Accueil Remonter Remarques Exposition Exp. Lettres Exp. Fragments I Exp. Fragments II Exp. Fragments III Exp. Fragments IV-I Exp. Fragments IV-II Exp. Fragments IV-III Exp. Fragments IV-IV Exp. Fragments V Avert. Réf. Cat. Réfut. Catéch. de Ferry Première Vérité Seconde Vérité Conf. M. Claude Avert. Préparation Conférence M. Claude Conférence Suite Réflexions sur M. Claude
| |
EXPOSITION DE LA DOCTRINE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE SUR LES MATIÈRES DE
CONTROVERSE.
I. — Dessein de ce Traité.
II — Ceux de la religion prétendue réformée avouent que l'Eglise catholique
reçoit tous les articles fondamentaux de la religion chrétienne.
III. — Le culte religieux se termine à Dieu seul.
IV. — L'invocation des Saints.
V. — Les images et les reliques.
VI. — La justification.
VII. — Le mérite des œuvres.
VIII. — Les Satisfactions, le Purgatoire, et les Indulgences.
IX. — Les Sacrements.
X. — Doctrine de l'Eglise touchant la présence réelle du corps et du sang de
Jésus-Christ dans l'Eucharistie, et la manière dont l'Eglise entend ces paroles
: Ceci est mon corps.
XI. — Explication des paroles : Faites ceci en mémoire de moi.
XII. — Exposition de la doctrine des Calvinistes sur la réalité.
XIII. — De la transsubstantiation, de l'adoration et en quel sens l'Eucharistie
est un signe.
XIV. — Le sacrifice de la messe.
XV. — L'Epître aux Hébreux.
XVI. — Réflexion sur la doctrine précédente.
XVII. — La communion sous les deux espèces.
XVIII. — La parole écrite et la parole non écrite.
XIX. — L'autorité de l'Eglise.
XX. — Sentiments de MM. de la religion prétendue réformée sur l'autorité de
l'Eglise.
XXI. — L'autorité du Saint-Siège et l'Episcopat.
XXII. — Conclusion de ce Traité.
Après plus d'un siècle de
contestations avec Messieurs de la religion prétendue réformée, les matières
dont ils ont fait le sujet de leur rupture doivent être éclaircies, et les
esprits disposés à concevoir les sentiments de l'Eglise catholique. Ainsi il
semble qu'on ne puisse mieux faire que de les proposer simplement, et de les
bien distinguer de ceux qui lui ont été faussement imputés. En effet j'ai
remarqué en différentes occasions que l'aversion que ces Messieurs ont pour la
plupart de nos sentiments, est attachée aux fausses idées qu'ils en ont conçues,
et souvent à certains mots qui les choquent tellement, que s'y arrêtant d'abord,
ils ne viennent jamais à considérer le fond des choses. C'est pourquoi j'ai cru
que rien ne leur pourrait être plus utile que de leur expliquer ce que l'Eglise
a défini dans le concile de Trente, touchant les matières qui les éloignent le
plus de nous, sans m'arrêter à ce qu'ils ont accoutumé d'objecter aux docteurs
particuliers, ou contre les choses qui ne sont ni nécessairement ni
universellement reçues. Car tout le monde convient, et M. Daillé même (1), que «
c'est une chose déraisonnable d'imputer les sentiments des particuliers à un
corps entier ; » et il ajoute qu'on ne peut se séparer que pour des articles
établis authentiquement, à la croyance et observation desquels toutes sortes de
personnes sont obligées. Je ne m'arrêterai donc qu'aux décrets du concile de
Trente, puisque c'est là que l'Eglise a parlé décisivement sur les matières dont
il s'agit : et ce
1 Apol., cap. VI.
52
que je dirai pour faire mieux entendre ces décisions est
approuvé dans la même Eglise, et paraîtra manifestement conforme à la doctrine
de ce saint concile.
Cette exposition de notre
doctrine produira deux bons effets. Le premier, que plusieurs disputes
s'évanouiront tout à fait, parc qu'on reconnaîtra qu'elles sont fondées sur de
fausses explications de notre croyance. Le second, que les disputes qui
resteront ne paraîtront pas, selon les principes des prétendus réformés, si
capitales qu'ils ont voulu d'abord le faire croire et que selon ces mêmes
principes elles n'ont rien qui blesse les fondements de la foi.
Et pour commencer par ces
fondements et articles principaux de la foi, il faut que Messieurs de la
religion prétendue réformée confessent qu'ils sont crus et professés dans
l'Eglise catholique.
S'ils les font consister à
croire qu'il faut adorer un seul Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, et qu'il faut
se confier en Dieu seul par son Fils incarné, crucifié et ressuscité pour nous,
ils savent en leur conscience que nous professons cette doctrine. Et s'ils
veulent y ajouter les autres articles qui sont compris dans le Symbole des
apôtres, ils ne doutent pas non plus que nous ne les recevions tous sans
exception, et que nous n'en ayons la pure et véritable intelligence.
M. Daillé a fait un traité
intitulé : La Foi fondée sur les Ecritures, où après avoir exposé tous
les articles de la croyance des Eglises prétendues réformées, il dit, a qu'ils
sont sans contestation ; que l'Eglise romaine fait profession de les croire ;
qu'à la vérité il ne tient pas toutes, nos opinions, mais que nous tenons toutes
ses créances (1). »
Ce ministre ne peut donc nier
que nous ne croyions tous les articles principaux de la religion chrétienne, à
moins qu'il ne veuille lui-même détruire sa foi.
Mais quand M. Daillé ne l'aurait
pas écrit, la chose parle d'elle-même, et tout le monde sait que nous croyons
tous les articles
1 IIIe part., cap. I.
53
que les calvinistes appellent fondamentaux ; si bien que la
bonne foi voudrait qu'on nous accordât, sans contestation, que nous n'en avons
en effet rejeté aucun.
Les prétendus réformés, qui
voient les avantages que nous pouvons tirer de cet aveu, veulent nous les ôter,
en disant que nous détruisons ces articles, parce que nous en posons d'autres
qui leur sont contraires. C'est ce qu'ils tâchent d'établir par des conséquences
qu'ils tirent de notre doctrine. Mais le même M. Daillé, que je leur allègue
encore, moins pour les convaincre par le témoignage d'un de leurs plus doctes
ministres que parce que ce qu'il dit est évident de soi-même, leur apprend ce
qu'il faudrait croire de ces sortes de conséquences, supposé qu'on en put tirer
de mauvaises de notre doctrine. Voici comme il parle dans la lettre qu'il a
écrite à M. de Monglat sur le sujet de son Apologie : « Encore que
l'opinion des luthériens sur l'Eucharistie induise selon nous, aussi bien que
celle de Rome, la destruction de l'humanité de Jésus-Christ, cette suite
néanmoins ne leur peut être mise sus sans calomnie, vu qu'ils la rejettent
formellement. »
Il n'y a rien de plus essentiel
à la religion chrétienne, que la vérité de la nature humaine en Jésus-Christ; et
cependant, quoique les luthériens tiennent une doctrine d'où l'on infère la
destruction de cette vérité capitale, par des conséquences que les prétendus
réformés jugent évidentes, ils n'ont pas laissé de leur offrir leur communion,
parce que leur opinion n'a aucun venin, comme dit M. Daillé dans son
Apologie (1) ; et leur synode national, tenu à Charenton en 1631, les admet
à la sainte table, sur ce fondement, « qu'ils conviennent ès principes et
points fondamentaux de la religion. » C'est donc une maxime constamment établie
parmi eux, qu'il ne faut point en cette matière regarder les conséquences qu'on
pourrait tirer d'une doctrine, mais simplement ce qu'avoue et ce que pose celui
qui l'enseigne.
Ainsi quand ils infèrent par des
conséquences qu'ils prétendent tirer de notre doctrine, que nous ne savons pas
assez reconnaître la gloire souveraine qui est due à Dieu, ni la qualité de
Sauveur et de Médiateur en Jésus-Christ, ni la dignité infinie de son sacrifice,
1 Cap. VII.
54
ni la plénitude surabondante de ses mérites, nous pourrions
nous défendre sans peine de ces conséquences, par cette courte réponse que nous
fournit M. Daillé, et leur dire que l'Eglise catholique les désavouant, elles ne
peuvent lui être imputées sans calomnie.
Mais je veux aller plus avant,
et faire voir à, Messieurs de la religion prétendue réformée, par la seule
exposition de notre doctrine , que, bien loin de renverser les articles
fondamentaux de la foi, ou directement ou par conséquence, elle les établit au
contraire d'une manière si solide et si évidente, qu'on ne peut sans une extrême
injustice lui contester l'avantage de les bien entendre.
Pour commencer par l'adoration
qui est due à Dieu, l'Eglise catholique enseigne qu'elle consiste principalement
à croire qu'il est le Créateur et le Seigneur de toutes choses, et à nous
attacher à lui de toutes les puissances de notre âme par la foi, par l'espérance
et par la charité, comme à celui qui seul peut faire notre félicité par la
communication du bien infini, qui est lui-même.
Cette adoration intérieure, que
nous rendons à Dieu en esprit et en vérité, a ses marques extérieures, dont la
principale est le sacrifice, qui ne peut être offert qu'à Dieu seul, parce que
le sacrifice est établi pour faire un aveu public et une protestation solennelle
de la souveraineté de Dieu et de notre dépendance absolue.
La même Eglise enseigne que tout
culte religieux se doit terminer à Dieu comme à sa fin nécessaire ; et si
l'honneur qu'elle rend à la sainte Vierge et aux Saints peut être appelé
religieux, c'est à cause qu'il se rapporte nécessairement à Dieu.
Mais avant que d'expliquer
davantage en quoi consiste cet honneur, il n'est pas inutile de remarquer que
Messieurs de la religion prétendue réformée, pressés par la force de la vérité,
commencent à nous avouer que la coutume de prier les Saints et d'honorer leurs
reliques, était établie dès le quatrième siècle de l'Eglise. M. Daillé, en
faisant cet aveu dans le livre qu'il a fait contre la tradition des Latins
touchant l'objet du culte religieux, accuse saint Basile, saint Ambroise, saint
Jérôme, saint Jean
55
Chrysostome, saint Augustin et plusieurs autres grandes
lumières de l'antiquité qui ont paru dans ce siècle, et surtout saint Grégoire
de Nazianze, qui est appelé le Théologien par excellence, d'avoir changé
en ce point la doctrine des trois siècles précédera. Mais il paraîtra peu
vraisemblable que M. Daillé ait mieux entendu les sentiments des Pères des trois
premiers siècles, que ceux qui ont recueilli pour ainsi dire la succession de
leur doctrine immédiatement après leur mort; et on le croira d'autant moins que
bien loin que les Pères du quatrième siècle se soient aperçus qu'il
s'introduisît aucune nouveauté dans leur culte, ce ministre au contraire nous a
rapporté des textes exprès par lesquels ils font voir clairement qu'ils
prétendaient, en priant les Saints, suivre les exemples de ceux qui les avaient
précédés. Mais sans examiner davantage le sentiment des Pères des trois premiers
siècles, je me contente de l'aveu de M. Daillé, qui nous abandonne tant de
grands personnages qui ont enseigné l'Eglise dans le quatrième. Car encore qu'il
se soit avisé, douze cents ans après leur mort, de leur donner par mépris une
manière de nom de secte, en les appelant Reliquaires, c'est-à-dire gens
qui honorent les reliques, j'espère que ceux de sa communion seront plus
respectueux envers ces grands hommes. Ils n'oseront du moins leur objecter qu'en
priant les Saints et en honorant leurs reliques, ils soient tombés dans
l'idolâtrie, ou qu'ils aient renversé la confiance que les chrétiens doivent
avoir en Jésus-Christ : et il but espérer que dorénavant ils ne nous feront plus
ces reproches, quand ils considéreront qu'ils ne peuvent nous les faire, sans
les faire en même temps à tant d'excellents hommes, dont ils font profession,
aussi bien que nous, de révérer la sainteté et la doctrine. Mais comme il s'agit
ici d'exposer notre croyance plutôt que de faire voir quels ont été ses
défenseurs, il en faut continuer l'explication.
L'Eglise en nous enseignant
qu'il est utile de prier les Saints, nous enseigne à les prier dans ce même
esprit de charité, et selon cet ordre de société fraternelle, qui nous porte à
demander le secours
56
de nos frères vivants sur la terre ; et le Catéchisme
du concile de Trente conclut de cette doctrine (1), que si la qualité de
Médiateur que l'Ecriture donne à Jésus-Christ, recevait quelque préjudice de
l'intercession des Saints qui règnent avec Dieu, elle n'en recevrait pas moins
de l'intercession des fidèles qui vivent avec nous.
Ce Catéchisme nous fait bien
entendre l'extrême différence qu'il y a entre la manière dont on implore le
secours de Dieu, et celle dont on implore le secours des Saints : « Car, dit-il,
nous prions Dieu, ou de nous donner les biens, ou de nous délivrer des maux ;
mais parce que les Saints lui sont plus agréables que nous, nous leur demandons
qu'ils prennent notre défense, et qu'ils obtiennent pour nous les choses dont
nous avons besoin. De là vient que nous usons de deux formes de prier fort
différentes, puisqu'au lieu qu'en parlant à Dieu, la manière propre est de dire
: AYEZ PITIE DE NOUS, ECOUTEZ-NOUS , nous nous contentons de dire aux Saints :
PRIEZ POUR NOUS (2). » Par où nous devons entendre qu'en quelques termes que
soient conçues les prières que nous adressons aux Saints, l'intention de
l'Eglise et de ses fidèles les réduit toujours à cette forme, ainsi que ce
Catéchisme le confirme dans la suite (3).
Mais il est bon de considérer
les paroles du concile même, qui voulant prescrire aux évêques comme ils doivent
parler de l'invocation des Saints, les oblige d'enseigner que « les Saints qui
règnent avec Jésus-Christ, offrent à Dieu leurs prières pour les hommes; qu'il
est bon et utile de les invoquer d'une manière suppliante, et de recourir à leur
aide et à leur secours, pour impétrer de Dieu ses bienfaits, par son Fils
Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui seul est notre Sauveur et notre Rédempteur
(4). » Ensuite le concile condamne ceux qui enseignent une doctrine contraire.
On voit donc qu'invoquer les Saints, suivant la pensée de ce concile, c'est
recourir à leurs prières pour obtenir les bienfaits de Dieu par Jésus-Christ. En
effet nous n'obtenons que par Jésus-Christ et en son nom, ce que nous obtenons
par l'entremise
1 Cat. Rom., part. III, tit De cultu et invoc.
Sanct . — 2 Part. IV, Quis orandus sit. — 3 Ibid. — 4 Sess,
XXV, Decr. de invoc. etc. ,
57
des Saints, puisque les Saints eux-mêmes ne prient que par
Jésus-Christ, et ne sont exaucés qu'en son nom. Telle est la foi de l'Eglise,
que le concile de Trente a clairement expliquée en peu de paroles. Après quoi
nous ne concevons pas qu'on puisse nous objecter que nous nous éloignons de
Jésus-Christ, quand nous prions ses membres qui sont aussi les nôtres, ses
enfants qui sont nos frères, et ses Saints qui sont nos prémices, de prier avec
nous et pour nous notre commun Maître au nom de notre commun Médiateur.
Le même concile explique
clairement et en peu de mots, quel est l'esprit de l'Eglise, lorsqu'elle offre à
Dieu le saint Sacrifice pour honorer la mémoire des Saints. Cet honneur que nous
leur rendons dans l'action du sacrifice, consiste à les nommer comme de fidèles
serviteurs de Dieu dans les prières que nous lui faisons, à lui rendre grâces
des victoires qu'ils ont remportées, et à le prier humblement qu'il se laisse
fléchir en notre faveur par leurs intercessions. Saint Augustin avait dit, il y
a déjà douze cents ans, qu'il ne fallait pas croire qu'on offrit le sacrifice
aux saints martyrs (1), encore que selon l'usage pratiqué dès ce temps-là par
l'Eglise universelle, on offrît ce sacrifice sur leurs saints corps et à leurs
mémoires, c'est-à-dire devant les lieux où se conservaient leurs précieuses
reliques. Ce même Père avait ajouté qu'on faisait mémoire des martyrs à la
sainte table, dans la célébration du sacrifice, a non afin de prier pour eux,
comme on fait pour les autres morts, mais plutôt afin qu'ils priassent pour nous
(2). » Je rapporte le sentiment de ce saint évêque, parce que le concile de
Trente se sert presque de ses mêmes paroles, pour enseigner aux fidèles que «
l'Eglise n'offre pas aux Saints le sacrifice, mais qu'elle l'offre à Dieu seul,
qui les a couronnés; qu'aussi le prêtre ne s'adresse pas à saint Pierre ou à
saint Paul pour leur dire : Je vous offre ce sacrifice, mais que rendant
grâces à Dieu de leurs victoires, il demande leur assistance, afin que ceux dont
nous faisons mémoire sur la terre, daignent prier pour nous dans le ciel (3). »
C'est ainsi que nous honorons les Saints, pour obtenir par
1 De Civit. Dei, lib. VIII, cap. XXVII. — 2 Tract,
LXXXIV, in Joan., n. 1; serm., XVII, De verb. Apost., nunc serm.
CLIX. — 3 Conc. Trid., sess. XXII, cap. III.
58
leur entremise les grâces de Dieu; et la principale de ces
grâces que nous espérons obtenir, est celle de les imiter : à quoi nous sommes
excités par la considération de leurs exemples admirables, et par l'honneur que
nous rendons devant Dieu à leur mémoire bienheureuse.
Ceux qui considéreront la
doctrine que nous avons proposée, seront obligés de nous avouer que, comme nous
notons à Dieu aucune des perfections qui sont propres à son essence infinie,
nous n'attribuons aux créatures aucune de ces qualités, ou de ces opérations qui
ne peuvent convenir qu'à Dieu : ce qui nous distingue si fort des idolâtres,
qu'on ne peut comprendre pourquoi on nous en donne le titre.
Et quand Messieurs de la
religion prétendue réformée nous objectent qu'en adressant des prières aux
Saints, et en les honorant comme présents par toute la terre, nous leur
attribuons une espèce d'immensité, ou du moins la connaissance du secret des
cœurs, qu'il paraît néanmoins que Dieu se réserve par tant de témoignages de
l'Ecriture, ils ne considèrent pas assez notre doctrine. Car enfin sans examiner
quel fondement on peut avoir d'attribuer aux Saints jusqu'à certain degré la
connaissance des choses qui se passent parmi nous, ou même de nos secrètes
pensées, il est manifeste que ce n'est point élever la créature au-dessus de sa
condition, que de dire qu'elle a quelque connaissance de ces choses par la
lumière que Dieu lui en communique. L'exemple des prophètes le justifie
clairement, Dieu n'ayant pas même dédaigné de leur découvrir les choses futures,
quoiqu'elles semblent bien plus particulièrement réservées à sa connaissance.
Au reste, jamais aucun
catholique n'a pensé que les Saints connussent par eux-mêmes nos besoins, ni
même les désirs pour lesquels nous leur faisons de secrètes prières. L'Eglise se
contente d'enseigner avec toute l'antiquité, que ces prières sont
très-profitables à ceux qui les font, soit que les Saints les apprennent par le
ministère et le commerce des anges, qui suivant le témoignage de l'Ecriture,
savent ce qui se passe parmi nous, étant établis par ordre de Dieu esprits
administrateurs pour concourir à l'œuvre de notre salut, soit que Dieu même leur
fasse connaître nos désirs par nue révélation particulière; soit enfin qu'il
leur en découvre le secret dans son essence infinie, où toute vérité est
comprise. Ainsi l'Eglise n'a rien décidé sur les différents moyens dont il plaît
i Dieu de se servir pour cela.
Mais quels que soient ces
moyens, toujours est-il véritable qu'elle n'attribue à la créature aucune des
perfections divines, comme faisaient les idolâtres, puisqu'elle ne permet de
reconnaître dans les plus grands Saints aucun degré d'excellence qui ne vienne
de Dieu, ni aucune considération devant ses yeux que parleurs vertus, ni aucune
vertu qui ne soit un don de sa grâce, ni aucune connaissance des choses humaines
que celle qu'il leur communique, ni aucun pouvoir de nous assister que par leurs
prières, ni enfin aucune félicité que par une soumission et une conformité
parfaite à la volonté divine.
Il est donc vrai qu'en examinant
les sentiments intérieurs que nous avons des Saints, on ne trouvera pas que nous
les élevions au-dessus de la condition des créatures; et de là on doit juger de
quelle nature est l'honneur que nous leur rendons au dehors, le culte extérieur
étant établi pour témoigner les sentiments intérieurs de l’âme.
Mais comme cet honneur que
l'Eglise rend aux Saints paraît principalement devant leurs images et devant
leurs saintes reliques, il est à propos d'expliquer ce qu'elle en croit.
Pour les images, le concile de
Trente défend expressément « d'y croire aucune divinité ou vertu pour laquelle
on les doive révérer, de leur demander aucune grâce, et d'y attacher sa
confiance, » et veut que « tout l'honneur se rapporte aux originaux qu'elles
représentent (1). »
Toutes ces paroles du concile
sont autant de caractères qui servent à nous faire distinguer des idolâtres,
puisque bien loin de croire comme eux que quelque divinité habite dans les
images, nous ne leur attribuons aucune vertu que celle d'exciter en nous le
souvenir des originaux.
1 Conc. Trid., sess. XXV, Decr. de invoc.,
etc.
60
C'est sur cela qu'est fondé
l'honneur qu'on rend aux images. On ne peut nier, par exemple, que celle de
Jésus-Christ crucifié, lorsque nous la regardons, n'excite plus vivement en nous
la souvenir de « celui qui nous a aimés jusqu'à se livrer pour nous à la mort »
Tant que l'image présente à nos yeux fait durer un si précieux souvenir dans
notre âme, nous sommes portés à témoigner par quelques marques extérieures,
jusqu'où va notre reconnaissance; et nous faisons voir, en nous humiliant en
présence de l'image, quelle est notre soumission pour son divin original. Ainsi
à parler précisément et selon le style ecclésiastique, quand nous rendons
honneur à l'image d'un apôtre ou d'un martyr, notre intention n'est pas tant
d'honorer l'image, que « d'honorer l'apôtre ou le martyr en présence de l'image.
» C'est ainsi que parle le Pontifical romain (2) et le concile de Trente
exprime la même chose, lorsqu'il dit, « que l'honneur que nous rendons aux
images, se rapporte tellement aux originaux, que par le moyen des images que
nous baisons, et devant lesquelles nous nous mettons à genoux, nous adorons
Jésus-Christ, et honorons les Saints dont elles sont la ressemblance (3). »
Enfin on peut connaître en quel
esprit l'Eglise honore les images, par l'honneur qu'elle rend à la croix et au
livre de l'Evangile. Tout le monde voit bien que devant la croix elle adore
celui qui a porté nos crimes sur le bois (4); et que si ses enfants inclinent la
tête devant le livre de l'Evangile ; s'ils se lèvent par honneur quand on le
porte devant eux, et s'ils le baisent avec respect, tout cet honneur se termine
à la vérité éternelle qui nous y est proposée.
Il faut être peu équitable pour
appeler idolâtrie ce mouvement religieux qui nous fait découvrir et baisser la
tête devant l'image de la croix, en mémoire de celui qui a été crucifié pour
l'amour de nous; et ce serait être trop aveugle que de ne pas apercevoir
l'extrême différence qu'il y a entre ceux qui se confiaient aux idoles, par
l'opinion qu'ils avaient que quelque divinité ou quelque vertu y était pour
ainsi dire attachée, et ceux qui déclarent comme
1 Galat., n. 20. — 2 Pont.
Rom., De bened. imag.—
3 Sess. XXV, Decr. de invoc., etc. — 4 I Petr., II, 24.
61
nous qu'ils ne se veulent servir des images que pour élever
leur esprit au ciel, afin d'y honorer Jésus-Christ ou les Saints, et dans les
Saints Dieu même, qui est l'auteur de toute sanctification et de toute grâce.
On doit entendre de la même
sorte l'honneur que nous rendons aux reliques, à l'exemple des premiers siècles
de l'Eglise; et si nos adversaires considéraient que nous regardons les corps
des Saints comme ayant été les victimes de Dieu par le martyre ou par la
pénitence, ils ne croiraient pas que l'honneur que nous leur rendons par ce
motif, pût nous détacher de celui que nous rendons à Dieu même.
Nous pouvons dire en général,
que s'ils voulaient bien comprendre de quelle sorte l'affection que nous avons
pour quelqu'un, s'étend, sans se diviser, à ses enfants, à ses amis et ensuite
par divers degrés à ce qui le représente, à ce qui reste de lui, à tout ce qui
en renouvelle la mémoire; s'ils concevaient que l'honneur a un semblable
progrès, puisque l'honneur en effet n'est autre chose qu'un amour mêlé de
crainte et de respect; enfin s'ils considéraient que tout le culte extérieur de
l'Eglise catholique « sa source en Dieu même, et qu'il y retourne : ils ne
croiraient jamais que ce culte que lui seul anime, pût exciter sa jalousie. Ils
verraient au contraire que si Dieu, tout jaloux qu'il est de l'amour des hommes,
ne nous regarde pas comme si nous nous partagions entre lui et la créature,
quand nous aimons notre prochain pour l'amour de lui; ce même Dieu, quoique
jaloux du respect des fidèles, ne les regarde pas comme s'ils partageaient le
culte qu'ils ne doivent qu'à lui seul, quand ils honorent par le respect qu'ils
ont pour lui ceux qu'il a honorés lui-même.
Il est vrai néanmoins que, comme
les marques sensibles de révérence ne sont pas toutes absolument nécessaires,
l'Eglise sans rien altérer dans la doctrine, a pu étendre plus ou moins ces
pratiques extérieures, suivant la diversité des temps, des lieux et des
occurrences, ne désirant pas que ses enfants soient servilement assujettis aux
choses visibles, mais seulement qu'ils soient excités, et comme avertis par leur
moyen de se tourner à Dieu,
62
pour lui offrir en esprit et en vérité le service
raisonnable qu'il attend de ses créatures.
On peut voir par cette doctrine
avec combien de vérité j'ai dit qu'une grande partie de nos controverses
s'évanouirait par la seule intelligence des termes, si on traitait ces matières
avec charité; et si nos adversaires considéraient paisiblement les explications
précédentes, qui comprennent la doctrine expresse du concile de Trente, ils
cesseraient de nous objecter que nous blessons la médiation de Jésus-Christ, et
que nous invoquons les Saints, ou que nous adorons les images d'une manière qui
n'est propre qu'à Dieu. Il est vrai que comme, en un certain sens, l'adoration,
l'invocation et le nom de médiateur ne convient qu'à Dieu et à Jésus-Christ, il
est aisé d'abuser de ces termes pour rendre notre doctrine odieuse. Mais si on
les réduit de bonne foi au sens que nous leur avons donné, ces objections
perdront toute leur force; et s'il reste à* Messieurs de la religion prétendue
réformée quelques autres difficultés moins importantes, la sincérité les
obligera d'avouer qu'ils sont satisfaits sur le principal sujet de leurs
plaintes.
Au reste il n'y a rien de plus
injuste que d'objecter à l'Eglise qu'elle fait consister toute la piété dans
cette dévotion aux Saints, puisque, comme nous l'avons déjà remarqué, le concile
de Trente se contente d'enseigner aux fidèles que cette pratique leur est
bonne et utile (1), sans rien dire davantage. Ainsi l'esprit de l'Eglise est
de condamner ceux qui rejettent cette pratique par mépris ou par erreur. Elle
doit les condamner, parce qu'elle ne doit pas souffrir que les pratiques
salutaires soient méprisées, ni qu'une doctrine que l'antiquité a autorisée,
soit condamnée par les nouveaux docteurs.
La matière de la justification
fera paroltre encore dans un plus grand jour, combien de difficultés peuvent
être terminées par une simple exposition de nos sentiments.
Ceux qui savent tant soit peu
l'histoire de la Réformation prétendue,
1 Sess. XXV, Decr. de invoc., etc.
63
n'ignorent pas que ceux qui en ont été les premiers
auteurs, ont proposé cet article à tout le monde comme le principal de tous, et
comme le fondement le plus essentiel de leur rupture ; si bien que c'est celui
qu'il est le plus nécessaire de bien entendre.
Nous croyons premièrement que «
nos péchés nous sont remis gratuitement par la miséricorde divine, à cause de
Jésus-Christ (1). » Ce sont les propres termes du concile de Trente, qui ajoute
que mous sommes dits justifiés gratuitement, parce qu'aucune de ces choses qui
précèdent la justification, soit la foi, soit les œuvres, ne peut mériter cette
grâce (2). »
Comme l'Ecriture nous explique
la rémission des péchés, tantôt en disant que Dieu les couvre, et tantôt en
disant qu'il les ôte, et qu'il les efface par la grâce du Saint-Esprit qui nous
fait de nouvelles créatures8 : nous croyons qu'il faut joindre ensemble ces
expressions, pour former l'idée parfaite de la justification du pécheur. C'est
pourquoi nous croyons que nos péchés, non-seulement sont couverts, mais qu'ils
sont entièrement effacés par le sang de Jésus-Christ, et par la grâce qui nous
régénère ; ce qui, loin d'obscurcir ou de diminuer l'idée qu'on doit avoir du
mérite de ce sang, l'augmente au contraire et la relève.
Ainsi la justice de Jésus-Christ
est non-seulement imputée, mais actuellement communiquée à ses fidèles par
l'opération du Saint-Esprit, en sorte que non-seulement ils sont réputés, mais
faits justes par sa grâce.
Si la justice qui est en nous
n'était justice qu'aux yeux des hommes, ce ne serait pas l'ouvrage du
Saint-Esprit : elle est donc justice même devant Dieu, puisque c'est Dieu même
qui la fait en nous, en répandant la charité dans nos cœurs.
Toutefois il n'est que trop
certain que « la chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair (4)
» et que « nous manquons tous en beaucoup de choses (5). » Ainsi quoique notre
justice soit véritable par l'infusion de la charité, elle n'est point justice
parfaite à cause du combat de la convoitise : si bien que le continuel
gémissement d'une âme repentante de ses fautes fait le devoir le plus
1 Conc. Trid., sess. VI, cap. IX.
— 2 Ibid., cap. VIII. — 3 Tit., III, 5-7.— 4 Galat., V, 17.
— 5 Jacob., III, 2.
64
nécessaire de la justice chrétienne. Ce qui nous oblige de
confesser humblement avec saint Augustin, que notre justice en cette vie a
consiste plutôt dans la rémission des péchés que dans la perfection des vertus.
»
Sur le mérite des œuvres,
l'Eglise catholique enseigne que « la vie éternelle doit être proposée aux
enfants de Dieu, et comme une grâce qui leur est miséricordieusement promise par
le moyen de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et comme une récompense qui est
fidèlement rendue à leurs bonnes œuvres et à leurs mérites, en vertu de cette
promesse (1). » Ce sont les propres termes du concile de Trente. Mais de peur
que l'orgueil humain ne soit flatté par l'opinion d'un mérite présomptueux, ce
même concile enseigne que tout le prix et la valeur des œuvres chrétiennes
provient de la grâce sanctifiante, qui nous est donnée gratuitement au nom de
Jésus-Christ, et que c'est un effet de l'influence continuelle de ce divin Chef
sur ses membres.
Véritablement les préceptes, les
exhortations, les promesses, les menaces et les reproches de l'Evangile font
assez voir qu'il faut que nous opérions notre salut par le mouvement de nos
volontés avec la grâce de Dieu qui nous aide : mais c'est un premier principe,
que le libre arbitre ne peut rien faire qui conduise à la félicité éternelle,
qu'autant qu'il est mû et élevé par le Saint-Esprit.
Ainsi l'Eglise sachant que c'est
ce divin Esprit qui fait en nous par sa grâce tout ce que nous faisons de bien,
elle doit croire que les bonnes œuvres des fidèles sont très-agréables à Dieu,
et de grande considération devant lui : et c'est justement qu'elle se sert du
mot de mérite avec toute l'antiquité chrétienne, principalement pour signifier
la valeur, le prix et la dignité de ces œuvres que nous faisons par la grâce.
Mais comme toute leur sainteté vient de Dieu qui les fait en nous, la même
Eglise a reçu dans le concile de Trente comme doctrine de foi catholique, cette
parole de saint Augustin, que « Dieu couronne ses dons en couronnant le mérite
de ses serviteurs. »
1 Sess. VI, cap. XVI.
65
Nous prions ceux qui aiment la
vérité et la paix, de vouloir bien lire ici un peu au long les paroles de ce
concile, afin qu'ils se désabusent une fois des mauvaises impressions qu'on leur
donne de notre doctrine, « Encore que nous voyions, disent les Pères de ce
concile, que les saintes Lettres estiment tant les bonnes œuvres, que
Jésus-Christ nous promet lui-même qu'un verre d'eau froide donné à un pauvre ne
sera pas privé de sa récompense; et que l'Apôtre témoigne qu'un moment de peine
légère, soufferte en ce monde, produira un poids éternel de gloire : toutefois à
Dieu ne plaise que le chrétien se fie et se glorifie en lui-même, et non en
Notre-Seigneur, dont la bonté est si grande envers tous les hommes, qu'il veut
que les dons qu'il leur fait soient leurs mérites (1). »
Cette doctrine est répandue dans
tout ce concile, qui enseigne dans une autre session que « nous, qui ne pouvons
rien de nous-mêmes, pouvons tout avec celui qui nous fortifie, en telle sorte
que l'homme n'a rien dont il se puisse glorifier, » ou pour quoi il se puisse
confier en lui-même ; « mais que toute sa confiance et toute sa gloire est en
Jésus-Christ, en qui nous vivons, en qui nous méritons, en qui nous
satisfaisons, faisant de dignes fruits de pénitence, qui tirent leur force de
lui, par lui sont offerts au Père, et en lui sont acceptés par le Père (2). »
C'est pourquoi nous demandons tout, nous espérons tout, nous rendons grâces de
tout, par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous confessons hautement que nous ne
sommes agréables à Dieu qu'en lui et par lui, et nous ne comprenons pas qu'on
puisse nous attribuer une autre pensée. Nous mettons tellement en lui seul toute
l'espérance de notre salut, que nous disons tous les jours à Dieu ces paroles
dans le sacrifice : « Daignez, ô Dieu, accorder à nous pécheurs, vos serviteurs,
qui espérons en la multitude de vos miséricordes, quelque part et société avec
vos bienheureux apôtres et martyrs,… au nombre desquels nous vous prions de
vouloir nous recevoir, ne regardant pas au mérite, mais nous pardonnant par
grâce au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur. »
L'Eglise ne persuadera-t-elle
jamais à ses enfants qui sont
1 Sess. VI, cap. XVI. — 2 Sess. XIV, cap. VIII.
66
venus ses adversaires, ni par l'explication de sa foi, ni
par les décisions de ses conciles, ni par les prières de son sacrifice, qu'elle
croit n'avoir de vie, et qu'elle n'a d'espérance qu'en Jésus-Christ seul? Cette
espérance est si forte, qu'elle fait sentir aux enfants de Dieu qui marchent
fidèlement dans ses voies, une paix qui surpasse toute intelligence,
selon ce que dit l'Apôtre (1). Mais encore que cette espérance soit plus forte
que les promesses et les menaces du monde, et qu'elle suffise pour calmer le
trouble de nos consciences, elle n'y éteint pas tout à fait la crainte, parce
que si nous sommes assurés que Dieu ne nous abandonne jamais de lui-même, nous
ne sommes jamais certains que nous ne le perdrons pas par notre faute, en
rejetant ses inspirations. Il lui a plu de tempérer par cette crainte salutaire
la confiance qu'il inspire à ses enfants, parce que, comme dit saint Augustin, «
telle est notre infirmité dans ce lieu de tentations et de périls, qu'une pleine
sécurité produirait en nous le relâchement et l'orgueil; » au lieu que cette
crainte, qui selon le précepte de l'Apôtre, nous « fait opérer notre salut avec
tremblement (2), » nous rend vigilants, et fait que nous nous attachons avec une
humble dépendance à celui a qui opère en nous par sa grâce le vouloir et le
faire suivant son bon plaisir, » comme dit le même saint Paul
Voilà ce qu'il y a de plus
nécessaire dans la doctrine de la justification; et nos adversaires seraient
fort déraisonnables, s'ils ne confessaient que cette doctrine suffit pour
apprendre aux chrétiens qu'ils doivent rapporter à Dieu par Jésus-Christ toute
la gloire de leur salut.
Si les ministres après cela se
jettent sur des questions de subtilité, il est bon de les avertir qu'il n'est
plus temps désormais qu'ils se rendent si difficiles envers nous, après les
choses qu'ils ont accordées aux Luthériens et à leurs propres frères sur le
sujet de la prédestination et de la grâce. Cela doit leur avoir appris à se
réduire dans cette matière, à ce qui est absolument nécessaire pour établir les
fondements de la piété chrétienne.
Que s'ils peuvent une fois se
résoudre à se renfermer dans ces limites, ils seront bientôt satisfaits; et ils
cesseront de nous
1 Philip., IV, 7. — 2 Philipp., II, 12. — 3
Ibid., 13.
67
objecter que nous anéantissons la grâce de Dieu, en
attribuant tout à nos bonnes œuvres, puisque nous leur avons montré en termes si
clairs dans le concile de Trente ces trois points si décisifs en cette matière :
« Que nos péchés nous sont pardonnes par une pure miséricorde, à cause de
Jésus-Christ; que nous devons à une libéralité gratuite la justice qui est en
nous par le Saint-Esprit; et que toutes les bonnes œuvres que nous faisons sont
autant de dons de la grâce. »
Aussi faut-il avouer que les
doctes de leur parti ne contestent plus tant sur cette matière qu'ils faisaient
au commencement ; et il y en a peu qui ne nous confessent qu'il ne fallait pas
se séparer pour ce point. Mais si cette importante difficulté de la
justification, de laquelle leurs premiers auteurs ont fait leur fort, n'est plus
maintenant considérée comme capitale par les personnes les mieux sensées qu'ils
aient entre eux, on leur laisse à penser ce qu'il faut juger de leur séparation,
et ce qu'il faudrait espérer pour la paix, s'ils se mettaient au-dessus de la
préoccupation, et s'ils quittaient l'esprit de dispute.
Il faut encore expliquer de
quelle sorte nous croyons pouvoir satisfaire à Dieu par sa grâce, afin de ne
laisser aucun doute sur cette matière.
Les catholiques enseignent d'un
commun accord, que le seul Jésus-Christ Dieu et homme tout ensemble, était
capable par la dignité infinie de sa personne, d'offrir à Dieu une satisfaction
suffisante pour nos péchés. Mais ayant satisfait surabondamment, il a pu nous
appliquer cette satisfaction infinie en deux manières : ou bien en nous donnant
une entière abolition, sans réserver aucune peine; ou bien en commuant une plus
grande peine en une moindre, c'est-à-dire la peine éternelle en des peines
temporelles. Comme cette première façon est la plus entière et la plus conforme
à sa bonté, il en use d'abord dans le baptême : mais nous croyons qu'il se sert
de la seconde dans la rémission qu'il accorde aux baptisés qui retombent dans le
péché, y étant forcé en quelque manière par l'ingratitude de ceux qui ont abusé
de ses premiers
68
dons ; de sorte qu'ils ont à souffrir quelque peine
temporelle, bien que la peine éternelle leur soit remise.
Il ne faut pas conclure de là
que Jésus-Christ n'ait pas entièrement satisfait pour nous; mais au contraire
qu'ayant acquis sur nous un droit absolu par le prix infini qu'il a donné pour
notre salut, il nous accorde le pardon, à telle condition, sous telle loi et
avec telle réserve qu'il lui plaît.
Nous serions injurieux et
ingrats envers le Sauveur, si nous osions lui disputer l'infinité de son mérite,
sous prétexte qu'en nous pardonnant le péché d'Adam, il ne nous décharge pas en
même temps de toutes ses suites, nous laissant encore assujettis à la mort et à
tant d'infirmités corporelles et spirituelles que ce péché nous a causées. Il
suffit que Jésus-Christ ait payé une fois le prix par lequel nous serons un jour
entièrement délivrés de tous les maux qui nous accablent ; c'est à nous à
recevoir avec humilité et avec actions de grâces chaque partie de son bienfait,
en considérant le progrès avec lequel il lui plaît d'avancer notre délivrance,
selon l'ordre que sa sagesse a établi pour notre bien, et pour une plus claire
manifestation de sa bonté et de sa justice.
Par une semblable raison nous ne
devons pas trouver étrange, si celui qui nous a montré une si grande facilité
dans le baptême se rend plus difficile envers nous après que nous en avons violé
les saintes promesses. Il est juste, et même il est salutaire pour nous, que
Dieu en nous remettant le péché avec la peine éternelle que nous avions méritée,
exige de nous quelque peine temporelle pour nous retenir dans le devoir : de
peur que, sortant trop promptement des liens de la justice, nous ne nous
abandonnions à une téméraire confiance, abusant de la facilité du pardon.
C'est donc pour satisfaire à
cette obligation que nous sommes assujettis à quelques œuvres pénibles, que nous
devons accomplir en esprit d'humilité et de pénitence ; et c'est la nécessité de
ces œuvres satisfactoires, qui a obligé l'Eglise ancienne à imposer aux
pénitents les peines qu'on appelle canoniques.
Quand donc elle impose aux
pécheurs des œuvres pénibles et laborieuses, et qu'ils les subissent avec
humilité, cela s'appelle Satisfaction; et lorsqu'ayant égard, ou à la
ferveur des pénitents,
69
ou à d'autres bonnes œuvres qu'elle leur prescrit, elle
relâche quelque chose de la peine qui leur est due, cela s'appelle Indulgence.
Le concile de Trente ne propose
autre chose à croire sur le sujet des indulgences, sinon que « la puissance de
les accorder a été donnée à l'Eglise par Jésus-Christ, et que l'usage en est
salutaire: » à quoi ce concile ajoute « qu'il doit être retenu, avec modération
toutefois, de peur que la discipline ecclésiastique ne soit énervée par une
excessive facilité (1) : » ce qui montre que la manière de dispenser les
indulgences regarde la discipline.
Ceux qui sortent de cette vie
avec la grâce et la charité, mais toutefois redevables encore des peines que la
justice divine a réservées , les souffrent en l'autre vie. C'est ce qui a obligé
toute l'antiquité chrétienne à offrir des prières, des aumônes et des sacrifices
pour les fidèles qui sont décédés en la paix et en la communion de l'Eglise,
avec une foi certaine qu'ils peuvent être aidés par ces moyens. C'est ce que le
concile de Trente nous propose à croire touchant les âmes détenues dans le
purgatoire (2), sans déterminer en quoi consistent leurs peines, ni beaucoup
d'autres choses semblables sur lesquelles ce saint concile demande une grande
retenue, blâmant ceux qui débitent ce qui est incertain et suspect.
Telle est la sainte et innocente
doctrine de l'Eglise catholique touchant les satisfactions, dont on a voulu lui
faire un si grand crime. Si après cette explication, Messieurs de la religion
prétendue réformée nous objectent que nous faisons tort à la satisfaction de
Jésus-Christ, il faudra qu'ils aient oublié que nous leur avons dit que le
Sauveur a payé le prix entier de notre rachat; que rien ne manque à ce prix,
puisqu'il est infini ; et que ces réserves de peines, dont nous avons parlé, ne
proviennent d'aucun défaut de ce paiement, mais d'un certain ordre qu'il a
établi pour nous retenir par de justes appréhensions et par une discipline
salutaire.
Que s'ils nous opposent encore
que nous croyons pouvoir satisfaire par nous-mêmes à quelque partie de la peine
qui est due à
1 Contin. sess. XXV, Decr. de Indulg. — 2 Sess. XXV,
Decr. de Purgat.
70
nos péchés, nous pourrons dire avec confiance que le
contraire paraît par les maximes que nous avons établies. Elles font voir
clairement que tout notre salut n'est qu'une œuvre de miséricorde et de grâce;
que ce que nous faisons par la grâce de Dieu n'est pas moins à lui que ce qu'il
fait tout seul par sa volonté absolue ;. et qu'enfin ce que nous lui donnons ne
lui appartient pas moins que ce qu'il nous donne. A quoi il faut ajouter que ce
que nous appelons satisfaction après toute l'Eglise ancienne, n'est après
tout qu'une application de la satisfaction de Jésus-Christ.
Cette même considération doit
apaiser ceux qui s'offensent, quand nous disons que Dieu a tellement agréable la
charité fraternelle et la communion de ses Saints, que souvent même il reçoit
les satisfactions que nous lui offrons les uns pour les autres. Il semble que
ces Messieurs ne conçoivent pas combien tout ce que nous sommes est à Dieu; ni
combien tous les égards, que sa bonté lui fait avoir pour les fidèles qui sont
les membres de Jésus-Christ, se rapportent nécessairement à ce divin chef. Mais
certes ceux qui ont lu et qui ont considéré que Dieu même inspire à ses
serviteurs le désir de s'affliger dans le jeune, dans le sac et dans la cendre,
non-seulement pour leurs péchés, mais pour les péchés de tout le peuple, ne
s'étonneront pas si nous disons que touché du plaisir qu'il a de gratifier ses
amis, il accepte miséricordieusement l'humble sacrifice de leurs mortifications
volontaires, en diminution des châtiments qu'il préparait à son peuple : ce qui
montre que satisfait par les uns, il veut bien s'adoucir envers les autres,
honorant par ce moyen son Fils Jésus-Christ dans la communion de ses membres et
dans la sainte société de son corps mystique.
L'ordre de la doctrine demande
que nous parlions maintenant des sacrements, par lesquels les mérites de
Jésus-Christ nous sont appliqués. Comme les disputes que nous avons en cet
endroit, si nous en exceptons celle de l'Eucharistie, ne sont pas les plus
échauffées, nous éclaircirons d'abord en peu de paroles les principales
difficultés qu'on nous fait touchant les autres sacrements,
71
réservant pour la fin celle de l'Eucharistie, gui est la
plus importante de toutes.
Les sacrements de la nouvelle
alliance ne sont pas seulement des signes sacrés qui nous représentent la grâce,
ni des sceaux qui nous la confirment, mais des instruments du Saint-Esprit, qui
servent à nous l'appliquer, et qui nous la confèrent en vertu des paroles qui se
prononcent, et de l'action qui se fait sur nous au dehors, pourvu que nous n'y
apportions aucun obstacle par notre mauvaise disposition.
Lorsque Dieu attache une si
grande grâce à des signes extérieurs , qui n'ont de leur nature aucune
proportion avec un effet si admirable, il nous marque clairement, qu'outre tout
ce que Dons pouvons faire au dedans de nous par nos bonnes dispositions, il faut
qu'il intervienne pour notre sanctification une opération spéciale du
Saint-Esprit, et une application singulière du mérite de notre Sauveur, qui nous
est démontrée par les sacrements. Ainsi l'on ne peut rejeter cette doctrine sans
faire tort au mérite le Jésus-Christ et à l'oeuvre de la puissance divine dans
notre régénération.
Nous reconnaissons sept signes
ou cérémonies sacrées établies par Jésus-Christ, comme les moyens ordinaires
delà sanctification et de la perfection du nouvel homme. Leur institution divine
paraît dans l'Ecriture sainte, ou par les paroles expresses de Jésus-Christ qui
les établit, ou par la grâce, qui selon la même Ecriture y est attachée, et qui
marque nécessairement un ordre de Dieu.
Comme les petits enfants ne
peuvent suppléer le défaut du baptême par les actes de foi, d'espérance et de
charité, ni par le vœu de recevoir ce sacrement, nous croyons que s'ils ne le
reçoivent en effet, ils ne participent en aucune sorte à la grâce de la
rédemption; et qu'ainsi mourant en Adam, ils n'ont aucune part avec
Jésus-Christ.
Il est bon d'observer ici que
les luthériens croient avec l'Eglise catholique la nécessité absolue du baptême
pour les petits enfants, et s'étonnent avec elle de ce qu'on a nié une vérité
qu'aucun homme avant Calvin n'avait osé ouvertement révoquer en doute,
72
tant elle était fortement imprimée dans l'esprit de tous
les fidèles.
Cependant les prétendus réformés
ne craignent pas de laisser volontairement mourir leurs enfants, comme les
enfants des infidèles, sans porter aucune marque du christianisme, et sans en
avoir reçu aucune grâce, si la mort prévient leur jour d'assemblée.
L'imposition des mains pratiquée
par les saints apôtres (1) pour confirmer les fidèles contre les persécutions,
ayant son effet principal dans la descente intérieure du Saint-Esprit et dans
l'infusion de ses dons, elle n'a pas dû être rejetée par nos adversaires, sous
prétexte que le Saint-Esprit ne descend plus visiblement sur nous. Aussi toutes
les églises chrétiennes l'ont-elles religieusement retenue depuis le temps des
apôtres, se servant aussi du saint chrême, pour démontrer la vertu de ce
sacrement par une représentation plus expresse de l'onction intérieure du
Saint-Esprit.
Nous croyons qu'il a plu à
Jésus-Christ que ceux qui se sont soumis à l'autorité de l'Eglise par le
baptême, et qui depuis on violé les lois de l'Evangile, viennent subir le
jugement de la même Eglise dans le tribunal de la pénitence, où elle exerce la
puissance qui lui est donnée de remettre et de retenir les péchés (2).
Les termes de la commission qui
est donnée aux ministres de l'Eglise pour absoudre les péchés sont si généraux,
qu'on ne peut sans témérité la réduire aux péchés publics ; et comme quand
ils-prononcent l'absolution au nom de Jésus-Christ, ils ne font que suivre les
termes exprès de cette commission, le jugement est censé rendu par Jésus-Christ
même, pour lequel ils sont établis juges. C'est ce Pontife invisible qui absout
intérieurement le pénitent, pendant que le prêtre exerce le ministère extérieur.
Ce jugement étant un frein si
nécessaire à la licence, une source si féconde de sages conseils, une si
sensible consolation pour les âmes affligées de leurs péchés, lorsque
non-seulement on leur déclare en termes généraux leur absolution, comme les
ministres le pratiquent, mais qu'on les absout en effet par l'autorité de
Jésus-Christ après un examen particulier et avec connaissance de cause : nous ne
pouvons croire que nos adversaires puissent envisager
1 Act., VIII, 15, 17. — 2
Matth., XVIII, 18; Joan., XX, 23.
73
tant de biens sans en regretter la perte, et sans avoir
linéique honte d'une réformation qui a retranché une pratique si salutaire et si
sainte.
Le Saint-Esprit ayant attaché à
l'Extrême-Onction, selon le témoignage de saint Jacques (1), la promesse
expresse de la rémission des péchés et du soulagement du malade, rien ne manque
à cette sainte cérémonie pour être un véritable sacrement. Il faut seulement
remarquer que, suivant la doctrine du concile de Trente (2), le malade est plus
soulagé selon l’âme que selon le corps; et que, comme le bien spirituel est
toujours l'objet principal de la loi nouvelle, c'est aussi celui que nous devons
attendre absolument de cette sainte onction, si nous sommes bien disposés; au
lieu que le soulagement dans les maladies nous est seulement accordé par rapport
à notre salut éternel, suivant les dispositions cachées de la divine Providence,
et les divers degrés de préparation et de foi qui se trouvent dans les fidèles.
Quand on considérera que
Jésus-Christ a donné une nouvelle forme au mariage, en réduisant cette sainte
société à deux personnes immuablement et indissolublement unies (3); et quand on
verra que cette inséparable union est le signe de son union éternelle avec son
Eglise (4) : on n'aura pas de peine à comprendre que le mariage des fidèles est
accompagné du Saint-Esprit et de la grâce; et on louera la bonté divine, de ce
qu'il lui a plu de consacrer de cette sorte la source de notre naissance.
L'imposition des mains que
reçoivent les ministres des choses saintes étant accompagnée d'une vertu si
présente du Saint-Esprit et d'une infusion si entière de la grâce (5), elle doit
être mise au nombre des sacrements. Aussi faut-il avouer que nos adversaires
n'en excluent pas absolument la consécration des ministres, mais qu'ils
l'excluent simplement du nombre des sacrements, qui sont communs à toute
l’Eglise (6).
1 Jacob., V, 14, 15. — 2 Sess. XIV, cap.
II, De sacr. Extr. Unct. — 3 Matth., XIX, 5. — 4 Ephes., V,
32. — 5 I Timoth., IV, 14; II Timoth., I, 6. — 6 Confess. de
foi, art. 35.
Nous voilà enfin arrivés à la
question de l'Eucharistie, où il sera nécessaire d'expliquer plus amplement
notre doctrine, sans toutefois nous éloigner trop des bornes que nous nous
sommes prescrites.
La présence réelle du corps et
du sang de Notre-Seigneur dans ce sacrement, est solidement établie par les
paroles de l'institution, lesquelles nous entendons à la lettre; et il ne nous
faut non plus demander pourquoi nous nous attachons au sens propre et littéral,
qu'à un voyageur pourquoi il suit le grand chemin. C'est à ceux qui ont recours
aux sens figurés et qui prennent des sentiers détournés, à rendre raison de ce
qu'ils font. Pour nous qui ne trouvons rien dans les paroles dont Jésus-Christ
se sert pour l'institution de ce mystère, qui nous oblige à les prendre en un
sens figuré, nous estimons que cette raison suffit pour nous déterminer au sens
propre. Mais nous y sommes encore plus fortement engagés, quand nous venons à
considérer dans ce mystère l'intention du Fils de Dieu, que j'expliquerai le
plus simplement qu'il me sera possible, et par des principes dont je crois que
nos adversaires ne pourront disconvenir.
Je dis donc que ces paroles du
Sauveur : « Prenez, mangez, ceci est mon corps donné pour vous (1), » nous font
voir que, comme les anciens Juifs ne s'unissaient pas seulement en esprit à
l'immolation des victimes qui étaient offertes pour eux, mais qu'en effet ils
mangeaient la chair sacrifiée, ce qui leur était une marque de la part qu'ils
avaient à cette oblation : ainsi Jésus-Christ s'étant fait lui-même notre
victime, a voulu que nous mangeassions effectivement la chair de ce sacrifice ,
afin que la communication actuelle de cette chair adorable fût un témoignage
perpétuel à chacun de nous en particulier, que c'est pour nous qu'il l’a prise,
et que c'est pour nous qu'il l'a immolée.
Dieu avait défendu aux Juifs de
manger l'hostie qui était
1 Matth., XXVI, 26; Luc., XXII, 19.
75
immolée pour leurs péchés (1), afin de leur apprendre que
la véritable expiation des crimes ne se faisait pas dans la loi, ni par le sang
des animaux : tout le peuple était comme en interdit par cette défense, sans
pouvoir actuellement participer à la rémission des péchés. Par une raison
opposée, il fallait que le corps de notre Sauveur, vraie hostie immolée pour le
péché, fût mangé par les fidèles, afin de leur montrer par cette manducation que
la rémission des péchés était accomplie dans le Nouveau Testament.
Dieu défendait aussi au peuple
juif de manger du sang; et l'une des raisons de cette défense, était «que le
sang nous est donné pour l'expiation de nos âmes (2) » Mais au contraire notre
Sauveur nous propose son sang à boire, à cause « qu'il est répandu pour la
rémission des péchés (3). »
Ainsi la manducation de la chair
et du sang du Fils de Dieu est aussi réelle à la sainte table, que la grâce,
l'expiation des péchés et la participation au sacrifice de Jésus-Christ est
actuelle et effective dans la nouvelle alliance.
Toutefois, comme il désirait
exercer notre foi dans ce mystère, et en même temps nous ôter l'horreur de
manger sa chair et de boire son sang en leur propre espèce, il était convenable
qu'il nous les donnât enveloppés sous une espèce étrangère. Mais si ces
considérations l'ont obligé de nous faire manger la chair de notre victime d'une
autre manière que n'ont fait les Juifs, il n'a pas dû pour cela nous rien ôter
de la réalité et de la substance.
Il paraît donc que pour
accomplir les figures anciennes, et nous mettre en possession actuelle de la
victime offerte pour notre péché, Jésus-Christ a eu dessein de nous donner en
vérité son corps et son sang : ce qui est si évident, que nos adversaires mêmes
veulent que nous croyions qu'ils ont en cela le même sentiment que nous,
puisqu'ils ne cessent de nous répéter qu'ils ne nient ni la vérité ni la
participation réelle du corps et du sang dans l'Eucharistie. C'est ce que nous
examinerons dans la suite, où nous croyons devoir exposer leur sentiment, après
que nous aurons achevé d'expliquer celui de l'Eglise. Mais en attendant, nous
conclurons que si la simplicité des paroles du Fils de Dieu les
1 Levit., VI, 30. — 2 Levit., XVII, 11. — 3
Matth., XXVI, 28.
76
force à reconnaître que son intention expresse a été de
nous donner en vérité sa chair, quand il a dit : « Ceci est mon corps, » ils ne
doivent pas s'étonner si nous ne pouvons consentir à n'entendre ces mots qu'en
figure.
En effet le Fils de Dieu, si
soigneux d'exposer à ses apôtres ce qu'il enseigne sous des paraboles et sous
des figures, n'ayant rien dit ici pour s'expliquer, il paraît qu'il a laissé ses
paroles dans leur signification naturelle. Je sais que ces Messieurs prétendent
que la chose s'explique assez d'elle-même, parce qu'on voit bien, disent-ils,
que ce qu'il présente n'est que du pain et du vin : mais ce raisonnement
s'évanouit, quand on considère que celui qui parle est d'une autorité qui
prévaut aux sens, et d'une puissance qui domine toute la nature. Il n'est pas
plus difficile au Fils de Dieu de faire que son corps soit dans l'Eucharistie,
en disant : a Ceci est mon corps, » que de faire qu'une femme soit délivrée de
sa maladie, en disant : « Femme, tu es délivrée de ta maladie (1) ;» ou de faire
que la vie soit conservée à un jeune homme, en disant à son père : « Ton fils
est vivant (2) ; » ou enfin de faire que les péchés du paralytique lui soient
remis, en lui disant : « Tes péchés te sont remis (3).»
Ainsi n'ayant point à nous
mettre en peine comment il exécutera ce qu'il dit, nous nous attachons
précisément à ses paroles. Celui qui fait ce qu'il veut, en parlant opère ce
qu'il dit : et il a été plus aisé au Fils de Dieu de forcer les lois de la
nature pour vérifier ses paroles, qu'il ne nous est aisé d'accommoder notre
esprit à des interprétations violentes, qui renversent toutes les lois du
discours.
Ces lois du discours nous
apprennent que le signe qui représente naturellement, reçoit souvent le nom de
la chose, parce qu'il lui est comme naturel d'en ramener l'idée à l'esprit. Le
même arrive aussi, quoiqu'avec certaines limites, aux signes d'institution,
quand ils sont reçus et qu'on y est accoutumé. Mais qu'en établissant un signe
qui de soi n'a aucun rapport à la chose ; par exemple, un morceau de pain pour
signifier le corps d'un homme, on lui en donne le nom sans rien expliquer, et
avant que
1 Luc., XIII, 12.— 2 Joan., IV,
50. — 3 Matth., IX, 2.
77
personne en soit convenu, comme a fait Jésus-Christ dans la
Cène : c'est une chose inouïe, et dont nous ne voyons aucun exemple dans toute
l'Ecriture sainte, pour ne pas dire dans tout le langage humain.
Aussi Messieurs de la religion
prétendue réformée ne s'arrêtent pas tellement au sens figuré qu'ils ont voulu
donner aux paroles de Jésus-Christ, qu'en même temps ils ne reconnaissent qu'il
a eu intention, en les proférant, de nous donner en vérité son corps et son
sang.
Après avoir proposé les
sentiments de l'Eglise touchant ces paroles : « Ceci est mon corps, » il faut
dire ce qu'elle pense de celles que Jésus-Christ y ajouta : « Faites ceci en
mémoire de moi (1).» Il est clair que l'intention du Fils de Dieu est de nous
obliger par ces paroles à nous souvenir de la mort qu'il a endurée pour notre
salut; et saint Paul conclut de ces mêmes paroles, que « nous annonçons la mort
du Seigneur (2) » dans ce mystère. Or il ne faut pas se persuader que ce
souvenir de la mort de Notre-Seigneur exclue la présence réelle de son corps :
au contraire, si on considère ce que nous venons d'expliquer, on entendra
clairement que cette commémoration est fondée sur la présence réelle. Car de
même que les Juifs en mangeant les victimes pacifiques, se souvenaient qu'elles
avaient été immolées pour eux, ainsi en mangeant la chair de Jésus-Christ notre
victime, nous devons nous souvenir qu'il est mort pour nous. C'est donc cette
même chair mangée par les fidèles, qui non-seulement réveille en nous la mémoire
de son immolation, mais encore qui nous en confirme la vérité. Et loin de
pouvoir dire que cette commémoration solennelle, que Jésus-Christ nous ordonne
de faire, exclue la présence de sa chair, on voit au contraire que ce tendre
souvenir qu'il veut que nous ayons à la sainte table de lui comme immolé pour
nous, est fondé sur ce que cette même chair y doit être prise réellement,
puisqu'en effet il ne nous est pas possible d'oublier que c'est pour nous qu'il
adonné son corps en sacrifice, quand
1 Luc., XXII, 19. — 2 I Cor., XI, 24,
26.
78
nous voyons qu'il nous donne encore tous les jours cette
victimes à manger.
Faut-il que des chrétiens sous
prétexte de célébrer dans la Cènes la mémoire de la passion de notre Sauveur,
ôtent à cette pieuse commémoration ce qu'elle a de plus efficace et de plus
tendre? Ne doivent-ils pas considérer que Jésus-Christ ne commande pas
simplement qu'on se souvienne de lui, mais qu'on s'en souvienne en mangeant sa
chair et son sang? Qu'on prenne garde à la suite, et à la force de ses paroles.
Il ne dit pas simplement, comme Messieurs de la religion prétendue réformée
semblent l'entendre, que le pain et le vin de l'Eucharistie nous soient un
mémorial de son corps et de son sang; mais il nous avertit qu'en faisant ce
qu'il nous prescrit, c'est-à-dire en prenant son corps et son sang, nous nous
souvenions de lui. Qu'y a-t-il en effet de plus puissant pour nous en faire
souvenir? Et si les enfants se souviennent si tendrement de leur père et de ses
bontés, lorsqu'ils s'approchent du tombeau où son corps est enfermé, combien
notre souvenir et notre amour doivent-ils être excités, lorsque nous tenons sous
ces enveloppes sacrées, sous ce tombeau mystique, la propre chair de notre
Sauveur immolé pour nous, cette chair vivante et vivifiante, et ce sang encore
tout chaud par son amour et tout plein d'esprit et de grâce? Que si nos
adversaires continuent de nous dire que celui qui nous commande de nous souvenir
de lui ne nous donne pas sa propre substance, il faudra enfin les prier de
s'accorder avec eux-mêmes. Ils protestent qu'ils ne nient pas dans l'Eucharistie
la communication réelle de la propre substance du Fils de Dieu. Si leurs paroles
sont sérieuses, si leur doctrine n'est pas une illusion, il faut nécessairement
qu'ils disent avec nous que le souvenir n'exclut pas toute sorte de présence,
mais seulement celle qui frappe les sens. Leur réponse sera la nôtre, puisqu'en
disant que Jésus-Christ est présent, nous reconnaissons en même temps qu'il ne
l'est pas d'une manière sensible.
Et si Ton nous demande d'où
vient que croyant, comme nous faisons, qu'il n'y a rien pour les sens dans ce
saint mystère, nous ne croyons pas qu'il suffise que Jésus-Christ y soit présent
par la fiai, il est aisé de répondre et de démêler cette équivoque. Autre chose
est de dire que le Fils de Dieu nous soit présent par la foi, et autre chose de
dire que nous sachions par la foi qu'il est présent. La première façon de parler
n'emporte qu'une présence morale : la seconde nous en signifie une très-réelle,
parce que la foi est très-véritable ; et cette présence réelle, connue par la
foi, suffit pour opérer dans le juste qui vit de foi (1), tous les
effets que j'ai remarqués.
Mais pour ôter une fois toutes
les équivoques dont les calvinistes se servent en cette matière, et faire voir
en même temps jusqu'à quel point ils se sont approchés de nous, quoique je n'aie
entrepris que d'expliquer la doctrine de l'Eglise, il sera bon d'ajouter ici
l'exposition de leurs sentiments.
Leur doctrine a deux parties :
lune ne parle que de figure du corps et du sang; l'autre ne parle que de réalité
du corps et du sang. Nous allons voir par ordre chacune de ces parties.
Ils disent premièrement que ce
grand miracle de la présence réelle, que nous admettons, ne sert de rien ; que
c'est assez pour notre salut que Jésus-Christ soit mort pour nous; que ce
sacrifice nous est suffisamment appliqué par la foi ; et que cette application
nous est suffisamment certifiée par la parole de Dieu. Ils ajoutent que s'il
faut revêtir cette parole de signes sensibles, il suffit de nous donner de
simples symboles, tels que l'eau du baptême, sans qu’il soit nécessaire de faire
descendre du ciel le corps et le sang de Jésus-Christ.
Il ne paraît rien de plus facile
que cette manière d'expliquer le sacrement de la Cène. Cependant nos adversaires
mêmes n'ont pas cru qu'ils dussent s'en contenter. Ils savent que de semblables
imaginations ont fait nier aux sociniens ce grand miracle de l'incarnation.
Dieu, disent ces hérétiques, pouvait nous sauver sans tant de détours : il
n'avait qu'à nous remettre nos fautes ; et il pouvait nous instruire
suffisamment, tant pour la doctrine que pour les mœurs, par les paroles et par
les exemples d'un homme plein du Saint-Esprit, sans qu'il fût besoin pour cela
d'en faire
1 Habac., II, 4.
80
un Dieu. Mais les calvinistes ont reconnu, aussi bien que
nous, le faible de ces arguments, qui paraît premièrement en ce qu'il ne nous
appartient pas de nier ou d'assurer les mystères, suivant qu'ils nous paraissent
utiles ou inutiles pour notre salut. Dieu seul en sait le secret ; et c'est à
nous de les rendre utiles et salutaires pour nous, en les croyant comme il les
propose, et en recevant ses grâces de la manière qu'il nous les présente.
Secondement , sans entrer dans la question de savoir s'il était possible à Dieu
de nous sauver par une autre voie que par l'incarnation et par la mort de son
Fils, et sans nous jeter dans cette dispute inutile que Messieurs de la religion
prétendue réformée traitent si longuement dans leurs écoles, il suffit d'avoir
appris par les saintes Ecritures que le Fils de Dieu a voulu nous témoigner son
amour par des effets incompréhensibles. Cet amour a été la cause de cette union
si réelle, par laquelle il s'est fait homme. Cet amour l'a porté à immoler pour
nous ce même corps aussi réellement qu'il l'a pris. Tous ces desseins sont
suivis, et cet amour se soutient partout de la même force. Ainsi quand il lui
plaira de faire ressentir à chacun de ses enfants, en se donnant à lui en
particulier, la bonté qu'il a témoignée à tous en général, il trouvera le moyen
de se satisfaire par des choses aussi effectives que celles qu'il avait déjà
accomplies pour notre salut. C'est pourquoi il ne faut plus s'étonner s'il donne
à chacun de nous la propre substance de sa chair et de son sang. Il le fait pour
nous imprimer dans le cœur que c'est pour nous qu'il les a pris, et qu'il les a
offerts en sacrifice. Ce qui précède nous rend toute cette suite croyable;
l'ordre de ses mystères nous dispose à croire tout cela; et sa parole expresse
ne nous permet pas d'en douter.
Nos adversaires ont bien vu que
de simples figures et de simples signes du corps et du sang ne contenteraient
pas les chrétiens, accoutumés aux bontés d'un Dieu qui se donne à nous si
réellement. C'est pourquoi ils ne veulent pas qu'on les accuse de nier une
participation réelle et substantielle de Jésus-Christ dans leur Cène. Ils
assurent, comme nous, qu'il nous y fait participants de « sa propre substance
(1) ; » ils disent qu'il « nous nourrit et vivifie
1 Catech. Dim., 53.
81
de la substance de son corps et de son sang (1) ; » et
jugeant que ce ne serait pas assez qu'il nous montrât par quelque signe que nous
eussions part à son sacrifice, ils disent expressément que le corps du Sauveur,
qui nous est donné dans la Cène (2), nous le certifie : paroles
très-remarquables, que nous examinerons incontinent.
Voilà donc le corps et le sang
de Jésus-Christ présents dans nos mystères, de l'aveu des calvinistes : car ce
qui est communiqué selon sa propre substance doit être réellement
présent. Il est vrai qu'ils expliquent cette communication, en disant qu'elle se
fait en esprit et par foi: mais il est vrai aussi qu'ils veulent qu'elle soit
réelle. Et parce qu'il n'est pas possible de faire entendre qu'un corps qui ne
nous est communiqué qu'en esprit et par foi, nous soit communiqué réellement et
en sa propre substance, ils n'ont pu demeurer fermes dans les deux parties d'une
doctrine si contradictoire ; et ils ont été obligés d'avouer deux choses qui ne
peuvent être véritables, qu'en supposant ce que l'Eglise catholique enseigne.
La première est que Jésus-Christ
nous est donné dans l'Eucharistie d'une manière qui ne convient ni au baptême,
ni à la prédication de l'Evangile, et qui est toute propre à ce mystère. Nous
allons voir la conséquence de ce principe : mais voyons auparavant comme il nous
est accordé par Messieurs de la religion prétendue réformée.
Je ne rapporterai ici le
témoignage d'aucun auteur particulier, mais les propres paroles de leur
Catéchisme dans l'endroit où il explique ce qui regarde la Cène. Il porte en
termes formels, non-seulement que Jésus-Christ nous est donné dans la Cène en
vérité « et selon sa propre substance (3) ; mais qu'encore qu'il nous soit
vraiment communiqué, et par le baptême et par l'Evangile, toutefois ce n'est
qu'en partie, et non pleinement (4). » D'où il suit qu'il nous est donné dans la
Cène pleinement et non en partie.
Il y a une extrême différence
entre recevoir en partie, et recevoir pleinement. Si donc on reçoit Jésus-Christ
partout ailleurs en partie, et qu'il n'y ait que dans la Cène où on le reçoive
1 Confess. de foi, art. 36. — 2
Catech. Dim., 52. — 3 Catech. Dim., 53. — 4 Catech.
Dim., 52.
82
pleinement : il s'ensuit du consentement de nos
adversaires, qu'il faut chercher dans la Cène une participation qui soit propre
à ce mystère, et qui ne convienne pas au baptême et à la prédication; mais en
même temps il s'ensuit aussi que cette participation n'est pas attachée à la
foi, puisque la foi se répandant généralement dans toutes les actions du
chrétien, se trouve dans la prédication et dans le baptême, aussi bien que dans
la Cène. En effet il est remarquable que quelque désir qu'aient eu les prétendus
réformateurs d'égaler le baptême et la prédication à la Cène, en ce que
Jésus-Christ nous y est vraiment communiqué, ils n'ont osé dire dans leur
Catéchisme que Jésus-Christ nous fût donné en sa propre substance dans le
baptême et dans la prédication, comme ils l'ont dit de la Cène. Ils ont donc vu
qu'ils ne pouvaient s'empêcher d'attribuer à la Cène une manière de posséder
Jésus-Christ qui fût particulière à ce sacrement; et que la foi, qui est commune
à toutes les actions du chrétien, ne pouvait être cette manière particulière. Or
cette manière particulière de posséder Jésus-Christ dans la Cène, doit aussi
être réelle, puisqu'elle donne aux fidèles la propre» substance du corps et du
sang de Jésus-Christ. Tellement qu'il faut conclure des choses qu'ils nous
accordent, qu'il y a dans l'Eucharistie une manière réelle de recevoir le corps
et le sang de notre Sauveur, qui ne se fait pas par la foi ; et c'est ce que
l'Eglise catholique enseigne.
La seconde chose accordée par
les prétendus réformateurs, est tirée de l'article qui suit immédiatement celui
que j'ai déjà cité de leur Catéchisme ; c'est « que le corps du Seigneur
Jésus, en tant qu'il a une fois été offert en sacrifice pour nous réconcilier à
Dieu, nous est maintenant donné pour nous certifier que nous avons part à cette
réconciliation (1). »
Si ces paroles ont quelque sens,
si elles ne sont point un son inutile et un vain amusement, elles doivent nous
faire entendre que Jésus-Christ ne nous donne pas un symbole seulement, mais son
propre corps, pour nous certifier que nous avons part à son sacrifice et à la
réconciliation du genre humain. Or si la réception du corps de Notre-Seigneur
nous certifie la participation au. fruit
1 Catéch. Dim., 52.
83
de sa mort, il faut nécessairement que cette participation
au fruit soit distinguée de la réception du corps, puisque l’une est le gage de
l'autre. D'où passant plus avant, je dis que si nos adversaires sont contraints
de distinguer dans la Cène la participation au corps du Sauveur d'avec là
participation au fruit et à la grâce de son sacrifice, il fout aussi qu'ils
distinguent la participation à ce divin corps d'avec toute la participation qui
se fait spirituellement et par la foi. Car cette dernière participation ne leur
fournira jamais deux actions distinguées, par l'une desquelles ils reçoivent le
corps du Sauveur, et par l'autre le fruit de son sacrifice ; nul homme ne
pouvant concevoir quelle différence il y a entre participer par la foi au corps
du Sauveur, et participer par la foi au fruit de sa mort. Il faut donc qu'ils
reconnaissent qu'outre la communion, par laquelle nous participons
spirituellement au corps de notre Sauveur et à son esprit tout ensemble en
recevant le fruit de sa mort, il y a encore une communion réelle au corps du
même Sauveur, qui nous est un gage certain que l'autre nous est assurée, si nous
n'empêchons l'effet d'une telle grâce par nos mauvaises dispositions. Cela est
nécessairement enfermé dans les principes dont ils conviennent ; et jamais ils
n'expliqueront cette vérité d'une manière tant soit peu solide, s'ils ne
reviennent au sentiment de l'Eglise.
Qui n'admirera ici la force de
la vérité? Tout ce qui suit des principes avoués par nos adversaires, s'entend
parfaitement dans le sentiment de l'Eglise. Les catholiques les moins instruits
conçoivent sans aucune peine qu'il y a dans l'Eucharistie une communion avec
Jésus-Christ, que nous ne trouvons nulle part ailleurs. Il leur est aisé
d'entendre que son corps « nous est donné, pour nous certifier que nous avons
part à son sacrifice et à sa mort. » Ils distinguent nettement ces deux façons
nécessaires de nous unir à Jésus-Christ : l'une, en recevant sa propre chair;
l'autre, en recevant son esprit, dont la première nous est accordée comme un
gage certain de la seconde. Mais comme ces choses sont inexplicables dans le
sentiment de nos adversaires, quoique d'ailleurs ils ne puissent les désavouer,
il faut conclure nécessairement que l'erreur les a jetés dans une contradiction
manifeste.
84
Je me suis souvent étonné de ce
qu'ils n'ont pas expliqué leur doctrine d'une manière plus simple. Que n'ont-ils
toujours persisté à dire, sans tant de façons, que Jésus-Christ ayant répandu
son sang pour nous, nous avait représenté cette effusion en nous donnant deux
signes distincts du corps et du sang ; qu'il avait bien voulu donner à ces
signes le nom de la chose même ; que ces signes sacrés nous étaient des gages
que nous participions an fruit de sa mort et que nous étions nourris
spirituellement par la vertu de son corps et de son sang? Après avoir fait tant
d'efforts pour prouver que les signes reçoivent le nom de la chose, et que pour
cette raison le signe du corps a pu être appelé le corps, toute cette suite de
doctrine les obligeait naturellement à s'en tenir là. Pour rendre ces signes
efficaces, il suffisait que la grâce de la rédemption y fût attachée, ou plutôt,
selon leurs principes, qu'elle nous y fût confirmée. Il ne fallait point se
tourmenter, comme ils ont fait, à nous faire entendre que nous recevons le
propre corps du Sauveur, pour nous certifier que nous participons à la grâce de
sa mort. Ces Messieurs s’étaient bien contentés d'avoir dans l'eau du baptême un
signe du sang qui nous lave ; et ils ne s'étaient point avisés de dire que nous
y reçussions la propre substance du sang du Sauveur, pour nous certifier que sa
vertu s'y déploie sur nous. S'ils avaient raisonné de même dans la matière de
l'Eucharistie, leur doctrine en aurait été moins embarrassée. Mais ceux qui
inventent et qui innovent, ne peuvent pas dire tout ce qu'ils veulent. Ils
trouvent des vérités constantes et des maximes établies qui les incommodent, et
qui les obligent à forcer leurs pensées. Les ariens eussent bien voulu ne donner
pas au Sauveur le nom de Dieu et de Fils unique. Les nestoriens
n'admettaient qu'à regret en Jésus-Christ cette je ne sais quelle unité de
personne que nous voyons dans leurs écrits. Les pélagiens, qui niaient le péché
originel, eussent nié aussi volontiers que le baptême dût être donné aux petits
enfants en rémission des péchés : par ce moyen ils se seraient débarrassés de
l'argument que les catholiques tiraient de cette pratique pour prouver le péché
originel. Mais, comme je viens de dire, ceux qui trouvent quelque chose d'établi
n'ont pas la hardiesse de tout renverser. Que les
85
calvinistes nous avouent de bonne foi la vérité : ils
eussent été tort disposés à reconnaître seulement dans l'Eucharistie le corps de
Jésus-Christ en figure, et la seule participation de son esprit en effet,
laissant à part ces grands mots de participation de propre substance, et tant
d'autres qui marquent une présence réelle, et gui ne font que les embarrasser.
Il aurait été assez de leur goût de ne confesser dans la Cène aucune communion
avec Jésus-Christ, que celle qui se trouve dans la prédication et dans le
baptême, sans nous aller dire, comme ils ont fait, que dans la Cène on le reçoit
pleinement, et ailleurs seulement en partie. Mais quoique ce fût
là leur inclination, la force des paroles y résistait. Le Sauveur ayant dit si
précisément de l'Eucharistie : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, » ce
qu'il n'a jamais dit de nulle antre chose ni en nulle autre rencontre : quelle
apparence de rendre commun à toutes les actions du chrétien ce que sa parole
expresse attache à un sacrement particulier ? Et puis, tout l'ordre des conseils
divins, la suite des mystères et de la doctrine, l'intention de Jésus-Christ
dans la Cène, les paroles mêmes dont il s'est servi, et l'impression qu'elles
font naturellement dans l'esprit des fidèles, ne donnent que des idées de
réalité. C'est pourquoi il a fallu que nos adversaires trouvassent des mots dont
le son du moins donnât quelque idée confuse de cette réalité. Quand on
s'attache, ou tout à fait à la foi, comme font les catholiques, ou tout à fait à
la raison humaine, comme font les infidèles, on peut établir une suite et faire
comme un plan uni de doctrine. Mais quand on veut faire un composé de l'un et de
l'autre, on dit toujours plus qu'on ne voudrait dire, et ensuite on tombe dans
des opinions dont les seules contrariétés font voir la fausseté toute manifeste.
C'est ce qui est arrivé à
Messieurs de la religion prétendue réformée; et Dieu l'a permis de la sorte,
pour faciliter leur retour à l'unité catholique. Car puisque leur propre
expérience leur fait voir qu'il faut nécessairement parler comme nous, pour
parler le langage de la vérité; ne devraient-ils pas juger qu'il faut penser
comme nous pour la bien entendre? S'ils remarquent dans leur propre créance des
choses qui n'ont aucun sens que dans la nôtre,
86
n'en est-ce pas assez pour les convaincre que la vérité
n'est en son entier que parmi nous? Et ces parcelles détachées de la doctrine
catholique, qui paraissent deçà et delà dans leur Catéchisme, mais qui demandent
pour ainsi dire d'être réunies à leur tout, ne doivent-elles pas leur faire
chercher dans la communion de l'Eglise la pleine et entière explication du
mystère de l'Eucharistie? Ils y viendraient sans doute, si les raisonnements
humains n'embarrassaient leur foi trop dépendante des sens. Mais après leur
avoir montré quel fruit ils doivent tirer de l'exposition de leur doctrine,
achevons d'expliquer la nôtre.
Puisqu'il était convenable,
ainsi qu'il a été dit, que les sens n'aperçussent rien dans ce mystère de foi,
il ne fallait pas qu'il y eût rien de changé à leur égard dans le pain et dans
le vin de l'Eucharistie. C'est pourquoi, comme on aperçoit les mêmes espèces, et
qu'on ressent les mêmes effets qu'auparavant dans ce sacrement, il ne faut pas
s'étonner si on lui donne quelquefois et en certain sens le même nom. Cependant
la foi, attentive à la parole de celui qui fait tout ce qu'il lui plaît dans le
ciel et dans la terre, ne reconnaît plus ici d'autre substance que celle qui est
désignée par cette même parole, c'est-à-dire le propre corps et le propre sang
de Jésus-Christ, auxquels le pain et le vin sont changés : c'est ce qu'on
appelle Transsubstantiation.
Au reste la vérité que contient
l'Eucharistie dans ce qu'elle a d'intérieur, n'empêche pas qu'elle ne soit un
signe dans ce qu'elle a d'extérieur et de sensible; mais un signe de telle
nature, que bien loin d'exclure la réalité, il l'emporte nécessairement avec
soi, puisqu'en effet cette parole : « Ceci est mon corps, » prononcée sur la
matière que Jésus-Christ a choisie, nous est un signe certain qu'il est présent
: et quoique les choses paraissent toujours les mêmes à nos sens, notre âme en
juge autrement qu'elle ne ferait, si une autorité supérieure n'était pas
intervenue. Au lieu donc que de certaines espèces et une certaine suite
d'impressions naturelles qui se font en nos corps ont accoutumé
87
de nous désigner la substance du pain et du vin, l'autorité
de celai à qui nous croyons fait que ces mêmes espèces commencent à nous
désigner une autre substance. Car nous écoutons celui qui dit que « ce que nous
prenons et ce que nous mangeons est son corps; » et telle est la force de cette
parole, qu'elle empêche que nous ne rapportions à la substance du pain ces
apparences extérieures, et nous les fait rapporter au corps de Jésus-Christ
présent : de sorte que la présence d'un objet si adorable nous étant certifiée
par ce signe, nous n'hésitons pas à y porter nos adorations.
Je ne m'arrête pas sur le point
de l'adoration, parce que les plus doctes et les plus sensés de nos adversaires
nous ont accordé, il y a longtemps, que la présence de Jésus-Christ dans
l'Eucharistie doit porter à l'adoration ceux qui en sont persuadés.
Au reste étant une fois
convaincus que les paroles toutes-puissantes du Fils de Dieu opèrent tout ce
qu'elles énoncent, nous croyons avec raison qu'elles eurent leur effet dans la
Cène aussitôt qu'elles furent proférées; et par une suite nécessaire, nous
reconnaissons la présence réelle du corps avant la manducation.
Ces choses étant supposées, le
sacrifice que nous reconnaissons dans l'Eucharistie n'a plus aucune difficulté
particulière.
Nous avons remarqué deux actions
dans ce mystère, qui ne laissent pas d'être distinctes, quoique l'une se
rapporte à l'autre. La première est la consécration, par laquelle le pain et le
vin sont changés au corps et au sang; et la seconde est la manducation, par
laquelle on y participe.
Dans la consécration, le corps
et le sang sont mystiquement séparés, parce que Jésus-Christ a dit séparément :
« Ceci est mon corps; ceci est mon sang ; » ce qui enferme une vive et efficace
représentation de la mort violente qu'il a soufferte.
Ainsi le Fils de Dieu est mis
sur la sainte table, en vertu de ces paroles, revêtu des signes qui représentent
sa mort : c'est ce qu'opère la consécration ; et cette action religieuse porte
avec soi la reconnaissance de la souveraineté de Dieu, en tant que Jésus-
88
Christ présent y renouvelle et perpétue en quelque sorte la
mémoire de son obéissance jusqu'à la mort de la croix ; si bien que rien ne lui
manque pour être un véritable sacrifice.
On ne peut douter que cette
action, comme distincte de la manducation, ne soit d'elle-même agréable à Dieu,
et ne l'oblige à nous regarder d'un œil plus propice, parce qu'elle lui remet
devant les yeux la mort volontaire que son Fils bien-aimé a soufferte pour les
pécheurs, ou plutôt elle lui remet devant les yeux son Fils même sous les signes
de cette mort, par laquelle il a été apaisé.
Tous les chrétiens confesseront
que la seule présence de Jésus-Christ est une manière d'intercession
très-puissante devant Dieu pour tout le genre humain, selon ce que dit l'Apôtre,
que Jésus-Christ « se présente et paraît pour nous devant la face de Dieu (1). »
Ainsi nous croyons que Jésus-Christ présent sur la sainte table en cette figure
de mort intercède pour nous, et représente continuellement à son Père la mort
qu'il a soufferte pour son Eglise.
C'est en ce sens que nous disons
que Jésus-Christ s'offre à Dieu pour nous dans l'Eucharistie : c'est en cette
manière que nous . pensons que cette oblation fait que Dieu nous devient plus
propice, et c'est pourquoi nous l'appelons propitiatoire.
Lorsque nous considérons ce
qu'opère Jésus-Christ dans ce mystère , et que nous le voyons par la foi présent
actuellement sur la sainte table avec ces signes de mort, nous nous unissons à
lui en cet état; nous le présentons à Dieu comme notre unique victime, et notre
unique propitiateur par son sang, protestant que nous n'avons rien à offrir à
Dieu que Jésus-Christ et le mérite infini de sa mort. Nous consacrons toutes nos
prières par cette divine offrande; et en présentant Jésus-Christ à Dieu, nous
apprenons en même temps à nous offrir à 1a Majesté divine, en lui et par lui,
comme des hosties vivantes.
Tel est le sacrifice des
chrétiens, infiniment différent de celui qui se pratiquait dans la loi :
sacrifice spirituel et digne de la nouvelle alliance, où la victime présente
n'est aperçue que parla foi, où le glaive est la parole qui sépare mystiquement
le corps et le
1 Hebr., IX, J4.
89
sang, où ce sang par conséquent n'est répandu qu'en mystère
et où la mort n'intervient que par représentation : sacrifice néanmoins
très-véritable, en ce que Jésus-Christ y est véritablement contenu et présenté à
Dieu sous cette figure de mort : mais sacrifice de commémoration, qui bien loin
de nous détacher, comme on nous l'objecte, du sacrifice de la croix, nous y
attache par tontes ses circonstances, puisque non-seulement il s'y rapporte tout
entier, mais qu'en effet il n'est et ne subsiste que par ce rapport, et qu'il en
tire toute sa vertu.
C'est la doctrine expresse de
l'Eglise catholique dans le concile de Trente, qui enseigne que ce sacrifice
n'est institué qu'afin « de représenter celui qui a été une fois accompli en la
croix, d'en faire durer la mémoire jusqu'à la fin des siècles, et de nous en
appliquer la vertu salutaire pour la rémission des péchés que nous commettons
tous les jours (1). » Ainsi loin de croire qu'il manque quelque chose au
sacrifice de la croix, l'Eglise au contraire le croit si parfait et si
pleinement suffisant, que tout ce qui se fait ensuite n'est plus établi que pour
en célébrer la mémoire, et pour en appliquer la vertu.
Par là cette même Eglise
reconnaît que tout le mérite de la rédemption du genre humain est attaché à la
mort du Fils de Dieu ; et on doit avoir compris, par toutes les choses qui ont
été exposées, que lorsque nous disons à Dieu dans la célébration des divins
mystères : « Nous vous présentons cette hostie sainte, » nous ne prétendons
point par cette oblation faire ou présenter à Dieu un nouveau paiement du prix
de notre salut, mais employer auprès de lui les mérites de Jésus-Christ présent,
et le prix infini qu'il a payé une fois pour nous en la croix.
Messieurs de la religion
prétendue réformée ne croient point offenser Jésus-Christ, en l'offrant à Dieu
comme présent à leur foi ; et s'ils croyaient qu'il fût présent en effet, quelle
répugnance auraient-ils à l'offrir comme étant effectivement présent? Ainsi
toute la dispute devrait de bonne foi être réduite à la seule présence.
Après cela, toutes ces fausses
idées que Messieurs de la religion prétendue réformée se font du sacrifice que
nous offrons, devraient
1 Sess., XXII, cap. I, De sacrificio
Missœ.
90
s'effacer. Ils devraient reconnaître franchement que les
catholiques ne prétendent pas se faire une nouvelle propitiation, pour apaiser
Dieu de nouveau, comme s'il ne l’était pas suffisamment par le sacrifice de la
croix; ou pour ajouter quelque supplément au prix de notre salut, comme s'il
était imparfait. Toutes ces choses n'ont point de lieu dans notre doctrine,
puisque tout se fait ici par forme d'intercession et d'application, en la
manière qui vient d'être expliquée.
XV. — L'Epître
aux Hébreux.
Après cette explication, ces
grandes objections qu'on tire de l’Epître aux Hébreux et qu'on fait tant
valoir contre nous, paraîtront peu raisonnables; et c'est en vain qu'on
s'efforce de prouver, par le sentiment de l'Apôtre, que nous anéantissons le
sacrifiée de la croix. Mais comme la preuve la plus certaine qu'on puisse avoir
que deux doctrines ne sont point opposées, est de reconnaître, en les
expliquant, qu'aucune des propositions de l'une n'est contraire aux propositions
de l'autre : je crois devoir en cet endroit exposer sommairement la doctrine de
l’Epître aux Hébreux.
L'Apôtre a dessein en cette
Epître de nous enseigner que le pécheur ne pouvait éviter la mort, qu'en
subrogeant en sa place quelqu'un qui mourût pour lui ; que tant que les hommes
n'ont mis en leur place que des animaux égorgés, leurs sacrifices n'opéraient
autre chose qu'une reconnaissance publique qu'ils méritaient la mort; et que la
justice divine ne pouvant pas être satisfaite d'un échange si inégal, on
recommençait tous les jours à égorger des victimes; ce qui était une marque
certaine de l'insuffisance de cette subrogation : mais que depuis que
Jésus-Christ avait voulu mourir pour les pécheurs, Dieu satisfait de la
subrogation volontaire d'une si digne personne, n'avait plus rien à exiger pour
le prix de notre rachat. D'où l'Apôtre conclut que non-seulement on ne doit plus
immoler d'autre victime après Jésus-Christ, mais que Jésus-Christ même ne doit
être offert qu'une seule fois à la mort.
Que le lecteur soigneux de son
salut, et ami de la vérité,
91
repasse maintenant dans son esprit ce que nous avons dit de
la manière dont Jésus-Christ s'offre pour nous à Dieu dans l'Eucharistie; je
m'assure qu'il n'y trouvera aucunes propositions qui soient contraires à celles
que je viens de rapporter de l'Apôtre, ou qui affaiblissent sa preuve : de sorte
qu'on ne pourrait tout au plus nous objecter que son silence. Mais ceux qui
voudront considérer la sage dispensation que Dieu fait de ses secrets dans les
divers livres de son Ecriture, ne voudront pas nous astreindre à recevoir de la
seule Epître aux Hébreux toute notre instruction sur une matière qui
n'était point nécessaire au sujet de cette Epître, puisque l'Apôtre se propose
d'y expliquer la perfection du sacrifice de la croix, et non les moyens
différents que Dieu nous a donnés pour nous l'appliquer.
Et pour ôter toute équivoque, si
l'on prend le mot offrir, comme il est pris dans cette Epître, au
sens qui emporte la mort actuelle de la victime, nous confesserons hautement que
Jésus-Christ n'est plus offert, ni dans l'Eucharistie, ni ailleurs. Mais comme
ce même mot a une signification plus étendue dans les antres endroits de
l'Ecriture, où il est souvent dit qu'on offre à Dieu ce qu'on présente devant
lui, l'Eglise qui forme son langage et sa doctrine, non sur la seule Epître
aux Hébreux, mais sur tout le corps des Ecritures, ne craint point de dire
que Jésus-Christ s'offre à Dieu partout où il paraît pour nous à sa face, et
qu’il s'y offre par conséquent dans l'Eucharistie, suivant les expressions des
saints Pères.
De penser maintenant que cette
manière dont Jésus-Christ se présente à Dieu, fasse tort au sacrifice de la
croix, c'est ce qui ne se peut en façon quelconque, si l'on ne veut renverser
toute l'Ecriture, et particulièrement cette même Epître que l'on veut
tant nous opposer. Car il faudrait conclure par même raison, que lorsque
Jésus-Christ se dévoue à Dieu a en entrant au monde, » pour se mettre à la place
des victimes « qui ne lui ont pas plu (1), » il fait tort à l'action par
laquelle il se dévoue sur la croix ; que lorsqu'il « continue de paraître pour
nous devant Dieu (2), » il affaiblit l’oblation, « par laquelle il a paru une
fois par l'immolation
1 Hebr., X, 5. — 2 Ibid., IX, 24.
92
de lui-même (1) ; et que ne cessant d'intercéder pour nous
(2), » il accuse d'insuffisance l'intercession qu'il a faite en mourant, avec
« tant de larmes et de si grands cris (3). »
Tout cela serait ridicule. C'est
pourquoi il faut entendre que Jésus-Christ, qui s'est une fois offert pour être
l'humble victime de la justice divine, ne cesse de s'offrir pour nous; que la
perfection infinie du sacrifice de la croix consiste en ce que tout ce qui le
précède, aussi bien que ce qui le suit, s'y rapporte entièrement; que comme ce
qui le précède en est la préparation, ce qui le suit en est la consommation et
l'application : qu'à la vérité le paiement du prix de notre rachat ne se réitère
plus, parce qu'il a été bien fait la première fois ; mais que ce qui nous
applique cette rédemption se continue sans cesse ; qu'enfin il faut savoir
distinguer les choses qui se réitèrent comme imparfaites, de celles qui se
continuent comme parfaites et nécessaires.
Nous conjurons Messieurs de la
religion prétendue réformée de faire un peu de réflexion sur les choses que nous
avons dites de l'Eucharistie.
La doctrine de la présence
réelle en a été le fondement nécessaire. Ce fondement nous est contesté par les
calvinistes. Il n'y a rien qui paraisse plus important dans nos controverses,
puisqu'il s'agit de la présence de Jésus-Christ même ; il n'y a rien que nos
adversaires trouvent plus difficile à croire, il n'y a rien en quoi nous soyons
si effectivement opposés.
Dans la plupart des autres
disputes, quand ces Messieurs nous écoutent paisiblement, ils trouvent que les
difficultés s'aplanissent, et que souvent ils sont plus choqués des mots que des
choses. Au contraire, sur ce sujet nous convenons davantage de la façon de
parler, puisqu'on entend de part et d'autre ces mots de participation réelle,
et autres semblables. Mais plus nous nous expliquons à fond, plus nous nous
trouvons contraires, parce que nos adversaires ne reçoivent pas toutes les
suites des vérités qu'ils ont reconnues, rebutés, comme j'ai dit, des
difficultés que
1 Hebr., IX, 26. — 2 Hebr.,
VII, 25. — 3 Hebr., V, 7.
93
les sens et la raison humaine trouvent dans ces
conséquences.
C'est donc ici, à vrai dire, la
plus importante et la plus difficile de nos controverses, et celle où nous
sommes en effet le plus éloignés.
Cependant Dieu a permis que les
Luthériens soient demeurés aussi attachés à la croyance de la réalité que nous :
et il a permis encore que les calvinistes aient déclaré que cette doctrine
n'a aucun venin : qu'elle ne renverse pas le fondement du salut et de la foi
; et qu'elle ne doit pas rompre la communion entre les frères.
Que ceux de Messieurs de la
religion prétendue réformée, qui pensent sérieusement à leur salut, se rendent
ici attentifs à l'ordre que tient la divine Providence, pour les approcher
insensiblement de nous et de la vérité. On peut, ou dissiper tout à fait, ou
réduire à très-peu de chose les autres sujets de leurs 'plaintes, pourvu qu'on
s'explique. En celle-ci, qu'on ne peut espérer de vaincre par ce moyen, ils ont
eux-mêmes levé la principale difficulté, en déclarant que cette doctrine n'est
pas contraire au salut et aux fondements de la religion.
Il est vrai que les luthériens,
quoique d'accord avec nous du fondement de la réalité, n'en reçoivent pas toutes
les suites. Ils mettent le pain avec le corps de Jésus-Christ; quelques-uns
d'eux rejettent l'adoration ; ils semblent ne reconnaître la présence que dans
l'usage. Mais aucune subtilité des ministres ne pourra jamais persuader aux gens
de bon sens, que supportant la réalité, qui est le point le plus important et le
plus difficile, on ne doive supporter le reste.
De plus, cette même Providence,
qui travaille secrètement à nous rapprocher, et pose des fondements de
réconciliation et de paix au milieu des aigreurs et des disputes, a permis
encore que les calvinistes soient demeurés d'accord, que supposé qu'il faille
prendre à la lettre ces paroles : « Ceci est mon corps, » les catholiques
raisonnent mieux et plus conséquemment que les luthériens.
Si je ne rapporte point les
passages qui ont été tant de fois cités en cette matière, on me le pardonnera
facilement, puisque tous ceux qui ne sont point opiniâtres, nous accorderont
sans peine que
94
la réalité étant supposée, notre doctrine est celle qui se
suit le mieux.
C'est donc une vérité établie,
que notre doctrine en ce point ne contient que la réalité bien entendue. Mais il
n'en faut pas demeurer là; et nous prions les prétendus réformés de considérer
que nous n'employons pas d'autres choses pour expliquer le sacrifice de
l'Eucharistie, que celles qui sont enfermées nécessairement dans cette réalité.
Si l'on nous demande après cela
d'où vient donc que les luthériens, qui croient la réalité, rejettent néanmoins
ce sacrifice, qui selon nous n'en est qu'une suite : nous répondrons en un mot
qu'il faut mettre cette doctrine parmi les autres conséquences de la présence
réelle, que ces mêmes luthériens n'ont pas entendues, et que nous avons mieux
pénétrées qu'eux, de l'aveu même des calvinistes.
Si nos explications persuadent à
ces derniers que notre doctrine sur le sacrifice est enfermée dans celle de la
réalité, ils doivent voir clairement que cette grande dispute du sacrifice de la
Messe, qui a rempli tant de volumes et qui a donné lieu à tant d'invectives ,
doit être dorénavant retranchée du corps de leurs controverses, puisque ce point
n'a plus aucune difficulté particulière; et (ce qui est bien plus important) que
ce sacrifice, pour lequel ils ont tant de répugnance, n'est qu'une suite
nécessaire et une explication naturelle d'une doctrine qui, selon eux, n'a
aucun venin.
Qu'ils s'examinent maintenant
eux-mêmes, et qu'ils voient après cela devant Dieu, s'ils ont autant de raison
qu'ils pensent en avoir, de s'être retirés des autels où leurs pères ont reçu le
pain de vie.
Il reste encore une conséquence
de cette doctrine à examiner, qui est que Jésus-Christ étant réellement présent
dans ce sacrement, la grâce et la bénédiction n'est pas attachée aux espèces
sensibles, mais à la propre substance de sa chair, qui est vivante et vivifiante
à cause de la divinité qui lui est unie. C'est pourquoi
95
tous ceux qui croient la réalité ne doivent point avoir de
peine à ne communier que sous une espèce, puisqu'ils y reçoivent tout ce qui est
essentiel à ce sacrement, avec une plénitude d'autant plus certaine, que la
séparation du corps et du sang n'étant pas réelle, ainsi qu'il a été dit, on
reçoit entièrement et sans division celui qui est seul capable de nous
rassasier.
Voilà le fondement solide sur
lequel l'Eglise, interprétant le précepte de la communion, a déclaré que l'on
pouvait recevoir la sanctification que ce sacrement apporte, sous une seule
espèce ; et si elle a réduit les fidèles à cette seule espèce, ce n'a pas été
par mépris de l'autre, puisqu'elle l'a fait au contraire pour empêcher les
irrévérences que la confusion et la négligence des peuples avaient causées dans
les derniers temps, se réservant le rétablissement de la communion sous les deux
espèces, suivant que cela sera plus utile pour la paix et pour l'unité.
Les théologiens catholiques ont
fait voir à Messieurs de la religion prétendue réformée, qu'ils ont eux-mêmes
usé de plusieurs interprétations semblables à celle-ci, en ce qui regarde
l'usage des sacrements : mais surtout on a eu raison de remarquer celle qui est
tirée du chapitre XII de leur discipline, titre de la Cène, article 7, où
ces paroles sont écrites : « On doit administrer le pain de la Cène à ceux qui
ne peuvent boire de vin, en faisant protestation que ce n'est par mépris et
faisant tel effort qu'ils pourront, même approchant la coupe de la bouche tant
qu'ils pourront, pour obvier à tout scandale. » Ils ont jugé par ce règlement
que les deux espèces n'étaient pas essentielles à la communion par l'institution
de Jésus-Christ : autrement il eût fallu refuser tout à fait le sacrement à ceux
qui n'eussent pas pu le recevoir tout entier, et non pas le leur donner d'une
manière contraire à celle que Jésus-Christ aurait commandée ; en ce cas leur
impuissance leur aurait servi d'excuse. Mais nos adversaires ont cru que la
rigueur serait excessive, si l'on n'accordait du moins une des espèces à ceux
qui ne pourraient recevoir l'autre; et comme cette condescendance n'a aucun
fondement dans les Ecritures, il faut qu'ils reconnaissent avec nous que les
paroles par lesquelles Jésus-Christ nous propose les deux espèces, sont sujettes
à quelque interprétation,
96
et que cette interprétation se doit faire par l'autorité de
l'Eglise.
Au reste il pourrait sembler que
cet article de leur discipline, qui est du synode de Poitiers tenu en 1560,
aurait été réformé par le synode de Vertueil tenu en 1567, où il est porté « que
la compagnie n'est pas d'avis qu'on administre le pain à ceux qui ne voudront
recevoir la coupe. » Ces deux synodes néanmoins ne sont nullement opposés. Celui
de Vertueil parle de ceux qui ne veulent pas recevoir la coupe; et celui de
Poitiers parle de ceux qui ne le peuvent pas. En effet nonobstant le synode de
Vertueil, l'article est demeuré dans la discipline, et même a été approuvé par
un synode postérieur à celui de Vertueil, c'est-à-dire par le synode de la
Rochelle de 1571, où l'article fut revu et mis en l'état qu'il est.
Mais quand les synodes de
Messieurs de la religion prétendue réformée auraient varié dans leurs
sentiments, cela ne servirait qu'à faire voir que la chose dont il s'agit ne
regarde pas la foi, et qu'elle est de celles dont l'Eglise peut disposer selon
leurs principes.
Il ne reste plus qu'à exposer ce
que les catholiques croient touchant la parole de Dieu, et touchant l'autorité
de l'Eglise.
Jésus-Christ ayant fondé son
Eglise sur la prédication, la parole non écrite a été la première règle du
christianisme ; et lorsque les Ecritures du Nouveau Testament y ont été jointes,
cette parole n'a pas perdu pour cela son autorité : ce qui fait que nous
recevons avec une pareille vénération tout ce qui a été enseigné par les
apôtres, soit par écrit, soit de vive voix, selon que saint Paul même l'a
expressément déclaré (1). Et la marque certaine qu'une doctrine vient des
apôtres, est lorsqu'elle est embrassée par toutes les églises chrétiennes, sans
qu'on en puisse marquer le commencement. Nous ne pouvons nous empêcher de
recevoir tout ce qui est établi de la sorte, avec la soumission qui est due à
l'autorité divine ; et nous sommes persuadés que ceux de Messieurs
1 II Thess., II, 14.
97
de la religion prétendue réformée qui ne sont pas
opiniâtres, ont ce même sentiment au fond du cœur, n'étant pas possible de
croire qu'une doctrine reçue dès le commencement de l'Eglise vienne d'une autre
source que des apôtres. C'est pourquoi nos adversaires ne doivent pas s'étonner,
si étant soigneux de recueillir tout ce que nos pères nous ont laissé, nous
conservons le dépôt de la tradition aussi bien que celui des Ecritures.
L'Eglise étant établie de Dieu
pour être gardienne des Ecritures et de la tradition, nous recevons de sa main
les Ecritures canoniques; et quoi que disent nos adversaires, nous croyons que
c'est principalement son autorité qui les détermine à révérer comme des livres
divins le Cantique des cantiques, qui a si peu démarques sensibles
d'inspiration prophétique; l’Epître de saint Jacques, que Luther a
rejetée; et celle de saint Jude, qui pourrait paraître suspecte à cause de
quelques livres apocryphes qui y sont allégués. Enfin ce ne peut être que par
cette autorité qu'ils reçoivent tout le corps des Ecritures saintes, que les
chrétiens écoutent comme divines avant même que la lecture leur ait fait
ressentir l'esprit de Dieu dans ces Livres.
Etant donc liés inséparablement,
comme nous le sommes, à la sainte autorité de l'Eglise par le moyen des
Ecritures que nous recevons de sa main, nous apprenons aussi d'elle la
tradition, et par le moyen de la tradition le sens véritable des Ecritures.
C'est pourquoi l'Eglise professe qu'elle ne dit rien d'elle-même, et qu'elle
n'invente rien de nouveau dans la doctrine : elle ne fiait que suivre et
déclarer la révélation divine par la direction intérieure du Saint-Esprit, qui
lui est donné pour docteur.
Que le Saint-Esprit s'explique
par elle, la dispute qui s'éleva sur le sujet des cérémonies de la loi, du temps
même des apôtres, le fait paraître : et leurs Actes ont appris à tous les
siècles suivants, par la manière dont fut décidée cette première contestation,
de quelle autorité se doivent terminer toutes les autres. Ainsi tant qu'il y
aura des disputes qui partageront les fidèles, l'Eglise interposera son
autorité; et ses pasteurs assemblés diront après les
98
apôtres : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous (1).
» Et quand elle aura parlé, on enseignera à ses enfants qu'ils ne doivent pas
examiner de nouveau les articles qui auront été résolus, mais qu'ils doivent
recevoir humblement ses décisions. En cela on suivra l'exemple de saint Paul et
de Silas, qui portèrent aux fidèles ce premier jugement des apôtres, et qui loin
de leur permettre une nouvelle discussion de ce qu'on avait décidé, « allaient
par les villes, leur enseignant de garder les ordonnances des apôtres (2). »
C'est ainsi que les enfants de
Dieu acquiescent au jugement de l'Eglise, croyant avoir entendu par sa bouche
l'oracle du Saint-Esprit; et c'est à cause de cette croyance qu'après avoir dit
dans le Symbole : « Je crois au Saint-Esprit, » nous ajoutons incontinent après
: « La sainte Eglise catholique : » par où nous nous obligeons à reconnaître une
vérité infaillible et perpétuelle dans l'Eglise universelle, puisque cette même
Eglise, que nous croyons dans tous les temps, cesserait d'être Eglise, si elle
cessait d'enseigner la vérité révélée de Dieu. Ainsi ceux qui appréhendent
qu'elle n'abuse de son pouvoir pour établir le mensonge, n'ont pas de foi en
celui par qui elle est gouvernée.
Et quand nos adversaires
voudraient regarder les choses d'une façon plus humaine, ils seraient obligés
d'avouer que l'Eglise catholique, loin de se vouloir rendre maîtresse de sa foi,
comme ils l'en ont accusée, a fait au contraire tout ce qu'elle a pu pour se
lier elle-même, et pour s'ôter tous les moyens d'innover, puisque non-seulement
elle se soumet à l'Ecriture sainte, mais que pour bannir à jamais les
interprétations arbitraires, qui font passer les pensées des hommes pour
l'Ecriture, elle s'est obligée de l'entendre en ce qui regarde la foi et les
mœurs, suivant le sens des saints Pères (3), dont elle professe de ne se
départir jamais, déclarant par tous ses conciles et par toutes les professions
de foi qu'elle a publiées, qu'elle ne reçoit aucun dogme qui ne soit conforme à
la tradition de tous les siècles précédents.
Au reste, si nos adversaires
consultent leur conscience, ils trouveront que le nom d'Eglise a plus d'autorité
sur eux qu'ils n'osent l'avouer dans les disputes : et je ne crois pas qu'il y
ait parmi eux
1 Act., XV, 28. — 2 Act.,
XVI, 4. — 3 Conc. Trid., sess. IV, Decr. de can. Script.
99
aucun homme de bon sens, qui se voyant tout seul d'un
sentiment, pour évident qu'il lui semblât, n'eût horreur de sa singularité :
tant il est vrai que les hommes ont besoin en ces matières d'être soutenus dans
leurs sentiments par l'autorité de quelque société qui pense la même chose
qu'eux. C'est pourquoi Dieu qui noua a faits et qui connaît ce qui nous est
propre, a voulu pour notre bien que tous les particuliers fussent assujettis à
l'autorité de son Eglise, qui de toutes les autorités est sans doute la mieux
établie. En effet elle est établie, non-seulement par le témoignage que Dieu
lui-même rend en sa faveur dans les saintes Ecritures, mais encore par les
marques de sa protection divine, qui ne parait pas moins dans la durée
inviolable et perpétuelle de cette Eglise, que dans son établissement
miraculeux.
Cette autorité suprême de
l'Eglise est si nécessaire pour régler les différends qui s'élèvent sur les
matières de foi et sur le sens des Ecritures, que nos adversaires mêmes, après
l'avoir décriée comme une tyrannie insupportable, ont été enfin obligés de
rétablir parmi eux.
Lorsque ceux qu'on appelle
indépendants déclarèrent ouvertement que chaque fidèle devait suivre les
lumières de sa conscience, sans soumettre son jugement à l'autorité d'aucun
corps ou d'aucune assemblée ecclésiastique, et que sur ce fondement ils
refusèrent de s'assujettir aux synodes, celui de Charenton tenu en 1644, censura
cette doctrine par les mêmes raisons et à cause des mêmes inconvénients qui nous
la font rejeter. Ce synode marque d'abord que l'erreur des indépendants consiste
en ce qu'ils enseignent, que « chaque église se doit gouverner par ses propres
lois, sans aucune dépendance de personne en matières ecclésiastiques, et sans
obligation de reconnaître l'autorité des colloques et des synodes pour son
régime et conduite. » Ensuite ce même synode décide que cette secte est « autant
préjudiciable à l'Etat qu'à l'Eglise ; qu'elle ouvre la porte à toutes sortes
d'irrégularités et d'extravagances; qu'elle ôte tous les moyens d'y apporter le
100
remède ; et que si elle avait lieu, il pourrait se former
autant de religions que de paroisses ou assemblées particulières. » Ces
dernières paroles font voir que c'est principalement en matière de foi que ce
synode a voulu établir la dépendance, puisque le plus grand inconvénient
où il remarque que les fidèles tomberaient par l'indépendance, est qu'il se
pourrait former autant de religions que de paroisses. Il faut donc
nécessairement, selon la doctrine de ce synode, que chaque Eglise, et à plus
forte raison chaque particulier dépende, en ce qui regarde la foi, d'une
autorité supérieure, qui réside dans quelque assemblée ou dans quelque corps, à
laquelle autorité tous les fidèles soumettent leur jugement. Car les
indépendants ne refusent pas de se soumettre à la parole de Dieu, selon qu'ils
croiront la devoir entendre; ni d'embrasser les décisions des synodes, quand
après les avoir examinées, ils les trouveront raisonnables. Ce qu'ils refusent
de faire, c'est de soumettre leur jugement à celui d'aucune assemblée, parce que
nos adversaires leur ont appris que toute assemblée, même celle de l'Eglise
universelle, est une société d'hommes sujette à faillir, et à laquelle par
conséquent le chrétien ne doit pas assujettir son jugement, ne devant cette
sujétion qu'à Dieu seul. C'est de cette prétention des indépendants que suivent
les inconvénients que le synode de Charenton a si bien marqués. Car quelque
profession qu'on fasse de se soumettre à la parole de Dieu, si chacun croit
avoir droit de l'interpréter selon son sens et contre le sentiment de l'Eglise
déclaré par un jugement dernier, cette prétention « ouvrira la porte à toutes
sortes d'extravagances; elle ôtera tout le moyen d'y apporter le remède; »
puisque la décision de l'Eglise n'est pas un remède à ceux qui ne croient pas
être obligés de s'y soumettre ; enfin elle donnera lieu à former autant de
religions, non-seulement qu'il y a de paroisses, mais encore qu'il y
a de têtes.
Pour éviter ces inconvénients
d'où s'ensuivrait la ruine du christianisme, le synode de Charenton est obligé
d'établir une dépendance en matières ecclésiastiques, et même en matière
de foi; mais jamais cette dépendance n'empêchera les suites pernicieuses qu'ils
ont voulu prévenir, si l'on n'établit avec nous cette maxime, que chaque église
particulière, et à plus forte raison chaque fidèle
101
en particulier, doit croire qu'on est obligé de soumettre
son propre jugement à l'autorité de l'Eglise.
Aussi voyons-nous au chapitre V
de la discipline de Messieurs de la religion prétendue réformée, titre des
Consistoires, art. 31, que voulant prescrire le moyen de terminer a les
débats qui pourraient survenir sur quelque point de doctrine ou de discipline, »
etc., ils ordonnent premièrement que le consistoire tâchera « d'apaiser le tout
sans bruit, et avec toute douceur de la parole de Dieu ; » et qu'après avoir
établi le consistoire, le colloque et le synode provincial, comme autant de
divers degrés de juridiction, venant enfin au synode national, au-dessus duquel
il n'y a parmi eux aucune puissance, ils en parlent en ces termes : « Là sera
faite l'entière et finale résolution par la parole de Dieu, à laquelle s'ils
refusent d'acquiescer de point en point et avec exprès désaveu de leurs erreurs,
ils seront retranchés de l'Eglise.» Il est visible que Messieurs de la religion
prétendue réformée n'attribuent pas l'autorité de ce jugement dernier à la
parole de Dieu prise en elle-même, et indépendamment de l'interprétation de
l'Eglise, puisque cette parole ayant été employée dans les premiers jugements,
ils ne laissent pas d'en permettre l'appel. C'est donc cette parole comme
interprétée par le souverain tribunal de l'Eglise, qui fait cette finale et
dernière résolution, à laquelle quiconque refuse d'acquiescer de point en point,
quoiqu'il se vante d'être autorisé par la parole de Dieu, n'est plus regardé que
comme un profane qui la corrompt et qui en abuse.
Mais la forme des lettres
d'envoi qui fut dressée au synode de Vitré en 1617, pour être suivie par les
provinces quand elles députeront au synode national, a encore quelque chose de
tien plus fort. Elle est conçue en ces termes : « Nous promettons devant Dieu de
nous soumettre à tout ce qui sera conclu et résolu en votre sainte assemblée, y
obéir et l'exécuter de tout notre pouvoir, persuadés que nous sommes que Dieu y
présidera, et vous conduira par son Saint-Esprit en toute vérité et équité, par
la règle de sa parole. » Il ne s'agit pas ici de recevoir la résolution d'un
synode, après qu'on a reconnu qu'il a parlé selon l'Ecriture : on s'y soumet
avant même qu'il ait été assemblé; et on le fait,
102
parce qu'on est persuadé que le Saint-Esprit y présidera.
Si cette persuasion est fondée sur une présomption humaine, peut-on en
conscience promettre devant Dieu de se soumettre à tout ce qui sera conclu et
résolu, y obéir et l’exécuter de tout son pouvoir? Et si cette persuasion a
son fondement dans une croyance certaine de l'assistance que le Saint-Esprit
donne à l'Eglise dans ses derniers jugements, les catholiques mêmes n'en
demandent pas davantage.
Ainsi la conduite de nos
adversaires fait voir qu'ils conviennent avec nous de cette suprême autorité,
sans laquelle on ne peut jamais terminer aucun doute de religion ; et si
lorsqu'ils ont voulu secouer le joug, ils ont nié que les fidèles fussent
obligés de soumettre leur jugement à celui de l'Eglise, la nécessité d'établir
l'ordre les a forcés dans la suite à reconnaître ce que leur premier engagement
leur avait fait nier.
Ils ont passé bien plus avant au
synode national tenu à Sainte-Foi en l'an 1578. Il se fît quelque ouverture de
réconciliation avec les luthériens, par le moyen d'un « formulaire de profession
de foi générale et commune à toutes les Eglises, » qu'on proposait de dresser.
Celles de ce royaume furent conviées d'envoyer à une assemblée qui se devait
tenir pour cela, « des gens de bien, approuvés et autorisés de toutes lesdites
Eglises, avec ample procuration POUR TRAITER, ACCORDER ET DECIDER DE TOUS LES
POINTS DE LA DOCTRINE, et autres choses concernant l'union. » Sur cette
proposition , voici en quels termes fut conçue la résolution du synode de
Sainte-Foi : «Le synode national de ce royaume, après avoir remercié Dieu d'une
telle ouverture, et loué le soin, diligence et bons conseils des susdits
convoqués, et APPROUVANT LES REMEDES QU'ILS ONT MIS EN AVANT, » c'est-à-dire
principalement celui de dresser une nouvelle confession de foi, et de donner
pouvoir à certaines personnes de la faire, « a ordonné que si la copie de la
susdite confession de foi est envoyée à temps, elle soit examinée en chacun
synode provincial ou autrement, selon la commodité de chacune province; et
cependant a député quatre ministres les plus expérimentés en telles affaires,
auxquels charge expresse a été donnée de se trouver au lieu et jour avec lettres
et amples
103
procurations de tous les ministres et anciens députes des
provinces de ce royaume, ensemble de Monseigneur le vicomte de Turenne, pour
faire toutes les choses que dessus : même, en cas QU'ON N'EUT LE MOYEN
D'EXAMINER PAR TOUTES LES PROVINCES LADITE CONFESSION, on s'est remis à leur
prudence et sain jugement pour accorder et CONCLURE tous les points qui seront
mis en délibération, soit POUR LA DOCTRINE, OU autre chose concernant le bien,
union et repos de toutes les Eglises.» C'est à quoi aboutit enfin la fausse
délicatesse de Messieurs de la religion prétendue réformée. Ils nous ont tant de
fois reproché comme une faiblesse , cette soumission que nous avons pour les
jugements de l'Eglise, qui n'est, disent-ils, qu'une société d'hommes sujets à
faillir; et cependant étant assemblés en corps dans un synode national, qui
représentait toutes les églises prétendues réformées de France, ils n'ont pas
craint de mettre leur foi en compromis entre les mains de quatre hommes, avec un
si grand abandonnement de leurs propres sentiments, qu'ils leur ont donné plein
pouvoir de changer la même confession de foi, qu'ils proposent encore
aujourd'hui à tout le monde chrétien comme une confession de foi, qui ne
contient autre chose que la pure parole de Dieu, et pour laquelle ils ont dit en
la présentant à nos rois, qu'une infinité de personnes étaient prêtes à répandre
leur sang. Je laisse au sage lecteur à faire ses réflexions sur le décret de ce
synode, et j'achève d'expliquer en un mot les sentiments de l'Eglise.
Le Fils de Dieu ayant voulu que
son Eglise fût une et solidement bâtie sur l'unité, a établi et institué la
primauté de saint Pierre pour l'entretenir et la cimenter. C'est pourquoi nous
reconnaissons cette même primauté dans les successeurs du Prince des apôtres,
auxquels on doit pour cette raison la soumission et l'obéissance que les saints
conciles et les saints Pères ont toujours enseignée à tous les fidèles.
Quant aux choses dont on sait
qu'on dispute dans les écoles, quoique les ministres ne cessent de les alléguer
pour rendre cette puissance odieuse, il n'est pas nécessaire d'en parler ici,
104
puisqu'elles ne sont pas de la foi catholique. Il suffit de
reconnaître un Chef établi de Dieu, pour conduire tout le troupeau dans ses
voies ; ce que feront toujours volontiers ceux qui aiment la concorde des frères
et l'unanimité ecclésiastique.
Et certes si les auteurs de la
réformation prétendue eussent aimé l'unité, ils n'auraient ni aboli le
gouvernement épiscopal, qui est établi par Jésus-Christ même et que l'on voit en
vigueur dès le temps des apôtres; ni méprisé l'autorité de la chaire de saint
Pierre, qui a un fondement si certain dans l'Evangile et une suite si évidente
dans la tradition : mais plutôt ils auraient conservé soigneusement et
l'autorité de l'épiscopat, qui établit l'unité dans les églises particulières,
et la primauté du siège de saint Pierre, qui est le centre commun de toute
l'unité catholique.
Telle est l'exposition de la
doctrine catholique, en laquelle pour m'attacher à ce qu'il y a de principal,
j'ai laissé quelques questions que Messieurs de la religion prétendue réformée
ne regardent pas comme un sujet légitime de rupture. J'espère que ceux de leur
communion qui examineront équitablement toutes les parties de ce traité, seront
disposés par cette lecture à mieux recevoir les preuves sur lesquelles la foi de
l'Eglise est établie; et reconnaîtront, en attendant, que beaucoup de nos
controverses se peuvent terminer par une sincère explication de nos sentiments ;
que notre doctrine est sainte, et que selon leurs principes mêmes aucun de ses
articles ne renverse les fondements du salut.
Si quelqu'un trouve à propos de
répondre à ce traité, il est prié de considérer que, pour avancer quelque chose,
il ne faut pas qu'il entreprenne de réfuter la doctrine qu'il contient, puisque
j'ai eu dessein de la proposer seulement, sans en faire la preuve ; et que si en
certains endroits j'ai touché quelques-unes des raisons qui l'établissent, c'est
à cause que la connaissance des raisons principales d'une doctrine fait souvent
une partie nécessaire de son exposition.
Ce serait aussi s'écarter du
dessein de ce traité, que d'examiner les différents moyens dont les théologiens
catholiques se sont servis pour établir ou pour éclaircir la doctrine du concile
de Trente, et les diverses conséquences que les docteurs particuliers en ont
tirées. Pour dire sur ce traité quelque chose de solide et qui aille au but, il
faut ou par des actes que l'Eglise se soit obligée de recevoir, prouver que sa
foi n'est pas ici fidèlement exposée; ou montrer que cette explication laisse
toutes les objections dans leur force et toutes les disputes en leur entier; ou
enfin faire voir précisément en quoi cette doctrine renverse les fondement de la
foi.
|