PSAUME XXXIV
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DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIV.

CONFIANCE EN DIEU. 

 

DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIV.

CONFIANCE EN DIEU.

PREMIER SERMON

DEUXIÈME SERMON

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.

Le titre de ce psaume est : A David. Le double sens, attaché au nom de David, désigne deux qualités du Christ, et montre, comme le texte, que ce psaume s’applique au Christ, considéré en lui-même et dans ses membres. Sous ce double rapport, il souffre et cherche son secours en Dieu. Nous, qui souffrons, mettons aussi en Dieu notre confiance : 1° parce qu’il est notre salut. Pour venir à notre aide, il se sert de nous-mêmes, et des vertus qu’il nous inspire, comme d’une armure : notre âme, voilà son épée, son casque, sa cuirasse; nos vices, nos semblables, le démon, voilà nos ennemis ; pour leur résister, il faut être juste, et c’est Dieu qui donne la justice. Quoi qu’en disent nos ennemis, quel que soit notre sort ici-bas, Dieu seul est notre salut et ce qu’il a fait dans tous les temps, et surtout à l’égard de Job, en est la preuve. Il triomphe de nos ennemis en les convertissant ou en les condamnant; il punit les méchants par leur propre méchanceté Quant aux justes, il est leur unique souverain bien; ils doivent donc chercher en lui le sujet de joies et de leurs espérances. 2° Parce que le Christ est notre Chef, que nous sommes ses membres, et que comme il a été glorifié après avoir souffert , nous le serons nous-mêmes, si nous l’imitons. Environné d’ennemis acharnés à sa perte, il vécut dans l’innocence, la mortification, le jeûne, la prière et l’union avec Dieu, et triompha ainsi de leur malice. Imitons ce parfait modèle, et, puisque nous sommes condamnés à souffrir, souffrons, comme lui, pour la justice, Dieu nous sauvera, et, alors, la tranquillité et la joie seront notre partage.

 

 

PREMIER SERMON 

 

 

1. Votre charité ne l’ignore pas: la volonté de nos frères et coévêques nous a imposé l’obligation d’expliquer ce psaume de manière à ce que nous en tirions tous une instruction, car nous sommes tous les auditeurs de celui qui nous instruit les uns et les autres, et dont nous recevons les enseignements en qualité de condisciples.

Le titre de ce psaume ne peut nous arrêter longtemps, car il est court, et pour les enfants, de l’Eglise de Dieu surtout, il n’est pas difficile à comprendre. Le voici : « A David ». Louange donc à David. David signifie: Homme d’un bras vigoureux, homme désirable. Louange donc à cet homme fort et désirable, qui a vaincu notre mort et nous a promis la vie. Car, pour vaincre notre mort, il s’est montré vigoureux il est désirable, puisqu’il nous a promis la vie éternelle. Et, de fait, qu’y a-t-il de plus fort que cette main, dont le contact a ressuscité un mort et l’a fait sortir vivant du cercueil? Qu’y a-t-il de plus fort que cette main, qui a vaincu le monde, sans porter le glaive, après avoir été clouée à la croix? Qu’y a-t-il de plus désirable que cet homme? Les martyrs ne l’avaient pas vu, et pourtant, ils ont voulu mourir pour mérite d’arriver jusqu’à lui. Louange donc à lui; à lui notre coeur; à lui notre langue: puise t-elle chanter des louanges dignes de lui! Puisse-t-il inspirer lui-même nos chants! Nulle louange n’est digne de sa majesté, s’il te daigne en accorder la grâce à celui qui entreprend de la lui offrir. Enfin, ce que note chantons maintenant, son esprit nous l’a enseigné par la bouche du Prophète, et de ces paroles où nous nous reconnaissons nous-mêmes, et lui avec nous. En nous exprimai! ainsi, nous ne lui faisons point injure, car du haut du ciel, quand personne ne le touchait et que nous luttions sur la terre, il a dit « Pourquoi me persécutes-tu ? » Il nous faut donc. entendre sa parole, tantôt de no mêmes qui sommes son corps, tantôt de lui-même qui en est le Chef. Car, dans ce psaume on invoque Dieu contre ses ennemis, au milieu des tribulations de cette vie, et celui qui adresse cette invocation au Seigneur, est indubitablement le Christ, qui a souffert autrefois comme chef, et qui souffre aujourd’hui  (334) dans son corps, se servant néanmoins de ses tribulations pour communiquer à  tous ses membres la vie éternelle, et méritant, par ses immortelles promesses, le titre de désirable.

2. « Seigneur», dit-il, « jugez ceux qui me dont du mal: domptez mes persécuteurs 1 ». Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous 2? Et comment Dieu nous procure-t-il son secours? Il ajoute : « Prenez vos n armes et votre bouclier : levez-vous pour me secourir ». Admirable spectacle! Un Dieu armé pour ta défense! Quel est son bouclier? quelles sont ses armes? « Seigneur », dit encore ailleurs cet homme qui parle ici, « votre bonne volonté m’a couvert comme un bouclier 3 ». Si nous profitons bien de son aide, nous deviendrons nous-mêmes les armes avec lesquelles il nous protégera et frappera nos ennemis: car, si nos armes viennent de lui, flous lui servons nous-mêmes d’armure: tandis qu’il est armé de ceux qu’il a créés, ses créatures puisent en lui leurs moyens de défense. L’Apôtre nomme, quelque part, ces armes divines mises à notre portée : c’est le bouclier de la foi, le casque du salut, le glaive spirituel de la parole de Dieu 4. Le Seigneur nous a munis, comme vous l’avez entendu, d’armes admirables et indestructibles, invincibles et brillantes, vraiment spirituelles et invisibles, parce que nous ne voyons pas les ennemis que nous combattons. Si tu aperçois ton ennemi, il te faut des armes qu’on puisse voir: la toi en des choses que mous ne voyous pas, voilà notre force pour terrasser des adversaires invisibles.

Toutefois, mes très-chers, n’allez pas croire que, parmi nos armes, celles qui nous tiennent lieu de bouclier doivent toujours être considérées comme telles ; que celles qui tiennent la place du casque, soient toujours un casque, et que la cuirasse soit toujours une cuirasse. Les armes matérielles restent les mêmes, quoiqu’on puisse donner une autre destination, au fer qui a servi à les fabriquer, et changer ainsi une épée en une hache; mais nous voyons l’Apôtre lui-même parler, tantôt de la cuirasse de la foi, et, tantôt, du bouclier de la foi. La foi peut donc être, eu même temps, et bouclier et cuirasse : bouclier, parce qu’elle reçoit et repousse les traits de l’ennemi; cuirasse, parce qu’elle les

 

1. Ps. XXXIV, 1, 2. — 2. Rom. VIII, 31.— 3. Ps. V, 13. — 4. Eph. VI, 16, 17.

 

 

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empêche de transpercer ta poitrine. Voilà nos armes ; mais celles de Dieu?

Nous lisons en quelque endroit: « Arrachez mon âme aux impies : retirez votre framée aux ennemis de votre bras 1 ». Ceux qu’il désigne d’abord sous le nom « d’impies», il les appelle dans le verset suivant : « Les ennemis de votre bras »; et ce qu’il entend en premier lieu, par « mon âme», il en parle ensuite sous le nom de « votre framée », c’est-à-dire, votre épée. Dans son langage, la framée de Dieu et son âme avaient donc le même sens. « Arrachez », dit-il, « mon âme aux « impies », c’est-à-dire, « retirez votre framée aux ennemis de votre bras ». Car vous prenez mon âme en vos mains, et vous mettez -mes ennemis hors de combat. Mais qu’est-ce que notre âme, si brillante, si grande, si pénétrante, si polie, si flamboyante, si étincelante des feux de la sagesse, que vous la supposiez? Qu’est-ce que notre âme? De quoi est-elle capable, si Dieu lui-même ne la tient et ne s’en sert pour combattre? La meilleure framée, quand elle n’est pas aux mains d’un guerrier, gît inutile. Nous avons dit qu’à nos armes on ne peut donner un nom unique et constamment le même, parce que les unes et les autres sont susceptibles d’un autre emploi: ainsi en est-il des armes de Dieu, puisque, à l’entendre, l’âme du juste est la framée de Dieu, ou bien le trône de Dieu, ou bien encore le temple de la sagesse. Il fait donc de notre âme tout ce qu’il veut; puisqu’elle est entre ses mains, qu’il s’en serve selon son bon plaisir.

3. Qu’il se lève donc, selon l’expression de celui qui l’invoque, qu’il prenne ses armes, qu’il se lève pour nous secourir ! D’où peut-il se lever? La même voix le lui dit ailleurs « Levez-vous : pourquoi dormez-vous, Seigneur 2? » Quan,d on dit que Dieu dort, c’est que nous dormons : si l’on dit qu’il se lève, c’est que nous sortons nous-mêmes des bras du sommeil. Car le Seigneur dormait dans la barque, et parce que Jésus dormait, la barque était battue par les flots : il n’en eût pas été de même, si Jésus avait, veillé. Ta barque, c’est ton coeur: Jésus dans ta barque, c’est la foi dans ton coeur. Si ta foi occupe tes pensées, ton coeur est tranquille à l’abri des tempêtes; mais si tu as perdu le souvenir de ta foi, le Christ dort, prends garde de faire naufrage, emploie ta dernière ressource, éveille

 

1. Ps. XXI, 21. — 2. Id. XLIII, 23. -

 

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le, dis-lui : Seigneur, levez-vous, nous périssons, afin qu’il commande à la tempête et que le calme se fasse dans ton cœur 1. Toutes les tentations s’éloigneront, ou seront, du moins, impuissantes contre toi, quand le Christ, comme la foi te l’enseigne, veillera dans ton coeur : « Levez-vous»; qu’est-ce donc à dire? Manifestez-vous, apparaissez, faites sentir votre présence. «Levez-vous » donc « pour me secourir».

4. « Tirez votre épée et fermez tout passage à ceux qui me persécutent 2». Quels sont tes persécuteurs? Peut-être ce voisin que tu as offensé; celui dont tu as blessé les intérêts, ou celui qui veut s’emparer de ton bien, ou celui à l’encontre duquel tu prêches la vérité, ou encore, celui dont tu blâmes les vices, ou enfin, celui dont tu condamnes la mauvaise vie par ta bonne conduite. Tels sont déjà nos ennemis et nos persécuteurs : mais nous devons savoir qu’il nous faut combattre d’autres adversaires, des ennemis invisibles : l’Apôtre nous en avertit par ces paroles: « Ce n’est pas contre la chair et le sang», c’est-à-dire, contre des hommes, « que nous avons à combattre » ; ce n’est point contre des ennemis que nous apercevons, mais contre des adversaires que nous ne voyons pas : « c’est contre les princes, les puissances et les maîtres du monde de ces ténèbres 3». Par maîtres du monde, il entendait le diable et ses anges; mais il était à craindre que ses paroles fussent mal comprises, et que le monde parût être gouverné par le diable et ses anges; et, comme on donne le nom de monde à l’ensemble des choses créées dont le tableau se déroule sous nos yeux, et aussi, à la multitude des pécheurs et de ceux qui aiment le monde, en un mot, à ceux dont il a été dit: « Et le monde ne l’a point connu 4»; et encore : « Le monde tout entier est sous « l’empire de l’esprit malin 5 », l’Apôtre a clairement fait connaître de quel monde il désignait les maîtres : «Du monde de ces ténèbres». Maîtres du monde, dis-je, maîtres de ces ténèbres. L’expression « de ces ténèbres » ne peut donc, non plus, nous laisser aucun doute sur le sens de ces paroles. De quelles ténèbres le diable et ses anges sont-ils les maîtres? De tous les infidèles, de tous les pécheurs, dont il a été dit : « La

 

1. Matt. VIII, 24. — 2. Ps. XXXIV, 3. — 3. Ephés. VI, 12. — 4. Jean, I, 10. — 5. I Jean, V, 19.

 

lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres «ne l’ont point comprise». Enfin, comme beaucoup d’entre eux ont reçu le don de la foi, que leur dit le même apôtre? « Car, autrefois, vous étiez ténèbres; mais, maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur 1». Tu ne veux pas que le diable te gouverne? Passe à la lumière. Mais comment passeras-tu à la lumière, si Dieu ne tire son épée, s’il ne t’arrache des mains de tes ennemis et de tes persécuteurs? Et comment tire-t-il son épée? Nous avons déjà vu quelle est cette épée de Dieu : c’est l’âme du juste. Que les justes abondent, et le Seigneur tire son épée, et tout passage est fermé aux ennemis; car, en nous parlant de cette épée et de sa sortie du fourreau, l’Apôtre nous avertit de vivre avec justice, et il dit ensuite : « Afin que, n’ayant rien de mauvais à dire contre nous, notre adversaire soit saisi d’une crainte respectueuse 2». Tout passage lui est fermé parce qu’il ne peut rien trouver à dire contre les saints.

5. Qui est-ce qui peut former les justes? Ou plutôt, quel langage tiennent les adversaires qui nous persécutent? Que disent les ennemis invisibles dont nous avons parlé? Les saint sont-ils condamnés au silence? Les ennemis invisibles, qui s’acharnent à la perte de l’homme, suggèrent à son coeur cette pensée surtout, que Dieu ne nous aide pas: par là, ils nous portent à chercher du secours ailleurs, afin de nous trouver incapables de leur résister et de s’emparer de nous. Voilà ce qu’ils nous suggèrent. Nous devons nous mettre particulièrement en garde contre ces perfides conseils, dont il est question dans un autre psaume: « Une multitude d’ennemis s’élèvent contre moi; plusieurs disent à mon âme : Elle n’a point de salut à espérer de son Dieu 3». A l’encontre d’un tel langage, que lisons-nous ici? « Dites à mon âme : C’est moi qui suis ton salut». Lorsque vous aurez dit à mon âme : « Je suis ton salut», elle vivra dans la justice, et je n’appellerai à mon secours personne autre qui vous.

6. Que lisons-nous ensuite? « Que ceux qui cherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte 4». Car ils ne la cherchent que pour la perdre. Puissent-ils la bien chercher; car, dans un autre psaume, il

 

1. Eph.V, 8.— 2. Tite, II, 8. — 3. Ps. III, 2, 3.— 4. Id. XXXIV,4.

 

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adresse aux hommes ce reproche, qu’aucun d’eux ne cherche son âme: « Il ne me reste«aucun moyen de fuir, et nul ne cherche mon âme 1 ». Quel est celui qui dit : « Nul ne cherche mon âme? » Ne serait-ce point peut-être celui de qui le Prophète a dit si longtemps d’avance : « Ils ont percé de clous mes mains et mes pieds; ils ont compté tous mes os; ils ont pris plaisir à me regarder et à me considérer; ils ont partagé mes vêtements et jeté le sort sur ma robe 2? » Tout cela se passait sous leurs yeux, et, parmi eux, personne qui cherchât son âme! Frères, invoquons-le donc, et prions-le de dire à notre âme : « Je suis ton salut», et d’ouvrir ses oreilles pour qu’elle l’entende dire : « Je suis ton salut».

Il le dit, en effet, mais il s’en trouve qui restent sourds à sa voix; c’est pourquoi, lorsqu’ils sont plongés dans la tribulation, ils entendent plutôt la voix des ennemis qui les poursuivent. S’il leur manque quelque chose, si l’angoisse les oppresse, si les biens temporels leur font défaut, ils ont, d’ordinaire, recours aux démons, ils veulent consulter les suppôts des démons, et vont trouver les démons; et, ainsi, les ennemis invisibles qui poursuivaient leur âme, s’en sont approchés, y sont entrés, l’ont combattue, en sont devenus les maîtres, l’ont vaincue et ont dit : «Elle n’a point de salut à espérer de son Dieu ». Elle est restée sourde à ces paroles: « Je suis ton salut. — Dites à mon âme: Je suis ton salut, afin que ceux qui la cherchent soient couverts de confusion et de honte ». Oui, vous lui dites : « Je suis ton salut». J’écouterai le Seigneur qui me dit : « Je suis ton salut»; je ne chercherai mon salut que dans le Seigneur, mon Dieu.

Le salut me vient du côté de la créature, mais c’est lui qui en est la source; et quand je porte mes regards vers les montagnes d’où j’attends mon secours, ce ne sont point les montagnes qui me l’envoient, mais le Seigneur, Créateur du ciel et de la terre 3. Dans les nécessités temporelles, Dieu se sert de l’homme pour venir à ton aide, mais lui-même est ton Sauveur. L’ange est, entre ses mains, un instrument pour te secourir, mais c’est toujours lui qui te sauve. Toutes choses dépendent de lui : pour cette vie terrestre, il vient en aide, aux uns d’ici, aux autres de là:

 

1. Ps. CXLI, 5. — 2. Ps. XXI, 17-19. — 3. Ps. CXX, 1, 2.

 

la vie éternelle est un don qui ne vient que de lui. Lorsque tu éprouves les nécessités de la vie, tu ne possèdes pas ce que tu cherches, mais tu as près de toi celui que tu cherches cherche donc celui qui ne peut jamais te manquer. Que ses dons te soient ravis : est-ce que tu perds, en même temps, celui qui t’en a comblé? Qu’on te rende ces preuves de sa munificence : où sera ta fortune? Sera-t-elle dans les biens que tu auras récupérés? Ne sera-t-elle pas )Plutôt en celui qui te les avait ravis pour t’éprouver, et qui te les a rendus pour te consoler? Car il nous console, lorsqu’il nous accorde ces dons; mais il nous console, comme si nous étions des voyageurs: -comprenons donc bien ce que c’est que voyager. Cette vie tout entière, et tout ce qui sert à ton usage pendant sa durée, tu dois les considérer comme le voyageur considère une hôtellerie, et non comme le propriétaire considère sa maison; ne l’oublie pas: si tu as déjà fait du chemin, il t’en reste encore à faire; si tu as suspendu ta marche, c’est pour prendre de nouvelles forces, et non pour t’arrêter.

7. Il y en a qui disent: Dieu, qui est bon et magnifique, qui règne au plus haut des cieux, qui est invisible, éternel et incorruptible, nous donnera la vie éternelle; il nous communiquera cette incorruptibilité qu’il nous a promise en nous promettant la résurrection; mais, pour les choses du temps, pour les biens de cette vie terrestre, ils sont du domaine des démons; ils appartiennent aux puissances de ces ténèbres. Par de telles paroles, lorsqu’ils sont possédés de l’amour des choses du monde, ils en écartent Dieu, comme si elles ne le concernaient en rien; et, par d’abominables sacrifices, par je ne sais quels moyens ou quels perfides conseils venant des hommes, ils cherchent à se procurer des avantages temporels, tels que de l’argent, une lemme, des enfants et tout ce qui peut charmer le cours de la vie humaine, ou en retarder la marche trop rapide.

La divine Providence a pris soin de démontrer la fausseté de cette opinion: Dieu a voulu nous convaincre qu’il n’est pas étranger aux affaires du temps, et qu’il tient toutes choses sous sa dépendance; d’abord les biens éternels qu’il nous a promis pour l’avenir, et aussi les biens temporels qu’il donne à qui bon lui semble et quand il le juge opportun;

 

337

 

car il sait à qui il doit les accorder, à qui il doit les refuser, de la même manière que le médecin sait distribuer ses remèdes, parce qu’il connaît mieux les besoins d’un malade que le malade lui-même. Pour nous donner cette conviction, le Seigneur a partagé les siècles entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Dans l’Ancien Testament, ses promesses ont pour objet les biens de cette vie; dans le Nouveau, elles ont trait au royaume des cieux. Dans l’un et dans l’autre, le culte de Dieu et les moeurs sont réglés par des prescriptions presque semblables, mais les promesses y paraissent différentes; la puissance prescriptive du supérieur, l’obligation d’obéir chez l’inférieur y sont les mêmes, mais la récompense ne l’est pas. Il a été dit, en effet, aux anciens : Vous entrerez en possession de la terre promise; vous y régnerez; vous y triompherez de vos ennemis; vous ne leur serez point soumis dans ce pays; vous y jouirez d’une complète abondance; vous y engendrerez des enfants 1. Ces avantages temporels furent promis; mais ils l’étaient en figure. Tu peux supposer que quelques-uns ont vu, pour eux, l’accomplissement de telles promesses; et, de fait, il en a été ainsi pour plusieurs. Une contrée a été donnée aux enfants d’Israël; ils reçurent des richesses en partage; des femmes stériles et presque parvenues à la vieillesse ont prié Dieu; elles ont mis en lui leur espérance; elles n’ont cherché d’autre secours que le sien même pour devenir mères, et elles ont mis au monde des enfants. Leur coeur n’est point resté sourd à cette parole du Seigneur: «Je suis ton salut». Si cette parole est vraie pour les choses de l’éternité, pourquoi ne le serait-elle pas dans les affaires du temps?

Dieu en a donné la preuve dans la cause du saint homme Job. Le diable n’est à même de ravir les biens de ce monde qu’autant qu’il en a reçu le pouvoir de la part du souverain Maître. Il a pu porter envie au saint; a-t-il été capable de lui nuire? Il a pu l’accuser; a-t-il été capable de le condamner? A-t-il pu lui ôter quoi que ce fût, même un ongle, même un cheveu, avant d’avoir dit à Dieu « Laissez aller votre main 2?» Qu’est-ce à dire:

«Laissez aller votre main? o Donnez-moi le pouvoir. 111e reçut; il tenta Job; Job fut tenté; néanmoins, le tenté demeura

 

1. Exod. XXIII, 25-31. — 2.  Job, I, 11.

 

victorieux, et le tentateur fut vaincu; car Dieu, qui avait permis au diable de dépouiller de tout son serviteur, n’avait point abandonné celui-ci intérieurement, et il s’était fait de l’âme de Job un glaive pour vaincre l’esprit malin. Combien vaut cela? Je parle de l’homme. Vaincu au paradis 1; victorieux sur un fumier; au paradis, le diable s’est servi de la femme pour en triompher; sur le fumier, il a triomphé du diable et de la femme. «Tu « as», dit-il, « parlé comme une d’entre les femmes insensées. Si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi ne supporterions-nous pas les maux qu’elle nous envoie 2? » Comme il avait bien entendu ces paroles : « Je suis ton salut! »

8. « Que ceux qui cherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte ».Vois de quels hommes il s’agit: « Priez», dit-il, « pour vos ennemis 3». Mais il y a ici une prophétie ce qui se dit sous forme de désir, s’explique dans le sens d’une prophétie. Que ceci et que cela se fasse, ne veut rien dire autre chose que : ceci et cela se fera. Comprenez donc ainsi la prophétie : «Que ceux qui recherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte». Quel sens donner à ces mots : « Qu’ils soient couverts de confusion et de honte? » Ils seront couverts de confusion et de honte. L’événement a justifié la prophétie. Plusieurs, en effet, ont été couverts d’une salutaire confusion; plusieurs, devenus honteux et animés d’une piété sincère, ont quitte les rangs des persécuteurs du Christ pour entrer en société avec ses membres. N’en cherchez pas la cause ailleurs que dans leur confusion et leur honte. Il a donc désiré leur bien.

Les vaincus sont de deux sortes; on est vaincu en deux manières; car la défaite doit aboutir à un retour vers le Christ, ou à une condamnation par le Christ. Il est fait ici une allusion à ces deux sortes de vaincus; mais cette allusion est obscure, et elle a besoin d’être expliquée. Il faut entendre, de ceux qui se convertissent, ces paroles : « Que ceux qui cherchent mon âme, soient couverts de confusion et de honte; qu’ils passent en arrière! » Qu’ils ne marchent pas les premiers, mais qu’ils viennent à la suite; qu’ils ne donnent pas de conseils, mais qu’ils es reçoivent. Car Pierre a voulu prendre le pas sur le Seigneur, quand le Seigneur parlait

 

1. Gen. III, 6. — 2. Job, II, 10. —  3. Matt., V, 44

 

 

par avance, de sa passion; il voulut, en quelque sorte, lui donner un conseil salutaire, comme si un malade pouvait en donner à son médecin. Et que dit-il au Seigneur, malgré les assurances que ce Lui-ci lui donnait de ses souffrances à venir? « Seigneur, n’y pensez pas»; prenez pitié de vous : « Il n’en sera pas ainsi». Il a voulu primer et laisser le second rang au-Seigneur. Que lui dit celui-ci? «Satan, retourne en arrière 1». Tu es un démon en marchant devant moi; en me suivant, tu seras mon disciple. A ceux dont nous parlons s’applique donc ceci : « Qu’ils passent en arrière et qu’ils soient confondus, ceux qui ont de mauvais desseins «contre moi». En effet, dès qu’ils auront commencé à ne plus occuper que le second rang, ils ne penseront plus au mal et ils désireront le bien.

9. Et les autres? Car tous ne sont pas vaincus pour convertir et pour croire. Plusieurs persistent dans leur entêtement; beaucoup conservent, dans leur coeur, la volonté de marcher les premiers; et, s’ils ne la manifestent pas au grand jour, ils la nourrissent pourtant en eux-mêmes, et la mettent en oeuvre, lorsque l’occasion s’en présente. Touchant de tels hommes, que lisons-nous ensuite? «Qu’ils deviennent comme de la poussière en face du vent 2». Il n’en est pas ainsi des impies, il n’en est pas ainsi : mais ils sont comme la poussière que le vent disperse de dessus la face de la terre 3. Le vent, c’est la tentation, la poussière, c’est le pécheur Quand vient la tentation, la poussière s’enlève; elle ne demeure point en place, elle ne peut résister. «Qu’ils deviennent comme de la poussière en face du vent, et que l’ange du Seigneur les tourmente, que leur chemin soit obscur et glissant». Chemin bien capable d’épouvanter ! Où est celui que n’effraie pas la seule vue des ténèbres? A quel homme n’inspire pas de crainte la seule-perspective d’un chemin gus-mut? Au milieu de la nuit, dans un sentier dangereux, comment diriger tes pas? Où placeras-tu sûrement ton pied? Ces deux maux, telles sont les grandes punitions des hommes. Les ténèbres, c’est l’ignorance; le chemin glissant, c’est la luxure. « Que leur chemin soit obscur et glissant, et que l’ange du Seigneur les poursuive ». Lorsque, environné de ténèbres et engagé dans un sentier dan-

 

1. Matt. XVI, 22, 23. — 2. Ps. XXXIV, 5. — 3. Ps. I, 4.

 

gereux, un homme s’aperçoit qu’il va tomber s’il remue seulement le pied, il se résigne peut-être à attendre la lumière du jour; mais ici se trouve l’ange du Seigneur, qui les poursuit. Le prophète leur a bien moins désiré qu’il ne leur a prédit un pareil avenir. Animé de l’Esprit de Dieu, il décrit leur punition telle que Dieu la leur inflige par un jugeaient infaillible, plein de bonté, juste, saint, tranquille, sans être troublé par la co1ère ou par un zèle chagrin, ou par la volonté d’exercer une vengeance, mais par sa justice, qui doit punir les vices; néanmoins, c’est une prophétie.

10. D’où proviennent de si grands maux? Quelle en est là cause? Ecoute, la voici

« Parce que sans aucun sujet ils ont voulu me « faire périr dans le piége qu’ils m’ont tendu en secret ». Il est ici question de notre Chef: les Juifs ont fait cela; ils ont caché leurs piéges scélérats. A qui ont-ils caché leurs -piéges? A celui qui voyait le coeur de ces traîtres. Il était au milieu d’eux comme un ignorant; on eût dit qu’il était leur dupe; et, pendant qu’ils croyaient le tromper, ils étaient eux-mêmes pris dans leur propre piège. Il vivait au milieu d’eux avec toutes les apparences d’un dupe, parce que nous devions nous-mêmes vivre au milieu de pareils hommes, et devenir infailliblement victimes de leur fourberie. Il connaissait, à n’en pas douter, celui qui devait le trahir, et cet instrument, le plus nécessaire à l’accomplissement de leur oeuvre, il le choisit entre ses douze apôtres, afin que même un si petit nombre de personnes ne fût point sans renfermer un méchant. Il voulait par là nous donner un exemple de patience, parce que nous devions vivre nous-mêmes parmi les méchants, soit que nous les connussions, soit que nous ne les connussions pas : il nous fallait les supporter: il est donc devenu un modèle de patience pour te soutenir au moment où tu commenceras à vivre au milieu des mécréants. L’école du Christ, composée de douze disciples, n’a pas pris fin avec eux; c’est pourquoi nous devons être d’autant plus fermes, lorsque nous voyons s’accomplir dans l’Eglise ce qui a été prédit sur le mélange des hommes mauvais. Dans cette école, on ne voyait pas encore la réalisation des promesses faites à la race d’Abraham : on n’y apercevait point non plus l’aire du sein de laquelle (339) devait sortir la multitude des grains destinés à remplir les celliers du père de famille. Pourquoi donc, lorsqu’on bat le blé, n’y laisse-t-on pas la paille, comme en un lieu convenable, jusqu’à ce qu’on vannera le grain pour la dernière fois, puisque ce que vous avez entendu doit s’accomplir à l’égard des méchants?

11. Mais enfin, qu’arrivera-t-il? « Sans sujet ils m’ont caché la scélératesse de leur piége ». Qu’est-ce à dire: « Sans sujet? » Je ne leur ai fait aucun mal: je ne leur ai nui en rien: « Ils m’ont injustement couvert d’outrages». Qu’est-ce à dire : « Injustement ? » Ils ont dit des faussetés; il n’ont apporté aucune preuve. « Qu’un piège dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre». Magnifique récompense ! Rien de plus juste. Ils m’ont tendu un piége, et ils l’ont caché pour m’empêcher de l’apercevoir : qu’un piége leur soit tendu, et qu’ils ne le voient pas. Je connais leur piége: quel est celui qui leur sera tendu? Celui qu’ils ne voient pas. Voyons s’il ne le nomme pas? « Qu’un piége dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre». Ils lui en ont tendu un ; un autre leur est-il réservé? Non. Mais alors? Chacun d’eux est enlacé dans ses propres péchés comme dans l’inextricable infinité des petits cheveux : ils sont trompés par cela même dont ils se sont servis pour tromper les autres : les moyens qu’ils ont employés pour nuire à autrui, tourneront à leur propre détriment: car il est dit ensuite : « Qu’ils soient eux-mêmes pris dans le piège qu’ils ont tendu en secret». Comme si quelqu’un oubliait qu’il a préparé pour un autre un breuvage empoisonné, et qu’il le boive lui-même; ou, comme si on creusait une fosse pour y faire tomber ses ennemis pendant la nuit, et que, ne se souvenant plus de ce qu’on a fait, on y tombe le premier en se promenant en ces parages. Il en est ainsi, mes frères; croyez-moi donc sans hésiter, soyez-en sûrs ; et, si une raison élevée et éclairée par la prudence vous le permet, voyez, examinez la vérité de mes paroles.

Les méchants ne nuisent à personne avant de se nuire à eux-mêmes ; il en est de la méchanceté comme du feu. Tu veux mettre le feu quelque part? Il faut que l’instrument dont tu te sers, brûle le premier; s’il ne brûle pas, il est incapable de porter le feu ailleurs. C’est une torche : tu l’approches de l’objet que tu prétends incendier : n’est-il pas indispensable que cette torche, placée entre tes mains, soit enflammée la première, pour qu’elle puisse communiquer la flamme à d’autres objets? La méchanceté vient de toi ; ne seras-tu pas le premier sur lequel elle exercera ses ravages ? Si l’on blesse un arbre là où il s’enfonce enterre, est-ce qu’on n’endommage pas aussi ses racines ? Je te le dis : il peut se faire que ta malice ne nuise à personne autre, mais il est impossible qu’elle ne te nuise pas. Car, en quoi le saint homme Job, dont nous avons parlé tout à l’heure, a-t-il souffert du dommage? Il est dit dans un autre psaume: « Comme un rasoir affilé, vous avez fait votre tromperie». Que fait-on avec un rasoir affilé? On fait tomber des cheveux, chose inutile. A quoi donc réussis-tu vis-à-vis de celui à qui tu prétends causer du dommage? Si le méchant, auquel tu veux nuire, se met d’accord avec toi pour opérer le mai, c’est sa malice, et non la tienne, qui lui devient nuisible. Si, au contraire, la malice est étrangère à son âme, et que, dans la pureté de son cœur, il soit soumis à la voix qui lui dit: « Je suis moi-même ton salut», l’homme intérieur reste, chez lui, à l’abri de tes attaques extérieures; mais la malice, qui vient du fond de ton coeur, t’enlève d’abord tes propres forces Tu as le coeur gâté; c’est de là que ce ver rongeur est sorti, ne laissant dans ton âme rien de sain. « Qu’ils soient pris dans le piège qu’ils ont caché, et qu’ils tombent eux-mêmes dans le filet qu’ils ont tendu».

En entendant tout à l’heure ces paroles: « Qu’un piége, dont ils ne se doutent pas, vienne les surprendre», tu croyais peut-être autre chose. Dans ta pensée il s’agissait peut. être d’un malheur inévitable, résultat d’une cause cachée. Dans quel piège sont-ils donc tombés? dans celui de leur propre méchanceté, qu’ils ont dérobée à mes regards. N’est-ce pas ce qui est advenu aux Juifs? Dieu triomphé de leur malice, et leur malice les a vaincus. Il est ressuscité pour nous: ils ont trouvé la mort en eux-mêmes.

12. Voilà le sort réservé aux méchants qui veulent me nuire. Pour moi, que deviendrai-je? Quel sera mon partage? « Mon âme se réjouira dans le Seigneur», comme dans celui qui lui aura dit: « Je suis moi-même ton salut ». Ne recherchant, à vrai dire, aucune richesse eu dehors de lui, ne désirant avoir en abondance

 

1. Ps. LI, 4.

 

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ni les plaisirs ni les biens de la terre, aimant Dieu comme son véritable Epoux, sans espoir de récompense, sans demander à recevoir de lui ce qui pourrait la charmer, mais en se proposant comme l’unique objet de son bonheur. Car, pourrai-je entrer en possession d’un objet meilleur que Dieu? Je suis aimé de Dieu : il t’aime aussi ; voici ses propositions : demande ce que tu veux. Si l’empereur te disait : Demande ce que tu veux comme tu te hâterais de demander la dignité de tribun ou de comte ! Que de choses tu désirerais recevoir pour toi et pour les autres ! Dieu te dit: Demande ce que tu veux ; que lui demanderas-tu donc? Elargis le cercle de tes pensées; donne toute leur ampleur à tes désirs de posséder; écarte autant que possible les limites de ton ambition; dilate tes convoitises. Ce n’est pas le premier venu qui te dit: Demande ce que tu veux; c’est le Dieu tout-puissant. Si tu es amateur de domaines, tu voudras posséder toute la terre tu désireras que tous ceux qui viennent au monde soient tes fermiers ou tes serviteurs et quand tu aurais toute la terre, que posséderais-tu? Si tu demandes la mer, tu ne pourras vivre dans son sein : les poissons qu’elle renferme seront au-dessus des atteintes de ton avarice. Mais, peut-être, posséderas-tu les îles? Elève-toi au-dessus de ce monde ; et, quoique des ailes te manquent pour voler dans les airs, demandes-en l’immensité; porte ton ambition jusque dans le ciel; demande à devenir le maître du soleil, de la lune et des étoiles, car celui qui les a créés, t’a dit : Demande ce que tu veux. Et, cependant, tu ne trouveras rien de plus précieux ni de meilleur que celui qui a fait toutes choses. Demande à posséder le Créateur lui-même, et en lui, et par lui tu posséderas tout ce qu’il a fait. Tout est digne d’être aimé, parce que tout est beau; mais, qu’y a-t-il de-plus beau que lui? En tout, il y a de la puissance; mais qu’y a-t-il de plus puissant que lui ? Et il ne veut plus rien ardemment que se donner lui-même à toi. Si tu trouves mieux, demande-le; nais si tu demandes autre chose, tu lui fais injure, et tu te portes du dommage, parce que tu lui préfères ses créatures, quand il veut se donner lui-même à toi, et te donner, en sa personne, le Créateur de toutes choses.

Dans ces sentiments d’amour, une âme lui a dit: «Seigneur, est-ce que vous êtes mon partage 1? » C’est-à-dire: Vous êtes mon partage. Que ceux qui désirent des richesses choisissent ce qu’ils veulent; qu’ils prennent leur part dans les biens de ce monde : pour moi, vous êtes mon partage; je vous ai choisi. Et encore : « Vous êtes la part de mon héritage ». Qu’il te possède, afin que tu le possèdes: tu seras son domaine ; tu seras sa maison. Il possède une âme pour lui faire du bien ; en le possédant on en tire avantage.

Est-ce que tu peux lui être de quelque utilité? « J’ai dit au Seigneur : Vous n’avez pas besoin de mes biens 2. Mon âme se réjouira dans le Seigneur; elle trouvera toute sa consolation dans son Sauveur». Le salut qui vient de Dieu, c’est le Christ, « car mes yeux ont vu votre salut 3 ».

13. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous? » Où est l’homme capable d’interpréter ces paroles d’une manière digne d’elles? Selon moi, on doit se borner à les prononcer, et ne point essayer de les expliquer. Pourquoi y chercher tel ou tel sens? Qu’y a-t-il de pareil à ton Seigneur? Tu l’as devant toi. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous ? Les méchants m’ont entretenu de choses agréables; « mais, Seigneur, qu’elles sont différentes de votre loi 4! » Il s’est trouvé des persécuteurs qui ont dit: Adore Saturne , adore Mercure. Et on leur a répondu: Je n’adore pas les idoles : « Seigneur, qui est semblable à vous? » Les idoles omit des oreilles et n’entendent pas, des yeux et ne voient pas 5. « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Vous avez fait l’oeil pour voir et l’oreille pour entendre. Mais, a-t-on ajouté, je n’adore pas les idoles, parce qu’elles sont l’oeuvre d’un artisan. — Adore donc les arbres et les montagnes ; ils ne sont sortis des mains d’aucun ouvrier. — « Seigneur, qui est semblable à vous ? » On me montre des objets terrestres, et c’est vous qui avez créé la terre ! — On tourne peut-être alors ses regards vers les créatures placées au-dessus de nous, et l’on me dit: Adore la lune, adore ce soleil qui, du haut des cieux, pareil à un immense flambeau, donne au jour son éclat. Et moi, je réponds avec énergie : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Vous avez fait la lune et les étoiles, le soleil a reçu de vous les feux

 

1. Ps. LXXII, 26,— 2. Ps.XV, 5,2. — 3. Luc, II, 30. — 4. Ps. CXVIII, 85. — 5. Ps. CXIII, 5, 6.

 

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ardents qui le font présider au jour: vous êtes l’auteur des harmonies du ciel ! — Il y a d’autres créatures , elles sont invisibles et meilleures ; peut-être me dira-t-on aussi : Honore les anges, adore-les: — et, ici encore, je m’écrierai: « Seigneur, qui est semblable à vous ?» Les anges eux-mêmes sont sortis de vos mains. Que seraient-ils, s’ils ne vous voyaient pas? Rien. Il vaut bien mieux vous posséder avec eux, que tomber, loin de vous, dans les abîmes, pour les avoir adorés.

14. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous? » O corps du

Christ, ô sainte Eglise, que tous tes os disent : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Et si

tes chairs ont disparu sous l’effort de la persécution; que tes os, du moins, disent encore

« Seigneur, qui est semblable à vous? » Car il a été dit des justes: « Le Seigneur aime tous leurs os; aucun d’eux ne sera brisé 1 ».

Comment énumérer tous les justes dont les os ont été brisés pendant la persécution?

            Enfin, le juste vit de la foi 2, et l’impie est justifié par le Christ 3; et quel est l’homme ainsi ramené à la justification, sinon celui qui croit et qui confesse sa foi, puisque l’on croit de coeur pour être justifié, et que l’on confesse de bouche pour être sauvé 4? Parce qu’il a cru de coeur et confessé de bouche, le larron a été justifié sur la croix, même après que ses crimes l’eurent conduit aux pieds du juge, et de là au dernier supplice; car le Seigneur n’aurait pas dit à un scélérat non encore justifié: «Tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis 5 » Et, cependant, on a brisé ses os. En effet, lorsqu’on arriva pour enlever les corps à cause de la proximité du sabbat, on s’aperçut que le Seigneur était déjà mort, et on ne lui brisa pas les os 6 .Pour les autres, comme ils vivaient encore, on les leur brisa, afin de hâter leur mort par ce supplice , et ainsi de pouvoir les détacher plus vite de la croix et les ensevelir. Le larron, qui persévéra dans son impiété jusque sur la croix, fut-il le seul à qui on brisa les os, et n’en fut-il pas de même de celui qui crut de coeur pour être justifié et confessa de bouche pour être sauvé? Qu’est donc devenue cette promesse : « Le Seigneur garde tous leurs os; aucun d’eux  ne sera brisé? » Mais n’est-ce pas que, dans le corps du Seigneur, les os sont tous

 

1. Ps. XXXIII, 21. — 2. Rom. I, 17. — 3. Id. IV, 5. — 4. Id. X, 10. — 5. Luc. XXIII, 43. — Jean, XIX, 33.

 

 

les justes, chrétiens au coeur énergique, pleins de courage, intrépides en face des persécutions et des tentations, incapables de consentir au mal?

Et comment résister à toutes les tentations? Comment demeurer ferme, quand les persécuteurs vous disent : Voilà le vrai Dieu; voilà ce qu’il est; qu’il vienne et soit ton sauveur; il y a ici je ne sais quel grand. prêtre, au sommet de la montagne; si tu es pauvre, c’est peut-être parce que ce Dieu ne vient pas à ton secours ; prie-le, il t’aidera; tu ne fais point monter vers lui tes supplications : voilà, sans doute, pourquoi tu es malade; prie-le, et la santé te sera rendue; peut-être encore est-ce pour ce motif que tu n’as pas d’enfants:

adresse-toi donc à lui, et tu en auras? Celui qui appartient au corps du Seigneur et ht partie de ses os, repousse tous ces conseils et répond : « Seigneur, qui est semblable à vous? » Si vous daignez m’accorder, mène dès cette vie, ce que je recherche, donnez-le. moi; mais si vous ne voulez pas me l’accorder, soyez ma vie, car je ne cesse point de vous chercher. En sortant de ce monde, oserai-je paraître devant vous, la tête haute, si j’ai adoré un autre que vous, si je vous ai offensé?

Grande est sa miséricorde ! Il nous engage à bien vivre et il nous cache le dernier de nos jours, celui de notre mort, pour que nous ne puissions rien nous promettre de l’avenir.

Je fais mal aujourd’hui et je vis ; demain je cesse d’agir ainsi. Et si demain tu n’es plus?

Sois donc du nombre des os du Christ, et dis-lui : « Seigneur, qui est semblable à vous?

Tous mes os diront: Seigneur, qui est semblable à vous? C’est vous qui tirez le pauvre des mains de ceux qui sont plus forts que lui, et celui qui est abandonné et dans l’indigence, de celles de ses ennemis qui le dépouillent».

 

15. Ce psaume a été lu aujourd’hui jusqu’ici, et nous l’avons expliqué de même: mais afin que ce que nous avons dit ne devienne point pour vous un sujet d’ennui, nous n’y ajouterons rien. Arrêtons-nous donc à ces paroles: « C’est vous qui tirez le pauvre des mains de ceux qui sont plus forts que lui». Qui est -libérateur, si ce n’est celui dont le bras est robuste? Cet autre David délivrera le pausa des mains de ceux qui sont plus forts que lui. Le démon avait été le plus fort; il s’était rendu maître de toi : il t’avait vaincu, parce

 

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que tu avais consenti à ses suggestions ; mais qu’a fait celui dont le bras est puissant? « Personne n’entre dans la maison d’un homme robuste pour en enlever les meubles, avant d’avoir réduit cet homme à l’impuissance 1». Par sa puissance auguste et digne d’admiration, il à réduit le diable à l’impuissance il a tiré son épée pour lui fermer tout passage, poser délivrer le pauvre et l’indigent dénués de tout secours 2.Quel est, en effet, ton protecteur, sinon le Seigneur, à qui tu dis:

 

1. Matt. XII, 29. — 2. Ps. LXX, 12.

 

« Seigneur, vous êtes mon aide et mon Rédempteur ? » Si tu veux présumer de tes forces, ta présomption sera pour toi une cause de chute : si tu t’appuies sur les forces d’un autre, sache qu’il voudra, non te venir en aide, mais devenir ton maître. Recherche donc, comme ton soutien, celui-là seul qui a racheté les hommes, qui les a rendus libres, qui a donné son sang pour en faire un peuple d’acquisition et conférer à ses serviteurs le titre de frères.

 

1. Ps. XVIII, 15.

 

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DEUXIÈME SERMON

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.

 

 

 

1. Fixons notre attention sur le reste du psaume, et prions le Seigneur, notre Dieu, de nous donner une intelligence saine pour le bien comprendre, et la grâce d’en tirer profit par nos bonnes oeuvres. Votre charité se rappelle, sans doute, où s’est arrêtée hier notre explication: partons donc de là aujourd’hui. Nous attribuons ces paroles au Christ, considéré comme Chef et comme corps de l’Eglise. Et, puisqu’il s’agit du Christ, ne sépare point l’Epoux de l’épouse, et comprends ce grand mystère : « Ils seront deux dans une même chair». Si, étant deux, ils n’ont qu’une même chair, pourquoi ne se serviraient-ils pas des mêmes paroles? Car, si le chef a supporté ici-bas de mauvais traitements, son corps les apporte aussi : le chef n’a souffert que pour servir d’exemple au corps. En effet, le Seigneur a volontairement souffert, tandis que nous souffrons nécessairement: lui a souffert par bonté pour nous: notre nature nous y condamne. Dans cette indispensable obligation, nous trouvons donc un sujet de consolation en ce qu’il a souffert de sa propre volonté; aussi, quand, par hasard, nous subissons de pareilles épreuves, portons nos regards sur notre chef, prenons exemple sur sa conduite et disons-nous: S’il

 

1. Eph., V, 31.

 

a été ainsi traité, à quoi devons-nous nous attendre? Conduisons-nous donc comme il l’a fait lui-même. Son ennemi a pu en venir jusqu’à lui ôter la vie du corps; mais, si cruel qu’il se soit montré, il n’a pu détruire entièrement ce corps, puisqu’il est ressuscité le troisième jour. Ce qui est advenu de lui le troisième jour, se fera pour nous à la fin du monde. Si la réalisation de nos espérances de résurrection est différée, ces espérances nous sont-elles ravies? Reconnaissons donc ici la parole du Christ, et ne la confondons pas avec celle des impies. Cette parole est celle du corps du Christ, qui souffre persécutions, angoisses et tribulations, mais, parce que ici-bas il y en a beaucoup pour souffrir à cause de leurs péchés et de leurs crimes, nous devons apporter un soin tout particulier à distinguer de leurs souffrances elles-mêmes la cause de leurs souffrances : car un scélérat peut subir un supplice pareil à celui des martyrs, mais la raison de ses douleurs est bien différente. Il y en avait trois de crucifiés: le Sauveur, celui qui devait être sauvé, et celui qui devait être damné : pour tous, même supplice; mais, pour chacun d’eux, cause de souffrances non pareille.

2. Que notre chef dise donc: « Des témoins injustes s’étant élevés, m’ont interrogé sur

 

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des choses que je ne connaissais pas 1 » Pour nous, disons à notre chef: Seigneur, que ne saviez-vous pan? Etiez-vous à ce point ignorant? Ne connaissiez-vous point le coeur de ceux qui vous interrogeaient? Ne vous étiez-vous point aperçu d’avance de leurs fourberies? N’était-ce pas en connaissance de cause que vous vous étiez livré entre leurs mains? N’étiez-vous point venu en ce monde pour subir leurs mauvais traitements? Qu’ignoriez-vous donc?

Il ignorait le péché; il ignorait ce péché, non comme s’il ne le condamnait pas, mais parce qu’il ne le commettait point. On emploie tous les jours de pareilles manières de parler; car tu dis de quelqu’un : Il ne sait se tenir debout, pour dire : Il ne se tient pas debout; il ne sait faire le bien, pour dire : Il ne fait pas de bien; il ne sait pas faire le mal, pour dire : Il ne fait pas de mal. Ce qu’on ne fait pas n’intéresse nullement la conscience, et ce dont la conscience ne s’occupe pas, on semble ne pas le savoir. Ainsi, dans notre pensée, Dieu ignore comme l’art qui ne conduit pas au mal, mais qui apprend à connaître le vice et à le discerner. Lors donc que nous interrogeons notre chef, il nous répond dans toute la vérité de son Evangile ; quand nous lui disons: Seigneur, qu’ignoriez-vous? Comment a-t-on pu vous interroger sur des choses que vous ne connaissiez pas? Il nous dit : J’ignorais le péché, et ils m’interrogeaient sur le péché. Si tu ne crois pas que j’ignore le péché, lis l’Evangile et tu y verras que je ne connais pas même les pécheurs; car je leur dirai à la fin du monde : « Je ne vous connais pas; vous, qui commettez l’iniquité, retirez-vous de moi 2». Est-ce qu’il ne connaissait pas ceux qu’il condamnait? Peut-il prononcer un jugement conforme à l’équité, s’il ne le porte pas en parfaite- connaissance de cause? Il agissait en connaissance de cause, et pourtant il n’a pas menti quand il a dit: « Je ne vous connais pas»; c’est-à-dire vous n’êtes pas unis à mon corps; vous ne vous attachez pas à mes préceptes : vous êtes la personnification des vices; et moi, je suis l’art, qui n’a rien de commun avec les défauts, et qui n’apprend rien autre chose qu’à les éviter. « Des témoins injustes s’étant levés, m’ont interrogé sur des choses que je ne connaissais pas». Qu’est-ce que le Christ pouvait

 

1. Ps. XXXIV, 11, 12. — 2. Matt. VII, 23.

 

ainsi ignorer, sinon le blasphème? Voilà pourquoi il fut accusé d’avoir blasphémé, lorsque interrogé par ses persécuteurs, il répondit selon la vérité. Mais quels furent ses accusateurs? Ceux-là mêmes dont il est dit plus loin: « Ils me rendaient le mal pour le bien; ils « rendaient à mon âme la stérilité ». Je leur apportai l’abondance, et ils me rendaient la stérilité : je leur apportai la vie, et ils me rendaient la mort : je leur apportai l’honneur, et ils me rendaient l’humiliation. Je leur apportai le remède, et ils me rendaient des blessures; et, dans tout ce qu’ils me rendaient, il n’y avait que de la stérilité.

Cette stérilité, il l’a maudite dans le figuier, lorsque, y cherchant des fruits, il n’en trouva aucun 1. Il y avait des feuilles, mais pas de fruits; des paroles, mais pas d’oeuvres: abondance de paroles, stérilité en fait d’oeuvres. « Tu prêches qu’il rie faut rien dérober, et tu dérobes; tu dis que l’adultère est un crime, et tu commets l’adultère ». Tels étaient ceux qui interrogeaient le Christ sur des choses qu’il ne connaissait pas.

3. « Pour moi, lorsqu’ils m’interrogeaient, je me revêtais d’un cilice ; j’humiliais mon âme par le jeûne, et je répandais ma prière dans mon sein». Nous savons, mes frères, que nous appartenons au corps de Jésus-Christ, puisque nous en sommes les membres: nous ne devons pas non plus l’ignorer: dans nos tribulations, il ne nous faut point penser à la manière dont nous répondrons à nos ennemis, mais chercher à leur être propices auprès de Dieu par nos prières, surtout à ne pas nous laisser vaincre par la tentation, et enfin, à obtenir du Tout-Puissant, pour nos persécuteurs, la guérison de leur âme et leur retour à la justice. Rien, de plus grand, rien de meilleur au sein des tribulations, que de s’éloigner du bruit extérieur, et d’entrer dans le plus profond intérieur de son âme pour invoquer Dieu, en ce sanctuaire où personne ne peut ni entendre nos gémissements, ni voir celui qui vient à notre aide; mettons-nous-y à l’abri de toutes les ennuyeuses contrariétés qui nous viennent du dehors: fermons les portes de ce lieu secret; humilions. -nous en faisant l’aveu de nos fautes; louons et bénissons le Dieu qui nous corrige et nous -console: voilà bien la conduite que nous devons tenir.

 

1. Matt., XXI, 19.

 

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Ce que nous disons s’applique au corps du Christ, c’est-à-dire, à chacun de nous : mais soyons-nous en Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même quelque chose de pareil? Tant de soin que nous mettions à examiner et à scruter l’Evangile, jamais nous n’y verrons que, dans ses peines et ses ennuis, le Seigneur se soit revêtu d’un cilice. Nous y lisons, à la vérité, qu’il a jeûné après son baptême; mais, pur un cilice, il n’en est nulle part question nous ne le voyons en aucun endroit. Quand il a jeûné, le diable le tentait, mais les Juifs se le persécutaient pas encore, et je ne puis lire qu’il ait jeûné au moment où ils l’interrogeaient sur des choses qu’il ne connaissait pas, ni au moment où, lui rendant le mal pour le bien, ils examinaient malicieusement sa conduite, le poursuivaient, s’emparaient de sa personne, le flagellaient, le couvraient de blessures et lui donnaient la mort. Néanmoins, mes frères, cédons à une pieuse curiosité, levons un peu le voile, ouvrons les yeux de notre coeur, pénétrons le sens caché le l’Ecriture, et nous verrons qu’en réalité, pendant le cours de ses souffrances, le Seigneur a jeûné et s’est couvert d’un cilice.

Qu’entend-il par un cilice, sinon peut-être la condition mortelle de la chair? Pourquoi en cilice? A cause de la ressemblance de sa et chair avec la chair du péché. « Car», dit l’Apôtre, « Dieu a envoyé son propre Fils, revêtu d’une chair semblable à la chair du péché; il a condamné le péché dans sa chair 1 »; c’est-à-dire, il a revêtu son Fils d’un cilice pour condamner les boucs par ce cilice. Sans aucun doute, il n’y avait pas de péché dans le Verbe de Dieu ; il n’y en avait, non plus, dans l’âme sainte, ni dans l’esprit de l’homme que le Verbe et la sagesse de Dieu s’étaient attaché en unité de personne : il n’y en avait pas même dans son corps; mais la ressemblance de la chair du péché se trouvait dans le Seigneur, parce que la mort n’existe du péché, et son corps était certainement sujet à mourir. Si, en effet, il n’avait pas été mortel, il ne serait pas mort ; s’il n’était pas mort, il n’aurait pas ressuscité; et

S’il n’était pas ressuscité, il ne nous aurait point donné la preuve et l’exemple de notre immortalité. La mort, qui nous est venue du à, porte le nom de péché, de la même manière qu’on désigne, sous le nom de

 

1. Rom. VIII, 3

 

langue grecque ou de langue latine, non pas notre langue corporelle, mais ce que nous disons au moyen de ce membre: notre langue est un de nos membres, aussi bien que nos yeux, nos oreilles, notre nez, etc.; mais, par langue grecque, on entend les paroles prononcées en grec, non parce que les paroles seraient la même chose que la langue, mais parce qu’elles sont prononcées par elle. Tu dis de quelqu’un, pour désigner une partie quelconque de son corps-: J’ai reconnu sa figure. En parlant d’un absent, tu dis encore J’ai reconnu sa main, quoique tu veuilles parler, non de sa main corporelle, mais de l’écriture tracée par elle. Ainsi en est-il du péché du Seigneur: il a eu pour cause le péché, puisqu’il a pris un corps fait de cette substance, qui est devenue sujette à la mort, à cause du péché. Et pour exprimer plus brièvement ma pensée, je dirai : Marie est morte à cause du péché d’Adam, parce qu’elle en était la fille ; Adam est mort à cause de sa propre prévarication; et le corps du Seigneur, mis au monde par Marie, est mort pour détruire le péché. Le Seigneur s’est revêtu de ce cilice, et ce cilice, sous lequel il se cachait, l’a empêché d’être reconnu. « Lorsque», dit-il, « ils me tourmentaient je me revêtais d’un cilice » ; c’est-à-dire : ils sévissaient contre moi, et je me cachais. S’il n’avait pas voulu se cacher, il n’aurait pu mourir. Quand, en effet, ils s’approchèrent de lui pour le saisir, il lui suffit d’un instant, il n’eut qu’à laisser jaillir un éclair de sa puissance, si toutefois on peut dire que c’en était même un éclair; c’en fut assez de sa part, de leur adresser cette seule question : « Qui cherchez-vous? » pour les faire reculer et tomber en arrière. Une telle puissance n’aurait certes pas subi les ignominies de la passion, si elle ne s’était cachée sous le cilice : donc, « je me revêtais du cilice et j’humiliais mon âme par le jeûne ».

4. Si nous avons bien compris ce qu’il faut entendre par le cilice, comment devons-nous maintenant comprendre ce qu’il faut entendre par le jeûne? Le Christ voulait manger, quand il cherchait des fruits sur le figuier stérile, et s’il en avait trouvé, il s’en serait nourri. Il voulut boire, quand il dit à la femme de Samarie: « Donne-moi à boire  1» et sur la croix: « J’ai soif 2». Quelle faim et quelle soif éprouva-t-il donc? Il eut faim et soif de nos bonnes

 

1. Jean, IV, 7. — Id. XIX, 28.

 

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oeuvres. Et, parce qu’il ne trouvait le mérite d’aucune bonne oeuvre en ceux qui le persécutaient et le crucifiaient, il jeûnait ; ils jetaient dans son âme la disette. Quel jeûne, en effet, de trouver à peine un larron dont il pût se nourrir, étant sur la croix ! Les apôtres avaient pris la fuite et s’étaient cachés dans la foule; Pierre lui-même, ce Pierre qui avait promis de persévérer jusqu’à la mort du Seigneur, l’avait déjà renié trois fois; il pleurait déjà, mais il se cachait encore dans la multitude et craignait d’être reconnu. Tous, enfin, le voyant mort, désespérèrent de l’avenir aussi les trouva-t-il, après sa résurrection, plongés dans le découragement; quand il leur parla, la tristesse, la désolation et le désespoir étaient dans leurs coeurs et se reflétaient dans les paroles de ceux qui s’entretenaient avec lui. Il leur dit: « De quoi vous entretenez-vous ensemble? » Car ils parlaient de lui ; et ils lui répondirent: « Etes-vous seul « si étranger dans Jérusalem, que vous ne sachiez pas ce qui s’y est passé ces jours-ci, touchant Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant en oeuvres et en paroles, devant Dieu, devant tout le peuple; et de quelle manière les princes des prêtres et nos sénateurs l’ont livré pour être condamné à mort, et l’ont crucifié? Or, nous espérions que ce serait lui qui rachèterait Israël 1 ». Le Seigneur aurait persévéré datas ce grand jeûne, s’il n’avait pas ranimé ceux qui devaient apaiser sa faim. Il leur rendit le courage, les consola, les raffermit et en fit les membres de son corps. Tel fut donc le jeûne que s’imposa le Seigneur.

5. « Et je répandais», dit-il, « ma prière dans « mon sein ». Il y a certainement, dans ce verset, un sens profond; daigne le Seigneur nous aider à le pénétrer! Par sein, nous devons entendre une chose secrète. Mes frères, nous trouvons déjà, dans ces paroles, un avertissement pour nous, le bon conseil de prier dans le secret de notre coeur. Dieu nous y voit; il nous y entend; l’oeil de l’homme est incapable d’y pénétrer; celui-là, qui vient à notre aide, peut seul y porter ses regards. Ce fut là que pria Susanne et qu’elle fut entendue de Dieu, lorsque les hommes ne voulurent plus écouter sa voix 2. En ce qui nous concerne, voilà le conseil que nous devons tirer de ces paroles; mais nous devons les entendre plus

 

Luc, XXIV, 18-21. — Dan. XIII, 35, 44.

 

particulièrement de Notre-Seigneur, parce que, lui aussi, il a prié.

En examinant la lettre de l’Evangile, nous n’avons vu, nulle part, qu’il y fût question de son cilice; il n’y est point davantage parlé, dans le sens littéral, du jeûne qu’il a observé pendant sa- passion; c’est pourquoi nous avons, selon la mesure de nos forces, expliqué ces deux mots par similitude et dans le sens allégorique. Pour sa prière, nous l’avons entendue tomber du haut de la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 1? » Là aussi nous priions. En effet, quand son Père, dont il ne s’est jamais séparé, l’a-t-il abandonné? Nous lisons encore qu’il a prié seul sur la montagne, qu’il n passé les nuits en prières, qu’il a prié dans le cours de sa passion. Je répandrai donc na prière dans mon sein. Je ne sais ce qu’on pourrait imaginer de mieux à l’égard du Seigneur. Quoi qu’il en soit, je vais dire ce qui me vient en ce moment à l’esprit; une idée meilleure s’y présentera peut-être plus tard; ou bien elle se présentera à une personne plus intelligente que moi. Je comprends donc ces paroles : « Je répandrai ma prière dans mon sein», dans ce sens que son Père habite en lui, car Dieu s’est réconcilié le monde dans le Christ 2 . Il possédait en lui-même celui qu’il voulait prier. Il n’en était pas éloigné, puisqu’il avait dit : « Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi 3. Mais, en lui, la prière est plus particulièrement l’oeuvre de l’homme; car, en tant qu’il est le Verbe, le Christ ne prie pas, il exauce; il ne demande pas qu’on lui vienne en aide; mais, d’accord avec son Père, il secourt les autres. Quel est donc le sens de ces paroles : Je répandais mea prière dans mon sein? Celui-ci, sans aucun doute : Mon humanité invoque en moi-mère la divinité.

6. « J’avais de la complaisance comme pour « un parent et un frère ; j’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me portait à gémir». Il fait allusion à son corps: c’est nous qu’il faut voir ici désignés, quand nous trouvons notre bonheur dans la prière, et que notre âme se rassérène, non par l’influence des prospérités de ce monde, mais sous l’impression des rayons de la vérité. Il est facile de comprendre ce que je dis , et celui qu’éclaire cette lumière voit et reconnaît par

 

1. Ps. XXI, 2 ; Matt. XXVII, 46. — 2. II Cor. V, 19. — 3. Jean, XIV, 10

 

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lui-même la vérité de ces paroles : « J’avais de la complaisance comme pour un parent et un frère»; car alors l’âme se rapproche de Dieu, et lui devient agréable comme à un frère, à un parent, ou à un ami; « car», est-il dit, «nous avons en lui l’être et le mouvement 1». Si notre âme n’en est point là, si elle ne peut se réjouir ni briller des feux de la vérité, ni s’approcher de Dieu, ni s’attacher à lui : si elle s’en voit éloignée, qu’elle fasse du moins ce qui suit: « J’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me portait à gémir». En s’approchant de Dieu , il  dit: « J’avais de la complaisance comme pour un parent et un frère». Retiré et placé loin de lui, il a dit : « J’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me portait à gémir». Pourquoi gémit-il, sinon parce qu’il ne possède point ce qu’il désire? Parfois il arrive au même homme, tantôt de s’approcher de Dieu et tantôt de s’en éloigner, de s’en approcher sous l’influence lumineuse de la vérité, de s’en éloigner parce que la chair enveloppe son esprit d’un voile épais. Dieu, mes frères, est partout: son être infini ne peut être circonscrit en un lieu quelconque nous ne nous éloignons donc ni ne nous rapprochons de lui d’une manière physique. S’en approcher, c’est lui devenir semblable; en lui devenant dissemblable, on s’en éloigne. Lorsque tu vois deux objets presque pareils, tu dis qu’ils approchent l’un de l’autre : s’ils t’apparaissent différents, quoique placés dans le même endroit et souvent dans la même main, tu dis : Cet objet est loin de l’autre. Tu les tiens tous les deux, tu les réunis ensemble, et tu dis Ils sont loin l’un de l’autre, non pas physiquement, mais parce qu’ils ne se ressemblent pas. Si tu lui es pareil, réjouis-toi; gémis si tu lui es différent: que tes gémissements éveillent en toi les désirs: les désirs contribueront eux-mêmes à exciter les gémissements de ton coeur par veux tu te rapprocheras de celui dont tu avais commencé à t’éloigner. Pierre ne s’approchait-il pas, quand il dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant? » Et le même Apôtre ne s’éloigna-t-il pas quand il dit: « Seigneur, m n’y pensez pas, il n’en sera pas ainsi? » Enfin, au moment où il s’approchait et se trouvait près de Dieu, que lui dit le Seigneur? « Tu es heureux, fils de Barjona! » Comme

 

1. Act. XVII, 28

 

au moment où Pierre s’éloignait et n’avait plus de traits de ressemblance avec son Maître, celui-ci lui dit encore : « Retire-toi, Satan » . En s’approchant, il entendit ces paroles : « Ce n’est ni la chair, ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux». En s’éloignant et en contredisant le Sauveur au sujet des souffrances qu’il devait endurer pour notre salut, il entendit ces autres paroles: « Tu n’as point de goût pour les choses de Dieu, mais tu en as pour celles des hommes 1 » . Parlant de ces deux états de l’âme, quelqu’un a dit avec raison dans un psaume: « Pour moi, j’ai dit dans mon extase : J’ai été rejeté de devant vos yeux 2». Il ne dirait point: « Dans mon extase», s’il ne s’approchait, car l’extase est le transport de l’âme. Il a répandu son âme sur lui-même, et s’est approché de Dieu; puis, ramené de nouveau sur la terre par le poids et les ténébreuses illusions de la chair; se rappelant les transports de son âme et voyant son abaissement présent, il a ajouté « J’ai été rejeté de devant vos yeux». Que le Seigneur nous accorde de voir s’accomplir en nous ces paroles : « J’avais de la complaisance comme pour un parent et un frère! » Et, s’il n’en est pas ainsi, qu’au moins nous puissions dire : « J’étais abattu, comme touché d’une vraie douleur qui me portait à gémir».

7. « Quant à eux, ils se sont réjouis sur mon sujet; ils se sont réunis ensemble contre moi 3». Chez eux la joie; dans mon âme, la tristesse. Et pourtant, nous avons entendu tout à l’heure dans l’Evangile : « Bienheureux ceux qui pleurent 4 », malheur à ceux qui rient. « Ils se sont réjouis sur mon sujet; ils se sont réunis ensemble contre moi; ils m’ont accablé de maux sans savoir pourquoi ». Ils m’interrogeaient sur des choses que j’ignorais, et eux-mêmes ne connaissaient pas celui qu’ils interrogeaient.

8. « Ils m’ont tenté et insulté avec moquerie 5» ,c’est-à-dire, ils m’ont tourné en dérision et accablé d’injures. Ceci s’applique tout ensemble au chef et au corps. Remarquez, mes frères, la gloire présente de l’Eglise; rappelez-vous ses humiliations passées : souvenez-vous qu’autrefois les chrétiens furent partout mis en fuite, et que, partout où on les trouvait, ils se voyaient tournés en dérision,

 

1. Matt. XVI, 16, 17, 22, 23. — 2. Ps. XXX, 23. — 3. Ps. XXXIV, 15. — 4. Matt. V, 5. —  5. Ps. XXXIV, 16.

 

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maltraités, mis â mort, exposés aux bêtes, brûlés vifs; tous, en ricanant, se déclaraient contre eux. Ce que le chef avait souffert, le corps devait l’endurer; et dans toutes les persécutions qui ont eu lieu jusqu’à ce jour, le corps a subi les mêmes traitements que le Seigneur en croix. Partout où l’on rencontre un chrétien, on l’insulte, on le harcèle, on s’en moque, on lui donne le nom d’homme stupide, insensé, dépourvu de coeur et d’esprit. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, le Christ est dans le ciel ! Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, il a ennobli son supplice, il a imprimé sa croix sur tous les fronts; il permet aux impies d’insulter, mais il leur interdit de nuire; néanmoins, par les paroles qui tombent de leurs lèvres, on connaît les secrètes pensées de leurs coeurs. « Ils ont grincé des dents contre moi».

9. « Seigneur, quand ouvrirez-vous les yeux? Délivrez mon âme de leurs fourberies, et mon unique des lions 1 ». Notre patience se lasse de souffrir, et ces paroles : « Quand ouvrirez-vous les yeux», ont été dites de chacun de nous. C’est-à-dire, quand vous verrons-nous tirer vengeance de ceux qui nous insultent? Quand le juge, vaincu par les importunités de cette veuve, lui fera-t-il justice? Si notre juge diffère de nous délivrer, c’est, non par indifférence, mais par amour, non par impuissance, mais par raison, non par incapacité de nous venir en aide, mais parce qu’il veut attendre jusqu’à la fin pour nous sauver tous en même temps. Et toutefois nos désirs nous portent à lui dire: « Quand ouvrirez-vous les yeux, Seigneur ? Délivrez mon âme de leurs fourberies, et mon unique des lions»; c’est-à-dire, délivrez mon Eglise des puissances qui la persécutent.

10. En effet, veux-tu savoir quelle est cette unique? Lis ce qui suit: « Je publierai vos  louanges dans une grande assemblée : je vous louerai au milieu d’un peuple chargé de mérites. Oui, dans une grande assemblée je publierai vos louanges; oui, au milieu d’un peuple chargé de mérites, je vous louerai ! » Les louanges du Seigneur se chantent devant toute l’assemblée, mais tous ceux qui la composent ne louent pas Dieu. Toute l’assemblée entend les louanges que nous lui adressons; mais Dieu ne trouve pas sa louange en tous ceux qui en font partie

 

1. Ps. XXXIV, 17

 

car, dans toute assemblée, c’est-à-dire, dans l’Eglise qui est répandue sur toute la terre, il y a de la paille et du grain; la paille s’envole, le grain reste. « C’est pourquoi je vous louerai au milieu d’un peuple de poids ». Dieu trouve sa louange dans ce peuple que n’enlève pas le vent de la tentation. Pour la paille, elle est toujours un sujet de blasphèmes. Quand on fait attention à notre paille, que dit-on? Voilà comment vivent les chrétiens ! Voilà ce qu’ils font ! Et en eux s’accomplissent ces paroles de l’Ecriture : « Parce que vous faites blasphémer mon nom parmi les nations .» Homme pécheur et jaloux, qui n’est que paille, tu examines l’aire, et tu y aperçois difficilement le grain ; cherche et tu trouveras un peuple chargé de mérites, dont la vue te portera à louer Dieu. Ressemble à ce peuple, si tu ne lui es point pareil, tu y verras difficilement autre chose que ce que tu es toi-même « Ils ne se comparent qu’avec eux-mêmes 1 », dit l’Apôtre, et ils ne comprennent point ces paroles: « Je vous louerai au milieu d’un peuple de poids».

11. « Que je ne sois pas un sujet d’insultes pour ceux qui m’attaquent injustement 2 »,

car ils m’insultent à cause de ma paille, «ceux qui me haïssent sans aucun motif», c’est-à-dire, ceux à qui je n’ai pas fait de mal, «et qui m’approuvent du regard » , c’est-à-dire, ceux dont le visage affecte des sentiments étrangers à leur coeur. Et qui sont ces hommes à l’oeil  approbateur? » Car, « ils me parlaient avec amitié, et pour irriter davantage mes ennemis, ils ne pensaient qu’à des tromperies. Ils ont ouvert leur bouche contre moi».En apparence, ils approuvaient du regard, mais ils n’étaient que des lions occupés à trouver une proie pour l’enlever et la dévorer; au dehors, ils flattaient et parlaient dans un esprit de paix; mais pour irriter davantage unes ennemis, ils ne pensaient qu’à des tromperies. Que disaient-ils dans un

esprit de paix ? « Maître, nous savons que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité, sans avoir égard à qui que ce soit. Est-on libre de payer le tribut à César ou de ne pas le lui payer ? » Ils me parlaient comme auraient fait des amis. Quoi donc! Ne les connaissiez-vous pas, et, par leurs regards flatteurs, pouvaient-ils vous tromper? Il ne les connaissait que trop ; voilà

 

1. II Cor. X, 12. — 2. Ps. XXXIV, 19-21.

 

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pourquoi il leur répondit : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous 1? » Puis, ils ont ouvert leur bouche contre moi, et se sont écriés : « Crucifiez-le! Crucifiez-le! Ils ont dit : Courage, courage ! nos yeux ont vu ». Commencement de leurs insultes: « Courage, courage. — Christ, prophétise-nous!» Lorsqu’ils consultent au sujet de la pièce de monnaie, leurs paroles n’étaient que mensonges; ainsi, leurs louanges n’étaient qu’insultes. « Ils ont dit : « Courage, courage, nos yeux ont vu » - Quoi? Des oeuvres, vos prodiges. Il est le Christ. « S’il est le Christ, qu’il descende de la croix, et nous croirons en lui. Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même 2 . Nos yeux ont vu». Il se vantait, il disait qu’il était le Fils de Dieu. Voilà tout ce qu’il en est! Pour le Seigneur, il demeurait patiemment attaché à la croix ; il n’avait rien perdu de sa puissance, mais il manifestait sa patience. Descendre de la croix, était-ce chose bien difficile pour celui qui devait, bientôt après, sortir vivant du tombeau ? Non. Mais il aurait paru céder devant ceux qui l’insultaient, tandis qu’il lui était nécessaire de se montrer après sa résurrection à ses disciples, et non peint à ses ennemis, pour leur enseigner ce grand mystère ; car sa résurrection était le symbole d’une nouvelle vie, et cette vie nouvelle, on la manifeste aux yeux de ses amis, et non aux regards de ses ennemis.

12. « Vous avez vu, Seigneur, ne gardez pas de silence 2» . Ces paroles: « Ne gardez pas le silence», veulent dire : « Jugez». Au sujet du jugement, il est dit quelque part : « Je me

suis tu : est-ce que je me tairai toujours 3? »quant au délai du jugement, il est dit au pécheur: «Tu as fait ces choses, et je me suis tu, tu as cru le mensonge: tu as cru que je serais semblable à toi 5». Est-ce qu’il garde le silence, celui qui parle par les prophètes, celui qui parle lui-même dans l’Evangile, celui qui parle par les évangélistes, celui qui parle par nous-mêmes, toutes les fois que nous disons la vérité? Qu’est-ce donc à dire : Il se tait? Il ne prononce pas son jugement, mais il ne cesse pas pour cela de nous imposer des préceptes et de nous instruire. Le prophète invoque en quelque façon et annonce d’avance ce jugement de Dieu : « Seigneur, vous m’avez vu, ne gardez pas le silence ». C’est-à-dire :

 

1. Matt. XXII, 16-18. — 2. Matt. XXVI, 68. — 3. Ps. XXXIV, 22. — 4. XLII, 14. —  5. Ps. XLIX, 21.

 

Vous ne garderez pas le silence, il faut que vous rendiez votre jugement. En attendant l’heure de ce jugement, ne vous éloignez pas de moi; vous m’en avez fait la promesse : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 1»

13. « Levez-vous, Seigneur, et appliquez-vous à me juger 2». Pourquoi te juger? parce que tu es dans la tribulation ? Parce que les inquiétudes et les souffrances ne te laissent pas de repos? Est-ce qu’une multitude de méchants n’éprouvent pas des tourments pareils? Pourquoi te juger? Es-tu juste par cela même que tu souffres ainsi ? Non. Mais, qu’est-ce à dire : « A me juger ? » Que lis-tu ensuite? : « Appliquez-vous à me juger, Seigneur, mon Dieu ; appliquez-vous à ma cause». Non pas à mes peines, mais à ma cause; non parce que je souffre comme le larron, mais parce qu’en moi s’accomplit cette parole: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice 3». Voilà cette cause parfaitement définie. Les bons et les méchants ont à supporter des peines pareilles: ce qui constitue le martyre, ce n’est donc pas la souffrance; c’en est le motif. Si les supplices faisaient les martyrs, toutes les mines en regorgeraient, toutes les chaînes serviraient à en conduire, la couronne serait accordée à tous ceux qui tombent sous le glaive. Il faut donc connaître le motif des souffrances. Aussi, que personne ne dise: Je souffre, donc je suis un juste. Celui qui a souffert le premier a souffert pour la justice; c’est pourquoi il a ajouté cette condition essentielle : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice».

Il en est plusieurs qui deviennent persécuteurs pour la bonne cause, comme il en est qui souffrent persécution pour en soutenir une mauvaise. Si l’on ne pouvait devenir persécuteur à bon droit, le psalmiste n’aurait pas dit : « Je persécutais celui qui médisait secrètement de son prochain 4». De plus, mes frères, un père juste et bon ne persécute-t-il pas un fils libertin? Il persécute, non pas l’homme, mais ses vices; non pas son enfant, mais ce qui est venu s’y adjoindre. Le médecin, appelé pour soulager un malade, n’emploie-t-il pas souvent les instruments tranchants? c’est contre la blessure et non point

 

1. Matt. XXVIII, 20. — 2. Ps. XXXIV, 23. — 3. Matt. V, 10. — 4. Ps, C, 5.

 

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contre l’homme; il coupe, mais pour guérir: et, pourtant, quand il tranche dans le corps du patient, celui-ci souffre, il crie, il résiste; et si, par hasard, la fièvre lui a fait perdre la raison, il va jusqu’à frapper le médecin : mais celui-ci continue à le soigner, il fait ce qu’il doit faire sans se tourmenter, en aucune façon, des malédictions et des injures qu’il en reçoit. N’éveille-t-on pas tous ceux qui tombent en léthargie, dans la crainte de voir leur profond sommeil aboutir à la mort ? Et par qui sont-ils éveillés, sinon par les enfants qu’ils ont été si heureux de mettre au monde? Nul ne mériterait le titre de fils dévoué, s’il ne faisait violence à son père en circonstance pareille. On éveille les gens tombés en léthargie, on garrotte les frénétiques, uniquement parce qu’on les aime. Que personne ne dise donc :  Je souffre persécution. Il ne suffit pas de faire parade de ses maux, il faut en faire connaître le motif; et si l’on ne peut démontrer que la cause en est juste, on doit être mis au nombre des méchants. Aussi, avec quel à-propos et quelles paroles pleines de justesse il s’est recommandé à Dieu! « Seigneur, appliquez-vous à mon jugement», non à mes peines : « Seigneur, mon Dieu, appliquez-vous à ma cause».

14. « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice 1»; voilà bien ma cause: non selon ma peine, mais « selon ma justice, Seigneur mon « Dieu ». Que ce soit le motif de votre jugement.

15. « Que mes ennemis ne se réjouissent pas en triomphant de moi. Qu’ils ne disent point dans leurs coeurs: Courage, courage, réjouissons-nous»; c’est-à-dire : nous avons

fait ce que nous avons pu : nous l’avons tué nous nous sommes débarrassés de lui. « Qu’ils  ne disent pas». Montrez-leur qu’ils n’ont rien fait. « Qu’ils ne disent pas : Nous l’avons dévoré». De là ces paroles des martyrs : « Si le Seigneur n’avait été avec nous, ils auraient pu nous absorber tout vivants 2 ». Qu’est-ce : Ils nous auraient absorbés? ils nous auraient fait entrer dans leur corps. Car ce que tu absorbes, tu le fais entrer dans ton corps. Le monde veut t’absorber : absorbe-le loi-même: fais-le entrer dans ton corps: tue-

 

1. Ps. XXXIV, 24-26. — 2. Id. CXXXIII, 1, 3.

 

le; mange-le, suivant ce qui a été dit à Pierre : « Tue et mange». Tue en eux ce qu’ils sont, et fais-les ce que tu es : mais s’ils parviennent à te rendre impie, ils absorberont : ce n’est pas en te persécutant qu’ils t’absorberont; c’est en te rendant semblable à eux. « Qu’ils ne disent pas : Nous l’avons dévoré ! » Dévore toi-même le corps des païens. Pourquoi le corps des païens? Il veut te dévorer. Fais-lui ce qu’il veut te faire. Pourquoi Moïse fit-il réduire en poussière le veau d’airain, en jeta-t-il les cendres dans l’eau et donna-t-il cette eau en breuvage aux Israélites? C’était peut-être pour leur faire absorber le corps des impies. « Que ceux qui  témoignent être contents de mes maux rougissent et soient confondus : qu’ils soient couverts de confusion et de honte! » Puissions-nous les absorber pleins de honte et de confusion ! Qu’ils soient confondus, qu’ils de viennent honteux, « ceux qui parlent orgueilleusement contre moi ».

16. Et maintenant, que dites-vous des membres dont vous êtes le chef? « Qu’ils se réjouissent et soient transportés de bonheur, ceux qui veulent ma justice 2», ceux qui se sont

unis à mon corps, «et qu’ils disent sans cesse: « Que le Seigneur soit glorifié, ceux qui désirent la paix de son serviteur; et ma langue publiera votre justice et vos louanges tout le jour ». Quel est celui dont la langue est capable de publier les louanges de Dieu pendant tout le jour?

Mon discours a été un peu trop long; vous êtes fatigués. Quel est celui, qui peut louer Dieu tout le jour? Si tu y consens, je vais t’indiquer un moyen de le faire. Fais bien tout ce que tu fais, et tu loues Dieu. Quand tu chantes un hymne, tu chantes les louanges de Dieu. Mais que peut faire ta langue, si ton coeur reste muet? Ton hymne fini, tu t’arrêtes, puis tu te retires pour prendre ton repas. Ne t’enivre pas et tu loues Dieu. Tu traites une affaire : ne te rends coupable d’aucune fraude, et tu loues Dieu. Si tu cultive un champ, ne suscite de querelle à personne, et tu loues Dieu. Prépare-toi, par l’innocence de tes actions, à louer Dieu tout le jour.

 

1. Act. X, 13. — 2. Ps. XXXIV, 27, 28.

 

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