PSAUME CXLIV
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXLIV.

SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ A UTIQUE, DANS LA BASILIQUE DE LA MASSE-BLANCHE 1.

L’ŒUVRE DE LA RÉGÉNÉRATION.

 

Dieu s’est loué pour nous apprendre à le louer. Ce David à qui s’adressent les louanges du psaume est le Christ issu du peuple juif d’où sont venus les Apôtres, et fils de David. — Bénissons Dieu toujours, dans la prospérité comme dans le malheur; mais nulle prospérité n’est comparable à celle de posséder Dieu, que nul ne saurait nous ravir, que le malheur n’enleva point à Job. Croyons dès lors qu’il agit toujours avec miséricorde ; louons sans fin sa grandeur sans borne. Ainsi font cens qui ne passent par la mort que pour arriver à la terre des vivants. Bénissons-le dans ses oeuvres, surtout dans celles qui nous connaissons. Toute génération le bénira. Elles annonceront la puissance de Dieu, en laquelle se résument toutes ses oeuvres ; et tout ce que l’on peut louer vient de celui qui a tout fait, qui gouverne tout. Louer les oeuvres de Dieu, cet nous louer nous-mêmes, et nous louer sans orgueil. Ces oeuvres sont pour nous des degrés pour nous élever jusqu’à lai; ses faveurs sont accompagnées de menaces afin de nous encourager et de nous contenir. Ils raconteront ce mémorial du Seigneur qui n’a point oublié l’homme, quand l’homme l’oubliait. Ils tressailliront dans cette justice de Dieu qui nous refaits par sa grâce, et sans que nous ayons rien mérité par aucune oeuvre, puisque toute bonne oeuvre vient de lui. Il est miséricordieux envers les pécheurs, qu’il encourage contre le désespoir, qu’il détourne d’une folle espérance. Sa bonté s’étend sur toutes ses oeuvres, puisqu’il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et néanmoins il donne, c’est-à-dire qu’il est sévère pour nos oeuvres, et nous force à retrancher les mauvaises, ou les retranche lui-même.

Les créatures intelligentes loueront le Seigneur, puisqu’elles révèlent sa grandeur, sa puissance ; elles le loueront sans voix, car on ne saurait en considérer la beauté sans louer Dieu.

Les saints feront connaître la beauté de Dieu, beauté supérieure à toutes les beautés visibles, et que nous découvre la foi; sa fidélité dans ses promesses, dont plusieurs qui sont accomplies nous font croire au reste ; sa bonté à soutenir cens qui tombent, c’est-à-dire ou ceux qui se séparent du mal, ou ceux qui tombent de leur prospérité comme Job ; sa miséricorde qui donne en temps opportun, mais non tout ce que nous demandons, et quand nous le demandons. Souvent il diffère, ou nous accorde ce que nous ne demandons point, mais ce qui nous convient le mieux. Qu’il frappe ou qu’il guérisse il est toujours juste ; il est proche de ceux qui l’invoquent, mais en vérité, c’est-à-dire qui méprisent le reste pour ne désirer que lui-même, qui ne l’en aiment pas moins quand ii nous ôte les biens terrestres. Il fera la volonté de ceux qui le craignent en leur accordant le salut, en perdant les pécheurs obstinés et murmurateurs.

 

 

1. Mon désir était de louer le Seigneur avec vous; et puisqu’il a daigné m’accorder cette faveur, je veux mettre une certaine règle dans nos louanges en son honneur,afin de n’offenser par aucun excès celui que nous voulons louer; nous ferons donc mieux de chercher dans l’Ecriture un moyen plus assuré de le bénir, de peur de nous écarter un peu à droite ou à gauche. J’ose bien le dire à votre charité, mes frères: afin que Dieu pût être loué par l’homme, Dieu s’est loué lui-même; et parce qu’il a daigné se louer lui-même, l’homme a trouvé moyen de le faire à son tour. On ne saurait, en effet, dire à Dieu ce que l’on dit à l’homme : « Que votre bouche ne se loue point  2». Se louer, de la part de l’homme c’est arrogance, de la part de Dieu c’est miséricorde. Il nous est bon d’aimer celui que nous louons, et aimer le bien c’est devenir meilleur. Le Seigneur donc, parce qu’il nous est avantageux de l’aimer, nous montre en se louant combien il est aimable, et se montrer aimable, c’est subvenir à notre faiblesse. Il engage donc notre coeur à le louer, et c’est pour être loué par ses serviteurs qu’il les a rem plis de son esprit ; et comme c’est son esprit qui le loue dans ses serviteurs, n’est-ce

 

1. Voir ci-dessus, Ps. XLIX, XLIX, n° 9. — 2. Prov. XXVII, 2.

 

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pas lui-même qui chante ses propres louanges? Voici donc de quelle manière commence notre psaume. « Je vous chanterai, ô mon Dieu, ô mon Roi; je bénirai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles ». Vous le voyez: le commencement est une louange, et cette

louange se continue jusqu’à la fin du psaume. Enfin le titre du psaume est: « Louange à David lui-même ». Or, comme on appelle David, celui qui est venu dans la race de David 1, qui est notre roi, qui nous conduit èt nous introduit dans son royaume, louange à David signifie : « louange au Christ lui-même » qui s’appelle David selon la chair, parce qu’il est fils de David; mais comme Dieu il est le créateur de David, et le Seigneur de David. C’est par là que saint Paul, faisant l’éloge du premier peuple de Dieu, d’où sont venus les Apôtres qui ont cru en Jésus-Christ, et tant d’églises primitives qui ont réalisé dans tant de milliers d’hommes ce que vous venez d’entendre dans l’Evangile à propos de ce riche qui s’en alla tout chagrin; puisqu’ils vendaient leurs biens et en distribuaient le prix aux pauvres, cherchant ainsi la perfection dans le Seigneur; pour relever donc la gloire du premier peuple, l’Apôtre parlait ainsi : « Ils ont pour pères les Patriarches, et c’est d’eux qu’est venu le Christ, qui est par-dessus tout le Dieu béni dans tous les siècles 2 ». C’est donc parce que le Christ est né d’eux selon la chair qu’il est appelé David; mais comme il est aussi par excellence le Dieu béni dans tous les siècles, voilà que « je vous louerai, ô mon Dieu, ô mon Roi; je bénirai votre nom », dit le Prophète, « et dans le siècle, et dans les siècles des siècles». Dans le « siècle », signifie peut-être dans le temps, et dans le siècle des siècles, signifie « l’éternité ». Commence donc à louer Dieu dès maintenant, si tu dois le louer dans tous les siècles. Quiconque ne veut point le louer dans ce siècle qui passe, demeurera silencieux dans le siècle à venir. Il est ce qu’il semble nous dire dans les versets suivants.

3. De peur, en effet, que l’on ne comprît autrement cette parole : « Je louerai votre  nom dans le siècle », et qu’on ne l’entendît d’un autre siècle : « Je vous bénirai chaque  jour », dit le Prophète. Loue donc le

 

1. Rom. I, 3 — 2. Id. IX, 5. — 3. Ps. CXLIV, 2.

 

Seigneur ton Dieu, et bénis le chaque jour, et quand chacun de tes jours sera écoulé, quand sera venu le jour sans fin, passe de la louange à la louange, comme on va de vertus en vertus 1. « Chaque jour », dit-il, « je vous bénirai »; il n’y aura pas un jour que je ne vous bénisse. Louer Dieu dans vos jours de félicité n’a rien de bien admirable. Mais qu’il arrive des jours tristes, comme c’est l’ordinaire dans les vicissi tudes humaines, dans ces scandales sans nombre, dans ces épreuves si multipliées, qu’il arrive quelque chose de fâcheux, cesseras-tu de bénir Dieu? Cesseras-tu de bénir ton Créateur? Si tu cesses, tu ne saurais dire sans mensonge: « Je vous bénirai chaque jour, ô mon Dieu ». Si tu ne dois point cesser, quelque chagrin qui puisse t’arriver, tu trouveras alors ton bonheur en Dieu. Car au plus fort de ton malheur, tu pourrais être heureux; quel que soit en effet le malheur qui t’afflige, il se trouvera aussi un bien qui te réjouira. Or, quel plus grand bien que ton Dieu dont il estdit: « Nul n’est bon que Dieu seul 2 ». Vois, en effet, et comprends à propos de ce bien suprême, combien on peut le louer sûrement, combien il est stable. Qu’il t’arrive en effet quelque bien qui te réjouisse, cela dure un jour, mais le lendemain ce bien qui faisait ta joie est passé. Je suis heureux, dis-tu, voilà une bonne journée; tu as réalisé quelque profit, tu as été invité ou tu as assisté à quelque festin qui a duré longtemps : un long festin fait ton bonheur, et un autre te plaint de n’en pas rougir. Mais enfin, quel que puisse être ce bien qui fait ta joie, c’est un bien qui passe. Si, au contraire, tu mets en Dieu ta joie, tu entendras l’Ecriture qui te dit « Que Dieu soit tes délices 3 ».Ta joie sera d’autant plus solide que celui qui fait ta joie est immuable. Mets ta joie dans l’argent, tu crains le voleur; mais que. Dieu soit ton bonheur, qu’as-tu à craindre? Que Dieu ne te soit enlevé? Nul ne saurait te l’enlever, si tu ne l’abandonnes le premier. Dieu, en effet, n’est point comme cette lumière qui luit dans le ciel. Nous n’en approchons pas quand nous voulons, parce qu’elle rie luit point partout. Notre infirmité nous fait quelquefois goûter un certain plaisir à être en pleine lumière; tandis que maintenant, pendant l’été, vous nous voyez chercher quelque place où il y ait moins de soleil. Mais

 

1. Ps. LXXXIII, 8. — 2. Luc, XVIII, 19. — 3. Ps. XXXIV, 4.

 

si tu t’affermis en Dieu,si tu trouves quelque bonheur dans la lumière de la vérité, tu ne chercheras pas un lieu pour t’approcher de lui; c’est ta conscience qui s’en approche, et la conscience qui s’en éloigne. Ce qu’a dit le Prophète : « Approchez, et soyez éclairés 1 », s’entend de l’esprit, et non de quelque véhicule; des affections, et non de nos pieds. Affermi en lui, tu ne craindras aucun souffle brûlant; son Esprit aura des souffles pour toi, et tu espéreras à l’abri de ses ailes 2.

4. Tu le vois donc ; tu peux chaque jour goûter des délices; car Dieu ne t’abandonnera point, quelque malheur qui puisse t’arriver. Combien était accablant le malheur de Job! Quelle soudaineté, combien de malheurs à la fois ! Comme Satan lui enlève tout ce qui semblait faire sa joie, sans la faire néanmoins ! Comme la mort fauche ses enfants ! Et les biens qu’il garde et ceux pour qui il les garde, tout lui est ravi; mais on ne lui ravit point celui qui avait donné les uns et les autres. Ses enfants ne lui furent enlevés, en ce monde, que pour être, dans l’autre monde, rendus à son amour. Job, toutefois, avait eu lui une autre source de joie, qui lui faisait dire en vérité ce que nous disions tout à l’heure : « Je vous bénirai chaque jour ». Quoique ce jour, où tout avait péri, parut un jour triste, la lumière intérieure en fut-elle obscurcie pour lui? Il demeura ferme dans cette lumière, et s’écria : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté : comme il a plu au Seigneur, il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 3 ». Donc il bénit Dieu tous les jours, lui qui le bénit même en des jours si tristes. Le plus court moyen de louer Dieu toujours, de dire en toute vérité et sans déguisement : « Je bénirai le Seigneur en tous temps; sa louange sera toujours dans ma bouche » ; le meilleur moyen, dis-je, c’est de reconnaître que s’il donne, c’est par miséricorde, que s’il retire, c’est par miséricorde; c’est de ne point croire que sa miséricorde nous délaisse, ou quand il prévient notre désespoir en nous caressant par ses dons, ou notre mort en nous corrigeant de nos fautes. Bénis-le donc, soit dans ses dons, soit dans ses châtiments. Louer celui qui nous frappe, c’est nous guérir de nos plaies. « Chaque jour », dit le Prophète, «je vous bénirai». Chaque jour donc, mes frères, bénissez Dieu ; oui, bénissez Dieu

 

1. Ps. XXXIII, 6. — 2. Id. XC, 4. — 3. Job, I, 21.

 

quoi qu’il puisse vous arriver. C’est lui qui détournera de vous tout ce que vous ne sauriez supporter. Si tu es heureux, tremble, et ne t’imagine pas que tu ne rencontreras plus de tentation; sans la tentation il n’y a point d’épreuve; or, ne vaut-il pas mieux être tenté et approuvé de Dieu que réprouvé sans tentation? « Et je louerai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles».

5. « Le Seigneur est grand, infiniment louable 1». Que pouvait-il dire, en quels termes s’exprimer? Que n’a-t-il pas renfermé dans cette parole infiniment? Cherche dans ta pensée. Quelle idée te faire de celui qu’on ne saurait comprendre ? « Il est infiniment louable, et sa grandeur est sans borne ».Le Prophète nous dit infiniment, et sa grandeur, en effet, n’a point de borne : de peur qu’en cherchant à le louer, tu ne sois tenté de croire que l’on puisse donner une louange achevée à celui dont la grandeur est sans fin. Loin de toi de te persuader que tu puisses louer suffisamment son infinie grandeur. Puisqu’il n’a point de fin, n’est-il pas mieux de n’en donner aucune à sa louange ? Qu’est-il dit de sa grandeur? Qu’elle est infinie. Que dit le Prophète, à propos de votre louange, ô mon Dieu? « Je louerai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles». Comme donc sa grandeur est sans fin, la louange que vous lui décernerez sera aussi sans fin. Car ce n’est point en mourant dans cette chair que tu cesseras de louer le Seigneur. Il est dit, il est vrai : « Les morts ne vous loueront point, ô mon Dieu 2 » ; mais il s’agit de ceux dont il est dit : « Un mort ne confesse point le Seigneur, c’est comme s’il n’était plus 3»; et non des morts dont il est dit: « Celui qui croit en moi vivra, bien qu’il ait passé par la mort 4». Car « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, n’est point le Dieu des morts, mais des vivants 5 ». Et si tu n’appartiens jamais qu’à lui, tu ne cesseras de le louer. Pourrais-tu craindre qu’après n’avoir vécu que pour lui ici-bas, tu puisses ne point lui appartenir après la mort ? Ecoute l’Apôtre qui te donne cette assurance : « Si nous vivons, c’est pour le Seigneur; si nous mourons, c’est pour le Seigneur; soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur 6». Comment se fait-il que tu sois à

 

1. Ps. CXLIV, 3. — 2. Id. CXIII, 17. — 3. Eccli. XVII, 26, — 4. Jean, XI, 25. — 5. Matth. XXII, 32. — 6. Rom. XIV, 8.

 

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lui, même après ta mort? C’est qu’il est mort pour te racheter au prix de son sang. Celui dont la mort est ta rançon, peut-il te perdre, toi son serviteur, bien que lu sois mort ? Aussi, après avoir dit : « Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur » ; l’Apôtre a-t-il ajouté, pour nous montrer ce prix inestimable : « Si donc le Christ est mort et ressuscité, c’est afin d’avoir l’empire sur les vivants et sur les morts 1».

6. Néanmoins, comme sa grandeur est sans borne, et que nous devons louer celui que nous ne pouvons comprendre (si nous le comprenions, en effet, sa grandeur ne serait pas sans borne ; mais si cette grandeur est sans borne, nous pouvons la comprendre quelque peu, et non dans son immensité), que sa bonté nous soutienne puisque sa grandeur nous dépasse; jetons les yeux sur ses oeuvres, et bénissons l’ouvrier dans ses oeuvres, l’auteur dans l’ouvrage, le créateur dans ses créatures. Voyons ce qu’il a fait ici-bas, ce qui nous est connu, ce qui est visible pour nous. Combien d’autres, que nous ne saurions connaître, sont le produit de son immense bonté, de son infinie grandeur ! Quand notre vue pourrait pénétrer jusqu’au ciel, et que du soleil, de la lune et des étoiles, nous la ramènerions sur la terre, car c’est dans cet espace que nos yeux se promènent, pourrions-nous jeter au-delà des cieux, je ne dis pas les yeux du corps, mais les yeux de l’âme ? Louons donc le Seigneur dans ses oeuvres, autant que ses oeuvres nous sont connues. « Car les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde par tout ce qui a été fait 2. Une «génération et une génération bénira vos oeuvres 3 ». Toute génération chantera vos oeuvres. Pour marquer toute génération, le Prophète se sert de cette manière de parler: « Une génération et une génération ». Il ne pouvait marquer en détail toute génération, jusqu’à l’épuisement de toutes les générations ; mais cette répétition du langage reporte la pensée dans l’infini. Cette génération, qui est maintenant dans la chair, qui passera comme elle est venue, bénit les oeuvres de Dieu ; après cette génération une autre viendra louer les oeuvres de Dieu, et après cette autre, une autre encore, et ainsi

 

1. Rom. XIV, 9. — 2. Id. I, 20. — 3. Ps. CXLIV, 4.

 

combien de générations jusqu’à la fin des siècles. Voilà ce que veut dire le Prophète « Une génération et une génération bénira  vos ouvrages ». Ou aurait-il voulu, peut-être, dans cette répétition, préciser deux générations spéciales ? Dans cette génération présente nous sommes en effet les fils de Dieu, et dans l’autre génération nous serons les enfants de la résurrection; et l’Ecriture, qui donne le nom de régénération à la résurrection, nous appelle enfants de la résurrection. « A la régénération », est-il dit, « lorsque le Fils de l’homme s’assiéra dans sa majesté 1». De même ailleurs : « Les femmes ne prendront point d’époux, ni les hommes d’épouses, puisqu’ils seront les fils de la résurrection 2 ». Donc « une génération et une génération louera vos oeuvres». Maintenant dans cette vie mortelle nous louons les oeuvres du Seigneur; et si nous les bénissons chargés de chaînes, une fois couronnés, comment les bénirons-nous? Considérons donc les oeuvres de Dieu, dans cette génération présente puisque c’est en son honneur que le Prophète a dit : « Une génération et une génération bénira vos oeuvres, parce que sa grandeur est sans borne ». Il est bien de considérer vos oeuvres, afin de vous bénir, vous qui en êtes l’auteur.

7. « Et ils annonceront votre puissance ». Car ils ne béniront vos oeuvres qu’en publiant votre puissance. On propose à des enfants, dans une école, un thème de louanges, et on ne leur propose de louer que les oeuvres de Dieu : leur proposer de louer le soleil, de louer la lune, la terre, et, pour descendre à de moindres objets, la rose, le laurier; tout cela c’est l’oeuvre de Dieu que l’on donne à louer, que l’on entreprend de louer, qu’on loue enfin; on chante les oeuvres, on ne dit rien de l’ouvrier. C’est donc dans ses ouvrages que je veux louer le Créateur; et je n’aime point ces ingrats panégyristes. Comment bénir les oeuvres que Dieu a faites, et ne rien dire de celui qui a tout fait? Eh ! pourrais-tu avoir quelque chose à louer, si Dieu n’était si grand? Que peux-tu louer dans ces créatures visibles? Leur beauté, leur utilité, quelque force, quelque puissance que tu y découvres. Mais si leur beauté a pour toi des attraits, quoi de plus beau que celui qui les a faites? Si c’est leur utilité, quoi de plus utile que l’auteur

 

1. Matth. XIX, 28. — 2. Luc, XX, 35, 36.

 

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de tant de choses? Si c’est leur puissance, quoi de plus puissant que celui qui a tout créé, et qui, loin d’abandonner ses créatures, les dirige toutes et les gouverne? Ce n’est donc ainsi, ô mon Dieu, qu’une génération qui vous bénit dans vos serviteurs, en louant vos oeuvres; elle ne ressemble point à ces parleurs muets, qui oublient le Créateur en louant la créature. Comment donc vous bénit cette génération? « Ils annonceront votre puissance ». C’est votre puissance qu’ils chanteront en chantant vos oeuvres. Quand vos saints, vos fidèles serviteurs, ceux qui vous offrent une véritable louange, ceux qui n’oublient point vos grâces, quand ceux-là chantent les ouvrages de Dieu, quels qu’ils soient, dans ce qu’il y a de plus élevé, comme dans ce qu’il y a de Plus bas, dans le ciel et sur la terre, ils se trouvent eux-mêmes parmi les oeuvres qu’ils chantent, puisqu’ils sont au nombre des créatures de Dieu. Car celui qui a tout fait, nous a faits nous-mêmes parmi ses oeuvres. Si donc tu viens à louer les oeuvres de Dieu, tu te loueras toi-même, puisque tu es l’oeuvre de Dieu; et dès lors, que devient cette parole : « Que ta bouche ne te loue point 1?» Voilà donc une manière de te louer sans être orgueilleux : c’est de bénir en toi Dieu, et non pas toi : non parce que tu es tel, mais parce que c’est lui qui t’a fait ; non parce que tu as de la puissance, mais parce que Dieu peut agir en toi et par toi. C’est ainsi qu’ « ils vous loueront, Seigneur, et qu’ils annonceront votre puissance », la vôtre et non la leur. Apprenez donc à louer Dieu, mes frères, et en considérant les oeuvres admirez l’ouvrier, en lui rendant grâces, et non en vous arrogeant sa gloire. Louez Dieu de toutes ses oeuvres, de l’ordre qu’il a établi, des dons qu’il nous a faits.

8. Enfin vois ce qui suit : « Ils chanteront votre puissance, ils parleront de la magnificence éclatante de votre sainteté, ils raconteront vos merveilles. Ils chanteront la terreur de vos prodiges, feront connaître votre grandeur. Ils répandront le souvenir de votre bonté 2 », et de la vôtre seulement. Vois si le panégyriste des oeuvres de Dieu détourne sa vue du Créateur ROUF sa créature; vois s’il délaisse l’ouvrier pour s’arrêter à l’ouvrage. Il se fait des oeuvres comme des degrés pour s’élever jusqu’à lui, et non pour en descendre.

 

1. Prov. XXVI, 2.— 2. Ps. CXLIV, 5-7.

 

Tu ne posséderas jamais l’ouvrier, si tu lui préfères ses oeuvres. De quoi te servira d’avoir les oeuvres en abondance, si l’ouvrier t’abandonne? Aime les oeuvres, à la bonne heure, mais aime l’ouvrier plus encore; aime-les à cause de lui. Publie sa puissance, chante l’éclat glorieux de sa sainteté, raconte ses merveilles, publie la terreur de ses prodiges; car il est tout à la fois aimable et terrible. Ses faveurs ne sont point sans menaces. Sans faveurs, il ne nous encouragerait point, et sans menaces il ne nous redresserait point. Ceux qui vous chantent raconteront donc votre puissance terrible; vos créatures publieront votre force qui les châtie, qui les re• dresse par la discipline; elles la publieront et ne se tairont point. Car elles ne parieront point du royaume éternel, sans parler du feu également sans fin. Car la louange de Dieu te met sur le bon chemin, et doit montrer ce qu’il faut aimer, ce qu’il faut craindre; ce qu’il faut désirer et ce qu’il faut fuir, ce qu’il faut choisir, et ce qu’il faut rejeter. C’est maintenant le temps de choisir, plus tard celui de recevoir. Chantons donc la puissance de ce qu’il faut craindre. « Et ils raconteront votre grandeur », dit le Prophète. Bien qu’elle soit infinie, bien que cette grandeur ne connaisse point de borne, ils en parleront, ils ne s’en tairont point. Ils raconteront, dis-je, cette grandeur dont nous disions tout à l’heure: « Et votre grandeur qui est sans fin, « ils la raconteront». Mais comment la ra. conter si elle est sans borne? Ils la raconteront, en la louant; et comme cette grandeur n’a point de fin, sa louange sera également sans fin. Montrons qu’il n’y aura point de fin à sa louange : « Bienheureux », dit le Prophète, « ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles 1 . Et ils raconteront votre gloire »; cette gloire infinie, « ils la raconteront ».

9. « De leur bouche jaillira le souvenir de vos infinies bontés 2 ». Bienheureux festin! Que mangeront-ils pour que leur bouche fasse de telles éruptions? « La mémoire de vos infinies bontés ». Qu’est-ce donc que cette mémoire de vos infinies bontés? C’est que vous ne nous avez point oubliés, Seigneur, alors que nous-mêmes ne pensions plus à vous. Toute chair avait oublié Dieu; mais lui n’avait pas oublié son ouvrage. Tel

 

1. Ps. LXXXIII, 5. — 2. Id. CXLIV, 7.

 

est ce souvenir de nous, qui l’a empêché de nous oublier, ce souvenir qu’il nous faut redire, qu’il nous faut chanter; et comme il est doux, il faut t’en nourrir, puis en faire éruption. Mange-le au point de le répandre au dehors. Reçois, afin de donner. C’est manger que s’apprendre, c’est faire éruption qu’instruire; c’est manger que d’écouter, c’est répandre que prêcher; et toutefois tu répands ce que tu as mangé. Enfin cet avide mangeur, ce bienheureux Jean, qui ne se contentait point de la table du Seigneur, s’il ne reposait sur la poitrine de son maître 1, pour y puiser les secrets divins, que répand-il ensuite? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu 2 . Ils répandront la mémoire de votre inépuisable bonté ». Comment ne suffit-il pas au Prophète de dire: votre mémoire, ni la mémoire de votre abondance, ni la mémoire de votre bonté; mais il dit: « La mémoire de l’abondance de votre bonté ? » A quoi servirait cette abondance, si elle n’était douceur; et ne serait-il pas fâcheux que cette bonté ne fût pas abondante?

10. Donc, ils répandront au dehors la «mémoire de votre inépuisable bonté » parce que vous ne nous avez point oubliés, et que vous souvenant de nous, vous nous avez avertis et fait souvenir de vous. « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui 3 ». Donc parce qu’ils répandront au dehors la mémoire de votre inépuisable bonté, qu’il n’y a rien de bien qui ne vienne de vous, et qu’ils n’ont pu se tourner vers vous sans être avertis par vous-même, qu’ils n’auraient pu se souvenir de vous, si vous les eussiez oubliés; parce qu’ils ont considéré ces effets de votre grâce, « ils tressailliront dans votre justice ». Oui, c’est à la vue des effets de votre grâce qu’ils tressailliront dans votre justice, et non dans la leur. Buvez donc la grâce, mes frères, si vous voulez répandre la grâce. Qu’est-ce à dire: Buvez la grâce ? Apprenez la grâce, comprenez la grâce. Avant de naître, nous n’étions rien, et nous sommes devenus des hommes quand nous étions dans le néant. Mais nous ne pouvons être hommes qu’en tirant notre origine de l’homme pécheur et méchant; et par nature nous sommes enfants de colère comme tous les autres 4. Reconnaissons donc

 

1. Jean, XIII, 23.— 2. Id. I, 1.— 3. Ps. XXI, 28.— 4. Ephés. II,3.

 

la grâce de Dieu qui, non-seulement nous a faits, mais nous a refaits; c’est à elle que nous devons d’exister, que nous devons d’être justifiés. Que nul n’attribue à Dieu son existence, et à soi-même sa justification; ce serait s’attribuer une prérogative supérieure à celle de Dieu. Car être juste est beaucoup plus que d’être homme. Ce serait donc attribuer à Dieu ce qui est moindre, à toi ce qui est supérieur. Donne-lui tout, bénis-le de tout garde-toi d’échapper à la main de ton auteur. Quel est donc l’auteur de ton être? N’est-il pas écrit que Dieu prit du limon dans la terre, et en forma l’homme 1 ? Avant d’être homme, tu étais un limon ; et avant d’être limon tu n’étais rien. Mais ne remercie point ton créateur de cet ouvrage de boue, écoute une oeuvre bien autre que ce divin potier a faite en toi. « Cela ne vient point des oeuvres», dit saint Paul, « de peur que nul ne s’élève ». Mais pourquoi dire : « Ce n’est point par les oeuvres, de peur que nul ne s’élève?» Qu’avait-il dit plus haut? «C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi: et cela ne vient point de vous ». Ce sont les paroles de l’Apôtre et non les miennes. « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi; et cela (ce salut par la foi) ne vient pas de vous ». Il avait déjà dit la grâce, et dès lors ce n’est point de vous mais de peur qu’on ne donnât un autre sens à ses paroles, il s’explique d’une manière très-claire. Pour peu que l’on ait d’intelligence, on dira : « C’est la grâce qui nous a sauvés ». Mais dire grâce, c’est dire gratuitement. Si donc c’est gratuitement il n’y a rien de toi, aucun mérite. Car ce que l’on donne au mérite est une récompense et non une grâce. « Vous êtes sauvés par la foi au moyen de la grâce ». Parlez-nous plus clairement, ô glorieux Apôtre, à cause de ces orgueilleux qui se complaisent en eux-mêmes, et qui dans leur ignorance de la justice de Dieu veulent établir leur propre justice 2. Ecoutez donc cette même pensée plus clairement: « Que vous soyez sauvés par la grâce, cela ne vient point de vous, c’est un don de Dieu 3 ». Mais peut-être avons-nous fait quelques oeuvres pour mériter les dons de Dieu. « Cela ne vient point de nos œuvres », dit l’Apôtre, « de peur que nul ne s’élève ». Quoi donc! ne faisons-nous aucun bien? Nous en faisons, mais comment? En ce que Dieu

 

1. Gen II, 7. — 2. Rom. X, 3.— 3. Tit. III, 5.

 

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opère en nous; et que la foi lui donne entrée dans notre coeur, en sorte qu’en nous et par nous il y opère le bien. Vois d’où vient le bien que tu fais : « Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ par les bonnes oeuvres, afin de marcher dans ces œuvres 1». Telle est la douceur de son souvenir envers nous, C’est en la répandant que les prédicateurs tressailliront dans sa justice, et non dans leur propre justice. Mais pour être ce que nous sommes, pour vous louer, pour tressaillir dans votre justice, pour répandre le mémorial de votre inépuisable bonté, qu’avons-nous reçu de vous, ô Seigneur que nous bénissons? Publions-le, et en le publiant chantons ses louanges.

11. « Le Seigneur est clément, miséricordieux, il est riche de patience et de compassion. Le Seigneur est bon pour tous, sa commisération s’étend sur toutes ses oeuvres 2 ». S’il n’en était pas ainsi de Dieu, nous n’aurions rien à demander pour nous. Rentre dans toi-même; que méritais-tu après le péché? Que méritait ton mépris pour Dieu? Cherche si tu trouves autre chose que la peine, autre chose que le supplice. Vois donc, d’une part ce que l’on te devait, et d’autre part, ce que t’a donné celui qui t’a fait ces dons gratuitement. A toi pécheur il a donné le pardon, l’esprit de justification, la charité, l’amour qui est la source de tout le bien que tu fais, et par-dessus tout, il te donnera la vie éternelle, la société des anges. Tout cela vient de sa miséricorde. Cesse de parler de tes mérites : tes mérites eux-mêmes sont les dons de Dieu. « Ils tressailliront dans votre justice . Vous êtes, Seigneur, clément et miséricordieux », vous qui nous avez fait tous ces dons. Vous êtes « patient » : combien de pécheurs ne supportez-vous pas? « Le Seigneur est clément et compatissant », en accordant la rémission des fautes ; « il est patient », pour ceux qui n’ont point reçu le pardon; loin de les condamner, il les attend, et dans sa patience il leur crie : « Convertissez-vous, revenez à moi afin que je revienne à vous 3»; et dans un excès de patience : « Je ne veux pas la mort de l’impie », dit-il, « seulement qu’il revienne et qu’il vive 4 ». Dieu donc est patient, mais toi, « dans la dureté, dans l’impénitence de ton coeur, tu t’amasses un

 

1. Ephés. II, 8-10. — 2. Ps. CXLIV, 8, 9. — 3. Zach. I, 3; Malach. III, 7, — 3. Ezéch. XXXIII, 11.

 

trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 1 ». Car Dieu n’est point patient à supporter le pécheur, au point de ne le frapper jamais dans sa justice. Il a ses temps : aujourd’hui il t’appelle, aujourd’hui il t’exhorte, il attend ton repentir, et tu diffères? Sa miséricorde est grande, nième en ce qu’il a laissé incertain le jour de ta mort, en te laissant ignorer quand tu sortiras de ce monde, afin qu’en pensant chaque jour que tu dois mourir, tu t’empresses de revenir à lui; c’est là une grande miséricorde. S’il avait marqué à chacun le jour de sa mort, cette assurance aurait multiplié les péchés des hommes. Il nous a donc fait espérer le pardon, de peur que le désespoir ne nous rendît plus pécheurs; or, dans le péché, nous devons redouter et l’espérance et le désespoir. Voyez d’une part ce que le désespoir fait dire à l’homme sur des fautes à commettre, et ce que l’espérance lui fait dire dans le même sens, et comme Dieu répond à l’un ou à l’autre dans sa sagesse ou sa miséricorde. Ecoute le langage du désespoir Puisque je dois être damné, pourquoi ne point faire ce qu’il me plaît? Ecoute le langage de l’espérance. La divine miséricorde est grande; quand je me convertirai, Dieu me pardonnera mes fautes : pourquoi ne point faire ce qu’il me plaît? L’un désespère et pèche; l’autre espère et pèche encore. Ces deux excès sont à craindre, tous deux sont dangereux. Malheur à l’homme qui désespère! malheur à l’homme qui n’a qu’une fausse espérance ! Quel remède apporte donc la divine miséricorde à ce double péril, à ce double mal? Que dis-tu, ô toi que le désespoir excite au péché? Puisque je dois être damné, pourquoi ne pas faire comme il use plaît? Ecoute l’Ecriture : « Je ne veux pas la mort de l’impie, seulement qu’il revienne et qu’il vive ». Cette parole de Dieu nous ramène à l’espérance; mais il faut craindre un autre piége qui est de trop espérer. Quel était donc ton langage, quand l’espérance te poussait au péché? Au jour de ma conversion Dieu me remettra tous nies péchés, je ferai donc tout ce qui me plaira. Ecoute encore la sainte Ecriture : « Ne tarde point de te retourner vers le Seigneur, ne diffère pas de

 

1. Rom. II, 5, 6.

 

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jour en jour; car la colère de Dieu éclatera subitement, et il te perdra au jour des vengeances 1 ». Ne dis donc plus: Demain je me convertirai, demain je chercherai à plaire à Dieu; et tous mes péchés d’hier et d’aujourd’hui me seront pardonnés. Il est vrai que Dieu t’a promis le pardon au jour où tu te convertiras; mais il n’a promis aucun lendemain à tes retards.

11. « Le Seigneur est bon pour tous, et sa bonté s’étend sur toutes ses oeuvres 2». Pourquoi donc une damnation? Pourquoi des châtiments ? Ceux qu’il damne, ceux qu’il châtie, ne sont-ils pas son ouvrage? Ils le sont sans doute. Veux-tu comprendre que « sa bonté s’étend sur toutes ses oeuvres ? » Elle est la source de cette clémence « qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants 3». N’est-ce pas épancher sa miséricorde sur ses créatures, que faire pleuvoir sur les justes et sur les injustes? N’est-ce point là épancher sa miséricorde sur toutes ses oeuvres? Attendre avec longanimité le pécheur, en disant: «Convertissez-vous à moi, et je me retournerai vers vous 4 », n’est-ce pas épancher sa miséricorde sur toutes ses oeuvres? Mais dire : « Allez, maudits, au feu éternel, préparé pour de diable et pour ses anges 5», ce n’est plus la miséricorde, c’est la sévérité, Il y a donc miséricorde pour ses oeuvres, et sévérité, non plus pour ses oeuvres, mais pour les tiennes. Enfin si tu viens à retrancher tes oeuvres mauvaises, de manière qu’il n’y ait en toi que son oeuvre, sa miséricorde ne t’abandonnera point; mais si tu ne quittes point tes oeuvres mauvaises, Dieu déploiera sa sévérité contre tes oeuvres, non contre les siennes.

13. «Que toutes vos oeuvres vous confessent, ô mon Dieu, et que vos saints vous bénissent 6 ». Que toutes vos oeuvres vous bénissent. Quoi donc ! la terre n’est-elle pas son oeuvre? Le bois n’est-il pas son oeuvre? Les troupeaux, les bestiaux, les poissons, les oiseaux, ne sont-ils pas ses oeuvres? Assurément ce sont là ses oeuvres ; mais comment toutes ses oeuvres pourront-elles confesser le Seigneur ? Je comprends que, à l’égard des anges, les oeuvres de Dieu le confessent, car les anges sont ses oeuvres; les hommes aussi sont ses oeuvres, et quand les hommes le confessent, ses oeuvres le confessent ; mais les bois et les

 

1. Eccli. V, 8, 9.— 2. Ps. CXLIV, 9. — 3. Matth. V, 45 . — 4. Malach. III, 7 ; Zach. I, 3. — 5. Matth. XXV, 41. — 6. Ps. CXLIV, 10.

 

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pierres ont-ils une voix pour le confesser? Et, toutefois, que toutes ses oeuvres le confessent, dit le psalmiste. Comment ? Et la terre et le bois ? Oui, toutes ses oeuvres; si toutes révèlent sa gloire, pourquoi toutes ne le confesseraient-elles point? Car la confession ne s’entend pas seulement de l’aveu des fautes, elle s’entend aussi de la louange; et ne croyez pas que partout le mot de confession ne signifie que l’aveu du péché. On s’est tellement pénétré de cette idée, que si l’on entend ce mot dans les saintes Ecritures, on se frappe aussitôt la poitrine. Comprends alors qu’il y a aussi une confession de louanges: Notre-Seigneur Jésus-Christ avait-il donc des péchés à confesser? Et cependant il dit : « Je vous confesserai, mon Père, Dieu du ciel et de la terre 1 ». La louange est donc une confession. Dès lors, comment faut-il entendre: « Que tous vos ouvrages vous confessent », sinon, que tous vos ouvrages vous louent? Mais, diras-tu, la difficulté revient pour la louange, comme pour la confession. Si la terre, les bois, les créatures sans raison, ne sauraient confesser le Seigneur, parce qu’ils n’ont point de voix pour faire cette confession, ils ne pourront non plus le louer, puisqu’ils n’ont point de voix pour parler. Et toutefois ces créatures ne sont-elles point citées par les trois enfants qui se promènent dans les flammes, assez libres non-seulement pour ne pas brûler, mais encore pour louer Dieu ? A toutes les créatures, depuis la terre jusqu’au ciel, ils disent: «Bénissez le Seigneur, chantez-lui des hymnes, louez-le à jamais 2». Les voilà qui chantent des hymnes. Que nul ne s’imagine, toutefois, qu’une pierre muette, qu’un animal sans parole ait assez de raison pour connaître Dieu. C’est une grave erreur pour ceux qui l’ont cru. Dieu a tout réglé, tout créé : à quelques créatures il a donné le sens, l’intelligence et l’immortalité comme aux anges; à d’autres, qui sont mortels, il a donné le sens et l’intelligence comme aux hommes : à ceux-ci il a donné le sens corporel, mais sans intelligence et sans immortalité, comme aux animaux; à ceux-là, il n’a donné ni le sens, ni l’intelligence, ni l’immortalité, comme aux herbes, aux bois, aux pierres : et toutefois nulle de ces créatures ne saurait manquer dans son genre. Dieu les a réglées comme par degrés depuis la terre jusqu’au ciel, depuis

 

1. Matth, XI, 25. — 2. Dan. III, 20, 90.

 

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les choses visibles jusqu’aux choses invisibles, et ce qui est mortel, et ce qui est immortel. Cet enchaînement des créatures, cet ordre admirable qui s’élève du plus bas au plus haut, pour redescendre d’en haut jusqu’en bas, qui n’est interrompu nulle part, admirablement pondéré par les contraires, tout cet enchaînement bénit le Seigneur. Comment toutes ces créatures bénissent-elles le Seigneur? En ce que tu ne saurais en considérer la beauté sans louer Dieu qui en est l’auteur. La terre n’a qu’une voix muette, sa beauté; mais quand l’on considère sa beauté, sa fécondité, sa vertu surprenante, cette germination des semences que l’on y répand, et même de celle que l’on ne sème point, cette considération est une manière de questionner, tes recherches sont des interrogations. Admirer cette beauté, en rechercher les causes, sonder cette force, cette fécondité surprenante, c’est comprendre bientôt que cette puissance ne lui vient point d’elle-même; et il te vient en pensée qu’elle n’a pu exister par elle-même sans le Créateur. Mais cette conclusion que tu as trouvée, est une confession de la terre, une hymne en l’honneur du Créateur. Aussi, quand nous admirons en général cette beauté du monde, n’y a-t-il pas dans cette beauté comme une voix qui vous crie : C’est Dieu qui m’a faite, et non pas moi?

14. Donc, « que toutes vos oeuvres vous confessent, ô mon Dieu, et que vos saints  vous bénissent ». Et pour que vos saints vous bénissent dans la confession de vos oeuvres, que ces mêmes saints considèrent toute créature confessant vos grandeurs. Ecoute leur voix qui bénit Dieu, et que disent les saints en vous bénissant, ô mon Dieu? « Ils publieront la gloire de votre royaume, et chanteront votre puissance 1». Combien est puissant le Dieu qui a fait la terre ! Combien est puissant le Dieu qui a comblé la terre de ses biens ! Combien est puissant le Dieu qui a donné aux animaux une vie qui leur est propre ! Combien est puissant le Dieu qui a jeté dans les entrailles de la terre tant de semences diverses, pour donner des fruits si variés et si beaux, des arbres si majestueux! Qu’il est grand! qu’il est puissant ! Interroge la créature, et la créature te répond; et cette réponse de la créature, qui est comme une

 

1. Ps. CXLIV, II.

 

confession de louanges, te porte, toi, le saint de Dieu, à bénir le Seigneur, à publier sa puissance.

15. « Afin qu’ils fassent connaître aux fils des hommes voire puissance, et la gloire  éclatante de votre royaume 1 ». L’oeuvre de vos saints, ô Seigneur, c’est de chanter la gloire de cette grande beauté de votre royaume, la gloire de la grandeur de la beauté. Il est en effet dans votre royaume une certaine grandeur de beauté ; c’est-à-dire que votre royaume a de la beauté, et une grande beauté. Quelle est cette beauté de votre royaume? Que ce royaume ne nous effraie point, sa beauté nous ravira de joie. Quelle est cette beauté qui fera les délices des saints? Ces bienheureux à qui l’on dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume 2 ». D’où viendront-ils ? Où iront-ils? Voyez, mes frères, et si vous le pouvez, représentez-vous, autant que possible, cette beauté du royaume à venir, dont nous disons dans notre prière : « Que votre règne arrive 3». Ce règne dont nous souhaitons l’avènement, c’est ce règne à venir que chantent les saints. Voyez ce monde, il a de la beauté. Quelle beauté dans la terre, dans la mer, dans l’air, dans le ciel et dans les astres! Toutes ces beautés ne sont-elles pas de nature à effrayer un observateur? Cette beauté n’est-elle pas supérieure, au point que nulle autre ne la surpasse? Toutefois, dans cette beauté, dans cette splendeur en quelque sorte inexprimable, il y a près de toi des vermisseaux, de vils animaux, tout ce qui rampe sur la terre; tout cela vit dans cette splendeur. Quelle ne sera point la beauté de cet autre royaume où tu n’auras que les anges pour vivre avec toi? C’était donc peu pour le Prophète de nous dire la gloire de la beauté; ce qui pouvait se dire de toute beauté de ce monde, beauté verdoyante sur la terre,beauté resplendissante au ciel; mais en disant : « De la grandeur de la beauté de votre royaume », le Prophète nous révèle ce que nous ne voyons pas encore, ce que nous croyons sans le voir, ce que nous désirons en le croyant, désir qui nous fait supporter tous nos maux. Il y a donc une grandeur d’une certaine beauté: puissions-nous l’aimer avant de la voir, afin d’en jouir quand nous la verrons.

16. « Votre royaume ». Qu’est-ce que votre

 

1. Ps. CXLIV, 12. — 2. Matth. XXV, 34. — 3. Id. VI, 10.

 

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royaume? « Le royaume de tous les siècles 1 ». Car le royaume de ce monde a aussi sa beauté ; mais il n’a pas cette grandeur de beauté que nous verrons dans le royaume de tous les siècles. « Et votre domination s’étend de race en race ». C’est une répétition qui comprend en général toutes les générations, ou la génération qui doit venir après cette génération.

17. « Dieu est fidèle dans ses paroles, et saint dans toutes ses œuvres 2». Qu’a promis ce Dieu fidèle dans ses paroles, qu’il n’ait point tenu? « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles ». Il est encore des promesses qui ne sont point accomplies, mais croyons en lui d’après ce qu’il nous a déjà donné. « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles ». Nous pourrions en croire simplement à sa parole; il ne l’a pas voulu néanmoins, et nous a donné son Ecriture comme une promesse; comme si tu disais à un homme, en lui faisant une promesse: tu n’en crois point à ma parole, je te fais un écrit. Comme cette génération s’en va et qu’une autre lui succède, et que les siècles voient les hommes paraître et disparaître, l’Ecriture de Dieu, sa cédule a dû demeurer, afin que tous les hommes la pussent lire et tenir le chemin de la promesse. Et par quels biens Dieu n’a-t-il point dégagé sa signature? Les hommes n’osent l’en croire à propos de la résurrection des morts et du siècle à venir, seul point de ses promesses qui ne soit pas accompli; s’il entrait en raisonnement avec les infidèles, quel infidèle n’aurait pas à rougir? Que Dieu te dise : Tu as mon billet, j’ai promis qu’il y aurait un jugement, une séparation des bons et des méchants, un règne sans fin pour les fidèles, et tu ne veux pas m’en croire? Vois dans mon billet tout ce que j’ai écrit, entrons en compte; certes, en voyant ce que j’ai accompli de mes promesses, tu peux croire que je tiendrai à ce que je dois encore. Dans cet écrit j’ai promis mon Fils, et je ne l’ai point épargné, puisque je l’ai livré pour vous 3 ; il faut donc compter cela comme accompli. Lis encore mon billet: J’ai promis de donner le Saint-Esprit par l’entremise de mon Fils. Encore accompli. J’y ai promis que les martyrs répandraient leur sang et recevraient une couronne de gloire. Encore accompli ; cette masse blanche te prouve que j’ai tenu parole.

 

1. Ps. CXLIV, 13.—  2. Ibid .— 3. Rom. VIII, 32.

 

Mais pour que les martyrs fussent glorifiés comme je l’avais promis dans mon billet, qui porte : « Nous sommes, à cause de vous, livrés à la mort pendant tout le jour 1 » ; pour accomplir cette parole : « Voilà que les nations ont frémi, les peuples ont médité de vains complots, les rois de la terre se sont levés, les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ 2 ». Les princes ont uni leurs efforts et conspiré contre les chrétiens. Et même dans mon billet, n’ai-je point promis que ces princes embrasseraient la foi, et n’est-ce point ce qui est arrivé? Ecoute en quel endroit je l’ai promis « Tous les rois de la terre l’adoreront, tous les peuples le serviront 3 ». Ingrat! Tu lis ce que je dois, tu le vois accompli, et tu ne crois point au reste de la promesse? Lis encore dans mon billet. « Que les nations ont frémi de colère, que mes ennemis ont parlé contre moi », c’est-à-dire contre mon Christ. « Quand mourra-t-il, quand son nom disparaîtra-t-il 4 ? » Voilà ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont dit ; lis maintenant ce que j’ai promis, à quoi je me suis engagé: « Le Seigneur l’emportera sur eux, il exterminera tous les dieux des nations de la terre, et chacun l’adorera dans sa terre natale 5 ». Maintenant il a prévalu, il a réduit au néant tous les dieux des nations de la terre. N’est-ce point ce qui est accompli? sa parole n’est-elle pas dégagée? Sous les yeux de tous il nous montre sa dette acquittée : une partie de ses promesses a été exécutée sous les yeux de nos pères, et nous ne l’avons point vu; une autre partie sous nos yeux, et eux ne l’ont point vu; de siècle en siècle, il tient ses promesses. Que reste-t-il encore? Ne peut-on le croire après tout ce qui est accompli? Que reste-t-il? Le voilà qui entre en compte ; après avoir tenu tant de promesses, pourrait-il être infidèle pour ce qui reste? Point du tout. Pourquoi? Parce que le Seigneur est fidèle en toutes ses paroles, et saint dans toutes ses oeuvres.

18. « Le Seigneur soutient tous ceux qui chancellent 6 ». Mais quels sont tous ceux qui chancellent et qu’il soutient? Il soutient tous ceux qui tombent, mais ceux qui tombent d’une certaine manière. Il en est, en effet, beaucoup qui tombent en se séparant

 

1. Ps. XLIII, 22. — 2. Id. II, 1, 2. — 3. Id. LXXI, 11.— 4. Id. XL, 6.— 5. Soph. II, 11. — 6. Ps. CXLIV, 14.

 

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de Dieu ; « beaucoup qui tombent en se séparant de leurs pensées 1 ». Avoir une pensée funeste, et s’en séparer, c’est tomber, et le Seigneur soutient ceux qui tombent de la sorte. Les saints qui essuient quelques pertes ici-bas, sont en quelque sorte déshonorés en cette vie; de riches ils deviennent pauvres, aux honneurs qu’ils recevaient, succède le mépris ; ils sont toutefois les saints de Dieu, mais les voilà comme tombés. Or, « Dieu soutient tous ceux qui tombent. Le juste tombe sept fois et se relève, les impies s’affaibliront dans les maux 2 ». Qu’il arrive donc à l’impie quelque chose de fâcheux, il en est affaibli ; qu’il arrive quelque malheur au juste, « le Seigneur affermit tous ceux qui tombent ». Job était tombé de cette ancienne splendeur où l’avaient élevé pour un temps ses grandes possessions terrestres, il était déchu de la magnificence de sa maison. Voulez-vous mesurer sa chute ? Il était assis sur le fumier, et le Seigneur le soutint dans sa chute. A quel point voulut-il bien le fortifier ? Au point que, malgré cette effroyable plaie qui couvrait tout son corps, il put répondre à sa femme qui le tentait, et que le démon lui avait laissée pour unique soutien : « Vous avec parlé comme une femme insensée : si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas supporter les maux 3 ? » Jusqu’à quel point Dieu l’avait-il soutenu dans sa chute? « Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent. Que le juste vienne à tomber », est-il dit, «il n’en  sera point troublé, parce que le Seigneur soutient sa main 4. Il relève ceux qui sont brisés », du moins ceux qui sont à lui; car Dieu résiste aux superbes 5.

19. « Les yeux de toutes les créatures sont fixés sur vous, Seigneur, et vous leur donnez la nourriture au temps opportun 6 ». Vous traitez donc l’homme comme un malade, ô mon Dieu? Vous lui donnez à temps opportun, quand il a besoin; et vous lui donnez ce qui convient. Aussi désire-t-il quelquefois sans rién recevoir de Dieu, qui connaît l’heure de donner, et qui prend soin de lui. Pourquoi vous parler de ces choses, mes frères, sinon de peur que vous n’ayez pas été exaucés, en demandant à Dieu ce qui était juste? Quand on demande ce qui est

 

1. Ps. V, 11.— 2. Prov. XXIV, 16.— 3. Job, II, 7-10.— 4. Ps. XXXVI, 24. — 5. Jacques, IV, 6. — 6. Ps. CXLIV, 15.

 

injuste, Dieu nous châtie quelquefois en nous exauçant; mais après avoir demandé ce qui est juste, ne nous décourageons point, ne nous rebutons point, si nous ne sommes point exaucés ; que nos yeux tournés vers le Seigneur attendent la nourriture qu’il donne à temps opportun. S’il nous refuse parfois, c’est de peur que ses dons ne soient préjudiciables. L’Apôtre ne faisait point une demande injuste, quand il priait Dieu de lui ôter cet aiguillon de la chair, cet ange de Satan qui le souffletait ; et pourtant il n’obtint pas ce qu’il demandait, parce que c’était le temps d’exercer sa faiblesse, et non de lui donner la nourriture. « Ma grâce te suffit », lui répondit le Seigneur, « car c’est dans la faiblesse que la vertu se fortifie 1 ». Le diable demanda de mettre Job à l’épreuve, et l’obtint 2. Remarquez bien ceci, mes frères, c’est un mystère profond, qu’il nous faut étudier, reprendre souvent, retenir de manière à ne jamais l’oublier, à cause des épreuves en si grand nombre de cette vie. Que dirai-je? Faut-il mettre saint Paul en parallèle avec Satan ? Saint Paul prie et n’est point exaucé; le diable prie, et reçoit ce qu’il demande. Mais saint Paul ne fut point exaucé, afin qu’il en devînt plus parfait; le diable fut exaucé pour sa propre damnation. Job lui-même enfin recouvra la santé en temps opportun. Dieu différa néanmoins pour le mettre à l’épreuve: il fut longtemps affligé de sa plaie, parla beaucoup, supplia le Seigneur de le délivrer de tant de maux, et le Seigneur ne le délivrait point. Il accorda plus promptement au diable le pouvoir de tenter Job, qu’à Job la délivrance qu’il sollicitait. Apprenez donc â ne point murmurer contre Dieu, et quand vous n’êtes point exaucés, ne cessez de répéter ce que nous avons dit plus haut: « Tous les jours je vous bénirai ». Le Fils unique de Dieu lui-même était venu pour souffrir , pour payer ce qu’il ne devait point, pour mourir entre les mains des pécheurs, pour effacer de son sang l’arrêt de notre mort ; c’est pour cela qu’il était venu ; et néanmoins afin de te donner l’exemple de la patience, il a pris le corps de notre faiblesse pour le transfigurer, en le rendant conforme à son corps glorieux 3. « Mon Père », dit-il, « que ce calice s’éloigne de moi, s’il est possible 4». Et bien qu’il ne

 

1. II Cor. XII, 7-9 — 2. Job, I, 9-12; II, 4-6. — 3. Philipp. III, 21. — 4. Matth. XXVI, 39.

 

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reçut point ce qu’il semblait demander, afin d’accomplir cette parole du psaume : « Je vous bénirai chaque jour » ; toutefois a-t-il ajouté: « Que votre volonté s’accomplisse et non pas la mienne, ô mon Père. Les yeux de tous espèrent en vous, et vous leur donnez la nourriture en temps opportun».

20. « Vous ouvrez la main et vous comblez de vos bontés tout ce qui respire 1». Si quelquefois vous ne donnez point, vous donnez toutefois en temps opportun ; vous différez sans refuser, et cela en temps opportun.

21. «Le Seigneur est juste dans toutes ses voies 2». Qu’il nous frappe ou qu’il nous guérisse, il n’en est pas moins juste; il n’y a point d’injustice en lui. Aussi tomas les saints, dans l’affliction, ont chanté sa justice et sollicité ses bienfaits. Ils ont dit tout d’abord :  Ce que vous faites est juste, Seigneur. Ainsi pria Daniel, ainsi tous les autres saints : Vos jugements sont justes, il est bien pour nous, il est juste de souffrir 3. Ils n’ont point cru que Dieu iût manquer de justice, ou d’équité, ou de sagesse. Ils l’ont béni quand il les frappait, béni encore quand il les nourrissait. «Le Seigneur est juste dans toutes ses voies». Que nul ne regarde ses douleurs comme une injustice de la part de Dieu, qu’il chante la justice de Dieu et n’accuse que sa propre injustice. « Le Seigneur est juste dans toutes ses voies, il est saint dans toutes ses oeuvres ».

22. « Le Seigneur est proche de ceux qui l’invoquent 4 ». Mais que devient cette parole : « Voilà qu’ils m’invoqueront, et je ne les exaucerai point  5 ? » Vois d’abord ce qui suit: « De tous ceux qui l’invoquent en vérité ». Car beaucoup l’invoquent, mais non point dans la vérité; ils désirent quelque chose de lui, mais sans le chercher lui-même. Pourquoi aimer Dieu? Parce qu’il m’a donné la santé. J’en conviens, c’est lui qui te l’a donnée. Nul autre que lui ne saurait donner la santé. Je l’aime, dit celui-ci, parce qu’il m’a donné une femme riche, à moi qui étais dans l’indigence, une femme soumise. Tu as raison, c’est Dieu qui te l’a donnée. Il m’a donné, dit celui-là, des enfants nombreux et sages, une grande famille, de grands biens. Est-ce pour cela que tu l’aimes ? Pour cela que tu n’attends plus rien de lui? Sois encore

 

1. Ps. CXLIV, 16.— 2. Id. 17. — 3. Dan, III, 27-31; IX, 5-19. — 4. Ps. CXLIV, 18. — 5. Prov. I, 28.

 

affamé, frappe encore à la porte du Père de famille, il a d’autres biens à te donner. Avec tout ce que tu as reçu, tu es pauvre encore et tu ne le sais pas. Tu es encore vêtu d’une chair misérable et mortelle, tu n’as pas reçu ce vêtement de gloire et d’immortalité, et tu es déjà las de prier? « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 1». Donc, si Dieu est bon pour t’avoir donné ces biens, quel ne sera point ton bonheur, quand il se sera lui-même donné? Tu as tant désiré de lui; je t’en prie, désire qu’il te fasse don de lui-même. Il n’y a pas dans ces biens plus de délices que dans lui-même, et l’on ne saurait aucunement les lui comparer. Donc celui qui préfère Dieu lui-même, dont il a reçu tous ces biens, à ces mêmes biens qui font sa joie, invoque Dieu en vérité. Pour vous faire mieux comprendre mes paroles, faisons à ces hommes cette proposition : S’il plaisait à Dieu de vous ôter tous ces biens qui font votre joie, qu’arriverait-il ? Qu’on l’aimerait moins, et que nul ne dirait : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; ainsi qu’il a plu au Seigneur il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 2 ». Mais que dit cet homme à qui Dieu a enlevé ses biens? O Dieu! que vous ai-je fait? Pourquoi m’ôter mes biens pour les donner à d’autres? Vous les donnez à des méchants, et les enlevez à vos serviteurs, C’est accuser Dieu d’injustice et faire valoir votre justice. Au contraire, accuse-toi, et bénis Dieu. Tu auras le coeur droit quand tu béniras Dieu des biens qu’il t’aura faits, sans l’aimer moins dans les maux qu’il faut supporter. C’est là invoquer Dieu en vérité. Dieu exauce tous ceux qui l’invoquent de la sorte:

«Il est proche», c’est-à-dire qu’il est là, bien qu’il ne t’ait pas donné encore ce que tu désires. Un médecin met quelquefois sur les yeux ou sur les entrailles, tel emplâtre qui ne guérit qu’en brûlant. Que le malade le supplie de l’enlever, le médecin attendra le moment, loin de se plier à la volonté du malade; et toutefois il ne l’abandonne point. Il est près de lui sans lui complaire, et lui complaît d’autant moins qu’il est plus près de le guérir. C’est pour le guérir qu’il a mis l’emplâtre, pour le guérir encore qu’il ne fait point ce que voudrait ce malade. Dieu ne t’exauce point dans ton désir actuel, afin de

 

1. Matth. V, 6. — 2. Job, I, 21.

 

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te donner la santé pour l’avenir; et en cela il     fait aussi ta volonté. Car un malade qui ne veut rien de brûlant, veut néanmoins la santé. « Le Seigneur est donc près de tous ceux qui l’invoquent». Mais comment de tous? « De tous ceux qui l’invoquent dans la vérité ». Il soutient, quand ils chancellent, « ceux qui l’invoquent dans la vérité ».

23. « Il fera la volonté de ceux qui le craignent ». Il fera leur volonté; oui, il la fera; s’il ne la fait pas maintenant, il la fera un jour. Si tu crains Dieu au point de faire sa volonté, voilà qu’à son tour il devient ton serviteur, et fait ta volonté. « Il exaucera  leurs prières, et les sauvera 1». Ainsi en est-il du médecin qui exauce, puisqu’il sauve. Quand le Seigneur en agira-t-il ainsi? Ecoute un mot de l’Apôtre : « C’est l’espérance qui nous sauve; or, l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance; et si nous ne voyons point ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience 2 » ; et ce que nous attendons, c’est le salut, qui est sur le point d’être révélé au dernier jour, comme nous l’apprend saint Pierre 3.

24. « Le Seigneur garde tous ceux qui l’aiment, et il perdra les pécheurs ». Vous voyez en Dieu et une sévérité et une douceur inexprimables. Il sauve tous ceux qui espèrent

 

1. Ps. CXLIV, 19. — 2. Rom. VIII, 24, 25. — 3. I Pierre, I, 5.

 

en lui, tous ceux qui le craignent, tous ceux qui l’invoquent dans la vérité: « Et il perdra les pécheurs 1». Quels sont tous ces pécheurs, sinon tous ceux qui persévèrent dans le péché, qui osent bien s’en prendre, non point à eux-mêmes, mais à Dieu, qui disputent continuellement contre lui; qui désespèrent du pardon de leurs fautes, qui les accumulent encore dans ce désespoir, ou bien qui se flattent faussement dû pardon, et qui, dans cette espérance funeste, ne quittent jamais, ni leurs péchés, ni leur impiété ? Un temps viendra où Dieu fera le discernement, où il en fera deux parts, une à sa droite, et l’autre à sa gauche ; où les justes recevront le royaume éternel, et les méchants le feu éternel 2. « Il perdra tous les pécheurs ».

25. Puisqu’il en èst ainsi, mes frères, et que nous venons d’entendre la bénédiction du Seigneur, les oeuvres du Seigneur, les merveilles du Seigneur, les miséricordes du Seigneur, les sévérités du Seigneur, sa providence dans toutes ses oeuvres, la confession glorieuse qui monte vers lui de toutes parts; écoutez comment le Psalmiste conclut à la g1oire de Dieu: « Ma bouche publiera les louanges du Seigneur; que toute chair bénisse son saint nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles 3 ».

 

1. Ps. CXLIV, 20. — 2. Matth. XXV, 32, 33, 46. — 3. Ps. CXLIV, 21.

 

 

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