5 - PACÔME (292-346)
Après avoir étudié le premier des grands ermites : Antoine, donné un aperçu sur l'ensemble des moines et présenté les Règles cénobitiques, nous passons maintenant au premier des grands cénobites : Pacôme.
Cette première forme de vie cénobitique fondée par Pacôme peut être, d'une certaine manière, comparée à un feu de paille. "D'une certaine manière", car c'est vrai, et ce n'est pas vrai !
C'est VRAI en ce sens qu'un feu de paille se propage vite, dégage une forte chaleur et une grande lumière, mais ne dure pas longtemps. De même, le cénobitisme de Pacôme s'est propagé très vite. Il semble bien que dès le début du cénobitisme, il faut parler d'un Ordre, c'est-à-dire d'un ensemble organisé, ayant ses lois et ses structures. Ce qui est assez remarquable ! D'autant que c'était un Ordre très important : Jérôme parle de cinquante mille moines, mais il exagère certainement et le chiffre de dix mille paraît plus juste. Ce qui est tout de même important !
Il a dégagé aussi chaleur et grande lumière, car les moines pacômiens étaient les plus réputés à l'époque. C'était le gratin de la gent monastique, et si l'on avait pas été les voir, car ils habitaient fort loin d'Alexandrie, on faisait comme si on avait été les voir. Par exemple Cassien.
Et enfin, comme un feu de paille il n'a pas duré longtemps : après un essor prodigieux, ce monachisme pacômien connut un déclin rapide. Au début du cinquième siècle, il n'en reste quasiment plus rien !
C'est PAS VRAI en ce sens qu'à la différence d'un feu de paille qui ne laisse que des cendres, l'influence de cette première forme de cénobitisme fut grande dans l'Eglise. Non par sa spiritualité qui était assez pauvre, mais plutôt par son système législatif. Celui-ci a marqué le monachisme postérieur : la Règle Orientale, nous le verrons, est composée à partir des Règles de Pacôme. Quant à notre Règle de saint Benoît, elle est fortement marquée par les Règles pacômiennes : on trouve au moins 20 passages qui le montrent.
Bien mieux, ces Règles de Pacôme ont marqué même des instituts qui se voulaient à l'opposé du monachisme, comme les jésuites !
Qui était Pacôme ? Il n'est pas facile de le voir. Ni par ses écrits, car on a conservé de lui très peu de choses : quelques catéchèses et des Règles, mais il y en a quatre bien différentes, et il est fort probable que ce n'est pas Pacôme qui les a écrites. Ni par sa biographie, car il n'y a pas une vie de Pacôme, mais huit ou neuf, écrites elles aussi par ses disciples. Or très tôt des dissensions se sont produites parmi ceux-ci qui n'avaient pas tous la même optique sur la vie monastique : chaque groupe a écrit une vie de Pacôme pour justifier son point de vue. Chacune de ces vies présente donc le fondateur sous un aspect différent.
Parmi ces huit ou neuf Vies, trois sont plus importantes, car elles nous sont parvenues en entier (ou presque). On les désigne par la langue dans laquelle elles ont été écrites : la Vie bohaïrique, la Vie saïdique (ces deux langues étant des dialectes du copte) et la Vie Grecque. Des autres nous n'avons que des fragments.
Egyptien comme Antoine, Pacôme n'est pas né chrétien comme lui, mais païen. Il voit le jour en 292 dans une famille de paysans aisés, à Sneh sur le bord du Nil, un peu plus haut que Thèbes. Il a au moins un frère et une soeur dont les Vies nous font connaître l'existence.
L'Egypte est alors sous la domination romaine, et en 312 l'empereur Maximin Daïa a besoin de soldats pour faire la guerre contre Licinius. En ce temps-là, quand on n'avait pas de soldats, on en prenait : on enrôlait les gens de force. Des soldats arrivent donc dans le village de Pacôme et le prennent avec d'autres jeunes. Il a vingt ans et le voilà bon pour le service, malgré lui. En route donc vers Alexandrie ! Comme des prisonniers, lui et ses compagnons sont embarqués sur le Nil et ils descendent jusqu'à Thèbes, la première grande ville où l'on fait étape pour la nuit. Les soldats conduisent les conscrits dans la prison de la ville, et là, les chrétiens viennent leur apporter de la nourriture et des secours (Texte 1) .
Pacôme le païen, est touché de cette charité active des chrétiens. Cela le marquera pour toute sa vie : le chrétien sera pour lui celui qui fait du bien à tous. Cette pensée qui s'impose à lui en ce moment, influera aussi sur sa conception de la vie monastique où la notion de service de Dieu et des frères aura une très grande importance.
La guerre étant finie, Pacôme est relâché à Antinoé. Il remonte le Nil, mais ne rentre pas chez lui. Il veut servir Dieu et, comme Antoine, il s'installe aux abords d'un village (Senesêt) où il est baptisé vers 313. Conformément à une promesse qu'il avait faite de servir le genre humain, il rend tous les services possibles aux gens des alentours. Puis comme Antoine aussi, il se fait disciple d'un ascète qui vivait aux alentours du village (Texte 2) . Et, comme Antoine encore, il subit bien des tentations. Le fondateur de la vie cénobitique n'a donc pas la pensée d'innover : il commence comme Antoine avait fait. Mais Dieu a d'autres vues.
Vers 320, Pacôme quitte Palamon pour habiter dans un village abandonné qui s'appelle Tabennêse, toujours dans l'optique d'y vivre une vie d'ermite. Son frère Jean vient l'y rejoindre. Et voici qu'une nuit, Pacôme a une vision : Dieu intervient (Texte 3) . Dans les jours suivants, un différent surgit entre les deux frères. Jean veut rester fidèle à la perspective anachorétique et continuer à vivre dans leur petite cellule, tandis que Pacôme après sa vision, veut construire un monastère.
De fait, des gens viennent. Pacôme avait le don de rassembler autour de lui les hommes, "par suite de sa bonté", disent les Vies. Des jeunes viennent donc près de lui, il les instruit, et fidèle à son dessein du début, il les sert (Texte 4) .On voit comment la première expérience qu'a fait Pacôme de la charité des chrétiens a marqué sa vie : il veut servir. Tant que les novices sont de bons novices, cela marche : les jeunes, stimulés par son exemple, demandent à prendre leur part du travail : "Vivons et mourrons avec cet homme, disent-ils, puisqu'il nous guide tout droit vers Dieu". Mais d'autres personnes moins bien disposées vont venir et cela va se gâter. Pacôme subira un échec d'où il tirera une leçon (Texte 5) . La leçon sera qu'un monastère n'est pas une coopérative, et que pour faire une communauté, il faut lui donner un système économique capable de la souder. Lors de son premier essai, Pacôme, fidèle aux lumières reçues à sa conversion, s'était fait le serviteur de tous, recevant en retour de quoi payer la nourriture de ceux qui venaient à lui. Il leur avait fait la règle suivante : chacun devait se suffire à soi-même et administrer ses propres affaires, mais il fournissait sa part pour tous les besoins matériels, soit pour la nourriture, soit pour celle des hôtes. Les frères apportaient donc à Pacôme leur part, et lui s'arrangeait avec. En fait c'était le régime d'une pension de famille, il n'y avait pas communauté de biens.
Après son échec, Pacôme comprend que pour qu'il y ait une communauté solide, il faut que tout soit mis en commun. Dès lors il part sur une autre base et demande à ceux qui viennent à lui de renoncer à leur famille et à leurs biens pour suivre le Sauveur. Il leur propose comme moyen d'aller à Dieu : mener la vie commune (en grec Koino-bios) , faire une Koinônia, une communauté.
A partir de ce moment, la Koinônia de Pacôme démarre vraiment et très vite. La carte ci-contre représente la partie du Haut-Nil où a vécu Pacôme : Sneh, son village natal, Thèbes la capitale où il fut emprisonné, Antinoé où il fut libéré. On y voit aussi les monastères qu'il a fondés (en italique) , tout un chapelet des fondations dans cette Haute-Egypte, situées sur les bords du Nil pour profiter de la terre cultivable : les quatre premières très rapprochées dans le temps et l'espace, sont numérotées : Tabennêse la première, Phbôou la seconde, où se transporta le gouvernement central de l'Ordre. Les croix signalent les communautés de moniales.
Pacôme meurt en 346, lors d'une épidémie de peste, à l'âge de 54 ans seulement.
Sa succession fut très difficile : des clans se formèrent, opposant un groupe d'anciens à la nouvelle génération, . . . et c'est à qui prendra le pouvoir ! Deux disciples de Pacôme, deux grandes figures : Théodore de l'ancienne génération et Orsièse, de la nouvelle, sont pendant un temps à la tête de cet Ordre immense. Après la mort de Théodore en 368 et celle d'Orsièse en 387, tout s'effondre. Il y a bien un essai de réforme : les moines blancs de Shnoudi (ou Chenoute) , mais ce fut peu glorieux. Cet abba brutal savait mieux manier le bâton que la carotte, et il découragea les bonnes volontés.
Heureusement, en 404, Jérôme, alors à Bethléem, traduit en latin les quatre Régles, 11 épîtres de Pachôme, une de Théodore et le livre d'Orsièse. Grâce à ces traductions l'expérience pacômienne laissera ses traces en Occident
III. RÈGLES ET ORGANISATION DE LA KOINONIA
Nous avons remarqué lors de notre survol, au début de notre voyage touristique, que le monastère pacômien est un véritable petit village défendu des rapports avec l'extérieur par un mur énorme qui n'a qu'une seule porte. A cette porte, un portier filtre les arrivants. Donc ceci met une distance par rapport au monde extérieur et fait du monastère un petit monde à part. En fait, le plan du monastère évoque les camps militaires que Pacôme avait connus, étant soldat.
Et c'est un petit monde remarquablement organisé. Dans chaque maison de ce petit village vivent environ quarante frères qui exercent le même métier : il y a la maison des boulangers, la maison des cuisiniers, la maison des cordonniers, la maison des scribes, etc. Ces quarante frères vivent sous l'autorité d'un chef de maison, un "préposé", aidé d'un "second".
Trois ou quatre maisons forment une "tribu", et un monastère est composé de 10 "tribus". Or 30 ou 40 maisons dans lesquelles vivent environ 40 frères, cela fait plus de mille moines par monastère (1200 à 1400)
Sont à la tête de chaque monastère un abbé et un ou deux économes. Et il y a 9 monastères d'hommes et 3 de femmes. Car sous la direction de Pacôme, sa soeur Marie a fondé un monastère pour les vierges, près de Tabennêse. Deux autres suivront, l'un près de Tsmin, l'autre près de Phbôou. Tout y était bien réglementé là aussi : les soeurs avaient une copie des Règles des frères. Un aumônier : Pierre était à leur disposition pour leur apporter aide spirituelle (Texte 6) .
Ces 12 monastères forment un Ordre gouverné par un Abbé Général, Pacôme, et un Econome Général, résidants à Phbôou. Chaque année, tous les moines se réunissent à Phbôou pour célébrer la fête de Pâques, et en août pour tenir une sorte de chapitre des coulpes et de réconciliation.
Cette structure de tout l'Ordre laisse entrevoir que la vie de la Koinônia se déroulera sous un Abbé, lequel sera représenté dans chaque maison par un préposé. Vie sous un Abbé, mais aussi sous une Règle. Pacôme avait déjà mis par écrit quelques préceptes tirés de la Bible. Au fur et à mesure que l'Ordre se développe, il faut préciser certains points, élaborer des lois. Ceci a donné lieu à 4 séries de préceptes que l'on appelle les "Règles de Pacôme", bien que très probablement elles n'aient pas été écrites par Pacôme lui-même. Y a-t-il un ordre de formation dans ces écrits ? C'est possible, mais cet ordre n'est pas évident et les avis de ceux qui se penchent sur cette question diffèrent.
Ce sont : | Les Préceptes (la partie la plus longue),
Les Préceptes et Institutions, Les Préceptes et Décisions, Les Préceptes et les Lois. |
On voit d'après cet énoncé que ce sont là des recueils de commandements à faire. Ces premiers règlements écrits pour une communauté sont des "us" avec très peu de spiritualité. Pourtant le fait qu'ils aient pour but d'actualiser l'Ecriture et qu'ils soient remarquables par leur mesure, exempts de toute exagération, leur a valu un large écho dans la postérité. Saint Benoît en a repris bien des points dans sa Règle.
IV. LA SPIRITUALITÉ PACÔMIENNE
Ces 4 règles sont donc des recueils de prescriptions assez secs, ayant pris l'Ecriture comme base, mais d'une théologie assez rudimentaire, comportant peu de spiritualité. Pourtant de leur ensemble, des Vies et des autres écrits, on peut tout de même dégager les traits d'une spiritualité pacômienne.
1) Un double aspect
Pour bien la comprendre replaçons-nous dans les conditions de sa genèse. Pacôme naît 30 ans après Antoine, meurt 10 ans avant lui. Celui que l'on peut considérer comme le fondateur du premier cénobitisme prend donc son départ en milieu anachorétique. Le cénobitisme n'est pas encore normalisé, tandis que le monachisme anachorétique, illustré par Antoine a déjà toute une histoire en Egypte. Pacôme, comme tous ceux qui alors veulent se faire moines, se forme près d'un ermite. Par la suite, son différent avec son frère Jean vient de ce que celui-ci veut garder la solitude anachorétique, tandis que Pacôme, fidèle à la voix entendue, veut construire pour d'autres.
Ce contexte de la naissance de ce qui sera un Ordre cénobitique en milieu anachorétique permet d'entrevoir à la racine du pacômianisme deux aspirations contraires qu'il va falloir faire cohabiter en bon accord : d'une part, comme chez les Pères du Désert, le souci de la perfection individuelle, chacun cherchant sa voie selon son tempéramment et les appels de la grâce, et d'autre part l'aspect de mise en commun requis par le cénobitisme.
La solution trouvée par Pacôme, fidèle aux intuitions reçues, sera que chacun se perfectionne soi-même en servant autrui. Il est convaincu en effet, que nulle perfection individuelle n'est réalisable sur terre ; cet idéal de perfection ne peut être réalisé que par la communauté des frères : la sainte Koinônia, qui apporte une aide réciproque dans le combat spirituel.
On a donc ici un premier aspect paradoxal par lequel la spiritualité pacômienne réunit des contraires : la perfection personnelle s'opère dans la communauté, par le service des frères.
Un autre aspect paradoxal tient à la forte personnalité de Pacôme. Dans la Koinônia pacômienne, s'adressant fortement à des cénobites, on va trouver quelque chose qui marquait l'anachorèse de Basse-Egypte où le débutant était formé par un ancien. Pacôme était en effet un homme qui attirait les gens, quelqu'un sur qui reposait l'Esprit. C'est le désir de se mettre à l'école d'un tel homme qui est à l'origine du rassemblement de tous ces moines autour de Pacôme. Donc d'un certain côté, comme dans le monachisme de Basse-Egypte, on trouve là un cénobitisme vertical, car ce qui caractérise le moine pacômien, c'est d'avoir Pacôme pour Père (Texte 7). Et même plus tard, lorsque l'Ordre prend des dimensions gigantesques, c'est toujours Pacôme le Père, mais par l'intermédiaire du chef de monastère choisi par Pacôme. Dans le concret, cet aspect vertical se traduit par toute cette organisation hiérarchique que nous avons vue.
Et pourtant il faut maintenir l'autre aspect : la spiritualité pacômienne est une spiritualité de la communauté. Et l'on a là un cénobitisme horizontal. Pacôme dont la conversion a été due à la charité agissante des chrétiens de Thèbes, est hanté par le souvenir de la communauté primitive de Jérusalem où l'on mettait tout en commun. Sa vocation, confirmée par le ciel, est de "rassembler tous les hommes". Il sera le Père de la communauté autant et plus que le Père de ses moines. La communauté de service mutuel, la sainte Koinônia, aura une place très importante dans la spiritualité pacômienne. Elle sera l'expression de la charité en acte.
De fait, la charité, fondement de la vie du chrétien, est aussi à la base de l'édifice législatif de Pacôme : on lit au début des Préceptes et Décisions : "La plénitude de la Loi c'est la charité". Celle-ci ayant pour double objet Dieu et les frères, la spiritualité pacômienne se développera selon les deux axes : union à Dieu et union aux frères.
D'abord l'union à Dieu. Pacôme était un homme animé par l'Esprit, un homme de prière capable de rester en prière toute une nuit, et même plusieurs. Bien des passages des Vies en témoignent. Par exemple : (Texte 8). Aussi attache-t-il une grande importance à l'union à Dieu. Pour la favoriser les Règles insistent surtout sur l'Ecriture et l'Office commun. Sans oublier l'ascèse, car Pacôme, en homme pratique et expérimenté, sait bien que cette rencontre avec Dieu ne peut se réaliser sans un renoncement à tout ce qui n'est pas Dieu : le monde et ses proches, et plus profondément, sans le renoncement à sa volonté propre, source du péché. Tous ces éléments sont à prendre en compte : ils contiennent l'essence de la conversion monastique.
A) L'Ecriture.
Prière et lecture de la Bible sont liées dans la spiritualité pacômienne. A cette époque les gens avaient une très grande mémoire. Dès son arrivée au monastère le novice doit d'abord apprendre à lire ; ceci dans le but d'apprendre par coeur certains passages de la Bible de façon à pouvoir les méditer (Texte 9). "Méditer", dans ces premiers temps, ce n'est pas réfléchir sur un texte, mais plutôt le ruminer, soit par une récitation de mémoire, soit par une lecture à mi-voix. Le moine pacômien doit méditer la Parole de Dieu à toute heure, en se rendant à l'office, au réfectoire ou à sa cellule, en allant au travail et en travaillant (Texte 10).
L'Ecriture est la Règle de vie du moine pacômien. Elle est commentée trois fois par semaine par ses divers supérieurs, et après avoir écouté leurs explications, il partage avec ses frères ce qu'il en a retenu, avant d'entrer dans sa cellule pour la méditer. Les Vies de Pacôme nous ont conservé sous manière imagée, l'impression profonde que produisait sur les frères la parole de Pacôme lorsqu'il commentait l'Evangile (Texte 11).
B) L'Office divin.
Il comportait deux réunions à l'église appelées "synaxes" (de sun = avec, et ago = aller), une de jour, et une de nuit, sans doute assez longues ; de plus le soir il y avait une réunion de prière, mais cette fois non plus à l'église mais dans chaque maison.
Les deux grands offices à l'église étaient très simples et même rudimentaires, peu différents de la prière privée : on y récitait des psaumes ou des passages de l'Ecriture que l'on faisait alterner avec des Pater et des prières silencieuses. Ils duraient longtemps, mais on n'y restait pas oisif : les mains s'occupaient à un travail léger comme tresser des cordes ou faire des nattes avec des joncs ; les Règles en témoignent (Texte 12).
Mais bien que simples, ces offices avaient pour les pacômiens une grande importance : c'était une communion dans la prière qui prenait pour eux une valeur toute spéciale. Leur foi était grande en effet dans la parole du Seigneur : "Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux".
La prière du soir, dite à la maison, était plus simple : six psaumes et six oraisons. Voici en quels termes les Règles en parlent (Texte 13).
3) Union aux frères : la Koinônia
KOINÖNIA Principe théorique : image de la communauté chrétienne primitive Principe pratique : mise en commun des biens - de sa personne même régime de vie pour tous Symbole mur de clôture avec porte unique Obéissance travail Conséquences Pauvreté et partage Pardon mutuel |
Cette communion des pacômiens dans la prière devant Dieu montre bien ce qui est à la racine de la communauté voulue par Pacôme : une unité des frères à l'image de la communauté chrétienne primitive.
Dans la pratique, cette racine se manifestera par la mise
en commun des biens et les diverses conséquences qui en découlent.
Le symbole en est le mur de clôture où il n'y a qu'une porte bien gardée. Ce mur délimite deux mondes : le monde extérieur et celui de la vie en commun, de la Koinônia. Nous avons vu qu'après sa pénible expérience du début, Pacôme exigera de tout postulant la mise en commun des biens : c'est à prendre ou à laisser.
Et il ne s'agit pas seulement de la mise en commun des biens matériels, mais de la mise en commun de sa propre personne en se mettant concrètement et physiquement au service les uns des autres. Cette idée de service - et même de servitude - est à la base du cénobitisme pacômien et de son organisation en maisons avec chefs de maison et seconds. Cette servitude des frères les uns envers les autres constitue aussi l'expression concrète de leur imitation du Christ qui s'est fait le serviteur de tous. C'est ce service qui fait pour Pacôme la supériorité du cénobitisme sur l'anachorétisme. Idée que Basile reprendra. De même pour le successeur de Pacôme, Orsièse, la vie communautaire est par elle-même "oeuvre de Dieu", Opus Dei.
B) ConséquencesCette mise en commun des biens entraîne donc le service mutuel, mais aussi dans le concret, des observances pratiques :
a) Un même régime de vie
Ceci traduira la volonté d'une recherche spéciale et d'une réalisation de l'uniformité qui sera valable même pour les supérieurs.
b) La pauvreté
La pauvreté exigée par cet idéal de vie aura un caractère de dépossession. La pauvreté pacô-mienne ne sera pas d'abord privation, mais plutôt mise en commun. Elle n'aura pas d'abord une fonction ascétique, mais une fonction communautaire. Elle est le ciment qui consolide la commu-nauté.
c) Le travail
Il vient de la notion de service et il aura pour objet la partage avec les pauvres. Pour Pacôme les biens de la communauté sont avant tout les biens de Dieu. La communauté elle-même, ne possède rien. Le partage avec les pauvres n'est donc pas un acte vertueux, il est normal.
d) L'obéissance
Pour rompre les liens avec l'amour personnel qui nuit à l'amour communautaire, Pacôme insiste sur l'obéissance : ainsi au sein de la communauté, chacun apprend à faire taire ses prétentions personnelles, ses désirs propres. Mais l'obéissance, elle aussi, revêtira un caractère communautaire. Il ne s'agit plus, comme le font ceux qui s'engagent dans la vie anachorétique, de se mettre sous la dépendance temporaire d'un ascète que l'on prend comme maître spirituel pour apprendre à se laisser conduire sur le chemin de Dieu, mais il s'agit d'entrer dans un régime d'obéissance qui vaut par lui-même. L'obéissance n'est donc pas une mise à l'école pour des débutants, mais un chemin d'amour, un état permanent, définitif, du moins sur cette terre.
De cela découlent trois caractères de l'obéissance pacômienne :
1) Chaque supérieur a sa sphère d'autorité prévue qu'il ne peut dépasser.
2) Le commandement ne vient pas d'un charisme, mais d'une désignation pour un temps, par l'autorité supérieure.
3) C'est avant tout à la Règle qu'on obéit. Et la Règle concerne aussi bien les supérieurs que les subordonnés.
Au fur et à mesure que l'Ordre pacômien se développera, la Règle prendra de plus en plus de place. Dans ses écrits Pacôme donne beaucoup d'importance à l'Ecriture et on y lit : "Selon les Ecritures". Mais 40 ans après, dans la Vie de Pacôme, cette expression est remplacée par : "Selon la Règle" !
e) Communauté de pardon mutuel On a là un dernier aspect de la mise en commun des biens : la mise en commun du pardon. Au début, les pachômiens avaient deux assemblées annuelles qui avaient un aspect économique : voir où en étaient les comptes. Assez vite les deux assemblées, surtout celle d'été, deviendront de vastes chapitres des coulpes.
Avec Pacôme nous assistons, dès le début du monachisme, à la naissance d'un Ordre cénobitique véritable, ce qui est assurément remarquable. A la tête de cet Ordre, un personnalité très riche, Pacôme, un homme de prière, un homme sur qui repose l'Esprit, doté de grâces mystiques abondantes. Ainsi nous raconte-t-on qu'un peu avant sa mort, il vit ce qu'était le ciel (Texte 14). Mais c'était aussi un homme humble et qui avait les pieds sur terre ; aussi mettait-il ces visions à leur juste place. Ainsi on lit dans les écrits de Pacôme (Texte 15).
Ce miroir de Dieu qu'il était, Pacôme veut le voir aussi dans la Koinônia toute entière qui sera elle aussi miroir aux mille facettes de Dieu. Car Pacôme a une haute idée du cénobitisme : il nous la traduit par trois sortes de paraboles, toujours valables pour nous (Texte 16).
Et voilà qu'après la mort de Pacôme, très rapidement tout ce grand corps qu'il avait construit, cette sainte Koinônia, va s'effondrer ! Comment rendre compte d'un déclin si rapide ? Il semble qu'il y ait trois raisons :
La centralisation était trop forte : tout reposait sur un homme d'une personnalité exceptionnelle qui inspirait confiance. Après sa mort et celles de Théodore et d'Orsièse, ses disciples, l'Ordre est désaxé.
Par ailleurs, cet Ordre avait grandi trop rapidement. Tout avait été trop vite. Au début, c'est Pacôme lui-même qui assure la formation des jeunes, mais après il ne le peut plus et ce sont les chefs de monastère ou les chefs de maison. Mais ceux-ci n'ont pas forcément la même valeur que le fondateur et la même sainteté.
Les Règles pacômiennes qui auraient dû assurer l'avenir de l'Ordre, ne sont pas assez soutenues par des bases théologiques et spirituelles. Ce sont des règlements, des prescriptions, fruit de l'expérience du fondateur. Aussi, faute de bases spirituelles, des factions se forment à la mort de Pacôme, avec à leur tête des hommes qui ont chacun sa propre conception du pacômianisme.
Malgré tout, du fait de ce double axe de la spiritualité pacômienne : vertical et horizontal, des traces de l'expérience de Pacôme demeurent dans le monachisme postérieur, et nous en sommes, pour une part, les héritiers.
* Vie de St Pacôme, Col. "Témoins du Christ", N°
1
* Conseils à un moine rancunier, id N° 3
* Vie de St Pacôme (= Vies coptes) Ed. Bel. Spir. Orient. N° 38
* Festugière : Les moines d'Orient, Tome 4 (= Vie grecque), Cerf 1962
** Th. Lefort, Oeuvres de St Pacôme et de ses disciples (= Vies coptes),
Louvain 1943.
*** Pachomiana latina (= Texte latin de St Jérôme), Louvain 1932
* P. Deseille, l'Esprit du monachisme pacômien. Ed. Bel. Spir. Orient.
N° 2
* V. Desprez, Le cénobitisme pacômien, Lettre de Ligugé
: 243-245, 246.
*** A. Veilleux, La liturgie dans le cénobitisme pacômien, Rome
1968.