10 - LE PSEUDO-MACAIRE

 

I. L'auteur et son oeuvre
II. La doctrine

Bibliographie


I. L'AUTEUR ET SON OEUVRE


1) L'auteur
L'auteur anonyme que l'on pensait d'abord être Macaire le Grand, fondateur du centre de Scété, est en réalité un auteur spirituel qui a vécu entre la Mésopotamie et l'est de l'Asie Mineure, dans la deuxième moitié du 4ème siècle ou au début du 5ème. On avance le nom de Siméon de Mésopotamie, un des promoteurs du messalianisme, car il y a dans ses écrits une problématique et des idées très proches du messalianisme. Mais l'attribution à Syméon repose sur des bases fragiles. Quoiqu'il en soit, cet auteur est assurément un grand spirituel qui connaît bien les hommes ; il a reçu une formation scolaire assez poussée, il a bien appris de son milieu, de ses lectures et de ses contacts avec les autres. Ses écrits nous le montrent comme un imaginatif, un visuel qui pense en images plus qu'en concepts, à partir de la Bible, de la nature, de la société, mais qui a une théologie trinitaire très ferme. On le voit aussi bon pédagogue qui sait rendre vivant un enseignement élevé. Aussi son oeuvre assez importante a-t-elle eu une grande influence postérieure.

D'après celle-ci, il est responsable de communautés d'ascètes. Certains indices porteraient à croire qu'il a pratiqué un certain exil ascétique. Il semble avoir été en contact avec l'oeuvre de Basile, car il y a quelques similitudes entre Basile et Macaire, dans le vocabulaire et les idées ; de plus un texte de Grégoire de Nysse semble parler d'ascètes mésopotamiens : "Ils ont comme Abraham quitté leur pays, leur famille et le monde entier et ils regardent vers le ciel. . . leur bouche est consacrée au silence . . . et ils ont une telle puissance sur les esprits". Nous avons vu aussi que l'Hypotypose ou De Instituto de Grégoire est parallèle à la Grande Lettre de Macaire. Cette paraphrase de Grégoire avait pour but probable de donner de l'oeuvre de Macaire une mouture plus distanciée du messalianisme.



2) Est-il messalien ?

Nous avons déjà rencontré les messaliens à propos des apophtegmes (les euchites), et dans le chapitre sur Basile. Or il est un fait que l'on trouve dans les oeuvres de Macaire des similitudes avec les propositions messaliennes qui seront condamnées dès le synode de Sidè (entre 380 et 400), puis au concile d'Éphèse. Dans les entretiens du Pseudo-Macaire avec les frères qu'il dirige se font jour des discussions portant sur des idées messaliennes. Mais Macaire est loin des déviations grossières de la secte telles qu'elles nous ont été rapportées par Théodoret, arrachées par ruse au vieillard Adelphios : "Le saint baptême n'est d'aucune utilité pour ceux à qui on l'accorde ; seule la prière persévérante peut réussir à chasser le démon qui habite en nous. . . Lorsque les démons sont chassés par la prière, survient alors l'Esprit très Saint qui manifeste sa présence d'une façon sensible et visible, libérant le corps du mouvement des passions et affranchissant complètement l'âme qui n'est plus inclinée vers le mal. De la sorte, il n'est plus nécessaire par la suite de jeûner pour mater le corps, ni de se soumettre à un enseignement qui montre à marcher dans la bonne voie. Celui qui a obtenu ce don, non seulement est affranchi des mouvements incontrôlés du corps, mais il prévoit clairement l'avenir et voit de ses yeux la Trinité divine." (Histoire ecclésiastique IV, 10)

Macaire est loin de ces extravagances ; il corrige fréquemment ces messaliens grossiers. Il y a certes dans ses oeuvres des tendances messaliennes, mais très modérées, et si l'on y trouve même des coïncidences textuelles, celles-ci sont à lire dans le contexte général de l'ensemble de l'oeuvre qui est équilibrée. Partout la position de Macaire est très nuancée, modérée et modératrice au sein du mouvement messalien au sens large.



3) Son oeuvre
L'oeuvre de Macaire consiste en une centaine de discours ou homélies réparties dans quatre grandes collections grecques et une collection arabe ; mais la majorité des lettres figurent dans plusieurs collections à la fois. La collection II, les Cinquante Homélies, est la plus connue ; elle a été traduite par les éditions Bellefontaine, avec un supplément de 7 autres homélies. "Sources Chrétiennes" ont publié les homélies propres à la collection III. Dans la "Philocalie des Pères neptiques" N° 5 (ed. Bellefontaine), nous avons 150 chapitres paraphrasés de la collection IV.

La "Grande Lettre" dont nous avons parlé est la première pièce de la collection I et de la collection IV. Ayant déjà traité de l'Hypotypose de Grégoire, reprise de la "Grande Lettre", nous ne donnerons dans les "Textes" que des extraits des Homélies.

Les citations seront signalées par le N° de la collection (II ou III) le N° de l'Homélie et celui du paragraphe.





II. LA DOCTRINE

Dès le premier contact avec les oeuvres de Macaire, on est frappé par trois traits assez caractéristiques :

Une insistance sur le mal considéré comme une entité qui est là et qu'il faut combattre : d'où le thème du combat spirituel partout présent. Macaire s'oppose au "manichéisme en affirmant la liberté de l'âme, mais il a subi l'influence de ce mouvement et, comme les messaliens, il est marqué par la hantise du mal" (V. Desprez S.C.275, p. 55)

Une deuxième insistance sur la prière orientée vers le Christ et vers l'Esprit.

La place de l'Esprit dans l'oeuvre de Macaire en est la troisième caractéristique, trait qui l'apparente aux Syriens, surtout lorsqu'il présente l'Esprit comme une "Mère". Nous reparlerons de ces points en les illustrant par des textes.



1) Un cadre cénobitique.
La doctrine du Pseudo-Macaire se situe dans un cadre cénobitique léger. Comme Basile, sauf dans l'Homélie 56, il préfère au mot "moine" celui de "chrétien" ou "frère". La charité est la base de l'harmonie demandée aux "frères". Ceux-ci, se séparant du monde, renoncent au mariage : deux expressions synonymes chez le Pseudo-Macaire, qui ont une finalité spirituelle. L'organisation de la communauté semble assez souple, en fonction des besoins de chacun des frères, différents en âge, en tempérament, en expérience et en charismes. Chacun doit concourir selon son talent au bien de tous (Texte 1). On devine d'après ce texte, fort beau et toujours actuel, que dans la communauté de Macaire certains frères avaient sans doute une part de prière assez grande, mais pouvaient s'en prévaloir pour mépriser les autres.

La suite du texte affirme : "Ce qui importe par-dessus tout, c'est la constance dans la prière". Mais Macaire n'oublie pas que celle-ci est conditionnée par le renoncement intérieur ; il continue : "On doit engager le combat et faire la guerre dans ses pensées. Ailleurs il montre qu'il faut renoncer à son âme en se livrant complètement à Dieu, ce qui se fera pratiquement par l'obéissance : être "comme un esclave acheté" (Grande Lettre).

L'Homélie 56 est consacrée, elle aussi, à la vie monastique. Macaire commence par donner les deux sens du mot "moine" : seul extérieurement et seul intérieurement : "Que son intellect devienne moine en lui-même, seul devant Dieu et n'admettant plus les pensées qui proviennent du mal". Puis il affirme que la purification du coeur que cela suppose, vient du libre choix de l'homme et qu'il faut pour cela apprendre ce que veut dire : "Prends ta croix et suis-moi". Viennent les thèmes chers aux Pères du Désert la patience, l'amérimna, la nepsis qui permettent d'atteindre la prière qui nous donnera la charité. Il termine en décrivant les vicissitudes de la grâce dans l'âme (Texte 2).

L'Homélie III, 10, 4 souligne le sérieux de la vie consacrée. Il ne s'agit pas de porter un habit, mais d'acquérir un coeur nouveau, condition pour être divinisé (Texte 3).



2) Anthropologie

a) L'homme

On retrouve évidemment dans l'anthropologie de Macaire les données traditionnelles héritées d'Origène : l'homme est composé de trois parties : corps, âme et esprit (Texte 4). Il est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, et Macaire reprend le principe d'homonymie mis en valeur par l'Alexandrin, il y a deux hommes en l'homme : l'homme extérieur et l'homme intérieur qui ont chacun leurs sens. Pour Macaire le premier est "le vieil homme", le second "l'homme nouveau". Comme Origène aussi, il emploie pour désigner la faculté principale de l'âme, soit le mot "intellect", soit celui de "coeur" pris au sens biblique, surtout dans la collection II. Quant au corps, Macaire s'oppose aux tendances manichéennes et il affirme qu'il n'est pas mauvais en lui-même : il est "la belle tunique de l'âme" , et celle-ci doit se garder de la déchirer par les épines des soucis et de la brûler par le feu de la convoitise (II, 4, 3-4), car le corps est destiné à être transfiguré.
Créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, l'homme a donc une parenté avec Dieu, comme l'avaient relevé les Cappadociens (Texte 5). C'est ce qui fait sa dignité (Texte 6). "Prends conscience de ta dignité", cette exclamation semblable à celle qui, plus tard, jaillira aussi du coeur de saint Léon, se retrouve encore ailleurs : "Connais ta noblesse, ô homme, ainsi que ta dignité et ta valeur : tu es un frère du Christ, un ami du Roi, l'épouse de l'Epoux céleste" (II 27, 1). Cependant il n'y a rien de commun entre les natures de Dieu et de l'homme (III 26, 8 - ci dessous p. 120).


Mais l'homme est tombé, Adam d'abord et nous ensuite (Texte 7). La suite du texte montre que le Christ vient pour restaurer l'image déchue : "Il rénove et réforme une image céleste et produit une âme nouvelle. Ainsi Adam retrouve sa royauté sur la mort et sa seigneurie sur la création". Comme chez les Pères grecs, l'Incarnation est le moyen de notre salut, car en assumant notre nature, en prenant notre corps, le Seigneur les mélange à son Esprit divin pour que notre nature reçoive "l'âme céleste" (II, 36, 6). Le salut est donc procuré par le contact de la divinité et de l'humanité. Par son corps qui entre en contact avec la mort, le Christ-Dieu détruit la mort : "C'est au moyen d'un corps mort qu'a été mis à mort notre ennemi" (II, 52, 2). Mais nous avons à coopérer à ce salut. D'abord en croyant pour être guéri (Texte 8), puis en pleurant pour recevoir l'Esprit (Texte 9). (Voir aussi III 26, 3, 5, ci-dessous).

b) Le combat spirituel

C'est dans cette condition d'homme tombé, racheté par le Christ, que s'insère le combat spirituel, car le Christ lui-même a du combattre pour racheter le péché (Texte 10). Sur ce thème du combat spirituel, partout présent dans son oeuvre, Macaire dépend encore d'Origène. Mais si chez Origène, l'âme de l'homme pouvait, du fait de sa liberté, acquiescer soit à l'attrait de la chair, soit à celui de l'Esprit, chez Macaire qui chosifie le mal, l'homme est entre la grâce et le mal ; son libre arbitre le fera pencher vers l'un ou vers l'autre. L'homme doit donc se faire violence (Texte 11). Mais pour mener ce combat, le discernement est indispensable (Texte 12). Si l'homme combat de son mieux, s'il se fait violence, Dieu lui donnera le fruit de ses efforts (Texte 13).

L'Homélie 5 dont nous donnons le schéma ci-dessous, insiste sur le rôle de l'ascèse et du combat spirituel dans la vie du "chrétien".

Homélie II, 5 : Le vrai chrétien

1-3 Les gens du monde sont complexes, agités par des pensées incessantes et tumultueuses, par la crainte, la peur, des troubles, des désirs.
4-5 Au contraire, après bien des luttes et du temps, les chrétiens sont parvenus à la stabilité, à l'absence de trouble. Ils sont en repos.
6 La rosée de l'Esprit s'est infiltrée en eux, leur coeur a été blessé d'amour pour le Roi céleste, le Christ. Tendus vers lui, ils se libèrent de tout amour du monde, rompent tout lien terrestre.
7 Mais il y en a peu qui rompent ainsi tout lien avec le monde.
8-9 Il faut pour cela renoncer à ses volontés propres, se renoncer soi-même.
10 Car notre amour est notre poids.
11 Si l'on aime ce qui est terrestre et charnel, cet amour nous enchaîne et nous empêche de prendre notre essor vers Dieu.
12 Au contraire, si l'âme dirige vers Dieu tout son amour, se renonce, elle traverse toutes les peines et les épreuves.
13 Car notre amour est un poids : il alourdit ou allège selon ce qu'on aime : les choses de la terre ou celles du ciel.
14-17 Différents exemples montrent que la nudité, le dépouillement sont facteur de salut.
18 Conclusion : n'aimer que Dieu seul, se dépouiller de tout amour terrestre.
19 D'où nécessité de l'ascèse, alors que nous voudrions les récompenses sans fatigue.
20 Dans les épreuves, les souffrances supportées avec patience et foi, sont cachées la gloire et la réintégration dans les biens célestes.
21 Car par le combat spirituel, la pratique des vertus, la foi, nous nous constituons une maison céleste en remplacement de la maison de notre corps. Cette maison, c'est la vertu du Saint-Esprit habitant en nous.
22 Combattons donc pour ne pas être trouvés nus quand nous nous dévêtirons de notre corps, mais participant au Saint-Esprit, revêtus des trésors que nous recueillons maintenant. Les arbres qui se revêtent de feuilles et de fleurs au printemps, sont une image des chrétiens à la résurrection.
23 C'est pourquoi, pour le vrai chrétien, le mois d'avril est le premier des mois, car c'est le temps de la résurrection où les corps seront glorifiés par la force du Saint-Esprit qui les habite dès maintenant.
24 Moïse préfigurait la gloire dont l'Esprit revêtira le corps des saints.
25 A la résurrection, nous aurons les ailes du Saint-Esprit qui nous emporteront là où l'Esprit le voudra
26 D'où le bienfait de l'ascèse qui nous fait participer à la gloire et à la sainteté de l'Esprit.


c) Les vertus, l'humilité

Le combat spirituel est facteur de croissance et permettra de vaincre les vices et d'acquérir les vertus. Toutes les vertus se tiennent ; ce thème stoïcien, bien présent chez Basile se retrouve aussi chez Macaire (Texte 14). Les vertus sont l'opposé des vices. Comme chez les Pères du Désert, le plus difficile à vaincre est l'orgueil. D'où la place toute spéciale donnée à la vertu d'humilité. Macaire y revient souvent. L'humilité est une affaire de bon sens (Texte 15). Elle est la marque du chrétien (Texte 16). L'humilité se traduit souvent par les larmes qui sont la nourriture de l'âme et marque de son désir (Texte 17). Un beau texte résume assez bien cette démarche de l'homme : la foi, l'obéissance par l'ascèse, le combat spirituel, doit aboutir à l'humilité (Texte 18).




3) Le Christ et l'Esprit-Saint

La plupart du temps les deux sont en relation dans la pensée de Macaire.

a) Le Christ

Nous avons parlé plus haut de l'Incarnation. Si le Christ vient nous sauver, c'est pour nous apporter l'Esprit qui nous configurera à la personne du Christ. Le langage de Macaire n'est pas strictement théologique, même si, au début de la Grande Lettre, il émet une profession de foi proche de celle de Constantinople (381) et, à l'occasion, exprime une christologie juste en nuancé (I, 10, 4). Il veut surtout éveiller l'amour du Sauveur et le désir de l'imiter. C'est en effet, pour que nous puissions l'imiter que le Christ s'est incarné et s'est "mêlé" à ses créatures (Texte 19). Cette Incarnation se reproduit actuellement dans les âmes qui cherchent le Christ (Texte 20). On voit par ce texte que pour parler du Christ qui s'adapte aux besoins de chacun, Macaire reprend les "épinoïai" d'Origène. C'est ainsi que le Christ naît spirituellement dans l'âme (Texte 21). Par sa Passion, il va trouver la mort, discute avec elle, et lui arrache les âmes (III, 11). Cette Passion est, elle aussi, offerte à notre imitation (Texte 22).



b) L'Esprit-Saint

On est frappé, en lisant les Homélies, par la place qu'y tient l'Esprit-Saint, et par son lien avec le Christ. C'est un trait qui apparente Macaire aux Syriens. Les images pour décrire son action sont multiples. une des plus fréquente est celle des ailes. "Ces ailes, les âmes des saints les possèdent dès maintenant pour s'envoler par l'intellect vers les pensées célestes" (II, 5, 25). A la résurrection, elle "recouvrira et revêtira les corps nus et les enlèvera au ciel" (id.). Autre image à saveur platonicienne : "Les âmes saintes sont poussées et dirigées par l'Esprit du Christ qui tient les rênes" (II, 1, 9). L'Esprit est aussi une nourriture céleste, un sel et un levain céleste (II, 24), un trésor céleste, une lumière céleste. Il est un vêtement, car l'âme est pauvre et nue quand elle est privée de la communion avec l'Esprit (II, 18, 3 et ailleurs). Cet Esprit bon et ami des hommes est à la fois une rosée (II, 5, 6) et un feu qui nettoie les épines (II, 15, 53).
C'est lui qui nous enseigne la vraie prière : il rassemble nos pensées dispersées les élève vers le ciel, devient comme les ailes de l'âme (III, 18, 2). Il nous apprend l'humilité et vient prier en nous (Texte 23). C'est dans l'Esprit que s'épanouit la vie divine : il nous assimile au Christ, peint en nous l'image du Christ (II, 30, 4-5). Ainsi la communion au Saint-Esprit est tantôt une union à l'Esprit, tantôt une union nuptiale avec le Christ dans l'Esprit. C'est lui qui blesse l'âme d'amour envers le Christ.
Nous donnons ici, à titre d'exemple le schéma de l'homélie 18 : "Le trésor de l'Esprit".
Une caractéristique de Macaire à propos de l'Esprit, est de le présenter comme une Mère, ce qui montre encore mieux sa dépendance de la spiritualité syrienne. En plusieurs endroits de la collection II, il dépeint le chrétien comme un enfant (15, 26) et même un tout-petit (31, 4 ; 45, 7) qui appelle sa maman (Texte 24).
Or dans la collection III, cette maman est l'Esprit-Saint. Le sujet est traité largement dans l'Homélie 27. Après un passage très semblable au texte 24, où il présente l'âme comme un tout-petit qui ne peut pas grand chose sinon appeler sa maman, Macaire continue (Texte 25)


Homélie II, 18 : Le trésor de l'Esprit


1 Le Christ et l'Esprit sont en nous un trésor qui nous permet de pratiquer toutes les vertus et d'augmenter ainsi nos richesses
2 Prions Dieu de nous donner ce trésor de son Esprit sans lequel nous sommes indigents et nus.
3 C'est la possession de ce vrai trésor, le Seigneur, qui nous permet de produire les fruits de l'Esprit, d'accomplir toute justice, d'observer tous les commandements.
4 Exemple du riche qui a tout à sa disposition pour donner un banquet, et du pauvre qui doit tout emprunter et rendre ensuite, et qui, lorsqu'il a rendu, se retrouve pauvre comme avant.
5 Aussi, ceux qui sont riches du Saint-Esprit puisent dans leurs propres richesses pour faire du bien aux autres. Mais celui qui en est pauvre emprunte les biens du spirituel et après avoir parlé, reste pauvre et nu. Il n'est ni réjoui, ni rempli d'allégresse par l'Esprit.
6 C'est pourquoi nous devons demander à Dieu de nous faire trouver dans nos coeurs sa propre richesse, le vrai trésor du Christ avec la force de l'Esprit. Après l'avoir trouvé, nous chercherons à être utiles aux autres en expliquant les mystères célestes.
7-9 Ceux qui portent en eux le Christ qui les illumine et leur donne le repos, sont dirigés par le Saint-Esprit, par la grâce agissant en eux. -- Description de ces actions de l'Esprit dans l'âme : banquet - repos de l'épouse dans les bras de l'Epoux - agilité des anges - divine ivresse - don des larmes - allégresse intense - ardeur combative - repos - possession de la sagesse.
10 L'âme mélangée à l'Esprit devient toute lumière, tout oeil, tout esprit, toute joie, toute suavité, toute allégresse, toute charité, toute compassion, toute bonté et toute douceur.
11 Supplions Dieu qu'il nous accorde le repos et que nous puissions parvenir à la plénitude de l'âge du Christ.



4) La prière

D'après ce dernier texte, la prière est un cri vers Dieu, donc un désir. Mais nous connaissons assez Macaire à présent, son insistance sur l'ascèse, le combat spirituel, pour nous douter que la prière ne sera pas coupée des oeuvres dans sa pensée. Dans sa Grande Lettre, Macaire la présente comme étant le sommet des vertus : "Le sommet de tout zèle vers le bien et la cime des pratiques vertueuses, c'est l'assiduité dans la prière, grâce à laquelle nous pouvons obtenir chaque jour le reste des vertus en les demandant à Dieu". Ce cri vers Dieu qu'est la prière, nous explique ce texte 25 dont on trouve l'équivalent en bien d'autres endroits des Homélies, attire l'Esprit qui donne le secours de sa grâce pour accomplir les vertus. Aussi Macaire combat-il les messaliens grossiers qui pensent que la prière suffit et dispense des oeuvres (Texte 26). Il réprouve aussi ceux d'entre eux qui pensent que la prière doit s'extérioriser par des cris extérieurs. Il leur montre au contraire qu'il faut bannir ces extériorisations qui ne peuvent que gêner l'entourage et que l'essence de la prière réside dans l'attention intérieure (Texte 27). Dans le texte suivant, Macaire distingue deux recueillements, l'un que l'on pourrait dire actif, dû aux efforts de l'âme, et un autre, récompense de ces efforts, produit de façon passive par l'action de Dieu. Nous l'avions déjà vu dans le Texte 13 ; voici encore reprise la même idée (Texte 28).

Tout peut aider à la prière : la constatation de notre misère et de notre pauvreté (Texte 29) comme la contemplation des réalités naturelles (Texte 30). Pour une âme purifiée, tout devient pur et tout ramène à Dieu (Texte 31). On arrive alors à la prière continuelle, une continuité du souvenir de Dieu (Texte 32),

Purifiée, l'âme devient apte à recevoir la prière de l'Esprit en elle. C'est alors un degré supérieur de la prière que Macaire distingue de la prière "naturelle" et qu'il appelle "la vraie prière". L'Esprit y enseigne directement à l'âme les mystères de Dieu (Texte 33).


5) Les sommets

Quand il nous décrit ces hauts degrés d'union mystique, il y a chez Macaire des accents de confidence personnelle (Texte 34). Il nous explique dans l'Homélie 17 que les amis du roi, habitués aux moeurs du palais royal, ne sont pas déconcertés quand ils deviennent rois. "De même les chrétiens qui s'apprêtent à régner dans le siècle à venir, n'y seront pas déconcertés puisqu'ils ont appris à l'avance à connaître les secrets de la grâce" (4). Il continue (Texte 35).

Mais la perfection n'est pas un achèvement : ces grâces élevées creusent encore plus l'appétit de l'âme, car Dieu est infini, tandis que l'homme est un être fini qui ne pourra jamais épuiser Dieu. Aussi rencontre-t-on chez Macaire le thème de l'epectase, cher à Grégoire de Nysse (Texte 36). C'est qu'il n'y a pas de pire écueil que de dire : "Cela suffit, nous n'avons besoin de rien de plus". Car "le Seigneur est infini et insaisissable, et les chrétiens n'osent dire qu'ils l'ont saisi, mais ils restent humbles et le cherchent jour et nuit". (II, 26, 17). Ou encore (Texte 37).

C'est que nous sommes encore sur terre et cette perfection qu'atteignent ici-bas les saints, n'est qu'un avant-goût des possibilités qui seront offertes aux saints quand, après la résurrection, "les corps ressuscités seront couverts d'un vêtement nouveau, divin, et nourris d'un aliment céleste" (II, 12, 14).

Nous donnons ci-dessous un troisième schéma d'homélie, prise cette fois dans la collection III, où nous retrouvons bien des thèmes signalés dans ce cours.

Homélie III, 26 : la destinée du chrétien


1 L'espérance du chrétien n'est pas pour cette terre. Ce qu'il cherche est plus grand que la terre, plus grand que le ciel. Il s'élance à la poursuite du Bien et du Beau.
2 Ce Bien et ce Beau, c'est le Seigneur, héritage et vie des chrétiens.

Devant lui, l'homme est libre. Dieu lui demande sa foi et son amour.

3 Dieu seul peut nous libérer du péché. Il en libère ceux qui croient en lui et qui l'aiment.

Croire, aimer le Seigneur, cela dépend de toi.

Exemple du malade qui, bien qu'immobilisé, garde son esprit actif pour chercher le médecin. De même, l'âme, même si elle ne peut pas faire grand chose, peut toujours crier vers Dieu.

4 Reprise de l'exemple du malade, mais envisagé dans un autre sens : de même que le malade dont le corps est terrassé par la fièvre, ne peut se livrer aux travaux de la terre, ainsi "l'âme qui a été jugée digne du feu céleste de l'Esprit de la vie et qui est possédée par la puissance du feu divin, est empêché de se livrer aux oeuvres du péché, attirée qu'elle est par son amour et son affection pour l'Epoux divin".

Grandeur de l'âme : à la fois dans le corps et hors du corps, elle est destinée à être la demeure de Dieu, et elle est faite à son image.

5 Retour à l'idée développée en 3, mais en prenant comme exemple un prisonnier. L'âme est emprisonnée. Comme un homme emprisonné ne peut que crier pour qu'on lui ouvre, de même l'âme ne peut que crier vers le Seigneur et attendre la visite de sa grâce.
6 Quand l'âme s'attache au Seigneur, "celui-ci prend pitié d'elle, il l'aime, vient à elle, s'attache à elle", "L'âme et le Seigneur deviennent un seul esprit, un seul alliage, une seule pensée".

L'âme est entrée en possession du Seigneur dans les cieux, et lui a pris possession de l'âme sur la terre.

7 Grandeur de l'âme, créée par Dieu pour être une épouse capable de s'unir à lui et devenir un seul Esprit avec lui.
8 Quelle différence toutefois entre le Créateur et la créature !

Et pourtant Dieu a voulu , dans son amour et se miséricorde infinie, que nous lui soyons unis et associés, que nous soyons son épouse noble et pure, destinée à jouir sans fin de sa présence.





BIBLIOGRAPHIE


* Col. II : Les Homélies spirituelles de saint Macaire, col. Spiritualité orientale N° 40

* * Col. III : Pseudo-Macaire, Oeuvres spirituelles (V. Desprez)

* 150 chapitres extraits de la Collection IV (Philocalie 5, p. 17-85), éd. Bellefontaine.

* Vincent Desprez : Le Pseudo-Macaire dans "Connaissance des Pères" 23-24

* Vincent Desprez : Lettre de Ligugé 191, 193, 251, 254

* * Dictionnaire de spiritualité X, col. 20-42 et Tables, t. 17, col. 420-421.