter. Loin d'affaiblir, par un retour au bien,
sa vieille réputation de libertin, Hérode lui donne une nouvelle force par un nouveau
crime, plus criant que tous les autres : il consent volontiers à commettre un homicide;
car, dans sa témérité, il était résolu à commettre un inceste avec l'épouse de son
frère. Poussée par les instigations de sa mère, la jeune fille, la danseuse, ne
demande, oserai-je le dire ? que la tête de Jean. « Hé quoi », cette
impudique synagogue « demande la tête d'un homme qui est le Christ ? » Le
glaive du bourreau fait tomber la tête de Jean-Baptiste, et cette tête, qui annonce en
quelque sorte encore le Christ, cette tête dont la langue, paralysée par la mort,
flétrit encore l'inconduite d'Hérode, on l'apporte dans la salle du festin, où se
trouve le bourreau. A la suite du coup mortel qui a subitement tranché les jours du
Prophète, une teinte indécise est empreinte sur son visage : l'incarnat (551) rosé, qui
est le signe de la vie, n'a pas encore cédé complètement la place à la pâleur de la
mort. Le trépas a fondu tout à coup sur cet homme et a détruit l'intégralité de sa
nature ; mais sur les lèvres de Jean se lisent encore quelques signes de vie.
5. O l'abominable repas ! ô le
détestable festin ! On y joue la mort d'un homme ! On y danse pour le massacre
d'un Prophète Le prix offert à la volupté
n'y est autre que le sang humain. Pour varier les plaisirs des convives, on leur offre en
spectacle la tête du Précurseur, et celui qui a soif se désaltère, non pas avec du
vin, mais avec du sang! O fureur aveugle! Par ses souffrances, saint Jean a mérité la
récompense de la vie éternelle, et le roi Hérode a payé toutes les tortures qu'il a
fait endurer aux martyrs, en subissant dès ce monde les justes vengeances du Dieu vivant.
ANALYSE. 1. Les chrétiens sont des agneaux placés au
milieu des loups. 2. saint jean est jeté en prison pour avoir fait une légitime
réprimande. 3. Danse voluptueuse de la fille d'Hérodiade. 4. Corrupteur de
cette jeune fille, assassin de Jean, Hérode tombe sous les coups de la justice divine et
meurt.
1. Notre Rédempteur et Sauveur
Jésus-Christ ne s'est pas contenté de nous arracher à la mort éternelle, il a voulu
aussi nous apprendre et nous commander, par les paroles du saint Evangile, la manière
dont nous devons nous conduire ici-bas; en effet, voici en quels termes il s'exprime:
« Voici que je vous a envoie comme des brebis au milieu des loups (1) ». N'est
-ce point pour nous le comble du bonheur que notre Dieu, le pasteur et le maître des
brebis, nous ait aimés jusqu'à nous permettre d'avoir leur simplicité, si nous vivons
sincèrement pour lui. Qu'il soit le pasteur du troupeau, ces autres paroles nous en
donnent la certitude : « Je suis le bon pasteur, le bon pasteur donne sa vie pour
ses brebis (2) ». C'est donc à bon droit qu'en raison de l'innocence de leur vie,
il compare ses disciples à des brebis, et il donne, à non moins juste titre, le nom de
loups à ceux qui, après sa mort, ont cruellement persécuté les Apôtres et les
fidèles attachés à lui. Comment nous conduire au milieu des bêtes sauvages? Notre
dévoué pasteur
nous le dit: « Soyez prudents comme des serpents, et simples
comme des colombes (1) ». Voici donc la volonté du Sauveur à notre égard: les
colombes n'ont ni malignité, ni fiel; elles ne savent point se fâcher: soyons, comme
elles, à l'abri de la ruse méchante: n'ayons pas de fiel, c'est-à-dire n'ayons pas
l'amertume du péché; oublions les injures, et ne nous mettons pas en colère; vivons si
humblement en ce monde, que nous recevions, un jour, la récompense promise par Dieu à
nos efforts. Le Sauveur ajoute: « Et prudents comme des serpents (2) ». Qui ne
connaît l'astuce du serpent? S'il tombe au pouvoir d'un homme, et que cet homme veuille
le tuer, il expose, aux coups de son adversaire, toutes les parties de son corps: peu lui
importe de se voir blesser n'importe où, pourvu qu'il sauvegarde sa tête : c'est à quoi
il veille avec toute l'adresse possible. Cette prudence du serpent doit nous servir de
modèle: si donc, en temps de persécution, nous venons à tomber au pouvoir des ennemis
de notre foi, exposons notre corps tout entier aux tourments, aux
552
supplices, et même à la mort, pour conserver notre tête,
c'est-à-dire le Fils de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ.
2. Au moment où tous les membres de son
corps perdaient leur tête, saint Jean-Baptiste, dont la grâce du Christ nous permet de
célébrer aujourd'hui la nativité, se réjouissait de se reposer dans le sein de la
Divinité toute parfaite. Entraîné par l'ardeur de ses passions, jusqu'à suivre, dans
sa conduite, l'exemple des bêtes sauvages. Hérode avait souillé la couche de son
frère: à ce moment-là, saint Jean, qui ne savait point taire la vérité, déclara
formellement au roi que sa conduite était opposée à toutes les lois. Le roi avait fait
des lois pour empêcher de pareils désordres, et il les enfreignait lui-même ! Si,
par ses moeurs, il condamnait ses décrets et ses lois, les lois et le droit ne le
condamneraient-ils pas à leur tour ? En ce temps-là donc, pour ne point se trouver sans
cesse en butte aux publiques, indépendantes et légitimes protestations de saint Jean, le
libertin couronné avait fait mettre la main sur lui et l'avait fait jeter dans une
obscure prison, où la loi divine devait être son unique soutien. A cet événement vint
s'en adjoindre un autre, l'anniversaire de la naissance de ce roi sacrilège : il réunit
alors autour de lui les officiers et les grands personnages de son royaume, et il fit
préparer un repas scandaleux pour ses compagnons de dévergondage sacrilège : en cette
circonstance, la maison royale se transforma en cirque, si je puis m'exprimer ainsi.
3. La fille du roi se présente au milieu
du festin, et, par ses mouvements désordonnés, elle foule aux pieds le sentiment de la
pudeur virginale. Aussitôt, le père prend à témoins tous les compagnons de sa
débauche, il jure par son bouclier, qu'avant de terminer sa danse joyeuse et ses valses,
elle aura obtenu tout ce qu'elle lui aura demandé. La tête couverte de sa mitre, elle se
livre, sur ce dangereux théâtre, aux gestes les plus efféminés que puisse imaginer la
corruption; mais voilà que tout à coup s'écroule le factice échafaudage de sa
chevelure ; elle se disperse en désordre sur son visage : à mon avis, n'eût-elle pas
mieux fait alors de pleurer que de rire ? Du théâtre où saute la danseuse, les
instruments de musique retentissent ; on entend siffler le flageolet : les sons de la
flûte se mêlent au nom du père, dont ils partagent l'infamie : sous sa tunique
légère, la jeune fille apparaît dans une sorte de nudité; car, pour exécuter sa
danse, elle s'est inspirée d'une pensée diabolique : elle a voulu que la couleur de son
vêtement simulât parfaitement la teinte de ses chairs. Tantôt, elle se courbe de côté
et présente son flanc aux yeux des spectateurs ; tantôt, en présence de ces hommes,
elle fait parade de ses seins, que l'étreinte des embrassements qu'elle a reçus a
fortement déprimés ; puis, jetant fortement sa tête en arrière, elle avance son cou et
l'offre à la vue des convives ; puis elle se regarde, et contemple avec complaisance
celui qui la regarde encore davantage. A un moment donné, elle porte en l'air ses regards
pour les abaisser ensuite à ses pieds ; enfin, tous ses traits se contractent, et quand
elle veut découvrir son front, elle montre nonchalamment son bras nu. Je vous le dis, les
témoins de cette danse commettaient un adultère, quand ils suivaient d'un il
lubrique les mouvements voluptueux et les inflexions libertines de cette malheureuse
créature. O femme, ô fille de roi , tu étais vierge au moment où tu as commencé à
danser, mais tu as profané ton sexe et ta pudeur ; tous ceux qui t'ont vue, la passion en
a fait pour toi des adultères. Infortunée ! tu as plu à des hommes passés maîtres
dans la science du vice ; je dirai davantage: pour leur plaire, tu t'es abandonnée à des
amants sacrilèges !
4. O l'atrocité ! Le père lui-même
se fait corrupteur de sa fille, et personne n'élève la voix contre lui ! J'entends
protester contre toi, les lois, tes remords, et, aux yeux de ceux qui ont encore quelque
respect pour la pudeur, la voix d'un mari ! Mais, je veux le juger moins sévèrement ;
supposons qu'un reste d'honnêteté l'ait empêché de jeter sur sa fille des regards
licencieux, il n'en reste pas moins évident qu'elle a dansé, et, à ce titre, son père
l'a corrompue, et elle a conquis le coeur d'un incestueux. Il serait bien étonnant que la
chasteté se montrât sous de pareils dehors ! O père, embrasse la femme de ton frère :
mais tu as sacrifié un père à la passion du sang. Elle t'enseigne à faire tomber la
tête de Jean, car tu méprisais les avertissements du martyr, et ne pouvais goûter le
bonheur de la chaste innocence. O race ! O moeurs ! O nom ! O erreur sans
remède ! c'est donc à juste titre que, comme le disent (553) nos divines Ecritures,
« tes membres sont tombés en putréfaction, et que les vers y ont trouvé leur pâture
(1) ». Ta fille a eu la tête coupée par la glace, et ta femme illégitime est
morte aveugle. Ainsi Dieu retranche-t-il l'homme de blasphème ; ainsi disparaît le
péché ; ainsi se trouve vengée la sainteté de la vie. Pour nous, qui aimons la
chasteté et la paix, conjurons tous le Seigneur de nous préserver des moindres atteintes
du libertinage. Ainsi soit-il.
ANALYSE. 1. Félix vraiment heureux. 2. Il s'est
montré supérieur à toutes les félicités de la terre.
1. Offrons tous l'hommage de notre
vénération à ce bienheureux martyr qui s'est montré si courageux parmi les instruments
de pendaison et si heureux au milieu des tourments ; comme son nom a concordé avec ses
mérites, il faut que sa gloire concorde avec son nom ; mettons donc tous nos soins à
l'honorer parfaitement. Il n'a puisé son bonheur ni dans l'or, ni dans l'argent, ni dans
des revenus caducs, ni dans le prestige du pouvoir ; car il a été grand d'une réelle
grandeur. Il n'a point emprunté à de longs vêtements de pourpre l'éclat de son nom :
s'il est célébré, il ne le doit pas à une multitude de parents illustres ; ce qui l'a
rendu heureux, ce n'a pas été un faste orgueilleux : le sang qu'il a versé lui a donné
sa valeur et l'a empourpré, et son éblouissante blancheur lui est venue de la grâce
d'en haut. Les ornements dont se trouvait revêtue cette sainte âme étaient donc de
couleurs diverses. Sur son front resplendissait l'éclat du Christ. Loin d'inspirer du
dégoût, le sang rosé qui teignait son corps charmait les regards ; ce qui communiquait
à ses membres leur beauté, c'était leur teinte vermeille, et non la trace des ongles de
fer des bourreaux, parce que la cruauté du persécuteur n'avait pu porter atteinte à la
gloire de Félix.
2. Arrière, précieuses toges des
grands ! Arrière, rubis éclatants ! Diamants de toutes sortes, loin
d'ici ! Un sang pur a plus de poids que le monde entier. Une seule goutte de sang,
versée pour le nom du Sauveur, a plus de prix que toutes les grandeurs d'ici-bas, que
tous les empires et leur apparat ! Compare maintenant, avec la balance de la justice,
la fragilité des richesses et l'indomptable forée des martyrs, la fumée passagère de
la puissance de ce monde, et l'éternelle permanence de la gloire des confesseurs. Je ne
veux d'autre preuve en faveur de notre cause, que le masque trompeur dont se couvre la
prospérité des mondains, elle prend les dehors de la vérité, et, en cela, son but
unique est de se faire publiquement déclarer heureuse. Dans les amphithéâtres, qui
retentissaient des applaudissements d'une foule hostile, nous contemplons de nos yeux le
cruel spectacle des combats livrés par de courageux martyrs c'étaient, non pas des
troupeaux de bêtes sauvages, mais des troupes de chrétiens qu'on amenait en ces lieux
pour la lutte. Ils n'avaient commis aucun crime, et, pourtant, on déchirait leurs membres
en lambeaux, et, alors, retentissaient les cris joyeux d'un peuple stupide. Après les
avoir attachés à une potence, on tirait leurs membres étendus sur (554) des chevalets,
puis, quand ils étaient abattus, des bourreaux cruels, armés d'ongles de fer, leur
perçaient les côtes avec ces instruments de torture. Ainsi punissait-on des hommes qui
ne s'étaient rendus coupables d'aucune faute. Où trouver un être assez méchant par
nature, pour vouloir le supplice d'un innocent ?
ANALYSE. 1. Nom de Félix providentiellement donné à ce
saint. 2. Son heureuse victoire.
1. C'est un jour heureux, illustre et
honorable, c'est un jour qu'on devra célébrer dans tous les temps, le jour qui concorde
avec le . nom de Félix, et qui a mis le comble à son bonheur en lui procurant la
couronne de la victoire. Au moment où sa mère lui donnait le jour, Jésus-Christ lui
marquait sa place de bienheureux dans le ciel. Ce que son nom présageait obscurément,
son triomphe l'a manifesté d'une manière éclatante ; et de là, nous pouvons conclure,
sans crainte de nous tromper, que nous n'avons rien à perdre avec Dieu, et que toute
grâce excellente, tout don parfait vient de lui (1). En le choisissant d'avance pour en
faire un martyr, le Seigneur lui-même a voulu qu'on lui donnât le nom de Félix, et
comme il l'avait prédestiné à la gloire éternelle, il a voulu que ses parents
devinssent prophètes en lui appliquant son vocable. Ainsi en fut-il de Jérémie : il
était né pour Dieu même avant d'être conçu. Nous le voyons souffrir de la perfidie
des hommes; les incrédules attentent à sa vie, les impies l'accablent du poids de leur
méchanceté ; ses concitoyens ne sont, pour lui, que des ingrats; et ses frères, des
furieux dont il lui faut endurer les mauvais traitements. Les Juifs frémissent contre le
Prophète du ciel ; ils se laissent emporter, envers lui, à tous les excès de la colère
; à voir leurs mouvements, on
dirait des chiens enragés ; et, pourtant, ils restent incapables
d'effacer ce que Dieu a écrit, ils sont impuissants, malgré toutes leurs machinations,
à détruire l'édifice dont le Seigneur a établi la base en choisissant son Prophète.
« Avant de t'avoir formé dans les a entrailles de ta mère, je t'ai connu ; avant
que tu fusses sorti de son sein, je t'ai sanctifié ; je t'ai établi Prophète parmi les
nations (1) ». O immuable disposition, ô puissance souveraine de la volonté de
Dieu ! Elle donne l'être à ce qu'elle veut, elle le choisit avant de le créer ;
avant de le tirer du néant, elle le sanctifie ; elle daigne établir ce qu'elle doit
aimer, et fait naître ce qu'elle gouvernera. Contre ces infaillibles desseins, pourquoi
l'aveugle esprit de l'homme s'inscrit-il en faux ? Que sert à sa méchanceté débile et
sans forces de se révolter contre la puissance d'en haut ? Sans doute, le saint prophète
Jérémie a couru toutes sortes de dangers au milieu de ses parents et de la part de ses
proches, mais aucun changement n'a été apporté aux projets de l'Eternel.
2. Venons-en maintenant au courageux et
fortuné soldat, en qui doivent s'exécuter les plans de la divine Providence. Les hommes
ne savaient donc pas quelles vues secrètes l'éternelle sagesse avait jetées sur -lui ;
le persécuteur et le bourreau s'acharnaient inutilement
555
à sa perte : « Celui qui habite dans les cieux se riait d'eux, et
le Seigneur les tournait en dérision (1) ». Leurs âmes se torturaient par l'excès
de leur rage stupide ; des douleurs atroces déchiraient leur coeur, parce qu'ils ne
pouvaient dompter le confesseur du Christ ; tour à tour, ils sentaient l'aiguillon de la
honte et l'ardeur brûlante de la fureur : ils croyaient tourmenter Félix, et
c'était à leur propre supplice qu'ils travaillaient : attachés à des chaînes qu'ils
ne pouvaient rompre, ils grinçaient des dents et poussaient des hurlements de rage ; car
s'ils martyrisaient Félix, ils ne pouvaient néanmoins vaincre sa constance : ils
s'ingéniaient à le faire souffrir, et ils ne faisaient que donner de l'accroissement à
sa gloire; ils l'avaient cru débile, et voilà qu'ils le trouvent indomptable, et ils
reconnaissent que leurs efforts, impuissants à le maîtriser, n'aboutissent qu'à les
blesser eux-mêmes. Quels titres de grandeur et de
555
royauté ! Quelle force on trouve à être inscrit dans le
ciel ! A l'avis de ces perfides, Dieu devait s'irriter contre son serviteur, pendant
le cours de ses souffrances ; et, loin de là, il préparait au martyr la gloire la plus
éclatante; selon eux, le Christ l'abandonnerait; car ils ne connaissaient rien aux
secrets desseins de Dieu ; mais comme il fallait que commençassent déjà à se dévoiler
les résolutions du Très-Haut, les profanes durent dès lors éprouver et supporter leur
propre châtiment; c'est pourquoi aussi Félix sortit de ce monde pour aller recevoir la
couronne céleste. Que tout le choeur de ses compagnons de martyre dise donc à ce
bienheureux: « Béni soit le Seigneur qui ne nous a pas livrés à la dent de nos
ennemis. Notre âme a été délivrée comme le passereau du filet de l'oiseleur le filet
a été rompu, et nous avons été sauvés. Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui
a créé le ciel et la terre (1) ».
ANALYSE. 1. Cyprien, martyr et prêtre. 2. Sa
première confession et son exil. 3. Sa seconde confession et son martyre.
1. Mes frères bien-aimés, deux pierres
précieuses, le sacerdoce et le martyre, ont brillé en saint Cyprien, et l'éclat de
l'une a rehaussé l'éclat de l'autre, puisque sa vie d'évêque a été sainte -et sa
mort de martyr précieuse. Sa carrière sacerdotale ayant fini par un doux martyre qui lui
a procuré les honneurs du triomphe, n'ai-je pas le droit de la proclamer bienheureuse?
D'abord, il a offert à Dieu le sacrifice pour son peuple, et à la fin de sa vie, il lui
a offert tout ce qu'il possédait : il s'est offert lui-même. Tenant en ses mains
l'encensoir embaumé, l'ange prenait autrefois son vol, montait près de l'autel céleste,
au pied du trône de l'Eternel, et offrait au Très-Haut l'encens de ses prières :
aujourd'hui il l'a porté lui-même sur ses ailes jusque dans les parvis de la nouvelle
Jérusalem. Que le cortége des autres puissances marche donc en avant de ce pontife et de
ce martyr, et celui que le peuple environnait pendant l'oblation de la victime sans tache,
les esprits angéliques le couronneront en récompense de son courage.
2. O martyre digne de tous nos
hommages ! O glorieuse confession ! Un
seul coup de (556) glaive a suffi
pour lui trancher la tête et la séparer de ses membres; un seul coup l'a réuni à son
chef, à son Sauveur ! Il s'échappe des entraves de la chair, et les anges
l'emportent triomphalement dans le ciel. Avec les dehors de la douceur, on lui adresse des
questions cruelles, et il répond avec force sans perdre la patience. Sacrifie aux
dieux de Rome, lui dit le juge : observe les ordres de l'empereur. A cela, saint
Cyprien répond : Je suis chrétien et évêque, et ne connais pas d'autre Dieu que le
Dieu unique et véritable : pour lui je suis prêt à endurer toutes sortes de tourments
en cette vie : ainsi pourrai-je espérer de ressusciter un jour à la vie éternelle.
Choisis de deux choses l'une, ou d'aller en exil à Curube, ou de te conformer au
culte que pratiquent les Romains. Je m'en vais où tu me forces d'aller; mais je
refuse ce que tu me demandes : le Christ, chef des martyrs et pontife des prêtres,
m'accompagnera dans mon exil. Il part donc pour la terre étrangère, mais le
courage qu'il réservait pour l'heure de la souffrance ne l'abandonne pas; car le Christ
est avec lui. Il méprise les biens d'ici-bas, parce qu'il veut acquérir ceux du ciel :
il abandonne les avantages du temps pour entrer en possession du bonheur céleste. Ce
soldat du Christ engage le combat avec les armes de la foi, et, dans sa lutte avec de
cruels ennemis, il ne faiblit pas un instant. Son armure n'est autre que la cuirasse de la
foi : pour se battre et remporter la victoire, il ne se sert pas du glaive; la patience
lui suffit, et, en mourant, il reçoit du Dieu éternel la vie qui faisait l'objet de ses
désirs. Chaque jour, dans ses prières, il disait avec le prophète David: « Je suis
sûr de voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants (1) ». Et il ajoutait :
« Quand irai-je et paraîtrai-je devant Dieu (2) », pour entrer en possession
« de ce que l'oeil de l'homme n'a
point vu, de ce que son oreille n'a point entendu, de ce que son
coeur n'a point compris, de ce que le Seigneur réserve à ceux qui l'aiment (1) ? »
3. On le rappelle de l'exil pour
l'entendre une seconde fois. Pendant qu'on le gardait en prison, il veillait soigneusement
à la garde de la chasteté; il ordonnait de surveiller les vierges sacrées, car,
disait-il, il ne faut point que la pratique de la charité leur fasse perdre la pureté.
Le peuple chrétien couchait à la porte de son cachot, faisant le guet, se moquant de
toutes les menaces par amitié pour le pasteur, désirant mourir pour lui, vénérant en
lui le prêtre et le martyr. On donne à l'évêque une nouvelle audience à la suite de
laquelle se consommera son triomphe. La. rude voix du juge se fait entendre , la
courageuse réplique du martyr lui fait écho alors s'inscrit sur les tables, à l'aide du
stylet, la cruelle sentence de mort, et, en même temps, se prépare dans le ciel la
couronne qui doit illustrer Cyprien. On va lui trancher la tête, et il remercie Dieu de
ce qu'il va sortir de ce monde. La foule des fidèles s'écrie : Nous voulons mourir avec
lui, afin de nous retrouver avec lui au jour de la rédemption. Dans le sentiment de leur
filiale affection, les enfants veulent endurer le martyre avec leur père, mais à
condition qu'il les précédera devant Dieu ; ils prétendent le suivre, comme les petites
branches de l'arbre suivent la racine. On arrive avec lui en pleurant jusqu'au lieu de
l'exécution : on veut assister à ses derniers moments, tant est vive l'amitié qu'on a
pour lui. Pour se revêtir du martyre, il se dépouille du byrrhus; pour mourir, il met en
terre des genoux qui ne devaient point trembler devant le tribunal du Christ, car il
devait y recevoir une ample récompense pour son sang versé, et là son chef devait lui
rendre sa tête.
557
ANALYSE. 1. Pierre est le premier des Apôtres, et André
en est le second : pourquoi Pierre en est-il le premier ? 2. Ils sont, tous deux,
pécheurs, non pas de poissons, mais d'hommes. 3. Tous deux se séparent de Jean
pour suivre le Christ.
« Or, Jésus, marchant le long de la mer
de Galilée, vit deux frères, Simon appelé Pierre, et André, son frère, qui jetaient
leurs filets dans la mer, car ils étaient pêcheurs ; et il leur dit: Suivez-moi, et je
vous ferai pêcheurs d'hommes (1) ».
1. Le premier des Apôtres est Simon,
appelé Pierre : après lui vient André, son frère, et chacun d'eux a reçu son rôle
particulier de Celui qui pénètre le secret des coeurs. On appelle le premier Simon,
surnommé Pierre, afin de le distinguer de l'autre Simon appelé le chananéen, parce
qu'il était originaire de Chana de Galilée, où le Sauveur changea l'eau en vin.
D'après la disposition de Jésus, les Apôtres vont donc deux à deux; ainsi , Pierre
avec André, son frère ; mais les liens qui les unissent sont plutôt spirituels que
charnels. Simon veut dire l'obéissant, parce qu'il a obéi à la voix du Seigneur, au
moment où Celui-ci lui a dit, ainsi qu'à André : « Suivez-moi, je vous ferai
pêcheurs d'hommes ». Pierre signifie le connaissant, parce qu'il a reconnu les
titres du Christ, quand les autres disciples en doutaient. Jésus leur avait adressé
cette question : « Et vous, qui dites« vous que je suis (2)? » Contrairement à
l'opinion de ses condisciples , Pierre répondit : « Vous êtes le Christ, Fils du
Dieu vivant (3) ». Voilà d'où lui est venu son nom : voilà aussi pourquoi, après
avoir, pendant le cour des prédications qu'il faisait aux Juifs, parcouru la Cappadoce,
la Galatie, la Bithynie, le Pont et toutes les provinces voisines, il est venu ensuite à
Rome, qu'il devait illustrer.
2. Le nom d'André est grec; en latin, il
se traduit par le mot viril; cet apôtre s'est, en effet, montré aussi courageux pour
prêcher
que pour endurer des persécutions en faveur de la justice. Il
annonça l'Evangile aux Scythes. Ces deux frères furent les premiers appelés à suivre
le Christ. Pourquoi le Sauveur a-t-il envoyé, pour prêcher, des pêcheurs, des hommes
sans instruction ? C'était afin qu'on n'attribuât pas la foi de ceux qui croiraient aux
talents et à la science des prédicateurs, au lieu d'y voir l'effet de la puissance
divine. Il a donc appelé de tels hommes à l'apostolat, et, de pêcheurs de poissons
qu'ils étaient, il en a fait des pêcheurs d'hommes. Car, de même que par leurs filets
ils allaient chercher les poissons dans les profondeurs de l'eau, pour les amener à sa
surface ; ainsi, par la prédication des commandements de Dieu, ils ont retiré les hommes
de l'abîme des erreurs mondaines. Trois évangélistes leur ont donné le nom de
pêcheurs, et Jean a été le seul qui leur ait donné un autre nom. Il leur convenait
parfaitement, puisque le Sauveur leur a ôté la profession de pêcheurs, pour leur
confier la mission de prêcher l'Evangile aux hommes et de les amener ainsi à se sauver
par la foi. En parlant d'eux, le Prophète n'avait-il pas dit : « J'enverrai des
pécheurs qui les pêcheront (1) ? » Tout ceci s'est donc accompli dans la personne
des Apôtres, puisque de pêcheurs de poissons ils sont devenus des pêcheurs d'hommes. En
effet, comme on retire les poissons du milieu de la mer au moyen de filets ; de même, par
la prédication apostolique, les hommes sortent du monde et arrivent à la foi du Fils de
Dieu.
3. « Le lendemain, Jean s'arrêta avec
deux de ses disciples, et, regardant Jésus qui s'avançait,
il dit : Voici l'Agneau de Dieu; et les deux disciples l'entendirent parler et
558
suivirent Jésus (1) ». Il est sûr que ces deux disciples de
Jean furent André et Philippe, qui suivirent le Seigneur Christ dans l'intention
d'apprendre quelque chose à son école. Que leur dit-il ? a Suivez-moi a. N'était-ce pas
leur dire,en propres termes : Croyez et voyez, c'est-à-dire, comprenez ? Ce jour-là, ils
furent éclairés, et ils crurent à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
L'Evangéliste ajoute : « Il était à peu près dix heures ». Que
signifie
cette dixième heure? Evidemment la fin de l'Ancien Testament et le
commencement du Nouveau. Jean était, en effet, le symbole de l'ancienne loi, et les deux
disciples figuraient d'avance l'amour de Dieu et celui du prochain ; aussi quittèrent-ils
Jean pour suivre le Sauveur, parce que la figure de la loi ayant disparu, le Nouveau
Testament lui succéda , et qu'alors commença le règne de l'Evangile de Jésus-Christ.
ANALYSE. 1. Le premier des martyrs, saint Etienne, se
trouve réjoui, au milieu de ses tortures, par la vue du ciel. 2. La cruelle et
impie Judée s'irrite, parce qu'elle ne peut rien répondre à la multitude des martyrs.
3. Etienne prie Dieu pour ses lapidateurs.
1. Vénérons tous saint Etienne, frères
bien-aimés, puisque aujourd'hui nous allumons des flambeaux en son honneur, et qu'en
mémoire de lui nous nous réunissons ici dans les sentiments de la plus vive allégresse.
Depuis le crucifiement de Jésus, il n'y avait encore eu aucun martyr; personne n'avait
encore suivi le Christ jusqu'à la mort. Le monde possédait encore les Apôtres ;
c'était encore le temps où Saul, pareil à un loup, sévissait contre les chrétiens, et
déjà le Sauveur déposait sur le front d'Etienne la couronne de la gloire. Jusqu'à ce
moment, dans les champs et les prés du siècle ne s'était point épanouie la fleur des
confesseurs ; le sang du Christ, répandu en terre, n'avait pas enfanté de martyrs. Saint
Etienne fut donc le premier germe sorti de cette semence ; ce fut la première fleur qui
se montra aussitôt après que la Judée eut fait couler le sang du Rédempteur. Ivre
encore du crime qu'elle venait de commettre, les mains teintes de sang, la bouche encore
pleine des cris de mort qu'elle avait, dans sa rage, proférés au tribunal de Pilate, la
synagogue ne supporta pas qu'Etienne fût un témoin du Christ; elle ne voulut voir en lui
qu'une sorte de satellite gagé d'un crucifié mis au tombeau; aussi fit-elle pleuvoir sur
lui une grêle de pierres, et ainsi saint Etienne suivit-il celui qu'il aimait. Pendant
que les lapidateurs le tenaient sous leurs mains et lui infligeaient le plus cruel
supplice, le ciel s'ouvrit devant lui, et il vit le Fils de l'homme assis à la droite de
Dieu. La récompense s'étalait aux regards du soldat; le céleste athlète apercevait le
prix que Dieu lui avait préparé; la couronne réservée au martyr apparaissait à ses
yeux ; à cette vue, et tout disposé à mourir, Etienne expose aux coups de ses ennemis
furieux un coeur brûlant d'amour pour Dieu, car la palme du triomphe est là, devant lui,
dans le ciel; il touche au port du salut ! Nous ne saurions en douter, mes frères,
il contemplait le ciel des yeux de son corps; la présence du Christ, assis sur un trône,
à la droite du Père, le comblait de joie ; en face de pareils témoins, la lutte pour
lui ne pouvait être timide, elle fut celle d'un héros. Si, d'un côté, les Juifs
accablaient de pierres le martyr, d'autre part, le Christ lui envoyait, du haut du ciel,
des couronnes sur lesquelles son sang avait empreint une teinte d'un blanc rosé. A quoi
te sert, ô impie synagogue, cet (559) acte de cruauté? Tu jettes des pierres à Etienne,
et tu travailles encore davantage à l'honorer; tu lui ôtes la vie, et tu contribues
encore plus à l'exalter; tu le persécutes sur la terre, et, sans le savoir, par tes
mauvais traitements, tu l'envoies plus vite au ciel. Déjà l'âme du martyr, arrivée à
ses lèvres, va s'envoler au ciel ; elle y tient déjà par toutes ses puissances ; aussi
est-elle devenue insensible à tes coups, et ne prendra-t-elle plus souci de ta force, car
elle partage déjà la joie des anges, et comme il se trouve déjà dans les rangs de
l'armée des archanges, le confesseur du Christ ne saurait plus redouter les souffrances
de ce monde.
2. Le Père lui adresse la parole, le Fils
le console, le Saint-Esprit ranime ses sens affaiblis ; le ciel, avec ses mystérieuses
beautés, lui sourit et le rassasie d'avance, comme un de ses habitants, de ses divines
richesses ; ainsi devient insensible pour notre martyr le supplice de la lapidation. Pour
toi, impie Judée, tu parfais ton crime, tu accomplis jusqu'au bout ton homicide ; à
peine as-tu fini de faire mourir le Christ, que déjà son serviteur tombe sous tes coups,
comme si, en ajoutant un meurtre à un autre, tu pouvais effacer la souillure du premier.
« Voilà », s'écrie Etienne, « voilà que je vois les cieux a ouverts, et le Fils
de l'homme debout à la droite de Dieu (1) ». Le vois-tu, cruelle Judée? Le Christ
dans le sang duquel tu as trempé tes mains est vivant dans le ciel. Tu frémis de rage,
je le sais bien ; tu ne veux pas entendre dire que Jésus, que tu croyais mort, vit
toujours. Car si tu lapides aujourd'hui Etienne, c'est afin qu'il ne continue pas de
rendre témoignage de la vie du Christ. Mais à quoi bon te raidir et vouloir t'opposer à
de si nombreuses légions de martyrs ? Parviendras-tu jamais à leur imposer silence?
Evidemment, non. « Après cela, je vis », dit Jean, « une grande multitude
que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de
toute langue,
qui se tenaient debout en la présence « de Dieu, revêtus de robes
blanches, avec des « palmes en leurs mains (1) ». Ils portent des palmes dans leurs
mains, et de ta bouche s'échappe le feu qui consume ton coeur ; ils tressaillent de joie
au sein de la gloire, et tu martyrises ta conscience ; ils règnent avec le Christ que tu
as fait mourir, et sur toi demeure éternellement la souillure du sacrilège que tu as
commis !
3. Enfin, mes frères, écoutez notre
pieux martyr ; écoutez cet homme qui s'était rassasié à une table sacrée et divine,
et dont l'âme, en présence des cieux ouverts devant lui, pénétrait déjà les secrets
consolants de ce divin séjour. Au moment où les Juifs, emportés jusqu'à la cruauté
par leur impiété habituelle, brisaient le corps du martyr sous une grêle de pierres,
celui-ci, s'étant mis à genoux, adorait le Seigneur-Roi et disait : « O Dieu, ne
leur imputez pas ce péché ! (2) » Le patient prie, et son bourreau est
inaccessible au sentiment du repentir; le martyr prie pour les péchés d'autrui, et le
juif ne rougit point du sien propre ; Etienne ne veut pas qu'on leur impose ce qu'ils
font, et ses ennemis ne s'arrêtent qu'après lui avoir donné le coup de la mort. Quelle
rage 1 Quelle fureur inouïe 1 Travailler avec d'autant plus d'ardeur à le tuer, qu'ils
le voyaient prier pour eux 1 Ce spectacle n'aurait-il pas dû plutôt amollir leurs
coeurs? Notre martyr a donc retracé en lui-même les caractères de la mort de son
Maître. Attaché à la croix, sur le point de rendre le dernier soupir, Jésus priait son
Père de pardonner aux Juifs leur déicide; engagé comme le Christ dans les tortueux
sentiers du trépas, Etienne a imité son Sauveur, a offert à Dieu le sacrifice de sa
vie; c'est pourquoi il a suivi jusqu'au ciel le Seigneur tout-puissant. Aussi, mes
frères, devons-nous nous recommander à ses saintes prières, afin qu'à son exemple nous
méritions de parvenir à la vie éternelle.
560
ANALYSE. 1. Le martyre de ces enfants est un hymne
admirable chanté à la louange du Christ naissant. 2. Parallèle du Christ naissant
et des saints innocents. 3. Hérode, joué par les mages, met le comble à sa
méchanceté.
1. L'indulgence du Sauveur ne connaît pas
de bornes; les expressions manquent pour en donner une juste idée. Il habite au plus haut
des cieux, et pour les hommes qui ne méritaient de sa part aucune pitié, il s'est
revêtu d'un corps de boue. N'allez pas croire, néanmoins, que le Créateur des anges se
soit renfermé tout entier dans les étroites limites du sein d'une Vierge. Celui des
mains duquel le monde est sorti, a voulu briser les mailles du filet où l'ennemi du genre
humain nous retenait tous captifs; il a voulu nous retirer de l'abîme d'iniquités où se
trouvait plongée la race d'un père coupable; c'est pourquoi le Fils de Dieu est venu au
monde et s'est fait le restaurateur de tout le monde; alors a retenti l'hymne de louanges
que des enfants en bas âge lui ont chanté. C'est d'eux que le prophète David nous a
parlé aujourd'hui dans tin de ses psaumes; voici ses paroles : « Vous avez
tiré la louange de la bouche des nouveau-nés et des enfants encore à la mamelle
(1) ». L'admirable Prophète ! En tous temps se chantent les louanges de
l'Eternel, et néanmoins il a voulu nous faire voir qu'à la fin des temps le martyre
enduré pour le Christ, par de petits enfants, deviendrait un hymne chanté en son
honneur. Car voilà bien ce qu'il en a dit au psaume : « Vous avez tiré la louange de la bouche des nouveau-nés et des
enfants encore à la mamelle ». C'est du Christ que parle David, et il louange les
enfants en même temps que le Christ. Il se fait le héraut de leur gloire, et annonce
leurs souffrances à venir. Ils sont morts à la manière des martyrs, sans toutefois
ressentir la
douleur du supplice ; et malgré cela, ils ont ajouté à la joie des
anges du ciel et contribué, pour leur part, à la victoire que le Roi de tous les
siècles a remportée sur le monde. Celui qui a créé la Jérusalem céleste et qui y
règne, est venu en ce monde, et une Vierge l'a enfanté sans rien perdre de sa pureté
sans tache, sans contracter la moindre souillure; alors, la Jérusalem de la terre est
tombée dans le trouble, et on l'a vue faire, avec Hérode, une guerre insolite aux petits
enfants, tandis que les Mages adoraient le Sauveur donné à l'univers. Les cris
déchirants des mères s'élèvent jusqu'au ciel, les souffrances de leurs nouveau-nés
procurent au monde une indicible et incommensurable joie, et à toute personne qui pleure,
l'éclat de la gloire. Le monde compatit aux douleurs de ces petits martyrs, et les
archanges sourient à leur triomphe: ils tombent sans défense sous les coups de leurs
pères; sans ressentir aucune souffrance, ils subissent pourtant l'empire de la mort ;
mais ils vont au ciel, car ils ont été trouvés dignes d'en obtenir la possession en
échange de leur vie terrestre.
2. Jérusalem céleste, réjouis-toi dans le Seigneur de ce que la
Jérusalem de la terre est en proie au trouble avec ses tyrans. Jérusalem, Jérusalem,
depuis longtemps enivrée du sang des Prophètes, tu as autrefois fait d'eux une injuste
distinction pour les accuser, et maintenant tu cherches par tous les moyens à faire
partager ta folie à Hérode et à lui persuader de détruire des enfants ! Dans les
siècles passés, tu as fait mourir ceux qui annonçaient le Christ, et aujourd'hui que le
Christ nous a, été donné, tu lui as trouvé un (561) ennemi, puisque tu frappes du
glaive des enfants qu'il soutient de sa grâce. Admirable récompense! Un homme recherche
un seul enfant, et à la place de ce seul enfant, une multitude d'autres sont arrachés du
giron de leurs mères et égorgés. Un seul était venu racheter le monde; au moment de sa
naissance, on invite les pères de tous les autres à commettre un crime sans
précédents. L'Époux est tout à l'heure sorti du lit de la Vierge, et voilà que, pour
le recevoir, des enfants en bas âge sont offerts en holocauste. Le potier qui nous a
pétris vient de se revêtir d'un corps de boue dans le sein d'une Vierge, et déjà
Hérode, obéissant aux suggestions furieuses du démon , se déclare contre lui, répand
dans la poussière le sang de nouveau-nés, et fait de tout cela un hideux mélange. A
peine le dispensateur de la vie humaine est-il sorti des entrailles de Marie , qu'un
monceau de chair humaine, enlevée du giron des mères, se trouve formé par les mains
d'Hérode. Sitôt qu'on a apporté le saint raisin dans le pressoir du monde, les mamelles
des mères en laissent péniblement couler le jus, et il se mêle au sang répandu par le
glaive. Tout à l'heure l'Agneau de Dieu est sorti de la sainte bergerie, et les bergers
se sont joués d'Hérode ; c'est pourquoi un acte de fourberie méchante s'est exécuté
sur une grande échelle, car, saisi par la fureur et emporté par la rage d'un loup
dévorant, pareil à un indigne faussaire, ce prince a arraché aux mères des cris de
désespoir.
3. Voyant que les Mages l'avaient joué,
Hérode fit donc venir les scribes et leur demanda en quel temps devait naître parmi les
Juifs celui qui était destiné à les délivrer de l'esclavage. Inspirés par Dieu même,
ceux-ci aimèrent mieux voir périr tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous, que
le genre humain tout entier. O Hérode, ta méchanceté ne connaît pas de bornes, et
aujourd'hui Saul vénère l'Église qu'il persécutait; lui qui traquait jadis les
adorateurs de Dieu, il reconnaît formellement en eux l'épouse du Christ, et il n'hésite
pas à dire: « Je t'ai fiancée à cet unique époux, Jésus-Christ, pour te présenter
à lui comme une vierge pure (1) ». Par lui l'honneur, la louange et la gloire
viennent à Dieu le Père, dans le Saint-Esprit, maintenant, et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
ANALYSE. 1. Conduit par l'envie du démon, Hérode fait
mourir les innocents. 2. Contre qui s'exercent les vengeances divines. 3.
Les appréhensions et la condition d'Hérode.
1. Très-chers frères, le Saint-Esprit a
dit, par l'organe de Salomon : « Par l'envie de Satan, la mort est entrée dans l'univers
(1) ». Il est sûr, mes bien-aimés, que, depuis le commencement, le diable enseigne
la jalousie et l'envie ; d'où il suit évidemment que tout homme envieux et jaloux est
son disciple.
Autre conséquence encore : il y en a beau. coup pour jalouser et
envier le sort d'autrui, parce qu'il y en a beaucoup pour imiter le diable. N'est-il pas
dit, en effet, dans l'Ecriture : « Ceux qui l'imitent sont sa part (1) ». L'homme
spirituel et saint, voilà la part du Dieu d'Israël ; car do, lui il est dit aussi : «
La
562
part du Dieu d'Israël est son héritage (1) » . Dans cet
héritage, comme nous en avons déjà fait la remarque, l'ennemi de l'homme, son
adversaire jaloux, n'a aucune part ; aussi a-t-il fait asseoir un gentil sur le trône
royal; en d'autres termes, il y avait placé le tyran Hérode, né au sein de la
gentilité, pour exterminer le peuple de Dieu, pour torturer une multitude d'enfants
innocents et répandre le sang de nouveau-nés qui n'étaient coupables d'aucune faute.
Nous venons d'entendre le Saint-Esprit adjurant Dieu le Père de le punir, en ce passage
prophétique : « Vengez le sang de vos serviteurs qui a été répandu (2)».
« Que les cris des captifs montent jusqu'à vous (3) » . Oui, il est monté et
il demeurera en la présence de Dieu jusqu'au jour du Seigneur, c'est-à-dire qu'au jour
du jugement il en sera tiré vengeance.
2. Votre charité n'ignore point, sans
doute, que Jean a écrit ces paroles dans l'Apocalypse : « Je vis, sous
l'autel, les âmes de ceux qui a ont donné leur vie pour la parole de Dieu et pour rendre
témoignage à Jésus ; et tous jetaient un grand cri,disant : Jusques à quand
différerez-vous de juger et de venger notre sang sur ceux qui habitent la terre (4) ? »
Vengez notre sang, car nous ne sommes nullement séparés de votre charité, comme il est
écrit dans la leçon présente : « Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La
tribulation, les angoisses, la faim (5)? » Vengez le sang d'innocents arrachés au
sein de leur mère et toujours unis à vous par les liens de l'amour. Vengez les
souffrances, les enfantements, les cris, les douleurs, les pleurs, les larmes, les
gémissements désespérés de tant de mères qui n'ont pas
rencontré un seul consolateur, suivant cette parole de l'Evangile : « On entendit,
dans Rama, une voix et des pleurs, et de grands gémissements : Rachel pleurant ses
enfants, et elle ne voulut pas être consolée parce qu'ils ne sont plus (1) ». Et,
en réalité, parce qu'ils n'ont point appartenu à ce monde, car, par leur naissance et
leur âge, ils ont été les compagnons du Christ. C'est ce que dit l'Evangéliste :
« Hérode envoya tuer tous les enfants qui étaient dans le pays d'alentour, depuis
l'âge de deux ans et au-dessous, selon le temps indiqué par les Mages (2) ».
Qu'est-ce que les Mages lui avaient appris? Que le Christ, le vrai roi d'Israël, était
né selon la chair.
3. A cette nouvelle, Hérode se considéra
comme exposé à un grand danger; il savait, en effet, qu'il n'avait pas le droit de
régner sur le peuple de Dieu. Car n'était-il pas une sorte de fugitif et un étranger au
milieu de la nation juive? A ce titre, il ne pouvait demeurer dans les rangs de ce peuple
saint; c'était, pour lui, chose d'autant plus facile à comprendre, qu'un autre roi
venait de naître, un roi envoyé de Dieu le Père et non pas choisi par la nation ; un
roi doit être tel par droit de naissance, et non par droit d'élection, suivant cette
parole du Sauveur: « Je suis né et je suis venu dans le monde pour cela
(3) »: Réjouissons-nous et tressaillons d'allégresse de ce qu'il est né, et, par
lui, rendons-en grâces à Dieu le Père, à qui appartiennent l'honneur et la gloire,
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
563
ANALYSE. 1. Bienfaits de Dieu accordés par
l'intermédiaire des martyrs. 2. Joignons-nous, par conséquent, aux martyrs, pour
éviter les peines de d'enfer. 3. Il faut invoquer les martyrs.
1. Célébrons ce jour consacré à la
mémoire des bienheureux frères Côme et Damien, et, pour cela, livrons-nous aux
pratiques de la dévotion tranquille des fidèles, au lieu d'observer les rites profanes
du paganisme : citoyens d'un autre pays, ils sont, en ce jour, devenus nos patrons ; car
celui qui a d'abord envoyé les Apôtres vivants dans la chair, nous envoie maintenant
ceux-ci vivants dans l'esprit. Après avoir illustré, pendant leur vie, des contrées
étrangères, ils ont honoré les nôtres de leur visite après leur mort; mais,
évidemment, si les morts ne vivaient plus, nos patrons ne nous auraient pas visités
après être sortis de ce monde. Leurs restes mortels sont donc cachés à nos yeux, mais
leurs bienfaits s'étalent à nos regards; car nous étions atteints d'une maladie
très-dangereuse, et Dieu nous les a envoyés comme médecins, afin de nous préserver des
attaques du démon et de nous délivrer de celles de la maladie. Lorsque, après sa
résurrection, le Sauveur envoya ses disciples dans le monde, en vertu de sa puissance
divine, il leur recommanda, avant tout, de guérir les malades, de ressusciter les morts,
de chasser les démons, de rendre la vue aux aveugles en son nom'. Toujours sensible à
nos infirmités, prenant toujours, et suivant les limites du possible, soin de ses
frères, il a choisi, après son ascension, des hommes qui, par leur science médicale et
terrestre, nous communiqueraient les dons de Dieu. Sa puissance souveraine agit de la
sorte, car sa parole ineffable nous a appris qu'il est venu en ce monde pour sauver les
faibles et les étrangers. Voici comme il s'exprime : « Ce ne sont pas ceux qui se
portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades (2). Je suis venu appeler à
la pénitence, non pas les justes, mais les pécheurs (1) ».
Remarquons cependant pourquoi le Seigneur a accordé aux saints un pareil privilège.
C'est parce qu'ils ont aimé la paix et qu'ils sont parvenus à jouir du Dieu de paix,
dont lApôtre a dit : « Il est notre paix, celui qui des deux peuples n'en a fait
qu'un (2) ».
2. Ce n'est donc point pour eux-mêmes que
les bienheureux Côme et Damien ont vécu et sont morts. Par leur vie exemplaire, ils nous
ont laissé un modèle de bonne conduite, et, parleur mort courageuse, ils nous ont
montré comment nous devons souffrir. Si Dieu a permis qu'on les connût dans les
différentes parties de l'univers, c'était afin que leurs prières nous aidassent à
guérir de nos diverses maladies ; pareils à des témoins irrécusables, ils doivent
ainsi, par une sorte de présence et par l'attrait de la guérison, nous conduire à la
foi ; par là encore, l'humaine fragilité, qui a tant de mal de croire à l'Evangile,
parce qu'il date déjà de loin, voit de ses propres yeux les merveilles opérées par ces
saints personnages; en conséquence, elle accepte le témoignage d'hommes qui prient
maintenant au lieu d'exercer l'art de la médecine, et viennent au secours des malades par
leur foi et non plus par leur science. S'ils guérissaient autrefois, c'était, en effet,
non pas de leur propre puissance, mais de celle du Dieu qui sauve le monde, et, puisqu'ils
continuent à nous venir en aide, c'est qu'ils empruntent leur pouvoir au Sauveur du
monde. Nous devons honorer très dévotement tous les saints,, mais comme nous possédons
les précieuses reliques de ceux-ci, ils ont un droit tout particulier à notre
vénération. Tous les autres nous aident de leurs prières; ceux-ci
564
ajoutent à leurs supplications l'appoint de leur présence, et nous
entretenons ainsi avec eux des rapports en quelque sorte familiers. Ils sont, en effet,
continuellement avec nous; ils y demeurent toujours; en d'autres termes, ils nous
guérissent pendant le cours de notre vie mortelle, et, à l'heure de notre mort, ils nous
reçoivent dans leurs bras. Ici-bas, ils détournent de nous la lèpre du péché et les
maladies, et, dans l'autre monde, ils nous empêchent de tomber dans les noirs abîmes de
l'enfer. Aussi les anciens nous ont-ils appris à donner à nos corps une place auprès
des reliques des saints : l'enfer a peur d'eux, et ses supplices ne seront par conséquent
point pour nous; le Christ les éclaire, et, par là, sa lumière écartera de nous les
ténèbres épaisses de ce lieu d'horreur. Dès lors que nous reposons à côté des
saints martyrs, nous échappons aux ténèbres de l'enfer, non par suite de nos propres
mérites, mais à cause de la sainteté de nos compagnons de sépulture. Le Sauveur a dit
à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de
l'enfer ne prévaudront point contre elle (1) ». Si les portes de l'enfer ne peuvent
prévaloir contre l'apôtre et martyr Pierre, quiconque se joint aux martyrs ne peut donc
être le prisonnier de l'enfer. Les portes de l'enfer ne retiennent point captifs les
martyrs, parce qu'ils sont entrés dans le royaume des cieux; ne les voyons-nous pas,
en effet, déjà régner? Nous en sommes témoins; il arrive souvent
qu'ils délivrent des hommes possédés de sales démons par l'effet de la médecine
céleste qu'ils leur ont donnée,
les âmes captives s'échappent des chaînes du démon, et le diable
se trouve, à son tour, chargé de chaînes de feu. Ah ! puisse le captif briser tous
les liens qui le privent de la liberté ! Alors, celui qui en avait d'abord fait sa
victime deviendra victime à son tour. Sans compter de bien autres merveilles opérées
par les saints, voilà ce qu'ont fait et ce que font ces élus de Dieu, aucun de vous n'en
ignore. Ils ont autrefois employé le fer à retrancher du corps humain les parties
gâtées, aujourd'hui ils prient pour délivrer les âmes de leurs chaînes. Ils ont jadis
appliqué des remèdes faits de main d'homme, et maintenant ils étalent à nos regards le
spectacle de cette sainteté que le Christ leur a donnée. Ils ont distribué aux autres
des bienfaits du temps, aussi jouiront-ils de ceux de l'éternité; parce que leur corps a
guéri celui du prochain, leur âme, à son tour, a obtenu sa propre guérison. Ils ont
consolé les faibles et sont eux-mêmes devenus forts; on les a crus sans forces, et ils
sont devenus puissants; ils ont cessé d'être médecins, et le trésor de la foi leur est
seul resté.
3. Donc, bien-aimés frères, vénérons
dans cette vie les bienheureux Côme et Damien, afin de pouvoir les compter parmi nos
intercesseurs dans le ciel ; et puisqu'un mouvement d'amour nous réunit pour célébrer
la mémoire de leur naissance, qu'une même foi nous unisse à eux. Rien ne sera capable
de nous en séparer, si nous nous y joignons par le sentiment de la religion et
corporellement puissent leurs mérites nous obtenir du Seigneur notre Dieu cette
faveur ! Ainsi soit-il.
ANALYSE. Procession du Saint-Esprit; génération du Fils et
non du Père.
Le Saint-Esprit, c'est le don de Dieu: il
procède également du Père et du Fils; il est comme le trait d'union qui les joint l'un
à l'autre d'une manière ineffable. Peut-être son nom lui a-t-il été donné, parce
qu'il convient aussi au Père et au Fils; son nom désigne ce (565) qu'il est à
proprement parler, et ce qu'on peut attribuer aux deux autres personnes. Ainsi, on dit
avec justesse que le Père est esprit, et le Fils pareillement, que le Père est saint, et
aussi le Fils ; mais on ne dit pas que le Père a été envoyé, par la raison qu'il ne
s'est pas incarné. Le nom d'envoyé s'applique d'une manière plus exacte à la personne
qui s'est faite homme. La forme humaine, dont le Fils s'est revêtu, appartient à la
personne de celui-ci, et non à celle du Père. C'est pourquoi on a dit que le Père
invisible, agissant de concert avec son Fils invisible, l'a envoyé en le rendant visible.
Le Fils a pris la forme d'esclave, sans que la forme de Dieu subît en lui le moindre
changement. Celui qui est apparu aux regards des hommes sous la forme humaine a été fait
par la sainte et invisible Trinité. Par conséquent, selon cette nature divine en vertu
de laquelle le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'un, nous ne croyons pas que le
Père ou le Saint-Esprit soit né ; la foi catholique ne le croit et ne l'enseigne que du
Fils. Bien que, selon la nature divine, le Père ne soit né d'aucun autre Dieu, s'il
était cependant né de la Vierge selon la chair, il n'aurait point seul la propriété de
n'être pas né lui-même, mais d'avoir engendré un Fils unique ; le Fils n'aurait pas
non plus la propriété exclusive de n'avoir point engendré, mais d'être né de
l'essence du Père; le Saint-Esprit serait aussi dépourvu de celle de n'être pas né et
de n'avoir point engendré, mais de procéder du Père et du Fils. En effet, si le Père
était né de la Vierge, il ne serait avec le Fils qu'une seule et même personne; et
parce que cette seule et même personne serait née, non pas de Dieu, mais de la Vierge,
on ne pourrait l'appeler avec exactitude que Fils de l'homme, au lieu de pouvoir lui
donner le titre de Fils de Dieu.
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