PSAUME  XXXI
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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXXI.

LE VÉRITABLE JUSTE.

Nous sommes tous conçus dans l’iniquité, donc nous ne devons notre justice qu’à la grâce qui nous prévient par cette clarté d’intelligence, par cette force de volonté, qui nous fait croire à la parole de Dieu et proclame hautement notre foi. Or, notre foi consiste principalement à croire et à confesser que nous sommes pécheurs et que c’est Dieu qui nous sauve. 

A DAVID POUR L’INTELLIGENCE (1).

 1. A David, pour ce don de l’Esprit qui nous fait comprendre que la confession de nos fautes nous mène au salut, non par les mérites de nos oeuvres, mais par la grâce de Dieu.

2. « Bienheureux ceux dont les fautes sont s remises, et dont les péchés ont été couverts 2»; dont les péchés sont mis en oubli. « Bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’a point imputé son crime, et dont la bouche ne distille point la fraude»; dont les paroles ne font pas ostentation de justice, quand sa conscience est pleine d’iniquités.

3. « Mes os ont vieilli parce que je gardais le silence 3». Ma force est devenue une vieillesse infirme, parce que ma bouche n’a point fait cette confession, qui obtient le salut 4. « Néanmoins je criais tout le jour.» Dans mon impiété, je proférais contre Dieu des cris de blasphème, comme pour défendre mes fautes et les excuser.

4. « Parce que votre main s’est appesantie sur moi le jour et la nuit ». Parce que, sous la douleur incessante de vos vengeances, « je me suis retourné dans ma souffrance, dont d’aiguillon me déchirait 5 ». A la vue de ma misère, l’aiguillon de ma conscience m’a rendu malheureux.

5. «Diapsalma. J’ai connu mon péché et t n’ai point voilé mon injustice». C’est-à-dire, 

1. Ps. XXXI, 1. — 2. Id. 1 — 3. Id. 3. — 4. Rom. X, 10. — 5. Ps. XXXI, 4. 

je n’ai point caché cette injustice. « J’ai dit: J’attribuerai cette injustice, qui est bien la mienne, non point à Dieu, comme je le faisais quand je me taisais dans mon impiété, mais bien à moi-même ». « Et vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur 1». Quand vous avez vu l’aveu de mon coeur, avant l’aveu de mes lèvres.

6. « C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera en temps opportun 2». Cette impiété du coeur fera monter vers vous la prière des saints. Car ils ne deviendront pas saints à cause de leurs propres mérites, mais à cause du temps favorable, ou de l’avènement de celui qui nous a rachetés de nos fautes. « Et toutefois au cataclysme des grandes eaux, ils ne s’approcheront point de lui ». Que nul ne s’y trompe, et ne s’imagine que quand le dernier jour nous surprendra, comme au temps de Noé, il pourra faire cet aveu des fautes qui nous rapproche de Dieu.

7. « Vous êtes mon refuge contre l’affliction qui m’environne 3». C’est en vous que je

trouve un asile contre la douleur de mes fautes qui serre mon coeur. « Vous êtes ma joie, délivrez-moi de ceux qui m’investissent ». C’est en vous qu’est toute ma joie, délivrez-moi de la tristesse que me causent mes péchés.

8. « Diapsalma ». Réponse de Dieu. « Je te donnerai l’intelligence, et t’affermirai dans  la voie où tu auras marché 4 ». En échange de ton aveu je te donnerai l’intelligence, afin 

1. Ps. XXXI, 5. — 2. Id. 6. — 3.  Id. 7. — 4. Id. 8.

 (279)

que tu n’abandonnes plus la voie que tu auras choisie, et ne recherches plus l’indépendance. « Mes regards se fixeront sur toi ». Je te confirmerai dans mon amour.

9. « Loin de vous de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’entendement ». De là vient qu’ils se veulent conduire eux-mêmes. Et le Prophète répond : « Assujettissez leurs mâchoires au mors et au frein 1». Faites pour eux, ô mon Dieu, comme l’on fait pour le cheval et le mulet, contraignez-les par la douleur à subir votre direction. « Eux qui refusent de s’approcher de vous ».

10. « ils sont nombreux, les châtiments des pécheurs 2 ». Il a de rudes châtiments à  

1. Ps. XXX, 9, — 2. Id. 10. 

subir celui qui refuse d’avouer ses fautes à Dieu, et qui prétend se conduire lui-même. « Pour  celui qui espère en vous, il sera investi de vos miséricordes ». Mais le Seigneur réserve ses faveurs à celui qui l’a pris pour guide et a mis en lui son espoir.

11. « O vous qui êtes justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, livrez-vous à l’allégresse Réjouissez-vous, non plus en vous, mais bien dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes! «Et vous tous qui avez le coeur droit, glorifiez. vous en lui 2 ». Glorifiez-vous tous en Dieu, vous qui comprenez que nous devons lui être soumis, afin qu’un jour vous ayez ses préférences.

1. Ps. XXXI, 10. — 2. Id. 11.

 

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXI.

LA FOI ET LES OEUVRES.

 

Le salut nous vient de la foi et des bonnes oeuvres qui suivent la foi. —  Doctrine de saint Paul et de saint Jacques est en harmonie. — Foi d’Abraham. — Toute oeuvre qui précède la foi est sans valeur. — Accord de saint Paul avec lui-même. —L’homme heureux est celui dont les péchés sont remis. — Nathanaël sous le figuier. — Confessons nos fautes comme le publicain. — Les eaux des doctrines. — La droiture du cœur.

 

1. J’ai entrepris, nonobstant ma faiblesse, d’exposer à votre charité, mes frères, le psaume que me signale principalement saint Paul, ainsi qu’a pu vous en convaincre la lecture que l’on vient de vous en faire, pour relever la grâce de Dieu et le mystère de notre justification qui s’opère sans que nulle de nos oeuvres l’ait provoqué, mais par la bonté de Dieu notre Seigneur qui nous prévient. Soutenez donc tout d’abord ma faiblesse par vos prières, comme l’a dit l’Apôtre, « afin que Dieu m’ouvre la bouche et me donne de vous parler  (Eph. VI,19 ) », d’une manière qui soit sans péril pour moi et salutaire pour vous. Car ici l’esprit humain, naturellement inquiet et en suspens entre l’aveu de son infirmité et la présomption de ses forces, est souvent poussé deçà et delà avec un égal danger de tomber dans un précipice. En effet, s’il s’abandonne entièrement à sa propre faiblesse, dominé par cette pensée, il se dit que telle est la divine miséricorde pour tous les pécheurs, quels que soient leurs désordres et leur obstination, qu’à la fin ils recevront leur pardon, pourvu qu’ils croient que Dieu les délivrera, et leur pardonnera, en sorte que nul chrétien pécheur ne périsse , c’est-à-dire que nul ne puisse périr de tous ceux qui se disent en eux-mêmes: Quoi que je fasse, de quelque abomination., de quelque infamie que je sois souillé, quelque, nombreux que soient mes péchés, le Seigneur me délivrera dans sa miséricorde parce que j’ai cru en lui : si, dis-je, il en vient à croire que nul de ces coupables ne périt, il tombe dans une fausse croyance, sur l’impunité des crimes. Alors Dieu qui est juste, et dont le psaume chante la miséricorde et le jugement, non-seulement la miséricorde mais aussi le jugement 1, trouve cet homme dans une fausse présomption de la bonté divine, abusant de la divine miséricorde pour sa propre perte, et ne peut que le damner. Une telle pensée est donc pour l’homme un dangereux précipice. Mais s’il redoute ce danger, au point de se confier en lui-même, et que par une téméraire présomption de sa justice et de ses forces, il se propose d’accomplir toute justice et d’observer exactement ce qu’ordonne la loi de Dieu, au point de ne pécher aucunement; s’il se regarde comme tellement maître de sa vie qu’il puisse ne jamais tomber, ne jamais faiblir, ne jamais chanceler, ne jamais s’aveugler, et qu’il attribue ce résultat à la puissance de sa volonté; quand même il accomplirait tout ce qui paraît juste aux yeux des hommes, sans qu’il parût rien de répréhensible dans sa vie, Dieu devrait encore punir cette présomption, cette vaine ostentation d’orgueil. Qu’est-ce donc? si l’homme prétend se justifier lui-même, s’il présume de sa justice, il tombe: s’il considère attentivement sa faiblesse, et que se confiant en la divine miséricorde, il néglige de se purifier de ses taules, il se plonge dans l’abîme du vice, il tombe encore. Péril à droite en présumant de sa justice, péril à gauche en espérant l’impunité. Ecoutons la voix de Dieu qui nous crie: « Ne vous détournez ni à droite ni à gauche 2». vous appuyez point sur votre justice pour

espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Précepte divin qui vous détourne de ce double écueil, et de l’exaltation de l’orgueil et de la profondeur du crime. Vous élever jusqu’à l’une, c’est appeler votre chute; descendre jusqu’à l’autre, c’est vous engloutir. N’allez donc, dit le Sage, ni à droite ni à gauche. Je vous le répète en un mot, afin de le graver dans votre esprit: Ne vous appuyez point sur votre justice pour espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Que faire alors, me répondrez-vous? Notre psaume nous l’enseigne : et j’espère, Dieu aidant, qu’après en avoir écouté la lecture et l’explication, nous connaîtrons la voie que nous devons prendre, ou dans laquelle nous devons nous tenir avec courage. Que chacun nous écoute selon ses facultés, et qu’il s’afflige ou se réjouisse selon que sa conscience va lui suggérer un vice à corriger, 

1. Ps. C, 1. — Prov. IV, 27.

une vertu à applaudir. S’il s’aperçoit qu’il ait fait fausse route, qu’il revienne dans le bon chemin; s’il se trouve dans la bonne voie, qu’il y marche afin d’arriver au but. Nul orgueil, hors du bon chemin; nulle paresse en chemin.

2. Saint Paul nous affirme que ce psaume traite de la grâce qui nous fait chrétiens: c’est pourquoi j’ai voulu qu’on vous en fît la lecture. Afin d’établir la justice par la foi contre ceux qui vantaient la justice par les oeuvres, l’Apôtre parle ainsi: « Quel avantage, dirons-nous, revint à Abraham, notre père selon la chair? Car si Abraham a été justifié par ses oeuvres, il a du mérite, mais non devant Dieu 1 ». Dieu nous préserve d’un semblable mérite; écoutons plutôt cette parole: « Que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur 2 ». Beaucoup d’hommes peuvent se glorifier de leurs oeuvres, et vous trouvez bon nombre de païens qui refusent de se faire chrétiens, parce que leur vie leur paraît suffisante en bonnes oeuvres. Bien vivre nous suffit, dit ce païen; que pourra m’enseigner le Christ? A régler ma vie? Elle est réglée, qu’ai-je besoin du Christ?Je ne commets ni homicide, ni vol, ni rapine, je ne désire point le bien d’autrui, je ne me souille d’aucun adultère. Que l’on trouve à reprendre dans ma vie, et quand on le fera, je me fais chrétien. Cet homme peut se glorifier, mais non devant Dieu. Il n’en est pas ainsi d’Abraham notre père. Tel est le point que l’Ecriture signale à notre attention. Car il faut l’avouer, nous croyons tous que ce saint patriarche fut agréable à Dieu, nous reconnaissons et proclamons qu’Abraham a de la gloire devant Dieu, dit l’Apôtre : certes, nous le savons, et il est évident pour nous qu’Abraham est glorieux aux yeux de Dieu: mais s’il fut justifié par ses oeuvres, il est glorieux devant les hommes et non devant Dieu. Or, il est glorieux devant Dieu, donc sa justification ne vient point de ses oeuvres. Mais si la justification ne lui vient point de ses oeuvres, d’où lui vient-elle? L’Apôtre nous l’explique ensuite : « Que dit l’Ecriture 3? n c’est-à-dire: A quoi l’Ecriture a-t-elle attribué la justification d’Abraham? « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice 4 ». Donc ce fut à la foi qu’Abraham dut sa justification.

3. Mais lorsqu’on croit à la justification par 

1. Rom. IV, 1, 2.— 2. I Cor. I, 31.— 3. Rom. IV, 3.—. 4. Gen. XV, 6.

la foi et non par les oeuvres, il faut éviter un autre abîme que j’ai signalé. Voyez, me dira-t-on, que c’est par la foi, et non par les oeuvres, qu’Abraham a été justifié, je puis donc vivre à mon gré, n’eussé-je en effet aucune oeuvre sainte, pourvu que je croie en Dieu, cette foi me sera imputée à justice. L’homme qui a tenu ce langage, et a pris cette résolution, est tombé dans l’abîme; s’il n’en a que la pensée, et qu’il soit dans l’incertitude, c’est déjà un danger. Mais la parole de Dieu, bien comprise, peut non-seulement retenir celui qui est près du gouffre, mais en retirer celui qui y est plongé. Je réponds donc pour ainsi dire, à l’encontre de l’Apôtre, et je rapporte d’Abraham, ce que nous lisons dans l’épître d’un Apôtre aussi, qui voulait redresser le sens déplorable que l’on donnait aux paroles de saint Paul. Dans cette lettre, en effet, saint Jacques, voulant réfuter les adversaires des bonnes oeuvres, qui s’appuyaient uniquement sur la foi (Jacques, II, 1), relève les oeuvres d’Abraham, dont saint Paul avait relevé la foi; mais les deux Apôtres ne sont point en contradiction. Saint Jacques rapporte d’Abraham ce que tout le monde connaît, l’immolation d’Isaac; oeuvre sublime, il est vrai, mais oeuvre de foi. J’admire la construction de l’édifice, mais je vois que la foi en est la base. Je loue ce fruit parfait d’une bonne oeuvre, mais je le vois croître sur l’arbre de la foi. Si Abraham faisait cette oeuvre en dehors de la foi, quelle qu’en fût l’excellence, elle lui serait inutile. Si au contraire la foi d’Abraham lui eût fait répondre en lui-même, quand le Seigneur lui commandait le sacrifice de son fils: Je n’obéis point, et néanmoins je crois que Dieu me délivrera en dépit de ses ordres méprisés; sa foi sans les oeuvres n’eût été qu’une foi morte, qu’un arbre stérile et desséché.

4. Que faut-il donc ? et aucune bonne oeuvre ne peut-elle exister avant la foi, c’est-à-dire qu’on ne puisse dire qu’un homme avant la foi ait fait aucun bien? Car tous ces actes de renom que l’on fait avant la foi, quelque louables qu’ils paraissent aux hommes, sont des actes sans valeur. Telles seraient, selon moi, de grandes forces déployées et une course rapide en dehors du bon chemin. Ne comptons donc pour rien les bonnes oeuvres faites avant la foi; car il n’y arien de vraiment bon, où la foi n’existe pas. Ce qui fait le prix de l’oeuvre, c’est l’intention, et l’intention doit être réglée par la foi. Ne vous arrêtez dont pas à l’acte que fait un homme, mais au but qu’il se propose, et qu’il veut atteindre en dirigeant son gouvernail avec force et adresse, Supposez qu’un pilote gouverne habilement son navire, mais ne sache plus où il va, de quoi lui servira de bien tenir le gouvernail, de le mouvoir avec adresse, de fendre les flots avec la rame, d’épargner quelque choc à ses flancs? Supposons même qu’il soit d’une habileté à tourner et à retourner son vaisseau à sa guise, et qu’on lui demande: Où vas-tu? et qu’il réponde: Je n’en sais rien, ou même que sans dire: Je n’en sais rien, il réponde: Je vais à tel port, et qu’il s’en aille sur les rochers; n’est-il pas évident que plus cet homme se croit habile et capable de diriger un vaisseau, plus ses manoeuvres sont dangereuses, et vont bâter le naufrage? Tel est l’homme qui précipite sa course en dehors de la bonne voie. N’eût-il pas été de beaucoup préférable, que ce pilote eût un peu moins de vigueur, un peu moins d’habileté à manier le gouvernail, et qu’il suivit exactement le bon chemin;que cet autre dirigeât son navire avec plus de lenteur et plus de peine, mais dans la bonne voie, au lieu de courir avec tant de vitesse en dehors de la route? Le plus heureux de tops est donc celui qui est dans le vrai chemin, et y marche sagement ; au second rang est l’espérance, qui chancelle tant soit peu, sans néanmoins s’arrêter, qui s’attarde parfois, mais qui avance peu à peu. Car on peut espérer que malgré ses lenteurs il touchera au but.

5. Donc, mes frères, Abraham fut justifié par la foi; mais cette foi, si elle n’a été précédée, a été suivie de bonnes oeuvres. Car ta foi doit-elle être stérile? Elle ne le sera point si tu ne l’es toi-même. Si tu mêles à ta foi quelque élément mauvais, c’est un feu qui consume la racine de la foi. Tiens donc ferme dans ta foi, si tu veux agir. Mais, diras-tu, tel n’est point le langage de saint Paul. Au contraire, voici ce que saint Paul enseigne: « C’est la foi », dit-il, « qui agit par la charité 1 ». Et ailleurs: « La plénitude de la loi, c’est la charité 2 ». Et ailleurs encore: « Toute la loi est renfermée dans une seule parole, ainsi formulée: Tu aimeras ton prochain  comme toi-même 3 ». Vois s’il ne veut dota part aucune oeuvre, celui qui a dit: « Tu ne

1. Gal. V, 6.— 2. Rom. XIII, 10.— 3.Gal. V, 4

commettras point l’adultère; tu ne tueras point, tu n’auras aucun mauvais désir, et tout autre précepte est résumé dans cette parole : Tu aimeras le prochain comme toi-même. L’amour du prochain n’opère pas le mal. L’amour est donc l’accomplissement de la loi 1 ». Est-ce que la charité te permet de nuire d’aucune sorte à celui que tu aimes? Mais peut-être, sans lui faire aucun mal, ne lui fais-tu aucun bien. La charité, je te le demande, peut-elle te permettre de ne pas faire tout le bien possible à celui que tu aimes? N’est-ce point cette charité qui prie même pour les ennemis? Pourrait-on, en cherchent le bien d’un ennemi, abandonner un ami? La foi donc sera sans oeuvres, si elle est sans charité. Mais afin de ne point surcharger ton esprit de ces oeuvres de foi, joins à la foi l’espérance et la charité, et mets-toi peu en peine des oeuvres. La charité ne saurait être oisive. Qu’est-ce en effet qui nous stimule même à faire le mal, sinon l’amour? Cherche-moi un amour stérile, un amour sans action. Les crimes, les adultères, les forfaits, les homicides, les débauches, tout cela n’est-il pas l’oeuvre de l’amour? Purifie donc ton amour ; amène dans ton jardin ce ruisseau qui va se perdre à l’égout; qu’il ait pour le Créateur du monde cette pente qu’il avait pour le monde lui-même. Vous a-t-on dit : N’aimez rien? Jamais. Ne rien aimer, c’est le propre des âmes lâches, sans vie, fades et misérables. Aimez donc, mais voyez ce qu’il faut aimer. On appelle charité l’amour de Dieu, l’amour du prochain. L’amour du monde, l’amour du siècle, se nomme passion. Réprimez la passion, exercez la charité. Car la charité même de celui qui fait le bien, lui donne l’espoir d’une conscience pure. La bonne conscience renferme en effet l’espérance ; et comme la mauvaise est tout à fait dans le désespoir, la bonne s’alimente d’espérance. Vous posséderez ainsi les trois vertus dont parle saint Paul: La foi, l’espérance et la charité 2 . Ailleurs encore, il nomme ces trois vertus, mais au lieu de l’espérance, il met la bonne conscience : « Telle est la fin des commandements », dit-il. Mais qu’est-ce que la fin d’un précepte? Ce qui lui donne sa perfection, et non ce qui l’abroge. Dire en effet: Je suis à la fin de mon pain, c’est autre chose que

 1. Rom. XII, 9, 10. — I Cor. XII, 13.

dire: Je suis à la fin de la robe que je tissais. La fin de mon pain, signifie qu’il n’en reste plus; la fin de ma robe, signifie qu’elle est achevée. Et néanmoins ce mot de fin se dit dans l’un et dans l’autre cas. L’Apôtre n’appelle donc pas fin de la loi, ce qui tendrait à la détruire, mais plutôt ce qui la perfectionne, ce qui est pour elle non point la consomption, mais la consommation. Donc la fin de la loi consiste en ces trois vertus: « La fin de la loi», dit-il, « consiste dans la charité qui émane d’un coeur pur, d’une bonne conscience, et d’une foi sans dissimulation». La bonne conscience rem place ici l’espérance, car celui-là espère, qui a la conscience pure. Mais l’homme rongé par une conscience coupable, répudie l’espérance et n’en a plus que pour la damnation. Afin donc d’espérer le ciel, qu’il ait une bonne conscience, et pour avoir une bonne conscience, qu’il croie et qu’il agisse. Ce qui fait qu’il croit, c’est la foi, et qu’il agit, c’est la charité. Saint Paul, dans un endroit, nomme donc en premier lieu la foi. « La foi, l’espérance, et la charité 1 »; ailleurs il commence par la charité : « La charité qui émane d’un coeur pur, de la bonne conscience, et de la foi sans dissimulation 2 ». Nous autres, nous commençons quelquefois par le milieu, par la conscience pure, ou l’espérance. Qu’il ait donc, je le répète, la conscience pure, celui qui veut avoir une sainte espérance; et pour avoir une bonne conscience, qu’il croie et qu’il agisse. Du milieu, nous allons au commencement et à la fin: Qu’il croie et qu’il agisse. Ce qui fait qu’il croit, c’est la foi; ce qui fait qu’il agit, c’est la charité.

6. Comment donc l’Apôtre a-t-il dit que l’homme est justifié sans les oeuvres, et par la foi, tandis qu’ailleurs il dit: « La foi qui agit par la charité 3? » N’opposons donc plus saint Jacques à saint Paul, mais bien saint Paul à lui-même, et disons-lui : D’une part, vous nous permettez de pécher impunément, par ces paroles: « Nous croyons que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres 4 ». Et d’autre part, vous nous dites que « la foi agit par la charité ». Comment se fait-il que, selon vous, je me crois en sûreté sans faire aucune bonne oeuvre, et selon vous encore, il me semble que je ne puis avoir ni la foi, ni l’espérance, si je n’agis par la charité? Car je 

1. II Cor. XIII, 13.— 2. I Tim. I, 5 — 3. Gal. V, 6.— 4. Rom. III, 28. 

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tiens vos paroles, ô grand Apôtre. Assurément votre dessein est de prêcher ici la foi sans les oeuvres: mais l’oeuvre de la foi est la charité: et la charité ne peut demeurer oisive: elle s’abstient du mal, elle fait tout le bien possible. Quelle est en effet l’oeuvre de la charité? « Fuis le mal, et opère le bien 1 ». Telle est donc la foi sans les oeuvres, que vous prêchez, quand vous dites ailleurs: « En vain j’aurais la foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai la charité, cela ne me sert de rien 2». Donc la foi n’est rien sans la charité, et si la charité, partout où elle existe, ne peut demeurer inactive, c’est la foi qui agit par la charité. Comment donc l’homme sera-t-il justifié par la foi sans les oeuvres? L’Apôtre nous répond: O homme, si je t’ai parlé de la sorte, c’est afin que tu ne présumes pas témérairement de tes oeuvres, et que tu n’attribues pas à leur mérite le don de la foi que tu as reçu. Loin de toi de compter sur tes oeuvres qui ont précédé la foi ; sache bien que la foi a trouvé en toi un pécheur; et si le don de cette foi t’a justifié, c’est qu’elle a trouvé en toi un impie à justifier. « A l’homme qui croit en celui qui justifie l’impie, la foi est imputée à justice 3 ». Mais pour l’impie, être justifié, c’est d’impie devenir juste; et s’il devient juste, d’impie qu’il était, quelles sont les oeuvres des impies? Que l’impie nous vante ses oeuvres, et nous dise: Je donne aux pauvres, je ne dérobe rien à personne, je ne désire point l’épouse d’autrui, je ne tue personne, je ne fais tort à qui que ce soit, je rends les dépôts que l’on m’a confiés même sans témoins : qu’il nous tienne ce langage, et je demande s’il est juste ou impie. Comment puis-je être impie, me dira-t-il, avec de telles oeuvres? Comme étaient ceux dont il est dit: « Ils ont servi la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans tous les siècles4 ». Comment serais-tu impie? Comment? si dans ces bonnes oeuvres, tu espères ce qu’il faut espérer en effet, mais non de celui en qui doit être notre espérance; ou si tu espères ce que tu ne dois pas espérer, même de celui qui doit nous donner la vie éternelle, n’est-ce pas. être impie? Tu es impie d’attendre la félicité temporelle pour prix de tes bonnes oeuvres. Telle n’est point la récompense de la foi. La foi est précieuse, tu l’estimes trop peu. Tu es donc impie, et 

1. Ps. XXXVI, 37.— 2. I Cor. XII, 2.— 3. Rom. IV, 5.— 4. Id. I, 25. 

tes oeuvres ne sont rien. En vain dans tes bonnes oeuvres, tu déploies de grandes forces, et tu parais gouverner habilement ton vaisseau, tu vas heurter un écueil. Qu’est-ce encore? si tu espères ce qu’il faut espérer en effet, c’est-à-dire la vie éternelle, mais que tu ne l’espères pas du Seigneur notre Dieu, par Jésus-Christ, de qui seul on peut l’obtenir, si tu crois que cette vie éternelle te viendra par la milice du ciel, par le soleil, par la lune, par les puissances de l’air, de la mer, des terres , des astres, tu es impie. Crois en Celui qui donne la justice à l’impie, afin que tes bonnes oeuvres aient la bonté réelle; puis. qu’on ne peut les appeler bonnes, que quand elles sortent d’une bonne racine. Comment cela? Ou tu attends, du Dieu éternel, la vie du temps, ou des démons la vie éternelle: dans l’un et l’autre cas tu es un impie. Corrige ta foi, redresse ta foi, et surtout redresse ta route :.et alors avec des pieds agiles, marche en toute sécurité, cours, tu es dans le bon chemin : plus sera prompte ta course, et plus sera heureuse ton arrivée. Mais peut-être chancelles-tu- quelque peu ; du moins n’abandonne pas la route: tu arriveras, quoique plus tard: loin de toi de t’arrêter, de retourner en arrière, de t’égarer.

7. Qu’est-ce donc, mes frères? Quels sont les hommes heureux? Ce ne sont point les hommes en qui Dieu ne trouve aucun péché; car il en trouve chez tous les hommes:

« Puisque tous ni péché, tous ont besoin de la « gloire de Dieu 2 ». Si donc on trouve des fautes chez tous les hommes, il ne reste d’heureux, que ceux dont les péchés sont pardonnés. C’est ce que nous insinue l’Apôtre en ces termes: « Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice 2 ». Mais la récompense que l’on donne à celui qui travaille, qui compte sur ses oeuvres, qui attribue à leur mérite la foi qui lui a été donnée, cette récompense ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette. Qu’est-ce à dire, sinon que notre récompense prend le nom de grâce? Si c’est une grâce, elle est donnée gratuitement. Qu’est-ce à dire qu’elle est donnée gratuitement? Qu’elle ne coûte rien. Tu n’as fait aucun bien, et tes péchés te sont remis. On cherche tes oeuvres, et l’on n’en trouve que de mauvaises. Si Dieu rendait à ces oeuvres selon leur valeur, il te damnerait: « Car la

1. Rom. III, 23. — 2. Id. IV, 3.

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mort est la solde du péché 1 » Que doit-on aux oeuvres mauvaises ? la damnation ; et aux bonnes oeuvres ? le ciel. Mais toi que l’on trouve dans les oeuvres mauvaises, pour te rendre ce qui t’est dû, il faudrait te punir. Qu’arrive-t-il donc? Sans t’infliger la peine que ta mérites, le Seigneur t’accorde la grâce que tu ne mérites point. Il te devait le châtiment, il t’accorde le pardon. Ainsi c’est parle pardon que tu commences à être dans la foi; et cette foi, s’unissant à l’espérance et à la charité, commence à faire le bien : et néanmoins, garde-toi de te glorifier, de t’élever en toi-même; souviens-toi de celui qui t’a mis dans le bon chemin; souviens-toi qu’avec des pieds forts et agiles tu n’en étais pas moins égaré : n’oublie jamais que, languissant, et laissé à demi mort sur la voie, tu as été mis sur le cheval du samaritain, pour être conduit à l’hôtellerie 2 . « La récompense que l’on donne à celui qui travaille»,dit saint Paul, « ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette3 ». Si donc tu ne veux aucune part à la grâce, fais valoir tes mérites. quant à Dieu, il voit ce qui est en toi, il sait ce qui est dû à chacun. « Pour l’homme qui ne fait aucune oeuvre4», poursuit saint Paul, prends donc un impie, un pécheur; celui-là ne fait aucune oeuvre. Que fait-il? « Mais qui croit en celui qui justifie l’impie». Dès lors qu’il ne fait aucune bonne oeuvre, il est un impie; et quand même il paraîtrait faire le bien, comme il est sans la foi, ses oeuvres ne peuvent s’appeler bonnes. « Mais il croit en celui qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice. C’est ainsi que David a chanté le bonheur de celui à qui le Seigneur impute la justice sans les œuvres 5». Mais quelle est cette justice? Celle de la foi que n’ont point précédée, mais que vont suivre les bonnes oeuvres.

8. Soyez donc attentifs , mes frères; car t’entendre mal, c’est vous exposer à tomber dans ce gouffre de l’impunité qu’on se promet en péchant : et moi, non plus que l’Apôtre, je ne suis point responsable de tous ceux qui peuvent mal interpréter mes paroles. Ceux qui le comprirent mal, agissaient à dessein; ils redoutaient les bonnes oeuvres qui devaient suivre. Ne faites point cause commune avec eux, mes frères. Un autre psaume a dit à propos d’un 

1. Rom. VI, 23.— 2. Luc, X, 30— 3. Rom. IV, 4.— 4. Ibid. 5.—  5. Ibid. 5,6.

tel homme, et ce seul homme renferme toute une catégorie: « Il n’a pas voulu comprendre, de peur de faire le bien 1 ». Il n’est pas dit: Il n’a pu comprendre. Pour vous, mes frères, ayez la volonté de comprendre, afin que vous fassiez le bien. L’intelligence ne vous manquera point, et même elle arrivera jusqu’à l’évidence. Qu’y a-t-il d’évident pour celui qui a compris? Que nul ne doit vanter les bonnes oeuvres qui ont précédé la foi, et après la foi n’en négliger aucune. Dieu fait donc miséricorde à tous les impies, et les sauve par la foi.

9. « Bienheureux ceux dont les fautes sont remises, et dont les péchés ont été couverts.   Bienheureux l’homme à qui Dieu n’a point imputé son crime, et dont la bouche ne distille point la fraude 2 ». Dès le commence-ment du psaume, nous en avons l’intelligence, et cette intelligence consiste à bien savoir que nous ne devons ni nous vanter de nos mérites, ni espérer témérairement l’impunité de nos fautes. Car voici le titre du psaume: « A David, intelligence ». C’est donc un psaume d’intelligence; et le premier effet de cette intelligence, c’est de te reconnaître pécheur. Le second effet, c’est de n’attribuer point à tes forces, mais à la grâce de Dieu, les bonnes oeuvres qui seront les premiers fruits de ta foi dans la charité 3. C’est ainsi qu’il n’y aura aucun déguisement dans ton coeur, c’est-à-dire dans la bouche de l’homme intérieur, et tu n’auras point des paroles pour les lèvres, et des paroles pour le coeur. Tu ne ressembleras point aux Pharisiens dont il est dit « Vous êtes comme des sépulcres blanchis; au dehors, vous avez pour les hommes des apparences de justice; au dedans, vous êtes pleins de déguisement et de ruses 4 ». Et en effet, le pécheur qui veut qu’on le regarde comme un juste, n’est-il pas un fourbe? Tel n’était pas Nathanaël dont le Sauveur a dit « Voilà un véritable Israélite, qui est sans déguisement 5 ». Mais pourquoi n’y avait-il aucun déguisement dans Nathanaël? « Quand tu étais sous le figuier je te voyais 6 ». Il était sous le figuier, c’est-à-dire sous la condition de la chair; et il était sous les conditions de la chair parce qu’il était dans l’impiété native. Il était sous ce figuier qui arrache au psalmiste ce gémissement : « Voilà que

1. Ps. XXXV, 3. — 2. Id. XXXI, 1,2. — 3. Galat. V, 6. — 4. Matt. XXIII, 27. — 5. Jean, I, 47. — 6. Ibid. 48.

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j’ai été conçu dans l’iniquité 1 ». Mais il le vit Celui qui vint avec la grâce. Que dis-je, il le vit? il en eut pitié. Le Sauveur donc relève cet homme sans artifice, pour nous relever le prix de la grâce qui est en lui. « Je te voyais, quand tu étais sous le figuier ». Je t’ai vu, qu’y a-t-il là de si grand, si l’on n’y découvre quelque mystère? Qu’y a-t-il de si grand en effet à voir un homme sous un arbre? Si le Christ n’avait vu le genre humain sous ce figuier, ou bien nous serions entièrement desséchés, ou bien, non plus que chez ces Pharisiens, qui étaient fourbes, c’est-à-dire dont les paroles étaient justes et dont les actes étaient pervers, on ne trouverait chez nous que des feuilles et non des fruits. Le Christ en effet maudit et fit sécher le figuier qu’il trouva en cet état. Je ne vois, dit-il, que des feuilles, ou plutôt des paroles et aucun fruit: « Qu’il se dessèche donc entièrement et ne porte pas même de feuilles ». Pourquoi des paroles encore? Un arbre sec n’a même plus aucune feuille. Tels étaient les Juifs; cet arbre était les Pharisiens, qui avaient des paroles et non point des actes; l’arrêt du Seigneur les condamne à se dessécher. Que le Seigneur nous aperçoive donc sous le figuier : tant que nous sommes en cette vie, qu’il voie en nous le fruit des bonnes oeuvres, afin que sa malédiction ne nous fasse point dessécher. Et comme tout nous vient de sa grâce et non point de nos mérites

« Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts ». Non ceux chez qui l’on trouve des péchés, mais ceux dont les péchés sont couverts, dont les fautes sont cachées, effacées, anises en oubli. Si Dieu a effacé leurs péchés, il ne veut plus les voir; s’il ne veut plus les voir, il ne veut point les punir; s’il ne veut point les punir, il ne veut point les connaître, mais plutôt fermer les yeux sur eux. « Bienheureux ceux dont les fautes sont remises, dont les péchés sont couverts ». Si le Prophète a dit que ces péchés sont couverts, gardez-vous de croire que ces péchés soient encore existants et vivants. Pourquoi dit-il qu’ils sont couverts? parce qu’ils ne sont plus visibles. Car, en Dieu, voir le péché, n’est-ce point le punir? Et afin de nous faire comprendre que, pour Dieu, voie le péché c’est le punir que, lui dit le Prophète? «Détournez vos yeux de mon péché 3 ». Qu’il

1. Ps. L, 7.— 2. Matt. XXI, 19.— 3. Ps. L, II.

 ne voie donc plus tes péchés, afin de te voir toi-même. Comment te verra-t-il? Comme il vit Nathanaël : « Je t’ai vu, quand tu étais sous le figuier 1 ». L’ombre du figuier n’est point impénétrable aux yeux de la divine miséricorde.

10. « Et dont la bouche ne recèle aucun déguisement 2 ». Mais ceux qui reculent devant l’aveu de leurs fautes, font d’inutiles efforts pour les cacher. Plus ils s’efforcent de se défendre du péché, en faisant valoir leurs mérites, et en s’aveuglant sur leurs iniquités, plus s’énerve leur force et leur courage. Celui-là est véritablement fort qui a mis sa force en Dieu et non point en lui-même. Aussi saint Paul disait-il: « Trois fois j’ai prié le Seigneur d’éloigner de moi (cet ange de Satan); et il m’a répondu: Ma grâce te suffit. Ma grâce», a-t-il dit, et non point ta force. « Ma grâce te suffit », dit-il, « car c’est dans la faiblesse que se perfectionne la force ». De là vient que l’Apôtre, à son tour, nous dit plus loin:

« Quand je suis faible, c’est alors que je deviens fort 3 ». Donc celui qui se prétend fort, qui se relève à ses yeux, qui vante ses mérites, quelque grands qu’ils puissent être, est semblable au pharisien, qui se vantait avec faste des dons qu’il reconnaissait avoir reçus de Dieu: « Je vous rends grâces 4 », dit-il, Voyez, mes frères, quel orgueil Dieu nous met sous les yeux : il est tel, qu’un homme juste pourrait y tomber, tel, qu’il peut se glisser chez l’homme dont on a la meilleure espérance. « Je vous rends grâces », disait-il. Donc en disant : « Je vous rends grâces n, il avouait qu’il avait reçu de Dieu ce qui était en luit « Qu’avez-vous, que vous n’ayez pas reçu 5?» Donc « je vous rends grâces», dit-il; « je vous rends grâces, de ce que je ne suis point comme les autres hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères, ni même comme ce publicain 6 ». En quoi consiste donc l’orgueil de cet homme? Non pas à rendre grâces à Dieu du bien qu’il trouve en lui, mais à abuser de ces mêmes biens pour se préférer aux autres.

11. Prenons bien garde à ceci, mes frères; car l’Evangéliste a soin de préciser à quel propos le Seigneur a fait cette parabole. Le Christ avait dit : « Pensez-vous que le Fils de l’homme, venant sur la terre, y trouvera de

1. Jean, I, 48. — 2. Ps. XXXI, 2.— 3. II Cor XII, 8-10, — 4. Luc, XVIII, LI.— 5. I Cor. IV, 7.— 6. Luc, XVIII, 11.

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la foi 1?» Et de peur qu’il ne se trouvât certains hérétiques, pour croire que l’univers dans sa totalité a perdu la foi (car les hérétiques forment tous des sectes, et sont confinés dans certaines localités), et pour se vanter d’avoir conservé ce qui a disparu du reste du monde, aussitôt que le Seigneur a dit: «Pensez-vous que le Fils de l’homme, revenant au monde, y trouvera de la foi? » l’Evangéliste ajoute : « S’adressant à quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes et en leur justice, et qui méprisaient les autres, il proposa cette parabole : Un pharisien et un publicain vinrent au temple pour y prier 2 »; et le reste que vous savez. Ce Pharisien disait donc: « Je vous rends grâces ». Mais où est son orgueil? Dans son mépris pour les autres. Quelle preuve en avez-vous? Dans ses paroles. Comment? Ce pharisien, est-il dit, méprisait le publicain, qui se tenait éloigné, et que son aveu rapprochait de Dieu. « Le publicain n, dit encore l’Evangile, se tenait éloigné 3 ». Mais Dieu n’était pas éloigné de lui. Et pourquoi Dieu n’était-il pas éloigné de lui? Parce qu’il est dit ailleurs : « Que le Seigneur est tout près de ceux qui ont le coeur brisé 4 ». Voyez si ce publicain n’avait pas le coeur brisé, et vous comprendrez que Dieu s’approche de ceux dont le coeur est contrit. « Le publicain se tenait éloigné, et n’osait lever des yeux vers le ciel, mais il frappait sa poitrine !  » Frapper sa poitrine, n’est-ce pas un signe que l’on a le coeur contrit? Que disait-il en frappant sa poitrine? « Mon Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur». Et quel fut l’arrêt du Sauveur? « En vérité, je vous le déclare, le publicain revint du temple en sa maison, plus justifié que le pharisien ». Pourquoi? Telle est la sentence du Seigneur. « Je ne suis point comme ce publicain, ni comme les autres hommes, qui sont injustes, voleurs et adultères: je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède», dit le pharisien; tandis que le publicain n’ose lever les yeux au ciel, qu’il n’a d’attention que pour sa conscience, qu’il se tient debout, et qu’il est plus justifié que le pharisien. Mais pourquoi? Expliquez-nous, Seigneur, je vous en supplie, expliquez-nous les mystères de votre justice, l’équité de votre sentence. C’est ce qu’il fait en nous

1. Luc, XVIII, 8. — 2. Ibid. 9 — 3. Ibid. 13. — 4. Ps. XXXI, 19, — 5. Luc, XVIII, 13. — 6.  Ibid. 14.

exposant les règles de sa loi. Voulez-vous les entendre? « C’est que tout homme qui s’élève sera abaissé, et que tout homme qui s’abaisse sera élevé (Luc, XVIII, 14 ) ! »

12. Redoublez, mes frères, votre attention, Nous avons dit que le publicain n’osait lever les yeux au ciel. Pourquoi ne pas regarder le ciel? parce qu’il se considérait lui-même. Et il se considérait afin de se prendre en horreur et par là de plaire à Dieu. Pour toi, tu as la tête levée dans ton orgueil. Mais le Seigneur dit au superbe : Tu ne veux point te considérer! Et moi-je te considère. Veux-tu que je te perde de vue? jette les yeux sur toi-même, Le publicain donc n’osait lever les yeux au ciel, parce qu’il considérait sa conscience et se châtiait lui-même, il devenait son propre juge, afin que Dieu le prît en pitié; il se châtiait, afin que Dieu le délivrât; il s’accusait, afin que Dieu fût son défenseur. Et il se défendit en effet, puisqu’il prononça eu sa faveur: « Le publicain descendit chez lui, plus juste que le pharisien, parce que tout homme qui s’élève sera abaissé, et tout homme qui s’abaisse sera élevé ». Il s’est considéré lui-même, dit le Seigneur, et je n’ai point voulu le considérer: j’ai entendu sa prière : « Détournez vos yeux de mes iniquités ». Quel est celui qui a parlé de la sorte, sinon celui qui a dit aussi: « Je connais l’étendue de mon iniquité ». Le pharisien donc, mes frères, était aussi un pécheur. Bien qu’il ait dit: « Je ne suis point comme les autres hommes qui sont injustes, voleurs « et adultères n; bien qu’il ait jeûné deux fois la semaine, qu’il ait payé la dîme, il n’en était pas moins un pécheur. A défaut de tout autre péché, son orgueil en était un très-grand; et toutefois il tenait ce langage fastueux. Car enfin quel homme est sans péché, et qui pourra se glorifier d’avoir un coeur pur, ou se vanter d’être exempt de toute faute? Le pharisien avait donc des péchés; mais dans son aveuglement, il oubliait qu’il était venu dans le temple; il était là comme ce malade qui, dans le cabinet du médecin, cache ses blessures, et n’étale que des membres en bon état. Que Dieu cache tes blessures; ne le fais point toi-même; si la honte que tu as te les fait cacher, le médecin ne les guérira point. Que le médecin les recouvre et les panse : car il les couvre d’un

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appareil salutaire. L’appareil du médecin guérit les blessures , l’appareil du blessé n’aboutit qu’à les dérober. Pourquoi les cacher à Celui qui voit tout?

13. Reportons-nous donc, mes frères, à ce que dit le Prophète: « Mes os ont vieilli, parce que je gardais le silence, et néanmoins je criais tout le jour ». Quel sens donner à ces paroles qui paraissent contradictoires « Parce que je me suis tu, mes os ont vieilli à cause de mes cris? » Si c’est parce qu’il a crié, comment a-t-il gardé le silence? Il s’est tu en certaines occasions, il ne s’est point tu en d’autres; il a tu ce qui l’aurait fait avancer dans le bien, il n’a point tu ce qui l’a fait déchoir; il a tu l’aveu de ses fautes, il a crié tout haut sa confiance en lui-même. « Je me suis tu »,dit-il, « et dès lors je n’ai fait aucun   aveu».C’était là pourtant qu’il fallait parler, taire ses mérites, crier ses péchés : et dans sa démence il a tu ses péchés, pour crier ses mérites. Alors qu’est-il arrivé? Ses os ont vieilli. Remarquons-le bien: s’il avait crié ses péchés et tu ses mérites, ses os se fussent renouvelés, ou plutôt ses vertus : il serait devenu fort devant le Seigneur, parce qu’il aurait compris sa faiblesse. Maintenant qu’il a mis sa force en lui-même, il est devenu faible et ses os ont vieilli. Il est demeuré dans la faiblesse du vieillard, parce qu’il n’a point voulu rajeunir par l’aveu. Vous savez en effet, mes frères, comment l’homme se renouvelle : car « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts ». Celui-ci au contraire, loin d’accepter la rémission de ses fautes, en a grossi le nombre, les a défendues, et a vanté ses mérites. Donc, parce qu’il s’est tu, en ne confessant point ses péchés, ses os ont vieilli, u Pendant que je criais durant « tout le jour n. Qu’est-ce à dire qu’il criait tout le jour? Qu’il persistait à défendre ses péchés. Et voyez néanmoins quel est cet homme, car il se connaît. Bientôt lui viendra l’intelligence; il n’apercevra que lui-même, et se prendra en pitié, car il se connaît. Bientôt vous l’entendrez, afin de vous guérir vous-mêmes.

14. « Bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’a point imputé son péché, et dont la bouche ne recèle point la fraude. Car  moi, je me suis tu et mes os ont vieilli, pendant que je criais tout le jour. Le jour et la nuit, en effet, votre main s’est appesantie sur moi 1. »Que signifie cette parole: « Votre main s’est appesantie sur moi ? » Il y a là, mes frères, un sens profond. Rappelez-vous le juste arrêt que Dieu a prononcé à l’égard de ces deux hommes, du pharisien et du publicain. Qu’est-il dit du pharisien? Qu’il est humilié; et du publicain? qu’il est élevé. Pourquoi l’un est-il abaissé? parce qu’il s’est élevé ; et l’autre élevé ? parce qu’il s’est abaissé. Mais Dieu, pour abaisser l’homme qui s’élève, appesantit sa main sur lui. Il refuse de s’humilier par l’aveu, et il est humilié sous le poids de la main de Dieu. Autant cette main est dure pour nous humilier, autant elle est caressante pour nous relever. Elle a de la force pour l’un, et de la force encore pour l’autre : elle se montre forte en nous humiliant, comme elle est forte en nous relevant.

15. « Le jour et la nuit, votre main s’est appesantie sur moi, je me suis retourné dans ma douleur dont l’aiguillon me déchirait 2». Le poids de votre main, l’humiliation qui m’accable m’ont amené à la conversion, dans mon chagrin: la misère me saisit, l’aiguillon me déchire, et ma conscience en est meurtrie. Que lui est-il arrivé sous l’aiguillon de ces épines? Il a ressenti sa douleur et reconnu sa faiblesse. Et lui qui n’avait point fait l’aveu de ses fautes, mais qui avait crié pour la défendre, au point d’émousser sa vertu, c’est-à-dire de hâter la vieillesse de ses os, qu’a-t-il fait sous la douleur de l’aiguillon? « J’ai connu avion péché». Donc il reconnaît ses fautes, et s’il les considère, Dieu en détourne les yeux. Ecoutez la suite et voyez s’il ne dit point: «J’ai « reconnu mon péché, et je n’ai point caché mon injustice 3 ». Je disais tout à l’heure: Ne couvre point tes fautes, et Dieu les couvrira lui-même. «Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, dont les péchés sont couverts ». Couvrir ses fautes, c’est se découvrir soi-même. Le psalmiste les découvre, afin de n’être pas découvert lui-même. « Je n’ai point couvert mon iniquité ». Qu’est-ce à dire: « Je n’ai point couvert ? » Jusque-là je me taisais : maintenant que fait-il? « J’ai dit», ce qui est contraire au silence. « J’ai dit», mais qu’as-tu dit? « Je confesserai contre moi mes prévarications au Seigneur, et vous m’avez remis l’impiété de mon âme 5 », « J’ai dit». Qu’as-tu dit? Il ne déclare pas encore, mais  

1. Ps. XXXI, 4.— 2. IbId. — 3. Id. 5.— 4. Ibid.

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il promet de déclarer ses fautes, et déjà Dieu les lui pardonne. Considérez bien, mes frères, cette grande miséricorde: le psalmiste dit seulement: «Je confesserai »; il ne dit point: J’ai déclaré mon péché, et vous, Seigneur, vous l’avez remis, mais simplement : « Je le déclarerai, et vous me l’avez pardonné». Dire en effet: « Je déclarerai », c’est dire par là même, que cette déclaration n’est pas encore sortie de sa bouche, mais faite seulement dans son coeur. Dire : « Je déclarerai», c’est déjà faire cette déclaration. Aussi « vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur ». Ma confession n’était pas encore sur mes lèvres ; j’avais dit seulement : « Je confesserai contre moi-même » ; et néanmoins le Seigneur a entendu ce cri de mon âme. Ma parole n’était pas encore dans ma bouche; que déjà l’oreille de Dieu était dans mon coeur. « Vous m’avez remis l’impiété de mon âme », parce que j’ai dit: « Je confesserai».

16. Mais cela était insuffisant, Le Prophète ne dit point Je confesserai mon injustice au Seigneur ; ce n’est pas sans raison qu’il ajoute: «Je confesserai contre moi » ; ce qui est important. Beaucoup en effet déclarent leurs injustices, mais les déclarent contre Dieu; et quand ils sont surpris dans l’iniquité, ils répondent: C’est Dieu qui l’a voulu. Qu’un homme en effet dise: Je n’ai point fait cela, ou, ce que vous me reprochez n’est pas une faute ; il n’accuse ni lui-même. ni Dieu. Qu’il dise au contraire: J’ai fait cela, c’est une faute, mais Dieu l’a voulu ainsi, en quoi suis-je coupable? alors c’est Dieu qu’il accuse. Mais, direz-vous, il n’est personne qui parle ainsi; qui oserait dire : C’est Dieu qui l’a voulu? D’abord il y en a beaucoup pour le dire; mais ceux qui ne le disent point formellement, que font-ils autre chose, en s’excusant ainsi : C’est le destin qui l’a voulu, c’est mon étoile qui en est cause ? Ils prennent un détour, mais pour arriver à Dieu. Par ces détours, ils veulent eu venir jusqu’à inculper Dieu, au lieu de prendre le chemin plus court de l’apaiser. Le destin m’a poussé, disent-ils. Qu’est-ce que le destin? Ma mauvaise étoile en est cause. Qu’est-ce que ces étoiles? Assurément celles que nous voyons à la voûte des cieux. Qui les a créées? Dieu ; qui les a placées ? Dieu encore. Ainsi, tu le vois, tu as voulu dire que c’est Dieu qui t’a poussé au péché. L’injuste c’est lui, le juste c’est toi; s’il n’avait ainsi disposé les choses, tu n’aurais point péché. Arrière toutes ces excuses du péché; souviens-toi de ces paroles du psaume:

« Ne laissez point aller mon coeur à ces paroles mensongères que l’on allègue pour excuser des péchés, parmi ces hommes qui commettent l’iniquité ». Toutefois ce sont des hommes importants, ceux qui atténuent ainsi leurs fautes ; ils sont importants ceux qui peuvent compter les étoiles, qui peuvent dire quand est-ce qu’un homme fera un acte coupable ou un acte de vertu, quand Mars commettra un homicide et, Vénus un adultère ; ce sont des hommes importants, des hommes savants, des hommes distingués dans le monde. Mais que nous dit le Psalmiste? « Ne laissez point aller mon coeur à ces paroles mensongères, avec les hommes criminels; je n’aurai point de part avec les plus habiles d’entre eux » . Que d’autres appellent savants et distingués ceux qui peuvent compter les étoiles; que l’on accorde la sagesse à ceux qui règlent comme sur les doigts les destinées des hommes qui lisent nos moeurs dans les étoiles ; pour moi, je sais que Dieu m’a doué du libre arbitre, que si j’ai péché, c’est bien moi qui ai péché; non-seulement je confesserai mon péché au Seigneur, mais je le confesserai contre moi, et non contre lui. « Pour moi, j’ai dit: Seigneur, ayez pitié de  moi », c’est le malade qui appelle un médecin. « Pour moi, j’ai dit ».A quoi bon mettre: « Moi j’ai dit », quand il suffisait de dire simplement: J’ai dit? Le moi est ici emphatique; c’est bien moi, ce n’est ni le destin, ni la fortune, ni le diable ; ce dernier ne m’a point forcé, mais moi j’ai consenti à ses instigations: « Pour moi, j’ai dit au Seigneur: Ayez pitié de  moi, guérissez mon âme , parce que j’ai péché contre vous 1 ». C’est aussi la résolution qu’il arrête ici : « J’ai dit : Je confesserai contre moi mon iniquité au Seigneur, et vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur ».

17. « C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera au temps favorable2 ». Quel est ce temps opportun? Et qu’est-ce à dire, pour cela? » A cause de leur impiété. Laquelle? Celle qu’a dû couvrir le pardon de leur péché. «C’est pour cela que tout homme  saint vous invoquera, parce que vous lui avez remis ses fautes ». Sans ce pardon des fautes

1. Ps. XL, 5.—  2. Id. XXXI, 6.

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il n’y aurait pas un saint pour vous invoquer. « C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera en temps opportun : ou quand vous manifesterez votre alliance nouvelle ; car la manifestation de la grâce du Christ, c’est là le temps opportun. «Quand les temps furent accomplis», dit saint Paul, « Dieu envoya son Fils, formé de la femme», c’est-à-dire d’une vierge que les anciens désignaient aussi sous le nom générique de femme, mulier, « assujettie à la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi ». De quelles mains les racheter? des mains du diable, de la perdition, du péché, des mains de celui auquel ils s’étaient vendus. « Afin de racheter ceux qui étaient sous la loi ». Ils étaient sous la loi, en ce sens que la loi les accablait. Et les accabler, c’était les convaincre de péché sans les sauver. Sans doute, elle défendait le mal; mais parce qu’ils n’avaient point la force de se justifier par eux-mêmes, il fallait crier vers Dieu, comme celui qui se sentait captif sous la loi du péché, et qui s’écriait: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort 2?» Tous les hommes étaient donc sous la loi, et non dans la loi qui pesait sur eux et les convainquait de péché. Car c’est la loi qui a montré le péché, elle qui en a enfoncé l’aiguillon, elle qui a meurtri notre coeur, elle qui a averti chacun de nous de se reconnaître coupable et d’implorer du Seigneur notre pardon. « C’est pour cela que tout homme saint doit crier vers vous, au temps favorable ». J’ai expliqué donc ce temps favorable par ce mot de saint Paul : « Quand les temps furent accomplis,   Dieu nous envoya son Fils 3 ». L’Apôtre dit encore: «Je vous ai exaucé au temps favorable, je vous ai secouru au jour du salut 4 ». Et comme le Prophète parlait ainsi de tous les chrétiens, l’Apôtre ajoute: « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant les jours du salut 5. C’est pour cela que tout homme saint doit vous invoquer au temps favorable ».

18. « Et toutefois au cataclysme des grandes eaux, ils ne s’approcheront point de lui 5 » . « De lui » , de qui? de Dieu. Le Prophète, parlant de Dieu, change souvent de personne ; ainsi : « Le salut vient du Seigneur, et votre bénédiction se répand

1. Gal. IV, 4, 5.— 2. Rom. VII, 23, 24.— 3. Galat. IV, 4.— 4. II Cor. VI, 2.— 5. Ibid — 6. Ps, XXXI, 6.

sur votre peuple », c’est-à-dire, c’est de vous, Seigneur, que vient le salut, et votre bénédiction se répand sur votre peuple. Mais comme il avait dit d’abord : « Le salut vient du Seigneur », non point en s’adressant au Seigneur, mais en parlant de lui; il se retourne du côté de Dieu pour lui dire: «Et votre bénédiction se répand sur votre peuple ». Il en est de même ici : nous entendons d’abord « vers vous, Seigneur », puis « de lui »,  mais ne croyons pas qu’il parle d’un autre que de Dieu: «C’est pour cela que tout homme saint vous invoquera au temps favorable : et toutefois au cataclysme des grandes eaux, ils ne s’approcheront point de lui 2 ». Qu’est-ce à dire, « dans le cataclysme des grandes eaux ? » c’est-à-dire, ceux qui nagent dans les flots sans digue des grandes eaux, n’approchent point du Seigneur. Qu’est. ce que le Prophète entend par ces grandes eaux? c’est la nombreuse variété des doctrines. La doctrine de Dieu est unique, les eaux n’en sont point-nombreuses, il n’y en a qu’une, soit l’eau du sacrement de baptême, soit l’eau de la doctrine du salut. C’est de la doctrine que le Saint-Esprit répand sur- nous, qu’il est dit : «Bois l’eau de tes vases et des sources de tes puits 3 ». Or, ce ne sont point les impies qui approchent de ces sources; mais ceux qui croient en celui qui justifie l’impie 4, et qui sont déjà justifiés, ceux-là s’en approchent. Les autres eaux si nombreuses, les autres doctrines multipliées n’aboutissent qu’à la corruption des âmes, ainsi que je le disais tout à l’heure, Une doctrine vous fait dire : C’est le destin qui m’a poussé; une autre : C’est le hasard, c’est la fortune qui m’a fait cela. Si le hasard gouverne les hommes, il n’y a plus de Providence pour gouverner le monde; voilà encore une de ces doctrines, une autre vient me dire: Il y a une race d’esprits de ténèbres contraires à Dieu, qui s’est révoltée contre lui, et qui fait pécher les hommes. Alors, dans ce débordement des grandes eaux, ils ne s’approcheront point de Dieu. Quelle est donc cette eau, cette eau vraie qui coule des plus profondes sources de la vérité la plus pure? Quelle est cette eau, mes frères, sinon l’eau qui nous apprend à bénir le Seigneur? Quelle est cette eau, sinon l’eau qui nous apprend à dire : « Il est bon de bénir Dieu 5?» Quelle est cette eau enfin,

1. Ps. III, 9. — 2. Ps. XXXI, 7. — 3. Prov. V, 15.— 4. Rom. IV,5.— 5. Ps. XCI, 2.

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sinon l’eau qui nous fait dire avec le Psalmiste : « Je l’ai dit: Je confesserai contre moi mon injustice au Seigneur » ; et encore: «Pour moi, j’ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous 1 ». Or, cette eau de la confession des péchés, cette eau qui apprend au coeur à s’humilier, cette eau de la vie et du salut, cette eau qui porte l’homme à se mépriser, à ne point trop présumer de lui-même, à ne rien s’attribuer dans son orgueil; cette eau donc de la pure doctrine, on ne la trouve dans aucun livre des païens, ni chez les Epicuriens, ni chez les Stoïciens, ni chez les Manichéens, ni chez les Platoniciens; et même partout où l’on rencontre d’excellents préceptes de morale et de conduite, on ne trouve pas pour cela cette humilité divine. L’humilité pour nous émane d’une autre source elle nous vient du Christ. Quelle autre leçon pouvait-il nous donner en s’humiliant lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort, et même jusqu’à la mort de la croix 2 ? Quel autre enseignement nous donnait-il en payant la dette qu’il n’avait pas contractée, afin de nous libérer de notre dette? Quel autre enseignement nous donnait-il en recevant le baptême, lui qui n’a commis aucun péché 3, en se faisant clouer à la croix, lui qui n’était point coupable? Que nous enseignait-il, sinon cette humilité ? Ce n’est pas sans raison qu’il adit: «Je suis la voie, la vérité et la vie 4 ». Telle est donc l’humilité, qu’elle nous rapproche de Dieu, parce que le Seigneur se tient près de ceux qui ont le coeur contrit 5 » Or, dans le débordement de ces grandes eaux qui s’élèvent contre Dieu, qui enseignent l’orgueil et l’impiété, nul ne saurait approcher de Dieu.

19. Mais toi qui es déjà justifié, es-tu encore au milieu de ces grandes eaux? Oui, mes frères, même quand nous confessons nos fautes, nous entendons le bruit des grandes eaux qui nous environnent de toutes parts. Nous ne sommes point dans le déluge même, et ce déluge néanmoins nous environne. Les eaux nous serrent de près, mais sans nous accabler ; elles nous agitent, mais sans nous submerger. Que feras-tu donc, ô mon frère, toi qui es au milieu du déluge, et qui vis dans ce monde pervers? Se peut-il que tu n’y

1. Ps. XI., 5. — 2.  Phil. II, 8 — 3. Matt. III, 13. — 4. Jean , XIV, 6. — 5. Ps. XXIII, 19.

entendes point ces docteurs, que leurs doctrines d’orgueil n’arrive pas à tes oreilles, et que chaque jour leurs maximes ne mettent point ton coeur à la torture? Que dira donc au milieu de ce déluge le chrétien déjà justifié et qui se confie en Dieu? « Seigneur, vous êtes mon refuge, dans la persécution qui m’environne 1 ». Que les autres cherchent un abri chez leurs idoles, ou chez heurs démons, ou dans leurs forces, ou dans la défense de leurs péchés: pour moi, dans ce déluge, il n’y a que vous, Seigneur, qui puissiez me mettre à l’abri de la persécution qui m’environne.

20. «Délivrez-moi, ô vous qui êtes ma joie 2 ». Pourquoi vouloir qu’on te rachète, si tu es dans la joie? « Rachetez-moi, ô vous qui êtes ma joie ». J’entends à la fois, et le cri de l’allégresse: « Vous êtes ma joie», et la voix du gémissement : « Rachetez-moi ». Tu tressailles et tu gémis. C’est vrai, me répond le Prophète, je tressaille et je gémis : je tressaille dans l’espérance, je gémis encore dans la réalité. « Rachetez-moi, ô vous qui êtes ma joie ». Réjouissez-vous dans l’espérance, nous dit l’Apôtre; ce qui rend bien cette parole : « O vous qui êtes ma joie ». Mais pourquoi : « Délivrez-moi? » Saint Paul nous le dit ensuite : « Soyez patients dans la tribulation 3 ». L’Apôtre lui-même était déjà justifié, et que dit-il néanmoins? « Nous-mêmes aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement». Pourquoi donc, « rachetez-moi? C’est que nous-mêmes nous gémissons dans l’attente de  l’adoption, qui sera la délivrance de nos corps4 ». Ainsi « rachetez-moi » signifie que nous gémissons en nous-mêmes, attendant que nos corps soient rachetés. Pourquoi cette expression : « Vous êtes ma joie? » L’Apôtre l’explique peu après en disant: « C’est par l’espérance que nous sommes sauvés; mais l’espérance qui verrait ne serait plus une espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience ». Espérer, c’est jouir; attendre avec patience, c’est gémir encore : car on n’a que faire de patience, quand on ne souffre point. Ce que l’on appelle tolérance, patience, souffrance, longanimité, tout cela ne se dit que des peines que l’on endure. Si vous êtes

1. Ps. XXXI, 7. — 2. Ibid. — 3. Rom. XII, 12. — 4. Id. VIII, 23—25.

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accablé, vous êtes dans l’angoisse. Donc si nous attendons par la patience, nous disons encore: Rachetez-moi de l’affliction qui m’environne; mais comme l’espérance nous sauvera, nous disons l’un et l’autre « Délivrez-moi, ô vous qui êtes ma joie».

21. Voici la réponse : « Je te donnerai l’intelligence ». Le psaume lui-même est un psaume d’intelligence. « Je te donnerai l’intelligence et t’affermirai dans la voie où tu auras marché 1 ». Qu’est-ce à dire : « Je t’affermirai dans la voie où tu auras marché 2 ? » Non plus afin que tu y demeures , mais afin que tu ne t’en écartes pas. Je te donnerai l’intelligence, afin que tu te comprennes toujours, que tu tressailles toujours dans l’espérance en Dieu : jusqu’à ce qu’enfin tu arrives dans la patrie, où il n’y a plus d’espérance, mais où tout sera réalité.« J’affermirai mon regard sur vous ». Je ne détournerai point de vous les yeux, parce que jamais vous ne les détournerez de moi.

            Bien que tu sois justifié et après la rémission de tes fautes, lève les yeux vers ton Dieu. Sur la terre, ton coeur s’en allait en pourriture. Ce n’est pas sans raison que l’on te crie: Elève ton coeur en haut, de peur qu’il ne se corrompe. Toi donc aussi lève les yeux en haut; tiens-les fixés sur le Seigneur, afin qu’il arrête ses regards sur toi. Mais pourquoi redouter qu’en élevant tes yeux en haut, tu ne voies pas devant toi, et que ton pied ne tombe dans quelque piége? Sois sans crainte, là aussi sont arrêtés ces regards de Dieu qu’il tenait fixés sur toi. « Soyez », nous dit le Seigneur, « soyez sans sollicitudes ». L’apôtre saint Pierre a dit : « Rejetez dans le sein de Dieu toute votre sollicitude, parce que lui-même prend soin de vous 3 » . Donc « mes yeux seront fixés sur toi ». Quant à toi, fixe à ton tour tes regards sur le Seigneur, et tu ne craindras pas, ai-je dit, de tomber dans le piége. Ecoute ce mot du psalmiste : « Mes yeux seront toujours fixés en Dieu ». Et comme si on lui disait: Que deviendront tes pieds, si tu ne regardes point à ta marche? il répond : « Ce sera lui qui dégagera mes pieds des embûches 4. » J’affermirai donc sur toi  « mes regards 5 ».

22. Ainsi Dieu a promis le secours et l’intelligence au prophète qui se tourne alors vers 

1. Ps. XXXI, 8. — 2. Mat. VI, 31. — 3. I Pierre, V, 7. —  4. Ps. XXIV, 15.

les orgueilleux qui défendent leurs péchés: « Gardez-vous », leur dit-il, « de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’intelligence 1 ». Le cheval et le mulet marchent la tête levée; ils ne ressemblent point à ce boeuf qui connaît son maître, et à l’âne qui connaît l’étable de celui qu’il sert 2. « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’intelligence ». Qu’arrive-t-il pour eux? « C’est par la bride et par le mors que vous assujettirez les mâchoires de ceux qui ne s’approchent point de vous 3 ». Veux-tu être cheval ou mulet? Veux-tu ne souffrir aucun cavalier? Ta bouche et tes mâchoires seront assujetties par la bride et le mors : on assujettira cette bouche qui relève tes mérites et garde le secret de  tes fautes. « Maîtrisez donc les mâchoires de ceux qui ne s’approchent point de vous » par humilité.

23. « Ils sont nombreux, les châtiments des pécheurs 4 ». Il n’est pas étonnant que le fouet vienne après le mors. li voulait être un animal indomptable, et on l’assouplit avec le mors et le fouet: et plaise à Dieu qu’on l’assouplisse! Car il est à craindre que par son opiniâtreté; il ne mérite de rester indompté, et de s’en aller sauvage et vagabond, où le portera sa fougue, en sorte que l’on dise de lui comme de ceux dont les péchés demeurent impunis ici-bas, que «leur iniquité vient de leur abondance 5 ». Que le fouet donc serve à le corriger et à le dompter, comme l’interlocuteur avoue qu’il a été lui-même dompté. Il se comparaît au cheval et au mulet à cause de son silence : mais qu’est-ce qui l’a dompté? le fouet du châtiment. «Je me suis converti », dit-il, « dans ma douleur et déchiré par l’aiguillon ». Soit donc parle fouet, soit par l’aiguillon, Dieu assouplit le cheval qu’il monte, et c’est l’avantage du cheval d’avoir un tel cavalier. Et si le Seigneur monte à cheval, ce n’est point qu’il soit fatigué de marcher à pied. Car ce n’est pas sans quelque mystère que l’on amena autrefois linon au Sauveur 6. Le peuple qui porte Jésus-Christ avec la bonne volonté de la douceur et de la paix, est figuré par cet ânon, et il se dirige vers Jérusalem. « Car Dieu dirige les hommes doux dans l’équité », comme le dit un-autre psaume, « il enseignera ses voies aux hommes pacifiques 7 ». Quels sont ces

1. Ps. XXXI, 9.— 2. Isa. I, 3.— 3. Ps. XXXI, 9.— 4.   Id. 10. —  5. Id. LXXI, 7.— 6. Matt. XXI, 7.— 7. Ps. XXIV, 9.

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hommes doux? ceux qui ne relèvent point arrogamment la tête contre leur maître, qui endurent le fouet et le frein; qui deviennent si souples qu’ils marchent sans le fouet, et que sans frein et sans bride ils suivent le bon chemin. Si tu n’as le Seigneur pour cavalier, c’est toi qui tomberas et non lui. « Ils sont nombreux les châtiments du pécheur; mais celui qui espère dans le Seigneur, sera environné par sa miséricorde ». Quel refuge pourrons-nous trouver dans le malheur? Celui qui est d’abord dans l’affliction trouvera ensuite la miséricorde; car cette miséricorde nous viendra de celui qui nous a donné la loi 1 ; la loi comme un châtiment, là miséricorde comme une consolation. « Celui qui espère dans le Seigneur trouvera ensuite la miséricorde ».

24. Quelle est donc la conclusion du psaume? « Réjouissez-vous dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes, et tressaillez de joie 2 ». Et vous, impies, qui vous réjouissez en vous-mêmes, vous, orgueilleux, qui n’avez de joie qu’en vous : maintenant que vous croyez en celui qui justifie l’impie, que votre foi vous sait imputée à justice 3. « Réjouissez-vous dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes, et tressaillez de joie » dans le Seigneur encore. Pourquoi cette joie? parce que déjà vous êtes justes; et d’où vous vient la justice? non pas de vos mérites, mais de la grâce de Dieu. Pourquoi êtes-vous justes? parce que vous avez été justifiés.

25. « Glorifiez-vous, ô vous qui avez le coeur droit 4 ». Comment votre coeur est-il droit? C’est que vous ne résistez point à Dieu. Que votre charité redouble d’attention, et cous-prenez ce qu’est un coeur droit. Je le dis en peu de mots, mais qu’il faut bien retenir. Je bénis Dieu que ce soit en finissant, afin que cela demeure mieux gravé dans votre mémoire. Voici donc la différence qui existe entre le coeur droit et le coeur pervers. Qu’un homme qui se trouve; sans le vouloir, dans les afflictions, dans les chagrins, dans les fatigues, dans les humiliations, ne voie eu tout cela que la juste volonté de Dieu, sans l’accuser de folie, comme s’il agissait en aveugle, en frappant celui-ci pour épargner celui-là, cet homme a le coeur droit : ceux-là au contraire ont le coeur mauvais,

1. Ps. LIXXIIl, 8.—  2. Id. XXXI, 11. — 3. Rom. IV, 5.— 4. Ps. XXXI, 11.

le coeur dépravé, le coeur perverti, qui taxent toujours d’injustice les tourments qu’ils endurent, et qui attribuent cette injustice à celui qui les permet; ou bien qui lui enlèvent le gouvernement du monde, parce qu’ils l’incriminent. Dieu ne peut rien faire d’injuste, nous disent-ils; or, il est injuste que la douleur soit pour moi et non pour cet autre: que je sois pécheur, je l’accorde; mais il en est de plus coupables que moi, qui sont dans l’allégresse, et moi dans la douleur: comme donc il est injuste que de plus méchants que moi soient dans la joie quand je gémis dans la peine, moi qui suis juste, ou moins pécheur que ceux-là; comme il y a là une injustice, j’en ai la conviction, et que j’ai aussi cette conviction que Dieu ne saurait faire le mal, j’en conclus que Dieu ne dirige point les choses du monde, et ne prend de nous aucun souci. Donc, l’égarement de ces hommes au coeur méchant et perverti, peut se réduire à trois points : ou qu’il n’y a pas de Dieu: « L’insensé dit dans son cœur : Dieu n’est pas 1». C’est là une des eaux de ce déluge dont nous avons parlé. Il s’est trouvé des philosophes pour soutenir cette doctrine, et pour dire que ce n’est point un Dieu qui gouverne et qui a créé toutes choses, mais qu’il y a plusieurs dieux s’occupant d’eux-mêmes en dehors du monde, et n’ayant aucun soin de cet univers. Donc, ou bien il n’y « a pas de Dieu », et c’est le langage de l’impie, qui désapprouve tout ce qui lui arrive en dehors de sa volonté, sans arriver à tel autre auquel il se préfère; ou bien: Dieu est injuste, puisqu’il commet et approuve tout cela

ou bien: Dieu ne gouverne point les choses d’ici-bas, et n’a pas soin de nous tous. Il y a dans chacun de ces trois points une grande impiété, puisque c’est nier Dieu, ou l’accuser d’injustice, ou lui enlever la direction des événements. D’où vient cette impiété? de la dépravation du coeur. Dieu est la rectitude même , et un coeur qui n’est point droit ne s’accorde point avec lui. C’est ce que le psalmiste a dit ailleurs: « Combien est bon le Dieu d’Israël, pour ceux qui ont le coeur droit 2 ». Et parce qu’il touchait lui-même à l’un de ces points, et se demandait: « Comment Dieu sait-il ces choses, et comment le Très-Haut en a-t-il connaissance 3 »; aussi a-t-il dit au même endroit : « Peu s’en est fallu 

1. Ps. XIII, 1.—  2. Id. LXXII, 1.— 3. Id. 11. 

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que mes pieds ne fussent ébranlés 1 ». De même qu’en posant un bois tortueux sur une surface plane, vous ne pouvez le ranger, ni le consolider, ni le faire joindre : mais il est toujours branlant et sans solidité; non point que la surface soit inégale, mais parce que le bois que vous y voulez appliquer est tortueux; de même votre coeur, s’il est dépravé, s’il est tortueux, ne peut s’unir à Dieu qui est la rectitude même; il ne peut s’unir à Dieu par une véritable adhésion, ainsi qu’il est dit: « Celui qui adhère au Seigneur, devient un même esprit avec lui 2 » . Donc, « glorifiez-vous, ô vous qui avez le coeur droit », dit le Prophète. Comment peuvent se glorifier ceux qui ont le coeur droit? Ecoutez de quelle manière ils se glorifieront : « Non-seulement, dit l’Apôtre, nous nous glorifions dans l’espérance, mais nous nous glorifions dans nos afflictions 3 ». Tressaillir dans les biens et dans les délices, c’est chose facile ; mais l’homme au coeur droit tressaille même dans la tribulation. Or, vois ce qu’est sa joie, quand on l’afflige, car ce n’est pas en vain, ce n’est pas sans raisons qu’il tressaille, Vois l’homme au coeur droit: « Nous savons n, dit saint Paul, que la tribulation produit la patience, la patience la pureté, et la pureté l’espérance; or, cette espérance n’est point vaine, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 4 ».

26. C’est là, mes frères, la droiture du coeur. Quel que soit l’homme à qui il arrive quelque chose, qu’il s’écrie: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté » .Telle est la droiture du coeur: « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait: que le nom du Seigneur soit béni 5 ». Quel est celui qui a ôté? Qu’a-t-il ôté? A qui a-t-il ôté? Quand l’a-t-il ôté? Que le nom du Seigneur soit béni. Il ne dit point: Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté. Que votre charité le remarque bien, afin de ne dire jamais: C’est le diable qui m’a fait cela. C’est à Dieu qu’il faut rapporter le châtiment que tu subis, car le diable n’a aucun pouvoir sur toi, que par la permission de Celui qui use de son souverain pouvoir, ou pour châtier ou pour corriger; pour châtier l’impie, pour corriger ses enfants. « Le Seigneur happe celui qu’il reçoit au nombre de ses 

1. Ps. LXXII, 2.— 2. I Cor. VI, 17. — 3. Rom. V, 3   — 4. Id. 3, 4, 5. —  5. Job, I, 21. 

enfants 1 ». Ne prétends donc point échapper au fouet, à moins que tu ne veuilles renoncer à l’héritage, Le Seigneur châtie tout enfant qu’il adopte. Est-ce tous, sans exception? Où donc te cacher? C’est tout enfant; il n’a point d’exception; nul n’est adopté sans passer par le fouet. Comment? pas un seul? Veux-tu comprendre qu’il n’y en aura pas un seul ? Son Fils unique était sans péché, il n’a pas été admis sans châtiment. C’est pourquoi son Fils unique, chargé de tes infirmités, se personnifiant avec toi, comme le chef, qui représente le corps, aux approches de la passion, fut saisi de tristesse 2, afin de te procurer la joie ; il fut plongé dans l’affliction, pour te consoler, et pouvoir, dans sa divinité, affronter les souffrances sans aucune tristesse. Le général ne pouvait-il pas ce qu’a pu le soldat? Et comment le soldat l’a-t-il pu? Ecoute Paul qui tressaille quand la passion approche. «Pour moi »,dit-il, « je vais être immolé, et le temps de ma mort approche. J’ai bien combattu; j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi: il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice qui m’est réservée, et que le  Seigneur, comme un juste juge, m’accordera dans ce grand jour, non seulement à moi, mais encore à tous ceux qui désirent son avènement 3». Voyez comme il tressaille quand il va souffrir. Il tressaille donc celui qui va recevoir la couronne, et celui qui va la donner est dans la tristesse. Que figurait donc le Fils de Dieu, sinon l’infirmité de quelques-uns qui s’attristent en face de la douleur ou de la mort? Mais voyez encore, comme il les amène à la droiture du coeur. Tu voulais vivre, et te mettre à l’abri de tout accident; mais Dieu en a décidé autrement: voilà deux volontés ; que la tien ne se conforme donc à celle de Dieu, et non pas que celle de Dieu s’assouplisse à ta tienne; car la tienne est dépravée, celle de Dieu est la règle même: que la règle subsiste, afin qu’elle serve à redresser tout ce qui est tortueux, Voyez comme cet enseignement est bien celui de Jésus-Christ. « Mon âme»,dit-il, « est triste jusqu’à la mort » ; puis: « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». C’est là que perce la volonté humaine. Mais écoutez le coeur droit: « Et pourtant, non comme je veux, mais comme vous voulez, ô mon Père ». C’est là ton modèle, 

1. Héb. XII, 6. — 2. Matt. XXVI, 38. — 3. II Tim. IV, 6-8. — 4. Matt. XXVI. 38, 39. 

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dans la joie de tout ce qui peut t’arriver: et même réjouis-toi, si ta dernière heure vient à sonner. Et si tu ressens -quelque faiblesse qui appartienne à l’humaine volonté, dirige la du côté de Dieu, afin que tu fasses nombre avec ceux à qui il est dit: « Glorifiez-vous, ô vous dont le coeur est droit».

 

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