PSAUME CXXVII
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXVII.

SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ LE JOUR DE SAINT FÉLIX, MARTYRISÉ A TUNIS, NON LOIN D’HIPPONE.

LES BIENS SPIRITUELS.

 

Les biens que promet notre psaume paraissent des biens temporels, et sont souvent le partage des impies. Toutefois, si ces biens étaient véritablement temporels et qu’on les prêchât comme la récompense du fidèle, ils nous feraient perdre l’amour des biens éternels. Ce psaume est donc une allégorie. L’homme béni, c’est le Christ dont nous sommes les membres ; ces biens sont ceux de la Jérusalem céleste, réservés à ceux qui sont au Christ. Le bonheur de cette vie n’est donc point un bonheur véritable, de même que les douleurs des martyrs n’étaient point sans espérance, et ils ne méprisaient le présent qu’en vue de l’avenir.

Ecoutons donc le psaume avec une crainte chaste, c’est-à-dire avec cette crainte peu soucieuse du mal temporel, mais qui commence par redouter les châtiments éternels, s’habitue à éviter le péché et à pratiquer le bien par amour pour l’éternité ; c’est la crainte de l’épouse chaste qui craint que l’époux ne vienne point, opposée à la crainte de l’épouse adultère qui craint d’être surprise. Or l’époux, qui est beau seulement aux yeux du coeur, est absent, et si nous désirons qu’il vienne pour nous juger, notre crainte est chaste. Que Dieu nous assure le bonheur temporel à condition que nous ne verrons point sa face, si nous tremblons, notre crainte est déjà chaste.

Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, ou le Christ dont nous sommes les membres. Nous mangerons les travaux de nos fruits ; c’est-à-dire, en travaillant pour recueillir le fruit qui est la vie éternelle, nous trouverons une nourriture dans l’espérance. C’est un pain de douleur, mais qui n’est pas sans délices. L’épouse féconde c’est l’Eglise, et les parois de la maison ceux qui s’attachent au Christ. Ce fut du côté d’Adam, que fut tirée Eve, comme l’Eglise du côté du Christ. Elle est féconde dans ceux qui s’attachent au Christ, et qui sont comme sou épouse, comme sa mère, tandis qu’il a, dans ceux que l’Eglise enfante, comme des frères et des soeurs Ces fils seront comme des oliviers, ou pacifiques. Voilà les bénédictions, mais de Sion; quant aux biens temporels, Dieu les donne aussi aux animaux ces biens ne sont pas en quelque sorte, puisqu’ils ne demeurent point. Nous les verrons de l’oeil de l’âme, qui voit même séparée du corps. Ces biens s’acquièrent par la patience dans la persécution, et se résument dans la paix de la véritable Jérusalem.

 

1. Voici, mes bien-aimés, une parole de l’Apôtre : « Nous communiquons les biens spirituels aux hommes qui vivent selon  l’Esprit; mais l’homme animal ne comprend point les choses qui sont selon l’esprit de Dieu 1 » ; cette parole nous fait craindre que ceux qu’il appelle ainsi, et qui ne comprennent point ce qui vient de l’esprit de Dieu, ne soient scandalisés plutôt qu’édifiés par notre psaume. Quoique nous l’ayons déjà entendu quand on le chantait, je veux néanmoins, comme il est court, le lire en courant et sans

 

1. I Cor. II, 13, 14.

 

m’y arrêter pour l’expliquer. Voyez bien ce qu’il contient. Si un homme souhaitait comme un grand bonheur les biens dont il est parlé dans ce psaume, et que le Seigneur les lui refusât, non par abandon, mais par un plus grand amour pour lui; et ces mérites biens que notre psaume promet comme la récompense de ceux qui aiment le Seigneur, s’il les voyait en abondance entre les mains de ceux qui ne le craignent pas, ses pieds alors chancelleraient, sa marche serait peu assurée, et il dirait dans son âme qu’en vain il a craint le Seigneur, puisqu’il n’a pas mérité d’obtenir (69) ces biens promis à ceux qui le craignent; tandis que ceux-là les obtiennent, qui non-seulement ne le craignent point, mais le déshonorent par leurs blasphèmes. Ecoutez ce que dit le psaume « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans sa voie : tu mangeras les travaux de tes fruits, tu seras heureux et comblé de tous biens 1 ». Quoique nous soyons charnels, nous pouvons encore ne voir dans ces paroles que des biens célestes; mais voyons la suite : « Ta femme sera dans ta maison comme une vigne féconde, tes enfants comme de jeunes oliviers environnant ta table. Ainsi sera béni l’homme qui craint le Seigneur 2 ». Comment sera-t-il béni? Parce que sa femme sera dans sa maison comme une vigne féconde, et que ses enfants seront autour de sa table comme des oliviers nouvellement plantés. Mais perdront-ils donc leur récompense, ceux qui ont renoncé aux épousailles à cause de Dieu? Un homme qui a renoncé au mariage s’est dit : Dieu aura pour moi d’autres bénédictions. Point du tout, ou bien il le bénira comme le dit notre psaume, ou ne te bénira aucunement; car la décision est formelle : « C’est ainsi que sera béni l’homme qui craint le Seigneur ».

2. Quel est donc, mes frères, le sens de ces promesses? de peur qu’en recherchant un bonheur temporel et terrestre, nous ne perdions celui du ciel. Le Prophète recouvre sa pensée d’un voile, et ce voile renferme je ne sais quoi. Or, votre charité se souvient qu’en exposant le psaume qui précède immédiatement celui-ci, nous avons rencontré un verset où il est dit : « Comme des flèches dans la main d’un puissant, ainsi les enfants de ceux qu’on a secoués 3»,et qu’en cherchant quels pouvaient être ces enfants des secoués, il nous a paru, d’après l’inspiration de Dieu, je le crois, que ces fils des secoués étaient les Apôtres fils des Prophètes. Ces prophètes en effet nous ont parlé en énigmes, et ont voilé leurs pensées de figures mystérieuses, qui en sont comme l’enveloppe; et les hommes n’en peuvent pénétrer le sens à moins de secouer ces voiles ; de là vient que ce nom « fils des secoués », a été donné aux Apôtres, qui ont tiré leur avantage des Prophètes qu’ils secouaient. Donc nous aussi, secouons notre psaume, de peur que, trompés par les

 

1. Ps. CXXVII, 1, 2.—  2. Id. 3, 4.— 3. Id. CXXVI, 4.

 

apparences, et en touchant sans le voir ce qu’elles recouvrent, nous ne prenions du bois pour de l’or, ou un vase de terre pnur de l’argent. Secouons donc, s’il plaît à votre charité; Dieu nous viendra en aide, nous découvrira ce qui est à l’intérieur; faisons-le d’atitant plus, mes frères, que nous célébrons une fête des martyrs. Quelles n’ont pas été les douleurs des martyrs, leurs tourments, leurs afflictions; quelles prisons infectes, quelles chaînes pesantes; combien de bêtes féroces, de flammes ardentes, d’atroces injures! Eussent-ils enduré tout cela, s’ils n’eussent vu ce je ne sais quel but où ils tendaient, et qui n’a rien de commun avec la félicité d’ici-bas? Or, il serait honteux pour nous de célébrer la fête des martyrs, de ces serviteurs de Dieu qui ont méprisé ce bas monde pour le bonheur éternel, et de prendre dans le sens d’une félicité temporelle ce que dit notre psaume, et de dire en voyant un fidèle serviteur de Dieu, un citoyen de la Jérusalem céleste engagé dans le mariage, mais sans avoir d’enfants: C’est là un homme qui ne craint pas le Seigneur, car s’il craignait Dieu, son épouse serait dans sa maison comme une vigne féconde, elle ne serait point stérile au point de n’en avoir aucun ; si cet homme craignait Dieu, ses enfants environneraient sa table comme de jeunes oliviers. Tenir ce langage, ce serait être charnel, et ne pas comprendre ce qui vient de l’Esprit de Dieu; secouons donc à notre tour, afin de devenir les enfants de ceux que l’en a secoués. Si nous y arrivons, nous serons comme des flèches dans la main d’un puissant ; et par ses préceptes il nous lancera dans le coeur des hommes qui ne l’aiment point encore, afin que, blessés de la parole de Dieu, ils commencent à l’aimer. Car si nous en venions àleur prêcher : Mes frères, mes enfants, craignez le Seigneur, afin d’avoir des fils et des petits-fils, et de mettre ainsi la joie dans vos maisons, nos flèches ne les blesseraient point de l’amour de la Jérusalem éternelle; ils demeureraient dans l’attachement aux biens terrestres, et à la vue de l’abondance des impies, ils nous diraient, sinon ouvertement, du moins dans leur intérieur : Pourquoi donc la maison de l’homme qui ne craint pas le Seigneur, est-elle pleine d’enfants? Quelqu’un lui dira peut-être : Tu ne sais pas encore ce qui peut lui arriver; que dirais-tu,

 

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s’il les perdait l’un après l’autre, parce qu’il ne craint pas le Seigneur, et s’il n’avait un si grand nombre d’enfants que pour ressentir de leur perte une douleur plus vive? Mais à ce propos, il pourrait répliquer : Je connais un homme impie, un païen, un sacrilège, un idolâtre (et peut-être qu’il dirait vrai, qu’il n’en connaît pas un, mais deux, mais trois), et cet homme est mort dans une grande vieillesse, dans la décrépitude, et dans son lit, et une foule d’enfants et de petits-enfants le conduisaient au tombeau. Voilà un homme qui ne craignait point le Seigneur, et une postérité nombreuse lui fermait les yeux. Que répondre à cela? Il ne peut plus arriver aucun malheur à cet homme, il ne saurait vivre et conduire ses enfants au tombeau, puisqu’il est mort, et que ses enfants lui ont fait de glorieuses funérailles.

3. Secouons donc, secouons encore, si nous voulons être les fils de ceux qu’on a secoués. Qu’il sorte quelque chose de ces voiles. Il est en effet un homme béni, comme le dit le Prophète; et nul ne craint le Seigneur s’il n’est membre de cet homme; et ce sont plusieurs hommes qui n’en forment qu’un seul, comme il y a plusieurs chrétiens en un seul Christ. Or, les chrétiens avec leur chef qui est monté aux cieux, ne forment qu’un seul Christ. Il n’est point seul, et nous plusieurs; mais quoique plusieurs, nous sommes un en lui seul. Jésus-Christ donc n’est qu’un seul homme comprenant la tête et les membres. Qu’est-ce que son corps? Son Eglise, d’après cette parole de l’Apôtre « Nous sommes les membres de son corps 1»; et aussi : « Vous êtes le corps de Jésus Christ, ainsi que ses membres 2 ». Comprenons donc ici la voix de cet homme, dans le corps duquel nous sommes un seul homme, et nous y verrons les biens de la Jérusalem céleste, comme il est dit à ta fin du psaume « Puisses-tu voir les biens de Jérusalem ! » Car si nous regardons ces biens d’un oeil terrestre, comme le grand nombre des enfants et des petits-enfants, la fécondité d’une épouse, tels ne sont pas les biens de cette Jérusalem; ces biens sont dans la terre des mourants, tandis que l’autre terre est celte des vivants. Ce n’est donc pas un bien pour toi, d’avoir des fils qui doivent mourir, sinon avant toi, certainement après toi. Veux-tu avoir des

 

1. Ephés. V, 30. — 2. I Cor. XII, 27.

 

enfants qui ne mourront point, qui vivront toujours avec toi? Sois dans le corps de celui dont il est dit : « Vous êtes le corps du Christ et ses propres membres.

4. C’est pour cela que notre psaume, d’ailleurs si obscur qu’il faut heurter à la porte, si voilé qu’il faut le secouer, commence au pluriel: « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies 1 ». Il parle tout d’abord à plusieurs; mais parce qu’ils ne sont qu’un en Jésus-Christ, il continue au singulier : « Tu mangeras les travaux de tes fruits ». Il avait dit plus haut: « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies » ; maintenant, pourquoi dit-il :  « Tu mangeras les travaux de tes fruits », et non, vous mangerez ? Et pourquoi « les travaux de tes fruits », et non, les travaux de vos fruits?A-t-il donc sitôt oublié qu’il vient de parler au pluriel? Mais si tu as secoué celte écorce, que répond le Prophète? Quand je nomme plusieurs chrétiens, je n’entends qu’un seul homme en Jésus-Christ. Vous êtes donc plusieurs, et vous n’êtes qu’un seul. Comment sommes-nous plusieurs, et néanmoins un seul? Parce que nous sommes unis à Celui dont nous sommes les membres, et que notre tête est dans le ciel, afin que ses membres suivent.

5. Que le Prophète nous décrive donc maintenant, puisque nous connaissons celui qu’il va décrire. Tout le reste s’éclaircira : seulement craignez le Seigneur et marchez dans ses voies ; ne soyez point jaloux de tout homme qui, sans marcher dans les mêmes voies, jouit d’une félicité malheureuse. Car les hommes du monde sont heureux pour leur malheur ; tandis que les martyrs souffraient pour leur bonheur. Leur douleur n’était que pour un temps, leur bonheur pour l’éternité, et lors même qu’ils étaient malheureux pour un temps, on les croyait plus malheureux encore qu’ils ne l’étaient réellement. Que dit en effet l’Apôtre? « Nous paraissons tristes, et nous sommes toujours dans la joie 2 ». Pourquoi « toujours? » En cette vie et en l’autre; oui, en cette vie et eu l’autre. D’où vient en effet notre joie ici-bas? de l’espérance. D’où nous viendra-t-elle en l’autre vie? de la réalité. C’est une grande joie que l’espérance d’un homme qui est dans la joie. Mais si e nous nous réjouissons dans

 

1. Ps. CXXVII, 1. — 2. II Cor, VI, 10.

 

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la joie », voyez ce qui suit : « Patients dans la tribulation 1 ». Les martyrs étaient donc dans la tribulation, parce qu’ils se réjouissaient dans l’espérance. Mais parce que la promesse n’était lias encore réalisée, que dit l’Apôtre? «L’espérance que l’on voit, n’est pas une espérance : si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience 2 ». Voilà ce qui a aidé les martyrs à endurer tant de maux, c’est qu’ils attendaient par la patience ce qu’ils ne voyaient pas encore. Pour leurs bourreaux, ils aimaient ce qu’ils voyaient; mais les victimes aspiraient à ce qu’elles ne voyaient point encore, elles se hâtaient d’atteindre les biens invisibles. Le retard de la mort était à leurs yeux un délai préjudiciable.

6. Il a donc méprisé le monde, ce Félix dont nous célébrons la fête aujourd’hui, qui a dans son nom et dans sa couronne la véritable félicité. Mais cette félicité lui vint-elle de sa crainte pour Dieu, et fut-il heureux, parce que son épouse fut ici-bas comme une vigne féconde, parce que ses enfants environnaient sa table? Sans doute il a tous ces biens, mais dans le corps mystique de Celui qui est décrit en notre psaume. Et comme il l’a compris de la sorte, il méprise le présent, afin de posséder l’avenir. Mais vous devez savoir qu’il ne souffrit point la mort comme les autres martyrs. Car, après qu’il eut confessé Jésus-Christ, on différa son supplice, et le lendemain on le trouva mort. On avait fermé la porte sur lui, mais pour son corps seulement, non pour son âme. Quand ils se préparaient à le tourmenter, les bourreaux ne le trouvèrent plus, et perdirent toute occasion de sévir. Il était sans vie, privé de sentiment pour toute douleur, mais non point devant Dieu qui le couronnait. Mais s’il aima les biens de cette vie, comment donc, rues frères, est-il feux, ou a-t-il la félicité dans son nom et dans la récompense de la vie éternelle?

7. Ecoutons donc ce psaume, en l’appliquant au Christ, et nous tous qui sommes unis au corps du Christ, et devenus ses membres, marchons dans les voies du Seigneur; ayons pour le Seigneur une crainte chaste, une crainte qui demeure dans le siècle des siècles. Car il y a une autre crainte que bannit la charité, comme le dit saint Jean: « La crainte n’est pas dans la charité, mais la

 

1. Rom. XII, 12 — 2. Id. VIII, 21, 25.

 

charité qui est parfaite, bannit la crainte 1». Il ne dit pas que la charité bannit toute crainte, puisque nous lisons dans un psaume:

« La crainte du Seigneur, quand elle est chaste,subsiste dans les siècles des siècles 2». Donc il est une crainte qui subsiste, et une crainte qui est bannie. Celle qui est bannie n’est point chaste, celle qui demeure est chaste. Quelle est la crainte qui est bannie? Daignez écouter. Les uns craignent uniquement de souffrir quelqu’accident en cette vie, de tomber malades, de subir quelque dommage, de voir mourir un enfant ou un ami, d’encourir l’exil, la condamnation, la prison ou toute autre peine. Voilà ce qui les fait craindre et trembler; mais cette crainte n’est point encore chaste. Allons plus loin. Un autre ne redoute point les maux d’ici-bas, mais il craint cet enfer dont le Seigneur nous menace, comme vous l’avez entendu dans l’Evangile; et « où le ver qui les ronge ne meurt point, où la flamme qui les brûle, ne s’éteindra point 3 ».. Voilà ce qu’entendent les hommes; et comme ces maux arriveront véritablement aux impies, ils craignent, ils s’abstiennent du péché. Ils ont donc la crainte, et cette crainte leur fait évite, le péché. Et cette crainte néanmoins ne leur donne point l’amour de la justice. Toutefois, cette crainte qui les détourne du péché,les habitue û la justice, ils commencent à aimer ce qu’ils trouvaient dur, et Dieu devient doux pour eux : et dès lors l’homme commence à vivre dans la justice, non parce qu’il craint la peine, mais parce qu’il aime l’éternité. La charité donc a banni cette crainte, qui a fait place à une crainte chaste.

8. Quelle est cette crainte chaste ? C’est, mes frères, la crainte que l’on nous désigne dans ces paroles: «Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies ». Si le Seigneur me fait la grâce de parler dignement de cette crainte chaste, plusieurs d’entre vous pourront bien passer de la crainte chaste aux flammes du chaste amour; et peut-être ne saurais-je me faire comprendre sans une comparaison. Voilà une épouse chaste qui craint son mari, et une épouse adultère qui craint son mari également. L’épouse chaste craint que son mari ne s’éloigne; l’épouse adultère craint qu’il ne vienne. Que le mari de l’une et de l’autre soit absent : l’une craint qu’il ne vienne, l’autre qu’il ne tarde à venir. Or,

 

1. I Jean, IV, 18. — 2. Ps. XVIII, 10. — 3. Marc, IX, 43.

 

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Epoux auquel nous avons été fiancés, est ahmt en quelque sorte, il est absent Celui qui eus a donné l’Esprit-Saint pour gage de sa fidélité, absent Celui qui nous a rachetés au prix de son sang ; cet Epoux que rien n’égale en beauté, et qui a néanmoins paru souillé entre les mains des persécuteurs, comme le disait tout à l’heure Isaïe : «Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté 1». Est-il donc difforme cet Epoux? Point du tout. Comment alors pourraient l’aimer ces vierges qui ont renoncé à tout autre époux sur la terre? Il ne fut donc difforme que pour ses persécuteurs, et s’ils ne l’eussent en effet trouvé difforme, il ne l’eussent point assailli, ni flagellé, ni couronné d’épines, ni déshonoré de crachats; mais comme il avait de la laideur à leurs yeux, ils le traitèrent de la sorte, car leurs yeux n’étaient point capables de voir la beauté du Christ. Pour quels yeux le Christ a-t-il donc une beauté? Quels yeux lui-même recherchait-il, quand il disait à Philippe « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et vous ne m’avez point encore vu 2? » Ces yeux doivent être purifiés, afin de voir cette lumière : qu’un faible rayon les touche quelque peu, et pris d’amour pour cette lumière, ils veulent être guéris afin de pouvoir la contempler. Et pour vous montrer qu’il y a une beauté qui nous fait aimer le Christ, le Prophète a dit : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes 3 ». Sa beauté éclipse toute beauté humaine. Qu’est-ce que nous aimons dans le Christ? Ses membres cloués à la croix, son côté entr’ouvert, ou son amour pour nous? Quand on nous dit qu’il est mort pour nous, qu’est-ce que nous aimons? Son amour. Il nous a aimés afin que nous lui rendions son amour; et afin que nous puissions le lui rendre, il nous a visités par son Esprit-Saint, Il est donc beau, mais il est absent. Que l’épouse s’interroge et voie si elle est chaste. Nous sommes tous dans son corps, mes frères, tous nous sommes ses membres, et dès lors nous ne formons qu’un seul homme. Que chacun voie de quelle crainte il est animé; de la crainte que bannit l’amour, ou de la crainte chaste qui demeure dans le siècle des siècles. Il l’a vu déjà, et j’ajoute qu’il va le voir encore. L’époux donc est absent, interroge ta conscience. Veux-tu qu’il vienne, ou veux-tu qu’il retarde? Voyez, mes frères, voilà que je

 

1. Isa. LIII, 2. — 2. Jean, XIV, 9. — 3. Ps. XLIV, 3.

 

frappe à la porte de vos coeurs; mais c’est lui qui entend votre réponse. Quelle que soit en chacun de vous la réponse de votre conscience, elle ne peut arriver jusqu’à moi, car je suis un homme; mais il l’a entendue, celui qui est absent, il est vrai, puisque nOUS ne le voyons point corporellement, et qui est présent néanmoins par la puissance de sa majesté. Que l’on dise : Voici le Christ, à demain le jugement; hélas! combien peu diraient: Qu’il vienne au plus vite! C’est le langage des coeurs pleins d’amour. Qu’on leur dise au contraire: Il est loin encore, ilt craignent tout délai, parce que leur crainte est chaste. Comme ils craignent maintenant qu’ils ne tarde trop, dès qu’il seravenu, ils craindront qu’il ne s’éloigne. Mais cette crainte sera chaste encore, parce qu’elle sera tranquille et pleine de confiance. Car cet Epoux ne nous abandonne pas aussitôt après nous avoir trouvés, lui qui nous cherchait, avant que nous eussions la pensée de le chercher. Voilà donc, mes frères, le propre de la crainte chaste, elle vient de l’amour. Mais la crainte qui n’est point encore chaste, redoute la présence et les peines. Celui qui en est là, fait par crainte le bien qu’il fait; sans redouter de perdre le souverain bien, il craint de subir le souverain mal. li ne craint point de perdre les saints embrassements de l’Epoux le plus beau, mais il craint d’être jeté dans l’enter. Cette crainte est bonne, sans doute, elle est utile, mais elle ne subsistera point dans les siècles des siècles; elle n’est point encore la crainte chaste qui doit subsister toujours.

9. En quoi donc est-elle chaste? Je vous fais une question qui vous donnera le moyen de vous interroger vous-mêmes. Si Dieu venait nous interroger de sa propre bouche, quoiqu’il ne cesse de nous parler dans les saintes Ecritures, s’il disait à l’homme : Tu veux pécher, pèche à ton gré, fais ce qu’il te plaît; que tout ce que tu aimes sur la terre soit à toi; que l’ennemi que tu veux perdre soit exterminé; que ceux que tu voudras dépouiller soient dépouillés; qu’ils soient frappés ceux que tu voudras frapper, condamnés ceux que tu voudras condamner; à toi, ceux que tu veux avoir; que nul ne te résiste et ne te dise: Que fais-tu? nul: Pourquoi agir de la sorte? nul : Pourquoi as-tu fait cela? Que tous les biens terrestres tarit désirés soient en abondance chez toi, vis paisiblement au (73) milieu d’eux, non pour un temps, mais pour toujours; seulement tu ne verras jamais ma face. D’où vient, mes frères, que cette parole vous fait gémir, sinon parce que vous avez déjà cette crainte qui subsiste éternellement? D’où vint que votre coeur a été frappé à cette parole : Tu ne verras point ma face ; voilà que tu posséderas toute félicité terrestre louis les biens; tu seras comblé de toutes les prospérités, sans rien perdre, sans que rien t’échappe; que veux-tu de plus? La crainte chaste répandrait des larmes, et gémirait en disant : Plutôt perdre tous ces biens et voir votre face. La crainte chaste s’écrierait avec le psaume : « Dieu des vertus, tournez-vous vers nous, montrez-nous votre face et nous serons sauvé 1». La crainte chaste dirait encore avec un autre psaume : « Je n’ai fait au Seigneur qu’une seule demande ». Vois quels sont les transports de cet amour chaste, amour véritable, amour sincère : « Je n’ai fait qu’une demande au Seigneur 2». Qu’ai-je demandé? «D’habiter dans la maison du Seigneur, tous les jours de ma vie ». Mais serait-ce en vue d’un bonheur temporel? Ecoute ce qui suit : « Afin de contempler les délices du Seigneur, et d’être protégé comme son temple divin 3 » ; c’est-à-dire d’être son temple et d’être protégé par lui. C’est l’unique demande que j’ai faite au Seigneur. Si vous n’exercez votre coeur qu’à cette unique demande , si vous ne craignez de perdre que ce seul bien, vous ne porterez point envie aux prospérités d’ici-bas et vous mettrez votre espérance dans ce bonheur qui est le véritable, et vous serez membres de celui à qui l’on chante : « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies ».

10. « Tu mangeras les travaux de tes fruits ». O vous, ô toi, ô vous tous qui n’êtes qu’un seul, tu mangeras les travaux de tes « fruits ». Les ignorants sont tentés ici d’accuser le Prophète, qui aurait dû dire, selon eux: « Tu mangeras le fruit de tes travaux ». Beaucoup en effet mangent le fruit de leurs travaux. Qu’ils travaillent à la vigne, ils ne m:ngent point leur travail, mais ils mangent ce que leur travail produit. Qu’ils travaillent à des arbres fruitiers, qui mange leurs travaux? Mais le fruit que ces arbres ont produit, voilà ce qui réjouit le vigneron. Que

 

1. Ps. LXXIX, 8. — 2.Id. XXVI, 4. — 3. Ibid.

 

signifie donc: « Vous mangerez les travaux de vos fruits? » C’est maintenant le temps du travail, celui des fruits ne vient qu’après. Mais c’est que le travail n’est pas sans joie à cause de l’espérance dont nous avons dit tout à l’heure : « Pleins de joie dans l’espérance, patients dans la tribulation 1 » ; et que maintenant ce travail nous console et nous réjouit par l’espérance. Que sera-ce que manger le fruit de ce travail? C’étaient leurs travaux que mangeaient  « ceux qui marchaient en pleurant et en répandant sur la terre leurs semences 2 ». Avec combien plus de joie mangeront le fruit de leurs travaux « ceux qui viendront en portant leurs gerbes avec allégresse? » Et pour mieux voir que l’on mange ce travail, mes frères, vous avez entendu qu’à ces hommes du psaume précédent qui voulaient, dans leur orgueil, se lever avant la lumière ou avant le Christ, mais non passer par cette humilité qui le fit ressusciter, il a été dit : « Levez-vous après vous être assis 3 » ; c’est-à-dire , abaissez-vous d’abord, et ensuite vous vous élèverez, puisque celui qui est venu pour s’humilier a été élevé à cause de vous. Et que dit notre psaume? « Vous qui mangez le pain de la douleur ». Ce pain de douleur est le travail de vos fruits. Si l’on ne le mangeait, on ne l’appellerait pas du nom de pain; et toutefois si ce pain n’avait quelque saveur, nul ne le mangerait. Avec quelle douceur pleure et gémit celui qui prie ! Les larmes de la prière sont plus délicieuses que les joies du théâtre. Ecoute jusqu’où va l’ardeur du désir avec lequel on mange ce pain dont il est dit : « Vous qui mangez un pain de douleur »cet amour, dont nous entendons souvent la voix dans les psaumes, nous dit ailleurs « Mes larmes sont devenues pour moi un pain, le jour et la nuit ». Pourquoi ses larmes sont-elles un pain pour lui ? C’est qu’on me dit chaque jour : « Où est ton Dieu? » Avant que nous puissions voir celui qui nous a aimés, qui nous a donné des gages de son amour, et à qui nous avons été fiancés, les païens nous disent avec ironie : Où est le Dieu des chrétiens? Qu’ils nous montrent ce Dieu qu’ils adorent. Nous leur montrons nos divinités; qu’ils nous montrent leur Dieu. Quand un païen te parle ainsi, tu n’as rien à lui montrer, parce qu’il ne peut

 

1. Rom. XII, 12.—  2. Ps CXXV, 6.— 3. Id. CXXVI, 2— 4. Id XLI, 4.

 

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rien voir. Tu te replies sur toi-même et tu pleures devant Dieu; tu soupires vers lui, avant de le voir, et tu gémis dans tes désirs; et comiule ce désir t’arrache des larmes, tés larmes te sont douces, elles sont ta nourriture, parce qu’elles sont devenues ton pain le jour et la nuit, quand chaque jour on te dit : « Où est ton Dieu? » Mais ton Dieu viendra, ce Dieu dont il est dit: Où est-il? et il essuiera tes larmes, et au lieu de ce pain des larmes, il sera lui-même ton pain, et il te rassasiera éternellement, parce que nous aurons avec nous ce Verbe de Dieu qui est le pain des anges. Nous n’avons donc ici-bas que les travaux de nos fruits, nous aurons ensuite le fruit de nos travaux. « Tu mangeras les travaux de tes fruits; tu es heureux et tu seras comblé de biens ». Tu es heureux, voilà pour le présent; tu seras comblé de biens, c’est l’avenir. Tu es heureux en mangeant les travaux de tes fruits, mais tu seras comblé de biens, quand tu mangeras les fruits de tes travaux; Que veut dire le Prophète ? Car si tu es comblé de biens, tu seras heureux assurément; etsi tues heureux, tu seras comblé de biens. Mais il y a une différence entre l’espérance et la réalité; si l’espérance est si douce, combien plus douce encore sera la réalité!

11. Arrivons maintenant à ce verset : « Votre épouse ». C’est au Christ que s’adresse cette parole. Donc cette épouse du Christ est son Eglise, et cette Eglise qui est son épouse, c’est nous-mêmes. « Votre épouse sera comme une vigne féconde». Mais en qui cette vigne est-elle féconde? Nous voyons entrer dans ces murailles de nos temples bien des hommes stériles; car nous y voyons entrer beaucoup d’ivrognes, d’usuriers, de marchands d’esclaves, d’hommes qui cherchent des sortilèges, qui ont recours à des magiciens et à des magiciennes pour un mal de tête. Est-ce là cette fécondité de la vigne? Cette fécondité de l’épouse? Nullement. Ce sont là des épines, mais la vigne n’est pas épineuse partout. Elle a une certaine fécondité, c’est une vigne fertile; mais en qui est cette fertilité? « Dans les flancs de votre maison ». Or, tous ne sont point les parois de cette maison. Je cherche quelles en sont les parois, et que dirai-je? Que ce sont les murailles du bâtiment, les pierres qui le soutiennent? Si je parlais de ce bâtiment matériel, peut-être en appellerais-je ainsi les parois. Mais nous appelons les côtés de la maison spirituelle, ceux qui demeurent étroitement attachés au Christ. Car ce n’est- pas sans raison que, dans le discours familier, nous disons de quelqu’un qui agit mal d’après le conseil de perfides amis Ses côtes sont mauvais. Qu’est-ce à dire, ses côtés sont mauvais? Les gens qui l’assiègent sont pervers. Dès lors, celui dont les côtés sont bons vit de bons conseils. Qu’est-ce àdire? Il est dirigé par des conseils salutaires. Les côtés de la maison sont donc les hommes attachés au Christ, et ce n’est pas sans raison que l’épouse a été formée du côté de l’époux. Adam dormait quand Eve fut formée 1, comme l’Eglise fut formée à la mort du Christ: la première prit naissance du flanc de son époux, à qui Dieu avait enlevé une côte, et la seconde du flanc de son époux, ouvert par un coup de lance, et d’où coulèrent les sacrements 2. Donc ton épouse est comme une vigne féconde; mais dans qui? « Dans les parois de ta maison ». Elle est stérile dans ceux qui ne s’attachent point au Christ. Aussi ne les compterai-je point dans cette vigne.

12. « Vos fils ». L’épouse et les fils ne sont qu’un. Dans les épousailles charnelles, autre est l’épouse et autres sont les enfants. Dans l’Eglise les enfants ne diffèrent point de l’épouse, Car les Apôtres appartenaient à l’Eglise, ils en étaient les membres. Donc ils étaient dans l’Epouse du Christ, et ils étaient cette même épouse selon la place qu’ils avaient parmi ses membres. Pourquoi donc le Sauveur dit-il à leur occasion : « Quand l’Epoux les aura quittés, alors les fils de l’Epoux jeûneront 3? » L’Eglise est donc l’Epouse, et eux sont les enfants. Chose étonnante, lues frères! Dans les paroles du Sauveur, nous voyons que l’Eglise est en même temps les frères du Seigneur, et ses soeurs, et sa mère. Ou vient en effet lui dire que sa mère et ses frères sont dehors 4. Comme ils étaient au dehors, il y avait là une figure. Que figurait sa mère? La synagogue. Et que figuraient ses frères, selon la chair? Les Juifs qui étaient dehors. La synagogue aussi se tenait dehors. Car en ce qui regarde Marie, elle est dans les parois de la maison; de même que ses proches du côté de la Vierge Marie , et qui croyaient en lui, étaient aussi dans l’intérieur,

 

1. Gen. II. 21, 22. — 2. Jean, XIX, 31. — 3. Matth. IX, 15. — 4. Id. XII, 46.

 

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non point à cause des liens du sang, mais parce qu’ils écoutaient la parole de Dieu et la mettaient en pratique. Telle fut en effet la réponse du Sauveur : « Quelle est ma mère », dit-il, « et qui sont mes frères 1? »C’est ce passage qui a fait dire à quelques-uns que le Christ n’avait point de mère, puisqu’il dit : « Quelle est rua mère? » Pourquoi cette conclusion? Donc, ni Pierre, ni Jean, ni Jacques, ni les autres Apôtres n’ont point eu de père ici-bas? Il leur dit en effet : « N’appelez personne votre père sur la terre, car vous n’avez qu’un seul Père qui est dans les cieux 2 », Il nous montrait donc à l’égard de sa mère ce qu’il apprenait à ses disciples à dire à l’égard du père. Il veut que nous préférions Dieu à toutes les parentés charnelles. Honneur à ton père, parce qu’il est ton père; honneur à Dieu, parce qu’il est Dieu. Ton père dans la génération n’a été qu’un instrument charnel, c’est Dieu qui t’a créé par l’effet de sa puissance. Que le père ne se blesse point quand on lui préfère Dieu; qu’il se réjouisse au contraire, qu’on l’honore au point de ne lui préférer que Dieu seul. Que dirai-je donc? Que dit le Seigneur? « Quelle est ma mère, et quels sont mes frères? Et, étendant la main sur les disciples, voilà », dit-il, « ma mère et mes frères 3 ». Ils étaient ses frères, mais comment étaient-ils sa mère? Le Sauveur ajoute : « Et quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma soeur et ma mère ». Il est son frère à cause des hommes qui sont dans l’Eglise, sa soeur à cause des saintes femmes qui sont membres du Christ. Et comment sa mère, sinon parce que le Christ est dans les chrétiens que l’Eglise engendre chaque jour par le baptême? Ceux donc qui forment l’Epouse du Christ sont aussi sa mère et ses fils.

13. Disons maintenant ce que doivent être ces fils, Oui, que seront-ils? Pacifiques. Pourquoi pacifiques? Parce que, « Bienheureux les pacifiques, puisqu’ils seront appelés enfants de Dieu 4 ». Comme donc l’olive est le fruit de la paix, car l’huile, symbole de charité, est aussi symbole de paix; il n’y a aucune paix sans la charité. Or, ils n’ont évidemment pas la charité, ceux qui ont rompu la paix. Aussi ai-je expliqué déjà à votre charité pourquoi la colombe apporta dans l’arche des feuilles

 

1. Matth, XII, 48.—  2. Id. XXIII, 9.— 3. Id. XIII, 48, 49.— 4. Id. V, 19.

 

avec du fruit de l’olivier 1. Elle enseignait ainsi que ceux qui ont été baptisés au dehors, comme ces branches avaient été baptisées hors de l’arche, s’ils ne se contentent pas des feuilles ou des paroles, et qu’ils aient encore le fruit qui est la charité, sont ramenés dans l’arche par la colombe, et reviennent ainsi à l’unité. Tels doivent être les enfants autour de la table du Seigneur, comme des Plans d’olivier. Tel est donc le grand bonheur, le bonheur parfait; qui voudrait n’y avoir aucune part? Si donc tu vois un blasphémateur ayant une épouse, des fils, des petits-fils, pendant que toi-même tu n’auras aucun de ces biens, n’en sois point jaloux; vois que tu as tous ces biens, mais d’une manière spirituelle. Ne serais-tu point parmi les membres du Christ? Si tu n’en es pas, pleure d’être dénué ici et là. Mais si tu en es, demeure en sûreté: riche avec lui et non ici-bas, il est mieux pour toi de l’être avec lui que selon le monde.

14. Si donc nous avons ces biens, pourquoi les avons-nous? Parce que nous craignons le Seigneur. « Telle est la bénédiction réservée à l’homme qui craint Dieu 2 ». Cet homme signifie tous les hommes, et tous les hommes ne sont qu’un seul  homme, car plusieurs ne font qu’un et il n’y a qu’un seul Jésus-Christ.

15. « Que le Seigneur te bénisse de Sion 3». Tu viens d’entendre : « Telle est la bénédiction réservée à l’homme qui craint le Seigneur ». Déjà tes yeux se tournaient vers ceux qui ne craignent point le Seigneur, et tu leur voyais des épouses fécondes, des enfants nombreux environnant la table de leur père. Tu te laissais emporter à je ne sais quelles pensées. « Que le Seigneur te bénisse », dit le psaume; mais « de Sion ». Ne cherche point de ces bénédictions qui ne viennent point de Sion. Mais le Seigneur n’a-t-il point réellement béni ces hommes, mes frères? Il est vrai que cette bénédiction vient du Seigneur; si elle n’était point du Seigneur, qui pourrait épouser une femme contre la volonté de Dieu? Qui peut avoir la santé contre la volonté de Dieu, la richesse contre la volonté de Dieu? C’est Dieu qui donne ces biens. Mais ne vois-tu pas qu’il les donne aussi aux animaux? Cette bénédiction n’est donc point de Sion. « Que le Seigneur » te bénisse de Sion,et puisses-tu voir les biens

 

1. Gen. VIII, 11. — 2. Ps. CXXVII, 4 — 3. Id. 5.

 

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« de Jérusalem ». Car ces biens en question ne sont pas ceux de Jérusalem; veux-tu le comprendre? Il a été dit, même aux oiseaux : « Croissez et multipliez 1». Serait-ce donc un grand bonheur pour toi qu’un bonheur donné aux oiseaux? C’est la voix de Dieu qui le leur a donné, qui en doute? Use de ces biens, si Dieu te les donne; et pense à bien élever ceux qui sont nés plus encore que ceux qui doivent naître. Le vrai bonheur n’est pas d’avoir des enfants, mais d’en avoir de bons. Si donc tu en as. aie soin de les bien élever; si tu n’en as point, bénis le Seigneur. Tes inquiétudes en seront moindres,et toi, fils d’une telle mère, tu ne seras point stérile. Peut-être donneras-tu à cette mère des enfants spirituels qui seront comme de jeunes oliviers autour de la table du Seigneur. Que le Seigneur donc te console et te montre les biens de Jérusalem. On peut dire en effet de ces biens qu’ils sont. Pourquoi sont-ils? parce qu’ils sont éternels. Pourquoi sont-ils? parce que voici le Roi. « Je suis celui qui suis 2». Quant aux biens de la terre, ils sont, et ne sont point; car ils ne demeurent point, ils passent et s’écoulent. Tu as des petits enfants, tu leur fais des caresses qu’ils te rendent bientôt; or, demeurent-ils en cet état? Mais tu veux les voir grandir et avancer en âge. Mais qu’un nouvel âge arrive, et le précédent n’existe plus. L’enfance disparaît quand vient la jeunesse; la jeunesse disparaît quand vient l’âge viril ; l’âge viril disparaît quand arrive la vieillesse, et tout âge disparaît quand vient la mort. Autant d’âges tu souhaiteras dans tes enfants, et autant de morts tu appelles pour les âges qui suivront. Tout cela n’existe donc point. De plus, tes enfants sont-ils nés pour vivre avec toi sur la terre, et non pas plutôt pour prendre ta place et te succéder? Et tu te réjouis de voir naître ceux qui te chasseront bientôt? Dès qu’ils sont nés, ces enfants semblent dire à leurs parents : Songez à vous retirer, c’est à nous maintenant de jouer notre rôle. Car cette vie humaine, pleine de tentations, n’est qu’un rôle, puisque « tout homme vivant sur la terre n’est que vanité 3 ». Si l’on se réjouit d’avoir des enfants qui nous succéderont, combien plus faudra-t-il nous réjouir de ces enfants avec qui nous devons demeurer toujours, et de ce Père dont nous sommes

 

1. Gen. X, 22, — 2.Exod. III, 14. — 3. Ps. XXXVIII, 6.

 

les enfants, et qui ne doit point mourir, mais avec qui nous vivrons à jamais! Voilà les biens de Jérusalem, qui sont réellement. « Que le Seigneur donc te bénisse de Sion, et puisses-tu voir les biens de Jérusalem ». Car ces biens sensibles, tu ne les vois pas quand tu es aveugle. Puisses-tu voir les biens que voit le coeur! Et combien de temps verrai-je les biens de Jérusalem? « Tous les jours de ta vie ». Donc si ta vie est éternelle, tu verras éternellement les biens de Jérusalem. Quant aux biens d’ici-bas, mes frères, s’ils sont réellement des biens, vous ne sauriez les voir toute votre vie, car vous ne mourez point, lorsque l’âme se retire du corps. Vous vivez encore, et si le corps est mort, l’âme ne cesse de vivre. Les yeux ne voient plus, parce que l’âme qui voyait par ces yeux s’est retirée; mais quelque part que soit cette âme qui voyait par les yeux, elle voit quelque chose. Cet homme riche, qui se revêtait en cette vie de pourpre et de fin lin, n’était point mort au-delà de cette vie, autrement il n’eût pas été tourmenté dans l’enfer 1. Peut-être la mort eût-elle été à désirer pour lui, mais il vivait dans l’enfer pour son propre malheur. Car il était tourmenté et ne voyait pas les biens qu’il avait quittés sur la terre; telle était alors sa vie qu’il ne les voyait plus. Toi donc, désire des biens que tu puisses voir « tous les jours de ta vie », c’est-à-dire avec lesquels tu puisses vivre éternellement.

16. Ecoutez donc, mes frères, quels sont ces véritables biens, Peut-on dire de ces biens: C’est de l’or, c’est de l’argent, c’est une campagne agréable, ce sont des murailles de marbre, des lambris dorés? Point du tout. Les pauvres ont mieux que cela en cette vie. Car le ciel semé d’étoiles est plus beau pour le pauvre, que pour le riche son toit doré. Quel est donc, mes frères, ce bien qui embrase nos désirs, après lequel nous soupirons avec tant d’ardeur; pour la vue, pour la jouissance duquel nous endurons tant de travaux? car vous venez d’entendre de saint Paul, que, « tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront persécution 2 » Si le diable ne sévit plus contre nous au moyen des rois, les chrétiens n’en sont pas moins persécutés. Les persécutions ne doivent cesser qu’à la condition que le diable cessera lui-

 

1.  Luc, XVI, 19, 23. — 2.II Tim. III, 12.

 

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même : si donc cet infatigable ennemi est immortel, d’où ne prendrait-il pas occasion de nous tenter, de nous torturer, de nous exposer aux menaces et aux scandales? Oh! si tu commençais à vivre dans la piété de Jésus-Christ, tu comprendrais quelles persécutions doit endurer celui qui vit de la sorte. Pourquoi donc souffrons-nous de si grandes persécutions? « Si nous bornons à cette vie nos espérances », nous dit l’Apôtre, « nous sommes les plus malheureux des hommes 1». Pour quel bien les martyrs furent-ils condamnés aux bêtes? Quel est ce bien, et peut-on le nommer? Quelle langue pourrait le dire, quelles oreilles pourraient l’entendre? « L’oreille de l’homme, en effet, ne l’a pas entendu, et son coeur n’a pu le comprendre 2». Aimons un si grand bien, avançons dans La vertu pour l’acquérir. Vous voyez que les combats ne nous manquent point, et nous avons à combattre nos convoitises. Nous combattons au dehors les hommes infidèles et rebelles à Dieu, au dedans nos tentations et les troubles de la chair. Partout des combats, « parce que le corps qui se corrompt appesantit  l’âme 3 ». Nous combattons encore, parce que si l’esprit est vie, le corps néanmoins est mort à cause du péché. Mais qu’arrivera-t-il? «Si l’esprit de Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts vivifiera vos corps mortels, à cause de l’esprit qui habite en vous 4». Ainsi donc, quand les membres de notre corps auront reçu la vie, rien ne résistera à notre esprit. La faim ne sera plus, la soif ne sera plus, parce que tout cela vient de la corruption du corps. Tu as besoin de réparer, parce qu’il y a en toi dépérissement. Or, les convoitises charnelles et les plaisirs combattent contre nous; et nous portons la mort dans l’infirmité de notre corps; mais quand la mort elle-même sera changée en ce qui est immuable, quand ce qui est corruptible sera revêtu d’incorruption, et ce qui est mortel revêtu d’immortalité, que dirons-nous à cette mort? : « O mort, où est ta victoire? O mort, où est  ton aiguillon 5? » Mais peut-être qu’après la mort on nous dira : Il reste encore des ennemis? Non, mes frères, la mort sera le « dernier ennemi à détruire », nous dit saint

 

1. I Cor. XV, 19. — 2. Id. II,9. — 3. Sag. IX,15. — 4. Rom. VIII, 10, 11. — 5. I Cor. XV, 53, 54, 55. — 4. Id. 26.

 

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Paul. Et quand la mort sera détruite, nous jouirons de l’immortalité. S’il n’y a plus aucun ennemi à détruire, la mort sera donc la dernière et ce bien après lequel nous soupirons sera la paix. Le bien , mes frères, est donc la paix, bien d’un grand prix. Vous vous demandiez si ce bien s’appelait de l’or, de l’argent, une belle terre, un riche manteau. Non, c’est la paix. Non point la paix comme elle existe entre les hommes, paix infidèle, incertaine, changeante; non point la paix telle qu’un homme peut l’avoir avec lui-même. Car, nous l’avons dit, l’homme est en guerre contre son propre coeur; il a toujours à se combattre, toujours à vaincre ses passions. Quelle est donc cette paix? « Celle que l’oeil n’a point vue, que l’oreille na pas entendue 1».Quelle est cette paix? Celle qui vient de Jérusalem. Car Jérusalem signifie vision de la paix. « Que le Seigneur donc te bénisse de Sion, en sorte que tu voies les biens de Jérusalem » et que tu les voies tous les jours de ta vie. « Et que tu voies », non seulement tes enfants, « mais les enfants de tes enfants 2». Qu’est-ce à dire, tes enfants? Les bonnes oeuvres que tu fais. Et les enfants de tes enfants? Les fruits de tes oeuvres. Tu fais des aumônes, voilà tes enfants; et par tes aumônes tu acquiers la vie éternelle, voilà les enfants de tes enfants. « Puisses-tu donc voir les enfants de tes enfants », et alors s’accomplira cette parole qui termine le psaume : « Paix sur Israël ! » Telle est la paix que nous prêchons, la paix que nous aimons, la paix que nous cherchons à vous faire aimer. C’est là que parviennent ceux qui ont été pacifiques ici bas. Et ceux qui aiment la paix ici-bas l’aiment aussi dans le ciel, et ils entourent la table du Seigneur comme une plantation de jeunes oliviers, en sorte qu’il n’est aucun arbre stérile, coin me ce figuier où le Sauveur ayant faim ne trouva aucun fruit. Voyez ce qui lui arriva. Il n’avait que des feuilles ; mais de fruits, aucun 3. C’est l’état des hommes qui n’ont que des paroles, et non des oeuvres. Le Seigneur n’y trouva rien qu’il pût manger dans sa faim; car le Seigneur a faim de notre foi. il a faim de nos bonnes oeuvres. Donnons-lui pour nourriture une vie sainte, et il nous donnera pour aliment la vie éternelle.

 

1. I Cor, II, 9. — 2. Ps. CXXVII, 6. — 3. Matth. XXI, 18, 19.

 

 

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