PSAUME CXLI
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXLI.

SERMON AU PEUPLE.

CHANT DES MARTYRS.

 

Méditer, c’est imiter l’animal qui rumine, et qui pour cela est nommé pur. Crier vers le Seigneur, c’est l’invoquer, et crier de sa voix, c’est parler du coeur répandre sa prière devant Dieu, c’est prier où lui seul peut voir, et dans le coeur encore, et la porte close, de peur que le tentateur n’y puisse entrer. Cette porte a deux battants : le désir et la crainte ; c’est ouvrir la porte au démon que désirer ou craindre quelque chose de terrestre ; c’est l’ouvrir è Dieu que désirer le ciel et craindre l’enfer. Les martyrs ont fermé la porte au diable en méprisant les promesses du monde et ses menaces, et ouvert au Christ qui promettait la vie éternelle, qui menaçait de jeter le corps et l’âme dans le feu éternel. Ils prient, dans la crainte de s’attribuer l’honneur de la résistance, et quand on le croit accablé, il marche dans les sentiers de la justice inconnus au pécheur, connus de Dieu qui nous sauve ; car connaître, pour lui, c’est sauver; méconnaître, c’est damner. Ces sentiers ou voies étroites sont au pluriel à cause de la pluralité des commandements, qui se réduisent à la charité, ou à la voie par excellence. Le Seigneur connaît donc nos voies, et nous conduit si nous sommes doux et humbles. Les persécuteurs ont voulu nous tendre un piège dans notre voie, ou dans le Christ ; mais comme ils sont hors du Christ, ils ont tendu le piège le long de la voie; n’en sortons point et nous l’évitons qu’on nous reproche le Crucifié, nous nous en glorifions. Le Prophète voit, parce qu’il regarde à droite, où sont les élus, et nul ne les connaissait, c’est-à-dire ne connaissait le prix de ses souffrances. La fuite lui est fermée, quand son âme ne connais point la fuite. Le corps veut fuir, mais l’âme ne saurait fuis, à moins d’imiter le mercenaire qui abandonne les brebis au danger. Le Seigneur le relève, le délivre des persécuteurs c’est-à-dire du diable dont les persécuteurs sont les instruments, de ces princes ou amateurs du monde, appelés aussi ténèbres. On distingue le monde fait par Dieu, en qui était le Verbe, et le monde qui ne l’a point connu ; les justes sont dans le monde, mais non du monde. Le Prophète veut être délivré de la prison, ou de la caverne du titre, ou du monde, ou du corps en ce sens qu’il est corruptible, ou bien encore de ce lieu étroit, c’est-à-dire triste, et mon âme chantera vos louanges.

 

1. C’est à la solennité des martyrs que vous êtes redevables de ce surcroît de dévotion, M nous redevable de cet entretien. Toutefois votre charité doit se souvenir du long discours d’hier. Bien que nous ayons remarqué pendant tout ce discours une avidité spirituelle qui se renouvelait sans cesse, nous ne saurions oublier notre commune fragilité, d’autant plus qu’il nous faut rendre aux paroles admirables du Seigneur, l’honneur qui leur est dû, ainsi qu’il est écrit : Les paroles du Seigneur sont admirables de sagesse. Elles ne vous arrivent, il est vrai, que dans des vases bien chétifs; mais si les vases sont d’argile, le pain est du ciel. L’Apôtre nous dit en effet: « Nous portons ce trésor dans des vases fragiles, afin que la perfection de la vertu vienne de Dieu 1 ». Or, ce trésor et ce pain sont une même chose ; s’il n’en était pas ainsi, l’Ecriture ne nous dirait pas à propos du trésor « C’est dans la bouche de l’homme sage que repose le trésor désirable, tandis que l’insensé le dissipe ». Aussi, mes frères, avertissons-nous votre charité de retourner, de ramener eu quelque sorte dans votre pensée

 

1. II Cor. IV, 7.

 

le pain que l’oreille dépose dans l’estomac de votre mémoire. C’est ainsi « qu’un trésor précieux repose dans la bouche du sage, tandis que l’insensé le digère aussitôt 1»; en un mot, que le sage rumine et que l’insensé ne rumine pas. Qu’est - ce à dire, en termes plus clairs et en latin ? Le sage réfléchit sur ce qu’il a entendu, l’insensé l’oublie aussitôt. Car ce n’est point pour un autre motif que la loi appelle animaux purs ceux qui ruminent et impurs ceux qui ne ruminent point 2, puisque toute créature de Dieu est pure. Devant Dieu qui les a créés, le porc est aussi pur que l’agneau; car tout ce qu’il fit était éminemment bien 3, et « toute créature de Dieu est  bonne 4», a dit l’Apôtre, comme « tout est pur pour ceux qui sont purs ». Tout est donc pur, dans sa nature même, et néanmoins l’agneau est le symbole de ce qui est pur, comme le pourceau est le symbole de ce qui est impur; l’agneau marque l’innocence du sage qui rumine, qui réfléchit; le pourceau, l’impureté d’une folie oublieuse. Nous avons chanté un psaume analogue à la fête. Il est

 

1. Prov. XXI, 20. — 2. Lévit. XII, 2-8. — 3. Gen. I, 31. — 4. I Tim. IV, 4. — 5. Tit. I, 15.

 

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court, voyons si nous pourrons aussi l’exposer brièvement.

2. «De ma voix, j’ai crié vers le Seigneur». Il me suffirait de dire : « J’ai crié de la voix vers le Seigneur », et néanmoins il n’est peut-être pas inutile d’ajouter : ma voix. Plusieurs, en effet, crient vers le Seigneur, non de leur voix, mais de la voix de leur corps. Quant, à l’homme intérieur en qui le Christ a commencé d’habiter par la foi 1, il crie vers Dieu, non par le bruit des lèvres, mais par l’élan du coeur. Car l’oreille de Dieu diffère bien de l’oreille de l’homme, qui n’entend qu’à la condition que les poumons, la poitrine et la langue formeront un son; tandis que pour Dieu notre cri c’est notre pensée. « De ma voix j’ai crié vers Dieu, de ma voix j’ai invoqué le Seigneurs 2». Le Prophète nous explique le mot crier, en ajoutant : j’ai invoqué. Blasphémer, c’est, en effet, crier aussi vers le Seigneur. Dans la première partie du verset il pousse un cri, et dans la seconde partie il donne l’explication de son cri, comme si on lui demandait quel cri il a poussé vers le Seigneur: « J’ai poussé vers le Seigneur un cri de prière ». Mon cri est une invocation, et non un outrage, ni un murmure, ni un blasphème.

3. «  Je répandrai ma prière devant lui 3». Qu’est-ce à dire «devant lui?» En sa présence. Qu’est-ce à dire, en sa présence ? Où ses yeux voient. Mais où ne voient-ils point ? Dire en effet où Dieu voit, laisserait entendre qu’il est des lieux où ut ne voit point. Mais en fait d’objets corporels, les hommes voient comme les animaux voient, tandis que Dieu voit où nos regards ne sauraient pénétrer. Car nul homme ne saurait voir tes pensées que Dieu pénètre néanmoins. Répands donc ta prière où seul peut voir Celui qui peut seul te récompenser. Car le Seigneur Jésus-Christ l’ordonne de prier dans le secret ; mais si tu comprends l’endroit secret pour toi, si tu te purifies, c’est là que tu pries Dieu. « Quand vous priez », dit le Sauveur, « n’imitez point les hypocrites qui aiment à prier debout, dans les synagogues et sur les places publiques, pour être vus des hommes. Mais vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre, et, la porte close, priez votre Père dans le secret; et votre Père,qui voit dans le secret, vous le rendra 4 ». Si tu attends des hommes

 

1. Ephés. III, 17.— 2. Ps. CXLI, 2.— 3. Id. 3.— 4. Matth. VI, 5, 6.

 

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ta récompense, prie devant les hommes; si Dieu seul doit te la rendre, répands ta prière en sa présence, et la porte close, de peur que le tentateur n’y puisse entrer. Car le tentateur ne cesse de frapper pour entrer, et si la porte est close, il passe outre. Comme donc il est en notre pouvoir de clore la porte, j’entends la porte de notre coeur, et non celle de nos maisons ; car c’est dans le coeur aussi qu’est la chambre secrète; comme il est en notre pouvoir de clore cette porte: « Ne donnez aucune entrée au diable 1 », nous dit l’Apôtre. S’il vient à pénétrer dans ton coeur, à s’en rendre maître, tu dois reconnaître que tu as fermé la porte négligemment, ou négligé complètement de la fermer.

4. Mais qu’est-ce à dire, fermer la porte? Cette porte a comme deux battants : celui de la convoitise, et celui de la crainte. Ou tu convoites quelque chose de terrestre, et le diable entre par là; ou tu crains quelque chose de terrestre, et il entre encore. Ferme donc au diable cette double porte de la crainte et de la convoitise, et ouvre-la au Christ. Comment ouvrir au Christ ces deux battants? En désirant le royaume des cieux, en craignant le feu de l’enfer. L’amour du monde ouvre l’entrée au diable, et l’amour de la vie éternelle l’ouvre au Christ; la crainte des maux temporels est une porte ouverte au démon, tandis que le Christ entre chez nous par la crainte des maux éternels. Les martyrs ont fermé la porte au diable, en l’ouvrant au Christ. Le monde leur a promis beaucoup, ils ont ri de ses promesses et ont fermé au diable la porte de la convoitise. Voyons s’ils l’ont ouverte au Christ : « Quiconque me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans le ciel 2».Comment les confessera-t-il? « Venez », dira-t-il, « bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 3». Il les confessera en les plaçant à sa droite. Voyons s’ils ont ouvert au Christ la porte de la crainte, qu’ils avaient fermée au diable. Dans le même endroit, le Seigneur nous avertit de la fermer au démon et de la lui ouvrir. « Ne craignez point», dit-il, « ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ». Il nous avertit par là de fermer au démon la porte de la crainte. N’avons-nous donc rien à craindre?

 

1. Ephés. IV, 27. — 2. Matth. X, 32. — 3. Id. XXV, 34.

 

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et ne faut-il pas ouvrir au Christ cette porte de la crainte fermée au diable?Aussi, comme pour nous dire: fermez au démon, mais ouvrez pour moi, le Sauveur a-t-il ajouté : « Craignez au contraire Celui qui a le pouvoir de jeter l’âme et le corps au feu éternel  1». Si donc, sur la foi en ces paroles, tu ouvres la porte au Christ, ferme-la au démon. Le Christ est à l’intérieur, c’est là qu’il habite; répands ta prière devant lui, ne cherche pas à te faire entendre de loin. Car elle n’est pas loin de vous cette sagesse de Dieu, « qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose de tout avec douceur 2 ». C’est donc dans ton âme qu’il te faut répandre ta prière devant Dieu, c’est là que sont ses oreilles. Ce n’est, en effet, « ni de l’Orient, ni de l’Occident, ni des lieux déserts, que le Seigneur vous écoute; car il est juge ». Or, s’il est juge, vois dans ton coeur quelle est ta propre cause.

5. « Je répandrai ma prière devant lui, j’annoncerai en sa présence toutes mes affiictions 4 ». Ces deux versets ne font que répéter les deux premiers. Il y a deux pensées dont chacune est répétée deux fois. La première est celle-ci : « De ma voix j’ai crié vers Dieu, j’ai imploré le Seigneur de mes cris » ; l’autre : « Je répandrai ma prière devant lui, j’annoncerai en sa présence toutes mes afflictions ». Devant lui est identique à sa présence, et répandre ma prière, est identique à proclamer toutes mes afflictions. Quand agiras-tu ainsi ? L’interlocuteur est alors dans la tribulation : « Quand mon âme tombe en défaillance », nous dit-il. Pourquoi donc ton âme est-elle en défaillance, ô martyr que l’on persécute ? C’est de peur que je ne fasse à moi-même l’honneur de mes forces, et afin que je sache bien qu’un autre les produit en moi. C’est d’ailleurs l’avertissement que donne le Seigneur à ceux dont il voulait faire ses témoins : « Quand ils, vous traîneront devant les juges, ne vous inquiétez point de ce que vous direz; car ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous 5». Arrière donc ton esprit, et que l’Esprit de Dieu parle en toi. C’est donc avec raison qu’il voulait en faire des pauvres d’esprit : « Bienheureux les  pauvres en esprit, car le royaume des cieux

 

1. Matth. X, 28-32. — 2. Sag. VIII, 1. — 3. Ps. LXXIV, 7. — 4. Id. CXLI, 4. — 5. Matth. X, 19, 20.

 

leur appartient ». Donc bienheureux ceux qui sont pauvres de leur esprit, et riches de l’Esprit de Dieu; car tout homme qui suit son esprit est un orgueilleux; qu’il soumette son esprit, et reçoive l’Esprit de Dieu. Il cherchait les hauts lieux, qu’il reste dans la vallée. S’il s’élève en haut, les eaux s’écouleront loin de lui; s’il demeure dans la vallée, il en sera rempli, et il lui arrivera comme au sein dont il est dit: « Des fleuves d’eau vive couleront de son sein 2 ». Donc « pendant la défaillance de mon âme, j’ai annoncé en votre présence ma tribulation » , j’étais humble, et je confessais devant vous la défaillance de mon esprit, étant comblé de votre Esprit-Saint.

6. Quant aux hommes, en apprenant la défaillance de mon esprit, ils ont désespéré de moi, et ils ont dit : Nous l’avons pris, nous l’avons accablé : « Mais vous, Seigneur, vous avez connu mes sentiers ». Ils me croyaient abattu, vous saviez que j’étais debout. Ceux qui me persécutaient, qui s’étaient emparés de moi, croyaient que mes pieds étaient embarrassés; mais ce sont leurs pieds au contraire qui sont embarrassés, et ils sont tombés: « Mais nous nous sommes levés et redressés 3. Car mes yeux sont toujours fixés sur le Seigneur, parce que c’est lui qui dégagera mes pieds du filet 4 ». J’ai continué ma course; « et celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin 5 ». Ils me croyaient accablé, et moi je marchais. Où est-ce que je marchais ? Dans les sentiers que ne voyaient pas ceux qui croyaient m’avoir pris; dans les sentiers de votre justice, dans les sentiers de vos préceptes. « Vous connaissiez en effet mes sentiers », que ne connaissait pas le persécuteur; autrement il ne me porterait point envie, mais il y marcherait avec moi. Quels sont donc ces sentiers, sinon les voies dont il est dit ailleurs : « Le Seigneur connaît la voie  des justes, mais la voie des impies périra 6? » Il ne dit point que le Seigneur ne connaît pas la voie des impies; mais bien : « Dieu connaît la voie des justes, celle des impies périra ». Car tout ce que Dieu ne connaît pas doit périr. Dans beaucoup d’endroits de l’Ecriture, connaître, pour Dieu, c’est sauver. Connaître, c’est garder, comme ne pas connaître, c’est damner. Comment, en effet, celui qui

 

1. Matth. V, 3. — 2. Jean, VII, 38.— 3. Ps. XIX, 9.— 4. Id. XXIV, 15. —   5. Matth. X, 12. — 6. Ps. 1, 6.

 

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connaît tout pourrait-il dire à la fin du monde: « Je ne vous connais pas 1? » Qu’ils ne s’applaudissent point dès lors en disant que le juge ne les connaît point. C’est déjà un châtiment que n’être point connu du juge. Ces voies dès lors, dont il est dit que le Seigneur les connaît, le Prophète les appelle ici des sentiers, quand il dit : « Vous connaissez mes sentiers ». Tout sentier, en effet, est une voie, mais toute voie n’est pas un sentier. Pourquoi donc ces voies sont-elles appelées des sentiers, sinon parce qu’elles sont des voies étroites ? La voie large est celle des impies, la voie étroite celle des justes.

7. Dire la voie et les voies, c’est tout un, de même que dire l’Eglise ou les Eglises, le ciel ou les cieux. L’un est au pluriel, l’autre au singulier. L’Eglise, à cause de son unité, n’est qu’une Eglise: « Ma colombe est unique, l’unique de sa mère 2». Mais il ya plusieurs Eglises, si l’on envisage les diverses assemblées des fidèles en divers endroits : « Les Eglises de la Judée se réjouissaient dans le Christ, parce que celui qui naguère nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il  voulait détruire ; et ils glorifiaient Dieu à mon sujet 3». Il dit ici les Eglises, et ailleurs il parle d’une seule Eglise : « Ne donnez aucun scandale aux Juifs, ni aux Grecs, ni à l’Eglise de Dieu 4 ». Il en est donc de même de la voie et des voies, du sentier et des sentiers. Pourquoi les sentiers, et pourquoi le sentier? De même que maous avons donné la raison de l’Eglise et des Eglises, nous devons rendre compte du sentier et des sentiers. On dit les sentiers de Dieu, à cause de la pluralité des préceptes, et comme tous les préceptes peuvent se réduire à un seul, comme « la plénitude de la loi est la charité 5», toutes ces voies divisées en plusieurs préceptes peuvent se réduire à une seule, puisque notre voie c’est la charité. Voyons si la charité est une voie. Ecoutons l’Apôtre : « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore 6 ». Quelle est cette voie, ô saint Apôtre? Ecoute bien cette voie : « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges mêmes, si je n’ai point la charité, je suis comme un airain sonnant et une cymbale retentissante, Quand j’aurais le don de prophétie,

 

1. Matth. VII, 23. — 2. Cant. VI, 8. — 3. Gal. I, 22, 24. — 4. I Cor. 32. — 5. Rom. XIII, 10. — 6. I Cor. XIII, 31.

 

que je pénétrerais tous les mystères et us toutes les sciences, et quand j’aurais toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais toutes mes richesses aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne sert de rien 1 ». C’est donc la charité qu’il appelle une voie suréminente. Cette voie si relevée, mes frères, est une voie merveilleuse. Et parce qu’elle est très-relevée, elle est aussi de beaucoup la meilleure; car ce qui est éminent, est élevé; or, rien de plus relevé que la voie de la charité, et il n’y a que les humbles pour y marcher. Ces sentiers donc, la charité les appelle des préceptes. « Vous connaissez mes sentiers », dit le Prophète; vous savez que tout ce que j’endure, est par amour pour vous, vous savez qu’en moi la charité souffre tout; vous savez que si je livre mon corps pour être brûlé, j’ai cette charité sans laquelle rien ne me servirait.

8. Qui, mes frères, connaît véritablement ces voies de l’homme, sinon celui à qui le Prophète a dit: « Vous connaissez mes voies ? » Quelles que soient les actions des hommes sous nos yeux, nous ne savons quelle intention les a dictées. Combien est-il d’impies, qui, mesurant les autres sur eux-mêmes, disent de nous que nous cherchons dauis 1’Eglise des honneurs, des applaudissements, des avantages temporels ? Combien m’accusent de ne vous parler que pour me faire acclamer et applaudir par vous, et de n’avoir d’autre but, d’autre intention dans mes discours ? Comment leur montrer que telle n’est point mon intention ? Je n’ai plus qu’à dire : « Vous connaissez mes sentiers ». Comment ces accusateurs savent-ils ce que vous-mêmes ne savez point? Comment savent-ils ce qu’à peine je connais moi-même ? Car ce n’est point à moi de me juger : celui qui me juge, c’est le Seigneur 2, Je ne sais ce que, dans son ignorance, Pierre présumait de lui-même, quand le médecin ne présumait point de ses forces autant que lui. Crions donc vers Dieu avec un coeur pur et plein de piété, car c’est un véritable cri : « Seigneur, vous conus naissez mes voies ». Mais veux-tu que le Seigneur te conduise par ses voies ? Sois doux, sois calme, loin de toi toute obstination,

 

1. I Cor. XIII, I-3. — 2. Id. IV, 3, 4.

 

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tout orgueil, garde-toi d’élever et de secouer la tête comme le cheval et le mulet qui n’ont point d’intelligence 1 ». Si tu es doux, si tu es calme, tu seras une monture pour Dieu qui te conduira par ses voies. Car il conduira les humbles dans la justice, et enseignera ses voies aux hommes doux . « C’est donc vous, ô mon Dieu, qui connaissez mes voies ».

9. « Dans cette voie où je marchais, ils m’ont caché un piège ». Cette voie par où il marchait, c’est le Christ; et c’est là que lui ont tendu des pièges ceux qui persécutent les chrétiens, et au nom du Christ. « C’est donc là qu’ils m’ont caché un piège ». Pourquoi me porter envie, pourquoi me persécuter? Parce que je suis chrétien. Si donc c’est parce que je suis chrétien qu’ils me persécutent, « ils m’ont caché un piège dans la voie où je marchais». Autant qu’il est en eux, ils m’ont tendu des pièges dans la voie où je marche ; autant que le peuvent leurs désirs, que le peuvent leurs efforts, que le peuvent leurs voeux, ils ont voulu me prendre au piège dans la voie où je marchais. « Mais le Seigneur connaît la voie des justes 3 », et, « vous, Seigneur, connaissez mes sentiers ». Voilà ce qu’ils ont désiré; mais comme c’est vous qui êtes ma voie, vous ne leur permettrez point de me tendre des pièges en vous-même. C’est au nom du Christ en effet que les hérétiques veulent nous préparer des embûches, et ils se trompent eux-mêmes. Ce qu’ils croient mettre dans la voie, ils le placent en dehors, car eux-mêmes sont en dehors; et ils ne peuvent tendre des pièges où ils ne sont point. Mais le Prophète parle dans le sens de leurs désirs, de leurs voeux, de leur intention; car il est dit formellement ailleurs: « Ils m’ont tendu un piège près de la route 4 ». Dire « dans la voie », c’est parler dans le sens de leurs désirs, de leurs voeux; dire « près de la route », ou « près des sentiers », c’est parler selon la vérité. Car le piège n’est point dans le sentier, n’est point dans la voie elle-même, qui est le Christ; mais bien près des sentiers. Le Christ ne leur permet pas de le placer dans la voie, de peur que nous ne puissions la suivre; il permet seulement qu’on le tende le long de la voie, afin de nous prémunir contre tout écart. Un païen s’imagine me tendre un piège dans la voie, quand il me

 

1. Ps. XXX, 9.— 2. Id. XXIV, 9.— 3. Id. I, 6.— 4. Id. CXXXIX, 6.

 

dit: Tu adores un Dieu crucifié. Il s’en prend à la croix de Jésus-Christ qu’il ne comprend point. Il croit mettre dans le Christ ce qu’il ne met que le long du chemin. Mais que je ne sorte point du Christ, et je ne quitterai point la voie pour tomber dans le piége. Qu’il insulte au crucifié, comme il lui plaira, je n’en verrai pas moins la croix de Jésus sur le front des rois. Ce qu’il raille, c’est mon salut. Rien de plus orgueilleux que le malade qui a des sarcasmes pour le remède qui le guérit; s’il n’en riait point, il le prendrait et serait sauvé. Cette croix est le symbole de l’humilité, et un excès d’orgueil ne laisse point connaître à ce malade ce qui guérirait la tumeur de son âme. Et moi, si je connais ce remède, je marche dans la voie. Loin de rougir de la croix, je la porte non plus d’une manière invisible, mais sur mon front. Il y a beaucoup de sacrements que nous recevons de manières différentes:les uns, comme vous le savez, c’est notre bouche qui les reçoit; d’autres, c’est tout notre corps; mais comme c’est notre front qui rougit, celui qui a dit: « Si quelqu’un rougit de moi devant les us hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est dans les cieux 1 », a voulu établir sur le siège même de la pudeur ce que les païens appellent une ignominie. Ecoute les reproches que l’on fait à un impudent: c’est un effronté, dit-on. Qu’est-ce à dire: il n’a pas de front? C’est un impudent. Que mon front ne soit donc point nu, qu’il soit couvert par la croix de mon Seigneur. Donc, « ils m’ont tendu des pièges dans cette voie où je marchais » : autant qu’il était en eux, car ils ne les ont placés en réalité que le long de la voie, et moi je serai en sûreté, si je ne sors point de cette voie sacrée. « Tu ne, sais point», dit l’Ecriture, « que tu marches parmi les pièges 2 ». Qu’est-ce à dire, parmi les pièges? Dans la voie du Christ bordée de pièges de part et d’autre : pièges à droite, et pièges à gauche; pièges de la prospérité à droite, et pièges de l’adversité à gauche; pièges à droite, ou promesses du monde; pièges à gauche, ou menaces du monde. Pour toi, marche au milieu des piéges, sans t’éloigner de la voie, sans te laisser prendre aux promesses, ni abattre par les menaces. « Dans le chemin où je marchais, ils m’ont caché leurs embûches ».

 

1. Luc, IX, 26 — 2. Eccli. IX, 20.

 

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10. « Je considérais à droite, et je voyais 1». Il voyait, parce qu’il regardait à droite; c’est s’aveugler, que regarder à gauche. Qu’est-ce à dire: considérer à droite ? Où seront ceux à qui l’on dira : « Venez, bénis de mon Père, et possédez le royaume 2? » Mais ils seront à gauche, ceux à qui l’ami dira: « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges 3 ». Au milieu du monde menaçant et frémissant de rage, au milieu des persécutions, des outrages se multipliant à chaque pas, au milieu des terreurs, le Prophète méprisait le présent, envisageait l’avenir, et considérait à droite où il doit être un jour; c’est là qu’il était par la pensée, là qu’il regardait, là qu’il voyait, et dès lors, tout lui était supportable; mais ses persécuteurs ne voyaient point. Aussi, après avoir dit: « Je considérais à droite, et je voyais », il ajoute aussitôt : « Et nul ne me connaissait ». Quand nous endurons tout, qui connaît notre dessein, et si nous regardons à droite ou à gauche? Chercher dans tes souffrances l’applaudissement des hommes, c’est regarder à gauche; mais dans tes souffrances, chercher les promesses de Dieu, c’est regarder à droite; mais regarder à droite, c’est voir, comme regarder à gauche, c’est demeurer aveugle ; et encore, regarder à droite, c’est n’être connu de personne. Qui te consolera en effet, sinon ce Seigneur à qui tu as dit: « Et vous avez connu mes sentiers! Mais nul ne me connaissait?»

11. « La fuite m’est fermée ». Il se regarde comme environné de toutes parts. « La fuite m’est fermée ». Que ses persécuteurs disent avec outrage: Le voilà accablé, le voilà pris, enfermé, vaincu, sa fuite n’est plus possible. La fuite est fermée à l’homme qui ne fuit point. Mais celui qui ne fuit point, endure tout ce qu’il peut pour le Christ: c’est-à-dire que son âme ne connaît point la fuite; car le corps peut fuir; on nous l’accorde, on nous le permet, d’après cette parole du Sauveur : «S’ils vous poursuivent dans une ville, fuyez dans une autre 4 ». Mais la fuite est fermée à l’homme dont le coeur ne fuit pas. Or, il importe de savoir pourquoi il ne fuit pas, si c’est parce qu’il est environné, ou parce qu’il est pris, ou parce qu’il est courageux; car la fuite est fermée au captif, comme elle est fermée à l’homme vaillant. Quelle fuite alors nous faut-il éviter? Quelle fuite nous est

 

1. Ps. CXLI, 5.— 2. Matth. XXV, 34. — 3. Id. 41.— 4. Id. X, 23.

 

fermée? Celle dont le Seigneur a dit dans l’Evangile: « Que le bon pasteur donne sa vie us pour ses brebis; mais que le mercenaire et celui qui n’est point pasteur s’enfuit quand il voit venir le loup ? » Pourquoi fuir quand vient le voleur? « Parce qu’il se met peu en peine des brebis 1». Cette fuite était fermée à notre interlocuteur, soit que nous l’entendions de Jésus-Christ Notre-Seigneur, notre chef qui est mort pour tous, soit de nos martyrs qui sont ses membres, et qui, eux aussi, sont morts pour leurs frères. Ecoutez ce mot de saint Jean: « De même qu’il a donné sa vie pour nous, et nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères 2 ». Mais quand ils donnent leur vie, le Christ la donne aussi, puisqu’il s’écrie quand on les persécute: «Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3 ? » « La fuite m’est fermée, et nul ne recherche mon âme ». Il n’est donc personne pour en vouloir à sa vie? Comment, il voit les hommes qui ont conjuré sa mort, qui veulent répandre son sang, et il n’est personne qui recherche son âme? Cette parole peut avoir deux sens; de même que la fuite est fermée en deux manières, puisque ni le captif, ni l’homme vaillant ne fuient point; de même des persécuteurs ou des amis peuvent chercher la vie d’un homme. Ainsi donc « nul ne recherche son âme », signifie ici ils persécutent mon âme, mais ils ne la recherchent point. S’ils cherchaient mon âme, ils la trouveraient attachée à vous; et s’ils savaient la chercher, ils sauraient l’imiter; et pour que vous sachiez encore que des persécuteurs peuvent chercher l’âme d’un homme, il est dit ailleurs: « Qu’ils soient couverts de honte et d’ignominie, ceux qui recherchent mon âme 4 ».

12. « J’ai crié vers vous, Seigneur; j’ai dit: Vous êtes mon espérance 5». Au milieu de mes douleurs et de mes tribulations, j’ai dit: « Vous êtes mon espérance ». Ici-bas vous êtes mon espérance, et c’est ce qui me donne la patience. « Vous êtes mon partage », non point ici-bas; mais « dans la terre des vivants ». Dieu donne une portion dans la terre des vivants; mais cette portion n’est point en dehors de lui. Que donnerait-il à celui qui l’aime, si ce n’est lui ?

13. « Soyez attentif à ma prière, parce que

 

1. Jean, X, 11-13.— 2. I Jean, III, 16 — 3. Act. IX,4.— 4. Ps. XXXIX, 15. — 5. Id. CXLI, 6.

 

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je suis humilié à l’excès 1». Humilié par les persécuteurs, humilié par l’aveu. Il s’humilie d’une manière invisible, quand ses ennemis l’humilient visiblement. Dieu donc le relève, et d’une manière visible, et d’une manière invisible. Ce fut invisiblement qu’il releva les martyrs; mais ils le seront d’une manière visible, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption à la résurrection des morts, quand cette chair contre laquelle seule pouvaient sévir les méchants, sera renouvelée. « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme 1». Or, qu’est-ce qui a péri ? qu’ont-ils tué ? Peuvent-ils même faire périr ce qu’ils tuent? Non pas, Ecoute la promesse du Seigneur : « En vérité, je vous le déclare, pas un cheveu de votre tête ne périra 3 ». A quoi bon t’inquiéter des autres membres, quand un seul cheveu ne doit pas périr?

14. « Délivrez-moi de mes persécuteurs ». De qui pensez-vous qu’il veuille être délivré? Des hommes qui le persécutaient ? Sont-ce bien les hommes qui sont nos ennemis? Nous avons des ennemis invisibles qui nous persécutent bien autrement. L’homme nous poursuit pour tuer notre corps, l’autre ennemi pour enlever notre âme. Il a donc des instruments ; car il est dit qu’ « il exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion 4 ». Au moyen de ses instruments, c’est-à-dire au moyen des hommes dont il se sert, il persécute le corps à l’extérieur, afin de ruiner l’âme à l’intérieur; car si l’âme demeure ferme quand le corps succombe, le piège est détruit et nous sommes délivrés. Nous avons donc d’autres ennemis; demandons à Dieu qu’il nous en délivre, de peur qu’ils ne nous séduisent, ou en nous accablant par les maux de cette vie, ou en nous corrompant par ses attraits. Quels sont ces ennemis? Voyons si quelque serviteur de Dieu, quelque soldat vaillant qui a lutté contre eux n’en a point parlé ouvertement. Ecoute ce mot de l’Apôtre: « Vous n’avez point à lutter contre le sang et la chair 5 ». N’allez donc point haïr les hommes, les regarder comme vos ennemis, et croire que leurs inimitiés pourront vous accabler : ces hommes que vous craignez ne sont que chair et que sang; « et nous n’avons pas à combattre

 

1. Ps. CXLI, 7. — 2. Matth. X, 28. — 3. Luc, XXI, 18. — 4. Ephés. II, 2. — 5. Id. VI, 12.

 

contre le sang et la chair», dit l’Apôtre, voulant nous montrer son mépris pour des hommes assujétis à la mort. Contre qui donc nous faut-il combattre? « Contre les princes, contre les puissances, contre ceux qui dirigent ce monde ténébreux 1 ». Tu es effrayé à ce mot, de «directeur du monde » ; car s’ils sont les princes de ce monde, iras-tu donc au-delà du monde pour en être délivré? iras-tu au-delà du monde pour échapper à leur puissance? Par ceux qui dirigent ce monde ténébreux, tu ne dois donc pas comprendre ceux qui dirigent le ciel et la terre, lesquels sont les ouvrages de Dieu. Mais si l’on appelle monde le ciel et la terre, les méchants s’appellent aussi le monde. Pourquoi le monde? parce qu’ils aiment le monde; et dès lors ils sont ténèbres parce qu’ils sont impies. Aussi, que dit saint Paul à plusieurs d’entre eux qui avaient embrassé la foi? « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 2 ». Voyez donc par qui vous étiez gouvernés avant d’être lumière, et quand vous étiez ténèbres. Par qui sont dirigés les impies, sinon par le diable, comme les hommes de foi et de piété sont dirigés par Jésus-Christ? C’est donc au diable et à ses anges que saint Paul donne le nom de princes du monde, c’est-à-dire princes de ceux qui aiment le monde, princes des pécheurs, ou des ténèbres de cette vie ;tels sont les ennemis dont nous devons prier Dieu qu’il veuille bien nous délivrer.

15. Voyez aussi deux mondes, clairement précisés dans un endroit de l’Ecriture, dans l’Evangile; le monde que Dieu a fait, et le monde que dirige le diable, c’est-à-dire les amis du monde. Car Dieu qui a fait les hommes, ne les a point faits amis du monde. Aimer le monde est un péché, et Dieu n’a point fait le péché. Ecoutez donc ce double monde que je vous annonçais. « Il était dans ce monde », est-il dit. Mais de qui est-il dit qu’il était dans ce monde, sinon de Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu, et dont je vous ai dit tout à l’heure : « Elle atteint avec force d’une extrémité à l’autre, et dispose tout avec douceur 4? Elle atteint partout us à cause de sa pureté, et rien de souillé n’est en elle 5». Donc « il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a

 

1. Ephés. VI, 12. — 2. Id. V, 8. — 3. Jean, I, 10.— 4. Sag. VIII, 1.— 5. Id. VII, 24, 25.

 

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point connu ». Ce n’est donc point le monde fait par Jésus qui est régi par les princes et par les puissances des ténèbres 1; mais le monde qui n’a point connu Jésus-Christ, c’est-à-dire les amis du monde, les pécheurs, les injustes, les orgueilleux et les infidèles. Comment les pécheurs sont-ils le monde? Parce qu’ils aiment le monde, et qu’en l’aimant ils habitent le monde; comme on appelle maison et la bâtisse et ceux qui l’habitent. Dire d’une maison qu’elle est bonne, s’entend souvent de la bâtisse, comme une bonne maison s’entend aussi de ceux qui y demeurent. Mais on dit encore en deux manières : Gare à cette maison ! elle est mauvaise; tantôt c’est parce qu’elle menace ruine, et que tu pourrais y être écrasé; tantôt: Prends garde à cette maison, signifie: gare au lac des chasseurs, crains, ô pauvre, d’y être opprimé par le riche, ou victime de quelque fraude. Comme donc il y a maison et maison, de même il y a monde et monde. Mais pourquoi les justes, qui sont aussi dans le monde, ne sont-ils point appelés le monde? L’Apôtre l’a dit : « Etant dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair 2; mais notre conversation est dans le ciel  3». Le juste habite dans la chair; mais son coeur est en Dieu. Lui-même est appelé monde, si c’est en vain qu’il entend : En haut les coeurs; mais s’il ne l’entend pas en vain, qu’il habite en haut. «Vous êtes morts », dit l’Apôtre, « et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 4 ». Mais ceux dont la vie est ici-bas, c’est-à-dire ceux dont les affections et les désirs se traînent sur la terre, rétrécis et embarrassés, sont justement appelés mondains. Car il est aussi naturel d’appeler monde ceux qui habitent le monde, que d’appeler maison ceux qui demeurent dans une maison. Il y a donc monde et monde; « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu ». Voilà donc un monde fait par le Seigneur, et un monde qui n’a point connu le Seigneur. Chante l’édifice, aime l’architecte, et sans désirer d’habiter dans l’édifice, habite dans l’architecte lui-même.

16. « Délivrez-moi de ceux qui me poursuivent; car ils se sont fortifiés contre moi ». De qui cette parole: « Ils se sont fortifiés coutre moi ? » C’est la plainte du corps du Christ, la plainte de l’Eglise, la plainte des membres du Christ, qui s’écrient : Voilà que

 

1. Ephés. VI, 12.— 2. II Cor. X, 3.— 3. Philip. III, 20.— 4. Colos. III, 3.

 

s’accroît le nombre des pécheurs. « Or, à mesure que se multiplie l’iniquité, la charité se refroidit chez plusieurs 1. Délivrez-moi de ceux qui me persécutent, parce qu’ils se sont fortifiés contre moi ».

17. « Délivrez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom ». Nos devanciers ont entendu ce cachot de différentes manières, et peut-être est-ce bien ce cachot qui est désigné dans la « caverne » du titre. Voici en effet le titre du psaume : « Prière intelligente pour David lui-même, quand il était dans la caverne ».Cette caverne serait alors le cachot dont nous parlons. Voici deux points à expliquer; comprendre l’un, c’est aussi comprendre l’autre. Les mérites font le cachot; car une même demeure peut être une prison pour l’un, une habitation pour l’autre, Celui qui garde un captif, le gardât-il dans sa propre maison, et celui qui est gardé, voilà deux hommes qui sont dans la prison; mais dira-t-on du premier qu’il est en prison ? C’est une même demeure pour l’un et pour l’autre; mais la liberté en fait pour l’un une maison, la captivité une prison pour l’autre. Quelques-uns donc ont pensé que cette caverne, ce cachot c’est le monde, et que l’Eglise demande à Dieu d’être délivrée de cette prison, c’est-à-dire de ce monde qui est sous le soleil, où tout est vanité, Car il est dit : « Tout est vanité et présomption d’esprit dans toute entreprise et tout labeur de l’homme sous le soleil 2 ». Dieu donc nous promet que hors de ce monde nous serons dans je ne sais quel repos; et c’est peut-être ce qui nous fait dire à propos de cette terre : « Délivrez mon âme de sa prison ». Par la foi et par l’espérance, notre âme est en Jésus-Christ, comme nous l’avons dit tout à l’heure : « Votre vie us est cachée en Dieu avec le Christ 3». C’est notre corps qui est dans la prison, qui est dans le monde. Si le Prophète disait: Tirez mon corps de la prison, nous comprendrions que la prison c’est le monde. Et néanmoins, peut-être à cause de tout ce qui nous retient dans le monde, de ces convoitises terrestres contre lesquelles nous avons à lutter et à combattre; car « nous sentons dans nos membres une loi qui est contraire à la loi de l’esprit 4», avons-nous raison de dire: Délivrez mon âme de ce monde, c’est-à-dire des fatigues et des tribulations de cette vie.

 

1. Matth. XXIV, 12.— 2. Eccles. I,2, 3.— 3. Coloss. III, 3.— 4. Rom. VII, 23.

 

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Car ce n’est point cette chair que vous avez faite, mais bien la corruption de la chair, les peines et les tribulations qui sont une prison pour moi.

18. D’autres ont soutenu que cette prison, cette caverne , c’est notre corps, et que tel est le sens de «tirez mon âme de la prison ». Mais ce sens n’est point très-solide. Que voudrait dire, en effet: « Tirez mon âme de la prison », ou tirez mon âme de mon corps? Est-ce que les âmes des scélérats ne quittent point le corps pour aller dans des supplices plus cruels qu’ils n’en ont endurés sur la terre ? Quelle est donc l’importance de cette prière: « Délivrez mon âme de la prison », puisque tôt ou tard elle doit en sortir? Serait-ce un juste qui dirait : Que je meure maintenant; délivrez mon âme de cette prison du corps? Trop d’empressement serait un défaut de charité. Il doit sans doute en avoir le désir, il doit y aspirer et dire avec l’Apôtre : « J’ai un ardent désir d’être délivré des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur 1 ». Mais où serait la charité? Aussi dit-il ensuite: « Mais demeurer dans la chair est pour moi une nécessité à cause de vous 2 ». Que le Seigneur dès lors nous délivre du corps quand il lui plaira. On pourrait appeler aussi notre corps une prison, non que Dieu ait fait cette prison, mais parce qu’il est un supplice et qu’il est mortel. Il faut, en effet, considérer dans notre corps, et l’oeuvre de Dieu et la peine du péché. Cette forme, ce port, cette démarche, la disposition des membres, l’action des sens, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher, toute cette construction, cette admirable architecture ne peut être que l’oeuvre de Dieu qui a tout fait et dans le ciel et sur la terre, et ce qu’il y a de plus élevé comme ce qui est plus infime, et ce qui est visible comme ce qui est invisible. Où est donc le châtiment dans notre corps? C’est que la chair est corruptible, qu’elle est fragile, qu’elle est mortelle, qu’elle est dans l’indigence; il n’en sera plus ainsi au moment de la récompense. Nous aurons en effet notre corps, puisque c’est le corps qui ressuscitera. Qu’est-ce donc que nous n’aurons plus? La corruption ; puisque ce corps corruptible sera devenu incorruptible 3. Si donc la chair est une prison pour toi, ce n’est point le corps qui est cette prison, mais

 

1. Philipp. I, 23. — 2. Id. 24. — 3. I Cor. XV, 53.

 

la corruption du corps. Votre corps a été fait bon par Dieu qui est bon; mais, comme il est juge et juste, il l’a condamné à la corruption. Le corps est donc un bienfait, la corruption un châtiment. Alors « délivrez mon âme de sa prison » pourrait bien signifier: Tirez mon âme de la corruption. Ce sens n’est plus un blasphème, on le comprend.

19. Mais enfin, selon moi, « délivrez mon âme de sa prison » voudrait dire, délivrez-la de ce lieu étroit. Un homme qui a de la joie est au large même dans sa prison; un homme qui est triste est à l’étroit dans une vaste plaine. Donc il supplie Dieu de le délivrer de l’angoisse; bien qu’il soit en effet au large par l’espérance, le présent le tient néanmoins à l’étroit. Ecoute les angoisses de l’Apôtre: « Je n’ai point eu l’esprit en repos, parce que je n’ai point trouvé mon frère Tite 1». Ailleurs: « Qui est faible sans que je sois faible avec lui? qui est scandalisé sans que je brûle 2?» Etre faible, et brûler, n’est-ce donc pas être dans les peines, dans la prison ? Mais à ces peines la charité fait produire des couronnes. De là cette autre parole : « Il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge 3». Tel est le sens de ces paroles:

« Tirez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom ». Une fois délivrée de la corruption, qu’aura-t-elle à confesser ? Il n’y a là aucun péché, mais des louanges ; or, la confession s’entend de deux manières: ou de l’aveu des péchés, ou des louanges de Dieu, Quant à la confession des péchés, chacun la connaît, elle est tellement connue du peuple, que si l’on vient, dans une lecture, à prononcer le nom de confession, qu’il soit pris dans le sens d’une confession des péchés, ou dans le sens d’une confession de louanges, chacun se frappe aussitôt la poitrine. On connaît donc la confession des péchés, voyons maintenant si l’on connaît la confession de louanges. Où le trouver ? On lit dans les saintes Ecritures : « Voici ce que vous direz dans votre confession: C’est que toutes les oeuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes 4 ». C’est donc là une confession de louanges. Ailleurs le Seigneur s’écrie : « Je vous confesserai, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre 5 ». Que confessait-il ? Ses péchés?

 

1. II Cor. II, 13. — 2. Id. XI, 29.— 3. II Tim. IV,8. — 4. Eccli., XXXIX, 20, 21. — 5. Matth. XI, 25.

 

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Non; la confession du Christ était donc une louange. Ecoute cette louange adressée à son Père : « C’est », dit-il, « parce que vous avez dérobé ces mystères aux sages et aux savants et que vous les avez révélés aux petits 1 ». Ainsi donc, mes frères, parce que nous habiterons dans la maison du Seigneur, après ces angoisses de la corruption, toute notre vie ne sera qu’une louange en l’honneur de Dieu. Plusieurs fois déjà nous l’avons dit : quand il n’y aura plus de nécessité, tout ce qui tient à la nécessité cessera aussi. Là nous n’aurons plus rien à faire, je ne dirai pas ni le jour, ni la nuit, puisqu’il n’y aura pas de nuit, mais un jour et un jour unique, nous n’aurons d’autre tâche que de louer Dieu que nous aimons; car alors nous le verrons. Maintenant nous le désirons, nous le, bénissons sans le voir; quel amour, quels chants d’allégresse quand nous le verrons ! Ce sera la louange continuelle d’un amour sans fin.

 

1. Matth. XI, 25.

 

Ainsi vivrons-nous alors; « délivrez donc notre âme de ce cachot, afin qu’elle confesse votre saint nom » . « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, ils vous béniront de siècle en siècle 1 ». La prison nous retient maintenant, parce que « la chair qui se corrompt appesantit l’âme 2 ». Ce n’est point la chair qui appesantit l’âme, car nous aurons alors une chair; mais « la chair qui se corrompt». Notre prison n’est donc point notre corps, mais la corruption. «Délivrez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom, ô mon Dieu ». Ce qui va suivre maintenant est dit au nom de Jésus-Christ, notre chef, et cette parole est semblable à celle qui terminait hier. Voici cette parole d’hier, s’il vous en souvient: « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé  3». Quelle est la dernière ici ? « Les justes m’attendent jusqu’à ce que vous m’ayez donné ma récompense ».

 

1. Ps. LXXXIII, 5. — 2. Sag. IX, 15. — 3. Ps. CXL; 10.

 

 

 

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