Textes - 07 - ÉVAGRE
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Arsène 5
Abba Evagre dit au bienheureux Arsène : "Comment se fait-il que nous, avec toute notre culture et notre sagesse, nous n'ayons rien, tandis que ces égyptiens incultes ont acquis tant de vertus ? " Abba Arsène lui dit : "Nous, nous ne retirons rien de notre culture du monde, et ces égyptiens incultes ont acquis les vertus par leurs propres peines".2
Evagre 7
Un jour, aux Cellules, il y eut une réunion au sujet d'une affaire.
Abba Evagre prend la parole. Le prêtre lui dit : "Abba, nous savons que
si tu vivais dans ton pays, tu serais sans doute évêque et chef
de beaucoup de gens. Mais ici, tu résides en étranger". Celui-ci,
rempli de componction, ne se troubla pas, mais dodelinant de la tête,
il répond : "Oui, c'est vrai, Père. Mais j'ai parlé une
fois, et je n'y reviendrai pas une seconde".
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Traité Pratique 8 et 9
8 . . . Telles sont les réalités dont le vêtement est, comme en résumé, le symbole. Et voici les paroles que les Pères leur répètent constamment : la foi, enfants, est affermie par la crainte de Dieu, et celle-ci, à son tour, par l'abstinence ; celle-ci est rendue inflexible par la persévérance et par l'espérance, desquelles naît l'impassibilité qui a pour fille la charité ; et la charité est la porte de la science naturelle, à laquelle succèdent la théologie, et au terme la béatitude.
N'en disons pas davantage pour l'instant sur le saint vêtement et l'enseignement des vieillards.
9 Nous allons exposer maintenant sur la vie pratique et sur la vie gnostique, non pas tout ce que nous avons vu et entendu, mais seulement ce que nous avons appris d'eux pour le dire aux autres. Nous avons condensé et réparti l'enseignement pratique en cent chapitres, et l'enseignement gnostique en cinquante en plus des six cents. Nous avons voilé certaines choses, nous en avons obscurci d'autres pour ne pas donner aux chiens ce qui est saint et ne pas jeter les perles devant les pourceaux". Mais ce sera clair pour ceux qui se sont engagés sur leurs traces.
Traité Pratique 1
Le christianisme est la doctrine du Christ, notre Sauveur. Il se compose de la pratique, de la physique et de la théologie.
Traité Pratique 84
Le terme de la pratique, c'est la charité ; celui de la science, la théologie. Le commencement de l'une est la foi, le commencement de l'autre la contemplation naturelle.
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Traité Pratique 48
Avec les séculiers les démons luttent en utilisant surtout les choses extérieures. Mais avec les moines, c'est le plus souvent en utilisant les pensées, car il n'y a pas beaucoup de choses extérieures dans la solitude.
Il est plus facile de pécher en pensée qu'en action. Aussi le combat intérieur est plus difficile que celui qui se fait par les choses extérieures. Car l'intelligence est quelque chose qu'il est difficile de retenir sur la pente des imaginations interdites.
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Traité Pratique 6
Il y a huit pensées de qui naissent toutes les autres. La première est celle de la gourmandise. Puis vient celle de la luxure. La troisième est celle de l'avarice. La quatrième celle de la tristesse. La cinquième celle de la colère. La sixième celle de l'acédie. La septième celle de la vaine gloire. La huitième celle de l'orgueil.
Que toutes ces pensées troublent l'âme ou ne la troublent pas, cela ne dépend pas de nous. Mais qu'elles restent dans l'âme ou n'y restent pas, qu'elles fassent naître les passions ou ne les fassent pas naître, voilà ce qui dépend de nous.
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Traité Pratique 12
Le démon de l'acédie qui est appelé aussi "démon de midi", est le plus pénible de tous. Il attaque le moine vers la quatrième heure et assiège son âme jusqu'à la huitième heure.
D'abord il fait que le soleil paraît lent à se mouvoir, ou immobile, et que le jour paraît avoir cinquante heures. Ensuite il force le moine à avoir les yeux continuellement fixés sur la fenêtre, à sortir de sa cellule, à observer le soleil pour voir si on est loin de la neuvième heure, et à regarder de-ci, de-là, si un frère ne viendrait pas. En outre il lui inspire du dégoût pour le lieu oùil est, pour la vie qu'il mène, pour le travail manuel. Et de plus, il lui met dans l'idée que la charité a disparu chez les frères, qu'il n'y a personne pour le consoler.
Et s'il se trouve que les jours précédents, quelqu'un a fait de la peine au moine, le démon se sert aussi de cela pour augmenter sa peine. Il l'amène alors à désirer vivre ailleurs, dans un endroit oå il pourra trouver facilement ce dont il a besoin, exercer un métier moins pénible et qui rapporte davantage. Il ajoute que plaire au Seigneur n'est pas une affaire de lieu : Dieu, dit la Bible, peut être adoré partout.
Avec tout cela, il rappelle au moine le souvenir de sa famille et de la vie qu'il menait dans le monde. Il lui met en tête que la vie est bien longue et l'ascèse bien pénible. Bref il fait tout pour que le moine abandonne sa cellule et fuie le combat.
Ce démon n'est suivi d'aucun autre. Mais si l'âme en triomphe, un état paisible et une joie indicible lui succèdent.
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Traité Pratique 57
Il y a deux états paisibles de l'âme : l'un provient des semences naturelles ; l'autre résulte de la retraite des démons. Le premier est accompagné d'humilité et de componction, de larmes, d'un désir infini du divin, et d'un zèle sans mesure pour le travail. Dans le second, la vaine gloire, accompagnée d'orgueil, utilise la disparition des autres démons pour entraîner le moine à sa perte. Celui donc qui observe les limites du premier état, reconnaîtra rapidement les incursions des démons.
Traité Pratique 67
L'âme qui possède l'impassibilité, c'est non pas celle qui n'éprouve aucune passion devant les objets, mais celle qui demeure aussi imperturbable devant leurs souvenirs.
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Traité Pratique 81
La charité est fille de l'impassibilité ; l'impassibilité est fleur de la pratique ; la pratique repose sur l'observance des commandements ; ceux-ci ont pour gardien la crainte de Dieu, laquelle est un produit de la foi droite ; et la foi est un bien immanent, elle qui existe naturellement, même chez ceux qui ne croient pas encore en Dieu.
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Prière 4
Si Moïse, lorsqu'il essaie de s'approcher du buisson ardent, en est empêché jusqu'à ce qu'il eût enlevé ses sandales, comment toi qui veux voir Celui qui est au-dessus de toute pensée et de tout sentiment, ne te dégages-tu pas de toute pensée où la passion a place ?
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Prière 5
Prie d'abord pour recevoir le don des larmes, pour amollir par la componction la dureté de ton âme, et obtenir le pardon du Seigneur en lui confessant ton péché.
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Prière 11
Efforce-toi de rendre ton intelligence sourde et muette, au temps de la prière, et tu pourras prier.
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Prière 15
L'oraison est un fruit de la joie et de la reconnaissance.
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Prière 36
Si tu ambitionnes l'oraison, renonce à tout pour obtenir le Tout.
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Prière 46
Le démon est terriblement jaloux de l'homme qui prie, et il emploie tous le moyens pour lui faire manquer son but. Aussi ne cesse-t-il pas de raviver par la mémoire la pensée des objets et de réveiller par la chair toutes les passions, afin de réussir à empêcher sa course si belle et son départ vers Dieu.
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Prière 54
Qui aime Dieu converse toujours avec lui comme avec son Père, se dépouillant de toute pensée passionnée.
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Prière 55 à 57
55 - Ce n'est pas parce qu'on aura atteint l'apathéia que pour autant on prie vraiment ; car on peut en rester aux pensées simples et se distraire à les méditer, et donc être loin de Dieu.
56 - Et même si l'intellect ne s'attarde pas dans les pensées simples, il n'a pas, par le fait même, déjà atteint le lieu de l'oraison ; car il peut être dans la contemplation des objets et s'occuper à leurs raisons, lesquelles, encore qu'elles soient des expressions simples, néanmoins, en tant que considérations d'objets, impriment à l'intellect une forme et l'écartent loin de Dieu.
57 - Et même si l'intelligence s'élève au-dessus de la contemplation de la nature corporelle, elle n'a pas encore la vue parfaite du lieu de Dieu ; car elle peut en être à la science des intelligibles et partager leur multiplicité.
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Prière 59
Celui qui prie en esprit et en vérité ne tire plus des créatures les louanges qu'il donne au Créateur, mais c'est de Dieu même qu'il loue Dieu.
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Prière 60
Si tu es théologien, tu prieras vraiment, et si tu pries vraiment, tu es théologien.
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Prière 61
Lorsque ton intelligence, dans un ardent amour pour Dieu, se met peu à peu à sortir, pour ainsi dire, de la chair, et qu'elle rejette toutes les pensées qui viennent des sens ou de la mémoire ou du tempérament, se remplissant en même temps de respect et de joie, alors tu peux t'estimer proche des confins de l'oraison.
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Prière 62
Le Saint-Esprit, compatissant à notre faiblesse, nous visite même non encore purifiés. S'il trouve seulement notre intelligence priant avec le désir de l'oraison véritable, il survient en elle et dissipe toute la phalange des raisonnements et des pensées qui l'assiègent, et il la porte à l'amour de l'oraison spirituelle.
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Prière 118
Bienheureux l'intellect qui, dans une oraison sans distraction, acquiert toujours de nouveaux accroissements d'amour pour Dieu.
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Prière 121
Bienheureux est le moine qui s'estime la balayure de tous.
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Prière 122
Bienheureux est le moine pour qui le salut et le progrès de tous est comme le sien, et qui s'en réjouit.
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Prière 123
Bienheureux le moine qui tient tous les hommes pour Dieu, après Dieu.
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Prière 124
Bienheureux est celui qui est séparé de tout et uni à tous.
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Prière 125
Est moine celui qui s'estime un avec tous, par l'habitude de se voir lui-même en chacun.
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Prière 151
L'excellence de l'oraison ne consiste pas dans la simple quantité, mais dans la qualité. C'est ce que prouvèrent les deux qui montèrent au temple, et aussi ces mots : "Vous, lorsque vous priez, ne rabâchez point", et le reste.
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Prière 153
Quand dans ton oraison, tu seras arrivé au-dessus de toute joie, alors seulement tu auras trouvé l'oraison.
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Prière - Conclusion
Voilà le chemin de l'oraison : il part des larmes de la pénitence. Il va par la pratique de toutes les vertus, par le renoncement à tout, et surtout à soi-même, par la douceur et la charité fraternelle, à travers des purifications progressives d'âme et d'intelligence, dans l'abandon absolu à la volonté de Dieu, toujours uniquement occupée à nous conduire au but, malgré les persécutions diaboliques, à vaincre par la patience, en évitant les illusions par l'humilité, à la paix et au repos merveilleux de la contemplation de Dieu.
C'est une émigration en Dieu.
Arrivé au terme de l' "ultime désirable", le contemplatif retrouve en Dieu, par la gnose, d'une manière suréminente et spirituelle, ce que pour la gnose il avait quitté : il est séparé de tout et uni à tout ; impassible et d'une sensibilité souveraine ; déifié et il s'estime la balayure du monde. Par dessustout, il est heureux, divinement heureux.
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Aux moines
La chair du Christ, ce sont les vertus acquises, et celui qui la mange deviendra impassible. Le sang du Christ, c'est la contemplation des êtres, et celui qui le boit sera illuminé par lui. La poitrine du Christ, c'est la science de Dieu, et celui qui repose sur elle, sera théologien.