Accueil Remonter Remarques Exposition Exp. Lettres Exp. Fragments I Exp. Fragments II Exp. Fragments III Exp. Fragments IV-I Exp. Fragments IV-II Exp. Fragments IV-III Exp. Fragments IV-IV Exp. Fragments V Avert. Réf. Cat. Réfut. Catéch. de Ferry Première Vérité Seconde Vérité Conf. M. Claude Avert. Préparation Conférence M. Claude Conférence Suite Réflexions sur M. Claude
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I. — La doctrine de l'Eglise catholique sur l'Eucharistie, plus intelligible et
plus simple que la doctrine des prétendus réformés. Celle-ci s'accorde avec la
raison et les sens, celle-là avec l'Ecriture sainte et les grands principes de
la religion. Embarras des hérétiques.
II. — Les prétendus réformés n'osent nier certaines vérités ; mais en voulant
les concilier avec leur doctrine, ils se jettent dans des embarras
inexplicables.
III. — Quoique l'union avec Jésus-Christ se trouve et dans la prédication et
dans le baptême, et que la vertu de son corps et de son sang nous vivifie dans
l'un et dans l'autre, les prétendus réformés n'ont jamais osé dire que ces
actions communiquassent la propre substance du corps et do sang de Jésus-Christ,
comme ils le disent de l'Eucharistie. Réponses absurdes de l'Anonyme à cette
difficulté.
IV. — La force de la vérité a poussé les prétendus réformés, contre leur
dessein, à se servir d'expressions qui favorisent la présence réelle. Quel a été
leur véritable motif en conservant ces expressions.
V. — On ne peut dire que les calvinistes et les luthériens conviennent du
fondement dans le point de l'Eucharistie.
VI. — Autre vérité que les prétendus réformés tâchent vainement de concilier
avec leur doctrine : savoir, que nous devons recevoir dans l'Eucharistie le
corps de Jésus-Christ d'une façon qui ne convienne qu'à ce sacrement.
Raisonnements absurdes de l'Anonyme à ce sujet.
VII. — Troisième vérité que les prétendus réformés confessent et qu'ils ne
peuvent expliquer selon leurs principes : savoir que l'Eucharistie est instituée
pour nous assurer que nous avons part au sacrifice de notre rédemption. Vaines
réponses de l'Anonyme.
VIII. — Double acte de foi que les prétendus réformés imaginent dans
participation à l'Eucharistie. Distinction chimérique et insoutenable.
IX. — La présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, étant éclairais, le
reste de la doctrine sur cette matière n'a plus de difficulté.
Transsubstantiation. Aveux et contradictions des prétendus réformés.
X. — Chicanes de l'Anonyme sur l’Exposition : dessein de cet ouvrage.
XI. — Réponses aux objections des prétendus réformés, qui accusent les
catholiques de détruire le témoignage des sens, et de faire Dieu trompeur.
XII. — Comparaison entre la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, et ses
apparitions après la résurrection. Raisons de la différence de sa conduite dans
l'un et dans l'autre mystère.
XIII. — Conséquences des raisonnements précédons : ce que les de l'institution
doivent opérer dans l'esprit des fidèles.
XIV.— Utilité qu'on peut tirer des signes sensibles qui demeurent dans
l'Eucharistie.
XV — L'adoration due à Jésus-Christ dans l'Eucharistie est une suite nécessaire
de la doctrine de la présence. Frivoles objections des prétendus réformés.
XVI. — Le sacrifice est une suite de la réalité. La doctrine de l’Exposition sur
ce point est incontestable.
XVII. — Réponses aux difficultés tirées de l’Epître aux Hébreux.
XVIII. — Réponses à quelques autres difficultés sur le sacrifice de
l'Eucharistie.
XIX. — Réflexions sur toute la doctrine de l'Eucharistie. Injustice des
prétendus réformés dans l'aigreur qu'ils ont contre l'Eglise catholique, et
l'indulgence dont ils usent envers les luthériens.
XX. — Abus étrange que l'Anonyme fait de l'exemple des manichéens et des
idolâtres. C'est la passion des prétendus réformés contre l'Eglise romaine, qui
leur bouche les yeux et qui les précipite en tant de différents écarts.
Si on veut porter un jugement
droit des choses qui ont été dites sur le sujet de l'Eucharistie, on doit dire
que notre doctrine et celle des prétendus réformés ont chacune leurs
difficultés. C'est pourquoi s'ils ont peine à entendre nos sentiments, nous n'en
avons pas moins à concevoir leur doctrine. Mais on a pu remarquer qu'il y a
cette différence entre eux et nous, que comme ils n'ont aucun embarras à
accorder leur doctrine avec, la raison et les sens, nous n'en avons aucun à
accorder la nôtre avec l'Ecriture sainte et avec les grands principes de la
religion : tellement que la difficulté qui accompagné notre doctrine vient des
raisonnements humains, au lieu que celle qui est attachée à leurs sentiments
vient de l'Ecriture sainte et des grandes maximes du christianisme.
Nous ne nous étonnons en aucune
sorte des difficultés qui
1 Anon., p. 185.
naissent des sens, parce que les autres mystères de la
religion nous ont accoutumés à captiver notre entendement sous l'obéissance de
la foi, et que d'ailleurs nous voyons que la doctrine des hérétiques a toujours
été la plus plausible à examiner les choses selon les principes du raisonnement
naturel. C'est pourquoi nous méprisons tout à fait les difficultés qui naissent
de ces principes, et nous ne nous attachons qu'à entendre l'Ecriture sainte.
De là suit une autre chose qui
nous donne encore un grand avantage; c'est que n'ayant qu'un seul objet, qui est
d'entendre cette Ecriture, nos principes sont suivis et nous nous expliquons
sans embarras : pendant que les prétendus réformés, qui veulent nécessairement
concilier la raison humaine avec l'Ecriture, sont contraints de dire des choses
contradictoires et se jettent dans des ambiguïtés inexplicables. C'est ce que
nous avons déjà fait voir, lorsque nous avons traité des équivoques dont on a
embarrassé cette matière. Mais comme nous étions alors plus occupés à faire voir
que l'Eglise parlait nettement qu'à montrer les contradictions et les embarras
de la doctrine de ses adversaires, il faut tâcher maintenant de les découvrir à
fond.
Et afin qu'on entende mieux mon
dessein, quand je parlerai d'évidence, on voit bien après les choses que j'ai
déjà dites, que je ne prétends pas que notre doctrine soit plus claire aux sens
et à la raison que la leur. Au contraire s'ils comptent pour quelque chose de
s'y accommoder plus que nous, nous avons déjà déclaré que nous ne leur disputons
pas cet avantage. Mais je veux dire que, quelque haute et impénétrable à
l'esprit humain que soit la doctrine que nous professons, nous faisons entendre
en termes précis ce que nous croyons; au lieu que nos adversaires, dont la
doctrine est si facile pour la raison et pour les sens, l'expliquent d'une
manière si enveloppée qu'il n'est pas possible de se former une idée suivie de
leurs sentiments.
Si je me sers en ce lieu, comme
je l'ai fait dans l’Exposition, de l'exemple des anciens hérétiques, que
les prétendus réformés détestent, aussi bien que nous, je les conjure de ne pas
croire que j'aie dessein de leur faire injure ou de rendre leur foi suspecte :
mais certes il me doit être permis de leur faire voir
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combien ils doivent trembler, de se voir réduits à suivre
la coudai de ceux dont l'impiété leur fait horreur.
La doctrine des ariens est sans
doute plus intelligible qui la doctrine catholique, à mesurer l'une et l'autre
selon la raison humaine et les sens. Car il n'y a rien qu'on entende moins qu'ai
seul Dieu en trois personnes. Mais néanmoins c'est un fait constant, que
l'Eglise catholique n'a jamais craint d'expliquer sa foi en termes précis,
pendant que ces hérétiques n'ont jamais cessé de cacher la leur dans des termes
équivoques, embarrassés et enveloppés.
Il ne faut que comparer la
Confession de foi du concile de Nicée avec les Confessions de foi de ces
hérétiques tant et tant de fois réformées, pour voir que les catholiques,
quelque inconcevable que fût leur doctrine selon les principes de la raison,
n'ont jamais craint de l'expliquer en termes précis; et qu'au contraire ces
hérétiques, quoiqu'ils eussent des sentiments bien plus aisés à entendre, ne les
ont jamais osé expliquer dans leur Confession de foi nettement et à bouche
ouverte.
En effet on voit que le concile
de Nicée a retranché décisivement par le mot de consubstantiel, toutes
les équivoques qu'on pouvait faire sur la divinité du Fils de Dieu, au lieu que
les hérétiques en ont dit des choses qui ont fait clairement connaît qu'ils
n'osaient ni la rejeter ouvertement, ni la confesser tout fait.
Que si on recherche la cause
profonde de deux conduites si différentes, voici ce qu'on trouvera : c'est qu'il
y a un secret principe, gravé dans le cœur des chrétiens, qui leur apprend que
leur foi n'est pas établie pour contenter ni la raison ni les sens. C'est
pourquoi ceux qui les flattent le plus n'osent pas toujours le faire paraître;
une secrète impression de certaines maximes du christianisme qu'ils ne peuvent
pas tout à fait nier, ou qui n'osent pas tout à fait contredire, les engage
insensiblement à « forcer leurs pensées ou leurs expressions » et à s'avancer
pus qu'ils ne voudraient : de sorte que leur doctrine d'un côté s'accorde mieux
avec les sens, mais de l'autre elle s'accorde moi avec elle-même; si bien
qu'elle laisse ce grand avantage aux défenseurs
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de la vérité, qu'en méprisant d'autant la raison humaine
que la foi nous apprend à tenir captive, et suivant sans restriction les grands
principes du christianisme que leurs adversaires eux-mêmes n'osent tout à fait
rejeter, ils font un corps de doctrine qui ne se dément par aucun endroit, et
fait connaître dans toute la suite ce merveilleux enchaînement des vérités
chrétiennes.
Que si la doctrine des prétendus
réformés, qui est d'ailleurs si conforme à la raison humaine et aux sens, avait
encore cet avantage d'être plus conforme à l'Ecriture et aux grandes vérités du
christianisme, ces Messieurs pourraient se vanter de contenter également et la
raison et la foi : de sorte qu'il n'y aurait rien de mieux suivi, ni de plus
aisé à entendre que leur doctrine. Mais on va voir au contraire dans quels
embarras ils se jettent, et combien ils ont de peine à s'expliquer.
Et d'abord ils parlent si
obscurément, qu'il n'est pas possible de résoudre nettement, selon leur
doctrine, s'il faut nier ou s'il but admettre une présence réelle du corps et du
sang de Notre-Seigneur dans la communion.
Ils nient ordinairement cette
présence réelle, et substituent en sa place « une présence morale, une présence
mystique, une présence d'objet et de vertu. » Ce sont leurs expressions
ordinaires : et notre auteur s'exprime en ces mêmes termes.
Leurs frères des églises suisses
ne parlent pas autrement; et la Confession de foi que ceux de Bâle publièrent en
1532 s'explique ainsi : « Nous confessons que Jésus-Christ est présent dans la
sainte Cène à tous ceux qui croient véritablement, c'est-à-dire qu'il y est
présent sacramentellement et par la commémoration de la foi qui élève aux cieux
l'esprit de l'homme. »
Les mêmes églises des Suisses,
et ceux de Bâle avec tous les autres, parlent encore de même dans leur dernière
Confession de foi, qui est celle qu'ils ont retenue : « Jésus-Christ,
disent-ils, n'est pas absent de son Eglise lorsqu'elle célèbre la Cène. Le
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soleil, quoique absent de nous, étant dans le ciel
néanmoins nous est présent efficacement : combien plus le soleil de justice
Jésus-Christ, quoiqu'il soit absent de nous, étant dans le ciel, nous est
présent, non corporellement, mais spirituellement par son opération vivifiante
(1) ! »
Notre auteur explique la
présence de Jésus-Christ dans la Cène par la même comparaison des deux et des
astres; « qui, par exemple, dit-il, quoique dans un éloignement presque infini,
nous sont présents en quelque sorte, non-seulement parce que nous les voyons,
mais par les influences qu'ils répandent sur nous (2). »
Jusqu'ici nous les entendons, et
nous voyons bien qu'As veulent exclure la présence réelle et personnelle, comme
parle notre auteur (3) ; et nous lisons ces paroles dans son avertissement :
« Aucun de nous n'a dit que nous croyions la présence réelle de Jésus-Christ
dans les sacrements. » Et néanmoins les paroles de Notre-Seigneur impriment
tellement dans leurs esprits, malgré qu'ils en aient, l'idée de cette présence,
qu'ils sont contraints de dire des choses qui l'emportent nécessairement. Car
nous avons déjà vu qu'ils enseignent d'un commun accord, que la propre substance
du corps et du sang est donnée et communiquée dans la Cène. Notre auteur
convient des textes exprès, tant de la Confession de foi que du Catéchisme de
ses églises, que j'ai produits dans l'Exposition pour le faire voir; et
ensuite il accorde lui-même cette proposition décisive, « que le corps de
Jésus-Christ est communiqué réellement et en sa propre substance (4). »
Il paraît assez incertain sur le
parti qu'il doit prendre en répondant à cette objection. Il semble qu'il
voudrait insinuer que sa Confession de foi et son Catéchisme par substance ont
entendu efficace : « Notre Catéchisme, dit-il, parlant du sacrement du baptême,
dit indifféremment en deux endroits la substance et la vertu du baptême, pour en
signifier l'efficace (1). » Il me permettra de lui dire que cela n'est pas
véritable : la vertu et l'efficace sont choses qui suivent la substance. Mais
substance, en aucun langage, ne signifie ni vertu ni efficace; et le Catéchisme
des prétendus
1 Chap. XXI. — 2 Anon., p. 206. — 3
Ibid. — 4 Ibid. p. 226. — 5 Ibid. p. 244.
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réformés aurait trop embrouillé les choses, s'il avait pris
indifféremment l'un pour l'autre des termes si différents. Leur Confession de
foi dit « que la substance du baptême est demeurée dans la papauté (1) : »
c'est-à-dire l'essence même du baptême, qu'Us ne nous accusent point d'avoir
altérée. Mais laissons ce qu'ils ont dit du baptême; venons à ce qu'ils disent
de l'Eucharistie. Il est certain qu'ils enseignent que nous n'y recevons pas
seulement une vertu découlée du corps et du sang de Notre-Seigneur; mais que
nous en recevons la substance même. Bien plus, notre auteur soutient en divers
endroits, que j'ai déjà remarqués, que cette communication de la substance du
corps et du sang, qu'on admet dans sa religion, n'est pas moins réelle que celle
que les catholiques reconnaissent; et c'est en quoi je prétends que leur
doctrine est contradictoire. Car qui pourrait concevoir que notre auteur et les
sens, qui n'admettent a qu'une présence morale, mystique, et de vertu, » qui
nient en termes formels « la présence réelle du corps et du sang dans le
sacrement, » ne laissent pas toutefois, si nous les croyons, d'admettre une
aussi réelle communication du corps et du sang que nous, qui reconnaissons leur
présence réelle et substantielle? Il faudrait en vérité peu regarder ce que les
mots signifient dans l'usage commun des hommes. Le catholique « raison de dire
que Jésus-Christ lui communique dans l'Eucharistie la propre substance de son
corps et de son sang, parce que son corps et son sang y sont réellement
présents. Mais qu'on sépare ces expressions, qu'on nie cette présence réelle, et
qu'on croie cependant pouvoir retenir cette réelle communication de la propre
substance du corps et du sang, qui le pourrait concevoir?
Aussi quand j'objecte à notre
auteur que ce que disent les siens ne se peut entendre, il me reproche que je
veux tout concevoir. «C'est encore ici, dit-il pour la troisième ou quatrième
fois, que M. de Condom veut tout concevoir (2). » Il a mal pris ma pensée ; car
assurément je ne prétends pas concevoir le fond du mystère, qui est en tous
points incompréhensible. Mais quelque haut que soit le mystère, il faut faire
concevoir nettement ce qu'on en pense; et la hauteur impénétrable des mystères
du christianisme
1 Art. XXIX. — 2 Anon., p. 248.
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n'est pas une raison pour les exposer en termes confus,
dont on ne puisse deviner le sens.
Que notre auteur nous explique
donc, s'il lui plaît, ce que c'est qu'une réelle communication de la propre
substance du corps et du sang sans la présence réelle de l'un et de l'autre.
Il croit avoir développé tout
cet embarras, lorsqu'il dit dans son Avertissement qu'il y a grande différence
entre « participation ou communion réelle et présence réelle, parce que l'un
donne lieu de supposer qu'il faut que le corps de Jésus-Christ descende du ciel
dans le sacrement pour y être réellement présent ; et nous disons seulement que
par la foi nous élevons nos coeurs au ciel, où il est ; et que c'est ainsi que
nous participons à Jésus-Christ très-réellement, mais spirituellement (1). »
Il fallait venir sans tant de
discours à ce qui fait la difficulté. Pour expliquer « que nos cœurs s'élèvent
au ciel par la foi et s'unissent à Jésus-Christ par affection, » est-il
nécessaire de dire que nous recevons réellement la substance de son corps et de
son sang? Joignez-y, si vous voulez, que l'esprit de Jésus-Christ habite en
nous, que sa justice nous est imputée, que nous lui sommes unis en esprit et par
la foi, et que nous sommes vivifiés par la vertu de son corps et de son sang :
nous avons montré clairement que tout cela ne fera jamais qu'il faille dire avec
tant de force que nous en recevons réellement la propre substance : et ce qui le
prouve invinciblement, c'est qu'encore que cette union spirituelle avec
Jésus-Christ se trouve par le propre aveu des prétendus réformés et dans la
Prédication et dans le baptême ; encore que la vertu du corps immolé et du sang
répandu pour nous nous vivifie dans l'un et dans l'autre, ils n'ont jamais osé
dire dans leur Catéchisme, ni dans leur Confession de foi, que ni
1 Anon., p. 15.
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la prédication, ni le baptême, ni enfin aucune action faite
hors de la Cène, nous communiquassent la propre substance du corps et du sang de
Jésus-Christ, comme ils le disent perpétuellement de l’Eucharistie.
J'ai proposé cette difficulté
dans l'Exposition, et la réponse qu’y fait notre auteur se réduit à trois
chefs.
Il dit premièrement que le
baptême, la prédication et l'Eucharistie ont le même effet, et nous communiquent
aussi réellement l’un que l'autre la substance du corps et du sang de
Notre-Seigneur (1) : secondement, que ce même effet est exprimé en divers termes
et représenté sous diverses formes; par exemple : « Le baptême, dit-il, ne nous
applique ou communique le sang de Jésus-Christ que par forme de lavement; au
lieu que l'Eucharistie nous communique son corps et son sang par forme de
nourriture et de breuvage (2). » Enfin il conclut de là que si l'on dit de
l'Eucharistie, plutôt que de la prédication et du baptême, qu'elle nous donne la
substance du corps et du sang de Jésus-Christ, ce n'est pas qu'en effet cela lui
convienne plutôt qu'aux deux autres; mais c'est à cause que cette façon de
parler convient mieux au dessein qu'a eu Notre-Seigneur de se donner à nous dans
l'Eucharistie en qualité d'aliment, a par forme de nourriture, » et de nous y «
représenter son union intime avec nous (3). »
Je suis assuré que si l'Anonyme
avait entrepris lui-même d'expliquer son sentiment en peu de paroles, il ne le
ferait pas plus sincèrement, ni de meilleure foi que je viens de faire. Mais
pour ne lui rien ôter, il faut ajouter encore les exemples dont il se sert. Us
me serviront aussi à lui faire connaître son erreur, si peu qu'il veuille ouvrir
les yeux. Et c'est pourquoi je m'attacherai à les rapporter en ses propres
termes. Voici donc ce qu'il écrit : a Notre Catéchisme ne dit pas que
Jésus-Christ nous fasse renaître spirituellement dans la Cène ou qu'il nous
nettoie de nos péchés, comme il le dit du baptême, ni que la foi soit de la
Cène, comme il est dit que la foi est de l'ouïe, et que l'ouïe est de la parole,
parée que la Cène n'est pas instituée pour nous représenter notre union avec
Jésus-Christ sous cette idée, mais pour nous la représenter
1 Anon., p. 233, 234, 237, 238. — 2
Ibid. p. 234. — 3 Ibid. p. 234, 238.
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sous l'idée d'une union substantielle, comme celle de la
nourriture. De même si le Catéchisme ne dit pas que nous sommes faits
participants de la substance de Jésus-Christ dans le baptême, ou dans la
prédication de l'Evangile, comme il le dit de la Cène, ce n'est pas que dans ces
actes-là nous ne soyons très-réellement unis à Jésus-Christ, ou que Jésus-Christ
n'y nourrisse spirituellement nos âmes de sa substance, de même que dans la
Cène, et M. de Condom n'oserait dire le contraire ; mais c'est qu'encore que ces
divers moyens produisent au fond le même effet, la mêmes expressions ne
conviennent pas également à l'un et à l'autre, parce que l'eau du baptême et le
son de la parole ne sont pas si propres que les symboles du pain et du vin, pour
nous représenter tant la nourriture spirituelle de nos âmes que l'union intime
qui se fait de nous avec Jésus-Christ (1). »
Il veut dire, si je ne me
trompe, que lorsqu'on exprime les choses par de certaines ressemblances, il faut
suivre la comparaison ou la figure qu'on a commencée. L'Eglise est représentée
comme m filet où il se prend toute sorte de poissons, ou comme un champ où on
sème de toute sorte de grains. Ces deux figures ne signifient que la même chose.
Mais il ne faut pas dire pour cela qu'oi sème dans ce filet, ni qu'on prend des
poissons dans ce champ, parce qu'il faut suivre l'idée qu'on a prise : j'en suis
d'accord mais je ne vois pas que cela explique la difficulté dont il s'agit
Laver et nourrir les âmes, ne marque selon l'Anonyme, en Jésus-Christ que la
même vertu, et dans les âmes que le même effet. Quand cela serait véritable, il
pourrait conclure tout au plus, qu'il ne faudrait pas dire que Jésus-Christ nous
nourrit quand on le représente par forme de lavement, ou qu'il nous lave
quand on le regarde comme viande. Mais ce n'est pas là notre question. Il s'agit
de la substance du corps et du sang de Jésus-Christ. L'Anonyme a entrepris de
nous expliquer pourquoi on dit parmi les siens, dans son Catéchisme, qu'elle
nous est communiquée dam la Cène, et qu'on ne dit pas qu'elle nous est
communiquée an baptême. Certainement l'idée de substance ne répugne pas plus à
l'action de laver qu'à l'action de nourrir : on ne nous applique
1 Anon., p. 237.
225
pas moins la substance de l'eau pour nous laver, qu'on nous
donne la substance du pain et du vin pour nous repaître; et s'il n'y avait à
considérer que ce qu'allègue l'Anonyme, les auteurs de son Catéchisme pouvaient
dire aussi proprement que Jésus-Christ nous lave dans le baptême de la substance
de son sang, qu'ils ont dit qu'il nous nourrit à la Cène de la substance de son
corps. Mais je veux bien ne m'arrêter pas à une raison si claire, et il fout que
je lui découvre son erreur par une considération qui va plus au fond.
Il se trompe assurément, quand
il pense que les expressions différentes qu'il rapporte dans le passage que nous
venons de produire, ne signifient au fond que le même effet. Chacune de ces
expressions marque dans la chose même des effets particuliers. Et pour repasser
en peu de mots sur tous les exemples que l'Anonyme nous allègue, on dit que le
baptême nous nettoie, parce qu'il efface le péché que nous apportons en naissant
; et on dit ensuite qu'il nous fait renaître, parce que nous y passons de mort à
vie, c'est-à-dire de l'état de péché où nous étions nés à l'état de sainteté et
de grâce. C'est ce qu'on ne peut dire de l'Eucharistie, qui doit nous trouver
déjà nettoyés du péché de notre origine. Car il faut être lavé pour approcher de
cette table ; et ce pain céleste, qui nous est donné pour entretenir en nous une
vie nouvelle, suppose que nous l'avons déjà reçue. De même quand nous disons
avec saint Paul que « la foi vient de l'ouïe, » nous exprimons par ces termes
l'effet particulier de la prédication. C'est elle qui nous propose ce qu'il faut
croire. Car « comment croiront-ils, dit le même Apôtre, s'ils n'ont oui
auparavant ; et comment entendront-ils, s'ils n'ont quelqu'un qui les prêche
(1)? » C'est de là que saint Paul conclut que la foi vient par l'ouïe, et on
voit qu'elle est en effet le propre effet de l'instruction.
Il n'y a donc rien de
merveilleux en ce que notre auteur observe, que les auteurs de son Catéchisme ne
disent pas que la Cène nous nettoie ou nous régénère, ni que la foi soit de la
Cène. C'est que la Cène effectivement ne remet pas le péché de notre origine; et
qu'on ne peut dire, sans tomber dans une erreur très-
1 Rom., X,14.
226
absurde, que la foi vienne de la Cène ; puisque la Cène
elle-même ne serait pas crue ni son mystère entendu, si l'instruction de la
parole n'avait précédé.
Ainsi on voit clairement, quoi
que l'Anonyme ait voulu dire, que ces façons de parler, qui sont
particulièrement affectées et pour ainsi dire consacrées aux divers actes du
chrétien, ne doivent pas être prises seulement comme des phrases diverses qui ne
nous proposeraient qu'un même effet. Au contraire, à chaque parole répond dans
la chose même un effet particulier, qui en marque le propre caractère ; et si on
attribue cet effet aux autres actes de la religion, on en détruit la céleste
économie.
Pour appliquer maintenant à
l'Eucharistie ce que nous venons de dire quand les prétendus réformateurs ont
proposé dans leur Catéchisme ou dans leurs Confessions de foi ce qui regarde la
Cène, sans doute ils ont voulu en donner une connaissance distincte et ils ont
dû en marquer le caractère particulier. Or ce caractère particulier qu'ils nous
ont manqué, c'est que Jésus-Christ nous y donne la propre substance de son corps
et de son sang : et nous voyons en effet qu'ils n'ont rien attribué de semblable
au baptême et à la parole, ni aux autres actes de la religion. Ainsi notre
auteur détruit leur dessein, lorsqu'il répand généralement dans toutes les
autres actions, ce que les auteurs de son Catéchisme ont choisi comme l'effet
particulier et le propre caractère de la Cène.
Mais c'est qu'il ne veut pas
concevoir par quelle suite de vérités ils ont été conduits à ce sentiment. Ils
ont vu que Jésus-Christ a dit : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Ils
sont d'accord qu'il n'a pas voulu nous donner un simple signe, mais un signe
accompagné de la chose. Il est assuré d'ailleurs qu'il n'a prononcé qu'une fois
cette parole, et qu'elle ne regarde que l'Eucharistie : sans doute en
l'instituant, il nous aura exprimé ce qu'elle a de particulier, et quel est le
don spécial qu'il a eu dessein de nous y faire. Ce don, c'est son corps et son
sang, que nous devons par conséquent recevoir en vérité dans la Cène dune
manière qui ne convienne à aucune autre action. Or est-il que la vertu et
l'efficace du corps et du sang se déploie dans toutes les autres : il n'y
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a donc plus que la chose même et la substance propre du
corps et dix sang qui puisse être réservée à l'Eucharistie.
Ces vérités incontestables font
une impression secrète dans les esprits; et quoique le sens humain, qui ne peut
comprendre les œuvres de Dieu, ait empêché les prétendus réformateurs de les
embrasser pleinement dans toute leur suite, ils n'ont pu s'en soigner tout à
fait. C'est pourquoi ils ont voulu nous faire trouver dans la Cène la substance
du corps et du sang, qu'ils n'osent attribuer ni à la prédication, ni au
baptême, ni à aucune autre action.
Il paraît par toutes ces choses
combien j'ai eu raison de dire que la forée de la vérité les a poussés, contre
leur dessein, à dire des choses qui favorisent la présence réelle, puisqu'elles
n'ont de sens qu'ai la supposant. Mais on en sera encore plus convaincu, quand
on aura pénétré ce que l'Anonyme dit pour sa défense.
Pour nous expliquer par quelles
raisons ces grands mots de propre substance du corps et du sang sont
demeurés en usage dans la réformation prétendue; il représente premièrement que
« l'Ecriture ne se sert jamais de ce terme de substance sur le sujet de
l'Eucharistie (1). » J'en suis d'accord.
Il dit en second lieu, que « les
premiers Pères de l'Eglise ne s'en sont pas servis non plus (2). » De là il
conclut que « les auteurs de son Catéchisme n'ont pas été obligés à employer ces
expressions, pour se conformer à l'Ecriture et aux anciens Pères (3).» Et il
ajoute enfin en troisième lieu « qu'ils l'ont fait sans doute pour se conformer
en cela à l'usage des derniers temps. »
Pesons ces dernières paroles; et
sans disputer à l'auteur ce qu'il dit des anciens Pères de l'Eglise, parce que
cette discussion est trop éloignée de notre dessein, demandons-lui s'il n'est
pas constant entre nous, que du moins dans les derniers temps la foi de la
présence réelle était établie. Par conséquent dire, comme il fait,
1 Anon, p. 223. — 2 Ibid. p. 224.
— 3 Ibid.
228
que les prétendus réformateurs, en expliquant le point de
l'Eucharistie, ont accommodé leurs expressions à l'usage des derniers temps,
c'est dire manifestement qu'ils se sont accommodés à ceux qui croyaient la
présence réelle.
Il paraîtra fort étrange que
ceux qui nient la présence réelle veulent s'accommoder aux expressions de ceux
qui la croient. Mais qu'on ne pense pas toutefois que l'Anonyme ait trahi sa
cause, quand il a avoué cette vérité. Il connaît le génie de la prétendue
Réforme. Il sait que les luthériens sont de ces auteurs des derniers temps, qui
ont cru la réalité, et que ceux de sa religion ont toujours tâché de les
satisfaire.
Mais il est bon de pénétrer
pourquoi les auteurs des derniers temps, et entre autres les luthériens, ont
employé dans l'Eucharistie ces mots de propre substance. Nous en avons
déjà expliqué la cause; nous avons vu qu'on s'est servi de ces termes pour
soutenir le sens littéral de ces paroles : « Ceci est mon corps, » contre ceux
qui établissaient le sens figuré; et qu'en cela on a suivi l'exemple des Pères,
qui ont employé le terme nouveau de consubstantiel pour déterminer le sens
précis de ces paroles de Jésus-Christ : « Nous sommes, mon Père et moi, une même
chose. »
Par là on peut reconnaître
combien est faux le raisonnement de l'Anonyme : « L'Ecriture, dit-il, ne se sert
jamais de ce terme de substance sur le sujet de l'Eucharistie (1). » Ce n'est
donc pas pour se conformer à l'Ecriture qu'on s'est servi de ce terme. On
pourrait conclure de même que ce n'est point pour se conformer à l'Ecriture
sainte, que les Pères de Nicée et d'Ephèse se sont servis des termes de
consubstantiel et d'union personnelle, puisque l'Ecriture ne s'en
sert en aucun endroit. Mais qui ne sait au contraire que ces termes n'ont été
choisis que pour fixer au sens littéral les paroles de l'Ecriture, que les
hérétiques détournaient? Il est permis à ceux qui soutiennent le sens littéral
de ces paroles : « Ceci est mon corps, » d'employer aussi des expressions qui
pussent exclure précisément le sens figuré : et c'est pour cela que
non-seulement les catholiques, mais encore les luthériens
1 Anon., p. 224.
229
aussi zélés défenseurs de la présence réelle, ont appuyé
sur la présence et la réception du corps de Jésus-Christ en substance, pour
combattre Zuingle, Bucer et Calvin, qui au fond ne voulaient admettre qu'une
présence en figure, ou tout au plus en vertu.
J'ai dit que les luthériens
concourent avec nous dans ce dessein. Cela paraît dans tous leurs écrits, et
surtout dans la Confection de foi qu'ils dressèrent en 1551, pour l'envoyer au
concile de Trente, et pour expliquer leur doctrine encore plus clairement qu'ils
n'avaient fait dans celle d'Augsbourg. Ils disent « que Jésus-Christ est
vraiment et substantiellement présent dans la communion ; » et on trouve encore
ces expressions presque à toutes les pages du livre qu'ils ont appelé Concordé,
qu'ils ont publie d'un commun accord pour expliquer à toute la terre la foi que
confessent toutes leurs églises.
On voit donc manifestement que
c'est le dessein d'expliquer la réalité sans embarras et sans équivoque, qui a
fait qu'on a tant appuyé sur la substance du corps et du sang, et qui a donné un
si grand cours à cette expression dans les derniers temps, auxquels néanmoins
notre auteur avoue que leurs premiers réformateurs ont trouvé nécessaire de
s'accommoder dans leur Confession de foi et dans leur Catéchisme.
Il ne voudraient pas que nous
crussions qu'ils l'ont fait par Pure complaisance pour les luthériens, et encore
moins pour les amuser par des expressions semblables à celles dont ils se
servaient. Car qu'y aurait-il de plus détestable qu'une Confession de foi et un
Catéchisme qui seraient faits sur de tels principes? Ainsi la vérité est que
pressés, par les arguments des catholiques et des luthériens, ou plutôt pressés,
quoi qu'ils disent, par la force des paroles de Notre-Seigneur, ils n'ont pu
s'éloigner tout à fait du sens littéral, ni détruire la réalité sans en
conserver quelque idée.
Cela veut dire en un mot que ces
belles et ingénieuses comparaisons du soleil et des astres, quoiqu'ils les aient
toujours à la bouche en cette matière, ne les ont pas contentés eux-mêmes, et ne
leur ont pas paru suffisantes pour expliquer la manière dont
230
Jésus-Christ se donne à nous dans l'Eucharistie. Les
chrétiens y veulent recevoir le corps et le sang de leur Sauveur, autrement
qu'ils ne reçoivent les astres et le soleil. Les paroles de Jésus-Christ et la
tradition de tous les siècles ont fait dans leurs esprits des impressions plus
fortes, et les ont accoutumés à quelque chose de plus réel. Us s'attendent à
recevoir plus que des rayons et des influences. Ainsi ce n'est pas assez de leur
parler de la figure; ni même de la vertu du corps et du sang; il a fallu
nécessairement leur en proposer la substance même.
C'est pourquoi les écrivains de
Messieurs de la religion prétendue réformée ne craignent rien tant que de
laisser apercevoir à leurs peuples que la manière dont les catholiques et les
luthériens croient recevoir le corps et le sang de Jésus-Christ dans
l'Eucharistie, soit plus réelle que la leur : ils tâchent au contraire de leur
faire croire que leur dispute avec les luthériens, sur le point de
l'Eucharistie, ne regarde que la manière, mais qu'ils sont d'accord avec eux du
fondement. C'est ce que dit l'Anonyme avec l'approbation des ministres de
Charenton; et il importe de bien faire connaître leur pensée.
J'ai produit dans l’Exposition
un décret du synode national de Sainte-Foi de 4574, sur le sujet d'une
Confession de foi commune aux luthériens et aux calvinistes, qu'on proposait de
dresser. Notre auteur, qui a entrepris de rendre raison de cet arrêté, dit ceci
entre autres choses : « C'est principalement sur le sacrement de l'Eucharistie
que nous étions en différend avec les luthériens; et sur cela même, ajoute-t-il,
nous convenons, eux et nous, du fondement (1). »
Remarquez qu'il ne dit pas
qu'ils conviennent du fondement avec les luthériens dans les autres choses; mais
sur cela même, dit-il, sur le point de l'Eucharistie, sur lequel est
néanmoins toute la dispute : Nous convenons, eux et nous, du fondement.
Je ne sais comment il peut dire
que les calvinistes et les luthériens
1 Anon., p. 356.
231
conviennent du fondement dans le point de l'Eucharistie,
puisque les uns fondent leur doctrine sur le sens figuré des paroles de
l'institution, et les autres sur le littéral. On peut bien dire que les
catholiques et les luthériens, quoiqu'ils ne conviennent pas détentes les suites
en cette matière, conviennent du fondement, puisqu'ils « ont cela de commun,
selon l'Anonyme même, qu'ils prennent les uns et les autres les paroles du
Seigneur dans un sens littéral pour une présence réelle (1).» Aussi le même
auteur fait-il consister la dispute entre les catholiques et les luthériens
sur la manière d'expliquer cette présence réelle, les uns mettant le corps
avec le pain et les autres le corps sans le pain.
Mais à l'égard des calvinistes
et des luthériens, ce n'est ni des suites ni des circonstances, mais du fond
même qu'ils disputent, puisque les uns fondent leur doctrine sur la présence
réelle, et que les autres raisonnant sur un principe contraire, nous disent que
« jamais aucun des leurs n'a cru la présence réelle (2). »
Nous allons voir toutefois par
l'aveu de notre auteur même et des ministres de Charenton, qui ont approuvé son
ouvrage, qu'il n'est pas impossible de faire convenir les prétendus réformés
delà présence réelle : et que c'est sur ce. fondement que le synode de
Sainte-Foi avait jugé que l'on pouvait dresser cette nouvelle Confession de foi
commune aux luthériens et aux calvinistes. Mais lisons ses propres paroles : «
Si les Luthériens, dit-il, n'eussent pu convenir entièrement de notre doctrine
(à quoi on sût en effet qu'ils étaient peu disposés), ils eussent réduit la leur
à ce que font les plus habiles d'entre eux, qui est de ne décider point la
manière dont Jésus-Christ est réellement présent dans le sacrement : Nous
croyons, disent-ils, sa présence et nous en sentons l'efficace, mais nous en
ignorons la manière : et en ce cas on voit bien qu'ils se fussent rapprochés
encore davantage de nous Que nous n'avons fait d'eux, en les admettant
simplement à notre communion, sans que pour cela nous eussions apporté de notre
part aucun changement essentiel à notre Confession de foi. »
Nous avons, par ces paroles,
trois choses très-importantes manifestement établies : 1° que les luthériens,
qui sont les plus
1 Anon., p. 261. — 2 Avertissement, p. 14.
232
disposés à se rapprocher des calvinistes, n'entendent point
de se départir de « la présence réelle de Jésus-Christ dans le sacrement; » 2°
qu'ils disent seulement qu'ils « n'en décident point la manière;» 3° que les
calvinistes et le synode de Sainte-Foi étaient prêts à s'accorder dans cette
doctrine, et n'auraient pas cru pour cela « faire un changement essentiel à leur
Confession de foi. »
Chose certainement surprenante!
Ces mêmes hommes qui n'ont jamais dit, selon notre auteur, « qu'il y eût une
présence réelle de Jésus-Christ dans le sacrement, » ne sont plus en peine
maintenant que de la manière de cette présence; et sont prêts à convenir
d'une Confession de foi commune entre eux et les luthériens, pourvu seulement
que ces derniers, en confessant que « Jésus-Christ est réellement présent dans
le sacrement, » leur accordent qu'ils ne prétendent pas décider la manière de
cette présence. C'est ce qu'ils obtiendront facilement. Jamais les
luthériens n'ont prétendu expliquer la manière aussi réelle que miraculeuse,
dont un corps humain est présent en même temps en tant de lieux et renfermé tout
entier dans un si petit espace : et bien loin de la vouloir décider, ils ont
toujours déclaré qu'elle était divine, surnaturelle et tout à fait
incompréhensible.
Nous leur ferons, quand il leur
plaira, une semblable déclaration, ou plutôt elle est déjà faite; et de tous
ceux qui croient que Jésus-Christ a voulu que son corps fût réellement présent,
aucun n'a prétendu expliquer de quelle manière s'exécute une chose si
miraculeuse.
Ainsi les luthériens
n'affaiblissent en rien leur doctrine touchant la présence réelle, quand ils ne
décident pas la manière dont on la peut expliquer, puisqu'en effet elle surpasse
notre intelligence. C'est leur accorder tout ce qu'ils prétendent, que de leur
avouer que Jésus-Christ est réellement présent dans le sacrement; car s'il y a
une présence réelle dans le sacrement, il est clair que la présence en figure et
la présence en vertu n'y suffisent pas.
Je ne doute pas que les
calvinistes ne se réservent quelque nouvelle subtilité pour se démêler de cet
embarras. Mais du moins j'ai clairement établi qu'une présence réelle du corps
de Jésus-
233
Christ dam le sacrement, n'est pas incompatible avec leur
doctrine; et que s'ils n'ont pas voulu jusqu'ici user de ces termes arec nous,
c'est qu'ils gardent ce sentiment et cette expression pour contenter quelque
jour les luthériens, quand ils seront disposés plus qu'ils n'ont été jusqu'ici à
s'en contenter.
Leurs frères de Pologne ont
déjà, il y a longtemps, tranché le mot par avance nettement; et nous avons vu à
l'endroit où j'ai proposé les diversités des Confessions de foi, qu'ils ont
accordé aux luthériens une présence substantielle du corps et du sang de
Jésus-Christ dans l'Eucharistie.
J'ai donc eu raison de dire au
commencement de ce chapitre, que les prétendus réformés n'étaient pas encore
bien résolus s'ils recevraient ou s'ils nieraient la présence réelle, puisqu'on
voit déjà d'un côté que leurs frères de Pologne, qui suivent la Confession des
églises suisses, l'ont admise en termes formels; et d'antre côté que ceux de
France, qui ne l'ont pas encore confessée, n'en sont point du tout éloignés.
Ainsi c'est en vain que notre auteur a écrit ces grandes paroles : a Jamais
aucun de nous n'a dit que nous croyons la présence réelle du corps de
Jésus-Christ dans le sacrement. » A son compte les zuingliens de Pologne ne sont
déjà plus parmi les siens. Mais lui-même, que deviendra-t-il, et en quel rang se
veut-il mettre, puisque ce qu'il «are si précisément, que jamais aucun de sa
religion n'a dit, c'est lui-même qui le vient dire avec l'approbation de ses
ministres, et nous a fait voir de plus qu'un synode national était disposé à le
confesser?
Il n'en faut pas davantage pour
faire voir que la Confession de M des prétendus réformés est pleine de
contradictions; et qu'eux-mêmes ne savent pas bien ce qu'ils veulent dire, quand
ils reconnaissent dans l'Eucharistie la substance du corps et du sang. Mais j'ai
encore un mot important à dire sur ce sujet, et une réflexion importante à
faire.
Quand ces Messieurs nous disent
avec tant de force qu'ils croient recevoir la propre substance du corps et du
sang de Notre-Seigneur aussi réellement que nous-mêmes, il y a une question à
leur faire, par quel passage de l'Ecriture est établi un don si précieux ;
234
et surtout s'il est établi, s'il y eu à quelque vestige
dans l'institution de la Cène. Il est impossible qu'ils répondent à cette
question sans s'embarrasser, quelque parti qu'ils veuillent prendre.
L'Anonyme a vu cette demande, et
n'y a pas répondu aussi
nettement qu'il fallait…
Il y a une autre vérité que les
prétendus réformés tâchent vainement de concilier avec leur doctrine, c'est que
nous devons recevoir dans l'Eucharistie le corps de Notre-Seigneur d'une façon
qui ne convienne qu'à ce sacrement. Cette vérité s'imprime naturellement dans
les esprits, en lisant ces paroles de l'institution : « Prenez, mangez, ceci est
mon corps; » car Jésus-Christ n'ayant dit ces mots qu'en faveur de
l'Eucharistie, on ne peut croire que le don particulier qu'il nous y veut faire,
et qui nous est exprimé par des paroles si précises, soit commun à toutes les
autres actions du chrétien. Aussi reconnaissons-nous que Jésus-Christ ailleurs
nous donne ses grâces ; mais qu'il est en personne dans l'Eucharistie, et nous y
donne son corps en substance. La suite fera connaître que c'est là en effet le
seul moyen d'expliquer ce qu'il y a de particulier dans l'Eucharistie. Toutefois
les prétendus réformés tachent aussi de le faire ; et quoique la suite de leur
doctrine les oblige à dire que Jésus-Christ nous donne réellement son corps et
sou sang dans le baptême et dans la parole; aussi bien qu'à l'Eucharistie, ils
sont contraints néanmoins de dire, pour y mettre quelque différence, que là il
nous le donne en partie et à la Cène pleinement.
A cela nous objectons que s'ils
persistent à dire toujours, comme ils font, que Jésus-Christ n'est reçu dans
l'Eucharistie que par la foi, non plus que dans le baptême et dans la
prédication, il est impossible d'entendre qu'il soit pleinement dans l'une et en
partie dans les autres. Il faut maintenant entendre ce qu'ils disent pour
démêler cette objection.
235
Premièrement ils avouent « que
ce que le sacrement de la Cène ajoute à la parole, n'est pas une autre manière
de communion avec Jésus-Christ, plus réelle au fond ou différente en espèce de
celle que nous avons avec lui par le ministère de la parole ou par le baptême
(1).»
Secondement ils confessent « que
Jésus-Christ étant vraiment communiqué par ces trois divers moyens, on ne peut
entendre en aucune manière que Jésus-Christ soit comme divisé et plus ou moins
communiqué (2). » Ils ajoutent a que c'est toujours Jésus-Christ tout entier qui
nous est communiqué par chacun de ces trois moyens : » c'est-à-dire que
Jésus-Christ est aussi entier où il n'est reçu qu'en partie qu'où il est
reçu pleinement.
Troisièmement ils sont d'accord
que « la manière commune de recevoir Jésus-Christ» dans ces trois moyens, «
c'est qu'il y est reçu par la foi (3). »
Ils enseignent en quatrième
lieu, que ce qu'il y a de particulier dans la Cène, c'est seulement que nous y
avons une nouvelle et plus ample confirmation de notre union avec Jésus-Christ
et comme une dernière ratification. L'Anonyme allègue à ce propos les paroles de
son Catéchisme, qui dit « que dans la Cène notre communion est plus amplement
confirmée et comme ratifiée (4) : » et il remarque que ces paroles précèdent
immédiatement celles que nous lui avons objectées.
Pour expliquer maintenant cette
plus ample confirmation, ils disent, à l'égard de la parole, « qu'au lieu
qu'elle n'agit que sur un de nos sens, l'Eucharistie parle à tous nos sens
généralement, que la vue en particulier fait encore plus d'impression sur nos
esprits que l'ouïe : » et à l'égard du baptême qui nous frappe la vue, aussi
bien que l'Eucharistie, « il ne nous marque que notre entrée dans l'Eglise et
nous lave de nos péchés, sans figurer d'une manière plus expresse, ni la mort de
Jésus-Christ, ni notre union spirituelle avec lui : » au lieu que l'Eucharistie
par le moyen du Pain et du vin que nous y prenons, a nous représente encore plus
expressément que le corps de Jésus-Christ a été rompu pour nous, et que nous
sommes unis réellement et spirituellement au corps de notre Sauveur (5). »
1 Anon., p. 232.— 2 Ibid.— 3
Ibid. p. 236.— 4 Ibid. p. 232.— 5 Ibid. p. 233, 234.
236
Ainsi quoique le corps de
Notre-Seigneur ne soit reçu que par la foi dans ces trois moyens, comme elle est
plus excitée dans l’un que dans l'autre, ils disent que cela suffit pour fonder
divers de grés, et par conséquent pour établir la prérogative particulière de
l'Eucharistie. L'auteur éclaircit son sentiment par cette comparai son : « Le
soleil, dit-il, en son midi, nous communique les objets ou la vue des objets
d'une manière pleine et différente de celle dont il nous les communique à son
lever, ou si l'on veut, d'un manière différente dont les flambeaux nous la
communiquai dans la nuit (1). » Néanmoins « cette différence n'est en effet que
dans le plus ou moins de lumière; une différence en degré comme on parle, et non
pas en espèce, dans le moyen plutôt que dans l'effet (2).» Il dit de même que
Jésus-Christ nous est communiqué par la seule foi; mais pour expliquer les
différons degrés è communion et y appliquer sa comparaison de la lumière, «
compare la manière dont le baptême nous communique Jésus Christ à celle dont le
soleil communique la vue des objets à son lever, la manière dont la parole nous
communique le même Sauveur à celle dont les flambeaux communiquent les mêmes
objets dans la nuit, et la manière de l'Eucharistie à celle dont le soleil
communique les mêmes objets en plein midi (3). »
Que de belles paroles qui
n'expliquent rien! Que de subtiles inventions qui ne touchent pas seulement la
difficulté ! Pour dire un mot des comparaisons, il est aisé de comprendre qu'une
faible lumière ne découvre pas toutes les parties d'un objet, de sorte qu'elle
ne le fait voir qu'en partie et confusément : beaucoup d'endroits d'où la
lumière n'est pas renvoyée assez fortement notre vue lui échappent si bien, que
l'entière découverte est réservée au plein jour. Mais y a-t-il, pour ainsi
parler, quelque partie du mystère de Jésus-Christ que la prédication de
l'Evangile laisse dans l'obscurité, et qu'elle ne découvre que confusément? Au
contraire n'y voit-on pas la vérité tout entière Pourquoi donc comparer la
prédication à des flambeaux qui éclairent pendant la nuit? Sa lumière ne
dissipe-t-elle pas toutes nos ténèbres, et ne fait-elle pas le plein jour dans
nos esprits, autant
1 Anon., p. 230. — 2 Ibid.. 231.
— 3 Ibid. p. 235.
237
que le permet l'état de cette vie? Il est certain du moins
que le baptême, ni l'Eucharistie ne nous découvrent rien de nouveau en
Jésus-Christ, et que c'est au contraire la prédication qui nous instruit de
l'utilité de l'un et de l'autre.
Laissons les comparaisons de
l'auteur, qui ne sont point à propos ; venons au fond de son raisonnement. Les
sacrements, dit-il, confirment la foi et l'excitent plus vivement, parce qu'ils
joignent à la parole un signe visible : de sorte qu'ils prennent l’esprit par la
vue et par l'ouïe tout ensemble, au lieu que la prédation n'attache que l'ouïe
toute seule. Est-ce donc là l'effet particulier qu'on veut donner à
l'Eucharistie? On en pourrait dire autant d'un tableau, car il attache la vue :
et c'est trop mal expliquer le particulier du mystère de l'Eucharistie, que de
ne lui donner aucun avantage qui ne lui soit commun avec une belle peinture. Je
sais qu'on nous répondra que ce signe est plus efficace que tous les autres que
les hommes peuvent inventer, parce qu'il est institué par Jésus-Christ même pour
exciter notre foi. Mais certes cette institution ne nous prend pas par les yeux.
Elle ne saisit que l'ouïe, et nous ne la savons que par la parole. Ainsi on ne
donne rien de particulier à l'Eucharistie par cette réponse. C'est néanmoins ce
qu'on cherche. Et quand on lui aurait donné par ce moyen quelque avantage sur la
parole ou sur les images ordinaires, toujours n'aurait-elle rien qui l'élevât
au-dessus du baptême. Ce sacrement nous prend par les yeux et par l'ouïe, aussi
bien que l'Eucharistie; et il est également institué par Jésus-Christ pour
exciter notre foi.
Disons les choses comme elles
sont : selon la doctrine catholique, l'Eucharistie surpasse infiniment le
baptême, puisqu'elle contient la personne même de Jésus-Christ, dont le baptême
nous Communique seulement les dons. Mais certainement, selon la doctrine des
prétendus réformés, on ne peut imaginer aucun avantage dans le sacrement de la
Cène. Un de ces signes n'a rien plus que l'autre, suivant leurs principes. La
Cène, disent-ils, nous figure le corps de Jésus-Christ rompu, et son sang
répandu pour nous. Mais de savent-ils pas aussi que l'eau qu'on nous jette sur
la tête, qui représente l'ancienne immersion de tout le corps dans
238
l'eau du baptême, nous figure, selon l'Apôtre, que nous
sommes morts et ensevelis avec Jésus-Christ, pour sortir de ce tombeau mystique
comme de nouvelles créatures que la grâce a ressuscitées? Si l'Eucharistie nous
nourrit, le baptême nous donne la vie. Si l'Eucharistie représente d'une façon
particulière notre union avec Jésus-Christ, le baptême nous représente que nous
mourons avec lui pour ressusciter avec lui à une vie céleste et immortelle. En
un mot, si on ôte à l'Eucharistie, comme font les protestants, la présence
réelle de Jésus-Christ, on ne lui laine aucun avantage; et le baptême l'égalera,
s'il ne l'emporte sur elle. Aussi l'auteur de la Réponse a-t-il trouvé un
autre expédient pour conserver à l'Eucharistie l'avantage que lui a donné son
Catéchisme. Il désespère de lui trouver aucune prérogative, en la comparant avec
la parole ou avec le baptême, suivant ce qu'elle a de propre ; il assure que ce
n'est pas là l'intention de son Catéchisme; mais de considérer « l'Eucharistie
comme ajoutée à la parole et au baptême (1). » Tellement que ce merveilleux
avantage que donne son Catéchisme à la Cène, c'est que la foi est plus excitée
par l'Eucharistie, jointe au baptême et à la parole, qu'elle ne serait par ces
deux choses détachées de l'Eucharistie. C'est à quoi aboutissent enfin ces
grandes expressions, que Jésus-Christ est donné pleinement dans l'Eucharistie,
au lieu que dans le baptême et dans la parole il n'est donné qu'en partie. Ce
n'est pas que l'Eucharistie ait cet avantage d'elle-même; mais c'est que jointe
aux deux autres, elle fait plus sur l'esprit, que les deux autres ne feraient
séparément d'avec elle. L'auteur croit-il expliquer par là ce que la Cène a de
propre? Et qui ne voit au contraire qu'il ne lui donne aucun avantage, sinon
qu'elle est donnée la dernière? Mais l'esprit du christianisme nous donne
d'autres idées. Tous les chrétiens entendent que l'Eucharistie est donnée après
l'instruction et après le baptême comme la consommation de tous les mystères, à
laquelle ce qui précède doit servir de préparation. Il y a donc dans
l'Eucharistie et dans ce qu'elle a de particulier, quelque chose de plus
excellent que dans le baptême. Les prétendus réformés ont bien vu qu'il fallait
sauver dans
1 Anon., p. 255.
239
l’esprit des chrétiens cette prérogative de l'Eucharistie,
et contenter les idées que l'esprit même de la religion chrétienne leur donne
d'un si grand mystère. Si l'Eucharistie n'avait que des signes qui excitassent
notre foi et qui nous attachassent par les yeux, comme dit l'auteur, le baptême
n'aurait rien de moins. Il a donc fallu nécessairement lui donner quelque
avantage du côté de la chose même, et faire voir que si elle confirme plus
amplement notre foi, selon les termes du Catéchisme, c'est à cause que
Jésus-Christ nous y est donné pleinement, au lieu que partout ailleurs il
n'est donné qu'en partie. Au reste je n'entreprends pas de prouver que
cette expression soit raisonnable, ni qu'elle mette dans l'esprit des prétendus
réformés une idée solide du mystère, ni qu'elle convienne au reste de leur
doctrine. Car je prétends au contraire que leur doctrine se dément elle-même et
qu'ils tombent dans cet égarement, parce qu'ils sentent, malgré qu'ils en aient,
l'impression d'une vérité qu'ils ne veulent pas reconnaître dans tonte son
étendue. La chose est maintenant toute manifeste, et il ne but, pour
l'apercevoir, que conférer les paroles du Catéchisme me les explications de
l'Anonyme.
Il confesse que Jésus-Christ
n'est pas communiqué plus réellement ni plus abondamment dans l'Eucharistie que
dans la prédication et dans le baptême. Il doit parler ainsi selon ses
principes. Car il soutient que dans ces trois actions, il nous est également
donné en la propre substance de son corps. Les dons de Jésus-Christ peuvent être
plus ou moins communiqués; mais il n'y a plus ni moins dans la communication de
la substance ; et il a raison d'assurer que c'est toujours Jésus-Christ qui est
donné tout entier, et dans la Cène et hors de la Cène. Il parle donc en cela
correctement ; mais en même temps il fait paraître que son Catéchisme amuse le
monde par de grandes expressions, qui n'ont point de sens. Car pourquoi dire que
Jésus-Christ n'est reçu qu'en partie hors de la Cène, si on est contraint de
dire d'ailleurs qu’il y est reçu tout entier? Et pourquoi attribuer à
l'Eucharistie cette pleine réception de Jésus-Christ, qui est commune à tous les
actes de la religion chrétienne? S'ils avaient dit que l'Eucharistie est un
nouveau signe de la même chose, ils auraient parlé conséquemment;
240
mais quand ils lui donnent en paroles du côté de las chose
même un avantage qu'il n'est pas possible de soutenir en effet, ils se
combattent eux-mêmes, et montrent qu'il y a quelques vérité qu'on n'ose tout à
fait nier, quoiqu'on refuse de l'embrassent; dans toutes ses suites.
Ainsi le raisonnement que
l'Anonyme avait appelé un sophisme et un argument captieux (1), devient
invincible ; il n'a pu trouves aucun sens selon lequel la réception du corps de
Notre-Seigneur fût particulière à l'Eucharistie; et bien loin de nous faire
entendre ce que son Catéchisme avait proposé pour expliquer cette vérité
non-seulement il l'obscurcit, mais il le détruit tout à fait.
Venons à une troisième vérité
que les prétendus réformés confessent, et qu'ils ne peuvent toutefois expliquer
selon leurs principes. Je l'ai fait voir dans l’Exposition, et l'Anonyme
ne fait qu'envelopper la matière. Il m'accuse de faire des sophismes, et de
changer les termes des propositions contre les règles du raisonnement, pour
tirer des conséquences trompeuses. Peu de personnes entendent ce que c'est en
dialectique, que de changer les termes des propositions : ainsi je veux tâcher
d'éviter ces subtilités peu nécessaires. Comme l'auteur a marqué les termes dont
il veut que je me serve pour « raisonner droit et intelligiblement, » je veux
bien le contenter en cela, autant qu'il sera possible; et il ne tiendra jamais à
moi qu'on ne se serve des mots les plus propres et les plus intelligibles. Il se
fâche de ce que je dis quelquefois participation au lieu d'avoir part
; réception du corps de Jésus-Christ au lieu de dire qu’il nous
est donné; je n'entends point la finesse de ces changements de mots, et je
les ai pris simplement les uns pour les autres. Il ne veut pas que je dise que
le corps de Notre-Seigneur nous est donné pour nous être un gage que nous avons
part à son sacrifice. Il faut dire, pour le
1 Annon., p. 229.
241
contenter, qu'il nous est donné pour « nous assurer que
nous avons part à son sacrifice (1). » J’avais cru que ces expressions n’avaient
l’une et l'autre que le même sens; et ces mêmes distinctions que forme ici
l'Anonyme entre des termes équivalents font voir, si je ne me trompe, ou qu'il
veut embrouiller les choses, ou plutôt qu'il ne les a pu entendre lui-même. Ne
lui en imputons rien, ce n'est pas sa foute ; c'est qu'elles sont en effet
inintelligibles, c'est que la doctrine de ses églises se détruit et se confond
elle-même. C’est en vain qu'il veut rejeter les embarras de sa doctrine sur des
mots qui lui font peur. La difficulté est dans le fond. Qu'ainsi ne soit, ne
disputons point des mots avec lui : donnons-lui ce qu'il nous demande. Il va
voir que le raisonnement de l’Exposition l'en perdra rien de sa force, et
voici comme je le forme pour éviter tous les embarras.
Je pose pour fondement cette
vérité, que le propre corps de Jésus-Christ nous est donné dans l'Eucharistie
pour nous assurer que nous avons part à son sacrifice, c'est-à-dire pour nous
assurer non-seulement que c'est pour nous qu'il est offert, mais que le fruit
nous en appartient, si nous y apportons d'ailleurs les disposons nécessaires. Je
l'ai établi solidement dans l’Exposition; je l'ai soutenu dans cette
réponse et j'ai fait voir clairement que selon la loi des sacrifices, on
mangeait la victime en témoignage qu'on avait part à l'immolation. Mais il n'est
pas ici question de rappeler les preuves que j'ai apportées; il suffit de
remarquer que la vérité que je pose pour fondement, est avouée par les prétendus
réformés aux mêmes termes que je viens de la proposer. En effet l'auteur
reconnaît « que Jésus-Christ ne nous donne pas dans la Cène un symbole
seulement, mais son propre corps, pour nous assurer que nous avons part à son
sacrifice (2) » Il convient que c'est la doctrine de son Catéchisme, et il avoue
« que jusque-là j'en conserve le sens et les expressions fort exactement. » Je
n'en veux pas davantage ; et je lui demande maintenant s'il peut révoquer en
doute cette autre proposition que ce qui nous est donné pour nous assurer de
quelque chose, est différent de la chose pour l'assurance de laquelle il nous
est donné. La parole et les
1 Anon., p. 242-245. — 2 Anon., p. 241.
242
promesses de Dieu, et la venue de son Fils nous assurent
que nous avons part à ses bonnes grâces. Aussi est-ce autre ci d'avoir part à
ses bonnes grâces, autre chose d'en être assurés par tous ces moyens. Dieu livre
son Fils unique à la mort, pour non assurer que nous avons part à toutes ses
grâces. C'est donc autre chose qu'il nous l'ait donné pour être notre victime,
et autre chose que ses grâces nous soient communiquées par cette mort. Le
Saint-Esprit qui est en nous, nous inspire la confiance d'appeler Dieu notre
Père, il nous assure que nous avons part à ses biens et qu'ils sont notre
véritable héritage : c'est donc autre chose d'avoir en nous le Saint-Esprit, et
autre chose d'avoir part à l'héritage céleste. La part que nous avons aux
souffrances de Jésus-Christ nous assure que nous avons part à sa résurrection :
c'est donc autre chose d'avoir part à sa résurrection que d'avoir part à ses
souffrances. Ces choses, à la vérité, se suivent et s'accompagnent; mais elles
diffèrent toutefois, puisque l'une nous assure l'autre. Ainsi nous convenons
tous, catholiques et protestants, que non-seulement les sacrés symboles, mais
encore le propre corps de Notre-Seigneur nous est donné pour nous assurer que
nous avons part à son sacrifice : c'est donc autre chose que nous ayons part à
ce divin sacrifice, autre chose que les symboles et même que le corps de
Jésus-Christ nous soit donné.
Puisque cette vérité doit être
commune tant aux prétendus réformés qu'aux catholiques, il faut que les uns et
les autres la puissent faire cadrer avec leurs principes. Les catholiques le
font aisément. Ils ont part au sacrifice de Jésus-Christ, et parce que
Jésus-Christ l'a offert pour eux, et parce qu'ils s'unissent à son intention par
la foi, et parce que Dieu par son esprit leur applique la vertu de ce sacrifice,
et parce qu'ils s'y unissent et se disposent par la foi à en recevoir la vertu.
Mais outre tout ce qui se fait pour leur donner part à ce sacrifice, il se fait
quelque chose encore qui les assure que Jésus-Christ l'a offert pour eux et que
fruit leur en appartient : c'est que Jésus-Christ leur donne à sa sainte table
son corps réellement présent, qu'ils prennent avec les sacrés symboles par une
action distinguée de toutes les autres que nous avons dites : et ce don que
Jésus-Christ leur fait de son corps
243
leur assure la part qu'ils ont à sa mort, parce que selon
la loi des sacrifices, quiconque mange la victime est assuré par cette action
qu'il a part à l'oblation qu'on en a faite, pourvu qu'il y apporte d'ailleurs
les dispositions nécessaires. Voilà une doctrine suivie; ou y voit deux actions
marquées nettement, par l'une desquelles le chrétien reçoit le corps de son
Sauveur, comme par l'autre il reçoit les grâces qu'il lui a méritées par son
sacrifice, et on voit qu'une de ces choses lui assure l'autre. Voyons si nos
réformés parleront aussi nettement et s'ils pourront distinguer deux actions,
dont l'une nous donne le corps du Sauveur, et l'autre nous fasse entrer en
société de son sacrifice.
Il est certain qu'à cette
demande, ils commencent de s'embrouiller et de ne plus rien dire d'intelligible.
L'auteur premièrement trouve
mauvais que je parle d'action. Car il assure c qu'avoir part au fruit de la mort
de Jésus-Christ, n'est pas proprement ici une action; ce n'est proprement,
dit-il, qu'un droit acquis (1). » Que ce soit un droit acquis, je le veux;
toujours faut-il nous marquer par quelle action nous entrons en possession de ce
droit. Et s'il est vrai que Jésus-Christ nous est donné précisément par le même
acte par lequel nous avons part à son sacrifice, c'est en vain qu'on nous parle
d'une de ces choses comme devant servir d'assurance à l'autre. Qu'ainsi ne soit,
je demande à l'auteur de la Réponse qu'il nous explique, selon sa croyance, ce
que c'est que de recevoir le corps de Notre-Seigneur, et ce que c'est que
d'avoir part à son sacrifice. Il nous répondra sans doute que selon la foi de
ses églises, recevoir le corps de Jésus-Christ, c'est croire en lui et lui être
uni intérieurement par le Saint-Esprit : mais cela même précisément, c'est avoir
part à son sacrifice. Il ne se fait rien de la part de Dieu, ni de notre part
pour nous donner part au sacrifice de Jésus-Christ, que ce qui se fait de l'une
et de l'autre part pour nous unir à Jésus-Christ par la foi. De sorte qu'une de
ces choses ne peut servir d'assurance à l'autre, puisqu'elles n'emportent que la
même idée et n'opèrent que le même effet.
Je sais que ces Messieurs
s'efforcent de distinguer le don que
1 Anon., p. 245.
244
Jésus-Christ nous fait de lui-même d'avec celui qu'il nous
fait de ses grâces. Ils enseignent dans leur Catéchisme, lorsqu'ils y parlent de
la Cène, « qu'il nous faut communiquer vraiment au corps et au sang du Seigneur
; » et ils en rendent cette raison, « qu'il faut que nous le possédions, vu que
ses biens ne sont nôtres, sinon que premièrement il se donne à nous (1). » Ils
ajoutent « qu'il faut que nous le recevions pour sentir en nous le fruit de sa
mort, » et que cette réception se fait par la foi. Ils disent dans le même sens,
dans la manière de célébrer la Cène, « qu'en se donnant à nous il nous rend
témoignage que tout ce qu'il a est nôtre. » Tous ces lieux ont rapport à celui
que nous traitons ; et on voit qu'ils veulent établir quelque distinction entre
la réception de Jésus-Christ, et la réception de ses grâces ou de l'effet de sa
mort. Mais toutefois s'il est vrai, comme il est vrai selon eux, qu'il n'y ait
point d'autre union avec Jésus-Christ que celle qui se fait en nos âmes
spirituellement par la foi, il n'y a aucun lieu de distinguer la réception de
Jésus-Christ d'avec la réception de ses grâces. L'une et l'autre se fait en nous
par la même foi et par la même opération du Saint-Esprit. Ainsi dès là que
Jésus-Christ nous donne par la foi son corps et son sang, dès là précisément,
sans rien ajouter, nous avons part à toutes les grâces et à tout le fruit de son
sacrifice; et comme il n'y a aucun fondement Se mettre de la distinction entre
ces deux choses, c'est une pure illusion de dire que l'une nous assure l'autre.
Ainsi quand les prétendus
réformés distinguent ces choses, ils me permettront de le dire, ils ne
s'entendent pas eux-mêmes, il ne faut pour s'en convaincre que considérer toutes
les idées que l'auteur nous donne de sa croyance.
On le verra s'élever contre moi
par ces paroles : « Comme M. de Condom peut-il dire que nul homme ne puisse
concevoir aucune différence entre participer par foi au corps du Seigneur et
participer par foi au fruit de sa mort? Car le corps du Seigneur
1 Dim. 51.
245
et le fruit de sa mort sont évidemment deux choses
différentes ; et il n'y a personne qui ne conçoive aisément qu'il y a grande
différence entre participer à l’une et participer à l'autre, soit que cela se
fasse par un seul et même acte de foi, ou par deux (1).»
Il est vrai que le corps du
Seigneur et le fruit de sa mort sont deux choses différentes : mais s'il est
vrai que nous ne recevions le corps du Seigneur qu'en tant précisément que nous
participons au fruit de sa mort, c'est en vain que l'auteur veut mettre une si
grande différence entre recevoir l'un et recevoir l'autre.
Le soleil dont les prétendus
réformés, et l'auteur lui-même, se servent ordinairement pour nous expliquer
notre communion avec Jésus-Christ dans l'Eucharistie, le soleil, dis-je, diffère
très-certainement d'avec ses rayons ; toutefois c'est la même chose à notre
égard qu'il se communique lui-même ou qu'il communique ses rayons, parce que ce
n'est que par ses rayons qu'il se communique.
Que les prétendus réformés nous
montrent, selon leurs principes, que ce soit autre chose à notre égard de
recevoir le corps fa Sauveur que de recevoir le fruit de sa mort et le don de
ses grâces, je confesserai alors qu'il y a grande différence entre ces deux
choses. Mais si au contraire, selon la doctrine des prétendus réformés, celui
qui reçoit le fruit de la mort de Notre-Seigneur et la communication de ses
grâces, n'a rien davantage à attendre de la part de Jésus-Christ, ni rien à
faire de la sienne pour recevoir le corps du Fils de Dieu : qu'y aura-t-il
jamais de plus vain que cette subtilité qui veut nous faire trouver une si
grande différence entre l'un et l'autre.
Aussi l'auteur avoue-t-il que «
l'un et l'autre se fait ou se peut faire par un seul et même acte de foi (2) ; »
de même, avait-il dit un peu au-dessus (3), qu'on a l'héritage même et les
fruits par un seul et même contrat?
Mais il ne s'aperçoit pas que
son exemple fait contre lui; car c'est autre chose en effet d'avoir la propriété
d'un héritage que d'en rendre les fruits siens. Ces deux choses sont différentes
et ont des effets divers : on peut les séparer actuellement, et vendre
1 Anon., p. 250. — 2 Ibid. p.
248. — 3 Ibid. p. 247.
246
la propriété en se réservant les fruits; si bien que chacun
de ces droits est expliqué par sa clause particulière.
Mais qu'est-ce que recevoir le
corps de Notre-Seigneur par la foi, si ce n'est recevoir par la foi le fruit de
sa mort? Et l'Anonyme lui-même peut-il concevoir un de ces effets sans l'autre,
quoiqu'il lui plaise de mettre une si grande différence entre les deux?
Mais « pourquoi, dit-il, ne
peut-on pas mettre deux divers actes de foi, si l'on veut les concevoir
séparément, par l'un desquels nous nous unissons à Jésus-Christ même et par
l'autre au fruit de sa mort, sans qu'il faille imaginer pour cela deux
différentes communions, l'une spirituelle par la foi, et l'autre par la bouche
du corps ou réelle, comme parle M. de Condom (1)? »
C'est le dernier effort que
peuvent faire les prétendus réformés, pour démêler la confusion de leur
doctrine. Mais c'est en vain que leur auteur leur adresse un modèle de ces deux
actes de foi. Car il n'est pas question de faire ici des distinctions par
l'esprit et par la pensée. Cet acte de foi que vous faites pour vous unir au
corps « suffit, » comme vous le dites vous-même, « pour faire que vous ayez part
au fruit de sa mort. » Celui que vous faites en regardant directement le fruit
de la mort, suffit pour vous unir réellement au corps selon vos principes, et
vous avouez expressément que dans l'un et dans l'autre de ces actes vous avez
une communication réelle, mais spirituelle avec le Sauveur. Tant il est vrai que
la distinction que vous voulez vous figurer entre ces choses est imaginaire, et
qu'en effet c'est la même chose, selon vous, de recevoir le corps de
Notre-Seigneur et de participer au fruit de sa mort.
Vous êtes contraint néanmoins de
les distinguer, lorsque vous dites que le premier vous certifie l'autre. Vous
distinguez clairement dans l'Eucharistie la chose qui vous est certifiée dans
l'Eucharistie, et celle qui vous la certifie. La chose certifiée, c'est que vous
avez part au fruit de la mort de Notre-Seigneur. Parmi les choses qui certifient
que vous avez part à ce fruit, vous mettez premièrement le don que Jésus-Christ
vous fait des symboles, et secondement le don qu'il vous fait de son propre
corps : tellement
1 Anon., p. 248.
247
que le don de son corps doit être distingué du fruit reçu,
aussi bien que le don des sacrés symboles.
Certainement c'est autre chose
que les symboles nous soient donnés, autre chose que nous ayons part au fruit de
la mort de Notre-Seigneur ; et ce devrait être aussi autre chose que le propre
corps nous fût donné, que d'avoir part au fruit de cette mort. Et toutefois,
selon vous, tout se fait ensemble et par le même acte : il n'y a rien de
différent entre ces deux choses, ni du côté de Dieu soi du nôtre. Ainsi ces deux
choses, qui devraient être distinguées selon vos principes, selon ces mêmes
principes ne le peuvent être; tellement que ces principes sont contradictoires.
Il appartient aux catholiques de
distinguer clairement ces choses, et de montrer que l'une nous assure l'autre.
Les catholiques peuvent dire que Jésus-Christ venant à nous en personne, nous
assure de la possession de ses dons, parce qu'ils reconnaissent une présence
personnelle de Jésus-Christ en nous-mêmes, distincte de tous les dons que nous
recevons par sa grâce. Les catholiques peuvent dire que la réception de notre
victime nous assure que nous avons part au fruit de son sacrifice, parce que
c'est autre chose, selon eux, de recevoir la victime que de recevoir le fruit de
son oblation. Ainsi il n'y a que les catholiques qui se puissent glorifier de
distinguer nettement toutes les vérités chrétiennes sans en confondre les idées,
et en même temps d'expliquer le merveilleux enchaînement par lequel elles se
soutiennent les unes les autres.
Ce que disent les prétendus
réformés pour faire le même effet, n'est qu'une imparfaite imitation de la
doctrine catholique; imitation qui fait voir la nécessité absolue de se ranger à
nos sentiments, puisque les choses qu'ils sont obligés d'enseigner eux-mêmes
n'ont leur suite naturelle, ni leur vérité, que dans la croyance que nous
professons.
Ceux qui, après avoir lu les
derniers chapitres de cette réponse, reliront le douzième article de l’Exposition,
y trouveront assurément une instruction très-utile. Du moins ils pourront
aisément juger s'il est plein, comme dit l'auteur, « de sophismes et de
raisonnements forcés, dont la contrainte seule marque que la vérité
248
n'y soit pas, non plus que la nature (1) ; » ou s'il n'est
pas vrai, an contraire, que cet article contient des vérités si certaines et si
évidentes , qu'on ne peut les attaquer que par des raisons qui se détruisent
elles-mêmes.
Après avoir facilité aux
prétendus réformés la croyance de la présence réelle, en leur montrant si
clairement les absurdités de ce qu'ils nient et les conséquences de ce qu'ils
avouent, le reste de la doctrine de l'Eucharistie n'a plus de difficulté,
puisque ce n'est qu'une suite de la réalité bien entendue.
Par exemple, l'article de la
transsubstantiation ne doit plus être une question entre eux et nous, puisqu'ils
nous accordent eux-mêmes que, pour raisonner conséquemment, il faut mettre ou la
figure avec eux, ou le changement de substance avec nous.
L'auteur a beaucoup de peine à
reconnaître franchement l'aveu que les siens ont fait d'une vérité si constante.
Voici comment il en parle : « Quelques-uns des nôtres peuvent avoir dit que s'il
fallait croire la réalité de la présence, il semblait y avoir plus de raison,
suivant les spéculations de l'Ecole, à croire que cette présence se faisait par
voie de changement d'une substance en une autre que par la voie de l'impanation,
ou de la coexistence des deux substances (2). » Que de peine à faire un aveu
sincère, et que de vains adoucissements dans cet aveu : Quelques-uns peuvent
avoir dit.... qu'il semblait y avoir plus de raison suivant les
spéculations de l’Ecole ! Que n'avouait-il franchement que c'était Bèze, et
les principaux de son parti qui l'a voient ainsi enseigné en termes très-clairs?
En effet quoiqu'ils trouvent de grands inconvénients dans la doctrine des
catholiques, ils reconnaissent toutefois qu'elle se suit mieux que la. doctrine
des luthériens, et même qu'elle est plus conforme « à la manière de parler de
Notre-Seigneur (3).» Ce qui est sans doute le plus grand avantage qu'on puisse
nous accorder. Que si les prétendus réformés
1 Anon., p. 240. — 2 Ibid. p. 360. — 3 Bèze,
Conf. de Montb.
249
ne veulent pas écouter ce qu'ont dit les particuliers de
leur communion, qui leur apprennent cette vérité, qu'ils écoutent du moins un de
leurs synodes qui l'a décidée. C'est le synode de Czenger, tenu en Pologne par
leurs frères zuingliens (1), synode si authentique et si autorisé, que ceux de
Genève l'ont mis parmi les Confessions de foi qu'ils ont ramassées comme un
synode approuvé : de sorte qu'il n'y a rien de plus authentique. Ce synode, dans
l'article de la Cène, appelle la transsubstantiation une rêverie papistique.
Mais en même temps il décide que « comme la baguette de Moïse n'a pas été
serpent sans transsubstantiation, et que l'eau n'a pas été sang en Egypte, ni
vin dans les noces de Cana sans changement : ainsi le pain de la Cène ne peut
être réellement, substantiellement et corporellement le corps de Christ, ni être
pris par la bouche corporelle, s'il n'est changé en la chair de Christ, ayant
perdu la forme et la substance de pain. » Il constat que la doctrine des
luthériens, qu'il appelle de grossiers mangeurs de chair humaine, qui assure
qu'on peut recevoir le corps de Jésus-Christ par la bouche du corps sans ce
changement, est une rêverie contraire à la règle de la foi et de la nature.
On voit que ce synode des
prétendus réformés ne se fonde pas «or des spéculations de métaphysique, mais
sur l'exemple des Ecritures, pour préférer la transsubstantiation catholique à
la consubstantiation luthérienne. Qu'y a-t-il après cela de plus Mble que le
raisonnement de l'auteur, qui conclut que le changement de substance n'est pas
une suite du sens littéral de ce que les luthériens, qui font profession de s'y
attacher, ne laissent pas denier le changement de substance (2)? Ne devait-il
pas penser qu’on reproche justement aux luthériens de n'entendre pas en cela le
sens littéral qu'ils veulent défendre ; et que ce ne sont pas seulement les
catholiques, mais les plus graves auteurs de sa communion, et même un synode
entier qui les en accuse ? La raison de ce synode est convaincante, et les
exemples qu'il apporte sont tout à fait justes. En effet le pain, en demeurant
pain, ne peut non plus être le corps de Notre-Seigneur que la baguette
1 1570. — 2 Anon., p. 261.
250
en demeurant baguette peut être un serpent, ou que l'eau
demeurant eau peut être du sang en Egypte, et du vin dans las noces de Cana. Si
donc ce qui était pain devient le corps de Notre-Seigneur, ou il le devient en
figure par un changement mystique, selon la doctrine des calvinistes, ou il le
devient en effet par un changement réel, comme disent les catholiques. Car nous
sommes d'accord les uns et les autres qu'il faut nécessairement qu'il arrive
quelque changement dans le pain, puisqu'au moment que Jésus-Christ a parlé, on
commence à pouvoir dire : Ceci ait le corps du Seigneur, et qu'on ne pouvait le
dire auparavant Or ou ne peut concevoir ici que deux sortes de changement : ou
un changement moral et figuré, tel que celui que nous avouons tous dans l'eau du
baptême, lorsque de simple eau naturelle elle est faite un signe de grâce; ou un
changement réel et substantiel, tel que celui que nous croyons dans les noces de
Cana, lorsque l'eau fut faite vin selon l'expression de saint Jean. Que si l'on
prouve par les paroles de l'institution, que le pain n'est pas changé
simplement, comme l'eau quand elle devient un signe de grâce : on sera forcé
d'avouer qu'il est changé réellement, comme l'eau quand elle est devenue vin. Et
il n'y a point de milieu entre ces deux sentiments. Quiconque donc est persuadé
de la présence réelle par les paroles de l'institution, doit être nécessairement
convaincu de ce changement de substance par la force des mêmes paroles qui lui
ont persuadé la réalité, non par des subtilités de l'Ecole, comme l'auteur de la
Réponse le veut faire croire.
Aussi Bèze reconnaît-il que des
deux croyances, c'est-à-dire de la nôtre et de celle des luthériens, la nôtre
« s'éloigne le moins des paroles de l'institution de la Cène, si on les veut
exposer de mot à mot. » C'est-à-dire que si on se départ du sens figuré que
posent les calvinistes, si on reçoit le sens littéral qu'admettent les
luthériens, il faut donner gain de cause aux catholiques: de sorte que le
changement que nous confessons suit précisément du sens littéral, et ne peut
être éludé qu'en recourant au sens mystique; ce que Bèze établit par cette
raison, que « les transsubstantiateurs disent que par la vertu de ces paroles
divines prononcées, ce qui auparavant était pain ayant changé de substance,
devient incontinent
251
le corps même de Christ, afin qu'en cette sorte cette
proposition puisse être véritable : Ceci est mon corps. Au contraire
l'exposition des consubstantiateurs disant que ces mots : Ceci est mon corps,
signifient : Mon corps est essentiellement dedans, avec, ou sous ce pain, ne
déclare pas ce que le pain est devenu, et ce que c'est qui est le corps, mais
seulement où il est. » Je n'ai que faire de rapporter une seconde raison de
Bèze, qui dépend an peu de la logique. Celle-ci est simple et intelligible ; et
il est lise de la faire entrer dans l'esprit de tout le monde : car il est
certain que Jésus-Christ ayant pris du pain pour en faire quelque chose, il a dû
nous déclarer et nous expliquer ce qu'il avait eu dessein d'en faire. Or il est
sans doute qu'il en a voulu faire son corps, en quelque façon qu'on le puisse
entendre ; puisqu'il a dit : «Ceci est mon corps; » et il n'est pas moins
évident que ce pain fera devenu ce que le Tout-Puissant aura voulu faire. Or ces
paroles font voir qu'il en a voulu faire son corps, de quelque matière qu'on le
puisse entendre. Si donc ce pain n'est pas devenu un corps en figure seulement,
il l'est devenu en effet; et on ne Peut se défendre d'admettre nécessairement,
ou le changement figure, ou le changement en substance. Ainsi les luthériens
étant persuadés avec nous que le changement en figure est une fusion qui détruit
la vérité du mystère, devraient être tout à fait des nôtres, s'ils avaient bien
compris leur propre doctrine. Bèze a raison de leur reprocher qu'ils expliquent
à la vérité « où est le corps du Seigneur, » mais non « ce que c'est qui est le
corps du Seigneur; » au lieu qu'on voit clairement par ces paroles du Fils Dieu
: « Ceci est mon corps, » qu'il a voulu nous montrer, non point simplement le
lieu où il était, mais qu'est-ce que c'était qu’il avait voulu faire son corps.
Ainsi quiconque est persuadé que
Jésus-Christ voulant consommer la vérité de son sacrifice, nous a donné son
corps en substance, et non son corps en figure, quand il a dit : « Ceci est mon
corps, » ne doit pas seulement penser que le corps de Jésus-Christ est dans le
mystère, mais qu'il en est lui seul toute la substance. Car il a dit : « Ceci
est mon corps, » et non : Mon corps est ici. Et de même que s'il avait dit,
lorsqu'il a changé l'eau en
252
vin : Ce qu'on va vous donner à boire, c'est du vin, il ne
faudrait pas entendre qu'il aurait conservé ensemble et l'eau et le vin, mais
qu'il aurait changé l'eau en vin : ainsi quand il prononce ! en termes précis
que ce qu'il présente c'est son corps, il ne bit pas entendre qu'il mêle son
corps avec le pain, mais seulement qu'il change le pain en son corps.
Qui ne voit donc sortir
manifestement le changement de substance des paroles de Notre-Seigneur, supposé
qu'on les prenne au sens littéral? Et qui ne voit par conséquent que la question
de la transsubstantiation ne fait plus une difficulté particulière, puisque
quiconque admet la réalité par la force du sens littéral, admet aussi
nécessairement le changement de substance? Enfin ce changement de substance, que
tiennent les catholiques, est aussi naturel au sens littéral, que le changement
mystique des prétendus réformés est naturel au sens figuré ; et il n'y a à
disputer entre nous que de la lettre ou de la figure.
Il résulte de toutes ces choses
que nous avons trois avantages: le premier, de suivre en tout point le sens
littéral ; le second, d'ailleurs , qu'on ne nous conteste pas que le sens
littéral ne soit préférable, lorsqu'il ne contient rien de mauvais ; le
troisième, que nos adversaires nous avouent de plus que dans la question dont il
s'agit, le sens littéral n'a aucun venin. Et quoiqu'ils n'aient fait cet aveu
qu'en faveur des luthériens, nous avons raison de prendre pour nous ce qui se
dit en faveur de la doctrine qui nous est commune avec eux.
Que veut donc dire l'auteur
quand il me reproche que je coûte si doucement sur la transsubstantiation ?
Quand j'aurais eu dessein de traiter à fond la matière de l'Eucharistie, il
aurait suffi de m'attacher à prouver a réalité ; puisque le bon sens fait voir,
et que les prétendus réformés accordent eux-mêmes par des actes publics et
authentiques, que la réalité étant établie, cette transubstantiation tant
combattue n'a plus de difficulté.
Mais que veut-il dire encore une
fois, lorsqu'il assure que « je serais assez disposé à reconnaître seulement la
réalité, laissant part ce grand mot de transsubstantiation?» Il pense
répondre
1 Anon., p. 253. — 1 Ibid. p. 251.
253
par là au juste reproche que je lui fais, que ces grands
mots de propre substance, dont se servent ceux de son parti, ne font que
les embarrasser ; et qu'ils les retrancheraient volontiers, s'ils se voyaient en
état de soutenir leur doctrine dans toutes ses suites. Je parle ainsi, parce
qu'en effet je fais voir que leur doctrine est contradictoire. Peut-il soutenir
de même que la nôtre se démente, ou que la réalité détruise le changement de
substance après que mes principaux docteurs, et même un de ses synodes assure au
contraire qu'elle l'établit?
Pourquoi donc oser soutenir que
la transsubstantiation nous embarrasse? Mais c'est qu'il a entrepris de nous
faire un reproche semblable à celui qui lui avait été fait dans l’Exposition,
et qu'il ne s'est pas mis en peine si nous lui eu avons donné le même sujet.
Concluons donc sans hésiter que,
supposé qu'on croie que Jésus-Christ soit présent, il faut dire qu'il est
présent par changement de substance, puisque la même puissance divine qui fit
que les Egyptiens trouvèrent autrefois dans le Nil du sang au lieu d'eau, et
qu'au lieu d'eau les conviés de Cana trouvèrent du vin dans les cruches, fait
maintenant tous les jours que nous trouvons dans l'Eucharistie, au lieu du pain
et du vin, le corps et le sang de Notre-Seigneur : mais voyons les autres suites
de notre doctrine.
J'avais dit dans l’Exposition
que « la vérité que contient l'Eucharistie dans ce qu'elle a d'intérieur,
n'empêche pas qu'elle ne soit un signe dans ce qu'elle a d'extérieur et de
sensible; mais un signe de telle nature, que bien loin d'exclure la réalité, il
l’emporte nécessairement avec soi, puisqu'en effet cette parole: Ceci est mon
corps, prononcée sur la matière que Jésus-Christ a choisie, nous est un
signe certain qu'il est présent (1). » On peut voir le reste dans l’Exposition
: et on verra que la chose y est expliquée autant que le demandait le dessein de
ce traité. Cependant l'auteur me répond « qu'on a peine à comprendre mon
1 Exposit., art. XIII.
254
raisonnement; » et il m'accuse « de donner le change, et de
prouver la question parla chose qui est en question (1). »
C'est en vérité une étrange
manière de raisonner que celle dont se sert cet auteur. Il ne veut pas qu'il
soit permis de tirer les conséquences légitimes des fondements qu'on a établis;
et aussitôt qu'on le fait, il dit « qu'on prouve la question par ce qui est en
question, » comme si tout ce qui précède et tout ce qui serti preuve, était
inutile.
Mon traité n'était pas fait pour
entrer en preuve, et je m'en étais d'abord assez expliqué : et toutefois ayant
aperçu que la doctrine de nos adversaires, telle qu'elle est exposée dans leur
Catéchisme et dans leur Profession de foi, fournissait des preuves certaines de
la présence réelle, je les avais proposées afin que mm adversaires pussent être
amenés à la vérité par leurs principes s'ils n'avaient pas encore l'esprit
ouvert à la simplicité des nôtres.
J'achève ce dessein dans le
douzième article de l’Exposition; et j'avais préparé les choses dans le
dix et dans le onze, comme je l'ai déjà remarqué ailleurs. Dans les articles
suivants, je ne fais qu'exposer les suites de la présence réelle : et il
m'accuse aussitôt de supposer ce qui est en question. Que veut-il donc que je
fasse ? Veut-il que je recommence éternellement ce que j'ai dit une fois ou bien
est-ce qu'il veut empêcher que je ne montre les suites à la doctrine que j'ai
exposée?
S'il ne la pas entendue, je ne
m'en étonne pas à voir la manière dont il l'a rapportée (2). Je perdrais trop de
temps à montrer qu'er changeant mes termes, il obscurcit mes pensées. Il vaut
mieux aller, s'il se peut, à la source de son erreur, et étendre un peu
davantage ce que la brièveté du style de l’Exposition ne lui a peut-être
pas assez découvert.
Qu'il se souvienne seulement qu'en cet endroit de la
dispute, il ne s'agit pas d'établir la réalité, mais d'examiner seulement si les
conséquences que j'en tire sont solides et naturelles.
Je dis donc que Jésus-Christ en
nous donnant son corps et son sang invisiblement présents, nous a donné en même
temps un objet sensible, lorsqu'il a dit : « Prenez et mangez, »
1 Anon., p. 263, 264. — 2 Ibid. p. 264.
255
Il eût été contre son dessein de
se découvrir à nos yeux dans un mystère qu'il instituait pour exercer notre foi
; et l'état de cette vie ne permet pas que les merveilles qu'il opère pour notre
salut soient aperçues de nos sens. Quand donc on supposerait avec nous qu'il
change le pain en son propre corps, il faudrait reconnaître que ce changement ne
devait pas être sensible, et par conséquent qu'à l'égard des sens il n'y aurait
rien de changé.
«Quelle est cette raison, dit
l'auteur, pour établir un dogme comme celui-ci (1) ? » Mais ne veut-il pas
considérer, comme je l'ai déjà dit, que cet endroit du discours suppose le dogme
déjà établi, et qu'il s'agit seulement d'en remarquer les suites, parmi
lesquelles celle-ci est la plus certaine? Car il est certain qu'il ne convient
pas à l'état de cette vie que Jésus-Christ se rende visible : de aorte que,
quand on supposerait avec nous une présence réelle ou un changement réel dans
l'Eucharistie, il faudrait supposer en même temps qu'il ne devait pas être
sensible.
Ceux qui s'embarrassent à
vouloir entendre comment Dieu peut accomplir ce qu'il lui plait, formeront des
incidents tant qu'il leur plaira sur la possibilité de l'exécution de ce
dessein. Mais pour nous, nous n'avons nulle peine à croire que Dieu puisse
changer la substance, sans changer aucun des effets qui ont accoutumé da
l'accompagner, ni les choses qui l'environnent.
Si on le suppose ainsi avec
nous, on avouera aisément que nonobstant le changement du pain et du vin, les
mêmes impressions se font sur nos sens et le même effet dans nos corps, Dieu
suppléant la présence des substances mêmes par les voies qui lui sont connues.
En un mot, il n'y a rien de changé dans l'état extérieur de l'objet ; ce que les
Grecs appellent ta phainomena et ce que nous pouvons appeler les espèces
et les apparences, demeurent les mêmes : et comme les sens n'aperçoivent que cet
état extérieur de l'objet, on peut dire qu'à leur égard il n'y a rien de changé.
C'est pourquoi nous assurons
sans crainte que le témoignage précis que les sens nous rendent n'est point
trompeur. Car il n'y a rien de changé que dans la substance, dont les sens ne
nous
1 Anon., p. 256.
256
apportent aucune idée. Ils ne sont juges que des
impressions qui reçoivent et de l'état extérieur de l'objet, qui demeure
toujours le même dans l'Eucharistie.
Mais faudrait-il conclure de là
que la substance elle-même demeure toujours? Il le faudrait sans doute conclure,
si Jésus-Christ n'avait point parlé. Car encore que la substance même des choses
ne puisse être connue par les sens, il se forme sur leur rapport un jugement de
l'esprit, qui fait que nous reconnaissons naturellement une certaine substance
partout où nous ressentons certaines impressions, ou une certaine suite de faits
naturels : et ce jugement doit être suivi, si ce n'est que quelque raison ou
quelque autorité supérieure le corrige, si l'on n'est instruit du contraire par
une lumière plus haute.
Ainsi, que l'Ecriture ne nous
dise pas que cette colombe et hommes qui paraissent tels n'en ont que la forme,
tant que apercevrai les mêmes effets qui accompagnent ordinairement objets, je
les prendrai sans hésiter pour ces objets mêmes. Mais s'il plaît à Dieu de
m'instruira de la vérité, je suspendrai le jugement qui suit naturellement les
impressions de mes sens, et je dirai que pour cette fois il faut juger
autrement que nous : sommes portés par la pente naturelle de notre esprit. Nous
agissons de même dans l'Eucharistie; et comme nous ressentons toujours les mêmes
impressions, nous n'y croirions que du pain, si Jésus-Christ ne nous avait
appris que c'est son corps.
Par là se voit clairement
combien sont vaines ces objections que les prétendus réformés font tant valoir,
et dont l'Anonyme paraît si embarrassé. Il nous accuse « de détruire le
témoignage des sens (1), » que Dieu nous a donnés pour connaître les choses
corporelles; et d'anéantir par ce moyen « la preuve dont Jésus-Christ s'est
servi pour établir la vérité de son humanité et de sa résurrection (2). »
1 Anon., p. 178. — 2 Ibid. p. 258.
258
Plusieurs passent jusqu'à
reprocher à notre doctrine qu'elle fait Dieu trompeur, puisqu'il fait selon nous
paraître à nos sens ce qui n'est pas en effet.
Quelle objection pour des
chrétiens, qui ont lu dans les Ecritures que Dieu fit paraître les anges avec
une forme humaine si parfaitement imitée, qu'Abraham et Lot leur préparent à
manger comme à des hommes, les voyant en effet manger à leur table, sans jamais
soupçonner ce qu'ils étaient, jusqu'à ce qu'ils se tassent découverts
eux-mêmes ! Dira-t-on que Dieu les a déçus, lorsqu'il leur a fait paraître ce
qui n'était pas, sans les en avoir avertis que longtemps après? Et combien nous
trompe-t-il moins dans l'Eucharistie, puisqu'en changeant invisiblement le pain
en son corps, il nous en instruit dès le moment même, en disant : « Ceci est mon
corps? »
Il paraît donc clairement que
nous ne sommes déçus en rien du tout : car il y a ici deux choses à considérer;
il y a en premier lieu le rapport précis que font les sens à l'esprit : nous
avons montré qu'il n'est point trompeur, parce qu'il n'y a rien de changé à
l'égard des sens, et que tout le changement est dans la substance dont les sens
n'ont aucune idée.
Il y a en second lieu le
jugement de l'esprit, qui juge qu'une certaine substance est présente, lorsqu'il
aperçoit par les sens un certain concours d'effets naturels. Quoique ce jugement
ne puisse être proprement attribué aux sens, on le rapporte ordinairement au
témoignage des sens, parce qu'il se fait immédiatement sur leur rapport. Il est
vrai qu'à juger des choses par ces effets naturels, il faudrait croire que
l'Eucharistie est encore en substance du pain et du vin; mais Jésus-Christ qui
les change invisiblement, pour nous empêcher d'être déçus, nous enseigne
expressément que c'est son corps.
En quoi donc sommes-nous
trompés, puisque le changement qui se fait ne regarde pas les sens, et que
l'esprit, qui seul se pourrait tromper, est instruit de la vérité par la foi ?
Mais les prétendus réformés
veulent croire que si une fois ce qui a toutes les marques du pain n'est pas du
pain en effet, tous les jugements que nous ferons touchant la substance des
choses seront
258
affaiblis, qu'il faudra toujours nous défier des objets qui
se présentent et mettre en doute si nous voyons quelque chose de subsistant, ou
seulement des espèces et des apparences sensibles. Quelle faiblesse de
raisonnement, comme si nous devions toujours soupçonner, ou que la mer se va
fendre, ou qu'une rivière va remonter à sa source, parce que nous savons par les
Ecritures que Dieu a fait quelquefois de tels miracles ! Mais tâchons de
découvrir plus à fond la source de leur erreur.
Il y a ici deux règles certaines
: la première, que l'ordre de la nature ne peut être changé sans la volonté de
Dieu ; la seconde, qui n'est qu'une suite de cette première vérité, que nous
devons croire que les choses vont à l'ordinaire, si Dieu ne nous apprend qu'il
les ait changées.
Comme donc la nature nous fait
juger qu'il y a une certaine substance où nous voyons de certains effets et de
certaines marques sensibles, ce jugement demeure toujours ferme, si ce n'est que
Dieu le corrige en nous apprenant le contraire par une lumière plus haute. Mais
c'est une erreur grossière et contraire à la puissance divine, que de conclure
de là que Dieu ne puisse pas changer cet ordre, ou que toutes les fois qu'il
fera un tel changement il soit obligé d'en découvrir le secret à nos sens. Par
quelle loi s'est-il astreint lui-même aune telle nécessité? S'est-il ôté le
pouvoir d'exercer notre foi par tous les moyens qu'il trouvera à propos?
Pourquoi donc ne croirons-nous pas qu'il ait pu changer les substances, sans
changer les apparences sensibles? Et s'il lui a plu de faire un tel changement,
n'est-ce pas assez aux chrétiens qu'il daigne les en instruire par sa parole?
Voici donc une vérité qui ne
peut être ébranlée. Dieu peut changer les substances sans changer ce qui paraît
au dehors, ni l'état extérieur de l'objet; mais nous ne devons croire qu'il le
fasse ainsi, que lorsqu'il lui plaît de nous en instruire.
Tant que cette règle demeurera
ferme, il n'y aura rien de plus
259
vain que le reproche des prétendus réformés, qui assurent
que notre doctrine affaiblit le témoignage que les apôtres ont rendu à la
résurrection de Notre-Seigneur. Car lorsqu'il leur apparut avec toutes les
marques de ce qu'il était, tant s'en faut qu'il intervint rien de la part de
Dieu qui corrigeât le jugement que les hommes font naturellement quand ils
aperçoivent de telles marques, qu'au contraire tout concourait à confirmer cette
croyance. Jésus-Christ paraît en personne, montrant à ses bienheureux disciples,
non-seulement tout ce qu'on voit ordinairement dans un corps humain, mais encore
tous les caractères individuels qui leur pouvaient désigner en particulier le
corps de leur Maître, et même les cicatrices de ses plaies. Quel autre que Dieu
pouvait faire un miracle si surprenant? Mais pourquoi se fait ce miracle, si ce
n'est pour leur confirmer que c'est en effet Jésus-Christ lui-même qui leur
paraît et qui leur parle ? Car la parole se joint à l'objet extérieur ; celui
qui se montre à eux les assure en même temps que c'est lui-même, et leur fait
expressément remarquer qu'un esprit n'a point de chair ni d'os. Comment donc
peut-on comparer ce qui se passe dans l'Eucharistie avec ce qui se passe dans
l'apparition de Jésus-Christ ressuscité? Là en montrant ce qui paraît pain, il
ne dit pas que ce soit du pain, mais il dit que c'est son corps. Ici en montrant
ce qui paraît un corps humain, il dit que c'en est un en effet. Il confirme donc
dans le second, que les choses sont en effet comme elles paraissent. Il nous
oblige, dans le premier, à nous élever par la foi au-dessus des apparences
sensibles. Nous devons le suivre en tout et ne croire pas moins sa parole,
lorsqu'elle corrige ce que nous pensons naturellement que lorsqu'elle le
confirme.
Et si les prétendus réformés
nous demandent la raison pourquoi il a plu à Jésus-Christ d'agir si différemment
dans l'Eucharistie et dans cette miraculeuse apparition, il nous sera aisé de
les satisfaire : c'est qu'il plaisait à Dieu que le fondement de notre foi,
c'est-à-dire la résurrection de son Fils fût attestée par les moyens que ses
apôtres incrédules avaient demandés, et auxquels les hommes les plus infidèles
ont accoutumé de se rendre. Mais le mystère sacré de la Cène, qui se donne aux
chrétiens baptisés, suppose que la foi domine déjà. Il est institué pour
260
l'exercer, et non pas pour l'établir. De sorte que le
fondement deux conduites si différentes, qu'il a plu à Notre-Seigneur tenir dans
ces deux mystères, c'est que dans l'un il veut la foi, et dans l'autre il
voulait convaincre l'incrédulité.
Il est maintenant aisé de
comprendre ce que les paroles l'institution doivent opérer dans l'esprit des
fidèles ; et je n'ai rien à ajouter à ce que j'en ai dit dans l'Exposition.
Car premièrement il est certain que, puisqu'elles ne changent rien que dans la
substance, tout l'extérieur a dû demeurer le même : et soit que l'on considère
l'Eucharistie avant ou après la consécration, il y a un objet commun à l'un et à
l'autre état, puisque nos sens trouvent dans l'un et dans l'autre les mêmes
espèces sensibles du pain et du vin.
De là il s'ensuit en second
lieu, que quand on parlera de l'Eucharistie selon un certain égard, c'est-à-dire
en considérant d'où elle est formée, et ce qu'elle paraît aux sens, et quel en
est l'usage à l'égard du corps, on pourra l'appeler du pain et du vin. Car si
l'Ecriture sainte n'a pas craint d'appeler encore du nom de verge, cette
verge de Moïse changée en couleuvre, et de conserver le nom d'eau à l'eau de la
rivière changée en sang, à cause seulement que cette couleuvre était faite de
cette verge et ce sang de l'eau de cette rivière, quoiqu’au reste il n'y eût
plus rien dans ces choses de la forme ni de l'usage précédent : à combien plus
forte raison peut-on conserver à l'Eucharistie selon un certain égard le nom de
pain et de vin, puisque, outre qu'elle se fait de pain et de vin, elle en
retient à l'égard du corps et l'usage et apparences?
Mais il s'ensuit en troisième
lieu, qu'encore qu'en nommant
l'Eucharistie par rapport aux effets sensibles et
extérieurs, nous puissions en un certain sens l'appeler du pain et du vin,
nous changerons de langage quand il faudra la définir exactement. Car comme,
lorsqu'il s'agit de définition, il faut exprimer quelle est la substance des
choses, nous ne regarderons plus dans l'Eucharistie
261
ce qu'elle paraît, ou ce qu'elle opère au dehors; mais ce
que Jésus-Christ, en l'instituant, a dit qu'elle était, c'est-à-dire son corps
et son sang.
En effet lorsque l'Ecriture
explique la même chose par des expressions différentes, il y a toujours
l'endroit principal auquel il faut réduire les autres. Par exemple, si la verge
de Moïse ou l'eau des rivières sont encore appelées de ce même nom, après
qu'elles sont changées en couleuvre et en sang, il y a un certain endroit auquel
il faut rapporter les autres, parce que la chose y est exprimée telle qu'elle
est en termes précis. Car il est dit expressément à l'endroit où il s'agit
d'exprimer nettement la chose, que la verge fut changée en couleuvre, et que
l'eau des rivières fut changée en sang. De même si l'Eucharistie qui est formée
de pain et de vin et qui en retient tout l'usage à l'égard des sens, en retient
aussi quelquefois le nom dans les Ecritures : il faut réduire ces expressions à
l'expression principale, c'est-à-dire à celle où le Fils de Dieu nous a voulu
expliquer ce que c’était : et c'est par là qu'il faudra définir la chose.
Or ces paroles principales où
Jésus-Christ a voulu exprimer en tonnes précis ce que c'est que l'Eucharistie,
sont sans doute les paroles de l'Institution. Ainsi nous définirons exactement
ce que c’est que l'Eucharistie, quand nous dirons avec saint Cyrille de
Jérusalem que ce qui paraît pain n'est pas du pain, mais le corps
Notre-Seigneur; et que ce qui paraît vin n'est pas du vin, mais le sang de
Notre-Seigneur : à quoi il faut encore ajouter que ces marques extérieures qui
nous désigneraient du pain et du vin, si Jésus-Christ n'avait point parlé, après
que nous avons écouté sa parole toute-puissante, commencent à nous désigner sen
corps et son sang présents.
Voilà ce raisonnement de l’Exposition
que l'Anonyme dit qu'il ne peut comprendre : et cependant ce n'est qu'une suite
des paroles de Notre-Seigneur prises au sens littéral. Car veut-on que le
chrétien laisse passer la parole de Jésus-Christ comme s'il ne l’avait point
entendue, et qu'il juge toujours des choses de même qu’il en jugerait si le
Sauveur n'avait point parlé? Il n'y aurait rien de plus impie. Il faut que
chacun juge des choses
262
sens qu'il donne, aux paroles de Notre-Seigneur et de même
que le calviniste avec son sens figuré juge que ce qui lui paraît dans
l'Eucharistie n'est le corps de Jésus-Christ qu'en figure, le catholique au
contraire, que tous les raisonnements humains n'ont pu empêcher d'adorer la
vérité du sens naturel doit croire que ce qui lui est présenté est le corps de
Jésus-Christ en effet.
Qui ne voit, cela étant, que ces
espèces sensibles, commencent, après ces paroles, à marquer au catholique une
autre substance qu'elles ne faisaient auparavant; et qu'au lieu que si
Jésus-Christ n'avait point parlé elles lui marqueraient du pain et du vin, elles
lui marquent son corps présent, aussitôt qu'il a entendu cette parole?
Ce ne sont donc point simplement
les espèces extérieures qui marquent cette présence; mais, comme j'ai dit dans
l’Exposition, c'est la parole avec ces espèces qui nous désignent
Jésus-Christ présent. Et ce n'est point pour satisfaire aux objections des
prétendus réformés que nous avons enseigné, comme par contrainte, que
l'Eucharistie est un signe « qui bien loin d'exclure la réalité l'emporte
nécessairement avec soi, » comme j'avais dit dans l’Exposition. Car il
suit naturellement du fond de notre doctrine que ce que Jésus-Christ voulait
faire dans l'Eucharistie, n'a pas dû paraître, à nos sens. D'où il s’ensuit
clairement qu'il ne fallait rien changer dans l'extérieur ; et enfin que nos
sens ne nous disant rien du mystère secret que Dieu opérait, sa parole a dû nous
instruire que cet extérieur désignait et contenait Jésus-Christ présent.
Par où on peut remarquer combien
les paroles de l'institution étaient propres à faire entendre aux catholiques ce
qu'en effet ils y entendent. Car il ne fallait pas que Notre-Seigneur se mît en
peine d’exprimer les signes que nous voyons de nos yeux : il fallait seulement
parler de manière qu'il nous empêchât de rapporter ces marques sensibles aux
substances qui ont accoutumé d'en être revêtues, en nous apprenant, comme il a
fait, que ce qui nous était; présenté, quoiqu'il eût les marques du pain et du
vin, était en effet son corps et son sang.
Ces paroles; de Notre-Seigneur
nous portent naturellement à croire que Jésus-Christ nous est donné réellement
dans l'Eucharistie
263
par un changement de substance, puisque son corps et son
sang sont substitués à la place du pain et du vin et nous sont présentés ,sous
la même espèce : de sorte que nous pouvons dire que le terme de
Consubstantiel, dont les, Pères de Nicée se sont servis, n'est pas plus
propre à exprimer la simplicité de cette parole : « Mon Père et moi, ne sommes
qu'un, » que le terme de Transsubstantiation est propre à nous faire
entendre la vérité de celle-ci : « Ceci est mon corps; ceci est mon sang.»
C'est en vain que l'Anonyme veut
s'imaginer ici une contradiction perpétuelle entré nos sens et notre foi, et
qu'il veut que je lui explique pourquoi Dieu a voulu qu'il y eût un tel combat
dans un acte de religion qu'il a établi pour soulager notre infirmité et notre
incrédulité (1).» Que dirait-il d'un chrétien qui aurait peine à comprendre que
Dieu, qui voulait faire servir la prédication à confirmer notre foi, a voulu
toutefois qu'on prêchât sans cesse le scandale de la croix et les autres
mystères de la religion, dont notre faible raison est si fort choquée ; ou qui
trouverait étrange qu'on ne cessât de nous assurer que les mêmes corps mortels,
dont nous sentons à chaque moment la caducité, dussent un jour devenir
impassibles et immortels? Ne dirait-il pas à ce faible chrétien que celui qui
s'est une fois soumis à l'autorité d'un Dieu qui parle, accoutume de telle sorte
et sa raison et ses sens à porter ce joug bienheureux, que ce combat ne le
trouble plus, et ne fait au contraire qu'exercer sa foi? Que n'applique-t-il à
l'Eucharistie cette réponse si solide et si chrétienne? Et pourquoi ne
voudra-t-il pas que les paroles de Jésus-Christ prennent .
une telle autorité sur l'esprit du chrétien, qu'il n'y a
plus rien qui leur résiste après qu'on les a entendues; ou que s'il s'élève du
côté des sens quelque tentation contre la vérité de Dieu, le chrétien ne s'en
émeut pas, et ne cesse de les combattre avec la même fidélité qui lui fait
combattre les inclinations et les cupidités sensuelles durant tout le cours de
sa vie?
1 Anon., p. 258
264
Il reçoit cependant des marques sensibles qui lui restent
dans l'Eucharistie, tout le secours qu'il en peut attendre. Car outre que
l'objet présent excite l'esprit et l'aide à s'attacher au Seigneur qui se donne
à nous sous ces signes, cette pieuse cérémonie, que nos pères nous ont laissée
de main en main depuis le temps de Notre-Seigneur, a encore cet effet
particulier qu'elle ramène en notre pensée la nuit sainte et vénérable où
Jésus-Christ fut livré à ses ennemis, et où sentant approcher sa dernière heure,
il institua ce mystère en mémoire de la mort ignominieuse qu'il devait souffrir
le lendemain pour le salut de tous les hommes.
Que si ces signes sensibles
joints à la parole de Jésus-Christ nous marquent Jésus-Christ présent, c'est une
suite nécessaire de cette doctrine, que nous lui rendions l'adoration qui lui
est due.
Je n'ai que faire d'examiner en
ce lieu s'il est vrai que ce soit un dogme universellement établi parmi les
luthériens, qu’il ne faille pas adorer Jésus-Christ dans l'Eucharistie : il
importe peu de savoir quelle est leur croyance sur ce point; puisqu'enfin,
quelle qu'elle soit, il est certain que les plus habiles des calvinistes l'ont
condamnée ; et sans qu'il me soit besoin de citer les autres, il me suffit que
l'Anonyme souscrive à leurs sentiments.
« Ce dogme est sans doute,
dit-il, ce qu'il y a de plus fondamental et de plus important dans tout ce qui
nous sépare de l'Eglise romaine, parce que ce n'est pas seulement un dogme, mais
un culte et une pratique où il s'agit d'adorer ou de n'adorer pas; en quoi on ne
se peut méprendre sans tomber dans l'impiété ou dans l'idolâtrie (1).» Selon lui
l'idolâtrie, c'est d'y adorer Jésus-Christ s'il n'y est pas, de même que
l'impiété, c'est de refuser opiniâtrement de l'y adorer s'il y est.
Il a raison de croire que c'est
en effet une impiété manifeste de croire Jésus- Christ présent dans
l'Eucharistie sans! vouloir l'y adorer; et il n'y a rien de plus faible que ce
que lui et les siens
1 Anon., p. 265.
265
font dire aux luthériens pour leur défense : « Ce n'est pas
là que Jésus-Christ veut être adoré (1) ». Car il faudrait dire de même que ce
n'est pas
là que Jésus-Christ veut être cru, que ce n'est pas là
qu'il veut être aimé par cet amour souverain que nous devons à Dieu seul. Que si
on croit Jésus-Christ dans l'Eucharistie, si on l'aime de tout son cœur en cet
état de bonté et de condescendance où iî s'approche lui-même de nous avec tant
d'amour, peut-on dire que cette foi et cette charité fervente n'emporte pas avec
elle une sincère adoration de sa Majesté et de sa bonté infinie? Jésus-Christ a
donc déjà nécessairement par là foi de là présence réelle, une adoration
intérieure à laquelle les marques externes n'ajoutent que le témoignage sensible
des sentiments qu'on a pour lui dans le cœur. Mais Comment peut-on refuser de
donner des marques extérieures de ce qu'on sent au dedans pour un si digne objet
que Jésus-Christ? L'auteur a raison de dire que c'est une impiété manifeste; et
je ne sais si tous les luthériens souffriront qu'on les en accusé.
En effet je n'ai pas encore
remarqué dans leurs Confessions de foi, qu'ils condamnent en général l'adoration
de Jésus-Christ dans ce sacrement. Mais comme ils ne le croient présent que dans
le temps qu'on le distribue, ils n'ont garde de l'adorer hors de ce temps, et
semblent ne condamner dans les catholiques que les marques d'adoration qu'ils
rendent à l'Eucharistie hors de cet usage, où la présence de Jésus-Christ est
restreinte selon leur doctrine. On trouvera qu'ils parlent toujours de cette
manière dans leurs Confessions de foi : et pour ne point perdre le temps à les
rapporter les unes après les autres, il suffit de remarquer en ce lieu ce qu'ils
ont écrit d'un commun accord dans leur Livre de la Concorde: « Lorsque,
disent-ils, hors de cet usage de la manducation; le pain est offert ou enfermé,
ou porté, ou proposé pour être adoré, il ne faut point le reconnaître pour le
sacrement (2). »
On peut voir, à la vérité, dans
ces paroles, qu'ils n'admettent pas l'adoration hors de la distribution du pain,
comme ils n'admettent non plus hors de cet usage ni la présence de Jésus-Christ,
ni la vérité du sacrement ; mais je n'ai vu encore aucun acte au
1 Anon., p. 219. — 2 Concord., p. 751.
266
authentique de leurs églises où ils rejettent l'adoration
dans le temps qu'ils croient Jésus-Christ présent : et ce serait en vérité un
sentiment fort étrange de ne vouloir point l'adorer comme, présent, pendant
qu'ils se mettent à genoux pour le recevoir, avec une ferme foi: de sa présence
réelle. Quoi qu'il, en soit, je n'entreprends pas de les justifier : et si
l'Anonyme aime; mieux croire qu'ils sont impies que de croire qu'ils sont
favorables à notre doctrine de l'adoration, il peut se contenter là-dessus, je
ne m'y opposerai pas: il me suffit qu'il avoue que c'est une impiété de ne
vouloir pas adorer Jésus-Christ présent ; et par conséquent que la doctrine de
l'adoration est une suite nécessaire de celle de la présence.
Mais il prétend que la
liaison que nous reconnaissons entre ces deux dogmes (1), nous
devrait obliger à les rejeter l'un et l'autre; et que « ne voyant pas un mot
dans le récit de l'institution, de ce sacrement, qui témoigne que les apôtres se
soient prosternés en le recevant, ni qu'ils aient donné aucune marque
d'adoration (2),» nous devrions conclure de là qu'ils n'ont pas cru la présence.
C'est une difficulté que les prétendus réformés ne cessent de nous opposer : ils
ne veulent pas considérer que comme, il n'est pas écrit que les apôtres aient
adoré Jésus-Christ présent invisiblement dans l'Eucharistie, il n'est non plus
écrit qu'ils l'aient adoré, présent visiblement à la table où il instituait ce
divin mystère. Ils seront forcés d'avouer que les marques extérieures
d'adoration ne sont pas exprimées partout, et qu'il nous suffit d'apprendre par
d'autres endroits que Jésus-Christ est adorable d'une adoration souveraine,
parce qu'il est le Fils unique de Dieu. Pourquoi ne veulent-ils pas que nous
leur fassions la même réponse? Ou s'ils disent que les apôtres ne rendaient pas
à chaque moment à Jésus-Christ une adoration extérieure, quelle raison y a-t-il
d'en exiger davantage pour Jésus-Christ invisible et caché sous une forme
étrangère, qu'ils n'en exigent eux-mêmes pour Jésus-Christ paraissant en sa
propre forme? Enfin lisons-nous en quelque endroit de l'Ecriture, que les
apôtres, en célébrant ce sacré mystère, ou avec Jésus-Christ, ou après sa mort,
l'aient reçu avec quelque marque de respect, extérieur? Les prétendus réformés,
voudront-ils
1 Anon., p. 268. — 2 Ibid. p. 266.
267
conclure de là qu'il n'en faut avoir aucune? pourquoi donc
ordonnent ils dans leur discipline qu'on demeure découvert durant la célébration
de la Cène; et pourquoi souffrent-ils que quelques-uns de leurs frères la
reçoivent à genoux, comme nous l'avons remarqué ailleurs? Sans doute ils
établiront ces marques extérieures de respect religieux par les passages de
l'Ecriture, où il est dit en général que tous les actes de religion se doivent
faire avec révérence; et ils diront qu'il n'est pas besoin d'exprimer toujours
celle qui est due dans chaque acte particulier : pourquoi donc ne veulent-ils
pas nous écouter, lorsque nous disons qu'il n'est pas besoin que nous prouvions
par un passage particulier que Jésus-Christ soit adorable dans l'Eucharistie, et
qu'il suffit que nous prouvions en général qu'il est adorable partout où il est,
ou plutôt qu'il n'est pas même, nécessaire que nous le prouvions, puisque si peu
qu'on ait de foi et de respect pour Jésus-Christ, on ne peut nous contester une
vérité si constante?
Voilà à quoi aboutissent ces
arguments, tirés contre nous du silence de l'Ecriture sur les marques
extérieures, de respect et d'adoration. Ils ne combattent pas moins la doctrine
et la pratique des prétendus réformés que des catholiques. Et nous n'employons,
pour y répondre, que des vérités dont nos adversaires conviennent eux-mêmes avec
nous. Ils ne cessent cependant de recommencer cette objection, laquelle, comme
on a vu, ne combat pas moins leur doctrine ni leur pratique que la nôtre : tant
il est vrai que les hommes oublient toute la droiture du raisonnement, quand
préoccupés de leurs opinions, ils ne s'attachent qu'à tirer avantage de tout ce
qu'ils lisent.
L'auteur nous objecte ici
l'antiquité chrétienne Mais je ne crois pas qu'il ait prétendu qu'une page de sa
réponse où ii a touché cette objection, m'oblige à la discussion d'une matière
si éloignée de notre sujet, et que les auteurs catholiques ont si nettement
éclaircie. J'ai fait ce que je devais, quand j'ai montré que l'adoration n'a
point de difficulté particulière, et qu'elle n'est qu'une suite de la présence
réelle. Il est temps de faire voir qu'il en est de même de la doctrine du
sacrifice.
1 Anon., p. 267.
268
Mais si peu que l'on considère
les réponses de l'Anonyme, on sera facilement convaincu que la doctrine de l’Exposition
sur le sacrifice de l'Eucharistie est incontestable.
Pour faire voir que le sacrifice
est nettement enfermé dans la présence réelle, j'ai demandé seulement qu'on
m'accordât que ceux qui sont convaincus que les paroles de l'institution opèrent
réellement ce qu'elles énoncent, doivent croire qu'elles eurent leur effet
aussitôt qu'elles furent proférées, et reconnaître par conséquent la présence
réelle du corps avant la manducation.
L'Anonyme n'a pu contester une
vérité si constante et la laisse passer sans contradiction. Et certes s'il faut
entendre à la lettre ces paroles : « Ceci est mon corps, » il faut aussi
entendre que c'est le corps, dès que Jésus-Christ a parlé, et non que ce le sera
seulement lorsque nous le recevrons; car l'effet des paroles de Jésus-Christ ne
dépend que de leur propre efficace, sans qu'il soit besoin d'attendre autre
chose. Au reste les prétendus réformés disputent avec nous, à la vérité, s'il
faut entendre ces paroles au sens littéral, ou seulement au sens figuré; mais
ils ne nous disputent pas que, quoi que Jésus-Christ ait voulu faire, il ne
l'ait fait dès le moment qu'il eut parlé. Et comme ceux qui embrassent le sens
figuré doivent dire que le pain fut établi comme la figure du corps, dès que
Jésus-Christ eut dit, « Ceci est mon corps, » ceux qui embrassent le sens
littéral doivent penser au contraire que n'étant pas plus difficile à
Jésus-Christ de faire des choses que d'instituer des signes, l'effet de sa
parole n'a pas été suspendu un seul moment , et que son corps fut présent dès
que ses paroles furent prononcées. Ainsi il ne s'agit entre nous que du sens
littéral ou figuré ; et j'ai eu raison de dire que supposé le sens littéral,
notre doctrine est indubitable.
Mais de là il s'ensuit encore
que la consécration et la manducation sont deux actions distinguées ; et on ne
peut non plus contester ce que j'ai dit dans l’Exposition, que la
consécration comme distinguée de la manducation, ne soit d'elle-même agréable
269
à Dieu. Car qu'y a-t-il pour lui de plus agréable que de
lui mettre devant les yeux son Fils unique présent au milieu de nous, et de nous
présenter nous-mêmes avec lui devant sa face? En un mot, en repassant toute la
doctrine que j'ai proposée touchant le sacrifice de l'Eucharistie, on verra
qu'elle est enfermée dans ce seul principe, que le corps de Jésus-Christ est
présent aussitôt que les paroles sont prononcées : et quand l'auteur aurait nié
cette vérité, chacun pourrait s'en convaincre par la seule lecture de l’Exposition.
Mais il a procédé de meilleure foi ; et bien loin d'avoir contredit ce que j'ai
avancé sur ce sujet, il a déclaré expressément qu'il n'avait rien sur cela à
nous reprocher : « La réalité, dit-il, ou la présence réelle telle que l'Eglise
romaine la croit par un changement de la substance du pain en celle du corps de
Jésus-Christ, immédiatement après que ces paroles : «Ceci est mon corps, » ont
été prononcées, est le fondement du sacrifice de la messe et de l'adoration de
l'hostie; c'est le sens de la première proposition de M. de Condom, sur lequel
nous n'avons rien à dire (1) »
Il tâche de faire voir en ce
lieu que mon raisonnement « n'est pas droit; » il marque ensuite les
propositions où il croit que je ne raisonne pas droitement; nous aurons sujet
d'en parler ailleurs, et on verra qui se détourne de lui ou de moi. Mais en
attendant, il avoue que «sur la première proposition, il n'a rien à dire, » et
il doit passer pour constant, de l'aveu des prétendus réformés, que s'il est
vrai que Jésus-Christ soit présent « immédiatement après que les paroles ont été
prononcées, » il n'y a plus rien à dire sur le sacrifice. Or nous avons déjà vu
que cette proposition n'a plus de difficulté supposé le sens littéral, et qu'en
effet elle ne nous a pas été contestée. Il n'y a donc à disputer entre nous que
du seul sens littéral, et le reste de notre doctrine est indubitable.
Au reste on peut remarquer dans l’Exposition, que
les catholiques prouvent la doctrine du sacrifice par la seule présupposition de
la présence réelle , sans qu'il soit besoin pour cela du changement de
substance. Si toutefois ce changement facilite à
1 Anon., p. 280.
270
l'auteur de la Réponse l'intelligence de notre doctrine sur
le sacrifice, comme il semble l'insinuer au lieu que je viens de produire, il
peut se satisfaire là-dessus, et n'a qu'à se souvenir que le changement de
substance est enfermé dans le sens littéral, et que ce sont les auteurs et les
synodes de sa communion qui l'enseignent ainsi avec nous : de sorte qu'il est
certain, de quelque côté qu'on se tourne, que supposé le sens littéral, il n'y a
rien à nous contester sur toutes les autres parties de notre doctrine.
L'exposition de notre croyance a
déjà produit un grand fruit, puisqu'elle a fait connaître aux prétendus réformés
que le sacrifice de l'Eucharistie, pour lequel ils ont tant de répugnance, est
compris dans une doctrine qui selon eux n'a aucun venin, c'est-à-dire dans la
doctrine de la présence réelle. Mais nous tirons encore de là une autre utilité
très-considérable. Nous avons sujet d'espérer qu'on cessera désormais de nous
objecter que le sacrifice que nous célébrons anéantisse celui de la croix,
puisqu'ayant fait voir que cette objection n'a de fondement que sur de fausses
idées, l'Anonyme laisse sans réplique tout ce que j'ai dit sur ce sujet.
Rien plus, comme les principaux
arguments qu'on nous oppose sur cette matière sont tirés de l’Epître aux
Hébreux, j'ai fait un article exprès (1) pour montrer que nos sentiments
n'affaiblissent en aucune sorte ce que saint Paul y enseigne touchant la
perfection du sacrifice de la croix; et j'ai fait voir, au contraire, que les
objections qu'on nous fait ne peuvent pas subsister, sans renverser la doctrine
de cette même Epître aux Hébreux, qu'on fait tant valoir contre nous. On peut
revoir en un moment ces endroits de l'Exposition, et on verra que
l'auteur les a laissés sans réplique.
C'était néanmoins ici un point
essentiel à notre dispute , puisque j'avais marqué dans l'Exposition,
qu'un des principaux fruits que j'en espérais, c'est qu'on verrait que notre
doctrine s’accordait parfaitement avec les articles fondamentaux de la religion
chrétienne. C'était là aussi un des deux points sur lesquels
1 Exposit., art. XV.
271
quels l'Anonyme avait promis de répondre ; et puisqu'il ne
nous dit rien sur cela, il faut assurément qu'il ait vu qu'il n'y a rien à nous
dire.
Il est vrai qu'il tire de l’Epître
aux Hébreux deux arguments contre nous. Mais comme les calvinistes attaquent
tous les jours par les Ecritures la doctrine des luthériens sur la présence
réelle, sans soutenir pour cela qu'elle renverse les fondements du salut : c'est
aussi autre chose de vouloir détruire le sacrifice de l'Eucharistie, et autre
chose de faire voir qu'il renverse ce grand fondement du salut, c'est-à-dire, la
perfection du sacrifice de la croix.
Si l'auteur veut peser lui-même
la force de ses arguments, il avouera qu'ils ne nous attaquent pas par cet
endroit là. Et en effet voici quels ils sont : le premier est, que si saint Paul
avait reconnu la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, il n'aurait pas
dit qu'il est entré, non dans un sanctuaire terrestre, mais dans un sanctuaire
qui n'est point fait de main d'homme. Le second est, que si le même saint Paul
avait reconnu dans l'Eucharistie l'oblation que l'Eglise romaine y reconnaît, il
n'aurait pas dit dans la même Epître, que Jésus-Christ ne s'est offert qu'une
fois. Tels sont les deux arguments que l'auteur tire contre nous de l’Epître
aux Hébreux; et on voit qu'ils ne prouvent pas que l'oblation que nous
confessons renverse le fondement du salut, non plus que la présence réelle.
Que conclut donc contre moi
l'auteur de la Réponse, puisqu'il laisse sans aucune atteinte ce que j'ai
uniquement prétendu dans cet endroit de l'Exposition, c'est-à-dire que
notre doctrine sur le sacrifice de l'Eucharistie, telle que je l'ai proposée
selon le concile de Trente, ne renverse ni le fondement du salut, ni la dignité
infinie du sacrifice de la croix? Mais quand j'aurais à répondre aux difficultés
qu'il nous fait, considérées dans leur fond, je pourrais le faire sans beaucoup
de peine.
Je me contenterai de marquer ici
l'injustice du procédé de nos adversaires : ils ne veulent pas qu'il nous soit
permis de dire que ce qu'enseigne l'apôtre saint Paul de la présence de
Jésus-Christ dans le ciel, et de l'oblation qu'il a faite de lui-même par sa
mort,
272
n'empêche pas une autre présence, ni une autre sorte
d'oblation, c'est-à-dire la présence et l'oblation que l'Eglise reconnaît dans
l'Eucharistie. « C'est répondre, dit l'Anonyme, la même chose qui est en
question (1). » Il croit se sauver par là, et c'est par là justement qu'il se
condamne. Car dès là même que, de son aveu, la question consiste en ce point,
s'il ne m'est pas permis de supposer ce que je dis comme vrai, il ne lui est pas
non plus permis de supposer le contraire. La loi doit être égale entre nous; et
afin de faire voir combien son procédé est déraisonnable, je le prie de penser
ce qu'il répond, quand on combat sa doctrine par ces paroles de Notre-Seigneur :
« Ceci est mon corps ; » il répond aussitôt : « C'est-à-dire : Mon corps en
figure. » Sans doute on peut dire ici que c'est répondre précisément ce qui est
en question. Mais si je prétendais que notre dispute fût vidée par ce seul
reproche, l'Anonyme me trouverait-il raisonnable? Au contraire ne dirait-il pas
que si un reproche de cette nature décidait la difficulté, nous aurions raison
l'un après l'autre? Car chacun répond à son tour aux objections selon les
sentiments qu'il soutient, sauf à les prouver quand il faudra; et les lois de la
dispute défendent, non de répondre conformément à sa thèse, mais de la donner
pour preuve. Voilà ce que l'Anonyme me répondrait, si je voulais lui fermer la
bouche aussitôt qu'il m'alléguerait son sens figuré sous prétexte que c'est ce
qui fait le sujet de notre dispute. Je confesse pour moi qu'il aurait raison, et
je le prie seulement de nous faire la même justice. Quand il m'objecte les lieux
de saint Paul, où il dit que Jésus-Christ s'est offert une fois, il m'impose une
loi trop dure, s'il ne veut pas qu'il me soit permis de répondre, comme j'ai
fait dans l’Exposition, que le mot d'offrir est équivoque, et
qu'on peut mettre tous les jours devant les yeux du Père céleste Jésus-Christ
présent dans l'Eucharistie, sans préjudice de cette . unique oblation sanglante,
qui est la seule dont parle saint Paul dans les endroits qu'on m'objecte.
L'Anonyme, à la vérité, peut nous demander sur quoi nous fondons cette oblation
que nous posons dans l'Eucharistie; et il sait que nous prétendons l'établir par
des raisons invincibles. Il faut donc nécessairement qu'il
1 Anon., p. 273, 275.
273
écoute ces raisons, et qu'il ne croie pas avoir tout fini,
en disant que nous répondons ce qui est eu doute.
Mais il soutient cette objection
par un argument bien moins raisonnable. « Pour pouvoir parler ainsi, » dit-il,
c'est-à-dire pour pouvoir répondre qu'il y a deux sortes de présence, dont
l’Epître aux Hébreux ne touche que l'une, « il faudrait nous montrer
nettement que saint Paul a vu et connu cette dernière sorte de présence de
Jésus-Christ sur la terre (1). » Et un peu après : « Il faudrait montrer,
dit-il, que l'Apôtre eut reconnu ces deux différentes manières de s'offrir,
l'une endurant la mort, et l'autre sans mourir (2). » Quoi donc! faudra-t-il
nécessairement que nous trouvions notre preuve dans l’Epître de saint Paul
aux Hébreux ? Si nous a trouvons dans quelque autre endroit de l'Ancien bu
du Nouveau Testament, si au lieu de l’Epître aux Hébreux nous produisons
l’Epître aux Corinthiens, comme nous faisons en effet : n'y aura-t-il pas sujet
de s'en satisfaire? Pourquoi veut-on nous traiter comme si nous manquions de
preuves, sous prétexte que ce n'est pas l’Epître aux Hébreux qui nous les
fournit ?
J'avais prévu cette objection;
et de peur qu'on ne voulût profiter du silence de saint Paul dans cette
Epître, j'avais remarqué dans l'Exposition, qu'il n'est pas juste «
de nous astreindre à recevoir de la seule Epître aux Hébreux toute notre
instruction sur une matière qui n'était point nécessaire au sujet de cette
Epître, où l'Apôtre se propose d'expliquer la perfection du sacrifice de la
croix, et non les moyens différons que Dieu nous a donnés pour nous l'appliquer.
» Cette raison est convaincante ; et quoique l'auteur de la Réponse l'ait
laissée sans repartie, il veut que nous nous tenions pour condamnés, parce que
nous ne lisons pas dans l’Epître de saint Paul aux Hébreux une doctrine
qui est hors de son sujet.
Qu'il considère un moment ce que
j'ai dit dans l’Exposition, sur l'équivoque du mot offrir. On dit
qu'on offre à Dieu une victime, quand on en répand le sang devant ses autels. On
dit aussi qu'on offre à Dieu ce qu'on présente devant lui. Je ne sais si
l'auteur s'avisera de nous nier cette manière d'entendre ce mot; du moins ne
trouve-t-on pas qu'il s'y soit opposé dans sa Réponse ;
1 Anon., p. 273. — 2 Ibid. p. 275.
274
et au contraire il a reconnu dans cet article « que nous
nous offrons nous-mêmes à Dieu dans la prière (1) » où toutefois nous ne mourons
pas. Quoi qu'il en soit, si ce mot le choque, qu'il regarde la chose même.
L'oblation que je lui propose ne demande que la présence de Jésus-Christ à la
sainte table. Je disque sa seule présence au milieu de nous est une manière
d'intercéder très-efficace; et qu'en quelque endroit que le Fils de Dieu
paroisse pour nous devant son Père, la présence d'un objet si agréable fait
qu'il nous voit d'un œil plus propice. Pour faire que Jésus-Christ se présente
pour nous à Dieu en cette manière dans l'Eucharistie, on voit qu'on n'a besoin
que d'y reconnaître une présence réelle. La chose parle d'elle-même : nous
l'avons montré dans l'Exposition; nous l'avons encore expliqué dans cette
réponse par des principes certains. On ne peut donc supposer que nous manquons
de preuves pour l'oblation, sans supposer que nous en manquons pour la présence
réelle. Et le supposer ainsi, ce serait visiblement supposer comme indubitable
ce qui fait le fond de notre dispute. Ainsi c'est nous qui aurions raison de
reprocher à l'auteur qu'il suppose comme certain et indubitable, ce qui fait le
fond de notre dispute.
Mais l'auteur nous dira
peut-être que saint Paul exclut positivement et la présence réelle, et la
manière d'offrir que nous confessons dans l'Eucharistie ; car il objecte «que
cet Apôtre dit entre autres choses, que Jésus-Christ n'est point entré dans les
lieux faits de main d'homme; mais qu'il est entré dans le ciel, où il comparaît
pour nous devant la face de Dieu (1). » L'auteur prétend que cette expression ne
s'accorde pas avec notre foi. Mais il n'y a rien de plus vain. Saint Paul
enseigne en ce lieu l'avantage qu'a Jésus-Christ notre Pontife au-dessus du
pontife de la Loi, en ce que ce dernier passait de l'entrée du temple au lieu le
plus retiré, qu'on appelait le sanctuaire, qui après tout n'était qu'un ouvrage
de la main des hommes; au lieu que notre Pontife en montant de la terre au ciel,
n'est pas entré dans un sanctuaire construit par les hommes, mais dans le
sanctuaire éternel, dont Dieu est lui-même l'architecte. Nous confessons
tout cela. Pour en tirer contre nous quelque conséquence, il faut revenir à cet
argument tant
1 Anon., p. 270. — 2 Ibid. p. 272.
275
rebattu et tant réfuté, que Jésus-Christ ne peut être en
deux divers lieux ; de sorte qu'il n'est pas en terre, puisqu'il est au ciel.
C'est, dis-je, répéter ce même argument que l'auteur nous a fait ailleurs, et
que nous avons montré qu'il ne peut soutenir sans appeler à son secours la
philosophie, contre la promesse expresse qu'il nous avait faite de n'expliquer
le mystère et l'intention de Jésus-Christ que par sa parole.
L'argument contre l'oblation
n'est pas meilleur. Saint Paul écrit, dit l'auteur, «que Jésus-Christ ne s'offre
pas souvent, paire qu'il eût fallu qu'il fût mort souvent. M. de Condom au
contraire dit que Jésus-Christ s'offre tous les jours, parce que, pour s'offrir,
il ne faut plus qu'il meure. Rien, conclut-il, n'est plus opposé que ces deux
propositions (1), etc. » Ce n'est pas ainsi que je m'explique : j'ai dit, comme
on vient de voir, qu'il ne faut point disputer des mots; qu'on peut entendre
offrir en deux sens ; et que si par le mot offrir on entend répandre le sang de
la victime immolée , comme saint Paul l'entend aux Hébreux, nous disons avec cet
Apôtre que Jésus-Christ ne peut être offert qu'une fois. Mais s'il est ainsi,
dit l'auteur, lorsque l'Apôtre a conclu que Jésus-Christ ne s'offre pas souvent,
parce qu'il eût fallu qu'il fût mort souvent, «la proposition de l'Apôtre
reviendroit à ceci, que Jésus-Christ ne meurt pas souvent, parce qu'il ne meurt
pas souvent (2). » Il s'abuse; ce n'est pas ainsi que nous faisons raisonner
l'Apôtre. Il veut dire que Jésus-Christ n'a pas eu besoin de répandre plusieurs
fois le sang de sa victime, comme le pontife de la Loi; autrement qu'il aurait
fallu qu'il souffrît plusieurs fois dès l'origine du monde, pour sanctifier tant
de justes qui n'ont eu de salut que par lui; au lieu qu'en mourant une seule
fois, il a expié les péchés de tout le monde ensemble. Il n'y a rien de plus
clair ni de plus suivi, ni qui fasse moins de peine aux catholiques. Car j'ai
fait voir dans l'Exposition, qu'on ne peut les accuser sans calomnie
d'attendre une autre victime pour payer le prix de nos péchés ; et que s'ils
offrent au Père céleste Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie, ce n'est que
pour célébrer la mémoire de sa mort et s'en appliquer la vertu.
1 Anon., p. 274. — 2 Ibid. p. 275.
276
Voilà donc les prétendus réformés réduits au faible
avantage qu'ils tirent du silence rie saint Paul. C'est aussi par là que
l'Anonyme conclut les deux arguments qu'il tire de l’Epître aux Hébreux.
Il dit que si saint Paul avait connu ou les deux manières de présence, ou les
deux manières d'offrir, il en aurait dit quelque chose : c'est-à-dire que selon
lui, il fallait nécessairement que saint Paul parlât d'une chose qui n'était
point de son sujet et qu'on pouvait apprendre d'ailleurs, comme nous avons déjà
dit.
Voilà ce que l'Anonyme a opposé
de plus fort au sacrifice de l'Eucharistie; car, au reste, je ne pense pas
qu'une remarque où il semble qu'il s'est beaucoup plu, mérite de repartie.
«C'est, dit-il, une règle du droit divin que, non-seulement le sacrificateur,
mais l'autel même est d'une plus grande dignité que l'oblation. Ici on veut un
sacrifice où l'on sait que l'homme , qui est le sacrificateur, n'est qu'un ver
de terre, l'autel une pierre et la victime le Fils de Dieu (1). » Tels sont les
arguments dont on éblouit ceux qui ne savent pas le fond des choses. Car
pourquoi n'a-t-il pas voulu considérer que le sacrifice que nous offrons se fait
par la parole de Notre-Seigneur; que, comme dit saint Jean Chrysostome, nous ne
sommes que les ministres, et que c'est lui-même qui offre et qui change les dons
sacrés; enfin que ce Père a raison de dire que le sacrifice que nous offrons est
le même par tout l'univers, parce que nous avons partout le même Pontife et
partout la même victime, c'est-à-dire Jésus-Christ même?
Quant à l'observation que fait
l'Anonyme sur la dignité de la victime au-dessus de l'autel, il pourrait, quand
il lui plaira, détruire par cette remarque la rédemption du genre humain, et
soutenir que la mort de Notre-Seigneur n'est pas un sacrifice; puisque la croix,
qui tient lieu d'autel, est de moindre dignité que le Fils de Dieu, qui est la
victime : tant il est vrai que le désir de nous nuire lui fait hasarder beaucoup
de fausses maximes, dont lui-même ne prévoit pas les conséquences.
Et c'est en vain qu'il affecte
dans cet article (2) et ailleurs (3), de
1 Anon., p. 271. — 2 Ibid. p. 274, etc. — 3 Ibid.
p. 200.
277
paraître embarrassé de ce que je dis, que Jésus-Christ est
présent dans les saints mystères, couvert des signes de mort, quoiqu'il soit
vivant. Car certes il ne fallait pas que Jésus-Christ mourût tous les jours. Si
donc il voulait être présent dans l'Eucharistie, il fallait qu'il y fût vivant;
mais cela ne l'obligeait pas à y faire paraître sa vie : c'est pourquoi tout ce
qui paraît dans ce saint mystère et les paroles, et l'action même, et tous les
objets sensibles nous rappellent à la mort de Notre-Seigneur; et c'est ce qui
fait cette mort mystique, et cette immolation spirituelle en laquelle l’Exposition
a fait consister toute l'essence du sacrifice.
Il n'y a là aucun embarras que
celui que fait une longue préoccupation et une fausse explication de notre
doctrine. Du moins faut-il qu'on avoue que le sacrifice de l'Eucharistie ne peut
être combattu raisonnablement à moins que de combattre la réalité; car supposé
qu'on l'avoue, il n'est pas possible de nier que la consécration ne soit une
chose religieuse, qui porte avec soi la reconnaissance de la souveraineté de
Dieu, en tant que Jésus-Christ présent y renouvelle la mémoire de son obéissance
jusqu'à la mort de la croix; d'où il s'ensuit que rien ne lui manque pour être
un véritable sacrifice.
C'est ce que j'avais dit dans l’Exposition;
c'est ce qui demeure établi par des raisons invincibles : mais cela étant de la
sorte , il est temps de faire un peu de réflexion sur toute la doctrine de
l'Eucharistie.
Ce qui regarde le sacrement de
l'Eucharistie peut être partagé en deux sortes de questions. La première
question est sur le sens littéral et sur la présence réelle, et les autres
questions regardent les suites de cette présence et de ce sens littéral.
Il est certain que les
luthériens sont d'accord avec nous du fondement; et comme parle l'auteur, «
qu'ils ont cela de commun avec l'Eglise romaine, qu'ils prennent aussi les
278
paroles du Seigneur au sens littéral pour une présence
réelle (1). »
Nous avons fait voir que parmi
ces suites du sens littéral et de la présence réelle, il faut compter le
changement de substance, l'adoration et le sacrifice. Nous avons aussi montré
que ces suites ne sont pas tirées de loin, et qu'on les aperçoit d'abord dans le
principe. Si Jésus-Christ est présent, il faut l'adorer comme présent : s'il est
présent en vertu des paroles qu'il a prononcées, il sera présent aussitôt qu'il
les aura prononcées. Mais aussitôt qu'il sera présent, sa seule présence au
milieu de nous nous attirera d'en haut des regards propices. Si l'on ne peut
expliquer les paroles de Jésus-Christ : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang,
» par un changement mystique du pain et du vin, on ne peut plus s'empêcher d'y
reconnaître un changement effectif. Telles sont les conséquences du sens
littéral et de la présence réelle.
Il est bon de considérer ici de
quelle sorte les luthériens et les calvinistes sont disposés, tant sur le sens
littéral et la présence que sur les suites que nous en tirons.
Il est certain que les
luthériens sont d'accord avec nous du fondement : et comme parle l'auteur, «
qu'ils ont cela de commun avec l'Eglise romaine, qu'ils prennent aussi les
paroles du Seigneur au sens littéral pour une présence réelles. » Pour les
suites, il faut avouer qu'ils ne les ont pas entendues. Au contraire nous avons
vu, tant par les sentiments de l'auteur que par les autres témoignages que nous
avons rapportés, que les calvinistes sont disposés à nous accorder que les
suites sont bien tirées du principe, mais qu'ils nous contestent le principe
même, c'est-à-dire le sens littéral et la présence réelle.
C'est ce qui m'a fait dire dans
l’Exposition, que Dieu leur ouvrait un chemin pour se rapprocher de nous
et de la vérité, puisque d'un côté nous pouvons croire que, supposé la présence
réelle, ils n'auraient rien à nous contester; et que d'autre part Dieu a permis
qu'encore qu'ils nous contestent cette présence, ils ont avoué aux luthériens
qu'elle n'est pas contraire au salut ni aux fondements de la religion, et enfin
qu'elle n'a aucun venin.
L'auteur convient avec nous
d'une vérité si constante, et le
1 Anon., p. 267. — 2 Ibid. p. 261.
279
synode de Charenton ne lui permet pas d'en douter. Mais il
ne veut pas qu'il nous soit permis de tirer aucun avantage de cet aveu.
Cependant il n'y a rien de plus
clair que ce que nous disons sur ce sujet; et si la présence réelle n'a aucun
venin, personne ne peut comprendre comment on en peut trouver dans des
conséquences aussi naturelles et aussi certaines que celles que nous en tirons.
Il servira aux luthériens de raisonner mal ; leur doctrine paraîtra aux
calvinistes plus supportable que la nôtre, parce qu'elle est moins suivit; ;
nous ne perdrons pas notre salut pour avoir cru le sens littéral et la présence
réelle : et nous serons réprouvés, parce que nous en aurons embrassé des
conséquences si légitimes et si nécessaires? Que peut-on imaginer de plus
déraisonnable ni de plus injuste ?
L'auteur fait de grands efforts
pour parer ce coup ; et voici quel est son raisonnement : « Il s'en faut bien,
dit-il, que l'erreur la mieux suivie ne soit la plus supportable; au contraire
plus l'erreur se suit, plus il est naturel qu'elle s'éloigne de la vérité (1) ;
» ce qu'il éclaircit par l'exemple d'un homme qui sort du bon chemin, et qui
s'égare d'autant moins qu'il rentre plutôt par quelque autre endroit dans la
route qu'il a quittée, au lieu d'aller à toute bride par une autre route,
quelque droite qu'elle paroisse. Voilà sans doute ce qu'on pouvait imaginer de
plus subtil, et il n'y a rien de plus ingénieux que cette comparaison. Mais
souvent la raison s'égare parmi ces inventions délicates : et l'homme est assez
malheureux pour s'éblouir lui-même par un éclat apparent qui le charme dans ses
expressions et dans ses pensées. L'auteur devait considérer qu'un homme qui
s'engage dans une route n'est pas forcé de la suivre ; chaque partie du même
chemin peut être parcourue sans tout le reste; et les premiers pas que nous y
faisons ne nous contraignent pas à en faire d'autres : mais celui qui a posé un
principe ne peut s'empêcher d'en recevoir toutes les conséquences légitimes; ces
conséquences sont comprises dans ce principe même bien entendu; et on ne peut
plus les rejeter aussitôt qu'on les y a aperçues. De sorte que toute la suite
est renfermée dans le premier pas; et si on était d'accord
1 Anon., p. 281.
280
que ce premier pas fût sans crime, il n'y aurait plus moyen
de soutenir qu'il y eût du crime dans les autres.
C'est en cela que consiste la
force du raisonnement que l'Anonyme s'efforce ici de détruire. Nous ne nous
appuyons pas sur ce principe, qu'il prend tant de soin de réfuter, «que l'erreur
la plus suivie soit aussi la plus supportable (1).» Car premièrement l'erreur
n'est jamais suivie, et se dément toujours elle-même. Mais secondement, si un
hérétique pose des principes erronés, et qu'il s'en serve pour trouver d'autres
erreurs par des conséquences tirées dans les formes légitimes, nous ne
l'excuserons pas pour cela. Par exemple, si un socinien pose que Dieu soit
corporel, et que concluant de là que les âmes le sont aussi, il assure par
conséquent qu'elles ne peuvent plus subsister après la dissolution du corps ni
être conservées éternellement que par sa résurrection : bien loin d'excuser leur
erreur à cause qu'elle suit d'un certain principe, nous la détesterons au
contraire dans toute sa suite. La juste aversion que nous aurons d'une doctrine
si brutale remontera des branches à la racine, et des conséquences au principe
même, que nous détesterons d'autant plus, qu'il est la source de tout le mal et
qu'il contient en lui-même tout le venin. C'est ainsi qu'il faut rejeter les
erreurs suivies, en détestant avec le principe toutes ses malheureuses suites.
Nous ne nous opposerons jamais à un sentiment si juste : mais nous disons
seulement que ce qu'on accorde au principe, il faut l'accorder nécessairement
aux conséquences qui en seront nettement tirées; c'est-à-dire que si on accorde
que le principe soit véritable, ou qu'on puisse le croire sans crime et sans
préjudice de son salut, il faut dire la même chose de toutes les conséquences.
Car, comme nous avons dit, on les y trouve renfermées, et on ne peut plus les
rejeter aussitôt qu'on les y découvre. C'est pourquoi nous ne pouvons assez nous
étonner que les prétendus réformés ayant accordé que la doctrine de la présence
réelle n'est pas contraire au salut, et qu'elle n'exclut les enfants de Dieu ni
de sa table, ni de son royaume, puissent soutenir ensuite que les conséquences
manifestes de cette doctrine les excluent de l'une et de l'autre. Quoi! (car il
est
1 Anon., p. 281.
281
bon de venir à quelque chose de particulier) nous ne
perdrons pas la vie éternelle, pour croire que Jésus-Christ soit présent dans
l'Eucharistie, et nous périrons pour jamais, parce que nous l'y aurons adoré!
Dieu veut que j'adore son Fils unique, on en est d'accord, il souffre que je le
croie présent, on le reconnaît. Mais je deviens insupportable à ses yeux, parce
que je n'ai pas la malheureuse assurance de croire Jésus-Christ son Fils présent
sans l'adorer, et de soutenir l'aspect de mon Dieu sans m'abaisser devant lui?
C'est ainsi que les prétendus réformés raisonnent. Quelle étrange perversité! Et
une pensée si déraisonnable ne devrait-elle pas leur faire sentir un prodigieux
égarement dans leur esprit et dans leur cœur?
L'Anonyme croit se sauver par
l'exemple des manichéens et des idolâtres. Découvrons-lui son erreur; et voyons
si en lui ôtant ce faible refuge, nous pourrons enfin l'obliger à ouvrir les
yeux à la vérité.
« Qui peut douter, dit-il,
raisonnablement que l'erreur des manichéens n'eût été plus supportable, s'ils se
fussent arrêtés à croire que Dieu donnait des marques particulières de sa
présence dans le corps du soleil et de la lune, et qu'ils n'eussent pourtant
adoré ni la lune ni le soleil ; ou que ceux qui par erreur croiraient qu'il y
aurait quelque Divinité dans les images, mais qui ne les adoreraient pourtant
pas, ne croyant pas que la Divinité voulût être adorée dans les images, ne
fussent moins idolâtres ou moins coupables que ceux en qui les mouvements du
cœur suivraient l'égarement de l'esprit (1) ? »
Les manichéens ne croyaient pas
seulement que Dieu donnait des marques particulières de sa présence dans le
soleil et dans la lune. Saint Augustin nous apprend que ces hérétiques faisaient
Dieu d'une nature corporelle et sensible: ils disaient, selon ce Père, « que
cette lumière corporelle qui frappe nos sens, partout
1 Anon., p. 281.
282
où elle était répandue, était la nature de Dieu ; que cette
nature de Dieu se trouvait le plus purement dans le soleil et dans la lune (1) :
» de sorte que ces deux astres, selon eux, « avaient été faits de la pure
substance de Dieu. » C'est ainsi que saint Augustin nous représente l'erreur de
ces hérétiques, les plus insensés et les plus pervers qui aient jamais paru dans
l'Eglise.
Pour ce qui est des idolâtres,
nous avons déjà expliqué ailleurs qu'une partie de leur erreur était de donner à
la divine essence une forme corporelle déterminée, et de croire qu'elle pouvait
être renfermée et comme liée à des temples matériels et à des statues faites de
main d'homme.
Si l'on demande maintenant en
quoi consistait le crime, tant des manichéens que des idolâtres, il n'y a
personne qui n'avoue qu'il consistait principalement dans l'injure qu'ils
faisaient à la nature divine en se la représentant sous ces indignes idées; et
que cette perversité de leur cœur était sans comparaison plus odieuse et plus
criminelle aux yeux de Dieu, que les actes extérieurs qu'un principe si
détestable pouvait faire naître.
Nous sommes donc bien éloignés
d'accorder à ces ennemis de la nature divine, que leur principe soit
supportable. Au contraire nous ne trouvons rien de plus insupportable ni de plus
pervers parmi toutes leurs erreurs, que le principe sur lequel elles sont
fondées.
Grâce à la miséricorde divine,
les calvinistes ne jugent pas de la même sorte du culte que nous rendons à
Jésus-Christ dans l'Eucharistie. Il est fondé sur deux principes : le premier,
que Jésus-Christ est adorable, ils en conviennent avec nous; le second, c'est
qu'il lui a plu de nous témoigner par sa parole une présence réelle et
particulière dans l'Eucharistie. Ils nous contestent ce second point, je
l'avoue; mais ils accordent aux luthériens qu'ils n'y voient rien que de
supportable. Cependant ils ne craignent pas de nous alléguer et les manichéens
et les idolâtres, dont nous trouvons les principes autant ou plus pernicieux que
les conséquences qu'ils en ont tirées.
Mais il est bon de considérer le
nouveau cas de conscience que l'Anonyme nous propose. Il produit des hommes, ou
il les feint,
1 De Haeresib., haeres. XLVI.
283
(car il n'y en eut jamais de semblables) « qui par erreur
croiraient quelque divinité dans les images, mais qui ne les adoreraient
pourtant pas, ne croyant pas que la Divinité voulût être adorée dans les images
: » et il soutient « qu'ils seraient moins idolâtres ou moins coupables que ceux
en qui les mouvements du cœur suivraient l'égarement de l'esprit (1). » Pour
moi, je ne craindrai point de lui dire que cet impie qu'il nous représente, qui
ne croit pas que ses dieux présents l'obligent à aucun respect, n'en est pas
moins détestable, sous prétexte que les mouvements de son cœur ne suivent pas
l'égarement de son esprit. Car cela, c'est dire en d'autres paroles, qu'il
agit contre sa croyance : et cette excuse, que lui fournit l'Anonyme, n'est pas
une excuse, mais un nouveau crime. Autrement il faudrait dire qu'un païen qui ne
connaissant d'autres dieux que ceux de la fable, et croyant qu'ils sont plus
présents dans leurs statues, s'en approcherait avec tremblement, serait plus
méchant que celui qui, ayant la même croyance, mépriserait ces idoles, les
vendrait, pillerait leurs temples et ne craindrait point d'y commettre toute
sorte d'irrévérences. Certainement si c'est une excuse que les mouvements du
cœur ne suivent pas l'égarement de l'esprit, plus un païen démentira sa
propre croyance, c'est-à-dire plus il profanera les temples qu'il croit sacrés,
et les idoles où il croit ses dieux si présents, plus il sera excusable; et un
Denys le tyran qui profane sa religion par toute sorte de sacrilèges sera en
cela plus homme de bien ou plus excusable, que les Fabrices et les Scipions
Nasica, qui en gardent respectueusement les cérémonies ! La raison ne souffre
pas un tel sentiment; et s'il faut chercher des excuses à des hommes dont les
excès sont si détestables, on avouera que le païen de bonne foi, qui rend
respect à ses dieux où il les croit si présents, est à cet égard encore plus
excusable que l'impie qui nous paraît dans l'écrit de l'Anonyme.
Voilà ce qu'il attendait pour me
reprocher peut-être que j'aime mieux qu'un païen pousse jusqu'au bout les
principes de son idolâtrie, que de demeurer en chemin faute d'en savoir tirer
les conséquences.
1 Anon., p. 282.
284
Mais je le prie de considérer
qu'on pouvait tendre à saint Paul un piège semblable : car encore qu'il improuve
ceux qui refusent de manger de certaines viandes (1), parce qu'ils en croient
l'usage illicite, il décide toutefois que celui qui doutant qu'il lui soit
permis d'en manger, ne laisse pas de le faire contre le témoignage de sa
conscience, « est condamné, parce qu'il n'agit pas selon sa foi (2), » et que
c'est un nouveau péché de n'agir pas selon qu'on croit, conformément à ce
principe que le même saint Paul établit ici : « Tout ce qui n'est point selon la
foi, » c'est-à-dire selon la persuasion de la conscience, « est péché (3). »
L'Anonyme répondra sans doute
que l'homme qu'il nous représente n'agit pas contre sa conscience, puisqu'encore
qu'il croie qu'il y a quelque divinité dans les images, il ne croit pas
toutefois qu'elle veuille y être adorée.
Voici une question dont on ne
s'était pas encore avisé. Les manichéens avaient cru que la nature divine se
découvrait visiblement dans le soleil et dans les astres : aussi l'y avaient-ils
adorée ; et saint Epiphane nous apprend « qu'ils adoraient le soleil, la lune,
les astres et les démons, comme les Gentils*. » Les idolâtres croyaient que la
divinité était renfermée dans une idole, et qu'elle se montrait présente sous
cette forme sensible : aussi l'y adoraient-ils, et ils se prosternaient devant
une idole comme devant un dieu présent. Et certes jusqu'ici on ne s'était point
encore avisé de poser que Dieu put être présent et déclarer sa présence par un
témoignage particulier, sans attirer des adorations. A la vérité, on avait fait
voir aux manichéens et aux idolâtres combien ils outrageaient la Divinité, en la
liant ou à la matière, et ne connaissant point de Dieu hors de la matière; ou
aux astres, ou aux éléments, ou aux pierres et aux métaux, ou à quelque autre
nature corporelle. Ainsi on détruisait leur culte profane en renversant le
principe sur lequel il était fondé : mais on ne leur avait pas encore trouvé ce
moyen nouveau pour séparer dans leur esprit l'adoration d'avec la présence
particulière de Dieu; et on n'avait pas jusqu'ici entrepris de leur prouver que
leur culte serait peut-être criminel, quand même leurs principes seraient
véritables.
1 Rom.,
XIV, 3. — 2 Ibid. 23. — 3 Ibid. — 4 Hœres. LXVII,
vers. fin. p. 708.
285
Une invention si nouvelle était
réservée à la subtilité de nos jours : il fallait que nos malheureuses
contestations fissent naître ce dogme inouï, qu'on peut croire qu'un Dieu soit
présent et qu'il déclare sa présence particulière par un témoignage exprès, sans
croire qu'en cet état il exige des adorations. C'est par cet étrange principe
que l'Anonyme défend les luthériens; et il feint en leur faveur ce cas nouveau
d'un païen qui, «croyant par erreur quelque divinité dans une idole, croirait
qu'elle ne veut pas y être adorée. »
A cela je ne craindrai point de
lui dire (puisqu'il veut qu'on le satisfasse sur une supposition qui ne fut
jamais) que ce païen, qui croit par erreur que la divinité lui est présente dans
les idoles, fait à la nature divine un outrage insupportable ; mais que s'il
était assez aveugle pour croire ne lui devoir aucun respect malgré sa présence,
cette nouvelle erreur ne le rendrait pas plus excusable, et ne ferait qu'ajouter
une nouvelle perversité à son premier aveuglement.
Il ne faut pas certainement que
l'horreur de l'idolâtrie nous fasse chercher des excuses à l'impiété manifeste.
Quelle étrange imaginai ion, qu'un Dieu veuille bien être présent, sans vouloir
que sa présence lui serve de rien pour attirer le respect des hommes! Quiconque
sous ce vain prétexte refuserait ses adorations à ce qu'il croirait être Dieu,
séparerait dans son esprit la Divinité d'avec la Majesté qui lui est
essentielle, et détruirait la religion par sou erreur insensée.
Ainsi le païen de bonne foi, qui
adore son dieu qu'il croit présent, est détestable aux yeux du vrai Dieu, parce
qu'il consomme son idolâtrie : mais le païen de l'Anonyme, qui se forge de faux
principes pour dépouiller la nature divine, comme j'ai dit, de sa propre Majesté
souveraine, n'est pas moins coupable, puisqu'il cherche des expédients pour
frustrer la Divinité de l'adoration qui lui est due, et qu'il ouvre la porte à
l'impiété par une irrévérence si prodigieuse.
Que l'Anonyme juge maintenant à
quoi lui peuvent servir les criminelles dispositions des païens qu'il nous
représente. Le Dieu qu'il nous reproche d'adorer, et que le luthérien reconnaît
présent aussi bien que le catholique, n'est pas un de ces dieux des
286
païens que l'homme insensé forge dans son cœur : c'est
Jésus-Christ, le Dieu véritable que l'Anonyme adore lui-même.
Le luthérien ne croit pas que
Dieu soit seulement présent dans l'Eucharistie, comme il est présent à toutes
choses par l'immensité de son essence. Car encore que c'en soit assez pour nous
tenir dans un respect intérieur sous les yeux de Dieu, comme à le considérer en
cette manière, il est également présent partout, cette présence ne nous fournit
aucune raison d'attacher les marques d'adoration à un objet déterminé ; et pour
nous y obliger, il faut une présence particulière et déclarée par un témoignage
particulier. C'est une telle présence que confesse le luthérien dans
l'Eucharistie; car il y croit le même Jésus-Christ, à qui est due toute
adoration, en qui la Divinité habite corporellement dans toute sa plénitude,
comme dit l'apôtre saint Paul.
Si Jésus-Christ se montrait à
nous sensiblement présent, comme il faisait aux apôtres, alors du moins on nous
avouerait qu'il faudrait lui rendre nos adorations. Mais serait-ce une raison au
luthérien de lui refuser cette adoration à cause qu'il est caché à ses sens,
puisqu'il est persuadé qu'il s'est déclaré par sa parole très-expresse, à
laquelle le chrétien n'ajoute pas moins de foi qu'à ses propres yeux, et que
d'ailleurs il est convaincu que Jésus-Christ se montre présent par un torrent de
grâces qu'il verse sur nous? Si après cela le luthérien, qui croit certainement
toutes ces choses, n'adore pas, quelle excuse aura son irrévérence ?
Comment donc M. Noguier, sur ce que nous adorons le
sacrement, nous compare-t-il aux païens en ce qu'ils adorent le dieu qu'ils
croient présent (1), puisque le dieu qu'ils croient présent est un faux dieu, et
que celui que nous croyons présent est le véritable? Et comment peut-il excuser
le luthérien, qui ne veut pas adorer le Dieu véritable qu'il croit présent,
puisque le païen même est inexcusable, s'il refuse l'adoration à sa fausse
divinité, qu'il croit pareillement présente?
Cependant les prétendus réformés
font cette horrible injustice, qu'encore que les catholiques et les luthériens
croient également
1 Nog., p. 261.
287
Jésus-Christ présent, ils réprouvent les catholiques qui
l'adorent comme présent suivant leur croyance, et excusent les luthériens qui
refusent de l'adorer.
C'est à cette considération que
je conjure tous ces Messieurs, et particulièrement l'Anonyme, de s'arrêter un
moment. C'est en vain qu'il se met en peine de prouver « que ceux de sa religion
ont pu admettre les luthériens à leur communion, sans que ce soit une raison
pour faire qu'ils passent à celle de l'Eglise romaine (1). » Ce n'est pas ce que
je conclus de la tolérance des luthériens, et on ne lira cette conséquence en
aucun endroit de l'Exposition. Que ces Messieurs ne pensent donc pas que
je leur propose de rentrer dans notre communion à la même condition qu'ils ont
offerte aux luthériens, c'est-à-dire sans renoncer à leurs sentiments. J'ai
encore moins dessein de leur prouver qu'ils doivent nous recevoir à la leur, en
conservant les nôtres. Cette bizarre conséquence, que l'Anonyme dit que je
devrais tirer naturellement (2), est autant éloignée de la raison que de ma
pensée. Je les prie seulement de considérer qu'ils n'ont pu recevoir les
luthériens à leur Cène, sans croire que leur doctrine ne préjudicie pas au
salut; et qu'il n'y a rien après cela de plus injuste que de soutenir, comme ils
font, que la nôtre y soit contraire.
Si peu qu'ils rentrent en
eux-mêmes, la différence qu'ils mettent entre nous et les luthériens à cet
égard, leur découvrira dans leur jugement une iniquité visible, et leur fera
voir dans leur cœur une aversion autant extrême qu'injuste contre l'Eglise
romaine.
Ils verront premièrement un
dérèglement extrême dans leur manière de juger, lorsqu'ils nous appellent
idolâtres parce que nous adorons Jésus-Christ, que nous croyons si présent. On
convient que tout idolâtre a dans son esprit quelque erreur insupportable. Et
cependant ces Messieurs, qui nous accusent d'idolâtrie, ne peuvent rien trouver
dans notre doctrine qui ne soit ou très-certain ou très-excusable selon leurs
propres principes.
Nous ne perdrons notre salut
éternel, ni pour croire que Jésus-Christ soit adorable, puisqu'ils conviennent
avec nous de ce principe;
1 Anon., p. 361. — 2 Ibid. p. 257.
288
ni pour croire qu'il est présent, puisque cette croyance,
innocente selon eux, n'exclut pas les luthériens du royaume de Jésus-Christ.
Reste donc que Dieu nous damne éternellement, parce que nous ne pouvons pas nous
imaginer que Jésus-Christ soit présent sans vouloir être adoré, ou parce que
nous agissons selon notre foi.
Mais certes on ne peut penser
qu'un homme soit damné précisément pour avoir agi selon sa croyance. Car au
contraire c'est un crime inexcusable de n'agir pas selon ce principe. Que si
quelqu'un est damné en agissant selon sa croyance, il faut dire que sa croyance
est insupportable. Comment donc les prétendus réformés, qui après la tolérance
des luthériens ne peuvent rien trouver que de supportable dans la foi de la
présence réelle, peuvent-ils croire que Dieu nous damne, parce que nous agissons
selon cette foi ?
Au reste quand on a une fois
trouvé son jugement perverti jusqu'à un excès si visible, un homme qui pense
sérieusement à son salut doit se confesser à lui-même qu'il y a dans son esprit
un égarement caché, qui est la cause profonde de tout ce désordre et qui est
capable de lui obscurcir les vérités les plus claires.
Mais les prétendus réformés
peuvent encore reconnaître ici combien aveugle est l'aversion qu'ils ont conçue
contre L'Eglise. C'est une vérité constante qu'ils se sont beaucoup adoucis pour
les luthériens (1). L'auteur se fait cette objection sous le nom des catholiques
: «Nos premiers réformateurs, leur fait-il dire, trouvaient que notre doctrine
de la transsubstantiation se suivait mieux que la présence réelle des
luthériens, et témoignaient en quelque sorte plus d'éloignement pour celle des
luthériens que pour la nôtre (2). » Nous avons fait voir ailleurs que ce fait
est très-constant et que l'auteur n'a pu en disconvenir, quoiqu'il ne l'ait pas
avoué peut-être avec autant de sincérité que le demandait un fait si constant.
Mais ce n'est pas seulement sur le point de la transsubstantiation que les
auteurs de la Réforme prétendue nous trouvaient plus raisonnables : il n'est pas
moins certain qu'ils soutenaient par des traités exprès que nous avions encore
raison
1 Anon., p. 358, 361. — 2 Ibid. p. 336.
289
sur l'adoration, ou, pour me servir des termes de l'auteur,
« que supposé que le corps de Jésus-Christ fût présent réellement, il y avait
plus de raison de l'adorer dans le sacrement même que de ne l'y adorer pas (1).
» Voilà deux points importants, où les prétendus réformés trouvaient au
commencement que notre doctrine était plus suivie que celle des luthériens ;
mais de plus, ils avaient raison d'en juger ainsi. Nous avons tiré de leurs
principaux auteurs, et même de leurs synodes, des preuves très-claires pour
donner une préférence assurée au changement de substance, supposé la réalité; et
pour ce qui est de l'adoration, pour peu que nos adversaires se dépouillassent
de l'aversion qu'ils ont contre Rome, il n'y en a guère parmi eux qui, se
mettant à la place des luthériens et supposant Jésus-Christ présent, n'aimât
mieux l'adorer avec nous que de chercher de vaines excuses pour se défendre de
rendre à son Dieu un culte si nécessaire. Cependant les raisons des luthériens,
quoique plus faibles dans la pensée des prétendus réformateurs, sont devenues
les meilleures dans l'esprit de ceux qui les ont suivis ; et les catholiques,
autrefois plus raisonnables, sont maintenant condamnés avec plus d'aigreur.
Je veux bien qu'on soit revenu à
des sentiments plus doux envers les luthériens. « Il faut, dit l'Anonyme, que
les chrétiens soient modérés. » A quoi il ajoute, « que les divisions sont
d'ordinaire plus aigres dans leur naissance que dans leurs suites, et plus
grandes entre les personnes plus proches qu'entre les plus éloignées (2). » Mais
est-il juste qu'on ne s'adoucisse envers les luthériens, que pour être plus
implacables envers nous? Malgré tant de sentiments qui étaient communs entre les
luthériens et les calvinistes, il y avait du moins quelques endroits où les
derniers nous faisaient justice ; ils confessaient que notre doctrine sur le
point de l'Eucharistie, était plus suivie et plus raisonnable. Maintenant nous
avons tort en tout : les raisons des luthériens pour se défendre de l'adoration,
même supposé la réalité : ces raisons, dis-je, qui autrefois paraissaient
insupportables, sont maintenant écoutées. Nous sommes les seuls pour qui le
temps ne peut rien du tout ; nous ne pouvons rien dire de si clair, que nous
puissions
1 Anon., p. 361. — 2 Ibid. p. 358.
290
faire entrer dans l'esprit des prétendus réformés. Ils nous
souffriront la réalité en faveur des luthériens, qui l'enseignent aussi bien que
nous. Mais parce que croyant Jésus-Christ présent, nous ne pouvons nous empêcher
de l'adorer, Jésus-Christ lui-même nous exclura de son royaume et sera plus
favorable aux luthériens, qui le croyant aussi présent, ne l'adorent pas :
est-il une pareille injustice ?
Les autres raisons dont on se
sert pour mettre de la différence entre nous et les luthériens, ne sont pas
meilleures. Il est vrai qu'ils mettent le corps avec le pain; ils ne croient
Jésus-Christ présent que dans l'usage; et encore qu'il soit présent, ils ne
veulent pas qu'il soit permis de l'offrir à Dieu comme une offrande agréable,
dont la seule présence au milieu de nous sert à nous attirer des regards
propices. Mais serons-nous perdus pour toujours pour croire ces choses avec la
réalité, plutôt que si nous croyions la réalité toute seule? N'importe, pour
être sauvé, de mettre ou ne mettre pas une présence réelle, pourvu seulement
qu'on mette le pain avec le corps, tout ira bien pour le salut; mais si l'on dit
qu'il ne reste plus que les espèces du pain et que le pain est changé au corps,
on périra sans ressource! Qui peut croire une pareille absurdité, à moins que
d'être prévenu d'une aigreur extrême?
Il en est de même des autres
choses que nous avons rapportées. Ceux que Jésus-Christ ne damnera pas pour
croire qu'il est présent en vertu des paroles qu'il a prononcées, il ne les
damnera certainement pas pour croire qu'il est présent aussitôt qu'il les a
prononcées. Ceux qu'il ne damnera pas pour croire qu'il est présent, il ne les
obligera pas sous peine de damnation à croire que sa présence au milieu de nous
ne nous sert de rien devant Dieu pour nous attirer ses regards. Je ne répéterai
plus ce que j'ai déjà dit sur ce sujet ; il suffit de remarquer en ce lieu que
l'importance de la question est en la présence réelle ; et si elle est sans
venin, sans doute ce ne sera pas un crime damnable de présenter au Père céleste
un objet si agréable, et de sanctifier toutes nos prières en nous unissant avec
Jésus-Christ présent. Ainsi cette oblation non sanglante que nous célébrons
n'aura plus rien
291
d'odieux, supposé la présence réelle, comme nous l'avons
justifié ailleurs. C'est en cette présence réelle qu'est l'importance de la
question; et si elle est sans venin, il n'y a plus qu'une haine aveugle qui
puisse faire trouver des sujets de damnation dans le reste de notre croyance.
N'importe qu'en d'autres points
que celui de l'Eucharistie, les prétendus réformés trouvent les luthériens plus
conformes à leurs sentiments, ils n'en devraient pas moins nous faire justice en
celui-ci ; et pour peu qu'ils eussent pour nous de cette équité qu'ils se
glorifient d'avoir pour les luthériens, il y aurait longtemps qu'ils nous
l'auraient faite.
Il est vrai qu'ils nous
représentent souvent ce que dit M. Noguier dans sa Réponse, que nous pouvons
bien croire que ce n'est que le principe de la conscience qui les rend
favorables aux luthériens, « avec lesquels ils n'ont nulle liaison d'état et de
société politique, et qui leur sont étrangers et de mœurs et de langage, plutôt
qu'à nous qui sommes leurs concitoyens, et avec qui ils jouiraient en repos des
avantages mondains dont ils se trouvent privés (1). »
Ce discours serait
vraisemblable, si nous ne voyions pas d'ailleurs qu'ils regardent l'Eglise
romaine et sa doctrine avec un chagrin si aigre et si amer, qu'il n'y a rien qui
ne cède à cette aversion. Ce n'est pas toujours à la raison que les hommes
sacrifient leurs intérêts et les autres sentiments humains; il arrive aussi
souvent qu'ils les abandonnent par des passions injustes. Nous croirons sans
beaucoup de peine que ces Messieurs seraient portés naturellement à nous
préférer aux luthériens : mais Rome et notre doctrine, qu'on leur a montrée sous
des titres si odieux et sous une forme si horrible, leur revient toujours à
l'esprit; et cet objet de leur aversion l'emporte par-dessus toute autre pensée.
Ainsi il ne faut pas s'étonner si les luthériens, qu'ils trouvent dans les mêmes
sentiments, les touchent après cela de plus près que nous. Il n'y a aucune
absurdité, pourvu que les luthériens l'aient enseignée, qu'ils ne trouvent
supportable, jusqu'à cette doctrine monstrueuse de l'ubiquité qui attribue
l'immensité à la
1 Nog., p. 353.
292
nature humaine de Jésus-Christ : parce que quelques
luthériens la croient, on fait à Sedan des livres exprès pour montrer qu'elle
est excusable. Au contraire tout est insupportable dans les catholiques; il n'y
a rien qu'on ne leur impute à crime, jusqu'au sentiment qu'ils ont que si on
croit Jésus-Christ présent, on ne doit pas lui refuser l'adoration.
Bien plus, nous venons de voir
que M. Claude, à qui il semble maintenant que l'église prétendue réformée ait
remis la défense de sa cause, avoue que les luthériens doivent adorer, parce
qu'ils ne posent point comme nous que le pain soit changé au corps. Selon lui
l'adoration qui présuppose ce changement est celle qui nous rend coupables
d'idolâtrie ; c'est-à-dire qu'on peut adorer Jésus-Christ pourvu qu'on le croie
accompagné de la substance du pain; mais que si on l'adore le croyant seul, on
est idolâtre. Cela n'est-ce pas dire tout ouvertement qu'on veut, à quelque prix
que ce soit, que le luthérien ait raison, et que le catholique, quoi qu'il
fasse, aura toujours tort? Tant il est vrai que la liaison de la patrie et de la
langue ne nous sert de rien, et que l'aversion qu'on a contre Rome prévaut à
toute autre considération.
Il ne faut pas que ces
réflexions, où mon sujet m'a mené par nécessité, causent de l'aigreur aux
catholiques : mais il faut que Messieurs de la religion prétendue réformée,
voyant que l'aversion qu'ils ont contre Rome les porte à des excès si visibles,
tâchent de la modérer ; et qu'ils conçoivent qu'il n'est pas possible qu'ils
portent un jugement droit sur nos controverses, tant qu'ils les examineront avec
des dispositions si peu équitables.
S'ils pouvaient une fois effacer
de leur esprit ces images odieuses de notre doctrine, qu'on y a si fortement
imprimées dès leur enfance, ils verraient dans l'explication de nos sentiments
une lumière de vérité qui les gagnerait; et pour ne pas sortir de la matière qui
nous occupe maintenant, bientôt ils ne sauraient plus à quoi attacher la
répugnance qu'ils ont pour notre croyance sur le sujet de l'Eucharistie. Car ils
verraient d'un côté que les choses qui les peinent le plus sont des suites si
naturelles de la présence réelle, qu'il n'y a pas moyen de les rejeter supposé
qu'on
1 Anon., p. 171
293
la reçoive : et pour ce qui est de la présence réelle
elle-même, ils s'apercevraient facilement combien elle est préférable à leur
présence en figure; du moins auraient-ils sujet de ne pas trouver fort étrange
que nous soyons comme portés naturellement, par l'instinct même de la foi, à
préférer le sens littéral aux sens détournés, après qu'ils nous ont eux-mêmes
avoué que le sens littéral n'a aucun venin. Dès là qu'on ne peut rien découvrir,
dans ce sens naturel et simple, qui choque les fondements de la piété, les
paroles de Notre-Seigneur s'emparent pour ainsi dire de notre esprit par leur
autorité propre; et après cela nous comptons pour rien de n'avoir plus à leur
sacrifier que des raisonnements humains dont notre ignorance est embarrassée, ou
quelques maximes de philosophie qui sont fausses ou mal entendues.....
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