CHAPITRE II § 2
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§ 2. - LE SAINT SACRIFICE

 

I. La messe dans la littérature du XVIIe siècle. - Ligne de partage des eaux : dans la première moitié, la messe considérée comme un des « exercices » de la vie dévote; dans la seconde, comme l'acte religieux par excellence, la « synthèse de tout le culte ». - Religion et Dévotion. - L'accent mis de plus en plus sur le sacrifice.

II. Amelote, Duguet et la théologie du Sacrifice. - Il n'est pour eux de vrai sacrifice que liturgique. - « L'hostie immolée en public ». - Le sacrifice a partie essentielle du culte public », - Les figures du sacrifice du Christ : Caïn et Abel ; Noé. - « Ce qui manquait au sacrifice de la Croix sur le Calvaire ». - Jésus-Christ prêtre dès son incarnation, mais d'un a sacerdoce intérieur ». - Le sacrifice da Calvaire, « vrai sacrifice dans l'usage intérieur que le Sauveur en a fait », n'est pas à proprement parler sacrifice liturgique. - Jésus-Christ a suppléé à ce défaut par l'institution de l'Eucharistie. « Conformité essentielle entre l'Autel et la Croix. - Diffusion de la théologie sacrificielle.

III. Conclusions pratiques. - L'assistance à la messe. - Les sept méthodes de Suffren et la méthode de Letourneux. - « La messe est le sacrifice commun du prêtre et des fidèles ». - L'Église ne veut pas que le prêtre se sépare de l'Assemblée. - Qu'on a s'occupe l'esprit et le coeur des paroles et des actions qui composent la liturgie ».

IV. Invraisemblable résistance opposée à la méthode liturgique. - On craint ou on feint de craindre que les fidèles s'imaginent « qu'ils sont prêtres au même sens que le prêtre. » - Le sacrement de l'Ordre en péril ! - La messe pour tous ou la messe pour ceux-là seuls qui savent le latin. - Croisade pour le a Secret des Mystères ». - Vallemont et Dom Guéranger. - Répliques de Letourneux. - Si l'Église célèbre la messe en latin, ce n'est pas du tout qu'elle veuille par là en « cacher les mystères aux peuples ». - Ainsi pour la récitation submissa voce du Canon. - Excentricités sans importance de quelques réformateurs.

V. La bataille pour et contre les traductions de l'Ordinaire de la messe. - Le missel de Voisin condamné par l'Assemblée du Clergé en 166o, et par un Bref d'Alexandre VII. - Comment la bonne foi du pape a été surprise par Mazarin. - Contre-vérités dans la lettre de l'Assemblée au Pape : la traduction de l'Ordinaire en français n'était pas une « nouveauté ». - Du XIV° siècle à 166o, le nombre de ces traductions va croissant. - « On n'a eu en France aucun égard à ce Bref » et les Assemblées de 1665 et de 167o désavouent par leur silence l'Assemblée de 166o. - Le prétendu « Secret des Mystères » et le scandale des protestants. - Les traductions de l'Ordinaire répandues à deux cent mille exemplaires. - Pouvait-on refuser aux

 

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catholiques ce que l'on accordait aux protestants? - La guerre contre les traductions recommence au lendemain de la Bulle Unigenitus. - Violence et démence.

VI. Les « livres de messe ». - Traduction ou paraphrases. - Le P. Judde, Antoine Montagnon et les e Courtes prières » de Pellisson. - La paraphrase de Sanadon. - Le mouvement liturgique d'aujourd'hui et la victoire des traductions.

 

I. - De saint François de Sales à Daguet - nos deux points extrêmes, - l'histoire, si l'on peut dire, du Saint Sacrifice pendant le XVIIe siècle, telle que nous permet de la suivre une « littérature » et copieuse et splendide, cette histoire, dis-je, obéit, dans son développement à une sorte de loi que je voudrais d'abord essayer de formuler. Dès 1644, la seule bibliographie des Préparations à la messe, ou des Exercices de la messe, est si riche que, chose presque impossible à croire, l'homme aux trois cents volumes, l'intarissable Camus, réticent, muet pour la première et dernière fois de sa vie, recule devant cet inépuisable sujet, qu'il croit épuisé. « Vous pouvez être aidé, écrit-il, par plusieurs auteurs qui ont crayonné beaucoup de méthodes, comme notre Bx Père, en sa Philothée; le P. Coton, en son Occupation intérieure; le P. Barthélemy Jacquinot, en son Adresse; le P. Alphonse Rodriguez, en sa Pratique des vertus chrétiennes, le P. Louis du Pont, en ses livres de la Perfection du chrétien; le P. Eustache de Saint-Paul (Asseline, feuillant), en son Adresse spirituelle et le P. Philippe d'Angoumois, capucin, en son Occupation continuelle... Auxquels vous pourrez joindre Grenade, en son Mémorial; le P. Arias, en son Traité de la Communion; le P. Richeome, en son Pèlerin de Lorette; le P. Philippe d'Angoumois, en son Adresse de la grâce (4) ».

Il en passe beaucoup, son ami le P. Suffren, entre autres, lequel n'a pas moins de deux cents pages sur la messe, dans le premier volume de son Année chrétienne (164o).

 

(1) Pratique de la fréquente communion (par le P. Salazar s. j.) avec un Traité de la fréquente communion, par J. P. Camus, Paris, 1644, pp. 13-14. 24.

 

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Je ne les ai pas tous lus, mais je croirais volontiers que le bloc de ces écrivains se distingue de ceux qui vont suivre. La nuance est difficile, non pas à sentir, mais à démêler, et plus encore à exprimer. Un clair exemple nous y aidera. Je l'emprunte au Père Suffren que nous connaissons déjà, personnage aussi aimable que considérable, et très composite; archaïsant et moderne tout ensemble, chez qui se mêlent, d'ordinaire sans trop se heurter, les courants les plus divers: une piété encore toute médiévale, l'humanisme dévot, la tradition ignatienne, et le bérullisme. Méditez donc son panégyrique du Saint Sacrifice :

 

Ce qu'est le soleil entre les astres est la messe, ou ouïe ou célébrée, entre toutes les actions de la journée. Si le soleil surpasse tous les astres, cette action est la plus relevée. Le soleil donne la lumière aux autres astres et départ ses douces influences à toutes les créatures corporelles.; de même cette action, étant bien faite le matin, donne une particulière bénédiction à toutes les actions de la journée. Le soleil s'éclipsant, les influences des astres cessent; cette action manquant le matin, on perd quasi tout le fruit de la journée (4).

 

On n'imagine rien de plus suavement ni de plus pratiquement dévot. A l'élite néanmoins de la seconde moitié du XVII° siècle, comme à nous du reste, ce panégyrique de la messe aurait paru assez court, vague, décevant, et pour tout dire plus dévot que religieux; - car telle est, me semble-t-il, la très délicate nuance que nous essayons présentement de saisir. Pas une ligne de Suffren qui ne puisse s'appliquer presque aussi bien à n'importe quelle pratique religieuse, à la méditation du matin, par exemple, à la visite au Saint Sacrement, et mieux encore à la sainte communion, prise en elle-même, détachée, veux-je dire, du Sacrifice. Le Sacrifice de la messe n'est pas, en effet, « et ne doit pas être un exercice de piété éminent entre beaucoup d'autres. Il est au contraire le centre vers lequel doivent converger tous les efforts de la

 

(1) L'Année chrétienne, I, pp. 3o4, 3o5.

 

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discipline spirituelle, toute l'ascèse (et aussi bien toute la mystique). Il exprime et réalise la synthèse de tout le culte, qui est, en définitive, de faire de nous des hosties vivantes et saintes, offertes chaque jour à la gloire du Père, en union avec l'unique sacrifice de Jésus-Christ (1). » Ces lignes sont d'hier, mais Condren, Olier, mais Bossuet, mais Duguet les auraient signées. Elles expriment parfaitement l'idée qu'ils se font tous du Saint Sacrifice, comme nous le montrerons bientôt. Or entre ces deux descriptions, qui ne sent la différence? Qui ne voit que la seconde est plus spécifiquement, plus profondément religieuse que la première? Chose extrêmement remarquable, saint François de Sales, antérieur de vingt ans à Suffren, et que Suffren manifestement à voulu et cru copier ici, François de Sales, dans la description qu'il donne du Saint Sacrifice, annonce déjà et devance le développement que nous avons dit :

 

Je ne vous ai point encore parlé du soleil des exercices spirituels, qui est le très saint, sacré et très souverain Sacrifice et Sacrement de la messe : centre de la religion chrétienne, coeur de la dévotion, âme de la piété, mystère ineffable qui comprend les abîmes de la charité divine, et par lequel Dieu, s'appliquant réellement à nous, nous communique magnifiquement ses grâces et faveurs... Faites donc toute sorte d'efforts pour assister tous les jours à la sainte messe, afin d'offrir avec le prêtre le sacrifice de notre Rédemption (2).

 

Vous sentez la différence de l'un à l'autre. Et d'autant plus significative, je le répète, que Suffren écrit sous la dictée de François de Sales. Je ne veux pas dire du tout que

 

(1) Dom G. Godu, Le Sacrifice eucharistique et la communion (La vie et les Arts liturgiques, septembre 1922, p. 486). « Le centre de tout le culte catholique, écrit de son côté Dom Ryelandt, n'est pas l'eucharistie distribuée à la table sainte. Notre religion a pour centre et source principale de vitalité le saint sacrifice de la messe renouvelant l'immolation de Jésus-Christ en croix, et la participation des fidèles à ce même sacrifice par la sainte communion... (Reçues en dehors de la messe) les communions sont des exercices de piété à part ». Pour mieux communier..., par D. I. Ryelandt, (moine de Maredsous et disciple de Dom Marmion) Maredsous, 1925, p. 22;

(2) Oeuvres complètes, III, pp. 100, 101. (Introduction II, ch. XIV.)

 

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le jésuite refuse son adhésion aux quelques traits essentiels qu'il n'a pas retenus ; je constate simplement que, recueillant avec une enthousiaste docilité, ce que ces lignes ont de plus dévot, il oublie de s'approprier ce qu'elles ont de plus religieux.

Pour marquer une antithèse qui me paraît fondamentale, je voudrais bien d'autres mots, mais je n'en vois pas. On pourrait dire que, de ces deux notions, l'une est plus affective, l'autre plus dogmatique - ce qui n'est pas synonyme de spéculative; l'une antropocentriste, l'autre théocentriste; ici une manne ou une rosée ; là un encens qui monte droit vers le ciel.

 

Il est mieux de toute façon, écrivait encore François de Sales, que vous oyiez la sainte messe tous les jours, et y faire l'exercice de la messe, que de ne l'ouïr pas sous prétexte de continuer l'oraison chez vous (1).

 

La question se posait donc en ce temps-là; une âme dévote pouvait hésiter entre le réconfort de la prière solitaire et la majesté de la Messe. Tel avait été le succès des récentes propagandes qui avaient fait entrer si vite et si avant dans les moeurs la pratique de la méditation quotidienne et de l'examen de conscience. Mais plus triomphait ce mouvement de retour à la vie intérieure - ascèse ou. contemplation - plus il importait de maintenir contre les excès, toujours mais plus que jamais à craindre, du pur moralisme ou de l'individualisme, la primauté du culte public et de la religion elle-même.

« Le très souverain Sacrifice et Sacrement de la Messe » on pourrait encore dire que, si l'âge précèdent avait insisté davantage sur le bienfait du « Sacrement », l'effort de nos maîtres, pendant la période qui nous occupe, aura d'abord et surtout pour objet d'approfondir, de construire, de rendre accessible et saintement féconde à la foule croyante, la métaphysique naturelle et surnaturelle du

 

(1) Oeuvres, Lettres, V, p. 25 ( ?)

 

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« Sacrifice (1) ». Ceux de mes lecteurs qui veulent bien se rappeler mes anciens volumes, savent déjà où il faut chercher le premier foyer de cette prédilection intense et rayonnante pour le plus auguste de nos mystères : Bérulle, Condren, Olier, toute l'École française. J'ai assez montré jadis que ce thème du sacrifice est au coeur même de la spiritualité oratorienne. Dans une méditation de Bérulle, dont Bourdaloue doit s'inspirer plus tard, comme nous verrons, et plus encore dans les notes mémorables de Condren sur l'Idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ, se trouvent arrêtées déjà les lignes maîtresses des développements que nous allons suivre'. Pour rendre plus émouvante la continuité de la tradition bérullienne en ces matières, j'interrogerai parallèlement un disciple immédiat de Condren, Amelote, et Duguet, beaucoup plus jeune. Si je les choisis de préférence à tel ou tel autre, c'est bien sans doute parce que je les trouve particulièrement admirables ; mais c'est aussi parce que, dans les grands travaux contemporains sur ces mêmes sujets, on n'a pas toujours fait à ces deux témoins la place qu'ils me semblent méritera. Non que, simple rapporteur, j'aie l'impertinence de prendre parti dans une controverse plus subtile encore que magnifique, mais on me saura gré, j'en suis sûr, d'exhumer ici de beaux textes qui enrichiront ou nuanceront, s'ils ne la corrigent, l'idée peut-être

 

(1) Dans le Trésor du P. de Machault, une des meilleures parmi les sommes eucharistiques de ce temps-là, (1644) il est à peine question du sacrifice. La communion y est présentée comme un « exercice de piété » à part et qui se suffit à lui-même. Sur cette notion de la communion séparée, j'ai déjà apporté le témoignage de Dom Godu et de Dom Ryelaudt. Cf. pp. i3i-132.

(2) Cf. L'Ecole française, pp. 335-371.

(3) Je fais ici allusion, d'abord, comme il va de soi, au monumental Mysterium fidei du R. P. de la Taille, et au livre non moins remarquable de M. Lépin sur l'Idée du sacrifice de la Messe (l'un et l'autre, chez Beauchesne, 1924, 1926) mais aussi aux excellents résumés, l'un explicite l'autre implicite qu'ont donnés récemment de ces travaux, le R. P. de Lanversin (Esquisse d'une synthèse du Sacrifice ; Recherches de science religieuse, juin-août 1927) et M. Viguier, dans le 1er chapitre de Liturgia (193o). Cf. aussi le résumé que le P. de la Taille a publié de son grand ouvrage : Esquisse du Mystère de la Foi, Paris, 1921. Ceci était écrit lorsque a paru, tout à fait indépendant de ces divers travaux, l'admirable petit livre de M. Birot sur le Sacrifice (Publiroc, 1931).

 

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sommaire que l'on se fait parfois de la doctrine oratorienne sur le sacrifice. Il se trouve du reste, que le plan de la synthèse sacrificielle, si j'ose dire, que je voudrais présenter ici, Duguet lui-même l'a déjà tracé de maîtresse main, dans sa lettre, « à un curé sur la manière d'instruire ses parois siens sur le saint Sacrifice de la Messe (1) ».

« La matière de ces instructions, écrivait-il, est immense, comme vous le remarquez. Mais il faut la réduire à certains chefs. Il me semble que l'on y pourrait garder cet ordre... » Nous le garderons, nous aussi.

 

II. - A.            « La nécessité du Sacrifice, sa liaison essentielle avec le culte intérieur et public, sa fin et son objet ».

Dans son Abrégé de la Théologie, (publié en 1675), Amelote prélude en ces termes à la longue série de ses chapitres sur le Sacrifice.

 

Le sacerdoce tire son origine de la souveraine grandeur de l'être divin à l'honneur duquel tout être créé doit être offert en sacrifice ; il naît de son infinité, qui comprend tout l'être ; de sa bonté, qui le communique ; de sa puissance, qui le tire du néant; de sa sainteté, qui en est détachée; de sa suffisance à soi-même... ; de sa justice, qui ne laisse aucune de ses injures impunie. C'est pour rendre un insigne témoignage à toutes ces hautes perfections et à toute l'incompréhensible grandeur de Dieu, que nous lui immolons nos victimes. Nous les détruisons en sa présence, pour l'honorer comme l'être universel et souverain par la destruction de l'être créé. Nous lui présentons, non les fruits seulement de l'être; mais l'être même, en le consumant pour sa gloire. Nous lui offrons la vie, comme à l'auteur de la vie et à la vie même; parce que nous avons tout reçu de lui, nous lui rendons tout en reconnaissance. Le sacrifice est un présent artificiel, plein de mystères, dans lequel nous prétendons comprendre, non seulement nos liens, nos services, nos louanges, nos reconnaissances, notre vie et tout ce qui est en nous, mais toute l'Église et tout l'univers (2).

 

(1) Lettres sur divers sujets de morale et de piété; t. V (Paris 1734), lettre XLIV, 326-335.

(2) Abrégé de la Théologie ou des principales vérités de la religion... Paris 1675, pp. 220-221. Cette sorte de grand catéchisme est dédié à « l'illustrissime et religiosissime François de Harlay ». Ce dernier superlatif est deux fois curieux.

 

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Ces nobles lignes ne font qu'effleurer le sujet propre des longs discours qui vont suivre, à savoir l'essence même du sacrifice. Amelote commence par déterminer le pourquoi, la fin de cette action religieuse, et les dispositions intimes, faute desquelles, elle ne serait qu'une vaine parade ou qu'un psittacisme rituel. Mais on se tromperait du tout au tout si l'on croyait que l'École française identifie le sacrifice aux dispositions intimes du sacrificateur. Non, elle prend sacrifice au sens où l'humanité l'a toujours pris, c'est-à-dire comme un ensemble de démarches extérieures, comme une manifestation publique, ou comme une liturgie. On ne peut les soupçonner de négliger la mystique du sacrifice, mais cette mystique, ils ne la séparent point des gestes visibles qui la traduisent. Il n'est pour eux de vrai sacrifice que liturgique. De cet axiome découle toute leur doctrine, et notamment une de leurs thèses maîtresses : l'insuffisance métaphysique du sacrifice de la Croix; thèse qui serait insoutenable, s'ils voyaient dans l'« oblation intérieure » l'essence et la perfection du sacrifice.

 

Sans le sacrifice extérieur, écrit Duguet, la Religion est comme languissante ; et si elle n'a point de corps, elle est en danger de ne subsister pas longtemps par l'esprit. L'homme a besoin de croire et de voir. Il a besoin d'être soutenu dans sa foi par des témoignages sensibles; et si on le réduit à ses seules pensées et à ses seuls désirs, il s'éblouit, il se déconcerte ; un objet qui n'occupe que son âme, sans intéresser le corps dont elle dépend pour ses autres fonctions, ne faisant que la lasser par les efforts auxquels il l'oblige, au lieu de la consoler par un sentiment doux et tranquille.

 

Et comme s'il voulait écarter d'avance l'interprétation que certains donnent aujourd'hui de la théologie oratorienne,

 

le sacrifice extérieur, poursuit-il, est donc, par sa nature, non seulement le signe et le symbole de l'intérieur, mais une partie

 

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nécessaire; une espèce de supplément, une consolation et un appui sensible pour l'âme qui s'immole en secret, et qui cherche à s'assurer de ses dispositions, en offrant au dehors une victime qui les imite, et qui en soit en même temps l'image et la caution.

 

Ce n'est pas ici un jugement de valeur, comme on dit aujourd'hui, mais la détermination d'une essence. Duguet ne compare pas du point de vue du mérite, encore moins préfère-t-il, le sacrifice proprement dit à l'immolation secrète de l'âme; il tient simplement que cette immolation secrète, aussi longtemps qu'elle ne paraît pas au dehors, n'est pas un vrai sacrifice. Il entend bien, certes, que « sans cette liaison intime entre les sentiments de l'âme et le sacrifice qu'elle offre à Dieu en public, le sacrifice extérieur est un mensonge et une hypocrisie... ; un partage injuste entre Dieu à qui l'on ne donne qu'une victime étrangère, et le démon à qui l'homme s'immole en secret »; et qu'il faut donc,

 

pour rendre le sacrifice extérieur légitime, qu'il soit une expression de celui dont Dieu seul peut-être témoin; que l'hostie immolée en public soit l'interprète et comme la voix extérieure de l'hostie qui s'immole dans le secret et dans le silence; et que l'âme, qui a  besoin de quelque chose qui la soutienne et qui la porte, se plaise à représenter ses désirs et la préparation de son cœur par la consécration et l'immolation réelle de la victime qu'elle se substitue. Voilà en quoi consiste ce véritable culte que Dieu a exigé en tous les temps (1) ;

 

et dont il a lui-même fixé le programme. Car

 

il ne faut pas douter que Dieu n'ait marqué au premier homme la forme du culte public qu'il exigeait de lui, en lui conservant la vie en vue du Médiateur, et qu'il ne lui ait donné des lois par rapport aux sacrifices (2).

 

(1) Explication du livre de la Genèse, Paris, 1732, II, pp. 14-16.

(2) « Dominus... dignatus est, tum in lege naturæ, ut est probabile, tum in veteri, insemet sacrificia instituere, modosque quibus coli vellet, homini præscribere... » Le Gaudier, De Perfectione vitae spiritualis, II, p. 415.

 

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D'où vient

 

le consentement de tous les peuples à regarder le sacrifice comme une partie essentielle du culte public....

Car tous les peuples, avant le déluge, venaient d'un seul homme; et, depuis le déluge, ils viennent tous d'une seule famille... Ceux qui ont retenu quelques vestiges de l'ancienne religion d'Adam et de Noé, ont conservé une idée confuse d'une suprême divinité et du sacrifice qui lui est dû ; quoiqu'ils l'aient altérée par beaucoup de fables. Ce n'est pas le hasard, ou un instinct aveugle, qui les a réunis dans ces points essentiels. C'est l'unité de la religion jointe à l'unité de leur origine qui a produit cet effet. Tout l'univers a été d'abord bien instruit dans ses pères... La vérité est avant le mensonge. Le sacrifice a été offert à Dieu seul, avant qu'il fût offert au démon (1).

 

Je me suis mis à le citer, et déjà je ne sais plus l'arrêter. L'automne de l'École française en égale presque le printemps. Le sublime un peu distant de Bérulle, de Condren, d'Olier, qui tend à s'attendrir avec Quesnel, s'humanise délicieusement avec Duguet, sans rien perdre de sa vigueur religieuse. Je ne crois pas qu'il ait ajouté des vues nouvelles à leur commune théologie du sacrifice, mais nul mieux que lui n'adapte cette doctrine si haute aux exigences les plus profondes, et à la faiblesse même des âmes pieuses (2).

 

(1) Explication du livre de la Genèse, II, pp. 7-9;

(2) Sur cette définition du sacrifice proprement dit, on trouvera d'excellentes remarques dans l'article du H. P. de Lanversin, mentionné plus haut, Le R. P. se refuse énergiquement « à voir dans l'oblation intérieure le constituant proprement dit du sacrifice. » « Le P. de la Taille, écrit-il encore a donc raison de maintenir que, dans tout sacrifice au sens propre, l'oblation rituelle est de rigueur. En dehors de là il n'y aura que sacrifice au sens large, sacrifice d'intention et de désir, sacrifice spirituel si l'on veut comme on dit communion spirituelle en l'opposant à communion réelle ». Parfait rapprochement Et en effet, s'il va de soi qu'une communion réelle n'est acte religieux que si elle est en nième temps communion spirituelle, une communion néanmoins qui ne serait que spirituelle ne serait pas communion au sens propre du mot. A merveille donc jusqu'ici. Mais quelle opposition trouvera-t-on de ce chef entre le P. de la Taille et Duguet ? Ce que j'ai déjà cité montre assez qu’il n'y en a pas, et ce qui nous reste à dire le montrera plus encore, s'il est possible. Il va d'ailleurs. sans dire qu'Amelulc et Duguet ne sont pas les seuls oratoriens qui se rallient aux principes premiers que nous venons d'établir. Je m'en tiens à l'auteur du Catéchisme de Montpellier, le P. Pouquet. « D. Qu'entendez-vous par le mot Sacrifice ?

P. Par ce mot, j'entends eu général tontes les actions de religion... Le sacrifice peut aussi être pris dans une signification propre et distingué des autres actes de religion. En ce sens, par le mot de sacrifice j'entends une offrande d'une chose extérieure et sensible faite à Dieu par un ministre légitime. » (p. 535) Cf. aussi § 4. « De l'obligation d'offrir à Dieu des sacrifices extérieurs et sensibles » et § 6 « Explication des choses figurées et représentées par les sacrifices de Moyse (neuf colonnes in-8°).

 

 

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B. - « Les sacrifices qui ont précédé la loi et: ceux qu'elle a commandés ; leurs différences, leurs principales cérémonies ; ce qui manquait à tous en général et à chacun en particulier. »

C. « Le Sacrifice de Jésus-Christ sur la Croix figuré et prédit ; l'accomplissement de tous »... Soit l'histoire de ces deux sacerdoces avant et après Moïse, - comparés au sacerdoce du Christ, dont ils sont, l'un et l'autre, la figure. Sujet infini, d'une poésie incomparable, cher au XVIIe et au XVIIIe siècles français, et où règne, sans conteste, le prince des figuristes, M. Duguet. On sait que chez lui, la passion figurisante, si j'ose dire, tourne quelquefois à la manie. Plus il méditait les Saints Livres, plus il se persuadait que la fin du monde était proche, plus proche encore, par suite, la conversion du peuple juif. Mais quand il oublie cette idée fixe, nul ne l'éclipse, pas même Bossuet, dans l'art de retrouver, sous le moindre détail de l'Ancien Testament, quelque image du Nouveau. Ses pages sur Abel, prêtre et hostie, donneront une idée de sa manière. subtile et fervente.

Caïn et Abel, prêtres l'un et l'autre ; car„ « la famille d'Adam était dans ces premiers temps le centre de la religion et comme l'Église matrice ».

 

Ce qu'il y a de plus ancien dans l'Écriture, après la promesse du Messie, est le sacrifice d'Abel et sa mort. Il. était à propos que la prédiction du sacrifice et de la mort du Sauveur fût suivie immédiatement de sa représentation, et qu'une telle prophétie fût soutenue d'un tel événement.

 

Même religion chez les deux frères. Ils adorent le même Dieu, ils n'offrent de sacrifices qu'à lui.

 

Il n'est rien dit d'Abel qui nous donne l'idée d'une justice

 

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extérieure plus grande et plus édifiante que celle de Caïn... Mais, dans les victimes qu'il offrait, il ne voyait que la prédiction et la figure de celle qui effacerait les péchés du monde par son sang. Il s'unissait par une foi vive à l'abondante rédemption, dont ce Fils incarné serait la source.

 

Duguet s'autorise ici de ce qu'a dit saint Paul sur la « foi » d'Abel. Mais c'est chez lui une certitude que les merveilles du figurisme, bien qu'inaccessibles au commun des Juifs et réservés à la joie spirituelle du peuple chrétien, étaient néanmoins pleinement connues de quelques grands patriarches et des autres héros de l'Histoire sainte. Ainsi, à propos des rares symbolismes qu'il dégage du rituel mosaïque, « je ne doute point, écrit-il, qu'Aaron et quelques autres, à qui les mystères de la vraie justice ont été révélés, n'aient compris ce que signifiaient tant de figures si pleines de sens (1). »

Et c'est parce qu'il a devant les yeux la promesse du Messie, que les sacrifices d'Abel représentent bien plus parfaitement que ceux de Caïn le sacrifice du Calvaire et de la Cène. « Caïn offrit des fruits de la terre. » Ce n'est pas là le sacrifice d'un homme qui se croit pécheur et condamné à mort. Rien là qui donne l'idée d'un médiateur. Au lieu qu'Abel

 

« offre les premiers nés de son troupeau », c'est-à-dire, des agneaux, qui sont, depuis le commencement du monde, la figure de l'Agneau de Dieu, qui doit en expier les péchés par l'effusion de son sang. Il immole tout ce qu'il offre. Et par là il déclare... qu'il est indigne d'être offert, parce qu'il est pécheur; qu'il a besoin d'une victime pour être réconcilié; qu'il désire que la justice divine accepte cette victime au lieu de lui et fasse retomber sur elle le châtiment qu'il a mérité. Il réitère ses sacrifices, parce qu'il ne les regarde pas comme efficaces, mais comme des figures de celui qui en sera l'accomplissement et la vérité. Il répand un sang qui est le gage d'un autre; et il continue de le répandre par ce qu'il n'y met pas sa confiance, et qu'il ne le considère que comme un signe de l'expiation future..., comme

 

(1) Explication du mystère de la Passion, t. II, p. 663.

 

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une preuve publique de son espérance au Médiateur, et comme une cérémonie religieuse, qui lui facilite le moyen de s'unir à lui par une vive représentation de sa mort, de son obéissance, de sa patience, de son oblation volontaire pour les pécheurs dont il prendra la place.

 

Ne vous récriez pas devant ce jeune berger qui semble avoir lu saint Paul, saint Augustin, saint Thomas, le P. de Condren et Duguet lui-même. Comme prébibliothèque, on ne peut rien imaginer de plus somptueux. Surtout ne dites pas qu'il y a là plus de théologie, voire plus de poésie que de critique. Eh ! bien entendu! Mais cette construction doctrinale - toute la métaphysique du sacrifice - si merveilleusement riche et limpide, c'est là précisément ce qui nous intéresse, nous qui étudions le sentiment religieux au XVII° siècle, et non au temps de Caïn et d'Abel. Remarquez du reste, et, si vous voulez, en souriant, que la critique est aussi de la fête. L'hébreu étincelle à toutes les pages de ce commentaire. Et ici même :

 

Grotius pense qu'Abel offrait seulement de la laine et du lait. Mais, en premier lieu, Bechoroth Isono peut-il signifier autre chose que primogenita gregis sui... ? Est-ce ainsi que la laine est appelée, et en a-t-on des exemples...? En quel endroit de l'Ecriture, trouve-t-on que le peuple juif ait offert du lait à Dieu dans ses sacrifices, et qu'il en ait fait des libations?

 

Mélange amusant, mais encore plus émouvant d'érudition, de candeur et de sublime. Dans ces deux lignes de la Genèse : Abel offrit des premiers-nés de ses brebis et de ce qu'il avait de plus gras », Duguet veut faire tenir plus encore. Ce et lui est une preuve

 

que tous les sacrifices d'Abel n'étaient pas de purs holocaustes, puisqu'il y en avait où il se contentait de brûler les graisses des victimes, c'est-à-dire celles qui couvraient les reins, le foie et les entrailles, et qui sont tant de fois marquées dans le Lévitique. Les holocaustes sont exprimés par ces paroles : « Il offrit des premiers-nés de son troupeau » ; et les sacrifices, où tout n'était

 

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pas consumé par le feu, par ces autres : et de adipibus eorum, et leur graisse.

 

Subtilités, dira-t-on encore ; peut-être, mais qui associent plus étroitement au sacrifice des premiers prêtres, et la symbolique du sacrifice mosaïque et la réalité du sacrifice de la Croix.

 

Si Abel n'avait offert à Dieu que des holocaustes, il aurait reconnu certaines vérités essentielles à la Religion... Il aurait confessé que tout est à Dieu..., (mais aussi) que le commerce entre Dieu et les pécheurs est rompu; qu'une même victime ne peut les unir ; qu'aucune n'est capable de les réconcilier ; que le pécheur ne peut mettre sa confiance dans celle qu'il offre, et qu'après les avoir multipliées, il ,lui est également interdit d'y participer.

Mais Abel aurait obscurci beaucoup d'autres vérités aussi essentielles à la Religion, s'il n'avait jamais offert des sacrifices qui eussent été l'image de la réconciliation de Dieu avec l'homme; et s'il s'était toujours regardé comme séparé de ses victimes et comme excommunié par rapport à ses propres dons. Il aurait montré le péché et caché le Médiateur... Il aurait éteint l'espérance et, par une suite nécessaire, la foi même aux promesses. Il aurait confondu la véritable victime avec celles qui n'en étaient que l'ombre.

 

Il fallait donc qu'Abel offrit un autre sacrifice que l'holocauste ; il fallait, comme l'ordonnera plus tard la loi de Moïse,

 

quelquefois partager la victime; en donner à Dieu une partie, et participer à l'autre, afin de représenter en mystère, non seulement le besoin d'un Médiateur, mais la certitude qu'on en avait un ; afin de prouver que ce n'était point en vain qu'on l'attendait..., afin de nourrir l'amour et la reconnaissance, par une image anticipée des biens futurs, comme on tàchait d'entretenir la crainte et l'humilité par l'image d'une excommunication qui subsistait encore, et dont l'holocauste était la preuve.

 

Et pour que rien ne manque à cette figure privilégiée du Prêtre éternel, comme il est le premier sacrificateur, Abel

 

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est aussi la première hostie ; « il est immolé dès le commencement du monde ; à l'ouverture du livre il est parlé de lui. C'est ainsi que Jésus-Christ est immolé dès l'origine du monde ». Caïn et Abel

 

étaient tous deux prêtres... Mais quelle distance la piété sincère et l'envie avaient-elles mise entre ces deux pontifes ! L'un est un lion, l'autre un agneau... Abel est tiré de son pavillon par son frère, qui l'égorge hors de l'enceinte de son héritage... Il fallait ainsi que la victime, immolée hors du camp, figurât celle qui devait être sacrifiée hors de Jérusalem... C'est à Dieu qu'Abel est sacrifié, pendant que Caïn croit qu'il l'immole à sa haine. Dieu sépare la victime du ministère criminel qui lui ôte la vie. Il convertit en un sacrifice de religion un horrible fratricide; et il dédie dans le sang du juste Abel les prémices de tous les martyrs... La terre fut trempée du sang qui sortit des blessures et elle servit d'autel à cette nouvelle espèce de sacrifice (1).

 

Ceux qui sont initiés de plus près à la théologie du sacrifice, comprendront le prix que j'attache à cette exégèse, épuisante, si l'ont peut dire, autant que ravissante. En dehors néanmoins de toute curiosité doctrinale, j'ai cru que l'occasion était bonne de montrer comment les chrétiens d'autrefois savaient lire l'Ancien Testament. Mais il nous faut courir, et sans nos arrêter qu'un instant à Noé lui-même, personnage presque aussi important qu'Abel, dans l'histoire symbolique de notre messe.

 

Aedificavit autem Noe altare...C'est ici la première fois que l'Ecriture parle d'autel. L'institution en est sans doute plus ancienne, puisque les sacrifices sont aussi anciens que le monde. Mais ce n'est pas en vain qu'au commencement du nouveau (après le déluge), et avant tout autre édifice, il est parlé d'un autel élevé et bâti, va ihen, Jésus-Christ et sa croix étant le premier objet, et de Dieu et des hommes, dans leur réconciliation.

 

Comment ils lisaient l'Ancien Testament? Mais, avec une

 

(1) Explication du livre de la Genèse, pp. 7-6o passim. Tout ce commentaire du ch. IV de la Genèse est une merveille. Cf. notamment à la fin du chapitre la dissertation : « Abel figure de Jésus-Christ; Caïn figure des juifs qui l'ont mis à mort. »

 

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religion et une tendresse de coeur dont nous ne pouvons même plus nous faire une idée.

 

Il y a un plaisir très pur et une solide joie à se représenter Noé, faisant la fonction de Prêtre, au nom de toute la nature, élevé entre le ciel et la terre, que la bonté de Dieu venait de rétablir, et se prosternant, avec les sept personnes qui composaient sa famille, autour d'un autel où, sous l'image du sang des animaux, il voyait couler celui de l'Agneau qui ôte le péché du monde...

 

Odoratusque est Dominus odorem suavitatis. Un peu suffoqué par l'épaisse fumée de cet holocauste, où Duguet assiste de toutes ses puissances de prière, certes, niais encore de tous ses sens, « il n'y a rien que de désagréable dans l'odeur des viandes brûlées », remarque notre délicat. Aussi bien la mort des animaux ne pourrait plaire par elle-même à celui qui leur a donné la vie. « Il y a donc dans le sacrificateur un mérite qui manque au sacrifice », et l'odeur suave qui monte jusqu'au ciel, « est un coeur pleinement dévoué à ses volontés et aussi dépendant de lui que les victimes dont le sang est répandu (1). »

D. - Observer néanmoins ce qui manquait au sacrifice de la croix sur le calvaire. » Comme le R. P. de la Taille le rappelle excellemment, la Passion « ne saurait à elle seule constituer l'oblation rituelle, qui est la propre action extérieure et sensible du prêtre (2). » D'où vient ce que je me suis permis d'appeler, pour résumer d'un mot une des thèses essentielles de l'École française, « l'insuffisance métaphysique » du sacrifice de la Croix, entendant par là que ce sacrifice n'en est

 

(1) Explication du livre de la Genèse, II, pp. 236, 239. Si je pouvais rêver de remplir ici le vaste sommaire du sujet que je viens de résumer, il me faudrait passer maintenant au sacrifice de Melchisédech, puis à l'ordre d' Aaron. Amelote ne consacre pas moins de trois chapitres à Melchisédech (pp. 234-243) et Duguet je ne sais plus combien de pages. Cf. Explication de la Genèse, II, pp. 465, seq. Explication du mystère de la Passion, II. pp. 441-461. Sur le sacerdoce mosaïque cf. ib., pp. 64o-666, etc. etc. Par où l'on voit s'il est vrai, comme certains l'ont prétendu que, dans sa théologie du sacrifice, l'école Française néglige de montrer que le « sacrifice de Jésus-Christ (est) le parfait accomplissement des figures anciennes » !

(2) Esquisse du mystère de la Foi, p. 8.

 

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pas un au sens rigoureux du mot, tel que nous l'avons défini, et que, pour le devenir, il appelle le divin « supplément» qu'est le sacrifice de la Cène.

 

Toutes les qualités royales et sacerdotales sont en Jésus-Christ, dès le premier instant de sa vie, écrit le P. Amelote... Dieu lui fit connaître, dès son entrée dans le monde, comme parle saint Paul, qu'il l'établissait Prêtre, Médiateur et Rédempteur des hommes, et qu'il rejetait tout le sacerdoce faible et purement figuratif de la Loi... C'est par cette puissance sacerdotale qu'il a toujours agi dans son esprit et devant son Père... C'est comme Prêtre qu'il a annoncé la loi, et qu'il a déclaré le nom de son Père, qu'il a pardonné les péchés, qu'il a institué les sacrements et enfin qu'il a été en toute chose le Ministre et le Saint. de Dieu.

Jésus-Christ n'a pas seulement été prêtre dès le commencement de sa vie, niais il l'a été divinement... Il ne s'est pas offert sur un autel bâti par les hommes, mais son autel a été la subsistance même du Verbe sur laquelle son humanité, qui est sa victime, a été soutenue (1);

 

Il est donc prêtre dès son incarnation, mais d'un sacerdoce intérieur, invisible et qui n'est pas encore selon l'ordre de Melchisédech. Son premier acte d'Homme-Dieu est pour s'anéantir, pour s'offrir : « Vous m'avez formé un corps : me voici... » ; toutefois cette oblation n'est pas la première messe. L'immolation sur la Croix, non plus.

 

Que s'il est notre Agneau de Pâques, qui a été immolé, s'il s'est présenté lui-même à Dieu..., il a du être prêtre pour faire ce grand sacrifice. Or, il n'a pu l'offrir comme un sacrifice de la nouvelle alliance, et qui fût solennellement célébré parmi son peuple,

 

condition sine qua non du sacrifice proprement dit,

 

puisque c'est du sang qu'il y a versé que son peuple a tiré son origine...; puisque ce fut... pendant sa mort que, de son côté ouvert, sortit l'eau et le sang dont il forme et nourrit son Eglise. Le sacrifice de la Croix, de sa nature, précédait tout

 

(1) Amelote, op. cit. pp. 225-228.

 

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peuple saint, et ne pouvait être le culte public des enfants de Dieu liés ensemble pour offrir en corps une victime sensible.

 

C'est là une des plus magnifiques définitions du sacrifice que l'on puisse concevoir. Aussi ne voyons-nous sur le Calvaire

 

aucune cérémonie religieuse. Il ne parait qu'impiété, fureur et injustice, dans tous les auteurs et dans tous les ministres de cette mort; et ce qu'il y a de saint et de divin est tout renfermé dans l'intention du Prêtre et de la Victime. C'est donc un sacrifice que nous devons plutôt mettre au rang et sous le genre des offrandes intérieures et spirituelles..., dont ce qu'il y a de religieux se passe dans le coeur et dans l'esprit, qu'au nombre des oblations faites par la dévotion commune de tout le peuple fidèle, et dont le Pontife soit reconnu et autorisé par une ordination publique.

 

Non, certes! que l'on prétende diminuer « l'oblation de Jésus-Christ mourant sur la Croix, en l'appelant sacrifice intérieur et spirituel » ;

 

car il était véritablement offert par le Prêtre de Dieu, et par le Prêtre-Dieu, et rien ne manquait de sa part à la sainteté de son offrande; mais seulement de la part des hommes, tout manquait à la solennité extérieure d'un sacrifice (1).

 

Quoique Jésus, a-t-on dit, « se soit immolé sur la croix, et qu'en y donnant sa vie à Dieu pour nous, il lui ait rendu un honneur infini, néanmoins cette oblation de sa mort n'a pu être un sacrifice de religion, et il a été raisonnable qu'il en instituât un autre pour être sans cesse offert publiquement par toute son Église. » Duguet n'approuvait pas cette formule. Vous dites, écrira-t-il à l'évêque de Mirepoix, La Broue, qui lui avait soumis un projet de mandement sur l'Eucharistie,

 

vous dites que, par le sacrifice de l'Eucharistie, Jésus-Christ convertit en un sacrifice de Religion celui qui fut offert sur la

 

(1) Amelote, op. cit. pp. 231, 232. Amelote dit plus loin,. (p. 236), que ce a sacerdoce intérieur et secret... contenait toute la perfection du sacerdoce. » En un sens, rien de plus juste. Cependant on ne dirait pas que l'âme séparée du corps renferme toute la perfection de l'homme.

 

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montagne du Calvaire. On peut être blessé de l'équivoque, et ne pas comprendre votre pensée. Selon vous (et fort justement), le Sacrifice du Calvaire n'était pas moins un sacrifice de Religion et d'Adoration suprême que celui de l'Eucharistie, Mais le premier, sans l'Eucharistie, ne pouvait devenir l'exercice et l'objet du culte public et religieux de l'Église. Il faudrait tâcher de rendre ici votre pensée plus distincte (1) ;

 

c'est-à-dire marquer plus explicitement que, par sacrifice de religion, on entend un sacrifice public et liturgique. Puis, reprenant la belle formule que nous admirions tantôt, le sacrifice de la Croix, poursuit Duguet,

 

n'a été un vrai sacrifice que dans l'usage intérieur que le Sauveur en a fait, et il n'a été nullement de ceux dont l'offrande lie les enfants de Dieu et les fait conspirer... à, rendre en corps une gloire parfaite à Dieu. Car qui peut dire que les Juifs qui étaient le seul peuple saint,

 

la seule Église hiérarchiquement constituée,

 

l'eussent offert par charité ? La Loi n'ordonna jamais aucun semblable sacrifice. Elle ne permettait d'en offrir aucun hors dis Temple; ce ne furent ni les Prêtres, ni les Lévites, ni les Juifs mêmes, mais les Romains qui immolèrent cette victime. Ce ne fut point dans le lieu saint qu'elle fut offerte, mais dans un lieu si profane et si odieux que quiconque s'y était trouvé n'eût pu manger l'Agneau de Pâques... Bien loin que les Juifs pussent regarder Jésus comme une victime sainte..., par horreur ils ne souffrirent pas même que son corps. demeurât sur la. croix au jour du Sabbat... Le Sauveur ne pouvait non plus,. selon la religion des Juifs, s'offrir lui-même,

 

d'une oblation publique, puisque la Loi « ne lui permettait.., ni d'être victime, parce qu'il était homme, ni d'être prêtre, parce qu'il était de la tribu de Juda. »

 

Il reste donc que ce soit dans son coeur que le Sauveur... ait fait le plus saint de tous les sacrifices et que, par (là) il ait changé.

 

(1) Lettres, VI, p. III.

 

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dans son intention secrète, en adoration et en honneur de Dieu, ce qui était de soi le plus détestable des supplices.

 

Ils sont décidément tous les mêmes. Le sublime est leur élément et un sublime qui se passe de l'éloquence.

Mais quoi, ne retrouve-t-on pas dans cette immolation sur la croix, « la vérité du sacrifice d'Abel, de Noé, d'Abraham, d'Aaron »? Oui, sans doute, mais

 

c'est une chose fort différente d'accomplir la figure d'un sacerdoce et d'être prêtre selon l'ordre de ce sacerdoce. Le Fils de Dieu, comme la vérité et la fin de toutes les Ecritures saintes, et de toutes les figures anciennes, a accompli en sa personne tous les sacrifices, tant de la loi écrite que de la loi naturelle; et toutefois il n'a pas été prêtre selon tous les sacerdoces de ces lois.

 

Pontife par excellence, il n'est limité aux lois et aux conditions extérieures d'aucun des sacerdoces antiques, celui de Melchisédech excepté. Les devoirs qu'il a rendus à son Père, pendant toute sa vie, et même sur la croix « n'appartenaient pas à un sacerdoce public, mais à un sacerdoce tout divin, indépendant des cérémonies et des actions extérieures, et dont le ministère ne s'exerçait que devant la Majesté de Dieu, et dans le temple du coeur de son Fils (1). »

E. - « Montrer comment l'Eucharistie est le supplément de tout ce qui manquait au Calvaire; comment par elle le sacrifice de la Croix, en demeurant unique, devient parfait ; comment, n'étant offert qu'une fois, il devient néanmoins perpétuel. »

C'est là, en effet, je veux dire à fondre en un sacrifice unique, proprement dit et parfait, l'immolation secrète de la Croix et l'immolation liturgique de la Cène, c'est là, que tendent les analyses qu'on vient de lire, et qui me paraissent non seulement si belles, mais encore si nécessaires à l'intelligence de leur philosophie sacrificielle, que je laisse Daguet nous les présenter. Qu'il ait ici Condren ou Amelote sous les

 

(1) Amelote, op. cit., pp. 636-64o.

 

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yeux, j'en suis presque sûr, mais il ne touche rien qu'il ne le renouvelle.

 

Lorsque Jésus-Christ s'offrit volontairement pour nous sur la croix, son sacrifice intérieur et secret fut déshonoré par les apparences d'un supplice.

 

Rien que les apparences, voilà encore un grand mot!

 

Son oblation libre et gratuite n'eut que les dehors d'une condamnation nécessaire et forcée. Les hommes n'y contribuèrent que par leurs crimes, et ils parurent en être seuls les exécuteurs et les ministres.

Le Père éternel, qui immolait son Fils unique, et dont Abraham avait été autrefois la figure, demeura dans le silence. Isaac parut lié au bois par la nécessité et par l'impuissance de se mettre en liberté, sans que la main invisible qui l'y avait attaché, fût connue ni respectée par les hommes, et sans qu'aucun d'eux reconnût dans Jésus-Christ l'obéissance d'Isaac.

Les Juifs seuls furent substitués à Caïn dans l'immolation du juste Abel, mais (sur le calvaire) ils ne parurent point ouvertement les successeurs de Caïn; et le Fils de Dieu, qu'ils avaient accusé devant tous les tribunaux, ne mourut point avec toute l'évidence de la justice et de l'innocence d'Abel...

 

Quelles strophes et de quel poème !

 

Personne ne pensa à recueillir le sang de la nouvelle alliance, qui parut négligé et mêlé avec celui des pécheurs ; au lieu que le sang des victimes, qui avaient été immolées dans l'ancienne, fut recueilli dans des coupes...

Personne ne regarda la croix comme un autel sur lequel l'unique victime digne de Dieu, prédite par toutes les autres, était immolée...

Personne ne considéra Jésus-Christ immolé au temps de Pâques, comme la vérité de cette figure.

 

« Cette mort, avait écrit Amelote, quoique très publique, ne laissait pas d'être secrète et inconnue, dans sa sainteté de Sacrifice; et, à la réserve de la sainte Vierge et de peu d'autres personnes, la terre n'était nullement éclairée sur l'application qu'avait l'Agneau sans tache à répandre son

 

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sang pour laver les péchés du monde (1) ». Personne enfin, conclut Duguet,

 

ne pensa à participer à son Sacrifice, quoique tout le monde se fût empressé à manger l'agneau qui n'en était que le symbole. La communion essentielle à un sacrifice pacifique, et plus .encore à un sacrifice qui réconciliait véritablement les pécheurs avec Dieu, manqua à celui de Jésus-Christ.

 

Tout manque donc à cette immolation, pour être, par elle seule, un sacrifice au sens propre et liturgique du mot. Mais Jésus-Christ avait suppléé à ce défaut

 

et à tous les autres dont je viens de parler, par I'institution de l'Eucharistie, en prévenant l'injustice et la cruauté des hommes; en s'immolant à son Père avec une pleine liberté; en accompagnant son sacrifice d'un culte religieux et de l'action de grâces; en recueillant lui-même son sang dans une coupe; en préparant la chair du véritable Agneau pascal, et la mettant en état d'être mangée, sans qu'elle causât de l'horreur; et en rendant ainsi-parfait le sacrifice de la croix qui, sans cela, n'aurait eu que l'immolation sans culte religieux, sans communion, et par conséquent sans la preuve essentielle qu'il avait obtenu notre réconciliation et notre salut (2).

 

 

Aux yeux de Duguet, le plus grave peut-être de ces a défauts » apparents est que, sur le Calvaire, tout fait croire que le Christ n'est que la victime ; rien d'extérieur ne montre qu'il est également le sacrificateur, l'unique prêtre. Dans le sacrifice de la Cène, au contraire., aucun doute n'est possible sur ce point.

 

(1) Amelote, op. cit., p. 641.

(2) Explication du mystère de la Passion, III, pp. 555-558 « Il mit une gaude différence, écrit Amelote, entre la manière d'offrir ce présent (à la gaude

et celui de la Croix. Car (dans) celui de la Croix, il n'y eut rien (extérieurement) de saint et de religieux », au lieu que le sacrifice selon l'ordre de Melchisédech (pain et vin) réunit tous les caractères d’une fonction liturgique parfaite. « Il fut fait dans un cénacle paré de tapis. Il y employa les prières usitées et les habits particuliers dont les juifs témoignent que les chefs de famille se servaient en cette fête. Il éleva les yeux au Ciel..., il rompit le pain..., il en offrit à Dieu son Père un présent et un sacrifice ». Amelote, op. cit., pp. 249-25o.

 

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Considérons-le.., sous cette grande idée de Pontife éternel et d'Agneau de Dieu, qui ne veut point rendre douteuse la liberté de son immolation, en attendant que les hommes paraissent le sacrifier malgré lui; qui ne veut pas que les mains des méchants concourent à son humiliation, et mêlent à sa charité leurs crimes et leur violence; qui ne veut pas que des bouches impures déshonorent par leurs blasphèmes un sacrifice qui doit s'élever jusqu'à Dieu comme l'odeur d'un encens (1).

 

Gardons-nous toutefois, quand nous essayons de marquer ces différences entre la Cène et le Calvaire, d'employer des « termes durs », qui feraient oublier « la conformité essentielle entre l'Autel et la Croix ».

 

Il n'y a rien qui éloigne plus les protestants de la foi de l'Église que la pensée qu'on leur a inspirée... que le sacrifice de nos autels est injurieux à celui que Jésus-Christ a offert sur la Croix, qu'il est différent, qu'il est une vaine et profane réitération d'un sacrifice unique, qui n'a pu être offert qu'une fois selon saint Paul. Pour détromper ces hommes séduits par un respect mal entendu pour le sacrifice de la Croix, il n'y a rien de plus nécessaire que de leur expliquer que ce sacrifice est absolument le même que celui de l'Eucharistie; qu'ils ne sont point différents; que l'Autel et la Croix sont la même chose; que non seulement le Prêtre et la Victime y sont les mêmes, mais que c'est la même mort qui y est offerte; et que, bien loin de la réitérer, c'est parce qu'elle ne peut se réitérer qu'on l'offre toujours (2).

 

Deux spectacles différents, mais qui ne font qu'un seul et même acte de religion. Sur la Croix, l'oblation intérieure d'une immolation réelle bien qu'invisible; à la Cène, l'oblation liturgique de cette immolation. Il n'y a de mot dans aucune langue pour signifier l'unité substantielle de ces deux manifestations différentes, et si l'on ose dire, complémentaires. Car si l'on dit que la Cène est le supplément liturgique de la Croix, il faut ajouter aussitôt que la Croix

 

(1) Explication…, p. 466.

(2) Lettres, VI, pp. 82-84.

 

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est aussi le supplément de la Cène. Celle-ci en effet, bien qu'elle réalise toutes les conditions extérieures d'un sacrifice, ne serait qu'une cérémonie figurative, comme la

manducation de l'Agneau pascal, si elle ne s'appropriait pas, en la devançant, l'immolation prochaine de la Croix (1).

 

Il ne faut pas distinguer la chair que Jésus-Christ donna à ses Apôtres, de celle qui fut donnée le lendemain sur la Croix; et reconnaître que le sang qu'il leur présenta dans la coupe, était absolument le même que celui qui sortit de ses plaies.

 

Unité fondamentale où se trouve

 

la perfection du sacrifice de Jésus-Christ, et la raison essentielle de l'institution de l'Eucharistie, qui ajoute à la croix ce qui paraissait y manquer; qui convertit en nourriture la chair de l'Agneau et son sang en breuvage, et qui fait entrer les

 

(1) « Le Sauveur n'a pas dû... instituer avant le temps de sa mort, ce grand sacrifice..., parce qu'il fallait que la rédemption de son peuple en précédât l'Assemblée et qu'il devait accomplir par la Croix toute l'ancienne loi avant que de commencer la nouvelle. » S'il a institué, la veille de sa mort, le sacerdoce selon l'Ordre de Melchisédech, «ç'a été néanmoins en supposant sa mort accomplie..., et la prévention en fut de si peu de temps, qu'il est facile de voir qu'il l'avait attendue comme nécessaire pour l'institution de son offrande, et toute la doctrine de l'Ecriture montre qu'en instituant le nouveau Sacrifice, il la regarda (sa mort) comme déjà soufferte ». (Amelote, .op. cit., pp. 642 ? 643.) Il me semble « que le «n'a pas dû » par où commence Amelote est trop fort. « N'a pas voulu » suffirait. Puisque de toutes façons, nous avons affaire ici à une simultanéité miraculeuse, pourquoi le Sauveur n'aurait-il pu l'établir entre la Circoncision et la Croix. Tout ce que l'Ecriture nous montre, c'est qu'il ne l'a pas fait. Avec cela ne doit-on pas dire, et tout le raisonnement d'Amelote et de Daguet n'exige t-il pas qu'on dise, que cette mystérieuse « prévention » ou anticipation, qui suppose consommée déjà effectivement une immolation qui ne le sera que demain, que cette prévention, dis-je, suppose également comme déjà fondée, existante, l'Eglise elle-même qui doit naître demain du côté ouvert ? L'une de ces simultanéités entraîne l'autre. Pour eux, si le sacrifice du Calvaire n'en est pas un, au sens propre, c'est en partie du moins, parce qu'il n'y a pas encore d'Eglise. Pas d'Eglise, pas de liturgie. Bref, et toujours par « prévention » l'Eglise existerait déjà, soit au Cénacle (réunion officielle des 12 ; leur participation rituelle au Sacrifice), soit sur le Calvaire, (Marie et saint Jean). Sur cette anticipation elle-même, cf. quelques lignes très intéressantes du B. P. de la Taille. Dès la Cène, « le sacrifice de la Passion est en train, déjà la rédemption a commencé..., le sacrifice de la rédemption est déjà, en cours... (Le Christ) ne s'appartient plus; la tombe a maintenant des droits sur sa proie. » Une autre formule me gêne un peu. « Son immolation mystique l'engage à l'immolation effective et douloureuse du Calvaire ». Ne semble-t-il pas que l'effet même de l'anticipation soit de supprimer la distance dans le temps ? On ne s'engage pas à faire ce qui est déjà fait. Qu'on me pardonne ces bégaiements. Cf. Esquisse, pp. 9-10.

 

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Apôtres en communion avec la Victime..., et avec le souverain Prêtre qui l'a offert (1).

 

Brisez cette unité, séparez l'une de l'autre ces deux manifestations d'un seul et même sacrifice, et il n'y aura plus « rien de sérieux » dans l'institution de l'Eucharistie.

 

Si le sang de la Victime, qui devait confirmer l'alliance et rendre le Testament de Jésus-Christ irrévocable, n'avait été réellement reçu par les Apôtres, le Fils de Dieu se serait trop hâté, en disant que l'alliance était conclue. Les Apôtres se seraient trompés en le croyant. Il n'y aurait eu dans tout ce mystère qu'une promesse de l'avenir.

L'héritage n'était point encore ouvert, puisque le testateur était plein de vie. Le sang de Jésus-Christ n'était qu'une figure, au lieu que le sang des victimes répandu par Moyse sur le peuple était effectif, et il fallait attendre au lendemain où Jésus-Christ expira sur la Croix, pour inviter ses apôtres à boire son sang.

 

Le moyen toutefois de « comprendre que le sang de Jésus-Christ fût réellement dans la coupe, avant qu'il fût répandu sur la Croix » ? Le moyen de « le regarder comme répandu, dans le temps qu'il était encore dans les veines de l'Agneau » ?

 

Ces difficultés étonnent la raison, mais non la foi. Elles passent notre intelligence et notre pouvoir, mais non celui de Jésus-Christ. Il nous a révélé ce qu'il a fait et non la manière dont il l'a fait... Nous sommes ses disciples et non ses juges (2).

 

Aussi bien, ce mystère aide-t-il en quelque façon notre foi, en même temps qu'il la met à l'épreuve.

 

Si Jésus-Christ avait différé l'institution de l'Eucharistie jusqu'après sa mort et après sa résurrection, combien les difficultés que se forme la raison humaine sur la vérité de notre participation à la chair de Jésus-Christ, auraient-elles été multipliées ?

 

(1) Explication, pp. 559-56o.

(2) Ib., pp. 529-53o. Sur la nécessité d'un sacrifice visible dans l'Eglise, cf. un admirable chapitre d'Amelote, pp. 24, seq.

 

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Combien aurait-on eu de peine à croire que le sacrifice de l'Eucharistie fût réel, après que Jésus-Christ était entré dans sa gloire? Et combien l'activité de la foi, qui doit croire que c'est le même corps qui a été livré pour nous..., aurait-elle été retardée par la distance des temps et lieux! Mais Jésus-Christ, déjà voisin du Calvaire, substituant son corps à l'Agneau pascal qui venait d'être mangé, portant dans ses mains le calice où était son sang, commandant à ses Apôtres de le boire, et les assurant que c'était le sang même qu'il répandrait dans quelques heures, ou qui même était déjà répandu, quoique d'une manière secrète et invisible, il a infiniment aidé notre foi; et il nous a rendu comme palpable et sensible, ce que d'autres circonstances auraient fait paraître plus difficile. Il nous a convaincus que le sacrifice de son corps serait réel après sa résurrection, puisqu'il l'était avant sa mort. Il nous a persuadés que le mystère de sa mort pouvait être continué, puisqu'il l'avait prévenu. Il nous a montré la puissance qu'il avait de mettre son corps en des lieux différents, en demeurant visible à ses Apôtres dans sa personne, et se donnant en même temps à eux sous les symboles de l'Eucharistie. Il a fait taire tous les raisonnements humains, en faisant ce que les Capharnaïtes n'avaient pu croire, et il nous a tous préparés... à croire sans peine que, lorsqu'il serait monté au ciel, il n'en serait pas moins présent dans l'Eucharistie, puisque la difficulté d'être le même en des lieux différents était levée (1).

 

On ne sait vraiment ce qu'il faut le plus admirer ici, chez Duguet, ou la vigueur tranquille de sa foi, ou l'agilité de sa dialectique, ou son intense ferveur. Encore ai-je dû m'en tenir à un résumé très superficiel de ses vues sur le sacrifice, laissant de côté nombre de pages plus techniques, où il ne me parait pas moins excellent, et qui étonneraient, je crois, par leur pénétration les maîtres contemporains de la théologie

sacrificielle, le R. P. de la Taille et M. Lepin (2). Mais ce qui doit nous émouvoir le plus ici est de songer que ces hautes méditations n'ont pas été composées pour les seuls théologiens; qu'elles ont nourri et enchanté, pendant longtemps,

 

(1) Explication, pp. 568-57o.

(2) Je recommande plus particulièrement aux spécialistes la longue lettre à l'évêque de Mirepoix sur l'Eucharistie, t. Vl, pp. 80-120.

 

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l'élite pieuse. De l'avènement à la mort de Louis XIV, une propagande persévérante les avait façonnés à ces hautes curiosités, si essentiellement chrétiennes et d'un tel bienfait pour la vie intérieure. Vers la fin du XVII° siècle, une des Oeuvres les plus représentatives de ce temps-là, le Catéchisme de Montpellier, Oeuvre, comme on le sait, de l'oratorien Pouquet, ne consacre pas moins de cent pages in-quarto et de deux colonnes chacune, au Saint Sacrifice (1).

 

III. - De ces divines spéculations,. ainsi présentées sans relâche aux intelligences chrétiennes, découlaient des conséquences pratiques d'une exceptionnelle importance, et qu'on ne cessait pas non plus de rappeler aux fidèles. On leur répétait qu'assister à la messe n'est pas seulement la plus sainte des pratiques religieuses., mais encore que c'est là une pratique essentiellement différente des autres par les activités spéciales qu'elle commande. Montrez-leur, écrivait Duguet dans la précieuse lettre dont les. sommaires nous ont servi jusqu'ici de cadre, «.comment le sacerdoce de Jésus-Christ et son état de victime sont communiqués aux hommes ; comment le prêtre - et d'une centaine. manière le peuple - n'est avec lui qu'un seul pontife; comment les justes ne sont avec lui qu'une seule hostie; comment Jésus-Christ devient le don des fidèles; quel droit il leur donne sur lui-même ; quel usage ils doivent faire d'une victime d'un tel prix (2) ». C'était là même une des raisons qu'ils avaient de tant insister sur les sacrifices de l'ancienne

 

(1) Il va du reste, sans dire que l'école oratorienne n'a pas le monopole de ce sujet. J'ai retenu ce qui m'a paru le plus complet et le plus exquis, à savoir la doctrine d'Amelote et celle de Duguet. Il eût été sans -intérêt d'énumérer tous les auteurs du XVIIe siècle qui ont écrit sur le sacrifice. A qui voudrait pousser plus à fond ces recherches, je signalerais le chapitre de Fioriot, dans la Morale du Pater. pp. 392-41o, et les Instructions du P. Judde sur le Sacrifice de la messe (V, pp. 275-419. Près de quarante pages sur les sacrifices de l'ancienne loi). Pour les méditations de Bossuet, tout le monde les connaît. Elles paraissent moins admirables .quand en les relit après celles de Duguet et elles se trouvent implicitement critiquées dans la lettre de Duguet à la Broue.

(2) Lettres, V, p. 332

 

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Loi, sur ces rites si parlants que le plus borné des juifs ne devait avoir aucune peine à se reconnaître dans la victime et à s'offrir avec elle. On loue et on ne saurait trop louer, l'auguste simplicité de notre messe, mais ce pathétique invisible est tellement engagé dans le mystère que, sans l'initiation que donnaient les spirituels du XVII° siècle, il est difficile de le saisir, et plus encore de le vivre. Ici encore, de François de Sales à Duguet, quel progrès ! « A la messe, écrivait François de Sales, je vous conseille plutôt de dire votre chapelet que toute autre prière vocale (1) ». Soixante ans plus tard, il eût peut-être dit la même chose, mais sur un ton plus hésitant. Suffren nous donne « sept manières » d'entendre la messe « dévotement ». Dans la première, après le Confiteor, on emploie le « resté... en des oraisons vocales, chapelet, litanies..., les sept psaumes, les heures de la Croix, ou du Saint-Esprit ou de la Vierge... » Toutefois, « s'arrêter un peu à l'élévation ». Dans la seconde, on médite « sur quelque sujet profitable ». La troisième nous donne « à faire une courte, mais dévote revue de toute la vie de Jésus-Christ, présentée en l'action de la Messe ». Ainsi Noël au Gloria, « l'apparition aux trois Rois... au Dominus vobiscum ». Il ajoute bien, du reste, qu'il ne faut jamais oublier, quelle que soit la méthode choisie, « de faire l'offrande de ce sacrifice pour les cinq fins de son institution; de vous offrir en sacrifice et de vous communier spirituellement ». A merveille! mais ainsi l'essentiel est noyé dans l'accessoire. La sixième est de « faire réflexion à ce que le prêtre dit ou fait, et vous joindre, ou vous conformer tellement à lui, que vous ressentiez et exprimiez en vous ce qu'il dit ou fait à l'autel ». Telle sera bien, en effet, la méthode où s'arrêtera la seconde moitié du siècle.., la et non pas une, et non pas la sixième. Mais ici, une fois de plus, Suffren montre bien qu'il ne fait pas encore assez de différence entre le Saint Sacrifice et n'importe quel exercice

 

(1) Lettres, II, p. 334.

 

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de piété, entre l'activité proprement liturgique et l'activité dévote. Leur idée fixe, car il n'est certes pas le seul à voir ainsi les choses, est de stimuler, par tous les moyens, la volubilité de l'esprit. Dès que le prêtre sort de la sacristie, les « trois puissances » doivent commencer leurs prouesses :

 

Voyant l'aube, qui est longue, large, blanche... La tonsure, ou la couronne, qui est en la tête du prêtre, vous invite à mépriser, comme des cheveux et choses du néant, ce qui est en terre (1).

 

 

Tout cela, pris en soi, est excellent, mais, outre que ces exercices d'amplification ne sont pas à la portée de tous les fidèles, il est à craindre que, plus on les trouve faciles, plus on se mette dans l'impossibilité de suivre le mouvement si rapide, si peu discursif, du sacrifice (2). Quand sonnera la clochette de l'élévation, au lieu de l'hostie, on contemplera encore la tonsure du célébrant. Aussi bien va-t-il de soi que le progrès dont nous parlons, et qui a suivi, selon moi, la diffusion croissante de la doctrine sacrificielle, n'a pas été rectiligne. Il serait d'ailleurs fastidieux et encore plus vain, de rassembler, puis de comparer une à une les

innombrables méthodes que les fidèles de ce temps-là trouvaient dans leurs livres de dévotion. Parmi tous ces écrivains, il y a des hommes d'avant-garde, il y a des retardataires, il y a la famille inépuisable de ceux qui ne composent qu'à coups de ciseaux. Je n'étudierai donc un peu à

 

(1) Année chrétienne I, pp. 385-4oo. Il y a une septième méthode mais que j'ai peine a distinguer des précédentes. De l'Introït au Canon, «entretenez-vous en quelque dévote pensée, ou. de la Passion, ou du Saint Sacrement ou des sujets de la méditation du jour. »

(2) Sur la différence entre l'activité proprement liturgique et l'activité dévote, cf. une étude excellente de M. F. Gellé A propos de l'initiation liturgique des enfants (Vie et arts liturgiques, avril 22). « Beaucoup de personnes, qui suivent d'assez près la messe quand elles ne communient pas, ferment leur missel lorsqu'elles communient. Apparemment parce qu'elle veulent prier. Elles conçoivent en effet la prière comme un exercice spirituel, une ascèse de l'imagination, de la mémoire », p. 277. Cf. du même auteur des remarques toutes semblables dans Un problème de la Communion (même revue, avril, mai, 1924.)

 

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fond qu'un seul de ces livres, mais deux fois remarquable, et parce qu'il a été longtemps populaire, et parce qu'il touche à la perfection. C'est le fameux livre de Letourneux qui a pour titre : De la meilleure manière d'entendre la Sainte Messe, publié pour la première fois en 168o. J'ai déjà, dit en quelle estime je tenais cet homme excellent et qu'avec la meilleure volonté du monde, je n'étais pas arrivé à le prendre en flagrant délit de jansénisme. Au surplus, et quoi qu'il en soit de l'ensemble de son Oeuvre, ce petit livre doit être plus blanc que l'hermine, puisque le P. de Colonia lui-même a renoncé à lui creuser une niche, dans sa Bibliothèque janséniste, entre ces deux ouvrages de perdition (1), les Méditations de Bossuet et les Lettres de Mme de Sévigné.

 

Il faut... bien distinguer, écrit Letourneux, deux manières d'entendre la messe. L'une générale et selon l'esprit général de l'Église, qui est de faire cette action avec charité; et c'est ce que le concile de Trente a exprimé, par « le coeur sincère, la foi droite et la crainte respectueuse » qu'on doit apporter à ce sacrifice peur y assister dignement et avec fruit,

et qu'on doit apporter également à n'importe quel acte de religion.

 

L'autre, particulière et conforme à l'esprit particulier de cette action, c'est-à-dire à l'intention de l'Eglise, qui souhaite; qu'on assiste à ce sacrifice avec certains sentiments et qu'on. y fasse certaines choses plutôt que d'autres... C'est cette manière que nous cherchons, parmi toutes celles que nous voyons pratiquées ordinairement par les fidèles (1).

 

Ces méthodes courantes, et, par exemple,, « s'occuper pendant toute la messe de quelque mystère de la Passion n, il n'est pas question de les condamner;

mais on cherche, ici ce qui se peut faire de mieux. Ce n'est pas (non plus) que Dieu ne puisse, pendant une messe, enlever l'esprit de celui qui y assiste, et le fixer à un objet tel qu'il lui

 

(1) Letourneux, op. cit., pp. 16-17.

 

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plaira, par un mouvement impétueux à la douce violence duquel l'âme. ne doit ni ne veut résister (1). Mais on parle ici de ce qu'on peut choisir soi-même comme le meilleur. Car il n'y a pas de doute qu'il ne faille suivre l'Esprit de Dieu, et que là où est cet Esprit, il n'y ait une très grande et très saint liberté. Mais lorsque Dieu n'agit pas dans une âme par ces voies extraordinaires, mi est-ce que le chrétien doit chercher l'esprit de. Dieu, sinon dans les lumières et les règles de l'Église; et que peut-il faire de mieux que de préférer à tout ce qu'il pourrait penser, dire et faire pendant la messe, ce que l'Église, conduite infailliblement par le Saint-Esprit, pense, dit, et fait (2).

 

A cet harmonieux. mélange de raison et de foi, à cette plénitude lente et méthodique, on comprend que le XVII° siècle, dont nous avons tant de fois constaté la passion catéchétique, ait choisi le paisible et limpide Letourneux pour son catéchiste de prédilection.

Or nul doute n'est ici possible sur le véritable esprit de l'Église. Pour elle,  manifestement, la messe est « le sacrifice commun... du prêtre et du peuple »; « l'oblation et le sacrifice de tous les fidèles ». « Le prêtre n'y fait rien, à la consécration près, que le peuple ne fasse avec lui »; « tout ce qui se dit (ou se fait) à la messe prouve qu'elle est le sacrifice commun de toute l'Église (3) ».

C'est la doctrine traditionnelle, mais proposée au commun des fidèles, et comme une méthode pratique d'entendre la messe : méthode proposée déjà, trente ans plus tôt (1651), et avec beaucoup de succès, par un grand ami de l'Oratoire, François II de Harlay, archevêque de Rouen, « dans son excellent traité de la vraie manière de bien entendre la messe de paroisse, dont il a fait la seconde partie d'un manuel ou rituel que tout le Clergé de France l'a remercié

 

(1) « Il ne faut pas « quitter l'attrait pour suivre les prières de la messe s. Bossuet, Correspondance, IX, p. 131. Bossuet paraît un peu large sur ce point : « On peut satisfaire au devoir d'entendre la messe en faisant quelques lectures et disant quelques heures ». Ib. V, pp. 235.

(2) Letourneux, op. cit., pp. 190-193.

(3) Ib., ib., pp. 56-57 63-64.

 

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d'avoir donné au public (1). » Letourneux, qui, d'ailleurs, a fait beaucoup mieux, se réclame constamment de ce traité; ainsi, dans son propre commentaire du psaume par oit commence la messe.

 

Ce qui fait d'abord... quelque peine est le premier verset de ce psaume, où il faut dire à Dieu avec David... Séparez ma cause de la nation impie. Car on craint que ce ne soit parler trop hardiment à cette sainteté infinie, devant laquelle qui osera se justifier? Cependant voici comme parle (François II de Harlay)... : Il ne faut point, dit-il, que le « prêtre approche tristement de l'autel. C'est l'entrevue de l'Epouse avec son Epoux. Il n'y a rien là de particulier. Le prêtre est l'instrument public dont l'Eglise se sert : il faut tenir le rang de celle qui nous emploie, et avoir un air majestueux et une confiance digne de l'Épouse... Qu'il dise donc hardiment le psaume Judica, c'est-à-dire d'une manière grave, pleine de confiance et à haute voix. »

Et pour donner cette confiance au prêtre, il (Harlay) lui dit que « la chasuble dont il est revêtu représente la robe nuptiale de la charité; que c'est de la sainteté même de l'Église qu'il est couvert, comme Jacob était couvert des peaux d'Ésaü, à qui, comme à l'aîné, appartenait l'honneur et le droit de sacrifier ; et que par conséquent, il peut parler à Dieu avec une sainte liberté ».

 

Et, reprenant son propos, « il ne faut donc pas s'étonner, poursuit Letourneux,

 

si le prêtre ne dit pas tout seul le psaume Judica, mais alternativement avec les assistants..., et si le même prélat dit à ceux qui assistent à la messe, « qu'ils sont revêtus avec le prêtre de la charité de l'Église, puisqu'ils offrent le sacrifice avec lui ». En sorte que, pour suivre sa pensée, on peut dire que le prêtre est revêtu des habits de ceux dont il présente les voeux à Dieu (1).

Comprendre, réaliser tous les mots, mimer, au moins de coeur tous les gestes - un seul excepté - du célébrant, le

 

(1) Letourneux, op. cit., p. 66. Dom Guéranger mentionne avec faveur « les instructions célèbres... sur la messe » du « pieux Fr. de Harlay, archevêque de Rouen, oncle de l'archevêque de Paris. » Institutions liturgiques (1851), III, pp. 173-174.

(2) Ib., ib., pp. 66-68.

 

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bon sens même nous dit assez que telle est la vraie méthode.

 

« La plupart du monde, écrivait encore l'archevêque de Rouen, ne sait ce que nous répétons si souvent au sacrifice : Oremus, prions. Ils prennent cela comme rien, faute de savoir ee qu'il signifie. On parle aux assistants autant de fois que le prêtre donne cet avertissement, c'est-à-dire que vous devez... vous joindre à la prière que vous faites par lui, et non pas avoir une prière particulière ; car il n'en est pas le temps. Il faut que toutes autres oraisons cessent quand le prêtre prie, et qu'il offre le sacrifice pour tous (1). »

 

Pour l'offertoire, on peut dire, en un sens, qu'il « appartient plus aux assistants qu'au prêtre, puisque c'est une antienne qui se chante, pendant que le prêtre reçoit les oblations du peuple ».

 

C'est donc le peuple qui offre, et qui chante, en faisant son offrande, pour témoigner la joie avec laquelle il présente à Dieu ce qu'il a reçu de lui, et ce qu'il doit recevoir par la communion, non plus dans la même nature, quoique sous les mêmes apparences... Mais c'est peu d'avoir offert au prêtre ce qui doit être offert à Dieu, si on ne le lui offre parles mains du prêtre. Ce n'est encore que du pain et du vin; il faut présenter à Dieu ces choses, afin qu'elles soient changées par sa vertu toute puissante au corps et au sang de Jésus-Christ, et, quand ce changement aura été fait par la consécration, il faudra présenter à Dieu le corps et le sang de son Fils, comme un sacrifice... Dans cette double oblation..., le prêtre est le ministre de Jésus-Christ, qui lui donne sa puissance pour consacrer, et du peuple, qui lui donne son sacrifice à offrir (2).

 

Lorsqu'il mêle l'eau et le vin dans le calice, le prêtre n'entend point se distinguer de ceux « que cette eau figure » mais, au contraire, « il se mêle avec ceux pour qui il doit offrir et qui doivent offrir avec lui ». « Et il ne se fait ainsi du

prêtre et du peuple qu'un corps qui doit être incorporé à

 

(1) Letourneux, op. cit , p. 76.

(2) ib., pp. 83-85.

 

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Jésus-Christ (1).» A l'Orate Fratres, poursuivait M. de Rouen,

 

pour nous montrer que toute l'action de l'Eglise est commune au prêtre et aux assistants..., il vous dit : « Que ce mien et votre sacrifice... » Il n'y a point de sacrifice particulier... ; ceux qui servent à l'autel parlent pour tous les assistants, et il serait bon que tous sussent la réponse qu'ils font, laquelle commence par suscipiat, pour la dire tous ensemble, ou au moins pour unir leur intention à celle du ministre qui sert le prêtre (2) ».

 

L'Eglise ne veut pas que le prêtre se sépare de l'assemblée, comme il se le permet trop souvent :

 

Dans les messes hautes, reprend Letourneux, il y a des prêtres qui, pendant qu'on chante le Credo, font en leur particulier toutes les oblations et prières, qui sont marquées depuis l'offertoire jusqu'à la préface, et semblent ainsi ne donner aux assistants aucune part à ce qu'ils disent sans eux. Mais ces prêtres en cela s'éloignent sans doute de l'ordre du Sacrifice. Car ils offrent à Dieu ce qu'ils n'ont pas encore reçu du peuple, et ce que l'Eglise veut qu'ils aient reçu, avant que de l'offrir à Dieu. I1 n'y a qu'à lire ce qu'ils disent, pour voir qu'ils ne le disent pas en son lieu et en sou temps. Le peuple, qui chante sa profession de foi, ne peut pas répondre à l'Orate fratres. Le prêtre est déjà bien avant dans le sacrifice, avant que le peuple y soit entré et, pour ainsi dire, il y est sans y être entré lui-même, puisque le sacrifice ne commence, selon l'esprit de l'Eglise, que par l'oblation du prêtre (3).

 

Il en va de même pour toutes les prières et pour tous les gestes du canon. Une seule exception, et qu'il est à peine nécessaire de rappeler aux chrétiens. Quoique l'action de consacrer

 

soit particulière au prêtre, puisqu'il faut être revêtu du caractère sacerdotal pour avoir la puissance de changer le pain et le vin au corps et au sang de Jésus-Christ, cela n'empêche pas que

 

(1) Letourneux, op. cit., p. 91-93.

(2) ib., pp. 1o3, 1o4.

(3) ib., pp. 1o7- 109.

 

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tout ce qui accompagne cette consécration ne soit commun au prêtre et à tous les assistants (1).

 

Et tout ce qui la suit. Le peuple, en effet,

 

qui n'a été que témoin de la consécration..., rentre (aussitôt) dans la part qu'il doit avoir à tout le reste du sacrifice et il offre aussi bien le corps même de Jésus-Christ par le prêtre qu'il a offert par le prêtre le pain

 

et le vin (2). Comme le sacrifice est commun, il faut aussi que la communion, qui en est une partie essentielle, soit commune. Les assistants, avait déjà dit M. de Rouen, peuvent demander au prêtre « part de son hostie, comme de la victime immolée, non seulement pour eux, mais, en la personne du prêtre, par eux » (3).

 

Lorsqu'on peut communier à la messe, ce n'est pas assez connaître la part qu'on y a, ni l'intention de Jésus-Christ et de l'Eglise que de n'y pas communier avec le prêtre... Le prêtre et le peuple ne se doivent non plus séparer dans cette partie du sacrifice que dans toutes les autres, ni remettre sans raison après la messe la communion qui doit en être une parties.

 

 

D'où il suit enfin que la liturgie de la messe est, au sens propre du mot, une méthode pour entendre la messe, et, sans comparaison, la meilleure de toutes.

 

(1) Letourneux, op. cit., p. 115.

(2) Ib., p. 135.

(3) Ib., op. cit., p. 156.

(4) Ib., pp. 162, 163. « Ce que je dis ici du temps de la communion, ajoute Letourneux, semble être combattu par l'usage, puisque non seulement la plupart des communions ne se font plus que hors de la messe, mais encore, quand le peuple communie à la messe, on lui fait répéter la confession et le Domine non sum dignus, quoiqu'il ait déjà dit ces choses avec le prêtre. » (p. 166) Pour la première de ces innovations, Letourneux remarque expressément qu'elle n'avait pas encore prévalu partout. Aucune uniformité sur ce point et pas même dans les diverses églises d'un même diocèse. (p. 17o) La seconde l'embarrasse davantage. « Si j'ose dire ce que je pense, j'ai grande inclination à croire que, sans y faire assez de réflexion, on a transporté à la communion qui se fait dans la messe les prières et les cérémonies de celle qui se fait hors de la messe. Car je ne puis croire qu'on ait envie de purifier les fidèles par une seconde confession, d'autant que le prêtre ne répète point le confiteor avant que de communier, quoiqu'il n'ait pas besoin d'une moindre pureté que les autres » (pp. 174-176).

 

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Car s'il est vrai, comme il n'en faut pas douter, que la messe est le sacrifice commun du prêtre et des fidèles; si l'Église mêle la voix des assistants avec celle du prêtre, et si elle lui fait dire en plurier les choses mêmes qu'il dit seul, qui ne voit clairement que l'intention de l'Eglise est qu'on joigne, comme dit Hugues de Saint-Victor, son coeur à la voix du prêtre, et que, pour offrir un même sacrifice, on parle un même langage?

 

 

L'Église « n'a pas voulu abandonner l'action la plus auguste de toute la religion chrétienne à l'imperfection de nos pensées », ni aux tâtonnements de nos méthodes particulières. « L'Esprit de Dieu, qui prie en chaque fidèle,

 

a voulu aussi prier dans tout le corps de l'Église, en lui inspirant l'ordre, les cérémonies et les prières de la liturgie, et en apprenant par la Mère à chacun des enfants ce qu'ils peuvent penser et demander, pour faire dignement la plus excellente de toutes les prières.

 

« A quoi penser et que désirer dans la messe? »

 

C'est ce que l'Eglise apprend aux fidèles, par tout ce qui s'y dit et par les cérémonies mêmes... Elle désire donc qu'on s'applique à ce que l'on voit, à ce qu'on entend et à ce qu'on dit à la messe; elle souhaite qu'on la suive, afin d'entrer dans les sentiments qu'elle tâche d'inspirer.

 

Elle souhaite, en un mot, qu'on « s'occupe l'esprit et le coeur des paroles et des actions qui composent la Liturgie (1) ».

 

 

IV. - Grâce au renouveau liturgique de nos dernières années, ces vues nous sont aujourd'hui si familières qu'on s'étonnera sans doute que Letourneux les ait exposées avec une telle insistance, enfonçant par là, semble-t-il, une

 

(1) Letourneux, op. cit., pp. 188-2o4. Dans cette dernière partie de son exposition, Letourneux s'approprie les pensées « d'un pieux et savant jésuite » le P. Rodriguez. « La meilleure manière, écrit celui-ci, d'entendre la messe est de se joindre au prêtre..., de s'attacher à le suivre et de l'imiter en tout ce qu'il fait ». Et encore « s'attacher attentivement à tout ce que dit ou fait le prêtre..., ; faire et dire de son côté les mêmes choses, autant qu'il est possible. » (M. pp. 185-188).

 

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porte ouverte ; et l'on s'étonnera plus encore qu'il ait consacré à les défendre le dernier quart de son livre : « Réponses à quelques difficultés » (1). C'est un fait néanmoins que, pendant près de deux siècles, ces mêmes vues, si manifestement traditionnelles, et que le Saint-Siège - le pape Pie X notamment - devait un jour faire siennes, ont été dénoncées comme scandaleuses, voisines de l'hérésie et, cela va sans dire, comme jansénistes. Quand on étudie ces invraisemblables batailles, on croit se trouver soudain transporté dans un manoir à l'envers. Ecoutez plutôt un esprit judicieux, le P. Judde, que Bourdaloue estimait fort :

 

Première méthode pour bien entendre la messe; suivre le prêtre, du commencement jusqu'à la fin.

D. En quoi consiste cette méthode ?

R. A écouter ce que le prêtre dit tout haut, et à se joindre à lui d'esprit et d'affection ; à lui répondre même, si l'usage le permet; et, à l'égard des prières qu'il prononce à voix basse, les savoir assez par coeur, pour pouvoir s'en occuper intérieurement, tandis qu'il les récite.

D. Approuvez-vous cette méthode?

 

Plaisante question, pensez-vous, et qui ne peut appeler qu'une réponse. Détrompez-vous :

 

R. Je ne l'aurais point approuvée, avant que l'usage s'en fût introduit presque partout.

 

(1) PP. 21o-29o. Dieu sait que j'admire plus que personne les efforts et le merveilleux succès des liturgistes contemporains. Qui ne voit néanmoins qu'ils font renaître, et avec le plus rare bonheur, une des plus nobles traditions du XVIIe siècle - hélas, aussi une des plus combattues depuis longtemps, et avec quel triste succès! Nos liturgistes d'aujourd'hui, écrit le R. P. Doncoeur, veulent concentrer la piété des fidèles « autour du rite privilégié de notre culte... On ne niera pas que certains déblaiements (le mot est joli) soient opportuns... Croit-on vraiment que la messe, dans sa plénitude, c'est-à-dire en tant que participation au Saint Sacrifice, ait pris dans la vie religieuse des fidèles la place qui lui revient? Qu'elle apparaisse pratiquement comme le premier acte, le plus parfait de notre religion, et que soit restituée cette intelligence de la communion du Sacrifice, qui ne nous amènera plus des « assistants » à un spectacle pieux, mais des « participants » à la Victime?» (Etudes, 1925, pp. 69, seq. Bulletin de liturgie pratique... la Sainte Messe...) Cette « intelligence », n'est-ce pas précisément ce que Letourneux et les autres ont voulu « restituer » ?

 

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Il écrit an commencement du XVII° siècle.

 

Mais l'Église le sait, et pour le moins elle le tolère; on peut maintenant s'en servir sans scrupule, pourvu néanmoins qu'on n'aille pas s'imaginer que l'on soit prêtre comme le prêtre, que l'on consacre avec lui et autant que lui, etc... (1).

 

Voilà le grand mot lâché, et la raison - du moins celle qu'on avoue, - de l'invincible répugnance que leur inspire cette méthode. Elle risquerait, pensent-ils, d'effacer la distinction essentielle entre le prêtre et le fidèle. Plus il tâcherait de s'unir à la prière et aux gestes du prêtre, plus le fidèle serait tenté de se croire prêtre lui-même aussi bien que le célébrant. Je vous l'ai dit : c'est à n'y pas croire, un serpent de mer, un loup garou, mais qui aura la vie dure. Dom Guéranger écrira en 1852 : Par de telles méthodes « les jansénistes ont voulu altérer la notion du sacrifice chrétien quant à la part que les fidèles y prennent (2) ». D'une telle volonté qui eût été, d'ailleurs, en ce temps-là, plus saugrenue encore que sacrilège, les documents ne gardent aucune trace, et l'on a pu voir tantôt avec quelle netteté Letourneux fixait la part respective du prêtre et des assistants :

 

L'oblation de cette divine hostie, écrivait-il encore, ne se fait pas par le prêtre seul, comme la consécration a été faite par lui seul. Il n'y a qu'à l'écouter lui-même. Après avoir dit avec Jésus-Christ : Vous ferez ceci en mémoire de moi, il reprend la fonction de ministre du peuple, et il dit au nom de tous : unde et memores... Et afin qu'on ne s'imagine pas qu'il n'entend que lui, il ajoute et avec nous votre peuple saint, nous vous offrons.. Voyez-vous..  comme le peuple, qui n'a été que témoin de la consécration laquelle n'apppartient qu'au prêtre, rentre dans la part qu'il doit avoir à tout le reste du sacrifice (3).

 

S'il y rentre, c'est donc qu'il en était sorti, pendant la minute sacrée, où le prêtre, « parle en la personne de Jésus-

 

(1) Oeuvres spirituelles du P. Judde V, p. 397.

(2) Institutions liturgiques, III, p. 212.

(3) Letourneux, op. cit., pp. 132-133.

 

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Christ, parce que c'est Jésus-Christ, et non l'Église, qui consacre (1)».

Telle était leur foi à tous, et si enracinée qu'ils n'avaient même pas besoin de la professer. Parmi ceux qui ont pris part à cette controverse, il n'en est pas un qui eût refusé de souscrire aux formules, pour eux classiques, de Letourneux. Affirmer le contraire c'est fausser, du tout au tout, l'histoire de cette guerre sans fin. Il n'y a là, très certainement, que deux partis en présence : les uns qui veulent la messe, toute la messe, à la portée de tous; la messe pour tous; les autres, pour quelques-uns, c'est-à-dire, pour qui a reçu le pouvoir de consacrer et pour qui sait le latin. D'un côté, la notion démocratique, et de l'autre, aristocratique, de la messe. Qu'on me pardonne l'utile bassesse de ces termes. J'ai déjà rappelé que nous avions aujourd'hui beaucoup de peine, je ne dis pas à prendre parti dans cette controverse, mais à imaginer qu'on ait eu jadis à prendre parti. Les faits sont là néanmoins et les textes, d'une clarté sans pareille. Je sais bien que les historiens catholiques semblent avoir pris le change sur le véritable enjeu du débat. Ils se bornent à raconter deux simples épisodes, plus tapageurs qu'importants, et dans lesquels les défenseurs de la vérité, je veux dire, de la messe pour tous, font une assez piteuse figure : la querelle des Amen et la querelle du Canon. Ainsi d'un historien qui ne voudrait connaître de la grande guerre que la sinistre défaite des Dardanelles. Mais il ne faut pas que l'accessoire nous cache l'essentiel, ou l'anecdote l'histoire. La vraie question, celle qui fut soulevée la première et, tranchée la dernière, a toujours été de savoir si, oui ou non, le commun des fidèles a le droit de suivre mot par mot toute la messe; ou, ce qui revient au même, si l'on doit approuver ou exorciser la traduction de l'ordinaire de la messe en langue vulgaire. Question qui n'en est plus une aujourd'hui pour personne. Pourquoi faut-il qu'un grand

 

(1) Letourneux, op. cit., p. 90.

 

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homme, que nous vénérons tous, se soit acharné de tout son génie impétueux à justifier, à canoniser celle de ces deux doctrines qui fut vaincue et qui ne pouvait pas ne pas l'être?

Ils combattaient, disaient-ils, pour « le secret des mystères » : mot d'ordre aussi confus qu'étincelant, qui exaltait à leurs propres yeux leur invraisemblable croisade, et qui avait aussi l'avantage de semer l'alarme parmi le peuple fidèle. Un je ne sais quoi d'indéfinissable, mais de vital, « le secret des mystères » était menacé. L'idée ne leur venait pas que le mysterium fidei n'est pas moins un mystère pour le prêtre qui célèbre la messe, que pour le fidèle qui la suit ; l'idée ne leur venait pas non plus que de tout ce que nous pouvons connaître de ce mystère, la révélation n'a jamais été réservée aux clercs; ni enfin qu'un premier communiant de douze ans en peut savoir aussi long sur la mystérieuse hostie qu'il reçoit que le prêtre qui la lui donne. Jeux de mots que tout cela, équivoque perpétuelle, et, pour parler franc, poudre aux yeux. Lisez plutôt les deux volumes effarants, publiés en 171o, au plus chaud de la bataille, par M. de Vallemont, docteur en théologie, et qui ont pour titre : Du Secret des mystères ou l'Apologie de la rubrique des missels. Son objet est de montrer qu'en ordonnant de réciter à voix basse les prières du Canon, l'Église entend rester fidèle à l'ancienne discipline du secret, autant dire qu'elle traite les simples fidèles d'aujourd'hui comme elle faisait les païens d'autrefois, à qui elle cachait ses mystères : évolution paradoxale, qui ne met plus de différence entre les enfants de la maison et les « étrangers ». Autrefois : Norunt initiati, c'est-à-dire, tous les baptisés; seuls aujourd'hui passeront pour « initiés » les prêtres et les laïcs fortunés qui n'ignorent pas la langue latine.

Bien que d'une intelligence au-dessous du médiocre, Vallemont a bien entrevu, qu'une telle construction laissait quelque chose à désirer. Mais il a réponse à tout. Prenez donc garde, poursuit-il, que, jadis, tous les baptisés étant de vrais saints, il n'y avait aucun inconvénient à leur livrer

 

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« le secret des mystères ». Mais, depuis le vile siècle, on est toujours sûr, hélas! qu'il se glissera quelques « indignes » dans la foule de dimanches. Ces malheureux, qui ne voit que l'Église doit les traiter comme elle faisait jadis les païens et les juifs? Or, par bonheur, c'est justement à l'heure même où ces « indignes » commencent à pulluler que la langue latine agonise. Heureuse coïncidence, qui va permettre à l'Église de résoudre ce cas difficile. Pour cacher aux indignes « le secret des mystères », elle n'aura, en effet, qu'à continuer de parler latin. Si tout cela parait d'une débilité désolante, c'est bien sans doute la faute de l'ineffable Vallemont, mais c'est aussi qu'il est plus que difficile de dégager une doctrine solide et pratique du vague mot d'ordre qu'ils vont répétant : sonores syllabes qui enchantaient encore, sous Louis-Philippe, l'âme romantique de Dom Guéranger (1). Avec quelle émotion le noble Croisé des Institutions liturgiques, ne parle-t-il pas du « secret auguste qui doit environner le plus profond de nos mystères »; ne dénonce-t-il pas le danger « qu'il y aurait d'exposer les formules saintes à la curiosité profane et aux interprétations grossières de la multitude, d'amener enfin une familiarité nuisible au respect des mystères »? D'où l'on conclurait aussi bien et à plus forte raison qu'il faut renoncer aux messes chantées. A Dieu ne plaise que nous fassions fi de ces émouvantes paroles : elles prouvent excellemment qu'on ne saurait trop recommander aux fidèles de s'unir avec un respect renouvelé aux prières du Canon; elles ne prouveront jamais qu'on doive leur voiler la majesté de ces formules et leur en interdire l'accès (2).

(1) La formule, d'ailleurs, serrée de près, paraît assez mal venue. « Secret » étant synonyme ici de « mystère », c'est comme si on disait « le secret des secrets ». Ainsi de « panacée universelle ».

(2) Institutions liturgiques, III, pp. 212 seq. Mettre aux mains des fidèles une traduction de l'ordinaire de la messe, dit-il encore, c'est violer manifestement « le secret des mystères » (Ib., p. 201). Puisqu'il s'agit en la circonstance d'une observance disciplinaire manifestement approuvée par l'Église d'aujourd'hui, comment Dom Guéranger ne voit-il pas que son attitude ressemble ici à celle que l'on prête aux jansénistes, accusés, comme l'on sait de vouloir restaurer l'ancienne pénitence publique ? Mais s'il nous est impossible de le suivre sur ce point, nous devons tâcher de nous expliquer les résistances d'un si grand homme. Son étrange théorie sur le secret des mystères a pour elle des garants beaucoup plus vénérables que l'insignifiant Vallemont. Je ne me rappelle pas qu'il l'ait fait, mais Dom Guéranger aurait pu se réclamer du Catéchisme du Concile de Trente, ouvrage dont l'autorité est si imposante. Quand il en vient à expliquer la « forme a de la consécration, « il n'est point du tout nécessaire, dit le Catéchisme, que ceux qui ne sont pas initiés aux saints mystères, soient si fort instruits de ces choses. Non quidem ejus rei causa, ut hæc Mysteria fideli populo, nisi necessitas cogat, tradantur. Eos enim qui sa cris initiati non surit, de his erudiri necessarium non est. (De Euch. sacr. cap. 4, n°19, cité par Vallemont, op. cit., II, p. 478). J'avouerai bonnement que je n'arrive pas à comprendre ce passage; encore moins à le réconcilier avec les textes mêmes du Concile qui exigent si clairement, que les fidèles soient initiés par les pasteurs aux mystères de la Messe. Que faudrait-il donc ou leur cacher tout à fait ou ne leur découvrir qu'à moitié? Ce ne peut être le dogme de la présence réelle. Pas davantage celui du sacrifice. Alors quoi? Les symbolismes moins essentiels de l'eau mêlée au vin, de la fractio, ou des autres rites? Mais n'est-ce pas là justement ce que le Concile veut qu'on explique aux fidèles, car enfin ou ils savent tous, ou ils auront bientôt appris, que la messe est un vrai sacrifice et que le pain est changé au corps de Notre-Seigneur. N'est-il pas évident que tout ce qu'on pourra leur apprendre de plus leur sera bon? Encore une fois, de quoi a-t-on peur? Je ne puis m'expliquer cette confuse panique, - et qui se dissipe dès qu'on la presse de se formuler en langage clair, - que par un arrière-souci d'apologétique. Pour mieux défendre contre les protestants l'usage de la langue latine dans la liturgie, on aura pensé qu'on aurait deux fois raison eu montrant qu'en effet l'Eglise a quelque chose à cacher aux fidèles : argument désespéré, qui faisait certes le jeu de l'ennemi, mais qui pouvait apaiser quelques fidèles, gagnés par la contagion protestante et désireux d'entendre la messe en langue vulgaire.

 

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D’un point de discipline que l'Église a seule le droit de modifier - usage de la langue latine; Canon récité à voix basse - on tirait toute une philosophie qui n'est certainement pas celle de l'Église. « Quelques-uns, écrivait encore Letourneux, vont jusqu'à penser, non seulement » qu'ils sont indignes de connaître ces grands mystères, « mais encore que cela leur est défendu et que c'est aller contre l'esprit de l'Église de faire ce que Rodriguez, et les autres auteurs que j'ai cités, disent être le plus conforme à son esprit. »

 

D'où ils concluent que c'est assez pour tous les laïques de se joindre en général à l'intention de l'Église, et de consentir intérieurement à tout ce que le prêtre dit pour eux, sans qu'il soit besoin d'entendre ce qu'il dit, ou plutôt parce qu'il ne faut pas qu'ils l'entendent.

 

L'Église néanmoins n'a institué les cérémonies de la messe

 

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« qu'afin d'exciter en ceux qui les voient, le désir de savoir ce qu'elles signifient » ; pour que « la curiosité de l'esprit, frappé de ces pratiques visibles, lui donne occasion de vous apprendre tous les mystères que renferme son Sacrifice, et que la connaissance de ces mystères vous fasse comprendre avec quel esprit vous y devez assister (1). »

 

Mais quoi! disent-ils,

 

si l'Église voulait que tous les fidèles connussent ses mystères, et eussent tant de part à son Sacrifice, elle ne célèbrerait pas la messe en une langue qui n'est pas entendue du peuple.

 

Pauvre argument et qui impose à l'Église « des raisons et des motifs qu'elle n'a pas ». Où donc a-t-elle dit, ou même donné à entendre que, si elle célèbre en latin « c'est afin de cacher les mystères aux peuples »? Lorsqu'elle a commencé de célébrer la messe

 

en cette langue, le latin était entendu du peuple. Si elle eût voulu exclure quelqu'un de la connaissance de ses mystères, elle n'aurait pas choisi pour les célébrer des langues entendues dans tout l'Empire, comme la chaldaïque et la grecque dans l'Orient, et le latin dans l'Occident.

 

Dira-t-on qu'elle a changé d'avis sur ce point et qu'elle ne veut plus aujourd'hui ce qu'elle voulait autrefois ? Non, certes. « Ce n'est pas par l'ordre de l'Église que le peuple n'entend point le latin, et ce n'est pas elle qui a fait le changement d'une langue connue en une langue inconnue ». Elle a du reste, ses raisons « de conserver une langue consacrée depuis si longtemps et d'ordonner dans tout l'Occident une uniformité de langage dans la célébration de ses mystères (3). » En vérité n'est-il pas surprenant

 

qu'un zèle peu éclairé fasse tenir à des catholiques le même

 

(1) Letourneux, op. cit., pp. 211-212.

(2) Ib., p. 222.

(3) Ib., pp. 226-244.

 

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langage que la passion et l'erreur font tenir aux ennemis déclarés de l'Église? Ces derniers font tous leurs efforts pour persuader à tout le monde que l'Église romaine a changé d'esprit, qu'elle traite ses enfants en esclaves et en bêtes, et qu'elle ne veut point qu'ils entendent, ni ee que Dieu leur dit, ni ce qu'ils disent à Dieu. Ils n'ont point d'autre fondement de toutes ces calomnies que l'usage de célébrer la messe en latin; et des catholiques, sans y penser, s'accordent avec eux à vouloir faire croire que l'Église à effectivement changé de conduite, et que cet usage de prier publiquement en une langue inconnue est une marque évidente qu'elle ne veut plus que ses mystères soient connus du peuple (1).

 

Mais, objectent encore quelques-uns, si l'Église voulait que le peuple sût tout ce qui se dit dans le sacrifice, ordonnerait-elle qu'une bonne partie du sacrifice fût prononcée à voix basse?

 

J'ai déjà remarqué... que le Canon se prononçait autrefois tout haut, et qu'il se prononce encore ainsi à présent dans l'Église grecque. La prononciation basse du Canon n'est donc pas essentielle à la liturgie et on ne peut pas en conclure que l'Église ne veut pas que les laïques sachent ce qui se lit dans le Canon,

 

De quelque façon qu'il se soit produit, ce changement disciplinaire ne saurait avoir le sens qu'on lui prête. Il ne dérobe rien

 

à la connaissance des assistants, et rien ne les empêche de suivre le prêtre. On lit tout haut ce qu'ils ne peuvent pas savoir par coeur, parce qu'il se change tous les jours, et ils peuvent facilement savoir ce qui se dit bas, parce que c'est toujours la même chose,

 

et parce que la traduction de ces prières est à la portée de tous.

 

Le Canon même, qui se lit bas, ne laisse pas d'être entremêlé de prières qui se commencent ou se disent même entièrement

 

(1) Letourneur, op. cit., pp. 247-248.

 

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à voix haute..., ce qui aide beaucoup le peuple à reconnaître où en est le. célébrant pour le suivre; sans parler des différentes cérémonies qui distinguent les différentes parties du Canon, comme de joindre ou d'élever les mains, de les imposer sur le calice.

 

Et, en effet, comment n'y songe-t-on pas? Si l'Église voulait cacher ses mystères, elle ferait célébrer la messe derrière un rideau. Les gestes rituels ne traduisent-ils pas les prières secrètes, aussi bien, sinon mieux qu'une traduction imprimée?

 

Et les prêtres qui sont instruits dans la discipline de l'Eglise et qui ont soin de suivre son esprit, ne manquent jamais à ces sortes de distinctions, qui servent à faire remarquer ce qu'ils disent tout bas. Car, comme ils savent que ce n'est pas pour eux seuls qu'ils disent la messe, mais encore pour tous les assistants, puisque le sacrifice est commun aux uns et aux autres, ils s'appliquent à la dire en sorte que ceux qui y sont présents puissent offrir avec eux et se joindre à eux dans toutes les prières qui s'y font (1).

 

Cette insistance qui peut nous sembler piétinante, mais que justifie sans doute l'opposition invraisemblable que nous avons dite, nous montre, une fois de plus que nous ne nous égarions pas lorsque nous distinguions tantôt, parmi les directions les plus caractéristiques de cette époque, le désir pressant d'associer aussi étroitement que possible la foule pieuse au sacrifice de la messe. Mais, comme on abuse toujours des meilleures choses, nous pouvions bien prévoir que tout le monde ne s'en tiendrait pas sur ce point aux sages conseils et inattaquables d'un Harlay ou d'un Letourneux. On vit donc paraître, vers la fin du XVIIe siècle, puis se perpétuer pendant le XVIIIe siècle, quelques maniaques de réforme, qui, pour mieux aider les fidèles à ne rien perdre des prières de la messe, imaginèrent de réciter le Canon à haute voix. Je n'en sais rien, mais tout me porte à croire qu'ils ne furent jamais bien nombreux, au

 

(1) Letourneux, op. cit., pp. 264-266.

 

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moins jusqu'au branle-bas sectaire qui suivit la publication de la bulle Unigenitus. Vallemont cite un mandement de l'évêque de Séez en 1698, qui porte que « les prêtres, sous peine de suspense actuelle, ipso facto, prononceront le Canon secrètement et à voix basse en sorte qu'il ne puisse être entendu que du célébrant. » L'évêque de Lisieux aurait déclaré de son côté, en 17o3, que « s'il croyait qu'une pratique contraire s'introduisit dans son diocèse, il ferait un mandement pour la défendre. » C'est peu, et, si l'on avait eu d'autres témoignages, on nous les aurait donnés. J'imagine donc qu'en dehors de quelques enfants terribles - comme il s'en rencontre dans tous les mouvements religieux - ce fut d'abord une révolution purement académique. Velléités bruyantes, guerre de pamphlets. J'imagine aussi que plusieurs, en bons casuistes, demandaient ingénûment qu'on leur défiait le submissa voce de la rubrique. Après tout, si le prêtre doit parler de façon à «s'entendre lui-même », comment empêchera-t-il le servant de l'entendre aussi, et même les bonnes oreilles des premiers bancs? Peut-être, bien que toujours submissa voce, articulaient-ils plus fort les paroles de la consécration, comme l'ordonnait en 1515 un fameux évêque de Paris, Etienne Poncher (1). Il ne semble

 

(1) «Vous devez... prononcer nettement et distinctement...les paroles de la messe, de peur que si vous mangez vos mots en prononçant, les fidèles ne vous puissent entendre.... Nous vous enjoignons... de ne point prononcer trop bas, ni les oraisons secrètes ni les autres, en sorte que vous ne puissiez pas vous entendre vous-mêmes. » Cité par Letourneux, p. 268. Pour les paroles de la consécration, une sorte d'instinct qu'il me parait difficile de condamner sans réserve, invite certains prêtres à les prononcer, non pas à voix haute, mais assez distinctement pour qu'on puisse les entendre. Aussi longtemps que sa discipline n'est pas changée, l'Eglise ne peut souffrir qu'on ne fasse aucune différence entre le Pater, par exemple, et les autres prières du Canon. Pour les prêtres du XVIIIe siècle qui ne célébraient pas submissa voce, nous n'étions pas là. Il y avait sans doute chez quelques-uns, une affectation ridicule mais que, dans le feu des polémiques, on aura faite plus sonore qu'elle ne l'était. Est-il sûr, du reste, que la rubrique soit violée par un prêtre qui, célébrant dans une petite chapelle et devant quelques religieuses, aiderait, tout en parlant bas, son pieux auditoire à le suivre? S'il est bien que l'attention des assistants se porte sur le moindre geste du prêtre, pourquoi pas sur le demi-secret de ses paroles? « A Jérusalem au Ve siècle, aucune partie de la messe n'est secrète... (Sainte Mélanie) qui va mourir, a demandé que la messe soit célébrée dans (son) oratoire..., messe qu'elle pourra entendre de la cellule où elle est alitée ». «Comme j'offrais le sacrifice au Seigneur, raconte son biographe, et comme dans ma tristesse je disais la prière... en silence, Mélanie, qui, de sa cellule n'entendait pas, me crie aussitôt : « Dis la prière plus haut, afin que j'entende ». Ainsi fis-je, ajoute le prêtre Gérontius. N'oublions, pas que sainte Mélanie est une romaine de Rome » (Batiffol, Leçons sur la messe Paris, 1919, pp. 2o7-2o8. « Clarius jute fundere precem, ut ego audiens orationis confirmationem occipiam ». On raconte de saint Ignace que « clara vote utebatur more italico, etiam cum illam (missam) celebraret in privato sacello » (Gagliardi, cité par le P. Watrigant, Bibliothèque des Exercices, fasc. 45, p. 27. Puisque l'usage italien le voulait ainsi, pourquoi Gagliardi nous a-t-il conservé ce détail ?

 

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pas non plus que l'on doive prendre au sérieux les piteux essais de réforme qui furent tentés au début du XVIIIe siècle en vue de restaurer l'ancien usage de réciter le Canon à haute voix. Quelque innocentes qu'elles soient, et même si bienfaisantes qu'on puisse les croire, de telles innovations pouvaient d'autant moins être laissées à l'initiative d'un évêque particulier que, dans les circonstances où l'on se trouvait alors, elles prenaient un je ne sais quel air de fronde ou de défi. Dès 168o, Letourneux l'avait déclaré une fois pour toutes :

 

Il y a des personnes qui, dès qu'elles savent qu'une chose se pratiquait autrement dans les premiers siècles, condamnent aussitôt le changement qui a été fait par l'Église, se plaignent amèrement de ce qu'on ne rétablit pas l'usage ancien, et parlent souvent de la même manière que les hérétiques, qui, pour justifier leur séparation, reprochent sans cesse aux catholiques le changement qui s'est introduit en des choses qui sont purement de discipline.. Tous les enfants de l'Eglise doivent avoir ce respect pour elle de ne la condamner jamais... et, si on ne voit pas pourquoi elle a fait une telle ordonnance, (qu'on ne laisse pas) d'être persuadé qu'elle l'a faite très sagement (1).

 

A quoi bon, d'ailleurs, cette effervescence ? Et quel avantage pour les fidèles d'entendre réciter toutes les prières du Canon, dans une langue qu'ils ne connaissaient pas? Si tout ce bruit avait été autre chose qu'un monome d'étudiants, ils auraient dû demander, non pas seulement la messe à voix haute, mais la messe en langue française ; réforme qui eût alors rempli d'horreur le janséniste ou l'archaïsant

 

(1) Letourneux, op. cit., pp. 227-228.

 

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le plus forcené. Mais c'est trop nous arrêter à des anecdotes sans importance. Venons au véritable enjeu de cette controverse deux fois séculaire, je veux dire à la bataille pour ou contre les traductions de l'ordinaire de la messe (1).

 

 

(1) Dans la bataille pour le Canon à voix haute, deux épisodes principaux, qui ne sont, je le répète, qu'amusants : l'affaire du missel de Meaux, en 17o9; et celle du Missel de Troyes, en 1733; l'une et l'autre démesurément grossies par les historiens. A la seconde Dom Guéranger a consacré de longues pages Cf. aussi A. Prévost, Le Diocèse de Troyes, Domois, 1926 III, pp. 120 seq.). La première serait plus digue d'occuper un historien moins sérieux que je ne dois l'être. L'abbé Ledieu, le secrétaire de Bossuet, en est le héros. Dans le nouveau missel de Meaux, qu'il préparait déjà du vivant de Bossuet, et que le successeur de ce dernier, M. de Bissy, l'avait officiellement chargé d'achever, le subtil ou plutôt le naïf Ledieu avait fait précéder du signe R, en caractère rouge, le mot Amen qui se rencontre plusieurs fois dans le Canon, et notamment après les paroles de la consécration et de la communion du prêtre. Cette lettre, grosse d'orages, signifiait que c'était au peuple, non au célébrant, de prononcer ces Amen. D'où s'ensuivait la nécessité de réciter le Canon à voix haute. Pour que nul ne s'y trompât, Ledieu, de plus en plus subtil ou naïf, traduisait à sa façon le submissa voce de la rubrique, lequel  ne voulait plus dire : à voix basse, comme les bonnes gens l'avaient cru jusque là, mais sine cantu. Version légèrement fallacieuse aussi bien que tendancieuse, mais que l'on chuchotait déjà bien avant la malheureuse naissance du missel de Meaux. Dès 168o, Letourneux condamne les téméraires « qui croient que dire bas se peut entendre : dire sans chant». (on. cit., p, 261). Et ce fut un beau scandale. La prise de la Bastille ne fera pas plus de bruit. Pamphlets sur pamphlets. Je n'ai lu que celui de mon ami Vallemont, lequel ne vaut pas les Provinciales. Eût-il nié la présence réelle, le pauvre Ledieu n'eût pas été plus malmené: « Quoi! un simple ecclésiastique insérera ses visions dans le Canon de la messe! Que deviendrait le saint Canon, si tous les visionnaires et si tous les fanatiques y fourraient leurs additions ?... Mais, dit-il, ce n'est qu'un R rouge. C'est trop... En matière de foi et de religion, une lettre est de conséquence. L'iota, qui de toutes les lettres de l'alphabet grec est la plus petite, glissé frauduleusement par les Ariens dans le Symbole... de Nicée, ruinait la divinité du Verbe éternel, etc... » : Du secret des Mystères, II, pp. 368-369. Il va sans dire que M. de Meaux, qui avait approuvé les yeux fermés le nouveau missel, eut hâte de le condamner. « Au début du XVIII° siècle, écrit Mgr. Batiffol, il y eut en France une controverse bruyante et passionnée autour d'un nouveau missel publié par l'évêque de Meaux, qui proposait de revenir à l'usage de prononcer le Canon de la messe à haute voix. Il est incontestable que tel fut l'usage primitif... L'Eglise, en renonçant plus tard à cette observance des premiers siècles, a posé une loi, de l'autorité qu'elle a sur sa discipline... Il n'appartiendrait qu'à elle d'amender la loi par elle posée, mais nous n'y voyons aucune opportunité » (Leçons sur la Messe, pp. 317-318). Les mystiques non plus, qui savent le prix du silence. Mais les Amen ont aussi leur prix. Ces beaux Amen d'autrefois, formule si courte et si pleine d'acquiescement ou d'acclamation, et qui exprimaient si bien la part du peuple chrétien dans le sacrifice! « Cet Amen.., est la souscription que le peuple fait aux paroles du prêtre; c'est, dit saint Augustin, votre consentement et votre suffrage; c'est, dit saint Cyrille, comme le sceau de la prière... Le prêtre e parlé seul au nom de toute l'Assemblée, mais elle approuve tout ce qu'il a dit; et il ne faut pas craindre de suivre, en répondant tous Amen, cette pratique perpétuelle de l'Eglise, dont saint Jérôme dit que les cris du peuple qui faisait retentir Amen dans les églises de Rome, étaient comme un tonnerre céleste. » (Letourneux, op. cit., pp. 77-78). Ledieu n'était donc pas le diable qu'on nous a dit. Il « semblait suivre la pratique des jansénistes, écrivent MM. Urbain et Levesque, qui voulaient que le peuple s'associât plus étroitement au sacrifice de la Messe » (Les Dernières années de Bossuet, Paris, 1928, I, pp. 9-10). Qu'y a-t-il là de proprement janséniste? Et parce que le grand Arnauld faisait sa prière du matin, devrons-nous renoncer à cette pratique?... Cf. de nombreux détails sur Ledieu, et une bonne bibliographie de l'affaire des Amen, dans la notice que je viens de citer, et qui sert d'introduction à une réédition des Mémoires de Ledieu. A cette bibliographie il faut ajouter la Dissertation sur la manière de réciter le Canon, ap. Collet : Examen et résolutions des principales difficultés qui se rencontrent dans la célébration des S. S. Mystères. Paris. 1768, t. Il. Cf. aussi, dans Liturgia, Paris, 193o, le chapitre de Dom Cabrol sur les liturgies néo-gallicanes.

 

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V. - Ici nous guette le même épouvantail que tantôt, ou la même pétition de principe. Écoutons une dernière fois Vallemont. Si, écrit-il,

 

la rubrique des Missels ordonne de réciter le Canon à voix basse et secrètement, pour conserver la majesté du mystère,

 

eh! c'est précisément ce pour que vous n'avez pas justifié,

 

elle défend conséquemment de le divulguer et de le traduire en une langue populaire. La perpétuelle (!!) discipline du secret et et du silence sur ce mystère est pour le moins aussi violée,

 

évidemment, et même beaucoup plus violée,

 

par la traduction que par la récitation du Canon. Et je tire cette conséquence avec d'autant plus de confiance qu'elle est parfaitement conforme à ce que le Pape, l'Assemblée du Clergé de France, et la Faculté de Théologie de Paris réglèrent en 166o, sur la traduction du missel, faite par M. Voisin (1).

 

A la bonne heure! Voici enfin qui nous sort de tout ce verbiage sur « le secret des Mystères » et qui ramène le débat à ses justes proportions. Il s'agit ici de trancher une question de fait, et non pas de spéculer sur le pourquoi des variations liturgiques. Un seul problème : pendant que les pamphlets crépitent, pour ou contre les traductions de la messe, que pense, que veut l'Église ?

 

(1) Vallemont, op. cit., II, p. 479.

 

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Il n'est donc que trop vrai, qu'au mois de décembre 166o, Mazarino consule, l'Assemblée du Clergé de France défendit, sous peine d'excommunication, la lecture du Missel romain, mis cette année même en français, par Joseph de Voisin - quatre volumes - et approuvé - n'oublions pas ce détail qui a peut-être beaucoup d'importance - par les vicaires généraux qui gouvernaient au nom du cardinal de Retz le diocèse de Paris (1). « Les prélats non contents de défendre le livre, écrivirent à tous les évêques du royaume pour les prier d'en faire autant... et au Pape (Alexandre VII), pour l'engager à appuyer leur décision de l'autorité apostolique. Ils disent, dans leur lettre, qu'il n'y a rien de meilleur... que la parole de Dieu..; et dans un autre sens, rien de pire »... « D'où l'on doit conclure, Saint Père, ajoutent-ils, que la lecture de l'Evangile et de la Messe donne la vie aux uns et la mort aux autres, et qu'il ne convient nullement que le Missel ou le Livre sacerdotal qui se garde religieusement dans nos églises sous la clef et sous le sceau sacré, soit mis indifféremment entre les mains de tout le monde (2). » Aussi, ajoute Dom Guéranger « et pour qu'il ne manquât rien à la solennelle réprobation de l'attentat qui venait d'être commis contre le mystère sacré de la Liturgie, un Bref d'Alexandre VII du 12 janvier (?) 1661, vint joindre son autorité irréfragable à la sentence (gallicane)... Le Pontife s'exprime ainsi : « Il est venu à nos oreilles, et nous avons appris avec une grande douleur que, dans le royaume de France, certains fils de perdition, curieux de nouveautés pour la perte des âmes, au mépris des

 

(1) Joseph de Voisin, né à Bordeaux, et d'abord conseiller au Parlement de cette ville, puis, élevé au sacerdoce ; hébraïsant distingué. Une théologie des Juifs, en latin, 1647, et autres ouvrages de ce genre : de savantes notes, qu'il se peut que Pascal ait lues, sur le Pugio Fidei de Raymond Martin, 1651. Devenu prédicateur et aumônier du prince de Conti, il publia en 1672, contre l'abbé d'Aubignac, une défense du traité de ce prince contre la Comédie. Rien n'indique, sinon ces derniers détails, qu'il ait partie liée avec les jansénistes... Il meurt en 168o. Est-ce par gallicanisme, que Voisin écrit toujours Messel, et non Missel?

(2) D'Avrigny, Mémoires chronologiques, II, pp. 385-386.

 

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règlements et de la pratique de l'Église, en sont venus à ce point d'audace que de traduire en langue française le Missel romain, le mettant ainsi à la portée des personnes de tout rang et de tout sexe, et, par là, qu'ils ont tenté, par un téméraire effort, de dégrader les rites les plus sacrés, en abaissant la majesté que leur donne la langue latine, et exposant aux yeux du vulgaire la dignité des mystères divins ». Suivent de nouveaux développements, et la condamnation solennelle que Dom Guéranger a cru nécessaire de reproduire tout au long (1).

Ainsi commença, et d'une manière foudroyante, une campagne qui ne s'apaisera tout à fait qu'avec la fin de l'Ancien Régime. Évidemment ce Bref nous étonne un peu, et nous essaierions en vain de partager l'allégresse triomphante que Dom Guéranger éprouvait à le transcrire. La première idée qui vienne en de pareils cas est d'envoyer un message de détresse aux canonistes. Peut-être nous répondraient-ils d'abord que, dans n'importe quelle décision doctrinale, et à plus forte raison disciplinaire, il faut distinguer de la sentence elle-même les considérants qui l'appuient, et qu'ici, par exemple, nous ne sommes pas tenus de croire que si l'Église veut qu'on célèbre la messe en latin, c'est pour en cacher le mystère aux simples fidèles. Odiosa restringenda, diraient-il encore : la condamnation de tel missel particulier n'atteint pas d'avance tous les travaux analogues, qui, dans la suite des temps viendraient à paraîtrez. Voisin aurait pu commettre des contre-sens fâcheux, insérer des gloses suspectes. Aussi bien ne faut-il pas confondre un Missel proprement dit, et en quatre gros volumes, avec la mince plaquette où se trouverait uniquement la traduction de la messe. On doit tenir compte aussi des circonstances

 

(1) Institutions liturgiques, II, pp. 35-36.

(2) Le Bref semble bien bloquer cette échappatoire : « Missale... a quocumque conscriptum, vel in posterum alias quomodolibet conscribendum ». Mais enfin, ici encore c'est du missel qu'il est question, non de l'Ordinaire de la messe.

 

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très particulières où se trouvait le catholicisme français, depuis la propagande protestante, et de l'étrange contamination, si l'on peut dire, que cette lutte rendait presque inévitable. Il semble en effet qu'on ait associé dans une même réprobation les traductions de la Bible et celles des prières liturgiques (messe ou bréviaire). Confusion qui nous parait invraisemblable, mais que Dom Guéranger trouvait encore toute naturelle au milieu du siècle dernier. « Nous assimilerons, écrivait-il, aux versions de l'Écriture prohibées, toute traduction du Canon de la messe qui ne serait pas accompagnée d'un commentaire qui prévienne les difficultés ». Et il va même jusqu'à prétendre qu'une traduction du Canon est encore plus scabreuse qu'une traduction de la Bible (1). Mais, pas une fois, ni lui ni les autres te prennent la peine de marquer les passages de ce Canon, aussi limpide et sobre qu'auguste, d'où peuvent sourdre ces mystérieuses a difficultés », et dont les complications justifient une si vive panique (2).

Mais pas n'est besoin de tant épiloguer, s'il est vrai, comme on l'a toujours cru chez nous avant Dom Guéranger, qu'en cette circonstance, la religion d'Alexandre VII a été indignement surprise, et que le Bref n'atteint qu'un fantôme, imaginé de toutes pièces par l'astuce de Mazarin. Celui-ci, nous dit-on, « avait besoin de détourner le Pape de prendre contre lui les intérêts du cardinal de Retz, et, pour se faire un mérite auprès de ce Pape, il fit donner avis à Rome qu'il avait découvert - ce qui était une fausseté manifeste - qu'on n'avait traduit la messe en français

 

(1) Institutions liturgiques, II, pp. 56-57 : « Il suffit de se rappeler la doctrine de l'Eglise catholique sur l'usage de l'Ecriture sainte en langue vulgaire, pour se rendre rayon des motifs que l'instinct catholique avait de repousser les traductions de la Liturgie en français. Quand bien même l'Eglise jugerait à propos d'accorder indistinctement à tous les . fidèles la lecture des Livres saints... en langue vulgaire... il ne s'ensuivrait pas qu'on dût étendre cette liberté aux livres de la Liturgie. » C. Ib., pp. 167-168. Le Canon plus dangereux à lire que le Cantique, c'est vraiment à n'y pas croire.

(2) Il y a bien quelques passages difficiles - le grand Ange, par exemple, - mais sur lequel les théologiens eux-mêmes ne se trouvent pas d'accord.

 

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que dans le dessein de faire dire la messe en langue vulgaire; mais que, sans éventer ce dessein qui était encore bien caché, il empêcherait bien que cela ne fût; parce qu'il ferait en sorte, par le pouvoir qu'il avait dans le Clergé, que l'Assemblée générale qui se tenait alors (166o), condamnât cette traduction... On le remercia de son avis, et on lui promit merveille, pourvu qu'il fit avorter le dessein de dire la messe en français. Il y travailla selon le plan qu'il en avait fait. L'Assemblée, qui se tenait depuis six mois, sans avoir trouvé à redire à la traduction du missel, quoique M. Voisin leur en eût parlé, ne pensa à le condamner qu'après en avoir été sollicité, au non du cardinal Mazarin, par Ondedi, évêque de Fréjus, qui était le courtier de la vente des Bénéfices pour ce cardinal (1) ».

J'abandonne à la critique des érudits ces affirmations vingt fois répétées et qui, autant que je sache, n'ont jamais été contredites. Tout les rend infiniment vraisemblables : le duel entre Mazarin et Retz; et l'histoire trop connue, et si piteuse, de l'Assemblée de 166o ; et le ton même du Brel. Le Saint-Père veut manifestement parer à une catastrophe sans nom (2). Tout se passe, comme si on lui avait fait croire que les catholiques français, sourdement travaillés par

 

(1) Racine. Abrégé de l'histoire ecclésiastique, t. II, pp. 982-a83. Il cite les écrits du temps, Voisin lui-même et Arnauld.

(2) Ajoutez une observation qu'il est bien curieux que Dom Guéranger n'ait pas faite. La lettre du clergé de France au Pape est du 7 janvier 1661 . Le Bref qu'on vient de lire et qu'on nous présente comme une réponse à cette lettre est du 12 janvier. Cinq jours pour que la lettre arrive à Rome, et que la réponse, à savoir le Bref, arrive à Paris, même aujourd'hui ce serait trop peu. D'Avrigny nous apprend d'ailleurs, que le Bref du 12 janvier « fut suivi d'une lettre de sa Sainteté du 7 février, qui réitérait la défense de la traduction du Missel sur la demande qui avait été faite par le clergé. » (II, p. 387). Je ne vois qu'une solution possible. Deux demandes auprès d'Alexandre VII : une première dénonciation, antérieure à la condamnation du missel par l'Assemblée, et à laquelle le Pape aurait répondu par le Bref que nous savons. Puis, le livre lui ayant été dénoncé par les évêques (7 janvier), le Pape leur aurait répondu un mois après. Aussi bien le Bref ne fait-il aucune mention du clergé de France. Il ne dit pas : « Les évêques nous ont appris », mais « Ad aures nostras pervenit. » Tout nous fait donc regarder comme plus que probable l'hypothèse d'une première dénonciation, et dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle était aussi virulente que peu fondée. D'une manière ou d'une autre, il me paraît certain que Mazarin s'est joué d'Alexandre VII.

 

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Voisin et quelques autres filii perditionis, étaient à la veille de réclamer la récitation même de la messe en langue vulgaire, à quoi nul assurément ne pensait. Chantage, escroquerie, je ne sais de quel nom il faut appeler une .mystification de ce genre.

Quant aux évêques de l'Assemblée,. s'il plaît à Dom Guéranger de saluer en eux les défenseurs de la tradition, l'histoire authentique les admire moins. Sans faire ici leur procès, je me borne à constater l'étrange amnésie dont ils furent soudain frappés, lorsqu'ils écrivirent au Pape que, chez nous, jusqu'en 166o, les prières de la messe avaient été gardées u à la clef » sous un triple sceau, jalousement cachées

aux simples fidèles. L'Ordinaire avait été bel et bien traduit, et nombre de fois, et qui plus est, dès le XIVe siècle. Voyez plutôt :

 

Hanc igitur. Donc, Sire, nous tes sergens et enserrent ton saint peuple, remembrans ta benoite passion..., offrons à ta noble Majesté de tes dons que tous nous a donnés + sacrifice pur, + sacrifice saint, + sacrifice non contachié, pain saint de la vie perdurable.

Sur lesquelles choses tu daingnes regarder de cler voult et propice et les veuilles accepter aussi comme... les dons de ton sergent Abel... (1)

 

Et plusieurs autres traductions depuis, notamment celle que François de Harlay inséra dans son rituel, ouvrage chaudement approuvé, comme nous l'avons déjà vu, par toute l'Église de France. De 1651, date de cette traduction à 166o, date de la lettre des évêques sur le livre sacerdotal gardé à clef, avait-il donc passé tant d'eau sous les

ponts ?

Bref nous arrivons à des chiffres impressionnants : de 1587 à 166o, au moins cinq traductions de l'Ordinaire de la

 

(1) Batiffol. L'Ordinaire de la Messe selon l'usage de Paris. Traduction française du XIVe siècle. (Vie et arts liturgiques, janvier, février 2920.) Dom Guéranger mentionnait déjà ce texte, mais ne l'avait pas lu (Op. cit., p. 173).

 

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Messe, (1587, 1607, 1618, 1616, r651), et cette dernière, celle de Harlay, acclamée par tout l'épiscopat; au moins deux traductions du missel complet (1651, 1654, et cette dernière aussitôt réimprimée en 1655). Que de serruriers en grève et que de clefs défaillantes Et si j'ose ajouter, que d'évêques, soi-disant français, tombés chez nous de la lune, le 7 décembre 166o, pour y remonter aussitôt. Après tout, la France leur étant si inconnue, et le Mazarin ayant pour eux tant de charmes, on comprend, à la rigueur qu'ils se moquent ainsi de nous, mais non qu'ils trompent le Saint-Père. Si Alexandre VII avait su que les traductions de la messe allaient se multipliant, depuis plus de cinquante ans, dans le royaume très chrétien, il aurait peut-être maintenu sa décision, il n'aurait certaitement pas écrit que le Missel de Voisin était une nouveauté scandaleuse, novitatem istam perpetui Ecclesiæ decoris deformatricem..., schismatis... facile productricem (1).

 

(1) Ces chiffres approximatifs, Dom Guéranger les connaît aussi bien que nous, puisque c'est à lui que nous les empruntons, comme il les a empruntés lui-même aux écrits de Voisin pour la défense de son Missel. Mais il pense éluder la force d'un tel argument, en disant que ces traductions n'étaient pas destinées aux fidèles (III, p. 177). Alors, à qui donc? Il est vrai, je pense, que la plupart de ces traductions n'étaient pas précisément « portatives s, qu'elles n'ont commencé, je le crois encore, à figurer normalement dans les livres d'heures - ainsi devenus des livres de messe - que dans la deuxième moitié du XVII° siècle. Tout ceci, du reste, à contrôler par le menu. Les fidèles pouvaient donc lire le texte du Canon chez eux, avant la messe, ou après, plutôt que pendant. C'était là certes plus qu'il n'en fallait pour qu'on ne pût pas dire que l'Église leur cachait âprement le « secret des mystères ». Ici un de ces problèmes simplets, bons enfants où ne saurait s'abaisser la curiosité des vrais érudits : à quelle époque remonte l'usage de lire pendant la messe?... Voici un beau texte de 1587, dans le règlement, dressé par le P. Maggio pour les élèves des jésuites. « Ils entendront la messe chaque jour...Ils doivent alors n'avoir que leur manuel de prières, et ne pas s'en servir quand le prêtre parle à voix haute, afin de pouvoir méditer ce qu'il dit. » (Fouqueray. Hist. de la C. de J., II, p. 2o5). Le manuel dont il parle ne contenait sans doute pas l'ordinaire de la messe. Quoi qu'il en soit, Maggio - témoin considérable, puisqu'il est délégué en France par le général de la Compagnie, et puisque, manifestement, il s'inspire de ce qu'il a vu faire ailleurs que chez nous - Maggio, dis-je, comprend déjà les choses comme les comprendra Letourneux ; et comme nous les comprenons aujourd'hui. On voit, du reste, que ce problème des livres de messe intéresse directement notre présent sujet. Si les fidèles, au temps de Grégoire de Tours, ne suivaient pas les prières du Canon sur un petit livre imprimé chez Marne, cela ne prouve pas du tout que l'Église eût alors songé à rétablir la a discipline du secret ».

 

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Aussi bien l'amnésie est-elle un des privilèges de notre Église Gallicane. Nos prélats assemblée ne se rappellent que ce que l'intérêt du moment - un sourire de Mazarin ; une menace de Louis XIV, - leur fait un devoir, pressant et présent, de se rappeler; et pour l'oublier aussitôt. Les gens qu'ils tuent persévèrent à se porter le mieux du monde. Foudroyé par l'Assemblée de 166o, raconte mélancoliquement Dom Guéranger, ce Missel de Voisin « continua de se vendre publiquement... En 1662, l'audacieux traducteur publia l'Office de la Semaine sainte, qu'il fit précéder de la traduction française du Canon de la messe. Les Assemblées du clergé de 1665 et de 167o désavouèrent par leur silence la conduite des prélats de 166o; elles jugèrent, comme dit avec triomphe le docteur Arnauld, qu'il était de l'honneur du clergé de ne point réveiller une affaire si mal entreprise. » -.Eh! eh! ce n'est pas si mal dit. - « Aussi vit-on paraître en 1673 une nouvelle traduction de l'Office de la Semaine sainte, précédée comme celle de Voisin, d'un Ordinaire de la messe en français. En 168o, les traductions de l'ordinaire de la Messe en français s'étaient si fort multipliées en France, et souvent avec l'approbation d'un ou plusieurs docteurs de cette Sorbonne, qui, vingt ans auparavant, les déclarait illicites (et qui, trente ans auparavant les déclarait innocentes et louables), que Nicolas Letourneux crut pouvoir en prendre ouvertement la défense dans son livre de la meilleure manière d'entendre la messe - (ceci n'est pas tout à fait exact. Nulle part, que je sache, Letourneux ne prend la défense des traductions; il fait mieux, il les regarde comme d'un usage courant, et comme n'ayant pas besoin qu'on les défende). - Le livre parut avec privilège et avec les approbations de dix docteurs (et sans provoquer la moindre contradiction). Sur quoi, Antoine Arnauld se permet de dire, et avec raison : « Aurait-on souffert ce livre ? Aurait-il été approuvé par tant de docteurs et si généralement estimé, si le sentiment de ceux qui avaient approuvé la version du Missel n'eût depuis longtemps prévalu sur celui de l'Assemblée qui en avait

 

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condamné si durement toutes les traductions? »... Ainsi c'était en vain que l'Assemblée de 166o avait fait appel aux principes les plus sacrés contre une innovation qu'elle jugeait funeste à l'Église », et qui n'était pas une innovation (1).

Libre à Dom Guéranger de déplorer ces variations qui, du reste, le surprendraient moins s'il avait fréquenté davantage les couloirs de la Sorbonne et de l'Assemblée du clergé. Il se trompe néanmoins, me semble-t-il, lorsqu'il attribue à la pression janséniste ces attentats prétendus. Nous sommes ici en présence d'un mouvement irrésistible, dont nous connaissons la genèse déjà lointaine et dont les hommes de Port-Royal ont sans doute secondé, mais non monopolisé ni faussé l'essor. Les maîtres de la Contre-Réforme ont répété à ces générations ferventes que la messe est « le soleil des exercices spirituels »; d'autres maîtres les ont initiées plus profondément à la mystique du Saint-Sacrifice; d'autres enfin, et venus de toutes les écoles, ont restauré le sens et le goût des choses liturgiques : en fallait-il davantage pour donner à l'élite des fidèles le désir de s'unir aussi étroitement que possible à toutes les prières de la messe (2)?

Quant au bref d'Alexandre VII, on l'avait également oublié, mais tout à fait, et encore plus vite que la condamnation de 166e. a Il n'a jamais été porté au Parlement, écrit

 

(1) Institutions Liturgiques, III, pp. 187-188.

(2) Pour le P. d'Avrigny - le croirait-on? - le pire danger de ces traductions est qu'elles rendent familiers aux simples fidèles les textes de la Bible, qui abondent en effet dans les prières liturgiques. C'est encore la contamination sophistique dénoncée plus haut. En traduisant les prières de la messe par exemple, le perfide Letourneux se proposait de narguer et de tourner les défenses de l'Église. »  Les Novateurs, écrit-on, n'ont point trouvé de moyen plus sûr pour se faire réputation et insinuer ensuite leurs erreurs avec plus d'autorité que de mettre les divines Écritures entre les mains du peuple et surtout des femmes. » Ainsi avant eux, Pélage et Calvin (Mémoires, II, p. 387). Tout cela, je le répète, non pas du tout à propos de la version de Mons, mais à propos de la traduction de la messe insérée dans l'Année Chrétienne de Letourneux. Pour apprendre aux ignorants le sens du Gloria, du Credo, de la Préface, du Canon et du dernier Evangile, on est calviniste !

 

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Bossuet, ni les lettres patentes vues. On n'a eu en France aucun égard à ce bref (1). » Sur quoi Dom Guéranger se récrie et non sans raison, mais sans remarquer non plus, comme il aurait dû le faire, que Rome, où l'on ne tremblait pourtant ni devant Louis XIV, ni même devant les Assemblées du Clergé, que Rome, dis-je, ferma toujours les yeux sur une désobéissance qui n'avait certainement rien de schismatique, puisqu'elle s'ignorait elle-même en quelque sorte, et qui allait, du reste, éclater bientôt, avec une candeur désarmante, pendant les années qui précédèrent immédiatement la révocation de l'Édit de Nantes.

Au moins depuis Luther et Calvin, tout ce qui touche au langage de la prière passionne jusqu'à la troubler la conscience religieuse d'un grand nombre. Lorsque Newman, qui n'était pas un petit esprit, se convertit au catholicisme, un de ses plus grands sacrifices fut de renoncer à la splendide traduction anglicane des Livres Saints. D'où, chez les protestants français du XVII° siècle, la double difficulté qu'avaient à résoudre nos controversistes; d'abord le scandale doctrinal qu'était pour eux l'emploi du latin dans les offices liturgiques, puisqu'ils y voyaient la preuve que l'Église romaine entend cacher par là au peuple le secret de ses mystères; - scandale puéril, si l'on veut, mais que les ennemis des traductions de la messe travaillaient de leur mieux à justifier, à exaspérer (2); - puis, la répugnance toute affective qu'ils

 

(1) Correspondance, XI, p. 343. Lorsqu'il dit qu'on «n'a eu en France aucun égard à ce Bref », Bossuet constate un fait qu'il ne songe ni à louer ni à blâmer. Rien là du sans-façon gallican stigmatisé par Dom Guéranger. Celui-ci, en effet, n'a pas pris garde à la date de ce document, mai 1699, Bossuet ne fut jamais plus romain qu'en cette période mémorable où Rome condamne Fénelon, et par un Bref, qui du point de vue canonique ressemble fort, si je ne me trompe, au Bref de 1661 contre le Missel de Voisin. D'où le rapprochement qui s'est fait, dans l'esprit de Bossuet, entre les deux actes pontificaux. Il redoute manifestement que le Bref d'Innocent XII n'ait la même fortune que celui d'Alexandre VII. Dom Guéranger aurait dû tourner la page et méditer la lettre presque ultramontaine du 25 mai 1699, (Correspondance, XII, pp. 15-19) où Bossuet déclare que « de droit u, d'après les « maximes » de France, « on doit toute obéissance s à ce genre de décisions pontificales, obéissance qu'il ne songe naturellement pas à exiger pour le Bref d'Alexandre VII, mais seulement pour celui d'Innocent XII.

(2) Nous avons vu plus haut Letourneux leur reprocher et fort justement - cette énorme maladresse. Voici encore - et dans un livre de controverse dont l'auteur veut précisément défendre contre les protestants nos usages liturgiques - voici la véritable doctrine, « L'intention de l'Eglise n'a jamais été d'ôter aux fidèles la connaissance de ce qui se dit... dans la célébration de la messe. Puisque le Concile de Trente enjoint expressément aux Pasteurs... d'en instruire les peuples..., et de le faire si souvent qu'on ne puisse pas leur appliquer ces paroles d'un prophète : Lés enfants ont demandé du pain et il ne s'est trouvé personne pour leur en rompre »... On ne peut donc pas dire avec la moindre apparence de vérité que l'Eglise fait le service public en langue non vulgaire pour empêcher que les peuples sachent ce qui s'y dit... C'est une calomnie. » De l'usage de célébrer le service divin dans l'Eglise en langue non vulgaire. Paris 1687, pp. 5-55.

 

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éprouveraient eux-mêmes à user d'une langue étrangère dans leur rapports avec Dieu. De là enfin l'idée qui peu à peu se fit jour, dans notre; camp, de répandre à pleines mains, parmi les Réformés, la traduction de l'Ordinaire de la messe. C'était faire d'une pierre deux coups. Le moyen, en effet, de leur prouver plus évidemment que nous n'avons rien à cacher, et comment les apprivoiser plus suavement aux moeurs catholiques ? Via media, encore plus charitable qu'ingénieuse, et par où l'Église, sans faire aucune concession de principe, sans rien changer même à l'essentiel de sa discipline, se flattait de rendre les conversions et moins douloureuses et plus sincères : d'un côté les mystères découverts à tous les enfants de Dieu, et de l'autre, un moyen facile offert à .tous de suivre en français les paroles latines du prêtre (1).

L'idée première d'employer ce moyen à la conversion des protestants, continue Dom Guéranger, est due à Pellisson. C'est lui qui, dès 1679, « de concert avec la Cour et plusieurs évêques, avait d'abord fait imprimer et distribuer dans le royaume un Missel latin-français, en cinq volumes. La même année, il donna aussi un Ordinaire de la Messe, qui fut réimprimé, toujours dans le même but, par l'évêque

 

(1) Cf. la Déclaration donnée par Bossuet à un nouveau converti, M. de Bordes. « Je l'exhorte à lire l'Écriture sainte, et particulièrement l'Évangile, dans les versions approuvées... Je l'exhorte pareillement à lire les versions approuvées de la sainte messe, ou liturgie sacrée, et de tout l'Office divin ; et je puis l'assurer par avance qu'il trouvera une particulière consolation dans cette lecture, et qu'il admirera la sagesse qui anime le corps de l'Église, dans la distribution des divers offices, où tous les mystères de l'Ancien et du Nouveau Testament... sont célébrés et renouvelés ». Correspondance, III, pp. 163-165.

 

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de Saintes en 1681. Cette mesure fut déployée avec un luxe extraordinaire, quand l'édit de révocation, qui date de 1685, eut été publié. François de Harlay, par ordre de Sa Majesté, décréta, à cent mille exemplaires, l'impression des Heures catholiques précédées de l'Ordinaire de la Messe en français. Peu après, cent mille autres exemplaires de l'Ordinaire seul sortirent des presses de Martin et Muguet, imprimeurs à Versailles. Tout cela, disait-on, devait produire de grands effets. » Eh! pourquoi donc pas! Que voit-il de si naïf dans cette espérance? Les évêques pensaient que, pour convaincre les esprits et toucher les coeurs, l'Église n'a pas besoin de dragons. Peut-être encore se rappelaient-ils qu'un plus grand que l'Assemblée de 166o avait ordonné à ses apôtres de prêcher sur les toits ce que des catéchismes plus intimes leur avaient appris. Il ne semble pas non plus que Dom Guéranger soit dans le vrai, lorsqu'il se plaint qu'une telle mesure ait été « mise à exécution, sans le consentement du Saint-Siège, qui, assurément, ne l'eût pas sanctionnée ». Personne alors n'imagina que Rome pût désapprouver cette pacifique propagande. Pense-t-on que le Saint-Père l'ait ignorée, ou bien qu'il n'ait pas eu le courage, sinon de la condamner solennellement, au moins d'en limiter le méfait, et d'en prévenir les conséquences?

Il est, d'ailleurs, évident, et Dom Guéranger l'avoue lui-même, que cette mesure « émancipait désormais tous les catholiques de France de l'obligation qu'on leur faisait en 166o d'apprendre la langue de l'Église, s'ils voulaient lire le Canon (1). » Le moyen de refuser au frère aîné ce qu'on avait accordé si publiquement et si libéralement au prodigue ? Pouvait-on même imaginer ce renversement prodigieux de la discipline primitive; les protestants de la veille, traités comme jadis les « initiés » : les catholiques de toujours comme les païens?

Et cependant, loin de s'apaiser enfin, cet invraisemblable

 

(1) Institutions liturgiques, III, 19o-191.

 

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débat va rebondir de plus belle, surexcitant, déchirant pendant plus d'un demi-siècle, non seulement, comme jadis, les professionnels des querelles doctrinales ou dévotes, mais la France entière. A qui la faute ? Aux jansénistes, peut-être, qui opposaient triomphalement aux condamnations antérieures, dont personne ne parlait plus, les cent et cent mille traductions de la messe, partout répandues avec l'approbation de tout l'épiscopat; mais bien plus encore, il faut le dire, aux controversistes orthodoxes, assez maladroits pour faire le jeu de l'adversaire, en identifiant contre l'évidence même, une cause irrémédiablement perdue – le secret des mystères - avec la cause même de l'Église. Cause perdue! Qu'auraient-ils pu répondre en effet, je ne dis pas de péremptoire, mais de raisonnable, à ces paroles toutes chrétiennes, toutes catholiques, d'un des chefs de l'opposition à la Bulle Unigenitus, M. de Caylus, dans son mandement pour le carême de 1751.

 

Comment les docteurs.., peuvent-ils croire honorer Dieu et suivre l'esprit de l'Église, en condamnant ses enfants à ignorer ce que le prêtre dit et fait pour eux à l'autel ; et en leur faisant un secret, dans lequel il leur soit défendu de pénétrer, de cette action si sainte et si auguste, à laquelle ils ont tant de part? Il n'y a rien dans tout ce que l'Église fait observer et prononcer au prêtre, dans tout le saint sacrifice, qui craigne le grand jour et dont elle puisse rougir; ce n'était qu'aux infidèles et aux ennemis qu'on cachait ce mystère dans les premiers siècles.

 

Que répondre, sinon recourir à de vieilles insinuations que ces polémistes eux-mêmes ne pouvaient prendre au sérieux que s'ils avaient tout à fait perdu la tète : sa traduction de la messe en main, chaque fidèle se croira revêtu de la grâce du

sacerdoce! Caylus cite un texte des Méditations de Bossuet (1), et il continue :

 

C'était à des religieuses que ce savant prélat donnait ces instructions ; pourquoi les simples fidèles n'y apprendraient-ils pas le droit qu'ils ont d'offrir l'adorable sacrifice avec le prêtre

 

(1) La Cène, Ire partie, LXIII°  jour.

 

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et par son ministère ? Que peuvent-ils craindre, en s'unissant au prêtre et en exerçant ainsi, sans sortir du rang inférieur qu'ils occupent dans l'Eglise, la portion honorable que Jésus-Christ a bien voulu leur accorder dans son sacerdoce spirituel?... On vous dira peut-être,

 

on le disait, en effet, et on le criait ;

 

« que nous voulons égaler les laïcs aux prêtres, leur attribuer le même pouvoir par rapport au Saint Sacrifice, et leur faire dire la messe ». Ce sont là des conséquences fausses, odieuses, calomnieuses de la doctrine que nous venons de vous exposer.... Nous ne connaissons personne dans l'Eglise qui attribue aux laïcs le pouvoir de célébrer les saints mystères (1).

 

«Calomnieuses », bien évidemment, mais aussi maladroites, et deux fois inefficaces, puisque, en prêtant aux anti-constitutionnaires des absurdités que nul d'entre eux n'avait jamais soutenues, on leur permettait de croire qu'on les calomniait également sur tout le reste. Quel besoin d'étendre ainsi la dispute? Révoltés contre la Bulle Unigenitus, pourquoi les accuser de tout renier de nos dogmes? Ainsi jadis prétendait-on que le grand Arnauld ne croyait pas à la présence réelle. On aurait néanmoins joué sur le velours, si jadis on avait limité le débat aux cinq propositions manifestement hérétiques, et plus tard au refus d'accepter une Bulle solennelle qui, même selon les maximes du temps, était infaillible, puisque l'immense majorité de l'épiscopat y avait souscrit. La bulle s'était bien gardée de réveiller l'affaire des traductions. Mais c'était l'heure de la frénésie et des convulsions, une heure qui devait durer longtemps. Encore n'ai-je pas dit le plus humiliant, le plus douloureux.

le plus incroyable : la Saint-Barthélémy des traductions de la Messe. Dom Guéranger ne recule pas devant le récit de ces prouesses, qui, d'ailleurs, semblent le combler. « Dans le cours du XVIIIe siècle, écrit-il, on vit les prêtres et les religieux qui avaient loyalement embrassé la cause de la foi

 

 

(1) Mandement de Mgr l'évêque d'Amiens pour le carême de 1751, Amiens.

 

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dans la question de la Bulle, réagir en grand nombre contre l'envahissement des traductions de la Liturgie, mais principalement de l'Ordinaire de la Messe. Le journal de la secte (Les Nouvelles Ecclésiastiques) ne laisse pas une année sans émettre des réclamations contre les entreprises des missionnaires en cette matière. Ainsi, en 1728, il dénonce la mission donnée à Chartres par les jésuites, dans laquelle le savant Père de Tournemine avait prêché contre la traduction de l'Ordinaire de la Messe... En 2733, elles dénoncent les jésuites de Langres, comme coupables d'avoir ôté l'Ordinaire de la Messe aux Ursulines de cette ville. L'évêque de Laon comparaît l'année suivante, comme l'avant fait déchirer en tête des Heures... qui se trouvaient entre les mains des religieuses de la Congrégation. Dans le même moment, ainsi que nous l'apprend la feuille janséniste, les jésuites, après une mission... à Ribemont, allèrent par les maisons de la ville déchirer dans les livres qui la contenaient la traduction de cette même prière liturgique... Nous ne pousserons pas plus loin cette investigation chronologique, elle suffira pour montrer à quel point les deux partis, celui de la foi et celui de l'hérésie, se trouvaient en présence sur cette question, et combien il a fallu de temps et d'efforts pour en venir à l'indifférence qui règne aujourd'hui sur les versions de la Liturgie » (1). Comment ne voit-il pas que la seconde partie de sa conclusion détruit la première, je veux dire que, si l'indifférence règne aujourd'hui sur cette question, c'est une preuve décisive que la foi ne s'y trouvait intéressée d'aucune manière, la foi qui ne souffre pas les rouilles de la, prescription, et qui ne saurait passer l'éponge sur la moindre des erreurs doctrinales ? Contraste pitoyable, mais encore plus décisif : avant-hier ces traductions du Canon traquées par des prêtres et par la police ; ces oratoires, ces prie-dieu fouillés; ces pages qui n'ont commis d'autre crime que de mettre à la portée de qui ne sait pas le latin, la plus auguste, et certes la plus

 

(1) Institutions, III, pp. 2o8-2o9.

 

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inoffensive des prières, ces pages arrachées, déchirées, piétinées, jetées au feu comme des livres obscènes; aujourd'hui, au contraire, ce même Ordinaire de la Messe, traduit dans toutes les langues connues, tiré à plusieurs milliards d'exemplaires, chaudement recommandé à tous par les évêques et par le Saint-Siège (1).

 

(1) Il est trop évident que, dans une foule de cas, ces traductions n'étaient plus qu'un symbole, comme une cocarde arborée par les révoltés. Mais justement l'énorme sottise fut alors de permettre et de canoniser le choix de cette cocarde. Lisez le Canon tant que vous voudrez, fallait-il dire aux Ursulines de Langres, mais cessez de vous insurger contre la Bulle. Ai-je besoin d'ajouter que Dom Guéranger n'a jamais déchiré ou jeté au feu un seul exemplaire du Canon traduit. II se résigne bravement à l'inévitable. Au reste on n'imagine pas la vigueur, la verve, la prodigieuse souplesse avec lesquelles il mène cette bataille qu'il savait parfaitement perdue d'avance - si Pergama dextra... - et qu'au moins son inconscient n'aurait pas voulu gagner. Le malheur a voulu d'abord qu'il ait été littéralement obsédé par le jansénisme dont il exagère sans mesure et l'influence et les méfaits; ensuite qu'il ait identifié deux affaires voisines en vérité, mais disctinctes, celle des traductions et celle des réformes proprement liturgiques des XVIIe et XVIIIe siècles. Je crois aussi que son imagination si vive et si profondément catholique a été fascinée - et pour toujours - par la théorie débile mais étincelante du « Secret des Mystères ». Et je le comprends d'autant mieux que j'ai moi-même été d'abord hypnotisé par cette vision. Je me rappelle avec quelle fièvre - il y a bien longtemps, - ayant vu scintiller dans un catalogue le titre de Vallemont, j'attendais de tenir enfin ce livre, que j'avais aussitôt demandé, et je me rappelle aussi avec quelle colère j'eus vite constaté que ce Vallemont était un niais, et le « secret des mystères » un véritable bluff - si j'ose ainsi m'exprimer - un bluff, non seulement historique, si j'ose encore ainsi dire, mais philosophique. De bonne foi, qu'est-ce qu'un secret qui se laisse découvrir par un collégien de 5e?. Fort curieusement, Dom Guéranger ne capitulera jamais, je crois, sur ce point. « L'esprit de l'Église, écrit-il..., jusqu'à la fin des siècles sera de traiter avec mystère les choses saintes » (III, p. 21o). Avec mystère, c'est-à-dire avec religion, qui peut le nier? Mais non pas avec secret, au sens que Dom Guéranger donne à ce mot. « Il faudrait, dit-il encore et excellemment, il faudrait un volume entier pour mettre dans tout son jour à l'usage des fidèles même intelligents tout ce que l'Ordinaire de la messe renferme de profondeur dans la diction, d'allusions dans les images et le choix des termes, de dogmes en action souvent dans une seule phrase, de formes empruntées partie à la langue latine des deux premiers siècles..., partie au génie des saintes Ecritures. Nous convenons volontiers que cette formule, éclaircie sous ces divers points de vue à la fois, serait d'un grand secours pour aider les fidèles à s'unir au prêtre... ; mais peut-on se promettre de voir arriver le commun des fidèles à cette intelligence d'un texte si profond, lorsqu'il n'est pas rare d'entendre des prêtres mêmes convenir que les prières de l'Oblation et du Canon ne sont pas pour eux sans obscurité ». (Ib., pp. 214, 215). Ici, comme toujours, il nous souffle la réponse. Car enfin, de ce raisonnement, il devrait conclure que le « Secret des Mystères e ne doit être révélé qu'au très petit nombre de prêtres capables de réaliser « tout ce que l'ordinaire de la messe renferme de profondeur », à Dom Cabrol, par exemple, à cinq ou six autres. Et puis, ce qu'il dit du Canon. il pourrait aussi bien le dire de toutes les prières de la messe; le premier venu s'assimile-t-il la splendeur des Introït. du Gloria, etc.., etc..? Il pourrait le dire de n'importe quelle page du catéchisme.

 

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VI. - Il est bien tard pour discuter les chemins de fer lorsque déjà les trains roulent. Les théoriciens du « secret », ivres de spéculation, ne prenaient pas garde à un fait nouveau qu'ils pouvaient déplorer tout à leur aise, mais qu'ils ne changeraient pas, .à savoir la naissance du « livre de messe (1) ». Les érudits nous raconteront les débuts et la diffusion croissante de ces manuels destinés à une si triomphante fortune; et la psychologie religieuse se demandera si ce fut là, de tous points, un vrai progrès. Pour ma part je n'en suis pas sûr, j'ai peur que le livre ne devienne une sorte d'écran, et assez opaque, entre le fidèle et l'autel d'abord, puis entre le fidèle et ses frères, le livre, dis-je, qui ne stimulant d'abord que nos facultés de connaître et de sentir, menace peut-être de gêner plus ou moins l'essor des activités de prière, surtout de celles de ces activités que la liturgie a pour but de mettre en branle et de diriger (2). Quoi qu'il en soit, la mode ayant prévalu, il est trop évident que

 

 

(1) Du livre de messe au sens moderne du mot, c'est-à-dire imprimé, mis à la portée de petites bourses, et lu à la messe même par ceux des fidèles qui savent lire. Il y a là une évolution significative, le fait, par exemple, tout moderne, d'ajouter l'ordinaire de la messe aux éditions populaires de l'Imitation. Le mot lui-même livre de messe, quand est-il entré dans l'usage? Chez les Anglais peut-être plus tôt que chez nous; cf. le Lay Folk's Mass Book. Il va sans dire que je parle de ces choses comme un aveugle des couleurs, me bornant à une constatation qui est plus de ma compétence, à savoir, la place de plus en plus grande faites aux prières de la messe dans les manuels de piété; évolution qu'on pourrait presque suivre pas à pas, du début à la fin du XVII° siècle.

(2) « La lecture du Missel, très belle pour qui peut la comprendre, dépasse de beaucoup la portée des enfants. Et nulle traduction n'a jamais rendu ni la saveur ni l'harmonie ni même le sens (?) de nos oraisons... Pourquoi chercher l'union au prêtre dans les formules seulement et dans les idées, si les enfants n'y réussissent pas, au lieu de la chercher d'abord dans les gestes et dans les symboles où ils excellent? » Cf. L'article déjà cité de M. Gellé, Vie et Arts catholiques, avril 1922, p. 278. Puis-je flairer un arrière-soupçon d'esthétisme dans ce qui est dit ici de l'intraduisibilité de nos oraisons? J'en parle avec d'autant plus de liberté que toute traduction des pièces liturgiques en français moderne m'est insupportable. Mais si je savais mieux le grec, ce latin me serait moins cher. Il me semble que saint Augustin se reproche quelque part une faiblesse du même genre. D'ailleurs où nous arrêterons-nous dans cette voie. En dehors du Canon, qui n'avait pas encore son auguste patine, lorsqu'on l'entendit réciter pour la première fois, toutes les collectes ne sont pas également savoureuses, de beaucoup s'en faut. J'en pourrais citer qui me déchirent l'oreille et les lèvres, quand je les prononce. Quoi qu'il en soit, M. Gellé m'avouerait bien sans doute, au moins tout bas, que, dans la première paroisse venue, assez nombreux sont les enfants de cinquante ou soixante ans, à qui la splendeur du Canon - traduit ou non, - n'est pas moins inaccessible qu'aux premières communiantes, J'emprunte encore à ce même article quelques lignes où M. Gellé met, si j'ose dire, le doigt sur la plaie essentielle. Beaucoup trop, écrit-il, « conçoivent la prière (même liturgique) comme un exercice spirituel, une ascèse de l'imagination, de la mémoire...» Ib., p. 277.

 

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le « secret des mystères » s'il avait jamais vécu, ne pourrait plus lui survivre, ces livres n'ayant d'autre raison d'être que d'aider les fidèles à suivre ce qui se dit et ce qui se fait à la messe. D'où le problème beaucoup plus sérieux qu'avaient à résoudre les initiateurs de cette littérature nouvelle : quel est le moyen le plus efficace d'initier la foule chrétienne au mystère de la messe? C'est qu'en effet la solution simpliste où plusieurs - les jansénistes notamment - voulaient qu'on s'arrêtât, je veux dire la traduction pure et simple, n'est pas nécessairement la meilleure. A la traduction, d'autres, plus sages peut-être, préféraient une paraphrase courte, qui, tout en livrant aussi bien que la traduction, l'essentiel du prétendu secret, le rendrait plus accessible et à l'intelligence et à la dévotion des simples. Nous opposions tantôt les aristocrates du secret aux démocrates de la traduction. Ce n'était qu'à moitié juste, ces démocrates prétendus ne jugeant les besoins du peuple que d'après leurs propres goûts qui sont assez raffinés. Bon gré, mal gré, le Canon est une pièce archaïque, une prière de luxe si j'ose dire, et presque aussi peu accessible qu'une tragédie d'Eschyle aux ignorants d'aujourd'hui. Dom Guéranger a sur ce point, des. vues qui heurtent d'abord; notre culture d'aujourd'hui, mais qui me paraissent assez justes. Le Canon, dit-il, « cette formule solennelle et mystérieuse..., rédigée dans la plus haute antiquité, n'est point en rapport avec les expressions en usage aujourd'hui dans la piété privée. Pleine de gravité et revêtue d'un caractère officiel, elle n'a point ce genre d'onction à la portée de tous que l'on recherche. dans les

 

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prières... et, plus d'une fois, nous avons entendu des fidèles convenir qu'ils avaient peu de goût à le lire pendant la messe (1) ». II est assez piquant de voir le grand restaurateur de la liturgie, se faire ainsi en quelque façon l'avocat du diable; car enfin ce qu'il dit ici du Canon n'est pas moins vrai de presque toutes les autres formules. On pourrait lui répondre, et non sans quelque vraisemblance, que précisément un des avantages de ces textes, plus romains que romantiques, plus augustes que dévotieux, est de nous donner le ton de la vraie prière. Mais il nous répondrait à son tour, j'imagine, qu'il faut prendre les âmes telles qu'elles sont, et leur offrir, même un peu mêlée, la nourriture spirituelle qui leur convient, tout en essayant d'exciter chez elles l'appétit d'une nourriture plus forte, et, pour dire le vrai mot, plus saine (2).

Quoi qu'il en soit, je crois bien que, pendant tout l'Ancien Régime, on a communément préféré la paraphrase à la traduction littérale, soit pour les raisons que je viens de dire, soit aussi pour respecter le plus possible l'esprit des défenses antérieures. On donnait par là satisfaction à tout le monde. Les fidèles ne pouvaient plus se plaindre qu'on leur dérobât celui de tous les secrets qu'il leur est le plus précieux de connaître, et, d'un autre côté, on se distinguait des novateurs; on ne leur permettait pas de faire sonner trop

 

(1) Institutions Liturgiques, III, p. 214.

(2) On voit bien que, dans le texte que je viens de citer, Dom Guéranger abandonne implicitement sinon sa thèse elle-même, -défense de traduire le Canon - au moins les seuls arguments qu'il ait pu apporter à l'appui de sa thèse, à savoir la nécessité de cacher aux fidèles « le secret des mystères ». Plus loin, il accepte également « que l'on publie pour l'usage des fidèles quine... possèdent pas (la langue latine) des exercices... qui les mettent plus en rapport avec l'esprit des formules que récite le prêtre...; que, selon la prescription du Concile de Trente, on explique du haut de la chaire, dans le plus grand détail tout ce que dit, tout ce que fait le sacrificateur à l'autel » (III, p. 215). Entre expliquer le Canon « dans le plus grand détail, et le traduire, il n'y a plus manifestement qu'une différence de pure forme. Si loi il y a, on tourne la loi. Quant à cette demi-préférence accordée aux prières de dévotion elle nous étonne certes sous la plume de Dom Guéranger, comme ferait, sous la plume de Huysmans, un panégyrique de l'art « Saint Sulpice ».. N'oublions pas toutefois que si aujourd'hui beaucoup de fidèles hésiteraient à dire que le texte du Canon les laisse froids et inertes, c'est un beau progrès.

 

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haut leur victoire. Ce compromis, se trahit avec une candeur assez amusante dans le traité du P. Judde que nous avons déjà cité, au début de notre chapitre. Il propose

deux méthodes pour bien entendre la messe :

 

Première méthode : Suivre le prêtre du commencement jusqu'à la fin.

Seconde méthode : Entrer dans le sens de tout ce que dit le prêtre, sans suivre exactement ses paroles (1).

 

A la traduction il préfère donc la paraphrase; mais une paraphrase si rigoureuse qu'elle ne laisse pas tomber une seule parcelle « du sens de tout ce que dit le prêtre », et en même temps si timide, qu'elle évite comme le feu, de ressembler à une traduction littérale. Encore La Fontaine : Je suis oiseau, voyez mes ailes ; je suis souris, vivent les rats; Jupiter confonde les chats, c'est-à-dire les jansénistes.

Cette évolution, que je résume en deux mots, a pris beaucoup de temps et, si je ne me trompe, elle ne s'achève qu'avec le dernier tiers du XVII° siècle. Dans le Trésor de Jean de Ferrières, recueil fort curieux et qui nous occupera plus tard, on ne trouve pas une seule prière à réciter pendant la messe; pas davantage dans le recueil beaucoup plus copieux de Godeau (1646). Suffren (1643) a bien une longue méthode, mais destinée exclusivement au prêtre. Dans la formule très sommaire qu'il propose aux simples fidèles - mélange de directions et de prières - il lui arrive de traduire d'assez près telle phrase du Canon. A mesure que cette production se fait plus abondante, on y remarque nombre de prières avant et après la communion, mais de la messe elle-même il est à peine parlé. Enfin, paraissent en 1677 les Courtes Prières durant la sainte Messe, que Pellisson avait d'abord composées pour son propre usage, « puis, publiées, en vue des conversions, à cent mille exemplaires (1). » Hélas, je n'ai pas encore pu mettre la main

 

(1) Judde, op. cit., V, pp. 396-98.

(2) Marcos, Pellisson, Paris 1859, p. 396. Tout me fait croire qu'il ne faut pas confondre les Courtes Prières, qui ne sont qu'une paraphrase, avec la traduction de l'Ordinaire de la Messe, publiée vers le même temps, grâce en partie à Pellisson lui-même, et également tirée à un si grand nombre d'exemplaires, comme nous l'avons rappelé plus haut. La Bibliothèque du Protestantisme français ne possède aucun exemplaire, ni de ces traductions, ni des Courtes Prières. Marcou dit avoir vu à la Bibliothèque impériale une réédition des Courtes Prières, publiée en 174o. J'ai été moins heureux que lui. Il y a là un écheveau de problèmes bibliographiques dont on voit bien l'extrême intérêt, mais que je n'ai pu débrouiller.

 

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sur les Courtes Prières, sans doute un des plus anciens modèles de l'abondante littérature qui présentement nous intéresse, ou, ce qui est plus humiliant pour un critique, je n'ai pas su les reconnaître quand j'ai eu le bonheur de les rencontrer sous une robe étrangère. En 1693, M. Bellissime - quel nom! - docteur en théologie, et curé de Saint-Galmier, donnait son approbation au livre d'Antoine Montagnon qui a pour titre : Méditations sur la Passion de N.-S. Jésus-Christ (1) : livre qui n'est pas sans intérêt, mais qui d'abord me fascina par les admirables prières pour la messe qu'on y peut lire. Jugez-en plutôt :

 

Kyrie. Quand je vous dirais à tous les moments de ma vie, Seigneur ayez pitié de moi, ce ne serait point encore assez pour le nombre et la qualité de mes fautes.

Christe. Quand vous ne m'écouteriez point, Seigneur, je crierai sans cesse et à chaque moment, d'une voix plus forte et plus haute, comme la Cananéenne et comme les aveugles de Jéricho : Fils de David, ayez pitié de moi; jusqu'à ce que vous ayez fait cesser tous mes maux et guéri l'aveuglement de mon âme.

Kyrie. Quand vous me rebuteriez mille fois, Seigneur, juge très juste, mais très pitoyable, je vous presserai à toutes heures de mes cris....

 

Et me voilà tout ravi d'avoir découvert une nouvelle étoile, Antoine Montagnon. Ma honte, je le répète, est de n'avoir pas deviné sur l'heure que, de son vrai nom, l'auteur

 

(1) Méditations sur la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ... Huitième édition, augmentée des prières pour la messe... par un Solitaire, Lyon, 1762. Bellissime nous apprend le nom de ce pieux solitaire : Antoine Montagnon, prêtre et sociétaire de l'église paroissiale de Saint-Galmier.

 

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de cette paraphrase, s'appelait Paul Pellissen (1). Par bonheur, je rencontrai peu après chez le P. Judde des formules presque toutes semblables, mais restituées, cette fois, à l'Académie française.

 

D. De qui sont les prières que vous voulez nous enseigner pour nous initier à la « seconde méthode » (promise plus haut)?

R. S'en ai tiré une assez bonne partie de  celle de M. Pellisson. M. Pellisson était né calviniste. Depuis sa conversion, il eut an grand zèle pour ramener ses frères égarés, et ce  fut à l'occasion de la révocation de l'Édit de Nantes (non, un peu plus tôt., que, pour l'instruction et la consolation de tant de nouveaux convertis, il composa des prières pour le temps de la messe. M. Pellisson était très savant, avait beaucoup d'esprit et était un des premiers membres de l'Académie française, dont il a écrit l'histoire, qui est fort estimée; on trouvera dans ces prières, une espèce de petit commentaire qui explique les endroits obscurs (??) des prières ordinaires de la messe, et qui en résout plusieurs difficultés (2).

 

Ainsi deux auteurs dévots - et dont l'un est jésuite - qui, ayant à dresser une méthode pour la messe, ne trouvent rien de mieux  que de  s'approprier la paraphrase d'un huguenot converti : n'est-ce pas un symbole aussi charmant qu'imprévu de la communion des saints?

Le beau passage que nous en avons cité montre suffisamment et l'exactitude foncière et la touchante liberté de cette paraphrase. Ces mots grecs neuf fois répétés n'impliquent-ils pas, en effet, de la part de celui auquel ils s'adressent, une sorte de surdité feinte, et de la part de celui qui les répète, l'heureuse impossibilité de croire à celte apparence? « Quand vous ne m'écouteriez point,  Seigneur.... » Et, dans ce Kyrie paraphrasé, comment ne pas reconnaître la confiance aussi humble qu'invincible

de la Chananée? Si limpides qu'un enfant peut les

 

(1) Je suis d'autant plus inexcusable que l'honnête Montagnon a conservé jusqu'au titre de Pellisson : Courtes prières durant la Sainte Messe. (Méditations sur la Passion, p. I-V)

(2) Judde, Op. cit., pp. 398-399

 

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entendre, ces formules n'en sont pas moins d'une densité merveilleuse. Dans la paraphrase du Credo, presque aussi courte que le texte, on trouve, avec quelques-unes des raisons de croire, une description de l'âme croyante.

 

Je crois, Seigneur, suppléez à mon incrédulité. J'adore tout ce que j'entends de ces mystères adorables, et tout ce que je n'y entends pas. Puisque mes lumières sont si bornées et que je me connais si peu moi-même, je comprends, Dieu infini, qu'il n'est ni juste ni possible que je vous comprenne tout entier.

Vous m'avez convaincu par votre grâce, et de la sagesse, et de la sincérité de ceux par qui vous nous avez annoncé ces divins mystères. Le succès miraculeux leur sert de preuve ; ils touchent mon coeur. Où irais-je, Seigneur, vous avez les paroles de la vie éternelle ?

 

De cette dernière phrase, voici la version du P. Judde :

 

Vous m'avez convaincu... et de la sagesse et de la sincérité de ceux... le monde les a crus; ce serait le plus grand des miracles s'il les avait pu croire sans miracle. Et où irais-je, Seigneur, pour trouver plus de sûreté? Si j'étais trompé, ce serait vous qui m'auriez trompé.

 

Ce redoublement, qui me semble interpolé, a peut-être pour raison l'incrédulité grandissante de l'époque où écrit le P. Judde, quelque trente ans après Pellisson. Par où l'on voit que, ces textes appartenant à la communion des sainte, ceux qui se les approprient les adaptent sans scrupule soit à leur dévotion personnelle, soit aux besoins du moment, et par où l'on voit aussi que l'étude comparée de ces reproductions successives n'est pas sans intérêt pour l'historien. Ils continuent tous deux :

 

PELISSON-MONTAGNON

 

Ma raison et ma volonté ne douteront point, quand ma chair et mon imagination viendraient à douter. Je ne vous demande pas de transporter les montagnes. Quelque petite que soit ma foi, puisqu'elle est véritable et sincère, daignez l'accepter, Seigneur. Ne brisez point le roseau cassé, n'éteignez point le lumignon qui fume. Je crois, Seigneur, suppléez à mon incrédulité.

 

PELISSON-JUDDE

 

Quand donc mes sens et mon imagination viendraient à douter, ma raison et ma volonté ne douteront jamais; mais faites que je comprenne à quoi m'oblige la loi d'un Dieu, si grand par lui-même, et réduit à des traitements si indignes. Je crois, Seigneur, mais fortifiez mon peu de foi; fortifiez autant ou plus mon peu de force et de courage.

 

 

 

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La première version parait plus tendre, moins raisonneuse que la seconde. On voit, du reste, que dans celle-ci, on tâche de rejoindre le texte même du Credo, en rappelant d'un mot la grandeur de Dieu et les souffrances de la Passion. La paraphrase de Pellisson est plutôt une prière en marge du symbole, une variation pieuse autour du symbole, qu'une paraphrase proprement dite. Les premières Iignes du Suscipe tiennent davantage de la paraphrase explicative, voire théologique, et, de ce chef, on les trouvera, je crois assez remarquables

 

Recevez, Père éternel, notre sacrifice ;

 

Judde, plus précis :

 

Recevez, Père adorable, les commencements de notre sacrifice;

 

Montagnon reprend :

 

ce n'est encore que du pain que nous vous offrons; mais il va bientôt devenir ce qu'il représente.

 

Comme c'est bien dit ! et combien n'est-il pas utile que cela soit dit !

 

Et de cette hostie pure et sans tache que vous nous avez demandée,

 

Judde, et non sans raison, je crois, laisse tomber cette incise,

 

vous allez faire, par un miracle..., l'hostie éternelle et sainte qui

 

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s'est offerte elle-même à vous pour le salut de tous les fidèles,. absents et présents, vivants et morts (1).

 

Puis ces nobles lignes, où l'on sent frissonner encore les anciens doutes du protestant converti :

 

Ne regardez point, Seigneur, à notre misère, que pour en être touché de pitié ; ni à ce sacrificateur mortel et pécheur, incapable de demander pardon pour nous qu'après l'avoir demandé pour lui-même; mais au Sacrificateur éternel, dont il n'est que l'ombre et que l'image, qui, n'ayant en lui ni offense ni négligence à excuser devant vous, ne vous prie que pour nos besoins et pour nos fautes.

 

A qui met au-dessus de presque tout l'intérêt des limes simples, est-il défendu d'estimer que ces formules sont peut-être préférables à une traduction littérale du texte latin ? Le grand Arnauld, s'il me lisait, se voilerait ici la face, mais je crois que François de Sales me laisserait dire . Voici, du reste, la traduction, excellente, mais un peu rigide ou hiératique, de Letourneux.

 

Recevez, o Père saint, Dieu éternel et tout puissant, cette hostie sans tache, que j'offre, moi qui suis votre serviteur indigne, à vous qui êtes mon Dieu vivant et véritable, pour mes péchés, mes offenses et mes négligences qui sont sans nombre, pour tous les fidèles chrétiens vivants et morts, afin qu'elle profite à eux et à moi pour le salut et la vie éternelle.

 

Est-ce méconnaître la majesté des formules sacrées que de préférer à cette pierre massive, rugueuse, inerte, le cristal harmonieux et le mouvement pathétique de la paraphrase. Pour le texte latin, il ne paraît pas que Pellisson en ait rien sacrifié. Bien que fille de M. d'Ablancourt ou de. M. Patru, cette « belle » «n'est pas infidèle »; et puisqu'enfin ce n'est plus le prêtre qui parle ici, mais l'assistance, qui n'admirera la merveilleuse transposition du

 

(1) Judde : « absents ou présents, vivants ou morts » ; le et de Montagnon, qui est plus dans la manière de Pellisson, me semble préférable.

 

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quam ego indignus famulus tuus, devenu, grâce à Pellisson : « Ne regardez

point, Seigneur... à ce sacrificateur mortel? »

Il n'est pas nécessaire d'en dire plus long, puisque nous aurons plus tard l'occasion d'étudier le don si rare, qu'avait Pellisson de marier la langue française à la prière. Mais, avant de fermer ce petit livre, donnons une dernière preuve du souci doctrinal qui reste un de ses mérites principaux :

 

Le prêtre rompt l'hostie… (Haec commixtio) : Faites bien entendre Seigneur, à notre esprit et à notre coeur, par le mélange des symboles sacrés, que, si votre corps et votre sang ont été séparés pour nous, ils sont maintenant réunis et inséparablement joints ensemble pour nous, sous le voile terrestre qui les cache à nos yeux.

 

Puisque un hasard, à peine guidé, nous a fait rencontrer coup sur coup,deux rééditions des Courtes prières - Montagnon et Judde - il est probable que d'autres compilateurs auront aussi jugé que ce petit chef-d'Oeuvre était de bonne prise. Mais, après ces deux versions, l'une de 1693, l'autre à peine postérieure peut-être - et qui peut-être ne fut éditée que longtemps après, - j'ignore tout de sa carrière posthume. Je crois néanmoins que la paraphrase de Pellisson aura bientôt cédé la place à une autre paraphrase, celle du P. Nicolas Sanadon, indéfiniment reproduite depuis deux siècles, dans nos livres de messe, et que nombre de fidèles récitent encore aujourd'hui. Plusieurs de ceux qui me lisent la savent par coeur, mais sans peut-être se douter que, bien avant la mort de Louis XIV, elle était déjà connue du peuple chrétien. La première édition du recueil, où elle se trouve, semble-t-il, pour la première fois - Prières et instructions chrétiennes, par le P. N. Sanadon s. j - est en effet de 1701. Nicolas Sanadon (1676-1728) et non son neveu Étienne, traducteur et exégète d'Horace. Bien qu'elles me paraissent loin d'égaler les prières de Pellisson, celles de Sanadon, quelque peu verbeuses, d'une langue naturellement moins exquise, sont

 

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néanmoins fort belles. Voici par exemple, celle qu'on récite avant l'Évangile :

 

Ce ne sont plus, o mon Dieu, les prophètes ni les apôtres qui vont m'instruire de mes devoirs, c'est votre Fils unique; c'est sa parole que je vais entendre; c'est cet Evangile qui a fait l'admiration des Anges., la terreur des démons, la conversion des pécheurs les plus endurcis. Je me lève, o mon Dieu, pour protester, à la face du ciel et de la terre, que je veux marcher dans les voies que votre parole m'enseigne; elle sera ma lumière et le flambeau qui réglera tous mes pas. Je sais que je ne suis chrétien que pour vivre selon l'Evangile. Parlez-moi, Seigneur, parue que je vous écoute avec l'humble soumission d'un serviteur qui ne cherche qu'à connaître la volonté de son maître, pour l'exécuter fidèlement.

 

Cela manque un peu d'intimité, ou de simplicité, ou d'humanité. Une prière sans doute, mais scandée par la hallebarde du suisse frappant le pavé à coups solennels. D'autres, avant moi, auront eu la même impression, Lamennais, par exemple, ou plutôt quelque adaptateur anonyme que Lamennais reproduit ou paraphrase à son tour dans sa Journée de Chrétien :

 

Pendant l'Évangile : Levez-vous. Que votre attitude exprime le respect, la docilité et la fermeté... Marquez votre front, vos lèvres et votre coeur du signe de la croix :

Ce ne sont plus les serviteurs et les envoyés, c'est le Maître qui parle, c'est le Verbe par qui tout a été fait. Parlez, Seigneur, car votre serviteur écoute... Mais... comment pourrais-je comprendre vos sublimes leçons ? Ah! vous les avez miséricordieusement renfermées dans un seul principe d'un amour sincère.

Que je vous suis redevable, o Seigneur, d'avoir ainsi tout réduit à ces deux préceptes (Amour de Dieu; amour du prochain)... Quelle consolation pour moi, d'être assuré qu'en les entendant bien, je n'ignore rien de ce qui est nécessaire... ! Je me veux parler à moi-même sans paroles..., plutôt par l'affection que par le discours (1)...

 

(1) Journée du chrétien ou moyen de se sanctifier au milieu du monde, par M. l'abbé F. de Lamennais. Neuvième édition, Paris, Sagnier et Bray, 1852, pp. 93-94.

 

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Quelque mystique du XVIIIe siècle, quelque disciple de Fénelon, a passé par là, sublimant et attendrissant Sanadon. Remarquons, une fois de plus, la curieuse vie, la souplesse de ces formules aux variations infinies. Celles de Sanadon ayant paru un peu longues, un peu redondantes, son confrère, le père Jean Deville (165-1720) en donna une version abrégée, dans sa Journée du chrétien, (1726). Recueil qui aura peut-être encore plus de vogue que les Prières et Instructions de Sanadon (1).

Ne croyez pas toutefois que, découragée par le succès prodigieux de ces paraphrases rivales, la traduction littérale de l'Ordinaire de la messe ait agonisé piteusement dans les cryptes jansénistes; en 1725, l'intrépide père Croiset s'aventure à donner dans son Année chrétienne la traduction, non pas, juste Ciel ! du Canon, mais des Épîtres, des Évangiles et chose, parait-il, plus téméraire, des collectes. L'Église n'en étant pas morte, le père Griffet jésuite, « crut pouvoir donner, dans son Année du chrétien, la traduction du Missel entier, en y joignant une glose - c'est Dom Guéranger qui parle, - destinée à prévenir les écarts dans lesquels l'ignorance de la théologie aurait pu jeter les simples fidèles (2) ». Les morts vont vite. Au commencement du siècle, la prescription est acquise. Ni d'un côté ni d'un autre, semble-t-il, on ne discute plus le principe même de la traduction. « La manie est telle, en cette matière, écrivait encore Dom Guéranger, en 1851, que dans un grand nombre de maisons d'éducation, on force jusqu'aux enfants à lire durant le Saint-Sacrifice, cette formule qu'ils ne peuvent comprendre (3) ». Hélas! pensez-vous qu'ils comprennent davantage les formules de leur catéchisme? Le Lamennais d'avant la chute;

 

(1) Le savant M. Dubarat, archiprêtre de Saint-Martin de Pau, a débrouillé avec un rare bonheur les aventures de la paraphrase Sanadinienne qu'il admirait, depuis son enfance dans le paroissien de Bayonne. Cf. De quelques prières du Paroissien de Bayonne, au t. V des Mélanges de Bibliographie et d'histoire locale. Pan, 1902, pp. 161 ; 239 ; 264.

(2) Institutions liturgiques, III, p. 213.

(3) Ib., p. 214.

 

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insère la traduction intégrale dans sa Journée du chrétien. Aujourd'hui elle est partout (1).

 

(1) Vers le milieu du XIXe siècle, on tente - et sans doute sous l'inspiration de Dom Guéranger, - un suprême effort. Dans son mandement sur le chant d'Eglise, l'évêque de Langres (Parisis), après avoir remarqué que « le Saint-Siège détend de répandre parmi les peuples la traduction de l'ordinaire de la messe dans la langue du pays » - allusion, je pense, au Bref de 1661 - aboute : « Quoique nous l'ayons fait nous-même jusqu'ici, pour aplanir un peu les difficultés de certaines circonstances, nous n'approuverons désormais aucun livre qui renfermerait cette traduction littérale » (Dom Guéranger. Op. cit., III, pp. 213-214). Dans le Manuel de Piété à l'usage des élèves du Sacré Coeur, nouvelle édition, Paris, Lecoffre, 1910 - je dis: 1910 – l’ordinaire de la messe est traduit jusqu'au Sanctus. Puis, après avoir rappelé que e le Canon est la règle invariable (on souligne invariable) des prières et des cérémonies qui précèdent et suivent la consécration s - eh 1 quoi 1 pourrions-nous d'aventure, changer quoi que ce soit aux prières et aux cérémonies d'avant ou d'après le Canon ? - on ajoute : « L'Eglise a fait une défense expresse de traduire le Canon de la messe ; pour nous conformer à ses saintes prescriptions, nous le donnons en latin. » Et s'il n'en reste qu'un - semble dire ce manuel- je serai celui-là.

Citons encore à ce sujet le bel article du R. P. Doncoeur que le lecteur connaît déjà : a La messe n'est pas seulement action, elle est prière ; » - cette formule me plaît moins ; - et de ce fait adresse à Dieu et au peuple un langage qui veut être entendu. Les lectures qui visent à l'instruire, les supplications exprimées en son nom, réclament également de l'assistance une attention trop rare. Le prêtre, ne se sachant pas écouté... s'enfermera dans un strict mutisme, ou se contentera d'un marmonnement confus... de médiocre puissance à soulever les coeurs vers le ciel, mais excellents à rejeter le pauvre auditeur au cercle sans fin de son chapelet, ou dans les éloquentes formules de son paroissien (les paraphrases que nous savons...) Au lieu de ce dédoublement coutre nature, les liturgistes ne peuvent-ils souhaiter que rien ne vienne s'interposer entre les deux dialoguants, et que ces textes admirables ne soient pas délibérément sacrifiés au bénéfice de pauvres fantaisies. » Fantaisies, me paraît bien dur, mais je ne suis qu'un liturgiste de troisième zone, et docile au misereor super turbam, je demande qu'on n'oublie pas que les neuf dixièmes des « assistants » ne sont pas des mandarins comme moi. Tant que l'Église ne permettra pas la messe en français, continue le P. Doncoeur, « il ne restera au fils soumis que de se dévouer... à rendre assimilable au peuple l'incomparable nourriture de ce livre fermé. Lui mettre en mains un texte bien traduit et discrètement commenté... L'immense succès du Missel quotidien... témoigne de l'avidité avec laquelle un tel livre était attendu... Mais on fera mieux certainement... » Oh ! Oh! qu'est-ce à dire? c'est-à-dire que le R. P. Doncoeur appelle, j'imagine, de tous ses voeux le jour où la messe redeviendra ce que l'Eglise a d'abord voulu qu'elle fût, un dialogue; ou, en d'autres termes, le jour où, après trois siècles d'injures, le pauvre abbé Ledieu sera réhabilité, glorifié avec ses Amen qu'on nous avait dits si diaboliques! Si le P. Doncoeur se persuade qu'aujourd'hui ce retour au vieil usage « n'effarouche (plus) que les derniers héritiers du jansénisme », il se trompe du tout au tout. Dans son beau paragraphe sur les Amen qui roulaient jadis «comme des tonnerres » il ne fait que répéter, bien à son insu, ce qu'ont déjà tant dit Letourneux, Ledieu, et les autres (Cf. plus haut, p. 176.) Chez nous, dès avant la guerre, Mgr Marbeau, dans son « Paroissien des Fidèles », donne la traduction littérale, et, au bas des pages, la paraphrase de Bossuet. « Depuis la guerre, m'écrit-on, les missels des fidèles sont obstinément liturgiques et

 

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donnent la traduction pure et simple; ainsi e fait Dom Gaspar Lefèvre, qui a publié, vers 1921, le missel vraiment complet. » Ainsi fait Dom Cabrol, dont le Missel, traduit en anglais, est répandu, chez nos voisins, à des milliers d'exemplaires. Il en va de même pour le Bréviaire. Nous a-t-on assez répété que, pour l'avoir traduit, Letourneux méritait le feu! Nous avons, grâce à Dieu, « changé tout cela ». Cf. le Bréviaire romain, traduction annotée ; introduction de Dom Grea, (1924).

 

 

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