3.
UN PARCOURS TOURISTIQUE
Nous vous proposons un petit tour en hélicoptère autour du Bassin de la Méditerranée, et même plus loin. Avant de se mettre en route, on regarde une carte et des plans.
DES PLANSApparaît d'emblée ce surgissement des moines au quatrième siècle. Avant il y a des Pères de l'Eglise, il y a ce que nous avons appelé "la préhistoire du monachisme", mais pas encore de moines connus de tous. On voit aussi la richesse de ce quatrième siècle des deux côtés de la ligne ; donc aussi bien chez les Pères de l'Eglise que chez les moines. C'est donc un temps où l'Esprit-Saint souffle fort sur l'Eglise. Ce siècle est suivi par une période de déclin, plus rapide du côté des Pères de l'Eglise, plus lent du côté des moines. La période des Pères est terminée au septième siècle. De l'autre côté de la ligne, à signaler le renouveau de Benoît d'Aniane, au temps de Charlemagne qui recense toutes les règles connues et les rassemble. Puis la période de splendeur de Cluny, avec ses cinq abbés qui ont gouverné cet Ordre chacun durant un demi-siècle ; et celle de Cîteaux, avec saint Bernard et les autres grands écrivains de l'Ordre.
Le tableau 3 voit plus en détail les moines
des premiers siècles, et s'attarde donc à la période que
nous allons étudier. Les noms des principaux moines y sont donnés,
classés selon les 7 lieux géographiques principaux. En lettres
italiques leur lieu d'implantation. Un carré signale ceux qui ont écrit
une règle ; Cassien qui a joué un rôle particulier : il
n'a pas écrit de règle, mais toutes les Règles ont puisé
dans ses Institutions, où il a donné l'image qu'il s'est
faite du cénobitisme égyptien, et ses Conférences celles
de l'anachorétisme des moines du désert. Son rayonnement fut grand.
Ainsi muni de plans, nous partons d'Alexandrie,
là où était évêque Athanase, et nous nous
dirigeons vers le sud dans la direction du désert où était
parti Antoine.
Assez vite, dans ces centres, on va construire quelques bâtiments en dur : église où les moines se retrouvent pour célébrer ensemble le dimanche, et hôtellerie. Mais les moines continuent de vivre en ermites, à l'écart.
Nous avons donc en Basse-Egypte trois centres monastiques successifs.
Nous nous trouvons au pied d'une muraille qui peut faire huit à dix mètres de haut. Nous partons vers la droite pour trouver une porte, mais pas de chance, nous sommes partis du mauvais côté, et il nous faut faire presque le tour complet de la muraille pour trouver la porte. Car il n'y a qu'une porte pour tout cet ensemble.
S'il n'y a qu'une porte, cette porte a un portier, et qui est bien à son affaire : il va poser des tas de questions : "Est-ce que vous êtes des hommes, est-ce que vous êtes des femmes ? Est-ce que vous êtes des catholiques, est-ce que vous êtes des mécréants ? Est-ce que vous êtes des prêtres, est-ce que vous êtes des moines, est-ce que vous êtes des laïcs ? etc . . . Ceci parce que tout le monde va être bien accueilli, mais pas de la même façon : les dames ici, les touristes là, les pauvres ailleurs, les catholiques ici, les moines ailleurs.
Nous qui sommes moines, on peut tout visiter, mais sous la conduite d'un moine. On commence par voir dans ce village des tas de maisons habitées : il y a entre 20 et 40 frères dans chaque maison. On entre dans la première maison, et l'on demande au premier moine rencontré : "Qu'est-ce que tu fais ?". Il répond : "Moi, je suis boulanger". Puis au second : "Qu'est-ce que tu fais ?". Il répond : "Moi, je suis boulanger". Et au troisième : "Qu'est-ce que tu fais ?". Il répond : "Moi, je suis boulanger". Alors on commence à se dire : "Mais ils sont tous boulangers dans ce pays-là ! " Puis l'on va dans une autre maison et l'on demande : "Qu'est-ce que tu fais ?". Il répond : "Moi, je suis scribe". Et dans une autre : "Qu'est-ce que tu fais ?". Il répond : "Moi, je suis cordonnier". Alors on commence à comprendre : dans ces maisons, les moines sont groupés par métiers. Il y a une organisation !
Puis on rencontre un moine et on fait un brin de causette. Mais voilà que la cloche sonne : "Vous m'excuserez, dit-il, mais il faut que je m'en aille ! " Tiens, là il y a donc un règlement. Et puis on voit le frère qui nous fait visiter s'incliner un peu au passage d'un autre frère. On lui demande pourquoi. Il répond : "C'est un chef de maison". On a là un petit gradé. Et un moment après, il fait une grande inclinaison : c'est qu'on vient de rencontrer le chef du monastère. Et encore un peu plus loin, il met les genoux en terre et se prosterne. C'est que Pacôme vient de passer, le Père de tout l'Ordre.
Car nous sommes chez les Pacômiens, il y a là un Ordre et de l'ordre !
Et il y a 9 monastères semblables, et tout est réglé dans chaque monastère comme dans celui-là. Nous sommes donc bien loin de ce que nous avions vu en Basse- Egypte. Ces moines ne vivent pas en ermites, ce sont des cénobites.
Remontons maintenant vers le Nord, jusqu'en Palestine.
Un peu plus tard, quelque dix ans seulement après, nous trouvons un monachisme
latin dans ce pays de langue grecque. C'est Jérôme
qui est venu de Rome où il a eu bien des ennuis que nous verrons sous
peu, et qui, grand ami de l'Ecriture et de Jésus, est venu s'installer
là où Jésus est né, à Bethléem.
Avec une riche femme de Rome, Paula, il y fonde un monastère double,
un de moniales pour Paula et ses compagnes, et un de moines pour Jérôme
et ses compagnons. A côté, à Jérusalem,
un ami de Jérôme, du moins ami pour le moment car les deux amis
vont devenir ennemis, Rufin, fonde lui aussi un monastère
double avec Mélanie qu'on appelle l'Ancienne pour la distinguer d'une
autre pieuse Mélanie qu'on appellera "La Jeune".
Toujours en Palestine, mais dans les déserts
du Jourdain ou dans ceux qui entourent la Mer Morte, on trouve le système
de la Laure qui aura bien des prolongements dans l'Orient.
C'est une combinaison des deux monachismes rencontrés dans la Basse-Egypte et dans la Haute-Egypte. Le novice entre dans un monastère, dans un cenobium où il fait un apprentissage cénobitique d'une durée de sept à huit ans. Donc, il commence dans une communauté, système de Haute-Egypte. Puis il part en solitude, dans la Laure, où l'on vit le système anachorétique de Basse-Egypte, mais ici, c'est institutionnalisé : si l'on vit dans la solitude, à quelques kilomètres du monastère, on ne fait pourtant pas ce que l'on veut. On est rattaché à un père spirituel, et tous les samedis, que cela plaise ou ne plaise pas, on va chez lui vivre en communauté avec les six ou sept autres qui ont le même père spirituel. On lui rend compte de sa semaine, on discute, on mange, on règle les questions matérielles, on célèbre l'office de vigiles, puis la Résurrection du Seigneur, et le dimanche après-midi, on revient dans la solitude complète jusqu'au samedi suivant. Et cela, jusqu'à la mort.
Pour ces gens, la vie anachorétique est un couronnement qui doit être préparé par la vie cénobitique. Saint Benoît en donne un écho, sans doute indirect, au début de sa Règle. C'est donc à la fois voisin et très différent des systèmes de Haute-Egypte et Basse-Egypte, car pour les anachorètes de Basse Egypte, il n'est pas question d'un apprentissage cénobitique, et pour les pachômiens, il n'est pas question d'anachorèse, de vie solitaire.
Remontons encore plus au Nord, en Syrie. On y
trouve une réelle attirance vers le désert, mais on ne le conçoit
pas de la même façon, on ne l'habite pas de la même manière.
Pour nous, aujourd'hui, le genre de vie de ces moines est assez difficile à
comprendre : plus c'est spectaculaire, plus c'est excessif, mieux c'est ! Ils
nous paraissent vraiment des fous de Dieu !
Il y a les hypètres, du grec : hypaitros qui signifie : "en plein air". Ceux-ci délimitent dans un pré un espace avec des cailloux, ou bien ils s'attachent une chaîne aux pieds pour ne pas sortir d'un certain rayon, et ils vivent là comme une vache dans un pré, soumis à la pluie comme au soleil ou au froid, sous les regards de tous les passants. Il faut se rendre compte quelle ascèse cela suppose !
Il y a aussi les dendriques, du grec : dendron, l'arbre. On creuse un tronc d'arbre et ils se font mettre dedans. Ou bien d'autres se font mettre dans des cages suspendues, si petites qu'ils ne peuvent pas y tenir debout. D'autres se font attacher à un rocher. Et là-bas, le soleil tape fort !
Et il y a surtout les stylites qui vivent à longueur de vie sur une colonne.
De plus, autre aspect sous lequel leur ascèse n'était pas dénuée de sens : être hypètre ou dendrique, c'était être mis en contact avec la nature ; pour eux, cela voulait dire que celui qui s'est donné totalement à Dieu a restauré certains liens avec la nature qui est elle-même l'oeuvre de Dieu.
Disons un mot des plus réputés de ces excentriques : les STYLITES qui ont occupé une place importante dans le monachisme de Syrie et dont certains furent saints et célèbres.Il y avait d'abord une base de 2 à 2,5 m de diamètre. Sur celle-ci était fixé un fût par une barre de fer. De diamètre fort réduit (1m.) , il était composé de plusieurs tambours tenant entre eux par de la ferraille (souvent il y en avait trois en l'honneur de la Sainte Trinité) . La hauteur totale ne dépassait guère 20 mètres, d'abord parce qu'il fallait des échelles pour y monter, et ensuite parce que, comme le stylite parlait à la foule, il fallait qu'il ne soit pas trop haut pour se faire entendre.
Au sommet de ce fût, était fixée une plate-forme de 1, 30 ou 1, 80 de côté, avec un parapet pour empêcher le stylite de tomber durant son sommeil. Le long du fût, courait un tuyau d'évacuation des ordures. Une cour autour de la colonne, entourée d'un mur de pierre : la mandra, formait une petite enceinte isolant des visiteurs. Et à l'intérieur, une petite cahute, la maison du serviteur du stylite.
Toute la journée, il restait debout, priant avec de nombreuses prostrations et génuflexions. Il ne mangeait qu'une fois par jour. La nuit, en général, il dormait assis. Dans la journée, il faisait de l'apostolat, il parlait à la foule. Car la position élevée des stylites exprimait leur désir de rencontrer Dieu et d'être des intermédiaires entre Dieu et les hommes. Et de fait, ils l'étaient. Leur apostolat direct fut grand ; ils furent de grands pacificateurs des consciences, d'abord, et ils le furent aussi dans les relations sociales. De partout des gens viennent au pied de la colonne pour leur exposer leurs problèmes.
Cette vie était d'une austérité terrible : ne jamais s'allonger, rester debout la plupart du temps, soumis à toutes les intempéries. Aussi cette terrible ascèse donnait-elle lieu à bien des maladies que la plupart du temps le stylite refusait de soigner, considérant la maladie comme une grâce de Dieu. Pourtant cela n'empêcha pas la plupart des stylites de mourir âgés.
Donc nous avons ici une fuite des hommes à la verticale pour rencontrer Dieu, alors que les anachorètes de Basse-Egypte les fuyaient à l'horizontale pour rencontrer le diable !
Les communautés basiliennes seront moins nombreuses que les koinonia pacômiennes. Elles s'appelleront des fraternités, car pour Basile le mot "moine" évoque l'anachorèse, et Basile - pour qui les cénobites sont seuls valables -, n'emploiera pas ce mot ; il veut un cénobitisme où l'on vit entre frères, mais sous l'autorité d'un supérieur. De plus, alors que les communautés pacômiennes avaient pour sens de montrer d'avance ce qu'était le royaume céleste, celles de Basile voudront montrer Jésus à la fois retiré des foules et faisant du bien aux foules. Elles ne seront pas entourées d'un grand mur et en plein désert, mais resteront dans la banlieue des villes et auront un rôle de charité. Ainsi Basile construira un grand hôpital où ses frères serviront. Ici, les fraternités sont donc à la limite du désert et de la cité.
Un peu plus haut et à l'ouest, à Constantinople, avec Jean Chrysostome, c'est encore différent. Les monastères ne seront plus dans la banlieue des villes, mais en pleine cité. Car l'évêque de Constantinople, Jean, pense que les moines doivent être directement utiles à quelque chose. Ils vont donc avoir ici un rôle de charité : des hôpitaux comme les basiliens, et aussi des tâches pastorales pour aider l'évêque dans sa charge. Ils devront empêcher les chrétiens de s'assoupir, leur rôle consistera plus nettement à être un rappel de l'Evangile.Trois ans après, Augustin est ordonné prêtre pour l'Eglise d'Hippone, et associé à l'évêque pour prêcher. Cela lui coûte beaucoup de quitter son monastère ; il le laisse aux mains d'Alypius, un de ses amis, et demande à pouvoir continuer sa vie monastique. On lui donne une maison, au fond d'un jardin, dans une propriété de l'Eglise, et il y fonde une communauté. Quatre ans plus tard, devenu coadjuteur de l'évêque, il devra quitter ce monastère du jardin. Parmi les moines fervents et bien formés de ce monastère, on choisira beaucoup de frères pour en faire des évêques dans d'autres diocèses d'Afrique. Augustin, lui, demandera aux prêtres d'Hippone de venir mener la vie commune autour de lui, dans la maison de l'évêché. C'est cela qui a fait penser pendant longtemps qu'Augustin avait fondé des monastères de prêtres.
Plus tard à Rome, Grégoire le Grand, devenu pape, aura un monastère de prêtres autour de lui.
Traversons à nouveau la Méditerranée, et passons en Italie. A Rome on va trouver plusieurs espèces de monachismes. Rome est la ville impériale, de tradition ancienne, avec un paganisme très cultivé. Les chrétiens, à plus forte raison les moines, y sont mal vus, considérés souvent comme incultes et sauvages. Il y a pourtant des communautés d'ascètes, masculines et féminines, très ferventes, où la charité inspire également la règle de vie. Elles sont peu connue, mais Augustin les a rencontrées quand il revenait de Milan. Elles furent pour lui un beau témoignage de la vie des chrétiens.
Mais il y a un autre monachisme féminin, un peu surprenant à nos yeux, qui s'explique par le contexte de la société romaine. Dans la haute société, des femmes, veuves ou vierge, mènent dans leur propre maison une vie consacrée à la prière, à l'ascèse, à l'aumône. Plusieurs de ces grandes dames se sont regroupées chez l'une d'elle, Marcella, formant une sorte de monastère. Il leur faut beaucoup de conviction et de foi pour vivre ainsi : les veuves riches sont souvent recherchées en mariage à cause de leur fortune ; les jeunes filles n'ont en quelque sorte pas d'existence légale tant qu'elles ne sont pas mariées : on accepte très mal dans leur famille et ailleurs qu'elles restent célibataires. De plus, ces dames étudient les Ecritures, considérées comme des livres tout à fait barbares par les lettrés. Il leur faut affronter les moqueries des mondains.
Un événement va faire redoubler leur ferveur : l'arrivée à Rome, en 381, de Jérôme. Jérôme travaille beaucoup l'Ecriture Sainte qu'il a traduite de l'hébreu en latin, après avoir passé quelques années comme moine au désert. Il connaît plusieurs nobles familles. Il a un grand prestige auprès de ces pieuses personnes et va devenir à la fois leur maître d'exégèse et leur guide spirituel.
On voit par les lettres de Jérôme la suite de l'histoire : Ces dames redoublent d'ascèse. La petite Blésilla, fille d'une autre grande dame romaine, Paula, qui vivait jusqu'alors d'une façon mondaine, se convertit, mène une vie austère, et quatre mois après, meurt. Tout le monde est consterné et dit que c'est par excès d'ascèse, à cause de ce vilain Jérôme qui lui a fait mener une vie trop rude, qu'elle est morte. C'est un scandale dans la ville de Rome.
Et voilà qu'en même temps, un certain Helvidius écrit un petit traité où il prétend démontrer que Marie n'a pas été vierge, et il en déduit que si la virginité avait quelque prix aux yeux de Dieu, Marie l'aurait observée. Jérôme lui répond avec sa vivacité habituelle dans un livre où il le réfute vigoureusement. Mais il y va trop fort et fait un éloge exalté de la continence, condamnant l'union charnelle de l'homme et de la femme. Cela est très mal vu. Pour ces deux raisons : la mort de Blésilla et la dispute avec Helvidius, il faut que Jérôme quitte Rome, que Paula quitte Rome. C'est alors qu'ils vont s'installer à Bethléem.
À la longue, la situation se calme, mais l'incendie est rallumé par un écrit de Jovinien, un moine qui s'est marié, et qui, pour se justifier, explique que l'aboutissement normal de la continence c'est de se marier. Cet écrit est beaucoup lu et il est cause que bien des moines défroquent. Jérôme prend feu et se lance à nouveau dans la bagarre ; il écrit un "Contre Jovinien" tellement excessif, tellement scandaleux, condamnant toute sexualité, qu'il lui faut faire des rétractations.
C'est dire qu'à Rome, le monachisme n'est pas trop bien vu. Quand Paulin de Nole, un moine, vient à Rome en 394, on nous dit que le pape Sirice le reçoit "cum superba discretione", c'est-à-dire : "avec une hautaine réserve". On se méfie. Et il faudra attendre le début du cinquième siècle pour que le monachisme prenne de nouveau racine à Rome. Mais ce sera un monachisme utile : les moines logeront les pèlerins et s'occuperont de l'animation spirituelle et pastorale des basiliques romaines.
D'Italie, passons en Gaule. Martin, qui est né en Hongrie, après avoir été soldat, vit en solitaire dans une île, puis vient à Poitiers. Il sait que l'évêque, Hilaire, a réunit des hommes désireux de prière et de pauvreté : il sera bien auprès de lui. Hilaire lui donne un domaine à Ligugé et Martin a énormément de disciples. En Gaule, on admire beaucoup la "Vie d'Antoine" qui vient de se répandre. Martin devient évêque de Tours ; il fonde alors un nouveau monastère à Marmoutiers où des solitaires se regroupent. A la mort de saint Martin, en 397, Sulpice Sévère décrit ses funérailles où l'on voit de nombreux moines pleurant leur cher Père. Mais peu d'années après, les invasions barbares vont tout balayer, czar ce monachisme de la partie nord de la Gaule, qui n'attache pas grande importance aux institutions et à une Règle, sera fragile devant les difficultés internes ou les problèmes extérieurs.
Au sud de la Gaule, à Marseille, sous la direction de l'évêque Proculus, le monachisme a bien sa place dans l'Eglise ; et surtout à Lérins, le grand spirituel qu'est Honorat fonde une communauté fervente, dont bien des frères seront demandés comme évêques, faisant naître à leur tour des monastères. Jean Cassien, qui a pu recevoir pendant de longues années les exemples et les enseignements des Pères d'Egypte et de Palestine, arrive justement à Marseille. Les évêques et les abbés lui demandent de mettre par écrit les "Institutions" de ces grands maîtres, car les bon désirs des moines gaulois ne peuvent aboutir s'ils n'ont pas une bonne doctrine. Cassien admire tant les grands Egyptiens qu'il parlera souvent avec condescendance des Occidentaux ; il fera même comme si Augustin n'avait jamais fondé de monastères ! Mais ses écrits auront autant d'influence que de succès, car le terrain était bien préparé.
Dans les îles Britanniques, nous trouvons encore une autre sorte de monachisme. Né dans la chrétienté celtique rejetée à l'ouest de l'Angleterre actuelle par les invasions anglo-saxonnes, il est illustré par deux grands noms : Colomban et Patrik. Une des caractéristique de ce monachisme est cette forme d'ascèse qui consiste en la recherche du dépaysement par l'itinérance : l'exil volontaire. On prend à la lettre l'ordre de Dieu à Abraham : "Quitte ton pays". Il en découle un certain caractère missionnaire de ce monachisme : Patrik va évangéliser l'Irlande et Colomban fondera des monastères en Gaule et jusqu'en Italie.De même cette recherche de l'exil volontaire poussera les moines irlandais à s'aventurer en mer très loin pour construire de petits monastères dans les endroits les plus inaccessibles qu'il leur fut possible d'atteindre dans leurs barques fragiles. C'est sur cette toile de fond que sont brossées les aventures fabuleuses de la Navigation de saint Brendan.
Diversité dans la forme, mais unité dans ce qui constitue le fond de la vie monastique : ce désir de l'Absolu dont nous avons parlé dans le premier chapitre, un Absolu qui nous est apparu dans la personne du Christ Bien-Aimé.
De ces formes de monachismes, certaines ont disparu, d'autres sont restées. Aujourd'hui, nous qui voyons celles qui sont restées, il est facile de dire que telle était bonne, telle autre non. Mais à l'époque, on ne pouvait le savoir : l'épreuve du temps a montré ce qui était valable.
* Festugière : Les moines d'Orient Tome 1 et 2, Cerf 1962 .
* * Théodoret de Cyr : Histoire des moines de Syrie, SC 234 et 237, Cerf 1977.
* Pallade : Histoire Lausiaque, ed. Migne PDF 1981.
* Jean Moschus : Le pré spirituel, SC 12, Cerf 1946.
* Draguet : Les Pères du désert (Textes choisis) , Paris 1949.
* Deseille : L'Evangile au désert, col. Oeil Paris 1985.