DOMINIQUE
Précédente Accueil Remonter Suivante

 

Accueil
Remonter
VIERGE D'ANTIOCHE
PIERRE MARTYR
PHILIPPE
APOLLINE
JACQUES  LE MINEUR
SAINTE CROIX
JEAN
ROGATIONS
BONIFACE
ASCENSION
SAINT-ESPRIT
GORDIEN
NÉRÉE
PANCRACE
URBAIN
PÉTRONILLE
PIERRE ET MARCELLIN
PRIME ET  FÉLICIEN
BARNABÉ
VITUS ET MODESTE
CYR ET JULITTE
MARINE
GERVAIS ET PROTAIS
NATIVITÉ DE J-B
JEAN ET PAUL
LÉON
PIERRE
PAUL
SEPT FRÈRES
THÉODORE
ALEXIS
MARGUERITE
PRAXÈDE
MARIE-MAGDELEINE
APOLLINAIRE
CHRISTINE
JACQUES LE MAJEUR
CHRISTOPHE
SEPT DORMANTS
NAZAIRE ET CELSE
FÉLIX
SIMPLICE ET FAUSTIN
MARTHE
ABDON ET SENNEN
GERMAIN
EUSÈBE
MACCHABÉES
PIERRE AUX LIENS
ÉTIENNE PAPE
ÉTIENNE
DOMINIQUE
SIXTE
DONAT
CYRIAQUE
LAURENT
HIPPOLYTE
ASSOMPTION
BERNARD
TIMOTHÉE
SYMPHORIEN
BARTHÉLEMY
AUGUSTIN
DÉCOLLATION DE J.-B.
FÉLIX
SAVINIEN
LOUP

SAINT DOMINIQUE

 

Dominique signifie gardien du Seigneur, ou bien gardé par le Seigneur. Ou bien il s'appelle, Dominique; selon l’étymologie

 

* La vie de saint Dominique est rapportée ici telle que l’ont écrite cinq auteurs contemporains. Ce sont Thierry d'Apolda, Constantin, évêque d'Orvietto, Barthélemi, évêque de Trente, le père Humbert, etc. Le père Mamachi a réuni dans le livre des Annales de son ordre les preuves des miracles racontés en cette légende.

 

347

 

naturelle de ce nom qui est dominus, seigneur. Or, il est, appelé gardien du Seigneur, en trois manières : il fut gardien de l’honneur du Seigneur, et ceci regarde Dieu, il fut le gardien de la vigne, ou du peuple du Seigneur et cela regarde le prochain; et il fut le gardien de la volonté du Seigneur, ou des préceptes du Seigneur, ce qui le regarde lui-même. En second lieu, il est appelé Dominique, c'est-à-dire gardé par le Seigneur, car le Seigneur le garda dans les trois états où il vécut. D'abord laïc, en second lieu, chanoine régulier; et en troisième lieu, homme apostolique : car dans le premier état, il fut gardé de Dieu qui le fit commencer de manière à mériter des louanges ; dans le second, il le fit avancer dans la ferveur, et dans le troisième, il le fit atteindre à la perfection. En troisième lieu, Dominique vient de Dominus, selon l’étymologie naturelle. Or, Dominus, signifie qui donne des menaces, ou qui donne moins, on qui donne avec munificence. De même saint Dominique donna, c'est-à-dire, pardonna les menaces en ne tenant pas compte, des injures qu'on lui adressait ; il donna moins, en se macérant le corps, parce qu'il donna toujours à son corps moins que le nécessaire. Il donna avec munificence, en engageant sa liberté, car non seulement il donna tous ses biens aux pauvres, mais encore il voulut se vendre lui-même plusieurs fois.

 

Dominique, chef et fondateur illustre de l’ordre des Frères-Prêcheurs, naquit en Espagne, dans la ville de Calaruega, au diocèse d'Osma. Son père se nommait Félix et sa mère Jeanne. Avant sa naissance sa mère vit en songe, qu'elle portait dans son sein: un petit chien tenant dans sa gueule une torche allumée avec laquelle il embrasait tout l’univers. Quand elle l’eut mis au monde, une dame qui l’avait levé des fonts sacrés du baptême crut voir sur le front du petit Dominique une étoile très brillante qui éclairait toute la terre. Tout petit enfant et confié aux soins d'unie nourrice, on le surprit souvent quitter son lit et (348) se coucher sur la terre nue. Envoyé à Palerme pour faire ses études, par amour de la science qu'il devait acquérir, il ne goûta pas de vin pendant dix ans. Une famine affreuse ravageant le pays, il vendit ses livres ainsi que ses meubles et en donna l’argent aux pauvres. Sa renommée était déjà grande, quand l’évêque d'Osma le fit chanoine régulier dans son, église, et peu de temps après, devenu miroir de vie pour tous ses confrères le nommèrent sous-prieur. Or, le jour et la nuit, il vaquait à la lecture et à l’oraison, priant assidûment le Seigneur de daigner lui donner la grâce de s'employer, tout entier au salut du prochain. Il lisait avec le plus grand zèle les conférences des Pères, et atteignit par là au comblé d'une haute perfection. En allant à Toulouse avec son évêque, il trouva son hôte infecté du poison de l’hérésie, et il le convertit à la. foi de J.-C. Ce fut, pour ainsi dire, la première gerbe de la moisson qu'il présenta au Seigneur. On lit dans les Gestes du comte de Montfort *, qu'une fois saint Dominique, ayant prêché contre les hérétiques, mit par écrit le texte des autorités qu'il avait exposées, et donna ce papier à l’un d'eux afin qu'il pût examiner les objections. Or, cette nuit-là, les hérétiques s'étant réunis auprès du feu, cet homme leur montra le papier qu'il avait reçu. Ses compagnons lui dirent de le jeter au feu, que s'il arrivait qu'il brûlât, leur créance, Ou plutôt leur perfidie serait véritable, et que si le feu l’épargnait, ils proclameraient que la foi de l’Eglise romaine est vraie. Le papier est donc jeté au feu; quand

 

* Pierre de Vaux-Cernay, c. VII ; — Thierry d'Apolda.

 

il fut resté quelques moments sur le brasier, il en rejaillit de suite sans avoir été brûlé. Au milieu de la surprise causée par ce prodige, un plus opiniâtre que tous les autres dit ; « Qu'on le jette une seconde fois, de cette manière l’expérience sera pleinement confirmée et nous saurons sûrement de quel côté se trouve la vérité. » On jette le papier une seconde fois, et une seconde fois il rejaillit sans avoir été brûlé. Le même auteur dit encore : « Qu'on le jette de nouveau, et alors nous connaîtrons un résultat qui ne laissera plus place au doute. » On le jette une troisième fois, et il rejaillit de nouveau entier et sans trace de feu. Mais ces hérétiques restèrent dans leur endurcissement et s'engagèrent, par les serments les plus stricts, à ne pas publier le fait. Cependant, un soldat qui se trouvait là et qui avait un certain attachement pour notre foi; raconta ce miracle plus tard: Or, ceci se paissait à Montréal. On raconte que quelque chose de semblable arriva à Fangeaux, après une discussion solennelle qui y eut lieu contre les hérétiques.

Les autres retournèrent chez eux, et l’évêque d'Osma mourut; saint Dominique resta donc presque seul à annoncer la parole de Dieu avec constance contre les hérétiques*. Or, les adversaires de la vérité l’insultaient, en jetant sur lui de la boue, des crachats et autres ordures, et lui . attachant par derrière de la paille en signe de dérision. Et comme ils menaçaient

 

* Vincent de Beauvais, Hist., liv. XXX, c. X; — Constantin d'Orviète, Vie, n° 42.

 

350

 

de le tuer, il répondit avec intrépidité : « Je ne suis pas digne de la gloire du martyre; je n'ai pas encore mérité ce genre de mort. » C'est pourquoi il passa par le lieu où on lui avait dressé des embûches, et il marchait, non seulement sans crainte, mais en chantant et avec, un visage gai. Ses ennemis, étonnés, lui dirent : « Tu n'as donc pas peur de mourir ? Qu'aurais-tu fait si nous nous étions saisis de ta personne ? » Dominique, répondit : « Je vous aurais prié de ne pas me porter, du premier coup, des blessures mortelles; mais de me mutiler tous les membres, un à un, ensuite de placer sous mes yeux chacun des morceaux que vous  m’auriez coupés ; puis de  m’arracher les yeux, et en dernier lieu de laisser mon corps, à moitié mort et tranché en lambeaux, se rouler dans son sang; ou bien encore de me faire mourir comme il vous aurait plu. » Ayant rencontré un homme qui, pressé . par une grande détresse, s'était uni aux hérétiques, il résolut de se vendre lui-même, afin qu'avec cet argent, qu'il aurait tiré de sa personne, il mît fin à cet état de détresse, en même temps qu'il délivrerait cet homme vendu à l’erreur. Et il eût exécuté son dessein, si la miséricorde divine n'eût pourvu d'une autre manière au soulagement de cette misère*. Une autre fois encore, une femme vint lui exposer avec larmes que son frère était retenu captif chez les Sarrasins, en lui faisant l’aveu qu'il ne lui restait aucun moyen de le délivrer. Alors saint Dominique, touché d'une vive compassion, s'offrit lui-même pour être

 

* Ibid.

 

351

 

vendu afin de racheter le captif; mais Dieu ne le permit pas. Il avait prévu qu'il était plus nécessaire pour le rachat spirituel d'un grand nombre de captifs: Il était logé dans les environs: de Toulouse, chez certaines femmes, qui, sous, prétexte de paraître dévotes, s'étaient laissé séduire parles hérétiques ; alors Dominique, afin de rabattre un clou par un autre clou, jeûna, avec le compagnon qui lui était adjoint, pendant tout le carême, au pain et à l’eau fraîche, se levant la nuit, et quand il était accablé par la fatigue, se couchant sur une table nue. Il réussit, par ce moyen, à ramener ces femmes à la connaissance de la vérité. Peu après, il commença à songer à l’institution de, son ordre, dont la mission devait être de parcourir le monde en prêchant et de protéger la foi catholique contre les attaques de l’hérésie. Après être resté dans la province de Toulouse l’espace de dix ans, à compter de l’époque où il quitta l’évêque d'Osma; jusqu'au concile de Latran, il alla à Rome pour ce concile général avec Foulques; évêque de Toulouse, et demanda au souverain pontife Innocent III, pour lui, et, ses successeurs; la confirmation de l’ordre ! qui serait, appelé et qui serait effectivement les Prêcheurs. Le pape se montra d'abord un peu difficile; mais une nuit, il vit en songe l’église de Latran menacée d'une ruine soudaine. Comme il regardait cela avec effroi, voilà saint, Dominique qui se présente de l’autre côté ; soutenant avec les épaules tout cet édifice chancelant. A son l’éveil, le pontife comprit le sens de la vision et accueillit avec joie la demande de l’homme de Dieu; puis il l’exhorta, quand il serait de retour auprès de ses (352)

frères, à choisir unie des règles déjà approuvées, qu'après cela il revînt le trouver et qu'il en obtiendrait, la confirmation, comme il le désirait. A son retour, Dominique communiqua, à ses frères ce que lui avait dit le Souverain Pontife. Or, les Frères étaient environ au nombre. de seize; ils invoquèrent l’Esprit-Saint et choisirent, à l’unanimité, la règle de saint Augustin, docteur et prédicateur éminent, puisque eux-mêmes devaient être des prédicateurs d'effet et de nom ; ils y ajoutèrent quelques pratiques de vie plus sévères, qu'ils résolurent d'observer sous forme de constitution. Sur ces entrefaites, Innocent mourut, et Honorius, son successeur au souverain pontificat, confirma l’ordre, l’an du Seigneur 1216. Comme saint Dominique priait à Rome dans une église de saint Pierre, pour la dilatation de son ordre, il vit venir à lui les glorieux princes des apôtres Pierre et Paul; le premier, c'est-à-dire saint Pierre, semblait lui donner un bâton, et saint Paul un livre, en lui disant : « Va prêcher, parce que tu as été choisi de Dieu pour remplir ce ministère. » Et il lui sembla, en un clin d'œil, qu'il voyait ses fils dispersés par tout l’univers, et marchant deux à deux *. C'est pour cela qu'à son retour à Toulouse, il envoya ses frères de côté et d'autre, les uns en Espagne, quelques-uns à Paris, et d'autres à Bologne. Quant à lui, il revint à Rome.

Avant l’institution de l’ordre des Prêcheurs; un moine fut ravi en extase et vit la sainte Vierge à genoux, les mains jointes, priant soin Fils pour le genre

 

* Humbert, Vie, n°26

 

353

 

humain. Il repoussait bien souvent sa pieuse mère ; enfin comme elle insistait, il lui parla ainsi : « Ma Mère, que puis-je et que dois-je faire de plus? J'ai envoyé des patriarches et des prophètes, et peu d'hommes se sont amendés. Je suis venu vers eux, ensuite j'ai envoyé des apôtres, et ils  m’ont tué et les apôtres aussi. J'ai envoyé des martyrs, des confesseurs et des docteurs, et ils n'ont point eu confiance en eux: cependant comme il n'est pas juste que je vous refuse quoi que ce soit, je leur donnerai mes Prêcheurs, par lesquels ils pourront s'éclairer et se purifier ; sinon, je viendrai contre eux. » Un autre eut une vision semblable, dans le temps que douze abbés de l’ordre, de Cîteaux furent envoyés à Toulouse contre les hérétiques. Car le, Fils ayant répondu à sa mère comme il vient d'être rapporté ci-dessus, la sainte Vierge dit: « Mon bon Fils, ce n'est pas d'après leur malice; mais d'après votre miséricorde que vous devez agir.» Alors le Fils vaincu par ces prières dit : « Je leur accorderai encore cette miséricorde selon votre désir; je leur enverrai mes Prêcheurs pour lés avertir et les former; et s'ils ne se corrigent point, je ne les épargnerai plus davantage.» Un frère Mineur, qui avait été longtemps le compagnon de saint François, raconta ce qui suit à plusieurs frères de l’ordre des Prêcheurs : A l’époque où saint Dominique était à Rome en instance auprès du pape pour obtenir la confirmation de son ordre, une nuit qu'il était en oraison, il vit en esprit J.-C. dans les airs, tenant à la main trois lances qu'il brandissait contre le monde. Sa mère s'empressa d'accourir, et lui demanda ce qu'il voulait faire. Et il dit : « Ce (354) monde que voici est rempli tout entier de trois vices: l’orgueil, la concupiscence et l’avarice; voilà pourquoi je veux le détruire avec ces trois lances. » Alors la Vierge lui dit en se jetant à ses genoux : «Très cher Fils, ayez pitié et tempérez votre justice par votre miséricorde. » . J.-C. reprit: « Est-ce que vous ne voyez pas toutes les injures dont on  m’outrage?» Elle lui dit : «Apaisez votre fureur, mon fils, et attendez un peu : car j'ai un fidèle serviteur, un champion intrépide qui parcourra le monde, le vaincra et le soumettra à votre domination. Je lui donnerai aussi un autre serviteur pour l’aider et pour combattre fidèlement avec lui. » Le Fils lui répondit: « Voici que je suis apaisé ; j'ai reçu favorablement votre requête; mais je voudrais bien voir ceux que vous voulez destiner à une si grande entreprise. » Alors elle présenta à J.-C. saint Dominique. J.-C.: lui dit : « Vraiment, c'est un bon et intrépide champion, et il s'acquittera avec zèle de ce que vous avez dit. » Elle lui présenta en même temps saint François et J.-C. lui accorda les mêmes éloges qu'au premier. Or, saint Dominique regarda attentivement son compagnon durant sa vision, et le lendemain l’ayant trouvé dans l’église, sans l’avoir jamais vu, sans le secours de personne pour le lui indiquer, il le reconnut d'après son rêve. Alors se jetant dans ses bras, il l’embrassa avec piété en disant: « Vous êtes mon compagnon ; vous courrez la même carrière que moi ; restons unis ensemble, et aucun adversaire ne triomphera. » Saint François lui raconta qu'il avait eu exactement la même vision : et depuis cet instant, il n'y eut plus en eux qu'un seul coeur et une seule âme (355) ; union qu'ils recommandèrent à leurs descendants d'observer à perpétuité *.

Il avait reçu dans l’ordre un novice de la Pouille: Quelques-uns des compagnons de ce novice le pervertirent au point, qu'ayant résolu de rentrer dans le siècle, il demandait ses habits de toutes les manières, qu'il pouvait. Saint Dominique, qui en fut informé, se mit aussitôt en prière. Or, comme on avait dépouillé ce jeune homme de ses habits religieux et qu'on l’avait déjà revêtu de sa chemise; il se mit à pousser de grands cris et à dire: « Je brûle, je suis enflammé, je suis tout en feu; ôtez, ôtez cette chemise maudite qui me brûle de toutes parts. » Il n'eut aucun repos qu'il ne se fût dépouillé de la chemise et qu'il n'eût revêtu ses habits de religieux, enfin qu'il ne fût rentré dans le cloître. Saint Dominique était à Bologne quand, après la rentrée du frère au dortoir, le diable se mit à tourmenter un convers. Frère Reynier de Lausanne son maître en ayant été informé, s'empressa d'en faire part à saint Dominique. Alors celui-ci fit mener le frère à l’église devant l’autel. Ce fut à peine si dix frères purent le transporter. Saint Dominique lui dit: « Je t'adjure, misérable, de me dire pourquoi tu tourmentes une créature de Dieu; et pour quel motif, et comment tu es entré ici. » Il répondit: « Je le tourmente parce qu'il l’a mérité : car hier, il a bu dans la ville, sans la permission du prieur, et avant de faire le signe de la croix. Alors je suis entré en lui sous la forme d'un moucheron ou plutôt il  m’a avalé avec le vin. » Or, le fait est que cet

 

* Gérard de Frachet, 1. I, c. 1.

 

356

 

homme avait vraiment bu. Sur ces entrefaites sonna le premier coup de matines. En l’entendant, le diable, qui parlait en lui, dit : « Maintenant je ne puis rester plus longtemps ici, puisque voici les encapuchonnés qui se lèvent. » Ce fut ainsi qu'il fut forcé de sortir par la prière de saint Dominique. Un jour, il passait un fleuve dans les environs de Toulouse; ses livres, due personne ne soignait, tombèrent dans l’eau. Trois jours après, un pêcheur, qui avait jeté son hameçon au, même endroit, croyant avoir pris un gros poisson, ne ramena que ces livres ; mais ils étaient intacts comme s'ils eussent été gardés avec le plus grand soin dans une armoire. Il arriva à un monastère alors que les frères reposaient, il ne voulut pas les troubler,  mais il fit une prière et il entra avec son compagnon, dans le monastère, les portes étant fermées*. La même chose eut lieu une autre fois, qu'il allait avec un convers cistercien pour combattre les hérétiques. Arrivés sur le soir à une église, dont les portes étaient fermées, saint Dominique ayant fait une prière, ils se trouvèrent subitement dans l’intérieur de l’église, où ils passèrent toute la nuit en oraison. Après une longue marche, avant; d'entrer dans l’hôtellerie, il avait coutume d'apaiser sa soif à quelque fontaine, afin qu'on ne remarquât point dans la maison, de son hôte qu'il ait trop bu.

Un écolier d'un tempérament porté au péché de la chair vint, un jour de fête, pour entendre la messe dans la maison des Frères de Bologne. Or, c'était

 

* Rodrigue de Cerrat, n° 91.

 

357

 

saint Dominique qui célébrait. Quand on fut arrivé à l’offrande, cet écolier s'approcha et baisa la main du saint avec grande dévotion. Et quand il l’eut baisé, il sentit qu'il s'exhalait de cette main une si bonne odeur, que jamais il n'en avait rencontré une si grande eu sa vie : et dès ce moment, 1e feu de la passion s'éteignit en lui merveilleusement, en sorte que ce jeune homme, qui jusqu'alors avait été adonné à la vanité et à là luxure, devint, dans la suite, continent et chaste. Oh! la grande pureté qui régnait dans ce corps dont l’odeur purifiait d'une manière si admirable les souillures de l’âme ! — Un prêtre, témoin de la ferveur avec laquelle saint Dominique et ses frères s'adonnaient à la prédication, conçut le projet de se joindre à eux, dans le cas où il pourrait se procurer un Nouveau-Testament qui lui était nécessaire pour la prédication. Au moment où il pensait à cela, se présenta un jeune homme qui avait sous son habit un Testament à vendre : le prêtre l’acheta avec une grande joie; mais comme il hésitait encore un peu, il fit une prière, et ayant tracé le signe de la croix sur le couvert du livre, il 'l’ouvrit et jeta les yeux sur le premier chapitre qui se présenta; il tomba sur cet endroit des Actes des apôtres où il est dit à saint Pierre : « Lève-toi, descends et va avec eux sans hésiter, car c'est moi qui les ai envoyés (XX). » A l’instant, il alla s’adjoindre à eux. — Un maître de théologie, qui enseignait à Toulouse avec talent et réputation, préparait ses matières un matin avant le jour; accablé de sommeil, il inclina légèrement la tête sur sa chaire et il lui sembla qu'on lui présentait sept étoiles. Comme (358) il s'extasiait devant un pareil présent, tout. aussitôt ces étoiles augmentèrent en lumière et en grandeur, à tel point qu'elles éclairaient le monde entier. A son réveil, il s'étonnait beaucoup de ce que cela voulait dire ; et voici qu'en entrant dans l’école et, en enseignant sa leçon, saint Dominique et six frères avec lui, qui portaient le même habit, s'approchèrent, avec humilité, du maître et lui déclarèrent qu'ils avaient pris la résolution de suivre son cours. Alors se rappelant la vision qu'il avait eue, il ne fit pas difficulté de croire que c'étaient là les sept étoiles qui lui étaient apparues *. — Saint Dominique était à Rome, quand y arriva avec l’évêque d'Orléans, pour s'embarquer, maître Reinier, doyen de Saint-Aignan d'Orléans, qui avait enseigné à Paris le Droit Canon pendant cinq ans. Depuis longtemps déjà il se proposait de tout quitter. pour se livrer à la prédication, mais il n'avait pas encore pris son parti sur le moyen à employer par lui pour exécuter son projet. Un cardinal auquel il avait fait part de son voeu, lui avait parlé de l’Institut des Prêcheurs ; il avait donc fait appeler saint Dominique auquel il manifesta ses intentions: ce fut alors qu'il se décida à entrer dans son ordre; mais aussitôt une violente fièvre le saisit et mit ses jours en danger. Alors saint Dominique ne cessa de faire des prières et de s'adresser à la sainte Vierge, à laquelle il avait confié, comme. à une patronne spéciale, tout le soin de son ordre, en lui demandant de daigner lui accorder cet homme, ne serait-ce que pour un court espace de temps, quand

 

* Humbert, Vie, n° 27.

 

Reinier qui veillait et qui attendait la mort, voit tout à coup, à n'en pas douter, la Reine de miséricorde venir à lui en compagnie de deux jeunes personnes remarquablement belles, et lui adresser ces, paroles d'un visage caressant : « Demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai. » Il cherchait quoi demander quand une des jeunes filles lui suggéra de ne demander rien, mais de s'en remettre entièrement à la reine de miséricorde. Ce qu'il fit. Alors la sainte Vierge étendant sa main virginale, lui fit des onctions aux oreilles, aux narines, aux mains et aux pieds avec une huile qu'elle avait apportée, en prononçant une formule appropriée à chaque onction. Aux reins, elle dit: « Soient étreints ces reins du cordon de chasteté.» Aux pieds: « Joins tes pieds pour qu'ils soient préparés à porter l’Evangile de paix. » Et elle ajouta: « Dans trois jours, je te remettrai une ampoule qui te rendra une parfaite santé. » Alors elle lui montra un habit de l’ordre : « Voici, lui dit-elle, un habit; c'est celui de ton ordre. » Or, saint Dominique qui, était en, prières eut une vision tout à fait semblable. Quand le matin fut arrivé, saint Dominique vint le voir et le trouva guéri : ensuite il écouta le récit que lui fit Reinier de sa vision: après quoi celui-ci prit l’habit que la Vierge,lui avait montré, car auparavant les Frères se servaient de surplis. Trois jours après, la mère de Dieu revint et fit sur le corps de Reinier des onctions qui éteignirent non seulement l’ardeur de la fièvre, mais encore le feu de  la concupiscence, à tel point que, d'après ce qu'il confessa lui-même dans la suite, il ne s'éleva pas en lui le moindre mouvement désordonné. La même (360) vision fut renouvelée, vis-à-vis saint Dominique, en faveur d'un religieux de l’ordre des hospitaliers qui en fut stupéfait. Après la mort de Reinier, saint Dominique raconta cette apparition à un grand nombre de frères. Reinier fut donc envoyé à Bologne, où il se livra avec ardeur à la prédication, et où le nombre des frères prit de l’accroissement. Ensuite on l’envoya à Paris, où il mourut peu de jours après dans le Seigneur *. Un jeune homme, qui était neveu du cardinal Etienne de Fosse-Neuve, tomba avec son cheval dans un précipice, et on en retira mort. On le présenta à saint Dominique qui fit une prière et lui rendit la vie **. —  Un architecte, conduit par les frères sous une crypte de l’église de Saint-Sixte, fut écrasé par un pan de mur qui s'écroula, et il fut étouffé sous les décombres; mais l’homme de Dieu, Dominique, fit enlever le corps de la crypte, se le fit apporter et par le suffrage de ses prières, il lui rendit la vie avec la santé ***. — Dans  le même couvent de saint Sixte, où restaient environ quarante frères, il ne se trouva un jour qu'une très petite quantité de pain; alors saint Dominique commanda qu'on la partageât et qu'on la servît sur la table; et pendant que chacun mangeait avec joie cette petite bouchée de pain, voici que deux jeunes gens tout à fait ressemblants par leur habit et leur figure entrèrent au réfectoire, portant des pains dans des tabliers qui leur pendaient au cou. Ils les posèrent

 

* Thierry d'Apolda, n° 92.

** Histoire de sa vie, passim,

*** Relation de la soeur Cécile, n. 3.

 

361

 

sans rien dire au bout de la table du serviteur de Dieu Dominique, et se retirèrent si vite que personne ne put savoir dans la suite d'où ils étaient venus, ni comment ils étaient sortis. Alors saint Dominique étendit les mains çà et là sur la communauté et dit : « Maintenant, mes frères, mangez. » — Un jour, saint Dominique était en chemin et il tombait une très forte pluie; il fit le signe de la croix et il écarta la pluie toute entière de lui et de son compagnon, de sorte que ce fut comme s'il s'était couvert d'un pavillon avec la croix : et alors crue toute la terre était couverte d'eau, il n'en tombait pas une goutte autour d'eux, à une distance de trois coudées*. —  Une fois que dans les environs de Toulouse; il venait de traverser une rivière dans une barque, le batelier lui demanda un denier pour prix de son passage. Comme l’homme de Dieu lui promettait le royaume dés cieux pour récompense, en ajoutant qu'il était le disciple de J.-C. et qu'il ne portait avec lui ni or, ni argent, le batelier le saisit par sa chape et lui dit : « Tu me donneras ta chape ou un denier. » Alors l’homme de Dieu leva les veux au ciel, fit intérieurement une petite prière, et regardant à terre, et y voyant un denier qui, sans aucun doute, lui était envoyé par le bon Dieu : « Voici, dit-il, mon frère, ce que vous me demandez, prenez et laissez-moi aller en paix. » — Il arriva un jour que saint Dominique étant en voyagé s'associa avec un religieux qui lui était bien connu par sa sainteté, mais dont il n'entendait ni le langage ni l’a langue. Contrarié

 

* Humbert, VIe, n° 39.

 

362     

 

de ce qu'il ne pouvait    as conférer avec lui des choses du ciel, il obtint de Dieu que l’un parlât la langue de l’autre, de manière à se comprendre pendant les trois jours qu'ils avaient à voyager ensemble. — On lui présenta une fois un homme obsédé d'un grand nombre de démons ; il prit une étole qu'il se mit au cou, ensuite il la serra autour du cou du démoniaque en lui ordonnant de ne plus faire souffrir cet homme désormais. Alors ces démons commencèrent à être tourmentés dans le corps de l’obsédé, et crièrent: «Laisse-nous sortir, pourquoi nous forces-tu à être tourmentés ici? » Et saint Dominique dit: « Je ne vous laisserai point partir, à moins que vous ne me donniez des garants qui me répondront que vous ne rentrerez plus désormais. » « Quels garants, répondirent-ils, pourrons-nous te donner? » Et il reprit : « Les saints martyrs dont les corps reposent en cette église. » Et ils dirent: « vous ne le pouvons, car nos mérites sont en contradiction. » « Il faut, vous dis-je, les donner, autrement je ne vous délivrerai jamais du tourment que vous endurez. » Alors ils répondirent à cela qu'ils s'en occuperaient et peu après ils dirent: « Eh bien, nous avons obtenu, quoique nous ne le méritions pas, que les saints martyrs soient nos garants. » Or, saint Dominique leur, demandant un signe par lequel il pourrait s'assurer de cela, les démons lui dirent : « Allez à la châsse qui renferme les têtes des martyrs et vous la trouverez renversée. » On y alla et l’on trouva qu'il en était comme ils l’avaient assuré *.

 

* Thierry d’Apobla.

 

363

 

Pendant une de ses prédications, des femmes qui s'étaient laissé corrompre par les hérétiques vinrent se jeter à ses pieds en lui disant : « Serviteur de Dieu, venez à notre aide; si ce que vous avez prêché aujourd'hui est vrai, depuis longtemps l’esprit d'erreur a aveuglé nos coeurs. » Saint Dominique leur dit: « Soyez constantes et attendez un peu afin de voir à quel maître vous vous êtes attachées. » Aussitôt elles virent sauter du milieu d'elles un chat affreux qui avait les proportions d'un grand chien avec des yeux gros et flamboyants, une langue longue et large, injectée de sang et qui allait jusqu'à son nombril; sa queue courte et relevée laissait voir toute la turpitude de son derrière, de quelque côté qu'il se tournât; et il s'en exhalait une puanteur insupportable. Après qu'il eut tourné pendant un certain temps çà et là, autour de ces femmes, il grimpa dans le clocher par la corde de la cloche et disparut, laissant: après lui des traces dégoûtantes. Alors ces femmes, après avoir remercié Dieu, se convertirent à la foi catholique *. — Il avait convaincu dans la province de Toulouse un certain nombres d'hérétiques condamnés au bûcher; et il vit au milieu d'eux un homme appelé Raymond ; alors il dit aux bourreaux : « Conservez celui-ci, et qu'on ne le brûle pas avec les autres. » Puis se tournant vers lui : « Je sais, lui dit-il avec bonté, je sais, mon fils, que vous serez un jour, quoique ce ne soit pas de sitôt, lut homme de bien, et un saint. » On relâcha donc cet homme qui, pendant vingt ans encore, resta dans l’hérésie ;

 

* Thierry d'Apolda, ch.  IV, n° 54.

 

364

 

enfin s'étant converti, il entra dans l’ordre des frères Prêcheurs oit il vécut saintement jusqu'à sa mort. — Comme saint Dominique était en Espagne, en compagnie de quelques frères, il lui apparut un dragon épouvantable, qui s'efforçait d'engloutir les frères dans sa gueule. L'homme de Dieu, qui comprit le sens de cette vision, exhortait ses compagnons à résister courageusement. Peu de temps après ils le quittèrent tous à  l’exception de frère Adam et de deux convers. Il demanda donc à l’un d'eux s'il voulait s'en aller comme les autres: « A Dieu ne plaise, mon père, répondit-il, qu'en quittant la tête, je suive les pieds. » Alors saint Dominique se mit en prière, et presque tous furent convertis peu de temps après, par le mérite de cette prière. — Comme il se trouvait à Rome, au couvent de saint Sixte, l’esprit de Dieu vint sur lui soudainement et il rassembla les frères au chapitre alors il leur annonça que quatre d'entre eux devaient mourir bientôt, deux de la mort du corps, et deux de la mort de l’âme. En effet peu après deux frères s'endormirent dans le Seigneur et deux autres se retirèrent de l’ordre         * . — Lorsqu'il était à Bologne, se trouvait en cette ville maure Conrad, Allemand, gaie les frères souhaitaient fort de voir entrer dans l’ordre. Or, saint Dominique étant en conversation, la veille de la fête de l’Assomption de la sainte Vierge, avec le prieur du monastère de Casa-Maria de l’ordre de Cîteaux, il lui dit entre autres choses en forme de confidence : « Je vous avoue, prieur, une chose que je n'ai

 

* Humbert, n° 50

 

365

 

jamais découverte à personne jusqu'à présent, et que vous ne révélerez pas vous-même à d'autres, de mon vivant ; c'est que je n'ai jamais rien demandé ici-bas que je ne l’aie obtenu selon mes désirs. » Comme le prieur lui disait que peut-être il mourrait avant lui, saint Dominique lui dit en esprit prophétique qu'il vivrait longtemps après lui. La prédiction se réalisa. Alors le prieur ajouta : « Demandez donc, mon père, que Dieu vous donne pour votre ordre maître Conrad, que vos frères paraissent désirer tant être des vôtres. » Mais saint Dominique lui répondit : « Mon bon frère, vous avez demandé là une chose difficile. » Après complies, les frères étant allés se reposer, Dominique resta dans l’église où il passa la nuit en prière comme c'était sa coutume. Or : quand on vint chanter prime, au moment où le chantre entonnait l’hymne Jam lucis orto sidere, voici que celui qui devait être un nouvel astre d'une nouvelle lumière, maître Conrad, vient tout à coup se prosterner. aux pieds de saint Dominique, et lui demander instamment l’habit de l’ordre. Il persévéra dans sa demande et fut reçu. Ce fut un zélé religieux qui enseigna dans l’ordre à la grande satisfaction de tous. Il était près de mourir et avait déjà fermé les yeux, de sorte qu'on le croyait mort, quand. il regarda les frères qui étaient autour de lui et dit Dominus vobiscum. Quand on eut répondu : Et cum spiritu tuo, il ajouta: Fidelium animae per misericordiae Dei requiescant in pace *. Et aussitôt il reposa en paix dans le Seigneur.

 

* Ce sont les paroles par lesquelles l’Eglise termine tous ses offices : elles signifient : Que par la miséricorde de Dieu, les âmes des fidèles reposent en paix.

 

366

 

Le serviteur de Dieu saint Dominique était doué d'une égalité d'âme que rien n'ébranlait, sinon quand il était troublé par la compassion et par la miséricorde ; et parce qu'un coeur content épanouit le visage on voyait, à sa douceur extérieure, la paix qui régnait au dedans de lui. Dans la journée, personne n'était plus simple que lui avec les frères et ses compagnons, tout en observant les règles de la bienséance; la nuit personne n'était plus exact aux offices et à la prière. Il consacrait le jour au prochain et la nuit à Dieu. Il avait fait de ses yeux comme une fontaine de larmes. Souvent quand on levait le corps du Seigneur à la messe, il était ravi en esprit comme s'il avait vu présent J.-C. incarné : c'est pour cela que pendant longtemps, il n'assista pas à la messe avec les autres. Il avait aussi la coutume de passer très souvent, la nuit, dans l'église, en sorte qu'il semblait n'avoir pas ont presque pas de lieu fixe pour prendre son repos : et quand la nécessité de dormir le surprenait à la suite de ses fatigues, il se reposait ou bien devant l'autel, ou bien la tète inclinée sur une pierre. Chaque nuit il prenait lui-même trois fois la discipline avec une chaîne de fer : une fois pour soi-même, une seconde fois pour les pécheurs qui vivent dans le monde, et une troisième fois pour ceux qui souffrent dans le purgatoire. Élu, un jour, à l'évêché de Couserans, d'autres disent de Comminge, il refusa nettement, protestant devoir plutôt quitter la terre que de consentir jamais (367) à une élection dont il serait l'objet. — On lui demandait un jour pourquoi il ne restait pas à Toulouse, ou dans le diocèse de cette ville, plutôt que dans le diocèse de Carcassonne, il répondit : « C'est parce que, dans le diocèse de Toulouse, je rencontre bon nombre de personnes qui m'honorent, et que à Carcassonne, au contraire, tout le monde me fait la guerre. » Quelqu'un lui demandait dans quel livre il avait le plus étudié : « C'est, dit-il, dans le livre de la charité. » — Une fois qu'étant â Bologne il passait la nuit, dans l'église, le diable lui apparut sous la figure d'un frère. Saint Dominique, croyant que c'en était un, lui faisait signe d'aller se reposer comme les autres. Or, celui-là lui répondait par signes comme s'il se moquait de lui. Mors saint Dominique ne voulant savoir quel était celui qui méprisait ainsi ses ordres, alluma une chandelle à la lampe et regardant sa figure reconnut tout de suite, que c'était le diable. Le saint l'accabla de reproches et le diable se mit à l'insulter pour avoir rompu le silence ; alors saint Dominique lui déclarant qu'il lui était permis de parler en sa qualité de maître des frères, il le força de lui déclarer en quoi il tentait les frères au choeur. Le diable lui répondit : « Je les fais arriver tard et sortir tôt. » Il le conduisit ensuite au dortoir et lui demandant de quoi il y tentait les frères. Il dit : « Je les fais trop dormir, se lever tard, et de cette manière, ils y restent pendant l'office et de temps en temps, je leur suggère de mauvaises pensées. » Puis il le mena ait réfectoire, et lui demanda de quoi il y tentait les frères; alors le démon se met à sauter sur les tables, en répétant souvent ces paroles : « Plus (368) et moins, plus et moins. » Et comme saint Dominique lui demandait ce qu'il voulait dire par là, il répondit : « Il y a quelques frères que je tente. de manger plus; et par conséquent de manquer souvent à la règle en mangeant trop : d'autres, de manger moins, afin qu'ils deviennent sans force dans le service de Dieu et dans la pratique de leurs règles. » De là il le conduisit au parloir, en s'informant de quoi il y tentait les frères. Alors le diable se mit à tourner la langue dans sa bouche avec vitesse et faisait entendre un bruit confus étrange. Saint Dominique lui demandant ce que cela voulait dire, le diable répondit : « Ce lieu est tout à moi : car quand les frères se rassemblent pour parler, je  m’applique à les tenter de parler sans ordre, d'entremêler des paroles inutiles et de telle façon que l’un n'attende pas l’autre. » Enfin saint Dominique conduisit le diable au chapitre, mais quand il fut arrivé à la porte, le démon n'y voulut absolument pas entrer : « Ici, dit-il, je n'entrerai jamais; c'est pour moi un lieu de malédiction et un enfer. Je perds ici tout ce que j'ai gagné ailleurs : car quand j'ai fait tomber un frère en quelque négligence, il s'en purifie de suite dans, ce lieu de malédiction et s'avoue coupable devant tout le inondé : c'est ici qu'on leur donne des avis, ici qu'ils se confessent, ici qu'ils s'accusent, ici qu'ils sont frappés, ici qu'ils sont absous; et de cette manière, je vois avec douleur que j'ai perdu tout ce que je me réjouissais d'avoir gagné ailleurs. » Après avoir dit ces mots, il disparut *.

 

* Thierry d'Apolda, c. XV.

 

369

 

Enfin le terme de son pèlerinage approchant, Dominique, qui était à Bologne, commença à tomber en langueur et en grande faiblesse; la dissolution de son corps lui fut montrée dans une vision : lin jeune homme d'une grande beauté lui apparut, et l’appela en disant : « Viens, mon bien-aimé, viens à la joie, viens *. » Alors il fit venir douze des frères du couvent de Bologne, et pour. ne pas les laisser déshérités et orphelins, il fit son testament en ces mots : « Voici ce que je vous laisse comme à mes enfants, afin que vous le possédiez à titre héréditaire : Ayez la charité, gardez l’humilité, et possédez la pauvreté volontaire **. » Mais ce qu'il défendit le plus expressément qu'il put, c'est que personne ne fit jamais entrer dans son ordre des biens temporels, menaçant de la malédiction du Dieu tout-puissant et de la sienne celui qui attenterait de salir l’ordre des Prêcheurs, de la poussière des richesses terrestres. Comme ses frères se désolaient de sa perte, il leur dit avec bonté pour les consoler : « Mes enfants, que ma mort corporelle ne vous trouble pas; et soyez certains que je vous serai plus utile mort que vif. » Arriva ensuite son heure dernière et il s'endormit dans le Seigneur, l’an 1221. Le jour et l’heure de son trépas furent révélés, ainsi qu'il suit, à frère Guali, alors prieur des frères Prêcheurs de Brescia et par la suite évêque de la même ville. Il dormait d'un léger sommeil, la tête appuyée sur le clocher des frères, quand il vit le ciel ouvert et deux échelles blanches qui en descendaient sur la terre ;

 

* Barthélemy de Trente, n° 13.

** Humbert, n° 53.

 

370     

 

J.-C. avec la mère en tenait le haut, et les anges y montaient et descendaient en poussant des acclamations de joie. En bas entre les deux échelles était placé un siège sur lequel se trouvait assis un frère dont la tête était couverte d'un voile. Or, Jésus et sa mère tiraient les échelles en haut, jusqu'à ce que le frère eut été élevé au ciel dont l’ouverture fut alors refermée *. Le frère Guali étant venu de suite à Bologne, apprit que c'était, en ce jour et à cette heure-là même que le Père était trépassé. — Un frère, nommé Raon qui restait à Tibur, était à l’autel pour célébrer la messe au jour et à l’heure du trépas du Père. Comme il avait appris que le saint était malade à Bologne, quand il fut arrivé à l’endroit du canon où l’on a coutume de faire mention des vivants, et qu'il voulait prier pour sa guérison, il tomba tout à coup en extase, et il vit l’homme de Dieu Dominique ceint d'une couronne d'or, et tout resplendissant de lumière ; deux personnages vénérables l’accompagnaient sur la route royale hors de Bologne. Il prit note du jour et de l’heure. et il trouva que c'était alors que le serviteur de Dieu Dominique était mort. Son corps étant resté sous terre pendant un long espace de temps; et les miracles qui s'opéraient à chaque instant devenant de plus en plus nombreux, sa sainteté était devenue évidente ; alors la piété des fidèles, les porta à transporter son corps dans un lieu plus élevé. Quand, après avoir brisé le mortier avec des instruments de fer, on eut soulevé la pierre, et ouvert le monument, il s'en échappa une  

 

* Auteur de sa vie.

 

371

 

odeur tellement suave que c'était à croire qu'on n'avait pas ouvert un tombeau, mais une chambre pleine d'aromates*. Et cette odeur qui l’emportait sur celle de tous les parfums ne semblait avoir rien de pareil dans la nature : ce n'était pas seulement aux ossements ou à la poussière de ce saint corps qu'elle était inhérente, ou même à la chasse, mais encore à la terre d'alentour, de sorte que transportée dans des pays éloignés elle gardait son parfum pendant longtemps. Les mains des frères qui avaient touché quelque chose des reliques, se trouvèrent tellement embaumées qu'on avait beau les laver et les frotter, elles conservèrent longtemps cette preuve de bonne odeur.

Dans la province de Hongrie, un homme de noble race vint avec sa femme et son fils encore tout jeune pour visiter les reliques de saint Dominique qu'on avait à Silon ; mais ce fils y tomba malade et mourut. Alors: le père porta son corps devant l’autel de saint Dominique et se mit à se lamenter et à dire : « Bienheureux Dominique, je suis venu vers vous plein de joie et je  m’en retourne plein de tristesse ; je suis venu avec mon fils et j'en suis privé pour  m’en aller; rendez-moi, je vous en prie, rendez-moi mon fils; rendez-moi la joie de mon coeur.» Et voici que vers le milieu de la nuit, l’enfant ressuscita et se promena par l’église. — Un jeune homme au service d'une dame noble s'occupait à pêcher dans la rivière; il tomba dans l’eau, y fut suffoqué et disparut. Ce fut longtemps après que son corps fut retiré du fond de la rivière.

 

* Jourdain de saxe.

 

372     

 

Sa maîtresse invoqua saint Dominique pour qu'il fût ressuscité, et promit d'aller pieds nus à ses reliques et de rendre la liberté à cet esclave s'il ressuscitait. A l’instant ce jeune homme, qui était mort, fut rendu à la vie et se leva au milieu de tout le monde qui se trouvait présent. Sa maîtresse accomplit son voeu ainsi qu'elle l’avait promis. — Dans cette même province de Hongrie, un homme versait des larmes amères sur le cadavre de son fils, et priait saint Dominique pour obtenir sa résurrection. Environ au moment où les coqs chantent, celui qui, avait été mort ouvrit les yeux et dit à son père : « Comment se fait-il, mon père, que j'aie la figure ainsi mouillée? » « Ce sont, lui répondit-il, les larmes de ton père, car tu étais mort et j'étais resté seul privé de toute joie. » Son fils lui dit : « Vous avez beaucoup pleuré,mon père,mais saint Dominique, compatissant à votre désolation, a obtenu par ses mérites que je vous sois- rendu vivant. » — Un homme, languissant et aveugle depuis dix-huit ans, avait le désir de visiter les reliques de saint Dominique ; il essaya de sortir de son lit, se leva, et ressentit venir en lui subitement une force assez grande pour se mettre à marcher à pas pressés; sa faiblesse de corps et sa cécité diminuaient à mesure qu'il faisait chaque jour du chemin, jusqu'à ce qu'enfin, parvenu au lieu qu'il avait pris pour but, il reçut le bienfait d'une double guérison complète. — En la même province de Hongrie, une dame qui avait l’intention de faire célébrer une messe en l’honneur de saint Dominique ne trouva pas de prêtre à l’heure qu'elle voulait ; alors elle enveloppa dans un litige propre les trois chandelles qu'elle avait destinées (373) pour la messe et les serra dans un vase; elle s'en alla pour un instant. et en revenant lui moment après elle vit les chandelles brûler à grandes flammes. Tout le inonde accourut pour voir ce spectacle étrange, et resta tremblant et priant jusqu'au moment où les chandelles furent entièrement, brûlées sans que le lime soit endommagé.

A Bologne, un écolier nommé Nicolas souffrait d'une telle douleur aux reins et aux genoux qu'il ne pouvait se lever de son lit; sa cuisse gauche s'était desséchée au point qu'il n'y avait plus pour lui aucun espoir de guérison. Se vouant à Dieu et à saint Dominique, il se mesura de toute sa longueur avec un fil dont on devait faire une chandelle; après quoi il se mit à se ceindre le corps, le cou et la poitrine. Au moment où il entourait son genou du fil, comme il invoquait, à chaque fois qu'il faisait un tour, le nom de Jésus et de saint Dominique, aussitôt il se sentit soulagé et s'écria : « Je suis délivré. » Il se lève en pleurant de joie et vient sans l’aide de personne à l’église où reposait le corps de saint Dominique. Dans la même ville de Bologne, Dieu opéra un nombre infini de miracles par son serviteur. — En la ville d'Augusta en Sicile, une jeune fille, qui avait la pierre, devait être taillée. La mère, à raison du péril que courait son enfant, la recommanda à Dieu et, à saint Dominique. La nuit suivante saint Dominique apparut à la jeune fille pendant son sommeil, lui mit dans la main la pierre qui là faisait, souffrir. La jeune fille, à son réveil, se trouvant guérie, donna cette pierre à sa mère et lui raconta la vision qu'elle avait eue ; la mère prit alors la pierre et il (374) la porta au couvent des frères où elle la suspendit devant l’image de saint Dominique, en mémoire d'un si grand miracle. — Dans la ville d'Augusta, des dames qui avaient assisté, en l’église des frères, à la messe solennelle le jour de la fête de la translation de saint Dominique, virent en revenant chez elles une femme occupée à filer devant la porte de sa maison; elles se mirent à la, tancer de ce qu'elle n'avait pas interrompu son travail au jour de la fête de ce grand saint. Cette femme indignée leur répondit : « Vous qui êtes les bigotes * des frères, faites la fête de votre saint. » A l’instant ses yeux s'enflèrent, et il en sortit de la pourriture et des vers ; de sorte qu'une de ses voisines en compta dix-huit qu'elle lui ôta. Alors remplie de componction elle vint à l’église des frères, y confessa ses péchés et fit voeu de ne jamais parler mal de saint Dominique et de célébrer sa fête avec dévotion. A l’instant elle récupéra sa première santé.

Une religieuse nommé Marie, au monastère de la Magdeleine, à Tripoli, souffrait des douleurs cuisantes. Ayant reçu un coup à la jambe, elle était tourmentée affreusement depuis cinq mois; on attendait à chaque instant l’heure de son trépas. Elle se recueillit en elle-même et fit cette prière: « Mon Seigneur, je ne suis digne ni de vous prier, ni d'être exaucée; mais je prie mon seigneur saint Dominique d'être médiateur entre vous et moi, et de  m’obtenir le bienfait de la santé. » Or, comme elle priait longtemps en répandant des larmes,

 

* Le texte porte Bizotae et Brixotae, mot qui ne se trouve dans aucun dictionnaire.

 

375

 

elle tomba en extase et vit saint Dominique entrer avec deux frères, soulever le rideau qui était devant son lit, et lui dire: «Pourquoi désirez-vous tant d'être guérie? » « Seigneur, répondit-elle, c'est afin de pouvoir mieux servir, Dieu. » Alors saint Dominique tira de dessous sa chape un onguent d'une admirable odeur avec lequel il fit des onctions à sa jambe et elle fut guérie à l’instant; puis il lui dit: « Cette onction est bien précieuse, douce, et difficile. v Et comme cette femme lui demandait de lui expliquer le sens de ces paroles ; il répondit: « Cette onction est le signe de l’amour, qui est précieux, parce qu'on ne peut l’acheter avec de l’argent; et parce que de tous les dons de Dieu il n'y en a point de préférable à son amour; elle est douce, car il n'y a rien de plus doux que la charité; elle est difficile parce qu'elle se perd vite si on ne la conserve avec précaution.» Cette nuit-là même, il apparut à sa sœur qui reposait au dortoir et lui dit: « J'ai guéri ta soeur. » Celle-ci accourut et trouva sa soeur guérie. Or, comme Marie sentait qu'elle avait reçu une onction réelle, elle l’essuya très respectueusement avec de la soie. Quand elle eut raconté tout à l’abbesse et à son confesseur et qu'elle leur eut montré l’onction qui était sur la soie elles furent frappées de sentir une odeur si grande et si nouvelle pour eux qu'ils ne pouvaient la comparera aucun parfum ; et ils conservèrent cette onction avec le plus grand esprit. — Pour prouver combien est agréable à Dieu l’endroit où repose le très saint corps du bienheureux Dominique, il suffira de choisir ici, entre mille, un miracle qui s'y opéra.

 

376     

 

Maître Alexandre, évêque de Vendôme *, se rapporte dans ses Apostilles sur ces paroles. Misericordia et veritas obviaverunt sibi (Ps. LXXXIV) qu'un écolier de Bologne, adonné aux vanités du siècle, eut la vision suivante : II lui semblait être dans un vaste champ, et une tempêté extraordinaire allait fondre sur lui. Il se mita fuir pour l’éviter et arriva à une maison qu'il trouva fermée. Il frappa à la porte en priant qu'on lui ouvrît. La personne qui habitait la maison lui répondit : « Je suis la justice ; c'est ici que j'habite, cette maison est à moi; or, parce que tu n'es pas juste, tu ne peux y habiter. » En entendant ces paroles, il se retira tout triste, et voyant plus loin une autre maison, il y vint, et frappa en demandant qu'on l’y reçût. Mais la personne qui restait à l’intérieur lui répondit « Je suis la vérité ; c'est ici que j'habite; cette maison est à moi ; mais je ne te donnerai pas l’hospitalité, parce que la vérité ne préserve pas celui qui ne l’aime pas. » Alors il s'éloigna et vit une troisième maison plus loin. Quand il y arriva, il supplia comme auparavant qu'on l’y mît à l’abri de la tempête. La maîtresse qui était à l’intérieur lui répondit: « Je suis la paix et j'habite ici; or, il n'y a pas de paix pour les impies, mais pour les hommes de bonne volonté. Cependant comme mes pensées sont des pensées de paix et non d'affliction, je te donnerai un avis salutaire. Plus loin. habite ma soeur; elle secourt toujours les misérables; va la trouver et fais ce qu'elle te dira. » Quand il y fut

 

* Il y a une variante dans le texte; l’une porte Vindonicensis et l’autre Vindoniensis.

 

arrivé, celle qui était à l’intérieur lui répondit : « Je suis la miséricorde, c'est ici ma maison. Si donc tu désires être à l’abri contre la tempête qui te menace, va à la maison qu'habitent les frères prêcheurs, tu y trouveras l’étable de la pénitence, la crèche de la continence, l’herbe de la doctrine, l’âne de la simplicité avec le boeuf de la discrétion, Marie qui t'éclairera, Joseph qui te parfera, et l’enfant Jésus qui te sauvera. » A son réveil l’écolier vint à la maison des frères, et raconta l’ensemble de sa vision; ensuite il prit et reçut l’habit de l’ordre *.

 

* Gérard de Frachet, l. I, c. III.

 

Haut du document

 

Précédente Accueil Remonter Suivante