MORT II

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SECOND SERMON.

 

ANALYSE.

 

1. Résurrection de la chair, à démontrer seule contre les infidèles et les incrédules, celle de l'âme étant admise par tous.

2. Possibilité, analogies, vision d'Ezéchiel.

3. Promesse divine, témoigna;e des apôtres et des martyrs. Exemple de la mère des Macchabées, de David, d'un païen.

4. Prosopopée : le diable au jour du jugement, plaidant la cause de ce païen comparé aux chrétiens pusillanimes.

5. Bornes prescrites aux regrets.

6. Garder sa tristesse pour la pénitence.

7. Exhortation à la résignation.

 

1. Dans le discours qui précède nous avons traité brièvement des raisons qui doivent nous consoler d'être mortels, de l'espoir de la résurrection ; nous allons maintenant revenir avec plus de développements et plus de force sur le même sujet. Si les choses que j'ai dites sont certaines aux yeux des fidèles, elles paraissent des fables aux infidèles et aux incrédules, c'est à ceux-ci que nous nous adresserons d'abord en quelques mots. Tous vos doutes, à vous incrédules, portent sur la permanence du corps. Quelques-uns nient, en effet, qu'un corps réduit en poussière puisse ressusciter et revivre. D'ailleurs en ce qui concerne l'âme, la chose leur paraît indubitable; aussi bien, touchant l'immortalité de l'âme il n'y pas même de dissentiment parmi les philosophes , quoique païens. Qu'est-ce que la mort, sinon la séparation du corps et de l'âme? Au départ de l'âme qui vit toujours, qui ne petit mourir, parce qu'elle provient du souffle de Dieu, le corps seul périt, car il y a en nous une partie mortelle, une autre immortelle., Mais à son départ., l'âme, invisible aux yeux charnels, est recueillie par les anges, et établie, ou dans le sein d'Abraham, si elle est fidèle, ou dans la prison de l'enfer, si elle est pécheresse; jusqu'à l'arrivée du jour fixé pour qu'elle rentre en possession de son corps et rende compte de ses actes au tribunal du juge incorruptible, le Christ. Les hésitations ne regardent donc que la chair. En conséquence, c'est à son secours qu'il faut venir, c'est sa résurrection qu'il faut démontrer.

2. Que si quelque sceptique, quelque incrédule me demande : « Comment les morts ressusciteront-ils? ou avec quel corps reviendront-ils? » je leur répondrai par la bouche (516) et avec le langage de l'Apôtre : « Insensé, ce que tu sèmes n'est point vivifié, si auparavant il ne meurt. Et ce que tu sèmes n'est pas le corps même qui doit venir, mais une simple graine, comme de blé ou de quelque autre chose (I Cor. XV, 35-37), » une graine morte et desséchée ; et une fois tombée en putréfaction, elle se lève plus féconde, se revêt de siliques, s'arme d'épis. Comment donc celui qui fait renaître le grain de blé à cause de toi, serait-il incapable de te ressusciter en vue de lui-même ? Celui qui ressuscite chaque jour le soleil plongé dans le sépulcre de la nuit, qui renouvelle la lune presque éteinte, qui ramène pour nos besoins les saisons écoulées, pourrait ne pas nous rappeler, nous en faveur de qui il répare toutes choses, et laisser disparaître sans retour ceux qu'il a allumés de son souffle, animés de son Esprit? Il cesserait d'être à jamais, l'homme qui l'a connu, adoré pieusement?

Mais vous hésitez encore à croire que vous puissiez renaître après la mort, être rappelés à l'existence, quand vous ne serez plus qu'une cendre, qu'une poussière d'ossements? Mais dites-moi donc ce que vous étiez avant que votre mère vous conçût? Rien, assurément. Eh bien ! ne sera-t-il pas facile à Dieu qui tous a créés de rien, de vous refaire avec quelque chose? Croyez-moi, refaire ce qui fut sera aisé à qui a pu créer celui n'était pas. Celui qui, dans le sein de votre mère, a, de je ne sais quelle semence, fait sortir des nerfs, des veines et des os, celui-là pourra, n'en doutez point, vous retirer du sein de la terre pour une rie nouvelle. — Mais vous craignez que vos os desséchés ne puissent se revêtir désormais de la chair qui les couvrait autrefois ? Gardez-vous d'apprécier la majesté divine d'après votre propre impuissance. Ce Dieu, père de l'univers, qui vêt les arbres de feuilles et les prairies de fleurs, ce Dieu saura bien habiller vos os, quand sera venu le printemps de la résurrection.

Le prophète Ezéchiel en avait douté quelque temps, le Seigneur lui demandant si les ossements desséchés qui gisaient dans la plaine, vivaient, il répondit : « Vous le savez, Seigneur. » Mais après que Dieu lui ayant donné ses ordres et lui-même prophétisant, il eut tu ces os accourir à leurs places et rentrer dans leurs jointures, quand il eut vu ces os desséchés s'unir par des nerfs, se couvrir de chair, se sillonner de veines, se vêtir de peau ; après qu'il eut prophétisé en esprit et que l'esprit de chacun fut revenu et rentré dans ces corps gisants, qu'ils eurent ressuscité, qu'ils se tinrent debout; alors le Prophète, raffermi au sujet de la résurrection, mit par écrit sa vision, afin qu'une si grande chose parvînt à ta connaissance de la postérité. C'est donc justement qu'Isaïe s'écrie : « Les morts se relèveront, ceux qui sont dans les tombeaux ressusciteront, ceux qui sont dans la terre se réjouiront. Car la rosée qui vient de vous est la santé pour eux. » (Isaïe, XXVI, 19.) Au printemps, de même que la rosée fait germer et croître les semences humides, ainsi la rosée de l'Esprit fera germer les os des fidèles.

3. Doutez-vous maintenant qu'avec quelques débris d'ossements on puisse refaire l'homme tout entier? Une faible étincelle tous suffit, à vous, pour ranimer une grande flamme : et Dieu, avec un lieu de cendre ne pourrait refaire votre humble corps dans son intégrité? En vain vous diriez: nulle part les restes de la chair ne se retrouvent : peut-être ils ont été consumés par le feu ou dévorés par les bêtes mais sachez d'abord que tout ce qui est consumé retournera dans les entrailles de la terre, d'où il su lira d'an ordre de Dieu pour le faire sortir. Vous-même, quand vous manquez de feu , vous prenez une pierre et un peu de fer, et vous faites sortir des veines du caillou autant de feu qu'il vous est nécessaire. Ce que. vous faites par votre industrie et l'intelligence que Dieu vous a départie lui-même, quand vous amenez au jour ce qui était invisible, comment la majesté divine n'aurait-elle pas le pouvoir de l'opérer? Comment ne pourrait-elle pas faire paraître ce qui était caché jusque-là? Croyez-moi : Dieu peut tout.

4. Occupez-vous de savoir une seule chose, s'il a, promis d'opérer la résurrection : une fois assuré de la réalité de cette promesse par le témoignage de plus d'un grand pomme, que dis-je ? par l'infaillible garantie de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, affermi dans la foi, cessez désormais de craindre la mort. Continuer de la craindre, en effet, c'est douter: et douter, c'est se charger d'un péché sans remède : car c'est accuser Dieu, par cette incrédulité téméraire, ou d'impuissance, ou, tout au moins, de mensonge. Mais ce n'est pas là ce qu'établissent les bienheureux apôtres, les saints martyrs. Les apôtres enseignent que le Christ est ressuscité pour répandre ce dogme (517) de la résurrection ; ils nous annoncent que les morts doivent être ressuscités en lui ; ils n'ont reculé ni devant la mort, ni devant les tortures, ni devant la croix. Si le témoignage de deux ou de trois personnes suffit en toute matière, comment révoquer en doute la résurrection des morts, établie par tant de témoignages si valables, et scelles du sang de ceux qui les ont prononcés?

Et les saints martyrs? ont-ils compté, oui ou non, sur la résurrection? S'ils n'y avaient pas compté, ils n'auraient certes pas accueilli comme le plus grand des bonheurs une mort aggravée par tant de souffrances et de tourments. C'est qu'ils ne songeaient pas aux supplices du moment, mais aux récompenses futures. Ils savaient qu'il est ait : « Les choses qui se voient sont pour un temps; mais celles qui ne se voient pas sont éternelles. » (II Corinth. IV, 18.) Ecoutez, mes frères, un trait de courage. Une mère exhortait ses sept fils, sans pleurer, que dis-je? avec joie : elle voyait ses fils écorchés, coupés en morceaux, brûles à petit feu : et elle ne pleurait pas, elle ne gémissait pas, elle encourageait instamment ses fils à la patience. Ce n'était point certes cruauté chez elle, mais bien fidélité elle aimait ses fils, non avec faiblesse, mais d'un amour viril. Elle exhortait ses fils au martyre qu'elle subit- elle-même avec joie. C'est qu'elle était sûre de sa résurrection et de celle de ses fils? Que dirai-je de tant d'hommes, de femmes, d'enfants, de jeunes filles? raconterai-je comment tous se jouèrent de la mort, comment tous s'enrôlèrent avec le plus vif empressement dans la céleste milice? Il n'aurait tenu qu'à eux, cependant, de rester dans la vie présente: car ils étaient libres ou de vivre en reniant le Christ, ou de mourir en le confessant : mais ils préférèrent sacrifier une vie temporaire, et conquérir la vie éternelle, quitter la terre et habiter le ciel.

5. Comment hésiter dans ce choix, mes frères? quel asile reste-t-il encore à la crainte de la mort? Si nous sommes les fils des martyrs, si nous voulons être reconnus pour leurs héritiers, ne nous affligeons pas devant la mort, ne pleurons pas les êtres chers à notre âme, qui s'envolent avant nous vers le Seigneur. Si nous étions tentés de porter leur deuil, les bienheureux martyrs nous réprimanderaient eux-mêmes, et nous diraient : O fidèles! ô vous qui aspirez au royaume de Dieu ! vous qui pleurez avec tant de marques d'affliction ceux que vous aimez, quand ils sont morts dans leurs lits, mollement couchés sur la plume, si vous les voyiez torturer et mettre à mort par les Gentils pour le nom de Dieu, que feriez-vous? L'histoire ne vous fournit-elle pas un exemple? Le patriarche Abraham, offrant son fils unique en sacrifice, l'égorgea par le glaive de son obéissance; il ne fit pas grâce à celui qu'il aimait d'un si profond amour, parce qu'il voulait prouver sa docilité aux ordres divins. Me direz-vous qu'il n'a agi ainsi qu'à cause de ce commandement d'en-haut? Eh bien ! à vous aussi, il vous est commandé de ne pas vous affliger au sujet des endormis. Ceux qui n'observeront pas les moindres préceptes, observeront-ils les plus grands ? Ignorez-vous que l'âme qui succombe à de telles épreuves, encourt la condamnation dans les épreuves plus redoutables? Si l'on a peur d'un ruisseau, se hasardera-t-on sur la mer? Celui qui pleure une perte si amèrement, est-il capable d'affronter la lutte du martyre? Car, pour celui qui se montre patient et magnanime en ces occurrences, il se fraye la voie pour monter plus haut.

6. En voilà assez, mes frères, pour vous inspirer le mépris de la mort, et confirmer vos espérances. Il me reste à mettre sous vos yeux l'exemple des anciens, exemple consolateur entre tous, auquel je souhaite que vous prêtiez tous l'attention du coeur. Le grand roi David voyait avec la plus vive douleur un fils chéri, qu'il aimait plus que sa propre vie, atteint d'une maladie : tout remède humain étant devenu impuissant, il recourut à Dieu; déposant tout l'appareil tic la majesté royale, il s'assit à terre, coucha sur un cilice, s'abstint de boire et de manger : et sept jours durant il pria Dieu de vouloir bien lui accorder la vie de son fils, Les vieillards de son palais vinrent le consoler, le prier d'accepter du pain, craignant que dans son zèle pour la vie de son fils, il ne le précédât lui-même au tombeau. Ils ne purent rien gagner, rien obtenir par leurs instances: une tendresse aussi vive brave le danger même. Il repose donc, ce roi, sur un sordide cilice, pendant que son fils est malade : les paroles ne peuvent le consoler; le besoin de nourriture ne saurait même le distraire. Son âme se repaît de tristesse, son coeur se nourrit de souffrances; ses yeux versent des larmes, et c'est son unique breuvage.

 

518

Sur ces entrefaites le décret de Dieu s'accomplit: l'enfant meurt. Voilà la mère en deuil, toute la maison dans les larmes; les esclaves tremblants, indécis, ne savent que faire : aucun n'osait annoncer au maître la mort de son fils : ils craignaient que ce père, si affligé quand son enfant vivait encore, ne mît fin à ses jours en apprenant qu'il n'était plus. Tandis que les serviteurs disputent entre eux, tandis que, dans leur trouble, ils se pressent ou se dissuadent mutuellement de parler, David comprend, il prévient le message, il demande si son fils a rendu l'âme. Ils ne peuvent dire non, leurs larmes révèlent la vérité. On accourt avec une hâte inusitée, on est dans l'attente et dans la crainte, de ce que peut tenter contre lui-même ce tendre père. Le roi David quitte aussitôt le cilice sur lequel il était couché; il le quitte, le visage serein, comme s'il avait appris que son fils était sauvé; il va au bain, se plonge dans l'eau; il va au temple, adore Dieu; il prend son repas avec ses amis, étouffant ses soupirs, mettant fin à ses lamentations, un air de contentement sur le front.

Les gens de la maison s'étonnent; ses amis demeurent stupéfaits de ce changement surprenant et subit: enfin ils osent lui demander d'où vient, qu'après avoir tant pleuré du vivant de son fils, il ne pleure plus maintenant qu'il est mort. Alors cet homme magnanime répondit: Tant que mon fils vivait encore, il fallait m'humilier, jeûner, pleurer sous les yeux du Seigneur: car je pouvais espérer la prolongation de sa vie : mais aujourd'hui que la volonté du Seigneur est accomplie, ce serait une folie et une impiété, de me tourmenter de lamentations inutiles. «J'irai vers lui,» dit-il, « il ne reviendra pas vers moi. » Contemplez cet exemple de magnanimité, de courage. Si David, qui vivait sous le régime de la loi, à une époque où le deuil était, je ne dirai pas permis, mais imposé, sut interdire ainsi à son sueur un deuil déraisonnable, réprimer ainsi sa tristesse et celle des siens: nous qui vivons sous le régime de la grâce, nous qui sommes assurés de la résurrection, à qui toute tristesse est interdite, de quel front osons-nous pleurer nos morts à la façon des Gentils, pousser des hurlements insensés, comme font en d'autres circonstances les ministres de Bacchus, déchirer nos vêtements et mettre nos poitrines à nu , faire entendre de stériles chants de plainte autour du tombeau où repose le corps du défunt? Enfin pour quelle raison teindre en noir nos vêtements, sinon pour attester, non-seulement par nos pleurs, mais par nos vêtements mêmes que nous sommes de malheureux infidèles? Ce sont là, mes frères, des rites étrangers, empruntés, défendus , et messéants, lors même qu'ils seraient permis.

Mais quelquefois, quand il s'agit d'un frère ou d'une sueur, en dépit de la force qu'on peut puiser dans sa foi et dans la volonté du Seigneur, on se laisse vaincre, ébranler par l'opinion de ses parents, de ses voisins: on craint de paraître insensible et dur, en s'abstenant de toucher à ses vêtements, de s'abandonner aux orgies d'un deuil insensé. Eh : quelle vanité, quelle folie, que de songer à l'opinion de quelques hommes jouets de l'erreur, et de ne pas .craindre de faire tort par là à la foi qu'on a embrassée ! Pourquoi n'apprend-il pas plutôt la patience, celui qui est dans ce cas? Et pourquoi celui qui doute ne vient-il pas apprendre à croire auprès de moi ? Quelle que soit la douleur qui dévore son âme, il devrait ensevelir son deuil dans le silence de son coeur, au lieu de le publier dans un emportement indiscret.

7. Je veux encore citer un seul exemple afin de corriger ceux qui croient devoir pleurer les morts; cet exemple est emprunté à l'histoire païenne. Il y avait, parmi les païens, un grand personnage, qui avait un fils unique et l'aimait de tout son coeur. Il sacrifiait au Capitole, en l'honneur des idoles de sa nation , quand on vint lui annoncer que son fils unique était mort. Il ne quitta pas les objets consacrés qu'il tenait dans ses mains, ne pleura pas , ne soupira pas; et écoutez quelle fut sa réponse : Qu'on l'ensevelisse, dit-il; je sais que mon fils était mortel. Considérez cette réponse , considérez la vertu de ce païen , qui ne voulut pas même qu'on l'attendit pour inhumer son fils en sa présence. Que ferons-nous, mes frères, au jour du jugement, en présence du Christ, si le diable alors amène cet homme en face de nous et dit : Cet homme , mon adorateur, que j'abusais par mes prestiges , au point de lui faire rendre un culte à des images aveugles et sourdes; cet homme à qui je n'avais promis ni la résurrection d'entre les morts, ni le paradis, ni le royaume des cieux; cet homme, avec la fermeté d'un sage a vu sans se plaindre, sans gémir, la mort de son fils unique, et une pareille nouvelle n'a pu lui faire déserter mes autels: et vos chrétiens , vos fidèles, pour qui (519) vous avez enduré le crucifiement et la mort, afin de les délivrer eux-mêmes de la crainte du trépas, et de les rendre assurés de leur résurrection; non -seulement ils pleurent les morts et en portent le deuil, mais ils osent encore venir à l'église, et même quelques-uns de vos clercs, de vos pasteurs, interrompent leur ministère pour se livrer au deuil, comme s'ils voulaient braver votre volonté? Et pourquoi ? parce que vous avez tiré ceux qu'il vous a plu des ténèbres du siècle pour les appeler à vous.

A cela que pourrons-nous répondre, mes frères? Ne serons-nous pas saisis de confusion en nous voyant convaincus d'être inférieurs en ce point à des gentils ? Et cependant ils devraient pleurer, ces païens, qui, ignorant Dieu, ne sont pas plutôt morts qu'ils courent droit au supplice. Ils devraient pleurer, ces Juifs, qui en refusant de croire au Christ, se sont voués eux-mêmes à la perdition. Il faut plaindre aussi nos catéchumènes si, par défaut de foi ou par la négligence de leurs proches , ils ont perdu la vie avant d'avoir reçu le baptême salutaire. Mais pour celui qui s'en va du monde, sanctifié par la grâce, scellé de la foi , justifié par ses oeuvres ou protégé par son innocence , loin de le pleurer, il faut l'estimer heureux; regrettons-le, ne le pleurons pas; et regrettons-le avec modération, en songeant que nous-mêmes nous ne tarderons pas à le suivre.

8. Trêve donc à tes larmes, à tes soupirs, à tes gémissements, ô fidèle : bannis ta tristesse présente pour revêtir cette autre tristesse que l'Apôtre nomme tristesse selon Dieu, tristesse capable d'opérer notre salut durable: en d'autres termes, le repentir des péchés que tu as commis. Sonde torr coeur, interroge ta conscience; et si tu y trouves quelque sujet de repentir (ce qui ne peut manquer, puisque tu es homme) , soupire en te confessant, mêle des larmes à tes prières, tremble à la pensée de la mort véritable , du supplice de l'âme, à la pensée de ton péché, comme parle David :  « Puisque je déclare mon iniquité, et que je  serai troublé au sujet de mon péché : » et tu ne redouteras pas la dissolution de ton corps qui sera rajeuni et perfectionné en temps opportun, quand Dieu l'ordonnera. Voyez comment l'Ecriture proclame à la fois ces deux vérités , en disant: « L'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres, en sortiront. » Voilà pour la tranquillité d'âme , pour le mépris de la mort. Et la suite, maintenant? « Ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie ; mais ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation.» (Jean, V, 28, 29.) Voilà pour la différence des résurrections. Toute chair, da moins toute chair humaine , doit ressusciter nécessairement ; mais les bons ressusciteront à la vie , les méchants au supplice, ainsi qu'il est écrit: « C'est pourquoi les impies ne ressusciteront point dans le jugement, ni les pécheurs dans l'assemblée des justes. » (Ps. I, 5.) Ainsi donc, si nous ne voulons pas ressusciter à notre condamnation, bannissons toute tristesse au sujet de la mort, et livrons-nous à cette autre tristesse qui est celle de la pénitence ; songeons aux bonnes oeuvres, à l'amendement de notre vie, et si nous pensons aux cadavres, aux funérailles, que ce soit pour nous rappeler que nous sommes mortels, et nous empêcher par là de négliger notre salut, pendant qu'il est temps, qu'il nous est loisible de nous en occuper: c'est, à savoir, en donnant de meilleurs fruits , en réparant les fautes que nous avons pu commettre dans notre ignorance: autrement l'instant de la mort pourrait nous surprendre ; nous demanderions alors , mais en vain , du temps pour nous repentir; nous demanderions à faire des aumônes, à expier nos fautes, et nos souhaits ne seraient point exaucés.

9. Après vous avoir montré, mes frères , la nécessité commune de la mort, l'interdiction prononcée contre les larmes, la faiblesse des anciens, encore étrangers à l'influence fortifiante du christianisme, après avoir mis sous vos veux le sacrement du Seigneur et l'enseignement des apôtres au sujet de la résurrection, vous avoir rappelé les actes des apôtres, les souffrances des martyrs, vous avoir proposé en outre l'exemple de David, et y avoir ajouté celui d'un gentil; enfin après avoir insisté sur la différence des deux tristesses , l'une nuisible, l'autre utile; l'une pernicieuse, l'autre salutaire au moyen de la pénitence: que nous reste-t-il , mes frères , sinon à rendre grâces à Dieu notre Père , et à dire: « Que votre volonté soit faite sur la terre comme aux cieux ? » C'est vous qui nous avez donné la vie , vous qui avez institué la mort; vous nous introduisez dans le monde , vous nous en retirez, et après nous en avoir retirés, vous nous (520) sauvez, car rien ne périt de ce qui appartient aux vôtres, à ce point que vous avez dit qu'il ne périssait pas un sent cheveu de leur tête : « Vous leur ôterez leur souffle, et ils défailliront, et ils retourneront dans leur terre; » mais aussi: « Vous enverrez votre Esprit, et ils « seront créés, et vous renouvellerez la face « de la terre. n Voilà, mes frères, le langage qui convient à des fidèles, voilà le remède de salut; l'œil essuyé par cette consolation, imprégné du remède de ces réflexions, non-seulement ne tombera point dans la cécité, résultat du désespoir, mais ne sentira pas même les humeurs engendrées par la tristesse: bien au contraire, portant un clair regard sur le séjour de lumière, nous dirons avec le patient Job : « Le Seigneur a donné, et le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il est arrivé: soit le nom du Seigneur béni dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. »

 

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