JEAN DE JÉRUSALEM
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TRAITÉ SUR LA DISCUSSION DE JEAN , EVÊQUE DE JÉRUSALEM, AVEC SAINT ÉPIPHANE.

 

AU SÉNATEUR PAMMAQUE.

 

Si nous ne savons pas ce que nous devons demander à Dieu dans nos prières , comme dit l'apôtre saint Paul , si nous ne pouvons pas même exprimer nos propres pensées, combien plus est-il dangereux de vouloir sonder le coeur des autres et juger de leurs intentions? L'homme est naturellement porté à la. clémence; il pardonne volontiers les défauts des autres afin de pouvoir se pardonner à lui-même: ses propres faiblesses. Si vous l'accusez d'indiscrétion dans ses paroles, il dira que c'est franchise et simplicité ; si vous lui reprochez d'être un homme rusé et artificieux , il vous dira que ses prétendus artifices viennent de son peu d'expérience et non point de malice; et ainsi l'accusateur passera pour un imposteur, et l'accusé pour un homme grossier et impoli, et non pour un hérétique.

Vous savez, mon cher Pammaque, vous savez que ce n'est qu'à vos sollicitations et dans le seul intérêt de la foi que j'entreprends cet ouvrage, que la passion et la vanité n'y ont aucune part , que je souhaiterais voir, si cela se pouvait , tous les hommes réunis dans les mêmes sentiments ; et qu'enfin on ne peut m'accuser ni de témérité ni de trop de vivacité puisqu'il y a trois ans que je garde le silence. J'avais même résolu de le garder toujours, et, si je le romps aujourd'hui, c'est parce que vous m'avez écrit que l'apologie contre laquelle j'ai dessein de m'élever avait jeté le trouble dans l'esprit de plusieurs personnes, quine savaient quel parti prendre. Loin d'ici donc l'hérétique Novalius, qui refuse de donner la main à ceux qui s'égarent ! loin d'ici Montan avec ses femmes insensées, qui, au lieu de relever ceux qui sont tombés, les précipite dans l'abîme ! Nous sommes tous pécheurs, et il n'y a personne qui ne tombe tous les jours dans quelque faute. Comme donc nous avons beaucoup d'indulgence pour nous-mêmes, aussi ne traitons-nous pas les autres avec rigueur ; au contraire, nous les prions, nous les sollicitons, nous les conjurons, ou d'entrer de bonne foi dans nos sentiments, ou de défendre ouvertement ceux des autres. Je n'aime point les équivoques; je ne veux point qu'on me parle d'une manière ambiguë et susceptible de plusieurs sens. Mons le voile qui nous couvre les yeux afin de contempler à découvert la gloire du Seigneur. Le peuple d'Israël balançant autrefois à prendre le parti du vrai Dieu ou celui des idoles, Elie, qui signifie le Fort du Seigneur, lui dit : « Jusqu'à quand serez-vous comme un homme qui boite des deux côtés? Si le Seigneur est Dieu, marchez après lui ; si Baal est le vrai Dieu, suivez-le. » Le Seigneur dit aussi en parlant des Juifs : « Des enfants étrangers ont agi avec dissimulation à mon égard , des enfants étrangers ont vieilli dans leurs mauvaises habitudes; ils ont boité et n'ont plus marché dans leurs voies. »

Si l'évêque de Jérusalem n'est point hérétique, ce que je souhaite et ce que je veux bien croire, et s'il partage mon opinion, pourquoi ne s'explique-t-il pas comme moi? Ce qu'il appelle simplicité et franchise , je l'appelle. dissimulation et malice. S'il veut me persuader due sa croyance est pure, qu'il s'explique simplement et sans détour. S'il ne s'exprimait d'une manière équivoque que dans deux ou trois endroits, je pardonnerais à son ignorance, et je ne ,jugerais pas ce qu'il y a dans son apologie d'obscur et de douteux par les endroits qui sont clairs et bien évidents; mais est-ce parler avec franchise et sans déguisement que de tâtonner sans cesse comme il fait et de s'exprimer d'une manière toujours douteuse et toujours enveloppée, semblable à un charlatan qui semble marcher sur des oeufs et qui parait suspendu sur la pointe des épées? Son apologie a plutôt l'air d'une pièce de rhétorique que d'une exposition de foi. Je suis versé aussi bien que lui dans le genre d'écrire qu'il affecte , et j'ai appris à manier les armes dont il se sert contre moi. Quand bien même sa foi serait orthodoxe , néanmoins cette affectation , ces réserves , ces précautions avec lesquelles il s'explique me la rendraient suspecte. Celui qui marche avec simplicité marche en assurance. Il faut être fou pour compromettre sa réputation sans sujet.

 

361

 

Il dit qu'il ne se sent point coupable du crime dont on l'accuse ; mais puisque sa justification ne dépend que d'un mot , qu'il nie hardiment ce crime, et qu'il fasse tomber l'infamie et la confusion sur son accusateur ; qu'il se défende avec la même hardiesse et la même confiance que l'on met à l'accuser; et, après qu'il aura tout dit et qu'il se sera clairement expliqué et pleinement justifié , alors, si l'on continue à le calomnier, qu'il crie à l'imposture et qu'il en demande hautement justice. Nous ne devons point souffrir patiemment qu'on nous soupçonne d'hérésie , de peur qu'en demeurant dans le silence et en dissimulant une accusation si énorme, nous ne passions pour coupables dans l'esprit de ceux qui ne connaissent pas notre innocence.

Mais au reste, Jean de Jérusalem, puisque vous avez en main la lettre de votre accusateur, il est fort inutile que vous le citiez et due vous l'obligiez de prouver ce qu'il avance contre vous. Nous savons tous ce qu'il vous a écrit, et de quels griefs, ou, comme vous dites, de quelles calomnies il vous charge: répondez-lui article par article ; suivez-le pied à pied , discutez toutes ses médisances et n'en laissez échapper aucune; car, si vous n'examinez sa lettre que d'une manière superficielle, et si vous en passez quelque endroit par inadvertance, comme je le veux croire après le serment que vous en avez fait , il ne manquera pas de se récrier aussitôt et de vous dire : « C'est ici que je vous tiens; c'est en cela que consiste toute la difficulté et tout le fond de notre dispute. » Un ennemi n'est pas si indulgent qu'un ami: celui-là chicane sur une vétille, celui-ci justifie tout, même les choses les plus mauvaises ; ce qui l'ait dire à un auteur profane que « les amis sont aveugles dans leurs jugements. » Mais peut-être avez-vous entièrement négligé cette sorte de littérature , occupé de l'étude de l'Écriture sainte. Ne comptez donc point sur le jugement de vos amis, et ne vous flattez point des sentiments qu'ils ont de vous. Le témoignage d'un ennemi est toujours véritable; si c'est nu ami qui parle en votre faveur, on le regardera, non comme un témoin ni comme un juge , mais comme un homme partial et qui est entièrement dans vos intérêts.

Voilà ce que vos ennemis ne manqueront pas de vous dire, s'ils ne veulent pas ajouter foi à vos paroles et s'ils prennent plaisir à vous exaspérer ; mais pour moi , à qui vous n'avez jamais donné le moindre chagrin , et que vous êtes obligé de citer à tout moment dans vos lettres, je vous conseille ou de confesser ouvertement la foi de l'Église, ou d'expliquer nettement vos sentiments ; car cette affectation avec laquelle vous mesurez et pesez toutes vos paroles peut bien surprendre les ignorants , mais un auditeur éclairé et un lecteur qui sera sur ses gardes découvrira sans peine les piéges que vous lui tendez, et fera connaître les artifices dont vous vous servez pour détruire la vérité. Les ariens , gens que vous connaissez parfaitement bien , firent longtemps semblant de condamner le mot homousion à cause du scandale qu'ils prétendaient que ce terme pouvait causer dans l'Église, couvrant ainsi sous des apparences spécieuses , comme avec un peu de miel , le poison de leur hérésie; mais enfin ce serpent entortillé se développa, et l'on frappa avec un glaive spirituel sa tête envenimée, qu'il avait cachée au milieu des replis de tout son corps. L'Église, comme vous savez, reçoit les pénitents, et, accablée par la multitude des pécheurs, elle pardonne aux pasteurs afin de ramener les brebis égarées. L'ancienne et nouvelle hérésie qui règne aujourd'hui se sert du même artifice que les ariens, afin que les peuples prennent dans un sens ce que les évêques disent. et entendent dans un autre.

Avant d'insérer ici en latin la lettre que vous avez écrite à l'évêque Théophile , et de vous faire voir que je sais pourquoi vous en usiez avec tant de réserve et de ménagement, je suis bien aise de vous demander une explication. Pourquoi, je vous prie, refusez-vous avec tant de fierté et tant d'orgueil de rendre compte. de votre foi à ceux qui vous interrogent à ce sujet? pourquoi regardez-vous comme des ennemis déclarés cette multitude de frères et de solitaires qui demeurent dans la Palestine et qui refusent de communiquer avec vous? Le fils de Dieu a laissé sur les montagnes quatre; vingt-dix-neuf brebis pour en chercher une qui était malade, recevant pour elle des soufflets et le fouet, souffrant le supplice de la croix, la rapportant jusqu'au ciel sur ses propres épaules, et supportant patiemment les faiblesses et les langueurs de cette pauvre pécheresse ; mais vous, fier de votre dignité et plein de (362) l'orgueil que vous inspire le rang que vous tenez dans l’Eglise, comme si vous aviez seul en partage les richesses, la naissance, l'éloquence et la sagesse, vous regardez de travers et avec un superbe dédain vos frères , qui ont été rachetés comme vous du sang de Jésus-Christ. Est-ce là ce que vous apprend l'Apôtre qui dit : « Soyez toujours prêts de répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de votre espérance? »

J'accorde que nous ne cherchions que des occasions de vous chagriner et que, sous prétexte de défendre les intérêts de la foi, nous ne songions qu'à brouiller, à faire schisme et à mettre la division partout ; niais ne nous fournissez donc point ces occasions et ces prétextes que nous cherchons. Répondez aux accusations qu'on dresse contre vous sur les dogmes de la foi ; débarrassez-vous des questions qu'on vous propose ; et, quand une fois vous nous aurez satisfaits sur cela, faites voir qu'il ne s'agit point des dogmes de la foi, mais de l'ordination de Paulinien; à moins que vous ne croyiez qu'il est de votre intérêt de ne pas répondre sur les points de foi, de peur que votre réponse n'indique que vous êtes hérétique. D'après ce raisonnement, on ne devrait donc jamais se justifier des crimes dont on est accusé, de peur de s'en rendre coupable en les niant? Vous méprisez les laïques, les diacres et les prêtres, et vous vous vantez de pouvoir faire mille clercs en une heure.

Saint Epiphane vous a écrit une lettre dans laquelle il vous accuse ouvertement d'être hérétique : est-ce que vous oseriez dire que ce prélat vous est inférieur en âge, en science, en mérite, en réputation? Quant à l'âge, vous êtes beaucoup plus jeune que lui; vous lui cédez encore en science, quoi que vos partisans publient partout, et bien qu'ils vous aient peut-être persuadé à vous-même, que vous êtes plus éloquent que Démosthène, plus subtil que Chrysippe, plus sage que Platon; quant à l'innocence des moeurs et à la pureté de la foi, je n'en dirai rien pour ne pas sembler vouloir vous insulter. A l'époque où tout l'Orient, à l'exception de saint Athanase et de Paulin, était assujetti à l'hérésie des ariens et des eunomiens, pendant que vous n'osiez communiquer avec les Occidentaux, avec les confesseurs bannis pour la foi, Epiphane , quoiqu'il ne fût encore que prêtre de son monastère, avait Eutychès pour auditeur; et quand il fut ensuite ordonné évêque de Chypre, Valens même n'osa le persécuter; car on eut toujours pour lui un si profond respect que les hérétiques, qui étaient absolument les maîtres , croyaient se déshonorer eux-mêmes s'ils persécutaient un si grand homme. Ecrivez-lui donc; répondez à sa lettre: que tout le monde connaisse votre foi , votre éloquence et votre prudence , afin que vous ne soyez pas seul à vous croire habile et éloquent. Pourquoi , étant attaqué d'un côté, portez-vous la guerre de l'autre? On vous fait des questions dans la Palestine, et vous répondez à l'Egypte; pendant que les uns ont les yeux malades, vous appliquez des remèdes à ceux qui les ont sains. Si vous dites à un étranger des paroles qui nous pourraient être agréables , c'est une pure vanité ; c'est tout autre chose que ce que nous demandons, c'est donc inutilement. « Mais, » dites-vous, « l'évêque d'Alexandrie a approuvé ma lettre. » Qu'a-t-il approuvé? que vous avez attaqué fortement Arius , Photin et Manès. Vraiment c'est bien là de quoi il s'agit ! Eh ! qui est-ce qui vous accuse maintenant d'arianisme? y a-t-il quelqu'un qui rejette a prisent sur vous le crime de Photin et de Manès? Il y a déjà longtemps que tout cela a été expliqué et renversé. Vous n'étiez pas assez dépourvu de sens pour défendre ouvertement une hérésie que vous saviez que l'Eglise a en horreur; vous n'ignoriez pas que, si vous l'aviez fait, on vous aurait aussitôt déposé de l'épiscopat. Or vous ne soupiriez qu'après les délices de votre trône. C'est pourquoi vous avez tellement adouci vos opinions que vous avez pris soin de ne pas déplaire aux simples ni offenser vos bons amis. Vous avez bien écrit, mais il n'y a rien qui regarde le fond de votre cause. Par qui l'évêque d'Alexandrie pouvait-il connaître les articles sur lesquels on vous accuse et dont ou vous demande uni confession pure et simple? Vous deviez vous proposer ce que l'on vous objecte, et répondre à chaque point en particulier.

On trouve dans une ancienne histoire qu'un certain rhéteur ayant parlé longtemps avec beaucoup d'impétuosité et un torrent de paroles sans aborder la question, le juge, prudent auditeur, lui dit : « Fort bien, mais où irez-vous en parlant si bien? » Les médecins ignorants n'ont qu'un seul remède pour (363) toutes les maladies des yeux. Lorsqu'un homme est accusé sur plusieurs chefs, si, voulant se justifier, il en passe quelques-uns sous silence, il se reconnaît coupable de tout ce qu'il tait. N'avez-vous pas répondu à la lettre d'Epiphane, et ne vous êtes-vous pas fait à vous-même des objections pour les réfuter? C'est pour cela que vous y avez répondu avec tant de confiance: quand on se bat soi-même on ne se porte pas des coups trop rudes, on s'épargne toujours. De deux partis prenez celui qui vous conviendra ; on vous en donne le choix. Ou vous avez répondu à la lettre d'Epiphane, ou vous n'y avez pas répondu: si vous y avez répondu, pourquoi passez-vous plusieurs choses sous silence , et particulièrement les principales dont on vous accuse? si vous n'y avez pas répondu, où est donc cette belle apologie dont vous tirez vanité parmi les ignorants, et que vous répandez de tous côtés comme si on n'en savait pas le sujet?

On vous accuse de huit erreurs touchant la foi et l'espérance chrétiennes, comme je vais vous le démontrer bientôt : vous ne parlez que de trois dans votre réponse, encore le faites-vous d'une manière fort superficielle et comme en passant ; pour les autres , vous n'en dites pas un seul mot. Si vous vous étiez pleinement justifié sur sept articles , je ne pourrais vous faire votre procès que sur un seul , et je m'attacherais à celui que vous auriez passé sous silence; mais dans la situation où vous êtes vous ne sauriez vous tirer d'affaire, semblable à un homme qui tiendrait un loup par les oreilles sans pouvoir l’arrêter et sans oser le lâcher. Ces trois articles même auxquels vous répondez , vous les abordez si superficiellement, vous en dites si peu de chose , vous passez si légèrement par-dessus qu'il semble que vous n'y pensiez seulement pas, ou que vous n'y trouviez pas la moindre petite difficulté. Enfin votre réponse est si ambiguë et si obscure que vous nous en apprenez plus par votre silence que par toutes vos explications. Ne pourrait-on pas vous appliquer ici ce que dit l'Évangile : « Si la lumière qui est en vous n'est que ténèbres, combien seront grandes les ténèbres même ! » Si l'explication que vous donnez aux trois articles que vous n'avez abordés qu'en passant est si suspecte et ci vicieuse , et si vous y faites paraître tant de mauvaise foi, tant d'artifice et de dissimulation, que deviendront les cinq autres articles, sur lesquels vous ne sauriez biaiser ni tromper le lecteur, et que vous avez mieux aimé passer sous silence que d'en reconnaître la vérité?

Origène, dans son livre des Principes, dit 1° que, comme on ne doit pas dire que le Fils peut voir le Père, on ne doit pas dire non plus que le Saint-Esprit peut voir le Fils ; 2° que les âmes sont dans les corps comme dans une espèce de prison, et qu'avant la création de l'homme dans le paradis terrestre, elles étaient dans le ciel parmi les créatures raisonnables ,

et que c'est pour cela que depuis sa chute l'âme, touchée de sa disgrâce , dit dans les Psaumes « J'ai péché avant d'être Humiliée ; » et dans un autre endroit : « Rentrez, ô mon âme, dans le lieu de votre repos ; » et ailleurs: « Seigneur, tirez mon âme de sa prison ; » et autres choses semblables; 3° que le diable et les démons feront un jour pénitence, et régneront à la fin des siècles avec les saints; 4° que les habits de peau dont Dieu couvrit Adam et Eve après leur chute et leur bannissement du paradis terrestre n'étaient autres que les corps dont il les revêtit : par là il nous donne à entendre qu'ils n'avaient point de corps avant leur péché. 5° Dans son explication du premier psaume et dans plusieurs autres traités il nie ouvertement la résurrection de la chair, et soutient que nous ne ressusciterons point avec les membres qui composent notre corps et qui distinguent l'homme d'avec la femme. 6° Il parle du paradis terrestre d'une manière si allégorique qu'il détruit entièrement la vérité de l'histoire, entendant par les arbres les anges , et par les fleuves les vertus célestes , et renversant par des explications violentes et forcées tout ce que l’Ecriture nous dit de ce lieu de délices. 7° Par les eaux qui, selon l'Écriture, sont au-dessus des cieux , il entend les anges et les vertus célestes, et par celles qui sont sur la serre et au-dessous de la terre il entend les démons et les puissances ennemies. 8° Enfin il dit que l'homme a perdu l'image de Dieu que le Créateur lui avait imprimée en le formant, et qu'aussitôt qu'il fut banni du paradis terrestre il ne lui resta plus aucun trait de cette divine ressemblance.

Voilà ce que vous écrit saint Epiphane, voilà les coups qu'il vous porte; mais en même temps , prosterné à vos genoux sans     avoir (364) égard ni à son âge ni à sa dignité, il vous prie de ménager les intérêts de votre salut : « Pour l'amour de moi, » vous dit-il, « et pour l'amour de vous-même, sauvez-vous, comme dit l'Écriture « de cette race corrompue ! » renoncez, mon très cher frère, renoncez à l'hérésie d'Origène et à toutes sortes d'erreurs! Attaché au parti de l'hérésie, vous soulevez toute la terre contre moi, et vous rompez l'union que la charité avait formée entre nous ; de manière que le zèle avec lequel vous défendez les erreurs et la doctrine d'Origène m'a obligé de me repentir d'avoir communiqué avec vous. »

Dites-moi, je vous prie, valeureux champion : avez-vous répondu à aucun des huit articles qu'on vous a objectés ? Sans parler des autres, avec quelle force et par combien de raisons a-t-on battu en ruine ce premier blasphème qu'Origène a osé avancer , que le Fils ne peut voir le Père, et que le Saint-Esprit ne peut voir le Fils! « Nous confessons,» vous dit saint Epiphane , « que les trois personnes de la sainte et adorable Trinité ont une même substance, une même éternité, une même gloire et une mène divinité, et nous anathématisons ceux qui dans la Trinité admettent quelque inégalité, quelque chose de visible et différents degrés de supériorité. Ce que nous disons du Père, qu'il est incorporel, invisible, éternel, nous le disons aussi et du Fils et du Saint-Esprit. »

On vous bannirait de l'Église si vous n'étiez pas dans ces sentiments. Je ne m'informe point si vous avez été autrefois d'un sentiment contraire; je n'examinerai point ici si vous êtes attaché à ceux qui suivent cette doctrine , ni de quel parti vous étiez lorsqu'on exilait ceux qui en faisaient profession; ni quel est celui qui, entendant dire au prêtre Théonas que le Saint-Esprit est Dieu , se boucha les oreilles et sortit de l'église avec, ses partisans, de peur d'entendre cet horrible blasphème. « Il ne faut se convertir » disait un impie, «et se faire chrétien que le plus tard qu'on peut. » Le malheureux Prétextat. cet homme sacrilège et livré au culte des idoles, qui mourut dans le temps qu'on l'avait désigné consul. avait coutume de dire en plaisantant au pape Damase : « Qu'on me fasse évêque de Rome , et dès demain je me fais chrétien.» A quoi bon employer tant de raisons et prendre de si longs détours pour prouver que vous n'êtes point arien? Ou niez qu'Origène ait avancé les erreurs dont on l'accuse, ou condamnez-le s'il est vrai qu'il les ait avancées. Voulez-vous savoir jusqu'où doit aller sur cela le zèle des chrétiens? écoutez ce que dit l'Apôtre : «Quand nous vous annoncerions nous-mêmes ou quand un ange du ciel vous annoncerait un évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. » Vous affectez dans votre lettre de casher le nom du criminel afin de diminuer le crime; et comme si cette affaire n'était d'aucune conséquence et comme si on n'accusait personne d'avoir proféré des blasphèmes, vous tâchez de donner à une foi suspecte et douteuse les couleurs les plus belles et les plus séduisantes. Commencez votre lettre par dire anathème à celui qui a osé enseigner ces erreurs. Quand la foi est pure et sans déguisement, elle ne balance pas un seul moment à se déclarer. Il faut écraser le scorpion dès qu'on l'aperçoit. « Seigneur,» dit David, cet homme selon le coeur de Dieu , «n'ai-je pas haï ceux qui vous haïssent, et n'ai-je pas séché d'ennui en voyant vos ennemis? Je les haïssais d'une haine absolue. » Si j'avais entendu prononcer de pareils blasphèmes contre Jésus-Christ à mon père, à ma mère, à mon frère , je les aurais regardés comme des chiens enragés, je les aurais déchirés à belles dents, je leur aurais moi-même porté les premiers coups. Celui-là fait la volonté du Seigneur qui dit à son père et à sa mère : « Je ne vous connais point; » mais celui qui aime son père et sa mère plus que Jésus-Christ « n'est pas digne de lui. »

Quand on vous objecte que votre maître , qui selon vous est si bon catholique et dont vous défendez les intérêts avec tant de chaleur, dit que le Fils ne voit point le Père et que le Saint-Esprit ne voit point le Fils, vous nous dites pour toute réponse : « Le Père est invisible, le Fils est invisible, le Saint-Esprit est invisible ; » comme si les anges, les chérubins et. les séraphins n'étaient pas aussi selon leur nature invisibles à notre égard. De là vient que David , incertain si l'on pouvait voir les cieux d'une manière sensible, disait : «Je verrai les cieux qui sont les ouvrages de vos mains. » Il dit: « Je verrai, » et non pas : « Je vois; » je les verrai lorsque je contemplerai à découvert la gloire du Seigneur; car dans la vie présente nos vues et nos connaissances sont très imparfaites (365). On vous demande si le Fils voit le Père, et vous répondez que le Père est invisible; on vous prie de dire si le Saint-Esprit voit le Fils , et vous répondez que le Fils est invisible; il s'agit de savoir si les trois personnes de la Trinité se voient l'une l'autre, et vous répondez que la Trinité est invisible. Vous vous étendez fort au long sur tous leurs autres attributs , mais toujours hors de propos; vous déployez votre éloquence sur des choses dont il n'est point question, et vous donnez sans cesse le change à vos auditeurs de peur d'être obligé de répondre aux objections qu'on vous fait.

Je vous passe néanmoins cet article; j'admets que vous ne soyez point arien, et même que vous ne l'ayez jamais été ; je veux bien croire qu'en répondant à la première objection qu'on vous a faite vous avez expliqué vos sentiments sans détour, sans déguisement et de la meilleure foi du monde. Je vous parle aussi avec la même candeur et la même franchise. Saint Epiphane vous a-t-il accusé d'être ou arien, ou dans les sentiments d'Eunomius, cet athée qui ne tonnait point Dieu? II ne vous accuse dans toute sa lettre que de suivre les erreurs d'Origène et d'y avoir engagé plusieurs autres personnes. Pourquoi ne répondez-vous jamais juste aux questions qu'on vous fait? pourquoi dissimulez-vous les crimes dont saint Epiphane vous charge dans sa lettre? pourquoi nous répétez-vous sans cesse ce que vous avez dit dans l'église en sa présence? Pensez-vous donc avoir affaire à des imbéciles? On vous demande votre confession de foi, et vous venez nous étourdir malgré nous par de pompeux discours où vous étalez tout ce que vous avez d'érudition et d'éloquence.

Ici, mon cher lecteur, je vous prie de ne prendre parti ni pour moi ni pour mon adversaire : contentez-vous d'examiner les pièces du procès sans avoir égard à la qualité des personnes, persuadé qu'un jour vous paraîtrez devant le tribunal du Seigneur pour y rendre compte de vos jugements. Poursuivons.

Vous dites dans votre lettre, Jean de Jérusalem, qu'avant l'ordination de Paulinien saint Epiphane ne vous a jamais accusé d'être origéniste : ce point est un peu douteux, et je ne puis pas vous l'accorder. Saint Epiphane prétend qu'il vous a averti de vos erreurs: vous ne voulez pas en convenir; il produit des témoins : vous les récusez; il dit qu'il en a donné avis à une autre personne : vous faites l'ignorant; il vous envoie une lettre par un de ses clercs et vous prie en même temps d'y répondre , mais vous gardez un profond silence; vous n'oseriez seulement souffler; et, tandis qu'on vous accuse dans la Palestine, vous envoyez votre ,justification à Alexandrie. Ce n'est pas à moi à décider lequel de vous deux est le plus croyable, et je ne vous crois pas assez hardi vous-même pour oser vous vanter d'être plus sincère et de meilleure foi que ce grand homme; mais comme il se peut l'aire que chacun pai le en sa faveur, j'en appelle ici à votre propre témoignage et vous prends à témoin contre vous-même. S'il ne s'agissait point des dogmes de la foi entre vous et saint Epiphane , si vos erreurs n'avaient pas excité le zèle de ce vénérable vieillard, s'il ne vous avait pas écrit sur cela, pourquoi donc auriez-vous entrepris de traiter dans un seul ouvrage tous les dogmes de la foi, vous surtout dont le talent n'est pas d’être fort éloquent ? quel besoin de parler de la Trinité, (le l'incarnation de Jésus-Christ, de sa croix, des enfers, de la nature des anges, de l'état des âmes, de la résurrection du Sauveur et de celle de tous les hommes? à quoi bon ce discours que vous avez prononcé avec tant de hardiesse tout d'une haleine en présence de tout le peuple et de ce prélat, et dans lequel vous vous êtes étendu sur des choses que vous aviez peut-être oubliées dans votre apologie? Où sont ces anciens écrivains ecclésiastiques qui étaient obligés quelquefois de faire plusieurs volumes pour développer une seule question ? où est ce vaisseau d'élection , cette trompette évangélique, cette bouche par laquelle notre lion fait entendre ses rugissements, ce tonnerre des nations, ce fleuve de l'éloquence chrétienne, qui n'ose pénétrer « la profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu , » et qui admire plutôt qu'il n'explique « un mystère qui nous a été caché dans tous les siècles qui nous ont précédés? » où est Isaïe, qui nous prédit l'enfantement d'une vierge et qui, succombant sous le poids de cette seule question, dit : « Qui racontera sa génération? » Eh bien! il s'est trouvé de nos jours un assez petit homme qui a expliqué tous les dogmes de la foi dans un seul discours, et de la manière du monde la plus aisée et la plus claire!

 

366

 

Si l'on ne vous demandait point raison de votre foi et si personne ne vous inquiétait là-dessus, quelle nécessité de vous engager témérairement dans des questions si difficiles et dans de si longues disputes? S'il s'agissait alors de votre foi, ce. n'est donc point l'ordination de Paulinien qui vous a brouillé avec saint Epiphane, puisqu'il est certain que Paulinien n'a été ordonné prêtre que longtemps après. Vous avez trompé les absents, et vous ne leur avez écrit que pour les engager dans vos intérêts. Pourrions, qui étions ici sur les lieux, nous sommes témoins de tout ce qui s'y est passé. Pendant que saint Epiphane parlait dans l'église contre les erreurs d'Origène, et qu'il vous attaquait vous-même sous le nom de cet hérétique, nous vous avons vus, vous et vos partisans, le visage chagrin, faire mille grimaces et traiter ce prélat de vieux radoteur. Comme il parlait un jour devant le saint Sépulcre sur le même sujet, ne lui avez-vous pas envoyé un archidiacre pour lui imposer silence ? Quel évêque a jamais fait taire de la sorte un simple prêtre en présence du peuple? Une autre fois qu'il allait du lieu de la résurrection au Calvaire, suivi d'une multitude prodigieuse de peuple de tout âge et de tout sexe qui s'empressait pour le voir, lui baiser les pieds, toucher ses habits, lui présenter leurs enfants, et comme il ne pouvait ni avancer ni demeurer en une même place à cause de la foule qui le pressait, alors, rongé de jalousie, vous vous êtes emporté contre ce vénérable vieillard, et vous avez été assez audacieux pour lui dire en face qu'il prenait plaisir à s'arrêter et qu'il le faisait exprès.

Souvenez-vous, je vous prie, du jour où tout le peuple attendit saint Epiphane jusqu'à sept heures, dans l'espérance d'entendre de sa bouche la parole de Dieu : avec quel emportement et avec quelle fureur n'avez-vous pas déclamé alors contre les antropomorphites , qui sont assez simples pour s’imaginer que Dieu est composé des membres que l'Écriture sainte lui attribue! avec quelle affectation ne tourniez-vous pas les yeux, les mains et tout le corps du côté de ce saint vieillard, afin de le rendre suspect de cette impertinente hérésie ! Après avoir cessé de parler, ce qui lit un vrai plaisir à vos auditeurs, fatigué et épuisé par un si long discours, vous aviez la bouche toute sèche et les lèvres encore toutes tremblantes, à cause  des grands mouvements que vous vous étiez donnés en parlant. Que fit néanmoins ce bon vieillard que vous traitiez de fou et de radoteur ? Il se leva pour faire voir qu'il avait quelque chose à dire, et, ayant salué l’assemblée de la voix et de la main, il dit : « Tout ce que mon collègue et mon fils vient de dire contre l'hérésie des antropomorphites est très véritable et très catholique, et je suis sur cela de son sentiment ; mais il est juste que, comme nous condamnons cette hérésie, nous condamnions aussi les erreurs d'Origène. » Vous vous souvenez sans doute des éclats de rire et des huées qui eurent lieu alors. C'est ce qui vous fait ajouter dans votre lettre qu'en parlant au peuple il disait tout ce qu'il voulait, et de la manière qu'il voulait. Il fallait en effet qu'il eût perdu le sens pour oser combattre vos sentiments dans un lieu soumis à votre juridiction. Il disait, selon vous, tout ce qu'il voulait, et de la manière qu'il voulait: ou approuvez ou condamnez ce qu'il disait. Pourquoi toujours biaiser ? Si ce qu'il disait était bon, que ne le louez-vous hautement? si mauvais, que ne le condamnez-vous sans façon ?

Mais voyons un peu avec quelle retenue, avec quelle modestie, avec quelle humilité vous parlez de vous-même , vous qui croyez être la colonne de la foi et de la vérité, et qui reprochez à ce grand homme de débiter au peuple tout ce qu'il lui plait. « Expliquant un jour, » dites-vous, « en sa présence et dans l'assemblée des fidèles, un passage de l'Écriture dont on venait de l'aire la lecture, je fis un discours sur tous les dogmes de la foi, et dis ce que Dieu me fait la grâce d'enseigner tous les jours dans l'église et dans le catéchisme que je fais au peuple. » D'où peut naître, je vous prie, tant de présomption et tant d'orgueil? Tous les philosophes et tous les orateurs déchirent cruellement Gorgias le Léontain,parce qu'il se vantait de répondre en public et sur-le-champ à toutes les questions qu'on voudrait lui adresser. Si je n'étais retenu par le respect qui est dû à votre dignité et à votre caractère, et par l'exemple de l'Apôtre, qui disait : « Je ne savais pas, mes frères, que ce fût le grand prêtre, car il est écrit : «Vous ne maudirez point le prince du peuple, » quels sanglants reproches ne vous ferais-je pas de put ce que vous avez osé avancer dans, votre lettre? quoique au reste (367) vous avilissiez vous-même la dignité dont vous êtes revêtu en traitant si indignement et par vos actions et par vos discours un prélat qui est le père de presque tous les évêques, et en qui nous voyons reluire encore cette vertu antique et ces caractères de sainteté que l'on admirait autrefois dans les premiers pasteurs de l'Église.

Vous dites qu'un jour, expliquant un passage de l'Écriture sainte dont on venait de faire la lecture, vous fîtes en sa présence et dans l'assemblée de tous les fidèles un long discours sur les dogmes de la foi. Qu'on cesse d'admirer Démosthène, qui , à ce que l'on dit, employa beaucoup de temps et de travail à composer la belle harangue qu'il a faite contre Eschine ; qu'on ne nous vante plus l'éloquence de Cicéron, qui, sur-le-champ et sans préparation, récita en présence de Cornelius Nepos, presque mot à mot et telle que nous l'avons aujourd'hui, l'oraison qu'il a faite pour Cornelius, tribun du peuple, homme turbulent et séditieux voici un nouveau Lysias, un nouveau Gracchus, et, pour dire quelque chose des modernes, un nouveau Quintus Aterius, qui était toujours prêt à parler, qui ne tarissait jamais à moins qu'on ne l'avertit de finir, et dont César Auguste disait agréablement : « Il faut enrayer notre Quinius. » Un homme sage et de bon sens se vanta-t-il jamais d'avoir expliqué dans un seul discours tous les dogmes de la foi? Montrez-moi, je vous prie, ce passage de l'Ecriture si fécond et si pathétique qui vous a donné occasion de faire voir de quoi vous étiez capable. Si vous ne vous laissiez pas entraîner par le torrent de votre éloquence, on n'aurait jamais pu s'imaginer que vous eussiez été capable de parler sur-le-champ de tous les dogmes de la foi. Cependant il me semble que les effets ne répondent pas à vos paroles. Nous avons coutume d'instruire les catéchumènes en public, durant quarante-jours, du mystère de la sainte et adorable Trinité : si ce passage de l'Écriture qu'on a lu en votre présence vous a engagé à parler durant une heure de tous les points de la religion, pourquoi expliquer en abrégé et en si peu de temps ce qu'on a coutume d'enseigner durant quarante jours? Ou, si votre discours n'a roulé que sur les matières que vous avez coutume d'expliquer durant tout le carême, Comment se peut-il l'aire que vous vous soyez trouvé engagé à parler de tous les dogmes de la foi à l'occasion d'un seul passage de l'Ecriture?

Mais Jean de Jérusalem biaise encore ici; car il ne se peut faire qu'un seul passage de l'Écriture lui ait donné occasion d'expliquer ce qu'il a coutume d'enseigner aux catéchumènes durant quarante jours, puisqu'il faut être également éloquent ou pour s'étendre sur un sujet stérile, ou pour se resserrer sur une matière féconde et abondante. On pourrait dire encore que, sa verve s'étant échauffée à l'occasion d'un seul passage de l'Écriture, il a parlé durant quarante jours sans discontinuer; et que saint Epiphane, l'écoutant attentivement afin de profiter des choses rares et nouvelles qu'il débitait, s'était presque laissé tomber, accablé qu'il était de lassitude et de sommeil. Tout cela est en quelque façon supportable; peut-être parle-t-il en cette occasion avec sa droiture et sa franchise ordinaires.

Voyons le reste de sa lettre, où, après plusieurs détours, il s'explique ouvertement et sans biaiser, et termine ainsi ses admirables traités : «Après avoir parlé de la sorte en sa présence je le priai de parler après moi, ce que je faisais pour lui faire honneur, n'ayant laissé échapper aucune occasion de l’honorer. Il applaudit donc à tout ce que j'avais dit, et déclara qu'il était charmé de mon discours et que je n'avais rien dit que de très orthodoxe. » On doit juger des honneurs prétendus dont vous l'avez comblé par les outrages sanglants que vous lui avez faits en envoyant votre archidiacre pour lui imposer silence , et en lui reprochant publiquement qu'il ne s'arrêtait avec la populace qu'afin de se repaître des louanges et des applaudissements qu'on lui donnait; le présent nous répond du passé. Depuis trois ans il ne vous a fait aucun rapport de la manière outrageuse dont vous vous êtes conduit envers lui; et, oubliant ses propres intérêts, il se contente de vous demander raison de votre foi. Pour vous, qui possédez des richesses immenses et qui tirez de gros revenus de la dévotion des fidèles, vous envoyez de tous côtés vos ambassadeurs, hommes de poids, de mérite, afin de réveiller ce prélat de son assoupissement et de l'engager à vous répondre. Puisque vous lui aviez fait tant d'honneur, il était bien juste qu'il applaudit à un discours que vous aviez composé sur-le-champ et sans préparation. Or, comme les hommes ont (368) coutume quelquefois de louer ce qu'ils n'approuvent pas et de repaître par des louanges flatteuses la vanité de ceux qui veulent être flattés, il ne se contenta pas de louer votre discours, il avoua qu'il en était charmé . et, de peur qu'on ne vous dérobât une partie de la gloire que méritait ce prodige d'éloquence, il déclara devant tout le peuple que vous n'aviez rien dit qui ne fût très orthodoxe. Mais nous savons ses sentiments sur cela mieux que personne : il s'en expliqua devant nous lorsque, étourdi de vos criailleries personnelles, il vint nous voir, pénétré. de douleur de ce qu'il avait été trop facile à communiquer avec vous. Toute notre communauté l'ayant conjuré de vous aller trouver, et lui ne pouvant résister aux prières étaux sollicitations de tant de personnes, il alla chez vous le soir; mais il s'échappa la nuit pour revenir à Bethléem, comme il le témoigne dans une lettre qu'il a écrite au pape Sirice. Lisez-la cette lettre, et vous verrez comment il a admiré votre discours et déclaré qu'il le trouvait très-orthodoxe. Mais laissons là ces fadaises; c'est perdre le temps que de s'amuser à les réfuter.

Passons à la seconde question, que Jean traite d'une manière si superficielle et avec tant de nonchalance qu'on dirait qu'il n'a aucun dessein ou qu'il ne songe qu'à endormir les lecteurs. « Quant aux autres points qui regardent la foi, je disais qu'un seul et même dieu, c'est-à-dire la sainte Trinité, avait créé les choses visibles et invisibles, les vertus célestes et les créatures inférieures; selon ce que dit David : « C'est par la parole du Seigneur que les cieux ont été affermis, et c'est le souffle de sa bouche qui fait toute leur vertu ; » ce qui parait d’une manière très sensible dans la création de l'homme; car c'est Dieu qui l'a formé du limon de la terre; et qui par son souffle lui a donné une âme raisonnable et douée du libre arbitre, et une nature qui lui est propre; non pas, comme l'enseignent quelques impies, une portion de sa substance, dont il a fait part aussi, à ce qu'ils prétendent, aux saints anges, selon ce que l'Ecriture dit de Dieu : « Vous prenez des esprits pour vos ambassadeurs et des feux ardents pour vos ministres. » Mais l'Ecriture sainte ne nous permet pas de croire que les anges ne soient pas sujets au changement, puisqu'elle dit : « Il retient liés de chaînes éternelles dans de profondes ténèbres et réserve pour le jugement du grand jour les anges qui n'ont pas conservé leur première dignité, mais qui ont quitté leur propre demeure ; » parce qu'ils ont changé d'état et de condition, et qu'ils sont devenus démons, étant malheureusement déchus de leur ancienne dignité et de ce haut rang de gloire dans laquelle ils avaient été créés. Quant aux âmes humaines, nous n'avons jamais cru ni enseigné que ce sont ou les anges après leur chute, ou les démons après leur conversion qui entrent dans les corps humains pour les animer. A Dieu ne plaise que nous ayons jamais eu ces sentiments, que nous savons être très contraires à la doctrine de l'Eglise ! »

Il s'agit de savoir si avant la création de l'homme les âmes ont été parmi les créatures raisonnables, si elles ont été créées dans un état qui leur fût propre, si elles ont vécu, subsisté et demeuré longtemps dans cet état; si c'est une erreur de dire, comme a fait Origène, que toutes les créatures raisonnables sont incorporelles et invisibles; si par leur négligence elles déchoient peu à peu de leur premier état, si elles prennent des corps conformes à la qualité et à la nature des lieux où elles descendent, pat exemple si d'abord elles prennent des corps d'un air très subtil et ensuite d'un air plus matériel; si leurs corps s'épaississent à mesure qu'elles approchent de la terre, si enfin elles animent des corps de chair; si les démons, qui ont volontairement quitté le service de Dieu à l'exemple du diable, qui est leur chef, entrent dans des corps humains après avoir changé de vie et de moeurs; et si, par la pénitence qu'ils font en cet état, ils méritent après la résurrection d'être dégagés des corps d'air dont ils étaient environnés, de voir Dieu et de remonter au ciel en passant par les mêmes états où ils se sont trouvés en descendant sur la terre, « afin que tout genou fléchisse devant Dieu dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que Dieu soit tout en toutes choses. » Puis donc qu'il s'agit de cela entre nous; pourquoi abandonnez-vous la question, et quittez-vous le champ de bataille pour vous amuser à combattre des chimères?

Vous croyez que Dieu seul a créé toutes les choses visibles et invisibles : Arius est aussi de ce sentiment et confesse que le Fils a créé toutes choses. Je me contenterais de cette réponse si on nous accusait de l'hérésie de Marcion, qui admettait un dieu bon, créateur des choses (369) invisibles, et un dieu juste, créateur des choses visibles. Vous croyez que l'univers est l'ouvrage de la Trinité; c'est ce que nient les ariens et les demi-ariens, qui, par un horrible blasphème, prétendent que le saint-Esprit est créature et non pas créateur. Mais, vous accuse-t-on aujourd'hui d'être arien? Vous dites que, l'âme humaine n'est pas une portion de la substance de Dieu, comme si saint Epiphane vous imputait les erreurs des manichéens. Vous détestez ceux qui disent que les anges deviennent âmes, et qu'après être déchus du comble de leur gloire, ils animent des corps humains et deviennent une portion de notre substance. Ne déguisez point vos sentiments et ne nous en imposez point sous un air de franchise et de bonne foi. Origène lui-même n'a jamais dit que les anges deviennent âmes, puisque selon lui le nom d'ange indique non pas la nature, mais l'emploi de ces créatures spirituelles. Car dans son livre des Principes il dit que les anges, les trônes, les dominations, les puissances, les princes du monde et des ténèbres, « tous les titres qui peuvent être non-seulement dans le siècle présent, mais encore dans le siècle futur, » sont les âmes des corps qu'ils prennent, soit par leur propre penchant, soit à cause du besoin qu'ils en ont pour s'acquitter de leurs ministères. Il dit même que le soleil, la lune et tous les autres astres, sont. les âmes de certaines créatures qui autrefois étaient raisonnables et incorporelles, et qui, étant aujourd'hui assujetties à la vanité, c'est-à-dire à des corps de feu que nous prenons par ignorance pour des astres destinés à éclairer le monde, seront un jour affranchies de cette servitude et de cette corruption pour participer à la liberté et. à la gloire des enfants de Dieu. De là vient que « toutes les créatures soupirent après cette liberté et sont comme dans le travail de l'enfantement; » et que l'apôtre saint Paul s'écrie en gémissant : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? »

Ce n'est point ici le lieu de réfuter cette doctrine païenne, et qui tient beaucoup de celle de Platon. Je crois m'être assez expliqué là-dessus dans mon Commentaire sur l'Ecclésiaste, que j'ai composé il y a environ dix ans, et dans celui que j'ai fait sur l'Epître aux Ephésiens. Je vous prie, vous dont l'éloquence est si féconde, et qui dans un seul discours expliquez à fond tous les dogmes de la foi, je vous prie, dis-je, de répondre, mais en deux mots et sans détour, à la question que je vais vous faire. Lorsque Dieu forma l'homme du limon de la terre, et qu'il l'anima. de son souffle, l'âme qu'il lui donna existait-elle avant sa création? en quel lieu était-elle avant que le Créateur la communiquât à l'homme par son souffle? Dieu par sa puissance lui a-t-il donné l’être et la vie lorsque le sixième jour il forma le corps de l'homme du limon de la terre? A tout cela vous ne répondez rien, et, comme si vous ne saviez pas ce qu'on vous demande, vous vous arrêtez à des questions inutiles et qui sont indifférentes à notre sujet. Muet et tranquille sur tout ce qui regarde Origène, vous vous déchaînez contre Marcion, contre Apollinarius, contre Eunomius, contre Arius, contre Manès, contre les visions et les rêveries de tous les autres hérétiques. Vous ne répondez jamais aux questions qu'on vous adresse, et vous tâchez à tout. moment de nous faire prendre le change. Cependant vous donnez assez à connaître que vous êtes toujours dans les mîmes sentiments, et comme nous sommes trop simples pour découvrir vos artifices, vous savez l'art de nous apaiser sans déplaire à ceux de votre parti.

Vous dites que les anges sont plutôt changés en démons qu'en âmes; comme si Origène ne disait pas que les démons même sont des âmes qui animent des corps d'air ( ce qui est vrai ) et que, s'ils changent de vie, de démons qu'ils sont ils deviendront des âmes humaines. Vous ajoutez que les anges sont sujets au changement, et, faisant passer l'impiété et le mensonge à la faveur de la vérité, vous soutenez qu'après plusieurs changements ils deviendront âmes, non pas en quittant l'état d'anges oit ils ont été créés, mais celui où ils se sont trouvés après leur chute. Je m'explique. Supposons qu'un chef de cohorte qu'on dégraderait pour quelque faute qu'il aurait faite, redevienne simple soldat, en passant successivement par tous les grades de la cavalerie, devient-il tout d'un coup soldat de chef de cohorte qu'il était? non; mais on le fait d'abord sous-chef, ensuite sénateur, capitaine d'une compagnie de deux cents hommes, commissaire des vivres , officier de ronde, cavalier, et enfin simple soldat; et quoiqu'il ait été autrefois soldat avant d'être chef de cohorte, cependant il ne redevient pas d'abord de chef de cohorte soldat, mais sous-chef. Origène dit que les (370) créatures raisonnables descendent peu à peu, comme par l'échelle de Jacob, jusqu'au dernier échelon, c'est-à-dire ,jusqu'à des corps de chair et de sang; qu'il est impossible que de cent on vienne tout d'un coup à un, sans passer par tous les autres nombres , comme par les échelons d'une échelle, et que les anges changent de corps à mesure qu'ils changent de condition et de demeure en descendant du ciel en terre.

Voilà les ruses et les artifices dont vous vous servez pour nous faire passer pour des hommes grossiers et des stupides, incapables de concevoir les choses spirituelles. Mais vous qui êtes citoyen de Jérusalem, vous vous moquez des anges même. Cependant on dévoile vos mystères et on fait connaître aux chrétiens les dogmes que vous avez puisés dans les fables du paganisme. J'ai autrefois méprisé dans Platon ce que vous regardez aujourd'hui avec admiration ; et je l'ai méprisé, parce que j'ai fait profession de cette sagesse de Jésus-Christ qui passe pour folie aux yeux du monde, et qui néanmoins « est plus sage que la sagesse de tous les hommes. » Des chrétiens et des évêques même ne rougissent point de traiter les choses de Dieu comme une comédie, de s'exprimer sur les dogmes de la foi d'une manière ambiguë et obscure, de s'attacher malicieusement à des termes équivoques, et de se tromper ainsi eux-mêmes plutôt que ceux qui les écoutent.

Ayant pressé un jour un de vos philosophes de me dire ce qu'il pensait de la nature de l'âme, et s'il croyait qu'elle eût existé avant le corps, il me répondit que le corps et l'âme existaient en même temps. Je savais bien que cet hérétique voulait m'en imposer et me jeter de la poussière aux yeux; mais, après l'avoir attaqué de tous ailés, enfin il me donna assez à entendre que l'âme ne doit être appelée âme qu'après son union avec le corps qu'elle anime; et qu'avant cette union on l'appelait ou démon, ou ange de Satan, ou esprit de fornication. ou bien domination, puissance, esprit dirigeant ou envoyé de Dieu. Si l'âme existait avant la création du premier homme, dans quelque état et quelque situation qu'on la considère, elle vivait, cette âme, elle agissait; car enfin on ne peut pas s'imaginer qu'étant incorporelle et éternelle, elle fût toujours immobile et endormie comme un loir. Ce n'est donc pas sans raison que Dieu a mis dans un corps cette âme qui auparavant n'en avait point. Que s'il est de la nature de l'âme d'être sans corps, il suit qu'il est contre sa nature d'être unie au corps; la résurrection sera donc contraire aux lois de la nature. Or, comme cela ne se peut dire, il faut conclure, selon vos propres principes, qu'après la résurrection les corps n'auront point d'âme, puisqu'ils ne peuvent ressusciter contre l'ordre de la nature.

Vous dites que l'âme n'est point une portion de la substance de Dieu; vous avez raison, et par là vous condamnez l'impie Manès, dont on ne peut seulement prononcer le nom sans se souiller soi-même. Vous dites que les anges ne deviennent point âmes; je vous passe cette assertion, quoique je sache bien dans quel sens vous l'entendez. Mais puisque nous savons ce que vous niez, obligez-nous maintenant de nous dire ce que vous croyez . «Dieu, dites-vous, ayant pris du limon de la terre, en forma l'homme; de son souffle il lui donna une âme raisonnable, douée du libre arbitre, une âme d'une nature toute particulière, et qui n'était pas, comme le disent quelques impies, une portion de sa propre substance. » Quel détour Jean prend pour dire ce qu'on ne lui demande point! Nous savons que Dieu a formé l'homme du limon de la terre, et qu'ayant répandu sur son visage un souffle de vie, l'homme devint vivant et animé. Nous n'ignorons pas que l'âme est raisonnable et clouée du libre arbitre, que sa création est l'ouvrage clé Dieu. 'l'out le monde convient que c'est une erreur d'enseigner, comme fait Manès, que l'âme est une portion de la substance de Dieu. Mais je vous demande, cette âme qui est l'ouvrage de Dieu, qui est raisonnable et douée du libre arbitre, et qui n'est point une portion de la substance du Créateur, quand a-t-elle été créée? était-ce lorsque Dieu forma l'homme du limon de la terre et répandit sur son visage un souffle de vie? ou existait-elle parmi les créatures raisonnables et incorporelles avant que Dieu la communiquât à l'homme par son souffle? C'est ici que vous demeurez muet, que vous faites semblant de ne rien comprendre à la question qu'on vous adresse, et que vous employez les paroles de l'Écriture à nous annoncer une doctrine que l'Écriture n'enseigna jamais. Au lieu de nous dire (ce qu'on ne vous demandait pas ) que l'âme n'est point une portion de la (371) substance de Dieu, comme l'enseignent quelques impies, vous deviez dire, pour répondre juste à ce qu'on vous demandait, que l'âme que Dieu donna à l'homme par son souffle n'était pas une âme qui eût existé, qui eût été créée, qui eût vécu parmi les créatures raisonnables, incorporelles et invisibles longtemps avant son union avec le corps. Vous produisez Manès sur la scène et vous tirez le rideau sur Origène. Semblable à ces nourrices qui, lorsque leurs petits enfants demandent à manger; leur présentent quelque poupée pour les amuser et pour leur en faire perdre l'idée, vous tâchez de nous mettre sur d'autres voies, afin qu'occupés du nouveau personnage que vous nous présentez, nous perdions de vue celui que nous cherchons.

Je veux bien que vous agissiez en cela de bonne foi      et que la dissimulation et l'artifice n'aient aucune part à votre silence; mais pourquoi avoir commencé à parler de la nature de l’âme en remontant pour cela jusqu'à la création de l'homme, abandonnez-vous tout à coup cette question pour traiter celle des anges et de l'incarnation du Verbe? Pourquoi, sautant ces longues et épineuses questions, nous laissez-vous pour ainsi dire embourbés au milieu du chemin? Si Dieu a créé l'âme par son souffle ( c'est ce que vous n'accordez pas et sur quoi vous ne voulez pas maintenant vous expliquer), quelle est donc l'origine de l'âme d'Eve, puisque Dieu n'a point répandu son souffle sur son visage? Laissons là Eve; comme elle a été formée d'une des côtes de l'homme, et qu'en cela elle est la figure de l'Eglise, il ne faut pas l'exposer après tant de siècles aux outrages de ses descendants. Quelle est l'origine des âmes de Caïn et d'Abel, qui sont les premiers enfants d'Adam et d'Eve? Quelle est l’origine des âmes de tous les autres hommes? Viennent-elles par la voie de la génération comme les animaux , en sorte qu'une âme engendre une autre âme, de même qu'un corps engendre un autre corps? Ou les créatures raisonnables étant descendues du ciel en terre, entraînées par le penchant naturel qu'elles ont de s'unir au corps, sont-elles entrées dans des corps humains pour les animer? Ou enfin faut-il s'en tenir au sentiment et à la doctrine de l'Eglise, qui nous enseigne que Dieu, dont la volonté est toute-puissante, crée tous les jours des âmes et ne cesse point d’être Créateur, selon ce que dit Jésus-Christ : « Mon Père n'a point cessé d'agir jusqu'à présent, et j'agis aussi sans cesse. » Et le prophète Zacharie: Dieu forme dans l'homme, l'esprit de l'homme. » Et le psalmiste : « Dieu forme le coeur de chacun d'eux. »

Je sais ce que vous avez coutume d'opposer à ces passages pour en diminuer la force et D'autorité; je sais les objections que vous nous faites, et que vous puisez dans des sources étrangères et corrompues; le temps ne me permet pas de les réfuter, cela mènerait trop loin. Nous pouvons aussi tourner contre vous les mêmes armes dont vous vous servez pour nous combattre. Ce qui paraît indigne de Dieu dans les ouvrages qu'il fait tous les jours n'est point indigne de lui dès qu'il en est l'auteur. Naître d'un adultère, ce n'est point la faute de l'enfant, c'est le crime du père. La terre ne pèche point en recevant la semence dans son sein, et le grain en tombant sur les sillons, ni l'humidité ou la chaleur en nourrissant et faisant, germer le froment; mais celui qui pèche est, par exemple, un voleur qui enlève le grain ou par fraude ou par la violence. Il en est de même de la génération des hommes. La terre, c'est-à-dire le sein maternel, reçoit le sang qui lui est propre; ce sang s'échauffe et prend peu à peu la figure d'un corps; chaque partie se développe et se met à sa place, et Dieu, qui est tout à la fois le créateur et de l'âme et du corps, opère sans cesse dans cet étroit et sombre réduit. Ne méprisez point la bonté de l'ouvrier qui vous a fait tel qu'il a voulu ; il est la vertu et la sagesse de Dieu, et il s'est bâti lui-même une demeure dans le sein d’une vierge. Jephthé, que saint Paul met au nombre des justes, est né d'une femme de mauvaise vie. Esaü, fils d'Isaac et de Rebecca, étant venu au monde tout couvert de poil, et pour ainsi dire aussi difforme d'esprit que de corps, l'ut comme un pur froment qui dégénéra en herbe et en ivraie; parce que ce n'est point le sang du père, mais la volonté des enfants qui est la source ou des vices ou des vertus. Si c'est un crime de naître avec un corps humain, pourquoi donc la naissance d'Isaac, de Samson et de saint Jean-Baptiste a-t-elle été prédite et annoncée par un ange? Vous voyez ce que c'est que de professer librement et hautement sa foi. Prenez que je me trompe; du moins je dis ouvertement ce que je pense. Usez-en donc avec la même franchise en vous (372) déclarant hautement pour notre opinion, ou . en défendant la vôtre constamment. Ne faites Î point semblant d'être de mon parti et ne cachez point, vos mauvais desseins sous un air de sincérité, afin de pouvoir me blesser par-derrière quand il vous plaira, et vous sauver après avoir fait votre coup. Ce n'est pas ici le lieu de réfuter les erreurs d'Origène ; je me réserve, si Dieu me donne des jours, de le faire dans un autre ouvrage. Il s'agit ici d'examiner comment vous vous ,justifiez des accusations qu'on a formées contre vous, et si vos réponses sont sincères, sans dissimulation et sans équivoque.

Passons maintenant à la fameuse question de la résurrection du corps et de la chair. A ce sujet je crois devoir encore vous avertir, mon cher lecteur, qu'en écrivant j'ai toujours devant les yeux la crainte et les jugements de Dieu, et que vous devez entrer dans les mêmes dispositions en lisant cet ouvrage; car si la croyance est pure, et si Jean s'explique d'une manière qui ne laisse aucun sujet de douter de la sincérité de sa foi, je ne suis pas assez fou pour lui faire son procès sous de vains et spécieux prétextes, et pour me rendre moi-même coupable de calomnie, en voulant le l'aire passer pour hérétique. Lisez donc ce qu'il dit de la résurrection de la chair, et après que vous l'aurez lu et condamné (car je suis bien persuadé qu'on ne peut pas approuver une telle doctrine) suspendez votre jugement et attendez pour vous déclarer que vous ayez entièrement lu ma réponse; si vous n'en êtes pas satisfait, je consens que vous me regardiez comme un imposteur.

« Nous confessons; dit-il, que la Passion de Jésus-Christ, sa mort, sa sépulture (car ce divin Sauveur a bien voulu s'assujétir à tout cela) et sa résurrection sont réelles et véritables, et non pas chimériques et imaginaires; « qu'il est le premier-né des morts, »et qu'ayant tiré du tombeau les prémices de nos corps, il les a élevés avec lui jusque dans le ciel, afin de nous engager à fonder sur sa résurrection l'espérance de la nôtre. Car nous espérons tous ressusciter un jour de la même manière qu'il est ressuscité lui-même ; or comme il est ressuscité avec le même corps qu'il avait et qui a été mis dans le saint sépulcre, nous espérons de mime ressusciter, non pas avec des corps étrangers et fantastiques, mais avec les mêmes corps dont nous sommes revêtus et qui ont été mis dans le tombeau. Car selon l'apôtre saint Paul, « le corps comme une semence est maintenant mis en terre plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible; il est mis en terre tout difforme, et il ressuscitera glorieux; il est mis en terre comme un corps animal, et il ressuscitera comme un corps spirituel. » Ce qui a fait dire au Sauveur « Mais pour ceux qui seront jugés dignes d'avoir part au siècle futur et à la résurrection des morts, ils ne se marieront plus; car alors ils ne pourront plus mourir, mais ils seront semblables aux anges, parce qu'ils sont enfants de la résurrection. »

Voici encore les détours qu'il prend et les équivoques dont il se sert dans un autre endroit de sa lettre, je veux dire à la fin de ses traités, pour décrire le terrible et pompeux appareil de la résurrection future, afin d'imposer par là aux ignorants. «Nous n'avons pas oublié, dit-il, de parler du second et glorieux avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, qui doit venir dans toute sa majesté juger les vivants et les morts; car il ressuscitera tous les morts, et les faisant paraître devant son redoutable tribunal, il rendra à chacun selon les oeuvres soit bonnes soit mauvaises dont le corps aura été l'instrument; couronnant ceux qui se seront servi de leurs corps pour vivre dans la chasteté et dans la justice, et condamnant ceux qui les auront plongés dans l'iniquité et dans de honteuses débauches. »

Nous voyons ici la vérité de ce que nous lisons dans l'Evangile, qu'à la fin les élus mêmes, s'il est possible, se laisseront séduire par les faux prophètes. Le peuple ignorant entend parler de corps morts et ensevelis dans le tombeau; il entend dire que la résurrection des morts sera véritable et non point imaginaire ; que Jésus-Christ en montant au ciel y a porté avec lui les prémices de nos corps ; que nous devons ressusciter non point avec des corps étrangers et fantastiques, mais avec les mêmes corps dont nous sommes revêtus et avec lesquels nous sommes ensevelis dans le tombeau; de mime que Jésus-Christ est ressuscité avec le même corps qu'il avait durant sa vie mortelle, et qui a été mis dans le saint sépulcre. Et pour ne laisser aucun doute sur la sincérité de sa foi, l'évêque de Jérusalem ajoute enfin que Jésus-Christ rendra à chacun selon ses oeuvres bonnes et mauvaises dont le corps aura été (373) l'instrument; couronnant ceux qui se seront servi de leurs corps pour vivre dans la chasteté et dans la justice, et condamnant ceux qui les auront plongés dans l'iniquité et dans de honteuses débauches. Une populace ignorante et crédule qui n'entend parler que de corps, de sépulture et de résurrection, ne peut s'imaginer qu'on ait dessein de lui faire illusion, et croit de bonne foi tout ce qu'on lui dit ; car les oreilles du peuple sont plus pures et plus innocentes que l'esprit et le coeur de l'évêque. Je vous prie donc, mon cher lecteur, et vous conjure de nouveau de prendre patience, pour apprendre ce que je n'ai découvert moi-même qu'avec le temps. Mais avant d'anatomiser la tête de ce dragon et d'expliquer la doctrine d'Origène sur la résurrection (car vous ne pouvez juger de la bonté de l'antidote, si vous ne connaissez pas toute la malignité du poison ), remarquez, je vous prie, et comptez exactement, et vous verrez que notre apologiste, parlant de la résurrection, a employé neuf fois le mot de corps, sans se servir une seule fois de celui de chair. Défiez-vous de ce silence affecté et perfide.

Origène donc dit en plusieurs endroits de ses ouvrages, mais particulièrement dans le quatrième livre de la résurrection, dans l'explication du premier psaume et dans ses oeuvres mêlées, « qu'il y a dans l'Eglise deux sortes d'erreurs sur la résurrection des morts. Car les uns ( c'est de nous qu'il parle ), gens grossiers et charnels, soutiennent que nous ressusciterons avec les mêmes os, le même sang, la même chair, le même visage et les mêmes parties dont notre corps est composé; et qu'ainsi nous aurons des pieds pour marcher, des mains pour travailler, des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un estomac pour digérer les viandes, et un ventre que nous ne pourrons jamais rassasier; d'où l'on doit conclure que nous aurons besoin de boire et de manger, de nous décharger des excréments et des superfluités de la nature, d'avoir des femmes et d'user du mariage; car de quel usage seront les parties qui servent à la génération, si on ne se marie point? de quelle utilité seront et le ventre et les viandes, si, selon saint Paul, « Dieu doit détruire l'un et l'autre, » et si « la chair et le sang, comme dit le même apôtre, ne peuvent posséder le royaume de Dieu, ni la corruption entrer en possession de cet héritage incorruptible ? » Voilà, à ce qu'il prétend, les erreurs oit notre simplicité et notre ignorance nous a engagés.

« Les autres ( il parle    des hérétiques, Marcion, Apellès, Valentin et Manès, qui signifie extravagance ), les autres, dit-il, nient absolument la résurrection de la chair et du corps, et prétendent que l'âme seule sera sauvée, qu'en vain nous nous flattons que notre résurrection sera semblable à celle de Jésus Christ, puisqu'il n'est ressuscité , qu'en apparence et qu'il n'a eu, non-seulement dans sa résurrection, mais même dans sa naissance, qu'un corps fantastique et apparent. »

Origène dit qu'il ne saurait partager ni l'une ni l'autre de ces opinions ; qu'il a horreur et de la résurrection charnelle que nous admettons, et de la résurrection fantastique qu'enseignent les hérétiques; que ces deux opinions sont également outrées, et donnent dans des extrémités contraires ; les uns soutenant qu'ils seront tels qu'ils ont toujours été, et les autres niant absolument la résurrection des corps. «Tous les philosophes, dit-il, et tous les médecins conviennent que toutes les choses sensibles et les corps humains sont composés de quatre éléments, savoir, de terre, d'eau, d'air et de feu. La terre est représentée par la chair, l'air par la respiration, l'eau par l'humide radical et le feu par la chaleur naturelle. Or, lorsque Dieu aura séparé l'âme d'avec le corps terrestre et périssable, chaque chose se réunira à son principe; la chair deviendra terre, la respiration et le souffle qui nous anime se dissipera dans les airs, l'humide radical rentrera dans les abîmes d'eau, et la chaleur naturelle. s'élèvera vers la sphère du feu. Il en sera, de la résurrection de nos corps comme d'un setier de lait ou de vin qu'on répandrait dans la mer , et qu'on voudrait ensuite séparer d'avec l'eau après leur mélange et leur absorption; car de même que ces liquides qu'on répand ne sont pas détruits par l'eau de la mer, et que cependant on ne peut pas les séparer après les avoir mêlés ; de même notre chair et notre sang ne périssent pas en se réunissant à la matière première dont ils étaient composés; néanmoins ils ne peuvent jamais redevenir ce qu'ils étaient, ni être rétablis dans leur premier état. »

« Selon ce principe on ne peut pas dire que nous ressusciterons avec un corps composé de (374) chair, de sang, de nerfs, de veines et d'os, mais nous avons une autre idée de la résurrection des corps qui sont ensevelis dans le tombeau et réduits en poussière; car nous croyons due Paul sera Paul, et que Pierre sera Pierre; en un mot, que chacun ressuscitera avec son propre corps; parce qu'il n'est pas juste de punir dans un corps une aime qui a péché dans un autre, ni de couronner un corps qui n'a point souffert pour Jésus-Christ, à la place d'un autre qui a répandu son sang par amour pour lui. »

A l'entendre parler de la sorte, pourrait-on s'imaginer qu'il nie la résurrection de la chair? « La sagesse de Dieu, dit-il, a mis dans chaque semence un germe qui contient en petit tout ce qu'elle doit produire un jour. Quoiqu'on ne puisse pas découvrir dans la semence toute la grandeur de l'arbre qui en doit naître, c'est-à-dire son tronc, ses branches, ses fruits et ses feuilles ; tout cela néanmoins ne laisse pas d'être enfermé dans ce petit germe, ou, selon les Grecs, dans cette petite étincelle qui est au coeur de la semence. Il y a par exemple dans un grain de froment une espèce de petits, veille, qui, se développant et s'étendant par la Chaleur de la terre, se lie et s'incorpore avec la matière dont elle est environnée , et ensuite se change en herbe, en chalumeau et en épi. Ce que la terre a reçu dans son sein, elle le reproduit sous une nouvelle forme ; car la racine, l'herbe, le chalumeau, l'épi, la paille, tout cela n'est ni distingué ni arrangé dans le grain de froment.

« Or il en est de même du corps humain; car il y a dans chaque corps un ancien germe qui étant échauffé par la terre, devient pour les morts la source et le principe d'une nouvelle vie. Au jour du jugement, la terre étant ébranlée par la voix de l'archange et le dernier son de la trompette, tous ces germes se développeront et reproduiront les morts en un instant. non pas avec la même chair, mais sous une forme: nouvelle et différente de celle qu'ils avaient auparavant. Voulez-vous être convaincu de cette vérité? écoutez ce que dit l'apôtre saint Paul : « Mais quelqu'un me dira de quelle manière les morts ressusciteront-ils, et quel sera le corps dans lequel ils reviendront? Insensé que vous êtes, quand vous semez, vous ne semez pas le corps de la plante qui doit naître, mais seulement la graine, par exemple du blé, de la vigne ou d'un arbre. »

« Après avoir parlé du grain de froment et de la semence des arbres, parlons maintenant du grain de raisin. Il est si petit, ce grain, qu'à peine peut-on le tenir avec les deux doigts. Où est la racine? où est le cep? où sont ces branches entrelacées les unes avec les autres? ces larges feuilles qui font un ombrage si agréable? ces belles grappes qui doivent un jour donner du vin ? Ce grain que vous tenez entre vos mains est tout sec et presque imperceptible; cependant, par la puissance de Dieu et par une vertu secrète et mystérieuse qu'il renferme au dedans de lui-même, ce petit grain, tout sec qu'il est, produira un jour d'excellent vin. Vous accordez tous ces avantages à un bois fragile et périssable qui ne reprendra jamais la forme vile qu'il avait dans sa première origine, et vous les refusez au corps humain. Vous voulez qu'il ressuscite avec des os, du sang et toutes les autres parties qui le composent; en sorte qu'on aura besoin de se faire raser, de se moucher, de couper ses ongles, de se décharger des humeurs et des superfluités de la nature. Si vous vous arrêtez à toutes ces visions dont les esprits faibles et grossiers ont coutume de se repaître, et si vous vous attachez si fort à la chair, » qui ne peut nous rendre agréable à Dieu, parce qu'elle est elle-même ennemie de Dieu, » vous ne pouvez avoir qu'une idée très fausse de la résurrection des morts; car selon l'apôtre saint Paul, « le corps comme une semence est maintenant mis en terre plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible; il est mis en terre tout difforme, et il ressuscitera tout glorieux ; il est mis en terre privé de mouvement, et il ressuscitera plein de vigueur: il est mis en terre comme un corps animal, et il ressuscitera comme un corps spirituel. » Nous nous servons à présent de nos yeux pour voir, de nos oreilles pour entendre, de nos mains pour agir, de nos pieds pour marcher; mais dans ce corps spirituel avec lequel nous ressusciterons, il n'y aura aucune partie qui ne voie, aucune qui n'entende, aucune qui ne marche; parce que le Seigneur « transformera notre corps tout vil et abject qu'il est afin de le rendre conforme à son corps glorieux. » Lorsque l'Apôtre dit que le Seigneur transformera notre corps, en lui don nant une nouvelle figure, il ne nie pas que nous (375) n'ayons les mêmes parties dont notre corps est maintenant composé; mais il nous promet un corps spirituel et d'une substance très hure, un corps léger et sans pesanteur, et qui changera selon la différence des lieux où il se trouvera. Car si nous ressuscitons avec; la même chair et le même corps que nous avons maintenant, il s'ensuit qu'il y aura encore une différence de sexe, qu'on fera encore des mariages, que les hommes auront les sourcils épais et la barbe longue, et les femmes les joues douces et la poitrine étroite; que l'on usera du mariage comme auparavant; que les enfants ressusciteront avec un corps proportionné à leur âge, et les vieillards avec un corps usé et chargé d'années ; qu'il faudra donner à manger à ceux-là. et que ceux-ci auront besoin d'un bâton pour se soutenir.

« Lorsque vous lisez dans l'Evangile que Jésus-Christ après sa résurrection montra son côté et ses mains, parut debout sur le rivage de la mer, voyagea avec Cléophas et assura ses apôtres due son corps était composé de chair et d'os; ne soyez pas assez simple pour vous imaginer que notre résurrection sera semblable à la sienne. Comme son corps n'a pas été conçu par la voie ordinaire de la génération, il a aussi des privilèges auxquels les autres hommes ne doivent point prétendre. S'il boit et mange après sa résurrection, s'il parait revêtu d'habits, s'il se laisse toucher, c'est qu'il veut convaincre ses apôtres de la vérité de sa résurrection. Mais cependant lorsqu'il entre dans le cénacle, les portes fermées, et qu'il disparaît aux yeux de deux de ses disciples en rompant le pain, il fait assez connaître par là que son corps est tout spirituel et composé d'un air très subtil. Selon vos principes nous serons donc encore assujettis après la résurrection à boire, à manger et à nous décharger de ce que l'estomac aura digéré? Si cela est, comment s'accomplira ce que dit l'apôtre saint Paul : « Il faut que le corps mortel soit revêtu de l'immortalité? »

Voilà la seule raison, Jean de Jérusalem, pour laquelle dans votre exposition de foi vous employez jusqu'à neuf fois le mot de « corps, »sans vous servir une fois de celui de « chair; »et cela dans la vue de faire illusion aux ignorants, qui, vous entendant parler de la résurrection du corps, s'imaginent que vous confessez. la résurrection de la chair, et que chair et corps c'est la même chose. Si c'est la mime chose, ils n'ont donc point de signification différente. Car je prévois bien que vous m'allez dire que vous n'y entendez point finesse, et que vous avez toujours cru que « corps » et « chair» étaient une même chose. Pourquoi donc ne vous servez-vous point du mot de « chair » pour signifier le corps? pourquoi n'employez-vous pas indifféremment tantôt l'un, tantôt l'autre, pour montrer que par le mot de « corps» vous entendez la chair, et que par le mot de « chair» vous entendez le « corps? » Avouez-le de bonne foi, votre silence sur cela n'est pas sans dessein ; car enfin la chair et le corps n'ont pas une même définition. Tout ce qui est chair est corps; mais tout ce qui est corps n'est pas chair. Ce qu'on appelle proprement « chair, » est une substance composée de sang , de veines , d'os et de nerfs. Mais le nom de « corps » ( quoiqu'il convienne aussi à la chair ) on le donne quelquefois à une substance éthérée ou aérienne , qu'on ne peut ni voir ni toucher, et qui néanmoins devient souvent visible et palpable. Une muraille est un corps, mais elle n'est pas chair. Il y a , selon saint Paul , des corps célestes et des corps terrestres. Le soleil , la lune, les étoiles sont des corps célestes ; le feu, l'air, l'eau, la terre, et tous les êtres inanimés qui sont composés de ces quatre éléments, sont des corps terrestres.

Vous voyez bien que vos artifices ne me j sont pas inconnus, et que je dévoile ici des mystères que vous ne découvrez qu'aux âmes parfaites , et auxquels le simple peuple ne uiérite pas d'avoir part. C'est ce qui vous fait dire en riant, et avec un certain air puéril et badin : «Toute la gloire de la fille du roi lui vient du dedans. » Et : « Le roi m'a fait entrer dans son appartement secret. » Il est aisé de voir à quel dessein vous parlez de la résurrection du corps, sans faire aucune mention de la résurrection de la chair. C'est afin que nous autres gens simples et grossiers , nous entendions de la chair tout ce que vous dites du corps ; et que ceux due vous appelez parfaits jugent par l'affectation avec laquelle vous vous servez du mot de « corps, » que vous ne croyez, point la résurrection de la chair. Mais l'apôtre saint Paul voulant faire voir que Jésus-Christ avait un corps de chair, et non pas un corps spirituel, aérien, ou composé d'une autre matière « subtile, » dit expressément dans son épître aux (376) Colossiens : « Lorsque vous étiez autrefois éloignés de Jésus-Christ , et que vos rouvres criminelles vous rendaient ennemis de son esprit, il vous a réconciliés par sa mort dans le corps de sa chair. » Et puis : « C'est en lui que vous avez été circoncis d'une circoncision qui n'est pas faite de main d'homme, mais qui consiste dans le dépouillement du corps de la chair. » Si le mot de « corps », ne signifie que la chair, et ne peut point avoir plusieurs sens, qu'était-il nécessaire que l'Apôtre parlât d'un « corps de chair, » comme si par le mot de « corps », on pouvait entendre autre chose que la chair? Dans le symbole de notre espérance et de notre foi , que nous avons reçu des apôtres, et qui est écrit «non pas avec de l'encre,» ni sur du papier, « mais sur des tables de chair qui sont nos cœurs, » après avoir confessé le mystère de la sainte Trinité, et l'unité de l'Église, nous finissons notre confession de foi en déclarant que nous croyons la résurrection de la chair. Les apôtres se servent toujours du mot de « chair, » sans parler du corps; et vous, au contraire , vous employez jusqu'à neuf fois le mot de « corps, » sans parler une fois de la chair.

Je sais aussi quelles sont vos vues dans ce que vous dites ensuite avec tant de précaution et tant d'artifice. Car, vous prouvez la vérité de la résurrection par les mômes passages dont Origène se sert pour la nier; et, confirmant ce qui est incertain par ce qui est douteux , vous détruisez la certitude de notre croyance, et renversez, comme par une espèce de tempête subite et imprévue, tout l'édifice de notre foi. « Le corps , » dit Origène, « semblable à une semence, est mis en terre comme un corps animal, et il ressuscitera comme un corps spirituel. » Car, «après la résurrection, les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris , mais ils seront comme les anges dans le ciel. » Si vous vouliez hier la résurrection des morts , de quels autres passages vous serviriez-vous pour appuyer votre sentiment? Mais voulez-vous confesser que nous ressusciterons avec de véritables corps, et non point, comme vous dites, avec des corps fantastiques? A ces passages que vous avez cités pour tromper les ignorants , et pour prouver que nous ressusciterons avec les mêmes corps dans les quels nous mourrons et avec lesquels nous serons ensevelis , ajoutez celui-ci : « Considérez qu'un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai; » et particulièrement ce que Jésus-Christ dit à Thomas : « Portez-ici votre doigt et examinez mes mains ; approchez ici votre main et la mettez dans mon côté, et ne soyez plus incrédule, mais fidèle. » Ce qui fait voir qu'après la résurrection nous aurons la même chair, le même sang, les mimes os et les mêmes parties dont notre corps est maintenant composé, et dont l'Écriture sainte condamne les oeuvres, et non pas la nature, selon ce qui est écrit dans la Genèse : « Mon esprit ne demeurera pas avec ces hommes, parce qu'ils ne sont que chair. » De là vient que l'apôtre saint Paul, parlant de la mauvaise doctrine des Juifs et de la corruption de leurs couvres , dit : « Je n'ai consulté ni la chair, ni le sang. » Et écrivant à des saints qui étaient encore environnés d'une chair mortelle : « Pour vous , » leur dit-il, « vous n'êtes pas dans la chair , mais dans l'esprit ; si toutefois l'esprit de Dieu habite en vous. » Lorsqu'il dit qu'ils n'étaient point dans la chair , quoiqu'ils fussent environnés d'un corps de chair, il fait bien voir que ce sont les péchés , et non pas la substance de la chair qu'il condamne. Voilà en quoi consiste la foi de la résurrection , à croire que notre chair sera revêtue de gloire, sans cesser d'être une véritable chair.

Quand l'apôtre saint Paul dit : « Ce corps corruptible et mortel, » il fait bien voir qu'il parle du corps, c'est-à-dire de la chair qu'il voyait à ses yeux. Et lorsqu'il ajoute : « doit être revêtu de l'incorruptibilité et de l'immortalité, » il ne dit pas que le corps doit être détruit par cette gloire dont il sera revêtu ; mais qu'il deviendra glorieux et éclatant, d'abject et de difforme qu'il était : c'est-à-dire, qu'après nous être dépouillés de cette mortalité et de ces faiblesses qui rendent notre corps vil et méprisable , nous serons revêtus , pour ainsi dire , de l'or de l'immortalité , et comblés d'un bonheur solide et constant. Car, « nous ne désirons pas d'être dépouillés de la chair, mais d'être revêtus comme d'un manteau de cette gloire qui est notre maison céleste, en sorte que ce qu'il y a de mortel en nous soit absorbé par la vie. » Un manteau ne se met que sur les autres habits. Lorsque notre Seigneur se transfigura sur la montagne et parut tout brillant (377) de gloire, il n'était pas sans pieds, sans mains, ni sans les autres parties de son corps, comme s'il fût devenu tout à coup semblable au soleil ou à quelque globe céleste; mais ses membres, sans changer de nature, devinrent éclatants comme le soleil, en sorte que les apôtres en furent éblouis. Et de peur que vous ne disiez que ses habits étaient spirituels, il est marqué, non pas qu'ils furent changés en une substance aérienne, mais qu'ils devinrent blancs comme la neige. «Son visage, » dit l'Evangile, « devint éclatant comme le soleil. » Puisque l'on vouait son visage, il est à croire qu'on voyait aussi toutes les autres parties de son corps. Hénoch et Elie étaient revêtus d'une chair mortelle lorsqu'ils furent enlevés au ciel. Affranchis jusqu'à présent des lois de la mort, et déjà habitants du paradis, ils ont le même corps qu'ils avaient lorsque le Seigneur les enleva de la terre. Ils jouissent dans la compagnie de Dieu de tous les avantages que nous tâchons de mériter par le jeûne , se nourrissant d'un pain céleste , se rassasiant de la parole de Dieu , et n'ayant point d'autre nourriture que le Seigneur même.

Ecoutez ce que dit le Sauveur : « Ma chair se reposera dans l'espérance. » Et dans un autre endroit : « Sa chair n'a point éprouvé la corruption. » Et encore : « Toute chair verra le Sauveur envoyé de Dieu. » Voilà ce que dit l’Ecriture ; cependant vous ne nous parlez que de corps. Que ne nous citez-vous plutôt le prophète Ezéchiel qui nous représente des os sortant de leurs tombeaux , se joignant les uns aux autres, et se tenant debout ; des nerfs qui s'étendent sur ces os, des chairs qui les environnent, et une peau qui les couvre? Que ne nous rapportez-vous l'exemple de Job, qui, vainqueur des douleurs qu'il souffrait, et ôtant avec un morceau de pot de terre la pourriture qui sortait de ses plaies, se soutenait au milieu de ses disgrâces par l'espérance et la certitude de sa résurrection future? « Qui m'accordera , » disait-il , « que mes paroles soient écrites? qu'elles soient tracées dans un livre , et, gravées sur une laine de plomb avec une plume de fer, ou sur la pierre avec le ciseau? Car, je sais que mon Rédempteur est vivant, et que je ressusciterai de la terre au dernier jour ; que je serai encore revêtu de cette peau, et que je verrai Dieu dans ma chair; que je le verrai, dis-,je, moi-même, et non un autre, et que je le contemplerai de nies propres yeux. C'est là l'espérance que j'ai , et qui reposera toujours dans mon coeur. » Qu'y a-t-il de plus formel et de mieux marqué due cette prophétie? Personne au monde , depuis Jésus-Christ , n'a parlé de la résurrection d'une manière plus claire que ce prophète a fait avant Jésus-Christ. Il veut que ses paroles demeurent éternellement , et qu'on les grave sur le plomb ou sur la pierre , afin qu'elles puissent échapper à la vicissitude des temps. Il est plein de l'espérance ou plutôt de la certitude de sa résurrection. Il sait que Jésus-Christ , son Rédempteur, est vivant ; il est assuré de ressusciter au dernier jour. Le Seigneur n'était pas encore mort, et déjà ce généreux athlète voyait son Rédempteur sortir du tombeau. Lorsqu'il dit : « Je serai encore revêtu de cette peau, et je verrai Dieu dans ma chair, » ce n'est pas qu'il aimât cette chair qui était couverte d'ulcères . pleine de corruption et de pourriture ; mais c'est que la certitude de sa résurrection et l'espérance des biens futurs lui faisaient mépriser les choses présentes. « Je serai , » dit-il, « encore revêtu de cette peau. » Où est-il ici fait mention d'un corps aérien ou composé d'une matière subtile et éthérée, et qui tienne de la nature des esprits? Là où il y a de la peau, de la chair, des os, des nerfs, du sang et des veines , il doit aussi y avoir un corps revêtu de chair, et distingué par le sexe qui lui est propre. « Je verrai Dieu, » dit Job , «dans ma chair. » Quand « toute chair verra le Sauveur que Dieu a envoyé, » c'est-à-dire, Jésus-Christ Dieu; « alors, je verrai aussi mon Rédempteur, mon Sauveur et mon Dieu; je le verrai, dis-je, dans cette chair qui maintenant me fait si cruellement souffrir , et qui aujourd'hui est toute épuisée par la grandeur de mes maux. Je verrai Dieu dans ma chair, parce qu'il m'a délivré par sa résurrection de toutes les misères dont je suis accablé. » Ne semble-t-il pas que Job écrivait dès lors contre Origène , et qu'il soutenait un nouveau combat contre les hérétiques, pour défendre la vérité de cette chair dans laquelle il souffrait? Il n'aurait pu voir sans chagrin l'inutilité de ses souffrances, s'il eût du ressusciter avec un corps spirituel et différent de celui qui avait été en proie à de si longues et si cruelles douleurs. Pour ruiner donc dans tous ses (378) retranchements une confession équivoque et artificieuse , et pour ne lui laisser aucune ressource , il s'exprime d'une manière très claire, et répète plusieurs fois ces paroles : « Je le verrai moi-même, et non un autre, et je le contemplerai de mes propres yeux. » S'il ne doit point ressusciter avec le sexe qui lui est propre, ni avec le même corps qui a été étendu sur le fumier; s'il ne voit pas Dieu des mêmes yeux avec; lesquels il voyait les vers fourmiller dans ses plaies , où donc sera Job? Vous le détruisez pour mettre un fantôme à sa place; c'est comme si vous vouliez soutenir qu'un vaisseau qu'on a radoubé après le naufrage n'a aucune des parties dont il est composé.

Pour moi , je dirai franchement mon opinion, et dussiez-vous vous décharger contre moi, et prendre, comme les Juifs, des pierres pour me lapider , je me déclarerai toujours hautement pour la foi de l'Eglise. Prétendre que nous ressusciterons sans chair et sans os, sans sang et sans membres, c'est une chimère qu'on ne peut comprendre, et qui détruit entièrement la vérité de la résurrection. Si nous ressuscitons avec de la chair , des os , du sang et les autres parties qui composent le corps, nous serons aussi de différents sexes. Si les sexes sont différents, Jean sera Jean, et Marie sera Marie. Et vous ne devez pas appréhender que des personnes qui durant leur vie mortelle ont renoncé au mariage , désirent se marier après la résurrection. Quand l'Evangile dit : « Les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris ; , il parle de ceux qui peuvent se marier, et qui néanmoins ne se marient pas. Car, enfin, ce passage de l'Ecriture ne peut pas s'appliquer aux anges; et je n'ai jamais ouï dire qu'on ait célébré dans le ciel les noces de ces esprits célestes. La différence de sexe ne se trouve qu'entre l'homme et la femme. C'est pour cela que ne pouvant résister aux vives impressions de la vérité, vous avez été obligé, malgré vous, d'avouer que nous serons ou couronnes dans le corps qui aura vécu chastement et marché dans les voies de la justice , ou condamnés dans le corps qui se sera abandonné à l'iniquité et à la débauche. Au lieu du mot de « corps, » servez-vous de celui de «chair,» et vous avouerez que l'homme et la femme seront distingués par leurs sexes : car, peut-on mériter la couronne de la chasteté quand on n'est point d'un sexe capable de s'abandonner à l'impureté? A-t-on jamais couronné la virginité d'une pierre ? On nous promet de nous rendre semblables aux anges, c'est-à-dire de nous faire jouir, dans notre propre chair et dans notre sexe, du même bonheur que les anges, qui n'ont ni chair ni sexe, possèdent dans le ciel.

Telle est ma croyance, et voilà, simple et grossier que je suis, l'idée que j'ai de la résurrection. Je crois que tous les hommes ressusciteront avec le sexe qui leur est propre, sans néanmoins en faire aucun usage ; et que c'est en cela qu'ils seront semblables aux anges. Mais quoique alors nous n'employions pas ces membres aux usages qui leur sont propres et naturels, on ne doit pas conclure de là qu'ils nous seront inutiles, puisque, même durant cette vie mortelle, nous tâchons de ne nous en point servir. Or, lorsqu'on nous fait espérer due nous deviendrons semblables aux anges, cela ne veut pas dire que les hommes seront changés en anges, mais qu'ils entreront en possession de l'immortalité et de la gloire dont jouissent ces esprits bienheureux.

Quant aux arguments que vous nous posez sur la condition des enfants et des vieillards, et sur le besoin que nous aurons de manger et de nous décharger des superfluités de la nature; vous ne les avez pas tirés, ces arguments, de votre propre fond ; vous les avez puisés dans la philosophie des païens qui s'en servent aussi contre nous. Puisque vous vous vantez d'être chrétien , n'employez point contre nous les armes des gentils. Au lieu d'apprendre d'eux à nier la résurrection de la chair, qu'ils apprennent de vous à la confesser : ou si vous voulez prendre leur parti, déclarez-vous ouvertement, afin due nous vous traitions en ennemi et en païen. Quant à vos nourrices, je vous les laisse pour empocher les enfants de crier : je vous laisse aussi vos vieillards, de peur qu'ils ne gèlent de froid en hiver. Il était encore fort inutile que vos barbiers se missent en apprentissage; car on sait bien due, pendant les quarante années que les Israélites passèrent dans le désert, leurs ongles et leurs cheveux ne crurent point; et qui plus est , que leurs habits et leurs souliers ne s'usèrent point. Hénoch et Elie , dont nous venons de parler, ne sont pas plus vieux (379) qu'ils étaient lorsque le Seigneur les enleva de la terre : ils ont des dents, un ventre, et les parties qui servent à la génération, cependant ils n'ont besoin ni de viandes ni de femmes.

Quelle idée donc avez-vous de la puissance de Dieu , et pourquoi lui donnez-vous des bornes si étroites? Puisqu'il peut bien non-seulement former une chair d'une autre chair, mais encore tirer le corps humain d'une source impure, et de ce corps en produire encore un autre; puisqu'il peut changer en un vin excellent et délicieux l'eau qui est le plus vil de tous les éléments dont le corps est composé : il peut bien aussi, par cette même puissance qui a tiré toutes choses du néant, redonner l'être à celles qui ont existé autrefois; car il est plus aisé de rétablir une chose dans son premier état que de la tirer du néant. Pourquoi vous étonner I qu'à la résurrection les enfants et les vieillards aient l'âge d'un homme parfait, puisque Dieu, en formant l'homme du limon de la terre, le créa en cet état sans le faire passer par l'enfance et par la jeunesse? La femme fut aussi formée d'une des côtes de l'homme. La matière même qui sert à notre génération ( c'est la troisième manière dont l'homme a été fait), quelque vile et impure qu'elle soit , se change une partie en chair, l'autre en nerfs pour lier les membres les uns avec les autres ; celle-ci en veines pour distribuer le sang , celle-là en os pour soutenir le corps. Vous parlerai-je d'une quatrième espèce de génération? L'Évangile nous la fait connaître par ces paroles : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. » Adam, Eve, Abel et Jésus-Christ ne sont pas venus au monde d'une même manière ; mais, quoique leur origine soit différente, leur nature est toujours la même.

Il me faudrait faire plusieurs volumes , si je voulais entreprendre de prouver la résurrection  de la chair et de toutes les parties qui composent le corps humain , et d'expliquer chaque passage en particulier. Cela n'est point nécessaire à mon sujet , car je n'ai pas dessein de suivre Origène pied à pied, mais seulement de faire voir les artifices et les déguisements de votre réponse. Cependant, comme je ne me suis déjà que trop étendu sur cela, et que j'appréhende qu’en voulant découvrir vos supercheries je ne laisse au lecteur quelque sujet de douter de la vérité de la résurrection , je vais vous citer ici une foule de passages (que je n'aborderai néanmoins qu'en passant) afin de réfuter votre doctrine empoisonnée, et de vous accabler par le poids et l'autorité de toute l'Écriture sainte.

De quelle manière traite-t-on cet homme dont parle l'Évangile, qui était allé aux noces sans la robe nuptiale , et qui n'avait pas pratiqué ce que. dit le sage : « Que vos vêtements soient blancs en tout temps ? » On lui lie les pieds et les mains , on l'exclut du nombre des conviés, on l'empêche. de s'asseoir sur un trône et de se mettre à la droite de Dieu ; et on le précipite dans un lieu de supplices, « où il y a des pleurs et des grincements de dents. Tous les cheveux de votre tête sont comptés, dit Jésus-Christ. Si l'on compte nos cheveux, il est encore plus aisé de compter nos dents : or, il serait inutile de les compter s'ils devaient périr un jour. « Un temps viendra où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu, et sortiront de leurs tombeaux... Ils auront donc des oreilles pour entendre cette voix, et des pieds pour sortir de leurs tombeaux? c'est ce qui était déjà arrivé à Lazare. » Ils sortiront de leurs tombeaux ; » c'est-à-dire que les morts ressusciteront et sortiront des tombeaux où ils auront été ensevelis; parce que « la rosée que Dieu répand sur eux ranime leurs os. » Alors, on verra l'accomplissement de ce que dit le Seigneur par un prophète : « Mon peuple , entrez pour un peu de temps dans vos celliers, jusqu'à ce que ma colère soit passée. » Par ces celliers, d'où l'on tire ce qu'on y avait mis en réserve, on doit entendre les sépulcres où les morts étaient ensevelis. Ils en sortiront comme de jeunes faons qu'on a déliés et mis en liberté. Leur coeur sera pénétré de joie, et leurs os se lèveront comme le soleil. Toute chair paraîtra devant le Seigneur. Il commandera aux poissons de la mer de rejeter les os qu'ils avaient dévorés, et il les rejoindra les uns avec les autres. « Ceux qui dormaient dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour entrer en possession d'une vie immortelle, et les autres pour être couverts d'un opprobre éternel. » Alors, les justes seront témoins des peines et des supplices des impies. « Le ver de ceux-ci ne mourra point, (380) leur feu ne s'éteindra point, et ils seront exposés aux yeux de tous les hommes. »

Animés donc de l'espérance de notre résurrection future, « faisons servir les membres de notre corps à la justice pour notre sanctification, de même que nous les avons fait servir à l'impureté et à l'injustice, afin de mener une vie nouvelle après notre résurrection. Comme la vie de Jésus-Christ paraît dans notre chair mortelle, ainsi celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts donnera aussi la vie à nos corps mortels , parce que son esprit habite en nous. » Car il est bien juste qu'après avoir toujours « porté en notre corps une image de la mort de Jésus-Christ, la vie de Jésus paraisse aussi dans notre corps mortel,» c'est-à-dire dans une chair qui est mortelle de sa nature, mais que la grâce a rendue immortelle.

Saint-Etienne a vu Jésus-Christ debout à la droite de son Père. Dieu ayant couvert de lèpre la main de Moïse , lui rendit ensuite sa couleur naturelle: dans l'un et l'autre de ces états, c'était toujours la même main. Ce potier dont parle Jérémie, qui avait laissé tomber sur un tas de pierres le vase qu'il faisait, reprit de la même argile et refit ce vase brisé. Le mot de résurrection fait assez voir que ce qui ressuscite n'est point différent de ce qui était mort. On ajoute, « des morts , » pour montrer que les morts reprendront leur propre chair. C’est la chair qui meurt en l'homme , et c'est à la chair qu'on redonne la vie ; semblable à ce pauvre homme qui fut blessé sur le chemin de Jéricho, on la porte tout entière dans l'hôtellerie du ciel , et on guérit par le baume de l'immortalité les plaies que le péché lui avait faites. A la mort du Seigneur « les sépulcres s'ouvrirent, le soleil s'éclipsa, la terre trembla et plusieurs corps des saints se tirent voir dans la ville de Jérusalem. » « Qui est celui, dit Isaïe, qui vient d'Edom et de Bosor, avec sa robe teinte en écarlate, et dont les vêtements sont si éclatants?» Edom veut dire «qui est de terre, » ou « de couleur de sang : » et Bosor signifie « chair, » ou, « celui qui est dans la tribulation. » Ce prophète nous explique en peu de mots tout le mystère de la résurrection, qui consiste et dans la vérité de la chair, et dans un accroissement de gloire ; comme s'il disait : Qui est celui qui sort de la terre et qui parait tout couvert de sang ? dont les vêtements sont tout rouges de vin nouveau, parce que selon la prophétie de Jacob, « il a attaché son ânon à la vigne , » et qu'il « a foulé seul le vin sur le pressoir. » Il vient de « Bosor , » c'est-à-dire de la chair, ou d'un monde où il a passé par toutes sortes de « tribulations, » parce qu'il a vaincu le monde. Ses habits sont rouges et éclatants, parce que « il surpasse en beauté tous les enfants des hommes ; » l'éclat de ses vêtements est un effet de la gloire de son triomphe. L'on peut appliquer à la chair de Jésus-Christ ressuscité ce que dit le sage : « Qui est celle-ci qui s'élève avec des habits blancs, et qui est appuyée sur son bien-aimé? » Ceux-là l'imitent « qui n'ont point souillé leurs vêtements dans un honteux commerce, » et qui, ayant toujours conservé leur virginité, se sont rendus eunuques eux-mêmes pour gagner le royaume du ciel ; c'est pour cela que « ils sont revêtus de robes blanches. » Alors, on verra l'accomplissement de ce que dit le Seigneur : « Je ne perdrai rien de ce que mon Père m'a donné, mais je le ressusciterai au dernier jour ; » c'est-à-dire qu'il ressuscitera l'homme tout entier, comme il l'avait uni tout entier à sa nature divine. Alors, ce divin Sauveur rapportera sur ses épaules la brebis qui s'était égarée et perdue ici-bas, et. elle trouvera, cette brebis , dans la bonté et la clémence de son juge une ressource à ses langueurs et à ses faiblesses. Alors, Jésus-Christ paraîtra aux yeux de ceux qui l'ont fait mourir, et qui ont crié : « Crucifiez-le , crucifiez-le! » Tous les peuples, hommes et femmes, se frapperont la poitrine ; ces femmes , dis-je, auxquelles Jésus-Christ , chargé de sa croix, disait autrefois : « Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi , mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. » Alors, on verra s'accomplir ce que les anges prédirent aux apôtres , qui regardaient avec admiration Jésus-Christ montant au ciel : « Ce Jésus, qui , en se séparant de vous, s'est élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous l'y avez vu monter. »

Mais que prétendez-vous, en disant que, de peur que les apôtres ne prissent Jésus-Christ pour un fantôme, ce divin Sauveur mangea plusieurs fois avec eux durant les quarante jours qui s'écoulèrent après sa résurrection; et que par les apparences trompeuses d'un corps fantastique, il prouvait la vérité de son corps, (381) et faisait voir qu'il avait véritablement mangé durant le cours de sa vie mortelle ? Ce que les apôtres voyaient étaient un véritable corps , ou un fantôme. Si c'était un véritable corps, Jésus-Christ a donc mangé effectivement et a eu de véritables membres. Si c'était un fantôme, comment a-t-il voulu prouver la vérité par le mensonge? Il suit donc de là , me direz-vous , que nous mangerons après la résurrection? Je n'en sais rien, l'Écriture sainte ne s'explique pas là-dessus ; mais si on me demande ce que j'en pense, je ne crois pas que nous ayons besoin de manger ; car l'Écriture m'apprend « que le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire ni dans le manger» : elle nous promet au contraire la possession d'un bien que « l’oeil n'a point vu , que l'oreille n'a point entendu , et que le coeur de l'homme ne saurait comprendre. » Moïse et Elie ont jeûné durant quarante jours et quarante nuits ; une si longue abstinence est au-dessus des forces humaines ; mais ce qui est impossible à l'homme n'est pas impossible à Dieu. Comme il importe peu que celui qui prédit les choses à venir les prédise dix ans ou cent ans avant qu'elles n'arrivent, puisque l'une et l'autre de ces prédictions suppose une égale connaissance des choses futures : de même celui qui peut jeûner, ou plutôt vivre de Dieu même durant quarante jours ( car une abstinence de cette nature est absolument impossible ) , peut bien vivre durant toute une éternité sans boire ni manger. Pourquoi Jésus-Christ mangea-t-il d'un rayon de miel? Ce n'était pas pour autoriser votre délicatesse, mais pour prouver la vérité de sa résurrection. Il demanda du poisson rôti pour manger, afin d'affermir par là la foi chancelante de ses apôtres qui n'osaient approcher de lui , et qui s'imaginaient voir un esprit et non pas un véritable corps. Après que Jésus-Christ eût ressuscité la fille du prince de la Synagogue , il lui fit donner à manger. Lazare, qui avait été quatre jours dans le tombeau, se trouve à un festin après sa résurrection. Ce n'est pas qu'il eût faim dans le tombeau , mais c'est qu'il était à propos de confirmer, par cette preuve sensible , la vérité d'un si grand miracle, et de ne laisser aucun sujet d'en douter. Comme Jésus-Christ a montré à ses apôtres de véritables mains et un véritable côté, il a aussi mangé véritablement avec eux, il a marché véritablement avec Cléophas, il a véritablement parlé à tous ses disciples, il s'est véritablement mis à table le jour de la cène ; il s'est servi de véritables mains pour prendre le pain, le bénir, le rompre, et le distribuer à ses apôtres. Que, s'il a disparu tout à coup à leurs yeux, c'est un effet de sa. vertu et de sa puissance divine, et non pas une preuve que son corps n'était qu'une ombre et un fantôme. Avant même sa résurrection, les habitants de Nazareth l'ayant chassé de leur ville et mené sur le haut d'une montagne pour le précipiter, « il passa au milieu d'eux, » c'est-à-dire qu'il s'échappa de leurs mains. Pouvons-nous dire comme Marcion, qu'en venant au monde, il s'est revêtu d'un corps fantastique, parce qu'il s'est échappé d'une manière miraculeuse des mains de ceux qui le tenaient? Ce que font les magiciens, le Seigneur ne peut-il le faire? On dit qu'Apollonius de Tyane, étant dans le sénat en présence de l'empereur Domitien , disparut tout à coup aux yeux des assistants. N'allez pas comparer ici la puissance du Seigneur aux enchantements des magiciens, et ne dites pas qu'il a paru aux yeux des hommes sous une forme empruntée, et qu'il a mangé sans dents, marché sans pieds, rompu le pain sans mains, parlé sans langue , et montré son côté sans avoir de côtes.

Mais comment se fait-il, me direz-vous, que les deux disciples qui allaient à Emmaüs ne l'aient point reconnu, s'il avait le même corps qu'auparavant? Écoutez ce que dit l'Écriture : « Leurs yeux étaient retenus par une vertu divine qui les empêchait de le reconnaître. » Et puis : « Leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent. » Était-il d'une autre nature, dans le temps qu'ils ne le connaissaient point, que lorsqu'ils l'eurent reconnu? Non, c'était toujours le même homme. Il tenait donc à leurs yeux, et non pas à celui qu'ils voyaient, de le connaître et de ne pas le connaître. On peut dire néanmoins que cela tenait à Jésus-Christ, puisque c'était lui qui, par sa puissance, empêchait leurs yeux de le reconnaître. Et pour faire voir que leur erreur venait non pas du corps de Jésus-Christ , mais de leurs yeux, l'Écriture ajoute aussitôt : « Leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent. » De là vient que Marie-Madeleine ne reconnaissant point Jésus-Christ qu'elle cherchait dans le (382) tombeau, le prit pour un jardinier; mais aussitôt qu'elle l'eut reconnu, elle l'appela « Maître. » Jésus-Christ, après sa résurrection, ayant paru sur le rivage de la mer, et les disciples qui étaient dans une barque ne l'ayant pas reconnu, « le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C'est le Seigneur. » Cet apôtre qui était vierge reconnut le premier le corps vierge de son divin Maître. Le Fils (le Dieu paraissait sous une même forme, cependant ils ne le voyaient pas tous de la même manière. L'Evangile ajoute de suite : « Nul d'entre eux n'osait lui demander, qui êtes-vous? car ils savaient que c'était le Seigneur. » Personne n'osait lui l'aire cette question , parce qu'ils savaient qu'il était Dieu. Ils étaient à table avec lui , parce qu'ils voyaient un homme revêtu d'un corps de clair. Ce n'est pas que le Dieu fût séparé de l'homme; mais c'est que dans une même personne ils reconnaissaient Jésus-Christ comme homme , et l'adoraient comme Dieu.

Est-il nécessaire que je vous parle ici de l'incertitude de nos sens et particulièrement de la vue? Faut-il que je ressuscite Carneadès pour vous faire remarquer un aviron qui parait rompu dans l'eau, des galeries qui semblent se rétrécir par le bout dont on est le plus éloigné, des tours carrées qui paraissent ronfles de loin, un pigeon dont le plumage change de couleur à chaque mouvement qu'il fait? Rhode étant venu dire aux apôtres que Pierre était à la porte et qu'il s'était sauvé de sa prison, ceux-ci n'en voulurent rien croire et le prirent pour un fantôme. Soit que Jésus-Christ entre dans le lieu où étaient les apôtres, les portes fermées, soit qu'il disparaisse à leurs, eux, c'est toujours par la même vertu et la même puissance. Lincée, comme nous l'apprend la fable, voyait au travers des murailles, et le Seigneur ne pourra pas entrer dans un lieu dont les portes sont fermées à moins qu'il n'ait un corps fantastique? Les aigles et les vautours sentent l'odeur des cadavres qui sont au-delà de la mer, et le Sauveur ne pourra pas voir ses apôtres à moins qu'on ne lui ouvre la porte? Dites-moi, je vous prie, vous qui êtes si subtil dans la dispute, lequel est le plus difficile à Dieu de suspendre dans le vide le vaste globe de la terre et de le tenir en balance sur les eaux, élément liquide, et flottant, ou de passer au travers d'une porte fermée et d'obliger la créature à céder au Créateur? Vous lui accordez le pouvoir de faire ce qui est le plus difficile, et vous lui refusez celui de faire ce qui est le plus aisé. Saint Pierre revêtu d'un corps pesant et solide marche sur les eaux. Cet élément, tout liquide qu'il est, le porte et le soutient ; mais cet apôtre ayant chancelé dans sa foi, le corps s'aperçut aussitôt de sa pesanteur naturelle; pour nous apprendre que ce n'était pas son corps, mais sa foi qui marchait sur les eaux.

Mais voyons, vous qui me faites tant d'objections contre le mystère de la résurrection ; est-ce une dispute réglée que vous voulez avoir avec moi, ou une simple conversation dans laquelle on explique franchement ses sentiments? Croyez-vous que le Seigneur est véritablement ressuscité avec le même corps qu'il avait quand il est mort et qu'il a été enseveli, ou ne le croyez-vous pas? Si vous le croyez, pourquoi m'apportez-vous ici toutes les raisons et tous les passages dont on se sert pour nier la résurrection? Si vous ne le croyez pas, pourquoi faites-vous sonner si haut le mot de résurrection, mais dans un sens qui ne signifie rien, afin de surprendre et de tromper une populace ignorante? Un disciple de Marcion me disait, il y a quelques jours : « Malheur à celui qui ressuscitera avec cette chair et avec ces os.» Je lui citai aussitôt cet endroit de l'apôtre saint Paul: « Nous avons été ensevelis et nous sommes ressuscités avec Jésus-Christ par le baptême. » « Mais, me dit-il, entendez-vous ce passage de la résurrection de l'âme, ou de celle de la chair? — Je l'entends, lui dis-je, non-seulement de l'âme, mais aussi de la chair, qui renaît avec l'âme dans le baptême; car comment pourrait-elle périr, cette chair, après avoir reçu une nouvelle naissance en Jésus-Christ? — Parce qu'il est écrit, me répondit-il, que la chair et le sang ne possèderont point le royaume de Dieu. — Prenez garde, je vous prie, aux paroles de l'Apôtre : « La chair et le sang ne posséderont point le royaume de Dieu ; » dit-il qu'ils ne ressusciteront point? non; mais qu'ils ne posséderont point. le royaume de Dieu. Pourquoi ne le possèderont-ils point? — Parce que « la corruption, ajoute l'Apôtre, ne possédera point cet héritage incorruptible. » Ils ne posséderont donc point le royaume de Dieu tant qu'ils ne (383) seront que chair et sang. Mais quand ce corps corruptible sera revêtu de l'immortalité, et que la chair se verra heureusement affranchie des faiblesses et des fragilités de la nature et déchargée de ce poids accablant qui l'appesantit et l'attache à la terre, alors l'homme s'envolera vers le ciel avec les ailes de l'esprit et revêtu d'une nouvelle gloire qui lui fera changer de condition sans détruire sa substance; alors on verra l'accomplissement de ce que dit l'Ecriture : « La mort a été absorbée par la victoire; ô mort, où est ta victoire? ô mort, où est ton aiguillon?»

J'ai commencé par répondre aux objections que notre apologiste nous fait sur l'état des âmes et. sur la résurrection de la chair; et, laissant le commencement de sa lettre, je me suis attaché à réfuter ses excellents traités, persuadé que je devais préférer les intérêts de Dieu à ceux de ma propre réputation. « Si un homme pèche contre un homme, dit l'Ecriture, on lui peut rendre Dieu favorable; mais si un homme pèche contre le Seigneur, qui priera pour lui?» Ce n'est pas sur ce pied-là qu'on juge de ma conduite et des sentiments de mon coeur; car tandis que, par un esprit de douceur et de charité, je tends la main à ceux qui blasphèment contre Dieu, on m'accuse de persécuter mes ennemis et d'avoir pour eux une haine implacable.

Voici comment l'évêque de Jérusalem commence l'apologie qu'il a envoyée à Théophile, évêque d'Alexandrie : « Quoique vous soyez déjà assez occupé des affaires et du gouvernement de votre diocèse , cependant l'esprit de Dieu et la grâce apostolique dont vous êtes rempli vous obligent encore d'étendre vos soins et votre vigilance sur toutes les églises, particulièrement sur celle de Jérusalem. » Cet exorde ne roule que sur les louanges de la personne à laquelle il écrit. Mais vous qui paraissez si zélé pour la discipline de l'Eglise, qui vous réglez sur les canons du concile de Nicée, et qui, par une usurpation injuste, tâchez d'étendre votre juridiction sur des clercs qui demeurent avec leurs évêques et qui ne sont point soumis à votre houlette, dites-moi un peu, je vous prie, quel droit l'évêque d'Alexandrie a-t-il sur la Palestine? Si je ne me trompe, il a été arrêté, dans le concile de Nicée, que Césarée serait la métropole de la Palestine, et Antioche de tout l'Orient. Vous deviez donc envoyer vos lettres à l'évêque de Césarée, avec lequel vous saviez bien que nous avions communion parce que nous ne voulions point l'avoir avec vous; ou si vous vouliez porter votre affaire à un siège plus éloigné, vous deviez du moins vous adresser à l'évêque d'Antioche. dais je vois pourquoi vous n'avez pas voulu vous en rapporter au jugement des évêques d'Antioche et de Césarée ; vous saviez ce qu'il y avait à craindre pour vous, et-vous avez mieux aimé importuner un prélat déjà accablé d'affaires, que de rendre à votre métropolitain l'honneur que vous lui deviez.

Quand je parle ainsi, ce n'est pas que je blâme la démarche que vous avez faite à Alexandrie (quoique la trop grande liaison qui existe entre votre envoyé et vous me soit fort suspecte), mais c'est que vous deviez vous justifier devant ceux qui vous interrogeaient et qui étaient sur les lieux. Vous avez envoyé le prêtre Isidore, qui est un homme de Dieu et d'une piété universellement reconnue , un homme de poids et d'autorité, tant pour son air important et sa lionne mine que pour la vivacité et l'étendue de son esprit ; vous l'avez envoyé pour guérir des esprits malades, pourvu néanmoins qu'ils lussent sensibles ci leurs maux. C'est un homme de Dieu gui a envoyé un autre homme de Dieu, car il n'y a point de différence entre l'évêque et le prêtre; celui gui est envoyé est égal en dignité à celui qui envoie, ce qui me parait assez irrégulier; c'est là, comme on dit, faire naufrage au port. Cet Isidore, dont vous élevez le mérite jusqu'au ciel, répète à Alexandrie les mêmes choses dont vous nous étourdissez à Jérusalem : ce qui fait voir qu'il n'est pas tant votre envoyé que le compagnon et le partisan de vos erreurs. Le prêtre Vincent a reçu et conserve encore une lettre qu'Isidore a écrite de sa propre main et qu'il nous adressa trois mois avant d'aller à Alexandrie, lettre dans laquelle il fait assez connaître ses erreurs, exhortant le chef de votre parti à soutenir constamment les intérêts de la foi et à ne point s'épouvanter de ce qu'il appelle nos visions et nos chimères. Il écrit qu'il viendra à Jérusalem avant qu'on soit informé de sa mission, et qu'à son arrivée il fera échouer tous les desseins de ses adversaires. « Comme on voit (ce sont ses propres termes) la fumée se (384) dissiper dans les airs et la cire se fondre auprès du feu, de même l'on verra à mon arrivée disparaître tout à coup ceux qui s'opposent à la foi de l'Église, et qui aujourd'hui font tous leurs efforts pour troubler cette même foi par les dangereuses impressions qu'ils donnent à des gens simples et crédules. »

Dites-moi, je vous prie, mon cher lecteur, un homme qui, avant d'être arrivé au lieu de sa mission, écrit des lettres si menaçantes, agit-il en envoyé ou en ennemi déclaré ? Qu'en pensez-vous? Voilà quel est ce grand serviteur de Dieu, si zélé pour les intérêts de sa gloire; cet homme d'une vertu si distinguée et d'une piété si universellement reconnue, d'un esprit si élevé et d'une érudition si profonde, d'un air si grand et si majestueux, qui, comme un autre Hippocrate, pouvait par sa seule présence adoucir les maux de nos âmes faibles et languissantes, pourvu néanmoins que nous fussions assez dociles pour suivre ses conseils et pour user de ses remèdes. Puisqu'il a coutume de guérir les autres, qu'il se guérisse lui-même et qu'il se serve de ses propres remèdes. Cette science sublime dont il se pique nous paraît comme une folie, et nous aimons mieux demeurer dans nos langueurs et notre ignorance, que de nous servir d'un collyre qui ne peut nous guérir les yeux qu'en nous rendant plus impies.

« Nous prions, dites-vous, jour et nuit le Seigneur dans les lieux saints pour votre sainteté, et nous le conjurons de vous donner la couronne de vie et la juste récompense que mérite votre zèle; comme s'il avait déjà eu tout le succès due nous en devons attendre. » Vous avez raison de lui donner des marques de votre reconnaissance, car si Isidore n'était pas venu, vous n'auriez jamais pu trouver dans toute la Palestine un compagnon si fidèle; et s'il n'avait pas pris vos intérêts comme il vous l'avait promis, vous n'auriez jamais pu rien gagner sur cette foule de gens grossiers et ignorants qui ne sont pas capables de comprendre la sublimité de votre doctrine. L'apologie même dont nous parlons a été composée en présence d'Isidore, qui vous a aidé à la faire, de manière qu'il a été le porteur de la lettre qu'il a dictée lui-même.

Étant donc arrivé ici , il vint chez nous jusqu'à trois fois et nous présenta ce remède salutaire, c'est-à-dire cette lettre où vous aviez employé toute votre sagesse et lui toute sa science; mais tous ses soins furent inutiles et il ne put rien gagner sur nous. Cet homme qu'on dit être venu chez nous, jusqu'à trois fois (nombre mystérieux par lequel il a voulu marquer les démarches qu'il a faites pour nous venir trouver), cet homme, dis-je, qui nous venait parler de la part de Théophile, n'a pourtant jamais voulu nous donner les lettres que ce prélat nous adressait, et lorsque nous lui avons dit : « Si l'on vous a député vers nous, montrez-nous donc vos lettres de créance; si vous n'en avez point, comment pouvez-vous nous prouver qu'on vous a député? » Il nous a répondu qu'il avait des lettres pour nous, mais que l'évêque de Jérusalem l'avait conjuré de ne nous les point donner. Voilà quelle a été la fermeté de cet envoyé , et comment il est demeuré neutre afin de faire la paix et d'empêcher qu'on ne le soupçonnât de favoriser l'un des deux partis. Il ne faut pas s'étonner que ses remèdes aient été inutiles, puisqu'il n'avait point d'emplâtre ni les instruments propres à panser nos plaies.

«Jérôme et tous ceux de son parti lui ont protesté souvent, et en public, et en particulier, que ma foi ne leur avait jamais été suspecte, et que sur cela ils étaient dans les mêmes dispositions à mon égard, où ils avaient été dans le temps qu'ils communiaient avec moi. » Voyez, je vous prie, ce que c'est que d'être dans les mêmes sentiments et de faire profession d'une même doctrine. Isidore, qui s'était joint à lui pour nous faire ces remontrances, passe pour un homme de Dieu, pour un prêtre d'une insigne piété, pour un homme d'autorité, également respectable et par son port majestueux, et par la vivacité et l'étendue. de son esprit, enfin pour l'Hippocrate des chrétiens; et moi, qui ne suis qu'un pauvre moine caché dans le fond d'une affreuse solitude, je me vois tout à coup frappé d'anathème par ce grand évêque et retranché du nombre des prêtres. Cependant ce Jérôme, avec sa troupe de solitaires pauvres et couverts de haillons, qu'a-t-il osé répondre à ce redoutable Isidore, qui n'était armé que de foudres et de tonnerres? « De peur, dites-vous, qu'Isidore ne voulût pas ajouter foi à ce qu'ils lui disaient, et qu'ils ne pussent soutenir cet air de grandeur et de majesté qui brille en sa personne, ils lui protestèrent plusieurs fois qu'ils reconnaissaient l'évêque de Jérusalem (385) pour un prélat orthodoxe, et que jamais ils ne l'avaient soupçonné d'hérésie. »  Quelle imposture ! quelle effronterie! Fût-ce un Caton qui parlât de la sorte en sa faveur, on ne se rendrait pas à son propre témoignage. Car tout se doit juger, dit l'Écriture, sur la déposition de deux ou trois témoins. Vous a-t-on jamais dit ou écrit que nous étions prêts à communiquer avec vous, sans vous demander raison de votre foi ? Lorsque le comte Archelaüs, si distingué par sa vertu, par son éloquence, et qui était le médiateur de la paix, nous eut indiqué le lieu où l'on devait se réunir, ne demandâmes-nous pas avant toutes choses qu'on l'établit, cette paix, sur les fondements de la foi ? Le comte nous promit qu'il ne manquerait pas de se rendre au lieu convenu. Le jour de Pâques approchait, plusieurs solitaires étaient venus en foule au rendez-vous, on vous y attendait, mais vous ne saviez quel parti prendre; enfin, vous prîtes celui de nous prévenir que je ne sais quelle femme était malade, et que son indisposition ne vous permettait pas fie vous trouver ce jour-là à notre assemblée. Est-ce un bateleur ou un évêque qui parle de la sorte? Mais j'admets que cela fût vrai, deviez-vous par complaisance pour une femme, et de peur qu'elle n'eût mal à la tête, qu'elle ne s'ennuyât en votre absence , qu'elle ne se plaignit de l'estomac, deviez-vous, dis-je, sur cet indigne prétexte, abandonner les intérêts de l'Église et n'avoir point souci de tant de chrétiens et de solitaires qui vous attendaient ? Voyant bien quel était votre dessein et ne voulant pas qu'on eût rien à nous reprocher, notre résolution fut de vous attendre et de dissimuler l'affront que vous nous faisiez. Archelaüs nous récrivit pour nous prier, dans le cas où vous seriez dans l'intention de venir, de vouloir bien attendre encore un ou deux jours. Mais toujours occupé à soulager votre chère malade qui avait un vomissement continuel, vous nous avez tout-à-fait oubliés au milieu des soins que vous lui prodiguiez.

Enfin Isidore arriva après s'être fait attendre pendant deux mois. Mais loin d'avoir rendu un témoignage avantageux de votre foi comme vous vous en flattez faussement,nous lui avons fait. connaître les raisons que nous avions de vous interroger à ce sujet. Car il nous demanda pourquoi nous avions communiqué avec vous, puisque vous étiez hérétique? Or nous lui avons répondu tous que nous n'en étions pas alors persuadés; mais qu'ayant refusé de répondre verbalement et par écrit aux accusations formulées contre vous par Épiphane, nous avions reçu des lettres de ce saint évêque, qui nous avertissait de ne point communiquer avec vous jusqu'à ce que vous eussiez rendu raison de votre foi ; que ce fait était constant , que nous avions pièces en main, et que nous étions prêts à les produire quand on voudrait. Voilà ce que nous avons répondu tous à Isidore, et non pas, comme vous osez l'avancer, que vous n'étiez point hérétique, parce qu'autrefois on ne vous avait pas accusé de l'être ; car selon votre raisonnement on ne devrait pas dire qu'un homme est malade , quand il a été sain avant sa maladie.

« Lorsqu'on vint à agiter la question de l'ordination de Paulinien et de ceux qui avaient été ordonnés avec lui, ils s'aperçurent bien que leur conduite en cette circonstance avait été très irrégulière. Néanmoins par un esprit de charité et de paix , on leur passait tout, et on exigeait seulement d'eux que, quoiqu'ils eussent été ordonnés contre toutes les règles de la discipline ecclésiastique, ils voulussent bien se soumettre à l’Eglise de Dieu, ne point faire de schisme parmi les fidèles, et ne se point rendre indépendants. Mais tout cela ne les accommodant point, ils abordèrent les matières de la foi, et déclarèrent devant tout le monde que, pourvu qu'on n'inquiétât point ceux qui étaient avec le prêtre Jérôme, ils ne nous diraient rien non plus; mais que si on prétendait condamner la démarche qu'ils avaient faite, leur intenter un procès sur l'ordination de Paulinien, comme ils ne pouvaient pas disputer sur ces sortes de matières, ni justifier l'irrégularité de leur conduite, ils se jetteraient sur les dogmes de la foi , non pas tant dans l'espérance de pouvoir me convaincre d'hérésie , que dans le dessein de noircir ma réputation. » Si cet endroit de l'apologie de Jean est confus et embarrassé qu'on ne s'en prenne point à moi, je l'ai traduit comme il est dans le texte grec. Au reste, je suis bien aise de me voir ici tout d'un coup rétabli au rang des prêtres et revêtu de la dignité du sacerdoce, dont je me croyais dépouillé.

Il soutient que nous ne saurions le (386) convaincre d'hérésie, et cependant il n'ose entrer en discussion avec nous. S'il ne s'agit pas des dogmes de la foi, mais de l'ordination de Paulinien , quelle folie n'est-ce pas de refuser de répondre à ceux qui vous demandent compte de votre foi ? Faites une confession de foi et répondez aux questions qu'on vous adresse, afin que tout le monde soit convaincu qu'il ne s'agit point de la foi , mais de l'ordination ; car tant que vous refuserez de répondre aux questions de foi , vos adversaires pourront vous dire qu'il ne s'agit point de l'ordination, mais des dogmes. S'il s'agit de l'ordination, c'est une folie et un entêtement ridicule de ne vouloir pas répondre sur les dogmes; s'il est question de la foi, c'est encore une folie de prétendre qu'il ne s'agit que de l'ordination.

Quant vous dites que « vous les avez priés de se soumettre à l'Eglise de Dieu, de ne point faire de schisme et de ne se point rendre indépendants, » je ne sais, en vérité, de qui vous voulez parler. Si c'est de moi et du prêtre Vincent, je ne saurais comprendre comment vous avez été treize ans entiers à garder le silence à ce sujet, il faut assurément que vous avez dormi tout ce temps-là ; car vous n'ignorez pas que nous avons abandonné, lui Antioche, et, moi Constantinople , villes tries célèbres, non pas pour venir applaudir aux discours que vous faites au peuple , mais pour pleurer dans la solitude les péchés de notre jeunesse , et pour attirer sur nous par nos larmes la miséricorde de Jésus-Christ. Si vous voulez parler de Paulinien , vous voyez bien qu'il est soumis à son évêque , qu'il demeure dans l'île de Chypre et qu'il vient nous voir de temps en temps, non pas comme votre prêtre diocésain, mais compte un prêtre étranger, c'est-à-dire dépendant de l'évêque qui l'a ordonné. Que s'il veut demeurer avec nous , et vivre eu paix dans notre solitude, qui est un lieu d'exil pour nous , il ne vous doit rien que l'honneur et le respect qui est dei à tous les évêques. Mais quand bien même vous l'auriez ordonné prêtre, il vous dirait ce que j'ai pris la liberté, tout méprisable que je suis, de dire à l'évêque d'Antioche, Paulin de sainte mémoire, Vous ai-je prié de m'ordonner? Si vous m'élevez à la dignité du sacerdoce, sans m'ôter la qualité de moine, c'est à vous à répondre du choix que vous avez fait de moi ; mais si sous prétexte que je suis prêtre, vous voulez me tirer de l'état que j'ai embrassé et pour lequel j'ai abandonné le siècle ; je vous déclare que je suis bien aise de demeurer comme je suis, et d'être ce que j'ai toujours été. Le parti que je prends ne vous l'ait point tort et ne porte aucun préjudice à votre ordination.

« Vous les avez priés de ne point faire de schisme et de ne se point rendre indépendants. » Qui de nous peut-on accuser de faire schisme, ou nous qui communions tous en communauté dans l'Eglise , ou vous qui refusez avec fierté de confesser votre foi , si elle est orthodoxe; et qui divisez véritablement l'Eglise , si vous êtes dans l'erreur? Faisons-nous un schisme dans l'Eglise , nous qui à l'occasion de cette éclipse de soleil arrivée il y a quelques mois, vers les fêtes de la Pentecôte , et qui semblait menacer tous les hommes du dernier jugement, avons présenté à vos prêtres trente personnes de différents âges et de différent sexe , pour les baptiser? Il y avait alors dans notre monastère cinq prêtres qui étaient eu droit de leur donner le baptême ; mais ils ne voulurent rien faire qui pût vous contrarier, de peur que vous ne prissiez prétexte de là de ne point déclarer quelle était votre croyance. N'est-ce pas vous au contraire qui faites schisme dans l’Eglise, en défendant , comme vous avez l'ait, à vos prêtres de Bethléem, de baptiser à Pâques nos catéchumènes? Aussi avons-nous été obligés de les envoyer à Diospolis, pour recevoir le baptême de la train de Denis, confesseur et évêque de cette ville? Peut-on dire que nous divisons l'Eglise, nous qui, hors des petites cellules qui nous sont destinées, n'y tenons aucun rang? N'est-ce pas vous plutôt qui la divisez, en donnant ordre à vos clercs d'en interdire l'entrée à quiconque osera dire que Paulinien, ayant été ordonné par l'évêque Epiphane, est véritablement prêtre?

En effet depuis ce temps-là jusqu'à présent nous ne voyons que de loin la crèche du Seigneur; et tandis que nous en sommes éloignés et bannis, nous avons la douleur d'y voir entrer tous les jours les hérétiques. Est-ce nous qui faisons schisme dans l'Eglise , ou celui qui bannit les vivants, qui refuse la sépulture aux morts et qui sollicite l'exil de ses frères? Qui a armé et irrité contre nous cette puissante bête , qui asservit toute la terre à sa (387)  tyrannie? Qui a abandonné aux injures du temps des cendres innocentes et les ossements des saints? C'est par ces marques de bonté et de tendresse que ce charitable pasteur veut nous gagner et nous engager à faire la paix. Il nous accuse de vouloir vivre dans l'indépendance , nous qui sommes unis par les liens de la charité et d'une même communion avec tous les évêques orthodoxes. Etes-vous toute l'Église, à vous seul? Est-on séparé de Jésus-Christ dès que l'on vous a offensé? Si nous entreprenons , comme vous nous le reprochez, de nous rendre indépendants , faites-nous voir que nous avons un autre évêque dans votre diocèse. Il s'agit entre nous des dogmes de la foi , sur lesquels nous ne nous accordons pas ; c'est pour cela due nous ne voulons point communiquer avec vous ; justifiez-vous sur ce point, et il s'agira ensuite de l'ordination.

« Ils se prévalent encore d'une lettre qu'Epiphane, disent-ils, leur a écrite. Quoi qu'il en soit , lorsque Jésus-Christ jugera les grands et les petits sans avoir égard à la qualité des personnes; ce prélat rendra compte devant son tribunal de tout ce qui est arrivé. Cependant quel fond peuvent-ils faire sur cette lettre qui n'a été écrite qu'au sujet de l'ordination irrégulière de Paulinien et de ses compagnons, ordination dont je me suis plaint, comme il le témoigne lui-même dès le commencement de sa lettre? » Fut-il jamais un plus grand aveuglement et de plus épaisses ténèbres ? Jean dit due nous nous prévalons d'une lettre d'Epiphane , et que cependant nous n'en avons aucune que ce prélat ait écrite contre lui ; et il ajoute aussitôt ; « Quel fond peuvent-ils faire sur cette lettre qui n'a été écrite qu'au sujet de l'ordination irrégulière de Paulinien et de ses compagnons, ordination dont je me suis plaint, comme il le témoigne lui-même dès le commencement de sa lettre? » Nous n'avons point cette lettre. Eh! dans quelle lettre donc parle-t-on dès le commencement de l'ordination de Paulinien ? Mais, après ce commencement, il y a quelque chose dont vous appréhendez bien qu'on ne fasse mention. Vous avez repris Epiphane de ce qu'il avait ordonné Paulinien prêtre avant qu'il fût en âge de l'être ; mais vous-même n'avez-vous pas ordonné Isidore prêtre, quoiqu'il ne fût pas plus âgé que Paulinien? ne l'avez-vous pas député comme fauteur et partisan de vos erreurs ? N'avez-vous pas eu l'imprudence d'envoyer un prêtre qui n'est encore qu'un enfant dans le lieu même où vous supposez qu'on a élevé un enfant à la dignité du sacerdoce? N'avez-vous pas encore conféré l'ordre de la prêtrise à Theosebas, diacre de l’Eglise de Tyr? Ne l'avez-vous pas armé contre nous et engagé à employer son éloquence en votre faveur? Il n'est permis qu'à vous seul de fouler aux pieds toutes les règles de l'Eglise tout ce que vous faites doit servir d'exemple aux autres , et vous n'avez point de honte de citer Epiphane à comparaître avec vous devant le tribunal de Jésus-Christ.

Voici ce que vous ajoutez ensuite : « Epiphane a toujours logé et mangé chez moi ; cependant jamais il ne m'a parlé des dogmes d'Origène, jamais il ne m'a soupçonné d'être dans l'erreur. » C'est ce que vous dites avec serment, et vous en prenez Dieu même à témoin. Je ne veux pas vous pousser sur cela trop vivement ni vous faire les justes reproches que vous méritez, de peur de convaincre un évêque de parjure. Nous avons en main plusieurs lettres de saint Epiphane, dont l'une vous est adressée, les autres aux évêques de la Palestine , et une que ce prélat a écrite depuis peu à l'évêque de Rome. Dans toutes ces lettres il dit que vous ayant accusé d'erreur en présence de plusieurs personnes , vous n'aviez pas seulement daigné lui répondre, et que toute notre communauté en était témoin.

 

 

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