II - CHAPITRE XVII

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II - CHAPITRE XXIV
II - APPENDICE
II - ADDITION

 

INSTITUTIONS LITURGIQUES

 

PREMIÈRE PARTIE

(Suite.)

 

 

CHAPITRE  XVII : DE LA LITURGIE DURANT LA SECONDE MOITIE DU XVII° SIECLE. COMMENCEMENT DE LA DEVIATION LITURGIQUE EN FRANCE. — AFFAIRE DU PONTIFICAL ROMAIN. — TRADUCTION FRANÇAISE DU MISSEL. — RITUEL D'ALET. — BREVIAIRE PARISIEN DE HARLAY. — BRÉVIAIRE DE CLUNY. — HYMNES DE SANTEUIL. — CARACTÈRE DES CHANTS NOUVEAUX. — TRAVAUX DES PAPES SUR LES LIVRES ROMAINS. — AUTEURS LITURGIQUES DE CETTE ÉPOQUE.

 

Nous entrons dans la partie la plus pénible et la plus délicate du récit que nous nous sommes imposé. Pendant que l'Église latine tout entière reste fidèle aux formes liturgiques établies par saint Pie V, suivant le vœu du concile de Trente, confirmé par les divers conciles provinciaux qui l'ont suivi, une révolution  se

 

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prépare dans l'Eglise de France. En moins d'un siècle, nous allons voir les plus graves changements s'introduire dans la lettre des offices divins, et l'unité romaine, que proclamait si nettement encore l'Assemblée de 16o5, disparaître en peu d'années.

Pour mettre dans tout leur jour les causes de ce changement, il serait nécessaire de faire en détail l'histoire de France pendant le XVII° siècle. Peu de gens aujourd'hui la connaissent, et pourtant  elle  renferme seule la  clef de tous les événements religieux accomplis dans le cours des deux siècles suivants.  C'est  à cette   époque qui montre encore de si   magnifiques  débris des  anciennes mœurs catholiques, et qui vit s'élever tant de pieuses institutions, que les germes du protestantisme, sourdement implantés dans les moeurs françaises,   percèrent la terre et produisirent ces doctrines d'isolement dont les unes, formellement hétérodoxes, furent honteusement flétries du nom de jansénisme, les autres, moins hardies,  moins caractérisées, plus difficiles à démêler  dans leur portée, se groupèrent successivement en forme de système national du christianisme, et ont été dans la suite comprises sous la   dénomination plus ou moins juste de gallicanisme.

La Liturgie devait ressentir le contre-coup de ce mouvement. On peut dire qu'elle est l'expression de l'Église; du moment donc que des variations s'introduisaient dans la chose religieuse en France, on ne pouvait plus espérer que l'unité liturgique pût dès lors exister entre Rome et la France. S'il est une assertion d'une rigueur mathématique, c'est assurément celle que nous énonçons en ce moment. — Mais, dira-t-on, voulez-vous nous faire croire que les changements introduits au bréviaire et au missel sont le résultat de principes hétérodoxes et suspects, ou encore qu'ils ont eu pour auteurs et promoteurs des hommes qui n'étaient pas purs dans la foi ? A cela nous répondons simplement: Lisez notre récit, et jugez; prouvez

 

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que les faits que nous racontons ne sont pas exacts, que les principes que nous soutenons ne sont pas sûrs. Nous n'entendons pas, certes, envelopper, en masse, dans une odieuse conspiration contre l'orthodoxie les générations qui nous .ont précédés; mais on ne saurait non plus nier l'histoire et les monuments.

Semblable en beaucoup de choses aux sectes gnostiques et manichéennes que nous avons signalées au chapitre XIV°, essentiellement antiliturgique comme elles, le jansénisme eut pour caractère de s'infiltrer au sein du peuple fidèle, en pénétrant de son esprit, à des degrés divers, la société qu'il venait corrompre. A ceux qui étaient assez forts, il prêcha un calvinisme véritable qui, au XVIII° siècle, se transforma en le gnosticisme le plus honteux, par les convulsions et le secourisme, en attendant qu'à la fin du même siècle, on vît ses adeptes passer, de plain-pied, de la doctrine de Saint-Cyran et de Montgeron, à l'athéisme et au culte de la raison. A ceux au contraire qu'un attachement énergique à l'ensemble des dogmes, un  éloignement prononcé pour une révolte contre les décisions évidentes de l'Eglise,garantissait de pareils excès, le jansénisme chercha à inspirer une défiance, un mépris, un éloignement même pour les formes extérieures   du catholicisme, pour  les croyances qui paraissent ne tenir au symbole que d'une manière éloignée.  S'il  n'osa révéler  à ces derniers que l'Eglise avait cessé d'être visible, il se plut du moins à la leur montrer comme déchue de la perfection des premiers siècles, encombrée de  superfétations que l'ignorance des bas siècles avait entassées autour d'elle, et surtout moins pure à Rome et dans les pays de la vieille catholicité qu'en France, où la science de l'antiquité, la critique, et surtout un zèle éclairé pour de saintes et précieuses libertés, avaient ménagé d'efficaces moyens de retour à la pureté primitive. Dans cette doctrine, le lecteur reconnaît sans doute, non-seulement Jansénius, Saint-Cyran et Arnauld, mais Letourneux,

 

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Ellies Dupin,  Tillemont, Launoy, Thiers, Baillet, de Vert, Fleury, Duguet, Mésenguy, Coffin, Rondet, etc.; or ce qui nous reste à faire voir, c'est que ces législateurs du dogme et de la discipline en France, ces réformateurs des mœurs chrétiennes, ont été,  directement ou indirectement, les promoteurs des énormes  changements introduits dans la Liturgie de nos églises.

Avant d'offrir au lecteur le tableau de leurs opérations sur le culte et l'office divin, nous ouvrirons notre récit par 1 un   incident liturgique   qui   signala  le   commencement de la période dont nous traçons l'histoire dans ce chapitre.

En 1645, Urbain VIII  ayant,  ainsi que nous l'avons dit, donné une nouvelle édition du Pontifical romain, dans ; laquelle il avait, d'autorité apostolique, introduit plusieurs modifications et additions, il se trouva qu'une de ces modifications   avait rapport  à la promesse d'obéissance à ; l'évêque que doivent émettre les prêtres dans la cérémonie 1 de leur ordination. Le Siège apostolique avait jugé à propos de prescrire que l'évêque, conférant l'ordination,  exigerait cette promesse de la part  des réguliers, non pour lui-même, mais pour leur supérieur, en ces termes : Promittis prœlato ordinario tuo pro tempore existenti reverentiam et obedientiam ? En effet, du moment que l'existence des corporations régulières est admise par l'Église, il n'est nullement extraordinaire que cette partie du droit reçoive aussi ses applications  dans les formes ecclésiastiques : c'est le contraire qui  devrait  surprendre.   Clément VIII, il est vrai, dans la première édition du Pontifical, avait omis cette particularité ; mais l'autorité de son successeur Urbain VIII, qui répara cette omission, était égale à la sienne,   et le motif qui  faisait agir ce dernier pontife ne pouvait être plus rationnel. Le but  de la promesse d'obéissance exigée des prêtres dans leur ordination, est, sans doute, de les lier à un centre ecclésiastique quelconque. Ce centre  naturel  est l'évêque  pour ceux qui

 

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doivent exercer le sacerdoce dans un diocèse en particulier; mais, comme il est évident que les individus faisant partie des corps réguliers doivent se transporter non-seulement d'un diocèse à l'autre, mais d'un royaume, ou même d'une partie du monde à l'autre, il suit de là que la promesse d'obéissance émise par l'ordinand régulier à l'évêque qui célèbre l'ordination deviendrait le plus souvent illusoire, et que, par conséquent, la véritable dépendance à constater, en ce moment, est celle qu'il doit avoir à l'égard de son supérieur de droit et de fait.

L'Assemblée du clergé de 165o témoigna néanmoins son déplaisir sur l'addition faite au Pontifical. « Le 17 août, l'évêque de Comminges représenta à l'Assemblée que, dans l'édition du Pontifical imprimé à Rome, en 1645, Ton avait ajouté un formulaire de serment particulier pour les prêtres réguliers, lequel n'était point dans les autres pontificaux, dans lesquels il n'y a qu'un même formulaire, tant pour les réguliers que pour les séculiers, lorsqu'ils sont promus à l'ordre de prêtrise; que le formulaire de serment des religieux, ajouté dans ledit Pontifical nouveau, porte : «Promittis prœlato ordinario tuo obedientiam, au lieu qu'à celui qui est pour les prêtres, il y a : Promittis pontifici ordinario tuo obedientiam, quand il n'est point son diocésain ; que par ce mot de prœlato mis dans le serment des réguliers, ils prétendent n'être entendu que la personne de leur supérieur, qu'ils qualifient du nom de prélat; et, ce faisant, qu'ils ne se soumettent point à l'évêque ; qu'il croyait à propos d'en écrire au Pape, POUR L’EN AVERTIR, et à Messeigneurs les Prélats DE NE PAS S’EN SERVIR. Ce qui ayant été trouvé raisonnable, Monseigneur de Comminges a été prié de faire les deux lettres.

« Le 20 septembre, Monseigneur de Comminges se mit au bureau et fit lecture des deux dites lettres qu'il avait été chargé de faire. Ayant été trouvées dans le sens de

 

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l'Assemblée, l'on ordonna de les envoyer, et les sieurs Agents furent chargés d'en prendre soin (1). »

Rien, sans doute, ne nous oblige à croire que l'Assemblée de 165o ne fût pas d'une parfaite bonne foi quand elle écrivait au Pape pour l'avertir des changements qu'on avait faits au Pontifical; bien qu'on doive trouver un peu extraordinaire la lettre écrite en même temps aux évêques du royaume pour leur donner avis de ne pas se servir de ce Pontifical ainsi modifié. Quoi qu'il en soit, comme l'édition du Pontifical de 1645 avait été publiée à Rome par autorité apostolique, et accompagnée d'un bref solennel d'Urbain VIII, qui déclarait ce livre, dans sa nouvelle forme, obligatoire par toute l'Église, il était difficile à croire que les changements ou additions qu'on y avait introduits n'eussent pas été introduits par le souverain Pontife lui-même. Innocent X, qui tenait alors la chaire de saint Pierre, reçut donc la lettre de l'Assemblée de 165o ; mais, ou il ne jugea pas à propos d'y répondre, ou il y fit telle réponse que le clergé n'eut pas lieu d'en être pleinement satisfait.

En effet, dix ans après, l'Assemblée de 1660 s'occupa encore de cette affaire, mais on ne saurait s'empêcher d'être effrayé des dispositions qu'elle fit paraître. « Le 12 août, Monseigneur l'évêque de Tulle dit que ceux qui doivent revoir le Pontifical qu'une compagnie d'imprimeurs de Paris veulent faire imprimer, le sont venus trouver et lui en ont donné quelques épreuves, dans lesquelles ils lui ont fait remarquer qu'à l'endroit où les prêtres font le serment à l'évêque lors de leur ordination, on y avait distingué celui que doivent faire les réguliers, comme s'ils ne devaient prêter le serment qu'à leur supérieur

 

(1) Procès-verbaux des Assemblées générales du Clergé, tom. III, pag. 610 et 611. Dans la même séance, l'évêque de Comminges se plaignit aussi de la formule du serment que doivent prêter, d'après le Pontifical de 1645, les abbesses exemptes, dans la cérémonie de leur bénédiction.

 

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de religion, et non pas aux évêques qui les ordonnent; et que, comme l'Assemblée de 165o en avait fait plainte au pape Innocent X, et avait même envoyé une lettre circulaire à tous les évêques de France, pour les prier de ne pas vouloir se servir de ce Pontifical ainsi recorrigé,  IL IMPORTAIT A PRESENT D'EMPÊCHER L'IMPRESSION DE CELUI-CI, s'il n'était conforme à celui que le pape Clément VIII avait fait imprimer à Rome, et dont on s'est toujours servi depuis. L'Assemblée a prié Monseigneur de Tulle et M. l'abbé de Colbert de voir lesdites épreuves et de mander ceux qui doivent les revoir, afin de voir par quel moyen on pourra empêcher cette impression, pour, après en avoir fait leur rapport à la compagnie, y être pris telle délibération qu'elle jugera nécessaire (1). »

Ainsi le prélat rapporteur jugeait que, du moment qu'on avait adressé des plaintes au Pape sur un acte de sa juridiction, et qu'on avait écrit à tous les évêques de France de n'avoir pas égard à cet acte, on était en droit de passer outre, sans avoir reçu décharge d'obéissance de la part du pouvoir auquel on s'était adressé. Avec de pareilles maximes quelle société pourrait subsister ? Quel moyen restait dès lors au clergé de parer les coups de la puissance séculière, quand lui-même, dans son propre sein, donnait l'exemple fatal d'un refus de subordination ?

Tout fut consommé en l'Assemblée de 1670. Voici les termes du procès-verbal : « Le 4 août, Monseigneur de Tréguier a pris le bureau et a rapporté que, dans le Pontifical romain qui a été imprimé en 1645 et 1664, il se trouve dés additions et des restrictions qui ne sont pas aux anciens pontificaux : et en ayant fait remarquer les endroits à la compagnie, l'Assemblée, après y avoir fait ses réflexions, a cru l'affaire d'assez grande importance pour être examinée par des commissaires, et pour cet

 

(1) Procès-verbaux du Clergé, tom. IV, pag. 793.

 

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effet, Monseigneur le président a nommé Messeigneurs les évêques de Montauban, de Tréguier et de La Rochelle, et Messieurs les abbés de Chavigny, de Valbelle et de Fromentières.

« Le 24 septembre, Monseigneur l'évêque de Montauban a dit qu'il avait rendu compte à la compagnie d'une commission qu'elle lui avait donnée, concernant le Pontifical romain, où, dans les nouvelles éditions, il a été changé quelques endroits ; ce qui semble avoir été fait dessein, afin que les réguliers paraissent être seulement soumis à leur supérieur dans les temps de l'ordination, et non pas à l'évêque ; ce qui étant d'une dangereuse conséquence, porta l'Assemblée de 165o d'en écrire au Pape ; mais comme depuis ON n'y a pas remédié, il estime qu'il serait à propos de le faire, en faisant réimprimer la Messe pontificale dont il n'y a plus d'exemplaires à vendre, et que l'impression fût conforme à l'ancienne manière de parler ; et en faire une lettre à tous Messeigneurs archevêques et évêques du royaume, pour leur en donner avis. Sur quoi Monseigneur le président a dit que ces expédients sont très-judicieux, et qu'il faudrait joindre à l'édition de la messe la cérémonie de la bénédiction des abbesses, conformément à l'ancien usage ; mais comme la compagnie n'était pas complète, elle a remis à y délibérer quand elle sera plus nombreuse.

« Le 14 octobre de relevée, Monseigneur de Montauban a dit qu'il avait examiné, avec Messeigneurs les commissaires, les articles qu'on avait insérés dans les nouvelles éditions du Pontifical romain, où ils ont trouvé des nouveautés préjudiciables à l'autorité des évêques; que le meilleur remède serait de faire imprimer de nouveau la Messe pontificale, selon les exemplaires anciens. Ce qui a été ordonné en même temps au sieur Vitré, suivant les mémoires qui lui seront donnés par Messeigneurs les commissaires. »

 

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« Le 12 novembre, Monseigneur de Tréguier a dit que le sieur Vitré, qui avait été chargé d'imprimer les Messes pontificales, dit qu'ayant été chez les libraires pourvoir s'il en trouverait assez pour en fournir tous les diocèses du royaume, en cas qu'on en eût besoin, il avait trouvé qu'il y en avait suffisamment, et qu'il faudra seulement en imprimer quelques feuilles pour les mettre dans  l’état que l'Assemblée désire qu'elles soient mises, par sa délibération; que cela serait d'une grande épargne pour le Clergé, et ferait même qu'il ne resterait plus de ces messes pontificales imprimées qui ne fussent corrigées. L'Assemblée a approuvé cet expédient, et a prié Monseigneur de Tréguier de tenir la main à ce que cela s'exécute ainsi (1). »

Ainsi fut décrétée l'altération d'un livre liturgique reçu dans toute l'Église latine ; ainsi le souverain pouvoir liturgique qui avait déjà reçu une première atteinte dans l'Assemblée de 1606, par l'irrégulière insertion du nom du roi au canon de la messe, en reçut une seconde bien plus violente dans les Assemblées de 165o, 1660 et 1670. Du moins, en 1606, on n'avait pas pris la peine de consulter le Siège apostolique avant de formuler un refus positif d'obéissance à ses prescriptions. On n'avait pas dit et inséré au procès-verbal des délibérations, qu'une mesure prise par l'autorité apostolique était d'une dangereuse conséquence ; qu'un des livres les plus vénérables, les plus sacrés qui soient dans l'Eglise, un livre garanti par le Saint-Siège, renfermait des nouveautés préjudiciables à l'autorité des évêques ; comme si l'Eglise romaine n'avait pas, dans tous les siècles, maintenu, pour le bien de la chrétienté, l'autorité inviolable de l'Épiscopat. Il est vrai que, depuis bien des siècles, de concert avec les évêques eux-mêmes, Rome avait cru  devoir assurer par des privilèges spéciaux les

 

(1) Procès-verbaux des Assemblées du clergé, tom. V, pag. 152 et 153.

 

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grands biens produits par les réguliers ; mais cette discipline étant universelle et promulguée par les canons des conciles  œcuméniques et par les  bulles  des papes, deux choses devaient nécessairement être considérées avant tout par ceux auxquels elle aurait déplu. La première, qu'une discipline revêtue d'une sanction aussi sacrée ne pouvait, en aucune façon, être contraire à la constitution essentielle de l'Eglise; autrement, il faudrait dire que l'Église aurait erré sur la discipline générale,  ce qui est hérétique.  La seconde, que l'exemption des réguliers étant une loi gêné, raie de l'Eglise, toutes les atteintes qui lui seraient portées par un pouvoir autre que le pouvoir universel du concile œcuménique ou du souverain pontife, seraient illicites et nulles de plein droit.

Il y a donc contradiction de principes toutes les fois que, dans une église particulière, il est porté atteinte à l'exemption des corps réguliers, et voilà pourquoi les gouvernements ennemis de l'Église ont toujours poussé le clergé qui leur est soumis à annuler, par des règlements spéciaux, l'existence exceptionnelle des réguliers, et ont même décrété, comme loi de l'État, la soumission des réguliers aux ordinaires. Rappelons-nous Joseph II en Allemagne, Léopold en Toscane, Ferdinand IV à Naples, les archevêques électeurs à Ems, les Cortès de 1822 en Espagne, Nicolas Ier en Pologne, les articles de Baden, en 1834, pour la Suisse, etc. Ceci demande une histoire à part, et nous n'avons ici à traiter cette question que dans ses seuls rapports avec l'incident liturgique qui nous occupe. Nous dirons seulement que cette altération du Pontifical coïncida avec la fameuse déclaration de l'Assemblée de 1645 sur les réguliers, déclaration dont l'effet avait été préparé dans l'opinion par le Petrus Aurelius, par le livre de Hallier, sur la hiérarchie, etc., et qui fut bientôt suivie de la censure du livre de Jacques Vernant par la Sorbonne, censure censurée elle-même par Alexandre VII dans une bulle

 

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doctrinale qui fut rejetée en France. Mais, sans entrer dans toutes ces questions qui sont d'un autre sujet, nous avons à noter ici un acte solennel par lequel les prélats français déclarent qu'ils ne sont point tellement obligés à suivre les livres liturgiques de Rome reçus par eux, qu'ils n'en puissent à l'occasion juger et modifier le texte, et ce, sans avoir besoin de l'autorisation apostolique.

Pendant que les Assemblées du clergé, si zélées d'ailleurs contre les nouveautés, donnaient ainsi le fatal exemple d'une atteinte portée à la Liturgie universelle, la secte janséniste poursuivait, avec une audace toujours croissante-, ses plans ténébreux. Elle marchait à son but en attaquant les principes de l'Église sur la Liturgie. Son coup d'essai public, en ce genre, fut la publication d'une traduction française du Missel romain.

Nous avons, dans notre chapitre XIV° assigné comme le huitième caractère de l'hérésie antiliturgiste, la haine pour tout ce qui est mystérieux dans le culte, et spécialement pour l'emploi d'une langue sacrée inconnue au peuple. Les réformateurs du XVI° siècle, ancêtres naturels des jansénistes, avaient inauguré les traductions de l'Écriture sainte en langue vulgaire, comme le plus puissant moyen d'en finir avec la tradition, et d'affranchir l'intelligence des peuples du joug de Rome ; en même temps, ils réclamèrent l'emploi exclusif de la même langue vulgaire dans la Liturgie. Par là le culte se trouvait purgé de toute tendance mystique, et le dernier des fidèles devenait à même de juger de sa croyance, et conséquemment de sa pratique. Les novateurs français du XVII° siècle n'avaient garde de s'écarter d'une ligne de conduite si éprouvée, et, en attendant le Nouveau Testament de Mons, que Port-Royal publia en 1666, et qui excita de si grands troubles dans l'Église, dès 1660, le sieur Joseph de Voisin, docteur de Sorbonne, faisait paraître, avec l'approbation des vicaires généraux de Paris, un ouvrage en cinq volumes,

 

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intitulé : Le Missel romain, selon le règlement du concile de   Trente, traduit en français,  avec l'explication  de toutes les messes, etc. Dans leur permission, les vicaires généraux s'étayaient d'une approbation  de la Sorbonne qui se trouva être supposée, ainsi qu'il constate d'une déclaration donnée l'année suivante par la même Faculté, et dans laquelle  les docteurs attestent  d'abord qu'ils n'ont point donné la prétendue approbation ; qu'à la vérité on les avait consultés sur un ouvrage, mais qu'on  ne leur avait parlé que d'une explication des messes de l'année, et non d'une traduction du Missel en langue française ; qu'elle ne pourrait donc s'empêcher d'improuver l'approbation   qui,   dit-on,  aurait   été   donnée   par   quelques membres de son corps, puisque déjà elle   s'est vue dans le cas, en 1655, de refuser son autorisation à une traduction française du Bréviaire romain, et  en   1649,   à une version du Nouveau Testament en langue vulgaire. La Sorbonne rappelle  ensuite sa fameuse censure de 1527, contre les propositions d'Érasme, dont une, entre autres, exprimait le désir de voir les saintes Écritures traduites en toutes les langues (1).

L'Assemblée du clergé de 1660, se montra fidèle, dans cette occasion, à ces vénérables traditions qui n'auraient jamais dû périr chez nous. Elle condamna la traduction du Missel en langue vulgaire par le sieur de Voisin, et pour qu'il ne manquât rien à la solennelle réprobation de l'attentat qui venait d'être commis contre le mystère sacré de la Liturgie, un bref d'Alexandre VII, du 12 janvier 1661, vint joindre son autorité irréfragable à la sentence qu'avaient, en première instance, rendue les évêques de l'Assemblée. Le Pontife s'exprime ainsi. « Il est venu à nos oreilles et nous avons appris avec une grande douleur que, dans le royaume de France, certains fils de perdition, curieux

 

(1) D'Argentré. Collectio Judiciorum, tom. III, pag. 81

 

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de nouveautés pour la perte des âmes, au mépris des règlements et de la pratique de l'Église, en sont venus à ce point d'audace que de traduire en langue française le Missel romain, écrit jusqu'ici en langue latine,  suivant  l'usage  approuvé dans  l'Église depuis  tant  de siècles ; qu'après l'avoir traduit, ils ont osé le publier par la presse, le mettant ainsi à la portée des personnes de tout rang et de tout sexe, et, par là, qu'ils ont tenté, par un téméraire effort, de dégrader les rites  les plus sacrés,   en   abaissant   la  majesté que   leur   donne la langue latine, et exposant aux yeux du vulgaire  la dignité des mystères divins. Nous qui, quoique indigne, avons reçu le soin de la vigne du Seigneur des armées, plantée par le Christ notre  Sauveur, et arrosée de son précieux sang, voulant ôter les épines qui   la couvriraient si on les laissait croître, et même en couper juste qu'aux racines,  autant  que Nous le  pouvons  par  le secours de Dieu, détestant et abhorrant cette nouveauté qui déformerait l'éternelle beauté de l'Église et qui engendrerait   facilement   la désobéissance,   la   témérité, l'audace, la sédition,  le schisme,  et plusieurs   autres et malheurs ;   de   notre   propre   mouvement,  de   notre science certaine et mûre délibération, Nous condamnons et réprouvons le susdit Missel traduit en français, en défendant à tous  les fidèles du Christ de l'imprimer, lire ou retenir, sous peine d'excommunication, mandant à iceux de remettre aux ordinaires ou aux inquisiteurs les exemplaires qu'ils ont ou pourraient avoir dans la suite, afin que ceux-ci les fassent immédiatement jeter ce au feu (1). »

Tout catholique verra, sans doute, à la gravité du langage du Pontife romain, qu'il s'agissait dans cette occasion d'une   affaire majeure ; mais plus   d'un   de nos lecteurs

 

(1) Vid. la Note A.

 

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s'étonnera, peut-être, après ce que nous venons de rapporter, de l'insensibilité avec laquelle on considère aujourd'hui un abus qui excitait à un si haut degré le zèle d'Alexandre VII. Aujourd'hui, tous les fidèles de France, pour peu qu'ils sachent lire, sont à même de scruter ce qu'il y a de plus mystérieux dans le canon de la messe, grâce aux innombrables traductions qui en sont répandues en tous lieux ; la Bible, en langue vulgaire est, de toutes parts, mise à leur disposition : que doit-on penser de cet état de choses ? Certes, ce n'est pas à Rome que nous le demanderons : bien des fois, depuis Alexandre VII, elle s'est exprimée de manière à ne nous laisser aucun doute; mais nous dirons avec tous les conciles des trois derniers siècles, que l'usage des traductions de l'Écriture sainte, tant qu'elles ne sont pas accompagnées d'une glose ou de notes tirées des saints Pères et des enseignements de la tradition, sont illicites, et, avec l'autorité du Saint-Siège et du clergé de France, nous assimilerons aux versions de l'Écriture prohibées, toute traduction du canon de la messe qui serait pas accompagnée d'un commentaire qui prévienne les difficultés. D'autre part, nous confessons avec tous les catholiques qu'il y a un pouvoir de dispense dans l'Église, et il n'est pas le moins du monde dans notre sujet d'en rechercher les règles d'application. Nous poursuivrons donc notre récit.

L'Assemblée du clergé de France de 1660 sentit si parfaitement la portée que pouvait avoir la traduction du Missel, comme fait liturgique, et le rapport intime qui règne entre l'Écriture sainte et la Liturgie, qu'elle décréta qu'il serait publié au nom du clergé une collection de tous les passages des auteurs graves qui ont traité, soit ex professo, soit en passant, de l'inconvénient des traductions de l'Écriture et de la Liturgie en langue vulgaire. Cette collection parut en 1661, chez Vitré, in-4°. Malheureusement, une de ces inconséquences dont l'histoire

 

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ecclésiastique de France présente un grand nombre d'exemples au XVII° siècle, vient encore se présenter sous notre plume. Louis XIV, ayant jugé à propos de révoquer l’Édit de Nantes et un grand nombre d'abjurations ayant suivi cet acte fameux, on jugea nécessaire de prévenir les nouveaux convertis contre le retour de leurs anciens préjugés, et pour cela, on leur mit en main des traductions de la messe. C'est ce que nous apprend assez familièrement Bossuet dans sa correspondance, si importante à consulter pour quiconque tient à connaître l'histoire de l'Église de France à cette époque. « Le bref contre le Missel de Voisin, donné par Alexandre VII, dit Bossuet, n'a jamais été porté au parlement, ni les lettres patentes vues. On n'a eu, en France, aucun égard à ce bref, et l'on fut obligé, pour l'instruction des nouveaux catholiques, de répandre des milliers d'exemplaires delà messe en français (1). »

Voilà, certes, beaucoup de chemin fait en peu de temps. En 1660, une Assemblée du clergé défère un livre au Saint-Siège, après l'avoir elle-même censuré ; le souverain pontife répond à la consultation du clergé par un bref dans le sens de l'Assemblée : la cause paraît finie, et trente ans après un évêque d'un si grand poids nous révèle que ce bref n'a été jugé d'aucune valeur, par le motif qu'il n'a jamais été porté au parlement, et que les évêques ont cru pouvoir, nonobstant un jugement si solennel, enfreindre les plus formelles défenses qu'ils avaient eux-mêmes provoquées. Il est vrai que les évêques de l'Assemblée de 1660 avaient pris l'alarme, voyant la Liturgie ébranlée dans ses bases, et devinant le vœu secret des novateurs qui, par leur prétention d'initier les fidèles à l'intelligence des mystères sacrés, au moyen des traductions en langue vulgaire, ne faisaient autre chose que continuer le plan de leurs prédécesseurs ;   tandis que les évêques des quinze

 

(1) Correspondance de Bossuet, tom. XLII, pag. 474.

 

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dernières années du XVII° siècle n'avaient en vue que de dissiper les préjugés des protestants nouvellement convertis. Mais n'y avait-il pas d'autre mesure qu'une traduction pure et simple du canon de la messe ? fallait-il compter pour rien les prescriptions du  Saint-Siège, du concile de Trente, lorsqu'on avait le moyen si facile et mis en usage en tous lieux, excepté en France, de joindre au texte un commentaire qui arrête les objections, une glose qui ne permet pas que l'œil du lecteur profane et illettré perce des ombres qui garantissent les mystères contre sa curiosité. Du moment que le peuple peut lire en sa langue, mot pour mot, ce que le prêtre récite à l'autel, pourquoi ce dernier use-t-il d'une langue étrangère  qui dès lors ne cache plus rien ? pourquoi récite-t-il à voix basse ce que la dernière servante, le plus grossier manœuvre suivent de l'œil et peuvent connaître aussi bien que lui ? Deux conséquences terribles que nos docteurs antiliturgistes ne manqueront pas   de tirer avec toute leur audace, ainsi qu'on le verra dans la suite de ce récit.

A peine les foudres de l'Église avaient cessé de retentir contre la traduction du Missel,   que la Sorbonne, encore fidèle  à une orthodoxie dont  elle devait plus tard se départir honteusement, signalait une nouvelle entreprise de l'esprit de secte, voilée sous des formes liturgiques. Cette fois encore, le piège était dirigé contre les simples fidèles. Un sieur de Laval avait publié, à Paris, un livre intitulé : Prières pour faire en commun, le matin et le soir, dans une famille chrétienne, tirées des prières de l’Église; et ce livre était   arrivé jusqu'à la cinquième édition.   La Faculté qui avait pris l'éveil à l'occasion  du Missel de Voisin, examina ce livre en même temps, et le signala, dans la déclaration de 1661, que nous avons déjà citée, comme renfermant d'infidèles traductions des prières de l'Église, des choses fausses, ambiguës, sentant l'hérésie et y induisant, sur la matière des sacrements, et renouvelant

 

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les opinions récemment condamnées sur la grâce, le libre arbitre et les actes humains (1). »

Mais quelque chose de bien autrement grave se préparait dans les arsenaux de la secte qui avait formé l'odieux projet d'atteindre le dogme et la morale chrétienne par la Liturgie. On avait eu en vue les simples fidèles dans la traduction du Missel et dans les Heures du sieur de Laval; on songea à atteindre le clergé dans un livre qui fût spécialement à son usage. Il n'y avait pas moyen encore de songer au bréviaire et au Missel : le Rituel parut être un véhicule favorable aux doctrines qu'on voulait faire prévaloir. Ce livre, qu'un usage déjà ancien en France avait rendu le répertoire de l'instruction pratique du saint ministère, aussi bien que le recueil des formules de l'administration des sacrements, parut le plus propre à servir les desseins du parti. Un de ses chefs les plus zélés, Pavillon, évêque d'Alet, osa insérer, dans le Rituel qu'il publia en 1667 pour son diocèse, plusieurs des maximes de Saint-Cyran et d'Arnauld, sur là pratique des sacrements. Le travail fut même revu par Arnauld lui-même, qui avait succédé à Saint-Cyran dans la dictature du parti.

Ceux qui savent l'histoire et la tactique du jansénisme, connaissent l'art avec lequel ses adeptes étaient parvenus à recouvrir leurs dogmes monstrueux du vernis menteur d'une morale plus sévère que celle de l'Église, dont ils proclamaient le relâchement. Ils voulaient, disaient-ils, ramener les institutions des premiers siècles, qui seuls avaient connu la vraie doctrine. Sans nier encore la vertu des sacrements, ils venaient à bout de les anéantir quant à l'usage, en enseignant que l'Eucharistie est la récompense d'une piété avancée et non d'une vertu commençante ; que les confessions fréquentes nuisent d'ordinaire plus qu'elles ne servent; que l'absolution ne doit régulièrement

(1) D'Argentré. Collectio Judiciorum, tom, III. Ibid.

 

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être donnée qu'après l'accomplissement de la pénitence; qu'il est à propos de rétablir les pénitences publiques, etc. Chacun sait qu'avec de pareilles maximes, les religieuses de Port-Royal, le fameux diacre Paris, et mille autres, en étaient venus à conclure que la communion pascale, supposant une familiarité par trop grande avec Dieu, la perfection était de l'omettre entièrement. Dans la suite, on alla plus loin, et on passa de l'isolement à l'égard des choses saintes au blasphème et à l'apostasie. Quant aux effets que produisit sur les catholiques de France ce rigorisme, qui se glissa, du moins en grande partie, dans les livres et l'enseignement de plusieurs théologiens orthodoxes d'ailleurs, on peut dire qu'il porta un coup funeste aux moeurs chrétiennes, en rendant plus rare l'usage des sacrements devenus, pour ainsi dire, inabordables. On sait que le parti n'épargna rien pour décréditer et opprimer le clergé régulier et la Compagnie des Jésuites surtout, parce qu'il savait et la popularité dont jouissaient les membres de ces corporations, et leur éloignement énergique pour une morale aussi opposée à celle de Jésus-Christ.

Or les maximes que nous venons de citer se trouvaient professées et appliquées dans cent endroits du Rituel d'Alet : quoiqu'on eût cherché avec un soin extrême à ne pas employer des termes trop forts, pour ne pas donner d'ombrage au Siège apostolique, qui déjà avait foudroyé le livre de la fréquente Communion du docteur Arnauld, et plusieurs autres productions analogues du parti. Rome n'en vit pas moins tout le venin dont les ennemis de la vraie foi avaient su empoisonner une des sources les plus sacrées de la Liturgie.

Clément IX, pontife dont la secte a plus d'une fois vanté la tolérance, mais qui fut seulement Un fidèle et prudent administrateur du troupeau du Seigneur, Clément IX, dès l'apparition du Rituel d'Alet, signala son zèle

 

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apostolique par une condamnation solennelle de ce livre pernicieux. Dans son fameux bref du 9 avril 1668, il s'exprime en ces termes :

« Le devoir de la sollicitude de toutes les Églises qui Nous a été divinement confiée exige de Nous que, veillant continuellement  pour  la garde   de la discipline ecclésiastique dont le Seigneur Nous a établi conservateur, Nous Nous efforcions avec toute sorte de soin et de vigilance à prévenir l'invasion cachée des choses qui pourraient troubler cette discipline, s'écarter des  rites ordonnés et ouvrir une voie aux erreurs. Comme donc, ainsi que Nous l'avons appris, il a paru l'année dernière, à Paris, un livre  publié en langue française, sous ce titre :   Rituel romain du pape Paul V, à l'usage du diocèse d'Alet, avec les instructions et les rubriques en françois; dans lequel sont contenues non-seulement plusieurs choses contraires au rituel romain publié par ordre de notre prédécesseur Paul V d'heureuse mémoire, mais encore certaines doctrines et propositions fausses, singulières, périlleuses dans la pratique, erronées, opposées et répugnantes à la coutume reçue communément dans l'Église  et aux  constitutions ecclésiastiques; par l'usage et lecture desquelles les fidèles du Christ pourraient insensiblement être induits dans des erreurs déjà condamnées et infectés  d'opinions   perverses.   Nous, voulant apporter à ce mal un remède opportun, de notre propre mouvement, science certaine et mûre délibération, par l'autorité apostolique, Nous condamnons par la teneur des présentes, le livre français intitulé Rituel; Nous le réprouvons et  interdisons, voulons qu'il soit tenu pour condamné, réprouvé et interdit, et défendons sous peine d'excommunication latœ sententiœ encourue par le seul fait, la lecture, la rétention et l'usage d'icelui, à tous et chacun des fidèles de l'un et l'autre sexe, principalement ceux de la ville et diocèse  d'Alet, de

 

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quelque degré, condition, dignité et prééminence qu'ils soient, quand bien même il devrait être fait d'eux mention spéciale et individuelle. Mandant à iceux qu'ils aient à exhiber, livrer et consigner réellement et sur-le-champ les exemplaires qu'ils ont ou qu'ils auraient dans la suite, aux ordinaires des lieux, ou aux inquisiteurs, et ceux qui sont soumis à notre vénérable frère l’évêque d'Alet, au métropolitain, ou à un des évêques les plus voisins; lesquels, sans retard, livreront, ou feront livrer aux flammes les exemplaires qu'on leur aura remis, nonobstant toutes choses à ce contraires (1).  »

On aurait dû  s'attendre qu'après  un  jugement aussi solennel, le Rituel d'Alet n'aurait plus trouvé de défenseurs dans l'Église de France; mais, hélas! la plaie était déjà si grande et si envenimée, que tout le zèle du médecin était devenu presque stérile. Sans parler de l’évêque d'Alet lui-même, qui jusqu'à la fin de sa vie maintint le Rituel dans son diocèse, et trouva encore, au moment de sa mort, le triste courage d'écrire au Pape, à ce sujet, une lettre de soumission en termes ambigus, on vit le crédit du parti s'élever jusqu'à faire rejeter, par les influences de l’épiscopat et de la magistrature,  ce bref et celui que Clément IX venait de donner en même  temps contre le Nouveau Testament de Mons, par le motif qu'ils contenaient des clauses de chancellerie contraires  aux libertés de l'Église gallicane. De pareils faits sont   lamentables, sans doute ; mais ce qui l'est bien plus encore, c'est l'adhésion expresse que donnèrent vingt-neuf évêques au Rituel condamné, après la notification du bref faite par le Nonce à tous les prélats de l'Église  de France.   De  Péréfixe, archevêque de Paris, si nous en croyons Ellies Dupin (2), aurait témoigné sa  sympathie pour le Rituel d'Alet dès qu'il parut ; mais nous ne chargerons point la mémoire de

 

(1)   Vid. la Note B.

(2)  Histoire ecclésiastique du XVII° siècle, tom. III, pag. 244.

 

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ce prélat sur la seule assertion d'un écrivain qui aimait le scandale; nous nous contenterons de citer le document officiel qu'on trouve en tête de la plupart des éditions du Rituel d'Alet. Vingt-neuf signatures le suivent, et elles sont de l'année 1669, à l'exception des deux dernières, qui sont de 1676. Ceux qui les ont données avaient reçu, en son temps, le bref de Clément IX. Voici en quels termes ils rassurent l’évêque d'Alet contre la flétrissure que venait d'infliger à son œuvre la condamnation du Saint-Siège :

« Nous avons lu avec beaucoup d'édification le rituel que Messire   Pavillon, évêque d'Alet, a composé pour l'usage de son diocèse, et nous louons Dieu de tout notre cœur de ce qu'il lui a plu d'inspirer à ce grand prélat la pensée de donner au public de si saintes instructions. Comme les évêques sont les vrais docteurs de l'Église, personne n'a droit de s'élever contre leur doctrine, à moins qu'ils ne soient tombés dans des erreurs manifestes, ou que l'Église n'ait condamné leurs sentiments, ce qu'elle n'a jamais fait qu'avec   beaucoup de circonspection ; et les ouvrages qu'ils publient portent leur approbation par le seul  nom de leurs auteurs. Mais, quand ils seraient sujets aux mêmes censures que les théologiens particuliers, tout le monde sait que nous pourrions dire à bon droit de Monsieur l’évêque d'Alet, ce que Célestin Ier disait autrefois de saint Augustin, en reprenant l'audacieuse témérité de ceux qui déclamaient contre ce docteur incomparable : Hunc nunquam sinistrae suspicionis saltem rumor aspersit. Et puisque ce Rituel n'est qu'un abrégé de ce que Monseigneur d'Alet a enseigné dans son diocèse depuis plus de trente ans qu'il le gouverne avec un soin infatigable, et que d'ailleurs il ne contient que les plus pures règles de l'Evangile, et les maximes les plus saintes que les canons nous ont proposées, nous ne pouvons assez en recommander la lecture et la pratique.

 

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C'est le sentiment que nous avons de cet excellent ouvrage, et nous avons cru être obligés d'en rendre un témoignage public, pour ne détenir pas la vérité dans l'injustice. »

Les noms des évêques qui eurent le malheur de signer cette pièce, appartiennent à l'histoire de la Liturgie en France : nous les donnerons ici. Ces prélats étaient : de Gondrin, archevêque de Sens ; Fouquet, archevêque de Narbonne ; Malliet, évêque de Troyes ; de Bertier, évêque de Montauban ; de Vialar, évêque de Châlons-sur-Marne ; de Grignan, évêque d'Uzès ; de Caulet, évêque de Pamiers ; de Choiseul, évêque de Comminges; Arnauld, évêque d'Angers ; de Péricard, évêque d'Angoulême; Jean, évêque d'Aulonne (1) ; Faure, évêque d'Amiens; de Harlay, évêque de Lodève; Choart, évêque de Beauvais; de Laval, évêque de La Rochelle; de Forbin de Janson, évêque de Marseille ; Bourlon, évêque de Soissons ; de Marmisse, évêque de Conserans ; de Clermont, évêque de Noyon; de Ventadour, évêque de Mirepoix ; de Ligny, évêque de Meaux ; Fouquet, évêque d'Agde ; Bertier, évêque de Rieux; de La Vieuville, évêque de Rennes ; de Percin de Montgaillard, évêque de Saint-Pons; Joly,évêque d'Agen; de Bar, évêque d'Acqs; de Barillon, évêque de Luçon, et de Bassompierre, évêque de Saintes.

Pour achever ce qui nous reste à dire sur le Rituel d'Alet, nous remarquerons que ce livre, outre les maximes pernicieuses dont nous avons parlé, présentait encore une nouveauté jusqu'alors sans exemple. Les rubriques pour l'administration des sacrements avaient  été traduites en

 

(1) Ce personnage était [un récollet nommé Jean Malvaud, en religion le P. Chérubin, qui fut sacré en 1648, évêque in partibus d'Aulonne, ville de l'exarchat de Macédoine, pour faire les fonctions de suffragant de l'évêque de Clermont, Louis d'Estaing. Il remplit ensuite celles de vicaire général successivement dans plusieurs diocèses. Il était favorable au jansénisme et toujours prêt à approuver les livres du parti.

 

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français. Cette innovation, qui ne rappelle que trop, dans un pareil livre et de la part de semblables auteurs, le système qui avait produit la traduction du missel, était très-significative, et occupa beaucoup le public. Quel autre motif, en effet, pouvait-on avoir eu de traduire en langue vulgaire des détails dont la connaissance est exclusivement réservée aux prêtres, sinon le désir de témoigner de la sympathie aux partisans de la langue vulgaire dans les offices ? Autrement, quelle insulte faite au clergé, de supposer nécessaire pour son usage la traduction des règles les plus familières ! quelle témérité inouïe d'exposer à la profanation les rites les plus vénérables, en soumettant aux yeux profanes la manière mystérieuse de procéder en les accomplissant ! Cette innovation renversait donc à plaisir tous les principes, et montrait ce qu'on pouvait attendre du parti. Nous le verrons bientôt franchir toutes les limites, et pousser à l'usage absolu de la langue vulgaire. Au reste, l'exemple du Rituel d'Alet ne tarda pas à être suivi dans plusieurs diocèses. Dès 1677, Le Tellier, i archevêque de Reims, donna un rituel à rubriques françaises : on en compte encore aujourd'hui, en France, un certain nombre (1).

Nous plaçons ici, en anticipant de quelques années, un fait qui rentre dans la même ligne que le Missel de Voisin, les Heures de Laval et le Rituel d'Alet ; c'est la publication de l'Année chrétienne, de Nicolas Letourneux. Cet ecclésiastique, étroitement lié avec Port-Royal, avança grandement les affaires du parti, en publiant certains ouvrages destinés à agir sur les fidèles dans le sens des principes dogmatiques et moraux de la secte. Il déposa cette semence dans son Catéchisme de la Pénitence, dans ses Principes et règles de la vie chrétienne; dans son

 

 

(1) Il ne faut pas compter parmi ceux-ci tous ceux dont les instructions sont en langue vulgaire; il ne s'agit ici que des rubriques pour l'administration des sacrements.

 

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Explication littérale et morale de l'Epître de saint Paul aux Romains. Cherchant aussi à agir par la Liturgie, il publia en 1685 un livre sous ce titre : La meilleure manière d'entendre la Messe. C'est là qu'il prétendit, quoique sous une forme simplement historique, que, durant les dix premiers siècles, on avait toujours célébré la Messe à voix haute. Bientôt nous allons voir la secte antiliturgiste s'emparer de cette assertion historiquement fausse, et transformer en droit ce prétendu fait. Letourneux, avançant toujours, après avoir composé des Instructions sur les sept sacrements de l'Église et les cérémonies de la Messe, prépara une traduction du Bréviaire romain en français; il paraît toutefois qu'il ne fut que le réviseur et non Fauteur même de la traduction, et il était déjà mort quand elle parut en 1688. Quoi qu'il en soit, sa connivence à cette œuvre n'en était pas moins la même. Le Bréviaire romain, traduit en français, fut censuré par sentence de l'official de Paris, en 1688, et, comme il était naturel, le docteur Antoine Arnauld en prit la défense.

Rome, toutefois, ne jugea pas à propos de fulminer contre cette traduction. Une version du bréviaire avait beaucoup moins d'inconvénients qu'une version du missel : il n'y avait plus là de mystères à révéler, et quoique le scandale fût grand de voir des hérétiques ou fauteurs d'hérétiques se faire les interprètes du langage de l'Église, ces derniers avaient mis assez de prudence dans leur opération pour que Rome ne se trouvât pas obligée de lancer ses foudres. Mais elles ne tardèrent pas à éclater bientôt après contre un autre ouvrage du même Letourneux, dans lequel, sous couleur d'explication de la Liturgie, cet auteur inoculait le venin de la secte. Il s'agit de l’Année chrétienne, dont les premiers volumes avaient paru dès 1677, et dont les derniers, qui sont du Flamand Ruth d'Ans, n'ont paru qu'après la mort de Letourneux, arrivée en 1686. Cet ouvrage fut censuré à Rome, le 17 septembre

 

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1691, par un décret approuvé par Innocent XII : plusieurs évêques français le proscrivirent aussi, vers la même époque.

Les fidèles durent, après toutes ces condamnations, se tenir pour avertis qu'une conspiration se tramait contre leur foi, et que la secte qui avait juré obstinément de se cacher jusque dans l'Église, avait enfin choisi la Liturgie pour le principal levier de sa grande entreprise. Cependant, jusqu'ici, les livres du sanctuaire étaient demeurés fermés à ses innovations; elle devait donc faire tous ses efforts pour les envahir. Les circonstances sont devenues favorables. Le besoin de changement, une vague inquiétude agite les esprits. Le XVII° siècle, qui n'a pas su purger l'Église de France du virus qui la travaille, est sur le point de finir dans l'inquiétude et l'attente de grands événements. Le moment est venu où un acte solennel va résumer aux yeux de la catholicité entière la situation hostile de la France à l'égard de Rome. Le jansénisme longtemps harcelé deviendra désormais invincible, et achèvera impunément le cours ignominieux de ses scandales. Rome seule pouvait l'atteindre, et les jugements de Rome ne sont plus, comme autrefois, irréformables par cela seul qu'elle les a prononcés. La puissance séculière déclarée indépendante fixera elle-même ses propres limites, et jugera qu'elle peut ouvrir de force le tabernacle sacré, en attendant qu'elle constitue civilement le clergé national. Les libertés de notre Église proclamées hautement comme le reste précieux de l'ancienne discipline, arrêteront aux frontières de la France toutes les bulles, brefs et décrets des pontifes romains ; en sorte que le centre du gouvernement ecclésiastique deviendra impuissant à réformer chez nous les abus. La constitution monarchique de l'Église, altérée dans ses fondements, du moment qu'on a proclamé la souveraineté des membres sur le chef, fournira de nouveaux prétextes au développement des théories d'anarchie.

 

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Que pouvaient produire toutes ces idées imposées, de plus en plus, au clergé par l'enseignement asservi des universités ? Tout livre favorable aux saines maximes était supprimé par les parlements et quelquefois par les deux autorités; les corps réguliers, menacés dans leur indépendance, étaient durement surveillés ; quelques-uns même, et les plus favorisés, penchaient vers les nouveautés. Les Jésuites avaient, à la fois, à subir les accusations les plus perfides de la part de la secte, et les plus fatigantes vexations dans certains diocèses. La science historique tout entière était employée à dénigrer, sous couleur de zèle pour la vénérable antiquité, toutes les institutions, les usages catholiques postérieurs au V° ou au VI° siècle. L'éloignement pour le merveilleux et le mystique, faisait tomber dans le mépris les pieuses croyances devenues désormais le partage d'un peuple illettré; la morale pratique, jugée ou enseignée par des hommes étrangers au positif delà vie, se réglait non plus d'après l'autorité des docteurs pratiques, mais sur les expressions oratoires et, partant, exagérées des Pères. La nouvelle école, comme celle de Luther et de Calvin, avait déclaré haine à la scolastique et anathématisé les casuistes. Enfin le presbytéranisme se préparait à faire invasion dans une Église au sein de laquelle la vraie dignité épiscopale avait faibli, en proportion des efforts qu'on faisait pour la grandir aux dépens du Siège apostolique.

Au milieu de ce formidable ensemble de nouveautés, le corps de la Liturgie était demeuré intact. Le Sacramentaire et l'Antiphonaire de saint Grégoire formaient toujours le Missel de l'Église de France; le Responsorial du même Pontife était, sous le nom de Bréviaire, entre les mains de tous les clercs. L'œuvre de Charlemagne, œuvre d'unité romaine, lui survivait après neuf siècles; seulement Rome avait complété, réformé ce merveilleux ensemble de prières et de chants sacrés, et la France, comme

 

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le reste de l'Église latine, avait embrassé fidèlement les usages que la mère des Églises avait en même temps retrempés aux sources pures de l'antiquité, et adaptés aux formes exigées par les temps. Il est vrai que les Églises de France avaient suivi une route diverse à la grande époque de la régénération liturgique du XVI° siècle. Les unes avaient adopté purement et simplement les livres renouvelés par saint Pie V, abandonnant ainsi beaucoup de coutumes locales qui, précédemment, se montraient dans les livres diocésains, mêlées au vaste ensemble liturgique de saint Grégoire. Un certain nombre d'autres avait préféré garder ses traditions, et tout en acceptant la lettre du Bréviaire et du Missel de saint Pie V, ces Églises avaient fondu, dans une réimpression plus ou moins intelligente, les usages qui leur étaient propres, avec les pures traditions romaines. Les livres de ces Églises portaient le titre diocésain, comme par le passé, avec cette addition sur le titre : Ad Romani formam, ou encore, Juxta mentem concilii Tridentini. Le lecteur peut revoir toute l'histoire de la réforme liturgique en France au XVI° siècle, telle que nous l'avons rapportée ci-dessus, chap. XV.

Il suit de là que jusqu'à ce qu'on eût introduit d'autres changements dans la Liturgie, tous les diocèses de France étaient restés unanimes dans la même prière, et, pour nous servir de l'expression de saint Pie V, la communion des prières catholiques n'avait point encore été déchirée. Seulement on disputait innocemment entre les docteurs, pour savoir lequel des deux était préférable, pour un clerc habitant un diocèse où le bréviaire était à la fois romain et diocésain, de suivre le romain pur ou de se conformer à l'usage du diocèse. On convenait généralement qu'il était mieux de se conformer au rite diocésain; mais la presque totalité des canonistes enseignait que les clercs non bénéficiers étaient libres de réciter purement et simplement  le Bréviaire   romain.  Plusieurs  des lettres

 

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pastorales des évêques, placées en tête des Bréviaires diocésains ad Romani formam ou ad formam concilii Tridentini, le disaient expressément. Nous citerons en particulier, pour le Bréviaire parisien-romain, celles de Pierre de Gondy, en 1584; de Henri de Gondy, en 1607; de Jean-François de Gondy, en 1634; du cardinal de Retz, en 1658; et pour le missel de la même Église, celle de Hardouin de Péréfixe, en i665. En tête du Bréviaire angevin-romain, de 1623, Charles Miron, et en tête de celui de 1665, Henri Arnauld, exceptaient, de la manière la plus précise, les clercs récitant l'office en particulier, de l'obligation de suivre les livres diocésains, et reconnaissaient le privilège du Bréviaire romain, etc., etc.

Il y avait donc, à Paris même, une grande variété de pratique à ce sujet, entre les ecclésiastiques qui n'étaient point astreints au chœur. Ainsi, par exemple, la compagnie de Saint-Sulpice tenait pour les livres romains purs, jusqu'à ce qu'elle se fût vue forcée par un décret de l'archevêque à prendre le parisien (1); saint Vincent de Paul, au contraire, enseignait qu'il était mieux de suivre le rite diocésain, et son avis, ainsi que nous le verrons ailleurs, paraît fondé sur l'avis des meilleurs canonistes (2).

On se rappelle ce qui a été rapporté précédemment, au sujet de l'Assemblée du clergé de i6o5, qui avait décrété des encouragements pécuniaires à une entreprise pour une réimpression des livres romains, à l'usage de toutes les églises du royaume. Ainsi que nous l'avons dit, cette réimpression intéressait même celles qui avaient leurs livres sous titre diocésain, à raison de la conformité de ces livres avec le romain; d'ailleurs ces églises étaient loin de former le plus grand nombre. Plusieurs évêques

 

(1)  Salgues. De la Littérature des offices divins, pag. 332.

(2)  Le lecteur ne doit jamais perdre de vue que les livres diocésains de . cette époque étaient conformes à la bulle de saint Pie V, acceptée dans les divers conciles français du XVI° siècle.

 

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et chapitres, voulant diminuer les frais que nécessitent les livres d'usages particuliers, et sans doute aussi pour témoigner de leur dévotion envers le Siège apostolique, s'étaient, dans le cours des premières années du XVII° siècle, rangés à l'usage des livres purement romains. L'Église de Paris en particulier avait vu ses prélats au moment de réaliser ce projet. Nous avons raconté les difficultés qu'éprouva Pierre de Gondy, en 1584, et qui l'obligèrent à prendre un tempérament; il a réimprimé le Bréviaire dé Paris, mais en le rapprochant le plus possible de celui de saint Pie V. Dans cette réforme, l'Église de Paris conservait du moins une partie de ses usages. Henri de Gondy, en 1607, réimprima le Bréviaire de son prédécesseur ; mais, en 1643, l'archevêque Jean-François de Gondy ayant fait une nouvelle révision des livres parisiens, les rendit si conformes aux romains, qu'on pouvait dire que, sauf de rares exceptions, ils étaient une seule et même chose.

Ce fut durant les trente dernières années du XVII° siècle qu'on commença, en France, à parler d'une réforme liturgique, dans les diocèses qui avaient des livres particuliers ; car ceux qui s'étaient conformés au romain pur, ne se livrèrent aux innovations que dans le cours du XVIII° siècle. Des motifs légitimes et des vues suspectes causaient à la fois cette agitation première, qui devait bientôt enfanter la plus complète révolution. D'un côté, le progrès de la critique sacrée, les nouvelles éditions des saints Pères et des écrivains ecclésiastiques, avaient mis les savants à même de découvrir plusieurs imperfections dans les livres du XVI° siècle, et d'ailleurs la partie des bréviaires qui était propre aux diocèses était loin de présenter une exécution en rapport avec les récentes découvertes historiques et littéraires. D'autre part, l'esprit frondeur qui distingue notre nation, l'envie de s'isoler de Rome en quelque chose, les habitudes de secte déjà contractées par nombre de gens habiles d'ailleurs, l'espoir défaire servir la Liturgie

 

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comme moyen de répandre des doctrines souvent repoussées dans d'autres livres : en voilà plus qu'il n'en faut pour expliquer les remaniements liturgiques qui signalèrent la dernière moitié du XVII° siècle. Tout ne fut donc pas mauvais dans les œuvres et les intentions de tous ceux qui travaillèrent ainsi à rajeunir la Liturgie. Les bréviaires de cette époque sont devenus bien rares; cependant nous avons pu en étudier plusieurs. Celui de Soissons, donné en 1676, porte quelques changements que nous traiterions volontiers d'améliorations, attendu que l'élément romain est respecté, sauf la substitution de quelques homélies puisées à des sources plus sûres; les traditions sur les saints sont généralement conservées ; le culte de la sainte Vierge n'a souffert aucune atteinte, et rien de suspect ne se rencontre dans la doctrine. Nous dirons à peu près la même chose du Bréviaire de Reims, donné par Maurice Le Tellier, en 1685 ; de celui du Mans, donné en 1693, par Louis de Tressan, etc.

Le bréviaire de cette époque, qui ouvrit la voie la plus large aux novateurs, fut celui que publia, en 1678, Henri de Villars, archevêque de Vienne. L'Eglise de Vienne  n'avait pas donné d'édition de son bréviaire depuis l'année 1522, quoiqu'elle n'eût cependant pas adopté dans l'église métropolitaine l'usage des livres de saint Pie V. Henri de Villars jugea à propos de publier le breviarium Viennense, c'était son droit ; mais dans cette opération, il ouvrit une voie nouvelle qui ne se ferma pas après lui. Jusqu'alors, toutes les réformes des livres liturgiques avaient consisté dans la révision du texte sur les manuscrits les plus anciens et les plus autorisés; on avait substitué des homélies plus authentiques aux anciennes, épuré quelques légendes locales ou autres ; on avait pu même faire quelques additions, mais les formules primitives n'avaient jamais été sacrifiées à un système. Le nouveau Bréviaire de Vienne fut annoncé au diocèse comme ayant

 

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acquis une grande supériorité sur l'ancien, attendu qu'on y avait remplacé les antiennes et les répons grégoriens, qui n'étaient pas tirés de l'Ecriture sainte, par des passages de l'Écriture qui n'avaient point figuré encore dans la Liturgie. Les nécessités du nouveau plan avaient même obligé de renoncer à beaucoup d'autres pièces liturgiques tirées de l'Écriture sainte, et que l'ancien Bréviaire empruntait au responsorial de saint Grégoire. Les leçons, pour la plus grande partie, n'étaient ni celles du Bréviaire viennois de 1522, ni celles du romain de saint Pie V. Enfin on pouvait évaluer aux deux tiers sur l'ensemble les parties nouvelles de cette composition, en sorte que l'œuvre de Henri de Villars ne devait plus désormais être comptée entre les corrections de la Liturgie, si l'on veut entendre ce mot dans le sens jusqu'alors admis.

Non-seulement on avait fait abstraction des antiques manuscrits de l'église de Vienne, non-seulement on avait dédaigné de prendre pour base dans cette réforme liturgique les livres de saint Pie V, qui avaient fait règle partout ailleurs ; mais l'opération s'était effectuée hors du diocèse, loin des traditions viennoises, à Paris, où déjà une commission créée par Hardouin de Péréfixe, pour la correction du Bréviaire de cette Église, tenait ses séances, comme nous le dirons tout à l'heure. Henri de Villars avait député dans la capitale le sieur Argoud, doyen de son église métropolitaine, mais il lui avait donné pour adjoints le docteur Sainte-Beuve, tristement célèbre dans les fastes du jansénisme, et le sieur Du Tronchet, chanoine de la Sainte-Chapelle. Ces trois hommes eurent le soin et la responsabilité de l'œuvre tout entière, et au bout de trois ans leur travail fut en état d'être présenté à l'archevêque de Vienne, qui l'approuva et en fit la publication (1). Un missel parut bientôt, procédant de la même

 

(1) Drouet de Maupertuis. Histoire de la sainte Eglise de Vienne, p. 328; Charvet, p. 608.

 

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source. Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur les détails ; nous dirons cependant que l'engouement produit par la nouvelle Liturgie dans le diocèse de Vienne, si l'on en croit les historiens de cette Église, Drouet de Maupertuis et Charvet, ne fut pas si universel que Ton ne vît encore vingt ans après la plupart des ecclésiastiques du diocèse de Vienne réciter le Bréviaire romain de préférence à celui de Henri de Villars.

Toutefois, ce   bréviaire  qui   disparut   tristement  au XVIII° siècle pour faire place à une des formes du nouveau parisien,   n'en  eut pas  moins l'honneur  de   servir  de type aux divers produits de la première période de fabrication liturgique qui comprend, outre le Bréviaire parisien de Harlay et celui de Cluny, ceux d'Orléans, de la Rochelle, de Sens et de Clermont.  On corrigeait alors, non plus d'après les livres romains, mais sur un spécimen élaboré dans la capitale du royaume. Les livres liturgiques appelés au plus grand succès allaient bientôt surgir, et, en leur qualité d'ouvrages d'esprit, selon l'expression de Mésenguy, l'un des  principaux  opérateurs de cette nouvelle époque,  ils devaient sortir au premier jet du cerveau de leurs  auteurs. Avec ce même Bréviaire  de Vienne apparaît un principe emprunté à l'école janséniste et dont l'application a produit, presqu'à elle seule, le bouleversement liturgique au milieu duquel nous vivons. Ce principe dont nous avons déjà préparé l'histoire et dont nous discuterons ailleurs la valeur, est de n'employer que des passages de l'Écriture sainte comme matériaux des pièces de la Liturgie. Les corrections introduites dans le Bréviaire de Vienne, au mépris des anciens livres grégoriens, avaient été faites, comme nous l'avons dit, en vertu de ce principe, et ce bréviaire eut la triste gloire d'ouvrir une route qui fut grandement fréquentée depuis.   Mais aucun bréviaire ne présenta, dans les circonstances de sa réforme et dans les principes qui y présidèrent,

 

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une histoire plus instructive et un système plus remarquable que celui que donna, en 1680, à son diocèse, François dé Harlay, archevêque de Paris. C'est de la publication de ce bréviaire, bien autrement célèbre que celui de Vienne, auquel il n'est, après tout, postérieur que de deux ans, qu'il faut dater l'époque véritable du renversement de l'œuvre de Charlemagne et des pontifes romains, œuvre qu'avaient, cent ans auparavant et depuis encore, sanctionnée les conciles de France et les assemblées du clergé. L'histoire exacte de ces grands changements va nous faire connaître les hommes qui eurent lé malheur de prêter leurs secours à des nouveautés coupables ; plusieurs d'entre eux furent séduits, ou entraînés; le grand nombre est marqué du sceau de la plus grave responsabilité.

François de Harlay, archevêque de Paris, a été loué par ceux qui avaient intérêt au triomphe des principes qu'il fit prévaloir dans son administration. Nous laisserions sa cendre en paix, si, dans ce moment, nous ne remplissions pas le devoir d'historien. Nous n'irons même pas chercher les couleurs de son portrait dans les mémoires profanes de son temps, et nous passerons sous silence les jugements souvent peu sûrs de Mme de Sévigné, du duc de Saint-Simon et de cent autres. Voici ce que Fénelon disait de ce prélat, dans sa fameuse lettre à Louis XIV : « Vous avez un archevêque corrompu, scandaleux, incorrigible, faux, malin, artificieux, ennemi de toute vertu, et qui fait gémir tous les gens de bien. Vous vous en accommodez, parce qu'il ne songe qu'à vous plaire par ses flatteries. Il y a plus de vingt ans qu'en prostituant son honneur, il jouit de votre confiance. Vous lui livrez les gens de bien, vous lui laissez tyranniser l'Eglise, et nul prélat vertueux n'est traité aussi bien que lui (1).  »

 

(1) Correspondance de Fénelon, tom.II,pag.341, in-8°; Paris,Leclère, 1827.

 

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Ajoutons à cela que François de Harlay fut l’âme de l'Assemblée de 1682, le chef de ces prélats qui disaient : Le Pape nous à poussés, il s'en repentira ; de ces prélats dont l'audace effrayait Bossuet, et lui dicta ces trop fameuses propositions que lui-même qualifiait d'odieuses.

Hardouin de Péréfixe, prédécesseur de François de Harlay, avait déjà songé à une réforme du Bréviaire parisien, et rien n'était plus légitime, plus conforme à son droit d'archevêque d'une Église qui n'avait point adopté les livres purement romains. En 1670, il présida la première réunion d'une commission de membres choisis en partie par lui-même, et en partie par son chapitre : cette commission tint dix-huit séances, jusqu'à la mort de l'archevêque, arrivée l'année suivante (1).

Elle était composée ainsi qu'il suit (2) : Jacques de Sainte-Beuve, docteur de Sorbonne, connu par ses liaisons intimes avec Port-Royal. Il avait été exclu de la faculté et contraint de se démettre de la chaire qu'il y occupait, en 1658, pour avoir refusé de souscrire à la censure lancée contre la doctrine de son ami Antoine Arnauld. Il faut dire que depuis il signa le formulaire : mais quels membres de ce parti ne le signèrent pas ?

2° Guillaume de la Brunetière, archidiacre de Brie, depuis évêque de Saintes, dont nous mentionnerons ailleurs les belles hymnes.

3° Claude Chastelain, chanoine de Notre-Dame, homme véritablement savant dans les antiquités liturgiques, mais imbu   des principes  de  l'école  française   de son

 

(1)  Réponse aux Remarques sur le nouveau Bréviaire de Paris, 1680, in-8°, pag. 5. Nous avons puisé beaucoup de renseignements dans cette apologie anonyme du Bréviaire de François de Harlay.

(2)  Ménage, Historia mulierum philosophie artibus excultarum, pag. 45, à l'article de sainte Catherine, où l'auteur parle du retranchement de la légende de cette sainte par les correcteurs du bréviaire de 1680.

 

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temps. Il eut la plus grande part aux travaux de la commission.

4° Nicolas Gobillon, curé de Saint-Laurent.

5° Léonard Lamet, chanoine de Notre-Dame, depuis curé de Saint-Eustache.

6° Claude Ameline, d'abord prêtre de l'Oratoire, et alors grand archidiacre de l'Eglise de Paris.

7° Nicolas Coquelin, chancelier de l'Église de Paris.

8° Nicolas Letourneux, dont nous venons de signaler la mauvaise doctrine et les relations suspectes. Il est vrai que ses ouvrages ne furent condamnés par le Saint-Siège qu'après sa mort.

François de Harlay, ayant pris en main avec ardeur l'œuvre de la réforme du Bréviaire de Paris, confirma la commission formée par son prédécesseur; « mais il joignit aux députés M. l'abbé Benjamain, son grand vicaire et son officiai; M. Loisel, chancelier de l'Église de Paris et curé de Saint-Jean; M. Gaude, aussi son grand vicaire ; et pria M. le doyen de se trouver aux assemblées, autant que ses affaires pourraient le lui permettre. Et, en effet, il se trouva à toutes celles qui se firent de son temps en présence de Monseigneur l'archevêque, tous les mardis de chaque semaine, depuis le 17 septembre 1674 jusqu'au 3o avril 1675; et ce grand prélat, dont tout le monde connoît la capacité et les lumières, s'étant fait représenter tout ce que l'on avoit fait auparavant, fit continuer les «assemblées en sa présence durant tout ce temps-là: et étant supérieur en érudition et en lumières à tous ceux qui en étoient, quelque préparation qu'ils apporte tassent, autant qu'il est élevé au-dessus d'eux par sa dignité, il donna ou appuya par de nouvelles preuves les principes et les maximes qui ont servi de règle à cet ouvrage. Et dans toute la suite du temps qui s'est depuis   écoulé,   on  lui  a  toujours rendu un  compte

 

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exact de tout ce qui s'est fait en exécution de ses ordres et de ses lumières (1). »

Nous venons d'entendre le langage d'un adulateur ; mais nous conclurons du moins de ce que nous venons de lire, que François de Harlay prit sur lui toute la responsabilité de l'œuvre. Jugeons-la maintenant, cette œuvre qui eut une si grande influence, et observons les principes dont elle fut l'expression.

D'abord, nous conviendrons sans peine de plusieurs points qui pouvaient être favorables à l'idée d'une réforme,

en 1680.

1° On ne peut nier que l'archevêque de Harlay n'eut le droit de travailler à la réforme du Bréviaire de son Église, puisque l'église de Paris s'était maintenue en possession d'un bréviaire particulier, et que celui de saint Pie V, malgré le désir de Pierre de Gondy, n'avait point été accepté dans le diocèse, avec les formalités de la bulle Quod a nobis.

2°Ceci admis, il ne pouvait être blâmable de rétablir certains usages dont l'Église de Paris était en possession de temps immémorial, et dont la pratique avait été momentanément suspendue dans les bréviaires ou missels des derniers archevêques. En général, les choses anciennes sont toujours bonnes dans les institutions ecclésiastiques, quand leur rétablissement n'est point rendu illicite, ou impossible par un droit contraire, mais légitime.

3° Dans le cas d'une correction du Bréviaire parisien, c'était une chose louable de remplacer certaines homélies tirées de livres faussement attribués aux saints Pères, ou même simplement douteux, par des passages puisés à des sources plus authentiques.

4° II était louable également de choisir dans les monuments de la tradition, pour les placer  dans les leçons de

 

(1) Réponse aux Remarques sur le nouveau Bréviaire de Paris, pag. 6.

 

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l'Office, des endroits où les saints docteurs réfutent, par leur solennel témoignage, les erreurs anciennes et modernes et appuient plus fortement sur les dogmes qui auraient été davantage contestés parles hérétiques. Il est vrai même de dire que le Bréviaire de Harlay présenta dans sa rédaction un certain nombre de passages dirigés expressément contre la doctrine des cinq Propositions. Cet archevêque, comme plusieurs prélats, ses collègues, tout en faisant une guerre opiniâtre au Saint-Siège et à ses doctrines, professait un éloignement énergique pour la doctrine de Jansénius sur la grâce. Ils pouvaient se servir des gens du parti quand ils en avaient besoin, mais ils savaient les contenir. L'histoire de l'Église au XVII° siècle dépose de cette vérité.

5° Les légendes des saints propres au bréviaire de Paris pouvaient avoir besoin d'être épurées, et la sollicitude de la commission se porta de ce côté avec raison.

6° Il pouvait être besoin d'ajouter quelques hymnes pour accroître la solennité de certaines fêtes, pour enrichir les communs du bréviaire : en cela, rien ne dépassait les bornes de la discrétion.

Mais le Bréviaire de Harlay ne se borna pas aux améliorations dont nous venons de parler. L'archevêque l'annonça à son clergé par une lettre pastorale, en date des calendes de juin 1680 (1), et dans cette lettre il disait que son intention, dès son élévation sur le siège de Paris, avait été de travailler à la réforme des livres ecclésiastiques, voulant suivre en cela les intentions de plusieurs conciles, même tenus à Paris, qui ordonnent de retrancher de ces livres les choses superflues, ou peu convenables à la dignité de l'Église, et d'en faire disparaître ce qu'on y aurait introduit de superstitieux, pour n'y laisser que des choses conformes à la dignité de l'Église

 

(1) Vid. la Note C.

 

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et aux institutions de l'antiquité. Nous verrons bientôt ce que François de Harlay entendait par superstitions et superfluités dans le bréviaire de ses prédécesseurs.

En conséquence, le prélat déclarait que plusieurs choses s'étant, en ces derniers temps, glissées au Bréviaire de Paris, qui n'étaient pas d'accord avec les règles, on s'était mis en devoir, avec toute sorte de soin et de prudence, de rectifier les choses qui s'éloignaient de la splendeur de l'Église et de la dignité de la religion, de retrancher les homélies faussement attribuées aux Pères, les choses erronées ou incertaines dans les Actes des Saints; enfin, généralement toutes les choses moins conformes à la piété.

De si belles assurances n'empêchèrent pas que l'ouvrage ne devînt l'objet d'une critique sévère. Il parut même des Remarques anonymes sur le nouveau Bréviaire de Paris. Sans adopter tous les reproches qu'on adressait à ce livre et à ses auteurs, reproches qui furent discutés, mais rarement réfutés par l'auteur du factum que nous avons déjà cité, nous nous permettrons de faire, sur l'œuvre de François de Harlay, les observations suivantes.

D'abord, le titre du livre était celui-ci purement et simplement : Breviarium Parisiense; on ne lisait .plus à- la suite de ces deux mots, comme dans toutes les éditions précédentes, depuis 1584, ces paroles : Ad formant sacro-sancti concilii Tridentini restitutum. Ce lien qui unissait au Bréviaire romain les Bréviaires diocésains de France était donc brisé pour l'Église de Paris ! On aurait donc bientôt une Liturgie qui ne serait plus romaine ! Dans quelle région inconnue allait-on se lancer ? Certes, cette suppression, dès le frontispice du livre, était éloquente, et présageait bien ce que l'on allait trouver dans l'ouvrage.

En effet (à part le Psautier qui était demeuré conforme à celui de l'Église romaine), si l'on considérait le Propre

 

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du Temps, on trouvait qu'un grand nombre de leçons, d'homélies et d'antiennes avaient été changées, bien que le choix de ces dernières remontât jusqu'à saint Grégoire, ou au delà. L'office presque entier de la Sainte-Trinité avait été réformé; les leçons de l'octave du Saint-Sacrement, si belles dans le romain, avaient été remplacées par d'autres. Le Propre des Saints, comme nous allons le voir, renfermait encore un plus grand nombre de divergences, tant avec la partie romaine des anciens Bréviaires de Paris qu'avec la partie purement parisienne. Les Communs avaient été aussi retouchés en cent endroits, et présentaient beaucoup d'antiennes et de répons nouveaux.

Maintenant, si l'on se demande à quelle source avaient été puisées ces modernes formules à l'aide desquelles on refaisait ainsi, après mille ans, le Responsorial de saint Grégoire, on trouvera que des phrases de l'Écriture sainte en avaient exclusivement fait les frais. Les paroles consacrées par la tradition avaient dû céder la place à ces centons bibliques choisis par des mains modernes et suspectes. On n'avait pas su retrouver le style ecclésiastique pour produire une antienne de deux lignes. Les sectaires qui prônaient l'usage exclusif de l'Écriture dans le service divin avaient remporté ce premier avantage ; encore un effort, encore cinquante ans de patience, et le reste des formules de style traditionnel que conserve le Bréviaire de 1680 aura disparu dans l'édition préparée alors par les disciples de Nicolas Le Tourneux.

Mais voyons à l'œuvre ces commissaires du bréviaire. Il est trois points sur lesquels l'école française d'alors n'était que trop unanime avec l'école janséniste proprement dite :

1° Diminuer le culte des saints, la confiance dans leur puissance; choses jugées excessives par des auteurs très-estimés alors, et depuis encore : les Tillemont, les Lainoy, les Baillet, les Thiers.

 

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2° Restreindre en particulier les marques de la dévotion envers la sainte Vierge.  Les mêmes écrivains  que nous venons de citer (Baillet surtout, dans un livre spécial qui a mérité les éloges de Bayle), n'avaient-ils pas déjà insulté la piété des fidèles sur un article qui  lui est si cher, et cela, sans  encourir aucune disgrâce ? Est-il besoin de rappeler l'hérétique Jean de Neercassel, évêque de Castorie,  et son traité du Culte  des saints et de la sainte Vierge, quand Gilbert de Choiseul-Praslin, évêque de Tournai, qui fut bientôt l'un des plus violents prélats de l'assemblée de 1682, osait, en 1674, dans une instruction pastorale faite exprès, entreprendre la défense raisonnée d'un livre fameux que Rome venait de proscrire, et qui portait ce titre : Les Avis salutaires de la Vierge à ses dévots indiscrets?

3° Comprimer l'exercice de la puissance des pontifes romains et la réduire, sous le vain prétexte des usages de la vénérable antiquité, à devenir une pure abstraction. Des milliers d'écrits composés en France depuis 1660, et dans lesquels il est question historiquement, dogmatiquement, ou canoniquement, de la constitution de l'Église,, sont autant de pièces de la conspiration antiromaine, et l'assemblée de 1682, décrétant les quatre articles, n'alla pas plus loin, après tout, que la Sorbonne dans les six fameuses assertions de 1663.

Montrons maintenant l'application de ces trois principes de l'école française d'alors, par des faits positifs tirés du Bréviaire de Harlay.

1° On put voir que la commission était animée de dispositions peu favorables aux usages et aux traditions qui ont pour objet le culte des saints, quand on s'aperçut que plus de quarante légendes contenues dans l'office avaient été retranchées, pour faire place à des passages des saints Pères ou des écrivains ecclésiastiques qui, dans leur brièveté, ne faisaient souvent allusion qu'à une seule

 

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circonstance de la vie du personnage, tandis que cette vie était racontée en entier, quoique abrégée, dans les leçons du Bréviaire antérieur. Nous citerons en particulier, comme mutilés ainsi, les offices de saint Vincent, de saint Mathias, des saintes Perpétue et Félicité, des Quarante Martyrs, de saint Apollinaire, de saint Jacques le Majeur, de sainte Marthe, de saint Pierre aux Liens, de l'Invention de saint Etienne, de saint Lazare, de saint Corneille, de saint Cyprien et de sainte Euphémie, de saint Matthieu, de sainte Thècle, de saint Clément, de saint Lin, de saint André, de saint Thomas, apôtre, etc.

Il est vrai que les défenseurs du Bréviaire de Harlay prétendent justifier cette innovation par l'autorité du Bréviaire romain (1); mais, de douze exemples qu'ils citent, cinq sont allégués sans fondement, savoir, les leçons de sainte Agnès tirées de saint Ambroise, et celles de saint Ignace d'Antioche, de saint Jean-Porte-Latine, de saint Marc et de saint Luc, empruntées à saint Jérôme, puisque ces fragments sont de véritables légendes. Quant à saint Joseph et saint Joachim, la tradition ne nous en apprenant rien de bien précis, l'Église les loue, avec raison, par des passages des saints Pères. La Nativité de saint Jean-Baptiste est un fait biblique, ainsi que le martyre des Machabées; il eût donc été inutile d'en faire un récit humain dans l'office. Sainte Marie-Madeleine est louée, il est vrai, au jour de sa fête, par un sermon de saint Grégoire, mais sa légende historique se trouve dans l'office de sainte Marthe. Enfin, nous convenons que l'office de saint Pierre et de saint Paul, et celui de saint Laurent, sont sans légendes; mais c'est parce que l'Église romaine, à l'époque où les légendes ont été introduites dans l'office divin, a cru superflu de rédiger un récit de la vie et de la passion de ces deux grands apôtres et de son plus illustre

 

(1) Réponse aux Remarques sur le nouveau Bréviaire de Paris, pag. 15.

 

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martyr. Cette légende n'est-elle pas écrite dans Rome, en vingt endroits qui gardent les vestiges sacrés de ces glorieux soutiens de l'Église. Au reste, quand le Bréviaire romain eût, dans un plus grand nombre d'endroits, remplacé par des homélies les leçons historiques des saints, le reproche que nous adressons au» correcteurs du Bréviaire de Harlay n'en serait pas moins mérité. En effet, nous leur demandons compte des choses qu'ils ont retranchées, et non de celles qui manquaient déjà dans le Bréviaire romain-parisien de Jean-François de Gondy, quand il fut soumis à leur correction. Que s'il leur eût semblé utile d'épurer par l'emploi d'une saine critique plusieurs des légendes, ils le pouvaient faire avec modération : mais supprimer en masse la partie la plus populaire dans un si grand nombre d'offices, était une démarche digne de censure et qui rappelait les condamnations portées au XVI° siècle par la Sorbonne de ce temps-là, contre les Bréviaires de Soissons et d'Orléans (1).

Mais on ne se borna pas à retrancher ainsi une partie considérable des légendes; les traditions catholiques les plus vénérables furent insultées. Pour commencer par l'Église même de Paris, les correcteurs du Bréviaire la déshéritèrent de sa vieille gloire d'être fille de saint Denys l'Aréopagite ; ils portèrent leur main audacieuse sur le fameux prodige qui suivit la décollation du saint fondateur de leur propre Église. Ils distinguèrent sainte Marie-Madeleine-de Marie, sœur de Marthe: ils ôtèrent à cette dernière la qualité de vierge, et à saint Lazare celle d'évêque. Ils effacèrent l'histoire si célèbre de sainte Catherine d'Alexandrie : enfin, ces docteurs de Paris, marchant sur les traces honteuses de Le Fèvre d'Estaples et d'Érasme, flétris pourtant par l'ancienne Sorbonne, pour avoir osé attaquer les traditions sur saint

 

(1) Voyez ci-dessus, tome Ier pag. 458.

 

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Denys et sur sainte Marie-Madeleine, enchérirent, comme l'on voit, sur ces frondeurs de la tradition.

Veut-on savoir la vaine excuse qu'ils apportèrent lorsqu'on leur demanda compte de tant de témérités ? Eux qui avaient biffé un si grand nombre de récits miraculeux , et d'actions extraordinaires des saints, sans doute pour la plus grande gloire de ces amis de Dieu, on les entendit se faire un mérite de ces retranchements, parce qu'ils avaient, disaient-ils, substitué à des récits purement historiques et contestables, des passages des saints Pères par lesquels les dogmes attaqués par les hérétiques, et particulièrement le culte et l'intercession des saints étaient confirmés (1). Étrange préoccupation et qui dure encore dans l'Église de France, de considérer le bréviaire et les autres livres liturgiques, non plus comme un dépôt des traditions de la piété, comme un livre pratique qui renferme les monuments de la foi des fidèles, mais comme un arsenal de controverse, un supplément aux traités qu'on étudie dans l'école!

Ce fut sans doute cette même préoccupation qui porta les commissaires à statuer dans les rubriques générales que, désormais, le clerc récitant l'office divin en particulier, ne saluerait plus l'assemblée des fidèles, par ces mots : Dominus vobiscum; mais qu'il dirait, comme pour lui seul : Domine, exaudi orationem meam. Il est triste d'avoir à ajouter que presque tous nos bréviaires nouveaux ont embrassé cette pratique, non-seulement réprouvée expressément par l'Église romaine, mais contraire à l'essence même de toute prière ecclésiastique. Pourquoi ne supprime-t-on pas de même, au canon de la messe, toutes les formules qui font allusion à l'assemblée des fidèles, quand on célèbre à quelque autel isolé ? Luther n'est-il pas parti du même principe, quand il a anathématisé

 

(1) Réponse aux Remarques, etc., pag. 7-16.

 

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les messes privées, parce que, disait-il, elles étaient pleines de mensonge en ce que  les paroles supposent la présence du peuple ? Les jansénistes n'ont-ils pas tiré des conséquences analogues, ainsi que nous le raconterons ? Mais poursuivons.

2° Si nous considérons maintenant la manière dont le culte de la sainte Vierge avait été traité dans le Bréviaire de Harlay, nous voyons qu'il y avait été grandement diminué. D'abord, on avait supprimé les bénédictions de l'office de Beata, qui étaient propres à l'Église de Paris, en tout temps si dévote à sa glorieuse patronne. Les capitules du même office, dans lesquels l'Église romaine applique à Marie plusieurs passages des Livres sapientiaux qui ont rapport à la divine Sagesse, tradition si ancienne et si chère à la piété, avaient été sacrifiés, sans doute pour faire droit aux déclamations furibondes des hérétiques du XVI° siècle, que l'Église romaine et toutes celles qui la suivent dans les offices divins bravent encore aujourd'hui.

Désormais l'office de la Vierge, au Bréviaire de Paris, ne contenait plus cette antienne formidable à tous les sectaires : Gaude, Maria Virgo, cunctas haereses sola interemisti in universo mundo; ni cette autre non moins vénérable, par laquelle l'Église implore le secours de Marie pour déjouer les complots de l'erreur contre la gloire de cette reine du ciel : Dignare me laudare te, Virgo sacrata; da mihi virtutem contra hostes tuos.

Mais on ne s'était pas arrêté là. On pouvait se demander si les rédacteurs du Bréviaire de Paris, du Bréviaire de Notre-Dame, n'avaient pas visé à diminuer la croyance à la vérité de la glorieuse assomption de Marie. Car pourquoi avoir retranché ces belles paroles de saint Jean Damascène, dans la sixième leçon de la fête de ce grand mystère : Hanc autem vere beatam quce Dei Verbo aures prœstitit,  et Spiritus Sancti  operatione   repleta est,

 

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atque ad archangeli spiritalem salutationem, sine voluptate et virili consortio, Dei Filiumconcepit et sine dolore aliquo peperit ac totam se Deoconsecrapit, quonam modo mors devoraret ? Quomodo inferi susciperent ? Quomodo corruptio invaderet corpus illud, in quo vita suscepta est? Pourquoi, le quatrième jour dans l'octave, avoir retranché les trois leçons dans lesquelles le même saint Jean Damascène raconte la grande scène de la mort et de l'assomption corporelle de la Mère du Sauveur ?

Non content d'avoir supprimé en masse le bel office de la Visitation de la sainte Vierge, qui était commun à l'Église de Paris et à plusieurs autres des plus illustres du royaume, le Bréviaire de Harlay portait ses coups sur une des plus grandes gloires de la Reine du ciel. Dans la plupart des Églises de l'Occident comme de l'Orient, la solennité du 25 mars, fondement de l'année liturgique, était appelée l’Annonciation de la sainte Vierge; par quoi l'Église voulait témoigner de sa foi et de son amour envers Celle qui prêta son consentement pour le grand mystère de l'Incarnation du Verbe. La commission osa s'opposer à cette manifestation de la foi et de la reconnaissance. Elle craignit sans doute les dévots indiscrets, et décréta que cette fête serait désormais exclusivement une fête de Notre-Seigneur, sous ce titre : Annuntiatio Dominica. Nous verrons bientôt le progrès de cette entreprise : en attendant, que ceux-là se glorifient qui ont fait perdre à l'Église de France presque tout entière une des principales solennités de la Mère de Dieu.

3° Nous passons maintenant à ce qui regarde l'autorité du pontife romain. D'abord, François de Harlay décréta que la fête de saint Pierre serait descendue au rang des fêtes solennelles mineures ; en quoi il ne tarda pas à être imité dans plus de soixante diocèses. Les légendes qui racontaient les actes d'autorité des pontifes romains dans l'antiquité furent modifiées d'une manière captieuse, sous

 

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couleur de conserver les paroles mêmes des Pères. Nous n'en citerons qu'un exemple entre vingt ; c'est dans l'office de saint Basile. Il y est dit de ce saint : Egit apud sanctum Athanasium et ajios Orientis episcopos ut auxilium ipsi ab occidentalibus episcopis postularent. Les rédacteurs de cette légende savaient bien que par les évêques d'Occident, il faut entendre le Siège apostolique, sans lequel l'Occident n'aurait point eu ainsi le droit de recevoir l'appel des évêques de l'Orient, berceau du christianisme. On aime mieux profiter d'une expression vague qui n'exprime point clairement le dogme, que de la traduire dans le style précis, mais surtout catholique, d'une légende. Le lecteur peut voir encore celles de saint Athanase, de saint Etienne, pape et martyr, etc.

L'esprit qui animait l'archevêque de Harlay parut surtout dans la suppression de deux pièces anciennes et vénérables, mais qui offensaient à juste titre sa susceptibilité gallicane. La première est le fameux répons de saint Pierre : Tu es pastor opium, princeps Apostolorum ; tibi tradidit Deus omnia régna mundi : Et ideo tibi traditœ sunt claves regni cœlorum.

Néanmoins ce répons se trouve déjà dans les plus anciens manuscrits du Responsorial de saint Grégoire, publiés soit par D. Denys de Sainte-Marthe, soit par le B. Tommasi. Mais le favori de Louis XIV, celui qui était à la veille de proclamer, dans une solennelle déclaration, la complète indépendance de la puissance temporelle à l'égard de la puissance spirituelle, pouvait-il (quelle que soit d'ailleurs la portée des paroles du répons) souffrir que l'on continuât à chanter dans les églises de la capitale du grand Roi, que Dieu a livré à saint Pierre tous les royaumes du monde, en vertu du pouvoir des clefs ? En pareil cas, un sujet fidèle doit tout sacrifier, jusqu'à l'antiquité qu'il prônera en toute autre occasion.

La seconde pièce est une antienne que l'Église chante

 

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aux secondes vêpres de l'office des saints papes. On les loue de n'avoir pas craint les puissances de la terre, pendant qu'ils exerçaient leur souverain pontificat, en sorte qu'ils sont montés, pleins de gloire, au royaume céleste. Dum esset summus Pontifex, terrena non metuit, sed ad cœlestia regna gloriosus migravit. Jamais plus beau résumé ne pouvait être fait de la vie de ces grands pontifes qui, à l'exemple de saint Pierre, n'ont point humilié devant César la royauté sacerdotale, et en ont été loués et récompensés du divin pasteur qui expose et donne sa vie pour ses brebis. Mais pour François de Harlay, tel que Fénelon et, mieux encore, l'histoire nous le font connaître, c'était là une maxime importune, et quelque peu séditieuse.

Au reste, à cette même époque, la Chaire de saint Pierre était occupée par un pape plein du sentiment de la liberté ecclésiastique, et qui se préparait à faire voir à son tour qu'il ne craignait pas les puissances terrestres. Encore deux ans, et Innocent XI écrira à François de Harlay et à ses collègues de l'Assemblée de 1682 : « Vous avez craint là où il n'y avait pas sujet de craindre. Une seule chose était à craindre pour vous ; c'était qu'on pût avec raison vous accuser devant Dieu et devant les hommes, d'avoir manqué à votre rang, à votre honneur, à la dette de votre devoir pastoral. Il fallait avoir en mémoire les exemples de constance et de force épiscopales que ces anciens et très-saints évêques, imités par beaucoup d'autres, en chaque siècle, ont, en semblable circonstance, donnés pour votre instruction... Qui d'entre vous a osé plaider devant le Roi une cause si grave, si juste et si sacrée ? Cependant vos prédécesseurs, dans un péril semblable, la défendirent plus d'une fois, cette cause, avec liberté, auprès des anciens Rois de France, et même auprès de celui-ci, et ils se retirèrent victorieux de la présence du  Roi,  rapportant de  la part de ce

 

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prince très-équitable la récompense du devoir pastoral vigoureusement accompli. Qui d'entre vous est descendu dans l'arène pour s'opposer comme un mur en faveur de la maison d'Israël ? Qui a seulement prononcé un mot qui rappelât le souvenir de l'antique liberté ? Cependant, ils ont crié, eux, les gens du Roi, et dans une mauvaise cause, pour le droit royal ; tandis que vous, quand il s'est agi de la meilleure des causes, de l'honneur du Christ, vous avez gardé le silence (1) ! »

L'antienne dont nous parlons devait donc être sacrifiée par un prélat capable de mériter d'aussi sanglants reproches et que Dieu frappa de mort subite, sans qu'il pût offrir satisfaction convenable au Siège apostolique.

Le Bréviaire de Harlay renferme encore un grand nombre de choses étranges ; mais nous avons hâte d'en finir. Nous ne pouvons toutefois nous dispenser de mentionner ici deux changements graves dont les motifs nous paraissent au moins inexplicables. Dans le temps où ils eurent lieu, la satire s'en occupa. Nous ne ferons pas de réflexions. Le public se demanda donc par quel motif François de

 

(1) .......Timuistis ergo ubi  non erat timor.  Id unum'timendum

vobis erat, ne apud Deum, hominesque redargui jure possetis, loco atque honori vestro, et pastoralis officii debito defuisse. Memoria vobis repe-tenda erant quae antiqui illi sanctissimi Prassules, quos quam plurimi postea qualibet œtate sunt imitati, episcopalis constantiae et fortitudinis exempla, in hujusmodi casibus, ad vestram eruditionem ediderunt......

............Ecquis vestrum tam gravem, tam justam causam, tam sacro-

sanctam oravit apud Regem ? Cum tamen praedecessores vestri eam in simili  periculo constitutam non semel  apud superiores  Galliae Reges, imo   apud   hune ipsum libéra voce defenderint, victoresque a  Regio conspectu discesserint, relatis etiam ab aequissimo Rege prœmiis pastoralis officii strenue impleti ? Quis vestrum in arenam descendit, ut opponeret murum pro domo Israël ? Quis vel unam vocem emisit memorem pristinae libertatis? Clamaverunt intérim sicut scribitis, et quidem in mala causa, pro regio jure, clamaverunt Régis administri; cum vos in optlma pro Christi honore sileretis.  (Brev. Innocenta XI, 11 April. 1682. Ad Archiepiscopos, Episcopos et alios Ecclesiasticos viros in Comitiis genera-libus cleri Gallicani Parisiis congregatos.)

 

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Harlay avait retranché, dans l'hymne du dimanche à matines, qui est de saint Ambroise et commence par ce vers : Primo dierum omnium, les strophes suivantes, qui sont pourtant le centre de cette prière ; le reste de de l'hymne n'étant que le prélude :

 

Jam nunc, Patenta daritas,

Te postulamus affatim,

Absit libido sordidans,

Et omnis actus noxius.

 

Ne fœda sit, vel lubrica

Compago nostri corporis,

Per quam averni ignibus,

Ipsi crememus acrius.

 

Ob hoc Redemptor, quœsumus

Ut probra nostra diluas,

Vitœ perennis commoda

Nobis benigne conferas.

 

Enfin, on se demanda pourquoi on avait ôté de la légende de saint Louis les belles paroles de la reine . Blanche, sa mère : Fili, mallem te vita et regno privatum quam lethalis peccati reum agnoscere. Le cardinal de Noailles,dans les diverses éditions qu'il donna du Bréviaire de Harlay, s'empressa de réparer cette omission, en restituant la mémoire de cette parole si célèbre et si populaire, que la reine Blanche proféra dans une occasion d'ailleurs fort délicate.

Nous venons de donner au lecteur une idée des choses superstitieuses, fausses, incertaines, superflues, contraires à la dignité de l'Église, ou aux règles établies par elle, que François de Harlay, dans sa lettre pastorale, se proposait de faire disparaître du bréviaire. Ce début, dans la réforme liturgique, promettait beaucoup, comme l'on voit, et bientôt il ne serait plus au pouvoir des archevêques

 

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de Paris de sauver les débris des livres grégoriens, menacés dans leur intégrité par l'audace de la secte.

En attendant, le nouveau Bréviaire de Paris portait en tête l'injonction expresse et jusqu'alors inouïe, à toutes les églises, monastères, collèges, communautés, ordres; à tous les clercs tenus à la récitation de l'Office divin, de se servir de ce bréviaire, avec défense expresse et solennelle d'en réciter un autre, quel qu'il soit, tant en public qu'en particulier. Cette défense était, comme l'on voit, bien nouvelle à Paris, lorsqu'on se rappelle les termes des lettres pastorales des prédécesseurs de François  de Harlay, qui laissaient l'option entre le Bréviaire romain et celui de Paris. C'était aussi la première fois qu'on ne faisait pas de réserve en faveur des  corps religieux approuvés, dont aucun n'a le droit de réciter un bréviaire diocésain. On n'avait point intention, pourtant, de déroger au privilège des réguliers, et la brochure que nous  avons citée plus  haut, qui fut publiée sous les inspirations de  l'archevêché (1), le dit expressément; mais on avait pensé que l'absence de toute restriction dans la formule de promulgation du nouveau bréviaire  rendrait cette formule bien   autrement  solennelle. Elle devait  frapper  d'autant plus  les esprits,  et éblouir ou effrayer ceux qui auraient pu être tentés de résister.  Il   paraît cependant, comme nous   le verrons ailleurs, qu'un grand nombre d'ecclésiastiques continuèrent, malgré tout, l'usage du bréviaire romain; mais les chapitres,    les   paroisses,  les  communautés  séculières, comme Saint-Sulpice, durent subir la loi. Les prêtres de la Mission, quoiqu'ils ne fussent pas un ordre régulier proprement dit, gardèrent le bréviaire romain; mais déjà ce corps s'était étendu bien au-delà des limites du diocèse de Paris, et même des frontières du royaume.

 

(1) On l'attribue à l'abbé Chastelain, l'un des  commissaires du bréviaire.

 

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Après avoir publié son bréviaire, en 1680, François de Harlay eut occasion de développer ses sentiments sur la liberté ecclésiastique et sur l'autorité du Pontife romain, dans l'assemblée du clergé de 1681 à 1682. Sa conduite dans cette circonstance à jamais déplorable pour l'Église gallicane, ne contribua pas à attirer les lumières de l'Esprit-Saint sur son administration. Aussitôt après l'assemblée, il se mit en devoir d'exécuter sur le missel le même travail de réforme qu'il avait entrepris sur le bréviaire. La commission dont nous avons parlé continua ses travaux, et dès le mois de novembre 1684, l'archevêque fut en mesure d'annoncer à son diocèse, par une lettre pastorale, le don qu'il lui faisait d'un nouveau missel digne de l'Église de Paris (1).

Nous répéterons d'abord ici, en peu de mots, ce que nous avons dit au sujet de la réforme du bréviaire. Nous conviendrons donc, avec franchise, que l'archevêque de c Paris avait le droit de faire les réformes convenables aux s livres de son diocèse, pourvu qu'il les fît dans l'esprit de la tradition, qui est l'élément principal de la Liturgie; pourvu que dans ses améliorations la partie romaine de ces livres fût respectée, et que les réformes fussent autant d'applications des principes suivis dans toute l'antiquité en matière de Liturgie.

Nous n'attaquerons même pas François de Harlay dans les changements qu'il fit aux rubriques, pour les rendre plus conformes aux anciens usages parisiens, bien que Ces changements ne pussent avoir lieu qu'aux dépens des rubriques romaines que ses derniers prédécesseurs avaient fait presque exclusivement prévaloir. Il y avait là du moins une possession, bien qu'interrompue durant quelque temps, et les prédécesseurs de Harlay, malgré le désir qu'ils en avaient nourri, n'avaient pu  parvenir à

 

(1) Vid. La Note D,

 

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inaugurer, sans retour, les livres purement romains dans leur église.

Mais nous ne saurions nous empêcher de protester énergiquement contre la maxime protestante qu'on n'avait pas osé avouer tout entière dans la préface du bréviaire, et qui se trouvait enfin énoncée dans celle du missel. François de Harlay disait : « Les choses qui doivent être chantées, nous les avons tirées des seules Écritures saintes, persuadés que rien ne saurait être ou plus convenable, ou plus en rapport avec la majesté d'un si auguste sacrement, que de traiter l'acte divin dans lequel le Verbe de Dieu est à la fois prêtre et hostie, au moyen de la parole à l'aide de laquelle il s'est lui-même exprimé dans les saintes Écritures. »

C'était aussi le principe de Luther dans sa réforme liturgique, quand il disait : « Nous ne blâmons pas ceux qui voudront retenir les introït des apôtres, de la Vierge et des autres saints, lorsque ces trois introït sont tirés des Psaumes et d'autres endroits de l'Écriture (1). » Depuis Luther, tous les sectaires français et flamands avaient répété à satiété leurs banalités sur l'usage de l'Écriture sainte, qui devait suffire partout, suivant eux ; et il fallait, certes, être bien aveugle, sinon sourdement complice, pour croire avoir, tout fait en signant le Formulaire contre les cinq propositions, quand on ouvrait en même temps, sur l'Église et sa doctrine, cette porte par laquelle tous les hérétiques de tous les temps sont entrés.

Quoi qu'il en soit, François de Harlay entreprit cette œuvre et la consomma; il expulsa de l'antiphonaire grégorien, qui forme, comme on sait, la partie chantée du missel ; il en expulsa, disons-nous, toutes ces formules solennelles, touchantes, poétiques, mystérieuses, dogmatiques,

 

(1) Vid. ci-dessus, tom. I, chap. XIV, pag. 397.

 

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dans lesquelles l'Église prête sa voix traditionnelle aux fidèles, pour exalter la majesté de Dieu et la sainteté de ses mystères. Ainsi tombèrent d'abord ces introït qui avaient, il est vrai, déjà été interdits par Martin Luther, tels que celui de la sainte Vierge : Salve, sancta Parens, enixa puerpera Regem, etc.; et cet autre qui retentit avec tant d'éclat et de majesté dans les solennités de l'Assomption, de la Toussaint, etc. : Gaudeamus omnes in Domino, diem festum celebrantes, etc. Ainsi, le verset alléluiatique des fêtes de la Sainte-Croix : Dulce lignum, dulces clavos, etc. ; celui de saint Laurent : Levita Laurentius; ceux de saint Michel : Sancte Michael archangele, etc., et Concussum est mare et contremuit terra, ubi archangelus Michael, etc. ; celui de saint François : Franciscus, pauper et humilis, cœlum dives ingreditur, etc. ; de saint Martin : Beatus vir sanctus Martinus, urbis Turonis Episcopus requievit, etc., etc.

Dans les messes de la sainte Vierge, tant celles du samedi que celles des solennités proprement dites, le Missel de 1684 sacrifiait impitoyablement le beau et mélodieux graduel : Benedicta et venerabilis es, Virgo Maria, etc.; les versets alléluiatiques : Virga Jesse floruit, etc. ; Felix es, sacra Virgo Maria, etc. ; Senex puerum portabat, etc.; Assumpta est Maria in cœlum; le trait : Gaude, Maria Virgo; l'offertoire : Beata es, Virgo Maria; la communion : Beata viscera Mariœ Virginis. Croirait-on que le zèle de l'Écriture sainte animait François de Harlay jusqu'au point de lui faire sacrifier la belle communion de saint Ignace d'Antioche, composée de ces immortelles paroles : Frumentum Christi sum; dentibus bestiarum molar, ut panis mundus inveniar. Il est vrai qu'il avait poussé la haine des prières traditionnelles jusqu'à détruire même les messes propres des saints de Paris, entre lesquelles on doit surtout regretter celle si gracieuse que la capitale du noble royaume de France avait composée,

 

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dans les âges de foi et de chevalerie, à la louange de sa benoîte et douce patronne.

Le Missel de Harlay, aussi bien que le Bréviaire, attaquait les traditions de l'Église de Paris sur saint Denys; on peut même dire qu'il les renversait pour jamais, en déshonorant par des changements et des interpolations la populaire et harmonieuse séquence qu'Adam de Saint-Victor, au XII° siècle, avait consacrée à la mémoire du glorieux apôtre de Lutèce.

Nous ne nous imposerons certes pas l'ennuyeuse tâche de signaler en détail toutes les mutilations auxquelles cette pièce admirable fut en proie sous les coups de la commission du missel. Nous nous bornerons à faire remarquer la barbarie avec laquelle fut sacrifié le début de cette séquence et la maladresse qui suppléa l'omission. Adam de Saint-Victor avait dit, et toutes les églises de France répétèrent :

 

Gaude prole, Graecia,

Glorietur Gallia

Patre Dionysio.

 

Ainsi la gloire d’Athènes, qui députe vers nos contrées son immortel Aréopagite, et la gloire des Gaules qui l'accueillent avec tant d'amour, sont confondues dans un même chant de triomphe. Mais maintenant que François de Harlay ne veut plus que la Grèce ait donné le jour à son saint prédécesseur, où a-t-il pris le droit de dire ;

 

Exultet Ecclesia,

Dum triumphat Gallia

Patre Dionysio ?

 

Sans doute la France, et la ville de Paris en particulier, sont quelque chose de très-grand dans le monde; mais

 

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n'y a-t-il pas quelque prétention, quand on a, d'un trait de plume, refusé à la Grèce le droit de prendre une part spéciale à la fête de saint Denys qu'elle honore pourtant encore aujourd'hui, comme évêque d'Athènes, et de Paris; de s'en aller substituer, disons-nous, à la Grèce, d'un trait de plume aussi, l'Église universelle, comme obligée de venir s'associer expressément aux gloires de notre patrie? Exultet Ecclesia, dum triumphat Gallia. Que si l'on disait que la gloire de tous les saints appartient à l'Église entière qui triomphe en chacun d'eux, nous n'aurions garde de le contester; mais nous demanderions si l'on est bien sûr de l'assentiment de l'Église universelle à tous ces changements, quand on sait que non-seulement le Bréviaire romain, mais même les livres d'office de l'Église grecque, protestent chaque année en faveur de la qualité d'aréopagite donnée à saint Denys de Paris. Voilà bien des millions de témoignages en faveur d'une prescription auguste, et l'Église de Paris qui met tant de zèle, depuis François de Harlay, à faire prévaloir les droits de la critique aux dépens de sa propre gloire, fait ici un triste personnage. Il ne manque plus qu'une chose : c'est qu'il se rencontre quelque protestant qui vienne encore, de par la vraie science historique, nous faire la leçon, à nous autres gallicans, ainsi qu'il nous est déjà arrivé au sujet du grand saint Grégoire VII que nous avons chassé du bréviaire, comme il sera raconté en son lieu. On dit que certains écrivains catholiques voudraient pourtant, sur saint Denys, disputer l'initiative à ces huguenots.

Encore un trait sur la fameuse séquence ; ce sera le dernier. On y retrancha ce verset fameux :

 

Se cadaver mox erexit.

Truncus truncum caput vexit,

Quo ferentem hoc direxit

Angelorum legio.

 

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On conçoit encore une controverse sur une question chronologique. Le sentiment des antiaréopagites s'appuie du moins sur des données historiques plus ou moins plausibles : mais si quelqu'un s'avise de contester le miracle du saint martyr portant sa tête dans ses mains, où prendra-t-il ses moyens .d'attaque ? est l'impossibilité de ce miracle ? sont les monuments qui le nient, ou l'infirment en quoi que ce soit ? C'était donc tout simplement un sacrifice fait à l'esprit frondeur que certains écrivains ecclésiastiques avaient fait prévaloir dans la classe lettrée des fidèles. Était-il, pourtant, si nécessaire d'avertir le peuple que le moment était venu de suspendre son respect pour les anciennes croyances ?

On avait trouvé aussi le moyen d'en finir avec les traditions de l'Église sur l'identité de sainte Marie-Madeleine avec la pécheresse de l'Évangile (tradition déjà ébranlée dans le bréviaire, ainsi que nous l'avons dit), en changeant totalement la messe romaine, dont l'introït : Me expectaverunt, l'évangile Rogabat Jesum quidam de Pharisœis, et la communion Feci judicium, étaient si gravement significatifs. Le croirait-on, si on n'en voyait encore aujourd'hui les effets ? on avait poursuivi cette tradition jusque dans la prose de la messe des morts ; on y avait changé ces mots : Qui Mariam absolvisti, en ceux-ci : Peccatricem absolvisti.

Puisque nous parlons de la messe des morts, nous dirons aussi que François de Harlay, tout en laissant subsister encore l'introït Requiem œternam, l'offertoire Domine Jesu Christe, et la communion Lux aeterna, qui sont au nombre des plus magnifiques pièces de l'antiphonaire grégorien, avait donné une messe toute nouvelle pour la commémoration générale des défunts, au second jour de novembre, et que s'il consentait à garder l’antique messe pour les funérailles et anniversaires des fidèles, c'était après avoir arbitrairement  effacé le graduel

 

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et le trait grégoriens, et supprimé, dans la communion, un verset et une réclame qui formaient l'unique débris des usages de l'antiquité sur l'antienne de la communion.

Nous ne devons pas omettre non plus de signaler l'insigne audace qui avait porté les correcteurs du Missel de Harlay à supprimer toutes les épîtres que l'Église romaine a empruntées des Livres sapientiaux, pour les messes de la sainte Vierge, tant celles des fêtes proprement dites que celles de l'office votif. Déjà un pareil scandale avait eu lieu pour le bréviaire ; mais il devenait bien plus éclatant dans le missel. Par là, nous le répétons, tous les blasphèmes des protestants étaient autorisés, et en même temps une des sources de l'intelligence mystique des Écritures fermée pour longtemps. Ceux de nos lecteurs qui ne sentiraient pas l'importance de notre remarque, seront plus à même de l'apprécier quand nous en serons venu à expliquer en détail les messes du Missel romain et les traditions qui les accompagnent ; toutes choses devenues étrangères au grand nombre, depuis l'innovation gallicane.

Dans cette revue générale du Missel de Harlay, nous sommes loin d'avoir signalé toutes les témérités qui paraissaient dans cette œuvre. Elle renfermait, en outre, les plus singulières contradictions. Suivant le plan de réforme tracé dans la lettre pastorale, toutes les parties chantées du missel devaient être tirées de l'Écriture sainte; cependant les proses ou séquences qui sont bien des parties destinées à être chantées avaient été conservées. Bien plus, on en avait composé de nouvelles, entre autres, celle de l'Ascension, Solemnis hœc festivitas, celle de l'Annonciation, Humani generis. On ne craignait donc pas tant la parole de l'homme, pourvu qu'on en fût le maître. Étrange nécessité que subira la révolte jusqu'à la fin, de se contredire d'autant plus grossièrement qu'elle se donne pour être plus conséquente à elle-même !

 

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Quoi qu'il en soit de ces honteuses et criminelles mutilations que subit la Liturgie romaine dans les livres de Paris, comme il est certain que ces mutilations n'atteignaient pas la vingtième partie de l'antiphonaire grégorien, on put dire encore, sous l'épiscopat de François de Harlay, et sous celui du cardinal de Noailles, que la Liturgie de Paris était et demeurait la Liturgie romaine ; que l'unité établie par le concile de Trente et saint Pie V, si elle avait souffert, n'avait pas encore péri. Aussi voyons-nous le docteur Grancolas dans son Commentaire sur le Bréviaire romain, publié en 1727, consacrer un chapitre entier à démontrer en détail l'identité générale du Bréviaire de Paris avec le romain (1).

Mais les atteintes portées à l'intégrité de la Liturgie par François de Harlay, les damnables principes qui avaient prévalu dans sa réforme, tout cela devait être fécond pour un avenir prochain. On ne s'arrête pas dans une pareille voie : il faut avancer ou reculer. L'esprit d'innovation comprimé dans le Bréviaire de Paris par la nécessité de conserver la physionomie générale de la Liturgie romaine, se jeta d'un autre côté, et alla essayer sur un théâtre plus restreint l'application de ses théories, bien persuadé que la curiosité et la manie du changement si naturelles aux Français en procureraient, en temps convenable, l'avancement et le triomphe. L'abbaye de Cluny et la petite congrégation qui en dépendait alors sous le nom d'Ordre de Cluny, furent choisies par les novateurs pour y faire l'essai d'une réforme liturgique complète et digne de la France.

On se rappelle ce que nous avons dit du Bréviaire monastique en général et de celui de Paul V en particulier. L'ordre de Cluny avait alors pour abbé général le cardinal  de   Bouillon.   Ce  prélat,   si  malheureusement

 

(1) Tom. I, pag. 352 et suivantes.

 

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célèbre par le relâchement de ses mœurs et par sa colossale vanité, ajouta à ses autres responsabilités devant l'Église, celle d'avoir, le premier, anéanti en France la ' Liturgie romaine, et d'avoir choisi pour inaugurer un corps d'offices totalement étranger aux livres grégoriens, la sainte et vénérable basilique de Cluny. Il possédait cette abbaye, non en commende, mais par l'élection du chapitre qui fut maintenu jusqu'à la suppression des ordres monastiques, dans la possession de choisir l'abbé de Cluny, pourvu que l'élu ne fût pas un moine (1). En vertu de sa qualité d'abbé régulier, son droit et son devoir était de veiller à tout ce qui concernait le service divin, et il était, de plus, susceptible de recevoir et d'exécuter à ce sujet toutes les commissions du chapitre général.

L'ordre de Cluny s'était toujours maintenu dans la possession de ses antiques usages liturgiques. Le Bréviaire de Paul V qui, comme on se le rappelle, n'était point strictement obligatoire pour tous les monastères, n'avait point été formellement accepté par cette congrégation. Nous laisserons donc de côté la question de droit, tout en faisant observer que si rien ne s'opposait à la réforme des livres monastiques de l'ordre de Cluny, la destruction complète et violente de tout le corps des offices grégoriens ne pouvait être considérée comme une réforme, et n'en pouvait revendiquer le caractère et les droits.

Ce fut, ainsi que nous l'apprenons de la lettre pastorale de l'éminentissime abbé de Cluny, ce fut dans le chapitre

 

(1) Cette servitude, si honteuse et dégradante qu'elle fût, plaçait néanmoins l'abbaye de Cluny dans une situation supérieure à celles de la congrégation de Saint-Maur, qui, étant toutes soumises à la commende, demeuraient totalement étrangères à la désignation des abbés qu'il plaisait à la cour de leur nommer. Il est vrai que ces abbés simplement commendataires n'avaient aucune juridiction spirituelle sur les monastères.

 

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de l'ordre tenu en 1676, que l'on résolut la réforme du Bréviaire monastique de Cluny. On donna ce soin à D. Paul Rabusson, sous-chambrier de l'abbaye, et à D. Claude de Vert, trésorier. C'.était précisément l'époque où François de Harlay faisait exécuter, en la façon que nous avons dit, la réforme du Bréviaire parisien, et comme cette réforme fut l'expression des principes qui s'agitaient alors dans l'Eglise de France, il était naturel de penser qu'on en retrouverait quelques applications dans le nouveau Bréviaire de Cluny. A part la connaissance que nous avons d'ailleurs de D. Claude de Vert et de ses principes liturgiques, la coopération de certains membres du clergé séculier qui avaient fait leurs preuves devrait nous éclairer suffisamment. Cette coopération est indiquée expressément dans, la lettre pastorale (1), et l'on sait par un auteur contemporain que les deux moines de Cluny eurent de grandes liaisons, pendant la durée de leur opération, avec les commissaires du nouveau Bréviaire de Paris, et qu'ils prirent dans ce dernier beaucoup de choses dont ils se firent honneur dans leur bréviaire (2).

Mais de même qu'entre tous les commissaires du Bréviaire de Harlay, il n'y en eut aucun plus suspect de vues hétérodoxes, ni plus hardi, sous ses dehors de sainteté, que Nicolas Le Tourneux, de même aussi nul autre ne peut être égalé à ce personnage pour son zèle d'innovation, et pour l'importance des travaux qu'on lui laissa exécuter. La confiance que D. Claude de Vert et D. Paul Rabusson   avaient  en lui, le rendit  maître   du

 

(1)  Qui hanc in se provinciam receperunt, non suam tantum adhibuerunt diligentiam quam maximam, sed et, ubicumque opus fuit, aliena usi sunt industria. Porro alienam cum dicimus industriam, eorum dicimus quos noverant in Scripturis sacris, in Patrum doctrina, in sœculorum traditione, in Ecclesias disciplina veteri, in ritibus monasticis versatissimos.

(2)  Thiers. Observations sur le nouveau Bréviaire de Cluny, t. I, pag. 94.

 

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terrain. Il forma son plan et l'exécuta à son aise (1). » Nous devons donc désormais nous tenir pour avertis, et nous attendre à trouver dans le Bréviaire de Cluny l'œuvre de Nicolas Le Tourneux. Les plus grands applaudissements du public de ce temps-là, préparé à tout par le Bréviaire de Harlay, accueillirent le nouveau chef-d'œuvre à son apparition, qui eut lieu en 1686. Il y eut cependant quelques réclamations fondées sur l'étrangeté de plusieurs particularités qu'on remarquait dans cette production. Mais ce qui surprit tout le monde, ce fut de voir se lever au nombre des adversaires du Bréviaire de Cluny, le trop fameux, mais docte Jean-Baptiste Thiers, qui publia deux petits volumes intitulés : Observations sur le nouveau Bréviaire de Cluny. Sa critique violente, quelquefois même injuste, mais le plus souvent victorieuse, aurait grandement nui, en d'autres temps, à une œuvre aussi difficile à défendre que celle de D. Paul Rabusson et de D. de Vert; mais tel était l'engouement des nouveautés liturgiques, que le factum de Thiers qui n'avait pu trouver d'imprimeur qu'à Bruxelles, n'arrêta en rien la marche de l'innovation. On fut même presque scandalisé de voir J.-B. Thiers, un si bon esprit, ne pas s'extasier devant une merveille comme le Bréviaire de Cluny. Son livre, qui parut en 1707, appelait néanmoins une réfutation, et D. Claude de Vert s'était mis en devoir de la préparer, lorsque Thiers vint à mourir. D. Claude de Vert ne jugea pas à propos de le poursuivre au-delà du tombeau ; peut-être aussi trouva-t-il son compte à cette suspension d'armes : car, assurément, le curé de Vibraye n'était pas homme à laisser le dernier mot à autrui, dans la dispute.

En attendant que nous fassions connaître un autre associé de D. Claude de Vert dans la fabrication  du 

 

(1) Mésenguy. Lettres sur les nouveaux bréviaires (1735), cité par l'abbé Goujet, dans sa Continuation de la Bibliothèque d'Ellies Dupin, tom. III, pag. 92.

 

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Bréviaire de Cluny, nous allons révéler au lecteur les progrès liturgiques qui signalaient cette oeuvre.

D'abord, le principe émis dans le Bréviaire de Harlay, mais qui n'avait pas reçu alors toute son application, ce principe si cher aux antiliturgistes, de n'employer plus que l'Ecriture sainte dans l'office divin, était proclamé dans la lettre pastorale et appliqué, dans toute son étendue, à tous les offices tant du Propre du Temps que du Propre des Saints et des Communs. Ainsi croulait déjà une partie notable du livre responsorial de saint Grégoire; mais afin que la destruction fût plus complète encore, les novateurs qui cherchaient si ardemment à faire prévaloir l'Écriture sainte sur la tradition, en vinrent jusqu'à sacrifier, sans égard pour l'antiquité, au risque de découvrir à tous les yeux le désir de bouleversement qui les travaillait, en vinrent, disons-nous, jusqu'à sacrifier presque en totalité les innombrables antiennes et répons que les livres grégoriens ont empruntés de l'Écriture sainte elle-même, et cela, pour les remplacer par des versets choisis par eux, et destinés à former une sorte de mosaïque de l'Ancien et du Nouveau Testament dont ils avaient trouvé le plan dans leurs cerveaux. Et ces hommes osèrent encore parler de l'antiquité, quand ils mentaient à leurs propres paroles.

Après avoir donné la chasse aux traditions dans les antiennes et les répons, les commissaires du Bréviaire de Cluny, marchant toujours sur les traces de François de Harlay,mais de manière aie laisser bien loin derrière eux, trouvèrent pareillement le moyen d'en finir avec les légendes des saints. Pas une seule ne fut épargnée; on mit en leur lieu des passages des saints Pères d'une couleur plus ou moins historique, et si grande fut cette hardiesse, que, malgré le bon vouloir de plus d'un liturgiste du dix-huitième siècle, il fut reconnu impossible d'imiter, en cela,

 

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le Bréviaire de Cluny qui devait servir de modèle sous tant d'autres points.

Ce fut dans un but analogue que, après avoir supprimé la plupart des fêtes à douze leçons pour les réduire à trois, on décréta que le dimanche n'admettrait plus celles qui tombent en ce jour, si ce n'est les solennités les plus considérables, et que, sauf l'Annonciation et la fête de saint Benoît, toutes celles qui arrivent durant le carême seraient ou éteintes, ou transférées. Quignonez lui-même déclare dans la préface de son bréviaire, qu'il n'a pas osé aller jusque-là. Par suite de ces bouleversements bizarres, certaines fêtes se trouvaient dépopularisées par les translations les plus inattendues; car, qui se serait imaginé,par exemple, d'aller chercher saint Grégoire le Grand au 3 de septembre, saint Sylvestre au 3 de janvier, saint Joseph un des jeudis de l'A vent ?

Mais non contents de remanier ainsi le calendrier pour les fêtes des saints, les commissaires du Bréviaire de Cluny avaient porté leur main audacieuse jusque sur les grandes lignes de l'année chrétienne. Toujours fidèles au système qu'ils avaient inventé à priori, et auquel il fallait que soit l'antiquité, soit les usages modernes de l'Église cédassent en tous les cas, ils imaginèrent, pour abaisser les fêtes de la sainte Vierge, de créer un quintenaire de fêtes de Notre-Seigneur, qui dussent être placées, pour l'importance, à la tête du calendrier. S'ils se fussent bornés au ternaire antique de Pâques, de la Pentecôte et de Noël, ils se seraient tenus dans les bornes des traditions ecclésiastiques ; mais en voulant égaler l'Epiphanie et l'Ascension aux trois premières, et tenir ces cinq solennités dans une classe où nulle autre, pas même la fête du Saint Sacrement, ne peut trouver place, ils mirent au jour leur manie d'innovation et en même temps les plus énormes contradictions avec leurs solennelles prétentions à la connaissance de l'antiquité.

 

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Le culte de la sainte Vierge fut réduit dans le Bréviaire de Cluny. La fête de son Assomption descendit au degré appelé par les commissaires Festivité majeure. L'octave de la Conception fut supprimée; l’ Annonciation fut nommée, à l'instar du Bréviaire de Harlay, Annuntiatio et Incarnatio Domini . Mais on alla plus loin : François de Harlay avait du moins laissé à la sainte Vierge la fête de la   Purification;  les commissaires   de  Cluny,   toujours inquiets pour la gloire du Sauveur dans les  hommages qu'on rendra sa sainte mère, comme si Tunique fondement des  honneurs déférés à Marie ne se trouvait pas dans la maternité divine, résolurent de nommer cette fête: Prœsentatio Domini et Purificatio B. Mariœ Virginis. Parlerons-nous des hymnes, des antiennes, des répons si remplis de piété et de poésie par lesquels l'Église, dès le temps de saint Grégoire, s'était plu à exalter les grandeurs de Marie ? Toutes celles de ces formules antiques et sacrées qui avaient  échappé aux  coups de François de Harlay, avaient impitoyablement été sacrifiées par Le Tourneux, pour faire place à de muets centons de la Bible. Certes, on peut dire qu'en cela était porté un coup bien sensible à l'ordre de Saint-Benoît, si célèbre en tous les temps pour sa dévotion à la mère de Dieu ; et les commissaires, pour agir avec cette scandaleuse liberté, non-seulement avaient à combattre l'Antiphonaire et le Responsorial de saint Grégoire, mais il fallait qu'ils étouffassent aussi la voix séculaire de la sainte église de Cluny, comme on parlait autrefois ; car elle déposait hautement de son amour pour la glorieuse Vierge et de son zèle à lui rendre ses plus doux hommages.

L'autorité du Siège apostolique qui a de si intimes rapports avec la confiance et le culte envers la mère de Dieu, avait  souffert de nombreuses  atteintes  dans  le nouveau Bréviaire de Cluny. Sans parler de la suppression des fêtes de la plupart des saints papes,  ainsi que du

 

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retranchement des répons et antiennes sacrifiés déjà par le zèle de François de Harlay, on avait, à l'imitation de cet archevêque, humilié la fête du prince des apôtres jusqu'au degré de Solennité mineure; on avait supprimé une des fêtes de la chaire de Saint-Pierre, et cela dans la basilique de Saint-Pierre de Cluny, dans le sanctuaire même où avaient si longtemps prié pour l'exaltation du Siège apostolique, le prieur Hildebrand, depuis, saint Grégoire VII; le moine Othon de Châtillon, depuis, Urbain II ; le moine Raynier, depuis, Paschal II; le moine Guy, depuis, Callixte II !

Qu'on ne nous demande donc plus pourquoi il n'est pas resté pierre sur pierre de cette antique et vénérable église, centre de la réforme monastique, et, par celle-ci, de la civilisation du monde, durant les XI° et XII° siècles ; pourquoi les lieux qui formaient  son enceinte colossale sont aujourd'hui coupés par des routes que traversent avec l'insouciance de l'oubli les hommes de ce siècle; pourquoi les pas des chevaux d'un haras retentissent près de l'endroit où fut l'autel majeur de la basilique et le  sépulcre de saint Hugues qui l'édifia. Saint-Pierre de Cluny avait été destiné à donner abri, comme une arche de salut, dans le cataclysme de la barbarie, à ceux qui n'avaient pas désespéré des promesses du Christ. De ses murs devait sortir l'espoir de la liberté de l'Eglise, et bientôt la réalité de cet espoir. Or la liberté de   l'Église, c'est l'affranchissement du Siège apostolique. Mais lorsque ces murs virent déprimer dans leur enceinte cette autorité sacrée qu'ils avaient été appelés à recueillir, ils avaient assez duré. Ils croulèrent donc, et afin que les hommes n'en vinssent pas à confondre cette terrible destruction avec ces  démolitions innombrables que l'anarchie opéra à une époque de confusion, la Providence, avant de permettre que les ruines de Cluny couvrissent au loin la terre, voulut attendre le moment où la paix serait rétablie, les autels relevés ; où

 

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rien ne presserait plus le marteau démolisseur; où les cris de la fureur n'accompagneraient plus la chute de chaque pierre. C'en fut assez de la brutale ignorance, des mesquins et stupides ressentiments d'une petite ville pouf renverser ce qui ne pesait plus que sur la terre. À la vue de cette inénarrable désolation, quel Jérémie oserait espérer d'égaler les lamentations à la douleur! que le moine se  recueille et prie : Ponet in pulvere os suum, si forte sit spes (1) !

Le Bréviaire de Cluny, outre les graves innovations dont nous venons de parler, présentait  encore de nombreuses singularités capables d'offenser le peuple catholique. Nous avons dit, au chapitre vin, à propos de la Liturgie monastique, que l'ordre de Saint-Benoît avait de très-bonne heure adopté le Responsorial grégorien.  Le Bréviaire monastique de Paul V, qui était conforme en beaucoup  de choses à celui de saint Pie V, avait sanctionné de nouveau cette œuvre du génie bénédictin qui a semblé toujours porté vers les habitudes romaines. Il a dû résulter de  là que plusieurs usages statues dans la règle de Saint-Benoît, pour les offices divins, ont fait place à d'autres usages plus en rapport avec les mœurs des diverses églises d'Occident. Ce n'était pas un mal que ces rares dérogations à un ordre d'office qui,  dans tous les autres cas, demeurait toujours dans sa couleur propre, et les effacer n'était pas un progrès, puisqu'on ne le pouvait faire qu'en se séparant de l'Église romaine d'une part, et de l'autre en scandalisant les simples. C'est néanmoins ce que firent les commissaires en supprimant les prières de préparation à l'office, Pater; Ave Maria; Credo; en abolissant les suffrages de la sainte Vierge et des saints, la récitation du symbole de saint Athanase,  les prières qui se disent à certains jours après la litanie, les

 

(1) Thren. III, 29.

 

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absolutions et les bénédictions pour les leçons de Matines, etc. Sans doute saint Benoît n'a point parlé de tous ces rites que l'Église n'a établis que dans des siècles postérieurs à celui auquel il a vécu ; mais les rédacteurs du Bréviaire de Cluny pensaient-ils donc que ce saint patriarche revenant au monde, après mille ans, eût voulu, sous le prétexte de rendre l'office de ses moines plus conformes à celui du vie siècle, briser tous les liens que cet office avait, par le laps de temps, contractés avec celui de l'Église universelle?

Mais voici quelque chose de bien plus étrange. Depuis le IX° siècle, la tradition de l'ordre de Saint-Benoît porte que, durant les trois derniers jours de la semaine sainte, l'office divin, dans les monastères, sera célébré suivant la forme gardée par l'Église romaine, afin qu'il paraisse à tous les yeux que les fils de la solitude s'associent en ces jours solennels à la tristesse de tout le peuple fidèle. La même coutume est inviolablement observée dans les autres ordres qui ont un bréviaire particulier. N'eut-on donc pas droit de crier au scandale quand on vit le Bréviaire de Cluny prescrire, à l'office de la nuit des jeudi, vendredi et samedi saints, les versets Deus, in adjutorium; Domine, labia mea aperies ; un invitatoire, une hymne, douze psaumes, trois cantiques, douze leçons, douze répons; l'usage du Gloria Patri, non-seulement dans ces répons, mais à la fin de chaque psaume; à laudes, aux petites heures, à vêpres et à compiles, toutes les particularités liturgiques employées par les usages bénédictins, dans le reste de l'année ? En vain D. Claude de Vert, pour soutenir son œuvre, a-t-il pris la peine de composer un dialogue fort pesant entre un certain dom Claude et un certain dom Pierre; il n'est parvenu à démontrer qu'une seule chose, que personne d'ailleurs ne conteste, savoir, que saint Benoît, en établissant la forme de l'office par ses moines, n'a point dérogé, dans sa règle, à cette

 

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forme pour les trois derniers jours de la semaine sainte, et qu'on ne peut être contraint à embrasser les usages romains, en ces trois jours, en vertu d'une déduction logique. Tout cela est très-vrai; mais, quoi qu'en dise D. de Vert, la coutume suffit bien pour suspendre l'effet d'une loi, et d'ailleurs, les rares exemples d'une pratique contraire qu'il voudrait produire ne détruisent point ceux, beaucoup plus nombreux, qu'on peut alléguer en faveur de la coutume actuelle.

Parlerons-nous de la singulière idée qui porta les commissaires du Bréviaire de Cluny à inventer, pour le 2 novembre,   un   office propre de la   Commémoration des défunts, avec des hymnes, douze psaumes, trois cantiques, des capitules, des répons brefs, etc., en un mot, toutes les parties qui composent les offices réguliers du  cours de l'année. Ce n'est sans doute là qu'une bizarrerie  et une hardiesse de plus. Mais voici une remarque  d'un autre genre. Nos doctes travailleurs se piquaient d'érudition, et comme la connaissance de la langue grecque  était alors une sorte de luxe  dans l'éducation, ils trouvèrent fort convenable d'afficher dans leur bréviaire quelqu'une des découvertes philologiques qu'ils avaient pu faire. Aujourd'hui leur petite vanité nous  paraîtra, sans doute,  quelque peu risible : alors il  en  était  autrement. Il y avait longtemps que leurs savantes oreilles  étaient choquées d'entendre prononcer dans l'Église romaine les deux mots Kyrie, eleison, sans qu'on parût faire la moindre attention, pensaient-ils,   à la valeur de la lettre êta. Ils voulurent donc y remédier, et faire ainsi la leçon, non-seulement à toute l'Église latine, mais encore à l'Église grecque elle-même. Ils imprimèrent donc, dans tous les endroits où se trouva la litanie,  Kyrie, eleéson. La science a fait un pas, ou plutôt on s'est mis tout simplement en devoir de demander la prononciation du grec aux Grecs, et aux monuments philologiques des anciens; et Kyrie, eleéson

 

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est devenu simplement ridicule. Il faut convenir, cependant, que si les nombreux bréviaires du XVIII° siècle firent de riches emprunts au Bréviaire de Cluny, tous, à l'exception de ceux des congrégations de Saint-Vannes et de Saint-Maur, laissèrent à dom de Vert son eleéson. Mais Érasme imposait si fortement à ce novateur, que non content d'en adopter, après François de Harlay, les sentiments audacieux sur saint Denys l'Aréopagite et sur sainte Marie-Madelaine, il se fit l'écho de ce docteur ambigu, jusque dans ses absurdes théories sur la prononciation grecque. Son zèle ne s'arrêta donc pas à la création de l’eleéson : il démentit la tradition que François de Harlay avait respectée sur le mot Paraclitus, et alla jusqu'à chanter et osa écrire en toutes lettres, Paracletus, en dépit de la quantité. Au reste, et ceci prouvera combien les instincts liturgiques s'étendent loin : dans la même censure où la Sorbonne, en 1526, vengeait les traditions catholiques contre Érasme, elle notait aussi, comme nouveauté intolérable, l'affectation pédantesque du Paracletus que, cependant, tous nos bréviaires français ont emprunté à D. de Vert. Il est curieux qu'aujourd'hui, après avoir parcouru un long cercle, la science vienne à se retrouver au point où était déjà rendue la Sorbonne au XVI° siècle, par la seule fidélité aux traditions. Dieu veuille nous délivrer, pour l'avenir, des hommes à systèmes et à idées toutes faites!

Concluons tout ceci par une appréciation générale du Bréviaire de Cluny, et disons que si cette œuvre, que nous croyons avoir démontrée intrinsèquement mauvaise, ne paraissait pas d'abord destinée à exercer une influence funeste, parce que ce corps d'offices ne devait, après tout, s'exercer que dans un petit nombre d'églises conventuelles dans lesquelles le public était accoutumé à voir pratiquer la Liturgie bénédictine, qui diffère déjà de la romaine en  beaucoup de   points,   elle n'en devait pas

 

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moins produire les plus désastreux effets dans l'Église de France. Déjà la réforme parisienne avait retenti au loin et éveillé le goût de la nouveauté; mais elle était insuffisante, du moment qu'on se disposait à franchir les limites posées par la tradition. Il fallait un type à tous les créateurs en Liturgie que le pays se préparait à enfanter. Il fallait un drapeau à ces champions du perfectionnement. Le Bréviaire de Cluny était tout ce qu'on pouvait désirer: tout y était nouveau. Les théories qui ne faisaient que poindre dans l'œuvre de François de Harlay rayonnaient accomplies dans celles de D. Paul Rabusson,de D. Claude de Vert et de Nicolas Le Tourneux. Aussi dirons-nous en finissant, pour la gloire du Bréviaire de Cluny, si tant est que ce soit là une gloire, que la plus grande partie de ce que renferment de meilleur (dans leur système) les nouveaux bréviaires, appartient à celui dont nous faisons l'histoire. Nous ne refuserons donc pas aux commissaires du chapitre de Cluny de 1676, mais surtout à Le Tourneux, une grande connaissance des saintes Écritures, tout en détestant l'emploi condamnable qu'ils ont fait de cette connaissance, en substituant des phrases de la Bible choisies par eux, dans leur lumière individuelle, et dès lors isolées de toute autorité, à la voix sûre, infaillible de la tradition, ou encore aux passages de l'Écriture que l'Église elle-même avait choisis dans le Saint-Esprit, in Spiritu sancto, pour rendre des sentiments, exprimer des mystères dont elle seule a la clef, parce qu'elle seule est dans la lumière, tandis que les hérétiques et leurs fauteurs se meuvent dans les ténèbres.

Nous n'aurions pas dit tout ce qui est essentiel sur le Bréviaire de Cluny, si nous ne faisions pas connaître son hymnographe. Déjà, nous aurions dû nommer Jean-Baptiste Santeul, chanoine régulier de Saint-Victor, à propos du Bréviaire de Harlay pour lequel il fournit plusieurs

 

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hymnes; mais comme il en composa un bien plus grand nombre pour le Bréviaire de Cluny, qui semble être le principal monument de sa renommée, nous avons différé d'en parler jusqu'à ce moment. Cet homme dont la gloire n'a fait que s'accroître dans l'esprit des admirateurs de l'innovation liturgique, est véritablement un type: nous avons donc besoin de le considérer un peu à loisir et de caractériser son personnage et son action.

Nous dirons d'abord que nous avons toujours éprouvé une peine profonde en voyant sortir de la sainte et illustre abbaye de Saint-Victor, un des hommes qui ont le plus contribué à cette lamentable révolution qui a changé, en France, toute la face des offices divins, et déshérité le sanctuaire de ses plus vénérables traditions. Il fallait, certes, qu'à la fin du XVII° siècle, le génie catholique eût bien faibli, en France, pour qu'on n'aperçût pas la contradiction flagrante qu'offraient les allures et la personne tout entière de Santeul, nous ne disons pas seulement avec les Hugues et les Richard, que le cloître mystique de Saint-Victor avait si saintement abrités au XII° siècle, ni avec ce saint réformateur de l'ordre canonial, le Père Faure, dont la mémoire était encore toute fraîche, ni avec le pieux et orthodoxe Simon Gourdan, qui vivait sous le même toit et sous le même habit que l'hymnographe de Cluny, mais avec l'illustre Adam de Saint-Victor, dont les admirables séquences furent longtemps la gloire de l'Église de Paris, et seront toujours de véritables trésors de poésie catholique.

Nous avons cité, au chapitre XI de cette histoire liturgique, la fameuse lettre de saint Bernard à Guy, abbé de Montier-Ramey, dans laquelle le saint docteur détaille les qualités que doivent réunir et le compositeur d'une œuvre liturgique et son œuvre elle-même.

Or, voici les paroles de l'illustre abbé de Clairvaux : « Dans les  solennités de l'Église, il ne convient pas  de  faire

 

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entendre des choses nouvelles, ou légères d'autorité ; il faut des paroles authentiques, anciennes, propres à édifier l'Église et remplies de la gravité ecclésiastique. » Malheur donc à ceux qui ont expulsé de la Liturgie les hymnes séculaires composées par des hommes d'autorité, comme saint Ambroise, saint Grégoire, Prudence, etc., pour mettre à la place de ces paroles authentiques, des paroles légères d'autorité; à la place de ces paroles anciennes, des paroles nouvelles; à la place de ces paroles remplies de la gravité ecclésiastique, des réminiscences de la muse profane ! Il faut, certes, que la préoccupation égare étrangement les esprits pour avoir pu rendre non-seulement supportable une pareille révolution, mais pour en avoir fait l'objet du plus vif enthousiasme à l'époque où elle s'accomplit enthousiasme qui jette encore aujourd'hui dans plus d'une tête ses dernières étincelles.

Mais voici encore où se montre, dans tout son triste éclat, la contradiction^qui poursuivra toujours quiconque, dans l'Église, voudra s'écarter de la voie tracée par l'autorité. Les auteurs du Bréviaire de Cluny (et nous pouvons ajouter de tous ceux qui l'ont suivi) ont proclamé, comme la maxime fondamentale de leur réforme liturgique, la nécessité d'expulser des livres ecclésiastiques tout ce qui s'y est introduit de parole humaine, pour le remplacer par des textes tirés de l'Écriture sainte. On eût été tenté de croire que le retranchement des hymnes vénérables que l'Église d'Occident chante depuis tant de siècles, n'était qu'une consciencieuse application de ce rigoureux principe ; mais, en croyant cela, on se fût trompé. La parole humaine des saints Pères est remplacée par la parole très-humaine de Jean-Baptiste Santeul, et le public docile, ou distrait, ne remarque pas, après cela, combien est contradictoire l'assertion mise en tête de tous les bréviaires, depuis celui de Cluny : qu'on n'y a rien laissé qui manquât

 

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d'autorité, rien qui ne fût puisé aux pares sources des Livres saints.

Encore, sommes-nous bien assurés de n'avoir dans les hymnes de Santeul, que la parole humaine du chanoine de Saint-Victor ? Si nous en croyons l'abbé Goujet et le trop fameux Mésenguy, fort instruit de tout ce qui regarde l'histoire de la fabrication des nouvelles Liturgies, Nicolas Le Tourneux donnait la matière et Santeul faisait les vers (1). Ainsi, deux hommes l'un, notoirement fauteur d'hérétiques, et auteur d'un ouvrage censuré par l'Eglise, et l'autre qui se faisait l'écho du premier; voilà ce que le Bréviaire de Cluny mettait à la place de la tradition catholique de la Liturgie ; et aujourd'hui, soixante églises de France qui ont expulsé de leurs bréviaires les vieilles prières de l'âge grégorien, répètent, dans la plupart des solennités, les communs accents de Le Tourneux et de Santeul ! Un jour viendra, sans doute, où cette contradiction inexplicable frappera les hommes, et, ce jour-là, c'en sera fait de l'œuvre liturgique du XVIII° siècle.

Mais écoutons encore saint Bernard sur les qualités du poète liturgiste, et voyons jusqu'à quel point ces qualités conviennent à Santeul : « Un si haut sujet exige un homme docte et digne d'une pareille mission, dont l'autorité soit compétente, le style nourri, en sorte que l'œuvre soit à la fois noble et sainte... Que la phrase donc, resplendissante de vérité, fasse retentir la justice, persuade l'humilité, enseigne l'équité; qu'elle enfante la lumière de vérité dans les cœurs, qu'elle réforme les mœurs, crucifie les vices, enflamme l'amour, règle les a sens (2). »

Mais peut-on dire de Santeul que son autorité soit compétente, que sa phrase soit resplendissante de vérité,

 

(1)  Goujet. Bibliothèque ecclésiastique du dix-huitième siècle, tom. III, pag. 474. — Mésenguy. Lettres sur les nouveaux bréviaires.

(2)   Vid. ci-dessus, tom. I, pag. 316.

 

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qu'elle enfante la lumière de vérité dans les cœurs, quand on sait, par l'histoire, que la soumission de ce personnage aux décisions de l'Eglise fut, toute sa vie, un problème ? Qui ignore les liaisons du chanoine de Saint-Victor, non-seulement avec Le Tourneux, mais plus étroitement encore avec Arnauld ? Non content d'avoir fourni pour le portrait de ce coryphée du jansénisme des vers où sa doctrine est louée avec emphase, il osa composer cette inscription pour le monument destiné par les religieuses de Port-Royal à recevoir le cœur de leur Athanase :

 

Ad sanctas rediit sedes ejectus et exul :

Hoste triumphato , tot tempestatibus actus,

Hoc portu in placido, hac sacra tellure quiescit,

Arnaldus veri defensor et arbiter aequi, etc. 

 

Quel catholique aurait jamais appelé Arnauld le défenseur de la vérité, l'arbitre de l'équité? Quel est ce triomphe dont parle le poëte? Cet ennemi terrassé, serait-ce le Siège apostolique qui tant de fois a fulminé contre ses écrits incendiaires ? Cette sainte demeure, ce port tranquille, cette terre sacrée,c'est Port-Royal, c'est la demeure de ces filles rebelles à l’Église, plus orgueilleuses, peut-être, que les philosophes chrétiens qui se sont donné rendez-vous à l'ombre des murs de leur monastère. En faut-il davantage aux yeux d'une foi vraiment catholique, pour signaler Santeul comme fauteur des hérétiques ? Qu'importe l'excuse qu'on voudra tirer de sa légèreté naturelle ? l'homme léger jusque dans les choses de l'orthodoxie n'a point l'autorité compétente qu'exige saint Bernard dans l'hymnographe catholique ; la lumière et la vérité ne resplendissent point dans ses vers. En effet, y trouve-t-on un seul mot contre les erreurs de son temps, une seule improbation des dogmes impies de Jansénius sur la grâce ? Il avait pourtant mille occasions de s'expliquer, et si le zèle

 

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de l'orthodoxie l'eût animé, il eût su profiter de la popularité qu'il pouvait prévoir pour ses hymnes; il en eût profité, disons-nous, pour y déposer l'expression énergique de la foi, la protestation du fidèle enfant de l'Église contre les théories damnables des hérétiques. A tous les âges de l'Église, en présence de chaque erreur, les saints docteurs n'ont jamais manqué d'en user ainsi, et nous verrons dans cet ouvrage qu'il ne s'est pas élevé dans l'Église une seule hérésie à laquelle ne corresponde une protestation spéciale dans la Liturgie.

Suivant le génie du parti qui avait ses plus chères sympathies, Santeul, en même temps qu'il ne manquait aucune occasion dans ses vers d'appuyer les points du dogme auxquels les disciples de l'évêque d'Ypres prétendaient rattacher tout leur système, usa d'une grande précaution pour ne pas compromettre, par une expression trop crue, les doctrines chères à la secte. C'était beaucoup pour elle de fournir aux églises de France un de ses fauteurs pour hym-nographe ;une syllabe de trop eût compromis cette victoire. On peut honorer du même éloge la discrétion de Nicolas Le Tourneux dans la rédaction du Bréviaire de Cluny. Toutefois, quelques catholiques se plaignirent de certaines strophes de Santeul, mais surtout de la suivante qu'il est impossible de justifier, si on prend les termes dans leur rigueur ; elle se trouve dans une hymne de l'office des évangélistes :

 

Insculpta saxo lex vetus

Prœcepta, non vires dabat,

Inscripta cordi lex nova

Quidquid jubet dat exequi.

 

Ainsi, la loi nouvelle diffère de l'ancienne en ce qu'elle donne d'exécuter ce qu'elle commande, tandis que l'ancienne imposait le précepte, mais laissait l'homme  sans

 

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moyen de l'accomplir. Cette strophe fut toujours très-chère au parti ; nous verrons plus loin avec quelle sollicitude il veilla pourra maintenir dans son intégrité. Dieu seul sait combien de temps elle doit retentir encore dans nos églises : mais qu'il nous soit donné de protester ici contre une tolérance qui dure malheureusement depuis plus d'un siècle, et de dire, en passant, un solennel anathème à trois propositions de Quesnel que Clément XI et, avec lui, toute l'Église ont proscrites -, heureux que nous sommes de n'avoir point à répéter dans nos offices divins les quatre vers qui les rendent avec tant d'énergie :

Propositio VI. Discrimen inter fœdus judaïcum et christianum est quod in Mo Deus exigit fugam peccati et implementum legis a peccatore, relinquendo illum in sua impotentia : in isto vero, Deus peccatori dat quod jubet, illum sua gratia purificando.

Propositio VII. Quœ utilitas pro homine in veteri fœdere, in quo Deus illum reliquit ejus propriœ infirmitati, imponendo ipsi suam legem ? Quœ vero félicitas non est admitti ad fœdus, in quo Deus nobis donat quod petit a nobis!

Propositio VIII. Nos non pertinemus ad novum fœdus, nisi in quantum participes sumus ipsius novœ gratice quœ operatur in nobis id quod Deus nobis prœcipit.

Le désir d'avoir des hymnes d'une irréprochable latinité a fait passer, comme on le voit, sur bien des choses ; mais il nous restera toujours un problème insoluble à résoudre : c'est de savoir comment quelqu'un peut être obligé, sous peine de péché, à réciter une hymne qui contient matériellement une doctrine qu'on ne pourrait soutenir sans encourir l'excommunication. A notre avis, trois causes seulement peuvent excuser de mal l'usage de l'hymne en   question :   une heureuse distinction  dans

 

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laquelle l'esprit proteste contre ce que répètent les lèvres; une ignorance complète en   matière d'orthodoxie ; enfin une de ces distractions   involontaires qui   s'emparent de l'esprit durant la prière.

Mais c'est assez sur l'hymnographe victorin considéré sous le point de vue de l'orthodoxie; nous l'envisagerons maintenant sous le rapport de la gravité des  mœurs si nécessaire, d'après saint Bernard, pour un si noble ministère. Or, voici le portrait que trace de Santeul un de ses admirateurs contemporains, La Bruyère : « Concevez un homme facile, doux, complaisant, traitable; et tout d'un coup violent,  colère, fougueux, capricieux.  Imaginez-vous un homme simple, ingénu, crédule, badin, volage, un enfant en cheveux gris ;  mais  permettez-lui de se recueillir, ou plutôt de se livrer à un génie qui agit en lui, j'ose dire sans qu'il y ait  part, et comme   à  son insu; quelle verve !   quelle   élévation! quelles images ! quelle latinité ! Parlez-vous d'une même personne ? me direz-vous. Oui, du même, de Théodas, et de lui  seul. Il crie, il s'agite, il se  foule à terre, il  se relève ; il tourne, il éclate ; et du milieu de cette tempête, il  sort  une lumière  qui brille et qui réjouit. Disons-le sans figure, il parle comme un fou, et pense comme un homme sage. Il dit ridiculement des choses vraies, et follement des choses sensées et raisonnables. On est   surpris  de voir éclore le bon sens du sein delà bouffonnerie,parmi les grimaces et les contorsions.  Qu'ajouterai-je davantage? Il dit, et il fait mieux qu'il ne sait. Ce sont  en lui comme   deux âmes qui ne se connaissent point, qui ne dépendent point l'une de l'autre, qui  ont chacune leur tour, ou  leurs  fonctions toutes  séparées. Il manquerait  un  trait à  cette   peinture  si    surprenante, si j'oubliais de dire qu'il est tout à  la  fois avide et insatiable de louange, prêt à se  jeter aux yeux de ses critiques, et dans le fond assez docile pour profiter

 

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de leurs censures. Je commence à me persuader moi-même que j'ai fait le portrait de deux personnages tout différents ; il ne serait pas même impossible d'en trouver un troisième dans Théodas, car il est bonhomme. »

Ce n'est pas tout à fait ainsi que l'histoire nous dépeint les hymnographes de l'Église latine, saint Ambroise, saint Grégoire, etc., ou de l'Eglise grecque, saint André de Crète, saint Jean Damascène, saint Joseph, etc. L'Esprit qui s'était reposé sur ces hommes divins, leur avait ôté toute ressemblance avec ces poètes humains qu'un délire profane inspire. Un ineffable gémissement s'échappait de leur poitrine, mais si tendre, si humble et si doux, que l'Eglise, qui est la tourterelle de la montagne, l'a choisi pour le thème des chants qui consolent son veuvage. Nous nous délecterons, nous aussi, dans la mélodie de ces sacrés cantiques tout resplendissants du plus pur éclat de la foi, propres à enflammer l'amour et à régler les sens, comme le dit si admirablement le grand abbé de Clairvaux : nous en révélerons à nos lecteurs l'intarissable beauté, et ils sentiront alors que les compositeurs des nouveaux bréviaires ont eu grandement raison d'élaguer de ces livres, autant qu'ils ont pu, ces chants d'un mode si différent; car, franchement, les nouveaux n'auraient pas gagné au voisinage.

Saint Bernard veut que l'œuvre du poëte chrétien, remplie d'onction, persuade l'humilité, par cela même qu'elle est produite de la plénitude d'un cœur humble. Or, voyez Santeul courant les églises de Paris pour entendre chanter ses hymnes, jouissant de sa gloire, sous les voûtes de Notre-Dame, en les entendant redire ses vers à lui, homme sans autorité, de foi suspecte, comme si le sanctuaire d'une religion de dix-sept siècles fût devenu le théâtre d'une ovation académique. Voyez-le, dans sa fureur  bizarre, dépeinte non-seulement par Boileau le

 

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satirique, mais racontée par les contemporains, déclamant jusque dans les carrefours de la capitale ses hymnes sacrées, au milieu des gestes et des contorsions les plus étranges, et dites-nous s'il y a rien de pareil dans les fastes de la Liturgie. Franchement, il était trop tard pour changer les habitudes de l'Église ; et nous savons qu'elle a, dans tous les âges, laissé aux théâtres mondains les écarts d'une poésie délirante, et accueilli seulement les chantres célestes qui ne troublent point du bruit de leur vanité la majestueuse harmonie de sa demeure.

Nous n'entendons pourtant pas faire ici, ni la biographie, ni la satire de Santeul. Nous dirons même que, de l'avis de tous ses contemporains, il avait de bonnes qualités et même une sorte de piété, à sa manière ; mais c'est . la valeur liturgique du personnage qu'il nous faut apprécier, et les traits que nous avons recueillis mettront le lecteur en état de prononcer sur la question de savoir si l'hymnographe gallican avait, ou n'avait pas les qualités exigées par saint Bernard, pour le compositeur liturgique.

La mort de Santeul, ou plutôt la cause de cette mort n'est pas propre à donner une plus inviolable consécration à ses œuvres et à sa mémoire. On sait parle duc de Saint-Simon, qu'il était de la plus excellente compagnie, bon convive surtout, aimant le vin et la bonne chère, mais sans débauche. Ce fut dans un repas qu'une mauvaise plaisanterie, à laquelle on se trouva enhardi par son humeur joviale, décida de sa vie. Les détails ne sont point de la dignité de notre sujet. Le poète de l'Église gallicane expira peu d'heures après, et, dit-on, dans de grands sentiments de piété. Dieu l'aura jugé sur sa foi et sur ses œuvres; à lui seul le secret de sa sentence. En attendant le grand jour de la manifestation, où Chacun apparaîtra tel qu'il fut, nous n'avons, pour juger Santeul, que des

 

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actions extérieures; mais, encore une fois, il nous paraît que ni la gravité de ses mœurs, ni sa foi ne le rendront digne de l'honneur qu'on lui a fait.

Maintenant, le méritait-il   cet honneur, même sous le rapport simplement littéraire ? C'est là une grave question, et qui trouvera sa solution dans la partie de cet ouvrage ou  nous avons annoncé devoir traiter des formes du style liturgique. En attendant, voici encore ce que dit saint Bernard : « Que la phrase réforme les mœurs, crucifie les vices, enflamme l'amour, règle les sens.» Est-ce dire que l'hymnographe chrétien doit aller emprunter non-seulement le mètre de ses cantiques, mais le style, le tour, les expressions à ces lyriques anciens qui ne reçurent Vautres inspirations que celles d’une muse profane ou lascive ? On nous vante le beau latin, le génie antique

De Santeul ; il est vrai qu'en même temps on s’apitoie sur le style dégénéré des Pères de l’église, sur le langage barbare des mystiques et des légendaires du moyen âge ; que prouve tout cela, sinon que l'absurde controverse sur la supériorité des anciens et des modernes n'est pas encore jugée, aux yeux de plusieurs personnes?   Quant à nous, nous pensons, avec bien d'autres, que le latin  de saint Ambroise, de saint Augustin, de Prudence, de saint Léon, de saint Gélase, de saint Grégoire, de saint Bernard, etc., n'est pas la même langue  que  le   latin  d'Horace, de Ciceron,  de  Tacite,   de Pline ou  de Sénèque,  et   que vouloir faire rétrograder la langue de l'Église jusqu'aux formes païennes   de celles  du   siècle   d'Auguste, c'est une sottise, si ce n'est pas une barbarie mêlée d'inconvenance.   Les hymnes  de   Santeul   et   celles qui   leur ressemblent, sont  tout  simplement un  des  mille  faits qu'on aura à citer quand   on voudra raconter la  déplorable histoire  de  la  renaissance   du   paganisme   dans les mœurs et la littérature des sociétés chrétiennes d'Occident.

 

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Comment se fait-il que le sentiment de l'esthétique chrétienne se soit éteint chez nous, au point qu'il ne soit pas rare de rencontrer des ecclésiastiques qui conviennent et, au besoin, démontrent comment le pastiche du Parthénon bâti à Paris pour porter le nom d'église de la Madeleine, constitue une des plus énormes insultes dont le culte chrétien puisse être l'objet chez un peuple civilisé, et qui ne sentent pas l'inconvenance bien autrement grande de parler au vrai Dieu et à ses saints, la langue profane et souillée d'Horace ? Cependant, celui qui jette le bronze dans le moule d'une statue païenne, aura beau appeler du nom le plus chrétien le personnage qui en sortira, les formes accuseront toujours l'idée première et trahiront malgré lui le sensualisme qui inspira l'artiste. Placez tant que vous voudrez, dans les églises, en trophée, les dépouilles des temples païens; faites que les idoles rendent témoignage de leur défaite; mais voulez-vous accroître le répertoire des chants sacrés de cette religion qui terrassa le paganisme ? n'allez pas, par une substitution sans exemple, expulser la parole et la langue des saints, pour inaugurer en triomphe, à leur place, la parole et la langue du chantre de toutes les passions.

Comment ne voit-on pas que les hymnes de Santeul sont, tout simplement, le produit, ou même, si l'on veut, le chef-d'œuvre d'une école littéraire, cette  école qui ne voyait le beau que dans la seule imitation des classiques anciens? Faut-il donc que l'Église aille prendre parti dans c cette querelle, et décider, jusque dans ses offices, pour le Parnasse de Boileau ? Voilà pourtant ce qu'on a fait; mais, comme il arrive  toujours, le monde  littéraire a  fait un pas; la notion du véritable chef-d'œuvre a été tant soit peu déplacée. Que fera désormais la France de  son Santeul quand elle s'apercevra enfin qu'il a vieilli comme l’Art poétique de Despréaux ? Une telle situation littéraire sera

 

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pourtant réelle quelque jour, et les Français expieront alors la grande faute d'avoir sacrifié à la mode, jusque dans les prières de la Liturgie. Certes, jamais ces écarts n'arriveraient si une Liturgie universelle fondait ensemble toutes les nationalités; le génie individuel produirait ses fruits plus ou moins beaux ; mais la voix de l'Église ne répéterait que ce qui convient à l'humanité tout entière. Voyez ces hymnes séculaires que tous les bréviaires français ont conservées : Audi, benigne conditor; Vexilla regis; les deux Pange, lingua; Veni, Creator; Ave, maris stella, etc. Pourquoi ces hymnes ont-elles trouvé grâce ? Ne forment-elles pas un contre-sens avec celles du répertoire de Santeul ? Est-ce la même langue, la même grammaire ? Non, sans doute ; elles sont aussi exclusivement chrétiennes que celles du poète victorin sont classiques. Quel aveuglement donc que d'avoir sacrifié, de gaieté de cœur, tant d'autres pièces analogues pour le style et l'onction, et d'oser encore recueillir dans un même bréviaire ces chefs-d'œuvre de poésie catholique avec les fantaisies lyriques de Santeul ! Vous convenez donc qu'il y a un style chrétien, une littérature chrétienne : d'autre part, vous voyez que ce que vous lui avez préféré n'est pas chrétien, puisqu'il diffère en toutes choses ; jugez vous-même l'objet de vos grandes prédilections.

D'ailleurs, à le considérer simplement comme latiniste, Santeul est-il sans reproches ? Ses hymnes sont-elles aussi pures qu'on le répète tous les jours ? C'est un procès que nous ne jugerons pas par nous-même, et qui nous entraînerait dans des détails par trop étrangers à cette rapide histoire de la Liturgie. Néanmoins, pour faire plaisir à ceux de nos lecteurs qui aiment la poésie latine, nous placerons à la fin de ce volume une pièce curieuse que nous tirons d'un ouvrage fort rare, l’Hymnodia   Hispanica du   P.   Faustin   Arevalo.  C'est une

 

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critique détaillée des hymnes du célèbre victorin, extraite du Menagiana, dans lequel La Monnoie, qui en est l'auteur, l'a déposée; le savant jésuite y a joint ses propres remarques, et le tout font un ensemble fort piquant.

Mais c'est assez parler de Santeul et de son latin; nous devons dire maintenant quelques mots de la composition des chants qu'on plaça, tant sur ces hymnes d'un mètre jusqu'alors inconnu dans l'Eglise, que sur ces nombreux répons et antiennes qui avaient été fabriqués avec des passages de la sainte Écriture. Il nous reste aujourd'hui peu de renseignements sur les auteurs de ces différentes pièces; mais elles sont là pour attester que l'art de la composition grégorienne était à peu près perdu vers la fin du dix-septième siècle. Les antiennes, les répons, les hymnes nouvelles du Bréviaire de Harlay sont de la composition de Claude Chastelain, que nous avons déjà nommé parmi les membres de la commission formée pour la rédaction de ce bréviaire. Malgré la sécheresse et parfois la légèreté de sa composition (1), comme il était rare qu'on eût alors du plain-chant à composer, grâce à l'immobilité des usages romains, ce travail,tel quel, mit Chastelain en réputation. Plusieurs évêques qui l'avaient chargé d'exécuter des réformes dans leurs bréviaires, à l'instar de celles de François de Harlay, lui demandèrent de se charger de la composition des pièces de chant. Une petite partie du travail de Chastelain est restée dans la Liturgie actuelle de Paris; elle se compose des pièces introduites dans le Bréviaire, ou dans le Missel de Harlay, et qui n'ont pas été remplacées dans les livres de Vintimille, et nous serons assez juste pour reconnaître dans quelques-unes le caractère véritable du chant grégorien; tels sont le répons Christus novi Testamenti du samedi saint, l'introït de l'Assomption,

 

(1) C'est le jugement de l'abbé Le Beuf, dans son Traité historique sur le Chant ecclésiastique, pag. 5o.

 

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Astitit Regina; celui de la Toussaint, Accessistis, qui est imité avec bonheur du Gaudeamus romain, etc. Le chant de l'hymne Stupete, gentes, qui est bien le plus beau, et presque le seul beau qu'on ait composé sur les hymnes d'un mètre inconnu à l'antiquité liturgique (1), appartient sans doute à Chastelain, car nous croyons qu'il a été composé dans l'Eglise de Paris, à l'époque même où ce compositeur y travaillait. Au reste, on voit aisément qu'il s'est inspiré d'un Salve Regina du cinquième ton, qui se chante depuis plusieurs siècles en France et en Italie, et qui doit avoir été composé du treizième au seizième siècle.

Nous ne devons pas non plus oublier, à l'époque qui nous occupe, un habile compositeur de plain-chant dont l'œuvre a acquis en France une juste célébrité. Henri Dumont, né à Liège en 1610, organiste de Saint-Paul, à Paris, et l'un des maîtres de la musique de la chapelle du roi, se montra fidèle gardien des traditions ecclésiastiques sur la musique. Ce fut lui qui eut le courage d'objecter à Louis XIV les décrets du concile de Trente, lorsque ce prince lui ordonna de joindre désormais aux motets des accompagnements d'orchestre. L'archevêque de Paris, François de Harlay, leva bientôt les scrupules que la résistance de Dumont avait fait concevoir au roi ; mais, peu de temps après, Dumont demanda et obtint sa retraite (2). Il mourut en 1684, et laissa plusieurs messes en plain-chant, dont l'une, celle du premier ton, se chante dans   toutes  les Églises de  France, dans  les jours de

 

(1)   C'est à tort que certaines personnes voudraient faire honneur au XVII° et au XVIII° siècle, de la composition du chant admirable sur lequel on a mis l'hymne : O vos œtherei, du jour de l'Assomption. L'Ordre de Cîteaux était en possession de ce chant, plusieurs siècles avant la naissance de Santeul. Il fut composé au moyen âge pour la belle hymne de saint Pierre Damien : O quam glorifica luce coruscas !

(2)  Fétis. Biographie des musiciens, tom. III, pag. 235. Voyez aussi le Dictionnaire des musiciens de Choron et Fayolle.

 

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solennité. A une époque où la tradition grégorienne était perdue, il était difficile de produire avec le plain-chant de plus grands effets que Dumont ne l'a fait dans cette composition qu'une popularité de cent cinquante années n'a point usée jusqu'ici.

Nous nous bornerons à ces quelques lignes sur le chant ecclésiastique dans la seconde moitié du XVII° siècle, en ajoutant toutefois qu'en dehors du plain-chant dont nous nous occupons principalement, on fabriqua à cette époque un grand nombre de pièces du genre qu'on appelait chant figuré, ou plain-chant musical, genre bâtard que nous aurons encore occasion de mentionner, et qui forme la plus déplorable musique à laquelle une oreille humaine puisse être condamnée. Le musicien Nivers, entre autres, prit la peine de réduire à cette forme le Graduel et l'Antiphonaire romains, pour l'usage des religieuses bénédictines, et cet essai servit de modèle à une foule d'autres compositions du même genre.

Si de la science du chant ecclésiastique nous passons à l'architecture religieuse, nous remarquons la même déviation que nous avons signalée dans la Liturgie. A l'époque de l'unité liturgique, sous les règnes de Henri IV et de Louis XIII, la Renaissance prolongeait encore son dernier crépuscule ; dans la seconde moitié du XVII° siècle, tout devient dur et froid; si l'on excepte la coupole des Invalides qui appartient tout à fait à l'Italie, on sent la pierre dans toute cette architecture nue et morne. On bâtit des églises qui n'ont plus de nombres sacrés, ni de mystères à garder dans les particularités de leur construction. On modernise sans pitié les vieilles cathédrales; on défonce leurs vitraux séculaires, en même temps qu'on répudie les saintes et gracieuses légendes dont ils étaient dépositaires; d'ailleurs, comme l'observe le noble champion de l'art catholique, M. le comte de Montalembert, il

 

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fallait bien y voir clair pour lire dans tous ces nouveaux bréviaires remplis de choses inconnues aux siècles précédents.

Qui eût osé élever la voix en faveur de nos antiques églises et défendre leur solennel caractère, les proclamer catholiques dans   leur  style   incompris ?   Les  hommes croyants de ce temps-là étaient parvenus à se  créer une nature contre nature, à force de   rechercher le beau là où il n'est pas. Ces mêmes édifices sacrés du moyen âge qui forcent aujourd'hui l'admiration des hommes   les   plus éloignés de nos   croyances, le XVII° siècle   les dédaigna comme barbares et  vides de  toute espèce de beauté. Et non-seulement les   hommes de cette   époque   sentaient ainsi,  mais   il   se  trouvait des écrivains pour le dire et l'écrire tout simplement; témoin Fleury, dans   son cinquième discours  sur l'histoire   ecclésiastique,  qu'il emploie tout  entier à dénigrer les écoles   du moyen âge, avec un zèle et une amertume dignes de faire envie à Calvin. Il   dit donc, le sage et judicieux  écrivain,   en   parlant d'Albert le Grand, de Scot et des autres docteurs des XII° et XIII° siècles, sans doute pour excuser leur barbarie: « Souvenons-nous que ces théologiens vivaient dans un temps dont tous les autres monuments ne   nous paraissent point estimables, du moins par rapport à la bonne antiquité; du temps de ces vieux romans dont nous voyons des extraits dans Franchet ; du temps de ces bâtiments gothiques si  chargés de petits ornements, et si peu agréables en effet qu'aucun architecte  ne voudrait les imiter. Or, c'est une observation véritable   qu'il   règne en chaque   siècle un certain  goût qui  se répand   sur toutes sortes de choses. Tout ce qui nous reste de l'ancienne Grèce est solide, agréable et d'un goût exquis : les restes de leurs bâtiments, les statues, les médailles, sont du même  caractère en  leur genre que les écrits d'Homère, de Sophocle, de Démosthène et de Platon :

 

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partout règne le bon sens de l'imitation de la plus belle a nature. On ne voit rien de semblable dans tout ce qui nous reste depuis la chute de l'Empire romain, jusques au milieu du XVe siècle, où les sciences et les beaux-arts ont commencé à se relever, et où se sont dissipées les ténèbres que les peuples du Nord avaient répandues dans toute l'Europe. »

Voilà, sans doute, quelque chose d'assez clair, et on ne dira plus maintenant que nous exagérons quand nous faisons certains hommes et certaines doctrines responsables de la déviation lamentable dont nous écrivons l'histoire. Ces hommes savaient ce qu'ils faisaient, et c'était après y avoir bien réfléchi qu'ils proclamaient leur propre religion complètement nulle en esthétique durant quinze siècles, après lesquels cette même religion, s'éclairant enfin sur sa propre nudité, s'était avisée d'aller demander à l'art grec qu'il voulût bien la voiler de ses formes. Oui, ceci fut résumé ainsi, écrit ainsi, à la fin du XVII° siècle au moment où l'on commençait à mettre en lambeaux la Liturgie, cette divine esthétique de notre foi, à la veille de ce XVIII° siècle qui jugea qu'il fallait en finir avec l'œuvre envieillie de saint Grégoire qu'avait implantée chez nous cet empereur barbare dont le nom était Charlemagne.

La peinture catholique expira en France avec l'unité liturgique. Le Sueur terminait, en 1648, les fresques immortelles du cloître des Chartreux ; il ne survécut que trois ans à l'achèvement de cette oeuvre bien autrement liturgique que les Sacrements de Poussin, qui donnent si peu ce qu'ils promettent. Quant à la statuaire, elle déclina aussi avec l'antique poésie du culte. Les traditions perdaient du terrain, à la fois, sous tous les points. Le XVII° siècle, en finissant, inaugura tardivement, à Notre-Dame, le fameux Vœu de Louis XIII de Nicolas Coustou, et ce fut pour proclamer le plus énorme contre-sens qu'il fût possible de commettre en pareille matière.   Nous ne

 

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parlons pas de l'ignoble maçonnerie dont on plaqua si indignement les colonnes du sanctuaire; mais est-il une idée plus inintelligente que celle d'avoir établi en permanence, comme le centre des vœux et des hommages des fidèles, dans la basilique de Marie triomphante, la scène du Calvaire qui nous montre la Vierge éplorée, adossée à la croix, soutenant sur ses genoux le corps glacé du Christ; en sorte qu'au jour même de Pâques, il faut que le pontife célébrant les saints mystères de la Résurrection, pendant que l’Alléluia retentit de toutes parts, ait encore sous les yeux, comme une protestation, la scène lugubre du vendredi saint; et que le jour de l'Assomption, tout en exaltant la magnifique entrée de la mère de Dieu dans le royaume de son Fils, il la retrouve encore immobile et abîmée dans cette douleur à laquelle nulle autre ne peut être comparée ? Certes, les siècles précédents, illuminés de pures traditions liturgiques, auraient compris autrement le Vœu de Louis XIII; c'est aux pieds de Marie, reine de l'univers, le front ceint du diadème, ou encore aux pieds de Marie, mère du Sauveur des hommes, et tenant l'Enfant-Dieu, entre ses bras qu'ils auraient placé l'effigie des deux rois qui représentent la nation française offrant son hommage à sa glorieuse souveraine. Nous ne citerons que ce seul trait; mais de pareils faits se produisirent en tous lieux, à l'époque de décadence que nous avons caractérisée dans ce chapitre.

Si, après la France, nous considérons maintenant les autres églises de l'Occident, nous voyons qu'elles continuèrent de garder les traditions antiques sur la Liturgie, par cela seul qu'elles s'en tinrent fidèlement aux livres romains de saint Pie V. Les papes accomplirent durant cette période les différents travaux de correction, d'augmentation et de complément qu'ils jugèrent nécessaires. Pour le bréviaire et le missel, ils se bornèrent à insérer plusieurs offices de saints et de mystères sur lesquels   ils

 

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jugeaient devoir porter l'attention des fidèles. Il est bien entendu que les églises de France qui avaient accompli les innovations dont nous avons fait l'histoire, ne tinrent aucun compte de l'injonction du Pontife romain et s'isolèrent de plus en plus, par ce moyen, du reste de la catholicité : mais elles étaient encore en petit nombre.

Le premier pape que nous rencontrons à l'époque qui fait l'objet de notre récit, est Innocent X, successeur d'Urbain VIII. Voici les offices des saints qu'il ajouta au calendrier: sainte Françoise, dame romaine, du rite double, et saint Ignace de Loyola, du rite semi-double. La fête de sainte Claire fut établie semi-double ad libitum, et celles de sainte Thérèse et de saint Charles Borromée, déclarées semi-doubles, non plus ad libitum, mais d'obligation.

Alexandre VII éleva saint Charles Borromée au rang des doubles, et saint Philippe de Néri au rang des semi-doubles,et introduisit au calendrier saint François de Sales dont il composa lui-même la belle collecte, saint Pierre Nolasque, et saint Bernardin de Sienne, comme semi-doubles d'obligation; saint André Corsini, et saint Thomas de Villeneuve, du même rite, mais seulement ad libitum.

Clément IX établit l'office double de saint Philippe de Néri, de saint Nicolas de Tolentino, et de sainte Thérèse. Il inaugura dans le bréviaire, avec le degré de semi-double, sainte Monique et saint Pierre Célestin, pape, et déclara d'obligation les offices, jusqu'alors semi-doubles ad libitum, de saint Jean Gualbert, de saint Henri II, et des Stigmates de saint François, ayant, en outre, établi, du même rite, mais ad libitum, les fêtes de saint Vincent Ferrier, de saint Raymond Nonnat et de saint Remy.

Clément X, celui de tous les papes de cette époque qui donna  le plus grand nombre de nouveaux offices, éleva

 

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au degré des doubles de seconde classe la fête de saint Joseph, et introduisit comme double mineure celle de sainte Elisabeth de Hongrie. De plus, il fit doubles, de semi-doubles qu'elles étaient, les fêtes de saint François-Xavier, de saint Nicolas, évêque de Myre, de saint Pierre Nolasque, de saint Pierre, martyr, de sainte Catherine de Sienne, de saint Norbert, de saint Antoine de Padoue, de sainte Claire, de sainte Cécile, de saint Eustache et ses compagnons, martyrs, et de saint Bruno. La fête des saints Anges gardiens, qui était du rite double, mais simplement ad libitum, fut déclarée de précepte pour toute l'Église. Les offices de saint Raymond de Pennafort, de saint Venant, martyr, de sainte Marie-Magdeleine de Pazzi, de saint Gaétan de Thienne, de saint Pierre d'Alcantara, et de saint Didace ou Diego,furent introduits comme semi-doubles. Clément X établit du même degré, mais simplement ad libitum, les fêtes de saint Canut, roi de Danemark et martyr, et de saint Wenceslas, duc de Bohême, aussi martyr. Par ces nombreuses additions au calendrier, Clément X peut être considéré comme l'auteur d'une véritable révolution liturgique. Jusqu'à lui, on n'avait admis de nouveaux doubles qu'avec modération, afin de sauver la prérogative du dimanche, et les semi-doubles mêmes n'avaient été créés qu'en petit nombre; ce pape dérogea à cette règle d'une manière si solennelle, qu'après lui la plupart des offices qu'on a établis l'ont été du rite double; ce qui a changé définitivement la face du calendrier romain.

Innocent XI institua la fête du saint Nom de Marie, double majeur, et éleva au degré double les fêtes jusqu'alors semi-doubles de saint Pierre Célestin, saint Jean Gualbert, saint Gaétan de Thienne, saint Raymond Nonnat, et saint Janvier. Il décréta, du rite semi-double, les fêtes de saint Etienne, roi de Hongrie, et de saint Edouard le confesseur, roi d'Angleterre.

 

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Alexandre VIII, dans son court pontificat, établit semi-double l'office de saint François de Borgia, et, seulement ad libitum, du même degré, celui de saint Laurent Justinien.

Innocent XII institua l'octave de la Conception de la sainte Vierge et la fête de Notre-Dame de la Merci, du rite double mineur. Il éleva au degré double mineur les offices de saint François de Sales et celui de saint Félix de Valois, et inscrivit au calendrier, comme du même rite, les fêtes de saint Jean de Matha et de saint Philippe Benizzi. Enfin, il rendit semi-doubles d'obligation les offices de saint André Corsini, de saint Alexis et de saint Thomas de Villeneuve.

Le calendrier romain reçut, comme l'on voit, de grandes augmentations à l'époque qui nous occupe; mais toutes ces additions n'atteignaient en rien le corps même du bréviaire et du missel. Ces offices nouveaux étaient une richesse pour l'Église, et comme un surcroît de splendeur à la couronne de l'année chrétienne. En cela même, se manifestait énergiquement la différence des principes catholiques sur la Liturgie d'avec les théories humaines des liturgistes français. Ainsi, à Rome, le culte des saints prenait de nouveaux développements, en proportion des restrictions dont il était l'objet en France.

Durant la seconde moitié du XVII° siècle, les pontifes romains n'exécutèrent aucun travail sur le pontifical, ni sur le rituel. Le cérémonial des évêques fut seul l'objet d'une réforme,qui eut lieu par les soins d'Innocent X, et qui fut promulguée dans un Bref du 3o juillet 165o, qui commence par ces mots : Etsi alias. Clément X, en 1672, donna une nouvelle édition du martyrologe, dans laquelle il plaça en leurs jours, avec un éloge convenable, les noms des saints canonisés par lui-même et par ses prédécesseurs immédiats.

 

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Venons maintenant à l'imposante liste des liturgistes que produisit notre époque : on peut dire qu'aucune autre ne s'est montrée plus féconde. En tête, nous placerons Guillaume Dupeyrat, Trésorier de la sainte chapelle de Vincennes, qui mourut, il est vrai, en 1643, mais laissa un ouvrage qui fut imprimé après sa mort, sous ce titre : Histoire ecclésiastique de la Cour, ou les Antiquités et Recherches de la chapelle et oratoire du Roi de France, depuis Clovis Ier. (Paris, in-folio.)

(165o). Jean-Baptiste Casali, savant antiquaire romain, a donné plusieurs ouvrages très-estimés au point de vue liturgique. Nous citerons son livre intitulé : De Veteribus sacris christianorum ritibus, sive, apud Occidentales, sive Orientales, catholica in Ecclesia probatis. (Rome 1647, in-folio.) Les autres ont pour but de recueillir les différents rites païens, tant des Égyptiens que des Romains, et ont été réunis dans une même publication faite à Francfort, en 1681 et 1684.

(1651.) Théophile Raynaud, jésuite, célèbre par le nombre de ses écrits, qui sont remarquables par une érudition aussi bizarre qu'étendue, est auteur de plusieurs ouvrages sur des matières liturgiques. On trouve, dans la grande et précieuse collection de ses ouvrages, publiée à Lyon, en vingt volumes in-folio, de 1665 à 1669, les traités suivants :

 

1° Christianorum sacrum Acathistum; judicium de novo usu ingerendi cathedras assistentibus christiano sacrificio;

2° De prima Missa, et prœrogativis christianœ Pentecostes ;

3° O Parascevasticum septiduanis antiphonis majoribus Natale Christi antecurrentibus prœfixum ;

4° Agnus cereus pontificia benedictione consecratus ;

5° Rosa mediana Romani pontificis benedictione consecrata :

 

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Ritus sacer dominicœ quartœ Quadragesimœ enucleatus ;

6° Natale Domini pontificia gladii et pilei initiatione solemne;

7° Tractatus de pileo, cœterisque capitis tegminibus, tam sacris quam profanis.

 

(1651). Jean Morin, prêtre de l'Oratoire de France, travailla durant trente années à l'ouvrage intitulé : Commentarius historicus de disciplina in administratione sacramenti Pœnitentiœ, tredecim primis sœculis in Ecclesia occidentali et huc usque in orientait observata. (Paris, 1651.) Il le fit suivre, quatre ans après, d'un autre livre non moins savant et tout aussi hardi que le précédent, sous ce titre : Commentarius de sacris Ecclesiœ ordinationibus, secundumrantiquos et recentiores Latinos, Grœcos, Syros, et Babylonicos, in quo demonstratur Orientalium ordinationes conciliis generalibus et summis Pontificibus, ab initio schismatis in hune usque diem fuisse probatas. (Paris, 1655, in-folio.) Le père Morin avait composé un grand traité de Sacramento Matrimonii qui est resté manuscrit, et dans lequel l'érudition était répandue avec profusion comme dans les précédents ; mais on y remarquait le même penchant pour les opinions suspectes. On imprima après sa mort l'ouvrage suivant : J. Morini opera posthuma de catechumenorum expiatione, de sacramento Confirmationis, etc. (Paris, 1708, in-4°.) De savants opuscules du P. Morin sur les matières liturgiques ont été publiés à diverses reprises, et notamment dans le premier tome des Mémoires de littérature du P. Desmolets, les lettres latines du savant oratorien à Allatius sur les basiliques chrétiennes. Richard Simon fit imprimer à Londres, en 1682, sous le titre de Antiquitates Ecclesiœ orientalis, la correspondance du P. Morin avec divers savants, sur plusieurs points importants d'antiquité ecclésiastique.

 

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(1651). Jacques Sirmond, l'un des plus savants hommes dont puissent s'honorer la France et la Société des jésuites, a laissé une histoire de la Pénitence publique, imprimée à Paris en 1651, in-8, et reproduite dans ses œuvres complètes qui ont été recueillies en cinq volumes in-folio. (Paris, 1696.)

(1651). François de Harlay, archevêque de Rouen, oncle de l'archevêque de Paris de même nom, mort en 1653, a laissé un volume in-8° intitulé : La Manière de bien entendre la messe de paroisse. Ce livre, rempli d'édification, fut réimprimé par ordre de l'archevêquede Paris,en 1685, avec une instruction pastorale pour exhorter les fidèles à y puiser leurs lectures.

(1651). Paul Aringhi, prêtre de l'Oratoire de Rome, est principalement connu par son ouvrage non moins précieux pour la science liturgique que pour l'étude des origines chrétiennes,et intitulé : Roma subterranea novissima, in qua post Antonium Bosium, Johannem Severanum et alios antiqua Christianorum et prœcipue Martyrum Cœmeteria illustrantur. (Rome, 1651,2 vol. in-folio.) Nous avons attendu l'article d'Aringhi pour parler d'Antoine Bosio, procureur de l'ordre de Malte en cour de Rome, à qui appartient la gloire d'avoir fondé la science des origines souterraines du christianisme à Rome, par son ouvrage, en langue italienne, intitulé : Roma sotterranea, qui fut publié après la mort de Bosio, avec des additions du P. Jean Severano de l'Oratoire de Rome, à qui nous devons aussi un ouvrage curieux et devenu rare qui porte ce titre : Memorie sacre delle sette chiese di Roma. (A Rome, 163o, in-8°.)

(1652). Jean Fronteau, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, mérite une place parmi les écrivains liturgistes, par deux excellentes dissertations, l'une de Diebus festivis cum nativitatis, tum mortis gentilium, hebrœorum, christianorum, deque ritibus eorum; et l'autre, de Cultu

 

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sanctorum, et imaginum et reliquiarum, et de adoratione veterum, deque ritibus et speciebus ejus.   Elles sont  placées    à   la   fin   du   fameux   Kalendarium   Romanum nongentis annis antiquis,   qu'il  publia sur un   manuscrit de l'abbaye  de  Sainte-Geneviève, en   1652. (Paris, in-8°.)

(1654). Barthélemi Corsetti,cérémoniaire italien, a donné un ouvrage sous ce titre : Novissima ac compendiosa praxis sacrorum rituum ac cœremoniarum quce in missis solemnibus, aliisque ecclesiasticis fonctionibus servari soient, ad instar Cœremonialis Episcoporum. (Venise, 1654, in-12.)

(1655). Paul-Marie Quarti,clerc régulier théatin, a laissé sur la Liturgie les ouvrages suivants: 1° Rubricœ missalis Romani commentariis illustratae. ( Rome, 1655, in-folio.) 2° De Sanctis Benedictionibus. (Naples, 1655, in-folio.) 3° Biga œtherea, hoc est tractatus duplex de Processionibus ecclesiasticis, et Litaniis sanctorum. (Venise, 1655, in-folio.)

(1655).Thomas Hurtado deMendoza, célèbre théologien de Tolède, est auteur d'un écrit intitulé ; De Coronis et tonsuris gentilitatis, synagogœ et christianismi, qui se trouve parmi ses œuvres imprimées de son vivant, à Cologne, en 1655, in-folio.

(1656). Joseph-Marie Suarès, évêque de Vaison, prélat rempli d'érudition, publia à Rome, en 1656, un travail liturgique sous ce titre : Corollaria ad Panvinium de Baptismate paschali, origine et ritu consecrandi Agnos Dei. (In-8°.) Il a donné aussi une dissertation de Crocea veste cardinalium in conclavi. (Rome, 1670, in-4°.) Zacca-ria mentionne plusieurs autres ouvrages, comme de Psalterio Basilicœ sancti Petri; de Ritu annuœ ablutionis arœ majoris Basilicœ sancti Petri, etc.

(1656). Jean-Jacques Olier, fondateur et premier supérieur de la communauté des prêtres et du séminaire de

 

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Saint-Sulpice, à Paris, mérite une place distinguée dans la bibliographie liturgique de l'époque que nous  traitons, par son admirable Traité des saints ordres (Paris, 1676, in-12), et par son Explication des cérémonies de la grand'messe de Paroisse.(1656, in-12.) Ce saint prêtre,l'un des derniers écrivains mystiques de la France, avait reçu d'en haut l'intelligence des mystères de la Liturgie , à un degré rare avant lui, nous dirions presque inconnu depuis. Il fut en cela le digne contemporain du cardinal Bona; mais Olier était déjà mort en 1667.

(1656). Thomas Tamburini,jésuite sicilien,a laissé,entre autres ouvrages, le suivant : De Sacrificio missœ expedite celebrando libri tres. (1656, in-18.)

(1657). Charles Guyet, savant jésuite français, est un des hommes qui ont le mieux mérité de la science liturgique, par l'admirable traité qu'il a donné sous ce titre : Heortologia, sive de festis propriis locorum et Ecclesiarum. (Lyon, 1657,in-folio, réimprimé à Urbinen 1728.) Guyet, à la fin de son livre, a inséré un grand nombre d'hymnes dont les unes sont de sa composition et les autres simplement retouchées par lui, à l'usage de plusieurs églises de France. Quelques-unes de ces hymnes ont été admises dans les nouveaux bréviaires, où elles contrastent grandement avec celles de Santeul, pour le style et le genre d'inspiration. Le P. Guyet avait composé aussi un Ordo perpetuus divini officii. (Paris, 1622,in-8°.)

(1657). Simon Wagnereck, jésuite bavarois, a extrait des livres d'offices des Grecs, un choix d'hymnes et autres prières en l'honneur de la sainte Vierge, et l'a publié sous ce titre : Pietas Mariana Grœcorum, ex XII tomis Menœorum, et VII reliquis Grœcœ ecclesiœ voluminibus deprompta.

(1658). Jean-Baptiste Mari, chanoine d'une collégiale de

 

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Rome, a composé l'ouvrage suivant : Diatriba de mystica rerutn significatione quœ in sanctorum canonizatione ad missarum solemnia summo Pontifici offerri solent. (Rome, 1658, in-8°.)

(1662). Jean du Tour ne nous est connu que par Zaccaria qui lui attribue un traité de Amictu, veste sacerdotali, de origine, antiquitate, et sanctitate vestium sacer-dotalium legis naturœ, mosaicœ et evangelicœ, et de prœcepto hominibus dato orandi in Ecclesia nudo capite. (Parisiis, 1662, in-4.)

(1664).   François Van der   Veken, théologien   de  la Pénitencerie romaine, mort en 1664, avait publié l'ouvrage  suivant, qui  a  été depuis traduit en  italien : In Canonem  sacrificii   expositio   brevis.   (Cologne,   1644, in-12.)

(1664). Dom Hugues Vaillant, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, nous semble le premier homme de son siècle pour la composition liturgique. Nous citerons, en preuve de notre assertion, l'admirable office de sainte Gertrude, qui a été adopté successivement par l'ordre de Saint-Benoît tout entier. Il a composé pareillement l'office de saint Maur, qui est aussi d'une grande beauté, mais en usage seulement chez les bénédictins français. Dom Vaillant était tellement célèbre par le rare talent que Dieu avait mis en lui, qu'ayant composé, en 1666, un office de saint François de Sales, non-seulement l'évêque d'Auxerre l'adopta pour son diocèse, mais l'archevêque de Narbonne lui-même l'établit dans les onze évêchés de sa province.

(1666). Gilbert Grimaud, chanoine de la métropole de Bordeaux, est auteur d'un ouvrage excellent, sous ce titre: La Liturgie sacrée, où l'antiquité, les mystères et les cérémonies de la sainte Messe sont expliqués. Ensemble, diverses résolutions au sujet de la mémoire des trépassés, avec un traité de l’eau  bénite, du pain   bénit, des processions

 

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et des cloches. (Lyon, 1666, in-4°, et Paris, 1678, 3 volumes in-18.)

(1667). Du Molin, primicier de l'église métropolitaine d'Arles, est auteur d'un ouvrage de Liturgie pratique, presque oublié aujourd'hui, mais fort remarquable en son genre. Il est intitulé : Pratique des cérémonies de l'Eglise, selon l’usage romain, dressée par ordre de l'Assemblée générale du Clergé de France. Nous n'avons entre les mains que la seconde édition qui est de Paris, 1667, in-4°.

(1667). Arnaud Peyronnet, théologal de la cathédrale de Montauban, a composé un excellent livre, intitulé : Manuel du bréviaire romain, où sont exposées clairement et méthodiquement les raisons historiques et mystiques des heures canoniales. (Toulouse, 1667, 4 vol. in-8°.)

(1668). François Macedo de Saint-Augustin, franciscain , portuguais, a laissé : 1° Concentus euchologicus sanctce MatrisEcclesiœ in breviaria, et sancti Augustini in libris. (Venise 1668, in folio.) 2° Azymus Eucharisticus sive Joannis Bona doctrina de usu fermentati in sacrificio Missœ per mille et amplius annosa Latina ecclesia observato, examinata, expensa, refutata. (Vérone, 1673, in-8°.) 3° De Diis tutelaribus orbis Christiani. (Lisbonne, 1687, in-folio.) Cet auteur bizarre aurait eu besoin d'une érudition plus nourrie et d'un jugement plus sain.

(1668). Jean-Baptiste Thiers, curé de Vibraye au diocèse du Mans, homme hardi dans ses jugements et célèbre par l'originalité de ses productions, s'exerça principalement sur les matières liturgiques. Nous citerons de lui: 1° De Festorum dierum immunitione liberpro defensione Constitutionum Urbani VIII, et Gallicanœ ecclesiœ Pontificum. (Lyon, 1668, in-12.)

Dissertatio de retinenda in ecclesiasticis libris voce Paraclitus. (Lyon, 1669, in-12.)

 

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3° DeStola in archidiaconorum visitationibus gestanda a Parochis. (Paris, 1674, in-12.)

Traité de l'Exposition du Saint Sacrement de l'autel. (Paris, 1679, 2 vol. in-12.)

Dissertation sur les porches des églises. (Orléans, 1679, in-12.)

Traité des superstitions. (Paris, 1704, 4 vol. in-12.)

Dissertations ecclésiastiques sur les principaux autels, la clôture du chœur, et les jubés des églises. (Paris, 1688, in-12.)

Histoire des perruques. (Paris, 1690, in-12.)

Observations sur le nouveau Bréviaire de Cluny. (Bruxelles, 1702, 2 vol. in-12.)

10° Traité des cloches, et de la sainteté de l'offrande du pain et du vin, aux messes des morts. (Paris, 1721, in-12.)

Parmi ces divers écrits que nous venons de citer, deux ont été mis à l’Index, à Rome, savoir celui de la Diminution des fêtes et le Traité des superstitions. Les Observations sur le nouveau Bréviaire de Cluny sont devenues rares : l'ouvrage ayant été supprimé en France, par le crédit du cardinal de Bouillon qui avait publié ce bréviaire, en qualité d'abbé de Cluny.

(1669). François-Joseph Taverna, capucin, a publié un livre intitulé : Copiosa raccolta di vaghi et varj jiori nell' ameno campo de' sacri riti. (Palerme, 1669, in-4°.)

(1669). Dominique Macri ou Magri, chanoine théologal de l'église de Viterbe, est un des principaux liturgistes de son époque. Il a mérité ce titre par l'ouvrage suivant : Notifia de' vocaboli ecclesiastici, con la dichiarazione delle ceremonie, dell' origine dei riti sacri, voci barbare efrazi usate da’ Santi Padri, concilj e scriptori ecclesiastici. (Messine, 1644, in-4°;Rome, 1650-1669, etc.) Cet

 

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ouvrage important fut traduit en latin et imprimé deux fois en Allemagne; mais Charles Macri, ou Magri, frère de Dominique, peu satisfait de cette traduction, en fit une nouvelle et la publia sous ce titre : Hierolexicon, sive sacrum dictionarium, in quo ecclesiasticœ voces, earumque etymologice, origines, symbola, carremoniœ, dubia, barbara vocabula, atque sacrœ Scripturce et sanctorum Patrum phrases obscurœ, elucidantur. (Rome, 1677,in-folio.) L'ouvrage réimprimé à Venise en 1765 (2 vol. in-4°), a été considérablement augmenté.

(1670). Jean de Launoy, docteur de Sorbonne, l'un des plus audacieux critiques de son temps, soupçonné même de socinianisme, influa grandement sur les destinées de la Liturgie en France, par ses écrits contre l'Assomption de la sainte Vierge et contre les traditions relatives à saint Denys l'Aréopagite, sainte Marie-Madeleine, saint Lazare et les divers apôtres de nos églises. Il appartient à notre bibliothèque par les ouvrages suivants, que nous trouvons réunis dans la collection de ses œuvres publiées à Genève (1731), en 10 volumes in-folio: Dissertatio de veteri more baptizandi judœos et infidèles. — Dissertatio de priscis et solemnibus baptismi temporibus. Nous devons mentionner aussi son livre de Sacramento Unctionis infir-morum. (Paris, 1673, in-8.)

(1670). Chrétien Wolf, savant augustin, plus connu sous le nom de Lupus, appartient aussi à la liste des liturgistes du XVII° siècle par les ouvrages suivants, qui ont été recueillis dans ses œuvres complètes, publiées à Venise (1724-1729, douze tomes in-folio). 1° Dissertatio de sanctissimi Sacramentipublica expositione et de sacris processionibus. 2° De Consecratione episcoporum per Romanum pontificem. 3° De veteri disciplina militiœ christianœ. 4° De sacerdotalis benedictionis antiquitate, forma et fructu et de maledictione. On peut encore trouver des choses très-importantes pour la science liturgique dans le

 

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grand et orthodoxe ouvrage de Lupus sur les conciles, qui porte ce titre : Synodorum generalium et provincialium statuta et canones, cum notis et historicis dissertationibus. (Louvain et Bruxelles, 1665-1673, 5 vol. in-4°.)

(1670). Jean Bona, abbé général des Feuillans et cardinal, peut être considéré non-seulement comme l'un des plus saints et des plus savants hommes qui aient été revêtus de la pourpre romaine, mais aussi comme l'un des plus illustres liturgistes de l'Eglise catholique. Ses ouvrages peu nombreux, il est vrai, sont et demeureront à jamais autant de chefs-d'œuvre. Nous entendons parler des deux principaux qui sont: 1° Rerum liturgicarum libri duo. (Rome, 1671, in-4°.) 2° Psallentis Ecclesiœ harmonia. (Rome 1653, in-4°.) Ce dernier ouvrage est intitulé: De divina Psalmodia, dans l'édition de Paris, 1663. Les œuvres de Jean Bona ont été recueillies plusieurs fois et sont assez faciles à rencontrer. Les lettres de ce savant cardinal, dans lesquelles il traite tantôt à fond, tantôt par occasion, de nombreuses questions liturgiques, n'ont paru que dans l'édition de Robert Sala, à Turin, 1747. Le cardinal Bona a donné des preuves de son talent pour la composition liturgique, dans les excellentes leçons et la gracieuse oraison qu'il a rédigées pour la fête de sainte Rose de Lima, au Bréviaire romain.

(1670). Robbes, docteur de Sorbonne, personnage que nous ne connaissons que par son livre, est auteur d'une  Dissertation sur la manière dont on doit prononcer le canon et quelques autres parties de la messe. (Neufchâteau,

1670, in-12.)

(1671). En cette année, fut publié à Rome, à l'imprimerie de la Propagande, l'opuscule suivant, in-4° : Instructio super aliquibus ritibus Grcecorum ad episcopos Latinos, in quorum diœcesibus Graeci, vel Albanences degunt. 

 

(1672). Charles Settala, évêque de Derton, est auteur

 

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d'un ouvrage qui a pour titre: Misterj,e sensimistici delle Messa. (Derton, 1672, in-4°.)

(1672). François-Marie Brancacci, cardinal, a publié huit dissertations à Rome, 1662, in-folio. Parmi ces dissertations, plusieurs traitent de matières liturgiques, telles sont celles : De privilegiis quibus gaudent cardinales in propriis capellis. — De sacro viatico in extremo vitae periculo certantibus exhibendo. — De benedictione diaconali. — De altarium consecratione.

(1673). Martin Claire, jésuite, entreprit une correction des hymnes du Bréviaire romain, qui n'a jamais été adoptée dans aucune église, mais dont il fit jouir le public sous ce titre: Hymni ecclesiastici novo cultu adornati. (Paris, 1673, in-4°.) Il s'en est fait depuis plusieurs éditions. Le travail du Père Claire est précédé d'une dissertation De vera et propria hymnorum ecclesiasticorum ratione, et suivi de plusieurs hymnes très-bonnes en l'honneur des saints de sa compagnie.

(1673). Dom Benoît de Jumilhac, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, a composé sur le chant ecclésiastique un ouvrage qui peut être considéré comme un chef-d'œuvre d'érudition et de science musicales. Il est intitulé: La science et la pratique du plain-chant, où tout ce qui appartient à la pratique est établi par les principes de la science, et confirmé par le témoignage des anciens philosophes, des Pères de l'Église, et des plus illustres musiciens, entre autres de Gui Arétin et de Jean des Murs. (Paris, 1673, in-4°.)

(1676). Nous plaçons sous cette date les Conférences ecclésiastiques du diocèse de La Rochelle, ouvrage fort remarquable qui a même été traduit en langue italienne, et dans lequel un grand nombre de questions relatives à la Liturgie sont traitées avec érudition et sagacité. Notre exemplaire est de la seconde édition, 1676, à La Rochelle, in-12.

 

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(1777). Raymond Capisucchi, dominicain, maître du sacré palais, puis cardinal, a donné sous ce titre : Controversiœ theologicœ selectœ (Rome, 1677, in-folio), une suite de dissertations parmi lesquelles plusieurs ont trait à la Liturgie; telles sont celles où il parle du mélange de l'eau et du vin dans le calice, de la bénédiction de l'Eucharistie, de la forme de la consécration, de la communion pour les morts, du sens de ces paroles de l'offertoire, dans la Messe des morts : Domine Jesu Christe, rex gloriœ, libera animas omnium fidelium defunctorum de poenis inferni, etc., du culte des images, etc.

(1677). Etienne Baluze, l'un des plus doctes personnages de son temps, a droit d'être compté parmi les savants qui ont bien mérité de la Liturgie, par son édition du Comes, dit de saint Jérôme, qu'il publia sur un manuscrit de Beauvais et qu'il plaça dans l'appendice du deuxième tome de ses Capitularia regum Francorum.

(1677.) Jean de Sainte-Beuve, célèbre casuiste, a laissé aussi un traité intitulé : Tradition de l'Église sur les bénédictions. (Toulouse, 1679.)

(1679). Pierre Floriot, confesseur des religieuses de Port-Royal , donna en 1679 , in-8°, à Paris, un livre assez remarquable, sous ce titre : Traité de la messe de paroisse, où l’on découvre les grands mystères cachés sous le voile de la messe publique et solennelle.

(1680). Jean Garnier, jésuite français, publia à Paris, en 1680, in-4°, Ie fameux Liber diurnus Romanorum pontificum, dont nous avons parlé ailleurs, et qui est, sous plusieurs rapports, ainsi que nous l'avons dit, une des sources de la science liturgique.

(1680). Le bienheureux Joseph-Marie Tommasi théatin, puis cardinal, béatifié par Pie VII,est un des hommes qui

 

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ont le plus puissamment contribué à l'avancement de la science liturgique, par les monuments qu'il a publiés et annotés, et dont la connaissance suffirait à elle seule pour donner à un homme l'intelligence la plus complète des Liturgies occidentales.

1° Il a publié : Codices sacramentorum nongentis annis vetustiores. (Rome, 1680, in-4°.)

Psalterium juxta editionem Romanam et Gallicam, cum canticis, hymnario et orationali. (Home, 1683.)

Responsorialia et antiphonaria Romanae ecclesiœ a S. Gregorio magno, disposita cum appendice monumentorum veterum et scholiis. (Rome, 1686.)

Antiqui libri Missarum Romance ecclesiœ, id est Antiphonarium S. Gregorii. (Rome, 1691.)

Officium Dominicae Passionis, feria VI Parasceve majoris Hebdomadœ secundum ritum Grcecorum. (Rome, 1695.)

Psalterium cum canticis et versibusprimo more distinctum, argumentis et orationibus vetustis,novaque litterali explicatione brevissima dilucidatum.

Joseph Bianchini, de l'Oratoire de Rome, ayant résolu de donner une édition des œuvres du B. Tommasi, il en publia le premier volume, in-folio, à Rome, en 1741 ; mais cette édition n'eut pas de suite. En 1748, le père Antoine-François Vezzozi, théatin, en entreprit une autre en sept volumes in-4°, qui fut achevée à Rome, en 1754. Il est à regretter qu'il n'y ait pas fait entrer plusieurs choses importantes que comprenait déjà le travail de Bianchini. Cette édition n'en est pas moins le plus précieux répertoire pour les amateurs des antiquités liturgiques. Les six premiers volumes contiennent les ouvrages que nous venons d'énumérer (1).   Le  septième

 

(1) Il faut excepter pourtant l'office du vendredi saint suivant le rite grec, que Vezzozi a rejeté au septième volume, parmi les opuscules du B. Tommasi.

 

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est rempli par un grand nombre  d'opuscules dont nous citerons seulement ceux qui ont rapport à notre objet.

 

Breviculus aliquot monumentorum veteris moris quo christiani (a sœculo tertio) ad saeculum usque decimum utebantur in celebratione missarum, sive pro se, sive pro aliis vivis, vel defunctis et in ejusdem rei oneribus.

Missa ad postulandam bonam mortem, jussu dementis XI, circa annum 1706, composita.

Orationes et antiphonœ, petendœ a repentina morte liberationi accommodatœ. Eodem anno, jussu ejusdem Pontificis. Le Siège apostolique a, depuis, accordé des indulgences à la récitation de ces prières et de ces antiennes.

Annotationes miscellaneœ ad missale Romanum.

Notulœ in dubia proponenda Congregationi sacrorum Rituum pro nova impressione missalis.

Prisci fermenti nova expositio.

De fermento quod datur sabbato ante Palmas, in consistorio Lateranensi.

De privato ecclesiasticorum officiorum breviario extra chorum.

Ordo temporis servandus in recitatione officii ecclesiastici.

10° Trois dubia sur la consécration d'une église. Un votum sur la demande faite par les Napolitains d'ajouter les mots Patris nostri au nom de saint Janvier. Une note sur une supplique pour une fête du Père Éternel.

11° De translatione festi et ratione illud servandi, quando incidit in majorem Hebdomadam.

12° Riflessioni intorno ad una nuova accademia di Liturgia.

13° Scrittura nella quale si propa che  l'istituzione

 

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della Feria quarta, in capite jejunii e stata prima di S. Gregorio Magno, contro Vopinione del Menardo.

14° Breve istruzione del modo d'assistere fruttuosamente al S. Sacrificio della Messa secondo lo spirito, ed intenzione della chiesa.

(1680). François-Marie Florentini, de Lucques, publia en cette ville, en 1668, des notes précieuses sur le Martyrologe dit de saint Jérôme. Il fit paraître, quelques années après, un livre intitulé : Tumultuaria disquisitio de antiquo usu fermenti panis et azimi. (Lucques, 1680, in-4°.)

(1680). Louis Thomassin, prêtre de l'Oratoire de France, a porté dans l'étude de la Liturgie cette érudition intelligente qui caractérise tous ses écrits. Nous avons de lui sur cette matière : 1° Traité des jeûnes de l'Église. (Paris, 1680, in-8°.) 2° Traité des fêtes de l'Église. (Paris, 1683, in-8°.) 3° Traité de l'office divin. (Paris, 1686.)

(1680). Guillaume de la Brunetière, évêque de Saintes, est célèbre par les belles hymnes dont il a enrichi le Bréviaire de Paris. Ces compositions, d'une latinité pure et d'une versification correcte, contrastent, comme celles du P. Guyet, avec les odes et épodes de Jean-Baptiste Santeul. Nous citerons, entre autres, les belles hymnes du commun d'un confesseur pontife : Christe, pastorum caput, atque princeps ; et Jesu, sacerdotum decus.

(1680). Claude Santeul, du séminaire de Saint-Magloire, d'où lui vient le surnom de Maglorianus, est pareillement auteur de plusieurs hymnes du Bréviaire de Paris qui l'emportent sur celles de son frère le victorin, par l'onction et la simplicité. Il est inutile de les indiquer ici. Il paraît que l’hymnographie était innée dans cette famille, car on trouve encore un Claude Santeul, parent   des deux   premiers,   marchand  et  échevin   de

 

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Paris, qui a publié aussi un recueil d'hymnes. (Paris, 1723, in-8°.)

(1680). Michel Nau, savant jésuite, missionnaire dans le Levant, est auteur d'un livre intitulé : Ecclesiœ Romanae Grœcœque vera effigies. (Paris, 1680, in-4°.) Ce livre renferme beaucoup de choses sur la Liturgie des deux Églises.

(1681). Charles Cartari, prélat romain, a publié un livre curieux sous ce titre : La Rosa d'oro pontificia. (Rome, 1681, in-4°.)

(1682). Charles-Barthélémy Piazza, de la congrégation des oblats de Milan, a donné plusieurs ouvrages curieux sur les matières liturgiques. Il est auteur des ouvrages suivants : Iride sacra, ovvero de' colori ecclesiastici. (Rome, 1682, in-8°.) — Eorterologio, ovvero stazioni sacre Romane, efeste mobili, loro origine, sito e venerazione nella chiesa Romana, colle preci cotidiane. (Rome, 1702, in-8.) — Necrologj, o discorsi dell'uso, mistero ed antichità appresso diverse nazioni de' riti e cerimonie nell'esequie, e funerali, passati a'secoli nostri cristiani. (Rome, 1711, in-4°.)

(1682). Claude Fleury, suffisamment connu par son Histoire ecclésiastique et ses autres productions dans le même esprit, appartient à notre bibliothèque liturgique par ses Mœurs des chrétiens, ouvrage remarquable et bien connu, qui parut pour la première fois à Paris, en 1782,in-12.

(1682). Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, dont les savants et éloquents écrits embrassent tant de sujets, doit aussi être compté parmi les liturgistes de son temps, pour les deux ouvrages suivants : 1° Traité delà Communion sous les deux espèces. (Paris, 1681, in-12.) 2° Explication de quelques difficultés sur les Prières de la Messe. (Pagis, 1689, in-12.) .

(1682).  Jean-Gaspar Scheitzer, plus connu sous son

 

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nom latinisé de Suicerus, ministre calviniste et professeur de langues à Zurich, a droit de trouver place ici pour son bel ouvrage intitulé: Thesaurus ecclesiasticus de Patribus Grœcis, ordine alphabetico exhibens quœcumque phrases, ritus, dogmata, hœreses et hujusmodi alia spectant. (Amsterdam, 1682, deux volumes in-folio.) La seconde édition, qui est aussi d'Amsterdam, 1728, est corrigée et augmentée d'un supplément par les soins de Jean-Henri Suicerus, fils du précédent.

(1683). Nivers, organiste de la chapelle du roi, et maître de la musique de la Reine, est auteur d'une Dissertation sur le chant grégorien. (Paris, 1683, in-8°.) Ce livre, assez mal rédigé, est savant et annonce un amateur éclairé du chant ecclésiastique. Nous avons parlé ci-dessus des essais malheureux de Nivers sur l'Antiphonaire et le Graduel romains, à l'usage des religieuses; il a en quelque façon réparé ses torts en publiant une édition fort bonne pour le temps de l'Antiphonaire romain pur. (Paris, 1701, in-8°.)

(1685). Daniel Papebrok, jésuite,le plus illustre des successeurs de Bollandus, a inséré dans son Propylœum ad Acta sanctorum Maii (Anvers, 1685, in-folio), plusieurs dissertations sur des matières liturgiques. Nous citerons, entre autres, la trentième, de Lingua Slavonica in sacris apud Bulgaros, Moravosque recepta, et Apostolicae Sedis ea de rejudicio; la trente-cinquième, de Solemnium Canonizationum initiis, atque progressibus; la quarantième, de Forma pallii, aliorumque pontificalium indumentorum, medio œvo mutata; la quarante-troisième, de Officio pro festo Corporis Christi, Urbani IV jussu per sanctum Thomam composito, etc.

(1685). Emmanuel de Schelstrate, gardien de la bibliothèque du Vatican, non moins distingué par son attachement inviolable au Saint-Siège, que par sa profonde érudition, a publié un   ouvrage important sur  le secret

 

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des mystères, avec ce titre : De Disciplina arcani dissertatio apologetica. (Rome 1685, in-4°.)

(1685). Jean Cabassut, prêtre de l'Oratoire de France, dans sa Notitia ecclesiastica historiarum et conciliorum. (Lyon, 1670, in-folio), a inséré un grand nombre de dissertations dont plusieurs ont pour objet les matières liturgiques.

(1685). Dom Jean  Mabillon, bénédictin, l'éternel honneur de la congrégation de Saint-Maur, débuta dans sa carrière littéraire par une œuvre liturgique. Pendant son séjour à Corbie, il composa des hymnes en l'honneur de saint Adalhard et  de   sainte Bathilde,   et travailla aux offices propres de cette abbaye. Le recueil de ces différentes pièces porte ce titre : Hymni in laudem sancti Adalhardi et sanctœ Bathildis reginœ ; Officia Ecclesiœ Corbeiensi propria vel nova edita, vel vetera emendata; quœ omnia in unum collecta typis vulgata sunt ad ejusdem Ecclesiœ usum. (Paris, 1677, in-4°.) Dom Mabillon,en publiant avec Dom Luc d'Achery les  Acta sanctorum Ordinis sancti Benedicti, enrichit chacun des neuf volumes de cette précieuse collection d'une savante préface dans laquelle il traite avec profondeur un grand nombre de questions liturgiques. Ces préfaces ont même été recueillies à part dans un volume in-4°, publié à Rouen  en   1732.   En 1674, dom Mabillon donna sa Dissertatio de pane Eucharistico azimo et fermentato (Paris, in-8°) ; mais jusqu'alors il n'avait rien publié d'aussi important sur ces matières que son ouvrage sur la Liturgie gallicane.  Il porte ce titre:  De Liturgia Gallicana libri III, in quibus veteris Missœ, quœ ante  annos  mille apud  Gallos in usu erat forma ritusque eruuntur ex antiquis monumentis, lectionario Gallicano hactenus inedito, cum tribus missalibus Thomasianis, quœ  integra referuntur ; accedit  disquisitio de cursu Gallicano, seu de divinorum Officiorum origine et progressu in ecclesiis Gallicanis. (Paris, 1685, in-4°.)

 

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La Liturgie gallicane fut bientôt suivie du Musœum Italicum, dont le second volume est d'une importance inappréciable pour la science liturgique, à raison du texte de quinze Ordres romains que dom Mabillon y a recueillis, et du savant commentaire dont il les a enrichis. Le Musœum Italicum parut en deux fois, savoir le premier volume, à Paris, 1687, et le second, 1689, in-4°. En 1689, dom Mabillon donna un Traité où l'on réfute la nouvelle explication que quelques auteurs donnent aux mots de Messe et de Communion qui se trouvent dans la Règle de saint Benoit. (Paris, 1689 in-12.) Nous devons mentionner aussi sa lettre sur le culte des saints inconnus qui fitjtant de bruit et qu'il modifia de manière à satisfaire le Siège apostolique. Elle porte ce titre : Eusebii Romani ad Theophilum Gallum Epistola de cultu sanctorum ignotorum. (Paris, 1698, in-4°.)

(1685). Jacques de Saint-Dominique, dominicain, est auteur d'une Dissertation historique touchant la façon prescrite par les rituels ecclésiastiques, pour administrer sans péril la très-sainte Communion. L'ouvrage est sans indication de lieu d'impression.

(1686). Pompée Sarnelli de Bisceglia, homme d'une rare érudition, doit être mentionné ici pour son savant livre intitulé: Anticabasilicografia. (Naples, 1686.) Il estpareil-lement auteur des ouvrages suivants: Commentarj intorno al rito della Messaper que' sacerdoti cheprivatamente la celebrano. (Naples, 1686, in-12.) — Il Clero secolare nel suo splendore. — Lettere ecclesiastiche. (Naples, 1686.) Cette collection, publiée de nouveau à Venise, en 1718 (9 volumes in-4°), renferme de curieuses dissertations. Sarnelli y traite, entre autres matières, della canonica chiericale corona ; della canonica tonsura o rasura della barba chiericale; della barretta chiericale; dell'abuso del berrettino pressa i cerici dell'abito chiericale; dell'uso dell'annello per   le  persone   ecclesiastiche.      Sacra

 

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lavanda dipiedi de' tredici poveri, che si célébra nel Giovedi Santo. (Venise 1711.)— Lume a'principianti nello studio delle materie ecclesiastichee scritturali, aggiuntivi i commentarj sul rito della santà Messa, e una istruzione per i cappellani, che servono al Vescovo, quando célébra privatamente. (Venise, 1635.)

(1686). Dom Bernard Bissi, bénédictin de la congrégation du Mont-Cassin, a laissé un grand ouvrage pratique sur la Liturgie, qui jouit d'une réputation méritée. Il porte ce titre: Hierurgia, sive rei divinœ peractio. Opus absolutissimum, sacrorum et ecclesiasticarum cœremoniarum ea omnia complectens ac exactissime tradens quœ alibi sparsa reperiuntur, tam ea quœ ad sacrosanctum Missœ sacrificium privatum ac solemne celebrandum, quam ad divinum Officium rite et recte, publice ac private persolvendum ; Pontificalia exercenda ; Sacramenta administranda et ad cœteras omnes ecclesiasticas Functiones, ut decet complendas pertinent. (Gênes, 1686,2 vol. in-folio.)

(1688). Antoine Arnauld, docteur de Paris, digne coryphée de la. secte janséniste, peut revendiquer une large part, soit comme agent, soit comme patron, dans toutes les innovations liturgiques du XVII° siècle et des suivants. Il a été le promoteur ardent des théories sur l'emploi exclusif de l'Écriture sainte ; la traduction du Missel de l'abbé de Voisin le reconnaît pour un de ses auteurs; nul docteur plus que lui n'enhardit la conscience du clergé sur le chapitre de la résistance et de l'isolement à l'égard du Saint-Siège ; Nicolas Le Tourneux, Santeul et les autres furent ses adeptes passionnés. Il le leur rendit bien, lorsqu'il publia, à l'époque de la condamnation du Bréviaire romain traduit par Le Tourneux, l'ouvrage suivant : Défense des versions de l'Écriture, des offices de l'Église et des ouvrages des Pères, et en particulier de la nouvelle traduction du Bréviaire,

 

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contre   la   sentence de  l'official   de Paris,  du 10 avril 1688. (Cologne, 1688, in-12.)

(1688). En cette année, on publia à Rome l'ouvrage suivant, de Pompée Ugonius, professeur romain, mort en 1614 : Istoria delle Stazioni di Roma, che si celebrano la Quaresima, in-8°.

(1688). Jean-Justin Ciampini, illustre prélat romain, fut trop versé dans la connaissance de l'archéologie chrétienne, pour n'avoir pas cultivé la science liturgique. Nous citerons de lui, sous ce point de vue: 1° Conjecturée de perpetuo azymorum usu in ecclesia Latina, vel saltem Romana. (Rome, 1688, in-4e.)

Dissertatio historica an Romanus pontifex baculo pastorali utatur. (Rome, 1690, in-4°.)

Vetera monimenta in quibus prœcipue musiva opera, sacrarum, profanarumque œdium structura, ac non-nulli antiqui ritus, dissertationibus iconibusque illustrantur. (Rome, 1690 et 1699, 2 volumes in-folio.) Ils forment les deux premières parties de cet important ouvrage : les deux dernières n'ont jamais été publiées.

De sacris œdificiis a Constantino Magno constructis. (Rome, 1663, in-folio.)

De Cruce stationali, investigatio historica. (Rome,

1694, in-4°.)

Explicatio duorum sarcophagorum, sacrum Baptismatis ritum indicantium. (Rome, 1696, in-4°.)

(1690). Dom Thierry Ruinart, illustre bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, appartient à notre bibliothèque par son ouvrage intitulé : Disquisitio historica de pallio archiepiscopali, qui a été inséré dans le troisième tome des œuvres posthumes de dom Mabillon. (Paris, 1724, in-4°.)

(1690). Dom Edmond Martène, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, s'est acquis une gloire immortelle dans la science liturgique. Il se fit d'abord connaître dans

 

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cette partie par ses cinq livres : De antiquis monachorum ritibus, dont il avait entrepris la publication d'après le conseil de dom Mabillon, et qui parurent à Lyon en 1690, 2 volumes in-4°. Ce premier ouvrage, d'une érudition aussi intelligente que variée, fut bientôt suivi d'un autre dans le même genre, sous ce titre : De antiquis Ecclesiœ ritibus, publié à Rouen, 1700-1702, 3 volumes in-4°. On doit regarder comme la suite et le complément de ce traité, celui que dom Martène donna bientôt après sous ce titre : Tractatus de antiqua Ecclesiœ disciplina in divinis celebrandis officiis. (Lyon, 1706, in-4°.) Vers la fin de sa vie laborieuse, dom Martène prépara une nouvelle édition de ces trois ouvrages en une seule collection, et augmenta ce grand ensemble de plus d'un tiers. L'édition, sous le titre de Antiquis Ecclesiœ ritibus, parut à Anvers en 1736, 3 volumes in-folio. Le quatrième ne fut publié qu'en 1738, à Milan, et non pas à Anvers, comme le porte le frontispice.

(1691). Le P. Raphaël, capucin, dit de Hérisson, du lieu de sa naissance dans le Bourbonnais,, a donné un livre intitulé: Manuductio sacerdotis ad primum ejus ac prœcipuutn officium, sive explanatio sacrosancti Missœ sacrifiai juxta missalis Romani prœscriptum. (Lyon, 1691, in-4°.)

(1692). C'est l'année en laquelle commença de se faire connaître dans le monde liturgique Jean Grancolas, docteur de Sorbonne, à qui il n'a manqué qu'une intelligence plus complète du véritable génie catholique, pour être un liturgiste accompli. La hardiesse des sentiments et le mépris pour tout ce qui ne tenait pas immédiatement aux usages de l'Église primitive, étaient une maladie trop commune dans les hommes de son temps, pour que Grancolas, qui appartient également au XVII° et au XVIII° siècle, eut pu entièrement lui échapper. Après avoir fait ainsi nos    réserves    sur    l'esprit  frondeur   du    personnage,

 

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nous donnerons ici la liste de ses remarquables productions.

 

Traité de l'antiquité des cérémonies des sacrements. (Paris, 1692, in-12.)

De l'Intinction, ou de la coutume de tremper le pain consacré dans le vin. (Paris, 1693, in-12.)

Histoire de la communion sous une seule espèce. (Paris, 1696, in-12.)

Les anciennes Liturgies, ou la manière dont on a dit la sainte Messe dans chaque siècle, dans les églises d'Orient et dans celles d'Occident. (Paris, 1697, in-8°.)

L'ancien Sacramentaire de l'Église, où sont toutes les pratiques qui s’observaient dans l'administration des sacrements chez les Grecs et chez les Latins. (Paris, 1690-1699, 2 vol. in-8°.)

6° Traité de la Messe et de l'Office divin. (Paris, 1718, in-12.)

7° Dissertations sur les Messes quotidiennes et sur la Confession. (Paris, 1715.)

Commentaire historique sur le Bréviaire romain. (Paris, 1727, 2 vol. in-12.) Cet important ouvrage a été traduit en latin et publié à Venise en 1734, in-4°.

(1694). Dom Claude de Vert, trésorier de Cluny, dont nous avons parlé pour ses travaux sur le Bréviaire de cet ordre, et dont nous parlerons encore au chapitre suivant, fut un homme grandement érudit, mais audacieux et ami des nouveautés, sous prétexte de zèle pour l'antiquité. Il a donné : 1° Éclaircissements sur la réformation du Bréviaire de Cluny. (Paris, 1690.) Cet opuscule, mal écrit et peu concluant, devait être suivi de plusieurs autres dans le même but, qui ne parurent pas. 2° Dissertation sur les mots de Messe et Communion, avec quelques digressions sur les agapes, les eulogies, le pain bénit, l'ablution, etc. (Paris, 1694, in-12.) Dom de Vert prétend, dans ce livre,

 

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réfuter Mabillon, dont nous avons annoncé ci-dessus un opuscule sur le même sujet. 3° Enfin le fameux et scandaleux ouvrage intitulé : Explication simple, littérale et historique des cérémonies de l'Église. (Paris.) Les deux premiers volumes, publiés en 1706 et 1707, furent réimprimés en 1709, avec des corrections et additions ; les deux autres ne parurent qu'en 1713.

(1700). J. Le Lorrain est, d'après Barbier, dans son Dictionnaire des Anonymes, l'auteur de l'ouvrage érudit et frondeur intitulé : De l'ancienne coutume de prier et d'adorer debout, le jour du dimanche et des fêtes, et durant le temps de Pâques; ou Abrégé historique des cérémonies anciennes et modernes. (Liège, 1700, 2 vol. in-12.)

(1700). Joseph Solimeno, protonotaire apostolique, est auteur du grand et savant ouvrage intitulé : Il Corteggio eucharistico, cioe trattato istorico theologico mistico sopra le regole stabilite dalla S. di N. S. Papa Innocents XII, per la maggiore venerazione che doveprestarsi al Santissimo Sagramento in portasi, ministrarsi e rice-versi. (Rome, 1700, in-folio.)

Nous terminons cet important chapitre par les graves considérations qui suivent :

Durant la seconde moitié du XVII° siècle, on vit prévaloir en  France  sur la  Liturgie des  principes entièrement opposés à ceux qui avaient été professés et ont continué de l'être dans les autres provinces de l'Église catholique.

Ces principes, émis sous le prétexte de perfectionnement, se trouvent être identiques à plusieurs de ceux que nous avons signalés ci-dessus comme formant le système antiliturgiste ; et pour entrer dans le détail nous ferons remarquer que :

1 ° L'éloignement pour la tradition dans les formes du culte divin parut dans l'affectation avec laquelle on expulsa

 

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du Bréviaire et du Missel de François de Harlay, et des livres de Cluny, les anciennes pièces grégoriennes, l'ancien calendrier des fêtes et des saints, etc., sans égard pour l'antiquité.

2° L'intention de remplacer les formules de style ecclésiastique par des lectures de l'Écriture sainte, se manifesta pareillement chez nous dans le système suivi par les rédacteurs des livres liturgiques dont nous parlons, qui tendirent à refondre entièrement l'office divin et à le composer exclusivement de centons bibliques.

3° Les correcteurs des nouveaux bréviaires ne craignirent cependant pas de fabriquer et d'introduire des pièces nouvelles de leur composition, hymnes, oraisons, etc. ; par quoi

Ils tombèrent en contradiction avec leurs propres principes; parlant d'antiquité, en faisant des choses modernes, de parole de Dieu, en donnant des paroles humaines.

5° Le caractère de cette innovation fut, pour les livres liturgiques qui en furent le théâtre, une affligeante diminution de cet esprit de prière qu'on appelle onction, dans le catholicisme; ainsi qu'on en peut juger par le simple aspect du Bréviaire de Cluny et des hymnes de Santeul.

6° L'affaiblissement du culte de la sainte Vierge et des Saints, est pour ainsi dire le caractère principal et comme le but avoué de la réforme liturgique du XVII° siècle.

7° A la même époque, on remarque un mouvement marqué vers les traductions de l'Écriture sainte et de la Liturgie en langue vulgaire.

8° Les changements introduits dans la Liturgie, loin d'être favorables, à l’autorité du Pontife romain, attestent hautement l'intention de déprimer cette autorité sacrée, et paraissent le résultat évident des doctrines proclamées, mais non inventées, en 1682.

 

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9° Le Bréviaire de François de Harlay ne se montre point exempt du désir de flatter par certains retranchements et substitutions, la puissance séculière.

Enfin, et ce qui est le plus effrayant, le nouveau Bréviaire de Paris et celui de Cluny vont devenir la source principale des innovations que la France verra bientôt introduire dans la Liturgie.

Ajoutons pour complément et pour explication, que des jansénistes (des hérétiques par conséquent), ont trouvé accès dans le sanctuaire, et ont eu l'audace de souiller un rituel de leur venin; que plusieurs évêques se sont déclarés pour cette oeuvre, malgré la condamnation du Saint-Siège; que des jansénistes notoires et des fauteurs des jansénistes ont fait partie des commissions pour la rédaction des Bréviaires de Paris et de Cluny. Nous rappellerons donc en finissant ces paroles du Sauveur : Attendite a falsis prophetis, et le reste.

Quant à l'unité liturgique, œuvre des pontifes romains Etienne II et Adrien Ier, des rois Pépin et Charlemagne, de saint Pie V et des conciles provinciaux de France, reconnue encore de fait et de droit par l'Assemblée du clergé de 16o5 et 1606, le XVII° siècle, en finissant, la voit ébranlée et chancelante, et avec elle les antiques mœurs catholiques, les arts, la poésie : toutes choses que le XVIII° siècle ne relèvera pas.

A Rome, les souverains Pontifes maintenaient fidèlement les livres réformés par saint Pie V, et la chrétienté se montrait attentive aux décrets qu'ils rendaient pour ajouter de nouveaux offices au calendrier.

Ces nouveaux offices, dont l'adjonction dérogeait à des règles antérieurement établies, avaient pour but de mettre dans tout son jour la solennelle confiance de l'Église dans l'intercession des saints, dont le culte allait souffrir, en France, de si rudes atteintes dans les bréviaires modernisés.

 

NOTES DU CHAPITRE XVII

 

 

NOTE A.

ALEXANDER PAPA VII,

AD    FUTURAM    REI    MEMORIAM.

 

Ad aures nostras ingenti cum animi mœrore pervenit, quod in Regno Gallise quidam perditionis filii, in pemiciem animarum novitatibus studentes et ecclesiasticas sanctiones ac praxim contemnentes, ad eam huper vesaniam pervenerint, ut missale Romanum Latino idiomate longo tot sœculorum usu in Ecclesia probato conscriptum, ad Gallicam vulgarem linguam convertere, sicque conversum typis evulgare, et ad cujusvls ordinis et sexus personas transmittere ausi fuerintj et ita sacrosancti ritus majestatem latinis vocibus comprehensam dejicere et proterere, ac sacrorum mysteriorum dignitatem vulgo exponere, temerario conatu tentaverint. Nos quibus licet immeritis, vineae Domini Sabaoth a Christo Salvatore nostro plantatae , ejusque pretioso sanguine irfigatœ, cura demandata est, ut spinarum ejusmodi, quibus illa oblueretur obviemus incremento, earumque, quantum in Deo possumus, radices succidamus, quemadmodum novitatem istam perpetui Ecclesiae decoris deformatricem, inobedientiae, temeritatis, audaciae, seditionis, schismatis aliorumque plurium malorum facile productricem abhorremus et detestamur, ita Missale praefatum Gallico idiomate a quocumque conscriptum, vel in posterum alias quomodolibet conscribendum et evulgandum, motu proprio, et ex certa scientia ac matura deliberatione nostris, perpetuo damnamus, reprobamus, et interdicimus, ac pro damnato, reprobato et interdicto haberi volumus, ejusque impressionem, lectionem et retentionem universis et singulis utriusque sexus Christifidelibus cujuscumque gradus, ordinis, conditionis, dignitatis, honoris et praemlnentise, licet de illis specialis et individua mentio habenda foret, existant, sub poena excommunicationis latse sententise ipso jure incurrendœ, perpetuo prohibemus : mandantes quod statim quicumque illud habuerint, vel in futurum quomodocumque habebunt, realiter et cum effectu exhibeatit, et tradant locorum Ordinariis, vel Inquisitoribus, qui, nulla interposita mora, exemplaria igne comburant, et çomburi faciant, in contrarium facientibus non obstantibus quibuscumque. Datum Romae, apud S. Mariam Majorem, sub annulo Piscatoris, die 12 Januarii 1661, Porttlficatus nostri an. 6.

 

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NOTE B.

CLEMENS  PAPA   IX,

AD   FUTURAM REI  MEMORIAM.

 

Creditae nobis divinitus omnium Ecclesiarum sollicitudinis ratio exigit ut ecclesiastiœ diciplinas, cujus custodes a Domino constituti sumus, ubique conservandœ jugiter incumbentes, omni cura atque vigilantia preecavere studearrius, ne quid in eam irrepat, quo quomodolibet turbari, aut a preescriptis ritibus aberrare, et via erroribus aperiri possit. Cum itaque (sicut nobis innotuit) anno proxime elapso typis im-pressus, ac in lucem Parisiis editus fuerit Gallico idiomate liber, cui titulus est : Rituel romain du Pape Paul V, à l'usage du diocèse d'Aleth, avec les Instructions et les Rubriques en françois ; in quo non solum coritiriehtur nonnulla ab ipso rituali Romano, jussu felicis recordationis Pauli Papae V, Prœdecessoris nostri edlto, aliéna, sed etiftrn doetrittœ quaedam et propositiones falsae singulares, in praxi periculosee, erroneee, et consuetudini in Ecclesia communiter receptse, atque ecclesiasticis Constitutioriibus oppositse et répugnantes, quarum usu et lectione.Christifideles in jam damnatos errores sensim induci, ac pravis opinionibus infici possent.

Nos opportunum huic malo remedium adhibere volentes, motu proprio, et ex certa scientia, ac matura deliberatione nostris, librum stib titulo Ritualis Gallico idiomate editum praefatum, auctoritate Apostolica tenore praesentium omnino damnamus, reprobamus et interdicimus, ac pro damnato, ac reprobato, et interdicto haberi volumus, ejusque impressionem, lectionem, retentionem, et usum universis et singulis utriusque sexus Christifidelibus prœsertim civitatis et didecesis Aletensis, cujuscumque gradus, conditionis, dignitatis, et praeeminentiae existant, licet de illis specialis et individua mentio habenda foret, sub pœna excommunicationis latae sententiae ipso facto incurrendae, perpetuo prohibemus, Mandantes ut statim quicumque illum habuerint, vel in futurum quandocumque habebunt, locorum Ordinariis, vel Inquisitoribus, qui vero venerabili Fratri Episcopo Aletensi subsunt, Metropolitano, aut uni ex vicinioribus Episcopis, realiter et cum effectu exhibeant, tradant et consignent ; qui nulla interposita mora exemplaria sibi tradita, et alia qaecumque habuerint igne comburant, et comburi faciant, in contrarium facientibus non obstantibus quibuscumque. Ut autem presentes Litterae ad omnium notitiam facilius deveniant, volumus et audtorltate prajdicta decernimus, illas ad valvas Basilicae Principis Apdstolorum, et Cancellarise Apostolicœ, ac in Acie campi Florae de Urbe per aliquem ex cursoribus nostris publicari, ac illarum exempta ibidem affixa relinqui, illasque sic publicatas omnes et singulos, quos concernunt, proinde afficere et arctare,   ac si illorum unicuique personaliter notificatae et

 

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intimatas fuissent, Ipsarum vero praesentium Litterarum transumptis, seu exemplis, etiam impressis, manu alicujus Notarii publici subscriptis, et sigillo personas in ecclesiastica dignitate constitutae munitis, eamdem fidem in judicio, et extra illud haberi, quae eisdem praesentibus haberetur, si forent exhibitae, vel ostensae. Datum Romae, apud S. Petrum, sub annulo Piscatoris, die 9 Aprilis 1668, Pontificatus nostri anno primo.

 

NOTE C.

 

FRANCISCUS MISERATIONE DIVINA ET SANCTAE SEDIS APOSTOLICAE GRATIA PARISIENSIS ARCHIEPISCOPUS, DUX ET PAR FRANCISE, REGIORUM  ORDINUM COMMENDATOR,

 

CLERO  PARISIENSI  SALUTEM   IN  EO   QUI  EST  OMNIUM VERA   SALUS.

 

Etsi nulla pars vitae hominum a religioso vacare deberet orationis obsequio, infirmitati tamen humanae Ecclesia prospiciens, certas dum-taxat horas, discretas ab invicem, easque tum nocturnas tum diurnas indixit, quibus christiani, ac praesertim Clerici, divinis laudibus operam darent, ut nempe septies saltem in die laudem dicerent Domino.

Et sane ante Hieronymi tempora idem ille, qui postmodum invaluit, Deo per diversas horas supplicandi ritus jam usurpabatur ; nam et ad Laetam scribens, autor est ut ejus filia vel a teneris annis assuescat ad Orationes et Psalmos nocte consurgere, mane Hymnos canere, Tertia, Sexta, Nona hora stare in acie quasi bellatrix Christi, et accensa lucerna reddere Sacrificium Vespertinum.

Sic nempe sejunctarum ad fundendas preces leve nobis Horarum onus injungit Ecclesia ; ut, si forte aliquo fuerimus opere detenti, ipsum nos ad Officium tempus admoneat, ut et anima quae terrenis adhuc desideriis implicetur, ex intervallo saltem, ad divina respiret. Sic cum Psalmista benedicimus Dominum in omni tempore ; sic semper laus ejus in ore nostro ; sic et obtemperamus Apostolo praecipienti ut sine intermissione oretur ; sic denique illud Christi Domini effatum : Oportet semper orare et non deficere, a nonnullis perperam intellectum, sanissime, Augustino teste, accipitur, cum nullo die orandi tempora intermittuntur.

Atque illum quidem statutis horis Deo supplicandi ritum Parisiensis Ecclesia sacrarum institutionum fidissima custos ea religione hucusque tenuit, ut ex praecipuis orbis Christiani Ecclesiis, primaevum illum media de nocte surgendi morem ad canendum Deo, constantissime sola servaverit, quo cum Psalmista dicere Deo veraciter possit : Media nocte surgebam ad confitendum tibi super judicia justificationis tuœ.

At vero, cum vel hominum incuria vel injuria temporum, quae rerum est humanarum conditio, nonnihil castigatione dignum etiam in preces publicas irrepere quandoque soleat; sapientissime sancivit Ecclesia, ut omni cura ac sollicitudine in Librorum Ecclesiasticorum reformationem identidem

 

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incumbere velint Episcopi qui et ex Conciliorum, etiam quae Parisiis habita sunt, praescripto tenentur, missalia, breviaria, aliosque id genus libros, diligenter expendere ; quae in illis superflua, aut non satis pro Ecclesiae dignitate convenientia judicaverint, continue tollere et resecare ; quae necessaria viderent, adjicere : ut, amputatis quae superstitiosius fuerint invecta, ea solum quae Ecclesiae dignitati et priscis institutis consentanea censuerint, relinquantur.

Quibus Ecclesiae decretis Illustrissimus Perefixius Preedecessor noster, qua erat religione, obsecutus ; pro sua pastorali vigilantia, paulo ante obi tum, ad reformationem breviarii Parisiensis animum adjecit ; virosque pietate et eruditione insignes, quorum nonnulli a venerabili Ecclesiae nostras Capitulo nominati sunt, adhibuit ; qui diu expetitum hujusce reformationis opus, ipso adhuc in vivis degente, aggressi sunt.

Nos vero, ubi primum, divina permittente Providentia, ad hanc sedem evecti sumus, inter praecipuas pastoralis officii curas, ad Librorum ecclesiasticorum reformationem, ut par est, intenti ; eorumdem peritissimorum virorum, aliorumque, qui eorum nonnullis, ubi ac prout necesse fuit, suffecti sunt, usi sumus opera ; qui quidem, habitis inter se plurimis, idque etiam coram nobis ipsis saepissime, sessionibus, variisque collationibus, opus illud arduum ad felicem tandem exitum perduxerunt.

Cum itaque in breviarium Parisiense postremis temporibus nonnulla irrepsissent, et ea quidem regulis ab Ecclesia constitutis non bene convenientia ; omni cura et qua oportuit prudentia effectum est, ut quae forent Ecclesiae splendori aut dignitati religionis minus consona, quae in Homiliis Patrum spuria vel supposititia ; quae in Actis Sanctorum falsa aut incerta; in omnibus demum quae pietati minus essent consentanea, ad legem et regulam componerentur : atque adeo necesse visum est, quasdam omnino expungere, nonnulla pridem omissa adjicere, ordine convenientiori multa disponere, Hymnos meliori stylo elaboratos in rudiorum locum substituere, pleraque obsoleta nec accurata satis instaurare.

Quae vero addita sunt, ea prorsus fuere deprompta, aut ex scriptoribus melioris notas, atque iis plerumque vel coaetaneis vel saltem supparibus rerum quae referuntur historicis; aut ex purissimis priscae traditionis fontibus, genuinis nimirum atque indubitatis sanctorum Patrum, quinet antiquissimorum, operibus ; aut denique, illudque maxime, ex sanctioribus Scripturae sacrae oraculis, cujus Libri omnes, quantum fieri potuit, in totam annui seriem distributi sunt, restitutis quorum lectio in novissimis editionibus praetermissa fuerat. Omnia vero diligenter rocognovimus, retenta Parisiensis breviarii forma, et servato veteri Ecclesiae nostras ritu.

Quocirca, de venerabilium Fratrum nostrorum Ecclesiae nostrae Canonicorum consilio, omnibus nostras diœceseos ecclesiis, monasteriis, collegiis,  communitatibus,  ordinibus,   necnon  omnibus  clericis,   qui

 

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ad illud tenentur, mandamus et praecipimus ut hocce Breviario nostro a nobis, ut sequitur, digesto et concinnato, nec alioquolibet, in posterum utantur ; districte videlicet omnibus typographis et bibliopolis, aliisve quicumque sint, inhibentes, ne vêtus Breviarium recudere ; omnibus vero qui ad divinum Officium tenentur, ne aliud quam nostrum hoc recognitum emendatum, sive privatim sive publice, recitare praesumant. Meminerint porro, quoties debitum precationis exolvunt, suo sic debere se fungi officio, ut cogitatio omnis carnalis et saecularis abscedat : nec quicquam tunc animus quam id solum quod precatur cogitet : ut sit orantibus sermo et precatio cum disciplina, quietem continens et pudorem : ut denique mente et spiritu psallentes, quod ore proferunt, corde credant ; et quod corde credunt, moribus exequantur. Datum Parisiis in Palatio nostro Archiepiscopali, Galendis Junii, anno Domini, M. DC. LXXX.

 

NOTE D.

 

FRANCISCUS MISERATIONE DIVINA ET SANCTAE SEDIS APOSTOLICE GRATIA ARCHIEPISCOPUS PARISIENSIS, DUX ET PAR FRANCIS, REGIORUM ORDINUM COMMENDATOR , SORBONAE ET NAVARRE PROVISOR :

 

CLERO PARISIENSI SALUTEM IN EO QUI EST OMNIUM VERA SALUS.

 

Sactorum Antistites, ex divina dispositione, ex Ecclesiae constitutione, ex  Sacrificii  lege, ex ministerii  conditione, Sacrificiorum ritibus ordinandis invigilare oportere nemo est qui non fateatur, si modo Scripturarum  oracula,   si Conciliorum statuta,  si  Sacrificii dignitatem  atque praestantiam, si Pontificii muneris amplitudinem quadantenus   noverit. Cum enim  nihil habeat neque vera Religio  augustius, neque  Christi Ecclesia sacratius;  tremendo  ac  venerando   altaris  Sacramento : quiti tanti mysterii majestati tuendas, atque adeo libris qui ei rite celebrando inserviunt expendendis  atque recensendis,   debeant   maxime   Episcopi incumbere,   nemini  dubium  esse potest.  Hinc ut nuper recognito  per Nos Parisiensi breviario Missale responderet, et ad convenientiorem normam  restitueretur,  animum adjecimus : cui instaurando ac  recognoscendo  Nos ipsi  invigilantes una  cum   viris  quos selegimus  sacrarum Scripturarum,   doctrinae  Patrum,   et  rerum  Ecclesias   peritos,   collatis vetustissimis codicibus, necnon antiquis Missalium exemplaribus quibus Parisiensis usa est ecclesia, quaedam ex usu veteri repetenda, quaedam vero ad meliorem formam revocanda, judicavimus.

Quatuor porro maxime in augustissimi  Mysterii  ritu   jam  ab   initio nascentis   Ecclesiae,   ex   Apostolo   ad   Timotheum scribente,  adhibita fuerunt ;   obsecrationes,    orationes,   postulationes,   gratiarum actiones. Quae quidem ita fieri praecepit Apostolus, imo per Apostolum Dominus

 

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qui loquebatur in Apostolo : et hanc legem supplicationis ita omnium Sacerdotum  et  omnium Fidelium  devotio  concorditer  tenet,   ut nulla pars mundi sit in qua hujusmodi orationes non celebrentur a populis Christianisa  Et quidem  Precationes accipimus dictas quas facimus in celebratione Sacramentorum, antequam illud quod est in Domini mensa incipiat benedici ;   Orationes,  cum  benedicitur  et sanctificatur, et ad distribuendum comminuitur, quam totam petitionem fere omnis Ecclesia Dominica  oratione concludit.  Postulationes autem fiunt cum  populus benedicitur ;   tunc enim  Antistites velut  advocati   susceptos   suos  per manus   impositionem,    misericordissimae   offerunt    Potestati.    Quibus peractis, et participato tanto Sacramento, Gratiarum actio cuncta concludit, quam in his etiam verbis ultimam commendavit Apostolus.

Nos itaque,  juxta rerum hanc, quae in sanctissimo Altaris   Mysterio jam  a primis    temporibus   servabantur,    distinctionem ;    quaecumque in   ipsa  Sacramenti  sanctificatione ubique terrarum uniformi   ratione peraguntur,   quœque cum ceteris omnibus   orbis  Christiani   partibus jam a prima sui  institutione Parisiensis tenet  ecclesia,  inviolabili, ut par   est,  religione,  intacta reliquimus : quse  vero pro diversitate locorum pati possunt aliquam in ritu varietatem, ex collatis inter se anti-quis   codicibus   et  variis   Ecclesiarum  Liturgiis,   aut  restituimus,   aut emendavimus,   aut   perfecimus.   Sic  veterem  illum  usum,   qui   et  in ecclesia Parisiensi et in aliis quamplurimis per plura saecula obtinuit, ut Feriis quarta et sexta, qui dies Synaxeos erant, alia cum Epistolis habe-rentur Evangelia ab iis quae diebus Dominicis leguntur, restituimus ; et habito singulari delectu, ut cum Dominicarum Evangeliis pleraque con-venirent,  effecimus ; et  Missis etiam quae aut  in  Mysteriorum, aut in Sanctorum memoriis Deo offeruntur, Lectiones quoad potuimus varias et congruentes assignavimus :  atque ita contigit ut totum  fere Novum Testamentum in Missale nostrum induceretur.  Quin et ea quae cantum attinent, ex solo Scripturarum sacrarum canone desumpsimus ; rati nihil quidquam   aut   convenientius,  aut,   ad  commendandam   augustissimi Sacramenti majestatem appositum magis,  quam  si divina   res, in qua Dei Verbum secundum formam servi quam accepit, sacerdos simul est et oblatio, ipso verbo quo esse in sacris Scripturis expressit, tractaretur, Preces vero, quas Collectas, Secretas et Postcommuniones dicuntur ; aut ex vetustissimis Sacramentariorum libris selegimus,»aut si quas de nove dare oportuit, ex eodem quo priores exaratae sunt, quantum Deus dedit

spiritu hausimus.

...........Quocirca  omnibus   nostrae   diœceseos  ecclesiis, earumque decanis, et rectoribus, ordinibus, collegiis, monasteriis communitatibus, neenon omnibus quicumque sint presbyteris, qui de jure vel consuetudine Parisiense officium celebrare aut recitare tenentur, de venerabilium Fratrum nostrorum Ecclesiae nostras Canonicorum consilio, in Domino mandamus, ac praecipimus, ut hocce nostro Missali a nobis digesto et  recognito, nec alio quolibet  imposterum

 

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utentur : districte videlicet omnibus typographis et bibliopolis, aliisve cujuscumque conditionis existant, inhibentes ne illum ex veteribus Missale recudere ; neve deinceps presbyteri ullo quolibet alio quam nostro hoc recognito, sive in solemnibus, sive in aliis Missis uti praesumant. Datum Parisiis, in Palatio nostro Archiepiscopali, Idibus Novembris, anno Domini M. DC. LXXXIV.

 

 

 

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