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QUATORZIÈME HOMÉLIE.

 

ANALYSE. Le peuple d'Antioche était à peine rassuré contre la vengeance de Théodose qu'un faux bruit renouvela sa frayeur. — On disait que les dispositions de l'empereur étaient toutes changées. — Mais ce trouble s'apaisa dès le soir même par de meilleures nouvelles, et le lendemain saint Chrysostome put commencer son discours en remerciant Dieu d'avoir dissipé cet orage. — Il continua ensuite le sujet des précédentes homélies, et cita l'exemple d'Hérode qui, pour accomplir un serment sacrilège, fit périr le précurseur. — Le serment d'un particulier l'expose personnellement à mille inconvénients, mais celui d'un prince peut devenir, pour tout un peuple, l'occasion des plus grands malheurs, témoins les serments indiscrets de Saül et de Jephté. — L'orateur mentionne également les maux que le roi Sédécias attira sur les Juifs, en violant le serment de fidélité qu'il avait prêté à Nabuchodonosor. — Et comme chacun s'abstenait des bains, parce que Théodose les avait interdits, il demande à ses auditeurs de n'être pas moins fidèles au commandement du Seigneur qui défend le serment et le parjure. — C'est dans Antioche que, pour la première fois, les disciples de Jésus-Christ reçurent le nom de chrétiens; qu'elle soit donc aussi la première ville qui bannisse le blasphème de son enceinte.

 

1. Hier le démon a excité dans la cité un trouble violent, mais le Seigneur n'a pas moins abondamment daigné nous consoler, en sorte que chacun de nous peut bien dire avec le Psalmiste : Selon la multitude des douleurs de mon âme, vos consolations ont réjoui mon coeur. (Ps. XCIII, 19.) D'ailleurs la Providence ne s'est pas moins montrée en permettant ce trouble qu'en l'apaisant, car je ne cesse de le dire, et je le répète aujourd'hui, la miséricorde divine éclate dans la cessation de nos maux, tout comme elle est visible dans leur origine. Quand le Seigneur voit que nous inclinons au relâchement, et que nous nous éloignons de sa sainte familiarité, il se retire lui-même, afin que, rendus plus sages par le châtiment, nous revenions à lui avec un nouvel empressement. Au reste ne nous étonnons pas que pour ranimer notre ferveur il tienne cette conduite à notre égard, puisque l'Apôtre assigne la même cause à ses propres tribulations, et à celles de ses disciples. C'est ainsi qu'il dit dans sa seconde Epître aux Corinthiens : Je désire, mes frères, que vous n'ignoriez pas l'affliction qui nous est survenue en Asie; parce qu'elle a été au-dessus de nos forces, jusqu'à nous donner le dégoût de la vie; en sorte que nous avons reçu en nous-mêmes une réponse de mort. (II Cor. I, 8, 9.) C'est-à-dire que les périls auxquels j'ai été exposés ont été si fâcheux, que j'avais pris la vie en un profond dégoût, et que je n'attendais que de la mort quelque heureux changement, car tel est le sens de cette parole : Nous avons reçu en nous-mêmes une réponse de mort. Mais le Seigneur, continue-t-il, a dissipé cette tempête et ce (66) désespoir, il a écarté ces nuées orageuses, et il m'a comme arraché du tombeau.

Pour prouver ensuite que la Providence ne permet ces épreuves que par une profonde sagesse, il en signale l'heureux résultat. Or ce résultat a été que sans cesse il a tenu son regard élevé vers Dieu, et qu'il ne s'est arrêté en lui-même à aucun sentiment de vaine complaisance, ni d'orgueil. Aussi après avoir dit: Nous avons reçu en nous-mêmes une réponse de mort, il en rend cette raison : Afin que nous ne mettions point notre complaisance en nous-mêmes, mais dans le Dieu qui ressuscite les morts. (II Cor. 1, 9.) Le propre de l'affliction est de réveiller les âmes assoupies, de relever celles qui sont tombées, et de nous rendre plus religieux. C'est pourquoi, mon cher frère, bien que nos frayeurs anciennes semblent se renouveler, ne perdez ni le courage, ni la confiance. Affermissez-vous au contraire dans vos bonnes espérances, par, cette solide pensée que ce n'est point par haine ou par aversion que Dieu vous livre aux mains de vos ennemis, et qu'il se propose seulement de ranimer votre zèle à son service. Gardons-nous donc de perdre courage, et ayons confiance dans un heureux changement à notre situation. Oui, espérons que bientôt la cité reprendra sa première tranquillité, et que le Seigneur mettra fin à ces troubles qui nous agitent. Aussi viens-je aujourd'hui poursuivre le cours de mes instructions, et continuer le même su-, jet. Je veux donc vous parler encore du jurement, afin de déraciner entièrement en vous cette criminelle habitude.

Je vous renouvelle aujourd'hui mes premières instances, et de nouveau je vous adresse cette prière, que chacun de vous rentre dans sa maison portant comme à la main la tête du saint précurseur, encore toute dégouttante de sang, et qu'il entende cette bouche livide lui dire : Haïssez le serment qui a été mon meurtrier; ce que n'avait point fait la liberté de mes paroles, il l'a accompli ; et la crainte d'un parjure m'a ôté cette vie qu'avait respectée la colère d'un tin : quand je lui reprochais publiquement ses crimes, il supportait généreusement mes reproches, mais il crut que son serment exigeait ma mort.

Je vous demande donc aujourd'hui, et je ne cesserai de vous demander de porter en tous lieux cette tête sanglante, et de la montrer à tous poursuivant de ses anathèmes le jurement et le blasphème. Sans doute nous sommes bien lâches et bien négligents, et néanmoins la vue de cette tête et ces regards terribles qui se fixent sur le pécheur, et qui le menacent, nous rempliront d'une crainte salutaire. Ils seront ainsi comme un frein puissant qui retiendra la précipitation de notre langue accoutumée au jurement. Le premier mal du serment est de rendre coupable celui qui le prononce, qu'il l'accomplisse ou non. Or cela ne se rencontre dans aucun autre péché. Mais il renferme un second mal, non moins grave. Eh ! quel est-il? c'est que malgré tout notre zèle, et toute notre bonne volonté, il est bien difficile de jurer sans péché ; et d'abord donnez-moi un homme qui jure à tout instant, tantôt de plein gré, et tantôt sans le vouloir, tantôt avec préméditation, et tantôt par inadvertance, tantôt sérieusement, et tantôt par plaisanterie, tantôt sous la pression de la colère et tantôt sous l'excitation d'une autre passion; n'est-il pas évident que cet homme se parjurera souvent, et ici personne ne soutiendra le contraire, tant il est vrai et évident que l'habitude du serment expose au parjure. Mais quand même cet homme jurerait en toute liberté, volontairement et avec connaissance de cause, la force même des choses l'entraînera à se parjurer avec non moins de volonté et de connaissance. C'est ainsi que souvent j'en ai été témoin dans des festins : la maîtresse de la maison fait serment de châtier un serviteur qui a commis quelque faute, et de son côté le mari s'y oppose, et jure qu'il ne le permettra pas. Mais alors, quoi qu'ils fassent, il y aura nécessairement parjure, car malgré toute leur bonne volonté et leurs désirs, ils ne peuvent l'un et l'autre garder leur serment; et quelque chose qui arrive, l'un sera parjure, ou plutôt ils le seront tous deux. Et comment? Je vais l'expliquer, car c'est un vrai paradoxe.

Celui qui a fait serment de châtier un serviteur ou une servante, et qui en est empêché, devient réellement parjure, puisqu'il n'accomplit; pas son serment : mais celui qui s'oppose à ce que ce serment soit accompli, se rend également coupable de parjure. Car ce péché se commet non moins par celui qui trahit son serment que par celui qui le force à le trahir. Et ce n'est point seulement dans l'intérieur des maisons que règne ce désordre, mais encore sur les places publiques, et surtout dans les disputes, où les deux antagonistes s'épuisent (67) en serments contraires et opposés. L'un jure qu'il frappera, et l'autre qu'il n'osera le faire; celui-ci jure qu'il emportera le manteau de son adversaire, et celui-là qu'il ne le permettra point; un créancier jure qu'il va exiger son remboursement, et le débiteur qu'il ne rendra rien. A combien de serments ne donnent pas lieu de semblables disputes ! Cette détestable coutume s'introduit même dans les ateliers et les écoles. Le maître fait serment que son apprenti ne boira, ni ne mangera, qu'il n'ait achevé l'ouvrage commandé; le pédagogue en agit ainsi envers son disciple, et la maîtresse envers sa servante. Or, la nuit arrive, la tâche n'est pas remplie, et il faut que les uns éprouvent le besoin de la faim, ou que les autres se parjurent.

Et, en effet, le démon, cet esprit mauvais, qui ne cesse de tendre des embûches à nos vertus, écoute ces téméraires serments, et puis il fait que ceux qui les ont prononcés ne les accomplissent point, soit par négligence, soit par toute autre cause imprévue. Mais alors il en résulte que l'ouvrage ne se fait pas, et que de là naissent les coups et les injures, le parjure et mille autres péchés. Et de même que des enfants qui tirent une corde en sens contraire, tombent à la renverse, si la corde se rompt, et se blessent les uns à la tête et les autres en diverses parties du corps; ceux qui font entre eux comme assaut de serments ne peuvent évidemment les tenir. C'est pourquoi ils tombent tous dans l'abîme du parjure, les uns parce qu'ils violent leur serment, et les autres parce qu'ils les forcent à le violer.

2. Mais pour confirmer par l'autorité des saintes Ecritures ce qui arrive chaque jour dans l'intérieur de. nos maisons et sur nos places publiques, je choisis dans l'Ancien Testament un trait qui convient bien à mon sujet. Les Philistins étaient en guerre avec les Israélites, et Jonathas, fils de Saül, les ayant surpris, en avait tué une partie, et mis les autres en fuite. Alors Saül voulut animer son armée à la poursuite des fuyards, et ne point s'arrêter qu'il ne les eût tous exterminés. Mais il agit contrairement à ses vues; car il fit serment que nul ne prendrait de nourriture jusqu'au soir, afin qu'il pût achever l'entière défaite de ses ennemis. Eh! quel serment plus inconsidéré ! il devait tout d'abord accorder quelque repos à ses troupes déjà fatiguées et presque épuisées, et puis les lancer toutes fraîches contre l'ennemi. Et voilà qu'il devient à leur égard plus cruel que les Philistins eux-mêmes, puisque son serment les livre nécessairement au tourment de la faim. Il est toujours dangereux de s'engager personnellement par serment, car souvent on n'est pas maître des circonstances; mais il est bien plus téméraire de comprendre les autres dans son serment, surtout quand il intéresse non un seul individu, non deux ou trois, mais une multitude, comme dans le cas présent. Et, en effet, Saül se conduisit bien inconsidérément. Il ne réfléchit point que d'une si nombreuse armée, au moins un transgresserait son serment, et il ne considéra point que des soldats et surtout des soldats sur un champ de bataille, sont trop étrangers à la tempérance pour résister aux besoins de l'estomac; d'autant plus que cette vertu exige de pénibles efforts. Mais sans faire aucune de ces réflexions, il astreignit toute l'armée à son serment, comme s'il se fût agi d'un serviteur que l'on contient à sa volonté. Il ne réussit donc qu'à ouvrir une porte au démon, qui s'en servit pour faire naître soudain d'un seul serment non pas deux, trois ou quatre parjures, mais un nombre infini.

Lorsque nous nous abstenons de jurer, nous lui fermons toute entrée dans notre âme, et dès que nous émettons un serment, nous lui donnons une grande facilité de nous pousser au parjure. L'ouvrier qui façonne une chaîne a besoin qu'on lui aide à former la première maille, et puis il entrelace aisément tous les autres nceuds. C'est ainsi que le démon qui cherche à nous retenir dans les liens du péché, ne peut y réussir, si notre bouche ne lui en livre le premier anneau. Mais une parole indiscrète le lui remet comme entre les mains, et parce que nous n'observons point un serment téméraire, cet esprit mauvais donne un libre cours à sa noire malice. Aussi fait-il qu'un seul serment aboutit à mille parjures. Nous le remarquons en la personne de Saül, et voyez combien. de piéges recélait son serment. L'armée traversait une forêt peuplée d'essaims sauvages. Ils étaient au bord de la route, et les soldats qui les voyaient en passant murmuraient. Quelle tentation ! Les mets sont tout préparés, et il est facile de s'en nourrir. Leur douceur est exquise, et l'espérance de cacher son parjure excite à les prendre. Ainsi la faim, la fatigue, et l'occasion, car la terre, dit l'Ecriture, était couverte de miel, tout engageait au péché (69) (I Rois, XIV, 25.) Ajoutez encore que la vue seule des rayons était bien capable d'amollir la résistance, et d'exciter à violer la défense. Et, en effet, la suavité du mets, la facilité de s'en nourrir et la difficulté d'être reconnu coupable parlaient plus haut que tout raisonnement. Des viandes qu'il eût fallu préparer et faire cuire, eussent été une tentation moins forte ; car, outre que leur apprêt eût exigé du temps, on pouvait craindre d'être découvert. Mais ici ce sont des rayons de miel, qu'il est facile de s'approprier; il suffit même de les toucher en passant, du bout des doigts. Cependant toute l'armée se retint, et nul ne dit en lui-même Que m'importe ! Est-ce moi qui ai fait le serment? C'est au roi à porter la peine de mon parjure, car pourquoi jurait-il inconsidérément? Mais telles ne furent pas leurs pensées ; tous passaient avec crainte, et malgré ces dehors séduisants, tous observaient la défense : Et le peuple, dit l'Ecriture , passait en parlant. Qu'est-ce à dire, sinon qu'il se permettait quelque murmure comme apaisement de sa faim? (I Rois, XIV, 26.)

3. Mais n'arriva-t-il rien ensuite ? et cette tempérance de toute l'armée empêcha-t-elle la violation du serment? Nullement: il fut violé. Comment, et par qui ? je vais vous le dire, afin que vous connaissiez toutes les ruses du démon. Or Jonathas qui n'avait point entendu le serment de son père, étendit le bâton qu'il avait â la main, et il en trempa l'extrémité dans un rayon de miel, et il l'approcha de sa bouche avec la main, et ses yeux reprirent un nouvel éclat. (I Rois, XIV, 27.) Voyez donc quel est celui que le démon excite à violer le serment solennel. Ce n'est point un soldat inconnu, mais le fils même du roi : et reconnaissez ici qu'outre le péché de parjure, il se proposait la mort de ce jeune prince: il la préparait donc de loin, et il se hâtait d'armer la nature contre elle-même : il espérait ainsi renouveler l'action de Jephté. (Jug. XI, 39.) Ce juge d'Israël avait fait serinent d'immoler le premier objet qui s'offrirait à ses yeux au retour du combat, et il immola sa fille. Car celle-ci accourut la première au-devant de son père, et le Seigneur ne s'opposa point à ce sacrifice.

Je sais bien que plusieurs parmi les infidèles nous accusent à cette occasion de cruauté et d'inhumanité, mais j'espère leur prouver qu'en permettant ce sacrifice le Seigneur a fait éclater sa sagesse et sa bonté, et qu'il ne s'est pas opposé à ce meurtre par intérêt pour l'homme, et en effet, s'il eût défendu à Jephté d'accomplir son voeu et sa promesse, combien d'autres, dans l'espoir d'une semblable défense, auraient renouvelé un semblable serment. Ainsi peu à peu les pères seraient devenus les meurtriers de leurs enfants. Mais en permettant qu'un seul accomplît son horrible serment, le Seigneur a fait que depuis son exemple n'a point été imité. Aussi voyons-nous qu'après la mort de la fille de Jephté, une loi intervint pour conserver le souvenir de ce forfait et empêcher que ce crime ne s'effaçât de la mémoire des hommes. Chaque année les filles d'Israël se réunissaient, et pendant quarante jours pleuraient cette mort cruelle. C'est ainsi que ce deuil public, en rappelant un triste anniversaire, recommandait à tous la réserve et la prudence. Que les infidèles apprennent donc que Dieu n'inspira ni le serment, ni l'action de Jephté, autrement il n'eût point permis ce deuil et ces larmes. Et ici ce n'est point une simple conjecture, mais un fait réel, car depuis cet horrible sacrifice un pareil serment n'a pas été prononcé : et voilà pourquoi Dieu n'empêcha pas l'action de Jephté, tandis qu'il retînt le bras d'Abraham, parce qu'il lui avait ordonné d'immoler Isaac. Il montrait ainsi combien les sacrifices humains lui sont en horreur.

Cependant l'esprit mauvais qui méditait de renouveler ce drame sanglant, poussa Jonathas à violer le serment de son père; il ne suffisait pas à sa malice que le parjure fût un soldat inconnu ; et parce qu'il est insatiable de nous faire du mal, et qu'il n'est jamais rassasié de nous voir malheureux, il considérait la mort d'un simple particulier comme une oeuvre trop vulgaire, il croyait donc. ne rien faire de grand si un roi ne trempait ses mains dans le sang de son fils. Mais que disje? une mort ordinaire ne pouvait le satisfaire, et dans sa noire scélératesse, il méditait de.la rendre horrible et exécrable. Si, en effet, Jonathas eût péché avec' connaissance de cause, Saül n'immolait qu'un fils coupable; mais ce jeune prince n'avait violé que par ignorance le serment de son père, car il ne l'avait pas entendu. Aussi sa mort devenait-elle pour Saül doublement douloureuse, puisqu'il faisait périr un fils, et un fils innocent; mais poursuivons la suite du récit.

 

69

 

Après que Jonathas eut mangé, ses yeux, dit l'Ecriture, reprirent un nouvel éclat. Cette expression nous montre toute l'imprudence du roi; car elle nous révèle que la faim avait comme éteint dans toute l'armée la vigueur du regard, et couvert tous les yeux d'un voile épais. Cependant un soldat qui avait vu l'action de ce jeune prince, lui dit : Votre père a lié par serment tout le peuple, et il a dit : maudit soit celui qui mangera aujourd'hui ! Or tout le peuple était défaillant; et Jonathas répondit: Mon père a troublé le peuple. (I Rois, XIV, 28, 29.) Qu'est-ce à dire : a troublé ? il a perdu, il a réduit à une dure extrémité tout le peuple, et en effet tous se taisaient sur ce parjure, et n'osaient découvrir le coupable: mais c'était un second péché non moins grave, puisque celui qui viole un serinent et ceux qui le favorisent par leur silence sont également criminels.

4. Mais poursuivons : Et Saül dit : précipitons-nous sur les Philistins pour les accabler; et le prêtre dit: approchons-nous ici de Dieu. (l Rois, XIV, 36.) Car autrefois le Seigneur était le conducteur des guerres d'Israël, et sans son approbation il n'eût point osé engager le combat, en sorte que pour lui, la guerre elle-même devenait un acte de religion. Israël était-il donc vaincu, il attribuait sa défaite bien plus à ses péchés qu'à sa faiblesse ; et quand il était vainqueur, il en rapportait la gloire moins à sa puissance et à sa valeur qu'à la protection divine. C'est ainsi que la victoire et la défaite l'instruisaient à la vertu, et que ses ennemis eux-mêmes y trouvaient d'utiles enseignements. Ils savaient en effet que dans leurs guerres contre les Juifs, le succès des batailles ne dépendait point de la valeur des combattants, mais de leur vertu et de leur piété. L'expérience l'avait appris aux Madianites : ils savaient bien qu'Israël était inexpugnable à leurs armes et à leurs machines de guerre, et qu'il ne pouvait être facilement vaincu que par l'attrait du plaisir et du péché. C'est pourquoi ils parèrent leurs plus belles filles et les placèrent à l'entrée du camp, afin qu'elles pussent provoquer l'armée à la volupté, et par le péché lui ôter le secours du Seigneur. Cette ruse leur réussit, et Israël devenu pécheur ne leur résista pas. Ceux donc que ni les armes, ni les chevaux, ni les hommes, ni les machines de guerre ne pouvaient vaincre, le péché les livra faibles et désarmés aux mains de leurs ennemis. Aussi le Sage nous dit-il : Ne considérez point la beauté de l'étrangère, et ne vous approchez point de la courtisane. Ses lèvres distillent un miel qui d'abord est doux au palais, mais bientôt vous le trouverez plus amer que le fiel, et plus aigu que l'épée à double tranchant., (Eccli. XI, 8, 3... Prov. V, 3, 4.)

Et en effet, la courtisane n'aime point, et ne sait que dresser des embûches. Son baiser est perfide, et de ses lèvres découle un funeste poison. Si le danger ne se montre tout d'abord, c'est pour vous une raison pressante de l'éviter avec plus de soin , car elle sait voiler ses piéges, cacher la mort sous des fleurs, et en dérober la vue à nos premiers regards. Voulez-vous donc vous créer une existence douce, calme et joyeuse, fuyez le commerce des courtisanes. Elles ne savent que semer la guerre et le trouble parmi leurs amants, et leurs paroles comme leurs actions rie tendent qu'à fomenter les disputes et l'esprit de contention. Ce sont de cruels ennemis qui cherchent et qui travaillent par tous les moyens à nous précipiter dans la honte, la pauvreté et le malheur. Le chasseur qui a tendu ses filets s'efforce d'y pousser les animaux dont il veut faire sa proie. Ainsi les courtisanes déploient autour d'elles, comme des rêts perfides, les regards, les discours et le luxe des vêtements; et lorsqu'elles ont fait tomber leurs amants dans leurs pièges, elles les sucent jusqu'à la dernière goutte de sang, et puis les outragent, se moquent de leur crédulité et rient de leur infortune. Qui pourrait en effet plaindre ces hommes? ils ne méritent qu'un blâme sévère et une amère dérision parce qu'ils se montrent moins avisés qu'une femme et une courtisane. Aussi le Sage nous dit-il : Puisez l'eau à votre citerne, et dans le courant de votre fontaine; il dit encore, en parlant de l'épouse légitime qui habite avec nous, qu'elle vous soit comme une biche très-chère, et comme un faon très-agréable. (Prov. V, 15, 19.) Pourquoi donc, ô homme, abandonner celle qui vous vient en aide, et courir après celle qui ne veut que vous perdre? pourquoi dédaigner la compagne de votre vie, et suivre l'étrangère qui veut attenter à votre bonheur? L'une est un membre de votre corps et ne fait qu'une même chair avec vous, et l'autre ne vous est qu'un glaive tranchant. Fuyez donc l'incontinence , mes bien-aimés, et à cause des maux qu'elle produit dès cette vie , et (70) de ceux qu'elle nous prépare après la mort. Il vous paraît peut-être que je m'éloigne de mon sujet. Mais nullement, car mon but est bien moins de vous raconter un trait d'histoire, que de corriger les vices qui vous infestent. C'est pourquoi je vous reprends fréquemment, et je varie mes instructions selon la diversité des maux qui peuvent se rencontrer parmi un peuple si nombreux. Et comme je me propose de guérir toutes les plaies, et non une seule, je dois appliquer à chacune un traitement différent et une instruction toute spéciale.

Mais revenons au point d'où cette digression nous a éloignés. Et le prêtre dit : Approchons-nous ici de Dieu, et Saül consulta le Seigneur : Poursuivrai-je les Philistins ? et les livrerez-vous entre mes mains ? Et le Seigneur ne lui répondit point en ce jour-là. (I Rois, XIV, 36, 37.) Admirez ici la bonté et la douceur du Dieu de toute clémence. Il ne lance point son tonnerre, et il n'ébranle point la terre. Mais il agit à l'égard de son serviteur, comme un ami envers un ami qui l'a blessé; il se tait, et ce silence est une voix qui révèle toute son indignation. Saül le comprit bien, et il dit: Qu'on rassemble toute la multitude du peuple, et voyez quel est celui quia péché aujourd'hui. Car, vive le Seigneur qui a sauvé Israël, si le sort désigne Jonathas, mon fils, il sera puni de mort. (I Rois, XIV, 38.) Quelle parole imprudente ! il voit que son premier serment a été violé, et au lieu de devenir plus circonspect, il en prononce un second. Et connaissez la malice du démon! Il savait qu'un fils amené sous les yeux de son père, en obtient facilement le pardon, même de fautes nombreuses, et qu'ainsi la présence seule de Jonathas suffirait pour apaiser la colère du roi. Aussi s'empresse-t-il d'étouffer en lui le sentiment paternel sous la pression d'un second serment. Il le lie donc comme d'une double chaîne, et il ne lui permet plus d'être le maître de ses résolutions. L'infortuné prince est entraîné de tous côtés à ce meurtre impie; il agit déjà comme juge, et il n'a pas encore découvert le coupable; il prononce la sentence, et il ne connaît pas celui qu'elle doit atteindre. Ainsi un père devient le bourreau de son fils, et un roi condamne à mort sans examen. Peut-on rien imaginer de plus inique?

5. Cependant le peuple fut saisi de crainte en entendant ces paroles de Saül, et tous étaient dans l'attente et l'anxiété. Le démon seul se réjouissait d'avoir ainsi porté le trouble dans tous les esprits : Et nul d'entre le peuple, dit l'Ecriture, n'osa contredire le roi. Et Saül dit : Vous serez assujettis à vos ennemis, et mon fils Jonathas et moi nous deviendrons esclaves. (I Rois, XXXIX, 40.) C'est comme s'il leur eût dit Vous ne tendez qu'à tomber entre les mains de vos ennemis, et à perdre votre liberté, puis lue vous vous obstinez à irriter le Seigneur en ne découvrant pas le coupable. Mais voyez encore quelles difficultés soulève ce second serment Si Saül voulait découvrir le parjure, il ne fallait émettre aucunes menaces, et ne point s'obliger par serment à punir. Alors tous eussent mieux osé le découvrir et le lui amener. Mais ce prince, dominé parla fureur et la colère, renouvelle sa première imprudence, et il agit tout contrairement à ses desseins.

Enfin, pour abréger, il s'en remet à la décision du sort; et le sort est jeté entre Saül et Jonathas : Et Saül dit : Jetez le sort sur moi et sur Jonathas. Et le sort tomba sur Jonathas, et Saül dit à Jonathas : découvre-moi ce que tu as fait, et Jonathas avoua et dit : J'ai goûté de l'extrémité du bâton qui était en ma main, un peu de miel, et voici que je meurs. (I Rois, XIV, 42, 43.) Quel coeur ne se serait attendri à ces paroles, et quelles entrailles ne se seraient émues? Saül était donc violemment agité, car ses entrailles de père étaient déchirées, et de quelque côté qu'il se tournât, il n'apercevait qu'un effroyable abîme; et néanmoins il n'en devient ni plus sage, ni plus circonspect. Mais il s'écrie: Que Dieu m'envoie tous les maux, si tu ne meurs aujourd'hui! Voilà donc un troisième serment, et un serment circonscrit dans le court intervalle de quelques heures; car il a dit : Tu mourras aujourd'hui, et non simplement, tu mourras. C'est qu'il tardait au démon de l'entraîner à cet horrible forfait. Aussi ne souffrit-il point qu'il différât même d'un jour l'exécution de sa sentence , de peur que la réflexion ne la lui fît révoquer. Mais voici que le peuple dit à Saül : Que Dieu nous envoie tous les maux, si Jonathas meurt, lui qui a sauvé Israël. Vive le Seigneur! il ne tombera pas un cheveu de sa tête, parce qu'aujourd'hui la miséricorde divine s'est manifestée par lui. (I Rois, XIV, 4,5.) Ainsi le peuple prononce, lui aussi, un second serment; et ce serment est tout opposé à celui du roi. Rappelez-vous donc la parabole des enfants qui tirent une corde en sens contraire : la corde casse, et ils tombent tous par terre. Combien de serments a faits (71) Saül ! mais le peuple a fait un serment contraire, et il y persiste. Il est donc de toute nécessité qu'il y ait un parjure, car on ne peut tenir deux serments contraires.

Ne m'objectez point l'issue de cette lutte, et pensez seulement aux maux qui pouvaient en résulter; il est vrai de dire que le démon disposait déjà toutes choses pour une révolte et une rébellion semblable à celle qu'Absalon devait plus tard exciter ; et en effet supposez que Saül eût voulu être obéi, et qu'il eût tenté d'accomplir son serment, toute l'armée se soulevait, et une sanglante discorde éclatait entre le peuple et le roi. D'un autre côté, si Jonathas, pour sauver sa vie, se rangeait du parti de l'armée, il devenait parricide. Voyez donc quels maux pouvait enfanter ce téméraire serment. Un roi devenait un tyran, et un père le meurtrier de son fils. Ce fils lui-même devenait parricide, et allumait une guerre civile. Le combat se fût engagé, le sang eût coulé par torrents, et les morts se fussent comptés par milliers ; et en effet, si la guerre eût éclaté, Saül et Jonathas pouvaient être tués, et le carnage eût été horrible. Ainsi le serment serait devenu funeste aux deux partis. C'est pourquoi au lieu de dire qu'aucun de ces malheurs n'est arrivé, considérons que par la force même des choses ils pouvaient se produire. Sans doute le peuple l'emporta. Mais comptons, s'il vous plaît, le nombre des parjures, et d'abord Jonathas fut cause que le premier serment de Saül ne fut pas observé; et puis le second et le troisième qui avaient trait à sa mort ne purent être accomplis. En second lieu tout le peuple parait s'être engagé par un véritable serment. Aussi en examinant les faits avec attention, trouve-t-on que tous se rendirent coupables de parjure, car en ne livrant pas Jonathas à son père, ils le forcèrent de manquer à son serment. Voyez-vous combien d'hommes, soit par ignorance, soit avec connaissance de cause, sont devenus parjures à la suite d'un seul serment ! que de maux pouvaient en naître ! et quels crimes il faillit enfanter !

6. J'avais promis, en commençant cette instruction, de montrer que des serments contraires amenaient nécessairement un parjure. Mais l'exemple de Saül en est une preuve péremptoire. Car nous y voyons non un seul homme, ni deux, ni trois, mais tout un peuple s'engager par des serments contraires en sorte qu'ils deviennent parjures, non une seule fois, ni deux, ni trois, mais une infinité de fois. Je puis même vous montrer par un autre trait historique, qu'un serment violé a été la cause de malheurs plus grands encore. Et, en effet, n'est-ce pas le parjure de Sédécias qui attira sur la Judée tant d'affreuses calamités, la captivité des hommes, des femmes et des enfants, l'invasion des barbares, l'incendie de la cité sainte et la profanation du temple? Mais ce serait trop prolonger ce discours; c'est pourquoi je me contente d'indiquer ce fait, et je vous laisse en présence de la tête de Jean-Baptiste, du meurtre de Jonathas et de la ruine de tout un peuple. Sans doute ces deux derniers faits ne se sont pas accomplis, mais ils étaient comme en germe dans un serment téméraire. Voilà donc le sujet d'un utile entretien dans l'intérieur de vos maisons et sur les places publiques, auprès de vos épouses et de vos amis, de vos voisins, et, en général, de tous ceux avec lesquels vous serez en rapport. Ne négligez rien, je vous en conjure, pour extirper l'horrible coutume du jurement, et n'alléguez pas comme excuse que c'est une habitude. Car cette excuse n'est qu'un prétexte, et le mal vient bien plutôt de notre négligence que d'une longue habitude. Je vais vous le prouver par ce qui se passe sous nos yeux.

L'empereur a fait fermer les bains publics, et nul n'y est admis. Cependant personne n'ose transgresser cette défense, ni blâmer cette rigueur, ni alléguer la coutume. Mais tous, malades ou bien portants, hommes, femmes, enfants et vieillards, femmes récemment accouchées , et généralement tous ceux dont l'état réclamerait l'usage des bains, se conforment à cet ordre de gré ou de force. Ils ne prétextent ni la maladie, ni la tyrannie de l'habitude, ni leur innocence personnelle, ni toute autre raison; et ils se soumettent même avec joie à cette prohibition, parce qu'ils s'attendent à un plus rigoureux châtiment. Aussi souhaitent-ils que la colère du prince se borne à cette défense. Avouez donc que la crainte corrige facilement toute habitude, et même celle dont le temps a fait comme une nécessité. Or la privation du bain nous est pénible, et malgré tous.nos raisonnements, le corps souffre, car la philosophie ne peut rien pour la santé. Nous abstenir au contraire de tout serment est une chose facile qui, loin de nuire au corps et à l'âme, ne peut que nous être utile, profitable et avantageuse. Quel est donc notre aveuglement ! (72) nous obéissons aux ordres durs et pénibles du prince; et quand Dieu nous intime une défense légère et aisée, facile et utile, nous la méprisons, nous dédaignons de nous y soumettre, et nous prétextons la force de l'habitude. Mais, je vous en supplie, estimons notre salut à un plus haut prix, et craignons le Seigneur comme nous craignons un prince mortel. Vous frissonnez à ces paroles : eh ! ce qui doit nous inspirer une véritable horreur, c'est de moins respecter Dieu qu'un homme; c'est d'observer avec soin la défense de l'empereur, et de fouler aux pieds, comme indignes de la moindre attention, les lois divines et célestes. Désormais quelle sera donc notre excuse ! et comment mériter notre pardon, puisqu'après tant d'avertissements nous persistons dans notre criminelle habitude?

J'ai commencé à parler contre les jurements à la naissance de nos calamités; et voici que j'en entrevois le terme, tandis que je n'ai pu encore vous amener à l'observation de ce seul commandement. Comment donc demander à Dieu la délivrance de nos maux, lorsque nous ne pouvons nous astreindre même à un seul de ses préceptes? Comment nourrir l'espérance d'un heureux changement? Comment prier, et quel langage tenir au Seigneur? Une exacte fidélité à ses commandements nous rendra plus douce la joie de voir l'empereur se réconcilier avec notre cité. Mais si nous persévérions dans notre criminelle habitude, quelle honte et quelle confusion rejaillirait sur nous, puisque délivrés par le Seigneur d'un immense péril, nous serions encore aussi lâches à son service! Plût au ciel qu'il me fût possible de vous montrer l'âme d'un parjure! En voyant les plaies et les blessures dont ce péché la couvre, vous n'auriez plus besoin de mes avis, ni de mes pressantes exhortations. Car la vue de ces plaies parlerait plus haut que tous mes discours, et elle suffirait seule pour arracher à cette funeste habitude ceux mêmes, qu'elle y enchaîne le plus étroitement. Mais si vous ne pouvez voir cette âme des yeux du corps, du moins il vous est facile de vous en représenter par la pensée la honte, les souillures et la corruption. L'esclave qui est souvent frappé de verges, dit le Sage, en conserve les cicatrices; ainsi tout homme qui jure sans cesse par le nom de Dieu, ne peut être exempt de péché. (Eccli. XXIII, 11.) Car il est impossible, oui, il est impossible que la bouche qui s'habitue au serment, ne se parjure souvent. Je vous conjure donc tous d'extirper de vos âmes cette criminelle habitude, et de mériter cette autre couronne que je vous propose. Vous savez que selon la tradition les disciples de J.-C. reçurent dans Antioche le nom de chrétiens; eh bien ! faites aussi que tous proclament que cette même Antioche a voulu la première bannir de son enceinte l'habitude du jurement. Par là notre cité s'illustrera elle-même, et elle réveillera en toutes les autres une louable émulation, et de même que le nom de chrétien qui a pris naissance parmi nous, s'est répandu dans tout l'univers; de même en extirpant les premiers du milieu de vous la coutume du parjure, vous aurez pour disciples tous les peuples de la terre ; mais alors votre récompense s'accroîtra comme à l'infini par vos propres mérites et par la fidélité de ceux que vous aurez instruits. Jamais notre cité ne se couronnera d'un diadème plus glorieux, et jamais elle ne méritera mieux de conserver dans les cieux ce nom de métropole q u'elle possède sur la terre. Enfin ce sera pour nous un appui au jour du jugement, et un titre à la couronne de justice. Puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et la miséricorde de N.-S.-J.-C., avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant, et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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