ANOMÉENS VIII

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HUITIÈME HOMÉLIE. JUGEMENT ET AUMONE. — DEMANDE DE LA MÈRE DES FILS DE ZÉBÉDÉE.

 

ANALYSE. Réponse à une objection des hérétiques. — Le Fils a le même pouvoir que le Père. — L'aumône se mesure, non par la grandeur du don, mais par la pureté d'intention. — Louange de saint Paul dont l'orateur cite les paroles. — En quel sens Jésus-Christ a dit : Ce n'est pas à moi de donner. — C'est à celui qui combat, de mériter la récompense.

 

l. Hier nous revînmes du combat, du combat et de la lutte contre les hérétiques , nos armes étaient sanglantes; entre nos mains, le glaive de la parole s'était, si je l'ose dire, rougi du sang de l'hérésie ; nous n'avons pas terrassé les corps, mais abattu les sophismes impies et tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu. (II Cor. X, 5. ) Car tel est le genre de ce combat; telle est aussi la nature des armes. Saint Paul dit à ce sujet : Les armes de notre milice ne sont point charnelles, elles sont puissantes en Dieu pour renverser les remparts, détruire les raisonnements et tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu. (II Cor. X, 4.) Il faudrait raconter à ceux qui étaient absents, les péripéties d'hier, l'ordre de bataille, la mêlée, la victoire, les trophées. Mais pour ne pas favoriser votre négligence, je veux passer outre. Vous qui étiez absents, soyez plus diligents à l'avenir, afin de récupérer ce que vous avez perdu par votre absence. Maintenant nous allons continuer. Pour peu que l'on ait de zèle à s'instruire , on pourra, si l'on ne nous a pas entendu hier, apprendre de quelqu'un de nos auditeurs ce que nous avons dit. Rien ne sera plus facile. Car telle fut l'attention des assistants qu'ils se retirèrent, emportant toutes mes paroles dans leurs coeurs, sans en rien laisser perdre. Vous n'aurez donc qu'à les interroger.

Quant à la question à traiter aujourd'hui, nous vous l'exposerons nous-même; nous discuterons une objection que nous font les hérétiques. Quelle est-elle.? Dernièrement nous avons parlé de la puissance du Fils; nous avons montré qu'elle est égale à celle de son Père, sujet que nous avons longuement développé. Repoussés sur ce point, ils nous objectent un autre texte de l'Evangile, texte qu'ils n'entendent pas dans son véritable sens. Le voici : Pour ce qui est d'être assis à ma droite oit à ma gauche, ce n'est point à moi à vous le donner. Cet honneur est pour ceux à qui le Père l'a préparé. (Matth. XX, 23.)

Je vous renouvellerai d'abord le conseil déjà donné si souvent. Ne lisez pas simplement la lettre, pénétrez le sens. Quiconque s'attache uniquement aux mots, et ne s'occupe que (248) de ce qui est matériellement écrit, tombera dans de nombreuses erreurs. L'Ecriture dit que Dieu a des ailes, comme le témoigne le Prophète : Protégez-moi à l'ombre de vos ailes. (Ps. XVI, 8.) Nous n'en conclurons pas que cette essence spirituelle et immortelle a des ailes. Si cela ne peut se dire des hommes, encore moins. de cette nature pure, invisible, incompréhensible. Que signifient donc pour nous les ailes? le secours, la sécurité, la protection, la défense, un asile inviolable. L'Ecriture dit encore que Dieu dort : Levez-vous, pourquoi dormez-vous, Seigneur. (Ps. XLIII, 23.) Nous ne pouvons pas dire que Dieu dort : ce serait le comble de la folie. Mais ce mot dormir nous montre sa patience et sa longanimité. Un autre prophète dit : Serez-vous comme un homme endormi? (Jér. XIV, 9.)

Vous le voyez, il nous faut beaucoup de prudence pour scruter l'Ecriture. En prenant les mots dans leur sens propre et strict, il en résulterait une foule d'absurdités et de contradictions. L'un dit que Dieu dort, l'autre qu'il ne dort pas; et tous deux disent vrai, si vous les entendez convenablement. En disant qu'il dort, l'un montre la grandeur de sa patience; en disant qu'il ne dort pas, l'autre nous révèle son essence pure et incorruptible. Ayons donc beaucoup de prudence et pesons bien ces paroles : Ce n'est point à moi à vous le donner; cet honneur est pour ceux à qui le Père l'a préparé. Ce texte n'ôte rien à Jésus-Christ de sa puissance , ne diminue pas son autorité, mais il nous montre sa sollicitude, sa sagesse, sa providence pour le genre humain. Qu'il ait le pouvoir de châtier ou de récompenser, écoutez ce qu'il dit : Lorsque le Fils de l'homme viendra dans la gloire de son Père, il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche, et il dira à ceux qui seront à sa droite : Venez les bénis de mon Père , possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire. A ceux qui seront à sa gauche il dira : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire ; j'étais étranger et vous ne m'avez pas recueilli. (Matth. XXV, 31 et suiv.) Voyez-vous comment il juge avec autorité, comment il honore ou châtie, couronne ou punit, comment il introduit les uns dans le royaume céleste, et précipite les . autres en enfer ?

2. Admirez ici sa sollicitude pour nous. En s'adressant aux élus il dit : Venez les béais de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Aux damnés il ne dit pas : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu qui vous a été préparé; mais qui a été préparé pour le diable. J'ai préparé le royaume pour les hommes, dit-il; l'enfer, au contraire, je l'ai préparé, non pour les hommes, mais pour le démon et ses anges; si vous menez une vie telle que vous méritiez d'être damnés, vous pourrez vous l'imputer justement. Voyez quelle touchante bonté ! Les athlètes n'existent pas encore; les couronnes et les récompenses sont déjà prêtes. Possédez, dit-il, le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Même instruction à recueillir de la parabole des dix vierges. A l'arrivée de l'Epoux, les folles disent aux sages: Donnez-nous de votre huile. (Ib. 8). Les autres répondent : Nous craignons qu'il n'y en ait pas assez pour vous et pour nous. L'Ecriture n'entend pas parler d'huile et de feu, mais de la virginité et de la bonté. Le feu est le symbole de la virginité; l'huile celui de l'aumône. Ce passage signifie que la virginité doit être accompagnée de charité; sans quoi le salut des vierges est incertain; mais qui sont ces vendeurs d'huile? Qui, sinon les pauvres? Ils donnent plutôt qu'ils ne reçoivent. Regardez donc l'aumône non comme une perte, mais comme un gain, non comme une dépense, mais comme un prêt avantageux. Vous recevez plus que vous ne donnez. Vous donnez du pain, et vous recevez la vie éternelle ; vous donnez un habit, et vous recevez un vêtement d'immortalité; vous donnez un abri sous votre toit, et vous recevez le royaume des cieux; vous distribuez des richesses périssables, et vous recueillez des biens éternels.

Je suis pauvre, dites-vous, comment faire l'aumône ? C'est surtout dans la pauvreté que vous pouvez faire l'aumône. Le riche enivré par l'abondance de ses biens, en proie à une fièvre ardente, tourmenté d'une avarice insatiable, brûle d'augmenter sa fortune; le pauvre, délivré de toutes ces maladies, donne plus facilement de ce qu'il a. C'est d'après la pureté d'intention et non d'après les biens donnés crue se mesure l'aumône. La veuve de (249) l'Evangile donne deux oboles, et l'emporte, par sa charité, sur les plus opulents. Une autre veuve n'avait qu'une poignée de farine et un peu d'huile, elle reçut néanmoins et nourrit le Prophète dont l'àme était aussi élevée que le ciel. Ainsi la pauvreté ne fut un obstacle ni à l'une ni à l'autre. N'apportez donc pas de vaines, d'inutiles excuses. Dieu ne demande pas des largesses abondantes, mais une volonté généreuse. L'aumône se mesure , non d'après le don, mais d'après l'intention. Vous êtes pauvre et le plus pauvre de tous les hommes ? Mais vous n'êtes pas plus indigent que cette veuve qui l'emporta de beaucoup sur les riches. Vous manquez, vous-même, du nécessaire ? Mais vous n'êtes pas plus dénué que la veuve de Sidon ; réduite à la dernière extrémité, attendant la mort, entourée de ses enfants, elle donne cependant ce qui lui reste, et dans cette extrême indigence, elle acquiert d'immenses richesses ; sa main fut comme une aire; son urne comme un pressoir, et du dénuement elle fit sortir l'abondance.

Revenons à notre parabole pour ne pas tomber dans des digressions sans fin. A l'arrivée de l'Epoux, les vierges tenaient donc le langage que je vous ai rapporté. Les sages envoyaient les autres chez les vendeurs ; mais ce n'était plus le temps d'acheter de l'huile. On n'en fait sa provision qu'en cette vie. Une fois ce monde quitté et le théâtre fermé, il n'y a plus ni remède, ni pardon, ni excuse pour les actions passées; le châtiment seul reste. C'est ce qui arriva alors. Quand vint l'Epoux, les vierges sages entrèrent avec leurs lampes; les autres, se trouvant en retard, frappèrent à la porte et entendirent cette effroyable parole : Retirez-vous, je ne vous connais pas. Vous voyez encore ici comment Jésus-Christ honore ou châtie, couronne ou punit, reçoit ou rejette; c'est lui qui porte les deux sentences. la même vérité se prouve par les paraboles de la vigne, et des talents. Le Seigneur reçoit les bons serviteurs et les comble d'honneurs; pour l'autre, il le fait lier et jeter dans les ténèbres extérieures.

3. Que répondent les hérétiques? Rien de sensé? Il a, disent-ils, le pouvoir de châtier et de couronner, de punir et de récompenser; mais pour le trône du ciel, pour cet honneur suprême, il ne peut le donner. — Si je vous prouve que rien n'a été soustrait à son jugement; cesserez-vous cette controverse téméraire? Or, écoutez le Christ lui-même : Le Père ne juge personne, il a donné tout jugement au Fils. (Jean, V, 22.) Si donc le Père a tout pouvoir de juger, rien n'a été excepté de sa juridiction. Celui de qui tout jugement relève est maître, à l'égard de tous, de récompenser et de couronner. Ces mots: Il a donné, ne doivent pas être pris dans leur sens propre. Le Père n'a pas donné à quelqu'un qui n'avait pas, il n'a pas engendré une personne imparfaite, à qui il aurait fait ce don plus tard. Il a engendré le Fils parfait, infini. Si Jésus-Christ se sert de cette expression, c'est pour exclure deux dieux engendrés, distinguer le fruit de la racine, et non pour vous faire croire à un perfectionnement successif. Ailleurs on lui demande : Vous êtes donc roi (Jean, XVIII, 37) ; il ne répond pas : J'ai reçu la royauté, ni la royauté m'a été donnée plus tard ; mais : C'est pour cela que je suis né. S'il est né roi, à plus forte raison est-il juge et arbitre. Car il appartient au roi de juger, de décider, d'honorer, de punir. D'autres textes nous prouvent aussi que c'est à lui de donner les récompenses célestes. Quand je vous aurai montré le plus saint des hommes couronné par le Fils, quelle excuse aurez-vous encore?

Quel est donc cet homme ! Quel autre, sinon ce faiseur de tentes, ce docteur des nations qui a parcouru la terre et la mer comme avec des ailes, ce vase d'élection, ce paranymphe du Christ, ce fondateur de l'Eglise, architecte sage, héraut, athlète, soldat, qui a laissé par toute la terre des monuments de sa vertu, qui a été ravi au troisième ciel, qui a connu les mystères ineffables de Dieu, qui a entendu des choses que la langue de l'homme ne peut raconter, qui a reçu des grâces abondantes et supporté d'immenses travaux? Qu'il ait travaillé plus que tous les autres, il le dit lui-même; écoutez-le: J'ai travaillé plus que tous les autres. (I Cor. XV, 10.) S'il en est ainsi, sa couronne sera aussi plus belle : Car chacun recevra sa récompense selon son travail. (Ibid. III, 8.) Si sa couronne est plus brillante que celle des autres apôtres, et personne n'égale les apôtres qu'il surpasse lui-même, il est évident qu'il jouira de l'honneur suprême et de la prééminence. Or, qui le couronnera ? Ecoutez : J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi. Il me reste à attendre la couronne de la justice, que Dieu, comme un juste juge, me rendra en ce jour. (II Tim. IV, 7.) (250) Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils. (Jean, V, 22.) La même chose se prouve par ce qui suit : Non-seulement à moi, mais encore à tous ceux qui aiment son avènement. (II Tim. IV, 8.) L'avènement de qui ? Poursuivons : La grâce de Dieu a paru salutaire à tous les hommes, elle nous a appris que, renonçant à l'impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent avec tempérance, justice et piété, attendant la béatitude que nous espérons, et l'avènement glorieux du grand Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ. (Tit. II, 11.)

4. Notre lutte contre les hérétiques est terminée; nous avons élevé des trophées et remporté une brillante victoire. Par tout ce qui a été dit, nous avons montré que le Fils honore et châtie, qu'à lui appartient tout jugement, qu'il couronne et récompense les plus saints, et que dans les paraboles il s'attribue ce double pouvoir. Il nous reste à répondre aux difficultés de nos frères et à montrer pourquoi il a dit: Ce n'est point à moi à vous le donner. Plusieurs sans doute se posent cette question. Pour résoudre le problème et dissiper toute inquiétude dans vos esprits, suivez-moi attentivement : le plus difficile me reste à traiter. Ce n'est pas la même chose de combattre ou d'enseigner, de terrasser un ennemi ou de relever un frère; il faut beaucoup de zèle pour raffermir ceux qui chancellent, et rétablir la tranquillité dans ,les esprits troublés. Que mes paroles ne vous étonnent point, si je disque ce n'est ni au Fils, ni même au Père; et je le proclame à haute voix, non, ce n'est ni au Fils ni au Père à régler les degrés de la gloire. Car si ce droit est au Fils, il est aussi au Père ; s'il est au Père, il est aussi au Fils; voilà pourquoi le Seigneur ne dit pas simplement: Ce n'est pas à moi à le donner; il dit : Ce n'est pas à moi à le donner, mais à ceux à qui mon Père l'a préparé. Il montre que ce n'est ni à lui, ni au Père, mais à d'autres. Que signifie donc ce texte? Votre trouble augmente, votre doute grandit, votre anxiété redouble. Mais ne craignez rien. Je ne me retirerai pas que je ne vous aie donné la solution. Permettez-moi de reprendre d'un peu plus. haut. Autrement je ne pourrais traiter assez clairement toute la question.

Que signifie donc ce texte? Jésus allant à Jérusalem, la mère des fils de Zébédée, Jacques et Jean, s'approche avec ses enfants et dit: Faites que mes deux fils soient assis l'un â votre droite, l'autre à votre gauche. (Matth, XX, 20.) D'après un autre évangéliste, ce sont les fils qui font cette demande à Jésus-Christ. II n'y a cependant aucune contradiction, mais il ne faut rien négliger, la mère ayant commencé, et frayé la voie, les fils firent la même demande, parlant sans savoir ce qu'ils disaient. Quoique apôtres, ils étaient très-imparfaits, comme les petits des oiseaux encore dans le nid et couverts à peine d'un léger duvet.

Il faut que vous le sachiez, avant la Passion ils étaient d'une profonde ignorance. Aussi Jésus-Christ les réprimandait-il souvent. Vous avez si peu d'intelligence! Vous ne comprenez pas encore que je ne parlais pas du pain en disant: Gardez-vous du levain des pharisiens. (Matth. XVI, 11.) J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant. (Jean, XVI, 12.) Non-seulement ils ne pénétraient pas les mystères, mais souvent la crainte, la timidité leur faisait oublier ce qu'ils avaient appris. C'est ce que Jésus-Christ leur reproche: Aucun de vous ne me demande: où allez-vous ?Mais parce que je vous dis cela, la tristesse a rempli votre coeur. (Ibid., 5.) Et ailleurs : Il vous rappellera et enseignera tout (Jean, XIV, 26), dit-il en parlant du Saint-Esprit. Il ne dirait pas : Il vous rappellera, s'ils n'avaient oublié beaucoup de choses. Ceci n'est pas une simple conjecture; saint Pierre, qui tantôt confesse courageusement, tantôt oublie tout, nous le prouve clairement. Il a dit: Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant (Matth., XVI,16), et pour cela il est appelé bienheureux; un peu après il commet un péché tel qu'il est traité de satan : Retirez-vous de moi, satan; vous m'êtes un sujet de scandale, parce que vous ne goûtez pas les choses de Dieu, mais celles des hommes. (Matth. XVI, 23.) Quoi de plus imparfait? ne pas goûter les choses de Dieu, mais celles des hommes? Jésus-Christ parlait de sa Passion et de sa Résurrection; Pierre ne comprenant ni la profondeur de ses paroles, ni ses dogmes ineffables, ni le salut annoncé à toute la terre, lui dit à part: A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera pas. Voyez-vous que les apôtres ne connaissaient rien de certain au sujet de la Résurrection? L'Evangéliste nous l'indique aussi : Ils ne savaient pas encore qu'il devait ressusciter d'entre les morts. (Jean, XX, 9.)

S'ils ignoraient cette vérité, à plus forte (251) raison les autres mystères, par exemple ce qui regarde le royaume de Dieu, les prémices de notre nature, l'Ascension dans les cieux; ils rampaient encore à terre, ils manquaient d'ailes pour prendre leur essor vers les cieux.

5. Ils étaient pénétrés de cette idée, que leur Maître régnerait bientôt à Jérusalem. Ils ne savaient rien de plus. Un autre évangéliste nous le déclare : Ils croyaient, dit-il, que sa royauté approchait, royauté purement humaine selon eux, et ils pensaient que Jésus-Christ allait à l'empire et non à la croix et à la mort. Après l'avoir entendu dire cent fois, ils ne pouvaient le comprendre : trop grossiers pour comprendre clairement ces sublimes vérités, ils supposaient que Jésus-Christ allait prendre possession de ce royaume temporel, qu'il régnerait à Jérusalem. Croyant le moment arrivé, les fils de Zébédée s'approchent de lui sur la route et lui adressent leur demande. Ils se séparent des autres disciples comme si déjà ils étaient à la tête des affaires, et ils demandent la prééminence, la place d'honneur. Ils croyaient que la fin était proche, que tout était achevé et que le temps était venu de distribuer les couronnes et les récompenses. Ce n'est pas une conjecture que je fais, ni une simple probabilité que j'énonce. Jésus-Christ lui-même, qui connaît les secrets des coeurs, va nous le déclarer. Ecoutez ce qu'il leur répond : Vous ne savez ce que vous demandez. Quoi de plus clair? Ils ne savaient ce qu'ils demandaient; ils lui parlent de couronnes, de récompenses, de prééminence, d'honneur, avant d'avoir combattu.

Par ces paroles : Vous ne savez ce que vous demandez, Jésus -Christ nous indique deux choses: la première, c'est que les fils de Zébédée parlent d'un royaume dont Jésus-Christ n'avait rien dit; car il ne s'agissait pas de ce royaume temporel et terrestre; la seconde, c'est qu'en recherchant la prééminence, en voulant paraître plus élevés, plus brillants que les autres, ils font une demande très-inopportune. Ce n'est pas le temps des couronnes et des récompenses, mais des combats, des luttes, des peines, des sueurs , des dangers, des guerres. Voici donc le sens de ces mots : Vous ne savez ce que vous demandez. En me parlant ainsi vous n'avez pas encore souffert, vous n'êtes pas encore descendus dans l'arène; le monde est encore égaré, l'impiété domine, les hommes périssent ; vous ne vous êtes pas encore élancés de la barrière pour courir au combat. Pouvez-vous boire le calice que je vais boire, et être baptisés du baptême dont je vais être baptisé? (Marc, X, 38). Il appelle calice et baptême sa croix et sa mort : calice, parce qu'il l'accepte avec plaisir, baptême, parce que par là il purifie la terre. C'est aussi pour montrer la facilité de sa résurrection. Celui qui est baptisé dans l'eau en sort facilement, la nature de cet élément n'offrant aucune résistance ; ainsi Jésus-Christ descendu au tombeau ressuscite avec la plus grande facilité. C'est pourquoi il l'appelle baptême. Voici ce qu'il veut dire : Pouvez-vous souffrir la mort, car maintenant c'est le temps de la mort, des dangers, des peines. Ceux-ci répondent : Nous le pouvons, sans savoir ce qu'ils disent, et dans l'espoir d'obtenir leur demande. Jésus reprend : Vous boirez le calice, vous serez baptisés du baptême dont je vais être baptisé. Il appelle ainsi la mort. Car, Jacques eut la tête tranchée par le glaive, et Jean mourut plusieurs fois. Mais d'être assis à ma droite et à ma gauche, ce n'est point à moi à vous le donner, mais à ceux à qui il a été préparé.

Voici le sens. Vous mourrez, vous serez torturés et honorés du martyre. Cependant, d'être les premiers, ce n'est pas à moi à vous le donner, c'est aux athlètes à le conquérir par une plus vive ardeur, un plus grand zèle. Pour rendre ceci encore plus clair, faisons une supposition voici un agonothète (1) ; une mère ayant deux fils athlètes vient le trouver avec ses enfants et lui dit : Faites que mes deux fils obtiennent la couronne. Que répondrait-il? La même chose que Jésus-Christ; ce n'est pas à moi à la donner. Je suis agonothète, j'accorde lés récompenses non à la faveur ni aux prières, mais au succès. Car l'agonothète doit donner le prix au courage et non au premier venu. C'est ce que fait aussi Jésus-Christ; par là il ne détruit. pas son essence ni sa dignité de Dieu; il montre que ce n'est pas à lui seul de donner la récompense, que c'est aussi aux combattants de la prendre. Car si cela dépendait de lui seul, tous les hommes seraient sauvés et viendraient à la connaissance de la vérité; les honneurs ne seraient pas divers; puisqu'il a fait tous les hommes et prend un soin égal de tous.

Qu'il y ait des gloires diverses, saint Paul

 

1 Celui qui présidait aux jeux, adjugeait et décernait les récompenses.

 

252

 

nous l'enseigne : Autre est l'éclat du soleil, autre l'éclat de la lune, autre l'éclat des étoiles, et une étoile diffère d'une autre en éclat (I Cor. XV, 41); Si on élève sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses. (Ibid., III, 12.) Saint Paul parle ainsi pour nous montrer les différentes espèces de vertu; et il nous indique en même temps que ce n'est pas en dormant qu'on entre au royaume des cieux, mais qu'il faut, par beaucoup de tribulations, conquérir cette couronne. Les fils de Zébédée, forts de l'amitié et de la faveur de Jésus-Christ, croyaient qu'ils seraient préférés aux autres. Pour les détromper, et leur ôter cette persuasion propre à les rendre plus négligents, Jésus-Christ leur dit : Ce n'est pas à moi de le donner, c'est à vous de le prendre, si vous le voulez; montrez plus de zèle, plus d'ardeur, plus de dévouement. Les couronnes se donnent aux travaux, les honneurs aux actions, les récompenses aux fatigues; les oeuvres, voilà près de moi la meilleure recommandation.

6. J'avais donc raison de le dire, ce n'est ni à lui, ni au Père, mais aux athlètes, aux combattants. C'est pour cela que Jésus-Christ dit à Jérusalem : Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule ses poussins, et tu ne l'as pas voulu? voici que vos maisons demeureront désertes. (Luc, XIII, 34.) Ainsi vous le voyez, parmi les lâches, les paresseux, les indolents, personne ne sera sauvé. Nous apprenons encore par là un autre mystère; c'est que le martyre ne suffit pas pour donner la prééminence et l'honneur suprême. Jésus-Christ prédit le martyre aux fils de Zébédée, et cependant ils n'obtiennent pas pour cela la première place. Car il y en a d'autres qui peuvent avoir fait davantage. Aussi dit-il : Vous boirez de mon calice, vous serez baptisés du baptême dont je vais être baptisé; mais d'être assis à ma droite et à ma gauche, ce n'est pas à moi à vous le donner. Il ne s'agit pas de siège; cela signifie jouir d'un plus grand honneur, obtenir la prééminence, être le premier de tous. Jésus-Christ en parlant ainsi se proportionne à notre intelligence. Les fils de Zébédée demandaient la première place et la préférence sur tous les autres. Pour être ainsi placés et élevés au-dessus des autres, le martyre seul ne suffit pas. Vous mourrez, il est vrai; mais jouir de l'honneur suprême, ce n'est pas à moi à vous le donner, c'est à ceux à qui il a été préparé. Et à qui est-il préparé? Voyons quels sont ces heureux, trois fois heureux qui obtiennent ces brillantes couronnes. Quels sont-ils et comment arrivent-ils à cette gloire? Ecoutez. Les dix apôtres étaient irrités contre les fils de Zébédée, qui, séparés des autres, voulaient s'emparer des premières places. Voyez comment Jésus-Christ corrige les passions des uns et des autres. Il les appelle et leur dit : Les maîtres des nations leur commandent avec empire; leurs princes ont un pouvoir absolu sur elles. Il ne doit pas en être de même parmi vous; mais quiconque veut devenir le premier, qu'il se fasse le dernier de tous. (Marc, X, 42.)

Vous le voyez, ils voulaient être les premiers, les plus grands et les plus haut placés, et pour ainsi dire les princes des apôtres. Pour réprimer leur ambition, et manifester leur dessein, Jésus-Christ dit : Quiconque veut devenir le premier, qu'il se fasse le serviteur de tous. Si vous désirez la première place, et la dignité suprême, prenez la dernière place, soyez les plus petits, les plus humbles, abaissez-vous au-dessous de tous. C'est la vertu qui donne cet honneur. Ce qu'il prouve aussitôt et surabondamment par un exemple : Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs. Voilà ce qui rend illustre et glorieux. Regardez-moi, dit-il, je n'ai pas besoin d'acquérir de la gloire ni de l'honneur, cependant j'ai voulu faire beaucoup de bonnes oeuvres. Avant son Incarnation et ses abaissements, tout était corrompu et périssait; par ses humiliations, il releva tout; il chassa la malédiction, détruisit la mort, nous rendit le paradis, ôta le péché, ouvrit les portes du ciel, fit renaître la piété sur la terre, bannit l'erreur, ramena la vérité, plaça nos prémices sur le trône royal et nous accorda des biens innombrables que ni moi ni tous les hommes ne pourrions raconter. Avant ses abaissements, les anges seuls le connaissaient; après, tous les hommes le connaissent.

Vous le voyez, l'humilité ne diminue pas la splendeur du Fils de Dieu, il en résulte au contraire pour nous des biens innombrables et pour lui une gloire plus brillante. Si pour un Dieu infini et ne manquant de rien l'humilité a produit un si grand bien, lui a procuré plus de serviteurs, et a augmenté son royaume ; pourquoi craindre en vous (253) humiliant de vous abaisser? Alors vous serez grands, élevés, brillants, illustres quand vous vous mépriserez vous-mêmes, que vous dédaignerez les premières places, quand vous ne fuirez pas les humiliations, ni les dangers, ni la mort, quand vous serez soumis, dévoués à tous et prêts à tout faire et à tout endurer. Pénétrés de ces sentiments, mes bien-aimés, recherchons l'humilité avec empressement; les injures, les affronts, les déshonneurs, les outrages, supportons tout avec joie. Car rien n'est plus capable que la vertu d'humilité de nous élever, de nous combler d'honneur et de gloire, de nous exalter. En pratiquant cette vertu, puissions-nous obtenir les biens promis par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit soient la gloire, l'honneur, l'adoration, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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