II - CHAPITRE XXIII

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II - PRÉFACE
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II - CHAPITRE XXIII
II - CHAPITRE XXIV
II - APPENDICE
II - ADDITION

CHAPITRE XXIII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVIII° SIECLE. DERNIERS EFFORTS POUR LA DESTRUCTION DES USAGES ROMAINS EN FRANCE. — RONDET ET SES TRAVAUX. — BREVIAIRE DE POITIERS. JACOB. — BREVIAIRE DE TOULOUSE. LOMENIE DE BRIENNE. — BREVIAIRE DE LYON. MONTAZET. — REVISION DU PARISIEN. SYMON DE DONCOURT. — ASSEMBLEE DES EVEQUES   DE  LA PROVINCE DE  TOURS.     BREVIAIRE DE CHARTRES. SIEYÈS. — MISSEL DE SENS. MONTEAU. — DÉSORGANISATION DE LA LITURGIE DANS PLUSIEURS ORDRES RELIGIEUX EN FRANCE. — SITUATION DE L'EGLISE DE FRANCE, SOUS LE RAPPORT LITURGIQUE, AU MOMENT DE LA PERSECUTION. — ENTREPRISES ANTILITURGIQUES DE JOSEPH II, EN ALLEMAGNE ET EN BELGIQUE ; DE LEOPOLD, EN TOSCANE. — RICCI. SYNODE DE PISTOIE. — CONSPIRATION GENERALE DE LA SECTE ANTILITURGISTE CONTRE LE CULTE ET L'USAGE DE L'EUCHARISTIE. — REACTION CATHOLIQUE PAR LE CULTE DU SACRE-COEUR DE JESUS. — TENTATIVES ANTILITURGISTES DE LA SECTE CONSTITUTIONNELLE EN FRANCE, APRES LA PERSECUTION. — TRAVAUX DES PAPES SUR LA LITURGIE ROMAINE, DURANT    LA   DERNIERE    MOITIE    DU    XVIII°    SIECLE. BULLE AUCTOREM FIDEI.— AUTEURS LITURGISTES DE CETTE EPOQUE.

 

 

 

Rentrons en France pour y être témoins des efforts des organisateurs des ennemis de la Liturgie romaine. Encore quarante ans, et les débris de l’ancienne société française seront épars sur le sol. Le vertige est dans toutes les têtes; ceux-la mêmes qui veulent conserver quelque

 

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chose de ce qui fut, sacrifient d'autre part à la manie du jour. L'école des nouveaux liturgistes, recrutée principalement jusqu'ici dans les rangs du jansénisme, se renforce de philosophes et d'incroyants. La Liturgie romaine est menacée dans toute la France, et comme la foi elle-même s'en va, on se met peu en peine que ses'antiques manifestations disparaissent avec elle. Traçons le rapide, mais lamentable tableau de cette effrayante dissolution.

Nous avons fait voir ailleurs comment l'innovation liturgique avait été une oeuvre presbytérienne dans ses instigateurs et ses agents, et comment même de simples acolytes se trouvèrent appelés à y prendre une part majeure. En attendant le jour où des laïques présenteraient à l'Assemblée constituante la Constitution civile du clergé, voici qu'un autre laïque, un disciple de Jansénius, un dévot du diacre Paris, un visionnaire apocalyptique, Laurent-Etienne Rondet, en un mot, se trouve placé à la tête du mouvement liturgique. Ce personnage est appelé, dans dix diocèses différents, pour diriger l'édition des nouveaux livres qu'on veut se donner. Les Bréviaires de Laon, du Mans,de Carcassonne,de Cahors,de Poitiers,de Noyon et de Toulouse ont l'honneur de passer sous sa direction. Les Missels de Soissons, du Mans, de Poitiers, de Noyon, de Toulouse et de Reims, le proclament leur infatigable patron; le Rituel de Soissons l'avoue pour son rédacteur, les Processionnaux de Poitiers et de Reims lui ont les plus grandes obligations, etc. (1). En un mot, cet homme est partout; les églises l'appellent à leur secours comme celui en qui s'est reposé l'esprit qui anima les Le Tourneux, les Le Brun des Marettes, et les Mésenguy. Les pasteurs des peuples à qui il appartient d'enseigner par la Liturgie, après avoir  renoncé à  l'antique  tradition grégorienne,

 

(1) Feller et Biographie universelle, Article Rondet. Ami de la Religion. Tome XXVI.

 

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s'inclinent devant un séculier, sectateur avoué de dogmes qu'ils réprouvent, et livrent plus ou moins à sa censure les prières de l'autel. Non, certes, il ne se vit jamais rien de pareil, et nous ne le croirions pas, s'il n'était attesté par des témoins oculaires et, du reste, pleins d'enthousiasme. Dirons-nous un mot des influences de Rondet sur les livres dont nous parlons ? Les détails n'appartiennent pas à cette rapide histoire liturgique; ils viendront assez tôt ailleurs. Toutefois, observons que tous les bréviaires et missels à la publication desquels Rondet prit part, présentent deux caractères particuliers qui les distinguent des livres parisiens de Vigier et Mésenguy. Le premier est l'affectation d'employer l'Écriture sainte d'après la Vulgate actuelle, en faisant disparaître les phrases, les mots, les syllabes même qui, provenant de l'Ancienne Italique, rappellent encore, quoique bien rarement, dans le parisien actuel, l'origine grégorienne de quelques répons ou antiennes. On sait que Rondet se piquait d'érudition biblique; mais il est fâcheux qu'il ait cru devoir en faire un usage si barbare. Au reste, la question de savoir si l'on devait conserver dans la Liturgie les paroles de l'Ancienne Italique, avait été agitée à Rome, dès le XVI° siècle. Mais de bonne heure, Clément VIII fixa toutes les incertitudes, en déclarant qu'on devait maintenir l'ancienne version dans toutes les pièces chantées. Le pontife censura même avec énergie la témérité et l'audace des novateurs, ne voulant pas qu'on pût dire qu'une atteinte, si légère qu'elle fût, aurait été portée à la tradition par les pontifes romains (1).  On doit, après tout, savoir gré à

 

(1) Progressu temporis, sive typographorum, sive aliorum temeritas et audacia effecit ut multi in ea quae in his proximis annis excusa sunt Missalia errores irrepserint, quibus vetustissima illa sacrorum Bibliorum versio quae etiam ante S. Hieronymi tempora celebris habita est in Ecclesia, et ex qua omnes fere Missarum Introïtus et quœ dicuntur Gradualia et Offertoria accepta sunt, omnino sublata est. Clément VIII. Bref du 7 juillet 1604, pour la revision du Missel romain.

 

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Rondet, qui n'avait pas les mêmes intérêts que l'Église romaine au maintien des traditions, de n'être pas allé jusqu'à remplacer le Venite exultemus du psautier italique, par celui du psautier gallican.

Le second caractère  des livres liturgiques sortis de ses mains, est d'avoir un Commun  des prêtres. Nous discuterons ailleurs les motifs et les avantages de cette nouvelle création. Il faut dire cependant que les livres publiés par Rondet ne sont pas les premiers qui la présentent ; mais, quoiqu'on l'eût déjà inaugurée au Bréviaire de Rouen, dès 1726, Vigier et Mésenguy n'avaient pas cru devoir imiter cet exemple. La congrégation des chanoines réguliers  de Sainte-Geneviève,en adoptant leur bréviaire, y introduisit tout d'abord le nouveau Commun qui bientôt devait être accueilli en tous lieux, par acclamation, à cette époque où les pouvoirs du second ordre étaient proclamés si haut. La révolution était donc partout, et d'autant plus voisine de son explosion, que ceux-là mêmes qu'on avait trouvé moyen d'y intéresser, étaient ceux qu'elle devait atteindre les premiers. Quoi qu'il en soit, le nouveau partage des communs produisit  encore  un déplorable renversement des traditions liturgiques, dans les bréviaires  modernes, savoir, la suppression absolue du titre de confesseur, sans lequel il est impossible cependant de   rien entendre au système hagiologique de l'Église catholique. Aussi n'est-il pas rare de rencontrer des prêtres instruits d'ailleurs, qui ne donnent au titre de confesseur d'autre acception que de signifier un personnage qui a souffert l'exil, la prison, ou les tourments, pour la Foi.

L'année 1765 vit paraître un bréviaire, et Tannée 1766 un missel, qui dépassaient peut-être encore tout ce qu'on avait vu jusqu'alors. Ces deux livres, destinés au diocèse de Poitiers, avaient été rédigés par un lazariste nommé Jacob, et portaient en tête le nom et l'approbation de Martial-Louis  de Beaupoil de Saint-Aulaire.   D'abord,

 

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tout ce que nous avons énuméré jusqu'ici de nouveautés étranges dans les livres de Paris et  autres, s'y trouvait reproduit fidèlement ; mais avec quelle incroyable recherche l'auteur avait enchéri sur tant  de  singularités! Nous ne parlerons pas de l'usage inouï de placer,  à certains jours, une légende de saint dans l'office des Laudes ; mais I peut-on voir quelque chose de plus étrange que de consacrer le dimanche,  ce premier jour de  l'opération divine, ce jour de la création de la lumière, de la résurrection du Christ, de la promulgation de la loi évangélique, de le consacrer, disons-nous, à célébrer le repos de Dieu achevant l'œuvre de la création (1) ? Pouvait-on démentir d'une manière plus énorme tous les siècles chrétiens, qui n'ont qu'une voix sur les mystères de la semaine, et qui jamais ne confondirent le jour de la lumière avec le Sabbat du Seigneur? A l'effet d'étayer ce beau système, Jacob n'avait eu rien de plus pressé que de débarrasser  les vêpres du dimanche de ces belles et populaires antiennes, conservées cependant à Paris et partout ailleurs : Dixit Dominus — Fidelia, etc., pour amener, comme dans tout le reste de son psautier, de nouvelles antiennes plus ou moins décousues et tirées des divers livres de la Bible ; en quoi il avait rompu  non  seulement  avec Rome, Milan,   l'ancienne Église gallicane, l'Église gothique d'Espagne, mais même avec tous les nouveaux bréviaires,   dont aucun n'avait encore  été  puiser   hors   des   psaumes   eux-mêmes  les antiennes du psautier. Dans la voie des nouveautés, quand on a franchi un certain degré, on ne s'arrête plus. Nous nous bornerons, pour le moment, à ces traits du  bréviaire de Jacob, en signalant toutefois les indignes gravures dont on avait prétendu l'orner.

 

(1) Dies Dominica Dei complentis opus creationis requiem celebrat, Christi resurgentis commemorat triumphum, varia describit pietatis officia quibus obligantur fidèles, et aeternae requiei desiderium excitât et accendit.

 

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Le Missel pictavien était digne du bréviaire auquel il correspondait. La place nous manque pour une analyse qui sera suppléée ailleurs. Disons seulement que la rage de sacrifier les formules grégoriennes,au profit d'un misérable système individuel, avait amené la suppression de la plupart de ces introïts dont les premiers mots étaient pour nos pères le flambeau de l'année ecclésiastique et civile, et dont une partie, du moins, avait survécu aux violences de Vigier et Mésenguy. De tous ces introït, un surtout était resté dans la mémoire du peuple, celui de l'octave de Pâques : Quasi modo geniti. Jacob le biffa comme les autres, pour mettre en place Beata gens, etc., paroles du psaume XXXII ; car Jacob, qui, dans le psautier, ne souffrait pas d'antiennes tirées des psaumes, se fit une loi d'emprunter exclusivement au psautier les introït de son missel, à la condition, toutefois, d'expulser sans façon la plupart de ceux que saint Grégoire avait puisés à la même source. Aveugle novateur, qui ne savait probablement pas qu'aujourd'hui encore, dans l'Allemagne protestante, le peuple, après trois siècles de Luthéranisme, après trois siècles de langue vulgaire dans les offices, n'a encore oublié ni le dimanche Quasimodo, ni le dimanche Jubilate, ni le dimanche Vocem Jucunditatis, etc. Certes, si un jour l'Église de saint Hilaire qui, plus qu'une autre, devrait être jalouse des traditions saintes, vient à replacer sur ses antiques autels les livres de saint Grégoire, et à reléguer sur les rayons des bibliothèques humaines les œuvres du lazariste Jacob, nous doutons qu'après trois siècles, la mémoire des Poitevins garde un souvenir aussi fidèle du dimanche Beata gens.

L'Église de Toulouse, en 1761, vint aussi abjurer les traditions romaines. Elle avait alors le malheur d'être gouvernée par son trop fameux archevêque Etienne-Charles de Loménie de Brienne, qui croyait en Dieu, peut-être, mais non en la révélation   de  Jésus-Christ.  Il

 

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mérita du moins, pour sa réforme liturgique, les éloges du gazetier janséniste : « On sait, dit-il, que M. l'archevêque de Toulouse et MM. les évêques de Montauban, Lombez, Saint-Papoul, Aleth, Bazas et Comminges, ont donné l'année dernière à leurs diocèses respectifs un nouveau bréviaire qui est le même que celui de Paris, à quelques changements près, qui n'intéressent point le fond de cet OUVRAGE IMMORTEL (1). » En effet, ce n'était pas un médiocre triomphe pour le parti, de voir un si grand nombre d'Églises venir chercher, sur la tombe de Vigier et de Mésenguy, les livres destinés à remplacer désormais, pour elles, les usages surannés de l'Eglise romaine. Il faut dire pourtant qu'à Toulouse on avait cherché, au moyen d'un très mauvais vers, à rendre catholique la fameuse strophe de Santeul, déjà remaniée diversement, comme on l'a vu, à Evreux et au Mans. Le bréviaire de Loménie disait donc :

 

Insculpta saxo lex vetus

NIL VIRIUM PER SE DABAT ;

Inscripta cordi lex nova

Quidquid jubet dat exequi.

 

C'était du moins avouer une fois de plus, que l'orthodoxie de l'hymnographe gallican et de ses œuvres n'avait rien de trop rassurant.

Mais les innovations dont nous venons de parler n'offraient rien d'aussi lamentable que celle qui, en 1776, désola la sainte Église de Lyon, premier siège des Gaules. Depuis lors, on peut dire qu'elle a perdu son antique beauté, veuve à la fois des cantiques apostoliques de son Irénée et des mélodies grégoriennes que Charlemagne lui imposa ; n'ayant plus rien à montrer au pèlerin qu’attire

 

(1) Nouvelles ecclésiastiques, 16 avril 1772.

 

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encore le souvenir de sa gloire, hors le spectacle toujours imposant des rites célèbres qu'elle pratique dans la solennité du sacrifice. La splendeur orientale de ces rites suffirait, sans doute encore, à  ravir le voyageur catholique, si, par le plus cruel contraste, il ne se trouvait tout à coup arraché à l'illusion par le bruit de ces paroles  nouvelles, par le fracas de ces chants   modernes,  et inconnus aux voûtes de l'auguste primatiale des Gaules, jusqu'au  jour où elle vit Antoine Malvin de Montazet s'asseoir, et avec lui l'hérésie, au centre de son abside. Le chapitre insigne de la primatiale, qui avait souffert, sans réclamation, que Charles de Rochebonne, en 1737, portât la main sur l'antique bréviaire, accepta, par acte capitulaire du 13 novembre 1776, la substitution de la Liturgie parisienne à celle de Lyon, dernier débris de nos saintes traditions gallicanes. Il humilia  ainsi  l'église de Lyon devant celle de Paris, comme celle de Paris s'était humiliée devant Vigier et Mésenguy. Les cérémonies  restèrent, nous en convenons, mais la parole avait disparu, la parole qui devait rester, quand bien même les rites extérieurs eussent subi quelques altérations. Donc, les yeux du peuple n'y perdirent rien ; mais les chanoines y gagnèrent de réciter désormais un bréviaire plus court; les  chantres ne furent pas contraints d'exécuter  par cœur des mélodies séculaires ; tous leurs efforts tendirent désormais à déchiffrer les nouveaux chants, si pauvres, si vides d'expression. Ainsi fut changé la face de cette église qui se glorifiait autrefois de ne pas connaître les nouveautés. Mais il était écrit que la déviation serait universelle, parce que de toutes parts on avait dédaigné la règle de tradition.

Cependant, comme   toujours, une opposition courageuse, quoique faible, se manifesta. Une minorité dans le chapitre primatial fit entendre  ses réclamations.  On vit même  paraître  un   écrit  intitulé :   Motifs de ne point admettre la nouvelle  Liturgie de M. l’Archevêque de

 

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Lyon (1). Mais bientôt le Parlement de Paris, fier de ses succès dans l'affaire du Bréviaire de Vigier et Mésenguy, condamna le livre au feu, par un arrêt du 7 février 1777(2), et après la sentence de ce tribunal laïque, mais juge en dernier ressort sur les questions liturgiques dans l'Église de France, le silence se fit partout. On accepta sans réplique les bréviaires et missels de l'archevêque Montazet, lequel, pour compléter son œuvre, faisait élaborer, à l'usage de son séminaire, une théologie qui est restée au nombre des plus dangereuses productions de l'hérésie du XVIII° siècle.

Ce n'est peint dans ce rapide coup d'œil sur l'histoire générale des formes de l'office divin, que nous pouvons nous arrêter en détail sur ce que les nouveaux livres lyonnais présentaient d'offensant pour les traditions de la Liturgie catholique et de la Liturgie lyonnaise en particulier. L'occasion ne s'en présentera que trop souvent ailleurs. Nous ne citerons donc ici qu'un seul fait : c'est la suppression d'un des plus magnifiques cantiques de l'Église gallicane, d'un cantique qui ne se trouvait plus que dans la Liturgie lyonnaise, et que Montazet en a chassé, pour le remplacer par un fade mélange de textes bibliques. Or, voici les paroles pleines de suavité et de majesté par lesquelles l'antique Église des Gaules conviait les fidèles au festin de l'Agneau, dans sa solennité de Pâques, paroles revêtues d'un chant dont la sublimité avait frappé l'abbé Lebeuf (3). Cette antienne se chantait pendant la communion du peuple (4), et semblait la grande voix de l'hiérophanie appelant les élus à venir se plonger dans les profondeurs du mystère.

 

(1) In-12 de 136 pages.

(2) L’Ami de la Religion. Tome XXII, page 168

(3) Lebeuf. Traité historique du Chant ecclés., pag. 40.

(4) Il ne faut pas confondre cette pièce avec l'antienne dite communion, que l'on chantait ensuite, comme dans les autres Églises latines.

 

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Venite, populi, ad sacrum et immortale mysterium, et libamen agendum cum timore et fide.

 

Accedamus manibus mundis,

Pœnitentiœ munus communicemus;

 

Quoniam Agnus Dei propter nos  Patri  Sacrificium propositum est.

 

Ipsum solum adoremus,

Ipsum glorificemus,

Cum angelis clamantes :

Alleluia.

 

Voici maintenant ce que l'Église de Lyon chante aujourd'hui :

 

Gustate et videte quoniam suavis est Dominus ; properate et comedite, et vivet anima vestra : hic est panis qui de cœlo descendit, et dat vitam mundo : confortetur cor vestrum, omnes qui speratis in Domino : cantate ei canticum novum : bene psallite ei in vociferatione, alleluia. Ps. XXXIII. Is. LIV. Joan. VI. Ps. XXX. Ps. XXXII.

 

Nous transcrivons fidèlement, y compris les indications des sources à l'aide desquelles les faiseurs au service de Montazet ont bâti ce centon décousu. Voilà ce qu'on faisait alors de la tradition et de la poésie ; voilà le zèle avec lequel ces soi-disant gallicans traitaient les débris de la Liturgie de saint Irénée et de saint Hilaire. On voit, au reste, qu'ils ont eu quelque velléité d'imiter l'ancien cantique, ne serait-ce  qu'en  cherchant un rapprochement quelconque entre les dernières paroles de l'hymne gallicane : Cum Angelis clamantes : Alleluia, et ces mots : Bene psallite ei in vociferatione, alleluia.   Voilà assurément de la mélodie janséniste : Psallite ei in ; et le vociferatione n'est-il pas ici d'un grand effet, et surtout d'une grande justesse ?

 

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A Paris, en 1775, les libraires associés pour la publication des usages du diocèse, ayant donné une édition du missel remplie de fautes, l'archevêque Christophe de Beaumont leur enjoignit de ne rien imprimer dans la suite qui n'eût été revu par MM. de Saint-Sulpice. Ainsi, cette compagnie respectable qui s'était distinguée en 1736 par son opposition à l'œuvre de Vigier et Mésenguy, l'avait ensuite acceptée si cordialement, que l'autorité diocésaine n'avait rien de mieux à faire que de la préposer à la garde de ce dépôt. Les abbés Joubert et Symon de Doncourt furent spécialement chargés de diriger l'édition du Missel de 1777, et celle du bréviaire de 1778. Ils introduisirent quelques améliorations légères ; par exemple, en faisant disparaître la divergence des oraisons de la messe et de l'office, dans une même fête ; inconvénient qui rappelait la précipitation avec laquelle on avait procédé, au temps de l'archevêque Vintimille. Malheureusement, toutes les améliorations introduites par Joubert et Symon de Doncourt n'étaient pas aussi dépourvues d'esprit de parti ; autrement, on ne s'expliquerait pas la faveur inouïe qu'obtint le travail des deux sulpiciens de la part des jansénistes, qui jusqu'alors n'avaient jamais manqué une occasion de s'exprimer contre leur compagnie dans les termes les plus grossiers et les plus méprisants. Ce fut donc merveille de voir successivement trois feuilles des Nouvelles ecclésiastiques (1) consacrées, presque en entier, à reproduire avec une faveur complète le mémoire dans lequel Joubert et Symon de Doncourt rendaient compte de leur opération au public.

Une des raisons de cette haute faveur apparaît en particulier dans une des améliorations de l'édition du Missel de 1777, signalée par Symon de Doncourt lui-même avec la plus naïve complaisance, dans une lettre de cet ecclésiastique

 

(1) 20 août, 29 octobre et 5 novembre 1784.

 

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insérée au Journal ecclésiastique du janséniste Dinouart (1). Le correcteur du missel se félicite d'avoir été à portée de rectifier une grave erreur qui s'était glissée dans la fameuse oraison de saint Pierre : Deus qui beato Petro apostolo tuo, collatis clavibus regni cœlestis ANIMAS ligandi atque solvendi pontificium tradidisti. La cour de Rome, suivant l'auteur de la lettre, aurait, dans les temps postérieurs, retranché à dessein le mot animas, comme faisant obstacle à ses prétentions sur le temporel des rois (2). Malheureusement pour Symon de Doncourt, les jansénistes et les constitutionnels ont tant rebattu depuis lors cette anecdote liturgique (3), qu'il serait difficile aujourd'hui de la réfuter sans dégoût. Disons donc seulement que si les missels romains actuels ne portent pas le mot animas, les divers manuscrits du Sacramentaire de saint Grégoire, publiés par Pamélius et D. Hugues Ménard, ne le portent pas non plus. Est-ce donc une honte pour l'Église romaine de s'en tenir à la leçon de saint Grégoire? Quant à l'honorable intention de fermer l'entrée du Missel de Paris aux doctrines ultramontaines, en exprimant fortement cette maxime, que le pouvoir de lier et délier donné à saint Pierre s'exerce sur les âmes [animas), cela est bien puéril. Qui ne sait, en effet, que la puissance spirituelle est spirituelle de sa nature, en sorte que si elle atteint les choses temporelles, elle ne les peut atteindre que par les âmes, par les intérêts spirituels, par la conscience ? D'autre part, Symon de Doncourt, ainsi que l'abbé Grégoire et consorts, prétendrait-il que l'Église n'a de pouvoir à exercer que sur les âmes? Mais comment

 

(1)  Tome LXVI, page 266.

(2)  Page 269.

(3)  Voyez les Annales de la Religion, journal de l'Église constitutionnelle; la Chronique religieuse dirigée par Grégoire; les ouvrages de Grégoire lui-même; Tabaraud, etc. Il n'est peut-être pas d'histoire qui y soit plus souvent ressassée que cette prétendue supercherie romaine.

 

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demeurer catholique avec une pareille doctrine qui renverse d'un seul coup toutes les obligations extérieures, les seules que l'Église puisse prescrire par des lois positives? Mais c'est assez; il nous en coûterait trop de prolonger cette apologie de l'Église romaine, et nous voulons croire pieusement que Symon de Doncourt, s'il vivait aujourd'hui, serait le premier à réfuter sa propre découverte, dont le résultat final n'a profité jusqu'ici qu'à des hérétiques et des schismatiques.

Les influences de Saint-Sulpice sur la Liturgie parisienne eurent du moins cet avantage, de procurer l'insertion d'un office et d'une messe du Sacré-Cœur de Jésus, dans les nouveaux bréviaire et missel : cet office et cette messe étaient de la composition de Joubert et de Doncourt. Ainsi, une solennelle réclamation contre l'esprit janséniste qui avait inspiré l'œuvre de Vigier et Mésenguy, venait s'implanter au milieu de cette œuvre elle-même. Quelques années auparavant, en 1770, Christophe de Beaumont avait approuvé un office du saint Rosaire qui n'était pas, il est vrai, destiné à être inséré au bréviaire, mais qui pourtant était aussi une réclamation contre cet isolement dans lequel on tenait les catholiques français à l'égard de Rome et de la chrétienté, en leur interdisant la commémoration d'une des plus magnifiques victoires que le nom chrétien, sous les auspices de Marie, et par les efforts du Pontife romain, ait jamais remportée sur le Croissant.

Antoine-Eléonor Leclerc de Juigné, qui siégeait saintement et glorieusement dans l'Église de Paris, quand la tempête si longuement et si complaisamment préparée s'en vint mugir avec tant de rage contre les institutions de notre foi, avait senti pareillement la portée des outrages faits à la piété catholique par la Liturgie janséniste. Dans, l'édition du Bréviaire de Paris qu'il préparait, mais qui n'eut pas lieu, il songeait à introduire l'office de Notre-Dame du Mont-Carmel ; mais   les  temps n'étaient   pas

 

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accomplis. La route n'était pas parcourue dans son entier; l’heure n'était donc pas venue de revenir sur ses pas. On le vit bien d'ailleurs, quand le même prélat, ayant besoin de huit hymnes nouvelles (1) pour rendre plus parfaite l'édition de son bréviaire, trouva tout simple de les commander à des littérateurs, comme on ferait d'un discours académique. Lisez plutôt : D'après les intentions de l'Archevêque, le Recteur de l'Université (c'était alors Dumouchel) indiqua un concours pour travailler à ces hymnes, et adressage 2 décembre 1786, un mandement latin aux professeurs et aux amis de la poésie latine, pour les engager à s'occuper de cet objet. On dit que Luce de Lancival, alors professeur de rhétorique au Collège de Navarre, concourut et obtint le prix pour les hymnes de sainte Clotilde (2). » Cependant, si nous nous en souvenons bien, il nous semble que saint Bernard exige tout autre chose de l'hymnographe chrétien, que la qualité de professeur ou d'ami de la poésie latine. La persécution qui renversa les autels suspendit l'édition du bréviaire projeté; mais n'eût-il pas été bien déplorable de voir réunis dans le même livre des prières cléricales, les psaumes de David, les cantiques des prophètes et les fantaisies latines d'un personnage érotique qui, après avoir cultivé en auteur du troisième ordre le tragique et le comique du Théâtre-Français, mourut à quarante-quatre ans d'une maladie honteuse (3) ? Et pourtant, mieux vaut encore pour hymnographe un libertin qu'un hérétique.

L'archevêque de Juigné, s'il ne renouvela ni le missel,

 

(1)  Trois pour le commun des prêtres, deux pour le patron, et trois pour sainte Clotilde.

(2) L’Ami de la Religion. Tome XXVI, page 296.

(3)   Le nouveau bréviaire de Paris de 1822 renferme trois hymnes de sainte Clotilde, sans nom d'auteur. Ne seraient-elles point celles de Luce de Lancival ? Que d'autres nous le disent. Jusque-là nous nous abstenons.

 

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ni le bréviaire, accomplit néanmoins une œuvre liturgique bien grave dans le diocèse de Paris : ce fut la publication d'un nouveau rituel. Nous ne parlerons pas ici du Pastoral, ou recueil dogmatique et moral qui ne concerne  que la pratique du saint ministère. Le Rituel proprement dit doit nous occuper  uniquement.   On   remarqua dans la nouvelle édition de ce livre une hardiesse qui dépassait, sous un rapport, tout ce qu'on avait vu jusqu'alors. Sans doute, les jansénistes, auteur des nouveaux livres, s'étaient exercés à mettre du nouveau dans tout l'ensemble de la Liturgie, mais du moins ils ne s'étaient pas avisés de retoucher pour le style les pièces de l'antiquité qu'ils avaient jugé à propos de conserver. Les prières pour l'administration des sacrements n'avaient souffert aucune variation ; et, jusque-là, le XVIII° siècle ne s'était pas cru en droit de donner des leçons de langue latine à saint Léon et à saint Gélase. Dans le Rituel parisien de 1786, le clergé s'aperçut que l'ensemble de ces vénérables formules avait été soumis à une nouvelle rédaction, sous le prétexte d'y introduire une plus grande élégance!  Ainsi, ce n'étaient plus les hymnes, les antiennes, les répons qui manquaient de dignité  et qu'il fallait  refaire, au risque de sacrifier la Tradition qui ne se refait pas ; c'était l'enseignement dogmatique des premiers siècles, le plus pur, le plus grave, le plus universel, qui devait disparaître pour faire place aux périodes plus ou moins ronflantes de Louis-François Revers, chanoine de Saint-Honoré; d'un abbé Plunkett, docteur de Sorbonne ; et enfin d'un abbé Charlier, secrétaire de l'archevêque. Encore un pas, et le Canon de la Messe aurait eu son tour, et on l'aurait vu disparaître pour faire place à des phrases nouvelles, et débarrasser enfin les protestants de l'invincible poids de son témoignage séculaire. Encore un pas, et la raison de ne pas admettre la langue vulgaire dans la  Liturgie, tirée   de  l'immobilité nécessaire des formules mystérieuses, aurait disparu pour

 

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jamais. Il fallait des faits semblables pour constater l'étrange déviation que les antiliturgistes avaient opérée de longue main dans l'esprit des catholiques français. Cinquante ans et plus ont dû s'écouler avant que l'on ait songé sérieusement à restituer, dans le Rituel parisien, les formes antiques de la tradition.

Les évêques de la province ecclésiastique de Tours se réunirent dans cette ville, en 1780, sous la présidence de l'archevêque François de Conzié. Dans cette assemblée provinciale qui n'eut cependant pas la forme de concile, on décréta la suppression de plusieurs fêtes dont l'observance était générale dans F Église ; le mardi de la Pentecôte, entre autres. Pour corroborer cette mesure, des lettres ' patentes du roi furent sollicitées et obtenues. C'était peu cependant pour autoriser une dérogation "à la discipline générale, dont les lois ne peuvent être relâchées que par le pouvoir apostolique, le seul qui ait droit de dispenser des canons reçus universellement. En 1801, Bonaparte fut mieux conseillé. Quoi qu'il en soit, dans le mandement qu'ils publièrent en nom collectif, sous la date du 8 mai 1780, pour annoncer aux fidèles les motifs de cette suppression des fêtes, les prélats, faisant allusion à certaines fêtes locales qu'ils avaient cru devoir abolir, proclamaient en ces termes les principes de tous les siècles sur l'unité liturgique : « Les fêtes seront, à l'avenir, uniformément célébrées dans nos différents diocèses. On ne verra plus les travaux permis dans un lieu et interdits dans un autre. Une sainte uniformité, l'image de l'unité de l'Église et l'un des plus beaux ornements du culte  public, va se rétablir dans toutes les parties de cette a vaste province.  »

Les Pères du concile de Vannes, rassemblés en 461 sous la présidence de saint Perpetuus, évêque de Tours, n'avaient pas tenu un autre langage :  « Il nous a semblé

 

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qu'une seule coutume pour les cérémonies saintes et la psalmodie ; en sorte que de même que nous n'avons qu'une seule foi, par la confession de la Trinité, nous n'ayons aussi qu'une même règle pour les offices : dans la crainte que la variété d'observances en quelque chose ne donne lieu de croire que notre dévotion présente aussi des différences (1). »

Il était naturel que, dans une conjoncture pareille, après avoir parlé de l'uniformité du culte public, image de l’unité de l'Église, l'assemblée de 1780 s'occupât des moyens de faire cesser la discordance de la Liturgie dans la province. L'archevêque convia ses collègues à embrasser le nouveau Bréviaire de Tours, qui n'était, pour le fond, que le parisien de Vigier et Mésenguy ; mais il était difficile qu'après s'être affranchi des règlements du concile de Tours de 1583, qui prescrivaient l'usage du Bréviaire romain de saint Pie V, on consentît à reconnaître l'autorité liturgique du métropolitain. Les évêques du Mans et d'Angers déclarèrent donc s'en tenir à leurs livres; l'évêque de Nantes se décida pour la liturgie poitevine, du lazariste Jacob; les évêques de Vannes et de Saint-Brieuc conservèrent leur parisien pur et simple. L'évêque de Rennes fut le seul qui se sentit touché du désir d'embrasser les nouveaux usages de la métropole ; encore ne voulut-il recevoir les livres de Tours que dans sa cathédrale, déclarant la Liturgie romaine obligatoire dans le reste du diocèse, comme par le passé. Quant aux évêques de Dol, de Saint-Malo, de Tréguier, de Quimper et de Saint-Pol-de-Léon, ils protestèrent être dans l'intention de maintenir dans leurs églises l'usage de la Liturgie romaine. Nous ajouterons même, sur l'autorité d'un témoin respectable, que les évêques de Saint-Malo et de Saint-Pol-de-Léon, qui n'avaient assisté à l'assemblée

 

(1) Voyez ci-dessus, tome I, page 125

 

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que par procureur, écrivirent à l'archevêque : Nous ne tenons à Rome que par un fil : il ne nous convient pas de le rompre. Honneur donc à ces pontifes dont le cœur épiscopal ne fléchit pas alors que tout cédait à l'entraînement de la nouveauté !

En 1782, on imprimait pour l'usage de l'église de Chartres un missel, et en 1783 un bréviaire, et quelques années après, le processionnal du diocèse et celui de la cathédrale. Ces livres, dont le fond était emprunté du nouveau parisien, paraissaient par l'autorité de l’évêque Jean-Baptiste-Joseph de Lubersac. A partir de cette réforme liturgique, le Bréviaire de l'église des Yves et des Fulbert dissimula comme par honte les saintes et patriotiques traditions sur la Vierge des Druides, et l'on cessa de chanter, sous les voûtes mêmes de Notre-Dame de Chartres, ces doux et gracieux répons dont Fulbert composait les paroles, et dont Robert le Pieux créait la mélodie. Quelques années plus tard, l'auguste cathédrale vit s'accomplir, sous son ombre sacrée, le plus hideux de tous les sacrilèges, quand l'image de la Vierge encore debout sur l'autel profané, transformée en déesse de la Liberté ou de la Raison, parut la tête couverte du bonnet ignoble dont l'abbé Sieyès et ses pareils avaient fait pour la France un symbole de terreur. C'est par degrés sans doute et non tout à coup que de semblables excès deviennent possibles chez un peuple.

Nous avons parlé ailleurs du Bréviaire de Sens dont les intentions jansénistes sont dénoncées par l'archevêque Languet. Ce bréviaire reçut son complément en 1785, dans la publication d'un nouveau missel, promulgué par l'autorité du cardinal de Luynes, archevêque de cette métropole. L'auteur de ce missel fut l'abbé Monteau, lazariste, supérieur du séminaire ; son travail est célèbre par la multiplicité des traits d'esprit qui scintillent de toutes parts dans les collectes, secrètes et postcommunions,

 

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en sorte qu'on les croirait taillées à facettes. L'abbé Monteau avait cela de particulier, qu'on le jugeait plutôt philosophe que janséniste. Quoi qu'il en soit, il prêta le serment à la constitution civile du clergé, et, ce qui est le plus déplorable, il entraîna dans le schisme, par l'autorité de son exemple, la plus grande partie du clergé du diocèse (1).

Nous ne prolongerons pas davantage cette revue fort incomplète des variations liturgiques de nos églises (2). Au milieu de tant d'innovations, il nous a suffi de choisir quelques traits propres à initier le lecteur aux principes qui les ont toutes produites, et de montrer quelle espèce d'hommes en ont été les promoteurs et les exécutants. C'est donc à dessein que nous nous sommes abstenu, pour le moment, de faire mention des Bréviaires de Reims, Bourges, Besançon, Toul, Clermont, Troyes, Beauvais,

 

(1)  Il se rétracta cependant après la Révolution.

(2)  Le besoin d'en finir avec cette histoire générale de la Liturgie, nous oblige à réserver, pour une autre occasion, les détails que nous avions rassemblés sur les rapports de la Liturgie avec l'art, en France, durant la seconde moitié du XVIII° siècle. Il suffira de dire que la dégradation alla toujours en croissant jusqu'à la catastrophe qui vit crouler, en si grand nombre, nos églises modernisées, et engloutit leurs tableaux, leurs statues et leur ameublement dégénérés. L'abbé Lebeuf est encore une merveille, en comparaison des compositeurs de plain-chant que la fin du siècle produisit. Si la première condition, pour exécuter la plupart de ses pièces, est d'être muni d'une vigoureuse paire de poumons, il y a du moins quelque apparence de variété dans ses motifs; il a centonisé, comme il le dit lui-même. Il en est tout autrement, par exemple, de Jean-Baptiste Fleury, chanoine de la collégiale de Sainte-Magdeleine de Besançon, qui se chargea de composer les chants du nouveau graduel et antiphonaire de ce diocèse. Sa phrase ne manque pas d'une certaine mélodie; mais elle revient sans cesse, molle et commune jusqu'à la nausée. Les mélodies de ses proses portent le même caractère. Il y eut des diocèses où les compositeurs s'exercèrent à refaire, d'après eux-mêmes, les rares pièces de la Liturgie romaine qu'on avait conservées. Ainsi à Amiens, on refit à neuf le Lauda Sion ; à Toul, on refit jusqu'aux grandes antiennes de l'Avent, etc., et Dieu sait quels pitoyables chants on substitua.

 

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Langres, Bayeux, Limoges, qui, avec ceux dont nous avons parlé, savoir, de Vienne, Senez, Lisieux, Narbonne, Meaux, Angers, Sens, Auxerre, Rouen, Orléans, Le Mans, et Amiens, forment à peu près la totalité de ceux que produisit en France la fécondité du XVIII° siècle.

Disons cependant un mot des ordres religieux, bien qu'il nous en coûte d'aborder ce sujet sur lequel nous voudrions n'avoir à produire que des faits conformes au génie traditionnel du catholicisme, dont ces nobles familles ont été constituées les gardiennes. Mais, hélas ! on dut se rappeler cette antique sentence : Optimipessima corruptio, en voyant les tristes fruits de l'innovation liturgique dans le cloître. Nous avons parlé de l'ordre de Cluny et signalé la malheureuse influence de son trop (fameux bréviaire. La congrégation de Saint-Vannes, en 1777, se donna à son tour un bréviaire et un missel dans le goût du nouveau parisien. Ils avaient pour auteur dom Anselme Berthod, bibliothécaire de Saint-Vincent de Besançon et ensuite grand prieur de Luxeuil (1). L'ordre de Prémontré renonça, en 1782, à son beau bréviaire romain-français, pour en prendre un nouveau publié par l'autorité de Lécuy, dernier abbé général de cette grande famille religieuse, et rédigé, ainsi que le nouveau missel, par Rémacle Lissoir, prémontré, abbé de la Val-Dieu, personnage qui avait publié un abrégé en français du livre de Fébronius, et qui, ayant prêté le serment à la constitution civile du clergé, fut curé de Charleville et siégea au conciliabule de Paris, en 1797 (2). Enfin, la congrégation de Saint-Maur eut aussi son bréviaire particulier, publié en 1787, ouvrage beaucoup trop vanté et qui eut pour auteur  principal  dom Nicolas Foulon,  convulsionniste

 

(1)  Dom Berthod fut associé en 1784 à la continuation des Acta sanctorum des jésuites bollandistes. Il a travaillé au sixième volume d'octobre, v. Acta SS., Octobre, t. VII, p. 15.

(2)  Biographie ardennaise par l'abbé Boulliot, tome II, page 106.

 

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passionné,  qui se maria en 1792  et mourut en 1813 après avoir été successivement huissier au  conseil des Cinq-Cents, au tribunat et au sénat de l'Empire (1) !

Ainsi donc, sur cent trente églises, la France, en 1791, en comptait au delà de quatre-vingts qui avaient abjuré la  Liturgie romaine. Elle s'était conservée seulement dans quelques diocèses des provinces d'Albi, d'Aix, d'Arles, d'Auch, de Bordeaux, de Bourges, de Cambray, d'Embrun, de Narbonne, de Tours et de Vienne. Strasbourg, qui était de la province de Mayence, l'avait gardée. Aucune province, si ce n'est celle d'Avignon, ne s'était montrée unanime à la retenir, et elle avait entièrement péri dans les métropoles de Besançon, de Lyon, de Paris, de Reims, de Sens et de Toulouse. De tous les diocèses qui, à l'époque de la bulle de saint Pie V, n'avaient pas pris le Bréviaire romain, mais avaient simplement réformé, à l'instar de ce bréviaire, leur romain-français, pas un n'avait retenu cette magnifique forme liturgique. Les novateurs avaient donc poursuivi l'élément français dans la Liturgie, avec la même rigueur qu'ils avaient déployée contre l'élément romain, parce que tous deux étaient traditionnels. Il n'y eut que l'insigne collégiale de Saint-Martin de Tours qui, donnant en cela la leçon à nos cathédrales les plus fameuses, osa réimprimer, en 1748, son beau bréviaire romain-français, et qui, seule au jour du désastre, succomba avec la gloire de n'avoir pas renié ses traditions. Nous rendons ici, avec effusion de cœur, cet hommage à cette sainte et vénérable église, et à son illustre chapitre.

Mais c'est assez rappeler de tristes souvenirs : puisse du moins l'innovation liturgique du XVIII° siècle, apparaissant telle qu'elle est, dans ses motifs, dans ses auteurs,

 

(1) L’Ami de la Religion, tome LV. Notice  sur Dom Foulon  et ses ouvrages, pages, 3o5-311.

 

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dans ses agents, être jugée de nos jours, comme elle le sera par-devant tout tribunal qui voudra juger les institutions du catholicisme d'après le génie même du catholicisme ! L'Église de France est donc arrivée à la veille d'une effroyable persécution ; ses temples vont être fermés par les impies, ses fêtes ont cessé de réunir les peuples, et les nouveaux chants qu'elle a inaugurés, à la veille d'un si grand désastre, n'ont pas eu le temps de remplacer dans la mémoire des fidèles ceux qui retentirent dans les âges de foi. Naguère, cette Église n'avait qu'une voix dans ses temples, et cette voix était celle de toutes les églises de la langue latine ; aujourd'hui, la confusion est survenue ; vingt dialectes, plus discordants les uns que les autres, divisent cette voix et en affaiblissent la force. Prête à descendre aux catacombes, l'Église gallicane a perdu le droit de citer désormais aux peuples la parole des livres de l'autel et du chœur, comme l'oracle de l'antiquité, de la tradition, de l'autorité. En alléguant le texte des nouveaux missels et bréviaires, on ne peut donc plus dire désormais : L'Église dit ceci ; et ce coup fatal, ce n'est point la main d'un ennemi qui l'a porté. Les hommes de nouveautés et de destruction ont trouvé le moyen de faire mouvoir en leur faveur le bras qui ne devait que les foudroyer. Or, voilà ces jurisconsultes, ces mêmes gens du palais qui décrétèrent l'abolition du Bréviaire romain et firent brûler, par la main du bourreau, les remontrances ou réclamations que le zèle de la tradition catholique, aussi bien que de l'unité de confession, dictait à quelques prêtres courageux ; les voilà qui s'apprêtent à mettre au jour la constitution nationale, et non romaine, qu'ils ont préparée au clergé de France. Dans leur attente sacrilège, ils comptent sur les peuples qui, dans beaucoup de provinces, ont déjà commencé à perdre le respect envers leurs pasteurs, à l'occasion des changements introduits dans les formes du culte. Déjà dans de nombreuses

 

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paroisses, la dîme a été refusée aux curés qu'une injonction supérieure contraignait de supprimer les anciens livres et d'inaugurer les nouveaux. Mais avant d'étudier les doctrines liturgiques des nouveaux évêques et des nouveaux prêtres de cette monstrueuse agrégation qu'on appela l'Église constitutionnelle, arrêtons-nous à considérer les attaques dont les saines doctrines liturgiques se trouvent être l'objet dans plusieurs pays catholiques.

Nous avons tracé ailleurs la théorie d'après laquelle l'hérésie antiliturgiste,  c'est-à-dire ennemie de la forme religieuse, a procédé depuis les premiers  siècles, et les faits que nous avons produits dans tout le cours de cette histoire ont dû mettre dans un jour complet les intentions des sectateurs de cette doctrine maudite. On a dû remarquer que son   caractère principal  est de procéder avec astuce, et de ne jamais reculer devant les contradictions dans lesquelles ce système doit souvent l'entraîner. Destinée par sa propre nature à s'attacher comme le chancre à la religion des peuples, elle sait produire ou dissimuler ses progrès en proportion des risques   qu'elle pourrait courir d'être extirpée par la main des fidèles et de leurs pasteurs. Souvent, il lui suffira d'exister à l'état de virus caché,  et  d'attendre la   chance   d'une éruption ;   dans d'autres lieux, au contraire, elle osera tout à coup éclater sans ménagement. Ainsi, en France, elle se glissa sous couleur d'un perfectionnement des prières du culte, d'un plus juste hommage à rendre à l'Écriture sainte dans le service divin, d'une plus parfaite appréciation des droits de la critique ; elle sut flatter l'amour-propre national, les prétentions diocésaines,  et au bout d'un siècle, elle  avait trouvé  moyen  de détruire  la communion  des  prières romaines dans les trois quarts de la France, d'anéantir l'œuvre de Charlemagne et de saint Pie V, d'infiltrer de mauvaises doctrines dans les livres de l'autel,  enfin de faire  agréer, pour rédacteurs de la prière publique, des

 

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hommes dont les maximes étaient flétries comme hérétiques par l'Église universelle.

C'étaient là sans doute de grands résultats ; mais on n'avait pu y parvenir que par degrés, et sous prétexte de perfectionnement autant littéraire que religieux. Il avait fallu dissimuler le but auquel on tendait, parler beaucoup d'antiquité tout en la violant, et surtout éviter de s'adresser au peuple par des changements trop extérieurs dans les objets visibles ; car la nation, en France, a été et sera toujours catholique avant toutes choses, et plus elle se sentira refoulée à une époque sous le rapport des manifestations religieuses, plus elle y reviendra avec impétuosité, du moment que l'obstacle sera levé.

Il en était tout autrement en Allemagne. La réforme de Luther avait été accueillie par acclamation, au XVI° siècle, dans une grande partie des États de cette vaste région, comme l'affranchissement du corps à l'égard des pratiques extérieures et gênantes qu'imposait le catholicisme. Dans les pays demeurés catholiques, le zèle des antiliturgistes du XVIII° siècle s'inspira de ces favorables commencements, et quand il voulut tenter une explosion, il se garda bien d'aller perdre un temps précieux à falsifier des bréviaires et des missels. Il appliqua tout franchement et tout directement sur les formes, pour ainsi dire, plastiques du culte catholique ses perfides essais de réforme. Il savait le rationalisme allemand moins subtil que l'esprit français, et vit tout d'abord que l'on pouvait bien laisser le Bréviaire romain intact entre les mains d'un clergé qu'on saurait amener peu à peu à ne plus vouloir réciter aucun bréviaire. Les premières atteintes de cet esprit antiliturgiste, au sein même des catholiques, avaient déjà percé dans les canons de ce fameux concile de Cologne de 1536, dont nous avons parlé ailleurs (1). Mais ce fut bien autre

 

(1) Tome I, page 411.

 

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chose, vers la fin du XVIII° siècle, quand Joseph II s'en vint étayer de l'autorité impériale les plans antiliturgistes que lui suggérait la triple coalition des forces du protestantisme, du jansénisme et de la philosophie. Déjà, on avait miné le catholicisme dans une grande portion du clergé allemand, en dissolvant la notion fondamentale de l'Église, l'autorité du Pontife romain, au moyen des écrits empoisonnés de Fébronius, et plus tard, d'Eybel. Joseph II passant à la pratique, ouvrit, dès 1781, la série de ses règlements sur les matières ecclésiastiques. Il débuta, comme on a toujours fait, par déclarer la guerre aux réguliers, auxquels il enleva l'exemption et les moyens de se perpétuer, en attendant qu'il lui plût de porter la main sur la juridiction épiscopale elle-même. Mais le vrai moyen d'atteindre le catholicisme dans le peuple était de réformer la Liturgie. L'empereur ne s'en fit pas faute, et l'on vit bientôt paraître ces fameux décrets sur le service divin, dont le détail minutieux porta Frédéric II à désigner Joseph sous le nom de mon frère le sacristain. La chose était cependant bien loin d'être plaisante. Les conseillers, de Joseph, et surtout le détestable prince de Kaunitz, dont le nom appartient à cette histoire comme celui d'un des plus grands ennemis de la forme catholique, les conseillers de Joseph, disons-nous,, et sans doute l'empereur lui-même, sentaient parfaitement la portée de ce qu'ils faisaient en préparant l'établissement d'un catholicisme bâtard, qui ne serait ni garanti par des corporations privilégiées, ni régi exclusivement par la hiérarchie, ni basé sur un centre inviolable, ni populaire dans ses démonstrations religieuses.

On vit paraître, entre autres, sous la date du 8 mars 1783, un ordre impérial qui défendait de célébrer plus d'une messe à la fois dans la même église. Le 26 avril suivant, fut promulgué un règlement très étendu, dans lequel l'empereur supprimait plusieurs fêtes, abolissait des

 

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processions, éteignait des confréries, diminuait les expositions du saint Sacrement, enjoignait de se servir du ciboire au lieu de l'ostensoir dans la plupart des bénédictions, prescrivait l'ordre des offices, déterminait les cérémonies qu'on aurait à conserver et celles qu'on devrait abolir, et fixait enfin jusqu'au nombre des cierges qu'on devrait allumer aux divers offices. Peu après, Joseph fit paraître un décret de même sorte portant injonction de faire disparaître les images les plus vénérées par la dévotion populaire. Cependant, quelque philosophiques et libéraux que voulussent être les règlements de l'empereur, il s'y trouvait dès l'abord une disposition non moins antiphilanthropique qu'antiliturgique. Joseph statuait que l'on ferait désormais dans les églises, les dimanches et fêtes, deux sermons distincts,l'un pour les maîtres, l'autre pour les domestiques ; en quoi il se conformait, sans le savoir peut-être, au génie du calvinisme qui se retrouve plus ou moins au fond de tout système antiliturgiste. Il y a longtemps que l'on a observé, pour la première fois, que le peuple qui se presse avec tant d'enthousiasme sous les voûtes étincelantes d'or d'une église catholique, trouve rarement cette hardiesse dans le temple calviniste. C'est que dans l'Église catholique, la pompe révèle la présence de Dieu qui a fait le pauvre comme le riche, tandis que le prêche protestant offre simplement l'aspect d'une froide et cérémonieuse réunion d'hommes. Pour en revenir aux édits de Joseph II, on sait avec quelle obéissance passive ils furent accueillis dans la plupart des provinces allemandes de l'Empire : mais la Belgique toujours fidèle, la Belgique que le voisinage de la France n'a jamais fait dévier du sentier romain de la Liturgie, prit les armes pour résister aux innovations de Joseph II, et préluda, sous l'étendard de la foi, à ces glorieux efforts qui devaient, quarante ans plus tard, après bien d'autres souffrances, fonder son indépendance et l'établir au rang des nations.

 

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Puisse-t-elle n'oublier jamais que le principe de sa liberté politique à l'intérieur et à l'extérieur est la liberté même du catholicisme !

Tandis que Joseph II travaillait à déraciner la  foi de l'Église romaine dans l'empire, cette mère et maîtresse de toutes   les   églises  n'avait   pas   à  souffrir de moindres atteintes de la part des  princes ecclésiastiques de l'Allemagne. Les  archevêques électeurs de Cologne,  Trêves et Mayence, avec l'archevêque prince de Salzbourg, signaient à Ems, le 25 août 1786, ces trop fameux articles dont  le but était d'affranchir, disait-on, la hiérarchie, en anéantissant l'autorité suprême  du Siège   apostolique.   Or, les maximes antiliturgistes avaient pénétré dans le cœur de ces prélats, et s'ils poursuivaient le Christ en son vicaire, ils cherchaient aussi à restreindre  son culte dans l'église. L'un deux,   Jérôme de Collorédo, archevêque de  Salzbourg, avait donné, dès 1782, une   instruction pastorale, dans laquelle il s'élevait contre ce qu'il nommait  le luxe des églises, déclamait contre la vénération des images, et prétendait, entre autres   choses, que le culte des saints n'est pas un point essentiel dans la religion.  C'était bien là, comme l'on voit, l'esprit de  nos novateurs français, mais fortifié de toute l'audace qu'on pouvait se permettre en Allemagne.

Mais ce qui parut le plus étonnant à cette époque, fut l'apparition des mêmes scandales, en Italie, où tout semblait conspirer contre les développements, et même contre les premiers symptômes de l'hérésie antiliturgiste. Cette importation manifesta à la fois les caractères de l'esprit français plus subtil, plus cauteleux, et de l'esprit allemand plus hardi et plus prompt à rompre en visière. On s'expliquera aisément ce double caractère, si on se rappelle les efforts inouïs que les jansénistes français avaient faits pour infiltrer leurs maximes en Italie, et aussi l'influence que devait naturellement exercer sur Léopold,

 

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grand-duc de Toscane, l'exemple de son frère Joseph II. Toutefois, avant d'oser réformer le catholicisme dans la portion de l'Italie qui était malheureusement échue à son zèle, Léopold avait besoin de se sentir encouragé par quelque haut personnage ecclésiastique de ses États. Ce personnage fut Scipion de Ricci, évêque de Pistoie et Prato, l'ami intime du trop fameux professeur Tamburini, le disciple fidèle des appelants français, et l'admirateur fanatique de toutes leurs œuvres, mais spécialement de leurs brillants essais liturgiques.

Le 18 septembre 1786, s'ouvrit à Pistoie, sous les auspices du grand-duc, ce trop fameux synode dont les actes firent dans l'Église un éclat si scandaleux, mais aussi, il faut le dire, si promptement effacé. Ricci était venu trop tôt; peut-être même la mauvaise influence s'était-elle trompée tout à fait sur la contrée où un pareil homme aurait dû naître. Quoi qu'il en soit, le malheureux prélat survécut aux scandales qu'il avait causés, et il a fini ses jours dans la communion de l'Église dont il avait déchiré le sein. Il n'est point de notre sujet de dérouler ici le honteux système de dégradation auquel le synode de Pistoie, dans sa sacrilège outrecuidance, prétendait soumettre tout l'ensemble du catholicisme ; la partie liturgique de ses opérations est la seule que nous ayons le loisir de mettre sous les yeux de nos lecteurs. Ainsi, nous ne nous arrêterons pas à signaler l'audace de cette assemblée, promulguant la doctrine hérétique et condamnée de Baïus et de Quesnel, sur la grâce; adoptant scandaleusement la déclaration de 1682 contre les droits du Pontife romain; abolissant l'exemption des réguliers pour étaler ensuite dogmatiquement le plus dégoûtant presbytérianisme; mais nous citerons d'abord ces mémorables paroles de la session sixième :

« Avant tout, nous jugeons devoir coopérer, avec notre a prélat, à la réforme du bréviaire et du missel de notre

 

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église, en variant, corrigeant et mettant dans un meilleur ordre les offices divins. Chacun sait que Dieu, qui est la vérité,ne veut pas être honoré par des mensonges; et d'autre part, que les plus savants et les plus saints personnages, des papes même, ont dans ces derniers temps reconnu dans notre bréviaire, spécialement pour ce qui regarde les leçons des saints, beaucoup de faussetés, et ont confessé la nécessité d'une plus exacte réforme. Quant à ce qui regarde les autres parties du bréviaire, chacun comprend qu'à beaucoup de choses OU PEU UTILES, OU MOINS EDIFIANTES, il serait nécessaire d'en substituer d’autres TIREES DE LA PAROLE DE DIEU ou des ouvrages originaux des saints Pères; mais, sur toutes choses, on devrait disposer le bréviaire lui-même de façon que, dans le cours de l'année, on pût lire tout entière la sainte Écriture (1). »

Ainsi donc, nous entendrons les antiliturgistes tenir partout un langage uniforme, de Luther à Ricci, en attendant le tour de nos constitutionnels français. Toujours l'Écriture sainte,en place des prières de la tradition; toujours la guerre au culte des saints, l'oubli infligé à leurs œuvres merveilleuses, sous le prétexte d'épurer la vérité de toutes les scories apocryphes dont l'ont souillée

 

(1) Prima di tutto pero noi giudichiamo di dovere cooperare col nostro Prelato allariforma del Breviario e del Messale della nostra Chiesa, variahdo, correggendo e ponendo in migliore ordine i divini Ufizi. Ognun' sa che Iddio, il quale è la verità, non vuole essere onorato con menzogne ; e che per altra parte i piu dotti e santi uomini, e i Pontefici medesimi in questi ultimi tempi hanno riconosciuto nel nostro Breviario, specialmente per quel che riguarda le lezioni dei santi, moite falsita, ed hanno confessato la necessita d'una piu esatta riforma. Per quello che riguarda poi le altre parti del Breviario, ognuno comprende, che a moite cose o poco utili o meno edificanti sarebbe necessario sostituire altre tolte dalla parola di Dio o dalle opère genuine dei Patri; ma soprattutto che dovrebbesi disporre il Breviario medesimo in maniera, che nel cors0 d'unanno vi si leggesse tutta intiera la Santa Scrittura. (Atti e decreti del Concilio Diocesano di Pistoia. Sessione VI, pagina 2o5.)

 

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les légendaires (1). D'où vient donc cette affectation de copier si servilement les fades déclamations des Foinard, des Grandcolas, des Mésenguy, des Baillet, etc. ? Le digne interprète de Scipion de Ricci, l'éditeur de ses Mémoires, de Potter le voltairien, nous l'explique quand il nous dit, en parlant des plans liturgiques de l'évêque de Pistoie : « Ses amis de France, entre autres les abbés Maultrot, Leroy et Clément, et les Italiens qui professaient les mêmes principes, s'étaient hâtés de lui communiquer leurs idées et leurs lumières pour opérer une réforme complète du bréviaire et du missel (2). » Au reste, la prédilection de Ricci pour cette école liturgique paraît assez clairement dans le choix de livres que le synode prescrit aux curés. On se garde bien d'y oublier l'Année chrétienne de Nicolas Le Tourneux, ni l’Exposition de la doctrine chrétienne de Mésenguy. Ces deux chefs-d'œuvre des fameux compilateurs des Bréviaires de Cluny et de Paris, figurent dignement sur le catalogue à côté du rituel d'Alet et des Réflexions morales de Quesnel.

Mais voyons plus avant l'œuvre du synode et ses glorieux efforts pour s'élever dans la réforme liturgique à la hauteur des vues de Joseph II et de son digne frère. Observons d'abord que les Pères du concile diocésain, comme ils s'appellent, sont d'avis qu'on évite dans les églises les décorations trop pariées et trop précieuses, parce qu'elles attirent les sens et entraînent l’âme à l'amour des choses inférieures ; sur quoi les Pères déclarent

 

(1) Nous n'avons pas besoin de réfuter ici ce que dit le synode sur les Papes qui ont réprouvé les Légendes du Bréviaire. Comme il s'agit ici principalement de Benoît XIV, il suffira de rappeler encore une fois ce qu'il dit à ce sujet, savoir qu'il n'est aucune de ces Légendes qui ne soit susceptible d'être défendue.

(2)  De Potter. Mémoires de Scipion de Ricci, évêque de Pistoie et Prato, réformateur du catholicisme en Toscane, sous le règne de Léopold. Tome II, page 220.

 

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embrasser la doctrine de l'instruction pastorale de Jérôme de Collorédo, archevêque de Salzbourg (1).

Dans le chapitre sur la réforme des réguliers, ils émettent le vœu que ceux-ci n'aient point d'églises ouvertes au public ; qu'on y diminue les offices divins, et qu'il n'y soit célébré qu'une, ou, tout au plus, deux messes par jour, les autres prêtres se bornant à concélébrer (2).

Dans la même session, il plaît aux Pères d'abolir les : processions qui avaient lieu pour visiter quelque image , de la sainte Vierge ou d'un saint, et de prescrire aux curés de la campagne de restreindre le plus possible la longueur et la durée de celles des Rogations. Le but de ces suppressions, disent-ils, est d'empêcher les rassemblements tumultueux et indécents, et les repas qui accompagnaient ces processions. Quant aux fêtes, les Pères se plaignent de ce que, par leur multiplicité, elles sont aux riches une occasion d'oisiveté, et aux pauvres une source de misère, et sont résolus de s'adresser à S. A. S. le Grand-Duc, pour obtenir une réduction dans le nombre de ces jours consacrés aux devoirs religieux (3). C'est, sans doute, pour honorer en Léopold la qualité de prince de la Liturgie, que les Pères décrètent qu'on ajoutera désormais au Canon ces paroles : Et pro Magno Duce nostro N. (4). On voit que l'esprit des antiliturgistes est partout le même, en Italie comme ailleurs : la seconde majesté profite toujours des dépouilles de la première.

« Pour ce qui regarde les pratiques extérieures de la dévotion envers la sainte Vierge et les autres saints, disent les Pères, nous voulons qu'on enlève toute ombre de superstition, comme serait d'attribuer une certaine efficacité à un nombre déterminé de prières et de

 

(1)  Sessione IV, pag. 129.

(2)  Sessione VI, pag. 238, 239.

(3)  Ibid. pag. 207-209.

(4)  Ibid., pag., 204.

 

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salutations dont, la plupart du temps, on ne suit pas le sens, et généralement à tout autre acte, ou objet extérieur ou matériel (1). »

Après cette flétrissure infligée au rosaire et aux diverses couronnes ou chapelets approuvés et recommandés par le Saint-Siège, les réformateurs de Pistoie devaient naturellement en venir à poursuivre les images. C'est pourquoi, immédiatement après, ils enjoignent d'enlever des églises toutes les images qui représentent de faux dogmes, celles par exemple du Cœur de Jésus, et celles qui sont aux simples une occasion d'erreur, comme les images de l’incompréhensible Trinité. On enlèvera de même celles dans lesquelles il paraît que le peuple a mis une confiance singulière, ou reconnaît quelque vertu spéciale. Le synode ordonne pareillement de déraciner la pernicieuse coutume qui distingue certaines images de la Vierge par des titres et noms particuliers, la plupart du temps vains et puérils , comme aussi celle de couvrir d'un voile certaines images ; ce qui, en faisant supposer au peuple qu'elles auraient une vertu spéciale, contribue encore à anéantir toute l'utilité et la fin des images (2).

La réforme dans le culte de la sainte Vierge et des saints n'était pour le synode qu'une conséquence de la réforme à laquelle, toujours à la remorque de Joseph II, il avait cru devoir soumettre le culte même du saint Sacrement et le sacrifice de la messe.  

Ainsi, les Pères du concile diocésain décrétèrent qu'on rétablira l'antique usage de n'avoir qu'un seul autel dans la même église (3). On ne placera sur cet autel ni reliquaires, ni fleurs (4). La participation à la victime, disent-ils un peu plus loin, est une partie essentielle du

 

(1)  Sessione VI, pag. 201.

(2) Ibid. pag. 202.

(3)  Sessione IV, pag. 13o.

(4)  Ibidem.

 

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sacrifice ; toutefois, on veut bien ne pas condamner comme illicites les messes auxquelles les assistants ne communient pas sacramentellement (1). En effet, cette hardiesse aurait semblé par trop luthérienne ; mais on déclare qu'excepté dans les cas de grave nécessité, les fidèles ne pourront communier qu'avec des hosties consacrées à la messe même à laquelle ils auront assisté (2).

Quant à la langue à employer dans la célébration des saints mystères, on découvre les intentions du synode dans ces paroles expressives : Le saint Synode désirerait qu'on réduisît les rites de la Liturgie à une plus grande simplicité ; qu'on l'exposât en langue vulgaire, et qu'on la proférât toujours à haute voix (3) ; car, ajoutent plus loin les Pères avec Quesnel leur patron : Ce serait agir contre la pratique apostolique et contre les intentions de Dieu, que de ne pas procurer au simple peuple les moyens les plus faciles pour, unir sa voix à celle de toute l'Église (4).

Ailleurs, on enseigne que c'est une erreur condamnable de croire qu'il soit en la volonté du Prêtre d'appliquer le fruit spécial du sacrifice à qui il veut (5).

Quant à la vénération à rendre au mystère de l'Eucharistie, le synode ordonne de réduire l'exposition du saint Sacrement à la seule fête et octave du Corpus Domini, excepté dans la cathédrale où l'exposition sera permise une fois le mois ; dans les autres églises, aux jours de dimanche et de fête ; on donnera seulement la bénédiction avec le ciboire (6). Le nombre des cierges allumés en présence du saint Sacrement exposé dans  l'octave du

 

(1)   Sessione IV, pag. 13o.

(2)  Ibidem.

(3)  Ibid., pag. 131.

(4)  Ibid., page 206.

(5)  Ibid., pag. 132.

(6)  Ibid., pag. 126.

 

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Corpus Domini, ne pourra excéder trente à la cathédrale et vingt-quatre dans les paroisses (1).

Ailleurs, les antiliturgistes de Pistoie poursuivent la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et à la Passion de Notre-Seigneur, sous l'affectation d'une orthodoxie dont la prétention est surtout ridicule dans des hérétiques. Attendu, disent-ils, que ce serait une erreur dès longtemps anathématisée dans l'Église que d'adorer en Jésus-Christ l'humanité, la chair ou toute portion de cette chair, séparément de la divinité, ou avec une séparation sophistique ; ainsi serait-ce également une erreur d'adresser à cette humanité nos prières, au moyen d'une semblable division ou abstraction. C'est pourquoi, souscrivant pleinement à la lettre pastorale de notre évêque, du 3 juin 1781, sur la dévotion nouvelle au Cœur de Jésus, nous rejetons cette dévotion et les autres semblables, comme nouvelles et erronées, ou tout au moins comme dangereuses (2). Dans cette lettre pastorale, Scipion de Ricci avait dit en. propres termes, confondant la vérité et l’erreur : Ni la très sainte chair de Jésus-Christ, ni un petit morceau (un pezzetto) de cette chair, ni son humanité tout entière, avec séparation de la divinité, ni aucune qualité ou perfection de Jésus-Christ, ni son amour, ni le symbole de cet amour, ne peuvent jamais être l'objet du culte de latrie (3).

Quant au mystère de la Passion, dit le synode, s'il doit particulièrement occuper notre piété, il faut aussi dégager cette piété elle-même de toutes les inutiles et dangereuses matérialités auxquelles ont voulu l'assujettir les dévots superstitieux des derniers siècles. L'esprit de componction et de ferveur ne peut pas certainement être attaché à  un  nombre   déterminé  de  STATIONS,   à des

 

(1)  Appendice al Sinodo, N° IV.

(2)  SessioneVI, pag.  198.

(3)  Appendice, N° XXXII.

 

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réflexions arbitraires,   souvent  fausses,   plus souvent encore capricieuses, et toujours périlleuses (1).

On voit que nos réformateurs du catholicisme allaient vite en besogne, et que si, à la façon des novateurs français, la refonte des livres liturgiques sur un plan janséniste leur paraissait un moyen important d'avancer l'œuvre, ils voulaient mener de front, à la manière de Joseph II, la réduction extérieure des formes du culte catholique. Ils s'étaient trompés en prenant ainsi l'Italie pour l'Allemagne; car si c'était un avantage pour la Toscane d'être régie par un prince de la maison d'Autriche, c'était du moins une grande faiblesse de jugement dans Léopold, que de vouloir régir les populations au rebours de leur génie et de leurs habitudes.

Le synode de Pistoie fut imité par ceux que présidèrent peu après dans leurs diocèses, Sciarelli, évêque de Colle, et Marani, évêque d'Arezzo, lesquels tinrent à honneur de marcher à la suite de Ricci et de ses curés. Dès lors, le parti janséniste ne put contenir la joie de son triomphe, et le grand-duc se crut assuré de la victoire sur les préjugés surannés d'un catholicisme bigot. Dès le 26 janvier 1786, voulant s'assurer de la coopération du clergé dans la réforme religieuse qu'il projetait, il avait adressé à tous les prélats de son duché cinquante-sept articles de consultation. Les principaux de ces articles roulaient sur la réforme indispensable du bréviaire et du missel ; sur l'abolition de toute aumône pour les messes ; sur la réduction du luxe des temples ; sur la défense de célébrer plus d'une messe par jour dans chaque église; sur l'examen à faire de toutes les reliques; sur le dévoilement des images couvertes ; sur l'administration des sacrements en langue vulgaire ; sur l'instruction à donner au peuple touchant la communion des saints et les suffrages

 

(1) Sessione VI, pag.  199.

 

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pour les défunts; sur l'urgence de soumettre les réguliers aux ordinaires, etc., etc. On y insistait spécialement sur la nécessité de tenir des synodes diocésains, à l'aide desquels Léopold espérait faire pénétrer dans le clergé du second ordre les maximes qu'il lui tardait tant de voir adoptées par ses évêques. Ces Points ecclésiastiques (Punti ecclesiastici) avec les réponses des archevêques et évêques de Toscane furent publiés à Florence, en 1787. On voit au frontispice du livre le portrait du grand-duc soutenu par la Renommée et entouré de figures allégoriques de la Justice, du Commerce, de l'Abondance et du Temps. Au-dessous, est un génie qui tient un livre ouvert, sur ; lequel est écrit en grandes lettres et en français, le mot : Encyclopédie. C'était sans doute assez pour montrer les intentions ultérieures des antiliturgistes.

Le voltairien de Potter, qui nous a conservé de précieux détails dans ses ignobles Mémoires de Scipion de Ricci, nous apprend en détail quelle fut la réponse des évêques de Toscane aux cinquante-sept Points (1). Ricci, dont les influences avaient été pour beaucoup dans les résolutions de Léopold, et qui se préparait à tenir son synode, fit telle réponse qu'on pouvait souhaiter ; en quoi il fut imité par Sciarelli, évêque de Colle ; Pannilini, évêque de Chiusi, et Santi, évêque de Soana. Marani et Ciribi, évêques dArezzo et de Cortone, s'expliquèrent dans le même sens, mais avec plus de modération. Les autres prélats, Martini, archevêque de Florence ; Costaguti, Vannucci, Pecci, Vincenti, Bonaccini, évêques de Borgo San-Sepolcro, Massa, Montalcino, Pescia, et Volterra, se déclarèrent avec courage, dans leurs réponses, contre les innovations proposées ; mais nous devons une mention spéciale aux intrépides prélats Franceschi et Borghesi, archevêques de Pise et de Sienne; Mancini, Fazzi, Franci

 

(1) Tome IV, pages 249-264.

 

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et Franzesi, évêques de Fiesole, San-Miniato, Grosseto et Montepulciano, qui manifestèrent par les termes les plus énergiques, dans leurs réponses, toute l'horreur que leur inspiraient les propositions antiliturgistes qu'on avait osé leur faire.

Ce fut après la réception de ces diverses lettres, et aussi après la célébration des synodes de Pistoie, de Colle et d'Arezzo, les seuls dont Léopold put obtenir la tenue, que ce prince convoqua une assemblée générale des évêques de Toscane,qui s'ouvrit à Florence le 23 avril 1787. S'il l'on en croit les Mémoires de Ricci (1), les prélats qui s'étaient montrés si fermes dans leur réponse aux Points ecclésiastiques, aucaient manifesté, dans l'assemblée, une moindre opposition aux volontés du grand-duc, sur certains points de doctrine liturgique, notamment sur la réforme du Bréviaire et du Missel romains, dont les trois archevêques auraient accepté la commission. L'auteur des Mémoires sur l'Histoire ecclésiastique , au XVIII° siècle, ajoute même qu'il fut arrêté qu'on traduirait le rituel en italien, pour ce qui concerne l'administration des sacrements, excepté les paroles sacramentelles qui se diraient toujours en latin (2). Quoi qu'il en soit, de Potter est obligé de convenir que des réclamations violentes s'élevèrent à toutes les séances, de la part des évêques, contre les principaux fauteurs de l'innovation, Ricci, Sciarelli, Pannilini et Santi. Et, d'ailleurs, la discussion roula sur un grand nombre d'autres articles de droits ecclésiastique, à l'occasion desquels la majorité se montra animée de la plus courageuse énergie pour les droits du Saint-Siège. L'assemblée tint sa dix-neuvième et dernière session, le 5 juin 1787, et s'étant présentée à l'audience du grand-duc, elle reçut les témoignages   les

 

(1) Tome IV, pages 216-249.

(2) Mémoires, tome II, page 88.

 

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plus significatifs de mécontentement de la part du prince, pour le peu d'harmonie qui avait régné dans son sein, pour l’esprit de préjugé et de parti qui avait constamment guidé le plus grand nombre des prélats (1). Léopold, toujours poussé par le parti janséniste, décréta plusieurs édits propres à accroître et à consolider le scandale. « Sans aucun égard pour la Cour de Rome, dit de Potter, on soumit le clergé régulier aux ordinaires ; on déclara qu'à l'avenir la doctrine de saint Augustin devrait être suivie dans l'enseignement ecclésiastique ; on ordonna la réforme des missels et des bréviaires, etc. (2). »

Toutefois, ainsi que nous l'avons dit, cette levée de boucliers n'eut pas de suites. La dislocation sociale qui, en France, avait couronné les efforts persévérants du parti anarchiste, ouvrit les yeux de Léopold. Il eut le bon esprit de comprendre que l'évêque du dehors commet un acte impolitique dont le châtiment, tôt ou tard, retombe sur sa tête, toutes les fois que, convié par les sacrilèges flatteries d'un pasteur lâche ou corrompu, il ose mettre la main à l'encensoir. Mais il est facile de comprendre comment les instincts du despotisme ont si souvent conduit les princes à tenter ou à seconder les attentats des antiliturgistes. Les démonstrations liturgiques sont éminemment populaires ; elles tendent à réunir les masses dans le temple catholique, comme dans le centre de leur vie sociale; elles resserrent le lien qui les attache au sacerdoce. Donc, les ennemis du spiritualisme dans les peuples doivent les avoir en horreur. Et voilà pourquoi chez nous, en ce moment, les ennemis des processions, soi-disant libéraux, se ruent à la suite des Joseph II et des Léopold, monarques du bon plaisir. Heureuse la France de n'avoir pas de ces vils pasteurs dont  toute la gloire était

 

(1)  De Potter. Mémoires, tome III, page.247. 

(2)  Ibid. page 248.

 

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d'enchaîner l'Église au marchepied du trône, comme les Ricci, les Pannilini, les Sciarelli ! Ajoutons encore un trait pour faire connaître ces dignes coryphées de l'hérésie antiliturgiste.

Franzesi, évêque de Montepulciano, dans un mémoire contre la prétention des novateurs, de réduire à un seul les autels de chaque église, avait osé faire remarquer que le grand-duc lui-même, qui poussait avec tant de chaleur l'adoption de cette mesure, faisait alors bâtir des églises, à plusieurs autels. Ricci et ses deux dignes collègues répondirent à cette objection : Que prétend donc le théologien ( consulteur du prélat), par cette assertion vague et téméraire ? Que le souverain s'est contredit, ou qu'il a changé d'opinion ? Ce serait un sacrilège d'en avoir la pensée (1). » Voilà ce que la secte antiliturgiste sait faire de la liberté ecclésiastique et de la dignité humaine. Considérons maintenant ce qu'elle voudrait faire du catholicisme lui-même.

Nous pourrions nous contenter de renvoyer le lecteur au XIV° chapitre de cette histoire, dans lequel nous avons traité de l’Hérésie antiliturgiste et de la réforme protestante du XVI° siècle, dans ses rapports avec la Liturgie ; mais, comme il est utile de déduire les enseignements qui résultent du récit que nous avons fait dans les chapitres précédents, nous nous arrêterons quelques instants à résumer le système des ennemis de la foi catholique, tel

 

(1) Che pretende dunque il teologo in quella vaga e temeraria asserzione? Che il soprano siassi contradetto, o che abbia mutato sentimento? Sarebbe sacrilegio il sospettarlo. (Mémoires de Ricci. Tome IV, page 271.) — La brutalité de ce servilisme contraint le voltairien de Potter à faire cette curieuse observation, en dépit de ses préventions fanatiques pour Ricci et consorts : Ce passage démontre bien quelles sont les funestes conséquences d'avoir une opposition fanatique. Les personnes raisonnables, pour vaincre le fanatisme, sont forcées de jeter dans l'absurdité de l'ultramonarchisme, et le peuple devient nécessairement le jouet et la victime, ou de ses prêtres, ou de son gouvernement.

 

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qu'il apparaît dans l'ensemble des lois et règlements à l'aide desquels ils ont espéré étouffer cette divine foi. C'est l'esprit protestant lâchement caché sous des dehors catholiques que nous voulons démasquer, et notre intention est de faire voir ce que ces perfides pharisiens ont tenté pour anéantir, autant qu'il était en eux, l'adorable mystère de la très sainte-Eucharistie.

Auparavant, si le temps et l'espace nous le permettaient, nous aimerions à montrer en détail toute la portée des embûches qu'ils ont tendues à la foi des peuples, dans ce qui touche le culte de la glorieuse Vierge Marie et des saints. Nous dirions comment ils les ont livrés, ces peuples sans défense, au souffle glacé du rationalisme, en expulsant de la Liturgie, et, partant, de la mémoire des fidèles, la plupart des miracles et des dons merveilleux accordés aux saints, sous le vain prétexte des droits de la critique; comme s'il suffisait de la volonté d'un pédant pour faire reconnaître comme incontestables les stupides affirmations du pyrrhonisme historique. Nous dirions comment ils ont retranché du bréviaire, et bientôt des Vies même des saints, le récit des actes de vertu extraordinaire inspirés par l'Esprit de Dieu à ses membres, sous la futile apparence que ces faits ne seraient pas imitables ; comme si l'Esprit de Dieu, dans les livres qu'il a dictés lui-même, n'avait pas accumulé pour sa gloire les actes les plus extraordinaires, aussi bien que les actes les plus vulgaires en apparence (1). Nous dirions comment il était inévitable au peuple d'oublier les actions, les mérites, les services et jusqu'au nom des  saints  patrons,  du  moment

 

(1) Qu'on se rappelle ici la sévère censure de la Sorbonne de 1548, contre le Bréviaire d'Orléans donné à cette époque, et dans lequel on commença à faire subir aux légendes des saints les mutilations dont nous parlons. La Faculté ne fait nulle difficulté de trancher le mot. Nova ista mutatio imprudens, temeraria et scandalosa, neque carens suspicionefavendi haereticis. Voyez ci-dessus, tome I, pages 439, 440, et 590 et 591.

 

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qu'on abolissait les antiques répons et antiennes où ces noms sacrés, avec les merveilles qu'ils rappellent, étaient consignés et si souvent embellis par les plus gracieuses mélodies, pour mettre en place quelques phrases de la Bible, bien froides, bien décousues ; comme si des paroles générales tirées de l'Écriture sainte, et amenées, à grands frais pour célébrer tel saint auquel elles n'avaient pas plus de rapport qu'à tel autre saint, pouvaient servir dans un degré quelconque à maintenir des traditions. Nous dirions comment la guerre qu'on a faite jusqu'à nos jours dans une grande partie de l'Europe catholique, aux images miraculeuses, aux sanctuaires révérés, aux pèlerinages, aux processions extraordinaires, était une hostilité flagrante contre le Seigneur et contre ses christs ( 1 ) ; puisque, si le Concile de Trente enseigne qu'il ne faut pas croire qu'il y ait dans les images une vertu qui vienne d'elles, on n'en doit pas conclure que cette auguste assemblée ait voulu contester à Dieu le droit de choisir certains lieux de ce monde qui est à lui, pour y manifester plus directement sa gloire dans la Vierge Marie, ou dans les saints. Nous dirions qu'en supprimant avec violence les fêtes populaires dans lesquelles les habitants des villes et des campagnes se livraient à une joie, quelquefois abusive, nous en convenons, Joseph II, Léopold, Jérôme de Collorédo, Ricci, etc., voulaient bien plus éteindre les influences religieuses puisées dans le culte des saints, que favoriser, ainsi qu'ils le prétendaient, la réforme des mœurs et l'avancement des saines doctrines de l'économie politique ; comme si les mœurs étaient meilleures et la nation plus heureuse, quand le motif des réjouissances publiques ne provient plus d'une source religieuse, mais tout simplement des habitudes grossières d'un peuple inaccessible d'ailleurs à l'idée de morale qui ne lui vient

 

(1) Nolite tangere christos meos. Psalm. CIV, 15.

 

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pas par l'organe de la religion. Nous dirions enfin qu'on a grandement nui à la foi des peuples qui tire un si puissant accroissement de la vénération des saints, en répétant sur tous les  tons, et avec  toute  l'exagération de Port-Royal, que la sainte Vierge et les saints repoussent tout hommage de la part de ceux qui n'imitent pas leurs vertus ; qu'il est inutile de songer à leur plaire par des prières, des vœux, des chants, des démonstrations extérieures, si l'on n'est pas déjà vivant de la vie de la grâce et de la sainteté ; comme si la simple louange n'était pas déjà   un   acte   surnaturel   et   excellent  de la religion; comme si celui qui rend hommage à la sainteté ne protestait pas déjà contre le péché qui est dans son cœur ; comme si tout acte religieux, pour n'être pas  parfait, n'était pas un acte conforme à l'ordre ; comme si, enfin, la miséricordieuse Mère du Sauveur et les Amis de Dieu ne devaient pas se  trouver inclinés à demander à Dieu l'entière conversion de ces pauvres âmes qui, trop charnelles encore dans leurs espérances et leurs vœux, n'ont jusqu'ici compris, comme la Samaritaine, que dans un sens matériel, cette eau qui jaillit jusqu'à la vie éternelle! Le fait est que depuis le triomphe de toutes ces théories perfectionnées, nous ne connaissons plus la vie des saints, et qu'après un siècle et demi de rationalisme, la simple explication des légendes de nos vitraux et de notre antique peinture et statuaire catholique est devenue l'objet d'une science. Dieu fasse que cette science ne soit pas de longue durée, par notre retour aux antiques traditions de la foi    de nos pères, aux livres vénérables qui l'ont gardée toujours  vierge et pure,  tandis  que nous  allions   boire à d'autres sources !

Mais arrêtons-nous à considérer l'outrage insigne dont l'adorable mystère de l'Eucharistie a été l'objet au sein même de plusieurs nations catholiques. C'est ici qu'éclate la malice de satan. Nous avons montré ailleurs comment

 

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les albigeois et les vaudois parvenaient à éluder la divine miséricorde du Sauveur présent sous les espèces eucharistiques, en prêchant partout que le prêtre, s'il n'est en état de grâce, ne consacre pas ; d'où il s'ensuivait que Dieu seul connaissant le cœur de l'homme, le fidèle n'aurait pu croire à la présence du Christ dans l'hostie qu'il recevait à la communion, qu'autant qu'il eût été associé à la science même de Dieu. Nos antiliturgistes n'osèrent non plus nier la divine Eucharistie; mais comme elle est l'objet de la foi des fidèles, le sacrifice propitiatoire du salut du monde, la nourriture vivifiante du chrétien sur la terre, il leur sembla bon de la poursuivre sous ce triple rapport. En effet, s'ils eussent été jaloux de voir le Sauveur des hommes recueillir l'hommage de la piété publique dans le mystère de son amour, pourquoi ces édits, ces décrets  synodaux pour   interdire l'exposition   du saint Sacrement, pour éteindre les lumières qui se consumaient, en signe populaire de joie et d'amour, sur l'autel ; pour enjoindre de se servir du ciboire qui voile l'hostie, plutôt que de l'ostensoir qui la montre et l'entoure d'une couronne radieuse, vrai triomphe pour la piété ? Pourquoi tant d'écrits, de règlements hostiles au rite de l'exposition du saint Sacrement, dans divers pays, mesures dont les motifs semblent puisés dans le livre condamné du trop fameux J.-B. Thiers ? Pourquoi avoir humilié à un degré inférieur, dans  un si grand nombre de nouveaux bréviaires  et missels, la fête du Corps du Seigneur, qui, jusqu'alors, était mise au rang des plus grandes solennités ? Quel siècle, quels hommes que ceux qui trouvèrent qu'il y avait en cela de l'excès !

Quant au sacrifice eucharistique lui-même, que n'ont pas fait les antiliturgistes, pour en amoindrir la notion dans l'esprit des peuples ? L'autel les gêne ; ils voudraient n'y voir plus qu'une table. Ils en ôteront, comme à Troyes et à Asnières, la croix et les chandeliers; les reliques et

 

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les fleurs, comme en Toscane, poursuivant ainsi le Christ jusque dans ses saints, et voulant que l'autel de Dieu soit nu et glacé comme leur cœur. Autour de cet autel, sur les dons sacrés, des rites augustes, apostoliques, mosaïques même, s'accomplissent ; ils en conserveront une partie, après les avoir purgés de tout symbolisme, pour qu'ils ne soient plus que des usages vulgaires et vides de réalité. Une langue sacrée environnait comme d'un nuage la majesté de cet autel et des mystères qu'il porte ; on préparera l'abolition de cet usage vénérable, en initiant le vulgaire aux plus profondes merveilles du sanctuaire par des traductions, en invitant le prêtre, au nom d'une chimérique antiquité, à rompre le silence du canon, en attendant qu'en certains temps et en certains lieux, on ose décliner enfin la prétention qu'on a de proclamer, comme Calvin, la langue vulgaire. Déjà, n'a-t-on pas fait admettre que la Bible seule doit fournir la matière des offices divins, aux dépens de la tradition ? Ne l'a-t-on pas mise en pièces à coups de ciseaux, pour en faire une mosaïque à l'aide de laquelle on décrira telles figures que l'on voudra ?

Mais, pour en revenir au divin sacrifice, voyez avec quelle affectation on répète cette vérité incontestable en elle-même, mais dont il est si facile d'abuser à cette époque de calvinisme déguisé, que le peuple offre avec le prêtre, afin d'étayer d'autant ce, laïcisme, frère du presbytérianisme, qui apparut peu d'années après, avec un si éclatant triomphe, dans la constitution civile du clergé. Toutefois, ce n'est point encore assez pour la secte. Elle peut insulter le sacrifice catholique, mais elle ne peut l'abolir. Dès lors, toute son adresse tendra à en rendre la célébration plus rare. D'abord, elle inculquera au prêtre timoré qui, par le plus étrange travers, s'en vient mettre sa conscience à la disposition de quelqu'un de ses adeptes, elle lui

 

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inculquera (1) qu'il y aurait de l'imprudence à un prêtre, même pieux, de célébrer la messe plus de trois ou quatre fois par semaine. Que si, enfin, il ose monter à l'autel, il trouvera jusque dans le missel la condamnation de sa témérité; car la secte a souillé jusqu'au missel (2). Bientôt, soutenue dans son audace par les Joseph II et les Léopold, on la verra interdire la célébration simultanée des messes dans une même église ; elle ira même jusqu'à réduire le nombre des autels à un seul. Éclairée par les prescriptions de Ricci, elle trouvera un nouveau moyen de restreindre encore l'oblation de ce sacrifice qui lui est si odieux: ce sera en rétablissant l'usage de l'Église primitive, suivant lequel tous les prêtres d'une église concélébreraient à une seule messe. Quant aux réguliers, on saura bien les y forcer, en ne tolérant qu'un prêtre ou deux dans chaque monastère : d'ailleurs, les églises des réguliers seront interdites au peuple. Enfin, et nous achèverons par ce dernier trait, afin d'empêcher la célébration de la messe plus efficacement encore, le synode de Pistoie enseignera dogmatiquement que c'est une erreur de penser que le sacrifice de la messe profite davantage à celui pour lequel le prêtre a l'intention particulière de l'offrir. Que lui importe de mentir à la tradition catholique, si par là il est à même de porter à la foi du sacrifice dans l'esprit des peuples, une atteinte digne de Calvin ?

Si nous en venons à l'Eucharistie, considérée comme nourriture du chrétien, nous la voyons poursuivie sous

 

(1)  Du Guet, Traité sur les dispositions pour offrir les saints mystères, page 32.

(2)  En la Messe de saint Jérôme, au Missel de l'archevêque Vintimille, rédigé par l'acolyte Mésenguy, on a lu pendant bien des années cette Secrète, digne pendant de certaine Postcommunion de saint Damase qu'on y lit encore : Sacrificium salutis nostrœ fac nos tibi, Domine, cum timore ac tremore offerre, quod sanctus Presbyter Hieronymus prae verecundia et humilitate veritus est exercere.

 

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ce rapport avec le même acharnement par les antiliturgistes. Ici, comme toujours, les théories viennent de France ; l'application brutale et audacieuse aura lieu dans d'autres pays. Le livre de la Fréquente Communion, d'Antoine Arnauld, le Rituel d'Alet, ces deux productions du parti qui ont exercé et exercent encore sourdement une si grande influence sur la pratique des sacrements en France, donnent, comme l'on sait, pour maxime fondamentale, que la communion est la récompense d'une piété avancée et non d'une vertu commençante. Qui oserait calculer jusqu'à quel degré cette maxime toute seule a produit la désertion de la table sainte ! Les novateurs d'Italie, toutefois, ne s'arrêteront pas là; ils s'appliqueront à fatiguer la piété des fidèles, en décrétant qu'on ne devra plus communier les fidèles qu'avec des hosties consacrées à la messe même à laquelle ils auront assisté, ou du moins qu'on ne devra plus administrer la communion hors le temps de la messe (1) ; double ruse qui, étant bien conduite, suffira pour priver de la communion un grand nombre de personnes, à raison des embarras et des pré-

 

(1) Telle fut la rage des novateurs sur ce dernier point, qu'il devint nécessaire que Benoît XIV publiât une constitution adressée aux évêques de toute l'Italie, pour décider solennellement que, quelque louable que soit l'intention de participer, par la communion, au sacrifice même auquel on assiste, il n'y a pour les prêtres aucune sorte d'obligation de distribuer, infra ipsam actionem, la communion à tous ceux qui la demandent. Cette constitution est du 13 novembre 1742. La question avait été violemment agitée, d'abord dans le diocèse de Crêma, par Joseph Guerrieri, chanoine de la cathédrale, qui enseigna publiquement qu'on devait improuver la coutume de communier les fidèles avec des particules consacrées à une messe précédente. Il fut bientôt suivi par Michel-Marie Nannaroni, dominicain, qui enseigna la même doctrine dans un catéchisme spécial sur la communion, qu'il fit paraître à Naples en 1770. Nannaroni ne tarda pas d'être réfuté dans une Dissertation théologico-critique, publiée à Naples en 1774, par Joseph-Marie Elefante, aussi dominicain, et abjura bientôt son sentiment. Enfin, on vit paraître, à Pavie, en 1779, une Dissertation de incruenti novœ legis sacrificii communione, dont l'auteur était un servite, nommé Charles-Marie Traversari. Elle était dans le sens des novateurs, et ne tarda pas d'être mise à l'Index, ainsi que le livre de Nannaroni. On peut lire, sur cette controverse, l'ouvrage de Benoît Vulpi, sous ce titre : Storia della celebre controversia di Crema sopra il pubblico divin diratto alla communione Eucaristica nella Messa, con una dissertazione sullo stesso argumento. Venise, 1790.

 

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textes qu'il est facile d'alléguer dans une grande église. C'était dans le même but que le Missel de Troyes supprimait les prières qui, dans le rite actuel de l'Église, accompagnent l'administration de l'Eucharistie. Le docteur Petitpied et ses pareils prétendaient par là faire considérer la communion des fidèles comme une partie inséparable de la messe ; d'où il serait facile de conclure, avec Luther, que les messes où personne ne communie sont contraires à l'institution de l'Eucharistie, tandis que, d'autre part, étant certain que les fidèles ne doivent communier que quand ils en sont dignes, ce qui n'arrive guère, le sacrement divin, mémorial de la Passion du Sauveur, centre de la religion et nourriture de l'Église, se trouve à peu près réduit à l'état d'abstraction. Et voilà les œuvres de la secte qui, comme un chancre, s'était glissée parmi nous. Nous le demandons, n'avait-elle pas pris, sous l'inspiration de Satan, tous les moyens de faire périr dans ses racines l'arbre qu'elle désespérait d'abattre ?

Mais la bénignité et l'humanité de notre Dieu et Sauveur ont apparu (1), et nous avons été préservés. Ces hommes, qui voulaient nous faire oublier que Dieu a tant aimé le monde (2), ont été confondus, et aujourd'hui, comme Caïn, ils sont marqués au front, ceux qui voulaient substituer dans le cœur des fidèles la terreur à la charité. Arrière donc ces doctrines fatales qui, réduisant tout le christianisme au dogme de la prédestination interprété par une raison sauvage, ne se pouvaient compléter que par le rigorisme d'une morale impraticable, ni

 

(1) Tit. III, 4.

(2) Joan., III, 16.

 

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s'exprimer au dehors que par les formes sèches et prosaïques d'une Liturgie dont la Synagogue elle-même eût détesté la froideur. De même qu'à l'apparition de ces erreurs manichéennes et rationalistes en même temps, qui niaient la chair et pour qui la divine Eucharistie était une chose impure ou une idolâtrie, le Sauveur ordonna à son Église de proclamer avec une pompe nouvelle le mystère de son Corps, par la fête, la procession et l'exposition du saint Sacrement ; ainsi, quand l'audace pharisaïque des antiliturgistes, n'osant s'attaquer à la réalité de ce Corps divin, s'appliquait avec une infernale opiniâtreté à montrer dans le Fils de Dieu celui qui juge le monde et non celui qui le sauve, à écarter de ses autels les chrétiens effrayés au bruit de cette affreuse maxime, que le sang de la Rédemption n'a point été répandu pour tous, le Sauveur des hommes daigne calmer ces terreurs en invitant les fidèles à se reposer sur son Cœur, c'est-à-dire sur son amour, en permettant qu'ils honorent d'un culte spécial le divin organe de la charité dans la personne de l'Homme-Dieu. Il ne fallait pas moins pour rassurer les chrétiens épouvantés de la dureté des préceptes, de la difficulté du salut, de la rigueur des décrets dont on leur disait qu'ils étaient l'objet. Le culte du Sacré-Cœur de Jésus fut donc la forme que devait prendre et que prit, en en effet, l'espérance chrétienne échappée au naufrage. Elle se jeta dans le Cœur de Celui qui a dit lui-même être venu pour les pécheurs et non pour les justes, et qui n'abandonne Jérusalem que parce qu'elle n'a pas voulu connaître le temps de sa visite.

Grande fut la colère du jansénisme, à la nouvelle que toutes ses tentatives allaient échouer contre la confiance que les peuples mettraient dans le Cœur de leur Sauveur. Ces sectaires qui, pour perfectionner l'homme, voulaient commencer par lui arracher le cœur, voyant que le Cœur de l'Homme-Dieu, à la fois symbole et  organe de son

 

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amour, recevait les adorations de la chrétienté, se prirent à nier le cœur dans l'homme, pour le nier ensuite dans le Christ lui-même. Donnant un brutal démenti à l'humanité tout entière, qui plaça toujours dans le cœur le siège des affections, ils ne craignirent point de poursuivre ce noble organe jusque dans la poitrine de l'Homme-Dieu. Nous avons vu comment Ricci appela le Cœur de Jésus-Christ un petit morceau de chair (un pezzetto di carne) ; Grégoire n'y reconnut qu'un muscle (1) ; un de ses amis, digne de lui, Veiluva, chanoine d'Asti, ne voit dans un tableau du Sacré-Cœur qu'un grand foie tout rayonnant (2). Mais à ces blasphèmes ignobles et furibonds, il était facile de voir que la secte se sentait atteinte dans le principe même de son existence. L'amour chasse dehors la crainte, a dit le disciple bien-aimé (3), celui qui, dans la Cène, se reposa sur le Cœur du Sauveur; le culte du Sacré-Cœur de Jésus chasse dehors l'affreux destin, idole implacable, que la secte avait substitué à la douce image de Celui qui aime toutes les œuvres de ses mains, et veut que tous les hommes soient sauvés.

Nous aurons ailleurs l'occasion de parler de la fête du Sacré-Cœur de Jésus ; toutefois, les nécessités de notre récit nous obligent à toucher ici quelque chose des circonstances de son institution. Elle fut d'abord révélée à une humble religieuse, et cette révélation fut le secret du cloître, avant d'être la grande nouvelle dans l'assemblée des fidèles. L'institut vénérable de la Visitation, fondé par saint François de Sales, fut celui que Dieu choisit pour y faire connaître l'œuvre de sa douce puissance, par le moyen de la vénérable Mère Marguerite-Marie Alacoque, comme pour glorifier davantage, par ce moyen, la doctrine du  saint évêque de Genève, si éloignée du pharisaïsme

 

(1) Histoire des sectes religieuses. Tome II. Article Cordicoles, page 246.

(2)  Ibid. page 269.

(3)  I. Joann, IV, 18.

 

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de la secte, et il voulut aussi que la servante de Dieu fût aidée dans ce grand œuvre par le P. de la Colombière, jésuite, comme pour manifester sa divine satisfaction à l'égard d'une société dont les membres firent paraître, dans les luttes de la foi, à cette époque de scandales, un courage d'autant plus précieux à l'Église, qu'alors même elle voyait fléchir momentanément plusieurs milices sur la fidélité desquelles elle avait eu droit de compter.

Ce fut en 1678, dans le monastère de la Visitation de Moulins, que le culte extérieur du Cœur de Jésus commença ; il ne fut inauguré à Paray même que huit ans plus tard. Depuis, l'Église entière, province par province, l'a reçu, et cette admission libre et successive offre un spectacle plus atterrant peut-être pour les novateurs, que l'adhésion simultanée qu'eût produite un décret apostolique.

Enregistrons les principaux faits qui signalèrent cette marche triomphante du culte de l'amour de Jésus-Christ pour les hommes. C'est d'abord la France, principal foyer des manœuvres jansénistes, qui se trouve être à la fois le lieu d'origine et le théâtre principal de l'établissement de la nouvelle fête ; présage heureux des intentions divines qui destinent ce royaume à triompher, au temps marqué, du virus impur qui agite son sein. Or, dès l'année 1688, Charles de Brienne, évêque de Coutances, inaugurait  dans son diocèse la fête du Sacré-Cœur de Jésus (1). Six ans après, en 1694, le pieux Antoine-Pierre de Grammont, archevêque de Besançon, ordonna que la messe propre de cette fête  serait insérée dans le missel de sa métropole. En 1718, François de Villeroy, archevêque de Lyon, en prescrivait la célébration dans son insigne primatiale.

 

(1) Nous n'avons point à parler ici de la fête du saint Cœur de Marie. Nous traiterons de cet intéressant sujet en son lieu, dans le corps même de cet ouvrage.

 

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Cette fête disparut, comme on devait s'y attendre, devant le Bréviaire de Montazet. Tout le monde sait en quelles circonstances mémorables, Henri de Belzunce, évêque de Marseille, inaugura, en 1720, le culte du Sacré-Cœur de Jésus, au milieu de sa ville désolée. La confiance du prélat fut récompensée par la diminution instantanée, et bientôt la cessation du fléau. Le lecteur se rappelle aussi le zèle que le saint prélat fit paraître quelques années après, au sujet des attaques antiliturgistes de Paris, contre le culte de la sainte Vierge et des saints. A l'exemple de Belzunce, les archevêques d'Aix, d'Arles et d'Avignon, et les évêques de Toulon et de Carpentras, s'empressèrent de donner des mandements pour l'établissement de la fête (1). En 1729, l'illustre Languet, encore évêque de Soissons, faisait paraître la vie de la vénérable Mère Marguerite-Marie Alacoque, et se plaçait au nombre des plus zélés promoteurs du culte du Sacré-Cœur de Jésus.

Cependant le Siège apostolique, dès longtemps sollicité, tardait à sanctionner l'érection de la nouvelle fête. Des obstacles inattendus, au sein de la sacrée congrégation des Rites, s'opposaient à cette approbation, qui avait été postulée dès l'année 1697. En 1726, Constantin Szaniawsky, évêque de Cracovie, adressait à cet effet, à Benoît XIII, une supplique à laquelle souscrivit bientôt Frédéric-Auguste, roi de Pologne. Un refus solennel et fameux, notifié le 3o juillet 1729, par la congrégation des Rites, sur les conclusions de Fontanini, archevêque d'Ancyre, promoteur de la Foi, fut une épreuve sensible pour les adorateurs du Sacré-Cœur de Jésus, et pour les jansénistes l'objet d'un triomphe mal avisé ; car, après tout, il n'y avait rien de si surprenant dans les délais que la prudence du Saint-Siège exigeait avant de statuer sur un objet si important. Les ennemis du Sacré-Cœur de Jésus

 

(1) L'Ami de la Religion, tome XXII, pag. 337 et suiv.

 

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répandaient les bruits les plus étranges sur la manière dont cette dévotion était pratiquée. Ils osaient dire que c'était au cœur de Jésus-Christ, considéré isolément du reste de sa  personne divine, que les   adorations  s'adressaient ; d'autre part, ils incidentaient sur la question physiologique des fonctions du cœur dans l'organisme humain, prétendant que Rome ne pouvait prononcer en faveur de la nouvelle fête, sans décider, ou préalablement ou simultanément, une thèse de l'ordre purement naturel. Nous aurons ailleurs l'occasion d'entrer dans le fond de la question ; qu'il suffise de dire ici que le refus d'approuver la fête n'entraînait aucune défaveur sur la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, considérée en elle-même. L'ardeur de la controverse engagée sur la matière, et dans laquelle plusieurs catholiques sincères semblaient pencher vers les préventions que nourrissait le parti janséniste, soit par suite de quelques préjugés, soit aussi parce que des partisans de la fête Vêtaient, quoique innocemment, permis quelques expressions peu exactes ; la nouveauté de cette dévotion qui demandait, comme toute chose récemment introduite, l'épreuve du temps ;  l'absence d'un examen sérieux sur les révélations qui avaient accompagné et produit son institution (1) ; c'était plus qu'il n'en fallait pour motiver la résolution de la sacrée congrégation. Toutefois, on continua à Rome de donner des brefs pour l'érection des confréries sous le titre du Sacré-Cœur de Jésus, jusque-là que, dès 1734, on en comptait déjà quatre cent quatre-vingt-sept. Rome même en vit établir une, sous le titre d'archiconfrérie, dans l'église de Saint-Théodore, par bref de Clément XII,  du 28 février 1732 (2). On n'eût

 

(1)  Nous empruntons une partie de ces raisons à Benoît XIV lui-même, qui n'était pas favorable à la fête, bien qu'il ne parle du culte du Sacré-Cœur de Jésus qu'avec toute sorte d'égards. Voyez son traité de Canonizat. Sanctorum, lib. IV, part. II, n° 21.

(2)  L'Ami de la Religion. Ibid. page 341.

 

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point accordé ces nombreuses faveurs aux associations réunies sous le vocable du Sacré-Cœur de Jésus, si, au fond, le Siège apostolique n'eût gardé, pour la dévotion elle-même, un fonds de bienveillance. Celui que la Providence avait choisi pour consommer l'œuvre, fut le pieux cardinal Rezzonico, dont le nom vénéré était dès longtemps inscrit au registre de l'archiconfrérie de Saint-Théodore (1), lorsqu'il fut appelé par l'Esprit-Saint à s'asseoir sur la chaire de Saint-Pierre, où il parut avec tant de force d'âme sous le nom de Clément XIII.

Le saint pontife reçut de nouvelles instances de la part des évêques de Pologne, qui demandaient, presqu'à l'unanimité, qu'il fût permis à la chrétienté d'honorer d'un culte public le Cœur du Rédempteur des hommes. C'était assurément un spectacle bien touchant que celui de cette nation héroïque, à la veille d'être effacée du nombre des nations de l'Europe, travaillant à faire jouir la chrétienté des richesses du Cœur du Sauveur des hommes. Ce Cœur, le plus fidèle de tous, ne saurait oublier que les instances de la Pologne sont, avec celles de l'archiconfrérie de Saint-Théodore, les seules mentionnées dans le décret qui vint enfin consoler la piété des fidèles. Plusieurs évêques de France avaient, il est vrai, pris l'initiative en établissant la fête ; mais, quoi qu'il en soit de leur pouvoir en cette matière, il n'y avait là qu'un fait louable, sans doute, et l'Église catholique attendait toujours le jugement de Rome.

Il fut rendu le 6 février 1765, et on disait dans les motifs du décret, qu'il était notoire que le culte du Sacré-Cœur de Jésus était déjà répandu dans toutes les parties du monde catholique, encouragé par un grand nombre d'évêques, enrichi d'indulgences par des milliers de brefs apostoliques  pour   l'érection   des   confréries  devenues

 

(1) L’Ami de la Religion. Ibid. page 341.

 

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innombrables. En conséquence, sur les instances du plus grand nombre des révérendissimes évêques du royaume de Pologne, et sur celles de l’archiconfrérie romaine (1), la sacrée congrégation, ouïes les conclusions du R. P. Gaétan Forti, promoteur de la foi, déclarait se désister de la résolution prise par elle le 3o juillet 1729, et jugeait devoir condescendre aux prières desdits évêques du royaume de Pologne et de ladite archiconfrérie romaine. Enfin, elle annonçait l'intention de s'occuper de l'office et de la messe, devenus nécessaires pour solenniser la nouvelle fête.

L'un et l'autre ne tardèrent pas à paraître, et ils étaient dignes de leur sublime objet, qui est, suivant les termes du décret, de renouveler symboliquement la mémoire de ce divin amour,par lequel le Fils unique de Dieu s'est revêtu de la nature humaine, et, s'étant rendu obéissant jusqu'à la mort, a dit qu'il donnait aux hommes l'exemple d'être doux et humble de cœur (2). Clément XIII, qui confirma le décret de la congrégation des Rites, ne tarda pas à donner de nouvelles preuves de son zèle pour le culte du Cœur de Jésus. Par ses soins, la fête fut célébrée dans toutes les églises de Rome, et faculté générale fut attribuée à tous les ordinaires de l'introduire dans leurs diocèses. Pie VI maintint cette précieuse dévotion, et l'enrichit même de nouvelles Indulgences, lesquelles s'accrurent encore par l'effet de la pieuse munificence de Pie VII, qui, dérogeant à toutes les règles reçues, a statué, par un rescrit du 7 juillet 1815, que les indulgences attachées à la célébration de la fête seraient transférées à tel jour

 

(1) Instantibus plerisque Reverendissimis episcopis regni Poloniœ, etc. Decreta authent. S. R. C. Tome V, N° 4175.

(2)  Symbolice renovari memoriam illius divini amoris quo unigenitus Dei Filius humanam suscepit naturam, et factus obediens usque ad mortem, prasbere se dixit exemplum hominibus, quod esset mitis et humilis corde. Ibidem.

 

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qu'il aurait plu à l'ordinaire de la fixer. Rien n'eût pu exprimer d'une manière plus significative le désir qu'éprouvait le Siège apostolique de voir se propager en tous lieux la nouvelle fête : aussi pouvons-nous dire que, si les rameaux du jansénisme ont cessé de faire ombre au champ du Père de famille, ses racines elles-mêmes, au sein de la terre, s'en vont même se desséchant tous les jours.

Le bruit de la sanction apostolique donnée au culte du Cœur de Jésus, vint réjouir les catholiques de France. La pieuse reine Marie Leczinska, dans cette circonstance, ne fit point défaut à sa qualité de fille du royaume orthodoxe. Elle témoigna aux évêques réunis à Paris pour l'assemblée de 1765, le désir de voir la fête introduite dans les diocèses où elle ne l'était pas encore. Ses pieuses intentions furent remplies, et les prélats, après une délibération tenue le 17 juillet, résolurent d'établir dans leurs diocèses respectifs la dévotion et l'office du Sacré-Cœur de Jésus, et d'inviter, par une lettre-circulaire, les autres évêques du royaume d'en faire de même dans les diocèses où cette dévotion et  cet office  ne  sont pas encore  établis (1). Le vertueux roi de Pologne,  Stanislas, père de Marie Leczinska, avait,  dès 1763, écrit à Claude de Drouas, évêque de Toul, une lettre de félicitation de ce qu'il avait institué la fête dans son diocèse (2). Tous les évêques du royaume ne se rendirent pas, il est vrai, aux vœux de l'assemblée de 1765; mais, parmi ceux qui témoignèrent de leur zèle envers le culte du Sacré-Cœur de Jésus, nous aimons à citer Félix-Henri de Fumel, évêque de Lodève, le même que nous avons vu rétablir le Bréviaire romain dans son diocèse, et faire disparaître le parisien de Vigier et  Mésenguy,  que  son prédécesseur  Jean-Georges  de Souillac y avait introduit. Le pieux évêque ne se contenta

 

(1)  Procès-Verbaux du Clergé, tome VIII, page 1441.

(2)  L'Ami de la Religion. Ibid. page 343.

 

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pas d'établir la fête ; il fit paraître un ouvrage spécial pour l'expliquer et la défendre. Christophe de Beaumont, ainsi que nous l'avons rapporté, inséra l'office du Sacré-Cœur de Jésus dans la nouvelle édition des livres parisiens de 1778, et il est à remarquer que le prélat, en fixant la fête au dimanche après l'octave du saint Sacrement, donnait un premier et solennel démenti aux rubriques de Vigier et Mésenguy, si sévères pour maintenir l'inviolabilité du dimanche. Ce fait valait la peine d'être noté. La publication de cet office dans le diocèse de Paris, outre les clameurs obligées du gazetier ecclésiastique, occasionna un double scandale. On vit les marguilliers de Saint-André-des-Arcs faire opposition à leur curé, pour empêcher la célébration de la fête dans cette paroisse, et le grand tribunal liturgique de France, le Parlement de Paris, saisi de l'affaire, donna, le 11 juin 1776, un arrêt portant défense de célébrer la fête (1). Ce fut le dernier que cette cour rendit en matière liturgique. Ce qui vint après fut la constitution civile du clergé, élaborée dans les arsenaux de cette compagnie.

Il n'est point de notre sujet de faire ici l'histoire du j schisme constitutionnel. Nous nous hâtons d'arriver à l'année 1797. Elle est fameuse dans les fastes du jansénisme, par le conciliabule que tinrent, à Notre-Dame de Paris, les tristes restes du clergé intrus, décimé par l'apostasie, le supplice et même la conversion de plusieurs de ses membres. Ils étaient, de compte fait, vingt-neuf évêques sans compter six procureurs d'évêques absents, et les députés du second ordre, le tout sous la présidence de citoyen Claude Lecoz, évêque métropolitain d'Ille-et-Vilaine. Convoquée pour relever les ruines de l'Église avortée de 1791, l'assemblée des Évêques réunis (c'est ainsi qu'ils s'intitulent dans leurs

 

(1) L'Ami de la Religion, page 387.

 

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propres actes), devait nécessairement s'occuper des progrès de la Liturgie. On a vu que Ricci ne s'en était pas fait faute dans son synode de Pistoie, digne précédent des prétendus conciles de  1797 et 1801.

Déjà, dans le journal de la secte, il avait été question de réunir la France dans une seule liturgie, et les livres de Vigier et Mésenguy avaient été mis en avant, comme A dignes à tous égards de servir d'expression aux besoins religieux de. l'Église gallicane régénérée (1). Le concile de 1797, dans sa Lettre synodique aux pères et mères et autres chargés de l'éducation de la jeunesse, avait témoigné de sa vénération pour les auteurs de la récente Liturgie parisienne, en recommandant, comme Ricci, parmi les livres les plus intéressants pour la foi et les mœurs, l'Année chrétienne de Le Tourneux et l'Exposition de la doctrine chrétienne de Mésenguy (2). Toutefois, les évêques réunis ne bornèrent pas leur sollicitude à recommander solennellement la mémoire et les écrits des réformateurs liturgistes parisiens; ils s'occupèrent de dresser plusieurs décrets sur la matière du culte divin. Le premier commençait ainsi : Le concile national, considérant qu'il importe d'écarter du culte public les abus contraires à la religion, et de rappeler sans cesse les pasteurs à l'observation des saintes règles, décrète : Article Ier. Les messes simultanées sont défendues. » Nous venons de montrer le but de cette défense dans le plan des antiliturgistes ; observons seulement ici ce zèle à copier Joseph II et Léopold, bien remarquable dans les évêques républicains. Au second décret, on lit : « Article III. Dans la rédaction d'un rituel uniforme pour l'Église gallicane, l'administration des sacrements sera en langue française. Les formules sacramentelles seront

 

(1)  Annales de la Religion, tome I, 9 Messidor an III, pag. 206-212.

(2)  Lettre Synodique, etc., page 18.

 

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en latin. — Article IV. Dans les diocèses où  les dialectes particuliers sont en usage, les pasteurs sont invités à redoubler leurs efforts pour répandre la connaissance de la langue nationale (1).  »  C'était, comme l'on voit, marcher à grands pas vers la sécularisation du culte. On jugera encore de l'esprit progressif des pères, par ces paroles du citoyen Grégoire, sur les opérations du concile : Un pays où l'on écrit tant (l'Allemagne), est un pays où on lit beaucoup,     conséquemment  la masse des lumières fera bientôt explosion.  Les Actes du Congrès d'Ems, les écrits de M. Dalberg, coadjuteur de Mayence ; l'excellent  Traité de la  tolérance,  par M. de Trautmansdorf, évêque de Kœnigsgrats, la magnifique Instruction pastorale de M. de Colloredo, archevêque actuel de Saltzbourg,  touchant l'abolition des pompes religieuses inutiles, l'exhortation à la lecture de la Bible, l'introduction d'un recueil de cantiques en allemand, etc., etc., sont autant de monuments qui attestent la marche de l'esprit public dans cette contrée, vers une amélioration dans l'ordre des choses religieuses (2). » Ainsi le masque était levé de toutes parts ; le  temps  des  ménagements   était   passé, et les antiliturgistes  s'entendaient et s'avouaient  par   toute l'Europe.

Trois ans après, en 1801, à la veille du fameux concordat, l'église de Notre-Dame vit encore réunis dans son sein les pontifes de l'Église constitutionnelle, dans leur second et dernier concile. Entre autres choses qui occupèrent la sollicitude des prélats, dans ce moment suprême, le projet d'une liturgie universelle pour l'Église gallicane revint sur le tapis, et Grégoire lut un long rapport sur cet objet, dans lequel il fit entrer, à sa manière accoutumée,

 

(1)  Journal du Concile National de France, en 1797, pag. 165 et 167.

(2)  Compte rendu par le citoyen  Grégoire, au concile  national, des travaux des évêques réunis, page 64.

 

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une immense quantité d'anecdotes grotesques et de détails superficiels, sans rapport les uns avec les autres, mais de manière à faire preuve de cette érudition superficielle et mal digérée qui fait le fond de tous ses écrits. Il ne manqua pas d'insulter, comme inconvenante, la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, dont il attribua l'invention à un protestant (1); déclama contre les messes privées (2) ; reprocha au Bréviaire romain de dire à la sainte Vierge : Solve vincla reis, et aux apôtres : Qui coelum verbo clauditis (3) ; dit, en parlant de saint Grégoire VII : Pour le repos du monde et l'honneur de la religion, que le ciel nous préserve de pareils saints (4) ! se plaignit que Rome n'eût pas encore canonisé Gerson et Clément XIV (5) ; réclama en faveur de la prétention de réciter le Canon à haute voix (6) ; répéta les fadaises accoutumées sur l'omission du mot animas dans l'oraison de saint Pierre (7) ; proposa l'admission du tam-tam chinois, pour remplacer l'orgue (8), etc., etc..

De tout ceci, Grégoire concluait à l'établissement d'une liturgie universelle pour toute l'Église gallicane. Il est curieux d'insérer ici les motifs qu'il allègue de cette proposition. On y verra un schismatique affectant le langage de l'orthodoxie, et s'agitant pour se créer un fantôme d'unité, en la manière que nous avons dit ailleurs, au sujet du patriarche melchite de Constantinople, qui, dès le XII° siècle, était venu à bout d'abolir toute autre Liturgie que la sienne dans les patriarcats qui reconnaissaient son autorité (9). Quelle leçon nouvelle et inattendue pour

 

(1)  Actes du second concile national de France, tome II, page 158.

(2)  Ibid., page 401.

(3)  Page 409.

(4)  Page 410.

(5)  Page 411.

(6)  Page 413.

(7)  Page 417.

(8)  Page 447.

(9)  Voyez tome I, page 223.

 

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ceux qui persisteraient à regarder la variété des Liturgies comme un perfectionnement !

« Dans l'Église de Jésus-Christ, dit Grégoire, tout doit se rapporter à l'unité; c'est donc entrer dans son esprit que d'adopter une même manière de célébrer les saints offices et d'administrer les sacrements. L'identité des formules est un des moyens les plus propres à garantir l'identité de la foi, selon le principe du Pape saint Célestin : Legem credendi lex statuat supplicandi.

« Quand les vérités à croire, les vertus à pratiquer sont invariables, pourquoi la méthode d'enseignement est-ce elle si variée ? Pourquoi cette multitude d'eucologes, d'offices divins, de catéchismes qui, lorsqu'un individu passe d'un diocèse dans un autre, dérangent pour lui et pour ceux qui doivent le diriger, tout le plan des instructions publiques et domestiques? Si des erreurs et des vices à combattre exigent, dans certains cantons, une instruction plus étendue, ne peut-on pas en faire l'objet d'un travail particulier, sans intervertir l'ordonnance d'un plan général ? Toutes les villes et les provinces, renonçant à leurs privilèges civils ou politiques, ont désiré se fondre dans l'unité constitutionnelle, pour être régies parles mêmes lois. En ramenant à l'unité le code civil, le système monétaire, les poids et les mesures, etc., on a fait un grand pas pour donner à la nation un caractère homogène; mais rien ne peut y contribuer plus puissamment que l'uniformité du culte public et de l'enseignement religieux : vous aurez bien mérité de la religion et de la patrie, par des opérations analogues pour la France ecclésiastique (1).  »

Non seulement Grégoire entendait ramener en France l'unité liturgique, mais, entraîné par les nécessités de la

 

(1) Page 386.

 

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situation, il ne faisait plus un doute de l'obligation de retenir la langue latine. Les essais du concile de 1797 n'avaient pas été heureux. On craignait le scandale des fidèles, et une division se préparait à éclater sur ce point entre les divers membres du clergé constitutionnel. En effet, et pour en finir avec toute cette lie du parti janséniste et antiliturgiste, le citoyen Duplan, prêtre de l'église de Gentilly, près Paris, ayant, dès 1798, imaginé de faire chanter les vêpres en français, mais sur le ton ordinaire des psaumes (1), un des évêques réunis qui se permit de répondre à l'invitation que Duplan lui avait faite d'assister à cet office, fut vivement blâmé par plusieurs de ses collègues. En 1799, Royer, évêque de la Seine, en vint même jusqu'à condamner l'usage d'administrer les sacrements en français, ainsi qu'on le pratiquait déjà dans la cathédrale de Versailles (2). Mais le plus étrange de tout ceci fut ce qui arriva à Ponsignon, prêtre du Doubs, qui avait été chargé, par le concile de 1797, du soin de travailler; au rituel. Ce véritable homme de progrès n'avait pas cru ! pouvoir mieux faire que de rédiger tout simplement un sacramentaire français, et il attendait en patience les témoignages de haute satisfaction des Pères du concile, lorsque tout à coup il se vit attaqué dans le journal de la secte par Saurine, évêque des Landes, qui exhalait son mécontentement dans une dissertation expresse contre l'usage de la langue vulgaire dans la Liturgie (3). Bientôt les Annales publièrent l'adhésion de Royer, évêque de la Seine, et de Desbois, évêque de la Somme, à la dissertation de Saurine, et enregistrèrent peu après les protestations, dans le même sens, de Lecoz, Villa, Font, Blampoix, Delcher, Becherel, Demandre, Prudhomme, Etienne, Aubert, Reymond, Flavigny, Berdolet et Nogaret, évêques

 

(1)  Annales de la Religion, tome VII, 18 Thermidor an VI.

(2)  Ibid., tome IX, an VII, page 461.

(3)  Ibid., tome X, an VIII.

 

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d'Ille-et-Vilaine, des Pyrénées-Orientales, de l'Ariège, de l'Aube, de la Haute-Loire, de la Manche, du Doubs, de la Sarthe, de Vaucluse, de l'Isère, de la .Haute-Saône, du Haut-Rhin et de la Lozère. Ce fut en vain que Ponsignon répliqua et chercha à démasquer la conduite pleine de contradiction de ces Pères du concile de 1797, qui reculaient devant leurs propres principes (1); l'Église constitutionnelle se renia elle-même en expirant. Les forces lui manquèrent pour s'élever jusqu'à la triste et sacrilège audace de sa digne alliée, l'Église d'Utrecht.

Détournons enfin nos regards de cet ignoble spectacle, et considérons les Pontifes romains fidèles à la garde du dépôt séculaire de la Liturgie romaine, et présidant aux accroissements qu'elle devait prendre dans le cours des cinquante dernières années du XVIII° siècle.

Le pieux successeur de Benoît XIV, Clément XIII, à qui nous sommes redevables de l'institution de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, trancha la question dont la solution avait arrêté son prédécesseur. Après dix-huit années d'immobilité, le calendrier romain fut appelé à recevoir de nouveaux accroissements. Par l'autorité du saint pontife, la fête de saint Camille de Lellis fut instituée du rite double mineur, et celle de saint Laurent Justinien, du rite semi-double. Enfin, sainte Julienne de Falconieri passa du degré semi-double au rang des doubles mineurs.

Clément XIV vint ensuite. Il éleva la fête des Stigmates

; de saint François au degré double mineur d'obligation, et créa celles de saint Fidèle de Sigmaringen, et saint Joseph de Copertino, du même rite. On lui doit aussi les offices des saints Jérôme Emiliani, Joseph Calasanz et celui de sainte Jeanne-Françoise de Chantai, tous du degré double mineur. Enfin, il éleva au même rang des doubles mineurs la fête de saint Venant, martyr, qui n'était auparavant que

 

(1) Tome XI, page 553 et suiv.

 

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semi-double, et institua celle de saint Jean de Kenty du rite semi-double.

Pie VI, Pontife zélé plus qu'aucun autre pour les pompes de la Liturgie, trouva moyen d'enrichir encore le calendrier romain. Sans compter les décrets par lesquels il éleva au rang des doubles majeurs la Décollation de saint Jean-Baptiste, et au degré double mineur les fêtes de saint Pie V et de saint Jean de Kenty, il en rendit encore deux autres, savoir, pour établir les fêtes de saint Guillaume, abbé du Mont-Vierge, et de saint Paschal Baylon, du rite double mineur.

Nous avons parlé ci-dessus du projet de Benoît XIV pour la réforme du Bréviaire romain, projet qui n'eut point d'exécution, parce que, dit un pieux évêque, telles et si grandes furent les raisons du contraire, si graves et si justes en furent les motifs, que le Souverain Pontife estima un bien de suspendre le travail qu'on avait préparé (1). Pie VI, à son tour, revint sur ce projet; le plan de la réforme du bréviaire fut rédigé et présenté à la sacrée congrégation des Rites ; mais, quelle que fût en cela l'intention de la divine providence, de nouveaux obstacles se présentèrent. Ce fut, dit l'auteur que nous venons de citer, ce fut un principe de prudence, tout à fait compatible avec l'étendue du génie, qui porta Pie VI à se rendre aux considérations qui avaient fait impression à son grand prédécesseur et mmtre Benoît XIV, et l'engagea à suspendre toute réforme (2). Pie VI se borna donc, pour tout progrès liturgique, à étendre le culte des saints par

 

(1)  Tali e tante furono le ragioni in contrario e cause si gravi, e giuste, che il sommo Pontefice stimo bene di sospendere il meditato lavoro. (Albergotti. La divina Salmodia secondo l'antica e nuova disciplina della Chiesa, page 231.)

(2) Ma siccome nella vastità del genio nel présente S. Pontefice, corris-ponde perfettamente la prudenza, inerendo aile massime del suo gran Predecessore e Maestro Benedetto XIV, ha creduto anch'esse per ora di sospendere qualunque riforma. (Albergotti. Ibidem.)

 

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de nouveaux offices, à l'époque même où ce culte était l'objet de si violentes restrictions de la part des antiliturgistes.

Quelque portée que pussent avoir ces nouveaux décrets du Siège apostolique en faveur du culte des saints, surtout après le pontificat de Benoît XIV, dont la réserve avait été si grande au sujet du calendrier, un acte solennel de la puissance pontificale vint attester bien plus fortement encore la doctrine de l'Église romaine, à propos des controverses que les XVII° et XVIII° siècles avaient soulevées sur les matières liturgiques. Nous voulons parler de la bulle Auctorem fidei, par laquelle Pie VI, le cinq des Calendes de septembre de l'année 1794, condamna à jamais le synode de Pistoie, ses actes et sa doctrine. Il serait grandement à désirer que la connaissance explicite de cette bulle, incontestable jugement de foi, fût plus répandue qu'elle ne l'est : on entendrait moins souvent des personnes, bien intentionnées d'ailleurs, répéter et soutenir avec une incroyable bonne foi plusieurs des propositions condamnées d'une manière irréfragable par cette constitution, dont on peut dire qu'elle a véritablement tranché l'erreur dans le vif.

Sur les doctrines et prétentions des antiliturgistes de Pistoie, Pie VI condamne explicitement la proposition XXVIIIe, qui donne à entendre que les messes auxquelles personne ne communie manquent d'une partie essentielle au sacrifice; la XXXe, qui qualifie d'erreur la croyance au pouvoir du prêtre d'appliquer le fruit spécial du sacrifice à une personne en particulier; la XXXIe, qui déclare convenable et désirable l'usage de n'avoir qu'un seul autel dans chaque église ; la XXXIIe, qui défend de placer sur les autels les reliques des saints, ou des fleurs ; la XXXIIIe, qui émet le désir de voir la Liturgie ramenée à une plus grande simplicité, et de la voir aussi traduite en langue vulgaire et proférée à haute voix ; la LXI°, qui affirme

 

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que l'adoration qui s'adresse à l'humanité de Jésus-Christ, et plus encore à quelque partie de cette humanité, est toujours un honneur divin rendu à la créature; la LXII°, qui place la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus parmi les dévotions nouvelles, erronées, ou au moins dangereuses ; la LXIII°, qui prétend que le culte du Sacré-Cœur de Jésus ne peut être exercé qu'autant que l'on sépare la très sainte chair du Christ, ou une de ses parties, ou même son humanité tout entière, de la divinité; la LXIV°, qui note de superstition l'efficacité que l’on mettrait dans un nombre déterminé de prières et de pieuses salutations; la LXVI°, qui affirme qu'il est contraire à la pratique des apôtres et aux desseins de Dieu, de ne pas fournir au peuple le moyen le plus facile de joindre sa voix à la voix de toute l'Église; la LXIX°, qui place les images de la Très Sainte Trinité au rang de celles qu'on doit faire disparaître des églises; la LXX°, qui réprouve le culte spécial que les fidèles ont coutume de rendre à certaines images; la LXXI°, qui défend de distinguer les images de la Sainte Vierge par d'autres titres que ceux qui font allusion aux mystères rapportés dans l’Ecriture sainte; la LXXII°, qui ordonne d'extirper comme un abus la coutume de couvrir d'un voile certaines images; enfin la LXXXIV°, qui prétend qu'on ne doit pas élever les réguliers aux ordres sacrés, si ce n'est un ou deux au plus par chaque monastère, et qu'on ne doit célébrer, par jour, dans leurs églises, qu'une ou deux messes, tout au plus, les autres prêtres se bornant à concélébrer.

Nous nous contenterons de cet aperçu de la bulle Auctorem fidei, considérée sous le point de vue de la doctrine liturgique, omettant un grand nombre d'autres traits dirigés contre l'ensemble du damnable système dont la révolution liturgique du XVIII° siècle n'a été qu'un des résultats. Toutefois, il est de notre sujet de rapporter ici les paroles générales qui viennent à la suite de la

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censure : « Au reste, dit le Pontife, par cette expresse réprobation des susdites propositions et doctrines, nous n'entendons nullement approuver les autres choses contenues dans le livre, d'autant plus qu'on y découvre un grand nombre d'autres propositions et doctrines, les unes approchantes de celles qui sont condamnées ci-dessus, les autres inspirées par un mépris téméraire de la doctrine communément reçue et de la discipline en vigueur, et principalement par une haine violente contre les Pontifes romains et le Siège apostolique (1).»

Il est temps enfin de clore cette histoire liturgique du XVIII° siècle, et de donner le catalogue des écrivains que les cinquante dernières années ont produits sur la matière du culte divin.

(1751). Alexandre Politi, clerc régulier des Écoles pies, a laissé un grand travail sous ce titre : Martyrologium Romanum castigatum ac commentariis illustratum. Florence, 1751, in-folio. Nous doutons que cet ouvrage ait été achevé, n'ayant eu entre les mains que le premier tome, qui ne contient que le mois de janvier.

(1752). Benoît Monaldini, moine basilien de Grotta-Ferrata, prêta un concours éclairé à Joseph-Aloyse Assemani, dans la rédaction de son Codex liturgicus, et nous a laissé une lettre érudite adressée à ce savant homme, sur un manuscrit important de la Liturgie jacobite.

(1753). Le comte Frédéric Salvaroli a laissé l'ouvrage suivant : De Kalendariis in genere et speciatim de Kalendario ecclesiastico. Venise, 1753, in-8°. Ce volume

 

(1) Caeterum per hanc expressam prœfatarum propositionum et doctrinarum reprobationem, alia in eodem libro contenta nullatenus approbare intendimus, cum praesertim in eo complures deprehensae fuerint propositiones et doctrinae, sive illis quœ supra damnatae sunt affines, sive quae communis ac probatas cum doctrinas et disciplinae temerarium contemptum, tum maxime infensum in Romanos Pontifices, et Apostolicam sedem animum prae se ferunt.

 

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renferme plusieurs monuments hagiologiques inédits, et trois opuscules  intitulés   :   Iter liturgicum   Forojuliense; 2° Baptismale hieroglyphicum epistolica   dissertatione explanatum; 3° In quoddam altare portatile epistolaris dissertatio.

(1753). Sébastien Donati, recteur de l'église de Saint-Alexis, à Lucques, est célèbre par son savant travail : De' dittici degli Antichi profani e sacri, coll’appendice di alcuni Necrologj, e Calendarj finora non publicati. Lucques, 1753, in-4°.

(1753). Jean Vignoli, gardien de la bibliothèque vaticane, a donné la dernière  édition du Liber pontificalis. Inférieure à celle de Bianchini, elle a du moins sur celle-ci l'avantage d'être achevée. Elle est en trois volumes in-4°, Rome, 1724, 1753, 1755.

(1754). Alban Butler, savant et zélé prêtre catholique i anglais, s'est fait un nom par ses fameuses Vies des Saints, r ouvrage véritablement érudit, et qui a été traduit en français par l'abbé Godescard. Elles parurent en Angleterre, de 1754 à 1760, et furent suivies de onze traités sur les Fêtes mobiles, qui furent imprimés après la mort de l'auteur, et ont été traduits en français par l'abbé Nagot, supérieur du séminaire de Baltimore.

(1754). Fortuna de Brescia, mineur observantin, a laissé une dissertation de Oratoriis domesticis, qui a été réimprimée à la fin du traité de Ecclesiis, de Joseph-Aloyse Assemani.

(1755). Alexandre Lesley, jésuite écossais, fidèle compagnon des travaux de son illustre confrère Azevedo, a rendu un des plus importants services à la science liturgique, en publiant le fameux Missale mixtum secundum Regulam beau Isidori, dictum Mozarabes, prœfatione, notis et appendice ornatum. Rome, 1755, in-4° en deux parties. Lesley se proposait de publier aussi le Bréviaire mozarabe, avec un travail analogue à celui du missel. Il

 

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préparait aussi une réponse à la fameuse lettre de l'Anglais Middleton, dans laquelle cet auteur prétend prouver que l'Eglise romaine a emprunté ses cérémonies au paganisme.

(1755). Antoine Zanolini, orientaliste distingué, a laissé une dissertation de Eucharistiae sacramento cum christianorum orientalium ritibus in eo conficiendo et administrando. Padoue, 1755, in-8°.

(1756). Dom Herman Scholliner, bénédictin allemand, a laissé un savant traité : De Disciplina arcani suœ antiquitati restituta, et ab heterodoxorum impugnationibus vindicata. Typis Monasterii Tegernseensis.

(1756). Joseph Allegranza, dominicain, a publié des Spiegazioni e riflessioni sopra alcuni sacri monumenti antichi di Milano. Milan, 1756, in-4°.

(1756). Joseph Garampi, chanoine de Saint-Pierre au Vatican, archéologue célèbre, est auteur du livre suivant : Notizie, regolee orazioni in onore de’  SS. Martiri della Basilica vaticana, per l'esercizio divoto solito praticarsi in tempo che sta ivi esposta la loro sacra Coltre. Rome, 1756,in-12.

(1756). Gaëtan-Marie Capece, théatin, a donné un savant ouvrage intitulé : De vetusto altaris pallio Ecclesiœ Grœcce Christianorum ex Cimeliarchio Clericorum Regularium domus SS. Apostolorum Neapolitanœ. Naples, 1757, in-4°.

(1756). François-Antoine Vitale est auteur de trois Dissertations Liturgiques, publiées à Rome, 1756, in-4°. Elles traitent des matières suivantes: 1° Dell' antichita, origine, ed ufizio de' Padrini nella Confermazione. — 2° Dell’antico costume di ritenersi da Fedeli l’Eucaristia nelle private case, e di trasmetterla agli Assenti. — 3° Della Communione cristiana, cosa stata fosse, e di quante maniere.

(1758). Pierre Pompilius Rodota, professeur de langue

 

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grecque à la bibliothèque vaticane, est auteur du grand traité : Dell' origine, progresso,  e stato presente del rito greco in Italia osservato da’ Greci, monaci Basiliani e Albanesi. Rome, 1758, trois volumes in-4°.

(1758). Dom Pierre-Louis Galetti, bénédictin de la congrégation du Mont-Cassin, archéologue fameux, appartient à notre bibliothèque par son savant traité del Vestarario della santa Romana Chiesa. Rome,  1758.

(1759). Dom Martin Gerbert, illustre abbé bénédictin de Saint-Blaise, dans la Forêt-Noire, a excellé dans les matières liturgiques, comme dans toutes les branches de la science ecclésiastique. Nous avons de lui : 1° Principia theologiae liturgicœ, quoad divinum Officium, Dei cultum et Sanctorum. Saint-Blaise, 1759, in-12. — 2° Un Appendix de arcanis Ecclesiœ traditionibus, à la fin du volume intitulé : Principia Theologiœ exegeticae. Saint-Blaise, 1757, in-12. — 3°De Festorum dierum numero minuendo, celebritate amplianda. Saint-Blaise, 1765, in-8°. — 4° De cantu et musica sacra a prima Ecclesiœ œtate usque ad prœsens tempus. Saint-Blaise, 1774, deux volumes in-4°. — 5° Vêtus Liturgia Alemannica disquisitionibusprœviis, notis et obserpationibus illustrata. Saint-Blaise, 1776, deux parties in-4°. — 6° Monumenta veteris Liturgiœ Alemannicœ, ex antiquis manuscriptis codicibus. Saint-Blaise et Ulm, 1777-1779, deux parties in-4°. — 7° Scriptores Ecclesiastici de Musica sacra, potissimum ex variis Italiœ, Galliœ et Germaniœ codicibus collecti. Saint-Blaise et Ulm, 1784, trois volumes in-4°. Nous nous restreignons à ce simple catalogue, tant parce que les bornes que nous nous sommes tracées dans cette bibliothèque nous interdisent les longs détails, que parce que la réputation de Dom Gerbert est suffisamment établie, comme celle du plus savant liturgiste que l'Allemagne ait jamais possédé, et qui ait illustré l'Ordre de Saint-Benoît, au dix-huitième siècle.

 

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(1760). Joseph-Antoine-Toussaint Dinouart, chanoine de Saint-Benoît de Paris, écrivain attaché aux doctrines du jansénisme, est principalement connu par le Journal ecclésiastique, qui parut sous sa direction, de 1760 à 1786, et dans lequel on trouve un grand nombre de questions singulières sur la Liturgie. Le trop fameux Rondet, en particulier, a inséré dans ce journal un grand nombre d'articles. A l'époque où ce recueil paraissait, le Journal des Savants et le Mercure de France avaient cessé de servir d'organes aux sciences ecclésiastiques.

(1761). Joseph de Bonis, barnabite, a donné l'ouvrage suivant: De Oratoriis publias tractatus historico-canonicus. Milan, 1761.

(1761). Pierre Gallade, auteur dont l'existence et les travaux nous sont révélés par Zaccaria, est auteur de trois dissertations savantes qui parurent à Heidelberg en 1761 et 1762. 1° Templorum Catholicorum antiquitas et consecratio. — 2° Sanctitas Templi ritibus Catholicis consecrali. — 3° Sanctitas Templorum Catholicorum dotat a ac ornata.

(1763). Dom Grégoire Zallwein, bénédictin allemand, l'un des premiers canonistes de son siècle, dans ses Principia juris ecclesiastici universalis et particularis Germaniœ (Augsbourg, 1763, quatre volumes in-4°), au tome second, traite avec érudition de Liturgiis, libris liturgicis, et studio liturgico.

(1766). C'est l'année où mourut Jean-Laurent Berti, célèbre augustin, assez connu d'ailleurs. Il a laissé deux dissertations en langue italienne sur des matières liturgiques. La première traite des Titres que saint Évariste distribua aux prêtres de Rome, et la seconde du Pallium. Elles ont paru dans un recueil spécial des Opuscules de Berti, à Florence, en 1759, et ont été depuis recueillies dans l'édition complète de ses œuvres, publiée à Venise.

 

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(1766). Pascal Copeti, chanoine, a donné huit dissertations sous ce titre : Discorsi di Liturgia recitati alla presenza di Benedetto XIV Pontefice Massimo, nella sala Apostolica dell' Quirinale. Rome, 1766, in-4°.

(1766). André-Jérôme Andreucci, jésuite, dans son ouvrage intitulé : Hierarchia ecclesiastica in varias suas partes distributa et canonico-theologice exposita (Rome, 1766, in-4°), a donné un traité spécial : De observandis ab Episcopo in authenticandis Reliquiis. Il a laissé aussi un traité de Ritu Ambrosiano, dans le second volume du même ouvrage.

(1769). Alexis-Aurèle Pellicia, savant prêtre napolitain, publia d'abord une dissertation célèbre, qui fut traduite par ordre de l'Impératrice Marie-Thérèse, en allemand et en latin, et qui est intitulée : Della disciplina della Chiesa, e dell' obligo de' sudditi intorno allapreghiera del proprio Sovrano, dissertazione istorico-liturgica. Naples, 1769, in-4°. Mds le plus important ouvrage de Pellicia est son savant traité : De Christianœ Ecclesiœ primœ, medice et novissimœ œtatis Politia, qui parut à Naples en 1777, et a acquis une si grande réputation dans le monde liturgique. (1769). Joseph Novaès, Portugais, est auteur du livre intitulé : Il sacro rito antico e moderno della elezione, coronazione, e solenne possesso del Sommo Pontefice. Rome, 1769, in-8°.

(1769). Vincent Fassini, dominicain, a publié, sous le pseudonyme de Dominique Sandelli, deux ouvrages remplis d'érudition. Le premier est intitulé : De Singularibus Eucharistiœ usibus apud veteres Grœcos. Brescia, 1769. Le second : De Priscorum Christianorum synaxibus extra œdes sacras. Venise, 1770.

(1770). Jean-Pérégrin   Pianacci  publia l'ouvrage  suivant : Dell' Officio dipino, trattato istorico-critico-morale. (1771). Thomas Declo, pénitencier  d'Ancône, est auteur de ce livre : Dichiarazioni di tutto cio che pi ha, o

 

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difficile da intendersi, o  interessante in ogni parte nel ' Breviario Romano  dal principio sino al fine. Ancône, 1771-1772, deux volumes in-4°.

(1771). Camille Blasi, avocat romain, a publié l'ouvrage suivant: De Festo Cordis Jesu Dissertatio commonitoria, cum notis et monumentis selectis: Rome, 1771, in-4°. Cette dissertation, dont l'auteur est contraire au culte du Sacré-: Cœur de Jésus,fut attaquée par un écrivain de Florence dont nous n'avons pu découvrir le nom, et qui publia deux Lettres en réponse. Elles furent suivies d'une réplique par le P. Giorgi, augustin, sous ce titre : Christotimi Ameristae, adversus epistolas duas ab anonymo censore in Dissertationem commonitoriam Camilli Blasii de Festo Cordis Jesu vulgatas, Antirrheticus : accedit mantissa contra epistolium tertium nuperrime cognitum. Rome, 1772, in-4°). Giorgi paraît aussi être auteur de Lettres italiennes qui font suite à l’Antirrheticus, sous le titre d'Antropisco Teriomaco (in-4°). On peut voir dans l'Ami de la Religion, à qui nous empruntons ces détails bibliographiques, la notice de divers autres écrits dans le même sens, qui furent publiés de 1773 à 1783, à Naples, Gênes et Bergame (1). Le même recueil donne aussi la notice des écrits qu'on opposa aux ennemis de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. Nous remarquons en particulier une dissertation latine sur cette dévotion, publiée à Venise, 1775, par un jésuite nommé Pubrana. Quant aux pamphlets des Jansénistes français, nous ne fatiguerons pas le lecteur de leur insipide énumération.

(1772). Jules-Laurent Selvaggi, prêtre napolitain, mort en cette année, avait donné un ouvrage classique très-important sous ce titre : Antiquitatum Christianarum institutions nova methodo in quatuor libros distributœ, ad usum Seminarii Neapolitani. Naples, 6 vol. in-12 souvent

 

(1) Tome XXII, pages 385-389.

 

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réimprimés : notre exemplaire est de 1794. On a quelques reproches à faire à cet ouvrage; il porte en plusieurs en- * droits la trace trop visible des préjugés qui dominaient à Naples à cette époque.

(1772). Jean-Baptiste Gallicioli, savant prêtre vénitien, dans son excellente réimpression du saint Grégoire le F Grand de Dom Denis de Sainte-Marthe, a placé, au tome IX, un important travail liturgique qu'il a intitulé : Isagoge institutionum liturgicarum. On doit toutefois regretter que cet illustre éditeur ait cru devoir retrancher le Sacramentaire de Dom Hugues Ménard, et le Responsorial de Dom Denis de Sainte-Marthe, ainsi que les notes de ces deux illustres bénédictins. La préférence donnée aux originaux publiés par le B. Tommasi n'est pas équitable dans une édition de saint Grégoire, où l'on désirerait voir rassemblé tout ce qui peut contribuer à compléter ses œuvres.

(1773). Laurent-Etienne Rondet, laïque, l'un des plus zélés réformateurs de la Liturgie, a laissé, outre de nombreux articles dans le journal de Dinouart, un livre intitulé : Ordinaire de la Messe avec la manière de l'entendre, quand on la dit sans chant, et quand on la chante. Paris, 1773, in-12. Il a laissé aussi un Avis sur les bréviaires, et particulièrement sur une nouvelle édition du Bréviaire romain, Paris, 1775, in-12.

(1773). Philippe-Laurent Dionigi, bénéficier de la basilique vaticane, a publié le précieux ouvrage intitulé : Sacrarum Vaticanœ Basilicœ Cryptarum monumenta œreis tabulis incisa et commentariis illusirata. Rome, 1773, in-folio. Il a donné aussi : Antiquissimi Vesperarum Paschalium Ritus expositio; de sacro inferioris œtatis Processu, Dominica Resurrectionis Christi, ante Vesperas, in Vaticana Basilica usitato conjectura, Rome. 1780, in-8°.

(1773). Joseph Heyrenbach, jésuite, est auteur d'une dissertation de Salutatione angelica, ejusque in sancta Eeclesia usu. Vienne, 1773, in-8°.

 

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(1774). Pierre Lazeri, savant professeur romain, a donné trois dissertations: 1° De sacra Veterum Christianorum Romana Peregrinatione. Rome, 1774, in-4°. — 2° De Liminibus Apostolorum disquisitio historica. Rome, 1775, in-4°. — 3° De falsa veterum Christianorum Rituum a ritibus Ethnicorum origine Diatriba. Rome, 1777, in-4°;

(1775). Etienne Borgia, cardinal, préfet de la Propagande, antiquaire fameux, s'est exercé sur plusieurs matières liturgiques. Il fut d'abord l'éditeur d'un opuscule du cardinal Augustin Valeri : De Benedictione Agnorum Dei. Il donna ensuite, sous son propre nom, les deux ouvrages suivants : 1° De Cruce Vaticana, ex dono Justini Augusti, in Parasceve majoris hebdomadœ publicae venerationi exhiberi solita. Rome, 1779, in-4°. — 2° De Cruce Veliterna commentarius. Rome, 1780, in-4°.

(1775). Nicolas Collin, prémontré, a laissé : 1° Traité du Signe de la Croix, fait de la main, ou la Religion catholique justifiée sur l'usage de ce signe. Paris, 1775, in-12. — Traité de l’Eau bénite, ou l'Église catholique justifiée sur l'usage de l'Eau bénite. Paris, 1776, in-12. — Traité du Pain bénit, ou l'Église catholique justifiée sur l'usage du Pain bénit. Paris, 1777, in-12.

(1775). François-Antoine de Lorenzana, cardinal, archevêque de Tolède, prélat illustre par sa charité envers le clergé français déporté, mérite ici une place distinguée pour la magnifique édition qu'il a donnée des livres de la Liturgie gothique. Il en a accompagné l'édition de savantes lettres pastorales, qui sont de véritables Traités. Le bréviaire parut en 1775, sous ce titre : Breviarium Gothicum, secundum regulam Beatissimi Isidori, Archiepiscopi Hispalensis,jussu Cardinalis Francisci Ximenii de Cisneros prius editum; nunc opera Exe. D. Franscisci Antonii Lorenzana sanctœ Ecclesiœ Toletanœ Hispaniarum Primatis Archiepiscopi recognitum. Madrid, in-folio.

 

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Le missel, qui porte un titre analogue   à celui du bréviaire, parut à Rome, 1804, in-folio.

(1776). François-Antoine Zaccaria, jésuite, est sans contredit l'homme le plus versé dans toutes les branches de la science ecclésiastique qu'ait vu la période que nous e décrivons dans ce chapitre. Ses ouvrages imprimés s'élèvent au nombre de cent six. Celui qui occupe le premier rang parmi les travaux liturgiques du savant religieux, est la Bibliotheca ritualis, publiée à Rome (1776, 1778, 1781), en trois volumes in-4°. Zaccaria voulut compléter la série des collections bibliographiques des Lelong, des Mayer, des Fabricius, des Banduri, etc., par la publication d'un ouvrage du même genre sur la science liturgique. Corneille Schulting, dont-nous avons parlé ailleurs (1), avait ébauché ce grand travail dans sa Bibliotheca ecclesiastica; mais les omissions et les erreurs étaient sans nombre dans cet ouvrage déjà vieux de près de deux siècles, au moment où Zaccaria entreprenait sa Bibliotheca ritualis. Le travail du jésuite n'a d'autre défaut que ceux qui sont inséparables des ouvrages de ce genre, dont le meilleur sera toujours celui qu'on trouvera le moins inexact et le moins incomplet. Nous confessons volontiers ici que nous sommes grandement redevable à Zaccaria, pour la partie bibliographique de cette histoire, bien que nous ayons eu souvent l'occasion de suppléer ses omissions et de rectifier ses méprises. Un autre nous rendra le même service.

En 1787, Zaccaria publia à Faënza (deux tomes in-4°) son Onomasticon Rituale selectum, ouvrage d'une haute portée scientifique, et accessible à un plus grand nombre de personnes que la Bibliotheca ritualis, bien qu'il soit encore moins connu en France. On a encore de lui, sur les matières liturgiques, la célèbre dissertation de

 

(1) Tome I, page 479.

 

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Usu librorum liturgicorum in rebus theologicis, réimprimée souvent; le traité Dell’ anno Santo (Rome, 1775, deux volumes in-8°); les annotations au livre des Mœurs des Chrétiens, de l'abbé Fleury, traduit en latin et publié à Venise (1761, deux volumes in-4°); de nombreux et savants articles dans plusieurs journaux scientifiques d'Italie.

(1777). Annibal Olivieri de Abbatibus, gentilhomme de Pesaro, est célèbre par son beau livre : Dell' antici Battistero della S. chiesa Pesarese. Pesaro, 1777, in-4°.

(1778). François-Michel Fleury, curé dans le diocèse du Mans, ayant été suspendu de ses fonctions par l'évêque Louis-André de Grimaldi, pour son obstination à vouloir se faire répondre et servir la messe par la sœur de son vicaire, publia, dans le Journal ecclésiastique de Dinouart (juin 1774), une dissertation sur cette question : Si une femme, au défaut d'homme,peut répondre la Messe? Une critique manuscrite ayant couru le pays du Maine, Fleury fit imprimer la brochure intitulée : Réponse de la Messe par les femmes, en réponse à une lettre anonyme. 1778, in-8°.

(1779). Jean-Baptiste Graser, docte professeur allemand, a composé une savante dissertation : De Presbyterio et in eo sedendi jure. Trente, 1779, in-4°.

(1779). Dom Nicolas Jamin, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, auteur de plusieurs ouvrages estimés, paraît être l'auteur du livre intitulé : Histoire des Fêtes de l'Église (in-12), dont la plus ancienne édition, venue à notre connaissance, est de 1779. Il a été traduit en allemand et publié à Bamberg, en 1784.

(1779). Ferdinand Tetamo, prêtre sicilien, est justement célèbre par le bel ouvrage de Liturgie pratique qu'il a intitulé : Diarium liturgico-theologico-morale, sive sacri Ritus, Institutiones ecclesiasticœ, morumque disciplina, notanda singulis temporibus atque diebus anni ecclesiastici

 

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et civilis. Venise, 1779-1784, huit volumes in-4° en deux séries.

(1779). François-Xavier Holl, jésuite allemand, illustre professeur de droit canonique dans l'Université d'Heidelberg, a publié le premier volume d'un ouvrage remarquable intitulé : Statistica Ecclesiœ Germanicœ, 1779, in-8°. Ce volume, le seul qui ait paru, renferme une dissertation infiniment précieuse : De Liturgiis Ecclesiœ Germanicœ.

(1781). Joseph-Marie Mansi, clerc régulier des Écoles pies, fit paraître cette année, à Lucques, un opuscule rempli d'érudition, sous ce titre: Lettera ad un Ecclesiastico, nella quale si dimostra, che non e lecito ad ogni Sacerdote celebrare la Messa privata nella notte del santo  Natale, 1779.

(1784). Jean Sianda, cistercien de Mont-Réal, a laissé un ouvrage trop superficiel et trop abrégé pour le sujet qu'il traite. Il porte ce titre : Onomasticum sacrum : opusculum triparlitum. Rome, 1774, in-8°.

(1786). Faustin Arevalo, illustre jésuite espagnol, si digne de toute la reconnaissance des amis de la science ecclésiastique par ses excellentes éditions de Prudence et de saint Isidore de Séville, a publié, sous le titre d'Hymnodia Hispanica, un ouvrage remarquable surtout par la célèbre dissertation de Hymnis ecclesiasticis, que nous regardons comme un des plus précieux monuments de la science liturgique. Le livre a paru à Rome ,  1786, in-4°.

(1786). Joseph Cuppini, cérémoniaire delà cathédrale de Bologne, a laissé, sur plusieurs questions de Liturgie pratique, des Instructiones Liturgicœ, qui présentent un grand intérêt. Bologne, 1786, in-4°.

(1786). François Cancellieri, savant prélat romain, est l'écrivain le plus important sur les matières liturgiques qui ait paru à la fin du XVIII° siècle. Il débuta par son magnifique ouvrage de Secretariis Basilicœ Vaticanœ

 

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veteris ac novœ. Rome, 1786 et années suivantes, quatre volumes in-4°. Il donna ensuite successivement : 1° Descrizione della Basilica Vaticana. Rome, 1788, in-12.— 2° Notifie intorno alla Novena, Vigilia, Notte e Festa di Natale. Rome, 1788, in-12. — 3° Descrizione delle Pontificali che si celebrano nella Basilica Vaticana, per le feste di Natale,di Pasqua et di san Pietro. Rome, 1788, in-12. — 4° Descrizione delle funzioni della Settimana santa nella Cappella pontificia. Rome,   1789,  in-12. — 5° Descrizione delle   Capelle   pontificie   e cardinalice   di tutto l'anno. Rome, 1790, quatre volumes in-12. — Storia de solenni possessi de sommi Pontefici, detti anticamente Processi 0 Processioni, dopo la loro coronazione, nella Basilica   Vaticana  alla Lateranese,   da   Leone   III  a Pio  VII Rome, 1802, in-4°. — 7° Memorie delle sacre Teste dei santi Apostoli Pietro e Paolo e della loro solenne   recognizione   nella   Basilica   Lateranese.  Rome, 1806, in-4°. —8° Le due Nuove Campane di Campidoglio benedette dalla Santita di N. S. Pio VIL P. O.  M. e descritte, con varie Notifie sopra i Campanili,  Rome, 1806, in-4°.— 9° Dissertazione Epistolare sopra le Iscrizioni delle Martiri Simplicia madre di Orsa, et di un altra Orsa. Rome,  1819, in-12.   10° Notifie  sopra l'origine e l'uso dell' Anello Pescatorio, e degli Anelli ecclesiastici. Rome, 1823, in-8°.

(1787). François-Antoine Mondelli, ecclésiastique romain, a publié une excellente dissertation intitulée : Della legitima disciplina da osservarsi nella pronuncia del Canone della Messa. Rome, 1787, in-8°.

(1786). Augustin Kraser, docteur allemand, a laissé un ouvrage remarquable sous ce titre : De Apostolicis necnon antiquis Ecclesiarum Occidentalium Liturgiis, illarum origine, progressu, ordine, die, hora et lingua, cœterisque rebus ad Liturgiam antiquam pertinentibus, liber singularis. Augsbourg, 1786, in-8°.

 

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(1787). Jacques-Denys Cochin, curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, à Paris, composa des Prônes ou Instructions familières sur toutes les parties du saint Sacrifice de la Messe, qui n'augmentent pas beaucoup la somme des notions scientifiques de la Liturgie, mais que nous citons cependant comme ouvrage français de cette époque.

(1788). Etienne-Antoine Morcelli, jésuite si connu par ses travaux archéologiques, a laissé : 1° Kalendarium Ecclesiœ Constantinopolitanœ mille annorum vetustate insigne, primitus e Bibliotheca Romana Albanorum in lucem editum, et veterum monumentorum comparatione diurnisque commentariis illustratum. Rome, 1788, deux volumes in-4°. — 2° Agapea Michaelia et tesserœ Vaschales, 1816, 1818. Ces opuscules, d'un style trop classique peut-être, ont été réimprimés ensemble, à Bologne, 1822, in-8°.

(1790). Il Breviario Romano difeso,egiustificato contro il libro intitolato : Lettera risponsiva di un parroco Fiorentino alla Lettera di un parroco Pistoiese. — Cet ouvrage anonyme, publié en 1790, sans lieu d'impression, est dirigé contre le curé Scaramucci, l'un des fauteurs du synode de Pistoie.

(1797). Jean Marchetti, savant prélat romain, si connu par son excellente critique de Fleury, a laissé l'ouvrage suivant : Del Breviario Romano, 0 sia dell' Officio divino e del modo di recitarlo. Rome, 1797, in-12.

(1798). Jean Gonzalès Villar, chanoine de la cathédrale de Léon, a donné le livre intitulé : Tratado de la sagrada luminaria, en forma de disertacion, en el que se demuestra la antiguedad, y piedad de las vêlas, y lamparas encendidas a honra de Dios, y en obsequio de las santas Imagenes, y Reliquias.  1798, in-8°.

Tirons maintenant les faciles conclusions des faits contenus au présent chapitre.

Il est clair, en premier lieu, qu'une conjuration a été

 

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formée au sein même des pays catholiques, dans le but d'insinuer l'esprit du protestantisme, à la faveur des innovations liturgiques.

Il est clair, en second lieu, que le parti antiliturgiste a constamment procédé en affaiblissant l'autorité du Saint-Siège, en opérant la destruction de la Liturgie romaine, en procurant à ses adeptes, par toutes sortes d'intrigues, l'honneur de rédiger les livres destinés à remplacer ceux que la tradition catholique avait formés dans le cours des siècles.

Il est clair, en troisième lieu, que si tous nos liturgistes français n'ont pas été aussi loin dans leur audace que les Ricci, les Grégoire, etc., ceux-ci les ont hautement avoués et recommandés comme des hommes qui possédaient leurs sympathies.

Il est clair, en quatrième lieu, que l'abolition de l'ancienne Liturgie a été une œuvre à laquelle ont pris part les hommes qui ont eu le plus à cœur de répandre le jansénisme, le protestantisme, le philosophisme et les maximes anarchiques.

Il est clair,enfin, qu'au moment où finissait le XVIII° siècle, l'Église gallicane avait laissé périr une des branches de la science ecclésiastique ; qu'en se séparant de la Liturgie ancienne, elle s'était séparée dans le culte divin non seulement de l'Église de Rome, mais de toutes les autres Églises latines, et cela sans pouvoir rétablir dans son propre sein cette unité qu'elle avait sacrifiée à un vain désir de perfectionnement, en renonçant avec une facilité sans exemple à cette glorieuse immutabilité qui est la gloire de la Liturgie, et qui a inspiré cet axiome de tous les siècles : Legem credendi statuat lex supplicandi. Gloire et actions de grâces soient donc rendues au Seigneur, qui n'a point abandonné cette Église au jour de la tribulation.

 

 

 

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