ÉPHÉSIENS II

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HOMÉLIE II. EN QUI NOUS AUSSI NOUS AVONS ÉTÉ APPELÉS PAR LE SORTI AYANT ÉTÉ PRÉDESTINÉS SELON LE DÉCRET DE CELUI QUI FAIT TOUTES CHOSES SUIVANT LE CONSEIL DE SA VOLONTÉ; AFIN QUE NOUS SOYONS A LA LOUANGE DE SA GLOIRE, NOUS QUI LES PREMIERS AVONS ESPÉRÉ EN JÉSUS-CHRIST; EN QUI VOUS AUSSI, APRÈS AVOIR ENTENDU LA PAROLE DE VÉRITÉ, L'ÉVANGILE DE VOTRE SALUT; EN QUI, AYANT CRU, VOUS AVEZ ÉTÉ MARQUÉS DU SCEAU DE L'ESPRIT DE LA PROMESSE, QUI EST L'ESPRIT-SAINT, QUI EST LE GAGE DE NOTRE HÉRITAGE POUR LE RACHAT DE SON ACQUISITION, POUR LA LOUANGE DE SA GLOIRE. (I, 11-14.)

 

Analyse.

 

1 et 2. De la prédestination.

3 et 4. Que nous ne sommes jamais contraints de pécher.

 

 

1. Partout Paul s'est efforcé de montrer l'ineffable bonté de Dieu pour nous, autant qu'il lui a été possible. En effet, qu'il était impossible d'en tracer une parfaite image, c'est ce qu'il reconnaît lui-même en disant : « O profondeur du trésor et de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont «impénétrables, et ses voies impossibles à suivre! » Du moins il la fait éclater autant qu'il est possible. Que signifie donc ceci : « En qui nous aussi nous avons été appelés par le sort ». Il a dit plus haut : « Il nous a élus ». Il dit ici : Nous avons été appelés par le sort. Mais le sort est l'effet du hasard, non du choix ni du mérite : c'est chose aveugle et fortuite qui souvent laisse de côte les hommes vertueux pour mettre en lumière ceux qui ne valent rien. Aussi voyez comment il se reprend: « Ayant été prédestinés selon le décret de celui qui fait toutes choses ». C'est-à-dire: Ce n'est pas au hasard que nous avons été tirés au sort ni élus : car c'est Dieu qui nous a élus, et c'est Dieu qui nous a. tirés au sort. Il y a eu un dessein. C'est ainsi qu'il dit encore dans l'épître aux Romains : « A ceux qui sont appelés selon le dessein ». Ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. Après avoir commencé par dire : « A ceux qui sont appelés selon le dessein », voulant montrer en même temps quelle est leur supériorité sur les autres, il parle de tirage au sort, afin de ne pas supprimer le libre arbitre. Il fait donc figurer ce qui caractérise plus particulièrement le bonheur. En effet, les faveurs du sort ne sont pas dues au mérite, mais, pour ainsi parler, à une simple rencontre. C'est comme s'il disait: Après un tirage au sort il nous a élus. En somme, après que nous avons été prédestinés par son libre arbitre, en d'autres termes, après qu'il nous eut élus pour lui-même, il nous a mis à part : par exemple, il nous voyait avant que le sort nous eût désignés. Car la prescience de Dieu est merveilleuse, et connaît toutes choses avant leur naissance.

Mais vous, considérez comment partout il s'applique à montrer que ce n'est pas par suite d'un repentir, mais dès l'origine, que les choses avaient été disposées de la sorte, de façon que vous n'avez en cela aucun désavantage à l'égard des Juifs, et par cette raison il fait tout pour cela. Comment donc le Christ lui-même dit-il : « Je n'ai pas été envoyé, sinon vers les brebis perdues de la maison d'Israël? » (Matth. XV, 24.) Et ailleurs il dit à ses disciples : « N'allez pas sur le chemin des nations, et n'entrez pas dans la ville des Samaritains ». (Matth. x, 5.) Et le même Paul dit encore : « Il était nécessaire que la parole de Dieu vous fût dite en premier lieu; mais (444) puisque vous l'avez repoussée et que vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les gentils ». (Act. III, 46.) Si l'Écriture s'exprime ainsi, c'est pour qu'on ne croie pas que cela n'était pas dans les desseins de Dieu. « Selon le décret de celui qui fait toutes choses suivant le conseil de sa volonté ». C'est-à-dire qu'il n'a rien fait postérieurement, qu'il avait tout disposé dès l'origine. C'est ainsi qu'il conduit les choses à terme suivant le dessein de sa volonté. De sorte que s'il a appelé les gentils, ce n'est point parce que les Juifs ne l'écoutaient pas ; c'est sans y être forcé, sans y être poussé par ce motif. « Afin que nous soyons à la louange de sa gloire, nous qui les premiers avons espéré dans le Christ : en qui, vous aussi, ayant entendu la parole de vérité, l'Évangile de votre salut ». — « En qui », c'est-à-dire, par qui. Observez que partout le Christ est auteur de toutes choses et ne reçoit jamais le nom de ministre ni celui de serviteur. De même ailleurs, dans l'épître aux Hébreux, il dit: « Celui qui autrefois avait parlé à vos pères dans les prophètes, aux derniers jours vous a parlé dans le Fils » c'est-à-dire, par le Fils. « Le discours de vérité », et non plus le discours d'image ou de figure.

« L'Évangile de votre salut». C'est avec raison qu'il emploie cette. expression, faisant allusion d'une part à la loi, de l'autre à la punition future. Tel est en effet le caractère de la bonne nouvelle qui empêche la perte de ceux qui méritaient de périr. « En qui ayant cru; vous avez été marqués du sceau dans l'Esprit de la promesse, qui est saint, qui est le gage de notre héritage ». Encore une marque d'infinie Providence que ce sceau : nous n'avons pas été seulement mis à part, désignés par le sort, mais encore scellés. Comme si quelqu'un lui avait révélé ceux qui devaient tomber au sort, Dieu les a mis à part pour la foi, les à scellés pour qu'ils fussent admis à l'héritage futur.

2. Voyez-vous comment, avec le progrès du temps, il les rend admirables ? Tant qu'ils étaient dans la prescience, ils n'étaient manifestes pour personne ; mais lorsqu'ils eurent été scellés, ils devinrent manifestes, non pas comme nous, toutefois : car ils seront manifestes, à part un petit nombre. Les Israélites aussi furent scellés, mais par la circoncision , comme les bêtes de somme et les brutes: nous aussi, nous avons été scellés, mais comme des fils, par l'Esprit. Qu'est-ce à dire : « l'Esprit de promesse ? » C'est-à-dire que nous l'avons reçu suivant une promesse. Car il y a deux promesses, l'une transmise par les prophètes, l'autre venant dit Fils. L'une, ai-je dit, transmise par les prophètes. Écoutez Joël : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards, des songes ». Écoutez maintenant le Christ : « Et vous recevrez la vertu du Saint-Esprit venant vers vous, et vous serez témoins pour moi et dans Jérusalem, et dans toute la Judée et dans Samarie, et jusqu'aux confins de la terre ». (Actes, I, 8. ) Cependant il fallait, dira-t-on, qu'il fût cru comme Dieu. Mais il ne se fonde pas là-dessus, il parle comme s'il s'agissait d'un homme, ainsi que dans l'épître aux Hébreux : « Afin que par deux choses immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu trompe, nous ayons une forte consolation ».

De même ici il allègue les dons faits précédemment à l'appui de la promesse. De là aussi cette expression, Gage (ou arrhes) : car les arrhes sont une partie de la somme totale. Il a acheté notre salut, et il a commencé par nous donner des arrhes. Et pourquoi ne nous avoir pas donné sur-le-champ toute la somme? Parce que nous n'avions pas non plus livré le tout. Nous avons cru : c'est le commencement; et lui, il nous a donné des arrhes: quand nous aurons manifesté notre foi par des couvres, c'est alors qu'il complétera la somme. Ou plutôt il nous a donné une rétribution, son sang, et il nous en a promis encore une autre. De même que dans une guerre, les nations se donnent mutuellement des otages: ainsi Dieu a donné son Fils, comme un gage de trêve et de paix, et l'Esprit-Saint qui procède de lui car ceux   qui participent véritablement à l'Esprit, savent qu'il est le gage de notre héritage.

Tel était Paul, qui dès lors avait goûté au festin d'en-haut. Aussi se hâtait-il, brûlait-il de quitter notre séjour, et gémissait-il : car il voyait avec d'autres yeux, ayant transporté là-haut toute sa pensée. Tu ne participes point aux choses : voilà pourquoi tu es exclu aussi des paroles. Si nous participions tous à l'Esprit, comme il le faudrait, nous verrions les (445) cieux et l'état des choses de là-haut. Maintenant, gage de quoi? De la rédemption, de l'acquisition : car c'est alors qu'il y a rédemption parfaite. Maintenant, nous errons au milieu du monde, les accidents humains fondent sur nous en foule, nous sommes avec des impies mais la rédemption parfaite, celle qui n'admet ni péchés, ni troubles humains, c'est alors que nous la trouverons. Maintenant nous tenons un gage : car, maintenant même, nous avons renoncé à ces choses; notre vie n'est pas sur la terre ; maintenant même nous sommes en dehors des choses d'ici-bas ; maintenant même nous ne sommes ici que des étrangers. « A la louange de sa gloire ». Il répète souvent cela. Pourquoi ? Parce que cela suffit pour inspirer la foi aux auditeurs. S'il faisait cela à cause de nous, il y aurait doute; mais s'il l'a fait pour lui-même et pour manifester sa bonté, c'est un motif dont Paul se sert comme d'un témoignage, pour prouver qu'il n'aurait pu advenir autrement. De même, quand il est question des Israélites, les expressions suivantes reviennent souvent «Faites-nous à cause de votre nom ». Dieu lui-même dit : « Je fais à cause de moi ». Et Moïse : « Faites-moi à cause de votre nom », sinon pour un autre motif. Cela convainc les auditeurs, et les met en repos, en leur enseignant que Dieu ne peut manquer, à raison de sa propre bonté, de tenir ses promesses. Mais que ces paroles ne nous inspirent point le relâchement. Quand bien-même il agit pour lui, cela n'empêche pas qu'il n'exige de nous l'accomplissement de notre devoir. « Je glorifierai », dit-il, « ceux qui me glorifient, et ceux qui me comptent pour rien seront comptés pour rien » : Apprenons par là qu'il exige de nous que nous fassions notre devoir., La louange de sa gloire, c'est de sauver ses ennemis, mais ceux-là qui, une fois réconciliés, restent ses amis : car s'ils reviennent à leur première hostilité, tout est perdu, il n'y a rien de fait.

3. En effet, il n'y a pas de second baptême, pas de seconde réconciliation ; il ne reste plus que la redoutable attente du jugement, que l'avidité du feu qui doit dévorer les ennemis. Si nous devions, tout en restant perpétuellement les ennemis de Dieu, obtenir son indulgence, nous ne cesserions pas de lui faire la guerre, de nous abandonner aux voluptés, de nous corrompre, de nous rendre incapable de voir le soleil de justice qui a lui. Voulez-vous recevoir le rayon qui dessillera vos yeux? Rendez-les beaux, sains, perçants. Dieu vous a fait voir le soleil de vérité. Si vous vous en détournez pour courir vous replonger dans les ténèbres, quelle sera votre excuse, votre justification ? Vous n'en aurez point : car vous aurez fait preuve d'une haine indicible. Quand vous ne connaissiez pas Dieu, vous étiez jusqu'à un certain point excusable de le haïr ; mais lorsque vous avez goûté à sa bonté, à son miel, si vous laissiez tout cela pour retourner à votre vomissement, vous donneriez les signes les plus manifestes de mépris et de dédain. Non, dira-t-on, je ne ferais que céder à la contrainte de la nature.: j'aime le Christ , mais la nature me fait violence. S'il y a violence et contrainte, vous aurez une excuse ; si la faute provient de négligence, vous n'en aurez pas.

Examinons donc ce point, si les péchés sont causés par une contrainte, une violence, ou par un excès de négligence et de relâchement. « Tu ne tueras point», est-il écrit. Où est ici la contrainte, la violence ? La violence, c'est de tuer. Qui de nous, en effet, voudrait plonger le glaive dans la gorge du prochain, et ensanglanter sa droite ? Personne. Voyez-vous que c'est tout au contraire dans le péché que résident la contrainte et la violence ? Dieu a mis la tendresse dans notre nature, de façon que nous nous aimions les uns les autres. Il est écrit : « Tout animal aime son semblable, et tout homme son prochain ». Voyez-vous que nous devons à la nature les germes de la vertu? C'est le vice qui est contre nature que s'il l'emporte en nous, c'est un signe d'extrême paresse de notre part. Prenons l'adultère : quelle est la contrainte qui y pousse? La tyrannie du désir, répondra-t-on. Comment cela, dites-moi ? Est-ce qu'il n'est pas possible d'user de sa femme et de vaincre cette tyrannie ? Mais je suis épris d'amour pour la femme du prochain. — Ce n'est plus là de la contrainte : l'amour n'est pas du domaine de la contrainte. Ce n'est point par nécessité qu'on aime, mais par choix et par volonté. L'union des sexes, c'est peut-être une nécessité ; mais aimer celle-ci ou celle-là ce n'en est pas une. Ce n'est plus instinct sexuel, mais vanité, dérèglement, débauche. Où est la raison, dites-moi ? A posséder la femme qu'on a épousée, qu'on a prise pour en avoir des enfants, ou celle (446) qu'on ne connaît pas ? Ne savez-vous pas que l'affection est fille de l'habitude ? De sorte que la nature n'est ici pour rien. N'accusez point le désir: le désir a été donné pour le mariage, inspiré pour la procréation des enfants, non pour l'adultère, ni pour la séduction. Les lois elles-mêmes pardonnent les fautes que la nécessité a fait commettre : ou plutôt il n'y a pas de fautes commises par nécessité, toutes viennent de la dépravation. Dieu n'a pas organisé la nature de telle sorte que le péché fût nécessaire : autrement, le châtiment n'existerait pas. Car nous-mêmes, nous ne demandons pas compte des actions forcées, à plus forte raison Dieu qui est si bon et si charitable.

Voyons encore : voler, est-ce un fait de nécessité ? Oui, dira-t-on : car c'est la pauvreté qui y conduit. C'est plutôt à travailler que la pauvreté conduit, ce n'est pas à voler. La pauvreté a donc un effet tout contraire : car 1e vol est un fruit de la paresse : et la pauvreté ne rend pot nt paresseux, mais laborieux... Ainsi donc, voilà encore un péché imputable à la négligence... Ecoutez encore: lequel est le plus difficile, dites-moi, le plus désagréable, de passer les nuits à veiller et à courir, de percer des murs, de marcher dans l'obscurité, de tenir sa vie dans ses mains, d'être prêt au meurtre, de trembler, de mourir de peur, ou de s'appliquer durant le jour au travail, et de jouir du calme et de la sécurité ? Voilà ce qui est facile : et parce que c'est facile, un plus grand nombre de gens font ce métier, que l'autre.

4. Voyez-vous que la vertu est selon la nature, et le vice contre nature, tout comme la santé et la maladie? Mais mentir et se parjurer, cela peut-il être une nécessité? Aucunement : c'est volontairement et sans y être forcés que nous commettons ces fautes. — On se défie de nous, dira-t-on. — On se défie de nous, parce que nous le voulons bien; car nous pourrions inspirer plus de confiance par notre caractère, que nous ne faisons par nos serments. En effet, pour quelle raison, dites-moi, ne croyons-nous pas à certaines personnes en dépit de leurs serments, tandis que nous croyons à d'autres sans qu'elles jurent? Voyez-vous qu'il n'y a nul besoin de serments? Si un tel parle, je le crois, même sans serments; vous, vous avez beau jurer, je ne vous crois pas. Donc le serment est chose superflue et plutôt une marque de défiance que de foi. La facilité à jurer fait obstacle à la réputation de piété. Aussi celui qui jure souvent n'a nullement un besoin impérieux de jurer; et celui qui n'use pas de serment en a tout te profit. Dira-t-on maintenant que le serment est utile pour se faire croire? Aucunement : car nous voyons que ceux qui ne jurent pas sont justement ceux à qui l'on croit de préférence.

Autre chose : être insolent, est-ce un effet de force majeure? Oui, dira-t-on, car la colère nous jette hors de nous, nous enflamme, ne permet pas le repos à notre âme... L'insolence, mon cher auditeur, n'est pas un, effet de la colère, mais un effet de la petitesse d'âme. Si elle venait de la colère, tous les hommes irrités ne cesseraient pas de se montrer insolents. La colère nous a été donnée , non pour insulter le prochain , mais pour convertir les pécheurs, pour que nous nous réveillions, pour que nous ne tombions pas dans l'indolence. La colère est en nous comme un aiguillon, afin que nous grincions des dents contre le diable, afin que nous soyons violents contre lui, et non pour que nous nous fassions mutuellement la guerre. Nous avons des armes, non pour nous attaquer nous-mêmes, mais pour nous défendre contre l'ennemi. Vous êtes emporté? Montrez-vous tel contre vos péchés, frappez votre âme, flagellez votre conscience, soyez un juge irrité et impitoyable de vos propres péchés. Voilà l'avantage de la colère, voilà pourquoi Dieu nous l'a donnée.

Et l'usurpation, est-ce un effet de la nécessité? Nullement : quelle nécessité d'usurper, dites-moi? Qu'est-ce qui vous y force? La pauvreté, dira-t-on, et la crainte du besoin. C'est justement une raison pour ne pas usurper; car une richesse acquise ainsi est mal assurée. — Mais vous ressemblez à un homme à qui l'on demanderait pourquoi il fonde sa maison sur le sable, et qui répondrait : C'est à cause du froid, à cause de la pluie. C'est justement pour cela qu'il ne fallait pas bâtir sur le sable, car la pluie et les vents ont bientôt renversé de pareilles fondations. Si donc vous voulez être riche, respectez le bien d'autrui. Si vous voulez laisser une fortune à vos enfants, faites fortune honnêtement, à supposer que cela soit possible; voilà la richesse qui dure et subsiste inébranlable ; toute autre est vite perdue et dissipée.

Vous voulez être riche, dites-moi, et vous (447) prenez le bien des autres? Cependant la richesse ne consiste pas en cela, mais à conserver ce qu'on a en propriété; pour celui qui a le bien d'autrui, ce ne saurait être un riche; autrement, ceux qui revendent de riches étoffes qu'ils ont achetées d'autrui, devraient être appelés les plus riches des hommes; ces choses sont à eux pour un temps; néanmoins nous ne les appelons pas riches. Pourquoi? Parce qu'ils n'ont en main que le bien d'autrui. A supposer que les étoffes soient à eux, ils n'en ont pas le prix; et quand bien même ils en auraient le prix, ce n'est pas là une richesse. Que si les choses qui s'échangent ne constituent pas une richesse, à cause de la promptitude avec laquelle nous nous en séparons, comment des biens usurpés feraient-ils un riche? Mais tu désires t'enrichir à tout prix (tu désires, car la nécessité n'y est pour rien) ; quel bien veux-tu donc avoir en plus grande abondance ? Est-ce une vie plus longue? Mais les hommes de cette espèce ne vivent pas longtemps. Souvent ils sont punis de leurs rapines et de leur convoitise par une fla prématurée qui les empêche de jouir longtemps de leurs acquisitions, et les conduit dans l'enfer, seul bien qu'ils aient gagné; souvent encore le luxe, les fatigues, les inquiétudes, leur causent des maladies qui les emportent.

Je voudrais savoir pourquoi la richesse excite l'ambition des hommes. Cependant si Dieu a prescrit des limites et des bornes à la nature, c'est pour que nous ne soyons nullement contraints de rechercher la richesse ; par exemple, il a voulu que nous eussions un vêtement ou deux pour nous couvrir; en avoir plus ne sert de rien pour cet usage. A quoi bon tant d'habillements qui ne servent qu'à nourrir les teignes? L'estomac de même n'a qu'une capacité bornée : le charger au-delà d'une certaine mesure est chose funeste à tout animal. A quoi bon tant de bétail, de bergeries, et tous ces massacres de viandes? Nous n'avons besoin que d'un toit pour nous abriter. A quoi bon les péristyles et les constructions dispendieuses? Pour loger les vautours et les corbeaux, vous dépouillez les pauvres. Quels tourments de l'enfer sont assez rigoureux pour une telle conduite? Combien de gens font bâtir dans des endroits qu'ils n'ont pas même vus des édifices tout resplendissants de colonnes et de marbres précieux (que ne vont-ils pas imaginer!) Et ils n'en jouissent pas, ni eux, ni personne : car l'isolement les retient; néanmoins ils continuent. Voyez-vous que l'amour du gain même n'est pour rien là dedans ? Tout cela a sa source dans la démence, la déraison, la vanité : fuyons ces vices, je vous en conjure, afin d'échapper aux autres maux, et d'obtenir les biens promis, à ceux qui l'aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

 

 

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