Exp. Fragments IV-II
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Fragments relatifs
à l’Exposition de l’Eucharistie : II .

 

I. — La doctrine de l'Eglise catholique sur l'Eucharistie, plus intelligible et plus simple que la doctrine des prétendus réformés. Celle-ci s'accorde avec la raison et les sens, celle-là avec l'Ecriture sainte et les grands principes de la religion. Embarras des hérétiques.

II. — Les prétendus réformés n'osent nier certaines vérités ; mais en voulant les concilier avec leur doctrine, ils se jettent dans des embarras inexplicables.

III. — Quoique l'union avec Jésus-Christ se trouve et dans la prédication et dans le baptême, et que la vertu de son corps et de son sang nous vivifie dans l'un et dans l'autre, les prétendus réformés n'ont jamais osé dire que ces actions communiquassent la propre substance du corps et do sang de Jésus-Christ, comme ils le disent de l'Eucharistie. Réponses absurdes de l'Anonyme à cette difficulté.

IV. — La force de la vérité a poussé les prétendus réformés, contre leur dessein, à se servir d'expressions qui favorisent la présence réelle. Quel a été leur véritable motif en conservant ces expressions.

V. — On ne peut dire que les calvinistes et les luthériens conviennent du fondement dans le point de l'Eucharistie.

VI. — Autre vérité que les prétendus réformés tâchent vainement de concilier avec leur doctrine : savoir, que nous devons recevoir dans l'Eucharistie le corps de Jésus-Christ d'une façon qui ne convienne qu'à ce sacrement. Raisonnements absurdes de l'Anonyme à ce sujet.

VII. — Troisième vérité que les prétendus réformés confessent et qu'ils ne peuvent expliquer selon leurs principes : savoir que l'Eucharistie est instituée pour nous assurer que nous avons part au sacrifice de notre rédemption. Vaines réponses de l'Anonyme.

VIII. — Double acte de foi que les prétendus réformés imaginent dans participation à l'Eucharistie. Distinction chimérique et insoutenable.

IX. — La présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, étant éclairais, le reste de la doctrine sur cette matière n'a plus de difficulté. Transsubstantiation. Aveux et contradictions des prétendus réformés.

X. — Chicanes de l'Anonyme sur l’Exposition : dessein de cet ouvrage.

XI. — Réponses aux objections des prétendus réformés, qui accusent les catholiques de détruire le témoignage des sens, et de faire Dieu trompeur.

XII. — Comparaison entre la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, et ses apparitions après la résurrection. Raisons de la différence de sa conduite dans l'un et dans l'autre mystère.

XIII. — Conséquences des raisonnements précédons : ce que les de l'institution doivent opérer dans l'esprit des fidèles.

XIV.— Utilité qu'on peut tirer des signes sensibles qui demeurent dans l'Eucharistie.

XV — L'adoration due à Jésus-Christ dans l'Eucharistie est une suite nécessaire de la doctrine de la présence. Frivoles objections des prétendus réformés.

XVI. — Le sacrifice est une suite de la réalité. La doctrine de l’Exposition sur ce point est incontestable.

XVII. — Réponses aux difficultés tirées de l’Epître aux Hébreux.

XVIII. — Réponses à quelques autres difficultés sur le sacrifice de l'Eucharistie.

XIX. — Réflexions sur toute la doctrine de l'Eucharistie. Injustice des prétendus réformés dans l'aigreur qu'ils ont contre l'Eglise catholique, et l'indulgence dont ils usent envers les luthériens.

XX. — Abus étrange que l'Anonyme fait de l'exemple des manichéens et des idolâtres. C'est la passion des prétendus réformés contre l'Eglise romaine, qui leur bouche les yeux et qui les précipite en tant de différents écarts.

 

I. — La doctrine de l'Eglise catholique sur l'Eucharistie, plus intelligible et plus simple que la doctrine des prétendus réformés. Celle-ci s'accorde avec la raison et les sens, celle-là avec l'Ecriture sainte et les grands principes de la religion. Embarras des hérétiques.

 

Si on veut porter un jugement droit des choses qui ont été dites sur le sujet de l'Eucharistie, on doit dire que notre doctrine et celle des prétendus réformés ont chacune leurs difficultés. C'est pourquoi s'ils ont peine à entendre nos sentiments, nous n'en avons pas moins à concevoir leur doctrine. Mais on a pu remarquer qu'il y a cette différence entre eux et nous, que comme ils n'ont aucun embarras à accorder leur doctrine avec, la raison et les sens, nous n'en avons aucun à accorder la nôtre avec l'Ecriture sainte et avec les grands principes de la religion : tellement que la difficulté qui accompagné notre doctrine vient des raisonnements humains, au lieu que celle qui est attachée à leurs sentiments vient de l'Ecriture sainte et des grandes maximes du christianisme.

Nous ne nous étonnons en aucune sorte des difficultés qui

 

1 Anon., p. 185.

 

naissent des sens, parce que les autres mystères de la religion nous ont accoutumés à captiver notre entendement sous l'obéissance de la foi, et que d'ailleurs nous voyons que la doctrine des hérétiques a toujours été la plus plausible à examiner les choses selon les principes du raisonnement naturel. C'est pourquoi nous méprisons tout à fait les difficultés qui naissent de ces principes, et nous ne nous attachons qu'à entendre l'Ecriture sainte.

De là suit une autre chose qui nous donne encore un grand avantage; c'est que n'ayant qu'un seul objet, qui est d'entendre cette Ecriture, nos principes sont suivis et nous nous expliquons sans embarras : pendant que les prétendus réformés, qui veulent nécessairement concilier la raison humaine avec l'Ecriture, sont contraints de dire des choses contradictoires et se jettent dans des ambiguïtés inexplicables. C'est ce que nous avons déjà fait voir, lorsque nous avons traité des équivoques dont on a embarrassé cette matière. Mais comme nous étions alors plus occupés à faire voir que l'Eglise parlait nettement qu'à montrer les contradictions et les embarras de la doctrine de ses adversaires, il faut tâcher maintenant de les découvrir à fond.

Et afin qu'on entende mieux mon dessein, quand je parlerai d'évidence, on voit bien après les choses que j'ai déjà dites, que je ne prétends pas que notre doctrine soit plus claire aux sens et à la raison que la leur. Au contraire s'ils comptent pour quelque chose de s'y accommoder plus que nous, nous avons déjà déclaré que nous ne leur disputons pas cet avantage. Mais je veux dire que, quelque haute et impénétrable à l'esprit humain que soit la doctrine que nous professons, nous faisons entendre en termes précis ce que nous croyons; au lieu que nos adversaires, dont la doctrine est si facile pour la raison et pour les sens, l'expliquent d'une manière si enveloppée qu'il n'est pas possible de se former une idée suivie de leurs sentiments.

Si je me sers en ce lieu, comme je l'ai fait dans l’Exposition, de l'exemple des anciens hérétiques, que les prétendus réformés détestent, aussi bien que nous, je les conjure de ne pas croire que j'aie dessein de leur faire injure ou de rendre leur foi suspecte : mais certes il me doit être permis de leur faire voir

 

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combien ils doivent trembler, de se voir réduits à suivre la coudai de ceux dont l'impiété leur fait horreur.

La doctrine des ariens est sans doute plus intelligible qui la doctrine catholique, à mesurer l'une et l'autre selon la raison humaine et les sens. Car il n'y a rien qu'on entende moins qu'ai seul Dieu en trois personnes. Mais néanmoins c'est un fait constant, que l'Eglise catholique n'a jamais craint d'expliquer sa foi en termes précis, pendant que ces hérétiques n'ont jamais cessé de cacher la leur dans des termes équivoques, embarrassés et  enveloppés.

Il ne faut que comparer la Confession de foi du concile de Nicée avec les Confessions de foi de ces hérétiques tant et tant de fois réformées, pour voir que les catholiques, quelque inconcevable que fût leur doctrine selon les principes de la raison, n'ont jamais craint de l'expliquer en termes précis; et qu'au contraire ces hérétiques, quoiqu'ils eussent des sentiments bien plus aisés à entendre, ne les ont jamais osé expliquer dans leur Confession de foi nettement et à bouche ouverte.

En effet on voit que le concile de Nicée a retranché décisivement par le mot de consubstantiel, toutes les équivoques qu'on pouvait faire sur la divinité du Fils de Dieu, au lieu que les hérétiques en ont dit des choses qui ont fait clairement connaît qu'ils n'osaient ni la rejeter ouvertement, ni la confesser tout fait.

Que si on recherche la cause profonde de deux conduites si différentes, voici ce qu'on trouvera : c'est qu'il y a un secret principe, gravé dans le cœur des chrétiens, qui leur apprend que leur foi n'est pas établie pour contenter ni la raison ni les sens. C'est pourquoi ceux qui les flattent le plus n'osent pas toujours le faire paraître; une secrète impression de certaines maximes du christianisme qu'ils ne peuvent pas tout à fait nier, ou qui n'osent pas tout à fait contredire, les engage insensiblement à « forcer leurs pensées ou leurs expressions » et à s'avancer pus qu'ils ne voudraient : de sorte que leur doctrine d'un côté s'accorde mieux avec les sens, mais de l'autre elle s'accorde moi avec elle-même; si bien qu'elle laisse ce grand avantage aux défenseurs

 

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de la vérité, qu'en méprisant d'autant la raison humaine que la foi nous apprend à tenir captive, et suivant sans restriction les grands principes du christianisme que leurs adversaires eux-mêmes n'osent tout à fait rejeter, ils font un corps de doctrine qui ne se dément par aucun endroit, et fait connaître dans toute la suite ce merveilleux enchaînement des vérités chrétiennes.

Que si la doctrine des prétendus réformés, qui est d'ailleurs si conforme à la raison humaine et aux sens, avait encore cet avantage d'être plus conforme à l'Ecriture et aux grandes vérités du christianisme, ces Messieurs pourraient se vanter de contenter également et la raison et la foi : de sorte qu'il n'y aurait rien de mieux suivi, ni de plus aisé à entendre que leur doctrine. Mais on va voir au contraire dans quels embarras ils se jettent, et combien ils ont de peine à s'expliquer.

 

II. — Les prétendus réformés n'osent nier certaines vérités ; mais en voulant les concilier avec leur doctrine, ils se jettent dans des embarras inexplicables.

 

Et d'abord ils parlent si obscurément, qu'il n'est pas possible de résoudre nettement, selon leur doctrine, s'il faut nier ou s'il but admettre une présence réelle du corps et du sang de Notre-Seigneur dans la communion.

Ils nient ordinairement cette présence réelle, et substituent en sa place « une présence morale, une présence mystique, une présence d'objet et de vertu. » Ce sont leurs expressions ordinaires : et notre auteur s'exprime en ces mêmes termes.

Leurs frères des églises suisses ne parlent pas autrement; et la Confession de foi que ceux de Bâle publièrent en 1532 s'explique ainsi : « Nous confessons que Jésus-Christ est présent dans la sainte Cène à tous ceux qui croient véritablement, c'est-à-dire qu'il y est présent sacramentellement et par la commémoration de la foi qui élève aux cieux l'esprit de l'homme. »

Les mêmes églises des Suisses, et ceux de Bâle avec tous les autres, parlent encore de même dans leur dernière Confession de foi, qui est celle qu'ils ont retenue : « Jésus-Christ, disent-ils, n'est pas absent de son Eglise lorsqu'elle célèbre la Cène. Le

 

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soleil, quoique absent de nous, étant dans le ciel néanmoins nous est présent efficacement : combien plus le soleil de justice Jésus-Christ, quoiqu'il soit absent de nous, étant dans le ciel, nous est présent, non corporellement, mais spirituellement par son opération vivifiante (1) ! »

Notre auteur explique la présence de Jésus-Christ dans la Cène par la même comparaison des deux et des astres; « qui, par exemple, dit-il, quoique dans un éloignement presque infini, nous sont présents en quelque sorte, non-seulement parce que nous les voyons, mais par les influences qu'ils répandent sur nous (2). »

Jusqu'ici nous les entendons, et nous voyons bien qu'As veulent exclure la présence réelle et personnelle, comme parle notre auteur (3) ; et nous lisons ces paroles dans son avertissement : « Aucun de nous n'a dit que nous croyions la présence réelle de Jésus-Christ dans les sacrements. » Et néanmoins les paroles de Notre-Seigneur impriment tellement dans leurs esprits, malgré qu'ils en aient, l'idée de cette présence, qu'ils sont contraints de dire des choses qui l'emportent nécessairement. Car nous avons déjà vu qu'ils enseignent d'un commun accord, que la propre substance du corps et du sang est donnée et communiquée dans la Cène. Notre auteur convient des textes exprès, tant de la Confession de foi que du Catéchisme de ses églises, que j'ai produits dans l'Exposition pour le faire voir; et ensuite il accorde lui-même cette proposition décisive, « que le corps de Jésus-Christ est communiqué réellement et en sa propre substance (4). »

Il paraît assez incertain sur le parti qu'il doit prendre en répondant à cette objection. Il semble qu'il voudrait insinuer que sa Confession de foi et son Catéchisme par substance ont entendu efficace : « Notre Catéchisme, dit-il, parlant du sacrement du baptême, dit indifféremment en deux endroits la substance et la vertu du baptême, pour en signifier l'efficace (1). » Il me permettra de lui dire que cela n'est pas véritable : la vertu et l'efficace sont choses qui suivent la substance. Mais substance, en aucun langage, ne signifie ni vertu ni efficace; et le Catéchisme des prétendus

 

1 Chap. XXI. — 2 Anon., p. 206. — 3 Ibid. — 4 Ibid. p. 226. — 5 Ibid. p. 244.

 

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réformés aurait trop embrouillé les choses, s'il avait pris indifféremment l'un pour l'autre des termes si différents. Leur Confession de foi dit « que la substance du baptême est demeurée dans la papauté (1) : » c'est-à-dire l'essence même du baptême, qu'Us ne nous accusent point d'avoir altérée. Mais laissons ce qu'ils ont dit du baptême; venons à ce qu'ils disent de l'Eucharistie. Il est certain qu'ils enseignent que nous n'y recevons pas seulement une vertu découlée du corps et du sang de Notre-Seigneur; mais que nous en recevons la substance même. Bien plus, notre auteur soutient en divers endroits, que j'ai déjà remarqués, que cette communication de la substance du corps et du sang, qu'on admet dans sa religion, n'est pas moins réelle que celle que les catholiques reconnaissent; et c'est en quoi je prétends que leur doctrine est contradictoire. Car qui pourrait concevoir que notre auteur et les sens, qui n'admettent a qu'une présence morale, mystique, et de vertu, » qui nient en termes formels « la présence réelle du corps et du sang dans le sacrement, » ne laissent pas toutefois, si nous les croyons, d'admettre une aussi réelle communication du corps et du sang que nous, qui reconnaissons leur présence réelle et substantielle? Il faudrait en vérité peu regarder ce que les mots signifient dans l'usage commun des hommes. Le catholique « raison de dire que Jésus-Christ lui communique dans l'Eucharistie la propre substance de son corps et de son sang, parce que son corps et son sang y sont réellement présents. Mais qu'on sépare ces expressions, qu'on nie cette présence réelle, et qu'on croie cependant pouvoir retenir cette réelle communication de la propre substance du corps et du sang, qui le pourrait concevoir?

Aussi quand j'objecte à notre auteur que ce que disent les siens ne se peut entendre, il me reproche que je veux tout concevoir. «C'est encore ici, dit-il pour la troisième ou quatrième fois, que M. de Condom veut tout concevoir (2). » Il a mal pris ma pensée ; car assurément je ne prétends pas concevoir le fond du mystère, qui est en tous points incompréhensible. Mais quelque haut que soit le mystère, il faut faire concevoir nettement ce qu'on en pense; et la hauteur impénétrable des mystères du christianisme

 

1 Art. XXIX. — 2 Anon., p. 248.

 

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n'est pas une raison pour les exposer en termes confus, dont on ne puisse deviner le sens.

Que notre auteur nous explique donc, s'il lui plaît, ce que c'est qu'une réelle communication de la propre substance du corps et du sang sans la présence réelle de l'un et de l'autre.

Il croit avoir développé tout cet embarras, lorsqu'il dit dans son Avertissement qu'il y a grande différence entre « participation ou communion réelle et présence réelle, parce que l'un donne lieu de supposer qu'il faut que le corps de Jésus-Christ descende du ciel dans le sacrement pour y être réellement présent ; et nous disons seulement que par la foi nous élevons nos coeurs au ciel, où il est ; et que c'est ainsi que nous participons à Jésus-Christ très-réellement, mais spirituellement (1). »

 

III. — Quoique l'union avec Jésus-Christ se trouve et dans la prédication et dans le baptême, et que la vertu de son corps et de son sang nous vivifie dans l'un et dans l'autre, les prétendus réformés n'ont jamais osé dire que ces actions communiquassent la propre substance du corps et do sang de Jésus-Christ, comme ils le disent de l'Eucharistie. Réponses absurdes de l'Anonyme à cette difficulté.

 

Il fallait venir sans tant de discours à ce qui fait la difficulté. Pour expliquer « que nos cœurs s'élèvent au ciel par la foi et s'unissent à Jésus-Christ par affection, » est-il nécessaire de dire que nous recevons réellement la substance de son corps et de son sang? Joignez-y, si vous voulez, que l'esprit de Jésus-Christ habite en nous, que sa justice nous est imputée, que nous lui sommes unis en esprit et par la foi, et que nous sommes vivifiés par la vertu de son corps et de son sang : nous avons montré clairement que tout cela ne fera jamais qu'il faille dire avec tant de force que nous en recevons réellement la propre substance : et ce qui le prouve invinciblement, c'est qu'encore que cette union spirituelle avec Jésus-Christ se trouve par le propre aveu des prétendus réformés et dans la Prédication et dans le baptême ; encore que la vertu du corps immolé et du sang répandu pour nous nous vivifie dans l'un et dans l'autre, ils n'ont jamais osé dire dans leur Catéchisme, ni dans leur Confession de foi, que ni

 

1 Anon., p. 15.

 

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la prédication, ni le baptême, ni enfin aucune action faite hors de la Cène, nous communiquassent la propre substance du corps et du sang de Jésus-Christ, comme ils le disent perpétuellement de l’Eucharistie.

J'ai proposé cette difficulté dans l'Exposition, et la réponse qu’y fait notre auteur se réduit à trois chefs.

Il dit premièrement que le baptême, la prédication et l'Eucharistie ont le même effet, et nous communiquent aussi réellement l’un que l'autre la substance du corps et du sang de Notre-Seigneur (1) : secondement, que ce même effet est exprimé en divers termes et représenté sous diverses formes; par exemple : « Le baptême, dit-il, ne nous applique ou communique le sang de Jésus-Christ que par forme de lavement; au lieu que l'Eucharistie nous communique son corps et son sang par forme de nourriture et de breuvage (2). » Enfin il conclut de là que si l'on dit de l'Eucharistie, plutôt que de la prédication et du baptême, qu'elle nous donne la substance du corps et du sang de Jésus-Christ, ce n'est pas qu'en effet cela lui convienne plutôt qu'aux deux autres; mais c'est à cause que cette façon de parler convient mieux au dessein qu'a eu Notre-Seigneur de se donner à nous dans l'Eucharistie en qualité d'aliment, a par forme de nourriture, » et de nous y « représenter son union intime avec nous (3). »

Je suis assuré que si l'Anonyme avait entrepris lui-même d'expliquer son sentiment en peu de paroles, il ne le ferait pas plus sincèrement, ni de meilleure foi que je viens de faire. Mais pour ne lui rien ôter, il faut ajouter encore les exemples dont il se sert. Us me serviront aussi à lui faire connaître son erreur, si peu qu'il veuille ouvrir les yeux. Et c'est pourquoi je m'attacherai à les rapporter en ses propres termes. Voici donc ce qu'il écrit : a Notre Catéchisme ne dit pas que Jésus-Christ nous fasse renaître spirituellement dans la Cène ou qu'il nous nettoie de nos péchés, comme il le dit du baptême, ni que la foi soit de la Cène, comme il est dit que la foi est de l'ouïe, et que l'ouïe est de la parole, parée que la Cène n'est pas instituée pour nous représenter notre union avec Jésus-Christ sous cette idée, mais pour nous la représenter

 

1 Anon., p. 233, 234, 237, 238. — 2 Ibid. p. 234. — 3 Ibid. p. 234, 238.

 

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sous l'idée d'une union substantielle, comme celle de la nourriture. De même si le Catéchisme ne dit pas que nous sommes faits participants de la substance de Jésus-Christ dans le baptême, ou dans la prédication de l'Evangile, comme il le dit de la Cène, ce n'est pas que dans ces actes-là nous ne soyons très-réellement unis à Jésus-Christ, ou que Jésus-Christ n'y nourrisse spirituellement nos âmes de sa substance, de même que dans la Cène, et M. de Condom n'oserait dire le contraire ; mais c'est qu'encore que ces divers moyens produisent au fond le même effet, la mêmes expressions ne conviennent pas également à l'un et à l'autre, parce que l'eau du baptême et le son de la parole ne sont pas si propres que les symboles du pain et du vin, pour nous représenter tant la nourriture spirituelle de nos âmes que l'union intime qui se fait de nous avec Jésus-Christ (1). »

Il veut dire, si je ne me trompe, que lorsqu'on exprime les choses par de certaines ressemblances, il faut suivre la comparaison ou la figure qu'on a commencée. L'Eglise est représentée comme m filet où il se prend toute sorte de poissons, ou comme un champ où on sème de toute sorte de grains. Ces deux figures ne signifient que la même chose. Mais il ne faut pas dire pour cela qu'oi sème dans ce filet, ni qu'on prend des poissons dans ce champ, parce qu'il faut suivre l'idée qu'on a prise : j'en suis d'accord mais je ne vois pas que cela explique la difficulté dont il s'agit Laver et nourrir les âmes, ne marque selon l'Anonyme, en Jésus-Christ que la même vertu, et dans les âmes que le même effet. Quand cela serait véritable, il pourrait conclure tout au plus, qu'il ne faudrait pas dire que Jésus-Christ nous nourrit quand on le représente par forme de lavement, ou qu'il nous lave quand on le regarde comme viande. Mais ce n'est pas là notre question. Il s'agit de la substance du corps et du sang de Jésus-Christ. L'Anonyme a entrepris de nous expliquer pourquoi on dit parmi les siens, dans son Catéchisme, qu'elle nous est communiquée dam la Cène, et qu'on ne dit pas qu'elle nous est communiquée an baptême. Certainement l'idée de substance ne répugne pas plus à l'action de laver qu'à l'action de nourrir : on ne nous applique

 

1 Anon., p. 237.

 

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pas moins la substance de l'eau pour nous laver, qu'on nous donne la substance du pain et du vin pour nous repaître; et s'il n'y avait à considérer que ce qu'allègue l'Anonyme, les auteurs de son Catéchisme pouvaient dire aussi proprement que Jésus-Christ nous lave dans le baptême de la substance de son sang, qu'ils ont dit qu'il nous nourrit à la Cène de la substance de son corps. Mais je veux bien ne m'arrêter pas à une raison si claire, et il fout que je lui découvre son erreur par une considération qui va plus au fond.

Il se trompe assurément, quand il pense que les expressions différentes qu'il rapporte dans le passage que nous venons de produire, ne signifient au fond que le même effet. Chacune de ces expressions marque dans la chose même des effets particuliers. Et pour repasser en peu de mots sur tous les exemples que l'Anonyme nous allègue, on dit que le baptême nous nettoie, parce qu'il efface le péché que nous apportons en naissant ; et on dit ensuite qu'il nous fait renaître, parce que nous y passons de mort à vie, c'est-à-dire de l'état de péché où nous étions nés à l'état de sainteté et de grâce. C'est ce qu'on ne peut dire de l'Eucharistie, qui doit nous trouver déjà nettoyés du péché de notre origine. Car il faut être lavé pour approcher de cette table ; et ce pain céleste, qui nous est donné pour entretenir en nous une vie nouvelle, suppose que nous l'avons déjà reçue. De même quand nous disons avec saint Paul que « la foi vient de l'ouïe, » nous exprimons par ces termes l'effet particulier de la prédication. C'est elle qui nous propose ce qu'il faut croire. Car « comment croiront-ils, dit le même Apôtre, s'ils n'ont oui auparavant ; et comment entendront-ils, s'ils n'ont quelqu'un qui les prêche (1)? » C'est de là que saint Paul conclut que la foi vient par l'ouïe, et on voit qu'elle est en effet le propre effet de l'instruction.

Il n'y a donc rien de merveilleux en ce que notre auteur observe, que les auteurs de son Catéchisme ne disent pas que la Cène nous nettoie ou nous régénère, ni que la foi soit de la Cène. C'est que la Cène effectivement ne remet pas le péché de notre origine; et qu'on ne peut dire, sans tomber dans une erreur très-

 

1 Rom., X,14.

 

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absurde, que la foi vienne de la Cène ; puisque la Cène elle-même ne serait pas crue ni son mystère entendu, si l'instruction de la parole n'avait précédé.

Ainsi on voit clairement, quoi que l'Anonyme ait voulu dire, que ces façons de parler, qui sont particulièrement affectées et pour ainsi dire consacrées aux divers actes du chrétien, ne doivent pas être prises seulement comme des phrases diverses qui ne nous proposeraient qu'un même effet. Au contraire, à chaque parole répond dans la chose même un effet particulier, qui en marque le propre caractère ; et si on attribue cet effet aux autres actes de la religion, on en détruit la céleste économie.

Pour appliquer maintenant à l'Eucharistie ce que nous venons de dire quand les prétendus réformateurs ont proposé dans leur Catéchisme ou dans leurs Confessions de foi ce qui regarde la Cène, sans doute ils ont voulu en donner une connaissance distincte et ils ont dû en marquer le caractère particulier. Or ce caractère particulier qu'ils nous ont manqué, c'est que Jésus-Christ nous y donne la propre substance de son corps et de son sang : et nous voyons en effet qu'ils n'ont rien attribué de semblable au baptême et à la parole, ni aux autres actes de la religion. Ainsi notre auteur détruit leur dessein, lorsqu'il répand généralement dans toutes les autres actions, ce que les auteurs de son Catéchisme ont choisi comme l'effet particulier et le propre caractère de la Cène.

Mais c'est qu'il ne veut pas concevoir par quelle suite de vérités ils ont été conduits à ce sentiment. Ils ont vu que Jésus-Christ a dit : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Ils sont d'accord qu'il n'a pas voulu nous donner un simple signe, mais un signe accompagné de la chose. Il est assuré d'ailleurs qu'il n'a prononcé qu'une fois cette parole, et qu'elle ne regarde que l'Eucharistie : sans doute en l'instituant, il nous aura exprimé ce qu'elle a de particulier, et quel est le don spécial qu'il a eu dessein de nous y faire. Ce don, c'est son corps et son sang, que nous devons par conséquent recevoir en vérité dans la Cène dune manière qui ne convienne à aucune autre action. Or est-il que la vertu et l'efficace du corps et du sang se déploie dans toutes les autres : il n'y

 

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a donc plus que la chose même et la substance propre du corps et dix sang qui puisse être réservée à l'Eucharistie.

Ces vérités incontestables font une impression secrète dans les esprits; et quoique le sens humain, qui ne peut comprendre les œuvres de Dieu, ait empêché les prétendus réformateurs de les embrasser pleinement dans toute leur suite, ils n'ont pu s'en soigner tout à fait. C'est pourquoi ils ont voulu nous faire trouver dans la Cène la substance du corps et du sang, qu'ils n'osent attribuer ni à la prédication, ni au baptême, ni à aucune autre action.

 

IV. — La force de la vérité a poussé les prétendus réformés, contre leur dessein, à se servir d'expressions qui favorisent la présence réelle. Quel a été leur véritable motif en conservant ces expressions.

 

Il paraît par toutes ces choses combien j'ai eu raison de dire que la forée de la vérité les a poussés, contre leur dessein, à dire des choses qui favorisent la présence réelle, puisqu'elles n'ont de sens qu'ai la supposant. Mais on en sera encore plus convaincu, quand on aura pénétré ce que l'Anonyme dit pour sa défense.

Pour nous expliquer par quelles raisons ces grands mots de propre substance du corps et du sang sont demeurés en usage dans la réformation prétendue; il représente premièrement que « l'Ecriture ne se sert jamais de ce terme de substance sur le sujet de l'Eucharistie (1). » J'en suis d'accord.

Il dit en second lieu, que « les premiers Pères de l'Eglise ne s'en sont pas servis non plus (2). » De là il conclut que « les auteurs de son Catéchisme n'ont pas été obligés à employer ces expressions, pour se conformer à l'Ecriture et aux anciens Pères (3).» Et il ajoute enfin en troisième lieu « qu'ils l'ont fait sans doute pour se conformer en cela à l'usage des derniers temps. »

Pesons ces dernières paroles; et sans disputer à l'auteur ce qu'il dit des anciens Pères de l'Eglise, parce que cette discussion est trop éloignée de notre dessein, demandons-lui s'il n'est pas constant entre nous, que du moins dans les derniers temps la foi de la présence réelle était établie. Par conséquent dire, comme il fait,

 

1 Anon, p. 223. — 2 Ibid. p. 224. — 3 Ibid.

 

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que les prétendus réformateurs, en expliquant le point de l'Eucharistie, ont accommodé leurs expressions à l'usage des derniers temps, c'est dire manifestement qu'ils se sont accommodés à ceux qui croyaient la présence réelle.

Il paraîtra fort étrange que ceux qui nient la présence réelle veulent s'accommoder aux expressions de ceux qui la croient. Mais qu'on ne pense pas toutefois que l'Anonyme ait trahi sa cause, quand il a avoué cette vérité. Il connaît le génie de la prétendue Réforme. Il sait que les luthériens sont de ces auteurs des derniers temps, qui ont cru la réalité, et que ceux de sa religion ont toujours tâché de les satisfaire.

Mais il est bon de pénétrer pourquoi les auteurs des derniers temps, et entre autres les luthériens, ont employé dans l'Eucharistie ces mots de propre substance. Nous en avons déjà expliqué la cause; nous avons vu qu'on s'est servi de ces termes pour soutenir le sens littéral de ces paroles : « Ceci est mon corps, » contre ceux qui établissaient le sens figuré; et qu'en cela on a suivi l'exemple des Pères, qui ont employé le terme nouveau de consubstantiel pour déterminer le sens précis de ces paroles de Jésus-Christ : « Nous sommes, mon Père et moi, une même chose. »

Par là on peut reconnaître combien est faux le raisonnement de l'Anonyme : « L'Ecriture, dit-il, ne se sert jamais de ce terme de substance sur le sujet de l'Eucharistie (1). » Ce n'est donc pas pour se conformer à l'Ecriture qu'on s'est servi de ce terme. On pourrait conclure de même que ce n'est point pour se conformer à l'Ecriture sainte, que les Pères de Nicée et d'Ephèse se sont servis des termes de consubstantiel et d'union personnelle, puisque l'Ecriture ne s'en sert en aucun endroit. Mais qui ne sait au contraire que ces termes n'ont été choisis que pour fixer au sens littéral les paroles de l'Ecriture, que les hérétiques détournaient? Il est permis à ceux qui soutiennent le sens littéral de ces paroles : « Ceci est mon corps, » d'employer aussi des expressions qui pussent exclure précisément le sens figuré : et c'est pour cela que non-seulement les catholiques, mais encore les luthériens

 

1 Anon., p. 224.

 

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aussi zélés défenseurs de la présence réelle, ont appuyé sur la présence et la réception du corps de Jésus-Christ en substance, pour combattre Zuingle, Bucer et Calvin, qui au fond ne voulaient admettre qu'une présence en figure, ou tout au plus en vertu.

J'ai dit que les luthériens concourent avec nous dans ce dessein. Cela paraît dans tous leurs écrits, et surtout dans la Confection de foi qu'ils dressèrent en 1551, pour l'envoyer au concile de Trente, et pour expliquer leur doctrine encore plus clairement qu'ils n'avaient fait dans celle d'Augsbourg. Ils disent « que Jésus-Christ est vraiment et substantiellement présent dans la communion ; » et on trouve encore ces expressions presque à toutes les pages du livre qu'ils ont appelé Concordé, qu'ils ont publie d'un commun accord pour expliquer à toute la terre la foi que confessent toutes leurs églises.

On voit donc manifestement que c'est le dessein d'expliquer la réalité sans embarras et sans équivoque, qui a fait qu'on a tant appuyé sur la substance du corps et du sang, et qui a donné un si grand cours à cette expression dans les derniers temps, auxquels néanmoins notre auteur avoue que leurs premiers réformateurs ont trouvé nécessaire de s'accommoder dans leur Confession de foi et dans leur Catéchisme.

Il ne voudraient pas que nous crussions qu'ils l'ont fait par Pure complaisance pour les luthériens, et encore moins pour les amuser par des expressions semblables à celles dont ils se servaient. Car qu'y aurait-il de plus détestable qu'une Confession de foi et un Catéchisme qui seraient faits sur de tels principes? Ainsi la vérité est que pressés, par les arguments des catholiques et des luthériens, ou plutôt pressés, quoi qu'ils disent, par la force des paroles de Notre-Seigneur, ils n'ont pu s'éloigner tout à fait du sens littéral, ni détruire la réalité sans en conserver quelque idée.

Cela veut dire en un mot que ces belles et ingénieuses comparaisons du soleil et des astres, quoiqu'ils les aient toujours à la bouche en cette matière, ne les ont pas contentés eux-mêmes, et ne leur ont pas paru suffisantes pour expliquer la manière dont

 

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Jésus-Christ se donne à nous dans l'Eucharistie. Les chrétiens y veulent recevoir le corps et le sang de leur Sauveur, autrement qu'ils ne reçoivent les astres et le soleil. Les paroles de Jésus-Christ et la tradition de tous les siècles ont fait dans leurs esprits des impressions plus fortes, et les ont accoutumés à quelque chose de plus réel. Us s'attendent à recevoir plus que des rayons et des influences. Ainsi ce n'est pas assez de leur parler de la figure; ni même de la vertu du corps et du sang; il a fallu nécessairement leur en proposer la substance même.

C'est pourquoi les écrivains de Messieurs de la religion prétendue réformée ne craignent rien tant que de laisser apercevoir à leurs peuples que la manière dont les catholiques et les luthériens croient recevoir le corps et le sang de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, soit plus réelle que la leur : ils tâchent au contraire de leur faire croire que leur dispute avec les luthériens, sur le point de l'Eucharistie, ne regarde que la manière, mais qu'ils sont d'accord avec eux du fondement. C'est ce que dit l'Anonyme avec l'approbation des ministres de Charenton; et il importe de bien faire connaître leur pensée.

J'ai produit dans l’Exposition un décret du synode national de Sainte-Foi de 4574, sur le sujet d'une Confession de foi commune aux luthériens et aux calvinistes, qu'on proposait de dresser. Notre auteur, qui a entrepris de rendre raison de cet arrêté, dit ceci entre autres choses : « C'est principalement sur le sacrement de l'Eucharistie que nous étions en différend avec les luthériens; et sur cela même, ajoute-t-il, nous convenons, eux et nous, du fondement (1). »

 

V. — On ne peut dire que les calvinistes et les luthériens conviennent du fondement dans le point de l'Eucharistie.

 

Remarquez qu'il ne dit pas qu'ils conviennent du fondement avec les luthériens dans les autres choses; mais sur cela même, dit-il, sur le point de l'Eucharistie, sur lequel est néanmoins toute la dispute : Nous convenons, eux et nous, du fondement.

Je ne sais comment il peut dire que les calvinistes et les luthériens

 

1 Anon., p. 356.

 

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conviennent du fondement dans le point de l'Eucharistie, puisque les uns fondent leur doctrine sur le sens figuré des paroles de l'institution, et les autres sur le littéral. On peut bien dire que les catholiques et les luthériens, quoiqu'ils ne conviennent pas détentes les suites en cette matière, conviennent du fondement, puisqu'ils « ont cela de commun, selon l'Anonyme même, qu'ils prennent les uns et les autres les paroles du Seigneur dans un sens littéral pour une présence réelle (1).» Aussi le même auteur fait-il consister la dispute entre les catholiques et les luthériens sur la manière d'expliquer cette présence réelle, les uns mettant le corps avec le pain et les autres le corps sans le pain.

Mais à l'égard des calvinistes et des luthériens, ce n'est ni des suites ni des circonstances, mais du fond même qu'ils disputent, puisque les uns fondent leur doctrine sur la présence réelle, et que les autres raisonnant sur un principe contraire, nous disent que « jamais aucun des leurs n'a cru la présence réelle (2). »

Nous allons voir toutefois par l'aveu de notre auteur même et des ministres de Charenton, qui ont approuvé son ouvrage, qu'il n'est pas impossible de faire convenir les prétendus réformés delà présence réelle : et que c'est sur ce. fondement que le synode de Sainte-Foi avait jugé que l'on pouvait dresser cette nouvelle Confession de foi commune aux luthériens et aux calvinistes. Mais lisons ses propres paroles : « Si les Luthériens, dit-il, n'eussent pu convenir entièrement de notre doctrine (à quoi on sût en effet qu'ils étaient peu disposés), ils eussent réduit la leur à ce que font les plus habiles d'entre eux, qui est de ne décider point la manière dont Jésus-Christ est réellement présent dans le sacrement : Nous croyons, disent-ils, sa présence et nous en sentons l'efficace, mais nous en ignorons la manière : et en ce cas on voit bien qu'ils se fussent rapprochés encore davantage de nous Que nous n'avons fait d'eux, en les admettant simplement à notre communion, sans que pour cela nous eussions apporté de notre part aucun changement essentiel à notre Confession de foi. »

Nous avons, par ces paroles, trois choses très-importantes manifestement établies : 1° que les luthériens, qui sont les plus

 

1 Anon., p. 261. — 2 Avertissement, p. 14.

 

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disposés à se rapprocher des calvinistes, n'entendent point de se départir de « la présence réelle de Jésus-Christ dans le sacrement; » 2° qu'ils disent seulement qu'ils « n'en décident point la manière;» 3° que les calvinistes et le synode de Sainte-Foi étaient prêts à s'accorder dans cette doctrine, et n'auraient pas cru pour cela « faire un changement essentiel à leur Confession de foi. »

Chose certainement surprenante! Ces mêmes hommes qui n'ont jamais dit, selon notre auteur, « qu'il y eût une présence réelle de Jésus-Christ dans le sacrement, » ne sont plus en peine maintenant que de la manière de cette présence; et sont prêts à convenir d'une Confession de foi commune entre eux et les luthériens, pourvu seulement que ces derniers, en confessant que « Jésus-Christ est réellement présent dans le sacrement, » leur accordent qu'ils ne prétendent pas décider la manière de cette présence. C'est ce qu'ils obtiendront facilement. Jamais les luthériens n'ont prétendu expliquer la manière aussi réelle que miraculeuse, dont un corps humain est présent en même temps en tant de lieux et renfermé tout entier dans un si petit espace : et bien loin de la vouloir décider, ils ont toujours déclaré qu'elle était divine, surnaturelle et tout à fait incompréhensible.

Nous leur ferons, quand il leur plaira, une semblable déclaration, ou plutôt elle est déjà faite; et de tous ceux qui croient que Jésus-Christ a voulu que son corps fût réellement présent, aucun n'a prétendu expliquer de quelle manière s'exécute une chose si miraculeuse.

Ainsi les luthériens n'affaiblissent en rien leur doctrine touchant la présence réelle, quand ils ne décident pas la manière dont on la peut expliquer, puisqu'en effet elle surpasse notre intelligence. C'est leur accorder tout ce qu'ils prétendent, que de leur avouer que Jésus-Christ est réellement présent dans le sacrement; car s'il y a une présence réelle dans le sacrement, il est clair que la présence en figure et la présence en vertu n'y suffisent pas.

Je ne doute pas que les calvinistes ne se réservent quelque nouvelle subtilité pour se démêler de cet embarras. Mais du moins j'ai clairement établi qu'une présence réelle du corps de Jésus-

 

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Christ dam le sacrement, n'est pas incompatible avec leur doctrine; et que s'ils n'ont pas voulu jusqu'ici user de ces termes arec nous, c'est qu'ils gardent ce sentiment et cette expression pour contenter quelque jour les luthériens, quand ils seront disposés plus qu'ils n'ont été jusqu'ici à s'en contenter.

Leurs frères de Pologne ont déjà, il y a longtemps, tranché le mot par avance nettement; et nous avons vu à l'endroit où j'ai proposé les diversités des Confessions de foi, qu'ils ont accordé aux luthériens une présence substantielle du corps et du sang de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.

J'ai donc eu raison de dire au commencement de ce chapitre, que les prétendus réformés n'étaient pas encore bien résolus s'ils recevraient ou s'ils nieraient la présence réelle, puisqu'on voit déjà d'un côté que leurs frères de Pologne, qui suivent la Confession des églises suisses, l'ont admise en termes formels; et d'antre côté que ceux de France, qui ne l'ont pas encore confessée, n'en sont point du tout éloignés. Ainsi c'est en vain que notre auteur a écrit ces grandes paroles : a Jamais aucun de nous n'a dit que nous croyons la présence réelle du corps de Jésus-Christ dans le sacrement. » A son compte les zuingliens de Pologne ne sont déjà plus parmi les siens. Mais lui-même, que deviendra-t-il, et en quel rang se veut-il mettre, puisque ce qu'il «are si précisément, que jamais aucun de sa religion n'a dit, c'est lui-même qui le vient dire avec l'approbation de ses ministres, et nous a fait voir de plus qu'un synode national était disposé à le confesser?

Il n'en faut pas davantage pour faire voir que la Confession de M des prétendus réformés est pleine de contradictions; et qu'eux-mêmes ne savent pas bien ce qu'ils veulent dire, quand ils reconnaissent dans l'Eucharistie la substance du corps et du sang. Mais j'ai encore un mot important à dire sur ce sujet, et une réflexion importante à faire.

Quand ces Messieurs nous disent avec tant de force qu'ils croient recevoir la propre substance du corps et du sang de Notre-Seigneur aussi réellement que nous-mêmes, il y a une question à leur faire, par quel passage de l'Ecriture est établi un don si précieux ;

 

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et surtout s'il est établi, s'il y eu à quelque vestige dans l'institution de la Cène. Il est impossible qu'ils répondent à cette question sans s'embarrasser, quelque parti qu'ils veuillent prendre.

L'Anonyme a vu cette demande, et n'y a pas répondu aussi

nettement qu'il fallait…      

 

VI. — Autre vérité que les prétendus réformés tâchent vainement de concilier avec leur doctrine : savoir, que nous devons recevoir dans l'Eucharistie le corps de Jésus-Christ d'une façon qui ne convienne qu'à ce sacrement. Raisonnements absurdes de l'Anonyme à ce sujet.

 

Il y a une autre vérité que les prétendus réformés tâchent vainement de concilier avec leur doctrine, c'est que nous devons recevoir dans l'Eucharistie le corps de Notre-Seigneur d'une façon qui ne convienne qu'à ce sacrement. Cette vérité s'imprime naturellement dans les esprits, en lisant ces paroles de l'institution : « Prenez, mangez, ceci est mon corps; » car Jésus-Christ n'ayant dit ces mots qu'en faveur de l'Eucharistie, on ne peut croire que le don particulier qu'il nous y veut faire, et qui nous est exprimé par des paroles si précises, soit commun à toutes les autres actions du chrétien. Aussi reconnaissons-nous que Jésus-Christ ailleurs nous donne ses grâces ; mais qu'il est en personne dans l'Eucharistie, et nous y donne son corps en substance. La suite fera connaître que c'est là en effet le seul moyen d'expliquer ce qu'il y a de particulier dans l'Eucharistie. Toutefois les prétendus réformés tachent aussi de le faire ; et quoique la suite de leur doctrine les oblige à dire que Jésus-Christ nous donne réellement son corps et sou sang dans le baptême et dans la parole; aussi bien qu'à l'Eucharistie, ils sont contraints néanmoins de dire, pour y mettre quelque différence, que là il nous le donne en partie et à la Cène pleinement.

A cela nous objectons que s'ils persistent à dire toujours, comme ils font, que Jésus-Christ n'est reçu dans l'Eucharistie que par la foi, non plus que dans le baptême et dans la prédication, il est impossible d'entendre qu'il soit pleinement dans l'une et en partie dans les autres. Il faut maintenant entendre ce qu'ils disent pour démêler cette objection.

 

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Premièrement ils avouent « que ce que le sacrement de la Cène ajoute à la parole, n'est pas une autre manière de communion avec Jésus-Christ, plus réelle au fond ou différente en espèce de celle que nous avons avec lui par le ministère de la parole ou par le baptême (1).»

Secondement ils confessent « que Jésus-Christ étant vraiment communiqué par ces trois divers moyens, on ne peut entendre en aucune manière que Jésus-Christ soit comme divisé et plus ou moins communiqué (2). » Ils ajoutent a que c'est toujours Jésus-Christ tout entier qui nous est communiqué par chacun de ces trois moyens : » c'est-à-dire que Jésus-Christ est aussi entier où il n'est reçu qu'en partie qu'où il est reçu pleinement.

Troisièmement ils sont d'accord que « la manière commune de recevoir Jésus-Christ» dans ces trois moyens, « c'est qu'il y est reçu par la foi (3). »

Ils enseignent en quatrième lieu, que ce qu'il y a de particulier dans la Cène, c'est seulement que nous y avons une nouvelle et plus ample confirmation de notre union avec Jésus-Christ et comme une dernière ratification. L'Anonyme allègue à ce propos les paroles de son Catéchisme, qui dit « que dans la Cène notre communion est plus amplement confirmée et comme ratifiée (4) : » et il remarque que ces paroles précèdent immédiatement celles que nous lui avons objectées.

Pour expliquer maintenant cette plus ample confirmation, ils disent, à l'égard de la parole, « qu'au lieu qu'elle n'agit que sur un de nos sens, l'Eucharistie parle à tous nos sens généralement, que la vue en particulier fait encore plus d'impression sur nos esprits que l'ouïe : » et à l'égard du baptême qui nous frappe la vue, aussi bien que l'Eucharistie, « il ne nous marque que notre entrée dans l'Eglise et nous lave de nos péchés, sans figurer d'une manière plus expresse, ni la mort de Jésus-Christ, ni notre union spirituelle avec lui : » au lieu que l'Eucharistie par le moyen du Pain et du vin que nous y prenons, a nous représente encore plus expressément que le corps de Jésus-Christ a été rompu pour nous, et que nous sommes unis réellement et spirituellement au corps de notre Sauveur (5). »

 

1 Anon., p. 232.— 2 Ibid.— 3 Ibid. p. 236.— 4 Ibid. p. 232.— 5 Ibid. p. 233, 234.

 

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Ainsi quoique le corps de Notre-Seigneur ne soit reçu que par la foi dans ces trois moyens, comme elle est plus excitée dans l’un que dans l'autre, ils disent que cela suffit pour fonder divers de grés, et par conséquent pour établir la prérogative particulière de l'Eucharistie. L'auteur éclaircit son sentiment par cette comparai son : « Le soleil, dit-il, en son midi, nous communique les objets ou la vue des objets d'une manière pleine et différente de celle dont il nous les communique à son lever, ou si l'on veut, d'un manière différente dont les flambeaux nous la communiquai dans la nuit (1). » Néanmoins « cette différence n'est en effet que dans le plus ou moins de lumière; une différence en degré comme on parle, et non pas en espèce, dans le moyen plutôt que dans l'effet (2).» Il dit de même que Jésus-Christ nous est communiqué par la seule foi; mais pour expliquer les différons degrés è communion et y appliquer sa comparaison de la lumière, « compare la manière dont le baptême nous communique Jésus Christ à celle dont le soleil communique la vue des objets à son lever, la manière dont la parole nous communique le même Sauveur à celle dont les flambeaux communiquent les mêmes objets dans la nuit, et la manière de l'Eucharistie à celle dont le soleil communique les mêmes objets en plein midi (3). »

Que de belles paroles qui n'expliquent rien! Que de subtiles inventions qui ne touchent pas seulement la difficulté ! Pour dire un mot des comparaisons, il est aisé de comprendre qu'une faible lumière ne découvre pas toutes les parties d'un objet, de sorte qu'elle ne le fait voir qu'en partie et confusément : beaucoup d'endroits d'où la lumière n'est pas renvoyée assez fortement notre vue lui échappent si bien, que l'entière découverte est réservée au plein jour. Mais y a-t-il, pour ainsi parler, quelque partie du mystère de Jésus-Christ que la prédication de l'Evangile laisse dans l'obscurité, et qu'elle ne découvre que confusément? Au contraire n'y voit-on pas la vérité tout entière Pourquoi donc comparer la prédication à des flambeaux qui éclairent pendant la nuit? Sa lumière ne dissipe-t-elle pas toutes nos ténèbres, et ne fait-elle pas le plein jour dans nos esprits, autant

 

1 Anon., p. 230. — 2 Ibid.. 231. — 3 Ibid. p. 235.

 

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que le permet l'état de cette vie? Il est certain du moins que le baptême, ni l'Eucharistie ne nous découvrent rien de nouveau en Jésus-Christ, et que c'est au contraire la prédication qui nous instruit de l'utilité de l'un et de l'autre.

Laissons les comparaisons de l'auteur, qui ne sont point à propos ; venons au fond de son raisonnement. Les sacrements, dit-il, confirment la foi et l'excitent plus vivement, parce qu'ils joignent à la parole un signe visible : de sorte qu'ils prennent l’esprit par la vue et par l'ouïe tout ensemble, au lieu que la prédation n'attache que l'ouïe toute seule. Est-ce donc là l'effet particulier qu'on veut donner à l'Eucharistie? On en pourrait dire autant d'un tableau, car il attache la vue : et c'est trop mal expliquer le particulier du mystère de l'Eucharistie, que de ne lui donner aucun avantage qui ne lui soit commun avec une belle peinture. Je sais qu'on nous répondra que ce signe est plus efficace que tous les autres que les hommes peuvent inventer, parce qu'il est institué par Jésus-Christ même pour exciter notre foi. Mais certes cette institution ne nous prend pas par les yeux. Elle ne saisit que l'ouïe, et nous ne la savons que par la parole. Ainsi on ne donne rien de particulier à l'Eucharistie par cette réponse. C'est néanmoins ce qu'on cherche. Et quand on lui aurait donné par ce moyen quelque avantage sur la parole ou sur les images ordinaires, toujours n'aurait-elle rien qui l'élevât au-dessus du baptême. Ce sacrement nous prend par les yeux et par l'ouïe, aussi bien que l'Eucharistie; et il est également institué par Jésus-Christ pour exciter notre foi.

Disons les choses comme elles sont : selon la doctrine catholique, l'Eucharistie surpasse infiniment le baptême, puisqu'elle contient la personne même de Jésus-Christ, dont le baptême nous Communique seulement les dons. Mais certainement, selon la doctrine des prétendus réformés, on ne peut imaginer aucun avantage dans le sacrement de la Cène. Un de ces signes n'a rien plus que l'autre, suivant leurs principes. La Cène, disent-ils, nous figure le corps de Jésus-Christ rompu, et son sang répandu pour nous. Mais de savent-ils pas aussi que l'eau qu'on nous jette sur la tête, qui représente l'ancienne immersion de tout le corps dans

 

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l'eau du baptême, nous figure, selon l'Apôtre, que nous sommes morts et ensevelis avec Jésus-Christ, pour sortir de ce tombeau mystique comme de nouvelles créatures que la grâce a ressuscitées? Si l'Eucharistie nous nourrit, le baptême nous donne la vie. Si l'Eucharistie représente d'une façon particulière notre union avec Jésus-Christ, le baptême nous représente que nous mourons avec lui pour ressusciter avec lui à une vie céleste et immortelle. En un mot, si on ôte à l'Eucharistie, comme font les protestants, la présence réelle de Jésus-Christ, on ne lui laine aucun avantage; et le baptême l'égalera, s'il ne l'emporte sur elle. Aussi l'auteur de la Réponse a-t-il trouvé un autre expédient pour conserver à l'Eucharistie l'avantage que lui a donné son Catéchisme. Il désespère de lui trouver aucune prérogative, en la comparant avec la parole ou avec le baptême, suivant ce qu'elle a de propre ; il assure que ce n'est pas là l'intention de son Catéchisme; mais de considérer « l'Eucharistie comme ajoutée à la parole et au baptême (1). » Tellement que ce merveilleux avantage que donne son Catéchisme à la Cène, c'est que la foi est plus excitée par l'Eucharistie, jointe au baptême et à la parole, qu'elle ne serait par ces deux choses détachées de l'Eucharistie. C'est à quoi aboutissent enfin ces grandes expressions, que Jésus-Christ est donné pleinement dans l'Eucharistie, au lieu que dans le baptême et dans la parole il n'est donné qu'en partie. Ce n'est pas que l'Eucharistie ait cet avantage d'elle-même; mais c'est que jointe aux deux autres, elle fait plus sur l'esprit, que les deux autres ne feraient séparément d'avec elle. L'auteur croit-il expliquer par là ce que la Cène a de propre? Et qui ne voit au contraire qu'il ne lui donne aucun avantage, sinon qu'elle est donnée la dernière? Mais l'esprit du christianisme nous donne d'autres idées. Tous les chrétiens entendent que l'Eucharistie est donnée après l'instruction et après le baptême comme la consommation de tous les mystères, à laquelle ce qui précède doit servir de préparation. Il y a donc dans l'Eucharistie et dans ce qu'elle a de particulier, quelque chose de plus excellent que dans le baptême. Les prétendus réformés ont bien vu qu'il fallait sauver dans

 

1 Anon., p. 255.

 

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l’esprit des chrétiens cette prérogative de l'Eucharistie, et contenter les idées que l'esprit même de la religion chrétienne leur donne d'un si grand mystère. Si l'Eucharistie n'avait que des signes qui excitassent notre foi et qui nous attachassent par les yeux, comme dit l'auteur, le baptême n'aurait rien de moins. Il a donc fallu nécessairement lui donner quelque avantage du côté de la chose même, et faire voir que si elle confirme plus amplement notre foi, selon les termes du Catéchisme, c'est à cause que Jésus-Christ nous y est donné pleinement, au lieu que partout ailleurs il n'est donné qu'en partie. Au reste je n'entreprends pas de prouver que cette expression soit raisonnable, ni qu'elle mette dans l'esprit des prétendus réformés une idée solide du mystère, ni qu'elle convienne au reste de leur doctrine. Car je prétends au contraire que leur doctrine se dément elle-même et qu'ils tombent dans cet égarement, parce qu'ils sentent, malgré qu'ils en aient, l'impression d'une vérité qu'ils ne veulent pas reconnaître dans tonte son étendue. La chose est maintenant toute manifeste, et il ne but, pour l'apercevoir, que conférer les paroles du Catéchisme me les explications de l'Anonyme.

Il confesse que Jésus-Christ n'est pas communiqué plus réellement ni plus abondamment dans l'Eucharistie que dans la prédication et dans le baptême. Il doit parler ainsi selon ses principes. Car il soutient que dans ces trois actions, il nous est également donné en la propre substance de son corps. Les dons de Jésus-Christ peuvent être plus ou moins communiqués; mais il n'y a plus ni moins dans la communication de la substance ; et il a raison d'assurer que c'est toujours Jésus-Christ qui est donné tout entier, et dans la Cène et hors de la Cène. Il parle donc en cela correctement ; mais en même temps il fait paraître que son Catéchisme amuse le monde par de grandes expressions, qui n'ont point de sens. Car pourquoi dire que Jésus-Christ n'est reçu qu'en partie hors de la Cène, si on est contraint de dire d'ailleurs qu’il y est reçu tout entier? Et pourquoi attribuer à l'Eucharistie cette pleine réception de Jésus-Christ, qui est commune à tous les actes de la religion chrétienne? S'ils avaient dit que l'Eucharistie est un nouveau signe de la même chose, ils auraient parlé conséquemment;

 

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mais quand ils lui donnent en paroles du côté de las chose même un avantage qu'il n'est pas possible de soutenir en effet, ils se combattent eux-mêmes, et montrent qu'il y a quelques vérité qu'on n'ose tout à fait nier, quoiqu'on refuse de l'embrassent; dans toutes ses suites.

Ainsi le raisonnement que l'Anonyme avait appelé un sophisme et un argument captieux (1), devient invincible ; il n'a pu trouves aucun sens selon lequel la réception du corps de Notre-Seigneur fût particulière à l'Eucharistie; et bien loin de nous faire entendre ce que son Catéchisme avait proposé pour expliquer cette vérité non-seulement il l'obscurcit, mais il le détruit tout à fait.

 

VII. — Troisième vérité que les prétendus réformés confessent et qu'ils ne peuvent expliquer selon leurs principes : savoir que l'Eucharistie est instituée pour nous assurer que nous avons part au sacrifice de notre rédemption. Vaines réponses de l'Anonyme.

 

Venons à une troisième vérité que les prétendus réformés confessent, et qu'ils ne peuvent toutefois expliquer selon leurs principes. Je l'ai fait voir dans l’Exposition, et l'Anonyme ne fait qu'envelopper la matière. Il m'accuse de faire des sophismes, et de changer les termes des propositions contre les règles du raisonnement, pour tirer des conséquences trompeuses. Peu de personnes entendent ce que c'est en dialectique, que de changer les termes des propositions : ainsi je veux tâcher d'éviter ces subtilités peu nécessaires. Comme l'auteur a marqué les termes dont il veut que je me serve pour « raisonner droit et intelligiblement, » je veux bien le contenter en cela, autant qu'il sera possible; et il ne tiendra jamais à moi qu'on ne se serve des mots les plus propres et les plus intelligibles. Il se fâche de ce que je dis quelquefois participation au lieu d'avoir part ; réception du corps de Jésus-Christ au lieu de dire qu’il nous est donné; je n'entends point la finesse de ces changements de mots, et je les ai pris simplement les uns pour les autres. Il ne veut pas que je dise que le corps de Notre-Seigneur nous est donné pour nous être un gage que nous avons part à son sacrifice. Il faut dire, pour le

 

1 Annon., p. 229.

 

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contenter, qu'il nous est donné pour « nous assurer que nous avons part à son sacrifice (1). » J’avais cru que ces expressions n’avaient l’une et l'autre que le même sens; et ces mêmes distinctions que forme ici l'Anonyme entre des termes équivalents font voir, si je ne me trompe, ou qu'il veut embrouiller les choses, ou plutôt qu'il ne les a pu entendre lui-même. Ne lui en imputons rien, ce n'est pas sa foute ; c'est qu'elles sont en effet inintelligibles, c'est que la doctrine de ses églises se détruit et se confond elle-même. C’est en vain qu'il veut rejeter les embarras de sa doctrine sur des mots qui lui font peur. La difficulté est dans le fond. Qu'ainsi ne soit, ne disputons point des mots avec lui : donnons-lui ce qu'il nous demande. Il va voir que le raisonnement de l’Exposition l'en perdra rien de sa force, et voici comme je le forme pour éviter tous les embarras.

Je pose pour fondement cette vérité, que le propre corps de Jésus-Christ nous est donné dans l'Eucharistie pour nous assurer que nous avons part à son sacrifice, c'est-à-dire pour nous assurer non-seulement que c'est pour nous qu'il est offert, mais que le fruit nous en appartient, si nous y apportons d'ailleurs les disposons nécessaires. Je l'ai établi solidement dans l’Exposition; je l'ai soutenu dans cette réponse et j'ai fait voir clairement que selon la loi des sacrifices, on mangeait la victime en témoignage qu'on avait part à l'immolation. Mais il n'est pas ici question de rappeler les preuves que j'ai apportées; il suffit de remarquer que la vérité que je pose pour fondement, est avouée par les prétendus réformés aux mêmes termes que je viens de la proposer. En effet l'auteur reconnaît « que Jésus-Christ ne nous donne pas dans la Cène un symbole seulement, mais son propre corps, pour nous assurer que nous avons part à son sacrifice (2) » Il convient que c'est la doctrine de son Catéchisme, et il avoue « que jusque-là j'en conserve le sens et les expressions fort exactement. » Je n'en veux pas davantage ; et je lui demande maintenant s'il peut révoquer en doute cette autre proposition que ce qui nous est donné pour nous assurer de quelque chose, est différent de la chose pour l'assurance de laquelle il nous est donné. La parole et les

 

1 Anon., p. 242-245. — 2 Anon., p. 241.

 

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promesses de Dieu, et la venue de son Fils nous assurent que nous avons part à ses bonnes grâces. Aussi est-ce autre ci d'avoir part à ses bonnes grâces, autre chose d'en être assurés par tous ces moyens. Dieu livre son Fils unique à la mort, pour non assurer que nous avons part à toutes ses grâces. C'est donc autre chose qu'il nous l'ait donné pour être notre victime, et autre chose que ses grâces nous soient communiquées par cette mort. Le Saint-Esprit qui est en nous, nous inspire la confiance d'appeler Dieu notre Père, il nous assure que nous avons part à ses biens et qu'ils sont notre véritable héritage : c'est donc autre chose d'avoir en nous le Saint-Esprit, et autre chose d'avoir part à l'héritage céleste. La part que nous avons aux souffrances de Jésus-Christ nous assure que nous avons part à sa résurrection : c'est donc autre chose d'avoir part à sa résurrection que d'avoir part à ses souffrances. Ces choses, à la vérité, se suivent et s'accompagnent; mais elles diffèrent toutefois, puisque l'une nous assure l'autre. Ainsi nous convenons tous, catholiques et protestants, que non-seulement les sacrés symboles, mais encore le propre corps de Notre-Seigneur nous est donné pour nous assurer que nous avons part à son sacrifice : c'est donc autre chose que nous ayons part à ce divin sacrifice, autre chose que les symboles et même que le corps de Jésus-Christ nous soit donné.

Puisque cette vérité doit être commune tant aux prétendus réformés qu'aux catholiques, il faut que les uns et les autres la puissent faire cadrer avec leurs principes. Les catholiques le font aisément. Ils ont part au sacrifice de Jésus-Christ, et parce que Jésus-Christ l'a offert pour eux, et parce qu'ils s'unissent à son intention par la foi, et parce que Dieu par son esprit leur applique la vertu de ce sacrifice, et parce qu'ils s'y unissent et se disposent par la foi à en recevoir la vertu. Mais outre tout ce qui se fait pour leur donner part à ce sacrifice, il se fait quelque chose encore qui les assure que Jésus-Christ l'a offert pour eux et que fruit leur en appartient : c'est que Jésus-Christ leur donne à sa sainte table son corps réellement présent, qu'ils prennent avec les sacrés symboles par une action distinguée de toutes les autres que nous avons dites : et ce don que Jésus-Christ leur fait de son corps

 

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leur assure la part qu'ils ont à sa mort, parce que selon la loi des sacrifices, quiconque mange la victime est assuré par cette action qu'il a part à l'oblation qu'on en a faite, pourvu qu'il y apporte d'ailleurs les dispositions nécessaires. Voilà une doctrine suivie; ou y voit deux actions marquées nettement, par l'une desquelles le chrétien reçoit le corps de son Sauveur, comme par l'autre il reçoit les grâces qu'il lui a méritées par son sacrifice, et on voit qu'une de ces choses lui assure l'autre. Voyons si nos réformés parleront aussi nettement et s'ils pourront distinguer deux actions, dont l'une nous donne le corps du Sauveur, et l'autre nous fasse entrer en société de son sacrifice.

Il est certain qu'à cette demande, ils commencent de s'embrouiller et de ne plus rien dire d'intelligible.

L'auteur premièrement trouve mauvais que je parle d'action. Car il assure c qu'avoir part au fruit de la mort de Jésus-Christ, n'est pas proprement ici une action; ce n'est proprement, dit-il, qu'un droit acquis (1). » Que ce soit un droit acquis, je le veux; toujours faut-il nous marquer par quelle action nous entrons en possession de ce droit. Et s'il est vrai que Jésus-Christ nous est donné précisément par le même acte par lequel nous avons part à son sacrifice, c'est en vain qu'on nous parle d'une de ces choses comme devant servir d'assurance à l'autre. Qu'ainsi ne soit, je demande à l'auteur de la Réponse qu'il nous explique, selon sa croyance, ce que c'est que de recevoir le corps de Notre-Seigneur, et ce que c'est que d'avoir part à son sacrifice. Il nous répondra sans doute que selon la foi de ses églises, recevoir le corps de Jésus-Christ, c'est croire en lui et lui être uni intérieurement par le Saint-Esprit : mais cela même précisément, c'est avoir part à son sacrifice. Il ne se fait rien de la part de Dieu, ni de notre part pour nous donner part au sacrifice de Jésus-Christ, que ce qui se fait de l'une et de l'autre part pour nous unir à Jésus-Christ par la foi. De sorte qu'une de ces choses ne peut servir d'assurance à l'autre, puisqu'elles n'emportent que la même idée et n'opèrent que le même effet.

Je sais que ces Messieurs s'efforcent de distinguer le don que

 

1 Anon., p. 245.

 

244

 

Jésus-Christ nous fait de lui-même d'avec celui qu'il nous fait de ses grâces. Ils enseignent dans leur Catéchisme, lorsqu'ils y parlent de la Cène, « qu'il nous faut communiquer vraiment au corps et au sang du Seigneur ; » et ils en rendent cette raison, « qu'il faut que nous le possédions, vu que ses biens ne sont nôtres, sinon que premièrement il se donne à nous (1). » Ils ajoutent « qu'il faut que nous le recevions pour sentir en nous le fruit de sa mort, » et que cette réception se fait par la foi. Ils disent dans le même sens, dans la manière de célébrer la Cène, « qu'en se donnant à nous il nous rend témoignage que tout ce qu'il a est nôtre. » Tous ces lieux ont rapport à celui que nous traitons ; et on voit qu'ils veulent établir quelque distinction entre la réception de Jésus-Christ, et la réception de ses grâces ou de l'effet de sa mort. Mais toutefois s'il est vrai, comme il est vrai selon eux, qu'il n'y ait point d'autre union avec Jésus-Christ que celle qui se fait en nos âmes spirituellement par la foi, il n'y a aucun lieu de distinguer la réception de Jésus-Christ d'avec la réception de ses grâces. L'une et l'autre se fait en nous par la même foi et par la même opération du Saint-Esprit. Ainsi dès là que Jésus-Christ nous donne par la foi son corps et son sang, dès là précisément, sans rien ajouter, nous avons part à toutes les grâces et à tout le fruit de son sacrifice; et comme il n'y a aucun fondement Se mettre de la distinction entre ces deux choses, c'est une pure illusion de dire que l'une nous assure l'autre.

 

VIII. — Double acte de foi que les prétendus réformés imaginent dans participation à l'Eucharistie. Distinction chimérique et insoutenable.

 

Ainsi quand les prétendus réformés distinguent ces choses, ils me permettront de le dire, ils ne s'entendent pas eux-mêmes, il ne faut pour s'en convaincre que considérer toutes les idées que l'auteur nous donne de sa croyance.

On le verra s'élever contre moi par ces paroles : « Comme M. de Condom peut-il dire que nul homme ne puisse concevoir aucune différence entre participer par foi au corps du Seigneur et participer par foi au fruit de sa mort? Car le corps du Seigneur

 

1 Dim. 51.

 

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et le fruit de sa mort sont évidemment deux choses différentes ; et il n'y a personne qui ne conçoive aisément qu'il y a grande différence entre participer à l’une et participer à l'autre, soit que cela se fasse par un seul et même acte de foi, ou par deux (1).»

Il est vrai que le corps du Seigneur et le fruit de sa mort sont deux choses différentes : mais s'il est vrai que nous ne recevions le corps du Seigneur qu'en tant précisément que nous participons au fruit de sa mort, c'est en vain que l'auteur veut mettre une si grande différence entre recevoir l'un et recevoir l'autre.

Le soleil dont les prétendus réformés, et l'auteur lui-même, se servent ordinairement pour nous expliquer notre communion avec Jésus-Christ dans l'Eucharistie, le soleil, dis-je, diffère très-certainement d'avec ses rayons ; toutefois c'est la même chose à notre égard qu'il se communique lui-même ou qu'il communique ses rayons, parce que ce n'est que par ses rayons qu'il se communique.

Que les prétendus réformés nous montrent, selon leurs principes, que ce soit autre chose à notre égard de recevoir le corps fa Sauveur que de recevoir le fruit de sa mort et le don de ses grâces, je confesserai alors qu'il y a grande différence entre ces deux choses. Mais si au contraire, selon la doctrine des prétendus réformés, celui qui reçoit le fruit de la mort de Notre-Seigneur et la communication de ses grâces, n'a rien davantage à attendre de la part de Jésus-Christ, ni rien à faire de la sienne pour recevoir le corps du Fils de Dieu : qu'y aura-t-il jamais de plus vain que cette subtilité qui veut nous faire trouver une si grande différence entre l'un et l'autre.

Aussi l'auteur avoue-t-il que « l'un et l'autre se fait ou se peut faire par un seul et même acte de foi (2) ; » de même, avait-il dit un peu au-dessus (3), qu'on a l'héritage même et les fruits par un seul et même contrat?

Mais il ne s'aperçoit pas que son exemple fait contre lui; car c'est autre chose en effet d'avoir la propriété d'un héritage que d'en rendre les fruits siens. Ces deux choses sont différentes et ont des effets divers : on peut les séparer actuellement, et vendre

 

1 Anon., p. 250. — 2 Ibid. p. 248. — 3 Ibid. p. 247.

 

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la propriété en se réservant les fruits; si bien que chacun de ces droits est expliqué par sa clause particulière.

Mais qu'est-ce que recevoir le corps de Notre-Seigneur par la foi, si ce n'est recevoir par la foi le fruit de sa mort? Et l'Anonyme lui-même peut-il concevoir un de ces effets sans l'autre, quoiqu'il lui plaise de mettre une si grande différence entre les deux?

Mais « pourquoi, dit-il, ne peut-on pas mettre deux divers actes de foi, si l'on veut les concevoir séparément, par l'un desquels nous nous unissons à Jésus-Christ même et par l'autre au fruit de sa mort, sans qu'il faille imaginer pour cela deux différentes communions, l'une spirituelle par la foi, et l'autre par la bouche du corps ou réelle, comme parle M. de Condom (1)? »

C'est le dernier effort que peuvent faire les prétendus réformés, pour démêler la confusion de leur doctrine. Mais c'est en vain que leur auteur leur adresse un modèle de ces deux actes de foi. Car il n'est pas question de faire ici des distinctions par l'esprit et par la pensée. Cet acte de foi que vous faites pour vous unir au corps « suffit, » comme vous le dites vous-même, « pour faire que vous ayez part au fruit de sa mort. » Celui que vous faites en regardant directement le fruit de la mort, suffit pour vous unir réellement au corps selon vos principes, et vous avouez expressément que dans l'un et dans l'autre de ces actes vous avez une communication réelle, mais spirituelle avec le Sauveur. Tant il est vrai que la distinction que vous voulez vous figurer entre ces choses est imaginaire, et qu'en effet c'est la même chose, selon vous, de recevoir le corps de Notre-Seigneur et de participer au fruit de sa mort.

Vous êtes contraint néanmoins de les distinguer, lorsque vous dites que le premier vous certifie l'autre. Vous distinguez clairement dans l'Eucharistie la chose qui vous est certifiée dans l'Eucharistie, et celle qui vous la certifie. La chose certifiée, c'est que vous avez part au fruit de la mort de Notre-Seigneur. Parmi les choses qui certifient que vous avez part à ce fruit, vous mettez premièrement le don que Jésus-Christ vous fait des symboles, et secondement le don qu'il vous fait de son propre corps : tellement

 

1 Anon., p. 248.

 

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que le don de son corps doit être distingué du fruit reçu, aussi bien que le don des sacrés symboles.

Certainement c'est autre chose que les symboles nous soient donnés, autre chose que nous ayons part au fruit de la mort de Notre-Seigneur ; et ce devrait être aussi autre chose que le propre corps nous fût donné, que d'avoir part au fruit de cette mort. Et toutefois, selon vous, tout se fait ensemble et par le même acte : il n'y a rien de différent entre ces deux choses, ni du côté de Dieu soi du nôtre. Ainsi ces deux choses, qui devraient être distinguées selon vos principes, selon ces mêmes principes ne le peuvent être; tellement que ces principes sont contradictoires.

Il appartient aux catholiques de distinguer clairement ces choses, et de montrer que l'une nous assure l'autre. Les catholiques peuvent dire que Jésus-Christ venant à nous en personne, nous assure de la possession de ses dons, parce qu'ils reconnaissent une présence personnelle de Jésus-Christ en nous-mêmes, distincte de tous les dons que nous recevons par sa grâce. Les catholiques peuvent dire que la réception de notre victime nous assure que nous avons part au fruit de son sacrifice, parce que c'est autre chose, selon eux, de recevoir la victime que de recevoir le fruit de son oblation. Ainsi il n'y a que les catholiques qui se puissent glorifier de distinguer nettement toutes les vérités chrétiennes sans en confondre les idées, et en même temps d'expliquer le merveilleux enchaînement par lequel elles se soutiennent les unes les autres.

Ce que disent les prétendus réformés pour faire le même effet, n'est qu'une imparfaite imitation de la doctrine catholique; imitation qui fait voir la nécessité absolue de se ranger à nos sentiments, puisque les choses qu'ils sont obligés d'enseigner eux-mêmes n'ont leur suite naturelle, ni leur vérité, que dans la croyance que nous professons.

Ceux qui, après avoir lu les derniers chapitres de cette réponse, reliront le douzième article de l’Exposition, y trouveront assurément une instruction très-utile. Du moins ils pourront aisément juger s'il est plein, comme dit l'auteur, « de sophismes et de raisonnements forcés, dont la contrainte seule marque que la vérité

 

248

 

n'y soit pas, non plus que la nature (1) ; » ou s'il n'est pas vrai, an contraire, que cet article contient des vérités si certaines et si évidentes , qu'on ne peut les attaquer que par des raisons qui se détruisent elles-mêmes.

 

IX. — La présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, étant éclairais, le reste de la doctrine sur cette matière n'a plus de difficulté. Transsubstantiation. Aveux et contradictions des prétendus réformés.

 

Après avoir facilité aux prétendus réformés la croyance de la présence réelle, en leur montrant si clairement les absurdités de ce qu'ils nient et les conséquences de ce qu'ils avouent, le reste de la doctrine de l'Eucharistie n'a plus de difficulté, puisque ce n'est qu'une suite de la réalité bien entendue.

Par exemple, l'article de la transsubstantiation ne doit plus être une question entre eux et nous, puisqu'ils nous accordent eux-mêmes que, pour raisonner conséquemment, il faut mettre ou la figure avec eux, ou le changement de substance avec nous.

L'auteur a beaucoup de peine à reconnaître franchement l'aveu que les siens ont fait d'une vérité si constante. Voici comment il en parle : « Quelques-uns des nôtres peuvent avoir dit que s'il fallait croire la réalité de la présence, il semblait y avoir plus de raison, suivant les spéculations de l'Ecole, à croire que cette présence se faisait par voie de changement d'une substance en une autre que par la voie de l'impanation, ou de la coexistence des deux substances (2). » Que de peine à faire un aveu sincère, et que de vains adoucissements dans cet aveu : Quelques-uns peuvent avoir dit.... qu'il semblait y avoir plus de raison suivant les spéculations de l’Ecole ! Que n'avouait-il franchement que c'était Bèze, et les principaux de son parti qui l'a voient ainsi enseigné en termes très-clairs? En effet quoiqu'ils trouvent de grands inconvénients dans la doctrine des catholiques, ils reconnaissent toutefois qu'elle se suit mieux que la. doctrine des luthériens, et même qu'elle est plus conforme « à la manière de parler de Notre-Seigneur (3).» Ce qui est sans doute le plus grand avantage qu'on puisse nous accorder. Que si les prétendus réformés

 

1 Anon., p. 240. — 2 Ibid. p. 360. — 3 Bèze, Conf. de Montb.

 

 

249

 

ne veulent pas écouter ce qu'ont dit les particuliers de leur communion, qui leur apprennent cette vérité, qu'ils écoutent du moins un de leurs synodes qui l'a décidée. C'est le synode de Czenger, tenu en Pologne par leurs frères zuingliens (1), synode si authentique et si autorisé, que ceux de Genève l'ont mis parmi les Confessions de foi qu'ils ont ramassées comme un synode approuvé : de sorte qu'il n'y a rien de plus authentique. Ce synode, dans l'article de la Cène, appelle la transsubstantiation une rêverie papistique. Mais en même temps il décide que « comme la baguette de Moïse n'a pas été serpent sans transsubstantiation, et que l'eau n'a pas été sang en Egypte, ni vin dans les noces de Cana sans changement : ainsi le pain de la Cène ne peut être réellement, substantiellement et corporellement le corps de Christ, ni être pris par la bouche corporelle, s'il n'est changé en la chair de Christ, ayant perdu la forme et la substance de pain. » Il constat que la doctrine des luthériens, qu'il appelle de grossiers mangeurs de chair humaine, qui assure qu'on peut recevoir le corps de Jésus-Christ par la bouche du corps sans ce changement, est une rêverie contraire à la règle de la foi et de la nature.

On voit que ce synode des prétendus réformés ne se fonde pas «or des spéculations de métaphysique, mais sur l'exemple des Ecritures, pour préférer la transsubstantiation catholique à la consubstantiation luthérienne. Qu'y a-t-il après cela de plus Mble que le raisonnement de l'auteur, qui conclut que le changement de substance n'est pas une suite du sens littéral de ce que les luthériens, qui font profession de s'y attacher, ne laissent pas denier le changement de substance (2)? Ne devait-il pas penser qu’on reproche justement aux luthériens de n'entendre pas en cela le sens littéral qu'ils veulent défendre ; et que ce ne sont pas seulement les catholiques, mais les plus graves auteurs de sa communion, et même un synode entier qui les en accuse ? La raison de ce synode est convaincante, et les exemples qu'il apporte sont tout à fait justes. En effet le pain, en demeurant pain, ne peut non plus être le corps de Notre-Seigneur que la baguette

 

 

1 1570. — 2 Anon., p. 261.

 

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en demeurant baguette peut être un serpent, ou que l'eau demeurant eau peut être du sang en Egypte, et du vin dans las noces de Cana. Si donc ce qui était pain devient le corps de Notre-Seigneur, ou il le devient en figure par un changement mystique, selon la doctrine des calvinistes, ou il le devient en effet par un changement réel, comme disent les catholiques. Car nous sommes d'accord les uns et les autres qu'il faut nécessairement qu'il arrive quelque changement dans le pain, puisqu'au moment que Jésus-Christ a parlé, on commence à pouvoir dire : Ceci ait le corps du Seigneur, et qu'on ne pouvait le dire auparavant Or ou ne peut concevoir ici que deux sortes de changement : ou un changement moral et figuré, tel que celui que nous avouons tous dans l'eau du baptême, lorsque de simple eau naturelle elle est faite un signe de grâce; ou un changement réel et substantiel, tel que celui que nous croyons dans les noces de Cana, lorsque l'eau fut faite vin selon l'expression de saint Jean. Que si l'on prouve par les paroles de l'institution, que le pain n'est pas changé simplement, comme l'eau quand elle devient un signe de grâce : on sera forcé d'avouer qu'il est changé réellement, comme l'eau quand elle est devenue vin. Et il n'y a point de milieu entre ces deux sentiments. Quiconque donc est persuadé de la présence réelle par les paroles de l'institution, doit être nécessairement convaincu de ce changement de substance par la force des mêmes paroles qui lui ont persuadé la réalité, non par des subtilités de l'Ecole, comme l'auteur de la Réponse le veut faire croire.

Aussi Bèze reconnaît-il que des deux croyances, c'est-à-dire de la nôtre et de celle des luthériens, la nôtre « s'éloigne le moins des paroles de l'institution de la Cène, si on les veut exposer de mot à mot. » C'est-à-dire que si on se départ du sens figuré que posent les calvinistes, si on reçoit le sens littéral qu'admettent les luthériens, il faut donner gain de cause aux catholiques: de sorte que le changement que nous confessons suit précisément du sens littéral, et ne peut être éludé qu'en recourant au sens mystique; ce que Bèze établit par cette raison, que « les transsubstantiateurs disent que par la vertu de ces paroles divines prononcées, ce qui auparavant était pain ayant changé de substance, devient incontinent

 

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le corps même de Christ, afin qu'en cette sorte cette proposition puisse être véritable : Ceci est mon corps. Au contraire l'exposition des consubstantiateurs disant que ces mots : Ceci est mon corps, signifient : Mon corps est essentiellement dedans, avec, ou sous ce pain, ne déclare pas ce que le pain est devenu, et ce que c'est qui est le corps, mais seulement où il est. » Je n'ai que faire de rapporter une seconde raison de Bèze, qui dépend an peu de la logique. Celle-ci est simple et intelligible ; et il est lise de la faire entrer dans l'esprit de tout le monde : car il est certain que Jésus-Christ ayant pris du pain pour en faire quelque chose, il a dû nous déclarer et nous expliquer ce qu'il avait eu dessein d'en faire. Or il est sans doute qu'il en a voulu faire son corps, en quelque façon qu'on le puisse entendre ; puisqu'il a dit : «Ceci est mon corps; » et il n'est pas moins évident que ce pain fera devenu ce que le Tout-Puissant aura voulu faire. Or ces paroles font voir qu'il en a voulu faire son corps, de quelque matière qu'on le puisse entendre. Si donc ce pain n'est pas devenu un corps en figure seulement, il l'est devenu en effet; et on ne Peut se défendre d'admettre nécessairement, ou le changement figure, ou le changement en substance. Ainsi les luthériens étant persuadés avec nous que le changement en figure est une fusion qui détruit la vérité du mystère, devraient être tout à fait des nôtres, s'ils avaient bien compris leur propre doctrine. Bèze a raison de leur reprocher qu'ils expliquent à la vérité « où est le corps du Seigneur, » mais non « ce que c'est qui est le corps du Seigneur; » au lieu qu'on voit clairement par ces paroles du Fils Dieu : « Ceci est mon corps, » qu'il a voulu nous montrer, non point simplement le lieu où il était, mais qu'est-ce que c'était qu’il avait voulu faire son corps.

Ainsi quiconque est persuadé que Jésus-Christ voulant consommer la vérité de son sacrifice, nous a donné son corps en substance, et non son corps en figure, quand il a dit : « Ceci est mon corps, » ne doit pas seulement penser que le corps de Jésus-Christ est dans le mystère, mais qu'il en est lui seul toute la substance. Car il a dit : « Ceci est mon corps, » et non : Mon corps est ici. Et de même que s'il avait dit, lorsqu'il a changé l'eau en

 

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vin : Ce qu'on va vous donner à boire, c'est du vin, il ne faudrait pas entendre qu'il aurait conservé ensemble et l'eau et le vin, mais qu'il aurait changé l'eau en vin : ainsi quand il prononce ! en termes précis que ce qu'il présente c'est son corps, il ne bit pas entendre qu'il mêle son corps avec le pain, mais seulement qu'il change le pain en son corps.

Qui ne voit donc sortir manifestement le changement de substance des paroles de Notre-Seigneur, supposé qu'on les prenne au sens littéral? Et qui ne voit par conséquent que la question de la transsubstantiation ne fait plus une difficulté particulière, puisque quiconque admet la réalité par la force du sens littéral, admet aussi nécessairement le changement de substance? Enfin ce changement de substance, que tiennent les catholiques, est aussi naturel au sens littéral, que le changement mystique des prétendus réformés est naturel au sens figuré ; et il n'y a à disputer entre nous que de la lettre ou de la figure.

Il résulte de toutes ces choses que nous avons trois avantages: le premier, de suivre en tout point le sens littéral ; le second, d'ailleurs , qu'on ne nous conteste pas que le sens littéral ne soit préférable, lorsqu'il ne contient rien de mauvais ; le troisième, que nos adversaires nous avouent de plus que dans la question dont il s'agit, le sens littéral n'a aucun venin. Et quoiqu'ils n'aient fait cet aveu qu'en faveur des luthériens, nous avons raison de prendre pour nous ce qui se dit en faveur de la doctrine qui nous est commune avec eux.

Que veut donc dire l'auteur quand il me reproche que je coûte si doucement sur la transsubstantiation ? Quand j'aurais eu dessein de traiter à fond la matière de l'Eucharistie, il aurait suffi de m'attacher à prouver a réalité ; puisque le bon sens fait voir, et que les prétendus réformés accordent eux-mêmes par des actes publics et authentiques, que la réalité étant établie, cette transubstantiation tant combattue n'a plus de difficulté.

Mais que veut-il dire encore une fois, lorsqu'il assure que «  je serais assez disposé à reconnaître seulement la réalité, laissant part ce grand mot de transsubstantiation?» Il pense répondre

 

1 Anon., p. 253. — 1 Ibid. p. 251.

 

253

 

par là au juste reproche que je lui fais, que ces grands mots de propre substance, dont se servent ceux de son parti, ne font que les embarrasser ; et qu'ils les retrancheraient volontiers, s'ils se voyaient en état de soutenir leur doctrine dans toutes ses suites. Je parle ainsi, parce qu'en effet je fais voir que leur doctrine est contradictoire. Peut-il soutenir de même que la nôtre se démente, ou que la réalité détruise le changement de substance après que mes principaux docteurs, et même un de ses synodes assure au contraire qu'elle l'établit?

Pourquoi donc oser soutenir que la transsubstantiation nous embarrasse? Mais c'est qu'il a entrepris de nous faire un reproche semblable à celui qui lui avait été fait dans l’Exposition, et qu'il ne s'est pas mis en peine si nous lui eu avons donné le même sujet.

Concluons donc sans hésiter que, supposé qu'on croie que Jésus-Christ soit présent, il faut dire qu'il est présent par changement de substance, puisque la même puissance divine qui fit que les Egyptiens trouvèrent autrefois dans le Nil du sang au lieu d'eau, et qu'au lieu d'eau les conviés de Cana trouvèrent du vin dans les cruches, fait maintenant tous les jours que nous trouvons dans l'Eucharistie, au lieu du pain et du vin, le corps et le sang de Notre-Seigneur : mais voyons les autres suites de notre doctrine.

 

X. — Chicanes de l'Anonyme sur l’Exposition : dessein de cet ouvrage.

 

J'avais dit dans l’Exposition que « la vérité que contient l'Eucharistie dans ce qu'elle a d'intérieur, n'empêche pas qu'elle ne soit un signe dans ce qu'elle a d'extérieur et de sensible; mais un signe de telle nature, que bien loin d'exclure la réalité, il l’emporte nécessairement avec soi, puisqu'en effet cette parole: Ceci est mon corps, prononcée sur la matière que Jésus-Christ a choisie, nous est un signe certain qu'il est présent (1). » On peut voir le reste dans l’Exposition : et on verra que la chose y est expliquée autant que le demandait le dessein de ce traité. Cependant l'auteur me répond « qu'on a peine à comprendre mon

 

1 Exposit., art. XIII.

 

254

 

raisonnement; » et il m'accuse « de donner le change, et de prouver la question parla chose qui est en question (1). »

C'est en vérité une étrange manière de raisonner que celle dont se sert cet auteur. Il ne veut pas qu'il soit permis de tirer les conséquences légitimes des fondements qu'on a établis; et aussitôt qu'on le fait, il dit « qu'on prouve la question par ce qui est en question, » comme si tout ce qui précède et tout ce qui serti preuve, était inutile.

Mon traité n'était pas fait pour entrer en preuve, et je m'en étais d'abord assez expliqué : et toutefois ayant aperçu que la doctrine de nos adversaires, telle qu'elle est exposée dans leur Catéchisme et dans leur Profession de foi, fournissait des preuves certaines de la présence réelle, je les avais proposées afin que mm adversaires pussent être amenés à la vérité par leurs principes s'ils n'avaient pas encore l'esprit ouvert à la simplicité des nôtres.

J'achève ce dessein dans le douzième article de l’Exposition; et j'avais préparé les choses dans le dix et dans le onze, comme je l'ai déjà remarqué ailleurs. Dans les articles suivants, je ne fais qu'exposer les suites de la présence réelle : et il m'accuse aussitôt de supposer ce qui est en question. Que veut-il donc que je fasse ? Veut-il que je recommence éternellement ce que j'ai dit une fois ou bien est-ce qu'il veut empêcher que je ne montre les suites à la doctrine que j'ai exposée?

S'il ne la pas entendue, je ne m'en étonne pas à voir la manière dont il l'a rapportée (2). Je perdrais trop de temps à montrer qu'er changeant mes termes, il obscurcit mes pensées. Il vaut mieux aller, s'il se peut, à la source de son erreur, et étendre un peu davantage ce que la brièveté du style de l’Exposition ne lui a peut-être pas assez découvert.

Qu'il se souvienne seulement qu'en cet endroit de la dispute, il ne s'agit pas d'établir la réalité, mais d'examiner seulement si les conséquences que j'en tire sont solides et naturelles.

Je dis donc que Jésus-Christ en nous donnant son corps et son sang invisiblement présents, nous a donné en même temps un objet sensible, lorsqu'il a dit : « Prenez et mangez, »

 

1 Anon., p. 263, 264. — 2 Ibid. p. 264.

 

255

 

Il eût été contre son dessein de se découvrir à nos yeux dans un mystère qu'il instituait pour exercer notre foi ; et l'état de cette vie ne permet pas que les merveilles qu'il opère pour notre salut soient aperçues de nos sens. Quand donc on supposerait avec nous qu'il change le pain en son propre corps, il faudrait reconnaître que ce changement ne devait pas être sensible, et par conséquent qu'à l'égard des sens il n'y aurait rien de changé.

«Quelle est cette raison, dit l'auteur, pour établir un dogme comme celui-ci (1) ? » Mais ne veut-il pas considérer, comme je l'ai déjà dit, que cet endroit du discours suppose le dogme déjà établi, et qu'il s'agit seulement d'en remarquer les suites, parmi lesquelles celle-ci est la plus certaine? Car il est certain qu'il ne convient pas à l'état de cette vie que Jésus-Christ se rende visible : de aorte que, quand on supposerait avec nous une présence réelle ou un changement réel dans l'Eucharistie, il faudrait supposer en même temps qu'il ne devait pas être sensible.

Ceux qui s'embarrassent à vouloir entendre comment Dieu peut accomplir ce qu'il lui plait, formeront des incidents tant qu'il leur plaira sur la possibilité de l'exécution de ce dessein. Mais pour nous, nous n'avons nulle peine à croire que Dieu puisse changer la substance, sans changer aucun des effets qui ont accoutumé da l'accompagner, ni les choses qui l'environnent.

Si on le suppose ainsi avec nous, on avouera aisément que nonobstant le changement du pain et du vin, les mêmes impressions se font sur nos sens et le même effet dans nos corps, Dieu suppléant la présence des substances mêmes par les voies qui lui sont connues. En un mot, il n'y a rien de changé dans l'état extérieur de l'objet ; ce que les Grecs appellent  ta phainomena et ce que nous pouvons appeler les espèces et les apparences, demeurent les mêmes : et comme les sens n'aperçoivent que cet état extérieur de l'objet, on peut dire qu'à leur égard il n'y a rien de changé.

C'est pourquoi nous assurons sans crainte que le témoignage précis que les sens nous rendent n'est point trompeur. Car il n'y a rien de changé que dans la substance, dont les sens ne nous

 

1 Anon., p. 256.

 

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apportent aucune idée. Ils ne sont juges que des impressions qui reçoivent et de l'état extérieur de l'objet, qui demeure toujours le même dans l'Eucharistie.

Mais faudrait-il conclure de là que la substance elle-même demeure toujours? Il le faudrait sans doute conclure, si Jésus-Christ n'avait point parlé. Car encore que la substance même des choses ne puisse être connue par les sens, il se forme sur leur rapport un jugement de l'esprit, qui fait que nous reconnaissons naturellement une certaine substance partout où nous ressentons certaines impressions, ou une certaine suite de faits naturels : et ce jugement doit être suivi, si ce n'est que quelque raison ou quelque autorité supérieure le corrige, si l'on n'est instruit du contraire par une lumière plus haute.

Ainsi, que l'Ecriture ne nous dise pas que cette colombe et hommes qui paraissent tels n'en ont que la forme, tant que apercevrai les mêmes effets qui accompagnent ordinairement objets, je les prendrai sans hésiter pour ces objets mêmes. Mais s'il plaît à Dieu de m'instruira de la vérité, je suspendrai le jugement qui suit naturellement les impressions de mes sens, et  je dirai que pour cette fois il faut juger autrement que nous : sommes portés par la pente naturelle de notre esprit. Nous agissons de même dans l'Eucharistie; et comme nous ressentons toujours les mêmes impressions, nous n'y croirions que du pain, si Jésus-Christ ne nous avait appris que c'est son corps.

 

XI. — Réponses aux objections des prétendus réformés, qui accusent les catholiques de détruire le témoignage des sens, et de faire Dieu trompeur.

 

Par là se voit clairement combien sont vaines ces objections que les prétendus réformés font tant valoir, et dont l'Anonyme paraît si embarrassé. Il nous accuse « de détruire le témoignage des sens (1), » que Dieu nous a donnés pour connaître les choses corporelles; et d'anéantir par ce moyen « la preuve dont Jésus-Christ s'est servi pour établir la vérité de son humanité et de sa résurrection (2). »

 

1 Anon., p. 178. — 2 Ibid. p. 258.

 

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Plusieurs passent jusqu'à reprocher à notre doctrine qu'elle fait Dieu trompeur, puisqu'il fait selon nous paraître à nos sens ce qui n'est pas en effet.

Quelle objection pour des chrétiens, qui ont lu dans les Ecritures que Dieu fit paraître les anges avec une forme humaine si parfaitement imitée, qu'Abraham et Lot leur préparent à manger comme à des hommes, les voyant en effet manger à leur table, sans jamais soupçonner ce qu'ils étaient, jusqu'à ce qu'ils se tassent découverts eux-mêmes ! Dira-t-on que Dieu les a déçus, lorsqu'il leur a fait paraître ce qui n'était pas, sans les en avoir avertis que longtemps après? Et combien nous trompe-t-il moins dans l'Eucharistie, puisqu'en changeant invisiblement le pain en son corps, il nous en instruit dès le moment même, en disant : « Ceci est mon corps? »

Il paraît donc clairement que nous ne sommes déçus en rien du tout : car il y a ici deux choses à considérer; il y a en premier lieu le rapport précis que font les sens à l'esprit : nous avons montré qu'il n'est point trompeur, parce qu'il n'y a rien de changé à l'égard des sens, et que tout le changement est dans la substance dont les sens n'ont aucune idée.

Il y a en second lieu le jugement de l'esprit, qui juge qu'une certaine substance est présente, lorsqu'il aperçoit par les sens un certain concours d'effets naturels. Quoique ce jugement ne puisse être proprement attribué aux sens, on le rapporte ordinairement au témoignage des sens, parce qu'il se fait immédiatement sur leur rapport. Il est vrai qu'à juger des choses par ces effets naturels, il faudrait croire que l'Eucharistie est encore en substance du pain et du vin; mais Jésus-Christ qui les change invisiblement, pour nous empêcher d'être déçus, nous enseigne expressément que c'est son corps.

En quoi donc sommes-nous trompés, puisque le changement qui se fait ne regarde pas les sens, et que l'esprit, qui seul se pourrait tromper, est instruit de la vérité par la foi ?

Mais les prétendus réformés veulent croire que si une fois ce qui a toutes les marques du pain n'est pas du pain en effet, tous les jugements que nous ferons touchant la substance des choses seront

 

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affaiblis, qu'il faudra toujours nous défier des objets qui se présentent et mettre en doute si nous voyons quelque chose de subsistant, ou seulement des espèces et des apparences sensibles. Quelle faiblesse de raisonnement, comme si nous devions toujours soupçonner, ou que la mer se va fendre, ou qu'une rivière va remonter à sa source, parce que nous savons par les Ecritures que Dieu a fait quelquefois de tels miracles ! Mais tâchons de découvrir plus à fond la source de leur erreur.

Il y a ici deux règles certaines : la première, que l'ordre de la nature ne peut être changé sans la volonté de Dieu ; la seconde, qui n'est qu'une suite de cette première vérité, que nous devons croire que les choses vont à l'ordinaire, si Dieu ne nous apprend qu'il les ait changées.

Comme donc la nature nous fait juger qu'il y a une certaine substance où nous voyons de certains effets et de certaines marques sensibles, ce jugement demeure toujours ferme, si ce n'est que Dieu le corrige en nous apprenant le contraire par une lumière plus haute. Mais c'est une erreur grossière et contraire à la puissance divine, que de conclure de là que Dieu ne puisse pas changer cet ordre, ou que toutes les fois qu'il fera un tel changement il soit obligé d'en découvrir le secret à nos sens. Par quelle loi s'est-il astreint lui-même aune telle nécessité? S'est-il ôté le pouvoir d'exercer notre foi par tous les moyens qu'il trouvera à propos? Pourquoi donc ne croirons-nous pas qu'il ait pu changer les substances, sans changer les apparences sensibles? Et s'il lui a plu de faire un tel changement, n'est-ce pas assez aux chrétiens qu'il daigne les en instruire par sa parole?

 

XII. — Comparaison entre la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, et ses apparitions après la résurrection. Raisons de la différence de sa conduite dans l'un et dans l'autre mystère.

 

Voici donc une vérité qui ne peut être ébranlée. Dieu peut changer les substances sans changer ce qui paraît au dehors, ni l'état extérieur de l'objet; mais nous ne devons croire qu'il le fasse ainsi, que lorsqu'il lui plaît de nous en instruire.

Tant que cette règle demeurera ferme, il n'y aura rien de plus

 

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vain que le reproche des prétendus réformés, qui assurent que notre doctrine affaiblit le témoignage que les apôtres ont rendu à la résurrection de Notre-Seigneur. Car lorsqu'il leur apparut avec toutes les marques de ce qu'il était, tant s'en faut qu'il intervint rien de la part de Dieu qui corrigeât le jugement que les hommes font naturellement quand ils aperçoivent de telles marques, qu'au contraire tout concourait à confirmer cette croyance. Jésus-Christ paraît en personne, montrant à ses bienheureux disciples, non-seulement tout ce qu'on voit ordinairement dans un corps humain, mais encore tous les caractères individuels qui leur pouvaient désigner en particulier le corps de leur Maître, et même les cicatrices de ses plaies. Quel autre que Dieu pouvait faire un miracle si surprenant? Mais pourquoi se fait ce miracle, si ce n'est pour leur confirmer que c'est en effet Jésus-Christ lui-même qui leur paraît et qui leur parle ? Car la parole se joint à l'objet extérieur ; celui qui se montre à eux les assure en même temps que c'est lui-même, et leur fait expressément remarquer qu'un esprit n'a point de chair ni d'os. Comment donc peut-on comparer ce qui se passe dans l'Eucharistie avec ce qui se passe dans l'apparition de Jésus-Christ ressuscité? Là en montrant ce qui paraît pain, il ne dit pas que ce soit du pain, mais il dit que c'est son corps. Ici en montrant ce qui paraît un corps humain, il dit que c'en est un en effet. Il confirme donc dans le second, que les choses sont en effet comme elles paraissent. Il nous oblige, dans le premier, à nous élever par la foi au-dessus des apparences sensibles. Nous devons le suivre en tout et ne croire pas moins sa parole, lorsqu'elle corrige ce que nous pensons naturellement que lorsqu'elle le confirme.

Et si les prétendus réformés nous demandent la raison pourquoi il a plu à Jésus-Christ d'agir si différemment dans l'Eucharistie et dans cette miraculeuse apparition, il nous sera aisé de les satisfaire : c'est qu'il plaisait à Dieu que le fondement de notre foi, c'est-à-dire la résurrection de son Fils fût attestée par les moyens que ses apôtres incrédules avaient demandés, et auxquels les hommes les plus infidèles ont accoutumé de se rendre. Mais le mystère sacré de la Cène, qui se donne aux chrétiens baptisés, suppose que la foi domine déjà. Il est institué pour

 

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l'exercer, et non pas pour l'établir. De sorte que le fondement deux conduites si différentes, qu'il a plu à Notre-Seigneur tenir dans ces deux mystères, c'est que dans l'un il veut la foi, et dans l'autre il voulait convaincre l'incrédulité.

 

XIII. — Conséquences des raisonnements précédons : ce que les de l'institution doivent opérer dans l'esprit des fidèles.

 

Il est maintenant aisé de comprendre ce que les paroles l'institution doivent opérer dans l'esprit des fidèles ; et je n'ai rien à ajouter à ce que j'en ai dit dans l'Exposition. Car premièrement il est certain que, puisqu'elles ne changent rien que dans la substance, tout l'extérieur a dû demeurer le même : et soit que l'on considère l'Eucharistie avant ou après la consécration, il y a un objet commun à l'un et à l'autre état, puisque nos sens trouvent dans l'un et dans l'autre les mêmes espèces sensibles du pain et du vin.

De là il s'ensuit en second lieu, que quand on parlera de l'Eucharistie selon un certain égard, c'est-à-dire en considérant d'où elle est formée, et ce qu'elle paraît aux sens, et quel en est l'usage à l'égard du corps, on pourra l'appeler du pain et du vin. Car si l'Ecriture sainte n'a pas craint d'appeler encore du nom de verge, cette verge de Moïse changée en couleuvre, et de conserver le nom d'eau à l'eau de la rivière changée en sang, à cause seulement que cette couleuvre était faite de cette verge et ce sang de l'eau de cette rivière, quoiqu’au reste il n'y eût plus rien dans ces choses de la forme ni de l'usage précédent : à combien plus forte raison peut-on conserver à l'Eucharistie selon un certain égard le nom de pain et de vin, puisque, outre qu'elle se fait de pain et de vin, elle en retient à l'égard du corps et l'usage et apparences?

Mais il s'ensuit en troisième lieu, qu'encore qu'en nommant

l'Eucharistie par rapport aux effets sensibles et extérieurs, nous puissions en un certain sens l'appeler du pain et du vin, nous changerons de langage quand il faudra la définir exactement. Car comme, lorsqu'il s'agit de définition, il faut exprimer quelle est la substance des choses, nous ne regarderons plus dans l'Eucharistie

 

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ce qu'elle paraît, ou ce qu'elle opère au dehors; mais ce que Jésus-Christ, en l'instituant, a dit qu'elle était, c'est-à-dire son corps et son sang.

En effet lorsque l'Ecriture explique la même chose par des expressions différentes, il y a toujours l'endroit principal auquel il faut réduire les autres. Par exemple, si la verge de Moïse ou l'eau des rivières sont encore appelées de ce même nom, après qu'elles sont changées en couleuvre et en sang, il y a un certain endroit auquel il faut rapporter les autres, parce que la chose y est exprimée telle qu'elle est en termes précis. Car il est dit expressément à l'endroit où il s'agit d'exprimer nettement la chose, que la verge fut changée en couleuvre, et que l'eau des rivières fut changée en sang. De même si l'Eucharistie qui est formée de pain et de vin et qui en retient tout l'usage à l'égard des sens, en retient aussi quelquefois le nom dans les Ecritures : il faut réduire ces expressions à l'expression principale, c'est-à-dire à celle où le Fils de Dieu nous a voulu expliquer ce que c’était : et c'est par là qu'il faudra définir la chose.

Or ces paroles principales où Jésus-Christ a voulu exprimer en tonnes précis ce que c'est que l'Eucharistie, sont sans doute les paroles de l'Institution. Ainsi nous définirons exactement ce que c’est que l'Eucharistie, quand nous dirons avec saint Cyrille de Jérusalem que ce qui paraît pain n'est pas du pain, mais le corps Notre-Seigneur; et que ce qui paraît vin n'est pas du vin, mais le sang de Notre-Seigneur : à quoi il faut encore ajouter que ces marques extérieures qui nous désigneraient du pain et du vin, si Jésus-Christ n'avait point parlé, après que nous avons écouté sa parole toute-puissante, commencent à nous désigner sen corps et son sang présents.

Voilà ce raisonnement de l’Exposition que l'Anonyme dit qu'il ne peut comprendre : et cependant ce n'est qu'une suite des paroles de Notre-Seigneur prises au sens littéral. Car veut-on que le chrétien laisse passer la parole de Jésus-Christ comme s'il ne l’avait point entendue, et qu'il juge toujours des choses de même qu’il en jugerait si le Sauveur n'avait point parlé? Il n'y aurait rien de plus impie. Il faut que chacun juge des choses

 

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sens qu'il donne, aux paroles de Notre-Seigneur et de même que le calviniste avec son sens figuré juge que ce qui lui paraît dans l'Eucharistie n'est le corps de Jésus-Christ qu'en figure, le catholique au contraire, que tous les raisonnements humains n'ont pu empêcher d'adorer la vérité du sens naturel doit croire que ce qui lui est présenté est le corps de Jésus-Christ en effet.  

Qui ne voit, cela étant, que ces espèces sensibles, commencent, après ces paroles, à marquer au catholique une autre substance qu'elles ne faisaient auparavant; et qu'au lieu que si Jésus-Christ n'avait point parlé elles lui marqueraient du pain et du vin, elles lui marquent son corps présent, aussitôt qu'il a entendu cette parole?

Ce ne sont donc point simplement les espèces extérieures qui marquent cette présence; mais, comme j'ai dit dans l’Exposition, c'est la parole avec ces espèces qui nous désignent Jésus-Christ présent. Et ce n'est point pour satisfaire aux objections des prétendus réformés que nous avons enseigné, comme par contrainte, que l'Eucharistie est un signe « qui bien loin d'exclure la réalité l'emporte nécessairement avec soi, » comme j'avais dit dans l’Exposition. Car il suit naturellement du fond de notre doctrine que ce que Jésus-Christ voulait faire dans l'Eucharistie, n'a pas dû paraître, à nos sens. D'où il s’ensuit clairement qu'il ne fallait rien changer dans l'extérieur ; et enfin que nos sens ne nous disant rien du mystère secret que Dieu opérait, sa parole a dû nous instruire que cet extérieur désignait et contenait Jésus-Christ présent.

Par où on peut remarquer combien les paroles de l'institution étaient propres à faire entendre aux catholiques ce qu'en effet ils y entendent. Car il ne fallait pas que Notre-Seigneur se mît en peine d’exprimer les signes que nous voyons de nos yeux : il fallait seulement parler de manière qu'il nous empêchât de rapporter ces marques sensibles aux substances qui ont accoutumé d'en être revêtues, en nous apprenant, comme il a fait, que ce qui nous était; présenté, quoiqu'il eût les marques du pain et du vin, était en effet son corps et son sang.

Ces paroles; de Notre-Seigneur nous portent naturellement à croire que Jésus-Christ nous est donné réellement dans l'Eucharistie

 

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par un changement de substance, puisque son corps et son sang sont substitués à la place du pain et du vin et nous sont présentés ,sous la même espèce : de sorte que nous pouvons dire que le terme de Consubstantiel, dont les, Pères de Nicée se sont servis, n'est pas plus propre à exprimer la simplicité de cette parole : « Mon Père et moi, ne sommes qu'un, » que le terme de Transsubstantiation est propre à nous faire entendre la vérité de celle-ci : « Ceci est mon corps; ceci est mon sang.»

 

XIV.— Utilité qu'on peut tirer des signes sensibles qui demeurent dans l'Eucharistie.

 

C'est en vain que l'Anonyme veut s'imaginer ici une contradiction perpétuelle entré nos sens et notre foi, et qu'il veut que je lui explique pourquoi Dieu a voulu qu'il y eût un tel combat  dans un acte de religion qu'il a établi pour soulager notre infirmité et notre incrédulité (1).» Que dirait-il d'un chrétien qui aurait peine à comprendre que Dieu, qui voulait faire servir la prédication à confirmer notre foi, a voulu toutefois qu'on prêchât sans cesse le scandale de la croix et les autres mystères de la religion, dont notre faible raison est si fort choquée ; ou qui trouverait étrange qu'on ne cessât de nous assurer que les mêmes corps mortels, dont nous sentons à chaque moment la caducité, dussent un jour devenir impassibles et immortels? Ne dirait-il pas à ce faible chrétien que celui qui s'est une fois soumis à l'autorité d'un Dieu qui parle, accoutume de telle sorte et sa raison et ses sens à porter ce joug bienheureux, que ce combat ne le trouble plus, et ne fait au contraire qu'exercer sa foi? Que n'applique-t-il à l'Eucharistie cette réponse si solide et si chrétienne? Et pourquoi ne voudra-t-il pas que les paroles de Jésus-Christ prennent .

 une telle autorité sur l'esprit du chrétien, qu'il n'y a plus rien  qui leur résiste après qu'on les a entendues; ou que s'il s'élève du côté des sens quelque tentation contre la vérité de Dieu, le chrétien ne s'en émeut pas, et ne cesse de les combattre avec la même fidélité qui lui fait combattre les inclinations et les cupidités sensuelles durant tout le cours de sa vie?

 

1 Anon., p. 258

 

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Il reçoit cependant des marques sensibles qui lui restent dans l'Eucharistie, tout le secours qu'il en peut attendre. Car outre que l'objet présent excite l'esprit et l'aide à s'attacher au Seigneur qui se donne à nous sous ces signes, cette pieuse cérémonie, que nos pères nous ont laissée de main en main depuis le temps de Notre-Seigneur, a encore cet effet particulier qu'elle ramène en notre pensée la nuit sainte et vénérable où Jésus-Christ fut livré à ses ennemis, et où sentant approcher sa dernière heure, il institua ce mystère en mémoire de la mort ignominieuse qu'il devait souffrir le lendemain pour le salut de tous les hommes.

 

XV — L'adoration due à Jésus-Christ dans l'Eucharistie est une suite nécessaire de la doctrine de la présence. Frivoles objections des prétendus réformés.

 

Que si ces signes sensibles joints à la parole de Jésus-Christ nous marquent Jésus-Christ présent, c'est une suite nécessaire de cette doctrine, que nous lui rendions l'adoration qui lui est due.

Je n'ai que faire d'examiner en ce lieu s'il est vrai que ce soit un dogme universellement établi parmi les luthériens, qu’il ne faille pas adorer Jésus-Christ dans l'Eucharistie : il importe peu de savoir quelle est leur croyance sur ce point; puisqu'enfin, quelle qu'elle soit, il est certain que les plus habiles des calvinistes l'ont condamnée ; et sans qu'il me soit besoin de citer les autres, il me suffit que l'Anonyme souscrive à leurs sentiments.

« Ce dogme est sans doute, dit-il, ce qu'il y a de plus fondamental et de plus important dans tout ce qui nous sépare de l'Eglise romaine, parce que ce n'est pas seulement un dogme, mais un culte et une pratique où il s'agit d'adorer ou de n'adorer pas; en quoi on ne se peut méprendre sans tomber dans l'impiété ou dans l'idolâtrie (1).» Selon lui l'idolâtrie, c'est d'y adorer Jésus-Christ s'il n'y est pas, de même que l'impiété, c'est de refuser opiniâtrement de l'y adorer s'il y est.

Il a raison de croire que c'est en effet une impiété manifeste de croire Jésus- Christ présent dans l'Eucharistie sans! vouloir l'y adorer; et il n'y a rien de plus faible que ce que lui et les siens

 

1 Anon., p. 265.

 

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font dire aux luthériens pour leur défense : « Ce n'est pas là que Jésus-Christ veut être adoré (1) ». Car il faudrait dire de même que ce n'est pas

là que Jésus-Christ veut être cru, que ce n'est pas là qu'il veut être aimé par cet amour souverain que nous devons à Dieu seul. Que si on croit Jésus-Christ dans l'Eucharistie, si on l'aime de tout son cœur en cet état de bonté et de condescendance où iî s'approche lui-même de nous avec tant d'amour, peut-on dire que cette foi et cette charité fervente n'emporte pas avec elle une sincère adoration de sa Majesté et de sa bonté infinie? Jésus-Christ a donc déjà nécessairement par là foi de là présence réelle, une adoration intérieure à laquelle les marques externes n'ajoutent que le témoignage sensible des sentiments qu'on a pour lui dans le cœur. Mais Comment peut-on refuser de donner des marques extérieures de ce qu'on sent au dedans pour un si digne objet que Jésus-Christ? L'auteur a raison de dire que c'est une impiété manifeste; et je ne sais si tous les luthériens souffriront qu'on les en accusé.

En effet je n'ai pas encore remarqué dans leurs Confessions de foi, qu'ils condamnent en général l'adoration de Jésus-Christ dans ce sacrement. Mais comme ils ne le croient présent que dans le temps qu'on le distribue, ils n'ont garde de l'adorer hors de ce temps, et semblent ne condamner dans les catholiques que les marques d'adoration qu'ils rendent à l'Eucharistie hors de cet usage, où la présence de Jésus-Christ est restreinte selon leur doctrine. On trouvera qu'ils parlent toujours de cette manière dans leurs Confessions de foi : et pour ne point perdre le temps à les rapporter les unes après les autres, il suffit de remarquer en ce lieu ce qu'ils ont écrit d'un commun accord dans leur Livre de la Concorde: « Lorsque, disent-ils, hors de cet usage de la manducation; le pain est offert ou enfermé, ou porté, ou proposé pour être adoré, il ne faut point le reconnaître pour le sacrement (2). »

On peut voir, à la vérité, dans ces paroles, qu'ils n'admettent pas l'adoration hors de la distribution du pain, comme ils n'admettent non plus hors de cet usage ni la présence de Jésus-Christ, ni la vérité du sacrement ; mais je n'ai vu encore aucun acte au

 

1 Anon., p. 219. — 2 Concord., p. 751.

 

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authentique de leurs églises où ils rejettent l'adoration dans le temps qu'ils croient Jésus-Christ présent : et ce serait en vérité un sentiment fort étrange de ne vouloir point l'adorer comme, présent, pendant qu'ils se mettent à genoux pour le recevoir, avec une ferme foi: de sa présence réelle. Quoi qu'il, en soit, je n'entreprends pas de les justifier : et si l'Anonyme aime; mieux croire qu'ils sont impies que de croire qu'ils sont favorables à notre doctrine de l'adoration, il peut se contenter là-dessus, je ne m'y opposerai pas: il me suffit qu'il avoue que c'est une impiété de ne vouloir pas adorer Jésus-Christ présent ; et par conséquent que la doctrine de l'adoration est une suite nécessaire de celle de la présence.

Mais il prétend que la liaison que nous reconnaissons entre ces deux dogmes (1), nous devrait obliger à les rejeter l'un et l'autre; et que « ne voyant pas un mot dans le récit de l'institution, de ce sacrement, qui témoigne que les apôtres se soient prosternés en le recevant, ni qu'ils aient donné aucune marque d'adoration (2),» nous devrions conclure de là qu'ils n'ont pas cru la présence. C'est une difficulté que les prétendus réformés ne cessent de nous opposer : ils ne veulent pas considérer que comme, il n'est pas écrit que les apôtres aient adoré Jésus-Christ présent  invisiblement dans l'Eucharistie, il n'est non plus écrit qu'ils l'aient adoré, présent visiblement à la table où il instituait ce divin mystère. Ils seront forcés d'avouer que les marques extérieures d'adoration ne sont pas exprimées partout, et qu'il nous suffit d'apprendre par d'autres endroits que Jésus-Christ est adorable d'une adoration souveraine, parce qu'il est le Fils unique de Dieu. Pourquoi ne veulent-ils pas que nous leur fassions la même réponse? Ou s'ils disent que les apôtres ne rendaient pas à chaque moment à Jésus-Christ une adoration extérieure, quelle raison y a-t-il d'en exiger davantage pour Jésus-Christ invisible et caché sous une forme étrangère, qu'ils n'en exigent eux-mêmes pour Jésus-Christ paraissant en sa propre forme? Enfin lisons-nous en quelque endroit de l'Ecriture, que les apôtres, en célébrant ce sacré mystère, ou avec Jésus-Christ, ou après sa mort, l'aient reçu avec quelque marque de respect, extérieur? Les prétendus réformés, voudront-ils

 

1 Anon., p. 268. —  2 Ibid. p. 266.

 

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conclure de là qu'il n'en faut avoir aucune? pourquoi donc ordonnent ils dans leur discipline qu'on demeure découvert durant la célébration de la Cène; et pourquoi souffrent-ils que quelques-uns de leurs frères la reçoivent à genoux, comme nous l'avons remarqué ailleurs? Sans doute ils établiront ces marques extérieures de respect religieux par les passages de l'Ecriture, où il est dit en général que tous les actes de religion se doivent faire avec révérence; et ils diront qu'il n'est pas besoin d'exprimer toujours celle qui est due dans chaque acte particulier : pourquoi donc ne veulent-ils pas nous écouter, lorsque nous disons qu'il n'est pas besoin que nous prouvions par un passage particulier que Jésus-Christ soit adorable dans l'Eucharistie, et qu'il suffit que nous prouvions en général qu'il est adorable partout où il est, ou plutôt qu'il n'est pas même, nécessaire que nous le prouvions, puisque si peu qu'on ait de foi et de respect pour Jésus-Christ, on ne peut nous contester une vérité si constante?

Voilà à quoi aboutissent ces arguments, tirés contre nous du silence de l'Ecriture sur les marques extérieures, de respect et d'adoration. Ils ne combattent pas moins la doctrine et la pratique des prétendus réformés que des catholiques. Et nous n'employons, pour y répondre, que des vérités dont nos adversaires conviennent eux-mêmes avec nous. Ils ne cessent cependant de recommencer cette objection, laquelle, comme on a vu, ne combat pas moins leur doctrine ni leur pratique que la nôtre : tant il est vrai que les hommes oublient toute la droiture du raisonnement, quand préoccupés de leurs opinions, ils ne s'attachent qu'à tirer avantage de tout ce qu'ils lisent.

L'auteur nous objecte ici l'antiquité chrétienne Mais je ne crois pas qu'il ait prétendu qu'une page de sa réponse où ii a touché cette objection, m'oblige à la discussion d'une matière si éloignée de notre sujet, et que les auteurs catholiques ont si nettement éclaircie. J'ai fait ce que je devais, quand j'ai montré que l'adoration n'a point de difficulté particulière, et qu'elle n'est qu'une suite de la présence réelle. Il est temps de faire voir qu'il en est de même de la doctrine du sacrifice.

 

1 Anon., p. 267.

  

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XVI. — Le sacrifice est une suite de la réalité. La doctrine de l’Exposition sur ce point est incontestable.

 

Mais si peu que l'on considère les réponses de l'Anonyme, on sera facilement convaincu que la doctrine de l’Exposition sur le sacrifice de l'Eucharistie est incontestable.

 

Pour faire voir que le sacrifice est nettement enfermé dans la présence réelle, j'ai demandé seulement qu'on m'accordât que ceux qui sont convaincus que les paroles de l'institution opèrent réellement ce qu'elles énoncent, doivent croire qu'elles eurent leur effet aussitôt qu'elles furent proférées, et reconnaître par conséquent la présence réelle du corps avant la manducation.

L'Anonyme n'a pu contester une vérité si constante et la laisse passer sans contradiction. Et certes s'il faut entendre à la lettre ces paroles : « Ceci est mon corps, » il faut aussi entendre que c'est le corps, dès que Jésus-Christ a parlé, et non que ce le sera seulement lorsque nous le recevrons; car l'effet des paroles de Jésus-Christ ne dépend que de leur propre efficace, sans qu'il soit besoin d'attendre autre chose. Au reste les prétendus réformés disputent avec nous, à la vérité, s'il faut entendre ces paroles au sens littéral, ou seulement au sens figuré; mais ils ne nous disputent pas que, quoi que Jésus-Christ ait voulu faire, il ne l'ait fait dès le moment qu'il eut parlé. Et comme ceux qui embrassent le sens figuré doivent dire que le pain fut établi comme la figure du corps, dès que Jésus-Christ eut dit, « Ceci est mon corps, » ceux qui embrassent le sens littéral doivent penser au contraire que n'étant pas plus difficile à Jésus-Christ de faire des choses que d'instituer des signes, l'effet de sa parole n'a pas été suspendu un seul moment , et que son corps fut présent dès que ses paroles furent prononcées. Ainsi il ne s'agit entre nous que du sens littéral ou figuré ; et j'ai eu raison de dire que supposé le sens littéral, notre doctrine est indubitable.

Mais de là il s'ensuit encore que la consécration et la manducation sont deux actions distinguées ; et on ne peut non plus contester ce que j'ai dit dans l’Exposition, que la consécration comme distinguée de la manducation, ne soit d'elle-même agréable

 

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à Dieu. Car qu'y a-t-il pour lui de plus agréable que de lui mettre devant les yeux son Fils unique présent au milieu de nous, et de nous présenter nous-mêmes avec lui devant sa face? En un mot, en repassant toute la doctrine que j'ai proposée touchant le sacrifice de l'Eucharistie, on verra qu'elle est enfermée dans ce seul principe, que le corps de Jésus-Christ est présent aussitôt que les paroles sont prononcées : et quand l'auteur aurait nié cette vérité, chacun pourrait s'en convaincre par la seule lecture de l’Exposition. Mais il a procédé de meilleure foi ; et bien loin d'avoir contredit ce que j'ai avancé sur ce sujet, il a déclaré expressément qu'il n'avait rien sur cela à nous reprocher : « La réalité, dit-il, ou la présence réelle telle que l'Eglise romaine la croit par un changement de la substance du pain en celle du corps de Jésus-Christ, immédiatement après que ces paroles : «Ceci est mon corps, » ont été prononcées, est le fondement du sacrifice de la messe et de l'adoration de l'hostie; c'est le sens de la première proposition de M. de Condom, sur lequel nous n'avons rien à dire (1) »

Il tâche de faire voir en ce lieu que mon raisonnement « n'est pas droit; » il marque ensuite les propositions où il croit que je ne raisonne pas droitement; nous aurons sujet d'en parler ailleurs, et on verra qui se détourne de lui ou de moi. Mais en attendant, il avoue que «sur la première proposition, il n'a rien à dire, » et il doit passer pour constant, de l'aveu des prétendus réformés, que s'il est vrai que Jésus-Christ soit présent « immédiatement après que les paroles ont été prononcées, » il n'y a plus rien à dire sur le sacrifice. Or nous avons déjà vu que cette proposition n'a plus de difficulté supposé le sens littéral, et qu'en effet elle ne nous a pas été contestée. Il n'y a donc à disputer entre nous que du seul sens littéral, et le reste de notre doctrine est indubitable.

Au reste on peut remarquer dans l’Exposition, que les catholiques prouvent la doctrine du sacrifice par la seule présupposition de la présence réelle , sans qu'il soit besoin pour cela du changement de substance. Si toutefois ce changement facilite à

 

1 Anon., p. 280.

 

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l'auteur de la Réponse l'intelligence de notre doctrine sur le sacrifice, comme il semble l'insinuer au lieu que je viens de produire, il peut se satisfaire là-dessus, et n'a qu'à se souvenir que le changement de substance est enfermé dans le sens littéral, et que ce sont les auteurs et les synodes de sa communion qui l'enseignent ainsi avec nous : de sorte qu'il est certain, de quelque côté qu'on se tourne, que supposé le sens littéral, il n'y a rien à nous contester sur toutes les autres parties de notre doctrine.

L'exposition de notre croyance a déjà produit un grand fruit, puisqu'elle a fait connaître aux prétendus réformés que le sacrifice de l'Eucharistie, pour lequel ils ont tant de répugnance, est compris dans une doctrine qui selon eux n'a aucun venin, c'est-à-dire dans la doctrine de la présence réelle. Mais nous tirons encore de là une autre utilité très-considérable. Nous avons sujet d'espérer qu'on cessera désormais de nous objecter que le sacrifice que nous célébrons anéantisse celui de la croix, puisqu'ayant fait voir que cette objection n'a de fondement que sur de fausses idées, l'Anonyme laisse sans réplique tout ce que j'ai dit sur ce sujet.

 

XVII. — Réponses aux difficultés tirées de l’Epître aux Hébreux.

 

Rien plus, comme les principaux arguments qu'on nous oppose sur cette matière sont tirés de l’Epître aux Hébreux, j'ai fait un article exprès (1) pour montrer que nos sentiments n'affaiblissent en aucune sorte ce que saint Paul y enseigne touchant la perfection du sacrifice de la croix; et j'ai fait voir, au contraire, que les objections qu'on nous fait ne peuvent pas subsister, sans renverser la doctrine de cette même Epître aux Hébreux, qu'on fait tant valoir contre nous. On peut revoir en un moment ces endroits de l'Exposition, et on verra que l'auteur les a laissés sans réplique.

C'était néanmoins ici un point essentiel à notre dispute , puisque j'avais marqué dans l'Exposition, qu'un des principaux fruits que j'en espérais, c'est qu'on verrait que notre doctrine s’accordait parfaitement avec les articles fondamentaux de la religion chrétienne. C'était là aussi un des deux points sur lesquels

 

1 Exposit., art. XV.

 

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quels l'Anonyme avait promis de répondre ; et puisqu'il ne nous dit rien sur cela, il faut assurément qu'il ait vu qu'il n'y a rien à nous dire.

Il est vrai qu'il tire de l’Epître aux Hébreux deux arguments contre nous. Mais comme les calvinistes attaquent tous les jours par les Ecritures la doctrine des luthériens sur la présence réelle, sans soutenir pour cela qu'elle renverse les fondements du salut : c'est aussi autre chose de vouloir détruire le sacrifice de l'Eucharistie, et autre chose de faire voir qu'il renverse ce grand fondement du salut, c'est-à-dire, la perfection du sacrifice de la croix.

Si l'auteur veut peser lui-même la force de ses arguments, il avouera qu'ils ne nous attaquent pas par cet endroit là. Et en effet voici quels ils sont : le premier est, que si saint Paul avait reconnu la présence de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, il n'aurait pas dit qu'il est entré, non dans un sanctuaire terrestre, mais dans un sanctuaire qui n'est point fait de main d'homme. Le second est, que si le même saint Paul avait reconnu dans l'Eucharistie l'oblation que l'Eglise romaine y reconnaît, il n'aurait pas dit dans la même Epître, que Jésus-Christ ne s'est offert qu'une fois. Tels sont les deux arguments que l'auteur tire contre nous de l’Epître aux Hébreux; et on voit qu'ils ne prouvent pas que l'oblation que nous confessons renverse le fondement du salut, non plus que la présence réelle.

Que conclut donc contre moi l'auteur de la Réponse, puisqu'il laisse sans aucune atteinte ce que j'ai uniquement prétendu dans cet endroit de l'Exposition, c'est-à-dire que notre doctrine sur le sacrifice de l'Eucharistie, telle que je l'ai proposée selon le concile de Trente, ne renverse ni le fondement du salut, ni la dignité infinie du sacrifice de la croix? Mais quand j'aurais à répondre aux difficultés qu'il nous fait, considérées dans leur fond, je pourrais le faire sans beaucoup de peine.

Je me contenterai de marquer ici l'injustice du procédé de nos adversaires : ils ne veulent pas qu'il nous soit permis de dire que ce qu'enseigne l'apôtre saint Paul de la présence de Jésus-Christ dans le ciel, et de l'oblation qu'il a faite de lui-même par sa mort,

 

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n'empêche pas une autre présence, ni une autre sorte d'oblation, c'est-à-dire la présence et l'oblation que l'Eglise reconnaît dans l'Eucharistie. « C'est répondre, dit l'Anonyme, la même chose qui est en question (1). » Il croit se sauver par là, et c'est par là justement qu'il se condamne. Car dès là même que, de son aveu, la question consiste en ce point, s'il ne m'est pas permis de supposer ce que je dis comme vrai, il ne lui est pas non plus permis de supposer le contraire. La loi doit être égale entre nous; et afin de faire voir combien son procédé est déraisonnable, je le prie de penser ce qu'il répond, quand on combat sa doctrine par ces paroles de Notre-Seigneur : « Ceci est mon corps ; » il répond aussitôt : « C'est-à-dire : Mon corps en figure. » Sans doute on peut dire ici que c'est répondre précisément ce qui est en question. Mais si je prétendais que notre dispute fût vidée par ce seul reproche, l'Anonyme me trouverait-il raisonnable? Au contraire ne dirait-il pas que si un reproche de cette nature décidait la difficulté, nous aurions raison l'un après l'autre? Car chacun répond à son tour aux objections selon les sentiments qu'il soutient, sauf à les prouver quand il faudra; et les lois de la dispute défendent, non de répondre conformément à sa thèse, mais de la donner pour preuve. Voilà ce que l'Anonyme me répondrait, si je voulais lui fermer la bouche aussitôt qu'il m'alléguerait son sens figuré sous prétexte que c'est ce qui fait le sujet de notre dispute. Je confesse pour moi qu'il aurait raison, et je le prie seulement de nous faire la même justice. Quand il m'objecte les lieux de saint Paul, où il dit que Jésus-Christ s'est offert une fois, il m'impose une loi trop dure, s'il ne veut pas qu'il me soit permis de répondre, comme j'ai fait dans l’Exposition, que le mot d'offrir est équivoque, et qu'on peut mettre tous les jours devant les yeux du Père céleste Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie, sans préjudice de cette . unique oblation sanglante, qui est la seule dont parle saint Paul dans les endroits qu'on m'objecte. L'Anonyme, à la vérité, peut nous demander sur quoi nous fondons cette oblation que nous posons dans l'Eucharistie; et il sait que nous prétendons l'établir par des raisons invincibles. Il faut donc nécessairement qu'il

 

1 Anon., p. 273, 275.

 

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écoute ces raisons, et qu'il ne croie pas avoir tout fini, en disant que nous répondons ce qui est eu doute.

Mais il soutient cette objection par un argument bien moins raisonnable. « Pour pouvoir parler ainsi, » dit-il, c'est-à-dire pour pouvoir répondre qu'il y a deux sortes de présence, dont l’Epître aux Hébreux ne touche que l'une, « il faudrait nous montrer nettement que saint Paul a vu et connu cette dernière sorte de présence de Jésus-Christ sur la terre (1). » Et un peu après : « Il faudrait montrer, dit-il, que l'Apôtre eut reconnu ces deux différentes manières de s'offrir, l'une endurant la mort, et l'autre sans mourir (2). » Quoi donc! faudra-t-il nécessairement que nous trouvions notre preuve dans l’Epître de saint Paul aux Hébreux ? Si nous a trouvons dans quelque autre endroit de l'Ancien bu du Nouveau Testament, si au lieu de l’Epître aux Hébreux nous produisons l’Epître aux Corinthiens, comme nous faisons en effet : n'y aura-t-il pas sujet de s'en satisfaire? Pourquoi veut-on nous traiter comme si nous manquions de preuves, sous prétexte que ce n'est pas l’Epître aux Hébreux qui nous les fournit ?

J'avais prévu cette objection; et de peur qu'on ne voulût profiter du silence de saint Paul dans cette Epître, j'avais remarqué dans l'Exposition, qu'il n'est pas juste « de nous astreindre à recevoir de la seule Epître aux Hébreux toute notre instruction sur une matière qui n'était point nécessaire au sujet de cette Epître, où l'Apôtre se propose d'expliquer la perfection du sacrifice de la croix, et non les moyens différons que Dieu nous a donnés pour nous l'appliquer. » Cette raison est convaincante ; et quoique l'auteur de la Réponse l'ait laissée sans repartie, il veut que nous nous tenions pour condamnés, parce que nous ne lisons pas dans l’Epître de saint Paul aux Hébreux une doctrine qui est hors de son sujet.

Qu'il considère un moment ce que j'ai dit dans l’Exposition, sur l'équivoque du mot offrir. On dit qu'on offre à Dieu une victime, quand on en répand le sang devant ses autels. On dit aussi qu'on offre à Dieu ce qu'on présente devant lui. Je ne sais si l'auteur s'avisera de nous nier cette manière d'entendre ce mot; du moins ne trouve-t-on pas qu'il s'y soit opposé dans sa Réponse ;

 

1 Anon., p. 273. — 2 Ibid. p. 275.

 

 

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et au contraire il a reconnu dans cet article « que nous nous offrons nous-mêmes à Dieu dans la prière (1) » où toutefois nous ne mourons pas. Quoi qu'il en soit, si ce mot le choque, qu'il regarde la chose même. L'oblation que je lui propose ne demande que la présence de Jésus-Christ à la sainte table. Je disque sa seule présence au milieu de nous est une manière d'intercéder très-efficace; et qu'en quelque endroit que le Fils de Dieu paroisse pour nous devant son Père, la présence d'un objet si agréable fait qu'il nous voit d'un œil plus propice. Pour faire que Jésus-Christ se présente pour nous à Dieu en cette manière dans l'Eucharistie, on voit qu'on n'a besoin que d'y reconnaître une présence réelle. La chose parle d'elle-même : nous l'avons montré dans l'Exposition; nous l'avons encore expliqué dans cette réponse par des principes certains. On ne peut donc supposer que nous manquons de preuves pour l'oblation, sans supposer que nous en manquons pour la présence réelle. Et le supposer ainsi, ce serait visiblement supposer comme indubitable ce qui fait le fond de notre dispute. Ainsi c'est nous qui aurions raison de reprocher à l'auteur qu'il suppose comme certain et indubitable, ce qui fait le fond de notre dispute.

Mais l'auteur nous dira peut-être que saint Paul exclut positivement et la présence réelle, et la manière d'offrir que nous confessons dans l'Eucharistie ; car il objecte «que cet Apôtre dit entre autres choses, que Jésus-Christ n'est point entré dans les lieux faits de main d'homme; mais qu'il est entré dans le ciel, où il comparaît pour nous devant la face de Dieu (1). » L'auteur prétend que cette expression ne s'accorde pas avec notre foi. Mais il n'y a rien de plus vain. Saint Paul enseigne en ce lieu l'avantage qu'a Jésus-Christ notre Pontife au-dessus du pontife de la Loi, en ce que ce dernier passait de l'entrée du temple au lieu le plus retiré, qu'on appelait le sanctuaire, qui après tout n'était qu'un ouvrage de la main des hommes; au lieu que notre Pontife en montant de la terre au ciel, n'est pas entré dans un sanctuaire construit par les hommes, mais dans le sanctuaire éternel, dont Dieu est lui-même l'architecte. Nous confessons tout cela. Pour en tirer contre nous quelque conséquence, il faut revenir à cet argument tant

 

1 Anon., p. 270. — 2 Ibid. p. 272.

 

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rebattu et tant réfuté, que Jésus-Christ ne peut être en deux divers lieux ; de sorte qu'il n'est pas en terre, puisqu'il est au ciel. C'est, dis-je, répéter ce même argument que l'auteur nous a fait ailleurs, et que nous avons montré qu'il ne peut soutenir sans appeler à son secours la philosophie, contre la promesse expresse qu'il nous avait faite de n'expliquer le mystère et l'intention de Jésus-Christ que par sa parole.

L'argument contre l'oblation n'est pas meilleur. Saint Paul écrit, dit l'auteur, «que Jésus-Christ ne s'offre pas souvent, paire qu'il eût fallu qu'il fût mort souvent. M. de Condom au contraire dit que Jésus-Christ s'offre tous les jours, parce que, pour s'offrir, il ne faut plus qu'il meure. Rien, conclut-il, n'est plus opposé que ces deux propositions (1), etc. » Ce n'est pas ainsi que je m'explique : j'ai dit, comme on vient de voir, qu'il ne faut point disputer des mots; qu'on peut entendre offrir en deux sens ; et que si par le mot offrir on entend répandre le sang de la victime immolée , comme saint Paul l'entend aux Hébreux, nous disons avec cet Apôtre que Jésus-Christ ne peut être offert qu'une fois. Mais s'il est ainsi, dit l'auteur, lorsque l'Apôtre a conclu que Jésus-Christ ne s'offre pas souvent, parce qu'il eût fallu qu'il fût mort souvent, «la proposition de l'Apôtre reviendroit à ceci, que Jésus-Christ ne meurt pas souvent, parce qu'il ne meurt pas souvent (2). » Il s'abuse; ce n'est pas ainsi que nous faisons raisonner l'Apôtre. Il veut dire que Jésus-Christ n'a pas eu besoin de répandre plusieurs fois le sang de sa victime, comme le pontife de la Loi; autrement qu'il aurait fallu qu'il souffrît plusieurs fois dès l'origine du monde, pour sanctifier tant de justes qui n'ont eu de salut que par lui; au lieu qu'en mourant une seule fois, il a expié les péchés de tout le monde ensemble. Il n'y a rien de plus clair ni de plus suivi, ni qui fasse moins de peine aux catholiques. Car j'ai fait voir dans l'Exposition, qu'on ne peut les accuser sans calomnie d'attendre une autre victime pour payer le prix de nos péchés ; et que s'ils offrent au Père céleste Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie, ce n'est que pour célébrer la mémoire de sa mort et s'en appliquer la vertu.

 

1 Anon., p. 274. — 2 Ibid. p. 275.

 

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Voilà donc les prétendus réformés réduits au faible avantage qu'ils tirent du silence rie saint Paul. C'est aussi par là que l'Anonyme conclut les deux arguments qu'il tire de l’Epître aux Hébreux. Il dit que si saint Paul avait connu ou les deux manières de présence, ou les deux manières d'offrir, il en aurait dit quelque chose : c'est-à-dire que selon lui, il fallait nécessairement que saint Paul parlât d'une chose qui n'était point de son sujet et qu'on pouvait apprendre d'ailleurs, comme nous avons déjà dit.

 

XVIII. — Réponses à quelques autres difficultés sur le sacrifice de l'Eucharistie.

 

Voilà ce que l'Anonyme a opposé de plus fort au sacrifice de l'Eucharistie; car, au reste, je ne pense pas qu'une remarque où il semble qu'il s'est beaucoup plu, mérite de repartie. «C'est, dit-il, une règle du droit divin que, non-seulement le sacrificateur, mais l'autel même est d'une plus grande dignité que l'oblation. Ici on veut un sacrifice où l'on sait que l'homme , qui est le sacrificateur, n'est qu'un ver de terre, l'autel une pierre et la victime le Fils de Dieu (1). » Tels sont les arguments dont on éblouit ceux qui ne savent pas le fond des choses. Car pourquoi n'a-t-il pas voulu considérer que le sacrifice que nous offrons se fait par la parole de Notre-Seigneur; que, comme dit saint Jean Chrysostome, nous ne sommes que les ministres, et que c'est lui-même qui offre et qui change les dons sacrés; enfin que ce Père a raison de dire que le sacrifice que nous offrons est le même par tout l'univers, parce que nous avons partout le même Pontife et partout la même victime, c'est-à-dire Jésus-Christ même?

Quant à l'observation que fait l'Anonyme sur la dignité de la victime au-dessus de l'autel, il pourrait, quand il lui plaira, détruire par cette remarque la rédemption du genre humain, et soutenir que la mort de Notre-Seigneur n'est pas un sacrifice; puisque la croix, qui tient lieu d'autel, est de moindre dignité que le Fils de Dieu, qui est la victime : tant il est vrai que le désir de nous nuire lui fait hasarder beaucoup de fausses maximes, dont lui-même ne prévoit pas les conséquences.

Et c'est en vain qu'il affecte dans cet article (2) et ailleurs (3), de

 

1 Anon., p. 271. — 2 Ibid. p. 274, etc. — 3 Ibid. p. 200.

 

 

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paraître embarrassé de ce que je dis, que Jésus-Christ est présent dans les saints mystères, couvert des signes de mort, quoiqu'il soit vivant. Car certes il ne fallait pas que Jésus-Christ mourût tous les jours. Si donc il voulait être présent dans l'Eucharistie, il fallait qu'il y fût vivant; mais cela ne l'obligeait pas à y faire paraître sa vie : c'est pourquoi tout ce qui paraît dans ce saint mystère et les paroles, et l'action même, et tous les objets sensibles nous rappellent à la mort de Notre-Seigneur; et c'est ce qui fait cette mort mystique, et cette immolation spirituelle en laquelle l’Exposition a fait consister toute l'essence du sacrifice.

Il n'y a là aucun embarras que celui que fait une longue préoccupation et une fausse explication de notre doctrine. Du moins faut-il qu'on avoue que le sacrifice de l'Eucharistie ne peut être combattu raisonnablement à moins que de combattre la réalité; car supposé qu'on l'avoue, il n'est pas possible de nier que la consécration ne soit une chose religieuse, qui porte avec soi la reconnaissance de la souveraineté de Dieu, en tant que Jésus-Christ présent y renouvelle la mémoire de son obéissance jusqu'à la mort de la croix; d'où il s'ensuit que rien ne lui manque pour être un véritable sacrifice.

C'est ce que j'avais dit dans l’Exposition; c'est ce qui demeure établi par des raisons invincibles : mais cela étant de la sorte , il est temps de faire un peu de réflexion sur toute la doctrine de l'Eucharistie.

 

XIX. — Réflexions sur toute la doctrine de l'Eucharistie. Injustice des prétendus réformés dans l'aigreur qu'ils ont contre l'Eglise catholique, et l'indulgence dont ils usent envers les luthériens.

 

Ce qui regarde le sacrement de l'Eucharistie peut être partagé en deux sortes de questions. La première question est sur le sens littéral et sur la présence réelle, et les autres questions regardent les suites de cette présence et de ce sens littéral.

Il est certain que les luthériens sont d'accord avec nous du fondement; et comme parle l'auteur, « qu'ils ont cela de commun avec l'Eglise romaine, qu'ils prennent aussi les

 

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paroles du Seigneur au sens littéral pour une présence réelle (1). »

Nous avons fait voir que parmi ces suites du sens littéral et de la présence réelle, il faut compter le changement de substance, l'adoration et le sacrifice. Nous avons aussi montré que ces suites ne sont pas tirées de loin, et qu'on les aperçoit d'abord dans le principe. Si Jésus-Christ est présent, il faut l'adorer comme présent : s'il est présent en vertu des paroles qu'il a prononcées, il sera présent aussitôt qu'il les aura prononcées. Mais aussitôt qu'il sera présent, sa seule présence au milieu de nous nous attirera d'en haut des regards propices. Si l'on ne peut expliquer les paroles de Jésus-Christ : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, » par un changement mystique du pain et du vin, on ne peut plus s'empêcher d'y reconnaître un changement effectif. Telles sont les conséquences du sens littéral et de la présence réelle.

Il est bon de considérer ici de quelle sorte les luthériens et les calvinistes sont disposés, tant sur le sens littéral et la présence que sur les suites que nous en tirons.

Il est certain que les luthériens sont d'accord avec nous du fondement : et comme parle l'auteur, « qu'ils ont cela de commun avec l'Eglise romaine, qu'ils prennent aussi les paroles du Seigneur au sens littéral pour une présence réelles. » Pour les suites, il faut avouer qu'ils ne les ont pas entendues. Au contraire nous avons vu, tant par les sentiments de l'auteur que par les autres témoignages que nous avons rapportés, que les calvinistes sont disposés à nous accorder que les suites sont bien tirées du principe, mais qu'ils nous contestent le principe même, c'est-à-dire le sens littéral et la présence réelle.

C'est ce qui m'a fait dire dans l’Exposition, que Dieu leur ouvrait un chemin pour se rapprocher de nous et de la vérité, puisque d'un côté nous pouvons croire que, supposé la présence réelle, ils n'auraient rien à nous contester; et que d'autre part Dieu a permis qu'encore qu'ils nous contestent cette présence, ils ont avoué aux luthériens qu'elle n'est pas contraire au salut ni aux fondements de la religion, et enfin qu'elle n'a aucun venin.

L'auteur convient avec nous d'une vérité si constante, et le

 

1 Anon., p. 267. — 2 Ibid. p. 261.

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synode de Charenton ne lui permet pas d'en douter. Mais il ne veut pas qu'il nous soit permis de tirer aucun avantage de cet aveu.

Cependant il n'y a rien de plus clair que ce que nous disons sur ce sujet; et si la présence réelle n'a aucun venin, personne ne peut comprendre comment on en peut trouver dans des conséquences aussi naturelles et aussi certaines que celles que nous en tirons. Il servira aux luthériens de raisonner mal ; leur doctrine paraîtra aux calvinistes plus supportable que la nôtre, parce qu'elle est moins suivit; ; nous ne perdrons pas notre salut pour avoir cru le sens littéral et la présence réelle : et nous serons réprouvés, parce que nous en aurons embrassé des conséquences si légitimes et si nécessaires? Que peut-on imaginer de plus déraisonnable ni de plus injuste ?

L'auteur fait de grands efforts pour parer ce coup ; et voici quel est son raisonnement : « Il s'en faut bien, dit-il, que l'erreur la mieux suivie ne soit la plus supportable; au contraire plus l'erreur se suit, plus il est naturel qu'elle s'éloigne de la vérité (1) ; » ce qu'il éclaircit par l'exemple d'un homme qui sort du bon chemin, et qui s'égare d'autant moins qu'il rentre plutôt par quelque autre endroit dans la route qu'il a quittée, au lieu d'aller à toute bride par une autre route, quelque droite qu'elle paroisse. Voilà sans doute ce qu'on pouvait imaginer de plus subtil, et il n'y a rien de plus ingénieux que cette comparaison. Mais souvent la raison s'égare parmi ces inventions délicates : et l'homme est assez malheureux pour s'éblouir lui-même par un éclat apparent qui le charme dans ses expressions et dans ses pensées. L'auteur devait considérer qu'un homme qui s'engage dans une route n'est pas forcé de la suivre ; chaque partie du même chemin peut être parcourue sans tout le reste; et les premiers pas que nous y faisons ne nous contraignent pas à en faire d'autres : mais celui qui a posé un principe ne peut s'empêcher d'en recevoir toutes les conséquences légitimes; ces conséquences sont comprises dans ce principe même bien entendu; et on ne peut plus les rejeter aussitôt qu'on les y a aperçues. De sorte que toute la suite est renfermée dans le premier pas; et si on était d'accord

 

1 Anon., p. 281.

 

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que ce premier pas fût sans crime, il n'y aurait plus moyen de soutenir qu'il y eût du crime dans les autres.

C'est en cela que consiste la force du raisonnement que l'Anonyme s'efforce ici de détruire. Nous ne nous appuyons pas sur ce principe, qu'il prend tant de soin de réfuter, «que l'erreur la plus suivie soit aussi la plus supportable (1).» Car premièrement l'erreur n'est jamais suivie, et se dément toujours elle-même. Mais secondement, si un hérétique pose des principes erronés, et qu'il s'en serve pour trouver d'autres erreurs par des conséquences tirées dans les formes légitimes, nous ne l'excuserons pas pour cela. Par exemple, si un socinien pose que Dieu soit corporel, et que concluant de là que les âmes le sont aussi, il assure par conséquent qu'elles ne peuvent plus subsister après la dissolution du corps ni être conservées éternellement que par sa résurrection : bien loin d'excuser leur erreur à cause qu'elle suit d'un certain principe, nous la détesterons au contraire dans toute sa suite. La juste aversion que nous aurons d'une doctrine si brutale remontera des branches à la racine, et des conséquences au principe même, que nous détesterons d'autant plus, qu'il est la source de tout le mal et qu'il contient en lui-même tout le venin. C'est ainsi qu'il faut rejeter les erreurs suivies, en détestant avec le principe toutes ses malheureuses suites. Nous ne nous opposerons jamais à un sentiment si juste : mais nous disons seulement que ce qu'on accorde au principe, il faut l'accorder nécessairement aux conséquences qui en seront nettement tirées; c'est-à-dire que si on accorde que le principe soit véritable, ou qu'on puisse le croire sans crime et sans préjudice de son salut, il faut dire la même chose de toutes les conséquences. Car, comme nous avons dit, on les y trouve renfermées, et on ne peut plus les rejeter aussitôt qu'on les y découvre. C'est pourquoi nous ne pouvons assez nous étonner que les prétendus réformés ayant accordé que la doctrine de la présence réelle n'est pas contraire au salut, et qu'elle n'exclut les enfants de Dieu ni de sa table, ni de son royaume, puissent soutenir ensuite que les conséquences manifestes de cette doctrine les excluent de l'une et de l'autre. Quoi! (car il est

 

1 Anon., p. 281.

 

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bon de venir à quelque chose de particulier) nous ne perdrons pas la vie éternelle, pour croire que Jésus-Christ soit présent dans l'Eucharistie, et nous périrons pour jamais, parce que nous l'y aurons adoré! Dieu veut que j'adore son Fils unique, on en est d'accord, il souffre que je le croie présent, on le reconnaît. Mais je deviens insupportable à ses yeux, parce que je n'ai pas la malheureuse assurance de croire Jésus-Christ son Fils présent sans l'adorer, et de soutenir l'aspect de mon Dieu sans m'abaisser devant lui? C'est ainsi que les prétendus réformés raisonnent. Quelle étrange perversité! Et une pensée si déraisonnable ne devrait-elle pas leur faire sentir un prodigieux égarement dans leur esprit et dans leur cœur?

 

XX. — Abus étrange que l'Anonyme fait de l'exemple des manichéens et des idolâtres. C'est la passion des prétendus réformés contre l'Eglise romaine, qui leur bouche les yeux et qui les précipite en tant de différents écarts.

 

L'Anonyme croit se sauver par l'exemple des manichéens et des idolâtres. Découvrons-lui son erreur; et voyons si en lui ôtant ce faible refuge, nous pourrons enfin l'obliger à ouvrir les yeux à la vérité.

« Qui peut douter, dit-il, raisonnablement que l'erreur des manichéens n'eût été plus supportable, s'ils se fussent arrêtés à croire que Dieu donnait des marques particulières de sa présence dans le corps du soleil et de la lune, et qu'ils n'eussent pourtant adoré ni la lune ni le soleil ; ou que ceux qui par erreur croiraient qu'il y aurait quelque Divinité dans les images, mais qui ne les adoreraient pourtant pas, ne croyant pas que la Divinité voulût être adorée dans les images, ne fussent moins idolâtres ou moins coupables que ceux en qui les mouvements du cœur suivraient l'égarement de l'esprit (1) ? »

Les manichéens ne croyaient pas seulement que Dieu donnait des marques particulières de sa présence dans le soleil et dans la lune. Saint Augustin nous apprend que ces hérétiques faisaient Dieu d'une nature corporelle et sensible: ils disaient, selon ce Père, « que cette lumière corporelle qui frappe nos sens, partout

 

1 Anon., p. 281.

 

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où elle était répandue, était la nature de Dieu ; que cette nature de Dieu se trouvait le plus purement dans le soleil et dans la lune (1) : » de sorte que ces deux astres, selon eux, « avaient été faits de la pure substance de Dieu. » C'est ainsi que saint Augustin nous représente l'erreur de ces hérétiques, les plus insensés et les plus pervers qui aient jamais paru dans l'Eglise.

Pour ce qui est des idolâtres, nous avons déjà expliqué ailleurs qu'une partie de leur erreur était de donner à la divine essence une forme corporelle déterminée, et de croire qu'elle pouvait être renfermée et comme liée à des temples matériels et à des statues faites de main d'homme.

Si l'on demande maintenant en quoi consistait le crime, tant des manichéens que des idolâtres, il n'y a personne qui n'avoue qu'il consistait principalement dans l'injure qu'ils faisaient à la nature divine en se la représentant sous ces indignes idées; et que cette perversité de leur cœur était sans comparaison plus odieuse et plus criminelle aux yeux de Dieu, que les actes extérieurs qu'un principe si détestable pouvait faire naître.

Nous sommes donc bien éloignés d'accorder à ces ennemis de la nature divine, que leur principe soit supportable. Au contraire nous ne trouvons rien de plus insupportable ni de plus pervers parmi toutes leurs erreurs, que le principe sur lequel elles sont fondées.

Grâce à la miséricorde divine, les calvinistes ne jugent pas de la même sorte du culte que nous rendons à Jésus-Christ dans l'Eucharistie. Il est fondé sur deux principes : le premier, que Jésus-Christ est adorable, ils en conviennent avec nous; le second, c'est qu'il lui a plu de nous témoigner par sa parole une présence réelle et particulière dans l'Eucharistie. Ils nous contestent ce second point, je l'avoue; mais ils accordent aux luthériens qu'ils n'y voient rien que de supportable. Cependant ils ne craignent pas de nous alléguer et les manichéens et les idolâtres, dont nous trouvons les principes autant ou plus pernicieux que les conséquences qu'ils en ont tirées.

Mais il est bon de considérer le nouveau cas de conscience que l'Anonyme nous propose. Il produit des hommes, ou il les feint,

 

1 De Haeresib., haeres. XLVI.

 

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(car il n'y en eut jamais de semblables) « qui par erreur croiraient quelque divinité dans les images, mais qui ne les adoreraient pourtant pas, ne croyant pas que la Divinité voulût être adorée dans les images : » et il soutient « qu'ils seraient moins idolâtres ou moins coupables que ceux en qui les mouvements du cœur suivraient l'égarement de l'esprit (1). » Pour moi, je ne craindrai point de lui dire que cet impie qu'il nous représente, qui ne croit pas que ses dieux présents l'obligent à aucun respect, n'en est pas moins détestable, sous prétexte que les mouvements de son cœur ne suivent pas l'égarement de son esprit. Car cela, c'est dire en d'autres paroles, qu'il agit contre sa croyance : et cette excuse, que lui fournit l'Anonyme, n'est pas une excuse, mais un nouveau crime. Autrement il faudrait dire qu'un païen qui ne connaissant d'autres dieux que ceux de la fable, et croyant qu'ils sont plus présents dans leurs statues, s'en approcherait avec tremblement, serait plus méchant que celui qui, ayant la même croyance, mépriserait ces idoles, les vendrait, pillerait leurs temples et ne craindrait point d'y commettre toute sorte d'irrévérences. Certainement si c'est une excuse que les mouvements du cœur ne suivent pas l'égarement de l'esprit, plus un païen démentira sa propre croyance, c'est-à-dire plus il profanera les temples qu'il croit sacrés, et les idoles où il croit ses dieux si présents, plus il sera excusable; et un Denys le tyran qui profane sa religion par toute sorte de sacrilèges sera en cela plus homme de bien ou plus excusable, que les Fabrices et les Scipions Nasica, qui en gardent respectueusement les cérémonies ! La raison ne souffre pas un tel sentiment; et s'il faut chercher des excuses à des hommes dont les excès sont si détestables, on avouera que le païen de bonne foi, qui rend respect à ses dieux où il les croit si présents, est à cet égard encore plus excusable que l'impie qui nous paraît dans l'écrit de l'Anonyme.

Voilà ce qu'il attendait pour me reprocher peut-être que j'aime mieux qu'un païen pousse jusqu'au bout les principes de son idolâtrie, que de demeurer en chemin faute d'en savoir tirer les conséquences.

 

1 Anon., p. 282.

 

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Mais je le prie de considérer qu'on pouvait tendre à saint Paul un piège semblable : car encore qu'il improuve ceux qui refusent de manger de certaines viandes (1), parce qu'ils en croient l'usage illicite, il décide toutefois que celui qui doutant qu'il lui soit permis d'en manger, ne laisse pas de le faire contre le témoignage de sa conscience, « est condamné, parce qu'il n'agit pas selon sa foi (2), » et que c'est un nouveau péché de n'agir pas selon qu'on croit, conformément à ce principe que le même saint Paul établit ici : « Tout ce qui n'est point selon la foi, » c'est-à-dire selon la persuasion de la conscience, « est péché (3). »

L'Anonyme répondra sans doute que l'homme qu'il nous représente n'agit pas contre sa conscience, puisqu'encore qu'il croie qu'il y a quelque divinité dans les images, il ne croit pas toutefois qu'elle veuille y être adorée.

Voici une question dont on ne s'était pas encore avisé. Les manichéens avaient cru que la nature divine se découvrait visiblement dans le soleil et dans les astres : aussi l'y avaient-ils adorée ; et saint Epiphane nous apprend « qu'ils adoraient le soleil, la lune, les astres et les démons, comme les Gentils*. » Les idolâtres croyaient que la divinité était renfermée dans une idole, et qu'elle se montrait présente sous cette forme sensible : aussi l'y adoraient-ils, et ils se prosternaient devant une idole comme devant un dieu présent. Et certes jusqu'ici on ne s'était point encore avisé de poser que Dieu put être présent et déclarer sa présence par un témoignage particulier, sans attirer des adorations. A la vérité, on avait fait voir aux manichéens et aux idolâtres combien ils outrageaient la Divinité, en la liant ou à la matière, et ne connaissant point de Dieu hors de la matière; ou aux astres, ou aux éléments, ou aux pierres et aux métaux, ou à quelque autre nature corporelle. Ainsi on détruisait leur culte profane en renversant le principe sur lequel il était fondé : mais on ne leur avait pas encore trouvé ce moyen nouveau pour séparer dans leur esprit l'adoration d'avec la présence particulière de Dieu; et on n'avait pas jusqu'ici entrepris de leur prouver que leur culte serait peut-être criminel, quand même leurs principes seraient véritables.

 

1 Rom., XIV, 3. — 2 Ibid. 23. — 3 Ibid. — 4 Hœres. LXVII, vers. fin. p. 708.

 

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Une invention si nouvelle était réservée à la subtilité de nos jours : il fallait que nos malheureuses contestations fissent naître ce dogme inouï, qu'on peut croire qu'un Dieu soit présent et qu'il déclare sa présence particulière par un témoignage exprès, sans croire qu'en cet état il exige des adorations. C'est par cet étrange principe que l'Anonyme défend les luthériens; et il feint en leur faveur ce cas nouveau d'un païen qui, «croyant par erreur quelque divinité dans une idole, croirait qu'elle ne veut pas y être adorée. »

A cela je ne craindrai point de lui dire (puisqu'il veut qu'on le satisfasse sur une supposition qui ne fut jamais) que ce païen, qui croit par erreur que la divinité lui est présente dans les idoles, fait à la nature divine un outrage insupportable ; mais que s'il était assez aveugle pour croire ne lui devoir aucun respect malgré sa présence, cette nouvelle erreur ne le rendrait pas plus excusable, et ne ferait qu'ajouter une nouvelle perversité à son premier aveuglement.

Il ne faut pas certainement que l'horreur de l'idolâtrie nous fasse chercher des excuses à l'impiété manifeste. Quelle étrange imaginai ion, qu'un Dieu veuille bien être présent, sans vouloir que sa présence lui serve de rien pour attirer le respect des hommes! Quiconque sous ce vain prétexte refuserait ses adorations à ce qu'il croirait être Dieu, séparerait dans son esprit la Divinité d'avec la Majesté qui lui est essentielle, et détruirait la religion par sou erreur insensée.

Ainsi le païen de bonne foi, qui adore son dieu qu'il croit présent, est détestable aux yeux du vrai Dieu, parce qu'il consomme son idolâtrie : mais le païen de l'Anonyme, qui se forge de faux principes pour dépouiller la nature divine, comme j'ai dit, de sa propre Majesté souveraine, n'est pas moins coupable, puisqu'il cherche des expédients pour frustrer la Divinité de l'adoration qui lui est due, et qu'il ouvre la porte à l'impiété par une irrévérence si prodigieuse.

Que l'Anonyme juge maintenant à quoi lui peuvent servir les criminelles dispositions des païens qu'il nous représente. Le Dieu qu'il nous reproche d'adorer, et que le luthérien reconnaît présent aussi bien que le catholique, n'est pas un de ces dieux des

 

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païens que l'homme insensé forge dans son cœur : c'est Jésus-Christ, le Dieu véritable que l'Anonyme adore lui-même.

Le luthérien ne croit pas que Dieu soit seulement présent dans l'Eucharistie, comme il est présent à toutes choses par l'immensité de son essence. Car encore que c'en soit assez pour nous tenir dans un respect intérieur sous les yeux de Dieu, comme à le considérer en cette manière, il est également présent partout, cette présence ne nous fournit aucune raison d'attacher les marques d'adoration à un objet déterminé ; et pour nous y obliger, il faut une présence particulière et déclarée par un témoignage particulier. C'est une telle présence que confesse le luthérien dans l'Eucharistie; car il y croit le même Jésus-Christ, à qui est due toute adoration, en qui la Divinité habite corporellement dans toute sa plénitude, comme dit l'apôtre saint Paul.

Si Jésus-Christ se montrait à nous sensiblement présent, comme il faisait aux apôtres, alors du moins on nous avouerait qu'il faudrait lui rendre nos adorations. Mais serait-ce une raison au luthérien de lui refuser cette adoration à cause qu'il est caché à ses sens, puisqu'il est persuadé qu'il s'est déclaré par sa parole très-expresse, à laquelle le chrétien n'ajoute pas moins de foi qu'à ses propres yeux, et que d'ailleurs il est convaincu que Jésus-Christ se montre présent par un torrent de grâces qu'il verse sur nous? Si après cela le luthérien, qui croit certainement toutes ces choses, n'adore pas, quelle excuse aura son irrévérence ?

Comment donc M. Noguier, sur ce que nous adorons le sacrement, nous compare-t-il aux païens en ce qu'ils adorent le dieu qu'ils croient présent (1), puisque le dieu qu'ils croient présent est un faux dieu, et que celui que nous croyons présent est le véritable? Et comment peut-il excuser le luthérien, qui ne veut pas adorer le Dieu véritable qu'il croit présent, puisque le païen même est inexcusable, s'il refuse l'adoration à sa fausse divinité, qu'il croit pareillement présente?

Cependant les prétendus réformés font cette horrible injustice, qu'encore que les catholiques et les luthériens croient également

 

1 Nog., p. 261.

 

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Jésus-Christ présent, ils réprouvent les catholiques qui l'adorent comme présent suivant leur croyance, et excusent les luthériens qui refusent de l'adorer.

C'est à cette considération que je conjure tous ces Messieurs, et particulièrement l'Anonyme, de s'arrêter un moment. C'est en vain qu'il se met en peine de prouver « que ceux de sa religion ont pu admettre les luthériens à leur communion, sans que ce soit une raison pour faire qu'ils passent à celle de l'Eglise romaine (1). » Ce n'est pas ce que je conclus de la tolérance des luthériens, et on ne lira cette conséquence en aucun endroit de l'Exposition. Que ces Messieurs ne pensent donc pas que je leur propose de rentrer dans notre communion à la même condition qu'ils ont offerte aux luthériens, c'est-à-dire sans renoncer à leurs sentiments. J'ai encore moins dessein de leur prouver qu'ils doivent nous recevoir à la leur, en conservant les nôtres. Cette bizarre conséquence, que l'Anonyme dit que je devrais tirer naturellement (2), est autant éloignée de la raison que de ma pensée. Je les prie seulement de considérer qu'ils n'ont pu recevoir les luthériens à leur Cène, sans croire que leur doctrine ne préjudicie pas au salut; et qu'il n'y a rien après cela de plus injuste que de soutenir, comme ils font, que la nôtre y soit contraire.

Si peu qu'ils rentrent en eux-mêmes, la différence qu'ils mettent entre nous et les luthériens à cet égard, leur découvrira dans leur jugement une iniquité visible, et leur fera voir dans leur cœur une aversion autant extrême qu'injuste contre l'Eglise romaine.

Ils verront premièrement un dérèglement extrême dans leur manière de juger, lorsqu'ils nous appellent idolâtres parce que nous adorons Jésus-Christ, que nous croyons si présent. On convient que tout idolâtre a dans son esprit quelque erreur insupportable. Et cependant ces Messieurs, qui nous accusent d'idolâtrie, ne peuvent rien trouver dans notre doctrine qui ne soit ou très-certain ou très-excusable selon leurs propres principes.

Nous ne perdrons notre salut éternel, ni pour croire que Jésus-Christ soit adorable, puisqu'ils conviennent avec nous de ce principe;

 

1 Anon., p. 361. — 2 Ibid. p. 257.

 

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ni pour croire qu'il est présent, puisque cette croyance, innocente selon eux, n'exclut pas les luthériens du royaume de Jésus-Christ. Reste donc que Dieu nous damne éternellement, parce que nous ne pouvons pas nous imaginer que Jésus-Christ soit présent sans vouloir être adoré, ou parce que nous agissons selon notre foi.

Mais certes on ne peut penser qu'un homme soit damné précisément pour avoir agi selon sa croyance. Car au contraire c'est un crime inexcusable de n'agir pas selon ce principe. Que si quelqu'un est damné en agissant selon sa croyance, il faut dire que sa croyance est insupportable. Comment donc les prétendus réformés, qui après la tolérance des luthériens ne peuvent rien trouver que de supportable dans la foi de la présence réelle, peuvent-ils croire que Dieu nous damne, parce que nous agissons selon cette foi ?

Au reste quand on a une fois trouvé son jugement perverti jusqu'à un excès si visible, un homme qui pense sérieusement à son salut doit se confesser à lui-même qu'il y a dans son esprit un égarement caché, qui est la cause profonde de tout ce désordre et qui est capable de lui obscurcir les vérités les plus claires.

Mais les prétendus réformés peuvent encore reconnaître ici combien aveugle est l'aversion qu'ils ont conçue contre L'Eglise. C'est une vérité constante qu'ils se sont beaucoup adoucis pour les luthériens (1). L'auteur se fait cette objection sous le nom des catholiques : «Nos premiers réformateurs, leur fait-il dire, trouvaient que notre doctrine de la transsubstantiation se suivait mieux que la présence réelle des luthériens, et témoignaient en quelque sorte plus d'éloignement pour celle des luthériens que pour la nôtre (2). » Nous avons fait voir ailleurs que ce fait est très-constant et que l'auteur n'a pu en disconvenir, quoiqu'il ne l'ait pas avoué peut-être avec autant de sincérité que le demandait un fait si constant. Mais ce n'est pas seulement sur le point de la transsubstantiation que les auteurs de la Réforme prétendue nous trouvaient plus raisonnables : il n'est pas moins certain qu'ils soutenaient par des traités exprès que nous avions encore raison

 

1 Anon., p. 358, 361. — 2 Ibid. p. 336.

 

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sur l'adoration, ou, pour me servir des termes de l'auteur, « que supposé que le corps de Jésus-Christ fût présent réellement, il y avait plus de raison de l'adorer dans le sacrement même que de ne l'y adorer pas (1). » Voilà deux points importants, où les prétendus réformés trouvaient au commencement que notre doctrine était plus suivie que celle des luthériens ; mais de plus, ils avaient raison d'en juger ainsi. Nous avons tiré de leurs principaux auteurs, et même de leurs synodes, des preuves très-claires pour donner une préférence assurée au changement de substance, supposé la réalité; et pour ce qui est de l'adoration, pour peu que nos adversaires se dépouillassent de l'aversion qu'ils ont contre Rome, il n'y en a guère parmi eux qui, se mettant à la place des luthériens et supposant Jésus-Christ présent, n'aimât mieux l'adorer avec nous que de chercher de vaines excuses pour se défendre de rendre à son Dieu un culte si nécessaire. Cependant les raisons des luthériens, quoique plus faibles dans la pensée des prétendus réformateurs, sont devenues les meilleures dans l'esprit de ceux qui les ont suivis ; et les catholiques, autrefois plus raisonnables, sont maintenant condamnés avec plus d'aigreur.

Je veux bien qu'on soit revenu à des sentiments plus doux envers les luthériens. « Il faut, dit l'Anonyme, que les chrétiens soient modérés. » A quoi il ajoute, « que les divisions sont d'ordinaire plus aigres dans leur naissance que dans leurs suites, et plus grandes entre les personnes plus proches qu'entre les plus éloignées (2). » Mais est-il juste qu'on ne s'adoucisse envers les luthériens, que pour être plus implacables envers nous? Malgré tant de sentiments qui étaient communs entre les luthériens et les calvinistes, il y avait du moins quelques endroits où les derniers nous faisaient justice ; ils confessaient que notre doctrine sur le point de l'Eucharistie, était plus suivie et plus raisonnable. Maintenant nous avons tort en tout : les raisons des luthériens pour se défendre de l'adoration, même supposé la réalité : ces raisons, dis-je, qui autrefois paraissaient insupportables, sont maintenant écoutées. Nous sommes les seuls pour qui le temps ne peut rien du tout ; nous ne pouvons rien dire de si clair, que nous puissions

 

1 Anon., p. 361. — 2 Ibid. p. 358.

 

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faire entrer dans l'esprit des prétendus réformés. Ils nous souffriront la réalité en faveur des luthériens, qui l'enseignent aussi bien que nous. Mais parce que croyant Jésus-Christ présent, nous ne pouvons nous empêcher de l'adorer, Jésus-Christ lui-même nous exclura de son royaume et sera plus favorable aux luthériens, qui le croyant aussi présent, ne l'adorent pas : est-il une pareille injustice ?

Les autres raisons dont on se sert pour mettre de la différence entre nous et les luthériens, ne sont pas meilleures. Il est vrai qu'ils mettent le corps avec le pain; ils ne croient Jésus-Christ présent que dans l'usage; et encore qu'il soit présent, ils ne veulent pas qu'il soit permis de l'offrir à Dieu comme une offrande agréable, dont la seule présence au milieu de nous sert à nous attirer des regards propices. Mais serons-nous perdus pour toujours pour croire ces choses avec la réalité, plutôt que si nous croyions la réalité toute seule? N'importe, pour être sauvé, de mettre ou ne mettre pas une présence réelle, pourvu seulement qu'on mette le pain avec le corps, tout ira bien pour le salut; mais si l'on dit qu'il ne reste plus que les espèces du pain et que le pain est changé au corps, on périra sans ressource! Qui peut croire une pareille absurdité, à moins que d'être prévenu d'une aigreur extrême?

Il en est de même des autres choses que nous avons rapportées. Ceux que Jésus-Christ ne damnera pas pour croire qu'il est présent en vertu des paroles qu'il a prononcées, il ne les damnera certainement pas pour croire qu'il est présent aussitôt qu'il les a prononcées. Ceux qu'il ne damnera pas pour croire qu'il est présent, il ne les obligera pas sous peine de damnation à croire que sa présence au milieu de nous ne nous sert de rien devant Dieu pour nous attirer ses regards. Je ne répéterai plus ce que j'ai déjà dit sur ce sujet ; il suffit de remarquer en ce lieu que l'importance de la question est en la présence réelle ; et si elle est sans venin, sans doute ce ne sera pas un crime damnable de présenter au Père céleste un objet si agréable, et de sanctifier toutes nos prières en nous unissant avec Jésus-Christ présent. Ainsi cette oblation non sanglante que nous célébrons n'aura plus rien

 

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d'odieux, supposé la présence réelle, comme nous l'avons justifié ailleurs. C'est en cette présence réelle qu'est l'importance de la question; et si elle est sans venin, il n'y a plus qu'une haine aveugle qui puisse faire trouver des sujets de damnation dans le reste de notre croyance.

N'importe qu'en d'autres points que celui de l'Eucharistie, les prétendus réformés trouvent les luthériens plus conformes à leurs sentiments, ils n'en devraient pas moins nous faire justice en celui-ci ; et pour peu qu'ils eussent pour nous de cette équité qu'ils se glorifient d'avoir pour les luthériens, il y aurait longtemps qu'ils nous l'auraient faite.

Il est vrai qu'ils nous représentent souvent ce que dit M. Noguier dans sa Réponse, que nous pouvons bien croire que ce n'est que le principe de la conscience qui les rend favorables aux luthériens, « avec lesquels ils n'ont nulle liaison d'état et de société politique, et qui leur sont étrangers et de mœurs et de langage, plutôt qu'à nous qui sommes leurs concitoyens, et avec qui ils jouiraient en repos des avantages mondains dont ils se trouvent privés (1). »

Ce discours serait vraisemblable, si nous ne voyions pas d'ailleurs qu'ils regardent l'Eglise romaine et sa doctrine avec un chagrin si aigre et si amer, qu'il n'y a rien qui ne cède à cette aversion. Ce n'est pas toujours à la raison que les hommes sacrifient leurs intérêts et les autres sentiments humains; il arrive aussi souvent qu'ils les abandonnent par des passions injustes. Nous croirons sans beaucoup de peine que ces Messieurs seraient portés naturellement à nous préférer aux luthériens : mais Rome et notre doctrine, qu'on leur a montrée sous des titres si odieux et sous une forme si horrible, leur revient toujours à l'esprit; et cet objet de leur aversion l'emporte par-dessus toute autre pensée. Ainsi il ne faut pas s'étonner si les luthériens, qu'ils trouvent dans les mêmes sentiments, les touchent après cela de plus près que nous. Il n'y a aucune absurdité, pourvu que les luthériens l'aient enseignée, qu'ils ne trouvent supportable, jusqu'à cette doctrine monstrueuse de l'ubiquité qui attribue l'immensité à la

 

1 Nog., p. 353.

 

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nature humaine de Jésus-Christ : parce que quelques luthériens la croient, on fait à Sedan des livres exprès pour montrer qu'elle est excusable. Au contraire tout est insupportable dans les catholiques; il n'y a rien qu'on ne leur impute à crime, jusqu'au sentiment qu'ils ont que si on croit Jésus-Christ présent, on ne doit pas lui refuser l'adoration.

Bien plus, nous venons de voir que M. Claude, à qui il semble maintenant que l'église prétendue réformée ait remis la défense de sa cause, avoue que les luthériens doivent adorer, parce qu'ils ne posent point comme nous que le pain soit changé au corps. Selon lui l'adoration qui présuppose ce changement est celle qui nous rend coupables d'idolâtrie ; c'est-à-dire qu'on peut adorer Jésus-Christ pourvu qu'on le croie accompagné de la substance du pain; mais que si on l'adore le croyant seul, on est idolâtre. Cela n'est-ce pas dire tout ouvertement qu'on veut, à quelque prix que ce soit, que le luthérien ait raison, et que le catholique, quoi qu'il fasse, aura toujours tort? Tant il est vrai que la liaison de la patrie et de la langue ne nous sert de rien, et que l'aversion qu'on a contre Rome prévaut à toute autre considération.

Il ne faut pas que ces réflexions, où mon sujet m'a mené par nécessité, causent de l'aigreur aux catholiques : mais il faut que Messieurs de la religion prétendue réformée, voyant que l'aversion qu'ils ont contre Rome les porte à des excès si visibles, tâchent de la modérer ; et qu'ils conçoivent qu'il n'est pas possible qu'ils portent un jugement droit sur nos controverses, tant qu'ils les examineront avec des dispositions si peu équitables.

S'ils pouvaient une fois effacer de leur esprit ces images odieuses de notre doctrine, qu'on y a si fortement imprimées dès leur enfance, ils verraient dans l'explication de nos sentiments une lumière de vérité qui les gagnerait; et pour ne pas sortir de la matière qui nous occupe maintenant, bientôt ils ne sauraient plus à quoi attacher la répugnance qu'ils ont pour notre croyance sur le sujet de l'Eucharistie. Car ils verraient d'un côté que les choses qui les peinent le plus sont des suites si naturelles de la présence réelle, qu'il n'y a pas moyen de les rejeter supposé qu'on

 

1 Anon., p. 171

 

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la reçoive : et pour ce qui est de la présence réelle elle-même, ils s'apercevraient facilement combien elle est préférable à leur présence en figure; du moins auraient-ils sujet de ne pas trouver fort étrange que nous soyons comme portés naturellement, par l'instinct même de la foi, à préférer le sens littéral aux sens détournés, après qu'ils nous ont eux-mêmes avoué que le sens littéral n'a aucun venin. Dès là qu'on ne peut rien découvrir, dans ce sens naturel et simple, qui choque les fondements de la piété, les paroles de Notre-Seigneur s'emparent pour ainsi dire de notre esprit par leur autorité propre; et après cela nous comptons pour rien de n'avoir plus à leur sacrifier que des raisonnements humains dont notre ignorance est embarrassée, ou quelques maximes de philosophie qui sont fausses ou mal entendues.....

 

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