CINQUIÈME ENTRETIEN
SUR LE SUJET DE LA GÉNÉROSITÉ
Pour bien entendre que cest et en
quoi consiste cette force et générosité desprit que vous me demandez, il faut que
je réponde premièrement à une question qui ma été fort souventes fois faite :
savoir mon , en quoi consiste la parfaite
humilité, dautant que, en résolvant ce point, je me ferai mieux entendre parlant
du second, qui est ce que vous désirez savoir maintenant, en quoi consiste cette force et
générosité desprit quil faut avoir pour être fille de la Visitation.
Lhumilité nest autre chose
quune parfaite reconnaissance que nous ne sommes rien quun pur néant, et nous
fait tenir en cette estime de nous-mêmes. Ce que pour mieux entendre, il faut que nous
sachions quil y a en nous deux sortes de biens : les uns qui sont en nous et de
nous, et les autres qui sont en nous, mais non pas de nous. Quand je dis que nous avons
des biens qui sont de nous, je ne veux pas dire quils ne viennent de Dieu et que
nous les ayons de nous-mêmes, car en vérité, de nous-mêmes nous navons autre
chose que la misère et le néant : mais je veux dire que ce sont des biens que Dieu a
tellement mis en nous quils semblent être de nous; et ces biens sont la santé, les
richesses, les sciences que nous
avons acquises, la beauté et semblables choses. Or, lhumilité
nous empêche de nous glorifier et estimer à cause de ces biens, dautant
quelle ne fait non plus détat de tous ces biens que nous venons de nommer que
dun néant et dun rien; et en effet, cela se doit par raison, nétant
point des biens stables et qui nous rendent plus agréables à Dieu, ains muables et
sujets à la fortune. Et quil ne soit ainsi, y a-t-il rien de moins assuré que les
richesses, qui dépendent du temps et des saisons ? La beauté se ternit en moins de rien
: il ne faut quune dartre sur le visage pour en ôter léclat; et pour ce qui
est des sciences, un petit trouble de cerveau nous fait perdre et oublier tout ce que nous
en avions. Cest donc avec très grande raison que lhumilité ne fait point
détat de tous ces biens ici; mais dautant plus quelle nous fait
abaisser et humilier par la connaissance et reconnaissance de ce que nous sommes de
nous-mêmes, comme un rien et un néant, par le peu destime quelle fait de ce
qui est en nous et de nous, elle nous fait estimer grandement dailleurs à cause des
biens qui sont en nous et non pas de nous, qui sont la foi, lespérance et le peu
damour que nous avons, comme aussi une certaine capacité que Dieu nous a donnée de
nous unir à lui par le moyen de la grâce; et entre nous autres, de notre vocation, qui
nous donne assurance, en tant que nous la pouvons avoir en cette vie, de la possession de
la gloire et félicité éternelle. Et cette estime que fait lhumilité de tous ces
biens ici, à savoir la foi, lespérance et la charité, est le fondement de la
générosité desprit.
Voyez-vous, ces premiers biens dont nous
avons parlé, appartiennent à lhumilité pour son exercice, et ces seconds à la
générosité. Lhumilité croit de ne pouvoir rien, eu égard à la connaissance de
notre pauvreté et faiblesse, en tant que de nous-mêmes; et au contraire, la
générosité nous fait dire avec saint Paul : Je puis tout en Celui qui me conforte
. Lhumilité nous fait défier
de nous-mêmes, et la générosité nous fait confier en Dieu. Voyez-vous, ces deux vertus
dhumilité et de générosité sont tellement jointes et unies lune avec
lautre quelles ne sont jamais ni ne peuvent être séparées. Il y en a qui
samusent à certaine fausse et niaise
humilité qui les empêche de regarder rien en
eux qui soit bon. Ils ont grand tort; car les biens que Dieu met en nous veulent être
reconnus, estimés et grandement honorés, et non pas tenus au même rang de la basse
estime que nous devons faire de ceux qui sont en nous et qui sont de nous. Non seulement
les vrais chrétiens ont reconnu quil fallait regarder ces deux sortes de biens qui
sont en nous, les uns pour nous humilier, et les autres pour glorifier la divine Bonté
qui nous les a donnés, mais aussi les philosophes; car cette parole quils disent :
« Connais-toi toi-même, » se doit entendre de non seulement reconnaître notre
vileté et misère, ains aussi reconnaître lexcellence et la dignité de nos âmes,
lesquelles sont capables dêtre unies à la Divinité par la divine Bonté, qui a
mis en nous un certain instinct lequel nous
fait toujours tendre et prétendre à cette union en laquelle
consiste tout notre bonheur.
Lhumilité qui ne produit point la
générosité est indubitablement fausse. Après quelle a dit Je ne puis rien, je ne
suis rien quun pur néant, elle cède tout incontinent la place à la générosité,
laquelle dit : Il ny n ni peut avoir rien que je ne puisse, dautant que je
mets toute ma confiance en Dieu qui peut tout; et dessus cette confiance elle entreprend
courageusement de faire tout ce quon lui commande ou conseille, pour difficile
quil soit. Et je vous puis assurer que, comme elle ne juge pas même que faire des
miracles lui soit impossible, lui étant commandé, si elle se met en la pratique en
simplicité de coeur, Dieu en fera, plutôt que de manquer de lui donner le pouvoir
daccomplir son entreprise, vu que ce nest point par la confiance quelle
a en ses propres forces quelle lentreprend, ains fondée sur lestime
quelle fait des dons que Dieu lui a faits.
Elle fait ce discours en elle-même : Si
Dieu ma appelée à un état de perfection si haut quil ny en a point de
plus relevé en cette vie, quest-ce qui me pourra empêcher dy parvenir,
puisque je suis très assurée que Celui qui a commencé loeuvre de ma perfection la
parfera b ? Mais prenez garde que tout ceci se fait sans aucune présomption,
dautant que cette confiance nempêche pas que nous ne nous tenions sur nos
gardes de crainte de faillir; ains elle nous rend plus attentives sur nous-mêmes, plus
vigilantes et soigneuses de faire ce qui nous peut servir pour lavancement de notre
perfection.
Lhumilité nest pas seulement
de nous défier de nous-mêmes, ains aussi de nous confier en Dieu; la défiance de nous
et de nos propres forces produit la confiance en Dieu, et de cette confiance naît la
générosité desprit dont nous parlons. La très sainte Vierge Notre-Dame nous a
montré un exemple de ceci très remarquable lorsquelle prononça ces mots: Voici
la servante du Seigneur, me soit fait selon votre parole ; en ce quelle dit quelle est
servante du Seigneur, elle fait un acte dhumilité le plus grand quil se pût
jamais faire, dautant quelle oppose aux louanges que lAnge lui donne,
quelle sera mère de Dieu, que lenfant qui sortira de ses entrailles sera
appelé le Fils du Très-Haut ,
dignité plus grande que lon eût pu jamais imaginer, elle oppose, dis-je, à toutes
ces louanges et grandeurs, sa bassesse et son indignité, disant quelle est servante
du Seigneur. Mais prenez garde que dès quelle a rendu le devoir à
lhumilité, tout incontinent elle fait une pratique de générosité très
excellente, disant : Me soit fait selon ta parole. Il est vrai, voulait-elle
dire, que je ne suis nullement capable de cette grâce, eu égard à ce que je suis de
moi-même, mais en tant que ce qui est de bon en moi est de Dieu et que ce que vous me
dites est sa très sainte volonté, je crois quil se peut et quil se fera; et
partant, sans aucun doute, elle dit : Me soit fait ainsi que vous dites.
Il se fait fort peu dactes de vraie contrition,
dautant quaprès sêtre humiliés et confondus devant la divine Majesté
en considération de nos
grandes infidélités, nous ne venons pas à faire cet acte de
confiance, nous relevant le courage par une assurance que nous devons avoir que la divine
Bonté nous donnera sa grâce pour désormais être fidèles et correspondre plus
parfaitement à son amour. Après cet acte de confiance, se devrait immédiatement faire
celui de générosité, disant Puisque je suis très assurée que la grâce de Dieu ne me
manquera point, je veux encore croire quil ne permettra pas que je manque à
correspondre à sa grâce; car lon peut faire cette réplique: Si je manque à la
grâce, elle me manquera. Il est vrai. Mais si cest ainsi, qui
massurera que je ne manquerai point à la grâce désormais, puisque je lui ai
manqué tant de fois par le passé?
La générosité fait que lâme dit hardiment et sans
rien craindre : Non, je ne serai plus infidèle à Dieu; parce quelle ne sent en son
coeur nulle volonté de lêtre, partant elle entreprend sans rien craindre tout ce
quelle sait qui la peut rendre plus agréable à Dieu, sans exception daucune
chose; et entreprenant tout, elle croit de pouvoir tout, non delle-même, ains en
Dieu auquel elle jette toute sa confiance, et pour lequel elle fait et entreprend tout ce
quon lui commande ou conseille.
Mais vous me dites sil nest
jamais permis de douter de nêtre pas capable de faire les choses qui nous sont
commandées. A cela je réponds que la générosité desprit ne nous permet jamais
de le faire. Mais je désire que vous entendiez ceci comme jai accoutumé de vous dire
ordinairement, quil faut distinguer la partie supérieure de
notre âme davec linférieure. Ce que je dis donc, que la générosité ne
nous permet point de douter, cest quant à la partie supérieure, car il se pourra
bien faire que linférieure sera toute pleine de ces doutes et aura beaucoup de
peine de recevoir la charge que lon vous donne; mais de tout cela, lâme qui
est généreuse sen moque et nen fait nul état, ains se met simplement en
lexercice de cette charge, sans dire une seule parole, ni faire nulle action pour
témoigner le sentiment quelle a de son incapacité. Mais nous autres, nous sommes
si aises de témoigner que nous sommes bien humbles et que nous avons une basse estime de
nous-mêmes, et semblables choses qui ne sont rien moins que la vraie humilité, laquelle
ne nous permet jamais de résister au jugement de ceux que Dieu nous n donnés pour nous
conduire.
Jai mis un exemple qui est à mon
sujet et qui est fort remarquable dans le livre de lIntroduction : cest
du roi Achaz , lequel étant réduit à
une très grande affliction par la rude guerre que lui faisaient deux autres rois,
lesquels avaient assiégé Jérusalem, Dieu commanda au prophète Isaïe de laller
consoler de sa part, et lui promettre quil emporterait la victoire et demeurerait triomphant de ses
ennemis. Et Isaïe lui dit que, pour preuve de la vérité de ce quil disait, il
demandât à Dieu un signe du ciel ou bien en la terre, et quil le lui
donnerait. Lors, Achaz se méfiant
de la bonté et libéralité de Dieu, dit : Non, je ne le
ferai pas, dautant que je ne veux pas tenter Dieu. Mais le misérable ne dit
pas cela pour lhonneur quil portât à Dieu, car au contraire, il refusait de
lhonorer, parce que Dieu voulait être glorifié en ce temps-là par des miracles,
et Achaz refusait de lui en demander un quil lui avait signifié quil
désirait de faire. Il offensa Dieu en refusant dobéir au Prophète quil lui
avait envoyé pour lui signifier sa volonté.
Nous devons donc ne mettre jamais en doute
que nous ne puissions faire ce qui nous est commandé, dautant que ceux qui nous
commandent connaissent bien notre capacité. Mais vous me dites que, possible, vous
avez beaucoup plus de misère intérieure et de grandes imperfections que vos Supérieurs
ne connaissent pas, et quils se fondent seulement sur les apparences extérieures
par lesquelles vous avez peut-être trompé leur esprit. Je vous dis quil ne
vous faut pas toujours croire quand vous dites, poussées peut-être dun peu de
découragement, que vous êtes tant misérables et remplies de tant dimperfections;
non plus quil ne faut pas croire que vous nen ayez point quand vous nen
dites rien, vous êtes ordinairement telles que vos oeuvres vous font paraître. Vos
vertus se connaissent par la fidélité que vous avez à les pratiquer, et de même les
imperfections se reconnaissent par les actes. Lon ne saurait, pendant quon ne
sent point la malice en son coeur, tromper lesprit des Supérieurs.
Mais vous me pourriez dire que lon
voit tant de Saints qui ont fait tant de résistance pour ne pas recevoir les charges
quon leur voulait donner. Or, ce quils en ont fait na pas été
seulement à cause de la basse estime quils faisaient deux-mêmes, mais
principalement à cause de ce quils voyaient que ceux qui les voulaient mettre en
ces charges se fondaient sur des vertus apparentes, comme sont les jeûnes, les aumônes,
les pénitences et âpretés du corps, et non sur les vraies vertus intérieures
quils tenaient encloses et couvertes
sous la très sainte humilité; ils étaient poursuivis et recherchés par des peuples qui
ne les connaissaient point que par réputation. Il serait, ce semble, permis de faire un
peu de résistance; mais savez-vous à qui? à une fille de Dijon, par exemple, à qui une
supérieure dAnnecy enverrait le commandement dêtre Supérieure, ne
layant jamais vue ni connue. Mais une fille de céans, à qui on ferait le même
commandement, ne devrait jamais se mettre en devoir dapporter aucune raison pour
témoigner quelle répugne au commandement (je dis toujours quant à la partie
supérieure); ains se devrait mettre en lexercice de sa charge avec autant de paix
et de courage comme si elle se sentait fort
capable de sen bien acquitter. Mais jentends bien la finesse : cest que
nous craignons de nen pas sortir à notre honneur; nous avons notre réputation en
si grande recommandation, que nous ne voulons être tenues pour apprenties en
lexercice de nos charges, ains pour maîtresses qui ne font jamais de fautes.
Vous entendez donc assez bien ce que
cest lesprit de force et générosité que nous avons tant denvie qui soit céans, afin den bannir toutes niaiseries
et tendretés fades et pleureuses, qui ne servent quà nous arrêter en notre chemin
et nous empêchent de faire progrès en la perfection. Ces tendretés se nourrissent des
vaines réflexions que nous faisons sur nous-mêmes, principalement quand nous avons
bronché en notre chemin par quelque faute; car céans, par la grâce de Dieu, lon
ne tombe jamais du tout , nous ne lavons
encore point vu, mais lon bronche et, au lieu de shumilier tout doucement et
puis se relever courageusement, comme nous avons dit, lon entre en la considération
de sa pauvreté, et dessus cela, on commence à sattendrir sur soi-même : Hé, mon
Dieu, que je suis misérable! je ne suis propre à rien. Et par après lon passe au
découragement qui nous fait dire: Oh non, il ne faut plus rien espérer de moi, je ne
ferai jamais rien qui vaille, cest perdre le temps que de me parler; et dessus cela,
nous voudrions quasi que lon nous laissât, comme si lon était- bien assuré
de ne pouvoir jamais rien gagner avec nous. Mon Dieu, que toutes ces choses sont
éloignées de lâme qui est généreuse, et qui fait une grande estime, comme nous
avons dit, des biens que Dieu a mis en elle! Car elle ne se trouble point, ni de la
difficulté de ce quelle a à faire, ni de la grandeur de loeuvre, ni de la
longueur du temps quil y faut employer, ni enfin du retardement quelle
voit à la perfection de loeuvre quelle a entreprise.
Les Filles de la Visitation sont toutes
appelées à une grande perfection, leur entreprise est la plus haute et la plus relevée
que lon saurait penser; dautant quelles nont pas seulement
prétention de sunir à la volonté de Dieu, comme doivent avoir tous les
chrétiens, mais de plus elles prétendent de sunir à ses désirs, voire même à
ses intentions, je dis avant quelles soient presque signifiées; et sil se
pouvait penser quelque chose de plus parfait, quil se pût trouver un degré de plus
grande perfection que de se conformer à la volonté de Dieu, à ses désirs et à ses
intentions, elles lentreprendraient sans doute, puisquelles ont une vocation
qui les oblige à cela. Et partant, la dévotion de céans doit être une dévotion forte
et généreuse, comme nous avons dit plusieurs fois.
Mais outre ce que nous avons dit de cette
générosité, il en faut dire encore ceci, qui est que lâme qui la possède
reçoit également les sécheresses comme les tendretés des consolations, les ennuis
intérieurs, les tristesses, les accablements desprit, pour grand que tout cela
puisse être, comme les ferveurs, les prospérités dun esprit bien plein de paix et
de tranquillité. Et cela, parce quelle considère que Celui qui lui a donné les
consolations est Celui-là même qui lui envoie les unes et les autres, poussé dun
même amour quelle reconnaît être très grand, parce que en laffliction
intérieure et de lesprit il prétend de la tirer
à une très grande perfection, qui est
labnégation de toutes sortes de consolations en cette vie,
demeurant très assurée que Celui qui len prive ici-bas ne len privera point
éternellement là-haut au Ciel.
Mais vous me dites que lon ne peut
pas, emmi ces grandes ténèbres, faire ces considérations, vu quil vous semble que
vous ne pouvez pas seulement dire une parole à Notre-Seigneur. Certes, vous avez
raison de dire quil vous semble, dautant quen vérité cela nest
pas. Le sacré Concile de Trente n déterminé cela, et nous sommes obligés de croire que
Dieu et sa grâce ne nous abandonnent jamais en telle sorte que nous ne puissions recourir
à sa Bonté et protester que, contre tout trouble de notre âme, nous voulons être tout
à lui et que nous ne le voulons point offenser. Mais remarquez que tout ceci se fait en
la suprême partie de notre âme; et parce que notre partie inférieure nen
aperçoit rien et demeure toujours en sa peine, cest cela qui nous trouble et qui
nous fait estimer bien misérables et sur cela, nous commençons à nous attendrir dessus
nous-mêmes, comme si cétait une chose bien digne de compassion que de nous voir
sans consolations. Hé, pour Dieu! considérons que Notre-Seigneur et notre Maître a bien
voulu être exercé par des ennuis intérieurs, mais dune façon incomparable.
Ecoutez ces paroles quil dit sur la Croix : Mon Dieu, pourquoi mavez-vous
abandonné ? Il était réduit à lextrémité, car il
ny avait que de la fine pointe de son
esprit qui ne fût accablée de
langueurs ; aussi parla-t-il langoureusement. Mais remarquez
quil se prend à parler à Dieu, pour nous montrer quil ne nous serait pas
impossible de le faire.
Vous voulez savoir ce qui est mieux en ce
temps-là, de parler à Dieu de notre peine et de notre misère, ou bien de lui parler de
quelque autre chose ? Je vous dis que, en ceci comme en toutes sortes de tentations,
il est mieux de divertir notre esprit de son trouble et de sa peine, parlant à Dieu de
quelque autre chose, que non pas de lui parler de notre douleur; car, indubitablement, si
nous le voulons faire, ce ne sera point sans lagrandir tout de nouveau par le moyen
dun attendrissement que nous ferons sur notre coeur, notre nature étant telle
quelle ne peut voir ses douleurs sans en avoir une grande compassion. Mais
vous me dites que, si vous ny faites point dattention, vous ne vous en
souviendrez pas pour le dire. Et quimporte? Nous sommes certes comme les
enfants, lesquels sont si aises daller dire à leur mère quils ont été
piqués dune abeille, afin que la mère les plaigne et souffle sur le mal qui est
déjà guéri; car nous voulons aller dire à notre Mère que nous avons été bien
affligées, et agrandir notre affliction en la racontant tout par le menu, sans oublier
une petite circonstance qui nous peut~ faire un peu plaindre. Or ne voilà pas des
enfances très grandes ? Si nous avons commis quelque infidélité, bon de le dire ; si
nous avons été fidèles, il le faut aussi dire, mais courtement, sans exagérer ni
lun ni lautre, car il faut tout dire à ceux qui ont la charge de nos âmes.
Vous dites à cette heure que lorsque vous
avez eu quelque grand sentiment de colère ou bien quelque autre sorte de tentation,
quil vous vient toujours du scrupule si vous ne vous confessez. Il le faut faire en
votre revue, mais non pas par manière de confession, ains pour tirer instruction comme
lon sy doit comporter : je dis quand lon ne voit pas clairement
davoir donné quelque sorte de consentement; car si vous allez dire : Je
maccuse de quoi, durant deux jours, jai eu des grands mouvements de colère,
mais je ny ai pas consenti, vous dites vos vertus au lieu de dire vos défauts.
Mais il me vient en doute que je ny ai fait quelque faute. Il faut
regarder mûrement si ce doute n quelque fondement; peut-être, environ un quart
dheure, durant ces deux jours, vous avez été un peu négligente à vous divertir
de votre sentiment : si cela est, dites tout simplement que vous avez été négligente,
durant un quart dheure, à vous divertir dun mouvement de colère que vous
avez eu, sans ajouter que la tentation a duré deux jours, si ce nest que vous le
vouliez dire ou pour tirer de linstruction de votre confesseur, ou bien pour ce qui
est de vos revues, et alors il est très bon de le dire; mais pour les confessions
ordinaires il serait mieux de nen point parler, puisque vous ne le faites que pour
vous satisfaire; et si bien il vous en vient un peu de peine en ne le faisant pas, il la
faut souffrir , comme une autre à laquelle vous ne pourriez pas mettre remède.
VIVE JÉSUS
LA GLORIEUSE VIERGE NOTRE DAME ET LE GLORIEUX SAINT JOSEPH !
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