Lettres CXXIV-CXLIV
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LETTRE CXXIV. BOSSUET A  SON  NEVEU. A Paris, ce 24 juin 1697.

 

Votre lettre du 4 m'apprend l'arrivée en bonne santé, quoique avec une extrême lassitude, de M. le cardinal de Bouillon (a), et me fait espérer pour l'ordinaire prochain quelque chose de plus spécifié.

 

(a) Il arriva à Rome le 3 juin, avec le P. Charonnier jésuite, et le P. Serri dominicain, qu'il avait choisi pour théologien.

 

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M. de Cambray a déjà donné deux explications sur son système. La dernière , qu'il prétendait décisive, est plus longue de beaucoup que son livre. Ceux à qui il l'a communiquée me dissuadent de la lire, et disent qu'elle ne satisfait à rien. On ne sait donc plus comment en sortir avec lui. Ses amis proposent des explications plus courtes et plus précises, qu'on nous promet demain. Il rend le traité fort difficile, par le refus opiniâtre de conférer avec nous trois ensemble de vive voix. Tout le monde le blâme sur cela, plus que sur tout le reste. Il fait rouler la difficulté sur moi, avec qui il ne veut point de commerce sur cette matière. Il ne fallait donc pas me prendre en garantie comme les autres. On ne comprend rien à son procédé, qui, je vous assure, devient de plus en plus odieux, d'autant plus que j'apporte de mon côté toutes les facilités possibles. Vous pouvez dire de ceci ce que vous trouverez à propos.

 

LETTRE CXXV. L'ABBÉ LEDIEU A L'ABBÉ BOSSUET. A  Paris, ce 24 juin 1697.

 

On a pris, Monsieur, tous les soins imaginables pour vous faire recevoir bientôt plusieurs exemplaires du livre de Monseigneur de Meaux. J'ai inspiré à notre prélat, et il l'a enfin agréé, qu'on vous en envoyât six exemplaires de la nouvelle édition par la poste. Dans cette seconde édition il y a la lettre de Monseigneur au Pape, avec le bref de Sa Sainteté en latin seulement, qu'il faut faire mettre à la suite des approbations. Vous trouverez à la fin, sous le titre des Additions et corrections, de nouveaux passages de saint Augustin, et un dernier d'Hugues de Saint-Victor contre le faux désintéressement de l'amour pur, qui est très-décisif et très-réjouissant, parce que les faux mystiques y sont moqués comme ils le méritent. Cette lettre et ces additions ont paru assez importantes pour être imprimées à part : on en a fait un supplément, en faveur de ceux qui ont la première édition. J'en ai fait mettre douze dans le paquet, avec six lettres des cinq évêques au

 

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Pape et le bref de Sa Sainteté. Il y a près de trois semaines qu'on est à l'imprimer ; Monseigneur le chancelier ayant fait toutes les mauvaises difficultés qu'on peut imaginer pour en empêcher la publication, jusqu'à entreprendre de le persuader à Monseigneur par de belles éruditions de la discipline de l'Eglise d'Afrique, qui ne voulait pas s'assujettir au jugement du Pape ; car, dit-il, je sais bien l'Histoire ecclésiastique. On ne doute point qu'il ne fût soufflé par les révérends Pères Jésuites, et même par M. de Cambray, que M. Anisson a trouvé chez ce magistrat dans ces circonstances ; et qui aussi voudrait bien qu'on n'eût pas la liberté, sur cet exemple, de porter des plaintes et des mémoires à Rome contre lui-même.

 

LETTRE CXXVI. BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. 1er  Juillet 1697.

 

Est-il possible, mon cher Seigneur, qu'il n'y ait point de réponse? Si cela est, on se moque visiblement, puisqu'il ne s'agit que de quatre mots et de leur définition. Cependant assurément la vérité souffre. On imprime le livre partout ; il l'est à Bordeaux : le nouveau bref (a) lui donne de l'autorité par sa seule ambiguïté. Pressez, je vous en supplie : on ne demande qu'à tourner tout en plaintes et en procédés contre moi, ou contre vous-même. Si vous saviez ce qu'on dit au nom de M. de Cambray et comme on vous met en jeu, vous verriez qu'il y va du tout pour vous, pour

 

(a) Il s'agit du bref adressé à l'archevêque de Cambray, en réponse à sa lettre au Pape. En voici la teneur :

 

« Venerabilis Frater, salutera et apostolicam benedictionem. Pergratae acciderunt nobis Fraternitatis tuae litterœ IV kalendas maii datae. In iis enim eximiam quam erga sanctam hanc Sedem profiteris, observantiam apertè cognovimus, inque praeclarà opinione quam de zelo quo fiagras in adimplendis muneris tui partibus gerebarnur, confirmati sumus; merito confidentes fore ut doctrinam, quâ prœstas, divinœ gloriee ad incrementum animarumque profectum, omni contentione ac studio impendas. Fraternitati intérim tuae apostolicam benedictionem peramanter impertimur. Datum Romae, apud sanctam Mariam Majorera, sub annulo Piscatoris, die prima junii 1697, Pontificatùs nostri anno sexto. »

 

103

 

les évêques qui ont travaillé avec vous et pour l'Eglise. Au nom de Dieu, finissons les procédés : venons au fond de la cause. Tout à vous, comme vous savez, mon cher Seigneur : je m'en vais coucher à Versailles.

 

LETTRE CXXVII. BOSSUET   A  SON  NEVEU. A Paris, 1er juillet 1697.

 

La nouvelle de la place du conseil qu'on me donnait jusqu'à Rome, comme vous me l'apprenez par votre lettre du 11 juin, est véritable de samedi dernier. Le roi me l'accorda à son lever à Marly, sans que je l'eusse demandée, avec toutes les bontés dont Sa Majesté sait accompagner ses grâces (a). Ainsi vous devez en faire part à vos amis, après l'avoir dit d'abord à M. le cardinal de Bouillon et à M. le cardinal de Janson, que leur extrême bonté intéressera pour nous dans ce nouveau témoignage de celle du roi.

Je l'ai mandé tout aussitôt à M. de Paris et à M. de Reims dans son diocèse, où il est il y a près de deux mois : il ne parle point encore d'en revenir.

M. de Cambray gagne ici du temps, par l'énorme longueur de ses explications. Il a refusé obstinément de conférer avec nous, à cause de moi, à qui seul il ne veut point parler, ni même communiquer quelques-unes de ses réponses. Il y en a d'autres sur lesquelles il demande mes réponses; et j'en ai donné une d'une demi-feuille de papier, pour le prier d'expliquer quatre termes ambigus, dont il se sert, par une définition précise ; après quoi on lui donnera en très-peu de mots la réponse qu'il demande (b).

(a) Il n'était point dans le caractère de M. de Meaux de demander et solliciter des grâces pour lui-même. Tout occupé du soin de son diocèse, de la composition de tant d'ouvrages et des affaires générales de l'Eglise, il n'avait ni le loisir ni la souplesse nécessaires pour s'intriguer et travailler h son avancement. Il eût d'ailleurs été indigne de sa gravité de s'amuser à briguer des charges, qu'il relevait plus par son mérite qu'elles ne l'honoraient par leur éclat. — (b) C'était une réponse aux vingt articles que M. de Cambray avait dressés pour justifier sou livre, et qu'il envoya à M. de Paris. Bossuet ne crut pas devoir les discuter fort au long, et il se contenta de mettre en marge de ces articles des réponses très-courtes. Nous rapporterons les articles et les réponses à la

 

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On y joindra les extraits des propositions condamnables dans son livre, et l'on se mettra en état de les envoyer à Rome, après le temps que la bonté de M. de Paris souhaite que nous lui donnions pour venir à résipiscence ; ce que quelques-uns espèrent encore. Pour moi, quelque désir que j'en aie, je ne sais plus que penser, voyant ses tortillements. M. le nonce nous témoigne qu'on souhaite à Rome que la chose se termine ici plutôt que d'être portée à l'Inquisition, qui aussi, comme vous savez, n'accommode guère ce pays-ci.

On souhaite fort d'apprendre bientôt que M. le cardinal de Bouillon soit quitte, comme on le croit à présent, de l'indisposition causée par la lassitude. Je vous prie de le bien assurer de la part que je prends à son heureuse arrivée, et à la bonne espérance que vous avez du prompt rétablissement de sa santé.

Je pars pour Versailles, où M. le chancelier veut me recevoir mercredi au conseil qui s'y tiendra.

M. le nonce m'a montré une lettre du Pape à M. de Cambray (a), assez sèche, quoiqu'on le loue, mais sans y dire un seul mot de son livre. On est toujours à la Cour dans les mêmes dispositions à son égard. M. de Cambray amuse M. de Paris : toute mon application est, comme vous pouvez penser, à faire en sorte qu'il ne le surprenne pas.

Le roi est fort content de moi: Madame de Maintenon est toujours de même, et je suis très-bien auprès d'elle. Le nonce m'a dit très-fortement qu'il fallait me faire cardinal et m'envoyer à Rome : quelques autres personnes parlent ici de la même manière (b).

La Cour est en grande attente de ce qui arrivera de M. de Cambray. Il ne paraît pas que ce prélat songe au livre qu'il avait promis au Pape (c).

 

suite de cette lettre : pour rendre le lecteur plus attentif aux endroits défectueux de l'écrit de M. de Cambray, nous mettrons en italique tous ceux que Bossuet avait marqués avec du crayon. (Les premiers édit. )

(a) Nous l'avons donnée en note à la lettre précédente. — (b) Si ce dessein avait été exécuté, Bossuet eût répandu sur la pourpre romaine un éclat immortel. — (c) Il ne songeait que trop à ce livre, c'est-à-dire à la traduction latine des Maximes des Saints. Toutefois ce ne fut qu'au 8 novembre suivant que l'on commença d'en recevoir, à Rome, des exemplaires manuscrits.

 

105

Nous espérons toujours votre retour au plus tôt : ne faites aucun mouvement pour moi au sujet du cardinalat.

 

LES XX ARTICLES DE M. DE CAMBRAY, AVEC LES RÉPONSES DE M. DE MEAUX.

 

M. DE CAMBRAY.

M. DE MEAUX. 

 

ARTICLE Ier.

 

N'est-il pas vrai que tout le système de mon livre se réduit à exclure du cinquième état d'amour les actes intéressés, sans exclure jamais les actes désintéressés de toutes les vertus distinctes ; et que tout mon système étant borné au désintéressement de l'amour, mon système, loin d'exclure les actes désintéressés , demande naturellement tous ces actes ?

 

 

 

Nous n'avons vu, dans son livre, de distinction entre les actes intéressés et désintéressés, que celle qui regarde le bonum in se et celle qui regarde le bonum sibi, ou la béatitude et le salut.

 

 

ARTICLE II.

 

N'est-il pas vrai qu'on n'a jamais eu d'autre idée du désintéressement que celle que nous donne le pur amour de charité, par lequel nous aimons Dieu pour lui-même, nous et notre prochain en lui et pour lui seul ?

 

 

 

Cela est vrai, mais vague et indifférent, et d'autant plus impertinent à la question que nous traitons, que l'auteur change toutes les notions qu'il avait auparavant données du pur amour dans son livre.

 

ARTICLE III.

 

N'est-il pas vrai qu'on n'a jamais eu d'autre idée de l'intérêt propre, que celle d'une cupidité ou amour particulier de nous-mêmes, par lequel nous nous désirons le bien autrement qu'à notre prochain; en sorte que cet amour ne vient point de pur zèle pour la gloire de Dieu, mais qu'il est tout au plus soumis à l'ordre ? C'est ce que saint Bernard nomme cupidité soumise : Cupiditas quœ à superveniente charitate ordinatur.

 

 

 

Non, cela n'est pas vrai. Toute l'Ecole regarde l'amour d'espérance ou de concupiscence comme intéressé, quoiqu'il comprenne le prochain au même sens que nous-mêmes.

Cet amour qui est soumis à l’ordre, est un amour de charité. Tout amour de charité est un amour de pur zèle, selon toute l’Ecole. Saint Bernard n’a rien de semblable.

 

ARTICLE IV.

 

 

N'est-il pas vrai que cette cupidité soumise peut regarder la béatitude comme un état de l'homme, où elle serait pleinement contente, au lieu que l'amour de charité pour nous-mêmes, ne nous fait désirer notre béatitude ou parfait contentement, que pour glorifier Dieu en nous ?

 

 

 

 

Béatitude et parfait contentement , selon cet article, c'est la même chose.

Que pour. On peut ici demander si la béatitude ou la gloire de Dieu sont fins subordonnées; et s'il n'est pas vrai, par la définition de la fin dernière, qu'il n'y en a point d'autre que la béatitude.

 

 

ARTICLE V.

 

N'est-il pas vrai que l'inclination naturelle, nécessaire et indélibérée que nous avons pour nous-mêmes et qui accompagne tous nos actes, même les plus délibérés, est ce qui rend nos actes intéressés, et ce qui les empêche d'être désintéressés ?

 

 

 

La notion de l'école de Scot, que tout le reste a suivie, confond l'intérêt avec la béatitude. Ainsi pour répondre avec précision, il faut faire précéder la définition, et répondre différemment selon les différents principes.

 

ARTICLE VI.

 

N'est-il pas vrai que quand on ne s'aime délibérément que d'un amour de charité, on peut en  (107) vertu de cet amour si pur se désirer le souverain bien, en tant qu'il est souverain bien pour soi ; et par conséquent taire des actes de vraie espérance avec son motif propre et spécifique, sans avoir besoin que la cupidité soumise s'y mêle d'une manière délibérée ?

 

 

 

Se désirer le souverain bien, en tant que souverain bien, ne peut être sans le désir naturel de la béatitude, qui est soumis et ordonné quand on met sa béatitude en Dieu : non pas en faisant deux fins dernières de la béatitude et de Dieu, ou regardant la béatitude, qui est la fin dernière, comme référible à une autre fin ; mais en expliquant que l'idée de Dieu et celle de la béatitude ne diffèrent que comme le confus et le distinct.

 

ARTICLE VII.

 

 

N'est-il pas vrai que de tels une opinion qui est suivie de tels actes, par lesquels nous désirons  notre souverain bien en tant que nôtre, et qui sont de vraie espérance , ne peuvent sans erreur être mis au rang des actes intéressés, puisque la cupidité même soumise n'y a aucune part d'une manière délibérée, et qu'ils ne sont fondés que sur le seul amour de charité pour nous?

 

 

 

 

 

Il n'y a point d'erreur dans une opinion qui est suivie du torrent de l'Ecole.

 

 

ARTICLE VIII.

 

N'est-il pas vrai que l'intérêt propre, qui se trouve dans les justes moins parfaits, que les Pères ont nommés souvent mercenaires, et que les saints des derniers siècles appellent propriétaires , diminue dans ces justes à mesure qu'ils se perfectionnent, quoique leur espérance avec son motif propre augmente toujours à proportion que leur charité croît ?

 

 

 

L'intérêt propre, qui est pris pour l'espérance même, ne diminue pas, mais augmente plutôt par la parfaite charité.

Propriétaires et mercenaires  sont deux choses différentes.

 

 

 

ARTICLE IX.

 

N'est-il pas vrai que les désirs et les demandes de la sainte Vierge, de David, de saint Paul (108)  et des autres grands saints pour leur perfection ou pour leur  béatitude, étaient dans ce parfait désintéressement, et que leur espérance, pour être si épurée, n'en était pas moins véritable et n'en avait pas moins son motif spécifique, qui est toujours bonum mihi ?

 

 

 

Bonum mihi est inséparable de ce que Scot et son école, que le torrent des théologiens suit, ont appelé, utilité propre.

 

 

 

 

ARTICLE X.

 

N'est-il pas vrai que ces actes d'espérance et des autres vertus, que la charité commande expressément pour les rapporter en même temps à sa propre fin,  et qu'elle anime en leur communiquant sa propre perfection, prennent l'espèce de la charité même, sans perdre leur motif spécifique, qui est toujours le bonum mihi, ni par conséquent leur espèce particulière, comme saint Thomas l'assure : Assumit speciem, transit in speciem ?

 

 

 

Cela est vrai. Mais si l'auteur n'avait pas voulu dire autre chose, il aurait parlé de la vertu et de son motif autrement qu'il n'a fait.

 

 

ARTICLE XI.

 

N'est-il pas vrai que de tels actes, en conservant le motif spécifique qui, par exemple, est le bonum mihi dans l’espérance, ne sont point intéressés, et par conséquent que le bonum mihi n'est point le motif intéressé?

 

 

 

 

C'est parler contre les idées du torrent de l'Ecole.

Si toutefois l'auteur veut s'en tenir à cette idée, il s'ensuivra que l'amour d'espérance pure sera désintéressé, et par conséquent un amour pur contre toutes les idées qu'on a du pur amour. Ceci peut être appliqué aux articles X et XI.

 

ARTICLE XII.

 

N'est-il pas vrai qu'un juste, si parfait et si désintéressé qu'il puisse être, peut faire à toute heure et à tous moments de tels actes d'espérance et des autres vertus avec leurs motifs propres, sans sortir du plus parfait désintéressement de la charité, puisque c'est la charité même qui les lui fait faire ?

 

 

 

Cela ne se peut, selon les idées communes de l'Ecole.

Le désintéressement de la charité consiste à regarder Dieu comme bonum in se, ce qui diffère  (109) du bonum mihi, en quoi on met l'intérêt.

 

 

ARTICLE XIII.

 

N'est-il pas vrai que dans la vie et dans l'oraison la plus parfaite, tous les actes d'espérance et des autres vertus sont unis dans la seule charité, en tant qu'elle anime toutes les autres vertus, et en commande l’exercice,  etc., et qu'ainsi tous ces actes sont désintéressés ?

 

 

 

 

Voyez les XXXIV Articles.

Dans la seule charité, en tant qu'elle est seule celle qui commande les autres, et rien de plus.

 

 

ARTICLE XIV.

 

N'est-il pas vrai que cette expression générale et absolue : sont unis dans la seule charité, emporterait en rigueur l'exclusion de tous actes qui ne seraient pas unis dans la seule charité, et que cette exclusion s'étendrait sur toute la vie et l'oraison la plus parfaite ; qu'ainsi j'ai tempéré cette expression, en la restreignant toujours à un état seulement habituel et non invariable ?

 

 

 

Point du tout ; mais seulement que la charité seule les commanderait au sens qu'on vient de voir.

Invariable, selon la notion de l'auteur, veut dire, dont on ne peut déchoir.

 

 

ARTICLE XV.

 

N'est-il pas vrai que quand on dit d'un côté, que la sainte indifférence n'est que le désintéressement de l'amour : et de l'autre, que le désintéressement de l'amour n'est que le retranchement de la cupidité soumise, (110)  pour ne désirer plus aucun bien que par la charité, comme, en désire au prochain, on dit évidemment que la sainte indifférence renferme tous les désirs que la charité pour nous-mêmes nous doit inspirer, et qu'elle n'exclut jamais que les désirs mêlés de cupidité soumise, ou intérêt propre ?

 

 

Tout cela ne signifie rien.

On est intéressé pour le prochain comme pour soi, quand on recherche l'intérêt commun.

Si l'on exclut le bonum mihi de la notion d'intérêt, il faut prendre une autre idée de l'amour pur que celle qui la distingue de l'espérance

 

 

ARTICLE XVI.

 

N'est-il pas vrai, que si l’intérêt propre n'est pas mon bien désiré par charité pour moi comme pour le prochain, mais seulement le contentement de la cupidité soumise, le sacrifice de l'intérêt propre pour l'éternité, ne peut jamais être que le sacrifice ou retranchement du contentement de cette cupidité? d'où il s'ensuit qu'on peut continuer, dans la partie supérieure de l'âme, à désirer et attendre son souverain bien par un amour de charité pour soi, dans le moment même où la cupidité soumise perd tout appui en soi, par la supposition imaginaire qui se fait dans la partie inférieure, qu'on est réprouvé. 

 

 

 

Le sacrifice de l'intérêt propre, est par tout le livre celui du salut. On ne sait ce que veut dire tout ceci.

Si l'on n'a à sacrifier autre chose que l'amour naturel qu'on a volontairement pour soi-même, le mystère n'en est pas bien grand, puisqu'on a toujours tout son bien et tout son salut.

 

ARTICLE XVII.

 

N'est-il pas vrai que si l'intérêt propre n'est que cette cupidité soumise, on peut dans la vie et dans l'oraison la plus parfaite ne désirer plus d'ordinaire les vertus pour son propre intérêt , c'est-à-dire pour consoler cette cupidité, quoiqu'on ne cesse jamais de les désirer pour la  (111) gloire de Dieu en nous, et par un amour de charité pour nous-mêmes ?

 

 

 

L'Ecole ne le définit pas ainsi. Il faut convenir des notions, et répondre différemment selon chacune.

D'ordinaire : ce mot est remarquable.

 

 

ARTICLE XVIII.

 

N'est-il pas vrai que la cupidité soumise est permise à cause de sa soumission  à la charité, mais qu'elle n'est pas commandée; et qu'elle serait commandée, si elle était ce qui constitue les vertus les plus commandées, telles que l'espérance ; et qu'ainsi elle ne peut être essentielle au motif spécifique qui constitue cette vertu ? Autrement il faudrait dire que la sainte Vierge, qui n'agissait point par cupidité soumise, et qui ne s'aimait que d'un amour de charité, n'a jamais fait un seul acte d'espérance.

 

 

 

 

La cupidité soumise, c'est-à-dire, comme l'explique l'auteur, l'amour naturel et délibéré de soi-même, est impertinente à la charité et à l'espérance, et d'un genre entièrement disparate.    

 

 

ARTICLE XIX.

 

N'est-il pas vrai que si nous devons tâcher de ne nous désirer les biens inférieurs, que Dieu nous donne par sa volonté de bon plaisir dans les événements de la vie, que par un amour de charité pour nous-mêmes et  sans intérêt propre où cupidité même soumise : à plus forte raison nous devons tâcher de ne, nous désirer les biens supérieurs qui nous sont déclarés dans la volonté signifiée, tels que les vertus, la persévérance et la béatitude, que par ce même amour de charité pour nous et sans intérêt propre ou cupidité même soumise? Faut-il désirer moins parfaitement les biens les plus parfaits ? L'Ecriture qui les promet, et qui en commande le désir, nous engage-t-elle à les vouloir d'une manière moins pure et moins désintéressée que les événements de la vie ?

 

 

 

C'est bien fait de rapporter à Dieu tout l'amour qu'on a pour soi-même; mais l'amour de la béatitude ne peut être ôté à l'homme, quelque saint qu'il soit.

Que si l'on dit que l'amour délibéré peut être ôté; j'en conviens ; mais on ne voit pas que ce soit une chose si rare, ni qu'en cela consiste la perfection.

 

112

 

ARTICLE XX.

 

N'est-il pas vrai que quand on dit que le chrétien doit toujours exercer les vertus distinctes par conformité à la volonté de Dieu, on renferme nécessairement dans cette conformité  les motifs spécifiques de toutes les vertus, puisqu'ils leur sont essentiels, et qu'autrement elles ne seraient plus ces vertus commandées? Peut-on se conformer à la volonté de Dieu, sans vouloir non-seulement ce qu'il veut, mais encore par la raison précise pour laquelle il nous engage à le vouloir avec lui ? En veut-on moins la bonté propre d'une chose et sa convenance pour notre dernière fin, quand on ne veut cette bonté et cette convenance que pour nous conformer à la volonté de Dieu, qui, selon saint Thomas, est la seule règle suprême par laquelle toutes nos vertus, loin de perdre leur essence, trouvent leur perfection ?

 

 

 

 

Cela est vrai ; et c'est pourquoi on condamne les expressions de l'auteur, qui parlant autrement, montre qu'il pense  autrement aussi.

 

 

 

LETTRE CXXVIII. M. DE RANCÉ A  BOSSUET. Ce 3 juillet 1697.

 

J'ai reçu, Monseigneur, les copies des deux lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer : il suffit qu'elles ne contiennent rien que vous n'approuviez, pour que je ne me repente pas de les avoir écrites. Dieu a permis qu'elles allassent plus loin que je ne pensais. Il est vrai que le sujet me toucha d'une manière si vive, que je ne pus pas ne le point témoigner.

Nous attendons ce que vous avez la bonté de vouloir nous envoyer, et je ne doute point que Dieu ne favorise de nouvelles bénédictions tout ce qu'il vous inspirera d'écrire sur cette matière. Il serait à souhaiter que ceux qui y ont intérêt prissent des sentiments de paix et d'humilité, et qu'on ne se fît point un honneur

 

113

 

de soutenir ce qu'on ne devait pas avancer : Dieu en tirera sa gloire. Nous ne manquerons point de lui offrir nos prières avec toute l'application possible. Je n'ai pas besoin de vous dire, Monseigneur, jusqu'où va l'attachement et le respect que j'ai pour votre personne; car je m'assure que vous en êtes bien persuadé.

 

Fr. Armand-Jean, anc. abbé de la Trappe.

 

J'ai lu et relu la lettre que M. votre neveu vous a écrite, avec une consolation que je ne puis vous exprimer : rien ne marque mieux la disposition de Sa Sainteté pour l'affaire et pour votre personne.

 

LETTRE CXXIX.  BOSSUET A M. DE RANCÉ. A Paris, ce 4 juillet (1697.

 

Je sais, Monsieur, que M. l'évêque de Noyon vous a écrit sur le sujet du quiétisme, dans le dessein de joindre votre réponse à sa lettre, et de les faire imprimer ensemble. Vous savez bien les raisons d'éviter cette conjoncture, et il me semble que vous n'avez rien à ajouter au sentiment d'un si grand prélat. La liberté que je prends est l'effet de mon zèle pour votre service, et pour votre réputation qu'il faut conserver à l'Eglise. J'espère ne passer pas cet été sans vous voir, et je suis à vous, Monsieur, comme vous savez.

 

LETTRE CXXX. BOSSUET A SON NEVEU (a). A Marly, ce 15 juillet 1697.

 

Je suis ici d'hier, et j'y passerai la semaine. On y est avec grande joie par l'élection de M. le prince de Conti et par l'espérance de la prise de Barcelone dans huit ou dix jours. On s'est logé sur la contrescarpe avec perte de 1000 à 1200 hommes,

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

114

 

après une opiniâtre résistance des ennemis, qui ont regagné ce poste jusqu'à trois fois, mais il nous est demeuré. L'audace et l'intrépidité de nos troupes est au-delà de tout, et il faut que tout lui cède.

C'est le jeune Galeran, secrétaire de M. l'abbé de Polignac (a), qui a apporté les nouvelles. De trente-deux palatinats, nous en avons vingt-huit : les quatre autres sont faibles, et nous en avons près de la moitié. L'archevêque et le maréchal ont proclamé l'élection, et en ont chanté le Te Deum : qui sont les marques portées par les constitutions de la république pour une élection valide et complète.

M. le prince de Conti a reçu cette nouvelle avec une modération admirable. On attend la députation solennelle, et cependant on ne change rien à l'extérieur.

Il est vrai, comme le porte votre lettre du 25 en conséquence de la mienne, qu'on a été content du bref aux cinq évêques (b) ; mais si l'on ne dit mot sur le livre, il ne sera pas aisé d'empêcher que quelqu'un ne parle ici. Pour moi, j'attendrai toujours une décision avec respect et patience; mais je gémirai en mon cœur, si l'on voit une acception de personnes dans la chaire de saint Pierre, dont je souhaite la gloire entière, qui est celle de Jésus-Christ même.

A ce coup on a promis dans huit jours la dernière réponse de M. de Cambray, que la charité fait attendre. La disposition de la Cour est toujours la même contre lui ; et sa fierté, depuis le bref qu'il a reçu, est augmentée. Il ne le montre pourtant pas, et il serait à souhaiter que nous en eussions une copie. Ni M. de Reims, ni moi ne l'emporterons sur l'archevêque de Paris (c), dont la famille.....Ce n'est pas à moi qu'il convient de se donner du mouvement (d). Ma vraie grandeur est de soutenir mon caractère,

 

(a) Ce fut par les soins de l'abbé de Polignac, depuis cardinal, et alors ambassadeur en Pologne, que le grand nombre des palatinals de ce royaume élurent pour roi le prince de Conti. Mais bientôt, comme on sait, les Polo-nois changèrent de disposition, et donnèrent la couronne à l'électeur de Saxe. (Les édit.) — (b) Bref relatif au cardinal Sfondrate. — (c) Pour le cardinalat. Et cependant, sans Bossuet , qui connaitrait aujourd'hui le cardinal de Noailles? — (d) L'abbé Bossuet pressait sans doute son oncle de faire quelques démarches pour se procurer cette dignité. Ce grand homme lui répond d'une

 

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d'édifier et de servir l'Eglise, etc. La parabole de saint Luc, XIV, 12, est ma leçon. Je ne dois être ni remuant ni insensible.

On espère ici la promotion (a) dans peu.

Le cardinal de Bouillon sera toujours le même : il doit tout aux amis de M. de Cambray dans la conjoncture présente (b).

De concert avec M. de Torci, je parlerai au roi, afin qu'il permette que ce ministre dise à M. le nonce qu'on fera plaisir au roi de vous accorder l'induit (c).

Lundi 16, il n'y a rien de nouveau.

 

LETTRE CXXXI. BOSSUET A SON NEVEU  (d). A Versailles, ce 22 juillet 1697.

 

M. Phelippeaux nous a assuré par sa lettre du 3, que vous étiez à Frescati ; nous n'en avons point eu des vôtres.

On attend ici la promotion de jour en jour. On commence à dire que M. le cardinal de Janson a ordre, de retarder, et que c'est pour cela : ainsi je lui écris à tout hasard. Vous verrez ma lettre et celle à M. le cardinal de Bouillon, à qui vous vous expliquerez vous-même.

Vous leur pourrez dire que M. l'archevêque de Cambray donne ici à son ouvrage des explications mauvaises en elles-mêmes et qui ne conviennent nullement au texte. Il parle en tout cela avec

 

manière vraiment digne de sa supériorité, qui lui fait autant d'honneur qu'il en aurait reçu delà pourpre romaine. Au reste l'archevêque de Paris ne fut pas créé cardinal à cette promotion, mais ce fut M. du Cambout de Coislin évêque d'Orléans. ( Les premiers édit. )

(a) Des cardinaux. — (b) Les amis de M. de Cambray, comme nous avons déjà vu, dans le dessein de trouver à Home un solide appui pour la défense du livre de ce prélat, persuadèrent au cardinal de Janson de demander son rappel, et déterminèrent le roi à confier le soin des affaires an cardinal de Bouillon, qui devait se rendre à Rome pour se mettre en possession du décanat, qui allait être bientôt vacant. Voyez toutes les intrigues qu'on fit jouer à cette occasion, fort bien développées dans la Relation de M. Phelippeaux, part. I, p. 228, 229. — (c) Pour l'abbaye de Savigni, dont on a parlé plus haut. — (d) Revue et complétée 6ur l'original.

 

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une fierté étonnante. M. de Paris fait toujours des efforts pour le convertir; on en attend le succès.

Il n'y a point encore de nouvelles de Barcelone. Celles de Pologne sont mauvaises, et les espérances s'éloignent. La conversion de M. l'électeur de Saxe (a) paraît être une illusion. On dit néanmoins qu'il est appuyé du Pape, et que le nonce est déclaré contre nous. Le roi n'en voulait rien croire, et se croyait assuré du Pape, dont on disait que le nonce avait outre-passé les ordres.

J'oubliois de vous marquer que sans la participation de M. de Chartres ni de moi, M. de Paris avait consulté huit docteurs non suspects à M. de Cambray, qui tous avaient rapporté que le livre et les explications ne se pou voient soutenir (b). Deux évêques, à qui M. de Cambray les avait remises ont répondu de même. L'un est M. de Toul; je ne sais pas l'autre. Il avait voulu consulter M. d'Amiens, qui s'est excusé, ne croyant pas pouvoir rien gagner.

Le roi a résolu d'écrire de sa main au Pape sur cette affaire, afin que Sa Sainteté parle au plus tôt sur le livre. Il doit demain s'expliquer au nonce, et la lettre partira lundi, auquel jour M. de Paris, M. de Chartres et moi enverrons par le nonce notre déclaration sur le livre, signée de notre main, dont on vous enverra une copie..

M. de Reims est de retour.

 

(a) Ce prince se fit catholique pour pouvoir être roi de Pologne. — (b) Assurément on ne pouvait, d'une part, pousser la condescendance plus loin , ni de l'autre montrer plus d'entêtement. Qu'on nous dise ce qu'il fallait faire de plus pour ouvrir les yeux à ce prélat, et quelle plus grande obstination aurait pu lui mériter l'abandon des gens sages et équitables. (Les premiers édit. )

 

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LETTRE CXXXII. LE ROI  A  INNOCENT  XII. A Meudon, ce 86 juillet 1697.

 

Très-saint Père,

Le livre que l'archevêque de Cambray a composé, ayant depuis quelques mois excité beaucoup de bruit dans l'Eglise de mon royaume, je l'ai fait examiner par des évêques et par un grand nombre de docteurs et de savants religieux de divers ordres. Tous unanimement, tant les évêques que les docteurs, m'ont rapporté que le livre était très-mauvais et très-dangereux, et que l'explication donnée par le même archevêque n'était pas soutenable. Il avait déclaré dans la préface de son livre, qu'il voulait seulement expliquer et étendre la doctrine de ces mêmes évêques. Mais après avoir tenté toutes les voies de douceur, ils ont cru être obligés en conscience de faire leur Déclaration sur ce livre, et de la mettre entre les mains de l'archevêque de Damas, nonce de Votre Sainteté auprès de moi. Ainsi, très-saint Père, pour terminer une affaire qui pourrait avoir des suites très-fâcheuses, si elle n'était arrêtée dans son commencement, je supplie humblement Votre Sainteté de prononcer le plus tôt qu'il lui sera possible sur ce livre et sur la doctrine qu'il contient, assurant en même temps Votre Sainteté que j'emploierai toute mon autorité pour faire exécuter ses décisions, et que je suis, très-saint Père, votre très-dévot fils,

 

Louis.

 

EPISTOLA CXXXIII. BREVE INNOCENTII XII AD LUDOVICUM XIV. INNOCENTIUS PAPA XII.

 

Charissime in Christo fili noster, salutem. Ingenti plané gaudio recreati sensimus pastoralem nostram sollicitudinem, ubi ex

 

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litteris Majestatis tuœ, die 26 julii proximè prœteriti ad nos datis, ac etiam ex ore venerabilis Fratris nostri cardinalis Bullonii qui nobis eas reddidit, perspicuè intelleximus, quàm provido et prœstanti zelo ad periculosas, occasione libri à venerabili Fratre archiepiscopo Cameracensi nuper in lucem editi, exortas controversias, continué animum erexeris ; illasque, pro eo quo regium tuum pectus assidue flagrat, incomparabili studio incorruptè atque intègre custodiendi in florentissimo isto regno eam doctrinam, quam de fontibus Salvatoris haustam Romana Ecclesia cœterarum Mater et Magistra longe latèque diffundit, ad nos-trum et hujus sanctae Sedis judicium deferri curaveris, omnem subindè, pro eorum quae definienda duxerimus executione, auctoritatis regiaî efficaciam prsestiturus. Quemadmodùm itaque piissimam ac verè christianissimo rege dignam curam hanc tuam plurimùm in Domino commendamus; ità Majestati tuae signiflcamus nos memoratum librum illustrium theologorum examini subjecisse, quibus similiter transmissas nobis à venerabili Fratre archiepiscopo Daniascenq nuntio nostro, clarorum aliquot Galbai antistitum in illum animadversiones communi-cari jussimus, ut eô consultiùs quôd è re catholicà fuerit auctoritate apostolicà decernamus. Sed hœc omnia latiùs edisseret idem nuntius noster, qui egregiam Majestatis tuae pietatem, per-petuamque ac constantem in eamdem Sedem observanliam in-desinenter nos docet. Intérim eximiae religiosaeque cogitationes tuae protectorem eum expeiianlur, quem auctorem aguoscunt, enixè precamur, ac Majestati tuas apostolicam benedictionem amantissimè impertimur. Datum apud sanctam Mariam Majorera die 10 septembris 1697, anno Pontificatùs 7.

Spinola.

 

BREF DE N. S. P. LE PAPE A LOUIS XIV. INNOCENT XII, PAPE.

 

Notre-très cher Fils en Jésus-Christ, salut et bénédiction apostolique. Nous avons ressenti une grande joie au milieu de notre sollicitude pastorale, en apprenant par votre lettre du 26 de juillet

 

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dernier et de la bouche de notre vénérable frère le cardinal de Bouillon, avec quel zèle et quelle prévoyance vous vous portez à mettre fin aux disputes dangereuses qui se sont élevées à l'occasion du livre que notre vénérable Frère l'archevêque de Cambray a publié depuis peu. Rien ne nous touche plus que le saint désir que vous témoignez, de conserver pure et entière dans votre florissant royaume la doctrine puisée dans les fontaines du Sauveur, que l'Eglise Romaine, Mère et Maîtresse de toutes les autres, a répandue dans tout le monde; et qui vous a engagé à invoquer sur cette affaire notre jugement et celui du saint Siège, bien déterminé à employer votre autorité royale pour faire exécuter notre décision. Ces soins que la piété vous inspire et vraiment dignes d'un roi très-chrétien, méritent tous nos éloges; et pour y correspondre, nous donnons avis à Votre Majesté que nous avons commis l'examen de ce livre à des théologiens éclairés, auxquels nous avons aussi communiqué les observations faites sur ce livre par quelques illustres évêques de France, et que notre vénérable Frère l'archevêque de Damas notre nonce nous a envoyées, afin de nous mettre en état de statuer avec maturité par notre autorité apostolique ce que le bien de l'Eglise pourra exiger. Notre nonce qui dans toutes ses dépêches ne cesse de relever la piété de Votre Majesté et son respect toujours uniforme et constant pour le saint Siège, vous expliquera plus en détail toutes ces choses. Nous prions instamment l'auteur de vos religieux desseins de vous en accorder l'accomplissement. Nous donnons avec une tendre affection à Votre Majesté notre bénédiction apostolique. Donné à Sainte-Marie-Majeure le 10 de septembre 1697, la septième année de notre pontificat.

Spinola.

 

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LETTRE CXXXIV. BOSSUET  A  SON NEVEU  (a). A Paris, ce 29 juillet 1697.

 

J'ai reçu par le dernier courrier vos deux lettres, celle du 2 et celle du 9.

On vous envoie par cet ordinaire huit de mes livres, de la seconde édition; six sont déjà partis par un autre ordinaire. Peut-être qu'à la fin le paquet de M. Anisson, qui est arrivé à Livourne, cheminera. La seconde édition est remarquable par son addition, qui est importante : lisez-la bien, et la faites bien remarquer. Les huit livres qu'on vous envoie seront en deux paquets : on paiera ici le port sur le pied de douze livres.

Il n'y a point encore de nouvelles de la prise de Barcelone. L'affaire de Pologne se soutient. Nous avons contre nous l'éloignement. La meilleure nouvelle qu'on puisse mander est celle de la parfaite santé du roi.

L'ordonnance de M. de Reims (b) ne fait ici aucun bruit. Je ne me signalerai pas par de semblables actes. C'est à ceux qui remplissent les grands sièges à parler; pour moi, je me contenterai de faire les choses sans éclat.

Je n'ai point reçu la lettre que M. le cardinal de Bouillon me devait écrire. Je ne l'attendrais pas pour lui envoyer les propositions qu'on reprend dans le livre de M. de Cambray, si cela était en mon pouvoir. Mais il faut que tout soit arrêté avec deux autres prélats; et encore qu'on soit d'accord du fond, chacun ajoute et diminue comme il l'entend : de sorte que je ne puis rien écrire de précis, et que d'ailleurs il me fâche d'écrire en l'air. C'est ce que vous direz à M. le cardinal. Vous y pourrez ajouter que

 

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) Cette ordonnance, du 24 mai 1697, regardait les réguliers, et portait qu'aucun ne serait admis dans le diocèse de' Reims à l'administration des sacrements, que lorsque outre le certificat de vie et de mœurs de leurs supérieurs, l'évèque dans le diocèse duquel ils auraient fait leur dernier séjour leur aurait donné un témoignage authentique de la sagesse de leur conduite, et du bon usage qu'ils auraient fait des pouvoirs qui leur avaient été confiés. (Les édit.)

 

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M. de Cambray n'avance pas ses affaires par ses procédés: il croit tout gagner en me disant sa partie ; mais personne n'en veut rien croire. On n'est guère content de son obstiné refus à conférer avec nous, tant que je serai présent. Il y perd lui-même beaucoup ; car j'ai pour lui un fond de bonne intention inaltérable, malgré ses emportements contre moi. Il se taille bien des affaires, dont il sortira très-mal apparemment des deux côtés; et l'air plaintif et opprimé qu'il se veut donner ne plaît guère.

Nous attendons toujours votre retour, et il n'y a que les chaleurs qui vous puissent retarder. Nous nous portons bien, Dieu merci.

J'ajoute sur M. de Cambray qu'il ne croit personne que ceux qui le flattent : cela répond à une des choses que M. le cardinal de Bouillon vous ordonne de m'écrire. Assurez-le de mes très-humbles respects, et M. le cardinal de Janson. J'embrasse M. Phelippeaux.

Vous devez commencer à parler d'une manière plus douteuse de M. de Cambray, dont je vous écrirai plus précisément, quand j'aurai eu le loisir de voir les dispositions de la Cour. M. de Paris me retient ici ; et j'y suis occupé à rédiger les articles sur le livre de M. de Cambray, qu'on remettra lundi à M. le nonce pour le Pape. Cependant le roi a parlé très-puissamment au nonce, qui écrit conformément au discours de Sa Majesté ; j'ai vu sa lettre. Le roi écrit lui-même aujourd'hui très-fortement. On se défie des Jésuites et du cardinal de Bouillon : on se servira de la main du roi pour écrire au Pape. Le pauvre M. de Cambray aura ordre de se retirer. Le P. de la Chaise, patron du cardinal de Bouillon, ne paraît point dans tout cela ; mais on lui attribue tout. On croit que cette affaire reculera l'abbé d'Auvergne (a).

Aussitôt qu'on aura remis à M. le nonce la lettre du roi, j'agirai, et de mon chef. Retenez M. Phelippeaux ; écoutez beaucoup à Rome. La fureur de M. de Cambray contre moi est extrême : sa cabale est terrible, et ses artifices également ; mais nous avons pour nous Dieu, la vérité, la bonne intention, le courage, le roi,

 

(a) Neveu du cardinal de Bouillon.

 

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Madame de Maintenon, etc. J'ai besoin d'attention et de patience. M. le nonce est bien intentionné pour moi. D'où vient que vous n'avez pas encore écrit à M. de Metz?

 

LETTRE CXXXV. BOSSUET A M.  DE LA BROUE. A Paris, ce 1er août 1697.

 

Pour réponse à vos précédentes, le roi et Madame de Maintenon sont toujours d'accord sur le livre de M. de Cambray. J'en suis content, et les évêques qui ont parlé au roi sur le livre doivent donner lundi leur Déclaration, pour être envoyée à Rome par l'agent du Pape. Le roi lui a parlé nettement de M. de Cambray et du livre, fondé sur l'avis des évêques. Le roi a écrit au Pape de sa main : tout cela est fait, et vous voyez ce qui reste à faire. M. de Paris fait un peu de peine : mais la patience vient à bout de tout. Tout sera fait pour lundi : le roi le désire. Après cela M. de Paris s'expliquera par une Instruction, en attendant que Rome parle. Rome n'est point favorable au livre, quoiqu'il ait pour lui le P. de la Chaise et les Jésuites. M. de Cambray n'évitera pas le saint Office. Je souhaiterais (une autre manière; mais il faut laisser faire Rome à sa mode. Les évêques se déclareront : on n'en vient à tout cela qu'après avoir tout tenté. M. de Cambray est inexorable, et d'un orgueil qui fait peur : on n'a rien voulu vous dire que les choses ne fussent réglées.

Outre l'examen que nous avons fait, M. de Paris, M. de Chartres et moi, comme appelés en témoignage par M. de Cambray dans son Avertissement et dans sa Lettre au Pape, M. de Cambray a demandé le sentiment de M. d'Amiens et de M. de Toul, dont le premier s'est excusé, et l'autre lui a déclaré son sentiment contraire au sien. Outre cela M. de Paris a donné le livre à examiner à huit théologiens sorbonnistes et autres, qui sans aucune communication et sans se connaître, se sont déclarés contre le livre et contre les explications que l'auteur leur voulait donner. Il a pris le ton plaintif et opprimé ; mais tout cela sera faible, et

 

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on découvrira tous ses artifices. Le refus obstiné qu'il a fait de conférer avec les trois évêques, scandalise les honnêtes gens, et fait voir qu'il a bien cru qu'on le convaincrait.

 

LETTRE CXXXVI. BOSSUET A  L'ABBÉ RENAUDOT. Jeudi matin.

 

Vous me ferez plaisir, Monsieur, de remercier Monseigneur le nonce du soin qu'il prend de m'avertir. Tout serait prêt de ma part ; mais le concert pourra prolonger les affaires de huit jours. J'aurai l'honneur, avant lundi, de voir Monseigneur le nonce. Je dînerai ici, et n'en partirai qu'à cinq heures: en attendant, votre visite me sera toujours fort agréable.

 

LETTRE CXXXVII. BOSSUET  A   SON NEVEU  (a). A Paris, ce 5 août 1697.

 

J'ai reçu vos deux lettres, l'une par le courrier de M. le cardinal de Janson, l'autre de date antérieure par l'ordinaire du 16 juillet. La joie qu'on a eue ici de la promotion (b) a été très-grande. On a vu la bonne volonté du Pape pour la France, qui a beaucoup réjoui; et la personne de M. le cardinal de Coislin (c) étant fort aimée, on eût dit selon l'expression de M. de Noyon, que tout le monde avait été fait cardinal. M. Noblet m'a vu ce matin; j'ai été longtemps avec lui. Selon ce que je vois, cette lettre ne trouvera plus son patron (d) à Rome.

M. l'archevêque de Cambray, après avoir refusé tous les partis où M. de Paris avait tâché de le porter pendant trois mois pour le tirer d'affaire, a eu ordre de se retirer dans son diocèse, et il

 

(a) Revue sur l'original. — (b) Des cardinaux. — (c) Pierre du Cambout de Coislin, né à Paris en 1636, nommé évèque d'Orléans en 1665, fut fait cardinal le 22 juillet 1697. Il mourut le 5 février 1706. — (d) Le cardinal de Janson.

 

 

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est parti de samedi. Il a fait auparavant entre les mains de M. le nonce, un acte dont je ne sais pas encore le contenu. Il proteste en général de nullité de tout ce qu'on peut faire contre lui, attendu qu'il s'est soumis au Pape, et qu'il a demandé de s'aller présenter en personne à Sa Sainteté ; ce qu'il espère encore obtenir, quoiqu'en effet il sache bien que le roi n'en veut point entendre parler. Ainsi c'est en quelque façon contre le roi qu'il proteste. Personne ne peut, ni ne veut rien faire juridiquement contre lui : mais pour empêcher que nous ne rendions au Pape même le témoignage de la vérité, auquel il nous appelle lui-même, rien ne le peut empêcher; et ce n'est pas là prévenir le jugement du Pape, non plus que les instructions que nous donnerons sans aucune marque de juridiction, pour empêcher l'erreur de gagner.

Vous me faites plaisir de me mander la bonté et la confiance que M. le cardinal de Bouillon vous témoigne. Sur ce que toutes les fois qu'il m'a parlé ou écrit de l'affaire de M. de Cambray, il en parlait comme d'une affaire entre ce prélat et moi, je l'ai supplié, et même par une lettre depuis son départ, de ne me point faire le tort de me considérer comme partie. Je n'ai aucune affaire avec M. de Cambray, que celle qu'il a avec tous les évêques et toute l'Eglise par sa mauvaise doctrine. M. le cardinal m'a fait l'honneur de me marquer la réception de la lettre où je lui écri-vois cela; mais il n'y répond rien. Ainsi je vous prie de ne point manquer de lui faire faire attention sur le tort qu'il me ferait de tourner ceci en affaire particulière ; et au reste vous pouvez dire que je n'ai ni n'ai jamais eu aucun démêlé particulier avec M. de Cambray, à qui j'ai fait en tout temps toutes sortes de plaisirs, dont j'ai tout le monde et le roi même pour témoins. Gardez pourtant toujours beaucoup de modération sur son sujet.

Notre Déclaration (a) sur le livre de M. de Cambray est arrêtée, sera signée demain et donnée à M. le nonce pour Rome : c'est un témoignage au Pape de notre doctrine. Les trois évêques n'ont pu faire autre chose : tout le clergé se serait fâché, s'ils s'étaient portés pour accusateurs de M. de Cambray. En effet

 

(a) Cet ouvrage se trouve, vol. XIX, p. 495 et suiv.

 

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pourquoi M. de Paris, M. de Chartres et moi, serions-nous plutôt ses accusateurs que les autres évêques ? Ce qui nous donne droit d'agir, c'est que M. de Cambray nous ayant appelés en témoignage dans la préface de son livre, on nous regarderoit avec raison comme les fauteurs et les garants de ses erreurs, si nous restions dans le silence : mais aussi nous ne pouvons aller au-delà d'une déclaration de nos sentiments. Le roi a suppléé à tout, en demandant au Pape un jugement. Je vous enverrai notre Déclaration par le prochain ordinaire : je joindrai de temps en temps d'autres mémoires. Entendez bien la procédure. Madame de Maintenon m'écrit qu'il faut que vous et M. Phelippeaux soyez attentifs. Il faut parler avec modération, comme j'ai marqué par mes précédentes.

J'attendrai l'écrit que vous me promettez de M. Phelippeaux (a). Je crains que la tête du Pape ne soit pas trop bonne. J'étudierai la matière et me servirai de la conjoncture auprès du nonce. M. le nonce (b) est bien disposé pour moi, et contre M. de Cambray. Il n'est pas content du cardinal de Bouillon, croyant être cardinal plutôt que celui de son pays.

Nous nous portons bien. M. Noblet m'a dit mille biens de M. Phelippeaux; et je lui ai dit qu'il m'en avait beaucoup écrit de lui, et vous aussi.

On vous enverra quatre livres de la seconde édition par le prochain ordinaire : ainsi avec six et huit des deux envois précédens, vous en aurez dix-huit.

 

(a) C'était des notes sur le livre des Maximes des Saints. — (b) M. Delphini, nonce en France, qui devint cardinal en 1699. Il croyait avoir sujet de se plaindre du cardinal de Bouillon qui, selon lui, n'avait pas assez fortement sollicité sa promotion. Il prétendait qu'ayant témoigné depuis le commencement de sa nonciature beaucoup d'attachement pour la France, le cardinal de Bouillon ne devait pas souffrir que le chapeau qu'il pensait mériter fût donné à M. Grimani, Vénitien comme lui, et que le cardinal de Bouillon favorisait, quoiqu'il fût entièrement dans les intérêts de l'empereur et ennemi de la France. Le cardinal Grimani fut depuis vice-roi de Naples. (Les édit.)

 

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LETTRE CXXXVIII. BOSSUET A SON NEVEU (a).  A Paris, ce 12 août 1697.

 

Aujourd'hui enfin partira la Déclaration des trois Evêques : prenez-en bien l'esprit. M. le nonce écrit tout ce qu'il faut pour y faire entrer la Cour de Rome.

M. de Cambray a répandu une lettre (b) sur sa retraite forcée, qui lui prépare des apologies et des évasions. Il ne songe qu'à se donner un air plaintif et opprimé. Vous ne manquerez pas de bien remarquer les excuses qu'il se prépare, si on le condamne en général : si même l'on désigne les propositions en particulier, il se sauvera par le sens et il menace de souscription avec restriction.

Tout le monde trouve ces manières étranges, et préparatoires au schisme. L'auteur en témoigne toutes les dispositions ; et rien ne l'en sauvera que de se voir, comme il sera, entièrement destitué de sectateurs. Il met toute sa confiance au cardinal de Bouillon, aux Jésuites, en ses airs plaintifs et à ses explications, sur lesquelles vous recevrez bientôt un mémoire fort instructif. Il se fonde fort sur saint François de Sales. Outre ce que vous en verrez dans mon Livre, vous recevrez aussi un Mémoire, où il sera démontré qu'il en a tronqué, altéré et pris à contre-sens huit ou dix passages capitaux.

J'ai parlé de vous faire demeurer à Borne avec M. Phelippeaux : le roi l'a fort approuvé, aussi bien que Madame de Maintenon. Vous tournerez votre lettre de manière que je la puisse faire voir à Sa Majesté ; vous saurez bien tourner le séjour de Rome, et me dire ce qu'il faudra à part ; M. de Reims, M. de Paris et M. de Chartres le sauront.

Il n'y aura sur M. de Cambray qu'à parler sobrement, et à prêter l'oreille. Il croit la Cour de Rome favorable. Vous aurez

 

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) Cette lettre suit celle-ci.

 

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reçu pour les trois cardinaux (a) les lettres que vous souhaitiez.

L'abbé de Chanterac, grand-vicaire de M. de Cambray, doit aller à Rome (b). Il va encore un homme dont je ne sais pas le nom (c).

Les nouvelles de Pologne ne nous disent rien de certain. Au mouvement qu'on voit ici, on conjecture qu'on trame quelque chose pour le départ soudain du prince. Mais ce n'est que conjecture. Barcelone va lentement, mais sûrement. On veut la paix faite surtout avec l'Angleterre.

Je reçois en ce moment votre lettre du 3. Je suis bien aise que vous ayez reçu les lettres pour les trois cardinaux.

Le nonce est fâché. Point cardinal. Il espère au premier chapeau. Il est fort bien en cette Cour. Il fait fort bien contre M. de Cambray. Il a eu une audience sur les chapeaux; il y a été parlé de Pologne.

Nectes causas sur votre séjour sans vous déclarer. Vous avez beaucoup à vous défier de M. le cardinal de Bouillon. Vous en avertirez M. Phelippeaux.

Les Jésuites ont soutenu ici quatre thèses, et font valoir le pur amour; je crois qu'on leur parlera.

Nos Articles et nos censures, dont il est parlé dans notre Déclaration, sont, comme vous savez, à la fin de mon Livre (d).

 

LETTRE CXXXIX. M. L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY A UN AMI (e). Ce 3 août 1697.

 

Ne soyez point en peine de moi, Monsieur : l'affaire de mon Livre va à Rome. Si je me suis trompé, l'autorité du saint Siège

 

(a) Ces trois cardinaux étaient Casanate, Noris et d'Aguirre. Bossuet était en relation avec eux ; mais la plupart des lettres qu'il leur écrivoit nous manquent, et nos  recherches et nos sollicitations n'ont pu nous les procurer. (Les premiers édit.) — (b) Il y arriva le 12 septembie 1697. — (c) C'était un ecclésiastique nommé la Templerie. — (d) L’Instruction sur les Etats d'oraison .—  (e) M. le duc de Beauvilliers.

 

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me détrompera ; et c'est ce que je cherche avec un cœur docile et soumis : si je me suis mal expliqué, on réformera mes expressions : si la matière paraît mériter une explication plus étendue, je la ferai avec joie par des additions : si mon Livre n'exprime qu'une doctrine pure, j'aurai la consolation de savoir précisément ce qu'on doit croire et ce qu'on doit rejeter. Dans ce cas même je ne laisserais pas de faire toutes les additions qui, sans affaiblir la vérité, pourraient éclaircir et édifier les lecteurs les plus faciles à s'alarmer. Mais enfin, Monsieur, si le Pape condamne mon Livre, je serai, s'il plaît à Dieu, le premier à le condamner, et à faire un mandement pour en défendre la lecture dans le diocèse de Cambray. Je demanderai seulement au Pape qu'il ait la bonté de me marquer précisément les endroits qu'il condamne, et les sens sur lesquels porte sa condamnation, afin que ma souscription soit sans restriction, et que je ne coure aucun risque de défendre, ni d'excuser, ni de tolérer le sens condamné. Avec ces dispositions que Dieu me donne, je suis en paix, et je n'ai qu'à attendre la décision de mon supérieur, en qui je reconnais l'autorité de Jésus-Christ. Il ne faut défendre l'amour désintéressé qu'avec un sincère désintéressement. Il ne s'agit pas ici du point d'honneur, ni de l'opinion du monde, ni de l'humiliation profonde que la nature doit craindre d'un mauvais succès. J'agis, ce me semble, avec droiture : je crains autant d'être présomptueux et retenu par une mauvaise honte que d'être faible, politique et timide dans la défense de la vérité. Si le Pape me condamne, je serai détrompé, et par là le vaincu aura tout le véritable fruit de la victoire : Victoria cedet victo, dit saint Augustin. Si au contraire le Pape ne condamne point ma doctrine, je tâcherai par mon silence et par mon respect d'apaiser ceux d'entre mes confrères dont le zèle s'est animé contre moi, en m'imputant une doctrine dont je n'ai pas moins d'horreur qu'eux, et que j'ai toujours détestée. Peut-être me rendront-ils justice, en voyant ma bonne foi.

Je ne veux que deux choses, qui composent ma doctrine : la première, c'est que la charité est un amour de Dieu pour lui-même, indépendamment du motif de la béatitude qu'on trouve

 

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en lui ; la seconde, est que dans la vie des âmes les plus parfaites, c'est la charité qui prévient toutes les autres vertus, qui les anime et qui en commande les actes, pour les rapporter à sa fin ; en sorte que le juste de cet état exerce alors d'ordinaire l'espérance et toutes les autres vertus avec tout le désintéressement de la charité même qui en commande l'exercice. Je dis d'ordinaire, parce que cet état n'est pas sans exception, n'étant qu'habituel et point invariable. Dieu sait que je n'ai jamais voulu enseigner rien qui passe ces bornes. C'est pourquoi j'ai dit, en parlant du pur amour, qui est la charité en tant qu'elle anime et commande toutes les autres vertus distinctes : « Quiconque n'admet rien au delà, est dans les bornes de la tradition : quiconque passe cette borne, est déjà égaré (a). »

Je ne crois pas qu'il y ait aucun danger que le saint Siège condamne jamais une doctrine si autorisée par les Pères, par les écoles de théologie et par tant de grands saints que l'Eglise romaine a canonisés. Pour les expressions de mon Livre, si elles peuvent nuire à la vérité faute d'être correctes, je les abandonne au jugement de mon supérieur ; et je serais bien fâché de troubler la paix de l'Eglise, s'il ne s'agissait que de l'intérêt de ma personne et de mon Livre.

Voilà mes sentiments, Monsieur. Je pars pour Cambray, ayant sacrifié à Dieu au fond de mon cœur tout ce que je puis lui sacrifier là-dessus. Souffrez que je vous exhorte à entrer dans le même esprit. Je n'ai rien ménagé d'humain et de temporel pour la doctrine que j'ai crue véritable. Je ne laisse ignorer au Pape aucune des raisons qui peuvent appuyer cette doctrine. En voilà assez : c'est à Dieu à faire le reste, si c'est sa cause que j'ai défendue. Ne regardons ni l'intention des hommes, ni leurs procédés : c'est Dieu seul qu'il faut voir en tout ceci. Soyons les enfants de la paix, et la paix reposera sur nous : elle sera amère, mais elle n'en sera que plus pure. Ne gâtons pas des intentions droites par aucun entêtement, par aucune chaleur, par aucune industrie humaine, par aucun empressement naturel pour nous justifier. Rendons simplement compte de notre bonne foi : laissons-nous

 

(a) Maximes des Saints, Avertissement, p. 17.

 

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corriger, si nous en avons besoin; et souffrons la correction, quand même nous ne la mériterions pas.

Pour vous, Monsieur, vous ne devez avoir en partage que le silence, la soumission et la prière. Priez pour moi dans un si pressant besoin : priez pour l'Eglise qui souffre de ces scandales : priez pour ceux qui agissent contre moi, afin que l'esprit de grâce soit en eux pour me détromper si je me trompe, ou pour me faire justice si je ne suis pas dans l'erreur : priez pour l'intérêt de l'oraison même qui est en péril, et qui a besoin d'être justifiée. La perfection est devenue suspecte : il n'en fallait pas tant pour en éloigner les chrétiens lâches et pleins d'eux-mêmes. L'amour désintéressé paraît une source d'illusion et d'impiété abominable. On accoutume les chrétiens, sous prétexte de sûreté et de précaution, à ne chercher Dieu que par le motif de leur béatitude et, par intérêt pour eux-mêmes : on défend aux âmes les plus avancées de servir Dieu par le pur motif, par lequel on avait jusqu'ici souhaité que les pécheurs revinssent de leur égarement, je veux dire la bonté de Dieu infiniment aimable. Je sais qu'on abuse du pur amour et de l'abandon : je sais que des hypocrites, sous de si beaux noms, renversent l'Evangile : mais le pur amour n'en est pas moins la perfection du christianisme; et le pire de tous les remèdes est de vouloir détruire les choses parfaites, pour empêcher qu'on n'en abuse. Dieu y saura mieux pourvoir que les hommes. Humilions-nous , taisons-nous ; au lieu de raisonner sur l'oraison , songeons à la faire. C'est en la faisant que nous la défendrons ; c'est dans le silence que sera notre force.

 

Fr. archevêque, duc de Cambray.

 

LETTRE CXL. BOSSUET  A  SON  NEVEU  (a). A Germigny, ce 18 août 1697.

 

J'ai reçu votre lettre du 30 juillet. Vous aurez reçu à présent mes lettres aux trois cardinaux. Je fais réponse au cardinal de

(a) Revue et complétée sur l'original.

 

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Bouillon, sur le compliment qu'il m'a fait comme conseiller d'Etat.

Il n'y a rien de nouveau sur M. de Cambray, sinon que sa lettre, qu'on a répandue avec tant de soin, soulève tout le monde autant que le Livre. Je vous envoie à toutes fins une réponse que j'y ai faite comme sous le nom d'un tiers (a). Je ne sais encore quel usage j'en ferai ici ; mais par l'ordinaire prochain vous recevrez une instruction latine (b) très-importante, avec des lettres pour quelques cardinaux à qui vous la pourrez présenter. Vous aurez reçu avant cette lettre, les douze exemplaires de mon livre que vous souhaitiez.

Le cardinal Petrucci (c) est un pauvre acteur. Je suis étonné de la netteté avec laquelle il vous a parlé : j'aimerais mieux que l'affaire fût plus secrète. Portez-vous bien : je continuerai à vous écrire à Rome, présupposant que mes lettres précédentes vous arrêteront.

Je ne vous dis rien de la prise de Barcelone, du 10. On a accordé une bonne capitulation en faveur de la reddition du château de Mont***. On ne dit rien de fort bon du côté de la Pologne.

J'ai vu entre les mains de M. le nonce une protestation en français, écrite de la main de M. de Cambray, où il commence par dire qu'un évêque l'ayant accusé d'avoir contrevenu aux Articles délibérés à Issy, il proteste qu'il s'en tient à cette doctrine : il se plaint qu'on lui a refusé la liberté de s'expliquer : proteste de sa soumission en termes fort simples et fort clairs : est prêt à soutenir devant le Pape qu'il n'a rien dit de contraire aux Articles d'Issy : s'il n'a pas envoyé son livre latin, c'est que le roi lui a témoigné qu'il valait mieux traiter à l'amiable : qu'il aurait été à Rome, si le roi l'avait voulu permettre : il supplie M. le nonce de garder l'original de sa protestation, et d'en envoyer une copie au Pape.

On lui a si peu refusé de s'expliquer, que nous avons en seize gros cahiers ses explications. Elles ne sont ni bonnes en elles-

 

(a) Réponse à une lettre de M. l’archevêque de Cambray. Se trouve vol. XIX, p. 149. — (b) SUMMA DOCTRINA LIBRI CUI TITULUS : Explication des Maximes des Saints, vol. XIX, p. 453. — (c) Ce cardinal avait été disciple de Molinos. Il en sera parlé  plusieurs fois dans la suite.

 

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mêmes, ni conformes au texte : il répond sur la plupart des difficultés qu'on lui a faites, et ce n'est qu'illusion. Il ne manquera pas de les ajuster, et même d'en envoyer d'autres : à quoi il faudra être attentif, aussi bien qu'à son Ordonnance ou Lettre pastorale explicatoire, qu'on dit toujours qu'il prépare, et qu'il pourra bien envoyer à Rome sans la publier sur les lieux.

Il y a une affectation à m'attaquer seul, pendant qu'avec trois autres... Il faut parler avec beaucoup de modération, de peur de donner lieu à ce qu'il dit contre moi comme sa partie ; et je vous prie de bien avertir de ceci M. Phelippeaux.

Assurez bien de mes respects très-particuliers M. le cardinal Casanate.

 

LETTERE CXLI. IL CARDINALE D'AGUIRRE AL SIGNOR VESCOVO BOSSUET. Roma , 20  agosto 1697.

 

Il Signor abbate Bossuet nepote degnissimo di vostra Signoria illustrissima si è compiaciuto li giorni passati di felicitare le mie brame, con porgermi sicure nuove délia prospéra e perfetta salute di vostra Signoria illustrissima tanto necessaria alla Chiesa di Dio, la quale ella non cessa sempre mai di piu illustrare con le sue degnissime opère. Conforme ho avuto l'onore di vedere in questa ultima sua, che il medesimo Signor abbate si è degnato presentarmi, dell' Instruzione sopra li Stati dell' Orazione contro la setta del quietismo ; e benche non abbia potuto leggerlo intieramente, atteso il poco tempo che mi permettono le mie moite occupazioni, nulladimeno ho avuto la consolazione di poter far giudizio dalli primi due libri, quello che sarà tutto il resto dell'opera, colma di erudizione e pietà, veramente in tutto degna e propria délia sua gran virtù. Quanto bramerei potergli significare a viva voce i miei sensi délia stima cosi particolare, che conservo al suo merito, di che puô farne qualche testimonianza il sudetto signor Abbate, a cui ebbi jeri l'onore di condurremeco in carrozza, per ammirare nella conversazione il suo gran talento e virtù, degno seguace e nepote di un tanto Prelato, come vostra

 

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Signoria illustrissima, alla quale rassegnando, con l'intimo dell' animo i miei piu fervorosi rispetti, che desidero vengano esercitati dalla di lei gentilezza con il favore di molti suoi pregiatissimi commandi, resto con baciare a vostra Signoria illustrissima le mani.

 

LE CARDINAL D'AGUIRRE A BOSSUET.

 

M. l'abbé Bossuet, votre digne neveu, a mis ces jours derniers le comble à mes désirs, en me donnant des nouvelles bien certaines de votre santé, si précieuse à l'Eglise que vous ne cessez d'enrichir de vos excellens ouvrages. C'est ce que me prouve encore votre dernière Instruction sur les états d'oraison contre la secte du quiétisme. M. l'abbé a eu la bonté de me la donner; et quoique la multitude de mes occupations ne m'ait pas permis de la lire en entier, je ne laisse pas déjuger par les deux premiers livres de ce que doit être le reste de l'ouvrage. La piété et l'érudition y brillent à l'envi, et le rendent tout à fait digne de vos lumières et de votre vertu. Que je désirerais pouvoir vous exprimer de vive voix les sentiments de la haute estime que je vous ai vouée, et combien j'honore votre mérite! M. l'abbé pourra vous en rendre témoignage. J'ai eu l'honneur de le conduire hier dans ma voiture pour jouir de sa conversation; et j'ai admiré les grands talents et la vertu de ce digne neveu, fidèle imitateur du grand prélat auquel il a le bonheur d'appartenir. Agréez l'hommage du respectueux attachement que je vous réitère du plus profond de mon cœur : honorez-moi de le croire, et disposez sans réserve de celui qui a l'honneur d'être, etc.

 

LETTRE CXLII.  BOSSUET  A   M.   DE  RANCÉ. A Germigny, le 22 août 1697.

 

Monsieur l'abbé Berrier me donne la joie, Monsieur, de m'apprendre que votre santé se soutient, et que votre vivacité pour

 

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la saine doctrine ne diminue pas. On a bien politique sur vos lettres : mais après tout, qui peut trouver à redire que vous ayez écrit votre sentiment à un ami? Ce serait en tout cas à moi qu'il se faudrait prendre du cours qu'ont eu vos deux lettres. Mais je n'ai jamais eu le dessein de les divulguer ; et après tout, c'est l'effet d'une particulière permission de Dieu. Oui, Dieu voulait que vous parlassiez. Peut-être veut-il encore que vous souteniez votre sentiment de raisons. Faites-le, Monsieur, si Dieu vous en donne le mouvement, et envoyez-moi votre écrit. J'en ferai l'usage que Dieu veut, et je ne cacherai pas la lumière sous le boisseau. Si une lettre de M. de Cambray, qui a couru dans le monde sur sa retraite, vient à vous, vous y sentirez sans doute, aussi bien que moi, un très-mauvais caractère ; mais Dieu y mettra la main, et j'espère qu'à cette occasion la fausse spiritualité sera découverte. Je suis à vous, Monsieur, de tout mon cœur.

Rien ne m'empêchera, s'il plaît à Dieu, de vous aller voir que la conjoncture des affaires. Si j'ai huit jours de libre, je ne manquerai pas d'en profiter et je l'espère.

 

LETTRE CXLIII. L'ABBÉ BERBIER A M. DE RANCÉ. A Torci, ce 23 août 1697.

 

Voici, Monsieur, une lettre de M. l'évêque de Meaux : je crois qu'il vous parle des affaires présentes. Je lui ai dit ce que M. Boileau m'avait engagé de vous dire; sur quoi il m'a répondu que depuis la lettre que M. de Cambray a donnée au public sous le nom d'un ami, il n'y avait plus guère de ménagements à garder, et que depuis cette lettre il changeait de manière de parler. La voici avec une réponse qui y a été faite : M. de Meaux vous prie de ne point donner copie de cette dernière, ni en dire l'auteur. L'opiniâtreté est aussi grande qu'elle peut être de la part de M. de Cambray. Non-seulement M. l'archevêque de Paris n'y a rien gagné, ni M. l'évêque de Chartres, ni plusieurs qui s'en sont mêlés. Mais il persiste avec hauteur dans son sentiment,

 

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quoique M. le nonce lui ait dit que s'il ne satisfait pas les évêques de France, très-certainement il sera condamné à Rome. M. de Paris doit écrire sur cette affaire, et M. de Meaux attend ce qu'il aura donné au public, pour faire imprimer le Mémoire qu'il a fait donner à M. de Cambray sur cette affaire, dans lequel il relève quarante-huit propositions toutes hérétiques, erronées ou tendantes à hérésie, qu'il a extraites du livre de cet archevêque.

Pour ce qui vous regarde, c'est M. le nonce qui a envoyé vos lettres au Pape, et elles sont publiques à Rome comme à Paris. On a voulu dire en grande assemblée et en présence de M. de Meaux, que c'était M. Maisne qui en avait donné copie : il l'a justifié en disant que c'était si peu lui, que sur le bruit de ces lettres vous lui eu aviez demandé une copie, et qu'ainsi on ne pouvait vous accuser en rien. Ensuite il dit à ces prélats, M. de Bayeux en était un, que puisque M. de Cambray vantait tant les expériences comme nécessaires pour juger sur les états d'oraison, on ne pouvait rejeter votre sentiment; vous qui outre une science profonde avez l'expérience de tant de saints que vous avez conduits pendant plus de trente années. Je crois qu'il vous mande qu'il approuve fort que vous écriviez sur cette matière : mais il m'a dit de vous mander de lui montrer ce que vous aurez écrit avant de le faire voir, parce qu'il y a des faits que vous ne pouvez bien savoir par le public, sur lesquels il vous avertirait. Il fera ce qu'il pourra pour vous aller voir; ce qui me paraît incertain, parce qu'il ne veut pas s'écarter à cause du mouvement présent où sont les choses. Quand j'aurai l'honneur de vous voir, je vous dirai le reste des autres circonstances de cette affaire. M. de Cambray n'a pas un évêque qui soit déclaré pour lui ; mais le parti est fort dans les autres états, soit à la Cour, soit à la ville : c'est ce public qu'il faut à présent détromper.

Je vais chez M. l'archevêque de Paris : si j'apprends quelque chose de plus sur cette affaire, je l'ajouterai à cette lettre avant que de l'envoyer à la poste. Je suis avec tout l'attachement possible, et en quoi que ce soit, Monsieur, plus à vous que personne du monde.

 

L'abbé Berrier.

 

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Ce 24.

 

Je ne vis hier M. l'archevêque de Paris qu'un moment : j'arrivai à Conflans comme il allait monter en carrosse, pour aller à Paris y chanter le Te Deum pour la prise de Barcelone; mais je fus quelque temps avec M. l'abbé de Beaufort, qui fut présent à toutes les conférences de M. l'archevêque de Paris avec M. de Cambray. Il me dit que celui-ci en avait très-mal usé avec M. de Paris, pour ne pas dire qu'il l'avait maltraité ; que le parti était fort; que l'Université de Louvain était divisée; qu'il y avait des évêques en France qui n'osaient parler, mais qui dans le fond étaient pour M. de Cambray; enfin j'ai bien vu que l'on se repent presque de la condescendance que l'on a eue pour lui, ne s'étant servi de ce temps que pour grossir son parti. M. l'archevêque de Paris est resté enfermé à Conflans toute cette semaine, et je crois que c'a été pour écrire sur cette affaire, dont à présent on va presser le jugement à Rome. Je lui ai dit une partie de ce que vous m'avez dit, lorsque j'ai eu l'honneur de vous voir. Vos sentiments plaisent à tous les gens de bien, et d'autant plus aux prélats, que M. de Cambray objectant toujours les expériences, on lui objecte les vôtres, sans doute plus exactes aussi bien que plus élevées que les siennes, soit par rapport à vous, soit par rapport au grand nombre de saints religieux que vous conduisez depuis si longtemps. Ainsi ce que vous écrirez leur fera un aussi grand plaisir qu'il sera de grand poids.

 

LETTRE CXLIV. BOSSUET A SON NEVEU  (a). A Juilly, ce 26 août 1697.

 

J'ai reçu votre lettre du 26 juillet. Je vous envoie ce que je vous avais promis par l'ordinaire précédent. Il a fallu joindre cet éclaircissement (b) et cette confirmation à notre Déclaration, qui

 

(a) Revue et complétée sur l'original. — (b) C'est-à-dire le Summa doctrines, et la Lettre d'un Docteur.

 

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devait être plus sommaire ; et y ajouter ce qui regardait l'état où M. de Cambray voulait mettre la question, et quelque chose en général sur ses explications que nous avons entre les mains, mais auxquelles nous ne savons pas s'il se veut tenir.

Je ne laisserai pas à tout hasard de vous envoyer quelques remarques (a) dessus, pour vous seulement et pour vous en servir dans le besoin.

La pièce latine est fort importante. Remarquez bien qu'une des illusions qu'on veut faire à la vérité, c'est de tourner cette question en pure question d'école ; et c'est pourquoi je m'attache, comme vous verrez, à démêler ce qui est d'opinion dont on dispute, et ce qui est de la foi où l'on est d'accord. Rendez-vous attentifs à ce point qui est capital dans cette affaire, vous et M. Phelippeaux.

Il importe aussi beaucoup de bien établir que quand les explications, ce qui n'est pas, seraient bonnes en elles-mêmes, c'est le livre qui fait le mal, et c'est le livre qu'il faut juger.

J'ajoute au Mémoire latin un Mémoire français (b) sur saint François de Sales, parce que l'opinion qu'on aurait que ce saint serait impliqué dans cette cause retiendrait avec raison ; au lieu qu'en voyant que M. de Cambray en abuse jusqu'à l'excès, ce que ce Mémoire fait paraître, cela donne de la confiance et même une juste indignation.

Au surplus je joins encore une lettre qu'on publie sous le nom de M. l'abbé de Chanterac (c), parent et grand-vicaire de M. de Cambray. Cette lettre, avec celle de M. de Cambray que vous devez avoir reçue, fait connaître le caractère de ces esprits. Observez principalement, après les grandes louanges où l'on fait paraître M. de Cambray comme un saint et comme un esprit au-dessus des autres, de quelle sorte on conclut et comme on affecte de parler de lui comme les apôtres ont fait de Notre-Seigneur.

 

(a) Ces remarques, faites d'abord pour l'abbé Bossuet, furent refondues pat l'auteur et publiées sous ce titre : Les passages éclaircis, ou réponse au livre intitulé : Les principales propositions du livre des Maximes des Saints, justifiées par des expressions plus fortes des saints auteurs. Dans cette édition, vol. XX, p. 371 et suiv. — (b) Troisième écrit ou mémoire de M. l'évêque de Meaux sur les passages de saint François de Sales. Voir vol. XIX , p. 391 et suiv. — (c) Cette lettre était adressée à Madame de Ponthac Bossuet en parle dans son second écrit, n. XXIII. Voir vol. XIX, p. 389.

 

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On se servira peut-être de tout cela pour intimider la Cour de Rome; et je sais en particulier que c'est l'esprit de M. le cardinal de Bouillon Mais il n'y a rien à craindre : le livre ne trouvera ici aucun approbateur : dès le premier air de condamnation, ce prélat demeurera abandonné, et n'osera souffler lui-même. La Cour est ferme pour la vérité, et ne sera point ébranlée.

Il est vrai que les Jésuites remuent beaucoup ici, et remueront sans doute à Borne; mais leur pouvoir est petit. Ils affectent de soutenir des thèses sur le pur amour, qui ne font rien dans le fond, mais qui donnent néanmoins dans la conjoncture un air d'approbation à la doctrine suspecte. On fera ici ce qu'il faudra.

N'oubliez pas, par parenthèse, d'écrire au P. de la Chaise sur la mort de M. le comte de la Chaise son frère, et sur la charge donnée à son neveu avec cent mille écus de retenue ; ce que le roi a fait avec toute sorte de démonstration d'estime et de considération pour ce Père. Tenez pour certain qu'il n'en sera pas pour cela plus écouté dans cette affaire.

Pour entrer un peu dans le fond de ce qu'on peut faire , Rome peut prononcer ou par une condamnation générale du livre ou en qualifiant des propositions, soit en particulier comme on a fait dans l'affaire de Jansénius, ou par un respective comme dans la bulle d'Innocent XI contre Molinos : et cela ou par un décret de l'inquisition ou par bulle qu'on nous pourrait adresser ici, comme dans la même affaire de Jansénius.

Cette dernière procédure serait en ce pays-ci la plus authentique par les raisons que vous savez ; mais ce sera aussi celle où la Cour de Rome aura plus de peine à entrer par sa prudence. Ainsi je crois qu'il faut tendre d'abord à une condamnation générale du livre et de la doctrine qu'il contient; ce qui ne doit point paraître difficile, y ayant tant de propositions manifestement condamnables comme contraires à la foi. Ce premier pas en pourra attirer d'autres successivement, selon l'occurrence.

A toutes fins je vous enverrai par l'ordinaire prochain, des qualifications précises sur les propositions marquées dans le dernier écrit : ce sera pour vous seul et pour les intimes confidents selon l'occurrence.

 

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Attentif à tout, jusqu'aux moindres choses : tout est de conséquence en ces matières : c'est là votre principale fonction. Il n'est plus question de ménager autrement M. de Cambray qu'en n'en parlant qu'autant qu'il sera nécessaire.

Vous aurez, en voyant M. le cardinal Spada, à lui expliquer les motifs des deux écrits que vous lui rendrez pour les mettre aux pieds du Pape, et à me préparer une favorable attention sur tout ce que, je pourrai envoyer par rapport aux dispositions de deçà.

Insinuez à qui et quand vous le jugerez à propos, qu'il sera utile de deçà pour y préparer la voie à la décision, de faire paraître des écrits forts, où l'on instruise le peuple de l'importance de la chose, toujours en marquant le respect convenable au saint Siège, et l'attente de son jugement. Surtout il faudra faire voir que ce n'est point une pointillé de dispute théologique, mais d'une erreur qui irait, comme celle de Molinos, qui n'y est que déguisée, à la subversion du culte.

Vous n'avez rien à faire avec M. l'abbé de Chanterac, que d'user de civilité dans la rencontre comme avec un homme de condition, sans faire de votre côté aucune avance, puisqu'il vous est inconnu.

Pour le cardinal Petrucci, c'est un homme qu'on a obligation, et qu'il ne faut ni mépriser ni en faire cas.

Vous serez plus embarrassé avec M. le cardinal de Bouillon : vous pouvez lui faire confidence de certaines choses, et surtout de celles qui doivent nécessairement venir à sa connaissance. Vous lui aurez sans doute déjà fait remarquer que je n'étais pas libre, ni dans la possibilité de lui rien expliquer sur notre Déclaration, qui ne dépendait point de moi seul, et sur laquelle j'avais à recevoir la loi.

Il n'en est pas de même de mes Ecrits particuliers, sur lesquels vous êtes plus libre : mais agissez toujours en sorte que vous assuriez les affaires préférablement à tout. Vous pouvez croire que je ne fais rien sans la participation de la Cour. Dans la place où se trouve M. l'archevêque de Reims, vous voyez qu'on est obligé à le mettre dans notre concert.

Au surplus, comme c'est ici l'affaire de Dieu, où par sa grâce

 

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je n'ai en vue que la vérité, c'est une affaire de prière, de confiance et de piété.

Après mon synode, qui sera de jeudi en huit, je retournerai à la Cour : j'irai à Fontainebleau et je ne quitterai plus guère.

Vous pouvez joindre, si vous le trouvez à propos , à la pièce que je vous envoie en minute, une copie plus lisible pour le cardinal Spada. Dans la suite et à propos , vous donnerez des copies à Messieurs les cardinaux Casanate, d'Aguirre, Noris, Colloredo, Albano, Ferrari, Pansiatico, en les assurant de mes respects particuliers. Il faudra, je crois, alors que M. le cardinal de Bouillon soit des premiers : tout est remis à votre prudence. Surtout veillez à nous envoyer les pièces et explications qu'on donnera.

Les Jésuites nous chicanent par leurs thèses sur le pur amour, comme vous entendez. Mais exprès pour brouiller ils en avaient fait une contre le Pape qui disait tout. On ne veut pas de bruit. Je l'ai empêchée. On empêchera les Jésuites par autres voies.

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