LAZARE V

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HOMÉLIES SUR LAZARE.

CINQUIÈME HOMÉLIE (1).

 

ANALYSE.

 

Ce discours tient au précédent, et a été prononcé immédiatement après. — Il est divisé en deux parties à peu près égales. — Dans la première, l'Orateur parle de la résurrection : il explique un passage de l'apôtre saint Paul, offre aux fidèles les motifs les plus propres à les consoler dans la mort des personnes qui leur sont chères , et les exhorte à se distinguer des infidèles par leur conduite comme ils en sont distingués par leur croyance. — Dans la seconde, pour les exciter à ne pas se laisser abattre par la tristesse quand ils voient mourir les personnes qu'ils chérissent le plus , il leur présente les exemples de Job et d'Abraham, qui tous deux ont montré un courage magnanime, l'un dans la perte d'un grand nombre de fils vertueux, l'autre dans le sacrifice d'un fils unique qu'il était prêt à immoler.

 

1. La parabole du Lazare nous a occupés pendant quatre jours entiers; nous avons épuisé le trésor renfermé dans un corps infirme et rongé d'ulcères; trésor non d'or et d'argent ni de pierres précieuses, mais de sagesse, de courage, de fermeté, de patience. Et comme dans les trésors matériels enfouis dans la terre, les yeux n'aperçoivent à la superficie que des ronces, des épines, des aspérités; tandis que si l'on creuse, on rencontre de grandes richesses de même pour Lazare, nous n'avons aperçu au dehors que des ulcères, nous avons trouvé au dedans des richesses immenses. Un corps languissant et faible renfermait une âme ardente et courageuse, et l'on voyait s'accomplir dans sa personne cette parole de l'Apôtre: Plus l'homme extérieur se détruit, plus l'intérieur se renouvelle. (II Cor. IV, 16.)

Nous aurions pu encore aujourd'hui parler de la même parabole, et combattre les hérétiques qui décrient l'Ancien Testament, qui se déchaînent contre les patriarches, qui aiguisent leur langue contre le Créateur de

 

1. Traduction de l'abbé Auger, revue.

 

l'univers; mais dans la crainte de causer de la satiété en traitant toujours le même sujet, réservant ces discussions pour un autre temps, nous allons nous occuper d'une autre matière. Une table qui n'offre qu'un seul mets engendre le dégoût; au lieu que celle qui en présente un grand nombre, excite l'appétit par la diversité des aliments. Afin donc qu'il en soit de même pour nos instructions, nous allons retourner au bienheureux Paul que nous paraissions avoir abandonné , d'autant plus que le passage de l'apôtre qu'on vient de nous lire a beaucoup de rapport avec la parabole du Lazare.

Vous venez d'entendre saint Paul faisant retentir ces paroles: Je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous affligiez pas comme font les autres hommes qui n'ont point d'espérance. (I Thess. IV. 12.) L'Evangile et l'Apôtre s'expriment d'une manière différente; mais ils se rapprochent pour le fonds des choses, et ont ensemble un accord parfait. Dans la parabole (502) du Lazare, nous avons beaucoup raisonné sur la résurrection et sur le dernier jugement; le passage de saint Paul nous ramène encore au même sujet, et si nous creusons ce passage, nous v trouverons le même trésor. Nous avions alors pour but d'apprendre aux auditeurs à ne pas se laisser éblouir parle faux éclat des biens de ce monde, mais à pénétrer plus avant par l'espérance , à penser tous les jours aux sentences rigoureuses qui seront rendues dans les derniers temps, à ce jugement redoutable, à ce Juge incorruptible. Dans ce qu'on vient de nous lire, saint Paul vous donne aujourd'hui le même conseil que vous devez écouter avec attention: Je ne veux pas, dit-il, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous affligiez pas comme font les autres hommes qui n'ont point d'espérance. Car si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui se seront endormis en lui du sommeil de la mort.

Il est à propos de nous arrêter d'abord à examiner pourquoi, lorsque saint Paul parle de Jésus-Christ, il appelle mort sa mort; au lieu que lorsqu'il parle de notre fin, il la nomme sommeil; et non pas mort, car il ne dit pas: touchant ceux qui sont morts, mais touchant ceux qui dorment. Et plus bas: Nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui se seront endormis. Il ne dit pas: ceux qui seront morts. Il continue : Nous, dit-il, qui vivons, et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui sont déjà endormis. Il ne dit pas ici non plus: ceux qui sont morts; mais parlant pour la troisième fois de la mort de l'homme, il la nomme sommeil. Au contraire, lorsqu'il parle de Jésus-Christ, comment s'exprime-t-il? Car si nous croyons que Jésus est mort. Il ne dit pas: est endormi, mais: est mort. Pourquoi donc appelle-t-il la mort de Jésus-Christ mort, et la nôtre sommeil? Ce n'est point sans cause et au hasard qu'il s'est servi de cette expression plutôt que d'une autre; il cache sous ces paroles un sens profond et sublime. En parlant du Fils de Dieu il se sert du nom de mort, afin de confirmer le supplice qu'il a subi pour nous: en parlant de l'homme il emploie le nom de sommeil, afin de consoler notre tristesse. Comme la mort de Jésus-Christ a été suivie de la résurrection, il ne craint pas de l'appeler mort; mais comme chez nous la résurrection n'est qu'en espoir, il nomme notre mort sommeil, se servant d'une expression propre à nous consoler, propre à nous donner d'heureuses espérances. Celui qui dort se réveillera sans doute; or, la mort n'est autre chose qu'un long sommeil. Et ne me dites pas que celui qui est mort ne parle plus, qu'il n'entend, ne voit, ne sent rien: car celui qui dort est dans le même état; et s'il faut dire quelque chose de surprenant, c'est que l'âme de celui qui dort est comme endormie, au lieu que l'âme de celui qui est mort est réveillée.

Mais, direz-vous, son corps pourrit et se corrompt, il devient cendre et poussière. Mais c'est pour cela, mon cher frère, que nous devons surtout nous réjouir. En effet, lorsqu'on veut reconstruire une vieille maison qui tombe en ruines, après avoir fait sortir les habitants, on détruit la maison même pour la rebâtir plus belle; et loin que ceux qu'on a fait sortir s'affligent, ils se réjouissent, parce qu'ils considèrent moins la destruction qui frappe actuellement leur vue, qu'ils n'imaginent la reconstruction qui est dans l'éloignement de l'avenir. De même , lorsque Dieu veut détruire notre corps, il en fait d'abord sortir l'âme comme d'une maison, afin de la faire rentrer avec plus de gloire dans cette maison qu'il aura rebâtie plus belle. Ne considérons donc pas la destruction présente, mais la splendeur future de la demeure détruite.

2. Un artiste a-t-il entre les mains une statue usée par la rouille et par le temps, mutilée clans plusieurs de ses parties, il la brise, la jette dans le fourneau, la fait fondre avec soin pour la refaire plus belle. La statue brisée pour être jetée dans le fourneau n'est pas détruite, mais renouvelée : ainsi la mort de nos corps n'est pas une destruction, mais un renouvellement. Lors donc que vous voyez notre chair se pourrir et se fondre dans la fournaise du tombeau, ne vous en tenez pas à ce que vos yeux aperçoivent, mais attendez la refonte, et, sans vous arrêter au changement opéré dans une statue, allez plus avant par l'imagination. Le statuaire qui jette dans le fourneau un corps d'airain, ne vous rend pas une statue d'or et immortelle, mais il la refait de nouveau en airain. Il n'en est pas de même de Dieu ; il jette dans le fourneau un corps de boue et mortel, et il vous rend une statué d'or et immortelle. La (503) terre qui reçoit dans son sein un corps périssable et corruptible, vous le rend incorruptible et inaltérable. Ne considérez donc pas cet homme étendu sans vie et sans voix, les yeux fermés; mais pénétrez dans l'avenir, voyez-le ressuscitant, se revêtant d'une gloire ineffable, divine, surnaturelle, et transportez vos idées de l'objet présent à l'espoir futur. Vous regrettez une personne qui vous était chère, et que vous ne reverrez plus ; c'est là ce qui vous afflige, ce qui cause vos pleurs et vos lamentations. Mais quoi ! si vous donniez votre fille à un jeune époux, qui l'emmènerait dans un pays éloigné pour l'y faire jouir d'une fortune brillante, loin de croire que ce fût là un malheur pour vous, vous vous consoleriez de l'absence de votre fille en apprenant la prospérité dont elle jouit ailleurs; et lorsque ce n'est pas un homine, un de vos semblables, mais le Seigneur lui-même qui a pris votre ami, vous pleurez, vous vous lamentez ! cette conduite est-elle raisonnable ?

Mais, direz-vous, comment ne pas s'affliger lorsqu'on est homme? J'en conviens ; aussi n'est-ce pas l'affliction que je blâme, mais l'excès de l'affliction. Il est dans la nature de ressentir de la tristesse, mais s'attrister outre mesure est sinon une déraison et une folie, du moins le fait d'une âme peu virile. Affligez-vous, pleurez; mais ne vous désespérez pas, ne vous emportez pas, ne vous indignez pas. Dieu prend votre ami; rendez grâces à Dieu, afin d'honorer votre ami au sortir de ce monde, et de lui faire les funérailles les plus nobles et les plus magnifiques. Si vous vous emportez, vous outragez votre ami décédé, vous irritez le Seigneur qui le prend, vous vous faites tort à vous-même; si vous rendez grâces au Ciel, vous honorez le mort, vous glorifiez le Très-Haut, vous vous faites du bien à vous-même. Pleurez, mais comme votre Maître a pleuré Lazare, en gardant des mesures, en observant des règles, en mettant à votre douleur des bornes que vous ne devez point passer. C'est ce qui fait dire à saint Paul : Je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous affligiez pas comme font les autres hommes qui n'ont point d'espérance. Affligez-vous , dit-il, mais non comme le païen qui ne croit pas à la résurrection, qui n'espère pas une vie future. J'ai honte, croyez-moi, je rougis, lorsque, traversant la place publique, je vois des troupes de femmes dans le plus grand désordre, s'arrachant les cheveux, se déchirant les joues et les bras, se livrant à ces excès en présence des infidèles. Eh ! que diront-ils de nous ces infidèles ? comment s'exprimeront-ils à notre sujet ? sont-ce là ces hommes qui raisonnent si bien sur la résurrection ? Oui, sans doute; mais leur conduite n'est guère d'accord avec leur croyance ; ils parlent de résurrection dans leurs discours, et leurs actions sont celles de personnes qui n'y croient pas. S'ils y croyaient fermement, agiraient-ils ainsi? s'ils étaient persuadés que celui qu'ils pleurent est passé à un état plus heureux, se lamenteraient-ils ? Tels sont les propos, et de plus piquants encore, que ne manquent pas de tenir les infidèles lorsqu'ils entendent nos lamentations. Soyons donc plus sages , rougissons de notre faiblesse, ne nous causons pas à nous-mêmes et à ceux qui nous voient un si grave préjudice.

Eh! pourquoi, je vous le demande, pleurez-vous celui qui a quitté ce monde ? Est-ce parce qu'il était méchant et vicieux? Mais vous devez rendre grâces au Seigneur de ce qu'il a rompu le cours de ses vices. Est-ce parce qu'il était bon et vertueux? Mais vous devez vous réjouir de ce qu'il a été enlevé avant que le vice eût corrompu son coeur, de ce qu'il a passé dans un séjour où sa vertu sera désormais en sûreté, où l'on ne pourra plus craindre pour lui de changement. Est-ce parce qu'il était jeune ? c'est une raison de glorifier Dieu qui l'a pris, qui l'a appelé de bonne heure à une condition plus heureuse. Est-ce parce qu'il était avancé en âge? c'est encore une raison de rendre grâces à Dieu qui l'a délivré des infirmités (le la vieillesse. Respectez la forme de nos funérailles. Si l'on chante des psaumes, si l'on prononce des prières, si l'on rassemble les Pères, les Frères, ce n'est pas afin que vous pleuriez le mort, que vous vous lamentiez, que vous vous désespériez, mais afin que vous rendiez grâces au Seigneur qui l'appelle à lui. Et comme ceux qui vont prendre possession d'une magistrature, sont accompagnés d'un grand nombre de personnes qui les félicitent; de même lorsque les saints partent de ce monde, tous leurs amis doivent les accompagner en les félicitant, parce qu'ils sont appelés à de grands honneurs.

La mort est un repos, la délivrance des (504) peines et des inquiétudes de cette vie. Lors donc que vous voyez un de vos parents quitter la terre pour toujours, ne vous emportez pas, mais touché et pénétré, rentrez en vous-même, interrogez votre conscience, et considérez que vous ne tarderez pas à subir la même fin. Devenu plus sage et craignant pour vous-même en voyant mourir un de vos semblables, sortez de votre langueur, revenez sur vos actions, corrigez vos fautes, opérez en vous un parfait changement.

Nous différons des infidèles en ce que nous jugeons autrement des choses. L'infidèle voit le ciel; et il l'adore, parce qu'il pense que c'est un dieu. Il voit la terre ; et il lui rend un culte, et il soupire après les objets sensibles. Nous, au contraire, nous voyons le ciel; et nous admirons celui qui l'a fait, parce que nous ne croyons pas que ce soit un dieu, mais l'ouvrage de Dieu. Je vois l'univers créé ; et la vue des créatures .m'élève jusqu'au Créateur. L'infidèle voit les richesses ; et, frappé de leur éclat, il soupire après elles : moi, je vois les richesses, et je les méprise. Il voit la pauvreté, et il se lamente; moi, je vois la pauvreté, et je me réjouis. L'un et l'autre nous ne voyons pas les choses de la même manière, et nous différons aussi sur la mort. Il voit un cadavre, et il croit que c'est un cadavre; moi, je vois un cadavre, et je juge la mort un sommeil. Et comme les savants et les ignorants ne voient pas des mêmes yeux les caractères qui forment une écriture, que les uns n'y aperçoivent que des figures muettes, tandis que les autres y découvrent, avec intelligence , tous les sens qu'ils renferment : ainsi dans les choses de ce siècle, les événements viennent frapper également nos regards , mais nous ne les voyons pas des mêmes yeux, et nous n'en jugeons pas de même. Nous qui différons des infidèles dans tout le reste, porterons-nous le même jugement qu'eux sur la mort ?

3. Songez où est allé celui que vous pleurez, et que cette idée vous console. Il est allé où est saint Paul, où est saint Pierre, où est le choeur de tous les saints. Songez avec quelle gloire, avec quel éclat il doit ressusciter un jour! Songez que, par vos pleurs et vos lamentations, vous vous ferez le plus grand tort à vous-même, sans pouvoir remédier à vos malheurs ni réparer vos pertes. Songez à ceux que vous imitez en vous désespérant comme vous faites, et craignez de partager leur faute. Qui donc imitez-vous? qui prenez-vous pour modèles? ceux qui n'ont point d'espérance , suivant ce que dit saint Paul : Afin que vous ne voies affligiez pas comme font les autres hommes, qui n'ont point d'espérance. Voyez avec quelle exactitude s'exprime l'Apôtre. Il ne dit pas : Ceux qui n'ont point l'espérance de la résurrection, mais simplement : ceux qui n'ont point d'espérance. Car celui qui n'espère pas un jugement futur, n'a aucune espérance; il ne sait pas même s'il existe de Dieu, si ce Dieu veille sur les choses de ce monde, si sa justice examine tout ce qui s'y passe. Celui qui ne sait ni ne croit ces vérités, est plus déraisonnable que la brute : il a banni de son coeur tous les principes de police humaine et de justice naturelle. Oui, sans doute, celui qui ne s'attend pas à rendre compte de ses actions, sera aussi incapable d'acquérir quelque vertu , que susceptible de tous les vices. Pénétrés de ces idées, et pensant à la folie, à la démence des païens dont nous nous rapprochons par nos pleurs et nos lamentations, évitons d'avoir avec eux de la ressemblance. Voilà pourquoi saint Paul parle des infidèles, c'est afin que, songeant au déshonneur que vous vous faites à vous-même, vous rougissiez d'avoir avec eux des rapports, vous reveniez à la dignité de votre nature.

Et ce n'est pas seulement dans cet endroit, mais dans plusieurs autres et sans cesse, que le bienheureux Paul emploie ce langage. Lorsqu'il vert nous retirer du péché, il montre avec gai nous nous associons par le péché, afin que la qualité des personnes nous fasse éviter toute communication avec elles. Aussi disait-il, en écrivant aux Thessaloniciens : Que chacun sache posséder le vase de son corps avec sainteté et décence, et non en se livrant à des passions honteuses , comme les païens, qui ne connaissent pas Dieu. (I Thess. IV, 4 et 5.) Je vous avertis, dit-il aux Ephésiens, de ne plus vivre comme les autres nations qui suivent dans leur conduite la vanité de leurs pensées. (Ephés. IV , 17. ) Je ne veux pas, mes frères, dit-il ici, que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous affligiez pas comme les autres hommes, qui n'ont point d'espérance. Car ce n'est pas la nature des choses, mais la disposition de notre âme, qui produit en nous l'affliction; ce n'est pas la mort de celui qui sort de ce monde, (505) mais la faiblesse de ceux qui le pleurent. Aucun des événements présents ne pourra donc affliger le fidèle; mais avant de jouir des biens futurs, il diffère dès à présent des infidèles, en ce qu'il ne retire pas de médiocres avantages de la sagesse chrétienne, qui lui procure une joie continuelle et une tranquillité parfaite. C'est ce qui fait dire au même saint Paul : Réjouissez-vous saris cesse dans le Seigneur; je vous le dis encore une fois, réjouissez-vous. (Philip. IV, 4.) Ainsi, même avant la résurrection, nous recevons ici-bas cette douce récompense, de ne nous laisser abattre par aucun des maux qui nous surviennent, mais de jouir d'une grande consolation par l'espoir des biens futurs. Ainsi donc nous avons un double avantage, et l'infidèle au contraire éprouve ce double préjudice, et d'être puni dans un autre monde pour n'avoir pas cru à la résurrection, et de se laisser abattre par les malheurs présents , parce qu'il n'espère aucun bonheur à venir. Nous devons rendre grâces à Dieu non-seulement pour la résurrection, mais pour l'espérance de la résurrection qui peut consoler notre âmé affligée, et nous inspirer au sujet des morts cette ferme confiance, qu'ils ressusciteront un jour et que nous les retrouverons ailleurs.

S'il faut s'affliger et pleurer, pleurons ceux qui vivent dans le péché, et non ceux qui meurent dans la vertu. C'est ce que fait encore saint Paul: J'appréhende, dit-il, écrivant aux Corinthiens, que Dieu ne m'humilie lorsque je serai revenu chez vous, et que je ne sois obligé d'en pleurer plusieurs. (II Cor. XII, 21.) Il ne dit pas: plusieurs qui seront morts, mais plusieurs, qui, étant déjà tombés dans des excès et des dérèglements infâmes, n'en ont point fait pénitence. Ce sont ceux-là qu'il faut pleurer, comme un écrivain sacré nous y exhorte Pleurez un mort, dit-il, parce qu'il ne jouit plus de la lumière du jour; pleurez aussi un insensé, parce qu'il ne jouit plus de la raison. Pleurez peu un mort qui a trouvé un repos éternel pleurez davantage un insensé, dont la vie est pire que le trépas. ( Eccl. XXII, 40, 11 et 12.) Mais si celui qui est privé de la raison, doit être pleuré sans cesse; combien plus ne doit-on pas pleurer celui qui est privé de la justice et qui a perdu l'espérance en Dieu? Pleurons donc ces hommes, parce que ces pleurs nous sont profitables, et qu'en les pleurant nous nous corrigeons souvent nous-mêmes; au lieu que les lamentations au sujet des monts sont aussi peu raisonnables qu'elles nous sont nuisibles. Ne renversons point l'ordre, pleurons seulement le péché; quant à tout le reste, la pauvreté, la maladie, la mort prématurée, la calomnie, les persécutions, et tous les maux humains qui peuvent fondre sur nous, supportons-les courageusement, parce que, si nous sommes sages, ces maux ne sont qu'une occasion de mériter plus de couronnes.

4. Et comment, étant homme, direz-vous, peut-on ne pas s'affliger? Moi, je dis au contraire, comment peut-on s'affliger étant homme, doué de raison et d'intelligence, soutenu par l'espoir des biens futurs ?

Et quel est celui, direz-vous encore , qui ne se soit pas laissé abattre par la tristesse? Il s'en est trouvé plusieurs dans différentes régions, et de notre temps et du temps de nos ancêtres. Ecoutez ce que dit Job après avoir perdu tous ses enfants: Le Seigneur me les a donnés, le Seigneur me les a ôtés, il est arrivé ce que le Seigneur a voulu. (Job, I, 2-1.) Ce simple trait du courage de Job est admirable sans doute ; mais vous aurez encore bien plus lieu d'être frappés si vous entrez dans le détail. Pensez que le démon ne lui a pas ôté une moitié de ses enfants et laissé l'autre moitié, qu'il ne lui en a pas au moins laissé quelques-uns en le privant du plus grand nombre; mais il a ravagé tous les fruits sans pouvoir renverser l'arbre; il a soulevé tous les flots de la mer sans submerger le navire, il a épuisé toutes ses forces sans ébranler la tour. Quoique assailli de toute part, Job est resté ferme et inébranlable; une grêle de traits a été lancée sur lui sans le frapper, ou du moins sans le blesser. Songez combien il est cruel de perdre un si grand nombre d'enfants! et combien de circonstances capables d'aggraver encore sa peine? Se les voir enlever tous, tous à la fois, dans un seul jour, à la fleur de l'âge, lorsqu'ils avaient montré tant de vertu ! se les voir enlever par un tel genre de mort, et recevoir cette dernière disgrâce après tant d'autres! J'insiste sur ce que celui qui leur avait donné la naissance était un père tendre, et qu'ils étaient eux-mêmes dignes de tous ses regrets. Lorsqu'on voit mourir des enfants vicieux, on est affligé de leur perte; mais l'affliction n'est pas extrême, elle se trouve fort affaiblie par les mauvaises inclinations de ceux qu'on a perdus. Mais s'ils sont vertueux, la blessure est profonde, on ne peut (506) oublier les êtres chers que l'on pleure, on est inconsolable, on souffre doublement, et par la tendresse de la nature et par le souvenir de leurs excellentes qualités. Or, ce qui prouve que les enfants de Job étaient vertueux, c'est (lue leur père les élevait avec le plus grand soin, qu'en se levant il faisait pour eux un sacrifice, qu'il craignait pour leurs fautes cachées, qu'il était singulièrement jaloux de leur perfection: ce qui annonce et la vertu des enfants et la tendresse du père. Job était père et père tendre, ses enfants étaient vertueux, les sentiments de la nature et l'amour de la vertu s'unissaient pour augmenter dans son coeur le regret de leur perte, et ainsi la douleur qui brûlait dans son âme s'alimentait à un triple foyer. De plus, lorsqu'on ne se voit enlever qu'une partie de ses enfants, on ne reste pas sans consolation : ceux qui sont laissés adoucissent la douleur causée par la mort de ceux qui sont ôtés. Mais lorsqu'on les a perdus tous, sur qui se reposera un malheureux père qui comptait beaucoup d'enfants, et qui se voit tout à coup sans enfants? Il était pour Job une cinquième circonstance accablante; quelle est-elle ? c'est de s'être vu enlever tous ses enfants à la fois. Lorsqu'ils en ont perdu un seul en peu de jours, les femmes et tous les parents se plaignent amèrement que celui qu'ils ont vu mourir, ait disparu soudain de leurs yeux quelle peine n'a donc pas dû ressentir le père à qui tous ses enfants ont été enlevés, non en deux jours, non en un seul jour, mais en une seule heure? Le mal que le temps a laissé pré voir, quelque insupportable qu'il soit en lui-même, devient plus léger, parce qu'on s'y est attendu : mais il est bien difficile de le supporter, quand il arrive tout à coup et contre toute attente. Lors donc que, déjà grave par lui-même, le mal est encore aggravé par un choc imprévu et subit, songez combien il doit être accablant, au-dessus de toute expression. Voulez-vous entendre une sixième circonstance? Job a perdu tous ses enfants à la fleur de l'âge. Or, vous savez combien les morts prématurées sont sensibles, et à quel excès elles nous portent dans la douleur qu'elles nous causent. Enfin, et c'est une septième circonstance, leur mort ne fut pas seulement prématurée, mais encore violente. Job ne vit pas ses enfants expirer dans un lit, mais ensevelis tous sous les ruines de sa maison. Songez donc quels devaient être les sentiments d'un père au milieu de toutes ces ruines, d'un père qui tirait des décombres tantôt une pierre, tantôt un membre sanglant d'un de ses fils, qui voyait une main tenant encore une coupe, une autre étendue vers un des mets; s'il découvrait un corps, il n'avait même plus la forme humaine, le front, les yeux, la bouche, tous les traits du visage étaient si défigurés par mille blessures diverses, qu'un père tendre ne pouvait reconnaître des enfants chéris. Ce seul récit vous touche, et vous pleurez ; songez quelle devait être la force de celui qui était le témoin d'un pareil spectacle; et si après un si long espace de temps, nous ne pouvons, sans verser des larmes, entendre raconter cette déplorable catastrophe, quoiqu'elle nous soit étrangère, quelle devait être la constance de celui qui voyait ce désastre de ses propres yeux, qui ne raisonnait pas sur le malheur d'un autre, mais qui supportait le sien propre! Job demeura calme et résigné, il ne se permit aucune plainte; il ne dit pas : Quoi donc ! est-ce là le prix que je reçois de ma bienfaisance? n'ai-je ouvert ma maison aux étrangers que pour la voir devenir le tombeau de mes enfants? n'ai-je travaillé à former mes enfants dans toutes les vertus que pour les voir subir une fin aussi triste? L'homme juste ne fit entendre aucune de ces plaintes, il n'y pensa pas même; mais il supporta courageusement toutes ces pertes, quoiqu'il eût élevé avec le plus grand soin les enfants que lui enlevait une mort cruelle. De même qu'un habile statuaire perfectionne et finit ses statues avec la plus grande attention; ainsi Job avait formé lui-même, avait orné l'âme de ses enfants. Et comme un jardinier laborieux arrose, munit, garantit, cultive de toutes les façons les racines des palmiers et des oliviers: de même Job ne cessait pas de cultiver l'âme de chacun de ses enfants, de la rendre propre à produire de plus grands fruits de vertu. Cependant il vit ces racines arrachées par un souffle violent du malin esprit, étendues par terre, périr de la manière la plus misérable ; et loin de proférer aucun murmure, il rendit grâces à Dieu, et par là porta un coup mortel au démon.

5. Si vous faites cette réflexion que Job avait plusieurs enfants , que d'autres ont souvent perdu un fils unique chéri, et que cette dernière perte est d'une autre nature; votre réflexion est juste, et je conviens avec vous que (507) les pertes de Job n'étaient pas de la même nature, c'est-à-dire qu'elles devaient être beaucoup plus sensibles : car enfin à quoi lui a servi d'avoir plusieurs enfants, sinon à aggraver sa disgrâce, à rendre sa douleur plus amère , en le frappant d'autant de coups qu'il perdait de têtes ?

Mais si vous voulez voir un père qui n'ayant qu'un fils, montre autant et même plus de courage, rappelez-vous le patriarche Abraham, qui ne vit pas Isaac mourir, mais ce qui était beaucoup plus triste, beaucoup plus douloureux , qui reçut l'ordre de l'immoler lui-même, sans disputer contre cet ordre , sans se révolter contre Dieu qui le lui signifiait, sans lui adresser ces plaintes : Pourquoi m'avez-vous fait père? était-ce afin de me rendre meurtrier de mon enfant? Il valait mieux ne pas me donner un fils, que de me l'ôter de cette manière après me l'avoir donné. Vouliez-vous le prendre? pourquoi me commander de l'immoler de ma main, de souiller mon bras de son sang? Ne m'avez-vous pas promis de remplir la terre de ma postérité par cet enfant même? peut-on donner des fruits lorsqu'on ôte la racine? pouvez-vous me promettre une postérité en me commandant d'immoler mon fils? a-t-on jamais rien vu, a-t-on jamais rien entendu de semblable? Ah ! sans doute, j'ai été trompé, j'ai été:,»usé. Loin de tenir ce langage et d'y songer même, loin de disputer contre l'ordre du Seigneur et de lui en demander compte, dès qu'il lui eut, dit : Prenez votre fils unique qui vous est cher, Isaac, et conduisez-le sur une des montagnes que je vous indiquerai (Gen. XXII, 2) , il exécuta cet ordre avec tant de zèle qu'il fit même plus que ce qui lui était prescrit. En effet, il cacha ce sacrifice à sa femme et à ses serviteurs, laissa ceux-ci au bas de la montagne, et ne prit avec lui que la victime: tant il obéissait avec empressement et sans aucune résistance ! Songez quel embarras c'était pour un père dé s'entretenir seul avec son fils sans que personne fût présent, lorsque les entrailles se troublent davantage, lorsque toute la tendresse se réveille , et de s'entretenir avec ce fils plusieurs jours de suite. S'il avait exécuté dans le moment l'ordre qui lui était donné, ce serait quelque chose de grand et d'admirable, mais non pas d'aussi admirable que de ne ressentir aucune  faiblesse pour son cher Isaac, quoique sa feu, dresse fût mise à l'épreuve pendant plusieurs jours. Dieu lui a ouvert un plus grand champ, une- lice plus étendue, afin que vous puissiez mieux contempler ce généreux athlète; car c'était vraiment un athlète qui ne combattait point contre un autre homme, mais contre la force impérieuse de la nature. Quel discours pourrait exprimer son courage? il a conduit lui-même son cher fils, l'a lié, l'a mis sur le bûcher; il a pris le glaive, et il était prêt à frapper le coup. Je ne puis dire comment il a pu remplir ce triste ministère ; c'est ce qui n'est connu que du prêtre de ce sacrifice nouveau : la parole ne peut y atteindre. Comment son bras ne s'est-il pas desséché ? comment les nerfs de sa main ne se sont-ils pas retirés ? comment la vue d'un enfant chéri n'a-t-elle pas jeté le trouble dans son âme? Isaac ne mérite pas moins notre admiration. Le fils était aussi soumis à son père que le père était soumis à Dieu. L'un n'a pas demandé compte à Dieu de l'ordre qu'il lui donnait d'immoler son fils; l'autre n'a pas demandé raison à son père de sa conduite , lorsqu'il le liait et le menait à l'autel, mais il à courbé docilement sa tête sous le bras paternel. On vit alors dans le même homme un père et un sacrificateur ; on vit un sacrifice oit il n'y eut pas de sang répandu, un holocauste sans feu, un autel offrant l'image de la mort et de la résurrection; car Abraham acheva le sacrifice et ne l'acheva point : son bras n'immola point son fils, mais son coeur l'immola. Et si Dieu lui signifia un pareil ordre, ce n'était point pour voir répandre le sang, mais pour nous faire connaître les sentiments d'une âme généreuse, pour proclamer son courage dans tout l'univers, et apprendre à tous les siècles futurs qu'il faut sacrifier aux ordres du Seigneur ses enfants, la nature , tous les biens, sa vie même. Abraham descendit donc de la montagne, et ramena dans Isaac vivant un témoin de sa noble résignation.

Quelle excuse, je le demande, quelle défense nous restera-t-il, si, lorsque nous voyons un père généreux obéir au Seigneur avec tant de promptitude, lui abandonner tout ce qu'il a de plus cher, nous nous révoltons contre la Providence? Ne me parlez point d'affliction, ni de disgrâce insupportable, mais considérez qu'Abraham était supérieur à l'affliction la plus accablante : l'ordre qu'il recevait était capable de troubler sa raison, de le jeter dans l'embarras, de renverser sa foi pour les promesses qui lui avaient été faites. En effet, qui du commun des (508) hommes n'eut pas cru qu'on l'avait trompé en lui promettant une postérité nombreuse? Mais , Abraham ne pensa pas ainsi. Job ne mérite pas moins d'être admiré pour sa constance et sa modération dans le malheur. En effet, après avoir montré tant de vertu, après avoir signalé sa charité et sa bienfaisance, pouvant se rendre le témoignage que ni lui ni ses enfants n'avaient fait aucun mal, il se vit accablé d'une affliction nouvelle et extraordinaire, telle que les plus scélérats n'en avaient jamais éprouvé de semblable , et néanmoins il s'éleva audessus des idées communes, il ne crut pas, parce qu'il était malheureux, que la vertu était inutile, et que jusqu'alors il avait pris un mauvais parti. Nous ne devons donc pas seulement les admirer l'un et l'autre à ces deux titres, mais , pleins d'une noble émulation , nous efforcer de les imiter. Et qu'on ne m'objecte pas que c'étaient des hommes admirables et d'un héroïsme qu'il n'est pas donné à tous d'avoir. Oui, sans doute, c'étaient de grands hommes, des hommes admirables, mais on nous demande encore plus de vertu et de sagesse qu'à ces deux saints et à tous ceux de l'Ancien Testament : Si votre justice, dit l'Evangile, n'est plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. (Matth. V, 20.)

Ainsi donc, instruits de tout côté, recueillant ce que nous avons dit de la résurrection, et des deux hommes que nous vous avons proposés - pour modèles, travaillez sans cesse à tranquilliser vos âmes, dans le temps de l'affliction, et même lorsque vous êtes exempts de douleur. Voilà pourquoi ,j'ai traité le sujet dont je viens de vous entretenir, quoique aucun de vous ne soit dans la tristesse, afin que lorsque nous tomberons dans quelque disgrâce , nous nous rappelions ces discours, et que notes y trouvions une consolation suffisante. C'est ainsi que les soldats s'occupent en temps de paix d'exercices militaires, afin que, lorsqu'il faudra combattre, lorsque les circonstances demanderont des hommes aguerris, ils fassent usage à propos de l'habileté et de l'expérience qu'ils auront acquises pendant la paix. Nous de même, tandis que nous sommes tranquilles et paisibles, préparons des armes et des remèdes, afin que, lorsque nous serons assaillis par des maux extrêmes, que nous serons en butte à quelque affliction ou à quelque douleur, nous trouvant alors bien armés, munis de toute part, fortifiés de réflexions utiles, des préceptes de Dieu, et des exemples des saints, nous repoussions avec autant de force que d'adresse les attaques de l'esprit impur. Ainsi nous pourrons passer tranquillement la vie présente, et obtenir le royaume céleste, par la grâce de Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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