PSAUME LXXXIX
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TRADUCTEUR

EXPLICATION DU PSAUME LXXXIX.

 

AU PRÊTRE CYPRIEN.

 

Ce n'est que par vos lettres, mon, cher Cyprien, que j'ai connu que       portiez à juste titre le nom de cet homme heureux « qui, selon le prophète-roi, » médite jour et nuit sur la loi du Seigneur,» et que vous étiez du nombre de ceux de qui Dieu disait autrefois à Moïse : « Choisissez des anciens d'Israël que vous saurez être les plus expérimentés et les plus propres à gouverner.» Mais depuis que j'ai eu le bonheur de vous voir et de lier avec vous, au milieu des plus tendres embrassements, une amitié très étroite, vous voulez éprouver si ce qu'on vous a dit de moi est véritable, et vous commencez par me prier de vous expliquer un psaume rempli de difficultés, et qui est le quatre-vingt-neuvième dans les versions tant grecques que latines. Vous ne souhaitez pas que je traite un tel sujet avec cette élégance et cette éloquence affectée qui n'est propre qu'à flatter les oreilles et à faire illusion aux ignorants; mais vous désirez que je me serve d'un style simple et digne de la gravité d'un traité religieux, dont la vérité seule doit faire tout l'ornement, en sorte que mon explication n'ait pas besoin d'un interprète, comme il arrive ordinairement à ceux qui; voulant paraître savants, répandent dans leurs commentaires plus d'obscurité qu'il n'y en a dans les choses mêmes qu'ils expliquent. Quelque difficile donc que sait cette entreprise, je m'en charge volontiers; et, soutenu par le secours de vos saintes prières, je me souviendrai de ce que dit le prophète ; «Le Seigneur remplira de sa parole les hérauts de sa gloire, afin qu'ils l'annoncent avec une grande force. »

Il faut remarquer d'abord que ce psaume a pour titre, et dans le texte hébreu et dans la version des Septante Prière de Moïse (1), l'homme de Dieu, qualité convenant parfaitement à ce saint homme qui pouvait dire: « J'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée, » qui nous a appris la création de l'homme et de toutes les choses invisibles, l'histoire de tout ce qui s'est fait dans les siècles passés, et qui enfin nous a donné non-seulement les cinq premiers livres de l'Ecriture sainte, savoir : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome, mais encore onze psaumes, depuis le quatre-vingt-neuvième qui commence par ces paroles: « Seigneur, vous avez été notre refuge ; » jusqu'au quatre-vingt-dix-neuvième qui a pour titre Psaume pour la louange.  Il est vrai que le psaume quatre-vingt-dix-huitième, est intitulé dans plusieurs exemplaires Psaume pour David, mais ce litre ne se trouve point dans l'hébreu, et c'est la coutume de l'Ecriture sainte d'attribuer les psaumes qui n'ont point de titre aux auteurs dont le nom est à la tête des psaumes qui précèdent.

Or, il y a quatre psaumes intitulés Prière; savoir: le seizième, qui a pour titre Prière de David, et qui commence par ces mois. « Ecoutez favorablement, Seigneur, la justice de ma cause; » le quatre-vingt-neuvième que j'entreprends d'expliquer ici, et qui commence parce verset: « Seigneur, vous avez été notre refuge; » le quatre-vingt-cinquièrne, qui commence par ces paroles: « Abaissez, Seigneur, votre oreille,» et le cent-unième qui a pour titre Oraison du pauvre lorsqu'il sera dans l'affliction et qu'il répandra sa prière en 1a présence du Seigneur. Ce « pauvre» est David, mais en cela il est la figure de Jésus-Christ qui de riche qu'il était s'est fait « pauvre » pour l'amour de nous, et que pour nous donner des marques de sa pauvreté et de sa douceur, et en même temps pour accomplir la prophétie de

 

(1) Le texte hébreu porte : oratio Moisi viri Dei, et la version des Septante : Oratio Moisi hominis Dei. Saint Jérôme met ici de la différence entre vir et homo, qui tous deux signifient la même chose en français, c'est-à-dire : homme, mais nous n'avons en notre langue aucun terme qui puisse rendre cette différence.

 

Zacharie; a bien voulu monter sur le poulain d'une ânesse.

Moïse, par qui Dieu nous a donné sa loi, et par la bouche duquel il a dit: « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance; » et ensuite : « Dieu créa l'homme, et il le créa à l’image de Dieu, et il les créa mâle et femelle; » Moïse, dis-je, nous fait dans ce psaume une peinture de l’homme depuis son origine jusqu'à sa mort et à sa résurrection; il nous décrit les circonstances de sa création, la durée de sa vie, ses occupations dans le siècle, l'utilité et les avantages qu'il en tire, la récompense qu'il envisage dans son travail, la fin qu'il se propose dans toutes ses actions; mais comme ce saint législateur était « homme» lui-même, il nous donne sous son nom et en sa personne une idée de tous les «hommes» en général. Quelques écrivains prétendent que ce psaume ou cette prière de Moïse regarde les enfants d'Israël, et que ce grand homme nous représente ici les murmures et les révoltes de ce peuple contre Dieu, sa chute dans le désert, les péchés qui l'ont rendu indigne d'entrer dans la terre de promesse, laquelle n'a été donnée qu'à ses descendants, et comment il attend encore tous les jours les miséricordes du Seigneur, dont il ne peut voir l'accomplissement et ressentir les effets qu'à l’avènement du Sauveur.

Les grammairiens appellent oraison tout discours que on prononce en public : on ne trouve guère ce mot en ce sens dans l’Ecriture sainte; elle ne donne le nom d'oraison qu'aux prières que l'on fait à Dieu. C'est une opinion établie parmi les Hébreux que le Psautier est divisé en cinq livres : le premier comprend les psaumes depuis le premier jusqu'au quarantième; le second, depuis le quarante-unième jusqu'au soixante-onzième; le troisième, depuis le soixante-douzième jusqu'au quatre-vingt-huitième; le quatrième, depuis le quatre-vingt-neuvième, que j'entreprends d'expliquer ici, jusqu'au cent-cinquième; et que ces quatre livres finissent tous dans l'hébreu par ces deux mots: amen, amen, que les Septante ont traduits par ceux-ci: ainsi soit-il, ainsi soit-il. Le cinquième livre commence au psaume cent-sixième et finit au dernier. Il en est de même des douze prophètes, dont les Hébreux ne font qu'un seul volume.

J'ai presque oublié ce que j'ai dit plus haut, que le psaume quatre-vingt-dix-huitième est du nombre des onze psaumes que Poil attribue à Moïse. Nous lisons dans ce psaume «Relevez la gloire du Seigneur votre Dieu, et adorez l'escabeau de ses pieds, parce qu'il est saint. Moïse et Aaron étaient ses prêtres, et Samuel,était du nombre de ceux qui invoquent son nom; » ce qui parait détruire ce que je viens de dire, que Moïse est auteur de ce psaume; car comment peut-il l'avoir composé puisqu'on y fait mention de Samuel, qui n'est venu au monde que plusieurs siècles après lui? Il est facile de répondre à cette difficulté en disant que c'est par un esprit de prophétie que Moïse a parlé de Samuel, dont le mérite est si grand et si distingué que le prophète Jérémie l'a mis au même rang que Moïse lorsqu'il a dit: « Quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi. » Nous lisons une semblable prédiction dans l’Ecriture sainte, qui rapporte qu'un homme de Dieu s'écria dans Samarie : « Autel, autel, voici ce que dit le Seigneur: «Il naîtra un fils dans la maison de David qui s'appellera Josias. » Au reste, c'est se tromper que d'attribuer, comme font quelques-uns, tous les psaumes à David, et non pas à ceux dont le nom est à la tête de chaque psaume. C'est d'après ce préjugé que ces auteurs prétendent que David a composé, sous le nom de Moïse, le psaume que nous expliquons, et où ce saint législateur nous représente tous les hommes accablés sous le poids de leurs péchés et de leurs misères, et soupirant après leur salut et leur délivrance.

« Seigneur, vous avez été notre demeure dans la suite de toutes les races. » La version des Septante porte : « Seigneur, vous avez été notre refuge dans la suite de toutes les races.» Il y a dans le texte hébreu maon, qui signifie plutôt. demeure, que: refuge. Comme le dessein de Moise est de faire ici la triste peinture des misères du monde et de déplorer les malheurs de tout le genre humain, il commence par louer le Seigneur, afin que les hommes attribuent leurs disgrâces non pas à la dureté du Créateur, mais à l’infidélité de la créature. Est-on agité par quelque tempête, on cherche un rocher ou quelque autre asile pour se mettre à l'abri; se voit-on poursuivi par un ennemi, on se retire dans les villes pour se dérober à ses poursuites; un voyageur se sent-il tout épuisé par les ardeurs du soleil et la sécheresse de la poussière, il cherche l'ombre pour se rafraîchir et se délasser; est-on en danger de devenir la proie d'une bête farouche, on fait tous ses efforts pour se garantir de ce péril. Eh bien! il en est de même de l'homme : depuis le commencement de sa création , il n'a trouvé sa force et son appui que dans Dieu seul. Comme c'est par sa bonté qu'il a été créé, que c'est par sa miséricorde qu'il vit et qu'il subsiste, il ne saurait faire aucune bonne œuvre sans le secours de celui qui lui a tellement donné le libre arbitre qu'il ne lui refuse pas sa grâce pour chaque action, de peur que la liberté de l'homme ne déroge à la dignité du Créateur, ou n'inspire un fonds d'orgueil à la créature, qui n'a été créée libre que pour mieux comprendre qu'elle n'est rien sans le secours de Dieu. «Vous avez été notre demeure » ou « notre refuge dans la suite de toutes les races, » c'est-à-dire : dans tous les temps, avant la loi, durant la loi, sous le règne de l'Evangile et de la grâce. De là vient que l’apôtre saint Paul disait: « C'est par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la foi, et cela ne vient pas de vous, puisque c'est un don de Dieu. » Aussi cet apôtre dans toutes ses épîtres commence-t-il d'abord par saluer ceux à qui il écrit en leur souhaitant, non pas la paix et ensuite la grâce, mais la grâce et ensuite la paix, afin qu'ayant obtenu le pardon de nos péchés par la grâce, nous puissions mériter la paix du Seigneur.

« Avant la naissance des montagnes et la génération de la terre et de tout l’univers, vous êtes Dieu de toute éternité et dans tous les siècles. « Nous lisons selon les Septante : « Avant que les montagnes eussent été faites, et que la terre eût été formée et tout l’univers, vous étiez Dieu de toute éternité et dans tous les siècles.» Quelques auteurs donnent un mauvais sens à ces paroles, particulièrement ceux qui prétendent que les âmes ont existé avant la formation de l'homme, qui ne fut créé que le sixième jour; car voici comment ils lisent et divisent ces deux versets: « Seigneur, vous avez été notre refuge dans la suite de toutes les générations, avant que les montagnes eussent été faites, ou que la terre eût été formée et tout l’univers. » Après quoi ils ajoutent : « Vous étiez Dieu de toute éternité et dans tous les siècles ; » d’où ils tirent cette conséquence, que si le Seigneur a été le refuge des hommes avant que les montagnes aient été faites, ou que la terre et tout l'univers aient été formés, les âmes existaient dans le ciel avant que Dieu eût créé et formé les corps. Attachons-nous donc à ce texte que nous avons proposé d'abord : « Avant que les montagnes eussent été faites, et que la terre eût été formée et tout l'univers, vous étiez Dieu de toute éternité et dans tous les siècles;» par où le prophète veut nous donner à entendre, non pas que Dieu a été notre refuge avant la création du monde, puisque nous n'existions pas encore alors, mais qu'il est Dieu de toute éternité. Car, bien que l'interprète latin ait traduit: « Depuis les siècles jusqu'aux siècles,» selon la signification du mot hébreu olam, il est plus à propos de traduire: « Depuis l’éternité jusqu'à l'éternité.» C'est dans ce sens que la sagesse, ou Jésus-Christ dont elle est la figure, dit dans les  Proverbes : «Le Seigneur m'a créée dans le commencement de ses voies et avant qu'il créât aucune chose ; il m'a établie dès l'éternité et dès le commencement, avant qu'il eût fait la terre et les abîmes, avant que les fontaines fussent sorties de la terre et qu'il eût affermi les montagnes; il ma enfantée avant toutes l'es collines. » Ici le mot de création, que la langue hébraïque exprime par celui de bara, ne doit point nous embarrasser; car il y a dans le texte hébreu: m'a possédée, et non pas : m'a créée; voici ce qu’il porte : « Adonai canani bresith dercho, c'est-à-dire : « Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies. » Or, il y a une grande différence entre « posséder » et « créer » : le mot de «possession » marque que le Fils a toujours été dans le Père et le Père dans le Fils, au lieu que le mot de « création » signifie que celui qui n'était point auparavant a commencé d'être.

Ces paroles: « Avant que les montagnes eussent été faites, et que la terre eût été formée et tout l'univers,» peuvent encore signifier, dans un sens moral, que Dieu a été notre refuge avant qu'il eût gravé sa vérité dans nos âmes et formé nos corps, ce petit monde, cette terre que les Hébreux appellent thebel et les Grecs : habitée; car notre âme, est une terre habitée lorsque Dieu daigne, y faire sa demeure, selon cette parole du Sauveur: « Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. » Le texte hébreu et les autres versions portent : « Avant la naissance des montagnes et la génération de la terre ; » mais comme les termes de naissance et de « génération» ne peuvent convenir à la terre ni aux montagnes, qui sont proprement créées, ces expressions nous conduisent naturellement à un sens moral, et nous donnent à entendre que Dieu, par sa miséricorde  ne cesse point de créer et de former les âmes saintes et les plus sublimes vertus.

« Vous convertirez l’homme jusqu'à le briser, et vous direz; « Revenez, ô enfants d'Adam ! » Il y a dans les Septante : « Ne réduisez pas l’homme dans le dernier abaissement, puisque vous avez dit : « Convertissez-vous, ô enfants des hommes ! » Voici comment on doit expliquer ce passage selon le texte hébreu: O Dieu, qui avez créé l'homme et qui êtes son refuge ou sa demeure dès le commencement, vous le convertirez jusqu'à le briser; car vous l'avez fait et formé de telle sorte que la mort doit le réduire en poudre, et que ce beau vase n'est sorti de vos mains que pour être brisé à la fin de sa vie; sa destinée est de naître pour mourir, quelque longue que soit sa vie, elle doit toujours finir par son entière destruction. Vous lui dites tous les jours par vos prophètes : Revenez, ô enfants d’Adam ! vous qui avez offensé Dieu et qui, d'immortels que vous étiez, êtes devenus sujets à la mort parce que vous avez été sourds à ce commandement que je vous ai fait: « Mangez de tous les fruits du arbres du paradis, mais ne mangez point de l’arbre du fruit de la science du bien et du mal, car au moment même que vous en mangerez, vous mourrez très certainement. »

Quant à ces paroles des Septante : « Ne réduisez point l’homme dans le dernier abaissement, puisque vous avez dit : « Convertissez-vous, ô enfants des hommes! » voici le sens qu'on doit leur donner: Puisque vous avez créé l'homme à votre image et à votre ressemblante, et que vous avez bien voulu l'honorer jusqu'à lui donner la qualité de votre fils, lui qui n'était que votre serviteur et votre esclave, ne souffrez pas, je vous prie, qu'il gémisse éternellement sous la tyrannie du péché, et délivrez-le de cette ancienne malédiction que vous avez prononcée contre lui « Vous êtes poudre, et vous retournerez en poudre. » Souvenez-vous que vous nous avez promis de ne point rejeter notre pénitence, et que vous avez dit par un prophète : « Je ne veux point la mort du pécheur, mais seulement qu'il se convertisse et qu'il vive; » souvenez-vous que tous vos saints nous ont dit de votre part : « Convertissez-vous, ô enfants des hommes, et retournez à votre père qui est plein de bonté et de tendresse, qui va lui-même au-devant de vous, qui est prêt à retracer dans vos âmes les augustes caractères de sa ressemblance que vous aviez effacés par vos péchés, et qui veut bien vous rendre la robe de votre première Innocence, que vous aviez perdue par votre désobéissance.

« Car devant vos yeux mille ans sont comme le jour d'hier qui est passé, et comme une veille de la nuit, » puisque vous nous exhortez par la bouche de vos prophètes à rentrer dans les voies de la pénitence, et que vous ne cessez point de nous dire : « Revenez, ô enfants des hommes! »nous vous conjurons de ne pas laisser éternellement l'homme dans cet état d'abaissement et d'humiliation où son péché l’a réduit. Vous nous avez promis de nous mettre en possession du- salut après plusieurs siècles : nous ne pouvons être longtemps sans

voir    l'accomplissement   de vos promesses , puisque mille ans sont à vos yeux comme le jour d'hier qui est passé , et que le temps, quelque long qu'il soit, est toujours très court quand on le compare à l'éternité. Je me trompe, ajoute le prophète , c'est trop peu de dire que mille ans sont à vos yeux comme un jouir qui ne fait que passer, je devais dise qu'ils ne durent pas plus à votre égard qu'une veille de la nuit. On divise ordinairement la nuit en quatre veilles de trois heures chacune, et c'est dans ce sens que nous lisons dans l'Evangile qu'à la quatrième veille de la nuit Jésus-Christ vint trouver ses apôtres qui étaient en mer. Comme donc une veille le ta nuit passe bien vite et paraît fort courte , sur, tout à ceux qui se sont épuisés par de longues veilles, de même l'espace de mille ans ne dure presque rien à vos yeux, ô mon Dieu, qui avez été, qui êtes, et qui serez pendant toute l'éternité.

Ce que dit ici le prophète, que « mille ans sont aux yeux de Dieu comme le jour d'hier qui est passé, » revient à ce que l'apôtre saint Paul dit dans son épître aux Hébreux : « Jésus-Christ était hier , il est aujourd'hui, et il sera le même dans tous les siècles. » Cet endroit du prophète, joint à  ee que nous lisons dans l'épître qu'on attribue à saint Pierre (1), me fait juger qu'on a coutume dans l'Ecriture sainte de prendre mille ans pour un seul jour, et que le monde ayant été créé en six jours, l'on a cru qu'il ne devait subsister que durant six mille ans, après quoi viendraient le septième et le huitième jour, où nous devions goûter le repos du véritable sabbat, et être rétablis par la circoncision dans notre ancienne innocence. C'est pour cela que l'Evangile ne marque que huit béatitudes, et qu'il promet la récompense de leurs bonnes oeuvres à ceux qui en auront rempli les devoirs et suivi les maximes. Or, voici ce que nous lisons dans l’épître de saint Pierre dont je viens de parler : « Il y a une chose que vous ne devez pas ignorer, mes bien-aimés: c'est qu'aux yeux du Seigneur un jour est comme mille ans; et mille ans comme un jour. Ainsi le Seigneur n’a point retardé l'accomplissement de sa promesse comme quelques-uns se l'imaginent. »

« Quand vous les frapperez, ils s'évanouiront comme un songe ou comme l'herbe qui passe dès le matin. L'homme a fleuri le matin et a passé aussitôt; le soir on l'a vu tomber et sécher. » Nous lisons dans les Septante : « Leurs années seront regardées comme un néant. L'homme est le matin comme l'herbe qui passe bientôt; il fleurit le matin et il passe; il tombe le soir, il s'endurcit et il se sèche. » Voici le sens du texte hébreu : Il nous est avantageux, et pour notre conduite, et pour notre salut, que nôtre vie se termine par une prompte mort, et disparaisse comme un songe ou comme ces fleurs des champs que l'on voit fleurir et sécher presque au même moment. Quand vous frapperez les hommes, dit le prophète, et qu'ils seront arrivés à ce moment fatal où on leur dira : « Insensé que tu es! on va te redemander ton âme cette nuit même, et pour qui sera ce que tu as amassé ? » alors toute la vie et toutes les occupations de l'homme ne

 

(1) Saint Jérôme veut parler de la seconde épître de saint Pierre, qui dans les premiers siècles n’était pas reçue dans toutes les Eglises comme canonique ; c’est ce que nous apprenons de saint Jérôme dans son livre des Écrivains ecclésiastiques ; Scripsit (Petrus) duas epsitolas quae catholicae nominantur ; quarum secunda a plerisque ejus esse negatur, propter styli cum priore dissonantiam.

 

paraîtront que comme un songe C'est un agréable spectacle que de voir le matin une fleur s'épanouir sous les premiers rayons du soleil; mais cette belle fleur se fane peu à peu, elle perd insensiblement toute sa beauté et tout son éclat, et elle devient enfin comme une herbe qui n’est propre qu’à être foulée aux pieds. Il en est de même de la vie des hommes : elle s’épanouit dans l’enfance, elle fleurit et brille dans la jeunesse, elle a toute sa force dans un âge parfait; mais tout à coup, et lorsqu'on y pense le moins , la tête blanchit, le visage se ride, la peau se dessèche et perd son embonpoint, et l'homme sur le soir, c'est-à-dire : à la fin de sa vie, accablé de vieillesse, peut a peine se remuer; on ne le reconnaît plus et on le prendrait presque pour un autre homme. Mais est-il nécessaire de faire ici la peinture des défaillances de l'homme et des divers changements qui lui arrivent depuis son enfance jusqu’à sa vieillesse, puisque nous voyons tous les jours une maladie, un malheur, un chagrin défigurer tellement  les plus belles femmes, et les rendre si méconnaissables et si affreuses, que tout l'amour qu'on avait pour elles se change en haine et en aversion ? Le prophète Isaïe, parlant de la condition des hommes mortels, nous en donne la même idée lorsqu'il dit : « Toute chair n'est que de l’herbe , et toute sa gloire est comme la fleur des champs l'herbe se sèche et la fleur tombe. » C'est dans ce même sens qu'on doit expliquer la version des Septante : Tout ce qui nous paraît de longue durée dans le siècle présent ne dure qu'un moment à vos yeux, ô mon Dieu ! Les jours et les années qui composent la vie de l'homme ne paraissent rien quand on les compare à l'éternité. Tout l'éclat, toute la beauté de l'homme est semblable à une herbe qui Croit et fleurit le matin, et qui sur le soir se dessèche et tombe tout à coup.

« Votre fureur nous a entièrement détruits, et votre indignation nous a jetés dans le trouble. « La version des septante porte : « C'est par un effet de votre, colère que nous nous voyons réduits à cet état de défaillance, et par un effet de votre fureur que nous sommes remplis de trouble. » Au lieu de ces mots «nous sommes remplis de trouble, » la version d'Aquila et de Symmaque porte « nous nous sommes hâtés. » Le prophète parle ici de la brièveté de notre vie; et lorsqu'il dit qu'elle est un effet de la colère et de la fureur de Dieu, il nous donne à entendre que nous avons tous été enveloppés dans cette ancienne malédiction du premier homme : «Vous êtes poudre et vous retournerez en poudre;» au lieu que la version des Septante porte : « Nous sommes remplis de trouble. » Il y a dans le texte hébreu, comme nous l'avons déjà remarqué : « Nous nous sommes hâtés ; » ce qui fait voir que la vie de l'homme, quelque longue qu'elle soif, est toujours très courte en comparaison de l'éternité; ce qui, a fait dire à un fameux poète . «Cependant le temps fuit avec rapidité et se perd sans ressource; » et dans un autre endroit : « Nous avons vécu longtemps, mon pauvre Rhoebus,si néanmoins il y a quelque chose de durable dans la vie d'un homme mortel (1).»

« Vous avez mis nos iniquités devant vos yeux, et exposé nos négligences à la lumière de votre visage. „ Les Septante portent : « Vous avez mis nos iniquités en votre présence , et exposé toute notre vie à la lumière de votre visage. » Au lieu de « nos négligences, » comme j'ai traduit avec. Symmaque conformément à l'hébreu, il y a dans les Septante, «notre siècle, » c'est-à-dire : toute notre vie. Le texte hébreu porte Alomenu , ce que la cinquième (2) version exprime par le mot de jeunesse et Aquila par nos erreurs, ou : nos ignorances. C'est dans ce sens que le Psalmiste dit dans un autre endroit : « Ne vous souvenez point des fautes de ma  jeunesse ni de mes ignorances; » et ailleurs :  « Qui est celui qui connaît ses fautes ? Purifiez-moi, Seigneur, de celles qui sont cachées en moi, et préservez votre serviteur des vices étrangers; » car il y a des vices qui nous sont étrangers, et ce sont ceux auxquels nous nous laissons aller souvent par notre propre penchant, et quelquefois par ignorance. Cependant, cette ignorance ne laisse pas d'être criminelle, quoique la volonté n'ait point de part au crime. Au reste je ne comprends pas pourquoi les Septante, au lieu de mettre «notre jeunesse, nos négligences, nos erreurs » ou « nos

 

(1) C'est ainsi que Virgile fait parler Mezentius à son cheval, qu'il appelait Rhoebus.

(2) Outre les versions des LXX, d'Aquila, de Symmaque et de Théodotien, il y en avait encore trois autres qui passaient pour authentiques, et qu'on appelait : la cinquième, la sixième et la septième, parce qu’on ne savait pas le nom de leurs auteurs.

 

ignorances, » ont traduit le mot hébreu par celui de « siècle », ou de «vie, » si ce n'est peut-être parce que c'est dans la « vie » et durant le « siècle » présent que nous commettons le péché. Le prophète ajoute : «Vous avez exposé toute notre vie » ou « nos négligences à la lumière de votre visage , » c'est-à-dire : il n'y a aucun de nos péchés qui vous soit caché, et vos yeux pénètrent jusque dans: les replis les plus secrets de notre coeur; selon ce qui est écrit: « Les ténèbres n'ont aucune obscurité pour, vous, et elles sont à votre égard comme la lumière du jour même; » et dans un autre endroit : « O mon Dieu! vous sondez les coeurs et les reins. » Car l'homme ne voit que le visage, mais Dieu voit le fond des coeurs.

« Tous nos jours se sont écoulés et nos années se sont consumées dans votre fureur , comme le discours d'un homme qui parle. » On lit dans la version des Septante : « C'est pourquoi tous nos jours se sont consumés et nous nous sommes trouvés consumés nous-mêmes par la rigueur de votre colère. Nos années se passent en de vaine inquiétudes, comme celles de I'araignée: » Le prophète avait dit ci-dessus : Quand vous les frapperez, ils s'évanouiront comme un songe, » pour nous donner une juste idée de la brièveté de la vie humaine, qui, toujours sujette à la malédiction dont Dieu a frappé le premier homme, s'évanouit et disparaît comme un songe : ici il la compare au discours d'un homme qui parle et dont les paroles cessent d'être à mesure qu'il les prononce. C'est ainsi que passe notre vie : elle se consume dans la colère et la fureur de Dieu, dont la malédiction dure toujours et s'accomplit sans cesse sur nous. J'ai déjà dit plusieurs fois que la colère, dans Dieu, n'est pas cette passion furieuse qui nous inspire des désirs de vengeance; il ne paraît en colère qu'à ceux qu'il a punit; et ce qui est en nous une passion aveugle et déréglée est en lui un effet de sa vérité et de sa justice. Au lieu de ces mots: «comme le discours d'un homme qui parle, » les Septante ont traduit : « Nos années se passent en de vaines inquiétudes comme celles de l'araignée. » Comme il n'est rien qui passe plus vite que la parole, aussi n'est-il rien de plus inutile que l'ouvrage d'une araignée. On a coutume d'appliquer aux hérétiques ces paroles du prophète Isaïe : « Ils ont formé des toiles d'araignée; » car comme les toiles d'araignée ne peuvent arrêter que des mouches, des moucherons et autres semblables petits insectes, et qu'elles ne sauraient résister aux animaux qui ont un peu plus de force que ceux-là, de même les hérétiques ne séduisent dans l'Eglise que les âmes simples, qui donnent sans précaution dans les piéges qu'ils leur tendent, mais ils ne sauraient tromper ceux dont la foi est vive et solide.

« Les jours de tous nos tans ne vont ordinairement qu'à soixante et dix années; c'est beaucoup,si nous allons jusqu'à quatre-vingts; le surplus n'est que peine et que douleur. » Nous lisons dans les Septante : « Les jours de tous nos ans ne vont ordinairement qu'à soixante et dix années. Que si les plus forts vivent jusqu'à quatre-vingts ans, le surplus n'est que peine et que douleur. » Toute notre vie donc, à la considérer dans toutes: les saisons et tons les âges où nous sommes capables d'en goûter les douceurs, ne peut aller que jusqu'à soixante et dix ans, et c'est beaucoup; ou, comme traduit Symmaque , c'est contre notre attente et notre espérance si elle va jusqu'à quatre-vingts ans. Que si nous allons au-delà, nous nous trouvons accablés d'une infinité de maladies et d'infirmités qui sont inséparables de la vieillesse : la vue s'affaiblit, les dents nous font mal ou tombent d'elles-mêmes; enfin nous sommes sujets à toutes les misères dont le sage nous fait une triste peinture dans l'Ecclésiaste : « Il viendra, » dit-il, « un temps d'affliction, et vous verrez approcher des années dont vous direz ce temps me déplaît. Le soleil, la lune et les étoiles s'obscurciront pour vous, et les nuées retourneront après la pluie. C'est alors que les gardes de la maison commenceront à trembler, que les hommes les plus forts s'ébranleront , que celles qui avaient accoutumé de moudre seront réduites en petit nombre, et que ceux qui regardaient par les trous seront couverts de ténèbres. C'est alors qu'on fermera les portes de la  rue , que la voix de celle qui avait accoutumé , de moudre sera faible, qu'on se lèvera au chant de l'oiseau et que les filles de l’harmonie deviendront sourdes. Elles auront même peur des lieux élevés, et elles craindront en chemin. L'amandier fleurira, la sauterelle s'engraissera et les câpres se dissiperont, parce que l’homme s'en ira dans la maison de son éternité et qu'on marchera en pleurant autour des places, jusqu'à ce que la chaîne d'argent soit rompue, que la bandelette d'or se retire, que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne , que la poussière rentre en la terre d'où elle avait été tirée, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné. «Vanité des vanités!» dit l'Ecclésiaste, « tout est vanité. » Voilà la peinture que Salomon fait de toutes les misères de la vie humaine, et particulièrement de la vieillesse, comme je l'ai expliqué ailleurs (1).

Quelques interprètes expliquent ce verset du Psalmiste dans un sens allégorique, et par rapport au sabbat et à la circoncision. Ils disent qu'après avoir goûté sous la loi le repos du sabbat, nous recevrons dans le temps de l'Evangile la véritable circoncision; et ils tâchent de prouver leur. sentiment par ces paroles, du sage : « Faites en part à sept et à huit personnes », et par ces soixante et dix mille et quatre-vingt mille ouvriers qui furent employés à la construction du temple de Salomon; mais à quoi bon chercher tant de mystères dans un passage que l'on peut expliquer simplement, et où l'on doit avoir en vue d'instruire le lecteur, et non pas de faire un vain étalage de sa science et de son érudition?

« Parce que nous n'avons fait que passer et nous nous sommes envolés. » Il y a dans la version des Septante: « Et c'est même par un effet de votre douceur que vous nous corrigez de cette sorte. » Le mot grec en cet endroit signifie non-seulement : corriger, mais aussi enseigner et instruire; car « le Seigneur châtie» ou « instruit celui qu'il aime, et il frappe de verges tous ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants. » Voici comment Symmaque a traduit ce verset du Psalmiste : « On nous coupe tout d'un coup, et nous nous envolons. » La cinquième version porte : « Nous n'avons fait que passer, et nous sommes déliés; » c'est-à-dire Après soixante et dix ou tout au plus quatre-vingts ans de vie, notre âme venant à se séparer du corps, nous nous envolons et nous nous dissipons comme le vent; ou, parce que le prophète avait comparé ci-dessus la vie de l’homme à une belle fleur qui s'épanouit le matin et qui se sèche sur le soir, l'interprète, au lieu de dire

 

1 Dans les Commentaires sur l'Ecclésiaste.

 

qu'elle « se sèche,» dit qu'on la « coupe » tout d'un coup. Le sens de la cinquième version est que notre vie ne fait que passer, et qu'une mort imprévue et précipitée vient tout à coup nous dégager des liens du corps. Quant à la version des Septante, qui porte : « Et c'est même par un effet de votre douceur que vous nous corrigez de la sorte, , voici comment on doit l'expliquer. Lorsqu'après soixante et dix ou quatre-vingts ans de vie le jour de notre mort s'approchera, le Seigneur nous traitera avec douceur, et nous jugera non pas selon nos mérites, mais selon sa bonté et ses miséricordes, de manière que son jugement sera pour nous une instruction plutôt qu'un châtiment. Au reste je ne comprends pas pourquoi les Septante, Théodotien et l'auteur de la sixième version ont traduit le mot hébreu ais par le mot : douceur, vu que Symmaque, Aquila et l'auteur de la cinquième version l'ont exprimé par celui de promptitude, de célérité et de précipitation.

« Qui peut connaître toute la force de votre colère, et combien nous devons craindre votre indignation? » Nous lisons dans les Septante « Qui peut connaître la grandeur de votre colère, et en comprendre la mesure autant qu'elle est redoutable ? » Il y a ici quelque différence entre le texte hébreu et la version des Septante: celle-ci dit « qu'on ne peut comprendre la mesure de la colère de Dieu, ni combien elle est redoutable; ,mais, selon l'hébreu, on doit joindre ces paroles avec le verset suivant, où nous conjurons Dieu de nous faire connaître la mesure de notre vie et le nombre de nos jours. Voici en peu de mots comment on doit expliquer cet endroit : Qui peut comprendre, ô mon Dieu, si vous n'avez la bonté de nous en instruire vous-même, quelle mesure et quelles bornes vous donnez à votre colère, qui parait si redoutable à tout le genre humain? Faites-nous donc connaître, je vous prie, combien de temps nous devons vivre sur la terre, afin qu'éclairés par les lumières de votre sagesse, nous nous tenions prêts pour paraître devant votre redoutable. tribunal. « Qui peut comprendre la force» on «la grandeur de votre colère, et combien nous devons craindre votre indignation ? » c'est-à-dire : Combien est-il difficile de comprendre par quel motif et pour quelles raisons Dieu se met en colère contre les hommes et parait si redoutable à leurs yeux? C'est ce qui faisait dire au prophète-roi : « Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère, et ne me punisses pas dans votre fureur. » Car Dieu ne nous punit pas pour nous perdre et pour nous donner la mort, mais pour nous corriger et nous faire revenir de nos égarements. C'est pour cela qu'il dit dans le prophète Osée « qu'il ne se mettra plus en colère contre le peuple juif, sut qui il avait souvent exercé ses vengeances, et qu'il ne punira plus leurs femmes lorsqu'elles s'abandonneront au libertinage. » Il dit aussi, parlant à la ville de Jérusalem par la bouche du prophète Ezéchiel : « Je ferai cesser mon indignation à votre égard, mon zèle et ma jalousie se retireront de vous. » C'était dans ces dispositions qu'étaient ces Israélites qui, selon le livre des Paralipomènes, allaient combattre l'ennemi avec un cœur qui ne respirait que la paix.

« Faites-nous connaître quelle est la mesure de nos jours, et nous viendrons à vous avec un cœur éclairé par la sagesse. , Il y a dans les Septante : « Faites enfin éclater la puissance de votre droite, et instruisez notre cœur par la vraie sagesse. » Aquila, Symmaque et la cinquième version portent : « Faites-nous connaître la durée de nos jours, en sorte que nous venions à vous avec un cœur sage. » Il est aisé de voir pourquoi les Septante ont traduit « votre droite» au lieu de « nos jours ; » car le mot hébreu jamenu est un mot qui signifie : nos jours. Quand on l'écrit au singulier avec un men à la fin, il veut dire : la droite, comme dans le nom de Benjamin, qui signifie : le fils de la droite; mais lorsque ce mot finit par un men, il veut dire : le jour, ou : les jours. Or, voici comment on doit expliquer cet endroit : Faites-nous connaître, Seigneur, quelle doit être la mesure de nos jours et de nos années et les bornes que vous avez prescrites à notre vie, afin que nous nous tenions prêts pour votre avènement et que, renonçant aux vaines chimères dont les hommes ont coutume de se repaître, nous ayons de l'empressement de vous voir et d'aller au-devant de vous avec un cœur éclairé et conduit parles lumières de la véritable sagesse. En effet, il n'est rien sur quoi les hommes se trompent davantage et se fassent plus souvent illusion que sur le nombre de leurs années et la durée de leur vie. Quoiqu'ils n'en connaissent ni les bornes ni les mesures, ils ne laissent pas de compter sur une longue suite d'années; ce qui a fait dire, à un ancien qu'il n'est point de vieillard, quelque usé qu'il puisse être, qui ne se flatte de l’espérance chimérique de vivre du moins encore une année. L'explication que nous venons de donner aux paroles du prophète revient à ce que dit l’Ecriture : « Souvenez vous que vous devez mourir, et vous ne pécherez point. » En effet, une âme qui a sans cesse la mort devant les yeux, et qui ne perd jamais de vue ce moment fatal, n'a que du mépris pour toutes les choses présentes, et tourne du côté de l'éternité toutes les pensées de son esprit et tous les discours de son cœur. C'est ce qui fait dire à David dans un autre endroit : « Ne me rappelez pas, Seigneur, lorsque je ne suis encore qu'à la moitié de mes jours, et avant que je parte et que je ne sois plus, » c'est-à-dire : Ne permettez pas que je meure dans le temps que je me flatte d’une plus longue vie, et donnez-moi le temps d'expier mes péchés par la pénitence ; car si une mort imprévue et précipitée vient me surprendre en un état de péché, je cesserai d'être, et il n'y aura plus de ressource pour moi. Ce n'est pas que ce prophète eût perdu toute espérance de ressusciter un jour , mais il voulait nous donner à entendre par là que les pécheurs qui persévèrent dans leurs crimes honteux sont aux yeux de Dieu comme s'ils n'étaient pas.

«Revenez vers nous, Seigneur. Jusqu'à quand nous rejetterez-vous? Laissez-vous fléchir en faveur de vos serviteurs. » La version des Septante s'accorde ici avec le texte hébreu. Puisque nous faisons pénitence de nos péchés et que, convaincus d u peu de temps que nous avons à vivre, noua; souhaitons d'aller à vous avec un coeur éclairé et instruit par la sagesse, ne refusez pas non plus, Seigneur, de revenir à nous; car nous vous avions forcé par nos crimes de vous en éloigner, et de nous abandonner à notre propre conduite et au dérèglement de nos passions. Ce qu'ajoute ici le prophète, « jusqu'à quand? » doit s'expliquer dans le même sens que ces paroles du douzième psaume; « Jusqu'à quand, Seigneur, m'oublierez-vous? sera-ce pour toujours ? » Lorsque nous nous trouvons dans quelque situation fâcheuse et désagréable, il nous semble que Dieu tarde toujours trop à nous secourir, et le sentiment de nos maux nous oblige à redoubler nos prières pour lui demander un prompt secours, et pour l'engager à nous faire sentir les effets de sa miséricorde et non pas les rigueurs de sa justice.

« Comblez-nous de votre miséricorde dit ma tin, et nous passerons tous nos jours dans la joie et dans les actions de grâce. » La version des Septante porte: « Nous avons été comblés de votre miséricorde dès le matin, nous avons tressailli de joie, et nous avons été remplis de consolation tous les jours de notre vie. » Les Septante expriment ordinairement par le temps passé ce qui est au futur dans le texte hébreu. Le prophète ne dit pas ici, comme porte leur version, que nous avons été comblés de la miséricorde de Dieu dès le matin et. que nous avons tressailli de joie; car si cela était, nous ne dirions pas dans la suite; « Jetez vos regards sur vos serviteurs et sur vos ouvrages; mais nous prions seulement Dieu de nous « combler de sa miséricorde du matin, » afin que nous puissions le louer et nous réjouir en lui tous les jours de notre vie. Il me semble que le prophète, plein de l'espérance de la résurrection future, conjure ici le Seigneur de le mettre en possession de la vie éternelle. « Comblez-nous, dit-il, de votre miséricorde du matin; » ce qui revient à ce que nous lisons dans le psaume vingt et unième, qui regarde le mystère de la résurrection des hommes et de là gloire du Seigneur, et qui est intitulé Pour l'assomption du matin.

Comblez-nous de joie à proportion des jours où vous nous avez affligés et des années où nous avons vu les maux. » Il y a dans la version des Septante: « Nous nous sommes réjouis à proportion des jours où vous nous avez humiliés et des années où nous avons éprouvé les maux. » Tel a été le sort de Lazare : après avoir passé sa vie dans la misère et dans une extrême pauvreté, il goûte maintenant dans le sein d'Abraham un repos solide et des plaisirs éternels. Par les maux dont parle ici le prophète on ne doit pas attendre ce qui est contraire au bien, ou les vices opposés à la vertu, mais les afflictions, les disgrâces et les misères de la vie présente, selon ce que l'Ecriture dit de Sara, qu'elle faisait sans cesse du mal à sa servante, et ce que nous lisons dans l'Evangile : « A chaque jour suffit son mal. » Plus donc nous aurons été dans le siècle présent exposés aux persécutions, accablés de pauvreté et de misères, opprimés par la puissance et l'injustice de nos ennemis, affligés par de longues et de cruelles maladies, plus aussi sera grande la récompense que nous recevrons dans le siècle futur après notre résurrection. Remarquez que le prophète ne dit pas: « Les années où nous avons souffert les maux, » mais: « où nous avons vu les maux, » conformément à ce que dit le Psalmiste : « Qui est l'homme qui pourra vivre sans voir la mort? » ce qui ne marque pas tant la séparation de l'âme d'avec le corps que l'état où doivent se trouver ces pécheurs dont parle, un prophète lorsqu'il dit : « L'âme qui aura péché mourra elle-même. »

« Découvrez votre ouvrage dans vos serviteurs, et faites éclater votre gloire sur leurs enfants.» C'est donc Dieu lui-même qui agit et qui opère dans ses serviteurs. Le prophète ne se contente pas de demander son propre salut, il prie encore le Seigneur de faire éclater sa gloire sur ses serviteurs et sur leurs enfants, ce qui doit s'entendre non pas de leurs descendants, mais de leurs disciples, selon ce que dit saint Paul : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement. » C'est pour cela que l’apôtre saint Jean, dans ses épîtres, qualifie ceux à qui il écrit tantôt «d'enfants, », tantôt de «jeunes gens, » tantôt de « pères, » selon les mérites de ses disciples à qui il écrivait, et selon les progrès qu'ils avaient faits dans la vertu et dans la pratique des bonnes oeuvres.

«Que la beauté du Seigneur notre Dieu se répande sur nous ; affermissez sur nous l'ouvrage de nos mains, et rendez stable et solide l'ouvrage de nos mains. » Nous lisons dans la version des Septante : « Que la lumière du Seigneur notre Dieu se répande sur nous; conduisez d'en-haut les ouvrages de nos mains, et que l'ouvrage de nos mains soit conduit par vous-même. » Où sont ceux qui, fiers de leur libre arbitre, font consister la grâce de Dieu dans le pouvoir qu'ils ont de faire ou de ne pas faire le bien ou le mal? Moïse avait conjuré Dieu de le ressusciter à une nouvelle vie; il lui avait dit : « Comblez-nous de votre miséricorde du matin, et nous passerons tous nos jours dans la joie et dans les actions de grâces; » mais il ne se contente pas d'être revêtu de la gloire de la résurrection et de se voir en possession d'une vie éternellement heureuse, il prie encore le Seigneur de faire éclater sa beauté sur ceux qui seront ressuscités, de répandre sa lumière dans les âmes et dans le coeur des saints, de conduire les ouvrages de leurs mains, de les rendre solides et éternels, et de conserver dans ses saints le bien qu'ils ont fait. Car comme Dieu accorde sa grâce à ceux qui le prient avec humilité, aussi en prive-t-il ceux qui le méprisent avec orgueil.

 

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