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DOCTEUR DE L'ÉGLISE
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DIALOGUE ET ORAISONS

DE SAINTE CATHERINE  DE SIENNE

 

Par E. Cartier

 

 

Table des Matières 

 

Dialogue ; Traité de la Discrétion ; Traité de la Prière ; Traité de la Providence ; Traité de l’Obéissance ; Traite de la perfection ; Oraisons (Prières) de Sainte Catherine

 

Dialogue

 

I.- Une âme, avide de la gloire de Dieu et du prochain, s’applique humblement à la prière ; elle adresse quatre demandes à Dieu, lorsqu’elle lui est unie par la charité. 

II. - Dieu augmente le désir de l’âme en lui montrant la misère du monde. 

III. - Les oeuvres de l’homme sont insuffisantes pour expier et mériter dès qu’elles sont séparées de la charité. 

IV.- Le désir et la contrition du coeur satisfont à la faute et à la peine pour soi et pour les autres, quelquefois à la faute seulement et non à la peine. 

V.- Combien plaît à Dieu le désir de souffrir pour lui. 

VI.- Toute vertu et tout défaut se développent par le moyen du prochain. 

VII.- Les vertus s’accomplissent par le moyen du prochain. - Pourquoi elles sont si différentes dans les créatures. 

VIII. - Les vertus s’éprouvent et se fortifient par leurs contraires.

 

 

Table des Matières

 

TRAITE DE LA DISCRETION

 

IX.- On doit s’attacher plus aux vertus qu’à la pénitence. - La discrétion tire sa vie de l’humilité ; elle rend à chacun ce qui lui est dû. 

X.- La charité, l’humilité et la discrétion sont inséparables, et l’âme doit les posséder.

XI.- La pénitence doit être le moyen d’acquérir la vertu et non le but principal de l’âme. - Des lumières de la discrétion en diverses circonstances.

XII.- Dieu promet aux souffrances de ses serviteurs le repos et la réforme de l’Église. 

XIII.- L’âme consolée dans sa peine, et fortifiée dans ses espérances par les paroles de Dieu, prie pour la sainte Église et pour tous les hommes. 

XIV.- Dieu se plaint des péchés des chrétiens, et particulièrement de ceux de ses ministres.- Du sacrement de l’Eucharistie et des bienfaits de l’Incarnation. 

XV.- Le péché est plus gravement puni depuis la Passion de Jésus-Christ. - Dieu promet de faire miséricorde, en considération des prières et des souffrances de ses serviteurs. 

XVI.- L’âme, à la vue de la bonté divine, prie pour l’Eglise et pour le monde. 

XVII.- Dieu se plaint de ses créatures raisonnables et surtout de leur amour-propre.  XVIII. - Personne ne peut échapper aux mains de Dieu : tous éprouvent sa miséricorde ou sa justice. 

XIX.- L’âme, de plus en plus embrasée d’amour, désire répandre son sang. -Elle s’accuse elle-même, et prie particulièrement pour son père spirituel. 

 XX.- On ne peut plaire à Dieu qu’en supportant les tribulations avec patience. 

XXI.- Le chemin du ciel ayant été Interrompu par la désobéissance d’Adam, Dieu a fait de son Fils un pont par lequel on peut passer. 

XXII.- Dieu invite l’âme à regarder la grandeur de ce pont, et comment il va de la terre au Ciel. 

XXIII.- Tous sont des travailleurs que Dieu envoie travailler à la vigne de la sainte Eglise. 

XXIV.- Dieu taille les rameaux unis à la vigne véritable. - La vigne de chacun est tellement unie à celle du prochain, que personne ne peut cultiver ou endommager la sienne sans cultiver ou endommager celle du prochains. 

XXV.- L’âme rend grâces à Dieu, et le prie de lui montrer ceux qui passent sur le pont et ceux qui n’y passent pas. 

 XXVI.- Le pont a trois degrés, qui sont trois états de l’âme. - Explication de cette parole : « Si je suis élevé de terre, j’attirerai tout à moi ». 

XXVII.- Ce pont est bâti de pierres qui signifient les véritables vertus. - Ceux qui passent sur le pont vont à la vie, ceux qui passent dessous vont à la mort. 

XXVIII.- Du bonheur de l’âme qui passe sur le pont. 

XXIX.- Ce pont s’est élevé jusqu’au ciel le jour de l’Ascension, sans quitter cependant la terre. 

XXX.- L’âme, pleine d’admiration pour la miséricorde de Dieu, célèbre les dons et les grâces qu’en a reçu le genre humain. 

XXXI.- De l’indignité de ceux qui passent par le fleuve.  - L’âme qui suit cette route est un arbre de mort,  dont les racines tiennent à quatre vices principaux. 

XXXII.- Les fruits de cet arbre sont aussi variés que les péchés ; et d’abord du péché de la chair. 

XXXIII.- De l’avarice et des maux qui en procèdent. 

XXXIV. - De ceux qui ont la puissance, et des injustices qu’ils commettent. 

XXXV.- Les vices conduisent aux faux jugements. 

XXXVI.-Explication de cette parole de Jésus-Christ :  « J’enverrai le Consolateur, qui convaincra le monde d’injustice et de faux jugements » (S. Jean, VI, 8). 

XXXVII.- De la seconde condamnation, où l’homme est convaincu d’injustice et de faux jugements. 

XXXVIII.- Des quatre principaux supplices des damnés, auxquels se rapportent tous les autres. 

XXXIX. - De la troisième condamnation, qui aura lieu au jour du jugement. 

XL. - Les damnés ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien. 

XLI. - De la gloire des Bienheureux. 

XLII. - Le jugement général augmentera la peine des damnés. 

XLIII.- L’utilité des tentations.- L’âme, au moment de la mort, voit la peine ou la gloire qui lui est destinée, même avant d’être séparée de son corps. 

XLIV. - Le démon trompe toujours l’âme sous l’apparence de quelque bien. 

XLV. - Quels sont ceux que ne blessent pas les épines du monde, quoique personne, en cette vie, ne puisse éviter la souffrance. 

XLVI. - Des maux qui procèdent de l’aveuglement de l’intelligence. - Le bien qui n’est pas fait en état de grâce ne sert pas à la vie éternelle. 

XLVII. -On ne peut observer les commandements, si on n’observe pas aussi les conseils. 

XLVIII.- Les serviteurs du monde ne sont pas rassasiés de leurs biens. - Du supplice que leur cause leur volonté perverse. 

XLIX. - La crainte servile ne suffit pas pour acquérir la vie éternelle, mais elle peut conduire à l’amour de la vertu. 

L.- L’âme déplore l’aveuglement de ceux qui se noient dans le fleuve. 

LI. - Les trois degrés figurés sur le pont signifient les trois puissances de l’âme. 

LII. - Si les trois puissances de l’Âme ne sont pas unies ensemble, il lui est impossible d’avoir la persévérance nécessaire pour arriver à sa fin. 

LIII.- Explication de ces paroles de Jésus-Christ : « Qui a soif vienne à moi et boive». 

LIV. - Quel moyen doit prendre toute créature raisonnable pour pouvoir sortir des flots du monde et passer par le pont divin. 

LV.- Résumé de plusieurs choses qui ont été déjà dites. 

LVI.- Les trois degrés du pont correspondent à trois états de l’âme. 

LVII.- L’âme, en regardant dans le divin miroir, voit les créatures marcher de différentes manières. 

LVIII.- La crainte servile ne suffit pas sans l’amour de la vertu.- La loi de crainte et la loi d’amour sont unies ensemble.           

LIX. Comment de la crainte servile, qui est l’état d’imperfection, on parvient à l’état de perfection. 

LX. - De l’imperfection de ceux qui aiment et servent Dieu pour leur utilité, leur plaisir et leur consolation. 

LXI.- Comment Dieu se manifeste à l’âme qui l’aime. 

LXII.- Pourquoi Jésus-Christ ne dit pas : «Je manifesterai mon Père », mais : « Je me manifesterai ». 

LXIII.- Comment l’âme monte sur le second degré du pont. 

LXIV.- En aimant Jésus imparfaitement, on aime imparfaitement le prochain.- Signes de cet amour imparfait.

 

Table des Matières

 

TRAITÉ DE LA PRIÈRE

 

LXV.- Du moyen que prend l’âme pour arriver à l’amour pur et généreux.

LXVI.- L’âme doit passer de la prière vocale à la prière mentale.

LXVII.- De l’erreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu pour leur consolation. 

LXVIII.- Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet amour imparfait. 

LXIX.- De ceux qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation, négligent d’assister le prochain. 

LXX.- De l’erreur de ceux qui mettent toute leur affection dans les consolations et les visions. 

LXXI.- Ceux qui s’attachent aux consolations spirituelles peuvent être trompés par le démon qui se transforme en ange de lumière.- Des signes auxquels on peut reconnaître qu’une vision vient de Dieu ou du démon. 

LXXII.- L’âme qui se connaît évite les tromperies du démon. 

LXXIII.- Comment      l’âme quitte l’amour imparfait et arrive à l’amour parfait. 

LXXIV.- Des signes auxquels on connaît que l’âme est arrivée à l’amour parfait. 

LXXV.- Les imparfaits veulent suivre seulement le Père, tandis que les parfaits suivent le Fils. 

LXXVI.- L’âme au troisième degré parvient à la bouche de Jésus-Christ.- La mort de la volonté propre est le signe qu’elle y est arrivée. 

LXXVII.- Des oeuvres de l’âme parvenue au troisième degré. 

LXXVIII.- Du quatrième état, qui n’est pas séparé du troisième.- Des oeuvres de l’âme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se sépare jamais d’elle d’une manière sensible. 

LXXIX.- Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par sentiment, mais par union. 

LXXX.- Les mondains rendent gloire à Dieu, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas. 

LXXXI.- Comment les démons même rendent gloire à Dieu. 

LXXXII.- L’âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature ; elle n’a plus la peine du désir, mais seulement le désir. 

LXXXIII.- Comment saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps. 

LXXXIV.- Des causes qui font désirer à l’âme d’être séparée de son corps. 

LXXXV.- Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce.- Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu’un savant qui a de l’orgueil. 

LXXXVI.- Résumé de ce qui précède.- Dieu invite l’âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église. 

LXXXVII.- L’âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes. 

LXXXVIII.- Des larmes qui se rapportent aux différents états de l’âme. 

LXXXIX.- Des différentes sortes de larmes. 

XC.- Résumé du chapitre précédent.- Le démon fuit ceux qui sont arrivés aux cinquièmes larmes.- Les attaques du démon sont la voie véritable pour parvenir à cet état.

XCI.- Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont des larmes de feu.- Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles. 

XCII.- Dieu veut être servi comme l’être infini, et non comme une chose finie. 

XCIII.- Du fruit des larmes que répandent les hommes du monde. 

XCIV.- Les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents. 

XCV.- Du fruit des secondes et des troisièmes larmes. 

XCVI.- Du fruit des quatrièmes larmes unitives. 

XCVII.- L’âme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes, et elle lui fait trois demandes. 

XCVIII.- La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut servir Dieu.- De la lumière générale. 

XCIX.- De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière générale. 

C.- De la troisième et parfaite lumière.- Des oeuvres de l’âme parvenue à cette lumière. 

CI.- Ceux qui sont dans la perfection de la troisième Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle. 

CII.- Comment on doit reprendre le prochain sans tomber dans de faux jugements.  CIII.- Celui qui voit une âme pleine de ténèbres ne doit pas en conclure qu’elle est en péché mortel. 

CIV.- On ne doit pas prendre pour fondement de l’âme la pénitence, mais l’amour de la vertu. 

CV.- Résumé des choses précédentes.- Explication sur la correction du prochain. 

CVI.- Des signes qui font connaître si les visites et les visions spirituelles viennent de Dieu ou du démon. 

CVII.- Dieu satisfait aux désirs de ses serviteurs.- Combien lui sont agréables ceux qui frappent avec persévérance à la porte de la Vérité. 

CVIII.- L’âme rend grâces à Dieu et prie pour le monde, et en particulier pour le corps mystique de la sainte Église. 

CIX.- Dieu sollicite l’âme à la prière et répond à quelques-unes de ses demandes.  CX.- De la dignité des prêtres.- De la sainte Eucharistie, et de ceux qui la reçoivent dignement ou indignement. 

CXI.- Les sens du corps sont trompés dans ce sacrement, mais non pas ceux de l’âme, qui le voit, le goûte et le touche.- Belle vision de sainte Catherine. 

CXII.- De l’excellence que l’âme acquiert en recevant ce sacrement en état de grâce. 

CXIII.- La grandeur du sacrement doit faire comprendre la dignité de ceux qui en sont les ministres.- Dieu leur demande une plus grande pureté qu’aux autres créatures. 

CXIV.- Les sacrements ne doivent pas se vendre ni s’acheter.- Ceux qui reçoivent les sacrements doivent fournir aux prêtres les choses temporelles, dont les prêtres doivent faire trois parts. 

CXV.- De la dignité du sacerdoce.- La vertu des sacrements ne diminue pas par les fautes de ceux qui les administrent, ou qui les reçoivent. 

CXVI.- Dieu regarde comme dirigées contre lui les persécutions faites contre l’Église et ses ministres. 

CXVII.- De ceux qui persécutent de différentes manières la sainte Église et ses ministres. 

CXVIII.- Résumé de ce qui a été dit sur la sainte Église et ses ministres. 

CXIX.- De la perfection, des vertus et des oeuvres des saints prêtres. 

CXX.- Résumé de ce qui précède.- Respect qu’on doit aux prêtres, qu’ils soient bons ou mauvais. 

CXXI.- De la vie coupable des ministres infidèles.        

CXXII.-De ceux qui commettent l’injustice en ne reprenant pas leur prochain. 

CXXIII.- Des autres vices des mauvais ministres. 

CXXIV.- Combien sont coupables ces ministres prévaricateurs. 

CXXV.- Des maux que ces vices causent dans le monde. 

CXXVI.- De ceux qui s’abandonnent aux plaisirs des sens. 

CXXVII.- De l’avarice et des maux qu’elle cause à l’Église. 

CXXVIII.- De l’orgueil qui détruit la connaissance de la vérité. 

CXXIX.- Des autres péchés qui viennent de l’orgueil et de l’amour-propre. 

CXXX.- De beaucoup d’autres fautes que commettent les mauvais pasteurs. 

CXXXI.- Différence de la mort des justes et des pécheurs. - Mort des justes. 

CXXXII.- De la mort des pécheurs et de leurs peines au dernier moment. 

CXXXIII.- Dieu défend aux séculiers de toucher à ses ministres.- Il invite l’âme à pleurer sur ces prévaricateurs. 

CXXXIV.- L’âme remercie Dieu et prie pour la sainte Église.

 

Table des Matières

 

TRAITE DE LA PROVIDENCE

 

CXXXV.- De la providence de Dieu en général. 

CXXXVI.- Dieu a donné l’espérance à l’homme.- Plus on espère, plus on goûte parfaitement sa providence. 

CXXXVII.- De la providence de Dieu dans l’Ancien et le Nouveau Testament. 

CXXXVIII.- Tout ce que Dieu permet est pour notre salut.- Combien sont aveugles ceux qui pensent le contraire. 

CXXXIX.- De l’action de la Providence pour sauver une âme. 

CXL.- Dieu explique sa providence envers ses créatures, et se plaint de leur infidélité. 

CXLI.- La Providence nous envoie la tribulation pour notre salut.- Malheur de ceux qui espèrent en eux-mêmes au lieu d’espérer en Dieu. 

CXLII.- Providence     de Dieu dans le sacrement de l’Eucharistie. 

CXLIII.- Providence de Dieu à l’égard de ceux qui sont en péché mortel. 

CXLIV.- Providence de Dieu envers les imparfaits pour les conduire à la perfection. 

CXLV.- Providence de Dieu envers ceux qui ont la charité parfaite. 

CXLVI.- Résumé de ce qui précède.- Explication des paroles de Jésus-Christ à saint Pierre : « Jetez vos filets à droite ». (Saint Jean, XXI, 6.) 

CXLVII.- De ceux qui jettent plus parfaitement que les autres les filets dans la mer. 

CXLVIII.- Providence de Dieu envers ses créatures dans cette vie et dans l’autre. 

CXLIX.- Providence de Dieu envers ses serviteurs pauvres, même dans les choses temporelles. 

CL.- Des maux que causent la possession et le désir déréglé des richesses. 

CLI.- Excellence de la pauvreté spirituelle, et comment Jésus-Christ en a donné l’exemple. 

CLII.- Résumé de ce qui a été dit sur la providence. 

CLIII.- L’âme remercie Dieu et le prie humblement de lui dire quelque chose sur la vertu d’obéissance.

 

Table des Matières

 

TRAITE DE L’OBEISSANCE

 

CLIV.- Ou se trouve l’obéissance, ce qu’elle est, ce qui la fait perdre, et ce qui prouve qu’on la possède. 

CLV.- L’obéissance est la clef qui ouvre le ciel. 

CLVI.- De la misère des désobéissants et de l’excellence des obéissants. 

CLVII.- De ceux qui aiment tant l’obéissance, qu’ils ajoutent à l’observation générale des préceptes une obéissance plus particulière.  

CLVIII.- De quelle manière on parvient de l’obéissance générale à l’obéissance particulière. 

CLIX.- Des obéissants et des désobéissants qui vivent en religion. 

CLX.- Ceux qui obéissent reçoivent le centuple et la vie éternelle.- Ce que veut dire le centuple.

CLXI.- Des misères de ceux qui n’obéissent pas. 

CLXII.- Imperfection de ceux qui vivent en religion avec tiédeur, tout en évitant le péché mortel.- Remèdes pour sortir de la tiédeur.  

CLXIII.- De l’excellence de l’obéissance et des biens qu’elle procure. 

CLXIV.- Distinction de deux obéissances : celle des religieux et celle qu’on rend à une personne en dehors de la vie religieuse. 

CLXV.- Dieu ne récompense pas selon la difficulté et la durée de l’obéissance, mais selon le zèle et la grandeur de la charité.- Miracles que Dieu fait par l’obéissance. 

CLXVI.- Résumé de presque tout le Dialogue. 

CLXVII.- L’âme reconnaissante loue Dieu et prie pour le monde et la sainte Église.- Elle recommande la vertu de la loi et termine cet ouvrage. 

  

Table des Matières

 

 

TRAITE DE LA PERFECTION 

 

PRIÈRES  DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE

 

I.- Prière faite à Avignon pour le rétablissement de la paix dans l’Église.- Elle fut recueillie pendant l’extase de la Sainte, par Thomas Pétra, sténographe de Grégoire XI, et depuis secrétaire du Pape Urbain VI. 

II.- Prière faite pour les ministres de l’Église pendant la même extase. 

III.- Prière faite à Gênes au moment où le Pape Grégoire XI voulait retourner à Avignon.  

IV.- Prière écrite en cinabre de la main même de sainte Catherine. 

V.- Prière faite à Rome pendant une extase qui suivit la Communion, le Vendredi 18 février 1379 . 

VI.- Prière faite par sainte Catherine le jour de saint Thomas apôtre.  

VII.- Prière faite à Rome, le dimanche 20 février 1379. 

VIII.- Prière faite à Rome, le mardi 22 février de l’an 1379. 

IX.- Prière faite à Rome, le 1er mars 1379.  

X.- Prière faite à Rome, le mercredi 3 mars 1379. 

XI.- Prière faite à Rome, le jour de l’Annonciation de la Sainte Vierge, 1379.  

XII.- Prière faite à Rome. 

XIII.- Prière faite à Rome. 

XIV.- Prière faite à Rome. 

XV.- Prière faite à Rome, le 12 août, jour de l’octave de saint Dominique. 

XVI.- Prière faite à Rome, le 13 février. 

XVII.- Prière faite à Rome, le 14 février. 

XVIII.- Prière faite à Rome, le 15 février. 

XIX.- Prière faite à Rome, le jour de la Chaire de saint Pierre, apôtre. 

XX.- Prière faite à Rome, le 26 mars 1379.

XXI.- Prière faite à Rome, le Jeudi 5 Avril 1379. 

XXII.- Prière faite à Borne, le jour de la Circoncision, à la recommandation d’un Cardinal dominicain, pour obtenir la circoncision des pécheurs endurcis.

XXIII - Prière faite par sainte Catherine pendant l’extase qui suivit sa Communion, le jour de la Conversion de saint Paul, en 1377. Elle fut recueillie par le bienheureux Raymond, son confesseur.

XXIV.- Prière faite à Rome.

XXV.- Prière faite à Rocca di Tentennano, chez la comtesse de Salimbeni, le 26 octobre 1378. 

XXVI.- Prière faite par sainte Catherine, après le terrible accident qu’elle éprouva dans la nuit du lundi de la Septuagésime, lorsque sa famille la pleura comme morte.

 

 

Table des Matières

 

 

 

 

DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE  DE SIENNE

ET ORAISONS

 

Par E. Cartier

 

 

 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ,     

DE LA DOUCE VIERGE MARIE, DU GLORIEUX

PATRIARCHE DOMINIQUE.

 

 

 

I.- Une âme, avide de la gloire de Dieu et du prochain, s’applique humblement à la prière ; elle adresse quatre demandes à Dieu, lorsqu’elle lui est unie par la charité.

 

1.- Une âme qui désire ardemment l’honneur de Dieu et le salut du prochain s’applique d’abord aux exercices ordinaires et se renferme dans l’étude de sa propre fragilité, afin de mieux connaître la bonté de Dieu à son égard. Cette connaissance fait naître l’amour, et l’amour cherche à suivre et à revêtir la vérité.

2.- Rien ne donne plus la douceur et la lumière de la vérité qu’une prière humble et continuelle, qui a pour fondement la connaissance de Dieu et de soi-même. Cette prière unit l’âme à en lui faisant suivre les traces de Jésus crucifié, et en la rendant un autre lui-même par la tendresse du désir et par l’intimité de l’amour. Notre-Seigneur n’a-t-il pas dit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera mes commandements » ; et ailleurs : » Celui qui m’aime (1) est aimé de mon Père : je l’aimerai et je me manifesterai à lui ; il sera une même chose avec moi, et moi avec lui » (S. Jean, XIV, 21).

3.- Nous trouvons dans l’Ecriture plusieurs paroles semblables, qui nous prouvent que l’âme, par l’effet de l’amour de Dieu, devient un autre lui-même ; et pour nous en convaincre, voici ce qu’une servante de Dieu, étroitement unie à lui dans la prière, avait appris de son bon Maître au sujet de l’amour infini qu’il porte à ceux qui le servent :

4.- « Ouvre l’oeil de ton intelligence, lui disait-il, regarde en moi, et tu verras la dignité et la beauté de ma créature raisonnable. Entre toutes les grâces dont j’ai embelli l’âme en la créant à mon image et ressemblance, admire le vêtement nuptial de la charité et l’ornement des vertus que portent ceux qui me sont continuellement unis par l’amour. Si tu me demandes qui sont ceux-là, je te répondrai, ajoutait le très doux et très aimable Verbe de Dieu, ceux-là sont d’autres moi-même qui ont voulu perdre et détruire leur volonté pour se conformer à la mienne, et l’âme s’unit à moi en toute choses ». Il est donc bien vrai que l’âme s’unit à Dieu par l’amour.

5.- Lorsque cette âme voulut connaître plus clairement la vérité, afin de pouvoir la suivre davantage, elle fit à Dieu le Père quatre demandes humbles et ferventes :

la première était pour elle, parce qu’elle comprenait qu’on ne peut être utile au prochain par son enseignement, ses exemples et ses prières, si l’on n’acquiert pas la vertu soi-même ; la seconde demande était pour la réforme de la sainte Église ; la troisième demande était pour l’univers entier, afin d’obtenir surtout le salut et la paix de ces chrétiens qui insultent et persécutent l’Église avec tant d’acharnement ; par la quatrième demande, elle implorait le secours de la divine Providence pour tous les hommes et pour un cas particulier.

 

Table des Matières

 

 

II. - Dieu augmente le désir de l’âme en lui montrant la misère du monde.

 

1.- Ce désir de l’honneur de Dieu et du salut des hommes était grand et continuel ; mais il s’accrut bien (2) davantage lorsque la Vérité suprême lui eut montré la misère du monde, les périls et les vices où il est plongé ; elle le comprit aussi en recevant une lettre dans laquelle son père spirituel lui expliquait la peine et la douleur immense que doivent causer l’outrage fait à Dieu, la perte des âmes et les persécutions contre la sainte Eglise.

2.- L’ardeur de son désir augmentait alors ; elle pleurait l’offense de Dieu, mais elle se réjouissait aussi dans l’espérance que la miséricorde infinie voudrait bien arrêter de semblables malheurs. Et parce que, dans la sainte communion, l’âme s’unit plus doucement à Dieu et connaît davantage la. vérité, puisque alors elle est en Dieu, et Dieu est en elle, comme les poissons qui sont dans la mer en sont eux-mêmes pénétrés, cette âme avait hâte d’arriver au lendemain matin, afin de pouvoir entendre la messe.

3.- C’était une fête de la Sainte Vierge : dès que le jour eut paru et que la messe fut sonnée, elle y courut avec tous les désirs qui l’agitaient ; elle avait une telle connaissance de sa faiblesse et de ses imperfections, qu’elle croyait être la principale cause de tout le mal qui se faisait dans le monde, et cette connaissance lui inspirait une horreur d’elle-même et une soif de la justice qui la purifiaient de toutes les taches qu’elle apercevait en elle. Elle disait : O Père éternel, je m’accuse moi-même devant vous, punissez-moi de mes offenses ; et puisque je suis la cause principale des peines que supporte mon prochain, faites-les moi souffrir, je vous en conjure.

 

Table des Matières

 

 

III. - Les oeuvres de l’homme sont insuffisantes pour expier et mériter dès qu’elles sont séparées de la charité.

 

 

1.- L’éternelle Vérité acceptait le désir de cette âme et l’attirait en haut comme l’offrande des sacrifices de l’Ancien Testament, lorsque le feu du ciel descendait et prenait ce qui était agréable à Dieu. La douce Vérité faisait de même en cette âme ; elle lui envoyait le feu de l’Esprit Saint qui consumait le sacrifice du désir qu’elle lui avait offert, et elle lui disait : Ne sais-tu pas, ma fille, que toutes les peines que souffre et que peut souffrir une âme dans cette vie, sont incapables d’expier la faute (3) la plus légère? L’offense faite à moi, qui suis le Bien infini, demande une satisfaction infinie.

2.- Je veux que tu saches que toutes les peines ne sont pas données en cette vie pour expier, mais pour corriger. Ce sont les moyens que prend un père pour changer un enfant qui l’offense. La satisfaction est dans l’ardeur d’une âme qui se repent véritablement, et qui hait le péché. La contrition parfaite satisfait à la faute et à la peiné, non par la douleur qu’on éprouve, mais par le désir infini qu’on ressent.

3.- Celui qui est infini veut un amour et une douleur infinis. Il veut la douleur infinie de l’âme, d’abord pour les offenses qu’elle a faites à son Créateur, et ensuite pour celles qu’elle voit commettre par le prochain. Ceux qui ont ce désir infini, et qui me sont par conséquent unis par l’amour, gémissent amèrement : lorsqu’ils m’offensent ou qu’ils me voient offenser, Leurs peines, spirituelles ou corporelles, de quelque côté qu’elles viennent, acquièrent un mérite infini et satisfont à la faute qui méritait une peine infinie, quoique ces oeuvres elles-mêmes soient finies et accomplies dans le temps qui est fini. Ils ont agi avec un désir infini et leurs peines ont été supportées avec une contrition, un regret de l’offense infinis, et c’est pour cela que la satisfaction est parfaite.

4.- C’est ce qu’explique saint Paul lorsqu’il dit «J’aurais beau parler la langue des anges et des hommes, prophétiser, donner tout mon bien aux pauvres, et livrer mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me servira de rien » (I Cor., XIII, 1-3, ). L’Apôtre prouve par là que les oeuvres finies sont incapables d’expier et de mériter sans le concours de la charité.

 

Table des Matières

 

 

 

IV.- Le désir et la contrition du coeur satisfont à la faute et à la peine pour soi et pour les autres, quelquefois à la faute seulement et non à la peine.

 

1.- Je t’ai montré, ma fille bien-aimée, que la faute n’est pas punie par la seule peine qu’on souffre dans le temps comme expiation, mais par la peine qui vient de l’amour et de la contrition du coeur. Ainsi l’efficacité (4) n’est pas dans la peine, mais dans le désir de l’âme ; et ce désir, comme toutes les autres vertus, n’a de valeur et de force qu’en Jésus-Christ, mon Fils unique ; sa mesure est l’amour que l’âme a pour lui et sa fidélité à suivre ses traces. C’est là le seul et véritable moyen.

2.- Les peines ne satisfont à la faute que par ce doux et intime amour qui naît de la connaissance de ma bonté, et par cette amère et profonde contrition du coeur qui vient de la connaissance de soi-même et de ses fautes. Cette connaissance produit la haine et la fuite du péché et de la sensualité. Elle fait comprendre qu’on est digne de toutes sortes de châtiments et qu’on ne mérite aucune consolation.

3.- La très douce Vérité disait encore : Oui, la contrition du coeur et les sentiments d’une patience sincère et d’une humilité véritable, font que l’âme se trouve digne de peines et indigne de récompenses ; l’humilité porte à tout souffrir avec patience, et c’est en cela que consiste la satisfaction.

4.- Tu me demandes des peines pour satisfaire aux offenses que commettent contre moi les créatures, et tu désires me connaître et m’aimer, moi qui suis la Vérité suprême et la Source de la vie. Le moyen d’acquérir ma connaissance et de goûter ma vérité éternelle, c’est de ne jamais sortir de la connaissance de toi-même. En t’abaissant dans la vallée de l’humilité, tu me connaîtras en toi, et tu trouveras dans cette connaissance tout ce qui te sera nécessaire.

5.- Aucune vertu ne peut exister sans la charité et sans l’humilité, qui est la gouvernante et la nourrice de la charité. La connaissance de toi-même te donnera l’humilité, parce que tu verras que tu n’as pas l’être par toi-même, mais par moi, qui vous aimais jusque dans les profondeurs du néant ; et cet amour ineffable que j’ai eu pour vous a voulu vous renouveler dans la grâce en vous lavant et vous recréant par ce sang que mon Fils unique a répandu avec tant d’ardeur. C’est ce sang qui enseigne la vérité à celui qui a dissipé le nuage de l’amour-propre par la connaissance de soi-même ; et ce sang est l’unique maître.

6.- L’âme, en recevant ces leçons, éprouve un amour (5) immense, et cet amour lui cause une peine continuelle, non pas une peine qui l’afflige et la dessèche, mais qui l’engraisse au contraire. Elle a connu ma vertu, et ses fautes, l’ingratitude et l’aveuglement des hommes ; elle en ressent une peine inexprimable, mais elle souffre parce qu’elle aime ; sans l’amour elle ne souffrirait pas ainsi. Dès que vous aurez connu ma vérité, il faudra supporter jusqu’à la mort les tribulations, les injures et les affronts de toutes sortes, en l’honneur et à la gloire de mon nom.

7.- Souffrez ces épreuves avec une vraie patience, avec une douleur sincère de tout ce qui m’offense, avec un amour ardent de tout ce qui peut glorifier mon nom. Vous satisferez ainsi à vos fautes et à celles de mes autres serviteurs. Vos peines, rendues efficaces par la puissance de la charité, pourront. expier et mériter pour vous et. pour les autres. Pour vous, vous recevrez le fruit de la vie ; les fautes qui vous sont échappées seront effacées, et je ne me rappellerai pas que vous les avez commises pour les autres, je prendrai votre charité en considération, et je leur donnerai selon les dispositions avec lesquelles ils les recevront. A ceux qui écouteront avec respect et humilité mes serviteurs, je remettrai la faute et la peine, parce qu’ils parviendront à la connaissance et à la contrition de leurs péchés.

8.- Les prières et les ardents désirs de mes serviteurs seront pour eux des semences de grâces ; en les recevant humblement ils en profiteront à des degrés différents, selon les efforts de leur volonté. Oui, ils seront pardonnés à cause de vos saints désirs, à moins que leur obstination soit telle, qu’ils veuillent être séparés de moi par le désespoir et qu’ils méprisent le sang de mon Fils, qui les a rachetés avec tant d’amour.

9.- Quel fruit en retireront-ils? Le fruit qu’ils en retireront, c’est que, contraint par les prières de mes serviteurs, je les éclairerai ; j’exciterai les aboiements de leur conscience, et je leur ferai sentir la bonne odeur de la vertu, en leur rendant douce et profitable la société de mes amis.

10.- Quelquefois je permettrai que le monde leur laisse entrevoir ses misères, les passions qui l’agitent (6) et le peu de stabilité qu’il présente, afin que leurs désirs s’élèvent aux choses supérieures et qu’ils se dirigent vers le ciel, leur patrie. J’emploierai mille moyens ; l’oeil ne saurait voir, la langue raconter, et le coeur imaginer toutes les ruses qu’invente mon amour pour leur donner ma grâce et les remplir de ma vérité. J’y suis poussé par cette inépuisable charité qui me les a fait créer,   et aussi par les prières, les désirs et les angoisses de mes serviteurs. Je ne puis rester insensible à leurs larmes, à leurs sueurs et à leurs humbles demandes ; car c’est moi-même qui leur fais aimer ainsi leur prochain et qui leur inspire cette douleur de la perte des âmes.

11.- Je ne puis cependant pas remettre la peine, mais seulement la faute, à ceux qui, de leur côté, ne sont pas disposés à partager mon amour et l’amour de mes serviteurs. Leur contrition est parfaite comme leur amour, et ils n’obtiennent pas comme les autres la satisfaction de la peine, mais seulement le pardon de la faute ; car il faut qu’il y ait rapport entre celui qui donne et celui qui reçoit. Ils sont imparfaits, et ils reçoivent imparfaitement la perfection des désirs et des peines qui me sont offerts pour eux.

12.- Je t’ai dit qu’ils recevaient avec le pardon encore d’autres grâces, et c’est la vérité ; car, lorsque la lumière de la conscience et les autres moyens que je viens d’indiquer leur ont fait remettre leur faute, ils commencent à connaître leur intérieur et à vomir la corruption de leur péché ; ils se purifient et obtiennent de moi des grâces particulières.

13.- Ceux-là sont dans la charité commune, qui acceptent en expiation les peines que je leur envoie ; et s’ils ne font point résistance à la clémence du Saint-Esprit, ils quittent le péché et reçoivent la vie de la grâce. Mais par ignorance et par ingratitude, ils méconnaissent ma bonté et les fatigues de mes serviteurs ; tout ce qu’ils ont reçu de ma miséricorde leur tourne en ruine et en condamnation. Ce n’est pas la miséricorde qui leur fait défaut, ni le secours de ceux qui l’ont humblement obtenue pour eux, mais c’est leur libre arbitre qui a malheureusement rendu leur coeur dur comme le diamant. Cette dureté, ils peuvent la vaincre (7) tant qu’ils sont maîtres de leur libre arbitre, ils peuvent réclamer le sang de mon Fils et l’appliquer sur leur coeur pour l’attendrir, et ils recevront le bénéfice de ce sang qui a payé pour eux.

14.- Mais s’ils laissent passer le délai du temps, il n’y aura plus de remède, parce qu’ils n’auront point fait fructifier le trésor que je leur avais confié en leur donnant la mémoire pour se rappeler mes bienfaits, l’intelligence pour voir et connaître la vérité, et l’amour pour les attacher à moi, qui suis cette Vérité éternelle que l’intelligence leur avait fait connaître ! C’est là le trésor que je vous ai donné et qui doit me rapporter ; ils le vendent et l’aliènent au démon, qui devient leur maître et le propriétaire de tout ce qu’ils ont acquis pendant la vie. Ils ont rempli leur mémoire de plaisirs et de souvenirs déshonnêtes ; ils sont souillés par l’orgueil, l’avarice, l’amour-propre et la haine du prochain, qui leur devient insupportable ; ils ont même persécuté mes serviteurs, et toutes ces fautes ont égaré leur intelligence dans le désordre de la volonté. Ils tomberont avec le démon dans les peines de l’enfer, parce qu’ils n’auront pas satisfait à leurs fautes par la contrition et la haine du péché.

15.- Ainsi tu vois que l’expiation de la faute est dans la parfaite contrition du coeur, et non dans les souffrances temporelles ; non seulement la faute, mais la peine qui en est la suite, est remise à ceux qui ont cette contrition parfaite, et en général, comme je te l’ai dit, ceux qui sont purifiés de la faute, c’est-à-dire qui sont exempts de péchés mortels, reçoivent la grâce ; mais s’ils n’ont pas une contrition suffisante et un amour capable de satisfaire â. la peine, ils vont souffrir dans le purgatoire.

16.- Tu vois que la satisfaction est dans le désir de l’âme unie à moi, le Bien Infini, et qu’elle est petite ou grande selon la mesure de l’amour de celui qui fait la prière et du désir de celui qui reçoit. C’est cette mesure de celui qui m’offre et de celui qui reçoit qui est la mesure de ma bonté. Ainsi, travaille à augmenter les flammes de ton désir, et ne te lasse pas un instant de crier humblement vers moi et de m’offrir pour ton prochain (8) d’infatigables prières. Je le dis pur toi et pour le père spirituel que je t’ai donné sur terre, afin que vous agissiez avec courage et que vous mouriez à toutes sortes de sensualités.

 

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V.- Combien plaît à Dieu le désir de souffrir pour lui.

 

 

1.- Rien ne m’est plus agréable que le désir de souffrir jusqu’à la mort des peines et des épreuves pour le salut des âmes ; plus on souffre, plus on prouve qu’on m’aime ; l’amour fait connaître davantage ma vérité ; et plus on la connaît, plus on ressent de douleur des fautes qui m’offensait. Ainsi, en me demandant de punir sur toi les péchés des autres, tu me demandes l’amour, la lumière, la connaissance de la vérité ; car l’amour se proportionne à la douleur, et augmente avec elle.

2.- Je vous ai dit : Demandez, et vous recevrez ; je ne refuserai jamais celui qui me demandera dans la vérité. L’ardeur de la divine charité est si unie dans l’âme avec la patience parfaite, que l’une, ne peut y subsister sans l’autre. Dès que l’âme veut m’aimer, elle doit vouloir aussi supporter, par amour pour moi, toutes les peines que je lui accorderai, quelles que soient leur mesure et leur forme. La patience ne vit que de peines et la patience est la compagne inséparable de la charité. Ainsi donc supportez tout avec courage ; sans cela vous ne sauriez être les époux de ma vérité, les amis de mon Fils, et vous ne pourriez montrer le désir que vous avez de mon honneur et du salut des âmes.

 

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VI.- Toute vertu et tout défaut se développent par le moyen du prochain.

 

1.- Je veux que tu saches que toute vertu et tout défaut se développent par le moyen du prochain. Celui qui est dans ma disgrâce fait tort au prochain et à lui-même, qui est son principal prochain. Ce tort est général et particulier ; il est général parce que vous êtes obligé d’aimer votre prochain comme vous-même, et qu’en l’aimant, vous devez lui être utile spirituellement par vos (9) prières et vos paroles ; vous devez le Conseiller et l’aider dans son âme et dans son corps, selon ses nécessités, au moins de désir, si vous ne pouvez le faire autrement.

2.- Celui qui ne m’aime pas, n’aime pas son prochain, et ne l’aimant pas il ne peut lui être utile. II se fait tort, puisqu’il se prive de la grâce ; il fait tort au prochain, puisqu’il le prive des prières et des saints désirs qu’il devait m’offrir pour lui, et dont la source est mon amour et l’honneur de mon nom.

3.- Ainsi tout mal vient à l’occasion du, prochain qu’on n’aime pas, dès qu’on ne m’aime pas ; et quand on n’a plus cette double charité, on fait le mal puisqu’on n’accomplit plus le bien. A qui fait-ou le mal, si ce n’est à soi-même ou au prochain? Ce n’est pas à moi, car le mal ne saurait m’atteindre, et je ne regarde fait à moi que celui qui est fait aux autres.

4.- On fait le mal contre soi-même, puisqu’on se prive de ma grâce, et qu’on ne peut par conséquent se nuire davantage. On fait le mal contre le prochain, puisqu’on ne lui donne pas ce qui lui est dû au nom de l’amour, et qu’on ne m’offre pas pour lui les prières et les saints désirs de la charité.

5.- C’est là une dette générale envers toute créature raisonnable ; mais elle est plus sacrée à l’égard de tous ceux qui vous entourent parce que vous êtes obligés de vous soutenir les uns les autres par vos paroles et vos bons, exemples, recherchant en toutes choses l’utilité de votre prochain, comme celle de votre âme, sans passion et sans intérêt. Celui qui n’agit pas ainsi manque de charité fraternelle, et fait par conséquent tort à son prochain ; non seulement il lui fait tort en ne lui faisant pas le bien qu’il pourrait lui faire, mais encore en le portant au mal.

6.- Le péché est actuel ou mental dans l’homme : il se commet mentalement lorsqu’on se délecte dans la pensée du péché, et lorsqu’on déteste la vertu par un effet de l’amour sensitif, qui détruit la charité qu’on doit avoir pour moi et pour le prochain. Dès qu’on a conçu ainsi le péché, on l’enfante contre le prochain de diverses manières, selon la perversité de la volonté sensitive. C’est quelquefois une cruauté spirituelle et corporelle : (10) elle est spirituelle, lorsqu’on se voit ou qu’on voit les créatures en danger de mort et de damnation par la perte de la grâce, et qu’on est assez cruel pour ne pas recourir à l’amour de la vertu et à la haine du vice.

7.- Quelquefois on pousse cette cruauté jusqu’à vouloir la communiquer aux autres : non seulement on ne lui donne pas l’exemple de la vertu, mais on fait l’office du démon, en retirant les autres de la vertu autant qu’on le peut, et en les conduisant au vice. Quelle cruauté plus grande peut-on exercer envers l’âme que de lui ôter ainsi la vie de la grâce et de lui donner la mort éternelle? La cruauté envers le corps a sa Source dans la cupidité. Non seulement on néglige d’assister son prochain, mais encore on le dépouille jusque dans sa pauvreté, soit par force, soit par fraude, en lui faisant racheter son bien et sa vie.

8.- O cruauté impitoyable, pour laquelle je serai sans miséricorde, si elle n’est pas rachetée par la compassion et la bienveillance envers le prochain! Elle enfante des paroles que suivent souvent la violence et le meurtre, ou bien des impuretés qui souillent et changent. les autres cri animaux immondes ; et ce n’est pas une personne ou deux qui sont infectées, ce sont tous ceux qui fréquentent et approchent seulement ce cruel corrupteur.

9.-  Que n’enfante pas aussi l’orgueil, si avide de réputation et d’honneur! On méprise le prochain, on s’élève au dessus de lui et on lui fait injure. Si l’on est dans une position supérieure, on commet l’injustice, et on devient le bourreau des autres.

10.- O ma fille bien-aimée, gémis sur toutes ces offenses et pleure sur tous ces morts, afin que tes prières les ressuscitent. Tu vois quand et comment les hommes commettent le péché contre le prochain et par son moyen. Sans le prochain, il n’y aurait pas de péchés secrets ou publics. Le péché secret, c’est de ne pas l’assister comme on doit le faire ; le péché public, c’est cette génération de vices dont je viens de parler. Il est donc vrai que toutes les offenses me sont faites par le moyen du prochain. (11)

 

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VII.- Les vertus s’accomplissent par le moyen du prochain. - Pourquoi elles sont si différentes dans les créatures.

 

 

1.- Je t’ai dit que tous les péchés se font par le moyen du prochain ; leur cause est dans le défaut de la charité, qui seule fait naître, vivifie et développe toute vertu. L’amour-propre qui détruit la charité et l’amour du prochain, est le principe et le fondement de tout mal. Le scandale, la haine, les cruautés, toutes les fautes viennent de cette racine mauvaise, qui empoisonne le monde entier, et qui trouble le corps de la sainte Eglise et toute la chrétienté.

2.- Je t’ai dit que les vertus avaient leur fondement dans l’amour du prochain, parce que c'est la charité qui donne la vie à toutes les vertus ; il est impossible d’acquérir aucune vertu sans la charité, c’est-à-dire sans mon amour.

3.- Dès que l’âme se connaît, elle trouve l’humilité et la haine de la passion sensitive, parce qu’elle connaît la loi mauvaise, qui captive la chair et combat sans cesse l’esprit. Elle conçoit alors de la haine et de l’horreur contre la sensualité, et elle s’applique avec zèle à la soumettre à la raison.

4.- Tous les bienfaits qu’elle a reçus de moi lui font comprendre la grandeur de ma bonté, et l’intelligence qu’elle en a lui donne l’humilité, parce qu’elle sait que c’est ma grâce seule qui l’a tirée des ténèbres et lui procure la clarté de cette lumière. Dès qu’elle a reconnu ma bonté, elle aime d’une manière désintéressée, et d’une manière intéressée d’une manière désintéressée, quant à son utilité particulière ; d’une manière intéressée quant à la vertu qu’elle a embrassée pour moi, parce qu’elle sait qu’elle ne me serait point agréable Si elle n’avait pas la haine du péché et l’amour de la vertu.

5.- Dès qu’elle m’aime, elle aime le prochain, sans cela son amour ne serait pas véritable ; car mon amour et l’amour du prochain ne font qu’un. Plus une âme m’aime, plus elle aime le prochain, parce que l’amour qu’on a pour lui procède de mon amour. (12)

6.- C’est là le moyen que je vous ai donné pour que vous exerciez et cultiviez en vous la vertu. Votre vertu ne peut m’être utile, mais elle, doit profiter au prochain. Vous montrez que vous avez ma grâce en m’offrant pour lui de saintes prières et les désirs ardents que vous avez de mon bonheur et du salut des âmes.

7.- L’âme qui est amoureuse de ma vérité ne cesse jamais d’être utile aux autres en général et en particulier, peu ou beaucoup, selon la disposition de celui qui reçoit, et selon l’ardent désir de celui qui demande et me force de donner. Je te l’ai dit, en t’expliquant que, sans l’ardent désir, la peine ne pouvait suffire, à expier la faute.

8.- Lorsque l’âme possède cet amour qu’elle puise en moi et qu’elle étend au prochain et au salut du monde entier, elle cherche à faire partager aux autres les avantages et la vie de la grâce qu elle en retire. Elle s’applique à satisfaire aux besoins particuliers de ceux qui I’entourent. Elle montre la charité générale pour toutes les créatures. Elle veut servir ses proches en leur communiquant, selon leur nombre et leur mesure, les grâces dont je l’ai faite dépositaire et ministre Car j’ai charge les uns de faire le bien dans l’enseignement de la doctrine, sans avoir égard à leurs intérêts, et j’ai chargé les autres de le faire par les saints exemples que vous étés tous obliges de leur donner pour l’édification du prochain.

9.- Ces vertus et bien d’autres, qu’il serait trop long de nommer, sont les fruits de l’amour véritable du prochain, je les donne à chacun d’une manière différente, afin qu’étant partagées entre tous, la vertu et la charité naissent de leur harmonieux ensemble,

10.- J’ai donné une vertu à celui-ci, et une autre vertu à celui-là ; mais aucune vertu ne peut être parfaite sans qu’on ait à un certain degré les autres ; car toutes les vertus sont liées ensemble, et chaque vertu est le commencement et le principe des autres. A l’un je donne la charité, à l’autre la justice, l’humilité ou une foi vive, la prudence, la tempérance, la patience ou la force. Je diversifie ainsi mes dons dans les âmes, distribuant à toutes des grâces spéciales. Mais dès que l’âme possède une vertu qu’elle pratique et qu’elle développe de préférence (13), cette vertu entraîne naturellement les autres ; car, comme je l’ai dit, toutes les vertus sont liées par les liens de la charité.

11.- Mes dons sont temporels ou spirituels. J’appelle temporels toutes les choses nécessaires à la vie de l’homme, et ces choses je les dispense avec une grande inégalité. Je ne les donne pas toutes à un seul, afin que des besoins réciproques deviennent une occasion de vertu et un moyen d’exercer la charité. II m’était très facile de donner à chacun ce qui est utile à son corps et à son âme ; mais j’ai voulu que tous les hommes eussent besoin les uns des autres pour devenir ainsi les ministres et les dispensateurs des dons qu’ils ont reçus de moi. Que l’homme le veuille ou non, il est forcé d’exercer la charité envers son prochain : seulement, si cette charité ne s’exerce pas par amour pour moi, elle ne sert de rien dans l’ordre de la grâce.

12.- Ainsi tu vois que c’est pour organiser la charité que j’ai rendu les hommes mes ministres, et que je les ai placés dans des états et des rapports si différents. Il y a bien des manières d’être dans ma maison, et l’amour est la seule chose que je vous demande ; car c’est en m’aimant qu’on aime le prochain, et celui qui aime le prochain accomplit la loi ; quiconque possède l’amour rend avec bonheur à son prochain tous les services qu’il peut lui rendre.

 

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VIII. - Les vertus s’éprouvent et se fortifient par leurs contraires.

 

 

1.- Je t’ai dit que l’homme, en servant son prochain, prouve l’amour qu’il a pour moi. J’ajoute que c’est par le prochain qu’on pratique les vertus et surtout la patience, quand il en reçoit des injures. II exerce son humilité avec le superbe, sa foi avec l’incrédule, son espérance avec celui qui désespère, sa justice avec l’injuste, sa bonté avec le méchant, sa douceur avec celui qui est en colère.

2.- Le prochain est l’occasion de toutes les vertus, comme il est aussi celle de tous les vices. L’humilité (14) brille par l’orgueil, car l'humilité détruit l’orgueil et en triomphe. Le superbe ne peut nuire à celui qui est humble, et l’infidélité de celui qui ne m’aime pas et n’espère pas en moi ne peut nuire à celui qui m’est fidèle, ni affaiblir la foi et l’espérance que lui donne mon amour. Elle les fortifie au contraire et les montre dans la charité qu’il a pour le prochain ; car, lorsque mon serviteur fidèle voit quelqu’un qui n’espère plus en lui et en moi, il ne cesse pas pour cela de l’aimer, et il demande au contraire son salut avec plus d’ardeur. Celui qui ne m’aime pas ne peut avoir foi en moi ; son espérance est dans la sensualité qui captive son coeur. Tu vois donc que c’est par l’infidélité et par le défaut d’espérance des autres que la foi s’exerce ; c’est là qu’elle trouve les occasions d’agir et de se développer.

3.- La justice aussi n’est pas détruite par l'injustice ; la patience de celui qui souffre montre au contraire la justice, comme la douceur et la résignation brillent d’un plus grand éclat dans les orages de la colère : l’envie, le mépris et la haine sont aussi vaincus par la charité par le désir et la faim du salut des âmes

4.- Non seulement ceux qui rendent le bien pour le mal montrent leur vertu, mais ils la communiquent souvent. Ils mettent les charbons ardents de la charité sur la tête de leur prochain ; ils chassent la haine qui s’était emparée de son coeur, et la colère se charge tout à coup en bienveillance c’est un miracle que produit l’affectueuse patience de celui qui supporte la colère du méchant et qui lui pardon ne. La force et la persévérance ont leurs aliments dans l’injure et dans la calomnie des hommes qui, par la violence ou la séduction, veulent détourner mes serviteurs du chemin de la vérité. Celui qui est fort et persévérant le montre, dans sa conduite envers le prochain ; celui qui succombe alors prouve que sa vertu n’est rien. (15)

 

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TRAITE DE LA DISCRETION

 

 

IX.- On doit s’attacher plus aux vertus qu’à la pénitence. - La discrétion tire sa vie de l’humilité ; elle rend à chacun ce qui lui est dû.

 

Nous donnons au mot discrétion toute I’étendue qu’il a dans la langue théologique. Il signifie le discernement qui règle la mesure et les rapports de toutes les vertus. Voir les Conférences de Cassien, 2e confér

 

1.- Les oeuvres douces et saintes que je réclame de mes serviteurs sont les vertus intérieures d’une âme éprouvée, plutôt que les vertus qui s’accomplissent au moyen du corps, par les abstinences et les mortifications : ce sont là les instruments de la vertu plutôt que la vertu. Celui qui les emploie sans la vertu me sera peu agréable, et même, s’il les emploie sans discrétion en s’attachant d’une manière exagérée à la pénitence, il nuira véritablement à la perfection.

2.- Le fondement de la perfection est l’ardeur de mon amour, une sainte haine de soi-même, une humilité vraie, une patience parfaite, et toutes ces vertus intérieures de l’âme qui s’unissent à un désir insatiable de ma gloire et du salut des âmes. Ces vertus prouvent que la volonté est morte, et que la sensualité est vaincue par l’amour. C’est avec cette discrétion qu’on doit faire pénitence : la vertu est le but principal ; la pénitence n’est qu’un moyen pour l’atteindre, et il faut toujours l’employer dans la seule mesure du possible.

3.- En s’appuyant trop sur la pénitence, on nuit à sa perfection, parce qu’on ne suit pas la lumière de la connaissance de soi-même et de ma souveraine bonté, et qu’on n’obéit pas (16) à la vérité en dépassant les bornes de ma haine ou de mon amour.

4.- La discrétion n’est autre chose qu’une connaissance vraie que l’âme doit avoir d’elle-même et de moi, et c’est dans cette connaissance qu’elle prend racine ; elle a un rejeton qui est lié et uni à la charité. Elle en a beaucoup d’autres, comme un arbre a beaucoup de rameaux, mais ce qui donne la vie à l’arbre et aux rameaux, c’est la racine ; cette racine doit être plantée dans la terre de l’humilité, qui porte et nourrit la charité, où est enté le rejeton et l’arbre de la discrétion.

5.- La discrétion ne serait plus une vertu et ne produirait pas de fruits de vie si elle n’était plantée dans l’humilité, parce que l’humilité vient de la connaissance que l’âme a d’elle-même. Aussi t’ai-je dit que la racine de la discrétion était une connaissance vraie de soi-même et de ma bonté, qui fait rendre à chacun ce qui lui est du le plus justement possible

6.- L’âme me rend ce qui m’est dû en rendant gloire et louange à mon nom, en m’attribuant les grâces et les dons qu’elle sait avoir reçus de moi ; elle se rend à elle-même ce qui lui est dû en reconnaissant qu’elle n’est pas, que son être lui vient uniquement de ma grâce, et tout ce qu’elle a de plus vient de moi et non pas d’elle. Il lui semble qu’elle est ingrate pour tant de bienfaits, qu’elle est coupable d’avoir si peu profité du temps et des grâces reçues, et qu’elle mérite d’en être sévèrement punie. Elle conçoit alors un regret violent et une profonde haine de ses défauts.

7.- Voici ce que fait la discrétion fondée sur la connaissance de soi-même et sur une humilité vraie. Sans l’humilité l’âme ne serait pas juste, et son défaut de discrétion aurait sa source dans l’orgueil, comme la discrétion a la sienne clans l’humilité. Elle me déroberait mon honneur en se l’attribuant à elle-même, et elle m’attribuerait ce qui lui appartient en se plaignant et en murmurant injustement de ce que j’ai fait pour elle et pour mes autres créatures. Elle se scandaliserait également de moi et du prochain.

8.- Ceux qui ont la discrétion n’agissent point ainsi. Lorsqu’ils m’ont rendu et qu’ils se sont rendu justice, ils accomplissent aussi leur devoir envers le prochain en l’aimant d’une charité sincère, en priant pour lui avec une humble persévérance, comme il faut le faire les uns (17) pour les autres ; en lui donnant tous les enseignements et les bons exemples, les conseils et les secours qui sont nécessaires à son salut. Quelle que soit la position de l’homme, qu’il commande ou qu’il obéisse, s’il a cette vertu, tout ce qu’il fera pour le prochain sera fait avec discrétion et charité, car ces deux choses sont inséparables : elles reposent sur une humilité sincère, qui vient de la connaissance de soi-même.

 

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X. - La charité, l’humilité et la discrétion sont inséparables, et l’âme doit les posséder.

 

 

1.- Sais-tu dans quel rapport sont ces trois vertus? Suppose un cercle tracé sur la terre, et au milieu un arbre avec un rejeton qui lui serait uni ; l’arbre se nourrit de la terre contenue dans la largeur du cercle ; s’il en était arraché, il mourrait et ne pourrait donner de fruits tant qu’il n’y serait pas replanté. L’âme aussi est un arbre fait pour l’amour et qui ne peut vivre que d’amour. Si l’âme n’a pas l’amour divin d’une parfaite charité, elle ne donnera pas de fruits de vie, mails des fruits de mort. Il faut que sa racine se nourrisse dans le cercle d’une véritable connaissance d’elle-même, et cette connaissance la fixe en moi, qui n’ai ni commencement ni fin. Quand tu tournes dans un cercle, tu n’en trouves ni le commencement ni la fin, et cependant tu t’y vois renfermée.

2.- Cette connaissance que l’âme a de moi et d’elle-même repose sur la terre d’une véritable humilité, dont l’étendue est proportionnée à celle du cercle de cette connaissance qu’elle a de moi en elle. Sans cela, le cercle ne serait pas sans commencement et sans fin ; il aurait un commencement, puisqu’il commencerait à la connaissance d’elle-même, et finirait dans la confusion, parce que cette connaissance serait séparée de moi.

3.- L’arbre de la charité se nourrit de l’humilité et produit le rejeton d’une véritable discrétion, ainsi que je te l’ai montré. La moelle de l’arbre, c’est-à-dire de la charité dans l’âme, est la patience qui prouve que je suis dans l’âme et que l’âme est en moi. Quand cet arbre est ainsi planté, il porte des fleurs d’une éclatante vertu et les parfums les plus délicieux ; (18) il donne des fruits excellents à tous ceux qui désirent suivre et imiter mes serviteurs ; il rend ainsi honneur et gloire à mon nom et il accomplit le but de la création. Il arrive à son terme, à moi qui suis la vie véritable, et rien ne peut le dépouiller s’il n’y consent pas. Tous les fruits de cet arbre sont inséparables, et ils viennent de la discrétion.

 

XI.- La pénitence doit être le moyen d’acquérir la vertu et non le but principal de l’âme. - Des lumières de la discrétion en diverses circonstances.

 

1.- Les fruits que je demande d’une âme doivent prouver la réalité de la vertu au temps de l’épreuve. Souviens-toi de ce que je t’enseignais autrefois, lorsque tu désirais faire de grandes pénitences ; tu me disais : «  Que pourrais-je faire, que pourrais-je endurer pour vous »? Je te répondais intérieurement : « J’aime peu de paroles, mais beaucoup d’oeuvres » afin de te faire comprendre que je m’attache peu à celui dont la bouche me dit : « Seigneur, Seigneur, que puis-je faire pour vous »? et qui désire par amour pour moi mortifier son corps par la pénitence, sans vaincre et tuer sa volonté. Ce que je préfère, ce sont les actes d’une courageuse patience et les oeuvres d’une vertu intérieure, qui agit toujours sous’ l’influence de la grâce ; tout ce qu’on fait en dehors de ce principe, je le regarde comme de simples paroles, parce que ce sont des actes bornés, et moi, qui suis l’infini, je veux des actes et un amour sans borne.

2.- Je veux que les oeuvres de pénitence et les autres pratiques corporelles soient le moyen et non pas le but de l’âme ; si c’était le but, ce serait un acte borné, comme la parole qui sort des lèvres et qui n’existe plus, quand elle ne sort pas avec l’amour de l’âme qui conçoit et enfante véritablement la vertu. Si ce que j’appelle une parole est uni à l’ardeur de la charité, alors cette parole me devient agréable, parce qu’elle n’est pas seule, mais qu’elle est accompagnée d’une discrétion véritable, et que l’acte du corps est un moyen et non pas le but principal.

3.- Il ne convient pas que le but principal de l’âme soit dans la pénitence et dans les autres oeuvres extérieures, car ces oeuvres sont finies et s’accomplissent dans le temps ; il faut quelquefois que la créature les abandonne ou qu’on (19) les lui défende. Les circonstances et l’ordre des supérieurs peuvent l’exiger : les accomplir alors serait, non pas un mérite, mais une grande offense. Tu vois donc que ce sont des oeuvres bornées, qu’il faut prendre pour moyen et non pour but ; car, en les prenant pour but, l’âme serait vide lorsqu’il faudrait les laisser.

4.- Aussi mon Apôtre, le glorieux saint Paul, dit dans son Épître, de mortifier le corps et de tuer. la volonté, c’est-à-dire de dompter le corps en macérant la chair losqu’elle veut se révolter contra l’esprit. Mais la volonté a besoin d’être entièrement vaincue, détruite et soumise à ma volonté. On triomphe ainsi de la volonté par le moyen de la vertu de discrétion, qui fait que l’âme déteste ses fautes et sa sensualité en acquérant la connaissance d’elle-même ; c’est là l’arme victorieuse qui tue l’amour-propre né de la volonté.

5.- Ceux qui agissent ainsi m’offrent non seulement des paroles, mais encore beaucoup d’oeuvres, et en disant beaucoup, je n’en fixe pas le nombre, parce que la charité fait naître toutes les vertus, et l’âme qui y est affermie ne doit pas connaître de limites. Je n’exclus pas non plus les paroles, mais je dis qu’elles doivent être peu nombreuses, parce que les oeuvres extérieures sont bornées. Elles me sont agréables cependant, lorsqu’elles sont le moyen de la vertu et non pas le but principal.

6.- Il faut bien se garder de mesurer la perfection sur la pénitence. Celui qui tue son corps par la mortification peut être moins parfait que celui qui le traite plus doucement. La vertu et le mérite ne consistent pas dans l’acte ; car que deviendrait. celui qui, pour une cause légitime, ne pourrait l’accomplir? La vertu et le mérite sont dans la charité unie à la discrétion, et la discrétion ne met pas de bornes à la charité, parce que je suis la souveraine et éternelle Vérité.

7.- Il ne peut y avoir de mesure à. mon amour, mais il y en a à l’amour du prochain : c’est la lumière de la discrétion, née de la charité, qui le règle ; car il n’est jamais permis de commettre une faute dans l’intérêt même du prochain. Si l’on pouvait par un seul péché retirer le monde entier de l’enfer ou produire un grand bien, il ne faudrait pas commettre ce péché, parce que la charité ne serait pas discrète, et qu’on ne doit pas faire le mal pour le bien et l’utilité du prochain. (20)

8.- Une sainte discrétion apprend aux puissances de l’âme à me servir avec courage ; elle enseigne à aimer le prochain avec ardeur et à donner la vie du corps pour le salut des âmes, si l’occasion s’en présente. Elle fait souffrir mille tourments pour procurer aux autres la vie de la grâce, et elle sacrifie le nécessaire même pour les assister et les secourir dans leurs nécessités corporelles.

9.- C’est ainsi qu’agit la discrétion dans la lumière que lui donne la charité. Toute âme qui veut vivre de ma grâce doit avoir pour moi un amour sans borne et sans mesure, et avec cet amour aimer le prochain selon les règles de la charité, sans jamais commettre de faute pour lui être utile.

10.- C’est l’enseignement de saint Paul lorsqu’il dit que la charité bien ordonnée est de commencer par soi-même ; autrement on ne servirait pas parfaitement le prochain ; car lorsque la perfection n’est pas dans l’âme, tout ce qu’elle fait pour elle et pour les autres est imparfait. Serait-il convenable que, pour sauver des créatures qui sont finies et créées, on m’offensât, moi qui sais le Bien éternel et infini? La faute ne pourrait jamais être compensée par le bien qu’elle procurerait ; ainsi on ne doit jamais la commettre.

11.- La véritable charité le comprend, parce qu’elle porte avec elle la lumière d’une sainte discrétion. Cette lumière dissipe les ténèbres, détruit l’ignorance, prépare toutes les vertus et devient le principal moyen. Elle est une prudence qui ne peut s’égarer, une force qui est invincible, une persévérance qui unit les extrêmes, le ciel à la terre, parce qu’elle conduit de ma connaissance à la connaissance de soi-même, et de mon amour à l’amour du prochain.

12.- Elle échappe par l’humilité à tous les pièges du tentateur, et par la prudence à toutes les séductions des créatures. Sa main, qui n’a d’autre arme que la patience, triomphe du démon et de la chair avec l’aide de cette douce et bonne lumière, parce qu’elle connaît sa fragilité, et que, la connaissant, elle a pour elle la haine qu’elle mérite. Dès lors elle dédaigne, méprise et foule aux pieds le monde ; elle en reste maîtresse.

13.- Tous les tyrans de la terre ne peuvent ôter la vertu d’une âme ; leurs persécutions, au contraire, la fortifient et l’augmentent. Cette vertu que mon amour a fait naître s’éprouve et se développe par le prochain ; car si elle ne se manifestait (21) pas dans l’occasion, si elle ne répandait pas ses clartés sur les créatures, ce serait une preuve qu’elle ne viendrait pas de la vérité. La vertu ne peut être parfaite et utile que par l’intermédiaire du prochain.

14.- L’âme est comme une femme qui conçoit un fils si elle ne le met pas au monde, si elle ne le montre pas aux hommes, son époux ne peut pas dire qu’il a un fils. Et moi .qui suis l’époux de l’âme, si elle n’enfante pas ce fils de la vertu dans la charité du prochain, si elle ne le montre pas .quand l’occasion le demande, ne peut-on pas dire qu’elle est stérile? Ce que j’ai dit des vertus, on peut le dire des vices ; ils s’exercent tous par l’intermédiaire du prochain.

 

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XII.- Dieu promet aux souffrances de ses serviteurs le repos et la réforme de l’Église.

 

 

1.- Ma souveraine bonté t’a montré la vérité et la doctrine par laquelle tu peux acquérir une grande perfection et la conserver. Je t’ai dit comment tu devais satisfaire à la faute et à la peine, en toi et en ton prochain. La souffrance que supporte une créature attachée à un corps mortel ne peut satisfaire à la faute et à la peine, si elle n’est pas unie à une charité sincère, à une contrition véritable et à une haine profonde du péché. La souffrance, lorsqu’elle est unie à la charité, ne satisfait pas par sa propre vertu, mais par la vertu de la charité et du regret qu’on a de ses péchés. La charité s’acquiert par la lumière de l’intelligence et par la sincérité du coeur qui se fixe en moi, qui suis la Charité. Je t’ai expliqué ces choses lorsque tu m’as demandé de souffrir.,

2.- Je t’ai enseigné comment mes serviteurs doivent s’offrir à moi en sacrifice ; ce sacrifice doit être à la fois et corporel et spirituel. Le vase n’est pas séparé de l’eau quand on la présente au maître. L’eau sans le vase ne pourrait lui être présentée, et le vase sans l’eau lui serait inutile. Vous devez donc m’offrir le vase de toutes les peines que je vous envoie, sans en choisir le lieu, le temps ‘et la mesure, qui dépendent de mon bon plaisir. Mais ce vase doit être plein, c’est-à-dire que vous devez endurer les peines avec amour, avec résignation, et supporter avec (22) patience les défauts du prochain, ne haïssant que le péché. Votre vase alors est plein de l’eau de ma grâce qui donne la vie, et je reçois avec délices ce présent que me font mes épouses, les âmes fidèles. J’accepte leurs ardents désirs, leurs larmes, leurs soupirs, leurs ferventes prières et ces preuves de leur amour apaisent ma colère contre mes ennemis et les hommes pervers, qui commettent contre moi tant d’offenses.

3.- Ainsi donc, souffrez avec courage jusqu’à la mort ; œ sera le signe évident de votre amour pour moi. Après avoir mis la main à la charrue, ne regardez pas en arrière par crainte de quelque créature ou de quelque tribulation. Réjouissez-vous au contraire dans vos épreuves ; le monde se complaît dans ses injustices ; pleurez-les, et celles qui m’offensent vous offensent, et celles qui vous offensent m’offensent. Ne suis-je pas .devenu une seule chose avec vous?

4.- Je vous ai donné mon image et ma ressemblance. Lorsque vous avez perdit la grâce par le péché, pour vous rendre la vie, j’ai uni ma nature à la vôtre en revêtant votre humanité. Vous avez mon image, et j’ai pris la vôtre en me faisant homme. Je suis donc une même chose avec vous, et si l’âme veut bien m’aimer, si elle ne me quitte pas par le péché mortel, elle est en moi, et moi en elle. C’est pour cela que le monde la persécute, parce que le monde n’a pas ma ressemblance et qu’il a persécuté mon Fils unique jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix. Il agit de même envers vous ; il vous poursuit et vous poursuivra jusqu’à la mort, parce qu’il ne m’aime pas ; si le monde m’avait aimé, il vous aimerait ; mais réjouissez-vous, car votre joie sera grande dans le ciel.

5.- En vérité, je vous le dis, plus la tribulation abondera dans le corps mystique de la sainte Église, plus aussi abondera la douceur de la consolation. Et quelle sera cette douceur? Ce sera la réforme et la sainteté de ses ministres qui fleuriront pour la gloire et l’honneur de mon nom, et qui élèveront vers moi le parfum de toutes les vertus. Ce sont les ministres de mon Église qui seront réformés, et non pas mon Eglise, car la pureté de mon épouse ne peut être diminuée et détruite par les fautes de ses serviteurs.

6.- Réjouis-toi donc, ma fille, avec le directeur de ton âme et avec mes autres serviteurs ; réjouissez-vous dans (23) votre douleur. Moi qui suis la Vérité éternelle, je vous promets de vous soulager. Après la douleur viendra la consolation, parce que vous aurez beaucoup souffert pour la réforme de la sainte Église.

 

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XIII.- L’âme consolée dans sa peine, et fortifiée dans ses espérances par les paroles de Dieu, prie pour la sainte Église et pour tous les hommes.

 

1.- Alors cette âme se sentit embrasée d’un ardent désir et d’un amour ineffable pour la bonté infinie de Dieu. Elle voyait et connaissait l’étendue de cette charité, qui avait bien voulu répondre avec tant de douceur à ses demandes et les exaucer, en adoucissant par l’espérance la douleur que lui avaient causée les offenses contre Dieu, le malheur de l’Église et la connaissance de sa propre misère. Elle cessait ses larmes, mais elle en versait bientôt de nouvelles lorsque Dieu lui montrait la voie de la perfection, les péchés commis contre lui, et le danger que couraient les âmes.

2.- La connaissance que cette âme avait d’elle-même lui faisait mieux connaître Dieu, parce qu’elle lui montrait sa bonté ; et elle voyait dans la douce connaissance de Dieu, comme dans un miroir, sa dignité et son indignité sa dignité, car la création l’avait faite à l’image de Dieu, et cela par grâce et non par mérite ; son indignité, car elle était tombée d’elle-même dans le péché. L’âme apercevait ses souillures dans la pureté divine, et elle désirait les effacer. Plus cette lumière et cette connaissance augmentaient, plus sa douleur augmentait ; mais plus aussi elle diminuait par l’espérance que lui donnait la vérité.

3.- Ainsi que le feu s’accroît à mesure qu’on l’alimente, l’ardeur de cette âme grandissait au point qu’il eût été impossible au corps de la supporter, et que la mort serait venue, si elle n’avait puisé sa force en celui qui est la force suprême. Purifiée par les flammes de la charité qu’elle trouvait dans la connaissance de Dieu et d’elle-même, de plus en plus excitée par l’espérance du salut du monde et de la réforme de l’Église, dont elle voyait la lèpre et les misères, elle s’éleva avec confiance devant le Seigneur, et lui dit comme autrefois Moïse : Seigneur, jetez les regards (24) de votre miséricorde sur votre peuple et sur le corps mystique de la sainte Église. Si vous pardonnez à tant de créatures, si votre bonté infinie les retire du péché mortel et de l’éternelle damnation, vous serez plus glorifié que si vous ne pardonnez qu’à moi, misérable, qui vous ai tant offensé, qui suis l’occasion et l’instrument de tant de mal.

4.- Je vous en conjure, ineffable Charité, vengez-vous sur moi et faites miséricorde à votre peuple. Je gémirai en votre présence jusqu’à ce que vous m’ayez exaucée. A quoi me sert d’avoir la vie, si votre peuple est dans la mort, si votre épouse, qui doit être la lumière, reste dans les ténèbres, et cela par ma faute plutôt que par celle des autres créatures? Aussi je vous en conjure, faites miséricorde à votre peuple, au nom de cet amour qui vous a porté à créer l’homme à votre image et à votre ressemblance.

5.- En disant cette ineffable parole : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance », et en l’accomplissant, vous avez voulu faire participer l’homme à votre adorable Trinité. Vous lui avez donné la mémoire, pour qu’il retînt vos bienfaits et qu’il participât à votre puissance. O Père éternel, vous lui avez donné l’intelligence, pour qu’il comprit votre bonté et qu’il participât à la sagesse de votre Fils unique ; vous lui avez donné la volonté, pour qu’il aimât ce que l’intelligence verrait et connaîtrait de la vérité, et qu’il participât à l’ardeur du Saint-Esprit. Et qu’est-ce qui vous a fait élever l’homme à une si haute dignité? C’est cet amour, incompréhensible avec lequel vous avez regardé en vous-même votre créature ; vous, vous êtes passionné pour elle, ,vous l’avez créée, vous lui avez donné l’être, afin de la faire jouir de vous, qui êtes le Bien suprême.

6.- Le péché qu’elle a commis l’a fait déchoir du rang où vous l’aviez placée ; sa révolte l’a mise en opposition avec votre bonté, et nous sommes devenus vos ennemis. Alors le même amour qui vous avait porté à nous créer, vous a porté à relever le genre humain de l’abîme où il était tombé. La paix a remplacé la guerre ; vous nous avez donné le Verbe, votre Fils unique, qui nous a réconciliés avec vous. Il a été notre justice, parce qu’Il a pris sur lui nos injustices ; il s’est fait obéissant .pour nous, (25) en revêtant, lorsque vous le lui avez ordonné, la chair de notre humanité.

7.- O abîme de charité, comment le coeur ne se brise-t-il pas en voyant tant de grandeur unie à tant de bassesse? Nous étions faits à votre image, et vous vous faites à la nôtre, en vous unissant à l’homme, en cachant votre divinité sous la chair misérable et corrompue d’Adam ; et pourquoi? par amour. Dieu se fait homme, et l’homme devient Dieu. Au nom de cet amour qui vous presse, faites miséricorde, je vous en supplie, à toutes vos créatures.

 

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XIV.- Dieu se plaint des péchés des chrétiens, et particulièrement de ceux de ses ministres. - Du sacrement de l’Eucharistie et des bienfaits de l’Incarnation.

 

1.- Alors Dieu jeta un regard miséricordieux sur cette âme qui l’invoquait avec des larmes si ferventes ; il se laissa vaincre par l’ardeur de ses désirs, et il lui dit : Ma bien douce fille, tes larmes sont toutes puissantes, parce qu’elles sont unies à ma charité et qu’elles sont répandues par amour pour moi. Je ne puis résister à tes désirs. Mais regarde les souillures qui déshonorent le visage de mon épouse. Elle porte comme une lèpre affreuse l’impureté, l’amour-propre, l’orgueil et l’avarice de ceux qui vivent dans leurs péchés. Tous les chrétiens en sont infectés, et le corps mystique de la sainte Eglise n’en est point exempt!

2.- Oui, mes ministres, qui se nourrissent du lait de son sein, ne songent pas qu’ils doivent le distribuer à tous les fidèles et à ceux qui veulent quitter les ténèbres de l’erreur et s’attacher à I’Eglise. Vois avec quelle ignorance, avec quelle ingratitude ils me servent. Combien sont indignes et irrespectueuses les mains qui reçoivent le lait de mon Epouse et le sang de mon Fils! Ce qui donne la vie leur cause la mort, parce qu’ils abusent de ce sang, qui doit vaincre les ténèbres, répandre la lumière et confondre le mensonge.

3.- Ce sang précieux est la source de tout bien ; il sauve et rend parfait tout homme qui s’applique à le recevoir ; il donne la vie et la grâce avec plus ou moins d’abondance, selon les dispositions de l’âme ; mais il n’apporte que la mort à celui qui vit dans le péché. C’est la faute de celui qui vit dans le péché. C’est la faute de celui qui reçoit, et non pas (26) la faute du sang ou la faute de ceux qui l’administrent ; ils pourraient être plus coupables sans en altérer la vertu ; leur péché ne peut nuire à celui qui reçoit, mais à eux seulement, s’ils ne se purifient pas dans la contrition et le repentir ;

4.- Oui, c’est un grand malheur de recevoir indignement le sang de mon Fils ; c’est souiller son âme et son corps ; c’est être bien cruel envers soi-même et envers le prochain ; car c’est se priver de la grâce ; c’est fouler aux pieds le bénéfice du sang reçu dans le baptême qui a lavé la tache originelle. Je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, parce que le genre humain tout entier était corrompu par le péché du premier homme, et que, sortis de la chair viciée d’Adam, vous ne pouviez plus acquérir la vie éternelle.

5.- J’ai voulu unir ma grandeur infinie à la bassesse de votre humanité, afin de guérir votre corruption et votre mort, et de vous rendre la grâce qu’avait détruite le péché. Je ne pouvais souffrir comme Dieu la peine que ma justice réclamait pour le péché, et l’homme était incapable d’y satisfaire. S’il le pouvait dans une certaine mesure pour lui, il ne le pouvait pas pour les autres créatures raisonnables ; et d’ailleurs sa satisfaction ne pouvait être complète, puisque l’offense était commise contre moi, qui suis la bonté infinie.

6.- Il fallait racheter l’homme malgré sa faiblesse et sa misère, et c’est pour cela que j’ai envoyé le Verbe mon Fils, revêtu de votre nature déchue, afin qu’il souffrît dans la chair même qui m’avait offensé, et qu’il apaisât ma colère en endurant la douleur jusqu’à la mort ignominieuse de la croix. Il satisfit ainsi à ma justice, et ma miséricorde put pardonner à l’homme, et lui rendre encore accessible la félicité suprême pour laquelle il avait été créé. La nature humaine unie à la nature divine racheta le genre humain, non seulement par la peine qu’elle supporta dans la chair d’Adam, mais par la vertu de la Divinité, dont la puissance est infinie.

7.- Cette union des deux natures m’a rendu agréable le sacrifice de mon Fils, et j’ai accepté son sang, mêlé à la Divinité et tout embrasé du feu de cette charité, qui l’attachait et le clouait à la croix. La nature humaine satisfit au péché par le mérite de la nature divine : la tache originelle d’Adam disparut, et il n’en resta qu’un penchant au mal, et une faiblesse (27) des sens qui est dans l’homme comme la cicatrice d’une plaie.

8.- La chute d’Adam vous avait mortellement blessés ; mais le grand médecin, mon Fils unique, est venu pour vous guérir ; il a bu le breuvage amer que l’homme ne pouvait boire à cause de sa faiblesse ; il a fait comme la nourrice qui prend une médecine pour guérir son enfant, parce qu’elle est grande et forte, et que son enfant ne peut en supporter l’amertume. Mon Fils a pris aussi, dans la grandeur et la force de la Divinité unie à votre nature, l’amère médecine du Calvaire, la mort douloureuse de la croix, pour guérir ses enfants et leur rendre la vie que le péché avait détruite.

9.- Il reste seulement une trace du péché originel que vous a donné la naissance ; cette trace même est effacée presque entièrement par le baptême, qui contient et donne la vie de la grâce que lui communique le glorieux et précieux sang de mon Fils. Dès que l’âme reçoit le saint baptême, le péché originel disparaît, et la grâce y entre. Le penchant au mal, qui est la cicatrice du péché originel, s’affaiblit même, et l’âme peut le vaincre si elle le veut. Elle peut recevoir et augmenter la grâce dans la mesure du désir qu’elle aura de m’aimer et de me servir.

10.- La grâce du saint baptême lui laisse toute sa liberté pour le bien et pour le mal ... Quand vient le moment de jouir du libre arbitre, elle peut en user dans toute la plénitude de sa volonté ; et cette liberté, conquise par le sang glorieux de mon Fils, est si grande, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui faire commettre la moindre faute sans son consentement. La servitude du péché est détruite, et l’homme peut dominer ses sens et acquérir le bonheur pour lequel il a été créé.

11.- O homme misérable, qui te délectes dans la boue comme le fait l’animal, et qui méconnais la grandeur du bienfait que tu as reçu de ma bonté! O malheureuse créature, tu ne pouvais recevoir davantage au milieu des ténèbres épaisses de ton ignorance. (28)

 

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XV.- Le péché est plus gravement puni depuis la Passion de Jésus-Christ. - Dieu promet de faire miséricorde, en considération des prières et des souffrances de ses serviteurs.

 

1.- Tu le vois, ma fille bien-aimée, les hommes ont été régénérés dans le sang de mon Fils et rétablis dans la grâce, mais ils la méconnaissent et s’enfoncent de plus en plus dans le mal ; ils me poursuivent de leurs outrages et méprisent mes bienfaits. Non seulement ils repoussent ma grâce, mais ils me la reprochent, comme si j’avais d’autre but que leur sanctification. Plus ils s’endurciront, et plus ils seront punis ; et leur châtiment sera plus terrible qu’il ne l’aurait été avant la Rédemption, qui a effacé la tache du péché originel. N’est-il pas juste que celui qui a beaucoup reçu doive beaucoup?

2.- L’homme a reçu beaucoup. Il a reçu l’être, il a été fait à mon image et à ma ressemblance, il devait m’en rendre gloire, et il ne l’a pas fait pour se glorifier lui-même. Il a violé les ordres que je lui avais donnés, et il est devenu mon ennemi. J’ai détruit par l’humilité son orgueil ; j’ai abaissé ma divinité jusqu’à revêtir votre humanité ; je vous ai délivrés de l’esclavage du démon ; je vous ai rendus libres. Non seulement je vous ai donné la liberté, mais j’ai fait l’homme Dieu, comme j’ai fait Dieu homme, en unissant la nature divine à la nature humaine.

3.- Ne me doivent-ils donc rien, ceux qui ont reçu le trésor de ce sang précieux qui les a rachetés, et la dette n’est-elle pas plus grande après la Rédemption qu’avant?

Les hommes sont obligés de me rendre gloire et honneur en suivant la parole incarnée de mon Fils : ils me doivent l’amour envers moi et envers le prochain. Ils me doivent des vertus sincères et véritables, et s’ils ne s’acquittent pas, plus ils me doivent et plus ils m’offensent.

4.- Ma justice alors demande que je proportionne la peine à l’offense et que je les frappe d’une damnation éternelle. Aussi le mauvais chrétien est-il beaucoup plus puni que le païen. Le feu terrible de ma vengeance, qui brûle sans consumer, le torture davantage, et le ver rongeur de la conscience le dévore plus profondément. Quels que soient leurs (29) tourments, les damnés ne peuvent perdre l’être ; ils demandent la mort sans pouvoir l’obtenir, le péché ne leur ôte que la vie de la grâce. Oui, le péché est plus puni depuis la Rédemption qu’avant, parce que les hommes ont plus reçu. Les malheureux n’y pensent pas, et se font mes ennemis après avoir été réconciliés dans le sang précieux de mon Fils.

5.- Il y a cependant un moyen d’apaiser ma colère ; mes serviteurs peuvent l’arrêter par leurs larmes et la vaincre par l’ardeur de leurs désirs : c’est ainsi que tu en as triomphé, parce que je t’en ai donné la puissance, afin de pouvoir faire miséricorde au monde. Oui, j’excite moi-même dans mes serviteurs une faim et une soif dévorantes du salut des âmes, parce que leurs larmes tempèrent les rigueurs de ma Justice. Versez donc des larmes abondantes ; puisez-les dans l’océan de ma charité, et lavez avec des larmes la face de mon épouse bien-aimée. Vous lui rendrez cette beauté que ne donnent pas la guerre et la violence, mais que procurent les humbles et douces prières de mes serviteurs et les larmes qu’ils répandent dans l’ardeur de leurs désirs. Oui, je satisferai ces désirs ; j’éclairerai avec la lumière de votre patience les ténèbres des méchants. Ne craignez pas les persécutions du monde ; je serai toujours avec vous, et ma providence ne vous manquera jamais.

 

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XVI.- L’âme, à la vue de la bonté divine, prie pour l’Eglise et pour le monde.

 

 

1.- Alors cette âme, excitée par ces paroles qui l’éclairaient, se présenta pleine de joie devant la Majesté divine. Elle se confiait dans sa miséricorde, et l’amour ineffable qu’elle ressentait lui faisait comprendre que Dieu désirait pardonner aux hommes, malgré tous leurs outrages. C’était pour le pouvoir qu’il demandait à ses amis de lui faire une sainte violence, et qu’il leur apprenait le moyen d’apaiser les rigueurs de sa justice.

2.- Alors toute crainte se dissipait ; elle ne redoutait plus les persécutions du monde, puisque le Seigneur devait l’assister et combattre pour elle. L’ardeur de ses désirs augmentait, et ses prières s’étendaient au monde tout entier. (30) Non seulement elle priait pour le salut des chrétiens et des infidèles qui tiennent à l’Église, mais encore comme Dieu l’y poussait pour la conversion de tous les hommes. Miséricorde, criait-elle, ô Père éternel ! miséricorde pour ces pauvres brebis dont vous êtes le bon pasteur. Ne tardez pas à faire miséricorde au-monde ; hâtez-vous, car il se meurt, parce que les hommes n’ont pas l’union de la charité envers vous ni envers eux-mêmes ; ils ne s’aiment pas d’un amour fondé sur vous, ô éternelle Vérité!

 

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XVII.- Dieu se plaint de ses créatures raisonnables et surtout de leur amour-propre.

 

 

1.- Dieu, tout embrasé d’amour pour notre salut, excitait de plus en plus l’amour et la douleur dans cette âme, en lui montrant avec quelle passion il avait cherché l’homme, et il lui disait : Ma fille, ne vois-tu pas que l’homme me frappe et m’offense, moi qui l’ai créé avec tant d’amour, moi qui l’ai comblé de dons presque infinis, que je lui ai accordés par grâce et non par mérite. Tu vois combien de péchés différents il commet contre moi et combien il m’offense surtout par ce misérable et abominable amour-propre d’où vient tout le mal.

2.- C’est cet amour qui empoisonne le monde entier ; car si mon amour produit toutes les vertus qui s’appliquent au prochain, l’amour-propre renferme en lui tout mal, parce qu’il vient de l’orgueil, comme le mien vient de la charité. Ce mal s’accomplit par le moyen de la créature et détruit la charité du prochain, parce que celui qui ne m’aime pas, n’aime pas le prochain : ces deux amours sont unis ensemble. Je t’ai dit que tout bien et tout mal se faisaient par le prochain.

3.- N’ai-je pas raison de me plaindre de l’homme, qui n’a reçu de moi que des bienfaits, et qui ne me rend que de la haine et des offenses? Cependant, je te l’ai dit et je- te le répète, les larmes de mes serviteurs peuvent apaiser ma colère ; oui, vous tous qui me servez, répandez sans cesse en ma présence Vos ferventes prières et vos ardents désirs ; pleurez amèrement les offenses qui me sont faites et le (31) malheur des âmes qui se perdent, et vous adoucirez la rigueur de mes divins jugements.

 

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XVIII.- Personne ne peut échapper aux mains de Dieu : tous éprouvent sa miséricorde ou sa justice.

 

 

1.- Apprends, ma fille, que personne ne peut échapper à mes mains, parce que je suis celui qui suis. Vous n’avez pas l’être par vous-mêmes, mais vous êtes faits par moi, qui suis le créateur de toutes les choses qui participent à l’être, excepté du péché, qui n’est pas, car il n’à pas été fait par moi, et comme il n’est pas en moi, il n’est pas digne d’être aimé.

2.- La créature se rend coupable parce qu’elle aime le péché, qu’elle ne devrait pas aimer, et parce qu’elle me hait, moi qu’elle devrait tant aimer, puisque je suis le souverain Bien, et que je lui ai donné l’être avec tant d’amour. Mais elle ne peut m’échapper : ou elle est punie par ma justice pour ses fautes, ou elle est sauvée par ma miséricorde. Ouvre donc l’oeil de ton intelligence et regarde ma main, et tu verras la vérité de ce que je te dis.

3.- Cette âme, pour obéir à l’ordre du Père suprême, regarda, et vit dans sa main l’univers tout entier. Et Dieu lui disait : Ma fille, vois et comprends que personne ne peut m’échapper ; tous sont les sujets de ma justice ou de ma miséricorde, car tous ont été créés par moi, et je les aime d’un amour ineffable ; malgré toutes leurs iniquités, je leur ferai miséricorde, et je t’accorderai ce que tu m’as demandé avec tant de larmes et d’ardeur.

 

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XIX.- L’âme, de plus en plus embrasée d’amour, désire répandre son sang- Elle s’accuse elle-même, et prie particulièrement pour son père spirituel.

 

1.- Alors cette âme, ivre d’amour et tout hors d’elle-même, dans l’ardeur toujours croissante de ses saints désirs, était à la fois heureuse et pleine de douleur. Elle était heureuse parce qu’elle était unie à Dieu, jouissant des largesses de sa bonté et tout anéantie dans sa (32) miséricorde ; elle était pleine de douleur parce qu’elle voyait offenser cette bonté infinie. Elle rendait grâces à la Majesté divine en comprenant que Dieu lui avait manifesté les défauts de ses créatures pour la contraindre à s’adresser à lui avec plus de zèle et de désir.

2.- Elle sentait son amour se renouveler au sein de Dieu, et cette sainte flamme de l’amour devenait si ardente, qu’elle désirait changer en sueurs de sang ces sueurs que causaient à son corps les violences de son âme, parce que l’union de son âme avec Dieu était plus grande que l’union de son âme et de son corps. La force de l’amour la baignait de sueurs, mais elle en avait honte, car c’était son sang qu’elle aurait voulu voir couler. Elle se disait à elle-même : O ma pauvre âme, tu as perdu tous les instants de ta vie ; il y a tant de péchés dans le monde et dans l’Église, tant de malheurs généraux et particuliers f Je voudrais te les voir réparer par une sueur de sang.

3.- C’est que cette âme avait bien compris les enseignements de l’éternelle Vérité, le besoin de se connaître, la bonté de Dieu à son égard, et le moyen de réparer le mal dans le monde et d’apaiser la justice irritée du Ciel par d’humbles et continuelles prières. Elle excitait de plus en plus ses désirs et appliquait davantage son intelligence à la contemplation de la charité divine ; elle voyait et sentait combien nous sommes tenus d’aimer et de chercher la gloire et la louange du nom de Dieu dans le salut des âmes. Elle comprenait que c’était la vocation des serviteurs de Dieu. C’était surtout celle à laquelle la Vérité éternelle appelait le père de son âme, et elle l’offrait à la bonté divine, demandant avec ferveur pour lui la lumière de la grâce, afin qu’il accomplit véritablement la volonté de Dieu en toutes choses.

 

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XX.- On ne peut plaire à Dieu qu’en supportant les tribulations avec patience.

 

 

1.- Alors Dieu répondit à cette demande que lui inspirait l’ardent désir qu’elle avait du salut de son père spirituel. Il lui disait : Ma fille, ma volonté est qu’il cherche à me (33) plaire par sa faim et son zèle pour le salut des âmes ; mais ni toi ni lui ne pourrez y parvenir sans souffrir les nombreuses persécutions que je jugerai utile de vous accorder.

2.-       Si vous désirez me voir honorer dans l’Eglise, vous devez vouloir et aimer souffrir avec patience : ce sera la preuve que toi, ton père spirituel, et mes autres serviteurs, vous cherchez véritablement ma gloire. Vous mériterez ainsi ma tendresse paternelle ; vous reposerez sur la poitrine de mon Fils bien-aimé, que je vous ai donné comme un pont, pour que tous vous puissiez atteindre votre fin dernière, et recevoir le fruit des peines que vous aurez supportées courageusement par amour pour moi. (34)

 

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XXI.- Le chemin du ciel ayant été Interrompu par la désobéissance d’Adam, Dieu a fait de son Fils un pont par lequel on peut passer.

 

 

1.- Je t’ai dit que j’avais fait du Verbe, mon Fils unique, un pont, et c’est la vérité. Je veux que vous sachiez, vous qui êtes mes enfants, que la route a été rompue par le péché et la désobéissance d’Adam. Personne ne pouvait arriver à la vie éternelle, l’homme ne rendait plus la gloire qu’il me devait et ne recevait plus le bien pour

lequel je l’avais créé à mon image et ressemblance, et dès lors ma vérité ne s’accomplissait pas.

2.- Cette vérité était que je l’avais créé pour qu’il eût la vie éternelle, et qu’en participant à moi, il goûtât les ineffables douceurs de ma bonté suprême. Le péché l’empêchait d’arriver à ce but, et ainsi ma vérité n’était pas accomplie, parce que la faute avait fermé le ciel et la porte de la miséricorde. Cette faute produisit  pour

l’homme les épines, les souffrances et les tribulations.

3.- La créature trouva la révolte en elle-même, dès qu’elle se fut révoltée contre moi : la chair combattit l’esprit. L’homme, en perdant l’état d’innocence, devint un être immonde contre lequel toutes les choses créées se révoltèrent, tandis qu’elles lui auraient été toujours soumises, s’il se fût conservé dans l’état où je l’avais placé.

En ne s’y conservant pas, il a violé l’obéissance et mérité la mort éternelle de l’âme et du corps. Dès qu’il eut (34) péché ; un fleuve plein de tempêtes se précipita sur lui et l’inonda de peines et de persécutions qui venaient de lui-même, du démon et du monde.

4.- Vous périssiez tous dans ce fleuve, car personne, par son propre mérite, ne pouvait atteindre la vie éternelle. Pour vous préserver de ce malheur, je vous ai donné mon Fils comme un pont sur lequel vous pouvez passer sans danger le fleuve et les orages de cette vie. Vois combien la créature me doit, et combien elle est aveugle en voulant toujours se noyer dans ce fleuve et en ne prenant pas le remède que je lui ai donné.

 

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XXII.- Dieu invite l’âme à regarder la grandeur de ce pont, et comment il va de la terre au Ciel.

 

 

1.- Ouvre l’oeil de ton intelligence, ma fille, et tu verras les pauvres aveugles, tu verras aussi les imparfaits et les parfaits qui me suivent dans la vérité ; tu pleureras sur la perte des aveugles, et tu te réjouiras de la perfection de mes enfants bien-aimés. Tu verras comment font ceux qui marchent dans la lumière et ceux qui marchent dans les ténèbres ; mais avant, je veux que tu regardes ce pont de mon Fils unique, et que tu voies sa grandeur qui s’étend du ciel à la terre, car il comble la distance qui est entre l’infini et votre humanité, il unit le ciel et la terre par l’union que j’ai faite des deux natures.

2.- Il fallait bien rétablir la route qui était rompue, comme je te l’ai dit, afin que vous arriviez à la vie, et que vous traversiez les flots amers du monde. La terre ne pouvait suffire à ce grand travail, qui devait vous faire passer le fleuve et vous procurer la vie éternelle. La nature de l’homme était incapable de satisfaire à la faute, et d’effacer

la souillure du péché d’Adam qui corrompait et infectait tout le genre humain ; il fallait l’unir à la grandeur de ma nature divine, afin qu’elle pût satisfaire pour tous les hommes ; il fallait que la nature humaine souffrît la peine, et que la nature divine unie à cette nature humaine acceptât le sacrifice de mon Fils qui m’était offert pour vous, pour vous délivrer de la mort et vous donner la vie.

 

3.- La grandeur de la Divinité s’abaissa jusqu’à la terre (35) de votre humanité, et c’est cette union qui fit ce pont et rétablit la route. Pourquoi mon Fils s’est-il fait lui-même le chemin? C’est pour que vous puissiez jouir de la vie éternelle avec les anges. Mais pour acquérir le bonheur, il ne suffit pas que mon Fils soit devenu un pont, il faut encore vous en servir.

 

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XXIII.- Tous sont des travailleurs que Dieu envoie travailler à la vigne de la sainte Eglise.

 

1.- L’éternelle Vérité montrait à cette âme qu’elle nous avait créés sans nous, mais qu’elle ne pouvait nous sauver sans nous. Il faut pour cela faire un bon usage du libre arbitre et employer le temps à la pratique des vertus. Elle ajoutait : Vous devez tous passer sur ce pont ; en cherchant sans cesse la gloire de mon nom dans le salut des âmes et en supportant toutes sortes de fatigues, à la suite du doux et tendre Verbe ; sans cela vous ne pourrez jamais venir à moi.

2.- Vous êtes les ouvriers que j’ai envoyés travailler à la vigne de la sainte Église. Vous travaillez dans le corps universel de la religion chrétienne. Je vous y ai conduits par ma grâce lorsque je vous ai donné la lumière du saint baptême. Vous recevez ce baptême dans le corps mystique de l’Église, par les mains de ses ministres que j’ai envoyés travailler avec vous.

3.- Vous êtes dans le corps universel, et eux sont dans le corps mystique pour nourrir vos âmes et vous administrer le sang de mon Fils dans les sacrements que vous recevez d’eux, lorsqu’ils vous délivrent des épines du péché mortel et qu’ils sèment en vous la grâce. Ce sont les ouvriers qui travaillent à la vigne de vos âmes unie à la vigne de la sainte Église.

4.- Toute créature qui a la raison possède une vigne en elle-même : c’est la vigne de son âme, dont le libre arbitre est le vigneron tant que dure la vie. Dès que le temps est plissé, personne ne peut travailler ni bien ni mal ; mais tant qu’il vit, il peut cultiver la vigne que je lui ai confiée. Chaque vigneron a reçu une force si grande, que le démon ni aucune créature ne peut le dépouiller sans son consentement. Il est devenu fort par le saint baptême, (36) et il a reçu comme instruments l’amour de la vertu et la haine du péché. Cet amour et cette haine, il les trouve dans le sang, parce que, par amour pour vous et par haine pour le péché, mon Fils unique est mort et vous a donné son sang, qui vous communique la vie dans le baptême.

5.- Puisque vous êtes armés, votre libre arbitre doit se servir de ce fer, pendant qu’il est temps, pour arracher les épines du péché mortel et pour cultiver la vertu ; sans cela vous ne recevriez pas le fruit du sang que doivent vous donner les ouvriers que j’ai mis dans la sainte Église pour ôter le péché mortel de la vigne de l’âme, et distribuer la grâce en administrant le sang dans les Sacrements établis par l’Église.

6.- Il faut donc exciter d’abord en vous la contrition du coeur, l’horreur du péché, l’amour de la vertu ; et alors vous recevrez le fruit du sang. Mais vous ne le pouvez recevoir, si de votre côté vous n’êtes pas comme les rameaux de mon Fils unique, qui est Fa vigne ; car il a dit : « Je suis la vigne véritable, mon Père est le vigneron et vous êtes les rameaux » (S. Jean, XV, 1-5) ; et cela est vrai.

7.- Je suis le vigneron, car tout ce qui a l’être est venu ou vient par moi. Ma puissance est infinie, c’est elle qui gouverne l’univers, et rien n’est fait ni ordonné sans moi. Je suis le vigneron qui ai mis mon Fils unique, la vigne véritable, dans la terre de votre humanité, afin que vous en soyez les rameaux qui portent le fruit.

8.- Celui qui ne portera pas le fruit de saintes et bonnes oeuvres sera retranché de la vigne et se dessèchera ; car, dès qu’il est séparé de la vigne, il perd la vie de la grâce et est jeté au feu éternel. Ainsi le rameau qui ne porte pas de fruit est retranché de la vigne et mise au feu ; il ne peut servir à autre chose. Ceux qui sont retranchés par leur faute, et qui meurent dans le péché mortel, sont jetés par la justice divine, parce qu’ils sont inutiles, dans le feu qui dure éternellement.

9.- Ceux-là n’ont pas cultivé leur vigne ; ils l’ont au contraire détruite ainsi que celle des autres. Non seulement ils ont négligé de produire des rejetons de vertus, mais encore ils ont ôté la semence de la grâce qu’ils avaient reçue dans la lumière du saint baptême, en participant au sang de mon Fils, qui est le vin que porte cette vigne (37) vérItable, ils ont enlevé cette semence, et ils l’ont donnée en pâture aux animaux, c’est-à-dire à leurs nombreuses iniquités. Ils l’ont foulée aux pieds de I’amour déréglé avec lequel ils m’ont offensé, et ils ont nui à eux-mêmes et à leur prochain.

10.- Mes serviteurs n’agissent pas ainsi, et vous devez faire comme eux, c’est-à-dire être unis et greffés sur la vigne véritable, et alors vous porterez des fruits abondants, parce que vous participerez à la sève de la vigne.

11.- Si vous êtes dans mon Fils bien-aimé, vous êtes en moi, parce que je suis une même chose avec lui, et lui avec moi. En étant avec lui, vous suivrez sa doctrine, et en suivant sa doctrine, vous participerez à la substance du Verbe ; c’est-à-dire vous participerez à la divinité unie à l’humanité, et vous puiserez un amour divin qui enivre l’âme fidèle. En vérité, je vous le dis, vous participerez à la substance de la vigne véritable.

 

 

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XXIV.- Dieu taille les rameaux unis à la vigne véritable. - La vigne de chacun est tellement unie à celle du prochain, que personne ne peut cultiver ou endommager la sienne sans cultiver ou endommager celle du prochains

 

 

1.- Apprends, ma fille, ma conduite envers mes serviteurs qui sont unis à mon Fils bien-aimé par leur fidélité à suivre sa doctrine. Je les taille pour qu’ils portent beaucoup de fruits, et que ce fruit soit excellent et non pas sauvage. Les rameaux de la vigne sont coupés par le vigneron, pour que le vin soit meilleur et plus abondant ;

et les branches qui ne portent pas de fruits sont retranchées et mises au feu. Je ferai de même, moi qui suis le vigneron véritable ; je taille par la tribulation les serviteurs qui sont en moi, afin que leur vertu soit éprouvée et donne des fruits plus abondants et plus parfaits. Ceux qui sont stériles sont retranchés et jetés au feu.

2.- Les vrais ouvriers sont ceux qui cultivent bien leurs âmes ; ils en arrachent l’amour-propre et retournent en moi la terre de leur coeur, pour y nourrir et y développer la semence de la grâce qu’ils ont reçue au saint baptême. En, cultivant leur vigne, ils cultivent celle du prochain ; et ils (38) ne peuvent cultiver l’une sans l’autre ; car, je l’ai dit, tout le bien et le mal se fait par le moyen du prochain. Vous êtes mes ouvriers ; je vous ai choisis ; moi, je suis l’ouvrier éternel et suprême ; et je vous ai unis et greffés à la vigne véritable par l’union que j’ai faite avec vous.

3.- Remarque, ma fille, que toutes les créatures raisonnables ont en elles une vigne naturellement unie à la vigne de leur prochain. Ces vignes sont tellement unies, qu’elles ne peuvent agir sans que le bien ou le mal qu’elles font ne leur soit commun. Vous formez tous la vigne universelle, qui est la société des fidèles unie à la vigne mystique de la sainte Église, où vous puisez la vie.

4.- Dans cette vigne est plantée la vigne de mon Fils unique, sur lequel vous devez être greffés. Si vous ne l’êtes pas, vous êtes rebelles à la sainte Église, et vous êtes comme les membres retranchés qui se corrompent sur-le-champ. Vous avez, il est vrai, le temps pour détruire cette corruption du péché par une contrition véritable et par le secours de mes ministres, qui sont les ouvriers chargés de distribuer le vin, c’est-à-dire le sang sorti de la vigne véritable. Ce sang est si pur et si parfait, qu’aucun défaut de celui qui l’administre ne peut en altérer la vertu.

5.- C’est la charité qui lie les rameaux avec les liens d’une humilité sincère, acquise par la connaissance de soi-même et de moi. Tu vois que je vous ai tous envoyés travailler, et je vous y invite de nouveau, parce que le monde décline, et que les épines s’y sont tellement multipliées, qu’elles étouffent la semence, et que les hommes ne veulent plus porter les fruits de la grâce.

6.- Je veux donc que vous soyez mes ouvriers, et que vous alliez avec zèle travailler aux âmes dans le corps mystique de la sainte Église. Je vous ai choisis pour cela, parce que je veux faire miséricorde au monde, pour lequel tu m’adresses de si ferventes prières.

 

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XXV.  - L’âme rend grâces à Dieu, et le prie de lui montrer ceux qui passent sur le pont et ceux qui n’y passent pas.

 

 

1.- Alors cette âme, dans son ardent amour, s’écriait : O douce et ineffable Charité, qui ne s’enflammerait pas (39) à  tant d’amour? Quel coeur pourrait se défendre d’en être consumé? O abîme de charité, vous aimez si éperdument vos créatures, qu’il semble que vous ne pouvez vivre sans elles ; et cependant vous êtes notre Dieu, qui n’a pas besoin de nous. Notre bien n’ajoute rien à votre grandeur, car vous êtes immuable ; notre mal ne peut vous atteindre, car vous êtes l’éternelle et souveraine bonté. Qui vous porte donc à tant de miséricorde? L’amour, et non pas le devoir, ni le besoin que vous avez de nous. Nous ne sommes que des enfants coupables et de mauvais débiteurs.

2.- Oui, je ne m’aveugle pas, ô souveraine Vérité, j’ai fait le mal, et vous êtes puni pour moi ; je vois le Verbe, votre Fils, attaché et cloué à la croix, et vous m’en avez fait un pont, ainsi que vous me l’avez montré à moi votre misérable servante. C’est pour cela que mon coeur se brise, et il ne se brise pas autant que le voudrait l’ardent désir qui m’enflamme pour vous. Je me rappelle que vous vouliez me montrer quels sont ceux qui passent sur ce pont et ceux qui n’y passent pas. Qu’il plaise à votre bonté de le faire. Je serai bienheureuse de le voir et de l’entendre.

 

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XXVI.- Le pont a trois degrés, qui sont trois états de l’âme. - Explication de cette parole : « Si je suis élevé de terre, j’attirerai tout à moi ».

 

1.- Alors le Dieu éternel, afin d’exciter et d’enflammer de plus en plus cette âme pour le salut des hommes, lui répondit : Avant de te montrer ce que je veux te montrer et ce que tu me demandes, je vais te dire comme est fait ce pont. Je t’ai dit qu’il tient du ciel à la terre par l’union que j’ai faite avec l’homme, qui est formé du limon de la terre. Ce pont, qui est mon Fils unique, a trois degrés. Deux furent faits sur le bois de la sainte croix, et le troisième est dans la grande amertume qu’il ressentit lorsqu’il fut abreuvé de fiel et de vinaigre. A ces trois degrés correspondent trois états de l’âme que je t’expliquerai bientôt.

2.- Le premier degré c’est ses pieds, qui signifient I’affection ; les pieds portent le corps, comme l’affection porte l’âme. Ces pieds percés doivent te servir de degrés pour arriver (40) au côté, qui est le second degré où te sera révélé le secret du coeur. car, dès que l’âme s’est élevée à l’affection des pieds, elle commence à goûter l’affection du coeur ; elle fixe l’oeil de l’intelligence dans le cœur entrouvert de mon Fils, où elle trouve la perfection de l’amour. Son amour est parfait, car ce n’est pas l’intérêt qui l’inspire. En quoi pouvez-vous lui être utile, puisqu’il est une même chose avec moi?

3.- Alors l’âme s’emplit d’amour en voyant qu’elle est tant aimée. Elle monte du second degré au troisième, c’est-à-dire à cette bouche pleine de douceur où elle trouve la paix, après la grande guerre qu’avaient causée ses fautes. Le premier degré la détache des affections de la terre et la dépouille du vice ; le second degré la remplit d’amour pour la vertu ; le troisième lui fait goûter la paix.

4.- Ce pont a trois degrés, afin qu’en montant le premier et le second vous puissiez arriver au dernier. Il est élevé, pour que l’eau qui passe ne puisse vous nuire, et qu’il n’y ait en vous aucun poison du péché. Ce pont touche au ciel, et il n’est pourtant pas séparé de la terre. Sais-tu quand il a été élevé? Au moment où mon Fils a été sur le bois de la très sainte croix, sans que sa nature divine fût séparée de la bassesse de votre humanité. C’est ainsi que, malgré son élévation, il n’a pas été séparé de la terre ; car ses deux natures étaient unies et mêlées ensemble. Personne ne pouvait passer sur ce pont avant qu’il fût élevé en haut ; et c’est pourquoi mon Fils a dit : « Si je suis élevé de terre, j’attirerai tout à moi » (S. Jean, XII, 32).

5.- Lorsque ma bonté vit que vous ne pouviez être attirés d’une autre manière, j’ordonnai qu’il fût élevé sur l’arbre de la Croix, et que l’humanité fût battue sur cette enclume, pour qu’elle fût délivrée de la mort et revêtue de la vie de la grâce. Mon Fils a attiré toute chose en montrant l’amour ineffable qu’il avait pour vous ; car le coeur de l’homme est toujours attiré par l’amour. Il ne pouvait vous montrer un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour vous. Cet amour doit donc faire violence à l’homme, si son aveuglement et son ingratitude n’y mettent pas obstacle. Il a dit que quand il serait élevé de terre il attirerait toute chose à lui, et c’est la vérité.

6.- Ceci-doit s’entendre de deux manières. Premièrement, (41) si l’amour attire le coeur de l’homme, avec lui sont attirées toutes les puissances de l’âme, la mémoire, l’intelligence et la volonté. Dès que ces trois puissances sont unies et assemblées en mon nom, toutes les autres opérations, actuelles et mentales, se fixent et s’unissent en moi par l’effet de l’amour. L’âme s’élève à la suite de l’amour crucifié. Ainsi ma Vérité s’est donc bien exprimée en disant : « Si je suis élevé de terre, j’attirerai tout à moi» ; car, dès qu’il attire le coeur et les puissances de l’âme, il attire tous leurs actes.

7.- Secondement, tout a été créé pour le service de l’homme. Les choses créées ont été faites pour lui être utiles et fournir à ses besoins. La créature raisonnable n’est pas faite pour les choses créées, mais pour moi, afin qu’elle me serve de tout son cœur et de toutes ses forces, Dès que l’homme est attiré, tout est attiré, puisque tout est fait pour lui. Il fallait donc que le pont fût élevé et qu’il eût des degrés, pour que vous puissiez monter plus facilement.

 

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XXVII.- Ce pont est bâti de pierres qui signifient les véritables vertus. - Ceux qui passent sur le pont vont à la vie, ceux qui passent dessous vont à la mort.

 

 

1.- Ce pont est bâti avec des pierres, pour que la pluie n’en intercepte pas le passage. Et quelles sont- ces pierres? ce sont les vertus sincères et véritables. Ces pierres n’étaient pas réunies avant la Passion de mon Fils ; aussi personne ne pouvait parvenir à sa fin, même en suivant la bonne route. Le ciel n’était pas encore ouvert avec la clef du sang, et la pluie de la justice empêchait de passer. Mais les pierres furent taillées et posées, sur le corps de mon Fils bien-aimé qui est le pont : il les réunit, et, pour les cimenter, il détrempa la chaux avec son sang, c’est-à-dire que le sang fut mêlé à la chaux de la Divinité par-la force et le feu de la charité.

2.- Ma puissance posa les pierres des vertus sur mon Fils, parce que toute vertu est éprouvée en lui ; c’est de lui qu’elle reçoit la vie. Personne ne peut acquérir la vertu qui manifeste la vie de la grâce, si ce n’est par lui, c’est-à-dire s’il ne suit ses traces et sa doctrine. Il a posé les vertus comme les pierres vives de l’édifice ; il les a fortement cimentées avec son sang, afin que tous les fidèles pussent passer sûrement (42) et sans craindre servilement la pluie de la justice divine, parce qu’ils sont abrités par la miséricorde. La mis,éricorde est descendue du ciel dans l’incarnation de mon Fils. Et comment a-t-elle ouvert le ciel? avec la clef de son sang.

3.- Ainsi, tu le vois, le pont est construit de pierres ; il est abrité par .la miséricorde, et dessus se trouve l’hôtellerie et le jardin de la sainte Église qui distribue le pain de vie et donne à boire le sang précieux, afin que mes créatures qui passent ne défaillent pas dans leur pèlerinage. C’est ma charité qui vous fait distribuer ainsi le sang et le corps de mon Fils bien-aimé, homme et Dieu tout ensemble.

4.- Quand le pont est passé ; on arrive à la porte qui en fait aussi partie ; c’est par elle que tous doivent entrer, car il a dit : « Je suis la voie, la vérité, la vie. (S. Jean, XIV, 6). Qui va par moi ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie». ( S. Jean, VIII, 12 ). Personne ne peut venir à moi si ce n’est par lui. C’est la vérité. Et si tu te le rappelles, je te l’ai montré en te faisant voir la voie. Il a dit qu’il était la voie, et c’est la vérité ; je t’ai fait voir cette voie sous la forme d’un pont. Il a dit qu’il est la vérité, et cela est, car il est uni à moi qui suis la vérité. Celui qui le suit marche par la vérité et la vie ; et celui qui suit cette vérité reçoit la vie de la grâce et ne peut mourir de faim, car la vérité devient sa nourriture.

5.-Il ne peut tomber dans les ténèbres, parce qu’il est la lumière sans aucune erreur. La vérité confond et détruit le mensonge du démon, par qui Eve fut trompée. C’est ce mensonge qui a rompu la voie du ciel, et la vérité l’a réparée et consolidée avec son précieux sang. Ceux qui suivent cette voie sont les fils de la vérité, parce qu’ils suivent la Vérité, et ils passent par la porte de la vérité, et se trouvent unis en moi par mon Fils, qui est la porte, la voie, l’éternelle vérité, la paix infinie.

6.- Celui qui ne suit pas cette voie passe sous le pont, par la route du fleuve, qui n’est pas garnie de pierres et qui est tout inondée ; et parce que l’eau n’a aucune consistance, personne ne peut y marcher sans périr. Cette eau dangereuse est le monde, avec ses plaisirs et ses honneurs.

7.- L’âme n’y place pas ses affections sur la pierre solide, (43) car elle aime d’un amour déréglé les créatures ; elle les aime et les possède hors de moi. Ces choses créées ressemblent à des eaux courantes, l’homme est entraîné comme elles ; il croit que ce sont les choses qu’il aime qui passent, et c’est lui qui va sans cesse vers la mort. Il voudrait se retenir et fixer sa vie dans les choses qu’il aime, mais tout lui échappe par la mort ou par ma providence.

8.- Ceux qui suivent la voie du mensonge sont les fils du démon, qui est, le père du mensonge ; et parce qu’ils passent par la porte du mensonge, ils tombent dans la damnation éternelle. Mais je t’ai montré la vérité et je t’ai montré le mensonge ; ma voie est la vérité, la voie du démon est le mensonge.

 

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XXVIII.- Du bonheur de l’âme qui passe sur le pont.

 

 

1.- Ce sont les deux voies ; dans l’une et dans l’autre on marche péniblement. Regarde combien l’homme est ignorant et aveugle : il veut passer- par le fleuve, et il a une autre route où tout ce qui est amer devient doux, et tout ce qui est pesant devient léger. Au milieu des ténèbres du corps on y trouve la lumière, et ceux qui meurent y acquièrent la vie immortelle, car ils goûtent par l’amour et la lumière de la foi l’éternelle vérité, qui a promis le repos à ceux qui se fatiguent pour moi.

2.- Je suis fidèle, reconnaissant et juste ; je donne à chacun selon ses mérites ; tout bien est récompensé, et tout mal est puni. Le bonheur que possède celui qui suit la voie véritable, la langue ne pourra jamais le raconter, l’oreille l’entendre, et l’oeil le contempler, car celui-là possède et goûte déjà le bien qui est préparé pour la vie du ciel.

3.- Qu’il est insensé celui qui méprise un si grand bien et préfère avoir, dés cette vie, un avant-goût de l’enfer, puisqu’il passe par le chemin du monde, où il ne trouve que des fatigues sans repos et sans jouissance, car ses péchés le privent de moi, qui suis le bien éternel et suprême.

4.- Tu as donc bien raison de gémir, et je veux que toi et mes autres serviteurs, vous pleuriez amèrement l’offense qui m’est faite, et que vous ayez compassion de ces pauvres aveugles qui perdent leurs âmes. Tu as vu et entendu comment (44) est fait ce pont, car je t’ai expliqué que mon Fils unique était le moyen qui unit la grandeur de Dieu à la bassesse de l’homme.

 

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XXIX.- Ce pont s’est élevé jusqu’au ciel le jour de l’Ascension, sans quitter cependant la terre.

 

 

1.- Lorsque mon Fils retourna vers moi, quarante jours après sa résurrection, le pont s’éleva de la terre, c’est-à-dire de la société des hommes. Il monta jusqu’au ciel par la vertu de ma nature divine et se fixa à ma droite, ainsi que l’ange le dit aux disciples le jour de l’Ascension, lorsqu’ils étaient comme morts, parce que leurs coeurs avaient quitté la terre pour le ciel avec la sagesse de mon Fils. Il ne faut pas vous arrêter davantage, leur dit-il, parce que le Seigneur Jésus est monté au ciel, où il est assis à la droite du Père.

2.- Lorsqu’il fut monté vers moi, avec son corps qui ne se sépara jamais de la divinité, j’envoyai aux hommes le grand maître, le Saint-Esprit, qui vint avec ma puissance, avec la sagesse du Fils, et avec sa clémence ; car il est une même chose avec moi le Père et avec mon Fils ; il complète la voie de la doctrine que ma vérité avait laissée dans le monde. Mon Fils n’était pas visible, mais sa doctrine y restait avec les vertus, qui sont les pierres vives fondées sur la doctrine pour former la voie de ce pont doux et glorieux. Il avait travaillé le premier, et ses oeuvres avaient tracé la voie ; car il vous a donné sa doctrine plutôt par ses exemples que par ses paroles ; il agit avant de parler.

3.- La clémence du Saint-Esprit confirma cette doctrine en donnant aux disciples la force de confesser la vérité et d’enseigner la voie véritable, c’est-à-dire la doctrine de Jésus crucifié. Il convainquit par leur moyen le monde d’injustices et de faux jugements. Je t’expliquerai bientôt quels sont ces injustices et ces faux jugements.

4.- Je t’ai dit tout ceci afin qu’aucune erreur ne puisse obscurcir l’esprit, et qu’on ne dise pas : Le corps de Jésus-Christ est bien un pont par l’union de la nature divine avec la nature humaine, c’est la vérité ; mais ce pont s’est séparé de nous en montant au ciel. Il était vraiment le chemin, du salut, et il nous enseignait la vérité par ses paroles et ses (45) exemples ; maintenant, que nous est-il resté? Où trouver la voie? Je te le dirai pour ceux qui sont tombés dans cet aveuglement. La doctrine de mon Fils a été confirmée par les apôtres, prouvée par le sang des martyrs, illuminée par les docteurs, reconnue par les confesseurs, écrite par les évangélistes ; et tous ces témoins en ont confessé la vérité dans le corps mystique de la sainte Eglise.

5.- Ils sont comme le flambeau placé sur le chandelier, pour montrer la voie de la vérité qui conduit à la vie dans une parfaite lumière. Non seulement ils l’ont enseignée, mais ils l’ont montrée en eux-mêmes, Chacun est assez éclairé pour connaître la vérité, s’il le veut, et s’il n’étouffe pas la lumière de sa raison par l’amour déréglé de soi-même. Oui, la doctrine de mon Fils, qui est la vérité, est restée dans le monde, comme une barque pour, sauver l’âme des tempêtes de la mer et la conduire au port du salut.

6.- Ainsi j’ai fait d’abord de mon Fils un pont pour le salut du monde, lorsqu’il conversait parmi les hommes ; et lorsque le pont s’est élevé de la terre, il y est cependant resté, car c’est la voie de la doctrine inséparablement unie à ma puissance, à la sagesse du Fils et à la clémence du Saint-Esprit. La puissance donne la vertu de force à celui qui suit la voie ; la sagesse donne la lumière pour connaître la vérité l’Esprit Saint donne l’amour qui chasse l’amour-propre sensuel de l’âme, et n’y laisse que l’amour de la vertu.

7.- Ainsi de toute manière, par lui-même ou par sa doctrine, mon Fils est la voie, la vérité, la vie, le pont qui vous conduit jusqu’au ciel. C’est ce qu’il voulait dire par ces paroles : « Je suis sorti du Père, et je suis venu d’ans le monde, et maintenant je quitte le monde, et je retourne vers le Père » (S. Jean, XVI, 28), et je viendrai vers vous ; c’est-à-dire, mon Père m’a envoyé vers vous ; et je me suis fait votre pont pour que vous passiez le fleuve, et que vous puissiez arriver à la vie. Et il ajoute : « Je reviendrai vers vous, je ne vous laisserai pas orphelins ; mais je vous enverrai le Consolateur » (S. Jean, XIV, 18) ; c’est-à-dire, je retourne vers mon Père, et je reviendrai quand le Saint-Esprit, qui est appelé le Consolateur, viendra plus clairement vous montrer que je suis la voie de la vérité, et vous confirmer la doctrine que je vous ai donnée.

8.- II dit qu’il reviendra, et il revient ; car le Saint-Esprit (46) ne vient pas seul, mais il vient avec la puissance du Père, avec la sagesse du Fils, et avec la clémence du Saint-Esprit. Tu vois donc qu’il revient, non pas visiblement, mais par sa vertu. Il fortifie la route de la doctrine, et cette route ne peut être détruite ou fermée à celui qui veut la suivre, parce qu’elle est sûre et solide, et qu’elle vient de moi, qui suis immuable. Vous devez donc suivre cette route avec courage et sans hésitation, puisque vous êtes éclairés par la lumière de la foi, dont vous a revêtus le saint baptême.

9.- Ainsi je t’ai clairement montré que le pont et la doctrine sont une même chose ; et j’ai fait connaître aux ignorants Celui qui a ouvert cette voie de vérité et ceux qui l’enseignent. J’ai dit que c’étaient les apôtres, les évangélistes, les martyrs, les confesseurs, les saints docteurs, placés comme des lampes dans l’Église. Je t’ai expliqué comment mon Fils, en venant à moi, est retourné à vous, non pas visiblement, mais virtuellement, lorsque le Saint-Esprit descendit sur les disciples. Il ne retournera visiblement qu’au dernier jour du jugement, lorsqu’il viendra avec ma majesté et ma puissance pour juger le monde, lorsqu’il glorifiera les bons et récompensera les fatigues de leur âme et de leur corps, tandis qu’il punira d’une peine éternelle ceux qui auront commis le mal pendant leur vie.

10.- Maintenant je veux remplir ma promesse et te montrer ceux qui marchent imparfaitement, ceux qui marchent parfaitement et ceux qui avancent avec une plus grande perfection ; comment ils marchent, et comment les méchants se noient dans le fleuve et tombent par leur faute dans les supplices et les tourments.

11.- Je vous conjure, mes fils bien-aimés, de passer sur le pont et non pas dessous, car ce n’est pas la voie de la vérité, mais celle du mensonge, que suivent les pécheurs dont je te parlerai ; c’est pour les pécheurs que je vous conjure de m’adresser des prières, c’est pour eux que je réclame vos larmes et vos sueurs, afin qu’ils reçoivent de moi miséricorde. (47)

 

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XXX.- L’âme, pleine d’admiration pour la miséricorde de Dieu, célèbre les dons et les grâces qu’en a reçu le genre humain.

 

 

1.- Alors cette âme, ivre d’amour, ne pouvait plus se contenir, et elle disait en présence de Dieu : O éternelle Miséricorde, qui couvrez toutes les fautes de vos créatures, je ne m’étonne plus si vous dites à ceux qui sortent du péché mortel et qui retournent à vous : Je ne me rappellerai pas vos offenses. O Miséricorde ineffable, je ne m’étonne plus si vous dites à ceux qui sortent du péché, puisque vous dites de ceux qui vous persécutent : Je veux que vous me priiez pour eux afin de pouvoir leur faire miséricorde.

2.- O Miséricorde, qui venez du Père, et qui gouvernez par votre puissance l’univers tout entier! O Dieu, c’est votre miséricorde qui nous a créés, qui nous a régénérés dans le sang de votre Fils ; c’est votre miséricorde qui nous conserve ; votre miséricorde a fait lutter votre Fils sur le bois de la croix. Oui, la mort a lutté contre la vie, la vie contre la mort. La vie a vaincu la mort du péché, et la mort du péché a ravi la vie corporelle de l’innocent Agneau. Qui est resté vaincu? la mort. Et quelle en fut la cause? votre miséricorde.

3.- Votre miséricorde donne la vie ; elle donne la lumière qui fait connaître votre clémence en toute créature, dans les justes et dans les pécheurs. Votre miséricorde brille au plus haut des cieux, dans vos saints ; et si je regarde sur la terre, votre miséricorde y abonde. Votre miséricorde luit même dans les ténèbres de l’enfer, car vous ne donnez pas aux damnés tous les tourments qu’ils méritent.

4.- Votre miséricorde adoucit votre justice ; par miséricorde, vous nous avez purifiés dans le sang de votre Fils ; par miséricorde, vous avez voulu habiter avec vos créatures à force d’amour. Ce n’était pas assez de vous incarner, vous avez voulu mourir ; ce n’était pas assez de mourir, vous avez voulu descendre aux enfers et délivrer les saints, pour accomplir en eux votre vérité et votre miséricorde. Votre bonté a promis de récompenser ceux qui vous servaient fidèlement, et vous êtes descendu aux limbes pour tirer de peine (48) ceux qui vous avaient servi, et leur rendre le fruit de leurs travaux.

5.- Votre miséricorde vous a forcé à faire encore davantage pour l’homme : vous vous êtes donné en nourriture, afin que nous ayons un secours dans notre faiblesse, et que, malgré notre oublieuse ignorance, nous ne perdions pas le souvenir de vos bienfaits ; tous les jours vous vous offrez à l’homme dans le Sacrement de l’autel, dans le corps mystique de la sainte Église. Et qui a fait cela? votre miséricorde. O Miséricorde, le coeur s’enflamme en pensant à vous ; de quelque côté que je me tourne, je ne trouve que miséricorde, O Père éternel, pardonnez à mon ignorance qui ose parler devant vous ; mais l’amour de votre miséricorde me servira d’excuse auprès de votre bonté.

 

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XXXI.- De l’indignité de ceux qui passent par le fleuve. - L’âme qui suit cette route est un arbre de mort, dont les racines tiennent à quatre vices principaux.

 

1.- Lorsque cette âme eut un peu, par ces paroles, dilaté son coeur dans la miséricorde divine, elle attendit humblement l’accomplissement de la promesse qui lui avait été faite, et Dieu continua de la sorte : Ma fille bien-aimée, tu as parlé devant moi de ma miséricorde, parce que je te l’ai fait goûter et voir en te disant : « C’est pour ceux qui m’offensent que je vous demande de m’adresser vos prières ». Mais sois persuadée que, sans aucune comparaison, ma miséricorde est beaucoup plus grande envers vous que tu ne peux le voir ; car ta vue est imparfaite et finie, tandis que ma miséricorde est infinie et parfaite. Il y a donc entre ton appréciation et la réalité toute la distance du fini à l’infini.

2.- J’ai voulu te faire connaître cette miséricorde et aussi la dignité de l’homme, que je t’ai déjà expliquée, afin de te faire mieux comprendre la méchanceté et l’indignité des pécheurs qui passent par la route inférieure. Ouvre donc l’oeil de ton intelligence, et regarde ceux qui se noient volontairement dans le fleuve du monde ; vois l’abîme où ils tombent par leur faute.

3.- Ils sont devenus d’abord infirmes et malades, parce que, dès qu’ils conçoivent le péché mortel dans leur âme et (49) qu’ils l’enfantent par leurs oeuvres, ils perdent la vie de la grâce : et comme les morts sont insensibles et n’ont d’autre mouvement que ceux qui leur viennent de l’extérieur, ceux qui sont noyés dans le fleuve de l’amour déréglé du monde sont morts à la grâce ; et parce qu’ils sont morts, leur mémoire perd le souvenir de ma miséricorde ; l’oeil de leur intelligence ne voit plus, ne reconnaît plus ma vérité ; car la sensibilité est détruite, et l’intelligence est livrée à la mort de l’amour des sens. Leur volonté aussi est morte à ma volonté, parce qu’elle n’aime que des choses mortes, Les trois puissances de l’âme étant mortes, toutes leurs opérations actuelles et mentales sont mortes, quant à la grâce ; l’âme ne peut se défendre de ses ennemis et n’échappe qu’autant que je la secoure moi-même.

4.- Toutes les fois, il est vrai, que ce mort, en qui reste encore le libre arbitre, demandera mon secours pendant sa vie mortelle, il pourra l’obtenir, mais il ne pourra rien par lui-même. Il est cause de son impuissance ; il a voulu asservir le monde, et il a été asservi, par une chose qui n’est pas, c’est-à-dire par le péché ; car le péché n’est rien que la privation de la grâce, comme l’aveuglement est la privation de la lumière. Ceux qui le commettent sont esclaves du péché. Je les avais faits des arbres d’amour par la vie de la grâce, et ils se sont faits des arbres de mort ; car ils sont morts, comme je te l’ai dit.

5.- Sais-tu où est la racine de cet arbre? Dans l’élévation de l’orgueil, qu’entretient l’amour-propre. La moelle est l’impatience, dont le fils est l’aveuglement. Ce sont ces quatre vices qui tuent l’âme de celui qui est devenu un arbre de mort, parce qu’il n’a pas puisé la vie dans la grâce ; à l’intérieur de l’arbre se nourrit le ver de la conscience, que l’homme vivant dans le péché sent bien peu, parce qu’il est aveuglé par l’amour-propre. Les fruits de cet arbre sont mortels, car ils ont tiré la sève de la racine empoisonnée de l’orgueil.

6.- La pauvre âme est pleine d’ingratitude, et de là vient tout le mal. Si elle était reconnaissante des bienfaits reçus, elle me connaîtrait ; si elle me connaissait, elle se connaîtrait elle-même et resterait dans mon amour ; mais elle est si aveugle, qu’elle veut se fixer sur ce fleuve, sans s’apercevoir que cette eau qui passe ne peut la soutenir. (50)

 

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XXXII.- Les fruits de cet arbre sont aussi variés que les péchés ; et d’abord du péché de la chair.

 

1.- Cet arbre donne autant de fruits empoisonnés qu’il y a de sortes de péchés. Il y en a qui servent de pâture aux animaux immondes : ce sont ceux que commettent ces hommes qui abusent de leur esprit et de leur corps ; ils se vautrent dans la boue de la chair, comme les pourceaux dans la fange. O âme abrutie, qu’as-tu fait de ta dignité? tu as été faite la soeur des anges, et tu es devenue une brute grossière! Ces pécheurs sont tombés si bas, que non seulement moi, qui suis la pureté suprême, je ne puis les souffrir, mais que les démons, dont ils se sont faits les amis et les serviteurs, ne peuvent les regarder commettre leur impureté.

2.- Aucun péché n’est plus abominable et ne détruit plus la lumière de l’intelligence. Les philosophes eux-mêmes le savaient, non par la lumière de la grâce qu’ils n’avaient pas, mais par celle que la nature leur donnait ; et comme ils comprenaient que ce péché obscurcissait l’intelligence, ils gardaient la continence afin de pouvoir mieux étudier. Ils jetaient aussi les richesses loin d’eux, pour que le souci des richesses ne troublât pas leur coeur. Ce n’est pas ce que fait l’aveugle et faux chrétien, qui a perdu la grâce par sa faute.

 

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XXXIII.- De l’avarice et des maux qui en procèdent.

 

 

1.- Le fruit de quelques autres pécheurs est de terre : c’est celui des avides et des avares, qui, comme la taupe, vivent dans la terre jusqu’à la mort, et n’ont aucun secours quand ils sont arrivés à leur dernier instant ; leur avarice insulte ma richesse en vendant au prochain le temps qui ne leur appartient pas. Ces usuriers tourmentent et volent leur prochain, parce que leur mémoire ne garde pas le souvenir de ma miséricorde : ils ne seraient pas sans cela si cruels envers eux et envers les autres ; ils auraient de la compassion et de la miséricorde pour eux-mêmes en pratiquant la vertu, et pour le prochain en le secourant par l’aumône. Oh! combien de maux viennent de ce péché maudit ! combien (51) d’homicides, de vols, de fourberies, de gains illicites, de coups mortels et d’injustices! Ce péché tue l’âme, et la rend tellement esclave des richesses, qu’elle ne songe plus à observer mes commandements ; l’avare n’aime personne, si ce n’est par intérêt.

2.- Ce vice procède de l’orgueil et nourrit l’orgueil ; l’un vient de l’autre, parce que l’avarice entraîne toujours le désir de paraître, qui s’unit sur-le-champ à l’orgueil ; et le mal augmente, parce que l’orgueil est plein d’estime de lui-même. Alors s’allume un feu qui donne la fumée de la vaine gloire et la vanité du cœur qui se glorifie de ce qui ne lui appartient pas. C’est une racine qui a plusieurs rameaux : le principal est l’estime de soi, d’où sort l’ambition d’être plus grand que les autres ; et alors le coeur, au lieu d’être sincère et généreux, devient hypocrite et menteur. La langue dit autre chose que ce qu’il renferme ; elle cache la vérité et invente le mensonge quand son intérêt le demande. Ce vice produit aussi l’envie, ce ver qui ronge toujours et que ne peuvent rassasier les biens de l’avare et les biens des autres.

3.- Comment ces méchants tombés si bas donneraient-ils leurs richesses aux pauvres, puisqu’ils volent leur prochain? Comment sauveraient-ils leur âme souillée, puisqu’ils la traînent dans la fange? Quelquefois ils s’abrutissent tellement, qu’ils ne regardent plus leurs enfants et leurs familles qu’ils laissent dans la misère. Cependant ma miséricorde les supporte et ne commande pas à la terre de les engloutir, pour qu’ils puissent reconnaître leurs fautes. Comment donneraient-ils leur vie pour le salut des âmes, puisqu’ils ne donnent pas même leur argent? Comment aimeraient-ils leurs frères,    puisqu’ils sont rongés d’envie?

4.- O vice misérable qui abaisse et détruit le ciel de l’âme! oui, je dis le ciel, car j’ai fait de l’âme un ciel où j’habite par ma grâce, où je me cache, où je me plais à résider par l’amour ; et l’âme se sépare de moi comme une adultère ; elle s’aime, elle aime les créatures et les choses créées plus que moi ; elle fait d’elle un dieu et me poursuit de ses nombreux péchés, et tout cela parce qu’elle oublie le bienfait de ce sang de mon Fils répandu avec tant d’amour. (52)

 

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XXXIV. - De ceux qui ont la puissance, et des injustices qu’ils commettent.

 

1.- Il y en a qui sont fiers de leur puissance et qui affichent l’injustice. Ils sont injustes envers moi, envers le prochain, envers eux-mêmes : injustes envers eux, car ils n’acquièrent pas la vertu qu’ils devraient avoir ; injustes envers moi, car ils ne me rendent pas l’honneur qui m’est dû en ne louant pas, ne glorifiant pas mon nom comme ils devraient le faire. Ils prennent comme des voleurs ce qui m’appartient pour le donner aux sens, qui sont faits pour les servir. Ils commettent l’injustice envers moi et envers eux-mêmes, parce qu’ils ne me connaissent pas en eux, tant ils sont aveuglés par leur ignorance et leur amour-propre.

2.- Ainsi firent les Juifs et les Pharisiens, qu’aveuglèrent tellement l’amour-propre et l’envie, qu’ils méconnurent mon Fils unique, et qu’ils ne rendirent pas hommage à l’éternelle Vérité descendue parmi eux, comme elle disait elle-même : Le royaume de Dieu est au milieu de vous (S. Luc, XVII, 21). Ils ne le reconnaissent pas parce qu’ils avaient perdu la lumière de la raison ; et alors ils ne rendaient pas l’honneur et la gloire qui sont dus à moi et à mon Fils qui est avec moi une même chose. Dans leur aveuglement ils furent injustes, en poursuivant d’opprobres mon Fils jusqu’à la mort ignominieuse de la croix. De même ces hommes sont injustes envers eux, envers moi, et aussi envers le prochain, en vendant le sang de ceux qui sont soumis à leur puissance.

 

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XXXV.- Les vices conduisent aux faux jugements.

 

 

1.- Leur égarement les fait tomber dans, de faux jugem,ents, comme je te l’expliquerai bientôt. Ils se scandalisent de mes oeuvres, qui toutes sont justes et véritablement inspirées par l’amour et la miséricorde. Ce sont ces faux jugements et le venin de l’orgueil et de l’envie, qui firent calomnier et juger injustement les oeuvres de mon Fils bien-aimé. Ces Juifs menteurs disaient : « Celui-ci agit par la puissance de Béelzébub » (S. Matth., XII, 24) ; de même les méchants égarés dans l’amour-propre, l’impureté, l’orgueil, l’avarice (53) et l’envie, perdus par l’ignorance, par l’impatience et par tous les péchés qu’ils commettent, se scandalisent de moi et de mes serviteurs. Ils jugent la vertu une hypocrisie, parce que leur coeur est corrompu et leur goût vicié. Ils trouvent mauvaises les choses bonnes, et bonnes les choses mauvaises, c’est-à-dire, les dérèglements de la vie.

2.- O aveuglement de l’homme, qui ne voit pas sa dignité! De grand tu te fais petit ; de maître, tu deviens esclave de la plus vile puissance qu’on puisse trouver, puisque tu te fais serviteur et esclave du péché, et que tu deviens semblable à ce que tu sers. Le pêché est un néant ; tu retournes au néant, tu quittes la vie, tu te donnes la mort.

3.- La vie et la puissance vous ont été données par le Verbe, mon Fils unique : vous étiez les esclaves du démon, et il vous a délivrés de sa servitude. Il s’est fait esclave pour vous affranchir ; il a embrassé l’obéissance d’Adam, et il s’est humilié jusqu’à l’opprobre de la croix pour confondre l’orgueil ; il a vaincu tous les vices par sa mort, et personne ne peut dire : Ce vice est resté impuni ; car tout vice a été frappé sur son corps, qui a servi d’enclume à ma justice.

4.- Tous les remèdes sont donnés à ces hommes pour éviter la mort éternelle, et ils méprisent ce sang précieux ; ils le foulent aux pieds de leur amour déréglé. C’est là l’injustice et le faux jugement dont le monde sera convaincu au dernier jour du jugement. C’est ce que signifiait cette parole de ma Vérité : « J’enverrai le Consolateur, qui convaincra le monde d’injustice et de faux jugement » ; et il en fut en effet convaincu, lorsque j’envoyai le Saint-Esprit sur les Apôtres.

 

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XXXVI.-Explication de cette parole de Jésus-Christ : « J’enverrai le Consolateur, qui convaincra le monde d’injustice et de faux jugements » (S. Jean, VI, 8).

 

1.- Il y a trois condamnations qui confondent le monde. La première fut portée quand le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres, et qu’ils le reçurent dans sa plénitude, fortifiés par ma puissance et illuminés par la sagesse de mon Fils bien-aimé. Alors le Saint-Esprit, qui est une même chose avec moi et avec mon Fils, (54) accusa le monde par la bouche des disciples avec la doctrine de ma Vérité. Les disciples et ceux qui leur ont succédé, en suivant la vérité qu’ils en avaient reçue, accusèrent aussi le monde ; et cette accusation est permanente. J’accuse le monde par le moyen de la sainte Ecriture et de mes serviteurs, sur la langue desquels je mets l’Esprit Saint lorsqu’ils annoncent ma vérité, comme le démon se met sur la langue de ses serviteurs qui suivent les flots du monde. Mais cette accusation n’est qu’un doux reproche, inspiré par l’ardent amour que j’ai pour le salut des âmes.

2.- Personne ne peut dire : Je n’ai pas été enseigné et repris, car la vérité a fait discerner le vice et la vertu. J’ai révélé la récompense de la vertu et le châtiment du vice, pour inspirer de bons désirs et une crainte salutaire, pour faire aimer la vertu et détester le vice. La vérité n’a pas été enseignée par un ange, pour qu’on ne dise pas : Un ange est un esprit bienheureux qui ne peut pécher, et qui ne sent pas comme nous les attaques de la chair, et le fardeau du corps.

3.- Cette excuse n’est pas possible, car ma Vérité s’est revêtue d’une chair comme la vôtre. Et voyez ceux qui ont suivi mon Verbe, n’étaient-ils pas des hommes mortels et passibles comme vous? n’éprouvaient-ils pas des révoltes de la chair contre l’esprit? Mon héraut, le glorieux saint Paul, et tant d’autres saints, n’ont-ils pas eu à combattre ainsi d’une manière ou d’une autre?

4.- J’ai permis, et je permets ces passions, pour accroître la grâce et augmenter la vertu dans les âmes. Les saints sont nés sous la loi du péché comme vous ; ils se sont nourris de la même nourriture, et je suis le même Dieu que j’étais alors. Ma puissance n’a pas faibli et ne peut faiblir ; je puis et je veux assister ceux qui réclament mon assistance. L’homme veut que je l’assiste, quand il quitte le fleuve du monde et va sur le pont de ma Vérité en suivant ma doctrine.

5.- Il n’y a donc pas d’excuse, puisque l’homme est prévenu et que la vérité lui est continuellement montrée. S’il ne se corrige pas quand il est temps encore, il sera condamné au second jugement. Au moment de la mort, lorsque ma justice criera : «  Levez-vous, morts ; (55) venez au jugement. Surgite, mortui, venite ad judicium », c’est-à-dire : Vous qui êtes morts à la grâce et qui allez mourir à la vie, levez-vous, et venez devant le Juge suprême avec vos injustices et vos faux jugements, avec cette lumière éteinte de la foi, qu’avait allumée .en vous le baptême, et qu’ont étouffée l’orgueil et les vanités, du coeur. Vous avez tendu votre voile à tous les vents contraires à votre salut ; le souffle de la flatterie a enflé le voile de l’amour-propre et vous avez descendu le fleuve des délices et des honneurs du monde, en suivant volontairement les faiblesses de la chair et les tentations du démon. Le démon, aidé par votre volonté, vous a menés par sa route d’en bas dans les eaux courantes, qui vous ont entraînés avec lui dans la damnation éternelle.

 

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XXXVII.- De la seconde condamnation, où l’homme est convaincu d’injustice et de faux jugements.

 

 

1.- Cette seconde condamnation a lieu, ma très chère fille, dans le moment suprême, où il n’y a plus de ressource. Quand paraît la mort, et que l’homme voit qu’il ne peut m’échapper, le ver de la conscience, engourdi par l’amour-propre, commence à se réveiller et à ronger l’âme, en la jugeant et en lui montrant l’abîme où elle va tomber par sa faute. Si l’âme alors avait assez de lumières pour connaître et pleurer sa faute, non pas à cause de la peine de l’enfer qui la menace, mais à cause de moi qu’elle a offensé, moi qui suis l’éternelle et souveraine bonté, l’âme trouverait encore miséricorde. Mais si elle passe cette limite de la mort sans ouvrir les yeux, sans espérer dans le sang de mon Fils, avec le seul remords de la conscience et le regret de son malheur, et non pas celui de mon offense, elle tombe dans la damnation éternelle.

2.- Alors elle est jugée rigoureusement par ma justice, et convaincue d’injustice et d’erreur : non seulement d’injustice et d’erreur générales parce qu’elle a suivi les-sentiers coupables du monde, mais d’injustice et d’erreur particulières, parce qu’à son dernier moment, elle aura jugé sa misère plus grande que ma miséricorde. C’est (56) là le péché qui ne se pardonne ni en ce monde ni en l’autre. Elle a repoussé, méprisé ma miséricorde ; et ce péché est plus grand que tous ceux qu’elle a commis. Le désespoir de Judas m’a plus offensé et a été plus pénible à mon Fils que sa trahison même. L’homme est surtout condamné pour avoir faussement jugé son péché plus grand que ma miséricorde ; c’est pour cela qu’il est puni et torturé avec les démons éternellement.

3.- L’homme est convaincu d’injustice parce qu’il regrette plus son malheur que mon offense, car il est injuste en ne faisant pas ce qu’il me doit et ce qu’il se doit à lui-même. Il me doit l’amour et les larmes amères de son coeur pour l’injure qu’il m’a faite, et loin de me les offrir, il pleure, seulement par amour pour lui-même, la peine qu’il a méritée. Tu vois donc qu’il est coupable d’injustice et d’erreur, et qu’il est puni de l’une et de l’autre. Il a méprisé ma miséricorde, et ma justice le livre aux supplices avec ses sens et avec le démon, le cruel tyran dont il s’est rendu l’esclave par ces sens, qui devaient le servir, Ils seront tourmentés ensemble comme ils ont péché ensemble l’homme sera tourmenté par mes ministres, les démons, que ma justice a chargés de torturer ceux qui font le mal.

 

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XXXVIII.- Des quatre principaux supplices des damnés, auxquels se rapportent tous les autres.

 

 

1.- Ma fille, ma langue ne pourra jamais dire ce que souffrent ces pauvres âmes. Il y a trois vices principaux l’amour-propre, l’estime de soi-même et l’orgueil, qui en découle, avec toutes ses injustices, ses cruautés, ses débauches et ses excès ; il y a aussi dans l’enfer quatre supplices qui surpassent tous les autres : le damné est d’abord privé de ma vision, et cette peine est si grande, que, s’il était possible, il aimerait mieux souffrir le feu et les autres tourments, et me voir, qu’être exempt de toute souffrance et ne pas me voir.

2.- Cette peine en produit une seconde, qui est le ver de la conscience qui la ronge sans cesse. Le damné voit que, par sa faute, il s’est privé de ma vue et de (57) la société des anges, et qu’il s’est rendu digne de la société et de la vue du démon.

3.- Cette vue du démon est la troisième peine, et cette peine double son malheur. Les saints trouvent leur bonheur éternel dans ma vision ; ils y goûtent dans la joie la récompense des épreuves qu’ils ont supportées avec tant d’amour pour moi et tant de mépris pour eux-mêmes. Ces infortunés, au contraire, trouvent sans cesse leur supplice dans la vision du démon, parce qu’en le voyant ils se connaissent et comprennent ce qu’ils ont mérité par leurs fautes. Alors le ver de la conscience les ronge plus cruellement et les dévore comme un feu insatiable. Ce qui rend cette peine terrible, c’est qu’ils voient le démon dans sa réalité ; et sa figure est si affreuse, que l’imagination de l’homme ne pourrait jamais le concevoir.

4.- Tu dois te rappeler que je te le montrai un seul instant au milieu des flammes, et que cet instant fut si pénible, que tu aurais préféré, en revenant à toi, marcher dans le feu jusqu’au jugement dernier plutôt que de le revoir ; et cependant ce que tu en as vu ne peut te faire comprendre combien il est horrible, car la justice divine le montre bien plus horrible encore à l’âme qui est séparée de moi, et cette peine est proportionnée à la grandeur de sa faute.

5.- Le quatrième supplice de l’enfer est le feu. Ce feu brûle et ne consume pas, parce que l’âme, qui est incorporelle, ne peut être consumée par le feu comme la matière ; ma justice veut que ce feu la brûle et la torture sans la détruire, et ce supplice est en rapport avec la diversité et la gravité de ses fautes.

6.- Ces quatre principaux tourments sont accompagnés de beaucoup d’autres, tels que le froid, le chaud et les grincements de dents. Voilà comment seront punis ceux qui, après avoir été convaincus d’injustice et d’erreur pendant, leur vie, ne se seront pas convertis et n’auront pas voulu, à l’heure de leur mort, espérer en moi et pleurer l’offense qu’ils m’avaient faite plus que la peine qu’ils avaient méritée. (59)

 

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XXXIX. - De la troisième condamnation, qui aura lieu au jour du jugement.

 

 

1.- Il me reste à te parler de la troisième condamnation, qui aura lieu au dernier jour du jugement. Je t’ai parlé des deux autres, mais tu verras mieux, en connaissant la troisième, à quel point l’homme se trompe. Le jugement général renouvellera et augmentera le supplice de cette pauvre âme par la réunion de son corps, qui lui causera une confusion, une honte insupportable. Lorsqu’au dernier jour, le Verbe, mon Fils, viendra dans ma majesté juger le monde avec sa justice divine, il n’apparaîtra pas dans sa faiblesse, comme quand il naquit dans le sein d’une vierge, dans une étable, parmi des animaux, et mourut entre deux voleurs.

2.- Alors je cachais ma puissance en lui ; je le laissai souffrir et mourir comme homme, sans que la nature divine fût séparée de la nature humaine, afin qu’il pût satisfaire pour vous. Il ne viendra pas ainsi au dernier jour ; il viendra juger dans toute sa puissance et sa personnalité ; toute créature sera dans l’épouvante, et il rendra à chacun ce qui lui est dû.

3.- Les malheureux damnés éprouveront à son aspect un tel supplice, une si grande terreur, que des paroles ne pourraient jamais l’exprimer ; les justes éprouveront une crainte respectueuse mêlée d’une grande joie, Le visage du juge ne changera pas, parce qu’il est immuable ; selon la nature divine, il est une même chose avec moi ; et selon la nature humaine, il est immuable encore, car il a revêtu la gloire de la résurrection. Mais le réprouvé ne le verra que d’un œil ténébreux et vicié. L’oeil malade qui regarde la lumière du soleil n’y voit que ténèbres, tandis que l’oeil sain en admire la splendeur. Ce n’est pas la faute du soleil, qui ne change pas plus pour l’aveugle que pour celui qui voit, mais c’est la faute de l’oeil qui est malade. De même les damnés verront mon Fils dans les ténèbres, la confusion et la haine. Ce sera leur faute et non celle de la majesté divine avec laquelle il viendra juger le monde. (59)

 

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XL. - Les damnés ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien.

 

 

1.- La haine des damnés est telle, qu’ils ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien, mais ils blasphèment sans cesse contre moi. Pourquoi ne peuvent-ils désirer aucun bien? parce qu’avec la vie de l’homme finit l’usage de son libre arbitre ; il a perdu le temps qu’il avait pour pouvoir mériter. Quand, par le péché mortel, on meurt dans la haine, la justice divine enchaîne pour toujours à la haine l’âme, qui reste éternellement obstinée dans le mal qu’elle a commis, se dévorant elle-même et augmentant sa peine des peines de ceux dont elle a causé la damnation.

2.- Le mauvais riche demandait en grâce que Lazare allât trouver ses frères qui étaient restés dans Je monde pour leur annoncer son supplice (S Luc, XVI, 27-28). Ce n’était pas par charité qu’il le faisait, ni par compassion pour ses frères, puisqu’il était privé de charité et qu’il ne pouvait. désirer rien d’utile à mon honneur et au salut des autres. Je t’ai dit que les damnés ne peuvent vouloir aucun bien à leur prochain, et qu’ils me blasphèment, parce que leur vie a fini dans la haine de Dieu et de la vertu.

3.- Pourquoi la demande du mauvais riche? Il la faisait parce qu’il avait été le plus grand parmi ses frères et qu’il leur avait fait partager les iniquités de sa vie. Il était ainsi cause de leur damnation, et il craignait de voir augmenter sa peine, leurs tourments devant s’ajouter aux siens ; car ceux qui meurent dans la haine se dévorent éternellement entre eux dans la haine.

 

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XLI. - De la gloire des Bienheureux.

 

 

1.- De même l’âme juste qui termine sa vie dans la charité est éternellement liée à l’amour. Elle ne peut plus croître en vertu parce que le temps est passé, mais elle peut toujours aimer avec l’ardeur qu’elle a eue pour venir à moi, et c’est cette ardeur qui est la mesure de sa félicité. Toujours elle me désire, toujours elle aime, et son désir (60) n’est pas trompé : elle a faim et elle est rassasiée, elle est rassasiée et elle a faim, sans jamais éprouver l’ennui de- la satiété ni la peine de la faim.

2.- Les élus de l’amour jouissent de mon éternelle vision ; ils participent au bien que j’ai en moi-même, chacun selon sa mesure, et cette mesure est l’amour qu’ils avaient en venant à moi. Parce qu’ils ont eu ma charité et celle du prochain, et qu’ils sont unis ensemble par une charité générale et particulière qui vient du même principe, ils jouissent et participent par la charité au- bien de chacun, et ce bonheur s’ajoute au bonheur universel qu’ils ont tous ensemble ; ils jouissent avec les anges, parmi lesquels les saints sont placés selon les différentes vertus qu’ils ont eues dans le monde avant d’être liés dans les liens de la charité.

3.- Ils participent surtout d’une manière particulière au bonheur de ceux qu’ils aimaient plus étroitement sur terre. Cet amour était un moyen d’augmenter en eux la vertu ; ils étaient les uns pour les autres des occasions de glorifier mon nom en eux et dans leur prochain, et comme l’amour qui les unissait n’est pas détruit dans le ciel, ils en jouissent avec plus d’abondance, et cet amour augmente leur bonheur.

4.- Ne crois pas que les élus jouissent seuls, de leur bonheur particulier ; il est partagé par tous les heureux habitants du ciel, par les anges et par mes enfants bien-aimés. Dès qu’une âme parvient à la vie éternelle, tous participent au bonheur de cette âme, et cette âme participe au bonheur de tous. La coupe de leur bonheur ne s’agrandit pas et elle n’a pas besoin d’être remplie, car elle est pleine et ne peut

plus dilater ses bords ; mais leur joie, leur félicité, leur ivresse s’augmentent à la vue de cette âme ; ils voient que ma miséricorde l’a sauvée de la terre par la plénitude de la grâce, et ils se réjouissent en moi du bonheur que cette âme a reçu de ma bonté.

5.- Cette âme est heureuse en moi, dans les âmes et dans les esprits bienheureux, parce qu’elle voit et goûte en eux la bonté et la douceur de ma charité. Leurs désirs

s’élèvent toujours vers moi pour le salut du monde ; leur vie a fini dans l’amour du prochain, et cet amour ne les a pas quittés ; ils ont passé avec lui par la porte de mon Fils Bien-aimé, en prenant le moyen dont je te parlerai bientôt (61). Remarque qu’ils conservent et conserveront ce lien de l’amour, que n’a pas brisé la mort.

6.- Ils sont unis à ma volonté, et ils ne peuvent vouloir que ce que je veux, parce que leur libre arbitre est enchaîné par la charité, de sorte que la créature raisonnable qui se sépare du temps et meurt en état de grâce un peut plus pécher. Sa volonté est si unie à la mienne, qu’en voyant un père, une mère, un fils dans l’enfer, - elle ne peut en souffrir : elle est même heureuse de les voir punis, parce que ce sont mes ennemis ; elle ne peut être en désaccord avec moi en la moindre chose, et tous ses désirs sont satisfaits.

7.- Le désir des bienheureux est de me voir honoré en vous, pèlerins voyageurs qui précipitez sans cesse vos pas vers la mort. Le désir de ma gloire leur fait désirer votre salut, qu’ils me demandent toujours pour vous. Je satisfais ce désir, pourvu que dans votre aveuglement vous ne résistiez pas à ma miséricorde. Ils désirent aussi avoir la récompense de leurs corps, et ce désir n’est pas une peine quoiqu’il ne soit pas satisfait sur-le-champ, parce qu’ils jouissent de la certitude qu’il le sera un jour ; et ils ne souffrent pas d’attendre, car rien ne manque à leur félicité.

8.- Ne crois pas que la béatitude du corps, après la résurrection, ajoute à la béatitude de l’âme ; car il s’ensuivrait que tant qu’elle n’aurait pas son corps, l’âme n’aurait qu’une béatitude imparfaite, ce qui ne peut être, parce que rien ne manque à sa perfection. Ce n’est pas le corps qui donne la béatitude à l’âme, mais c’est l’âme qui donne la béatitude au corps ; elle l’enrichira de son abondance, lorsqu’au jour du jugement, elle se revêtira de la chair dont elle s’était séparée ;

9.- L’âme est devenue immortelle et immuable en moi ; le corps, par cette union, deviendra immortel ; il perdra sa pesanteur et sera subtil et léger. Le corps glorifié

passera à travers tous les obstacles et ne craindra ni l’eau ni le feu, non par sa vertu, mais par la vertu de l’âme, qui est ma vertu communiquée par la grâce et par cet amour ineffable avec lequel je l’ai créée à mon image et à ma ressemblance. Non, l’oeil de ton intelligence ne peut voir, l’oreille entendre, la langue raconter et le coeur comprendre la félicité des bienheureux. (62)

10.- Quel bonheur ils ont de me voir, moi qui suis le souverain bien ! Quel bonheur ils auront quand leur corps sera glorifié! Ils n’en jouiront qu’au jugement dernier, mais ils ne souffrent pas d’attendre, parce que rien ne manque à la béatitude dont l’âme déborde et qu’elle épanchera sur son corps.

11.- Que te dire de cette joie ineffable des corps glorifiés dans l’humanité glorifiée de mon Fils unique, qui vous a donné la certitude de votre résurrection! Ils tressailliront dans ses plaies, qui sont restées fraîches et ouvertes sur son corps, afin de crier sans cesse miséricorde pour vous, vers moi le Père éternel et souverain ; et tous seront conformes à lui dans la joie et l’allégresse. Oui, par vos yeux, vos mains, votre corps tout entier, vous serez unis aux yeux, aux mains, au corps de l’aimable Verbe, mon Fils bien-aimé. Etant en moi, vous serez en lui, parce qu’il est une même chose avec moi. L’oeil de votre corps se dilatera dans l’humanité glorifiée du Verbe mon Fils unique : pourquoi ? parce que la vie qui finit dans les liens de ma charité durera éternellement.

12.- Les bienheureux ne peuvent faire aucun bien, mais ils jouissent de celui qu’ils ont fait ; le temps de mériter est passé pour eux, car c’est sur la terre seulement qu’on mérite ou qu’on pèche, selon l’usage que la volonté fait du libre arbitre. Les bienheureux attendent le jugement général, non dans la crainte, mais dans la joie. Le visage de mon Fils ne leur paraîtra pas terrible et plein de haine, parce qu’ils sont morts dans mon- amour et dans l’amour du prochain. Le visage du juge qui viendra dans ma majesté ne changera pas, mais il sera différent pour ceux qui seront jugés : ceux qui seront damnés le verront dans la haine et la justice, ceux qui seront sauvés le contempleront dans l’amour et la miséricorde.

 

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XLII. - Le jugement général augmentera la peine des damnés.

 

 

1.- Je t’ai parlé de la gloire des justes pour te faire mieux comprendre le malheur des damnés. Une de leurs peines sera de voir la béatitude des justes ; ce spectacle (63)

augmentera leurs tourments, comme la vue des damnés augmentera, dans les justes, la jouissance de ma honte : car la lumière se connaît mieux par les ténèbres et les ténèbres par la lumière. La vue du bonheur sera un supplice pour les damnés, et ils attendent avec effroi le jugement -dernier, parce qu’ils comprennent qu’il augmentera leur malheur.

2.- En effet, à cette parole terrible : Levez-vous, morts ; venez au jugement ! l’âme se réunira au corps pour le glorifier dans les justes et le torturer éternellement dans les méchants. Les damnés seront couverts de honte et de confusion en présence de ma Vérité et de tous les bienheureux.

3.- Alors le ver de la conscience rongera la moelle de l’arbre, c’est-à-dire l’âme, et sort écorce, c’est-à-dire le corps. Contre eux s’élèvera le sang précieux répandu pour les racheter et leur acquérir les miséricordes spirituelles et temporelles que je leur ai faites par mon Fils. Il leur sera demandé compte des obligations que l’Évangile leur imposait envers le prochain ; ils seront convaincus de cruauté pour les autres, d’orgueil, d’amour-propre et de débauche. La vue de la miséricorde dont ils étaient l’objet rendra leur condamnation plus terrible. Au moment de la mort, elle n’attaquait, que leur âme ; mais au jugement dernier, elle frappera à la fois leur âme et leur corps. Car le corps est le compagnon, l’instrument de l’âme pour le bien ou le mal, selon le bon plaisir de sa volonté.

4.-Tout acte, bon ou mauvais, s’accomplit par l’intermédiaire du corps. Il est donc juste, ma chère fille, que mes élus jouissent de la gloire et du souverain bien avec leur corps glorifié, pour que le corps et l’âme soient récompensés tous les deux des fatigues qu’ils ont supportées ensemble pour moi. De même, le corps des méchants partagera leurs peines éternelles, parce qu’il a été l’instrument du mal leur supplice se renouvellera et augmentera lorsqu ils reprendront leur corps en présence de mon Fils.

5.- Leur misérable sensualité et leurs débauches seront condamnées en voyant la nature humaine unie en Jésus-Christ à la pureté de la Divinité, en apercevant la chair

d’Adam au dessus de tous les choeurs des anges, tandis qu’eux, par leur faute, sont plongés dans les profondeurs (64) de l’enfer, ils verront la grandeur de ma miséricorde briller dans les bienheureux qui ont profité du sang de l’Agneau,

et ils reconnaîtront que les peines souffertes par amour pour moi sont devenues pour le corps comme une belle frange sur un vêtement ; et cela non par la vertu du corps, mais par l’exubérance de l’âme qui donne aux corps le prix de sa peine, parce qu’il l’a aidée à pratiquer la vertu. Cette récompense est visible ; elle apparaît sur le corps comme le visage de l’homme se reflète dans un miroir.

6.- En présence de tant de gloire dont ils sont privés, les damnés sentiront augmenter leur peine et leur confusion. Dans leur corps apparaîtront les marques des péchés qu’ils ont commis, et les supplices qu’ils ont mérités. Quand retentira pour eux cette parole épouvantable : Allez, maudits, au feu éternel, l’âme et le corps iront demeurer avec les dénIons, sans aucune lueur d’espérance, dans cette sentine du monde, où chacun apportera l’infection de ses iniquités.

7.- L’avare y brûlera, avec les trésors de la terre qu’il a tant aimés ; le cruel y sera avec ses cruautés, le débauché avec ses excès, l’envieux avec son envie, et celui qui hait son prochain avec sa haine. Ceux qui se seront aimés de cet amour déréglé qui cause tous les maux, parce qu’il est avec l’orgueil le principe de tous les vices, ceux-là ‘seront dévorés par un feu insupportable ; tous, selon leurs fautes, seront punis à la fois dans leur âme et dans leur corps.

8.- Voilà la fin déplorable de ceux qui .vont par la route inférieure, et qui suivent le fleuve du monde, sans vouloir se reconnaître et recourir à la miséricorde. Ainsi que je te l’ai dit, ils arrivent à la porte du mensonge, parce qu’ils suivent la doctrine du démon, qui est le père du mensonge ; et le démon est la porte par laquelle ils arrivent à la damnation éternelle.

9.- Mes élus, mes enfants bien-aimés, prennent la route supérieure, celle du pont ; ils suivent la voie de la vérité, et la vérité est la porte de ,la vie ; car mon Fils a dit : «Personne ne peut aller à mon Père, si ce n’est par moi » ; il est la porte et la voie qu’il faut prendre pour entrer en moi, l’Océan de la paix.

10.- Les réprouvés, au contraire, qui suivent la voie ténébreuse du mensonge, n’arrivent qu’à une eau morte ; (65) le démon les y appelle, comme s’il disait : Que celui qui a soif d’eau morte vienne à moi, et je lui en donnerai. Les aveugles et les insensés ne s’en aperçoivent pas, car ils ont perdu la lumière de la foi.

 

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XLIII.- L’utilité des tentations.- L’âme, au moment de la mort, voit la peine ou la gloire qui lui est destinée, même avant d’être séparée de son corps.

 

 

1.- Le démon est le bourreau que ma justice a chargé de tourmenter les âmes qui m’ont misérablement offensé. Je lui permets pendant cette vie de tenter et d’inquiéter mes créatures, non pas pour qu’elles soient vaincues, mais au contraire pour qu’elles triomphent et qu’elles reçoivent de moi la palme de la victoire qu’elles auront gagnée par la vertu. Personne ne doit craindre de combattre et d’être vaincu par les tentations du démon, parce que j’ai fait l’homme fort, en lui donnant la force de la volonté fortifiée dans le sang de mon Fils.

2.- Cette volonté, ni le démon, ni la créature ne peuvent la changer, parce qu’elle est à vous et que je vous l’ai donnée. Vous pouvez donc, avec le libre arbitre, résister ou céder, selon votre bon plaisir. La volonté est une arme que vous livrez au démon pour vous frapper et vous tuer. Mais si l’homme ne met pas cette arme entre les mains du démon, c’est-à-dire s’il ne cède pas à ses tentations et à ses attaques, il ne sera jamais blessé par le péché dans aucune tentation ; il sera fortifié, au contraire, parce que l’oeil de son intelligence verra que ma charité permet la tentation pour éprouver et augmenter la vertu.

3.- L’homme acquiert la vertu en connaissant sa faiblesse et ma bonté. Cette connaissance est plus parfaite au temps de la tentation, parce qu’alors il comprend qu’il n’a pas l’être par lui-même, puisqu’il ne peut éviter les peines et les tentations qu’il  voudrait fuir. Il me connaît dans sa volonté, à laquelle ma bonté donne la -force de résister à ses tentations. Il comprend pourquoi ma charité les envoie. Le démon est impuissant ; il ne peut rien sans mon consentement, et si je le donne, c’est par amour, non par haine ; c’est pour que vous soyez vainqueur et (66) non vaincu ; c’est pour que vous parveniez à une connaissance plus parfaite de vous-même et de moi, et que votre vertu soit éprouvée, car elle n’est éprouvée que par son contraire.

4.- Tu vois donc que les démons sont mes ministres chargés de tourmenter les damnés en enfer, et d’exercer, d’éprouver la vertu des âmes en cette vie. Leur intention n’est certainement pas d’éprouver la vertu, car ils n’ont pas la charité ; ils veulent la détruire en vous, mais ils ne pourront jamais le faire, si vous ne voulez pas y consentir.

5.- Maintenant, considère la folie de l’homme qui se rend faible par le moyen que je lui avais donné pour être fort, et qui se livre lui-même aux mains du démon. Aussi je veux que tu saches ce qui arrive au moment de la mort à ceux qui, pendant leur vie, ont volontairement accepté le joug du démon qui ne pouvait les y contraindre. Quand la mort les surprend dans ce honteux esclavage, ils n’ont d’autres juges qu’eux-mêmes ; l’arrêt de leur conscience suffit, et ils se précipitent avec désespoir dans l’éternelle damnation. Avant d’en passer les limites, ils l’acceptent par haine de la vertu et choisissent l’enfer pour le partager avec les démons, leurs maîtres.

6.- Les justes, au contraire, qui ont vécu dans la charité meurent dans l’amour. Quand vient leur dernier instant, s’ils ont pratiqué parfaitement la vertu, éclairés par la lumière de la foi et soutenus par l’espérance du sang de l’Agneau, ils voient le bien que je leur ai préparé ; ils l’embrassent avec amour et m’attirent à eux avec tendresse, moi, l’éternel et souverain Bonheur. Ils jouissent ainsi du ciel même avant que leur âme se sépare de leur corps.

7.- Pour ceux qui ont passe leur vie dans une charité moins parfaite, lorsqu’ils arrivent à la mort, ils se jettent dans les bras de ma miséricorde avec la même lumière de la foi et la même espérance qu ils ont eue a un degré inférieur. Malgré leur imperfection, ils embrassent ma miséricorde, parce qu’ils la trouvent plus grande que leurs fautes. Les pécheurs font le contraire : ils voient avec  désespoir la place qui les attend, et ils l’acceptent avec haine.

8.- Les uns et les autres n’attendent pas leur jugement. Chacun, au sortir de la vie, prend lui-même possession de (67) son sort ; il l’éprouve même avant de quitter son corps. Les damnés suivent la haine et le désespoir ; les parfaits suivent l’amour, la lumière de la foi, l’espérance du sang de l’Agneau ; les imparfaits se confient à ma miséricorde et vont en purgatoire.

 

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XLIV. - Le démon trompe toujours l’âme sous l’apparence de quelque bien.

 

1.- Je t’ai dit que le démon invite les hommes à boire l’eau morte qui est son partage ; il les trompe avec les délices et les honneurs du monde, il les séduit par l’apparence de quelque bien. Il ne pourrait réussir autrement, car ils ne se laisseraient pas attirer s’ils ne trouvaient quelque avantage personnel, quelque jouissance.

2.- L’âme, par sa nature, recherche toujours le bien ; mais comme elle est aveuglée par l’amour-propre, elle ne connaît et ne discerne pas le vrai bien, ce qui est utile à l’âme et au corps. Et alors le démon, dans sa méchanceté, voyant l’homme aveuglé par l’amour-propre sensitif, lui propose des fautes qui sont colorées de quelque utilité et de quelque bien, il les propose selon l’état de chacun et selon les vices auxquels il paraît le plus enclin. II tente diversement le séculier, le religieux et ceux qui ont des dignités spirituelles ou temporelles.

3.- Je t’ai déjà parlé de ceux qui se noient dans le fleuve, parce qu’ils ne pensent qu’à eux et m’outragent par leur coupable amour-propre. Tu verras combien ils se trompent. En voulant fuir la peine, ils tombent en de plus grandes. Il leur semble qu’il est bien dur de me suivre par la voie que-mon Fils vous a tracée ; ils reculent devant quelques épines. Qu’ils sont aveugles! ils ne voient pas la vérité et la méconnaissent. Je te l’ai expliquée au commencement de ta vie, quand tu me priais de faire, miséricorde ,au monde et-de le retirer des ténèbres du péché mortel.

4.- Tu sais que je me suis révélé à toi sous la figure d’un arbre dont tu n’apercevais pas le principe et la fin ; tu voyais seulement que sa racine s’unissait à la terre. C’était la nature divine unie à la terre de votre humanité. Au pied de l’arbre, s’il t’en souvient, il y avait quelques épines qui (68) éloignaient tous ceux qui aiment leur sensualité ; ceux-là couraient à une montagne d’épis battus, qui représentait tous les plaisirs du monde. Ces épis paraissaient contenir du bon grain, mais ils étaient vides ; et les pauvres âmes périssaient de faim. Beaucoup reconnaissaient les tromperies du monde ; ils retournaient à l’arbre et traversaient les épines, c’est-à-dire les résolutions de la volonté.

5.- Ces résolutions, avant d’être prises, semblent des épices qui embarrassent le chemin de la vérité, parce qu’il y a un combat entre la conscience et la sensualité ; mais dès que la haine et le mépris de soi-même font dire avec courage : Je veux suivre Jésus crucifié, aussitôt ces épines s’émoussent et deviennent d’une douceur extrême. Chacun les sent plus ou moins, selon ses dispositions particulières.

6.- Je te disais alors : Je suis votre Dieu immuable ; je ne change pas, et je ne me retire jamais de la créature qui veut venir à moi. Je montre à tous la vérité ; je me rends visible, quoique je sois invisible ; et je fais voir ce que c’est que d’aimer quelque chose sans moi. Mais ceux qu’aveuglent les ténèbres de l’amour-propre ne me connaissent pas et ne se connaissent pas. Vois combien ils sont dans l’erreur, puisqu’ils aiment mieux mourir de faim que de traverser quelques épines. Et pourtant, ils ne peuvent éviter de souffrir des peines ; car, en cette vie, personne ne peut vivre sans souffrir, excepté ceux qui suivent le chemin d’en haut ; ceux-là rencontrent aussi la souffrance, mais cette souffrance leur devient une consolation.

7.- C’est le péché d’Adam qui a fait naître dans le monde les épines et les ronces ; c’est lui qui est la source de ce fleuve qui se précipite comme une mer orageuse ; et je vous ai donné un pont pour que vous n’y soyez pas engloutis. Ainsi, tu vois combien se trompent ceux qui craignent sans raison. Je suis votre Dieu, et je ne change pas ; je ne m’arrête pas aux personnes, mais aux saints désirs. C’est ce que je t’ai fait comprendre par la figure de cet arbre. (69)

 

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XLV. - Quels sont ceux que ne blessent pas les épines du monde, quoique personne, en cette vie, ne puisse éviter la souffrance.

 

 

1.- Je veux maintenant te montrer ceux que blessent ou que ne blessent pas les épines et les ronces que la terre produit à cause du péché. Je t’ai fait voir jusqu’à présent ma bonté et la damnation des méchants qui sont trompés par leurs sens ; je te dis maintenant qu’eux seuls sont blessés par les épines du monde.

2.- Quiconque naît à la vie ne peut être exempt de peines corporelles ou spirituelles. Mes serviteurs ont des peines corporelles, mais leur âme est toujours libre. ils ne souffrent pas de la souffrance, parce que leur volonté est unie à la mienne ; et c’est par la volonté que l’homme souffre. Ils souffrent au contraire de l’esprit et du corps, ceux qui ont, dès cette vie, un avant-goût de l’enfer, comme mes serviteurs ont un avant-goût de la vie éternelle. Tu sais que le bonheur principal des bienheureux est d’avoir leur volonté pleine de ce qu’ils désirent. Ils me désirent ; en me désirant, ils me possèdent et me goûtent sans aucun obstacle, car ils ont laissé le poids de leur corps, qui était une force opposée à l’esprit.

3.- Le corps était un intermédiaire qui les empêchait de connaître la vérité ; ils ne pouvaient me voir face à face parce que le corps ne leur permettait pas de me contempler. Mais dès que l’âme est délivrée du corps, sa volonté est satisfaite ; elle désirait me voir, elle me voit, et c’est cette vision qui fait sa béatitude. Qui me voit me connaît, qui me connaît m’aime, et qui m’aime me possède, moi le bien suprême, éternel. Cette possession apaise et remplit sa volonté, qui était le désir de me voir et de me connaître. Dès lors il me désire et il me possède ; il me possède et il me désire ; et, comme je te l’ai dit, ce désir est sans peine et cette possession sans satiété.

4.- Ainsi, tu le vois, la grande cause de la béatitude de mes serviteurs est de me voir et de rue connaître. Cette vision et cette connaissance remplissent la volonté de ce qu’elle désire ; elle est donc heureuse. Jouir de la vie éternelle, c’est surtout posséder ce que la volonté désire. Me voir, me connaître et m’aimer, donne la félicité parfaite.

5.- Ceux qui, dans cette vie, ont un avant-goût de la vie éternelle, jouissent de ce qui fait le bonheur des bienheureux. Comment ont-ils cet avant-goût? Par la vue de ma bonté envers eux et par la connaissance de ma vérité. Cette connaissance est dans l’entendement qui est l’oeil de l’âme éclairé par moi. La pupille de cet oeil est la sainte foi, dont la lumière fait discerner, connaître et suivre la voie et la doctrine de ma Vérité, le Verbe incarné. Sans la foi, l’âme ne saurait voir : elle est comme celui dont un voile obscurcit la pupille, qui est la partie lumineuse de l’oeil. La pupille de l’oeil de l’âme ,est la foi. Si l’amour-propre la couvre du voile de l’infidélité, elle ne peut plus voir. Elle possède bien un oeil, mais non pas la lumière, dont elle s’est elle-même privée.

6.- Ainsi, tu le comprends, mes serviteurs en me voyant me connaissent, en me connaissant m’aiment, en m’aimant s’anéantissent et perdent toute volonté propre. Dès qu’ils ont perdu leur volonté, ils revêtent la mienne ; et moi, je ne veux que votre sanctification. Ils quittent aussitôt le chemin d’en bas et commencent à gravir le pont, ; ils ne craignent plus les épines. Leurs pieds ne peuvent pas en être blessés, car ils sont garantis par l’amour de ma volonté. Ils souffrent du corps et non de l’esprit, parce que leur volonté sensitive est morte ; et c’est celle qui afflige et tourmente l’âme de la créature. Dès que la volonté n’existe plus, la peine disparaît ; ils supportent tout avec reconnaissance et se réjouissent d’être éprouvés pour moi,

parce qu’ils ne désirent que ce que je veux.

7.- Je permets que le démon les tourmente et que les tentations éprouvent leur vertu ; ils résistent par leur volonté qui est affermie en moi. Ils s’humilient et se reconnaissent indignes de la paix, du repos de l’âme ; ils pensent qu’ils méritent la tribulation, et ils vivent ainsi dans la joie et la connaissance d’eux-mêmes, sans éprouver de véritables afflictions. Si l’épreuve leur vient des hommes, de la maladie, de la pauvreté, d’un revers de fortune, de la privation de leurs enfants ou des personnes qui leur sont chères, ils supportent ces épines que le péché a fait naître sur la terre, avec, la lumière de la raison et de la sainte foi. Leurs yeux (71) sont fixés sur moi, qui suis la bonté suprême et qui ne peux vouloir que leur bien ; tout ce qui leur arrive, c’est l’amour et non la haine qui le leur envoie.

8.- Dès qu’ils voient que je les aime, ils s’examinent et reconnaissent leurs défauts ; ils voient à la lumière de la foi que tout bien doit être récompensé et toute faute punie. Ils comprennent que la moindre faute mérite une peine infinie, parce qu’elle est faite contre moi, qui suis le bien infini. Ils regardent comme une faveur d’en être punis pendant cette vie, qui passe si rapidement. Ils se purifient ainsi du péché par la contrition du coeur, et acquièrent des mérites par la perfection de leur patience. Leurs peines sont récompensées par un bien sans mesure ; ils savent que toute souffrance dans cette vie est fugitive comme le temps.

9.- Le temps n’est qu’un point ; le temps passe comme un éclair ; la souffrance passe avec lui, elle est donc bien petite. Ils la supportent avec patience et marchent sur les épines de la terre sans être blessés ; elles n’atteignent pas leur coeur, parce que leur coeur n’est plus à eux ; il en a été ôté avec l’amour sensitif pour m’être étroitement uni par les liens de l’amour, Il est donc bien vrai qu’il jouissent de la vie éternelle, qu’ils en ont un avant-goût dès cette vie ; ils traversent l’eau sans être mouillés ; ils marchent sur les épines sans être blessés, parce qu’ils me connaissent, moi le souverain bien, parce qu’ils le cherchent là où il se trouve, c’est-à-dire dans le Verbe, mon Fils bien-aimé.

 

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XLVI. - Des maux qui procèdent de l’aveuglement de l’intelligence. - Le bien qui n’est pas fait en état de grâce ne sert pas à la vie éternelle.

 

 

1.- Je t’ai dit ces choses pour que tu comprennes mieux comment ceux dont je t’ai fait connaître l’erreur ont un avant-goût de l’enfer. Je te dirai maintenant d’où vient leur erreur et comment ils reçoivent cet avant-goût de l’enfer. C’est parce qu’ils ont aveuglé leur intelligence par l’infidélité de leur amour-propre. La vérité s’acquiert par la lumière de la foi et le mensonge par l’infidélité. Je (72) parle de l’infidélité de ceux qui ont reçu le saine baptême, dans lequel la pupille de la foi est donnée à l’oeil de l’intelligence.

2.- Lorsque vient l’âge de raison, ceux qui s’exercent à la vertu conservent la lumière de la foi et enfantent des vertus vivantes qui profitent au prochain. De même qu’une femme qui donne le jour à un enfant le présente avec joie à son époux, ils m’offrent leurs vertus vivantes, à moi qui suis l’époux de leur âme. Mais au contraire, les malheureux qui, à l’âge de raison, ne profitent pas de la lumière de la foi, n’enfantent pas les vertus de la vie de la grâce, et ne produisent que des oeuvres mortes. Elles sont mortes, parce qu’elles sont faites dans la mort du péché, et sans la lumière de la foi. Ils ont. la forme du baptême, mais ils n’en ont plus la lumière, parce qu’ils en sont privés par les ténèbres de la faute que fait commettre l’amour-propre, qui couvre entièrement leur vue.

3.- On dit que ceux-là ont la foi sans les oeuvres et que leur foi est morte. De même qu’un mort ne voit pas, de même l’oeil de l’intelligence dont la pupille est obscurcie ne voit pas. L’âme ne se connaît pas et ne connaît pas les péchés qu’elle a commis ; elle ne connaît. pas ma bonté envers elle en lui donnant l’être et les grâces que j’y ai ajoutées. M’ignorant et s’ignorant elle-même, elle ne hait pas sa propre sensualité, mais elle l’aime et cherche à satisfaire ses désirs. Elle enfante ainsi les oeuvres mortes du péché. Elle ne m’aime pas, et ne m’aimant pas, elle n’aime pas ce que j’aime, c’est-à-dire le prochain, et elle ne se plaît point à faire ce qui peut m’être agréable.

4.- Ce sont les vraies et solides vertus qu’il m’est agréable de voir en vous, et ce n’est pas à cause de moi. De quelle utilité pouvez-vous être polir moi? Je suis Celui qui agit, et rien ne se fait sans moi, excepté le péché, qui n’est que néant, puisqu’il prive l’âme de moi, qui suis le bien suprême, en la privant de la grâce. Les vertus me plaisent à cause de vous, parce que je puis les récompenser en moi, qui suis la vie éternelle.

5.- Tu vois que leur foi est morte, puisqu’elle est sans les oeuvres : les oeuvres qu’ils font ne servent point pour (73) la vie éternelle, puisqu’ils n’ont pas la vie de la grâce. Cependant on ne doit jamais cesser de faire le bien, qu’on soit en état de grâce ou qu’on n’y soit pas, parce que le bien est toujours récompensé comme la faute est toujours punie. Le bien qui se fait en état de grâce sert à la vie éternelle ; le bien qui se fait en état de péché mortel ne sert pas à la vie éternelle, mais il est récompensé de différentes manières, comme je te l’ai expliqué.

6.- Je le récompense quelquefois en accordant le temps nécessaire pour se reconnaître ; quelquefois en mettant au coeur, de mes serviteurs de ferventes prières qui retirent les coupables du mal et les sauvent de leur misère. D’autres fois je ne leur accorde ni temps ni prières, mais je les récompense par l’abondance des choses temporelles. Ils sont comme les animaux qu’on engraisse pour les mener à la boucherie, et cela arrive à ceux qui résistent de toute manière à ma bonté, et qui font cependant quelque bien en dehors de la grâce et dans le péché. Ils n’ont pas voulu profiter du temps qui leur était accordé, des prières qu’on faisait pour eux, et de tous les moyens que j’employais pour les attirer. Je les repousse à cause de leurs vices, mais ma bonté veut récompenser ce. qu’ils peuvent avoir fait d’utile ; je leur accorde des biens temporels qui les engraissent, et, s’ils ne se convertissent pas, ils vont ainsi au supplice de l’enfer.

7.- Tu vois quelle est leur erreur ; mais, s’ils y tombent, n’est-ce pas leur faute? Ils se sont privés de la lumière de la foi, et ils marchent à tâtons comme des aveugles, s’attachant à tout, ce qu’ils touchent. Parce que leur vue est obscurcie, ils ne placent leur affection que dans des choses transitoires ; ils se trompent comme ces fous que séduit l’or, sans prendre garde au poison qu’il cache. Toutes les choses du monde, ses joies, ses plaisirs, si on les possède, si on les goûte sans moi, avec un amour déréglé, sont comme ces scorpions que je te montrais dans les . commencements,, après la figure de l’arbre : ils portaient de l’or devant eux et du poison par derrière ; il n’y avait pas de poison sans or ni d’or sans poison ; mais c’était l’or qu’on voyait le premier, et personne n’évitait le poison, à moins d’être éclairé par la lumière de la foi. (74)

 

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XLVII.- On ne peut observer les commandements, si on n’observe pas aussi les conseils.

 

1.- Je t’ai dit que ceux qui sont éclairés par la lumière de la foi, retranchaient le poison des sens avec le glaive à deux tranchants de la haine du vice et de l’amour de la vertu ; ceux qu’éclaire seulement la lumière de la raison acquièrent et possèdent l’or des choses terrestres qu’ils veulent conserver ; mais ceux qui veulent atteindre la perfection méprisent ces biens réellement et spirituellement, ils observent les conseils de ma Vérité.

2.- Les autres possèdent et observent les commandements et ne suivent les conseils que spirituellement ; mais comme les conseils sont liés aux commandements, personne ne peut observer les commandements sans observer les conseils, non pas réellement, mais spirituellement. En possédant les richesses du monde, on doit les posséder avec humilité, et non pas avec orgueil ; on doit les posséder comme une chose prêtée, car ma bonté ne vous les donne que pour votre usage. Vous ne les avez qu’autant que je vous les donne ; vous ne les conservez qu’autant que je vous les laisse, et je ne vous les laisse qu’autant que je vois qu’elles servent à votre salut. C’est ainsi que vous devez en user.

3.- Si l’homme en use de la sorte, il observe les commandements, puisqu’il m’aime par-dessus toutes choses et qu’il aime le prochain comme lui-même. Il vit avec un coeur libre, il ne s’attache pas aux richesses par le désir, il ne les aime pas et ne les tient que de ma volonté ; et, s’il les possède matériellement, il n’en observe pas moins le conseil dans son coeur, parce qu’il s’est purifié du poison de l’amour déréglé.

4.- Ceux qui agissent ainsi sont dans la charité commune, mais ceux qui observent les commandements et les conseils spirituellement et réellement sont dans la charité parfaite ; ils observent dans toute sa simplicité le conseil que ma Vérité, le Verbe incarné, donnait, à ce jeune homme qui lui demandait : Maître, que puis-je faire pour avoir la vie éternelle? Mon Fils lui dit : Observez (75) les commandements de la loi. Le jeune homme répondit : Je les observe ; et mon Fils lui dit : C’est bien. Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (S. Matthieu, XIX, 16-21). Alors ce jeune homme devint triste, parce que les richesses qu’il avait, il les possédait encore avec trop d’amour : c’est ce qui causait sa peine. Mais les parfaits suivent le conseil ; ils abandonnent le monde et ses délices ; ils affligent leur corps par la pénitence, par les veilles, par d’humbles et continuelles prières.

5.- Ceux qui restent dans la charité commune ne perdent pas la vie éternelle en ne se séparant pas matériellement des richesses, parce qu’ils n’y sont pas obligés ; mais, s’ils veulent garder les choses du monde, ils doivent le faire comme je te l’ai enseigné. En les possédant ils ne pèchent pas ; car toutes ces choses sont bonnes, excellentes, parfaites et créées par moi, qui suis la bonté souveraine, elles sont faites pour servir à mes créatures raisonnables, mais non pas pour que mes créatures deviennent les esclaves des délices du monde. Ceux qui veulent les garder renoncent à la perfection ; ils doivent s’en servir, non pas comme des maîtres, mais comme des serviteurs. Tous leurs désirs doivent être pour moi ; il faut aimer et posséder le reste comme des choses qui leur sont prêtées et qui ne leur appartiennent pas.

6.- Je ne tiens aucun compte des personnes et des positions, je ne m’arrête qu’aux saints désirs. Dans tout état que l’homme choisit, qu’il ait une volonté bonne et sainte, et il me sera agréable. Qui pourra réussir? Ceux qui détruiront le venin de l’amour-propre par la haine des sens et l’amour de la vertu. Dès que la volonté est purifiée de ce venin et réglée par l’amour et la sainte crainte de Dieu, l’homme peut choisir l’état qui lui plaît et y gagner la vie éternelle.

7.- Quoique la plus grande perfection, celle qui m’est le plus agréable, soit de se détacher spirituellement et matériellement de toutes les choses du monde, celui qui ne se sent pas capable d’atteindre cette perfection à cause de sa fragilité, peut rester dans la charité commune selon son état. Ma bonté l’a décidé, afin que personne ne puisse excuser son péché dans aucune condition. Y (76) a-t-il en effet une excuse possible, puisque j’accorde aux passions et à la faiblesse de l’homme de pouvoir rester dans le monde, posséder la richesse, tenir un rang, vivre dans le mariage et travailler à établir ses enfants? L’homme peut choisir l’état qu’il veut, pourvu qu’il se purifie du venin de la sensualité, qui donne la mort éternelle.

8.- La sensualité tue l’âme comme un poison qui tourmente le corps et le fait enfin mourir, si on ne le rejette pas et si on ne prend aucune médecine. Le monde est un scorpion qui empoisonne par ses jouissances. Ce ne sont pas les choses temporelles qui tuent par elles-mêmes, car elles sont bonnes et faites par moi, qui suis la bonté suprême ; on peut en user avec amour et crainte : le poison vient de la volonté perverse de l’homme. Il empoisonne l’âme et lui donne la mort, si elle ne le rejette par une sainte confession qui délivre le coeur. La confession est une médecine qui guérit de ce poison, mais ce remède paraît amer à la sensualité.

9.- Tu vois donc combien sont dans l’erreur ceux qui pourraient me posséder, fuir la tristesse et goûter la joie, la consolation. Ceux-là veulent le mal qui a l’apparence du bien, et ils s’attachent à l’or avec un amour déréglés Parce qu’ils sont aveuglés par de nombreuses infidélités, ils, ne reconnaissent pas le poison ; ils voient qu’ils sont empoisonnés, et ne prennent pas de remède ; ils portent la croix du démon et ils ont un avant-goût de l’enfer.

 

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XLVIII.- Les serviteurs du monde ne sont pas rassasiés de leurs biens. - Du supplice que leur cause leur volonté perverse.

 

 

1.- Je t’ai dit que de la volonté venaient les peines de l’homme. Comme mes serviteurs se sont dépouillés de leur volonté et revêtus de la mienne, ils n’éprouvent aucune affliction ; ils sont toujours satisfaits, parce qu’ils sentent que je suis dans leur âme par la grâce. Ceux qui ne m’ont pas ne peuvent être satisfaits, lors même qu’ils possèderaient le monde tout entier car les choses (77) créées sont moindres que l’homme, puisqu’elles sont faites pour l’homme, et non l’homme pour elles. L’homme ne peut s’en contenter ; moi seul je puis le satisfaire ; et pourtant ces malheureux sont si aveugles qu’ils se fatiguent inutilement à poursuivre ce qu’ils ne peuvent avoir, parce qu’ils ne s’adressent point à moi qui pourrais tout leur donner.

2.- Veux-tu connaître leur tourment? Tu sais que l’amour souffre quand il perd la chose à laquelle il s’est identifié. Ceux qui s’identifient à la terre par l’amour deviennent semblables à la terre : les autres s’identifient à leurs richesses, à leurs honneurs, à leurs enfants ; les autres me perdent pour se donner aux créatures, d’autres font de leur corps un animal immonde ; tous ainsi désirent la terre et s’en repaissent. Ils voudraient que ces choses fussent durables, mais elles ne le sont pas ; elles passent comme le vent. La mort leur enlève ce qu’ils aiment, ou ma volonté les en prive.

3.- Cette privation est pour eux une peine intolérable ; leur douleur est aussi grande que leur amour avait été déréglé. S’ils avaient possédé ces choses comme des choses prêtées et qui ne leur appartenaient pas, ils les ,auraient quittées sans regret. Ils les regrettent, parce qu’ils n’ont plus ce qu’ils désirent ; car le monde, je te l’ai dit, ne peut les rassasier, et ils souffrent de ne pas l’être.

4.- Quel supplice cause les remords de la conscience! quelle torture éprouve celui qui a soif de vengeance I Il se dévore lui-même et tue son âme avant de tuer soIt ennemi, il se suicide avec le poignard de la haine. Que ne souffre pas l’avare qui par avarice se réduit à l’extrémité? et l’envieux dont le coeur se ronge à la vue du bonheur d’autrui? Toutes les choses qu’on aime d’un amour déréglé engendrent des peines et des frayeurs sans nombre. Ces infortunés portent la croix du démon et ont un avant-goût de l’enfer ; cette vie est pour eux pleine d’infirmités et de malheurs, et, s’ils ne se convertissent, ils n’ont à attendre que la mort éternelle.

5.- Ce sont ceux-là qui sont blessés par les épines de la tribulation, et qui se tourmentent eux-mêmes par leur volonté déréglée. Ils souffrent à l’intérieur et à l’extérieur (78) ; leur âme et leur corps endurent des peines sans aucun mérite, parce qu’ils les reçoivent sans patience et avec colère. Ils possèdent l’or des délices du monde avec un amour déréglé ; ils sont privés de la vie de la grâce et de l’ardeur rie la charité. Ils deviennent des arbres de mort, toutes leurs actions sont mortes et ils s’en vont péniblement se noyer dans le fleuve, dont les eaux empoisonnées les engloutissent. Ils passent pleins de haine par la porte du démon, et reçoivent la damnation éternelle. Tu vois donc quelle est leur erreur, avec quelle peine ils arrivent à l’enfer et se font les martyrs du démon ; ce qui les aveugle, c’est le nuage de l’amour-propre qui intercepte la lumière de la foi.

6.- Les tribulations du monde qui entourent de toute part mes serviteurs, ne les atteignent qu’extérieurement. Ils sont persécutés, mais leur âme est tranquille parce qu’ils sont unis à ma volonté et qu’ils sont contents de souffrir pour moi. Les serviteurs du monde au contraire sont frappés au dedans et au dehors ; ils sont surtout tourmentés intérieurement par la crainte de perdre ce qu’ils possèdent, et par l’amour de ce qu’ils ne peuvent avoir. Les autres peines qui sont causées par ces deux peines principales sont innombrables, et ta langue ne pourrait les dire. Ainsi donc, même en cette vie, il vaut mieux être juste que pécheur ; tu connais maintenant la route et la fin des uns et des autres.

 

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XLIX. - La crainte servile ne suffit pas pour acquérir la vie éternelle, mais elle peut conduire à l’amour de la vertu.

 

 

1.- Quelques-uns se sentent éprouvés par les tribulations du monde, que j’envoie pour apprendre à l’âme que sa fin n’est pas en cette vie, que toutes ces choses étant imparfaites et transitoires, elle doit les prendre comme telles, et ne désirer que moi, qui suis sa fin véritable. Ils commencent à écarter le nuage de leurs yeux, à cause des peines qu’ils souffrent, et à cause de celles qui doivent punir leur péché. Cette crainte servile les fait sortir du fleuve et vomir le venin que le scorpion (79) leur avait communiqué par l’appât de l’or qu’ils aimaient sans mesure. Ils aperçoivent ce qui donne la mort, et ils commencent à faire des efforts pour gagner la rive et atteindre le pont ; mais la crainte servile ne suffit pas pour arriver.

2.- Purifier du péché mortel sa demeure, sans la remplir des vertus fondées sur l’amour et non sur la crainte, ce n’est pas mériter la vie éternelle ; il faut placer les deux pieds sur le premier degré du pont, c’est-à-dire y parvenir par l’amour et le désir, qui sont les pieds de l’âme, pour atteindre la Vérité, dont je vous ai fait un pont. Il faut monter le premier degré que je t’ai fait voir, en te présentant comme un pont le corps de mon Fils.

3.- Il est vrai que presque toujours les serviteurs du monde commencent à se convertir par la crainte de la punition : les tribulations leur rendent souvent la vie insupportable et les détachent du monde. Si la lumière de la foi éclaire leur crainte, ils peuvent arriver à l’amour des vertus ; mais il y en a qui marchent avec tant de tiédeur, qu’ils retombent souvent dans leurs fautes. Lorsqu’ils sont sur la rive, ils rencontrent des vents contraires et sont battus par les flots orageux de cette vie ténébreuse.

4.- Le vent de la prospérité surtout les éprouve avant qu’ils aient monté le premier degré par l’amour ,des vertus ; ils retournent en arrière et s’attachent encore d’une manière déréglée aux jouissances du monde. Si c’est, le vent de l’adversité qui souffle, ils reculent par l’impatience, parce qu’ils ne détestent pas leurs fautes comme une offense qui m’est faite, mais par crainte de la punition qu’elle mérite. Sans cette crainte ils ne sel-aient pas convertis ; mais toute vertu veut la persévérance, et dès qu’ils ne persévèrent pas, ils ne peuvent atteindre le but de leurs désirs, ils abandonnent ce qu’ils avaient commencé ; la persévérance seule obtiendrait la récompense de leurs efforts.

5.- Ainsi les rechutes viennent de causes différentes : les uns succombent dans les combats de la chair contre l’esprit ; les autres sont vaincus par les créatures qu’ils aiment hors de moi, ou par l’impatience que leur cause les injures reçues ; d’autres par les attaques variées et (83) nombreuses du démon, qui les décourage en dépréciant leurs oeuvres. Ce bien que vous entreprenez, leur dit-il, ne sert à rien, à cause de vos fautes et de vos vices ; et il les fait ainsi retourner en arrière et abandonner le peu qu’ils avaient entrepris.

6.- Quelquefois il les abuse en leur donnant une fausse confiance dans ma miséricorde. Pourquoi, leur dit-il, tant vous fatiguer? Jouissez de la vie, et au dernier moment vous vous reconnaîtrez et vous obtiendrez miséricorde. Par ce moyen le démon leur fait perdre cette crainte par laquelle ils avaient commencé. Toutes ces ruses, ces attaques les empochent de persévérer, et cela arrive parce que la racine de l’amour-propre n’est pas arrachée de leur coeur ; c’est ce qui cause leur chute. Ils présument de ma miséricorde ; ils n’ont qu’une injuste et coupable espérance, puisqu’ils comptent sur ma miséricorde pour m’outrager sans cesse.

7.- La miséricorde ne leur est pas donnée pour m’offenser, mais pour les défendre de la malice du démon et les préserver du désespoir. ils font tout le contraire, puisqu’ils m’offensent en s’appuyant sur ma miséricorde elle-même. Il en est ainsi, parce qu’ils n’ont pas complété ce premier changement, qu’ils avaient opéré en se retirant du péché mortel par crainte du châtiment, lorsqu’ils avaient senti l’aiguillon de la tribulation. En s’arrêtant, ils n’arrivent pas à l’amour de la vertu et ils manquent de persévérance. L’âme ne peut rester immobile, il faut qu’elle avance ou qu’elle recule. Quand on avance dans la vertu, on abandonne l’imperfection de la crainte ; quand on n’arrive pas à l’amour, on retourne en arrière.

 

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L.- L’âme déplore l’aveuglement de ceux qui se noient dans le fleuve.

 

1.- Alors cette âme tourmentée de désirs considérait son imperfection et celle des autres ; elle souffrait d’entendre et de voir tant d’aveuglement dans les créatures, parce qu’elle savait combien grande était la bonté de Dieu, qui n’a rien mis dans cette vie qui puisse empêcher le salut et qui ne serve au contraire à exercer et (81) à éprouver la vertu. Et malgré cela, elle voyait que l’amour-propre et les affections déréglées entraînent les hommes dans le fleuve, et causent, quand ils ne s’en corrigent pas, leur damnation éternelle.

2.- Beaucoup de ceux qui avaient bien commencé retournaient en arrière pour les raisons que l’ineffable bonté de Dieu avait daigné lui révéler, et cette vue la plongeait dans une douleur profonde ; elle fixait ses regards en Dieu le Père, et, elle lui disait : O amour inexprimable, combien grande est l’erreur de vos créatures! Qu’il plaise à votre bonté de m’expliquer plus particulièrement les trois degrés figurés sur le corps de votre Fils bien-aimé, comment on doit faire pour sortir entièrement de ces flots et pour suivre la voie de votre vérité, et quels sont ceux qui montent ces degrés.

 

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LI. - Les trois degrés figurés sur le pont signifient les trois puissances de l’âme.

 

 

1.- Alors la divine Bonté, abaissant le regard de sa miséricorde sur le désir qui tourmentait cette âme, lui disait : Ma fille bien-aimée, je ne méprise pas les saints désirs, et je me plais à les satisfaire. Aussi je vais te montrer ce que tu me demandes. Tu me demandes que je t’explique la figure des trois degrés, et comment on peut sortir du fleuve et monter sur le pont. Je t’ai déjà dit l’erreur et l’aveuglement de ces hommes, qui, pendant leur vie, sont les martyrs du démon et acquièrent la damnation éternelle pour prix de leurs iniquités. Et en te disant ces choses, je t’ai indiqué par quels moyens ils doivent éviter ces malheurs. Mais maintenant je m’étendrai davantage, pour satisfaire ton désir.

2.- Tu sais que tout mal est fondé sur l’amour-propre. Cet amour est un nuage qui obscurcit la lumière de la raison, et la raison a en elle la lumière de la foi ; on ne perd pas l’une sans perdre I’autre. J’ai créé l’âme à mon image et ressemblance, en lui donnant la mémoire, l’intelligence et la volonté. L’intelligence est la plus noble partie de l’âme. L’intelligence est excitée par l’affection, et l’affection est nourrie par l’intelligence. C’est la (82) main de l’amour, c’est-à-dire l’affection, qui remplit la mémoire de mon souvenir et du souvenir de mes bienfaits. Ce souvenir tend l’âme active et reconnaissante ; elle la préserve de négligence et d’ingratitude ; chaque puissance aide l’autre : ainsi se nourrit l’âme dans la vie de la grâce.

3.- L’âme ne peut vivre sans amour ; elle veut toujours aimer quelque chose, car elle est faite d’amour, et je l’ai créée par amour. L’affection excite l’intelligence elle lui dit : « Je veux aimer, parce que l’aliment dont je me nourris est l’amour ». Alors l’intelligence, éveillée par l’affection, se lève et lui dit : « Si tu veux aimer, je te donnerai un bien que tu puisses aimer. Aussitôt elle se met à considérer la dignité que l’âme a reçue par la création, et l’indignité où elle est tombée par le péché, Dans la dignité de son être, elle admire mon ineffable bonté et la charité incréée avec laquelle je l’ai créée ; et dans la profondeur de sa misère, elle trouve et contemple ma miséricorde, qui lui a donné le temps du repentir et qui l’a sauvée des ténèbres.

4.- Alors l’affection se nourrit d’amour ; elle se rassasie par ses saints désirs de la haine des sens, et elle savoure dans cette haine l’humilité véritable et la parfaite patience. Une fois que les vertus ont germé, elles se développent parfaitement ou imparfaitement, selon que l’âme s’exerce à la perfection, comme je te le dirai bientôt.

5.- Mais au contraire, si l’affection est inclinée vers les choses sensibles, le regard de l’intelligence se tourne de ce ‘côté, et n’offre plus pour objet que des choses transitoires, qui entretiennent l’amour-propre, le dégoût de la vertu et l’attrait du vice, ce qui fait naître l’orgueil et l’impatience. La mémoire ne se remplit que de ce que lui présente l’affection. Cet amour obscurcit la vue, qui ne distingue et ne voit qu’une fausse lumière. C’est cette lumière que l’intelligence voit en toute chose, et que l’affection aime à cause de son apparence de bien et de plaisir. Sans cette apparence l’homme ne pêcherait pas ; car, par sa nature, il ne peut désirer autre chose que le bien. Le vice est coloré d’une apparence de bien personnel qui fait pécher l’âme. Mais, parce que l’oeil ne distingue plus rien dans son aveuglement, (83) il          méconnaît la vérité ; il s’égare en cherchant le bien et le plaisir où ils ne sont pas.

6.- Je t’ai dit que les plaisirs du monde sans moi sont des épines empoisonnées. Dès que l’intelligence se trompe dans ce qu’elle voit, la volonté se trompe dans son amour, puisqu’elle aime ce qu’elle ne devrait pas aimer. La mémoire s’abuse de ce qu’elle retient. L’intelligence fait comme un voleur qui dépouille les autres. La mémoire retient aussi continuellement des choses qui sont hors de moi, et l’âme est ainsi privée de la grâce.

7.- L’une de ces trois puissances de l’âme est si grande, que je ne puis être offensé par l’une sans que toutes les trois ne m’offensent ; car l’une communique .à l’autre, ainsi que je te l’ai dit, le bien ou le mal, selon le bon plaisir du libre arbitre. Ce libre arbitre est uni à l’affection et l’excite selon qu’il lui plaît, avec ou sans la lumière de la raison. Vous avez votre raison unie à moi tant que le libre arbitre ne la sépare pas par un amour déréglé, et vous avez une loi perverse qui combat sans cesse contre l’esprit. Vous avez donc deux partis, la sensualité et la raison. La sensualité est servante, elle est faite pour obéir à l’âme ; c’est par le corps que s’éprouvent et s’exercent les vertus.

8.- L’âme est libre ; elle est affranchie du péché dans le sang de mon Fils ; elle ne peut être opprimée si elle n’y consent par la volonté. La volonté est unie au libre arbitre, et le libre arbitre ne fait qu’une chose avec la volonté en s’accordant avec elle. Il est placé entre la sensualité et la raison, et il peut se tourner du côté qu’il choisit. Il est vrai que quand l’âme veut, par l’intermédiaire du libre arbitre, réunir ses puissances en mon nom, comme je te l’ai dit, alors toutes ses opérations spirituelles et temporelles sont bien ordonnées. Le libre arbitre se détache de la sensualité et s’unit à la raison. Alors, par ma grâce, je me repose au milieu d’elles.

9.- Mon Verbe incarné a dit : « Quand deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux » (S. Matth., XVIII, 20), et c’est la vérité. Car je te l’ai déjà dit : Personne ne peut venir à moi, si ce n’est par lui. Aussi est-il devenu pour le genre humain un pont à (84) trois degrés, et ces trois degrés figurent également les trois états de l’âme, comme je te l’expliquerai bientôt.

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LII. - Si les trois puissances de l’Âme ne sont pas unies ensemble, il lui est impossible d’avoir la persévérance nécessaire pour arriver à sa fin.

 

1.- Je t’ai expliqué que les trois degrés figuraient en général les trois puissances de l’âme. Ces degrés ne peuvent être montés séparément, si l’on veut passer par la doctrine le pont de ma Vérité. Si l’âme n’accorde pas ces trois puissances, elle ne peut avoir la persévérance dont je t’ai parlé, lorsque tu me demandais comment ces voyageurs devaient sortir du fleuve. Je te disais que, sans la persévérance, personne ne peut atteindre le but. Il y a deux buts qu’atteint la persévérance, le vice ou ta vertu. Si tu veux arriver à la vie, il faut persévérer dans la vertu ; celui qui veut arriver à la mort éternelle persévère dans le vice. La persévérance conduit à moi, qui suis la vie, ou au démon, qui fait boire la mort.

 

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LIII. - Explication de ces paroles de Jésus-Christ : « Qui a soif vienne à moi et boive ».

 

1.- Ma vérité vous a tous généralement et particulièrement appelés, lorsque mon Fils, plein d’un ardent désir, criait dans le temple : « Que celui qui a soif vienne à moi et boive (S. Jean, VII, 37), car je suis la fontaine d’eau vive ». Il ne dit pas, qu’il aille à mon Père et boive ; mais il dit : « qu’il vienne à moi », parce que la peine ne peut être en moi le Père, mais bien en mon Fils unique. Vous qui êtes voyageurs et pèlerins dans cette vie mortelle ; vous ne pouvez être sans peine, parce que le péché fait naître les épines sur la terre.

2.- Pourquoi dit-il : « Venez à moi et buvez »? Parce qu’en suivant sa doctrine, ou par la voie des commandements et l’amour des conseils, ou par la pratique réelle des commandements et des conseils, c’est-à-dire par la charité parfaite ou par la vie commune, quelle que soit la route que vous preniez pour aller à lui en suivant sa doctrine, vous trouverez (85) de quoi vous désaltérer, en trouvant et goûtant le fruit du sang par l’union de la nature divine à la nature humaine. En vous trouvant en lui, vous vous trouvez en moi qui suis l’océan pacifique, parce que je suis une même chose avec lui, et lui une même chose avec moi.

3.- Ainsi vous êtes invités à la fontaine d’eau vive de la grâce, mais c’est par mon Fils qu’il faut y aller avec persévérance, sans vous laisser arrêter par les épines, les vents contraires ; la prospérité, l’adversité et toutes les peines que vous rencontrerez. Vous devez persévérer jusqu’à ce que vous me trouviez, moi qui vous donne l’eau vive ; et je vous la donne par le moyen du doux Verbe, mon Fils unique et bien-aimé.

4.- Mais pourquoi dit-il : «Je suis la fontaine d’eau vive »? Parce qu’il est la fontaine qui me contient, moi qui donne l’eau vive par l’union de la nature divine à la nature humaine. Pourquoi dit-il : « Qu’il vienne à moi et qu’il boive »? Parce que vous ne pouvez éviter la peine, et que la peine ne peut se trouver en moi, mais en lui. C’est pour cela que je vous ai fait de mon Fils un pont, et personne ne peut venir à moi que par lui. Il l’a déclaré : « Personne ne peut aller au Père, si ce n’est par moi » ; et ma Vérité est la vérité même.

5.- Ainsi, tu as vu la voie qu’il faut prendre et suivre avec persévérance. Vous ne pourriez boire autrement de l’eau vive ; car la persévérance est la vertu qui reçoit la gloire et la couronne en moi, qui suis le bien suprême.

 

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LIV. - Quel moyen doit prendre toute créature raisonnable pour pouvoir sortir des flots du monde et passer par le pont divin.

 

 

1.- Je reviens aux trois degrés par lesquels il faut aller pour ne pas périr dans ce fleuve, pour atteindre l’eau vive à laquelle vous êtes appelés, et pour que je sois continuellement en vous ; car pendant votre pèlerinage, je suis en vous, et je me repose par la grâce au milieu de vos âmes. Il faut d’abord avoir soif ; il n’y a d’invités que ceux qui ont soif, puisqu’il est dit : «  Qui a soif vienne à moi et boive ».

2.- Celui qui n’a pas soif ne saurait persévérer ; il se laissera arrêter par la fatigue ou le plaisir. Il ne prendra ni vase (86) pour puiser, ni compagnon pour ne pas aller seul ; il retournera en arrière dès qu’il rencontrera la persécution, parce qu’il l’a en horreur. Il craint parce qu’il est seul, mais s’il était accompagné, rien ne l’effraierait. S’il avait monté les trois degrés, il serait en sûreté, parce qu’il ne serait pas seul.

3.- Il faut donc que vous ayez soif et que vous vous réunissiez ensemble, comme je vous l’ai dit, deux ou trois, ou davantage. Pourquoi deux ou trois? Parce que deux ne sont pas sans trois, trois sans deux, ni trois et deux sans davantage. Celui qui est seul ne peut pas m’avoir en lui, parce qu’il n’a pas de compagnon, et je ne puis me tenir au milieu de lui. Il n’est rien parce qu’il est seul dans son amour-propre, et qu’il est séparé de ma grâce et privé de la charité du prochain. Dès qu’il est exclu de moi par sa faute, il est dans le néant, parce que je suis seul Celui qui suis ; il est isolé dans son amour-propre, et il n’est compté pour rien dans ma Vérité ; il est rejeté de moi.

3.- Il est dit : Quand ils seront deux ou trois, ou davantage, assemblés en mon nom, je serai au milieu d’eux. Je t’ai dit que deux n’étaient pas sans trois ni trois sans deux, et c’est la vérité. Tu sais que les commandements se réduisent à deux, sans lesquels toute la loi ne peut être observée : il faut m’aimer par-dessus toute chose et aimer le prochain comme soi-même ; c’est là le commencement, le milieu et la fin des commandements de la loi.

5.- Ces deux commandements ne peuvent être réunis en mon nom sans la réunion des trois puissances de l’âme, à savoir : la mémoire, l’intelligence et la volonté. La mémoire doit retenir ma bonté et mes bienfaits, l’intelligence doit contempler l’amour ineffable que je vous ai montré par le moyen de mon Fils unique : je l’ai donné pour objet à votre intelligence, pour qu’elle y voie le foyer de ma charité. La volonté alors s’unit à la mémoire et à l’intelligence, en m’aimant et me désirant comme sa fin.

6.- Quand ces trois puissances sont ainsi saintement assemblées, je suis au milieu d’elles par la grâce ; et alors, parce que l’homme se trouve plein de ma charité et de celle du prochain, il se trouve sur-le-champ dans la compagnie de nombreuses et solides vertus. Le désir de l’âme lui donne soif de la vertu, de mon honneur, du salut des âmes ; toute (87) autre soif est éteinte et morte en elle. Elle marche en assurance et sans aucune crainte servile ; elle monte le premier degré de l’affection, parce qu’elle s’est dépouillée de l’amour-propre ; elle s’est élevée au-dessus d’elle-même et au-dessus des choses passagères ; elle les aime et les conserve si elle veut, mais par moi et jamais sans moi, avec une sainte et véritable crainte, avec l’amour de la vertu.

7.-Elle monte le second degré ; elle arrive à la lumière de l’intelligence et contemple l’amour infini, que je vous ai montré dans mon Fils crucifié. Alors elle trouve la paix et le repos, parce que la mémoire s’emplit jusqu’aux bords de ma charité. Tu sais qu’une chose vide résonne quand on la frappe, mais il n’en est pas de même quand elle est pleine. Quand la mémoire est pleine de la lumière de l’intelligence et des sentiments de l’amour, si elle est frappée par les tribulations ou par les plaisirs du monde, l’âme ne fait entendre ni les éclats de la joie, ni les cris de l’impatience, parce qu’elle est pleine de moi, qui suis le bien véritable.

8.- Dès qu’elle a monté ces degrés, elle se trouve en sainte compagnie ; elle possède la raison et les trois puissances de l’âme, qu’elle a réunies en mon nom : elle est avec l’amour de moi et du prochain, avec la mémoire pour retenir, l’intelligence pour voir, la volonté pour aimer. L’âme est avec moi, qui suis sa force et sa sûreté ; elle est entourée de vertus, et elle s’avance paisiblement, parce que je suis au milieu d’elles.

9.- Elle est poussée par un ardent désir, car elle a soif de suivre la voie de la Vérité, où se trouve la fontaine d’eau vive. Cette soif de mon honneur, de son salut et du salut du prochain lui fait désirer la voie, parce que sans cette voie elle ne pourrait y parvenir. Elle avance, et porte le vase de son coeur vide de tout désir et de tout amour déréglé du monde ; et aussitôt que son coeur est vide, il se remplit, parce que rien ne peut rester vide.

10.- Il ne se remplit pas de choses matérielles, mais d’un air pur. Le coeur est un vase qui ne peut rester vide ; dès que l’amour déréglé des choses terrestres, en est ôté, il se remplit des choses célestes, des douceurs de l’amour divin, qui conduit aux eaux de la grâce. Quand l’âme est arrivée, elle passe par la porte de Jésus crucifié, et elle goûte l’eau vive qui se trouve en moi, l’océan de la paix. (88)

 

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LV.- Résumé de plusieurs choses qui ont été déjà dites.

 

 

1.- Je t’ai montré comment toute créature raisonnable peut sortir de la mer du monde et éviter la mort et la damnation éternelle : je t’ai montré trois degrés principaux qui sont les trois puissances de l’âme, et personne n’en peut monter un sans monter les autres. Je t’ai expliqué cette parole de mon Fils : Quand ils seront deux ou trois, ou plusieurs, réunis en mon nom. Cette réunion est celle des trois puissances de l’âme, qui s’accordent avec les deux principaux commandements de la loi : m’aimer par-dessus toutes choses et aimer le prochain comme soi-même. Dès que l’homme a fait cette réunion et monté ces degrés, il a soif de l’eau vive ; il avance ; il passe sur le pont en suivant la doctrine de ma Vérité.

2.- Et alors vous accourez à la voix qui vous crie comme dans le temple : Que celui qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine d’eau vive. Je t’ai expliqué cette parole et comment il fallait l’entendre, afin que tu connaisses mieux l’abondance de ma charité et le honteux aveuglement de ceux qui se plaisent à courir par la route du démon, qui leur offre une eau empoisonnée.

3.- Tu me demandais les moyens de ne pas périr dans le fleuve ; je te les ai montrés, et je t’ai dit qu’il fallait monter sur le pont en unissant les deux commandements de la loi dans la charité du prochain et en m’apportant son coeur et son amour comme un vase ; car je donne à boire à qui m’en demande. Il faut suivre la voie de Jésus crucifié et y persévérer jusqu’à la mort ; voilà ce que doit faire l’homme, quel que soit son état, car l’état n’est jamais une excuse ; on peut et on doit toujours remplir cette obligation de toute créature raisonnable.

4.- Personne ne peut s’en défendre en disant : J’ai une position, des enfants et d’autres embarras du monde, et il m’est impossible de suivre cette route. On ne peut alléguer ces obstacles ; car je te l’ai dit, tout état m’est agréable, pourvu qu’on y apporte une bonne et sainte volonté. Toute chose est bonne et parfaite, puisqu’elle a été faite par moi, qui suis la souveraine bonté. Les créatures ne vous ont pas été (89)

données pour vous causer la mort, mais pour que vous ayez la vie. Ce que je vous demande est bien facile, car quoi de plus facile et de plus doux que l’amour? Je ne réclame qu’une chose, l’amour ; m’aimer et aimer le prochain.

5.- En tout temps, en tout lieu, en tout état, l’homme peut aimer et se servir de tout, pour l’honneur et la gloire de mon nom. Mais, tu le sais, les aveugles ne suivent pas la lumière ; ils se couvrent de leur amour-propre ; ils aiment et possèdent les créatures en dehors de moi ; ils passent cette vie dans des peines insupportables qu’ils se causent ; et, s’ils ne changent de route, ils tombent dans la damnation éternelle. Ainsi je t’ai fait connaître ce que tout homme doit faire.

 

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LVI.- Les trois degrés du pont correspondent à trois états de l’âme.

 

 

1.- Je t’ai dit la route que doivent suivre et que suivent ceux qui sont dans la charité commune, c’est-à-dire ceux qui observent les commandements et qui acceptent les conseils spirituellement ; maintenant je veux te parler de ceux qui ont commencé à monter ces degrés, et qui veulent suivre la voie parfaite et observer complètement les commandements et les conseils dans les trois états que je vais t’expliquer plus particulièrement.

2.- L’âme a trois états auxquels s’appliquent ses trois puissances : le premier est imparfait, le second parfait, le troisième très parfait. Dans le premier, l’homme est pour moi un mercenaire, dans le second un serviteur fidèle, et. dans le troisième un fils qui m’aime sans songer à lui. Ces trois états peuvent se rencontrer en diverses créatures, et quelquefois se trouver dans une même personne. Ils se trouvent en une même personne lorsqu’elle court avec une ardeur parfaite dans la voie, employant son temps de manière qu’elle arrive de l’état servile à l’état généreux, et de l’état généreux à l’état filial.

3.- Elève-toi au-dessus de toi-même ; ouvre l’oeil de ton intelligence et vois comment tous ces voyageurs s’avancent ; les uns marchent imparfaitement, les autres parfaitement dans la voie des commandements, d’autres très parfaitement (90) dans la voie des conseils. Tu verras d’où vient l’imperfection, d’où vient la perfection, et quel est l’aveuglement de l’âme qui n’arrache pas d’elle-même la racine de l’amour-propre. En quelque état que se trouve l’homme, il a besoin de tuer en lui l’amour-propre.

 

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LVII.- L’âme, en regardant dans le divin miroir, voit les créatures marcher de différentes manières.

 

1.- Alors cette âme, embrasée d’un saint désir, contemplait dans le doux miroir de la Divinité les créatures qu’elle voyait prendre différentes routes et différents moyens pour arriver à leur fin. Beaucoup commençaient à monter en étant tourmentés par la crainte servile, c’est-à-dire en redoutant leur propre peine ; beaucoup d’autres triomphaient de cette crainte et parvenaient à la perfection, mais bien peu arrivaient à la grande et véritable perfection.

 

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LVIII.- La crainte servile ne suffit pas sans l’amour de la vertu.- La loi de crainte et la loi d’amour sont unies ensemble.

 

1.- Alors la bonté de Dieu, voulant satisfaire le désir de cette âme, lui disait : Remarque ceux que la crainte servile à détachés de la corruption du péché mortel s’ils n’avancent pas avec l’amour de la vertu, la crainte servile ne leur suffira pas pour obtenir la vie bienheureuse ; mais I’amour uni à la crainte suffit, parce que la loi est fondée sur l’amour et la crainte.

2.- La loi de crainte est la loi ancienne que j’ai donnée à Moïse, et qui était fondée sur la crainte, parce que la peine punissait la faute commise. La loi d’amour est la loi nouvelle donnée par le Verbe, mon Fils unique ; elle est fondée sur l’amour. Mais cette loi nouvelle ne détruit pas l’ancienne : elle l’accomplit au contraire. Ma vérité a dit : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir » (S. Matth., V, 17 ).

3.- Il a uni la loi de crainte à la loi d’amour. L’amour a ôté l’imperfection de la crainte de la peine, mais il a laissé la perfection de la bonne crainte, c’est-à-dire la (91)

crainte de m’offenser, non pas à cause de la punition, mais à cause de moi, qui suis la bonté suprême. Ainsi la loi imparfaite est devenue parfaite par la loi d’amour.

4.- Mon Fils unique est Venu comme un char de feu, et il a répandu les flammes de ma charité dans votre humanité. L’abondance de ma miséricorde a éloigné la peine des fautes qui se commettent. Celui qui m’offense n’est pas puni sur-le-champ dès cette vie, comme le voulait autrefois la loi de Moïse. La punition est maintenant différée, et la crainte servile est inutile. La faute n’est pas pour cela impunie ; elle sera punie quand l’âme sera séparée du corps, si celui qui commet la faute ne la punit pas, dès cette vie, par une contrition parfaite.

5.- La vie est le temps de ma miséricorde, et la mort le temps de la justice. Il faut donc quitter la crainte servile et embrasser mon amour et ma sainte crainte. Sans cela l’homme retombe dans le fleuve, dès qu’il rencontre les flots de la tribulation, et les épines des consolations qui blessent l’âme qui les aime et les possède d’une manière déréglée.

 

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LIX. Comment de la crainte servile, qui est l’état d’imperfection, on parvient à l’état de perfection.

 

 

1.- Je t’ai dit que personne ne pouvait sortir du fleuve et passer le pont sans monter trois degrés. On les monte imparfaitement, parfaitement et très parfaitement. Ceux qui sont conduits par la crainte servile montent et réunissent imparfaitement les puissances de leur âme. L’âme voit la peine qui suit la faute; elle se lève et appelle la mémoire pour chasser la pensée du vice, l’intelligence pour voir la punition de la faute, afin que la volonté puisse la détester. Ce premier acte, ce premier effort doit être fait avec la vue de l’intelligence éclairée par la sainte foi.

2.- Elle doit non seulement regarder la peine, mais la récompense de la vertu et l’amour que je lui porte, afin qu’elle puisse monter par amour, avec une affection dégagée de toute crainte servile. On devient ainsi serviteur fidèle et non mercenaire, en me servant par amour et non par crainte, en s’efforçant d’arracher avec une sainte haine (92) la racine de l’amour-propre, en agissant avec prudence, courage et persévérance. Mais il y en a beaucoup qui montent si lentement et qui me rendent ce qu’ils me doivent avec tant de mollesse et d’ignorance, qu’ils s’arrêtent bientôt et retournent en arrière au moindre vent qu’ils rencontrent. Et parce qu’ils ont monté si imparfaitement le premier degré de Jésus crucifié, ils n’arrivent pas au second, qui est son coeur.

 

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LX. - De l’imperfection de ceux qui aiment et servent Dieu pour leur utilité, leur plaisir et leur consolation.

 

 

1.- Il y en a qui deviennent mes serviteurs fidèles en me servant sans crainte de la punition et par amour. Mais cet amour est imparfait, parce qu’il vient de l’utilité, du plaisir et de la douceur qu’ils trouvent en moi. Sais-tu-ce qui montre que cet amour est imparfait? C’est que, quand ils sont privés de la consolation qu’ils trouvent en moi, leur amour se refroidit et disparaît souvent. ils aiment le prochain avec la même imperfection.

2.- Si je veux éprouver mon serviteur dans son intérêt, pour le retirer de l’imperfection et l’exercer à la vertu, j’éloigne de lui la consolation qu’il goûtait en moi, et je le laisse attaquer par la tribulation: c’est le moyen de lui donner une connaissance plus parfaite de lui-même, et de lui montrer qu’il reçoit de moi seul l’être et la grâce. Ces combats le portent à se réfugier en moi, à reconnaître mes bienfaits et à me chercher seul avec une humilité sincère. C’est pour cela que je lui donne et que je lui retire la consolation, mais jamais la grâce.

3.- Beaucoup alors se refroidissent et reculent par défaut de patience. Ils abandonnent leurs pieux exercices et croient se justifier en disant: ces actes ne me profitent pas; puisque je n’en retire aucune consolation pour mon âme.

4.- C’est agir comme l’imparfait qui n’a pas encore dégagé la lumière de la foi du voile de son amour-propre spirituel ; car si ce voile était levé, l’âme verrait bien que toute chose vient de moi, et qu’une feuille d’arbre ne tombe pas sans ma providence. Tout ce que je donne, ou permets, arrive pour la sanctification de mes serviteurs,

(93) afin qu’ils possèdent le bien et la fin pour laquelle je les ai créés.

5.- Ils doivent voir et reconnaître que je ne veux autre chose que leur bonheur dans le sang de mon Fils unique, qui les purifie de leurs iniquités. Dans ce sang ils peuvent connaître ma vérité et voir que je les ai créés à mon image et à ma ressemblance, que je les ai créés de nouveau à la grâce par le sang de mon propre Fils, pour les rendre nies enfants adoptifs ; mais, parce qu’ils sont imparfaits, ils me servent par intérêt et n’aiment le prochain qu’avec tiédeur.

6.- Les uns perdent courage pour éviter la peine les autres se ralentissent dans le service de leur prochain et se refroidissent dans leur charité, parce qu’ils n’ont plus les avantages et les consolations qu’ils y trouvaient. Il ma est ainsi, parce que leur amour n’est pas pur, et qu’ils aiment leur prochain avec la même imperfection qu’ils m’aiment, c’est-à-dire par intérêt. S’ils ne reconnaissent pas leur imperfection, s’ils ne désirent pas s’en corriger, ils retournent nécessairement en arrière.

7.- Il faut que ceux qui veulent la vie éternelle aiment sans intérêt, parce qu’il ne suffit pas de fuir le péché par crainte du châtiment, ou d’embrasser la vertu par amour de ses avantages, il faut encore fuir le péché parce qu’il me déplaît, et aimer la vertu par amour pour moi.

8.- Il est vrai qu’ordinairement la crainte est le premier pas des pécheurs vers la pénitence. L’âme est imparfaite avant d’être parfaite ; mais de l’imperfection elle doit aller à la perfection, ou pendant la vie en pratiquant la vertu et en m’aimant d’un coeur libre, généreux et détaché, ou à la mort en reconnaissant son imperfection et en se promettant que si elle eu avait le temps, elle me servirait sans penser à elle.

9.- C’était cet amour imparfait que ressentait saint Pierre pour le doux et bon Jésus, mou Fils unique, lorsqu’il jouissait des délices de son intimité. Mais quand vint le temps de la tribulation, il l’abandonna ,et changea tellement, qu’au lieu de mourir pour lui, comme il avait dit, il le renia par peur et déclara qu’il ne l’avait jamais

connu.  (94)

10.- L’âme succombe ainsi lorsqu’ elle monte ces degrés par crainte servile ou par amour mercenaire. Il faut donc sortir de cette imperfection, m’aimer d’un amour filial et me servir sans intérêt ; car je sais récompenser toute peine, et je rends à chacun selon son état et ses efforts.

11.- Ceux qui n’abandonnent pas leurs prières et leurs bonnes oeuvres, mais qui travaillent avec persévérance à augmenter leurs vertus, arriveront à l’amour des enfants. Je les aimerai avec cet amour, car je rends toujours l’amour qu’on me donne. Si quelqu’un m’aime comme le serviteur aime son maître, je le récompense comme un maître paie son serviteur, mais je ne me livre pas à lui, parce que les secrets ne se confient qu’à l’amitié : on ne fait qu’un avec son ami, mais non pas avec son serviteur. Il est vrai que le serviteur peut ‘augmenter tellement sa vertu et l’amour qu’il a pour son maître, qu’il deviendra son plus cher ami.

12.- Il en arrive ainsi à mes serviteurs : tant qu’ils restent dans l’amour mercenaire, je ne me manifeste point à eux. Mais s’ils rougissent de leur imperfection et s’ils aiment la vertu, s’ils arrachent avec une sainte haine la racine de l’amour-propre spirituel qui est en eux, si, montant sur le tribunal de leur conscience, ils font justice de la crainte servile et de l’amour mercenaire que n’a pas encore détruits dans leur coeur la lumière de la foi, alors ils me sont si agréables, que je les’ aime comme des amis, je me manifesterai à eux, puisque nia Vérité a dit : « Celui qui m’aimera sera aimé de mon Père, et je l’aimerai ; je me manifesterai à lui, et nous demeurerons ensemble »( S. Jean, XIV, 21-35 ). C’est la condition des vrais amis d’être deux corps et une seule âme par l’amour, car l’amour transforme dans la chose aimée. S’ils n’ont qu’une âme, comment peuvent-ils avoir des secrets l’un pour l’autre? Aussi mon Fils l’a dit : « Je viendrai, et nous demeurerons ensemble » ; et c’est la vérité.

 

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LXI.- Comment Dieu se manifeste à l’âme qui l’aime.

 

 

1.- Sais-tu comment je me manifeste dans l’âme qui m’aime en vérité et qui suit la doctrine de mon doux (95) et bien-aimé Verbe ? Je manifeste de différentes manières ma vérité dans l’âme, selon son désir, et j’ai trois sortes de manifestations.

2.- Je manifeste premièrement dans l’âme mon amour et ma charité par le moyen du Verbe, mon Fils ; et cet amour, cette charité se voit dans son sang répandu avec tant d’ardeur. La charité se montre de deux manières l’une est générale et commune à tous ceux qui vivent dans la charité ordinaire. Ils la voient et l’éprouvent dans les nombreux bienfaits qu’ils reçoivent de moi l’autre manière est réservée à ceux qui sont devenus mes amis ; ils connaissent la charité plus que les autres, parce qu’ils la connaissent, la goûtent et l’éprouvent sensiblement dans leurs âmes.

3.- La seconde manifestation est pour ceux auxquels je me révèle par le sentiment de l’amour. Je ne regarde pas la créature, mais les saints désirs, et je me montre à l’âme avec la même perfection qu’elle me recherche. Quelquefois je me révèle, dans cette seconde manifestation, en dominant l’esprit de prophétie et cri montrant les choses futures : et cela de beaucoup de manières, selon les besoins de cette âme ou des autres créatures.

4.- D’autres fois, et c’est la troisième manifestation, je forme dans leur esprit la présence de ma Vérité, mon Fils unique, par plusieurs moyens, selon que l’âme le désire et le veut. Tantôt elle une cherche dans la prière en voulant connaître ma puissance, et je la satisfais en lui faisant goûter et sentir ma vertu ; tantôt elle me cherche dans la sagesse de mon Fils, et je la satisfais en l’offrant aux regards de son intelligence ; ,tantôt elle nie cherche dans la clémence de l’Esprit saint, et alors ma bonté lui fait goûter le feu de la divine charité, qui enfante les vraies et solides vertus, fondées sur la charité pure du prochain.

 

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LXII.- Pourquoi Jésus-Christ ne dit pas : «Je manifesterai mon Père », mais : « Je me manifesterai ».

 

1.- Tu vois que mon Fils a dit la vérité dans cette parole : « Celui qui m’aimera sera une même chose avec moi » ; car en suivant sa doctrine avec amour vous êtes unis (96) lui, et étant unis à lui vous êtes unis à moi, parce que nous sommes une même chose, et puisque nous sommes une même chose, je me manifesterai aussi à vous.

2.- Ainsi mon Fils a dit la vérité en disant : « Je me manifesterai à vous », parce qu’en se manifestant il me manifeste, et en me manifestant il se manifeste. Mais pourquoi ne dit-il pas : Je vous manifesterai mon Père ? Pour trois raisons. La première est qu’il veut montrer que je ne suis pas séparé de lui, ni lui de moi ; et quand saint Philippe lui dit : «  Montrez-nous le Père, et cela nous suffira », il répond : « Qui me voit, voit le Père ; et qui voit le Père, me voit » (S, Jean, XIV, 8-9). Il le dit parce qu’il est une même chose avec moi ; et ce qu’il avait, il l’avait de moi, et non pas moi de lui. Aussi dit-il aux Juifs : « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de mon Père, qui m’a envoyé ». Parce que mon Fils procède de moi, et non pas moi de lui. Mais comme je suis une même chose avec lui et lui avec moi, il ne dit pas ; Je manifesterai le Père, mais je me manifesterai ; parce que je suis une même chose avec le Père.

3.La seconde raison, c’est qu’en se manifestant à vous il ne montrait que ce qu’il avait de moi, le Père ; comme s’il eût voulu dire : Le Père s’est manifesté entièrement en moi, puisque je suis une même chose avec lui. Je me manifesterai et je le manifesterai à vous par mon moyen.

4.- La troisième raison est, qu’étant invisible, je ne puis être vu de vous-tant que vous ne serez pas séparés de vos corps. Alors vous verrez ma divinité face à face, et vous verrez aussi le Verbe, mon Fils intellectuellement jusqu’au temps de la résurrection générale, lorsque votre humanité se conformera et se réjouira dans l’humanité du Verbe, comme je te l’ai dit en te parlant de la résurrection ( Le texte dit : nel Trattato della resurrettione. Ces mots semblent indiquer un ouvrage de sainte Catherine de Sienne qui ne nous est pas parvenu.).

5.- Vous ne pouvez me voir maintenant dans mon essence, et alors j’ai voilé la nature divine avec le voile de votre humanité, afin que vous pussiez me voir. Moi, l’invisible, je me suis fait pour ainsi dire visible en vous donnant (97) le verbe, mon Fils, revêtu de votre nature ; Il m’a manifesté à vous. Il ne dit pas : Je manifesterai mon Père, mais : Je me manifesterai à vous ; comme s’il disait : Selon ce que m’a donné mon Père, je me manifesterai à vous. Tu vois que dans cette manifestation, en se manifestant il me manifeste. Tu ne lui a pas entendu dire : Je vous manifesterai le Père, car tant que vous êtes dans un corps mortel, vous ne pouvez me voir ; mais mon Fils est une même chose avec moi.

 

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LXIII.- Comment l’âme monte sur le second degré du pont.

 

 

1.- Tu as pu comprendre l’excellence de celui qui est parvenu à l’amour de l’ami ; il a monté par les pieds de l’affection, et il est arrivé au secret du coeur, c’est-à-dire au second degré, figuré sur le corps de mon Fils. Je t’ai dit que ces trois, degrés correspondaient aux trois puissances de l’âme ; et maintenant je les appliquerai aux trois états de l’âme. Avant de te conduire au troisième degré, je veux te montrer comment on parvient à être ami, et quand on est ami, comment on devient enfant par l’amour filial ; ce que fait celui qui est ami, et à quel signe on reconnaît l’ami.

2.- Premièrement, comment parvient-on à être ami ? L’homme était d’abord imparfait par la crainte servile ; mais avec l’exercice et la persévérance il parvient à l’amour de la jouissance et de l’utilité qu’il trouve en moi. Telle est la voie par laquelle passe celui qui désire arriver à l’amour parfait, c’est-à-dire à l’amour des amis et des enfants.

3.- Je dis que l’amour filial est parfait, parce que, dans l’amour du Fils, l’homme reçoit mon héritage, l’héritage du Père éternel ; et parce que l’amour du Fils comprend toujours l’amour de l’ami, je t’ai dit que l’ami était devenu fils. Quel est le moyen de. parvenir à l’amour filial? Le voici. Toute perfection et toute vertu procède de la charité, et la charité est nourrie par l’humilité ; l’humilité vient de la connaissance et de la haine de soi-même, c’est-à-dire de sa sensualité. Pour y arriver, il faut persévérer et rester dans la cellule de la connaissance de soi-même, où on connaîtra ma miséricorde dans le sang de mon Fils unique, en attirant par (98) son amour ma charité divine, en s’exerçant à détruire toute mauvaise volonté spirituelle et temporelle, et en se cachant humblement dans son intérieur.

4.- C’est ce que fit Pierre avec les autres disciples : il gémit amèrement après avoir eu le malheur de renier mon Fils. Sa douleur était encore imparfaite, et elle fut imparfaite pendant quarante jours et jusqu’après l’Ascension ; car, mon Fils étant retourné vers moi quant à son humanité, Pierre et les autres disciples se cachèrent dans le cénacle pour attendre la venue du Saint-Esprit, que ma Vérité leur avait promis. Ils étaient renfermés par crainte, car l’âme craint toujours jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à l’amour véritable ; mais en persévérant dans leurs veilles et dans leurs humbles prières jusqu’à ce qu’ils eussent reçu l’abondance de l’Esprit Saint, ils perdirent la crainte ; ils suivirent et prêchèrent Jésus crucifié.

5.- Ainsi, après s’être purifiée du péché mortel et s’être reconnue coupable, l’âme qui veut parvenir à la perfection commence à pleurer par crainte du châtiment ; puis elle s’élève à la considération de ma miséricorde, où elle trouve son bien-être et son avantage. Elle est encore imparfaite, et pour la faire arriver à la perfection, après quarante jours, c’est-à-dire après ces deux états, je me retire d’elle de temps en temps, non par grâce, mais par sentiment.

6.- C’est ce que mon Fils annonçait lorsqu’il disait aux disciples : « Je m’en vais, et je reviendrai vers vous ». Tout ce qu’il disait en particulier à ses disciples était dit en général à tous les hommes présents et futurs. Il dit : Je m’en vais, et je reviendrai vers vous ; et il en fut ainsi : car lorsque l’Esprit Saint fut descendu sur les disciples, il revint lui-même. Le Saint-Esprit ne vint pas seul, mais il vint avec ma puissance, avec la sagesse du Fils, qui est un avec moi, et avec la clémence du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils.

7.- Or, je te le dis de même : Pour faire sortir l’âme de son imperfection, je me retire d’elle d’une manière sensible et je la prive de la consolation qu’elle avait d’abord. Lorsqu’elle était dans la souillure du péché mortel, elle s’est éloignée de moi, et je l’ai privée de ma grâce par sa faute ; parce qu’elle m’avait fermé la porte de son désir. Le soleil de la grâce ne brille plus au-dedans, non par la faute du soleil (99), mais par la faute de la créature, qui ne lui ouvre pas par le désir ; mais dès qu’elle reconnaît les ténèbres, elle ouvre la fenêtre et nettoie sa demeure par une sainte confession. Alors, par ma grâce, je retourne dans l’âme, et si je m’en retire quelquefois, elle ne perd pas la grâce, elle n’en perd que le sentiment.

8.- Je le fais pour la rendre humble, pour l’exercer âme chercher véritablement, pour l’éprouver à la lumière de la foi et lui faire acquérir la prudence. Alors, si elle aime d’une manière désintéressée, avec une foi vive et avec la haine d’elle-même, elle se réjouit dans la peine, parce qu’elle se trouve indigne de la paix et du repos de l’esprit. C’est la seconde des trois choses que je t’annonçais en te promettant de t’expliquer comment l’âme arrive à le perfection, et ce qu’elle fait quand elle y est arrivée. Voici ce qu’elle fait. Quand elle sent que je me suis retiré, elle ne retourne pas en arrière, mais elle persévère humblement dans ses exercices, et se renferme avec soin dans la connaissance d’elle-même.

9.- Elle y attend avec une foi vive l’avènement de l’Esprit Saint ; elle m’attend, moi, le feu de la charité. Comment m’attend-elle? Elle m’attend, non dans l’oisiveté, mais dans les veilles et dans la prière continuelle ; non seulement dans les veilles du corps, mais dans les veilles de l’intelligence. L’oeil de son intelligence ne se ferme jamais ; elle veille à la lumière de la foi pour arracher par la haine les pensées inutiles de son coeur ; elle attend l’ardeur de ma charité, car elle sait que je ne veux pas autre chose que la sanctification des âmes : le sang de mon Fils l’a bien prouvé.

10.- Pendant que son intelligence veille ainsi dans ma connaissance et dans la connaissance d’elle-même, l’âme prie toujours par une sainte et ferme volonté : c’est la prière continuelle. Elle prie aussi par la prière actuelle, c’est-à-dire qu’elle fait dans leur temps les prières ordonnées par l’Église. Voici ce que fait l’âme qui a quitté l’imperfection pour arriver à la perfection.

11.- C’est pour qu’elle y arrive que je me retire d’elle, non par la grâce, mais par le sentiment. Je m’en éloigne pour qu’elle voie et connaisse ses défauts, parce que, dès qu’elle se sent privée de la consolation, elle éprouve sa faiblesse ; elle comprend que seule elle ne peut être ferme et persévérante (100), et par là elle découvre la racine de l’amour-propre spirituel. Elle se connaît ainsi, elle s’élève au-dessus d’elle-même, et s’asseyant sur le tribunal de sa conscience, elle ne fait grâce à aucun sentiment blâmable en arrachant la racine de l’amour-propre avec la haine de cet amour et avec l’amour de la vertu.

 

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LXIV.- En aimant Jésus imparfaitement, on aime imparfaitement le prochain.- Signes de cet amour imparfait.

 

 

1.- Je veux que tu saches que toute imperfection et toute perfection qui se manifestent et s’acquièrent en moi, se manifestent et s’acquièrent par le moyen du prochain. C’est ce qu’éprouvent les âmes simples qui aiment les créatures d’un amour spirituel. Si l’on m’aime d’un amour pur et désintéressé, on aime de même le prochain.

2.- Quand on remplit un vase à une fontaine, si on le retire de la fontaine pour boire, le vase est bientôt vide, mais si l’on boit en tenant le vase dans la fontaine, il ne se vide pas, mais il est toujours plein. Il en est de même de l’amour spirituel ou temporel du prochain, il faut y boire en moi, sans le tirer à soi.

3.- Je vous demande que vous m’aimiez comme je vous aime. Vous ne pouvez le faire complètement, puisque je vous ai aimés sans être aimé. L’amour que vous ayez pour moi est une dette que vous acquittez, et non pas une grâce que vous m’accordez. L’amour que j’ai pour vous au contraire est une grâce, et non une dette.

4.- Vous ne pouvez donner me rendre l’amour que je réclame, et cependant je vous en offre le moyen dans votre prochain faites pour lui ce que vous ne pouvez faire pour moi. Mon Fils l’a montré lorsqu’il disait a Paul qui me persécutait « Saul, Saul, pourquoi me persécutes tu ? »(Acte IX, 4). Il le disait parce que Paul me persécutait en persécutant mes fidèles.

5.- Il faut que votre amour soit pur et qu’avec cet amour dont vous m’aimez, vous aimiez les autres. Sais-tu, ma fille, comment on reconnaît que l’amour spirituel dont on aime n’est pas parfait? Il est imparfait si l’âme souffre quand il lui semble que la créature qu’elle aime ne répond pas à son (101) amour ou qu’elle n’en est pas aimée autant qu’elle croit l’aimer. Si elle souffre de la perte de sa présence, de ses consolations, ou de la préférence qu’elle donne à un autre.

6.- C’est à cela et à beaucoup d’autres choses semblables qu’on voit l’imperfection de l’amour que l’âme a pour moi et pour le prochain. Elle boit alors dans le vase hors de la fontaine, quoique l’amour l’ait rempli de moi. Mais parce qu’elle m’aime encore imparfaitement, elle montre qu’elle aime imparfaitement aussi le prochain. Cela vient de la racine de l’amour-propre spirituel, qui n’est pas encore arrachée.

7.- Je permets souvent ces épreuves de l’amour pour que l’âme se connaisse dans son imperfection. Je lui retire ma présence sensible pour qu’elle se renferme dans la connaissance d’elle-même, et qu’elle acquière ainsi la perfection. Je reviens ensuite avec une plus abondante lumière, avec une connaissance plus grande de ma vérité, pourvu qu’elle soit persuadée que c’est par ma grâce seulement qu’elle pourra tuer sa volonté.

8.- Qu’elle ne cesse jamais de travailler à sa vigne, d’en arracher les épines des pensées inutiles, et d’y mettre les pierres des vertus affermies dans le sang de Jésus crucifié, qu’elle a trouvées en allant par le pont de mon Fils bien-aimé. Car je te l’ai dit, si tu te le rappelles bien, sur ce pont de la doctrine de ma Vérité sont les pierres fondées sur la vertu de son sang, et les vertus vous donnent la vie par la vertu du sang. (102)

 

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TRAITÉ DE LA PRIÈRE

 

 

 

LXV.- Du moyen que prend l’âme pour arriver à l’amour pur et généreux.

 

1.- Lorsque l’âme est entrée dans le chemin de la perfection, en passant par la doctrine -de Jésus crucifié, avec l’amour véritable de la vertu et avec la haine du vice, lorsqu’elle est arrivée par une sainte persévérance à la cellule de la connaissance d’elle-même, elle s’y renferme dans les veilles et la prière continuelle, et elle se sépare de la conversation des hommes. Pourquoi se renferme-t-elle? Elle se renferme par la crainte que lui cause la vue de son imperfection, et par le désir qu’elle a d’arriver à l’amour généreux et parfait. Elle voit et comprend qu’on ne peut y arriver par un autre moyen, et elle attend avec une foi vive ma venue par l’augmentation de la grâce en elle. A quoi se reconnaît cette foi vive? A la persévérance dans la vertu et dans la sainte prière, quelque chose qui arrive. A moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, vous ne devez jamais abandonner la prière.

2.- Souvent le démon obsède plus l’âme de ses tentations pendant le temps destiné à la prière que pendant le temps qui n’y est pas consacré : il voudrait vous inspirer l’ennui de la, prière. Quelquefois il dit : Cette prière ne vous sert de rien, parce qu’on ne doit pas être ainsi distrait. Le démon s’efforce par ce moyen de troubler et, de dégoûter l’âme de l’exercice de la prière, parce que la prière est une arme avec laquelle l’âme se défend contre tous ses ennemis, lorsqu’elle la prend avec la main de l’amour et le bras du libre arbitre, et qu’elle combat à la lumière de la sainte foi. (103)

 

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LXVI.- L’âme doit passer de la prière vocale à la prière mentale.

 

 

1.- Tu sais, ma fille bien-aimée, que c’est en persévérant dans une prière humble, continuelle et fidèle, que l’âme acquiert toute vertu. Elle doit persévérer , et ne se laisser jamais arrêter par les illusions du démon ou par sa propre fragilité. Elle doit résister aux pensées, aux mouvements de la chair, et aux propos que l’esprit du mal met sur la langue des hommes pour la détourner de la prière. Oh! que cette prière est douce à l’âme, et qu’elle m’est agréable, lorsqu’elle est faite avec la connaissance de sa bassesse et la connaissance de ma bonté, à la lumière de la sainte foi et avec l’ardeur de ma charité !

2.- Cette charité s’est rendue visible dans la personne de mon Fils unique, qui vous la montra en répandant son sang. Ce sang enivre l’âme et l’embrase du feu de la charité divine ; cette nourriture sacramentelle qui vous est offerte par la sainte Église est le corps et le sang de mon Fils, tout Dieu et tout homme. Mon Vicaire, qui tient la clef de ce précieux sang, est chargé de vous le distribuer. On le trouve dans cette hôtellerie établie sur le pont pour nourrir et assister les pèlerins qui passent par la doctrine de ma vérité, afin qu’ils ne périssent pas de faiblesse.

3.- Cette nourriture soutient peu ou beaucoup, selon le désir et les dispositions de celui qui la prend sacramentellement ou virtuellement : sacramentellement en recevant la sainte Hostie des mains du prêtre, virtuellement par le saint désir de la Communion ou par la pieuse contemplation du sang de Jésus crucifié. L’âme y trouve et goûte le sentiment de l’amour qui l’a fait répandre ; elle s’y enivre, s’y enflamme d’un saint désir, et se remplit uniquement de ma charité et de la charité du prochain. Où acquiert-elle cette charité? Dans la cellule de la connaissance d’elle-même, par la sainte oraison, comme Pierre et les disciples, qui, en se renfermant dans les veilles et la prière, perdirent leur imperfection (104) et acquirent la perfection. Par quel moyen? Par la persévérance unie à la sainte foi.

4.- Mais ne pense pas qu’on reçoive cette ardeur et cette force divine par une prière purement vocale. Beaucoup me prient plutôt des lèvres que du coeur. Ils ne songent qu’à réciter un certain nombre de psaumes et de Pater noster. Dès qu’ils ont rempli leur tâche, ils ne pensent pas à autre chose ; ils mettent toute leur piété dans de simples paroles. Il ne faut pas agir de la sorte ; quand on ne fait pas davantage, on en retire peu de fruit et on m’est peu agréable. Faut-il quitter la prière vocale pour la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appelés ? Non, mais il faut procéder avec ordre et mesure.

5.- Tu sais que l’âme est imparfaite avant d’être parfaite sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans l’oisiveté, lorsqu’elle est encore imparfaite, l’âme doit s’appliquer à la prière vocale ; mais elle ne doit pas faire la prière vocale sans la faire mentale ; pendant que les lèvres prononcent des paroles, elle s’efforcera d’élever et de fixer son esprit dans mon amour, par la considération de ses défauts en général et du sang de mon Fils, où elle trouvera l’abondance de ma charité et la rémission de ses péchés.

6.- Elle doit le faire pour que la connaissance d’elle-même et la vue de ses fautes lui fassent connaître ma bonté envers clic et continuer sa prière avec une humilité véritable. Je ne veux pas qu’elle considère ses fautes en particulier, mais en général, pour qu’elle ne soit pas souillée par le souvenir de ses péchés honteux. Je dis aussi qu’elle ne doit pas considérer ses péchés en généraI et en particulier sans y joindre la considération du sang de mon Fils et les souvenirs de mon inépuisable miséricorde, afin qu’elle ne tombe pas dans la confusion.

7.- Si la connaissance d’elle-même et la vue de son péché n’étaient pas accompagnées de la mémoire du sang et de l’espérance de la miséricorde, elle serait nécessairement troublée, et le démon se servirait de sa confusion et de son regret pour la faire tomber dans la damnation éternelle. Ce trouble la conduirait au désespoir, parce qu’elle ne s’appuierait pas sur le bras de ma miséricorde. (105)

8.- C’est là un des pièges les plus dangereux que le démon tende à mes serviteurs. Pour échapper à sa malice et pour m’être agréable, vous devez toujours dilater votre coeur et votre amour dans mon infinie miséricorde par une humilité sincère, Tu sais que l’orgueil du démon ne peut supporter une âme humble, et qu’il est confon4u par la grandeur de ma bonté et de ma miséricorde, dès que l’âme espère véritablement en moi.

9.- Souviens-toi que le démon voulait te perdre, en te troublant ; il tâchait de te persuader que ta vie était pleine d’égarements et que tu n’avais jamais suivi ma volonté. Tu fis alors ce que tu devais faire, et ce que ma bonté t’avait enseigné, car ma bonté est toujours présente à qui veut la recevoir. Tu t’appuyais avec humilité-sur ma miséricorde, et tu disais : Je confesse à mon Créateur que ma vie s’est passée dans les ténèbres, mais je me cacherai dans les -plaies de Jésus crucifié ; je me baignerai dans son sang. J’effacerai ainsi mes iniquités, et je me réjouirai par mon désir dans mon Créateur.

10.- Le démon prit la fuite, mais il revint avec une autre tentation, et voulut te porter à l’orgueil en te disant : Tu es parfaite et agréable à Dieu ; il est inutile de t’affliger davantage et de pleurer tes fautes. Ma lumière te fit voir alors la route que tu devais prendre ; c’était celle de l’humilité, et tu répondis au démon : Misérable que je suis! Jean-Baptiste n’a jamais fait de péché, il a été sanctifié dans le sein de sa mère, et il a fait pourtant beaucoup pénitence : et moi qui ai commis tant de fautes, ai-je commencé à les reconnaître et à les pleurer? ai-je compris ce qu’est Dieu, et ce que je suis, moi qui l’offense?

11.- Alors le démon, ne pouvant supporter l’humilité de l’espérance en ma bonté, te cria : Sois maudite, car je ne puis -rien faire avec toi si je veux t’abaisser parle désespoir, tu t’élèves par l’espérance de la miséricorde ; si je veux t’élever par l’orgueil, tu t’abaisses par l’humilité jusqu’aux enfers, où tu me poursuis. Je te fuirai maintenant, car tu me frappes toujours avec le bâton de la charité.

12.- L’âme doit donc sans cesse unir à la connaissance de ma bonté la connaissance d’elle-même, et à la connaissance d’elle-même ma connaissance. C’est ainsi que la prière vocale sera utile à l’âme qui la fera, et qu’elle me (106) sera agréable ; de la prière vocale imparfaite elle arrivera par la pratique et la persévérance à la prière mentale parfaite. Mais si elle se contente de réciter un certain nombre de prières, et si pour la prière vocale elle laisse la prière mentale, elle n’y arrivera jamais.

13.- Souvent l’âme, dans son ignorance, s’obstine à réciter de vive voix certaines prières, lorsque je la visite, tantôt en lui donnant une claire connaissance d’elle-même et la contrition de ses fautes, tantôt en lui faisant comprendre la grandeur de ma charité, d’autres fois en lui manifestant de différentes manières, comme il me plaît et comme elle l’avait désiré, la présence dé mon Fils bien-aimé ; mais elle, pour accomplir la tâche qu’elle s’est imposée, néglige ma visite et se fait un cas de conscience de ne pas achever ce qu’elle a commencé.

14.- Elle ne doit pas agir ainsi, car ce serait’ être le jouet du démon.. Dès qu’elle sent au contraire ma visite par les moyens que je viens de dire, elle doit abandonner la prière vocale pour la prière mentale, et ne la reprendre que si elle a le temps. Si elle n’en a pas le temps, elle ne doit pas s’en attrister et se troubler, parce qu’elle a fait ce qu’elle devait faire. Il faut excepter cependant l’office divin, que les ecclésiastiques et les religieux sont obligés de dire : en ne le disant pas ils m’offensent, puisqu’ils y sont tenus jusqu’à la mort. S’ils sentent leur esprit attiré vers la prière mentale à l’heure qu’ils devaient consacrer à la récitation de l’office, ils doivent faire en sorte de le dire , avant ou après, parce qu’ils ne doivent jamais y manquer,

15.- L’âme doit commencer par la prière vocale pour arriver à la prière mentale, et dés qu’elle s’y trouve disposée, elle gardera le silence. La prière vocale, faite comme je l’ai dit, conduit à la prière parfaite ; il ne faut donc pas l’abandonner, mais suivre le mode que je t’ai enseigné : et ainsi, par la pratique et la persévérance, l’âme goûtera la prière véritable et se nourrira du sang de mon Fils bien-aimé.

16.- Je t’ai dit que quelques-uns participaient au corps et au sang du Christ virtuellement, quoique non sacramentellement, parce qu’ils participaient à l’ardeur de la charité, qui se goûte au moyen de la sainte prière, peu (107) ou beaucoup, selon le désir de celui qui prie. Celui qui prie avec peu d’application recueille peu ; celui qui prie avec beaucoup d’application recueille beaucoup. Plus l’âme s’efforce d’affranchir son amour et de s’unir à moi par la lumière de l’intelligence, plus elle me connaît ; plus elle me connaît, plus elle m’aime ; plus elle m’aime, plus. Elle me goûte.

17.- Ainsi, tu vois que la prière parfaite ne consiste pas dans la multitude des paroles, mais dans l’ardeur du désir qui élève l’âme vers moi, par la connaissance de. son néant et la connaissance de ma bonté jointes ensemble : il faut donc unir la prière mentale et la prière vocale comme la vie active et la vie contemplative.

18.- il y a différentes manières de comprendre la prière vocale et la prière mentale. Car je t’ai dit que le désir, c’est-à-dire une volonté bonne et sainte, était une prière continuelle. Cette volonté se manifeste dans un lieu et dans un moment donné, et surajoute à la prière continuelle du désir ; et ainsi la prière vocale, unie à la sainte volonté de l’âme., se fera dans le temps prescrit, ou quelquefois se continuera au delà, si la charité le demande pour le salut du prochain, ou si la position où je l’ai placée l’exige.

19.- Chacun, selon son état, doit coopérer au salut des âmes, comme l’inspire une sainte volonté. Tout ce qui se dit et se fait pour le salut du prochain est une prière méritoire, mais qui n’exempte pas de la prière vocale prescrite à un certain moment et dans un certain lieu. En dehors de cette prière obligatoire, tout ce qui se fait dans la charité de -Dieu et du prochain, tout ce qu’on fait même pour soi avec une intention droite, peut être appelé une prière ; car, comme le dit mon apôtre saint Paul, on ne cesse pas de prier dès qu’on ne cesse pas de bien faire : aussi j’ai dit que la prière se faisait de plusieurs manières, en unissant la prière actuelle à la prière mentale. Cette prière actuelle est inspirée par l’ardeur de la charité, et -cette ardeur de la charité est la prière continuelle.

20.- Je t’ai dit comment on parvenait à la prière mentale, par la pratique, par la persévérance, et en laissant la prière vocale pour la prière mentale lorsque je (108)

visite l’âme ; je t’ai dit ce qu’étaient la prière publique et la prière vocale faite en dehors du temps prescrit, la prière du désir, et comment tout ce qu’on fait pour soi ou pour son prochain avec une intention droite était une prière. Il faut donc que l’âme s’excite avec courage à la prière, qui enfante la vertu ; et l’âme y parviendra si elle se renferme dans la connaissance d’elle-même avec un amour tendre et filial. Si l’âme ne le fait pas, elle restera toujours dans sa tiédeur et son imperfection ; elle n’aimera qu’autant qu’elle trouvera son avantage et son plaisir en moi et dans le prochain.

 

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LXVII.- De l’erreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu pour leur consolation.

 

 

1.- Je veux te parler de l’amour imparfait et de l’erreur de ceux qui m’aiment pour leur propre consolation. Tu sauras que le serviteur qui m’aime imparfaitement, cherche plutôt la consolation qu’il ne me cherche moi-même : cela est évident, puisqu’il se trouble dès qu’il manque de consolations spirituelles ou temporelles.

2.- Les consolations temporelles charment les hommes  du monde, qui font quelque bien tant qu’ils sont dans la prospérité ; mais quand vient la tribulation que je leur donne dans leur intérêt, ils se troublent et abandonnent le peu de bien qu’ils faisaient. Si vous leur demandez : Pourquoi vous troublez-vous? Ils répondront : Parce que je suis dans la peine, et le peu de bien que je faisais dans la prospérité me semble inutile, puisque je ne le fais plus avec le même amour et le même esprit. C’est la tribulation qui en est cause, car il me semble que j’agissais bien mieux, avec plus de paix et de calme autrefois que maintenant.

3.- Celui qui parle ainsi est aveuglé par l’intérêt. Il n’est pas vrai que ce soit la tribulation qui diminue son amour et ses oeuvres. Ce qu’on fait dans la tribulation vaut autant que ce qu’on fait dans la consolation, et même Le mérite en augmenterait si l’on avait la patience. Mais cela vient de ce que ces hommes s’attachent trop à la prospérité. Ils m’aiment peu par vertu, et se reposent l’esprit (109) dans quelques bonnes oeuvres. Dès qu’ils sont privés de ce qui, les charme, il leur semble qu’ils n’ont plus la paix nécessaire pour bien faire ; il leur arrive comme à un homme qui est dans un beau jardin : parce qu’il s’y plaît, il aime y travailler ; il croit aimer son travail, mais c’est le beauté du jardin qu’il aime. Il est- facile de voir qu’il aime plus le jardin que le travail ; car, dès qu’il a quitté le jardin, il ne ressent plus de plaisir. Si son plaisir venait du travail, il ne l’aurait pas ainsi perdu ; il l’aurait toujours, parce que la faculté de bien faire ne peut se perdre sans la volonté de l’homme, même lorsqu’on ne jouit plus de la prospérité, comme l’homme ne jouit plus du jardin.

4.- La passion égare ceux qui agissent ainsi et qui disent : Je sais que je faisais mieux et que j’avais plus de consolations avant d’être éprouvé. J’aimais à faire le bien, mais maintenant je n’y ai aucun goût. Ils se font illusion ; s’ils eussent aimé le bien par amour du bien, ils n’auraient pas cessé de l’aimer et, loin d’en perdre le goût, ils l’auraient davantage ; mais ils faisaient le bien pour le plaisir qu’ils y trouvaient ; leur amour du bien cesse avec ce plaisir, et c’est là une erreur où tombent la plupart de ceux, qui font des bonnes oeuvres ; ils s’abusent sur le plaisir qu’elles leur causent.

 

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LXVIII.- Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet amour imparfait.

 

 

1.- Mes serviteurs qui sont encore dans l’amour imparfait me cherchent et m’aiment à cause de la  consolation et du bonheur qu’ils trouvent en moi. Et comme je récompense tout le bien qui se fait, petit ou grand, scion la mesure de l’amour qui agit, je donne des consolations spirituelles, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, dans le temps de la prière, Je ne le fais pas pour que l’âme reçoive mal la consolation, c’est-à-dire quelle s’arrête plus à la consolation que je lui donne qu’à moi-même, mais bien pour qu’elle regarde plus l’ardeur de ma charité à donner et son indignité à recevoir, que le  plaisir qu’elle trouve dans ces consolations. Mais si dans son ignorance (110), elle s’arrête à la seule jouissance, sans faire attention à mon amour envers elle, alors elle tombe dans un malheur et un égarement que je vais te faire connaître.

2.- Elle est trompée d’abord par cette consolation qu’elle cherche et dans laquelle elle se complaît. Car quelquefois je la console et je la visite plus qu’à l’ordinaire ; et quand je me retire, elle revient sur ses pas pour retrouver les jouissances dans la route qu’elle avait suivie. Je ne donne pas toujours de la même manière, afin qu’elle sache que je distribue ma grâce comme il plaît à ma bonté et comme le demandent ses besoins. Mais l’âme ignorante recherche la consolation dans les mêmes choses, comme si elle voulait imposer une règle à l’Esprit Saint.

3.- Elle ne doit pas agir ainsi, mais elle doit passer avec courage par ce pont de la doctrine de Jésus crucifié, et recevoir en la manière, au lieu et au moment choisis par ma bonté pour lui donner. Si je ne lui donne pas, je le fais par amour et non par haine, pour qu’elle me cherche en vérité et qu’elle ne m’aime pas seulement pour son plaisir, mais qu’elle s’attache plutôt à ma charité qu’à la consolation. Si elle ne le fait pas, et si elle cherche, la jouissance selon sa volonté et non selon la mienne, elle trouvera la peine et la honte, parce qu’elle se verra privée de ce plaisir où elle avait fixé le regard de son intelligence.

4.- Tels sont ceux qui s’arrêtent aux consolations : ils ont goûté ma visite d’une certaine manière, et ils veulent toujours y revenir. Leur ignorance est telle, que, si je les visite d’une autre façon, ils résistent et ne veulent me recevoir que comme ils le désirent. Cette erreur vient de leur attachement à la jouissance spirituelle qu’ils ont trouvée en moi.

5.- L’âme se trompe, parce qu’il est impossible qu’elle soit visitée toujours de la même manière. Elle ne peut rester stationnaire, elle avance ou elle recule dans la vertu, et alors elle ne peut recevoir de ma bonté les mêmes grâces ; je les varie au contraire, je lui donne tantôt la grâce spirituelle, tantôt une contrition et un regret qui semblent la bouleverser. Quelquefois je serai dans l’âme, et elle ne me sentira pas ; quelquefois je manifesterai ma volonté, c’est-à-dire (111) mon Verbe incarné, de différentes manières aux yeux de son intelligence, et cependant il semblera que l’âme ne goûte pas l’ardeur et la joie que cette vision devrait lui donner. D’autres fois, au contraire, elle ne verra rien, et goûtera un grand bonheur.

6.- Je fais tout cela par amour, pour la sauver, pour la faire croître dans l’humilité et la persévérance, pour lui apprendre à ne pas vouloir me donner de règle, et à ne pas mettre sa fin dans la consolation, mais seulement dans la vertu, dont je suis le fondement. Qu’elle reçoive humblement les différents états où elle se trouve, qu’elle reconnaisse avec amour l’amour avec lequel je donne. Qu’elle croie fermement que j’agis toujours uniquement pour la sauver ou la faire parvenir à une plus grande perfection. Elle doit être toujours humble et placer son principe et sa fin dans la fidélité à ma charité, et recevoir dans cette charité le plaisir et la privation, selon ma volonté et non selon la sienne. Le moyen d’éviter les pièges de l’ennemi est de recevoir tout de moi par amour, parce que je suis la fin suprême de l’homme et que, toute chose doit être basée sur ma douce volonté.

 

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LXIX.- De ceux qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation, négligent d’assister le prochain.

 

 

1.- Je t’ai parlé de l’erreur de ceux qui veulent me goûter et me recevoir à leur manière ; maintenant je veux te faire connaître combien se trompent ceux qui s’attachent tellement à la consolation, que, voyant les besoins spirituels ou temporels du prochain, ils ne font rien pour les soulager, sous prétexte de mieux faire ; ils disent : Cela m’ôte la paix de l’âme et m’empêche de réciter mes prières ordinaires.

2.- Ils croient m’offenser parce qu’ils n’ont plus de consolations, mais leur amour-propre spirituel les abuse ; car ils m’offensent bien plus en ne secourant pas leur prochain qu’en abandonnant toutes leurs consolations. Si j’ordonne des prières vocales et mentales, c’est pour que l’âme puisse arriver à la charité envers moi et envers le prochain, c’est pour qu’elle persévère dans cette charité. (112)

3.- Elle m’offense plus en abandonnant la charité du prochain pour prier et pour conserver la paix, qu’en laissant ses exercices pour assister le prochain. Aussi l’âme me trouve dans la charité du prochain, tandis qu’elle me perd dans les consolations où elle me cherche. Car en n’assistant pas le prochain, la charité du prochain diminue par là même. Dès que la charité du prochain diminue, mon amour pour elle diminue, et avec mon amour diminue aussi la consolation.

4.- En voulant cagner on perd, en voulant perdre on gagne ; car celui qui renonce à la consolation pour le salut du prochain me gagne, et gagne le prochain en l’assistant et en le servant avec charité. Il goûte ainsi toujours la douceur de ma charité. Celui qui ne le fait pas, au contraire, est toujours dans la peine ; car souvent l’obéissance, les liens particuliers, les infirmités spirituelles ou temporelles des autres le contraindront à s’occuper du prochain : et alors il le fera avec chagrin, avec ennui et trouble de conscience ; il deviendra insupportable à lui-même et aux autres.

5.- Si vous lui demandez : Pourquoi ressentez-vous de la peine? Il vous répondra : Il me semble que j’ai perdu la paix et la tranquillité d’esprit ; je n’ai pas fait mes exercices ordinaires, et je crois que j’ai offensé Dieu. Il n’en est rien ; mais parce qu’il ne regarde que sa propre consolation, il ne sait connaître et discerner véritablement où est son offense. S’il le savait, il verrait que l’offense ne consiste pas à être privé de consolation spirituelle et à laisser l’exercice de la prière lorsque les besoins du prochain le réclament, mais à manquer de charité pour le prochain, qu’on doit aimer et servir par amour pour moi. Tu vois donc que l’âme se trompe elle-même

à cause de son, amour-propre spirituel.

 

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LXX.- De l’erreur de ceux qui mettent toute leur affection dans les consolations et les visions.

 

 

1.- L’amour-propre spirituel cause un mal plus grand à l’âme lorsqu’elle aime et recherche uniquement les consolations et les visions que j’accorde souvent à mes serviteurs (113). Dès qu’elle s’en voit privée, elle tombe dans le chagrin et l’ennui, parce qu’il lui semble qu’elle est privée de la grâce lorsqu’elle ne sent plus ma présence ; car, comme je te l’ai dit, je parais et je disparais dans l’âme, afin de la rendre parfaite. Elle tombe dans l’abattement et croit être réprouvée dès qu’elle perd la consolation et qu’elle sent les attaques de la tentation.

2.- Elle ne devrait pas se laisser ainsi abuser par l’amour-propre spirituel, qui lui cache la vérité. Qu’elle sache que moi, le souverain Bien, je suis en elle pour soutenir sa volonté pendant le combat, et pour l’empêcher de reculer en recherchant la consolation. Elle doit s’humilier et se reconnaître indigne de la paix et du repos de l’esprit. Je me retire d’elle pour qu’elle s’humilie et qu’elle reconnaisse ma charité dans la volonté droite que je lui conserve pendant le combat.

3.- II faut qu’elle ne reçoive pas seulement le lait de la douceur que je lui présente, mais il faut- qu’elle s’attache au sein de ma Vérité, et qu’elle reçoive le lait avec la chair, c’est-à-dire qu’elle se nourrisse du lait de ma douceur par le moyen de la chair de Jésus crucifié, dont j’ai fait un pont pour que vous arriviez à moi. C’est pour cela que je me retire. Si l’âme avance avec prudence et sagesse, je reviens bientôt à elle avec plus de douceur, de force et de charité ; mais si elle reçoit avec trouble et tristesse la privation des douceurs spirituelles, elle y gagne peu et reste dans sa tiédeur.

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LXXI.- Ceux qui s’attachent aux consolations spirituelles peuvent être trompés par le démon qui se transforme en ange de lumière.- Des signes auxquels on peut reconnaître qu’une vision vient de Dieu ou du démon.

 

 

1.- Ceux qui s’attachent aux consolations spirituelles sont souvent exposés à d’autres pièges du démon, qui se transforme en ange de lumière. Le démon tente toujours l’âme sur ce qu’elle désire davantage, et, s’il la voit passionnée pour les consolations et les visions spirituelles, si elle y met tout son bonheur, au lieu de le mettre dans la vertu en se reconnaissant indigne des douceurs de mon (114) amour, alors il revêt pour elle des formes de lumière :, tantôt il prend l’apparence d’un ange, tantôt celle de mon Fils, tantôt celle de quelque saint. Il agit ainsi pour prendre l’âme à l’amorce du plaisir qu’elle trouve dans les visions et les douceurs spirituelles. Si l’âme ne se retire pas avec une humilité profonde en repoussant la jouissance qui lui est offerte, elle tombe par ce piège dans les mains du démon. Mais si elle se sépare de la jouissance par l’humilité, si elle s’attache par l’amour à moi qui donne, plutôt qu’à mes présents, alors le démon est vaincu, parce que son orgueil ne peut supporter l’humilité de l’âme.

2.- Si tu me demandes comment on peut reconnaître. ce qui vient du démon et ce qui vient de moi, je te répondrai que c’est à ce signe. : Si c’est le démon qui se présente, à l’âme sous forme de lumière, elle en reçoit une vive joie ; mais plus la vision se prolonge, plus la joie diminue, et il ne reste bientôt que trouble, tristesse et ténèbres qui obscurcissent tout l’intérieur. Mais si c’est moi, l’éternelle Vérité, qui visite l’âme, elle éprouve au premier moment une sainte frayeur, et avec cette frayeur, la joie, l’assurance, une douce prudence qui fait qu’en doutant elle ne doute pas.

3.- La connaissance d’elle-même la persuade de son indignité. Elle dit : Je ne suis pas digne de recevoir votre visite, et, puisque je n’en suis pas digne, comment cela peut-il être? Alors elle se confie à la grandeur de ma charité ; elle comprend que je puis lui donner ce qu’il me plaît, en ne regardant pas son indignité, mais ma dignité, qui me rend, capable de me recevoir en elle-même par grâce et d’une manière sensible. Je ne méprise pas son désir qui m’appelle, et elle me reçoit humblement en disant : Voici, votre servante, qu’il me soit fait selon votre volonté. Alors elle quitte l’oraison et les douceurs de ma présence avec joie, avec humilité, parce qu’elle se trouve indigne de tout ce qu’elle reçoit de ma charité.

 4.- Tel est le signe qui montre si l’âme est visitée par moi ou par le démon. Ma visite commence par la crainte, elle continue et finit dans la joie et l’espoir de la vertu ; celle du démon commence par la joie, mais elle se termine dans la confusion et les ténèbres de l’esprit. Je vous ai donné ce signe pour que l’âme qui veut marcher avec humilité et prudence ne puisse être trompée ; elle le sera (115), quand elle voudra avancer seulement avec l’amour imparfait de sa propre consolation, et non pas avec mon amour.

 

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LXXII.- L’âme qui se connaît évite les tromperies du démon.

 

1.- Je n’ai pas voulu te cacher, ma fille bien-aimée, l’erreur où tombent ordinairement les hommes qui se complaisent dans le peu de bien qu’ils font au temps de la consolation, et celle de mes serviteurs qui s’attachent tellement aux douceurs spirituelles, qu’ils ne peuvent plus connaître la vérité de mon amour et discerner où se trouve le péché. Je t’ai dit le piège où le démon les prend par leur faute s’ils ne suivent pas le moyen que je t’ai enseigné. Ainsi toi et mes autres serviteurs, vous devez suivre la vertu par amour pour moi, et non par un autre, motif.

2.- Ces erreurs et ces dangers sont pour ceux dont l’amour est imparfait, c’est-à-dire pour ceux qui aiment plus mes bienfaits que moi-même. Mais l’âme qui est entrée dans la connaissance d’elle-même en s’exerçant à l’oraison parfaite, en rejetant l’imperfection de l’amour et de la prière, comme je te l’ai expliqué, cette âme me reçoit par l’amour ; elle s’efforce d’attirer à elle le lait de ma douceur sur le sein de la doctrine de Jésus crucifié.

3.- Elle est arrivée au troisième état, c’est-à-dire à l’amour tendre et filial ; elle n’a pas un amour mercenaire, mais elle agit avec moi comme un ami agit avec son ami qui lui fait un présent : il ne regarde pas au présent, mais au coeur de celui qui donne, et il n’aime le présent que par amour pour son ami. Ainsi fait l’âme qui est parvenue à l’amour parfait. Quand elle reçoit mes bienfaits et mes grâces, elle ne s’arrête pas au présent, mais son intelligence contemple la grandeur de ma charité qui donne.

4.- Pour que l’âme ne puisse s’excuser de ne pas faire ainsi, j’ai voulu unir le bienfait au bienfaiteur, en unissant la nature humaine à la nature divine, lorsque je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, qui est une même chose avec moi comme moi avec lui. Par cette (116) union vous mie pouvez voir le présent sans voir celui qui vous le fait. Comprenez donc avec quel amour vous devez aimer le don et le donateur. Si vous faites cela, vous aurez un amour non pas mercenaire, mais pur et généreux, comme ceux qui se renferment dans la connaissance d’eux-mêmes.

 

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LXXIII.- Comment l’âme quitte l’amour imparfait et arrive à l’amour parfait.

 

 

1.- Jusqu’à présent je t’ai montré de différentes manières comment’ l’âme quitte l’imperfection pour arriver à l’amour parfait, et comment elle agit quand elle est parvenue à l’amour intime et filial. Je t’ai dit et je te répète qu’elle y arrive par la persévérance, en se renfermant dans la connaissance d’elle-même, Cette connaissance d’elle-même doit être accompagnée de la connaissance de ma bonté, pour qu’elle n’en soit pas troublée. Car la connaissance d’elle-même lui donnera la haine de son amour, sensitif et de l’attrait qu’elle a pour les consolations. De cette haine fondée sur l’humilité doit naître la patience.

2.- La patience deviendra sa force contre les attaques du démon et contre les persécutions des hommes. Elle s’en servira avec moi, lorsque, pour son bien, je lui retire la consolation. Elle supportera tout au moyen de cette vertu. Si la sensualité voulait, dans quelques épreuves, se révolter contre la raison, le juge de la conscience s’élèverait au-dessus d’elle avec une sainte haine et ferait justice de tout mouvement coupable. Car l’âme qui ne s’aime pas se corrige toujours et se reprend non seulement des mouvements qui sont contre la raison, mais encore quelquefois de ceux qui viennent de moi.

3.- C’est ce que veut faire comprendre mon doux serviteur saint Grégoire, lorsqu’il dit qu’une conscience sainte et pure trouvait le péché là où il n’était pas, c’est-à-dire que sa délicatesse était si grande, qu’elle voyait une faute où il n’y en avait pas. L’âme doit faire de même si elle veut quitter l’imperfection, et si elle attend, dans la connaissance d’elle-même et à la lumière de la foi, ce qu’ordonnera ma Providence (117).  

4.- Ainsi firent mes disciples, lorsqu’ils se renfermèrent dans le Cénacle, persévérant dans les veilles et la prière jusqu’à la descente du Saint-Esprit. L’âme, comme je te l’ai dit, fait de même. Elle s’éloigne de l’imperfection et se renferme en elle-même pour atteindre la perfection. Elle veille, et fixe le regard de son intelligence sur la doctrine de ma Vérité. Elle se connaît et persévère humblement dans la prière d’un saint désir, parce qu’elle éprouve en elle l’ardeur de ma charité.

 

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LXXIV.- Des signes auxquels on connaît que l’âme est arrivée à l’amour parfait.

 

 

1.- Je vais te dire maintenant quel signe prouve que l’âme est arrivée à l’amour parfait. Ce signe est le même signe qu’on vit dans mes disciples, lorsqu’ils eurent reçu l’Esprit Saint. Ils sortirent du Cénacle, perdirent toute crainte et annoncèrent ma parole, la doctrine du Verbe mon Fils bien-aimé. Loin de redouter la souffrance, ils s’en glorifiaient ; ils ne craignaient pas de paraître devant les tyrans du monde et de leur dire la vérité pour l’honneur et la gloire de mon nom.

2.- Ainsi, lorsque l’âme s’est renfermée dans la connaissance d’elle-même, comme je te l’ai dit, je retourne vers elle par le feu de ma charité. Cette charité, pondant qu’elle persévérait dans sa retraite, lui a fait concevoir la vertu par amour, en lui communiquant ma puissance ; avec cette puissance elle a dominé et vaincu sa passion sensitive.

3.- Par la même charité, je l’ai fait participer à la sagesse de mon Fils, et dans cette sagesse elle voit et connaît, par l’oeil de l’intelligence, ma vérité et les égarements de l’amour-propre spirituel, c’est-à-dire l’amour imparfait de la consolation. Elle connaît la malice et les mensonges avec lesquels le démon abuse l’âme qui est liée à cet amour imparfait ; elle se lève avec la haine de l’imperfection et avec l’amour de la perfection.

4.- Par cette même charité, qui est le Saint-Esprit, je la fais participer à sa volonté, en fortifiant la volonté qu’elle a de supporter toute peine, de sortir de la retraite (118)

pour mon nom, et de produire des bonnes oeuvres envers le prochain. Elle ne sort pas de sa connaissance, mais elle fait sortir d’elle-même les vertus conçues par l’amour. Elle les montre de différentes manières, quand les besoins du prochain le réclament ; car elle n’a plus la crainte qu’elle avait de perdre ses consolations spirituelles.

5.- Elle est parvenue à l’amour généreux et parfait, et elle agit au dehors sans penser à elle-même. L’âme arrive au second degré de ce troisième état parfait, où elle goûte et enfante la charité du prochain. Elle obtient ce degré de parfaite union en moi. Ces deux derniers degrés sont unis ensemble, et l’un n’est pas sans l’autre ; mon amour n’est jamais sans l’amour du prochain, et celui du prochain, sans le mien, ils ne peuvent être jamais séparés : de même, ces deux degrés ne sont jamais l’un sans l’autre, comme je te le montrerai en t’expliquant le troisième état.

 

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LXXV.- Les imparfaits veulent suivre seulement le Père, tandis que les parfaits suivent le Fils.

 

1.- Je t’ai dit que ceux qui sortent ainsi dehors, montrent qu’ils ont quitté l’imperfection et sont arrivés à la perfection. Ouvre les yeux de ton intelligence, et vois-les courir sur le pont de Jésus crucifié, votre règle, votre loi et votre doctrine. Ils ne se proposent pas d’autre but que Jésus crucifié. Ce n’est pas moi le Père qu’ils se proposent, comme font ceux qui sont dans l’amour imparfait et qui ne veulent pas supporter de peine, parce qu’en moi ne peut se trouver la peine.

2.- Les imparfaits ne veulent suivre que la consolation qu’ils trouvent en moi. Je te le dis, ce n’est pas moi qu’ils suivent, c’est la consolation qu’ils trouvent en moi. Les parfaits, au contraire, font autrement : embrasés par l’amour, ils ont uni les trois puissances de l’âme et monté les trois degrés figurés sur le corps de Jésus crucifié. Avec les pieds de son affection, leur âme est parvenue des pieds de mon Fils à son côté, où elle trouve le secret du coeur et connaît le baptême de l’eau, qui a sa vertu par le sang. L’âme y reçoit la grâce du saint baptême et y devient un vase capable de contenir la grâce unie et mélangée de ce sang. (119)

3.- Où l’âme connaît-elle la dignité d’être unie et mélangée au sang de l’Agneau, en recevant le saint baptême par la vertu de ce sang? Dans le côté de mon Fils où elle connaît le feu de la divine charité. Si tu te le rappelles, ma Vérité incarnée te l’a révélé, lorsque tu l’interrogeais en lui disant : Doux Agneau sans tache, vous étiez mort quand votre côté a été ouvert. Pourquoi vouloir que votre coeur soit ainsi frappé et entrouvert? Mon Fils te répondit, s’il t’en souvient, qu’il avait eu bien des raisons ; et il te dit les principales.

4.- Son désir de sauver le genre humain était infini, et son corps ne pouvait supporter la douleur et les tourments que dans une certaine mesure ; ce qui était fini ne pouvait donc montrer l’amour infini dont il vous aimait ; alors il voulut que vous vissiez le secret de son coeur, et il vous le montra ouvert, pour vous faire comprendre qu’il vous aimait plus que ne le pouvait montrer sa mort.

5.- L’eau et le sang qui en sortirent signifiaient le saint baptême de l’eau, que vous recevez en vertu du sang ; il répandit le sang et l’eau pour marquer deux baptêmes de sang : le premier, que reçoivent ceux qui répandent leur sang pour moi : ce sang tire sa vertu du sang de mon Fils, et remplace le baptême qu’ils n’ont pu recevoir ; le second est le baptême de feu, que reçoivent ceux qui désirent le baptême avec un ardent amour sans pouvoir l’obtenir ; et il n’y a pas de baptême de feu sans le sang ; parce que ce sang est pénétré par le feu de la divine charité qui l’a fait répandre.

6.- L’âme reçoit aussi le baptême de sang d’une autre manière, pour parler par figure ; ma divine charité l’accorde parce qu’elle Voit’ l’infirmité et la fragilité de l’homme qui l’entraîne au péché. Sa fragilité, ni aucune autre cause ne l’entraînerait au péché, s’il n’y consentait pas ; mais il y tombe par faiblesse, et le péché lui fait perdre la grâce qu’il avait reçue au baptême en vertu du sang ; alors il fallait que ma divine bonté perpétuât le baptême du sang par la contrition du coeur et par la sainte confession, en s’adressant, quand on le peut, à mes ministres qui gardent les clefs du sang.

7.- Le sang est versé sur l’âme par l’absolution, et quand (120) on ne peut se confesser, il suffit de la contrition du coeur : alors c’est la main de ma clémence qui vous donne le bénéfice du sang. Mais celui qui pourra se confesser devra le faire, et celui qui le pourra, et ne le fera pas, sera privé du bénéfice du sang.

8.- Il est vrai que, quand on le veut, au moment de la mort, et qu’on ne le peut pas, on reçoit le sang. Mais que personne ne soit assez insensé pour espérer se faire pardonner ses fautes au dernier instant ; car il peut craindre que, pour punir son obstination, ma divine justice lui dise : Tu ne t’es pas souvenu de moi pendant la vie, quand tu en avais le temps ; je ne me souviendrai pas de toi dans la mort. On ne doit donc jamais différer sa conversion ; mais, alors même, on doit jusqu’à la fin espérer dans le sang et en recevoir le baptême.

9.- Mais tu vois que le baptême de sang peut toujours couler sur l’âme ; et dans ce baptême tu reconnais l’action de mon Fils. La peine de la croix est finie, mais le fruit que vous en recevez est infini à cause de la nature divine infinie qui est unie à la nature humaine finie. La nature humaine souffrait dans mon Verbe revêtu de votre humanité, mais comme les deux natures sont unies et pénétrées l’une pour l’autre, La divinité attire à elle la peine qu’elle a supportée sur la croix avec un amour ineffable, et son action peut être appelée infinie.

10.- La peine n’était pas infinie, puisqu’elle était limitée par le corps, et que le désir de souffrir pour vous racheter a cessé sur la croix quand l’âme de mon Fils s’est séparée de son corps ; mais le fruit qui est sorti de cette peine est infini comme le désir de votre salut, et vous le recevez d’une manière infinie ; car s’il n’était pas infini, le genre humain ne pourrait pas être sauvé dans le passé, dans le présent et dans l’avenir. L’homme qui m’offense ne pourrait se relever sans cesse, si le baptême de sang ne lui était accordé d’une manière infinie, et si le fruit du sang n’était pas infini.

11.- C’est ce que mon Fils vous a montré par la blessure de son côté ; c’est là que vous trouvez le secret de son coeur, parce que vous y voyez qu’il vous aime plus qu’il ne peut vous le montrer par une peine finie. Il vous le montre d’une manière infinie, par le baptême du sang uni (121) au feu de la charité divine, car c’est l’amour qui l’a fait répandre. Le baptême est donné à tous les chrétiens, et à quiconque veut le recevoir, dans l’eau unie au sang et au feu. L’âme est ainsi pénétrée par le sang de mon Fils, et c’est pour vous faire comprendre ces choses qu’il a fait sortir le sang et l’eau de son côté. J’ai maintenant répondu à ce que tu m’avais demandé.

 

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LXXVI.- L’âme au troisième degré parvient à la bouche de Jésus-Christ.- La mort de la volonté propre est le signe qu’elle y est arrivée.

 

 

1.- Tout ce que je viens de te dire, mon Fils te l’avait enseigné ; mais j’ai voulu te le répéter, en te parlant de lui pour te faire mieux comprendre l’excellence de l’âme parvenue au second degré, où elle connaît et acquiert si bien l’ardeur de l’amour, qu’elle court aussitôt au troisième degré, c’est-à-dire à la bouche : et là elle montre qu’elle est parvenue à l’état parfait. Par où passe-t-elle? L’âme passe par le coeur, c’est-à-dire qu’elle se rappelle où elle a été baptisée, et laissant l’amour imparfait, par la connaissance que lui donne cet aimable coeur, elle voit, elle goûte et ressent le feu de ma charité.

2.- Ceux qui sont arrivés à la bouche font ce que fait la bouche. La bouche parle avec la langue qu’elle a ; elle goûte les aliments, elle les retient pour les donner à l’estomac, et les dents les broient pour qu’ils puissent être avalés. L’âme fait de même ; elle me parle d’abord avec la langue, qui est dans la bouche du saint désir, c’est-à-dire avec la langue d’une sainte et continuelle prière. Cette langue parle, réellement et mentalement : elle parle mentalement lorsqu’elle m’offre ses doux et amoureux désirs pour le salut des âmes ; elle parle réellement lorsqu’elle annonce la doctrine de ma Vérité, lorsqu’elle avertit et conseille le prochain, lorsqu’elle confesse la foi sans craindre ce que le monde peut lui faire souffrir. Elle parle hardiment devant toute créature, de toutes les manières et à chacun selon son état.

3.- L’âme aussi apaise la faim qu’elle a des âmes pour mon honneur sur la table de la très sainte Croix. Nulle autre (122) chose et nulle autre table ne pourraient la rassasier parfaitement. Elle broie sa nourriture avec les dents, sans lesquelles elle ne peut rien avaler. La haine et l’amour sont comme deux rangées de dents dans la bouche du saint désir ; la nourriture qu’elle reçoit est préparée pas la haine d’elle-même et par l’amour de la vertu, en elle et dans son prochain. Elle broie l’injure, le mépris, les affronts, les reproches, les persécutions nombreuses ; elle supporte la faim, la soif, le froid, le chaud, les angoisses, les larmes et les sueurs pour le salut des âmes. Elle accepte tout pour mon honneur et ne rejette jamais son prochain.

4.- Quand tout est ainsi préparé, elle goûte et savoure le fruit de sa fatigue, et la douceur de ces âmes dont elle se rassasie dans ma charité et dans la charité du prochain. Cette nourriture parvient à l’estomac, qui est excité par le désir et la faim des âmes ; et cet organe est l’amour et le zèle de son coeur pour le prochain. Elle se plaît tant à savourer et à s’approprier cette nourriture, qu’elle perd le goût des délicatesses de la vie corporelle, afin de pouvoir mieux se rassasier de cet aliment, qu’elle trouve sur la table de la sainte Croix et de la doctrine de Jésus crucifié.

5.- Alors l’âme s’engraisse de solides et véritables vertus, et se développe tellement dans l’abondance, que le vêtement de la sensualité qui la couvre se déchire, c’est-à-dire que son corps perd tout désir sensuel. Ce qui est ainsi déchiré meurt, et la volonté sensitive disparaît ; car la volonté de l’âme qui vit en moi est revêtue de mon éternelle volonté : la sensualité meurt donc eu elle. Telle est l’âme arrivée au troisième degré de la bouche. Ce qui indique son progrès, c’est que la volonté propre est morte en goûtant l’ardeur de ma charité.

6.- L’âme trouve dans la bouche la paix et le repos. Tu sais que la bouche donne le baiser de paix : aussi à ce degré l’âme possède tellement la paix, que personne ne peut la troubler, parce qu’elle a perdu et détruit sa volonté propre, dont la mort seuls procure la paix et le repos. L’âme alors enfante sans douleur des vertus à l’égard du prochain : non pas qu’elle Soit exempte de peine, mais sa volonté, qui est morte, ne peut plus les ressentir, et elle supporte tout volontairement pour l’honneur de mon nom. Elle court avec ardeur dans la voie de Jésus crucifié ; elle ne se laisse point (123) arrêter par l’injure, par les persécutions qu’elle rencontre ou par les plaisirs que le monde voudrait lui donner : elle surmonte tout avec force et persévérance.

7.- Son amour s’est revêtu du feu de ma charité ; il se rassasie du salut des âmes avec une patience sincère et parfaite. Cette patience est la preuve certaine que l’âme m’aime parfaitement et sans intérêt. Car si elle m’aimait et aimait le prochain pour sa consolation, elle serait impatiente et s’arrêterait dans sa route. Mais parce qu’elle m’aime pour moi, qui suis la souveraine Bonté, seule digne d’être aimée, parce qu’elle s’aime et qu’elle aime le prochain pour moi, pour louer et glorifier mon nom, elle est patiente, forte et persévérante.

 

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LXXVII.- Des oeuvres de l’âme parvenue au troisième degré.

 

 

1.- Il y a trois glorieuses vertus qui sont fondées sur la charité, et qui sont les fruits de ses branches : ces vertus sont la patience, la force, la persévérance. Elles sont couronnées par la lumière de la très sainte foi ; cette lumière dissipe les ténèbres de l’âme qui court dans la voie de la Vérité ; l’âme est exaltée par un saint désir, et personne n’est capable de l’arrêter. Le démon ne peut lui nuire par ses tentations, car il craint l’âme embrasée du feu de la charité. Les persécutions et les injures des hommes sont impuissantes contre elle ; si le monde la poursuit, le monde aussi la redoute. Ma bonté le permet pour la fortifier et la faire grandir devant moi et devant le monde, parce qu’elle s’est faite petite par humilité.

2.- Ne le vois-tu pas dans mes saints, qui se sont abaissés pour moi et que j’ai élevés en moi, et dans le corps mystique de la sainte Église, qui parle toujours d’eux, parce que leurs noms sont écrits en moi, le livre de vie? Oui, le monde les respecte, parce qu’ils ont méprisé le monde. Ils ne cachent pas leur vertu par crainte, mais par humilité ; et si le prochain a besoin de leurs services, ils ne se cachent pas de peur de souffrir et de perdre leur consolation ; mais ils le servent avec courage, s’oubliant et se sacrifiant eux-mêmes.

3.- De quelque manière qu’ils consacrent leur vie et (124) leur temps à mon honneur, ils sont heureux et trouvent la paix et le repos de l’esprit. Pourquoi? Parce qu’ils veulent me servir, non pas selon leur volonté, mais selon la mienne, et qu’ils aiment le temps de la consolation comme le temps de la tribulation, la prospérité comme l’adversité ; l’une ne leur pèse pas plus que l’autre, parce qu’en toute chose ils trouvent ma volonté, et qu’ils n’ont pas d’autre pensée que de s’y conformer dès qu’ils la connaissent.

4.- Ils ont vu que rien ne se fait sans moi et que tout est ordonné mystérieusement par ma providence, excepté le péché, qui est un néant. C’est pour cela qu’ils détestent le péché et qu’ils acceptent avec respect les autres choses. Ils sont fermes et inébranlables dans leur volonté de suivre la voie de la vérité. Ils ne se ralentissent jamais, et servent fidèlement leur prochain, sans s’arrêter à son ignorance et à son ingratitude. Si quelquefois le méchant leur dit des injures et leur fait des reproches, ils n’en continuent pas moins leurs bonnes oeuvres et les prières qu’ils m’offrent pour lui, et ils souffrent plus de l’offense qu’il me fait et du tort qu’il cause à son âme que de toutes les injures qui leur sont adressées. C’était ce que disait mon glorieux apôtre saint Paul : « Le monde nous maudit, et nous bénissons ; il nous persécute, et nous le souffrons avec patience et actions de grâce ; il blasphème, et nous prions ; nous sommes rejetés comme les ordures du monde, et nous le supportons » (I Cor. , IV, 12-13 ).

5.- Tu vois, ma fille bien-aimée, le signe par excellence qui montre que l’âme a quitté l’amour imparfait pour, l’amour parfait : ce signe est la vertu de patience, qui lui fait suivre le doux Agneau sans tache, mon cher Fils. Lorsqu’il était sur la Croix où les clous de l’amour l’attachaient, il ne tint pas compte des injures des Juifs, qui lui criaient : « Descends, et nous croirons en toi » (S.Matth. XXVII, 42). Votre ingratitude ne l’empêcha pas de persévérer dans l’obéissance que je lui avais imposée, et sa patience fut si grande, qu’on n’entendit pas la moindre plainte sortir de ses lèvres.

6.- Ainsi font mes enfants bien-aimés, mes fidèles serviteurs qui suivent la doctrine et l’exemple de ma Vérité. Le monde a beau vouloir les faire reculer par ses caresses (125) ou ses menaces ; ils ne tournent jamais la tête en arrière, et fixent toujours leurs regards sur ma Vérité. Ils ne veulent jamais quitter le champ de bataille, pour venir reprendre chez eux le vêtement qu’ils y ont laissé, c’est-à-dire cet amour qui fait préférer la créature au Créateur. Ils restent joyeusement dans la mêlée, tout enivrés du sang de Jésus crucifié, de ce sang que j’ai chargé la sainte Église de distribuer pour soutenir et animer mes vrais chevaliers, qui combattent la sensualité, la chair, le mondé et le démon, avec la haine de leurs ennemis et l’amour de la vertu. Cet amour est une armure qui résiste à tous les coups et rend invulnérable tant qu’on la conserve et que le libre arbitre ne livre pas volontairement à l’ennemi le glaive qu’il tient dans ses mains. Ceux qui sont enivrés du sang de mon Fils ne le font jamais ; ils persévèrent courageusement jusqu’à la mort, où tous leurs ennemis sont confondus.

7.- O glorieuse vertu, combien tu me plais! tu brilles dans le monde même, aux yeux ténébreux des ignorants qui ne peuvent s’empêcher de participer à la lumière de mes serviteurs. Dans la haine avec laquelle ils les poursuivent brille la bonté de mes serviteurs, qui désirent leur salut. Dans leur envie brille la grandeur de la charité, dans leur cruauté la pitié : car plus ils sont cruels, plus mes serviteurs sont compatissants. Dans l’injure triomphe la patience, qui règle et gouverne toutes les vertus, parce qu’elle est la moelle de la charité. Elle prouve et affermit les vertus de l’âme ; elle montre si elles sont fondées ou non en moi. Elle est victorieuse et jamais vaincue, car elle est accompagnée, comme je te l’ai dit, de la force et de la persévérance ; elle remporte la victoire, et quand elle quitte le champ de bataille, c’est pour venir à moi le Père, l’Eternel, qui récompense toute fatigue et qui lui donne la couronne de gloire.

 

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LXXVIII.- Du quatrième état, qui n’est pas séparé du troisième.- Des oeuvres de l’âme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se sépare jamais d’elle d’une manière sensible.

 

1.- Je t’ai dit comment on reconnaît que l’âme est arrivée (126) à la perfection de l’amour sincère et filial ; maintenant je veux te dire le bonheur qu’elle goûte en moi, même dans son corps mortel. Lorsqu’elle est arrivée au troisième état dont je t’ai parlé, elle en atteint un quatrième, qui n’est pas séparé du troisième, mais qui lui est uni nécessairement, comme ma charité est toujours unie à la charité du prochain. C’est un fruit qui sort de ce troisième état par l’union parfaite que l’âme contracte avec moi ; elle y trouve une force si grande que non seulement elle souffre avec patience, mais qu’elle désire avec ardeur souffrir pour l’honneur et la gloire de mon nom.

2.- Elle se glorifie dans les opprobres de mon Fils unique, comme le disait mon apôtre saint Paul : « Je me glorifie dans la tribulation et dans les opprobres de Jésus crucifié » (II Cor., XII, 9). Et ailleurs : « Puis-je me glorifier en autre chose qu’en Jésus crucifié» ? Il disait aussi : « Je porte les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps » (Gal., VI, 14-17). De même, ceux qui se passionnent pour mon honneur et qui sont affamés du salut des âmes, courent à la table de la très sainte Croix ; ils veulent souffrir beaucoup pour être utiles au prochain, pour conserver et acquérir des vertus en portant les stigmates du Christ dans leur corps. Car l’amour crucifié qui les brûle, brille dans leur corps, et ils le montrent en se méprisant eux-mêmes, en se réjouissant des opprobres, des peines que je leur accorde, de quelque côté ou de quelque manière qu’ elles leur viennent.

3.- Pour ces fils bien aimés la peine est un plaisir et le plaisir une fatigue. Ils repoussent les consolations et les jouissances que leur offre le monde, non seulement ils ne veulent pas celles que le monde leur donne par ma permission, car quelquefois les serviteurs du monde sont forcés par ma bonté à les vénérer et à les assister dans leurs besoins, mais encore ils ne veulent pas des consolations spirituelles qu’ils reçoivent de moi, et cela par humilité et par haine d’eux-mêmes. Ils ne méprisent pas la consolation, le présent de ma grâce, mais le plaisir que l’âme trouve dans cette consolation. Ce qui les inspire, c’est la vertu d’une humilité sincère acquise par une sainte haine ; cette humilité est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la connaissance de moi et d’eux-mêmes (127). Aussi tu vois briller dans leur esprit et dans leur corps la vertu et les stigmates de Jésus crucifié.

4.- Je leur fais la grâce de ne jamais me séparer d’eux d’une manière sensible, comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne, non par la grâce mais par la douceur de ma présence. Je n’agis pas de la sorte avec ceux qui sont arrivés à la grande perfection et qui sont entièrement morts à leur volonté ; car je me repose continuellement dans leur âme par ma grâce et d’une manière sensible. Dès qu’ils veulent s’unir à moi par un regard d’amour, ils le peuvent, parce que leur désir les attache tellement à moi que rien ne peut les en séparer. Tous les lieux et les instants leur conviennent pour la prière, parce que leur conversation s’est élevée au-dessus de la terre, et s’est fixée dans le ciel. Ils ont perdu toute affection terrestre, tout amour-propre sensitif ; ils se sont élevés au-dessus d’eux-mêmes jusque dans les hauteurs des cieux, par l’échelle des vertus et les trois degrés que je t’ai montrés sur le corps de mon Fils.

5.- Au premier degré, ils ont dépouillé les pieds de leur affection de l’amour du vice ; au second, ils ont goûté le secret et l’affection du coeur, et ils ont conçu l’amour pour les vertus ; au troisième, où est la paix de l’esprit, ils ont acquis les vertus en quittant l’amour imparfait, et ils sont parvenus à la grande perfection, où ils ont trouvé le repos dans la doctrine de ma Vérité.

6.- Ils ont trouvé la table, la nourriture et le serviteur. La nourriture, ils la goûtent au moyen de la doctrine de Jésus crucifié. C’est moi qui suis le lit et la table ; mon doux et tendre Fils est la nourriture ; car ils se rassasient en lui du salut des âmes, et ils se nourrissent de lui-même. Je vous l’ai donné pour aliment ; vous recevez au Sacrement de l’Autel sa chair et son sang, sa divinité, son humanité tout entière, que ma bonté vous offre pour que vous ne tombiez pas de faiblesse pendant votre pèlerinage, pour que vous n’oubliiez pas le bénéfice du sang versé pour vous avec tant d’amour, mais pour que vous soyez toujours pleins de force et d’ardeur dans votre voyage.

7.- L’Esprit Saint les sert, car l’ardeur de ma charité leur distribue les dons et les grâces. Ce doux serviteur va et vient pour les servir ; il me porte leurs ardents et amoureux (128) désirs, et il leur porte le fruit de leurs fatiguez, dont ils goûtent et savourent la douceur dans leurs âmes. Ainsi tu le vois, je suis la table, mon Fils est la nourriture, et le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, est le serviteur.

8.- Remarque qu’ils me possèdent toujours d’une manière sensible : plus ils ont rejeté les jouissances et voulu la peine, plus ils ont perdu la peine et trouvé la Jouissance. Pourquoi ? Parce qu’ils sont enflammés et embrasés de ma charité qui a Consumé leur volonté. Aussi le démon redoute les coups de leur charité ; il leur jette de loin ses flèches et n’ose pas en approcher. 

9.- Le monde les frappe à l’extérieur, croyant les blesser, et c’est lui qui se blesse ; car le trait qui ne peut pénétrer revient sur celui qui le jette. Ainsi le monde, lorsqu’il lance les injures, la persécution et les murmures, sur mes parfaits serviteurs, ne trouve aucun endroit où il puisse les atteindre, parce que le jardin de leur âme est fermé ; et le trait revient sur celui qui l’a lancé, empoisonné par la faute. Il ne peut blesser d’aucun côté les parfaits, parce qu’en frappant le corps il n’atteint pas l’âme qui reste heureuse et affligée, affligée de la faute du prochain, et heureuse de la charité qu’elle possède.

10.- Elle suit ainsi l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé, qui, sur la croix, était heureux et affligé. Il était affligé de la croix que souffrait son corps, et de la croix du désir qu’il avait d’expier la faute des hommes ; il était heureux, parce que la nature divine, unie à la  nature humaine, ne pouvait souffrir et ravissait toujours son âme en se montrant à elle sans voile, li était heureux et affligé, parce que la chair souffrait, mais que la divinité ne pouvait souffrir, pas plus que son âme dans la partie supérieure de son entendement. De même, mes enfants bien-aimés, lorsqu’ils sont arrivés au troisième et au quatrième degré, sont affligés par des croix spirituelles et corporelles, puisqu’ils souffrent dans leur corps, comme je le permets, et qu’ils sont tourmentés du regret que leur causent mon offense et le malheur du prochain ; mais ils sont heureux parce que le trésor de la charité qu’ils possèdent ne peut leur être enlevé ; et c’est pour eux une source d’allégresse et de béatitude. (129)

11.- Leur affliction n’est pas une douleur qui dessèche l’âme : elle l’engraisse, au contraire, dans l’ardeur de la charité. La peine augmente la vertu, la fortifie, la développe et l’excite. Elle n’affecte pas l’âme, mais elle la nourrit. Aucune douleur, aucune peine ne peut la retirer du foyer d’amour où elle est plongée. Un tison qui est embrasé dans une fournaise ne peut être saisi parce qu’il est tout en feu : de même l’âme qui est jetée dans la fournaise de ma charité n’est plus rien en dehors de moi ; sa volonté est détruite et elle est toute embrasée en moi ; personne ne peut la prendre et la retirer de ma grâce, parce qu’elle est devenue une même chose avec moi, et moi une même chose avec elle.

12.- Jamais je ne lui retire ma présence comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne pour les conduire à la perfection. Lorsqu’ils y sont arrivés je cesse ce jeu de l’amour ; cette alternative de visites et d’absences est un jeu de l’amour ; c’est par amour que je pars, c’est par amour que je reviens. Je ne me retire pas réellement, car je suis un Dieu immuable et je ne change pas ; mais c’est l’effet sensible de ma charité dans l’âme qui parait et disparaît.

 

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LXXIX.- Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par sentiment, mais par union.

 

Dans sa traduction latine, le bienheureux Raymond, confesseur de sainte Catherine, affirme ici que l’état dont il est question était celui de notre sainte.

 

1.- Je te disais que les parfaits ne perdent jamais le sentiment de ma présence. Je m’éloigne cependant d’une autre manière, parce que leur âme, qui est unie à leur corps, ne pourrait supporter continuellement l’union que je contracte avec elle. Et parce qu’elle ne le peut pas, je m’éloigne, non par sentiment ou par grâce, mais par union.

2.- Lorsque l’âme s’élance avec ardeur vers la vertu par le pont de la doctrine de Jésus crucifié, et qu’elle arrive à la porte divine, elle élève son esprit eu moi, elle se baigne et s’enivre du sang ; elle brûle du feu de l’amour et goûte en moi la divinité même. L’âme s’unit tellement à cet océan tranquille, qu’elle ne peut avoir de pensée qu’en (130) moi. Dès sa vie mortelle elle goûte le bien de l’immortalité, et malgré le poids de son corps elle reçoit les joies de l’esprit.

3.- Souvent son corps est élevé de terre par la parfaite union de l’âme avec moi, comme si le corps était déjà devenu subtil. Il n’a pas perdu sa pesanteur, mais parce que l’union de l’âme avec moi est plus parfaite que son union avec le corps, la force de l’esprit fixé en moi soulève de terre le poids du corps, et le corps reste immobile et brisé par l’amour de l’âme : tellement que, comme tu l’as entendu dire de quelques personnes, il lui serait impossible de vivre si ma bonté ne lui en donnait pas la force. Et je veux que tu saches que c’est un plus grand miracle de voir l’âme ne pas quitter le corps dans cette union, que de voir plusieurs corps morts ressusciter.

4.- Aussi j’arrête pour quelque temps cette union de l’âme et je la fais retourner dans le vase de son corps ; la sensibilité de ses organes, qui avait été suspendue par l’ardeur de l’âme, recommence ses fonctions. Car l’âme n’est complètement séparée du corps que par la mort, mais elle perd seulement ses puissances par l’amour qui l’unit à moi. La mémoire ne contient d’autre chose que moi ; l’intelligence ne contemple d’autre objet que ma Vérité, et l’amour qui suit l’intelligence, n’aime et ne s’unit qu’à ce que voit l’intelligence. Toutes ses puissances sont unies, abîmées et consumées en moi. Le corps perd tout sentiment. L’oeil en voyant ne voit pas, l’oreille en entendant n’entend pas, la langue en parlant ne parle pas, à moins que quelquefois, à cause de la plénitude du coeur, je ne permette à la langue de le laisser déborder et de parler pour la gloire de mon nom.

5.- Ainsi, la langue en parlant ne parle pas, la main en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne marchent pas ; tous les membres sont liés et retenus par les liens de l’amour, et ces liens les soumettent tellement à la raison et les unissent si étroitement à l’ardeur de l’âme, que tous ensemble, contrairement à la nature, ils crient vers moi le Père éternel pour que le corps soit séparé de l’âme et l’âme du corps. C’est ce que me criait le glorieux saint Paul : «Malheureux que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? Je vois dans mes membres (131) une loi contraire à la loi de l’esprit » (Rom., VII , 23-24).

6.  Paul ne parlait pas seulement du combat de la chair contre l’esprit, car ma parole l’avait pour ainsi dire rassuré, lorsqu’il lui avait été dit : «  Paul, ma grâce te suffit» ( II Cor., XII, 9). Il parlait ainsi parce qu’il se sentait enfermé dans son corps, qui empêchait ma vision pour quelque temps. Jusqu’au moment de la mort, l’oeil ne peut voir l’éternelle Trinité de la même vision que les Bienheureux qui rendent sans cesse honneur et gloire à mon nom. Tant que Paul se trouvait parmi les hommes qui sans cesse m’offensent, il était privé de me voir dans mon essence.

7.- Mes serviteurs me voient et me goûtent, non pas dans mon essence, mais dans l’effet de la charité, de différentes manières, selon qu’il plaît à ma bonté de me manifester ; mais cette vue de l’âme unie au corps est une obscurité quand on la compare à la vue de l’âme séparée du corps. Il semblait à Paul que la vue corporelle empêchait la vue spirituelle, et que ses sens grossiers privaient son âme de me contempler face à face. Sa volonté lui paraissait liée de telle sorte qu’il ne pouvait aimer autant qu’il devait aimer, parce que tout amour dans cette vie est imparfait jusqu’à ce qu’il arrive à sa perfection.

8.- L’amour de Paul, comme celui de mes autres vrais serviteurs, n’était pas imparfait quant à la grâce et à la charité ; il était parfait sous ce rapport, mais il était imparfait parce qu’il ne pouvait rassasier son amour. C’était là sa peine. S’il avait pu satisfaire son désir de ce qu’il aimait, il n’aurait eu aucune peine ; mais il souffrait parce que l’amour, tant qu’il est dans un corps mortel -n’a pas parfaitement ce qu’il aime.

9.- Dès que l’âme, au contraire, est séparée du corps, son désir est rempli et l’amour est sans peine. L’âme alors est rassasiée, mais elle l’est sans dégoût, parce qu’étant rassasiée elle a toujours faim, sans avoir la peine de la faim, car dès que l’âme est séparée du corps, elle déborde d’une félicite parfaite, et elle ne peut rien désirer sans la voir. Elle désire me voir, et elle me soit face a face, elle désire voir la gloire de mon nom dans mes saints, et elle la voit dans la nature angélique et dans la nature humaine. (132)

 

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LXXX.- Les mondains rendent gloire à Dieu, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas.

 

 

1.- La vue de l’âme bienheureuse est si parfaite qu’elle voit la gloire et l’honneur de mon nom, non seulement dans les habitants du ciel, mais encore dans ceux de la terre. Qu’il le veuille ou non, le monde me rend gloire. Il est vrai qu’il ne le fait pas comme il devrait, en m’aimant par dessus toute chose ; mais moi je trouve dans.

 les hommes la gloire et la louange de mon nom, puisqu’en eux brillent ma miséricorde et la grandeur de ma charité.

2.- Je leur laisse le temps, et je ne commande pas à la terre de les engloutir pour leurs fautes ; je les attends, au contraire, et je dis à la terre de leur donner ses fruits, au soleil de les éclairer et de les chauffer de ses rayons ; je conserve au ciel la régularité de ses mouvements et je répands ma miséricordieuse bonté sur toutes les. choses qui sont faites pour eux. Non seulement je ne les leur retire pas à cause de leurs fautes, mais encore je les donne au pécheur comme au juste, et même souvent plus-au pécheur qu’au juste, parce que le juste peut souffrir, et que je le prive des biens de la terre pour lui donner plus abondamment les biens du ciel. Ainsi, ma miséricorde et ma charité brillent sur eux.

3.- Quelquefois, les persécutions que les serviteurs du monde font supporter à mes serviteurs éprouvent leur patience et leur charité ; elles ne servent qu’à me faire

offrir d’humbles et continuelles prières ; elles tournent. ainsi à la gloire et à l’honneur de mon nom. Qu’il le veuille ou non, le méchant cause ma gloire, même par ce qu’il fait pour m’offenser.

 

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LXXXI.- Comment les démons même rendent gloire à Dieu

 

 

1.- De même que les pécheurs servent- dans cette vie à augmenter la vertu de mes serviteurs, de même les dé-nions dans l’enfer sont les bourreaux et les ministres de

 ma justice sur les damnés. Ils servent aussi mes créatures, (133) qui, dans leur pèlerinage terrestre, désirent arriver a moi, leur fin. Ils les servent en exerçant leur vertu par des attaques et des tentations de toute sorte, en les exposant aux injures et aux injustices des autres afin de leur faire perdre la chante, mais en voulant dépouiller mes serviteurs, ils les enrichissent en exerçant leur patience, leur force et leur persévérance. De cette manière ils rendent gloire et honneur à mon nom.

2.- Ainsi s’accomplit ma vérité en eux. Je les avais créés pour me louer, me glorifier et pour les faire participer à ma beauté ; mais ils se sont révoltés contre moi par orgueil, ils sont tombés, ils ont été privés de ma vision. Ils ne me rendent pas gloire par l’amour ; mais moi, la Vérité éternelle, je les ai faits des instruments pour exercer mes serviteurs à la vertu, et des bourreaux pour punir les damnés ou pour purifier ceux qui sont dans le purgatoire. Tu vois que ma vérité s’accomplit véritablement a eux, puisqu’ils me rendent gloire, non pas comme les habitants du ciel, dont ils sont exilés par leur faute, mais comme les ministres de ma justice dans les enfers et dans

le purgatoire.

 

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LXXXII.- L’âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature ; elle n’a plus la peine du désir, mais seulement le désir.

 

1.- Qui est-ce qui voit et goûte en toute chose, dans les créatures raisonnables et dans les démons même la gloire et l’honneur de mon nom? C’est l’âme dépouillée de son corps et parvenue à moi, qui suis sa fin. Elle voit parfaitement et connaît la Vérité. En me voyant, moi, le Père, elle aime ; en aimant, elle est rassasiée ; en étant rassasiée, elle connaît la vérité, et cette connaissance de la vérité fixe sa volonté dans la mienne ; elle y est tellement ferme et attachée, que rien ne peut lui causer de peine, parce qu’elle a ce qu’elle désirait avoir. Elle désirait avant tout me voir et voir glorifier mon nom ; elle le voit pleinement et véritablement dans mes saints, dans les anges, dans toutes les créatures, dans les démons mêmes.

2.- Elle voit l’offense qu’i m’est faite ; elle ne peut (134) plus comme autrefois en ressentir de la douleur, elle en éprouve seulement de la compassion ; elle aime sans peine et prie toujours avec charité pour que je fasse miséricorde au monde. En elle la peine est passée, mais non la charité. Le Verbe, mon Fils, vit finir, dans la mort douloureuse de la Croix, la peine du désir de votre salut qui le tourmentait ; mais le désir de votre salut n’a pas cessé avec la peine.

3.- Si l’ardeur de ma charité que je vous ai montrée en mon Fils avait cessé pour vous, vous ne seriez pas. Vous êtes faits par amour ; si je retirais l’amour, c’est-à-dire si je n’aimais pas votre être, vous ne seriez pas ; mais mon amour vous a créés, mon amour vous conserve, et, parce que je suis une même chose avec mon Verbe et mon Verbe avec moi, la peine du désir a cessé, mais non pas le désir.

4.- De même les saints qui ont la vie éternelle conservent le désir du salut des âmes, mais sans en avoir la peine ; la peine s’est éteinte dans leur mort, mais non ‘ardeur de la charité. Ils sont comme enivrés du sang de l’Agneau sans tache, et revêtus de la charité du prochain Ils ont passé par la porte étroite, tout inondés du sang

de Jésus crucifié, et ils se trouvent en moi, l’océan de la paix, délivrés de l’imperfection, c’est-à-dire de la peine du désir, car ils sont arrivés à cette perfection où ils sont rassasiés de tout bien.

 

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LXXXIII.- Comment saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.

 

I.- Paul avait vu et goûté ce bien quand je l’élevai au troisième ciel, c’est-à-dire à la hauteur de la Trinité. Il avait connu et goûté  ma vérité en recevant la plénitude du Saint-Esprit, et en apprenant la doctrine de mon Verbe incarné. Son âme se revêtit de moi, le Père, par union et par sentiment, comme les Bienheureux dans le

 ciel, excepté que son âme n’était pas séparée de son corps. Il plut à ma bonté d’en faire un vase d’élection dans l’abîme de ma Trinité, et je le dépouillai de moi, parce qu’en moi ne peut être la peine ; et je voulais qu’il souffrît pour mon nom. (135)

2.- Je donnai pour objet à son intelligence Jésus crucifié, le revêtant du vêtement de sa doctrine, le liant et l’enchaînant avec la clémence du Saint- Esprit, qui est le feu de la charité. Il devint par ma bonté un vase utile et nouveau ; il ne résista pas quand il fut frappé, mais il dit : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ; dites ce que vous voulez que je fasse et je le ferai ». (Act., IX, 6). Alors je l’enseignai en lui montrant Jésus crucifié, en le revêtant de la doctrine de ma charité. Je l’illuminai parfaitement par la lumière de la vraie contrition, avec laquelle il effaça ses fautes, en s’appuyant sur ma charité (La fin de ce chapitre et le commencement du chapitre suivant ne se trouvent pas dans l’édition italienne de Gigli. Nous les donnons d’après la traduction latine du bienheureux Raymond de Capoue.).  

3.- Il se revêtit tellement de la doctrine de Jésus  crucifié, il y fixa si fortement son âme, qu’il ne put en être dépouillé et séparé, ni par les tentations du démon, ni par les combats de la chair, que ma bonté permettait pour le faire croître en mérite et en grâce, pour conserver son humilité après qu’il eut joui des grandeurs de la Trinité. Jamais il ne quitta en la moindre chose ce vêtement de Jésus-Christ ; il le garda dans toutes ses épreuves et. ses tribulations, et il persévéra toujours dans la doctrine de la Croix. Il se l’était tellement incorporé, qu’il donna sa vie pour ne pas s’en séparer, et retourna vers moi avec ce vêtement divin.

4.- Paul avait goûté ce que c’était que jouir de moi sans le poids de son corps ; je lui avais permis d’en jouir par union, mais non pas complètement séparé de son corps. Quand il fut revenu à lui, revêtu de Jésus crucifié, il lui sembla que son amour était imparfait en le comparant à la perfection de l’amour qu’il avait goûté en moi, et qu’il avait vu dans les Bienheureux séparés de leurs corps. Il sentait que le poids de son corps était un obstacle qui empêchait la perfection et le rassasiement dont l’âme jouit après la mort. Sa mémoire lui paraissait faible et imparfaite, et cette faiblesse, cette imperfection le rendaient incapable de pouvoir me retenir, me recevoir, me goûter avec la perfection des saints dans le ciel. (136)

5.- Il lui semblait que, tant qu’il était dans son corps mortel, il rencontrait en toute chose une loi mauvaise qui combattait l’esprit, non. par un entraînement au péché, puisque je lui avais dit : « Paul, ma grâce te suffit», mais par un empêchement à la perfection de l’esprit, qui consiste à me voir dans mon essence. Et comme cette vision est impossible avec la loi et la pesanteur du corps, Paul s’écriait : « O homme infortuné que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? car j’ai dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit ».

 6.- C’est la vérité ; car la mémoire est combattue par l’imperfection du corps, l’intelligence, arrêtée par sa pesanteur, ne peut me voir tel que je suis dans mon essence, et la volonté, enchaînée par ses liens, ne peut me goûter sans peine, comme je te l’ai fait comprendre. Ainsi Paul avait bien raison de dire : J’ai dans mon corps une loi qui combat la loi de mon esprit. De même mes serviteurs que je t’ai montrés parvenus au troisième et au quatrième degré d’union parfaite avec moi, crient aussi qu’ils désirent être délivrés et séparés des liens de leur corps.

 

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LXXXIV.- Des causes qui font désirer à l’âme d’être séparée de son corps.

 

1.- Mes, fidèles serviteurs ne connaissent pas la crainte, et l’angoisse de la mort, ils la désirent au contraire. Dans la rude guerre qu’ils ont faite à leurs corps avec une sainte haine, ils ont perdu cette tendresse naturelle qui unit le corps et l’âme ; ils ont vaincu et détruit l’amour d’eux-mêmes, et ils désirent mourir par amour pour moi. Ils disent : Qui me délivrera de ce corps de mort? Je désire en être affranchi pour être avec le Christ. Ils disent avec l’Apôtre : La mort est mon désir, mais je prends la vie en patience. Dès que l’âme est élevée à l’union parfaite, elle ne souhaite plus que de me contempler et de me voir glorifié en tontes choses.

2.- (Le chapitre LXXXIV commence ici dans l’édition italienne ) Quand l’âme revient à ses sens corporels, qui  avaient été absorbés en moi par l’effet de l’amour, elle (136)

supporte péniblement la vie, parce qu’elle se voit privée de l’union qu’elle avait avec moi, ‘et de la société désirable des Bienheureux qui nie rendent sans cesse gloire. Elle se retrouve parmi les hommes, dont elle voit les iniquités si nombreuses. Ce spectacle lui cause une amère douleur et augmente son désir de me voir. La vie lui devient insupportable.

3.- Cependant comme sa volonté ne lui appartient plus et qu’elle est devenue par l’amour une même chose avec moi, elle ne peut vouloir et désirer autre chose que ce que je veux. Elle désire venir, mais elle est contente de rester si je l’ordonne, et de souffrir beaucoup pour ma gloire et pour le salut des âmes. Elle ne s’éloigne en rien de ma volonté, mais elle court avec ardeur ; revêtue de Jésus crucifié, elle passe par le pont de sa doctrine, en se glorifiant dans les opprobres et dans la peine. Plus elle souffre, plus elle se réjouit : la multitude des tribulations calme le désir qu’elle a de la mort, et souvent l’amour des souffrances adoucit la peine qu’elle éprouve de n’être

pas délivrée de son corps.

4.- Non seulement mes serviteurs souffrent alors avec patience comme ceux qui Sont au troisième degré, mais ils se glorifient encore de souffrir beaucoup en mon nom ; quand ils souffrent, ils se réjouissent ; et quand ils ne souffrent pas, ils s’en affligent, parce qu’ils craignent que je ne veuille les récompenser en cette vie, et que le sacrifice de leurs désirs ne me soit point agréable. Dès que je leur envoie au contraire beaucoup d’épreuves, ils sont heureux de se voir revêtus des peines et des opprobres de Jésus-Christ.

5.- S’ils pouvaient être vertueux sans fatigue, ils n’y consentiraient pas ; ils préféreraient se réjouir sur la croix avec le Christ, et acquérir la vie éternelle par la souffrance plutôt que par tout autre moyen. Pourquoi? Parce qu’ils sont abîmés et embrasés dans ce sang où ils trouvent ma charité, ce feu qui sort de moi pour ravir leur coeur, leur esprit et consumer le sacrifice de leur désir. C’est ainsi que le regard de l’intelligence s’élève à cette contemplation de ma divinité, où l’amour s’unit et se développe en suivant l’entendement. Cette vue surnaturelle est une grâce infinie que je donne à l’âme qui m’aime et me sert en vérité. (138)

 

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LXXXV.- Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce.- Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu’un savant qui a de l’orgueil.

 

 

1.- C’est avec cette lumière qui éclairait son intelligence que me vit saint Thomas d’Aquin et qu’il acquit, les clartés de la science, comme le firent saint Augustin saint Jérôme et nies autres saints docteurs. Ils étaient éclairés d’en haut et comprenaient dans les ténèbres ma vérité, c’est-à-dire la  Sainte Ecriture qui parait obscure parce qu’elle n’est pas comprise, non par le défaut de l’Écriture, mais par l’ignorance de celui qui ne la comprend pas. Aussi j’ai donné ces lampes pour éclairer les

aveugles et les intelligences grossières, afin que l’homme puisse connaître la vérité dans les ténèbres.

2.- Moi, le feu qui consume le sacrifice, je les ai ravis en leur donnant la lumière surnaturelle qui fait comprendre la vérité dans les ténèbres. Et alors ce qui paraissait obscur est devenu évident pour les ignorants comme pour les savants. Chacun reçoit la lumière selon sa capacité et selon la préparation qu’il apporte à mie connaître ; car je ne méprise les bonnes dispositions de personne. 

3.- L’intelligence reçoit une lumière infuse par la grâce, supérieure à la lumière naturelle, une lumière avec laquelle les saints docteurs et mes autres serviteurs ont connu la lumière dans les ténèbres. Des ténèbres est venue la lumière, car l’intelligence a été formée avant l’Écriture ; c’est dé l’intelligence que vient la science, puisque c’est en voyant qu’elle discerne.

4.- Avec cette lumière, les prophètes ont vu l’avènement et la mort de mon Fils ; les apôtres l’ont possédée après la descente du Saint-Esprit ; les évangélistes, les docteurs, les confesseurs, les vierges, les martyrs en ont tous été éclairés ; tous l’ont reçue selon que le demandaient leur salut, le salut des âmes et l’enseignement de la Sainte Écriture. (139)

5.- Les docteurs l’ont reçue pour expliquer la doctrine de ma Vérité, la prédication des Apôtres et les textes des Évangélistes ; les martyrs, pour montrer par leur sang la lumière de la foi, le trésor et le fruit du sang de l’Agneau ; les vierges l’ont montrée par la charité et la pureté. Les obéissants ont fait briller l’obéissance du Verbe, cette obéissance parfaite que mon Fils a embrassée pour courir à la mort ignominieuse de la Croix.

6.- Cette lumière est visible dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Dans l’Ancien Testament, par les prophètes dont l’intelligence a été surnaturellement éclairée par ma grâce ; dans le Nouveau Testament, par la vie évangélique révélée au chrétien fidèle. La nouvelle loi venait de la même lumière, car elle n’a pas détruit l’ancienne, elle en est inséparable ; elle en a seulement ôté l’imperfection, parce qu’elle était fondée sur la crainte.

7.- Lorsque le Verbe mon Fils vint avec la loi d’amour, il l’accomplit en lui donnant l’amour, en ôtant la crainte de la peine, et en ne lui laissant que la bonne et sainte,

 crainte. Aussi, mon Fils disait à ses disciples pour montrer qu’il ne détruisait pas la loi : « Je ne suis pas venu pour- détruire la loi, mais l’accomplir » (S. Matth., V. 17 ). Comme s’il disait : Jusqu’à présent, la loi était imparfaite ; mais avec mon sang je la rendrai parfaite et je l’accomplirai en ce qui lui manque, parce que j’ôterai la crainte de la peine ; je l’établirai sur l’amour et sur la crainte sainte et filiale.

8.- Comment la Vérité est-elle connue? Par la lumière surnaturelle qui est donnée à qui veut la recevoir de ma grâce. Toute lumière qui sort de la sainte Ecriture, sort de cette lumière. Les ignorants, orgueilleux de leur science, s’aveuglent dans la lumière, parce que leur orgueil et les nuages de l’amour-propre en couvrent et en cachent la clarté. Ils comprennent la lettre et l’apparence de l’Écriture plus qu’ils n’en saisissent le sens ; ils goûtent la lettre en consultant beaucoup de livres, mais ils ne goûtent pas la moelle de l’Écriture, parce qu’ils sont privés de la lumière avec laquelle l’Écriture a été formée et présentée.                   

9.- Ceux-là s’étonnent et murmurent quand ils voient des gens sans instruction plus éclairés sur la vérité que (140) ceux qui ont longtemps étudié. Ce n’est pas surprenant, puisqu’ils possèdent la cause de la lumière d’où vient la science ; mais, parce que, les superbes ont, perdu la lumière, ils ne voient pas et ne connaissent pas ma bonté et la lumière de la grâce répandue sur mes serviteurs.

10.- Aussi je te dis qu’il vaut mieux prendre pour le conseiller de son âme une personne humble qui a une conscience droite et pure, qu’un savant orgueilleux qui a beaucoup étudié. Car on ne peut donner que ce qu’on a soi-même. Une vie de ténèbres change souvent en ténèbres pour les autres la lumière des Saintes Écritures. Tu trouveras le contraire dans mes serviteurs parce que la lumière qu’ils ont en eux, ils la présentent avec l’ardent désir du salut des âmes. 

11.- Je te dis cela, ma très douce fille ; pour te faire connaître la perfection de l’état unitif, où l’intelligence est ravie par le feu de ma charité qui donne la lumière surnaturelle. L’âme m’aime avec cette lumière, parce que l’amour suit l’intelligence ; plus elle connaît, plus elle aime, et plus elle aime, plus elle connaît. L’intelligence et l’amour se nourrissent réciproquement.

12.- C’est par cette lumière que l’âme isolée du corps parvient à mon éternelle vision, où elle me goûte en vérité, comme je te l’ai dit en t’expliquant le bonheur que l’âme reçoit en moi. C’est l’état le plus élevé où l’âme dans sa vie mortelle puisse goûter la vie des Bienheureux. Souvent son union est si grande, qu’elle sait à peine si elle est avec son corps ou sans son corps. Elle a un avant-goût de la vie éternelle, parce qu’elle m’est étroitement unie, et que sa volonté est morte en elle : c’est cette mort qui l’unit à moi, et il n’y a pas d’autre moyen de s’unir à moi parfaitement. L’âme goûte la vie éternelle dès qu’elle est délivrée de l’enfer de sa volonté propre. L’homme souffre comme un damné quand il obéit à sa volonté sensitive.

 

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LXXXVI.- Résumé de ce qui précède.- Dieu invite l’âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.

 

 

1.- Tu as vu avec ton intelligence et tu a entendus (141) avec ton coeur, comment tu devais profiter pour toi et pour ton prochain de la doctrine et de la connaissance de ma Vérité. Je te l’ai dit en commençant, tu dois arriver à la connaissance de la vérité par la connaissance de toi-même ; mais cette connaissance de toi-même doit être jointe et unie à la connaissance de moi-même en toi. C’est ce qui te donnera l’humilité, la haine, le mépris personnel et le feu de la charité que tu trouveras dans ma connaissance ; tu parviendras ainsi à l’amour du prochain, en lui étant utile par la doctrine et les exemples d’une vie sainte.

2.- Je t’ai montré un pont et les trois degrés qui représentent les trois puissances de l’âme. Personne ne peut avoir la vie le la grâce s’il ne monte ces trois degrés, c’est-à-dire, s’il ne réunit toutes ses puissances en mon nom. Je t’ai montré plus parfaitement ces trois degrés de l’âme figurés sur le corps de mon Fils unique, dont je fais un moyen de vous élever, en parvenant à ses pieds percés, à l’ouverture de son côté, et à sa bouche où l’âme goûte la paix et le repos.

3.- Je t’ai fait connaître l’imperfection de la crainte servile, et l’imperfection de l’amour de ceux qui m’aiment à cause de la douceur qu’ils trouvent en moi. Tu as vu la perfection du troisième degré, celle de ceux qui sont arrivés à la paix de la bouche, après avoir couru avec un ardent désir sur le pont de Jésus crucifié et avoir monté-les trois degrés principaux, en unissant les puissances de leur âme et toutes leurs opérations en mon nom, comme je te l’ai clairement expliqué. Tu les as vus, après avoir franchi les trois degrés particuliers, passer de l’état imparfait à l’état parfait dans lequel ils courent en vérité.

4.- Je t’ai fait goûter la perfection de l’âme et les parfums de ses vertus. Je t’ai montré aussi les pièges où elle peut tomber avant d’arriver à la perfection, si elle ne s’applique pas toujours à se connaître et à me connaître Je t’ai montré le malheur de ceux qui se noient dans le fleuve, en ne passant pas par le pont de la doctrine de ma Vérité, que -je vous ai donné pour que vous ne périssiez pas ; mais les insensés ont préféré se noyer dans les misères et la fange du monde. (142)

5.- Je t’ai montré ces choses pour augmenter en toi le feu des saints désirs et la douleur de la perte des âmes, afin que la douleur et l’amour te poussent à me faire violence par les larmes, les sueurs, les humbles et continuelles prières que tu m’offriras avec ardeur. Je t’ai parlé pour que beaucoup d’autres qui me servent m’entendent, et pour qu’enflammés de ma charité, vous m’imploriez tous et vous me forciez à faire miséricorde au monde et au corps mystique de la sainte Église pour lequel tu m’as tant prié.

6.- Je t’ai promis, si tu te le rappelles, d’exaucer vos saints désirs et de récompenser vos peines. Je réformerai la sainte Église en lui donnant de bons et saints pasteurs. Ce ne sera pas avec la guerre, le glaive et la cruauté, mais avec la paix, le calme, les larmes et les sueurs de mes amis ; je vous ai envoyés travailler à vos âmes et à celles du prochain, dans le corps mystique de la sainte Église, en agissant par la vertu, l’exemple et la doctrine, en m’offrant de continuelles prières pour le salut des hommes, et en produisant des vertus dans le prochain. Car je veux que vous soyez utiles à votre prochain, c’est le moyen véritable de faire fructifier votre vigne.

7.- Ne cessez jamais de faire monter vers moi le bon encens de vos prières pour le salut des âmes, parce que je veux faire miséricorde au monde. Je laverai avec vos prières, vos sueurs et vos larmes, la face de mon épouse, la sainte Église, que je t’ai montrée sous la forme d’une femme dont le visage est sali et pour ainsi dire couvert de lèpre, parce que les ministres de la religion et tous les chrétiens l’ont souillée de leurs fautes, comme je te l’expliquerai bientôt.

 

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LXXXVII.- L’âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes.

 

 

1.- Alors cette âme tourmentée d’un immense désir, et tout enivrée de son union avec Dieu et de ce qu’elle avait entendu de la Vérité suprême, se désolait de l’aveuglement des créatures qui méconnaissaient leur bienfaiteur et l’ardeur de la charité divine. Elle se réjouissait cependant de (143) l’espérance que Dieu lui avait donnée, en lui enseignant ce qu’elle devait faire avec ses autres serviteurs, pour obtenir sa miséricorde au monde. Elle fixa le regard de son intelligence dans la douce Vérité à laquelle elle était unie, parce qu’elle voulait savoir quelque chose des états de l’âme dont Dieu lui avait parlé. Et comme elle voyait que l’âme passe

à ces états par les larmes, elle désirait apprendre de la Vérité la différence des larmes, ce qu’elles sont, d’où elles viennent et les fruits qu’elles produisent.

2.- La vérité ne pouvant être connue et comprise que par la Vérité même, elle s’adressait à la Vérité, où rien ne s’aperçoit que par l’intelligence. Celui qui veut la connaître doit s’élever vers elle par l’ardeur du désir, en ouvrant l’oeil de son intelligence par la lumière de la foi, en fixant son regard sur la Vérité. Quand donc cette âme eut connu qu’elle ne s’était pas écartée de la doctrine que Dieu, la Vérité même, lui avait enseignée, et qu’il n’y avait pas d’autres moyens de connaître ce qu’elle voulait savoir des différentes larmes et de leurs fruits, elle s’éleva au dessus d’elle-même par un effort extraordinaire de son désir, et à la lumière d’une foi vive, elle fixait son regard dans la Vérité éternelle où elle vit et connut la vérité de ce qu’elle demandait. Dieu se manifestait à elle, et sa bonté condescendait à son ardent désir et accueillait favorablement sa demande.

 

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LXXXVIII.- Des larmes qui se rapportent aux différents états de l’âme.

 

1.- La Vérité suprême lui disait doucement : Ma très douce et très chère fille, tu me demandes de t’apprendre les causes des larmes et leurs résultats ; je veux satisfaire ton désir. Ouvre donc l’oeil de ton intelligence, et je -te montrerai par les trois états de l’âme les larmes imparfaites qui viennent de la crainte. Mais avant je t’expliquerai celles que répandent les hommes coupables du monde : ce sont des larmes de damnation. ‘Les secondes larmes sont celles de la crainte, celles de ceux qui fuient le péché pour éviter le châtiment et qui pleurent par crainte. Les troisièmes sont celles de ceux qui, purifiés du péché, pleurent avec douceur en commençant à me goûter et à me servir. Mais, parce que leur (144) amour est imparfait, leurs larmes sont encore imparfaites. Les quatrièmes sont celles de ceux qui sont arrivés à la perfection de la charité du prochain, en m’aimant sans intérêt pour eux-mêmes. Ceux-là pleurent, et leurs larmes sont parfaites. Les cinquièmes sont mêlées aux quatrièmes ; ces larmes sont d’une douceur extrême, et il y a un grand charrue à les répandre, comme je te le dirai bientôt.

2.- Je te parlerai aussi des larmes de feu, que l’oeil ne verse pas, parce que ce sont celles de ceux qui voudraient pleurer et ne le peuvent pas. L’âme passe par ces différentes larmes en quittant la crainte et l’amour imparfait pour arriver à la charité parfaite de l’état unitif. Je vais t’expliquer toutes ces larmes.

 

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LXXXIX.- Des différentes sortes de larmes.

 

1.- Apprends, ma fille, que toute larme vient du coeur, car aucune partie du corps ne correspond si parfaitement que l’oeil aux affections du coeur. Si le coeur souffre, l’oeil le fait paraître. Si sa douleur est sensuelle, les larmes le sont aussi et engendrent la mort, parce qu’elles procèdent d’un amour déréglé qui m’offense et qui empoisonne la douleur et les larmes. Cette douleur et ces larmes sont plus ou moins

coupables, selon la mesure de l’amour déréglé, ceux qui pleurent ainsi répandent les larmes de mort dont je t’ai parlé.

2.- Voici maintenant les larmes qui commencent à donner la vie : ce sont les larmes de ceux qui à la vue de leurs fautes commencent à pleurer par crainte du châtiment. Ces larmes sont humaines et sensibles, parce que l’âme n’a pas encore la haine parfaite de sa faute, à cause de l’offense qu’elle m’a faite ;sa douleur vient de la peine qui suit le péché commis, et l’oeil pleure parce qu’il obéit au mouvement du coeur.

3.- Lorsque l’âme s’exerce à la vertu, elle commence à perdre la crainte, parce qu’elle connaît que la seule crainte ne suffit pas pour donner la vie éternelle, comme je te l’ai expliqué dans le second état de l’âme. Alors elle s’élève avec amour à la connaissance d’elle-même et de ma bonté jour elle, et elle commence à espérer de ma miséricorde dans laquelle se réjouit son coeur. La douleur de sa faute se mêle à la joie de l’espérance dans ma miséricorde, et l’oeil commence à verser des larmes qui viennent de la source du cœur (145).

4.- Mais, parce que l’âme n’est pas parvenue à la véritable perfection, souvent ces larmes sont encore sensuelles. Et si tu me demandes pourquoi, je te répondrai : Parce que la racine de l’amour-propre n’est pas détruite : Je ne parle pas de l’amour-propre sensitif, car il est vaincu, mais de l’amour-propre spirituel, qui fait désirer à l’âme les consolations qui viennent de moi ou de quelque créature qu’elle afme d’une affection spirituelle.

5.- Lorsqu’elle est privée de ces consolations intérieures ou extérieures, intérieures si elles viennent de moi, ou extérieures si elles viennent des créatures, lorsqu’elle est éprouvée par les tentations du démon et par les persécutions des hommes, son coeur souffre, et aussitôt l’oeil ressent sa douleur et commence à répandre des larmes personnelles qui viennent de la tendresse que l’âme u pour elle-même, parce que sa volonté propre n’est pas encore entièrement foulée aux pieds et détruite. Ces larmes sont sensuelles, car elles procèdent d’une passion spirituelle dont je t’ai montré l’imperfection.

6.- Mais si l’âme, en augmentant la connaissance d’elle-même, se méprise et se hait parfaitement ; si elle acquiert ainsi une vraie connaissance de ma bonté et un ardent amour, elle commence à unir et conformer sa volonté à la mienne, et à ressentir intérieurement la joie de la compassion, la joie de l’amour et la compassion du prochain, comme je te l’ai dit en parlant du troisième état. Aussitôt l’oeil qui veut satisfaire le coeur verse des larmes excitées par ma charité et par l’amour du prochain. L’âme pleure sur l’offense qui m’est faite, et sur le malheur du prochain, sans penser à la peine qu’elle peut en recevoir elle-même, parce qu’elle s’oublie pour ne penser qu’à rendre gloire à mon nom ; et dans l’ardeur de son désir elle se rassasie à la table de la sainte Croix, en imitant l’humilité, la patience de l’Agneau sans tache, mon Fils unique, dont j’ai fait un pont pour les hommes.

7.- Lorsque l’âme a passé sur ce pont, en suivant la doctrine de rua Vérité et l’exemple de mon Verbe, elle souffre avec une sincère patience les épreuves et les afflictions que je permets pour son salut ; non seulement elle les supporte avec patience, mais encore avec joie et empressement. Elle trouve que c’est une gloire d’être persécutée pour mon nom (146), selon ma volonté et non selon la sienne. Elle est contente, pourvu qu’elle souffre, et elle goûte une consolation et une paix qu’aucune langue n’est capable d’exprimer.

8.- En suivant ainsi la doctrine de mon Fils, elle fixe son intelligence en moi, la Vérité suprême ; en me voyant elle me connaît, en me connaissant elle, m’aime. L’amour suit l’intelligence et savoure ma divinité qu’elle connaît et qu’elle voit dans la nature divine unie à votre humanité. Elle se repose en moi, l’océan de la paix, et son coeur m’est uni par les liens de l’amour, comme je l’ai dit dans le quatrième état unitif. Le sentiment de ma divinité fait verser aux yeux de douces larmes qui sont un lait pur dont l’âme se nourrit clans la patience. Ces larmes sont un baume précieux qui répand un parfum d’une extrême suavité.

9.- O ma fille bien-aimée! quelle gloire pour cette âme qui a réellement su passer de la mer orageuse du monde à moi, l’océan de la paix, pour y remplir le vase de son coeur dans les abîmes de ma divinité! L’oeil, qui est le canal dit cœur, en reçoit les larmes et les répand avec abondance. C’est le dernier état, où l’âme est heureuse et affligée : heureuse par l’union qu’elle éprouve en moi, et par l’amour divin qu’elle goûte ; affligée par l’offense qu’elle voit faire à ma bonté, à ma grandeur qu’elle a vue et goûtée dans la connaissance d’elle-même. C’est par cette connaissance et. par la mienne qu’elle arrive à ce dernier état.

10.- Cet état unitif n’empêché pas qu’elle ne répande des larmes d’une extrême douceur, que lui causent la connaissance d’elle-même et la charité du prochain. Elle pleure d’amour pour ma divine miséricorde, et de douleur pour l’offense du prochain ; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent. L’âme se réjouit avec ceux qui vivent dans la charité, parce qu’elle me voit rendre grâce et honneur par mes serviteurs.

11.- Les secondes larmes n’empêchent pas les dernIères, c’est-à-dire celles du second état d’union. Les unes conduisent aux autres. Si les dernières larmes, où l’âme a trouvé une si grande union, n’étaient pas venues des secondes, c’est-à-dire du troisième état de la charité du prochain, elles ne seraient pas parfaites. Il faut qu’elles viennent les unes des autres : sans cela la présomption serait à craindre ;

le vent perfide de la propre estime pourrait faire tomber (147) l’âme des hauteurs de la vertu jusqu’aux abîmes des premières chutes.

12.- Il faut soutenir et entretenir la-charité du prochain par la vraie connaissance de soi-même. Ainsi s’alimentera le feu de ma charité dans l’âme, parce que la charité du prochain vient de ma charité, c’est-à-dire de cette connaissance que l’âme a d’elle et de ma bonté en elle. Elle voit un amour ineffable envers elle, et du même amour dont elle se voit aimée, elle aime toute créature raisonnable.  C’est pour cela que l’âme, aussitôt qu’elle me connaît, aime le prochain, et elle aime avec ardeur ce qu’elle voit que j’aime le plus.

13.- Elle comprend qu’elle né peut m’être utile personnellement et me rendre ce pur amour que je lui porte ; alors elle s’applique à me rendre cet amour par le moyen que je lui ai donné, c’est-à-dire par le prochain. C’est le moyen dont vous devez profiter ; car, comme je te l’ai dit, toute vertu s’accomplit par le moyen du prochain, en agissant envers lui en général et en particulier, selon les grâces de la vocation que je vous donne.

14.-Vous devez aimer du même amour pur dont je vous aime. Vous ne le pouvez faire à mon égard, parce que je vous ai aimés sans être aimé et sans aucun intérêt, car je vous ai aimés avant même votre existence. L’amour m’a porté à vous créer à mon image et ressemblance. Vous ne pouvez me rendre cet amour gratuit, mais vous devez le rendre aux créatures raisonnables ; vous devez les aimer sans en être aimés et sans songer à aucun intérêt spirituel ou temporel. Vous devez les aimer uniquement pour l’honneur et la gloire de mon nom, parce que je les aime : et ainsi vous accomplirez le commandement de la loi qui est de m’aimer par dessus toute chose et d’aimer le prochain comme vous-mêmes.

15.- Il est vrai qu’on ne peut arriver à cette hauteur que par le second degré de l’union ; et, quand on y est parvenu, on ne peut le conserver, si on s’éloigne de cet amour qui conduit aux secondes larmes. Il est impossible d’accomplir ma loi sans celle qui regarde le prochain. Ce sont les deux pieds de l’affection qui font observer les commandements et les conseils que vous a donnés ma Vérité, Jésus crucifié. Ces deux états, qui n’en font (148) qu’un, nourrissent l’âme dans la vertu, en augmentant sa perfection et son état d’union. L’âme ne change pas d’état quand elle est parvenue à ce degré ; mais à ce degré augmente la richesse de la grâce par de nouveaux dons et d’admirables extases, avec une connaissance de la Vérité qui semble être du ciel plus que de la terre, parce que le sentiment de sa propre sensualité est vaincu, et que sa volonté est morte par l’union qu’elle a avec moi.

16.- Oh ! combien cette union est douce pour l’âme qui en jouit et qui voit ainsi mes secrets! Souvent l’esprit de prophétie lui fait connaître les choses futures ; c’est un don de ma bonté, que l’âme humble ne doit pas demander, parce qu’elle doit fuir, non pas les effets de ma charité, mais le désir des consolations. Pour entretenir sa vertu, elle sa reconnaît indigne de la paix et du repos ; elle ne s’arrête pas au second état, mais elle descend dans la vallée de la connaissance de sa faiblesse.

17.- Ma grâce lui accorde cette lumière pour qu’elle grandisse. Car l’âme n’est jamais si parfaite en cette vie, qu’elle ne puisse arriver à une plus grande perfection d’amour. Il n’y a que mon Fils bien-aimé, votre Chef, qui ne pouvait pas croître en perfection, parce qu’il était une même chose avec moi et moi avec lui. Son âme était bienheureuse par l’union de sa nature divine. Mais vous qui êtes ses membres, vous pouvez, pendant votre pèlerinage, croître toujours en perfection ; vous ne pouvez, cependant arriver à un autre état que celui dont je vous ai parié ; vous êtes arrivés au dernier, mais vous pourrez toujours y croître dans la perfection, autant que vous le désirerez, avec le secours de ma grâce.

 

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XC.- Résumé du chapitre précédent.- Le démon fuit ceux qui sont arrivés aux cinquièmes larmes.- Les attaques du démon sont la voie véritable pour parvenir à cet état.

 

 

1.- Tu as vu maintenant toutes les larmes et leur différence, parce qu’il a plu à ma Vérité de satisfaire ton désir. Les premières viennent de ceux qui sont dans un état de mort et de péché mortel. Tu as vu que la (149) douleur procède généralement du coeur, et comme le principe du sentiment qui cause les larmes est corrompu, cette douleur est corrompue et misérable, et toutes leurs oeuvres sort mauvaises. Dans le second état. se trouvent ceux qui commencent à connaître leur malheur par le châtiment qui doit suivre la faute. C’est là un premier mouvement que ma bonté donne aux faibles et aux aveugles qui se noient dans le fleuve, en méprisant la doctrine de mon Fils. Mais il en est un très grand nombre qui connaissent leur malheur sans crainte servile du châtiment et qui ressentent aussitôt une grande haine d’eux-mêmes ; à cause de cette haine ils se reconnaissent dignes de toutes sortes de peines.

2.- Plusieurs s’appliquent en toute simplicité à me servir et à se repentir de l’offense qu’ils ont faite à leur Créateur. Il est vrai que celui qui a une grande haine de lui-même est plus apte que tout autre à parvenir, à la perfection ; tous y arrivent en s’exerçant à la vertu, mais celui-là y arrive le premier. Celui qui avance avec une

grande haine de lui même doit prendre garde de rester dans la crainte servile ; celui qui marche plus simplement doit prendre garde de s’engourdir dans la tiédeur :

cette route cependant est la vocation la plus commune.

3.- Dans le troisième et le quatrième état se trouvent ceux qui ont quitté la crainte, pour arriver à l’amour et à l’espérance ; ils goûtent ma divine miséricorde, et reçoivent de moi des faveurs et des consolations abondantes ; leurs yeux pleurent d’abord pour satisfaire le sentiment de leur coeur, mais comme ce sentiment est encore imparfait et mélangé de regrets spirituels, en s’exerçant à la vertu, iIs arrivent au degré où l’âme, augmentant son désir, s’unit et se conforme tellement à ma volonté, qu’elle ne peut vouloir et désirer que ce que je veux. Elle trouve alors en elle des pleurs d’amour et de douleur pour l’offense et le malheur du prochain. Cet état est inséparable de la perfection où l’âme s’unit dans la vérité, et augmente l’ardeur du saint désir.

4.- Le démon fuit ce saint désir et ne peut ébranler l’âme, ni par l’injure qui lui est faite parce qu’elle est devenue patiente dans la charité du prochain, ni par les consolations spirituelles ou temporelles parce que la haine (150) d’elle-même, son humilité sincère lui font tout mépriser. Il            est vrai que de son côté le démon ne dort jamais : il vous donne en cela des leçons, lorsque par votre négligence vous perdez à dormir le temps dont vous pourriez profiter. Mais sa vigilance ne peut nuire à cette âme, parce qu’il ne peut supporter l’ardeur de sa charité, ni l’odeur de l’union qu’elle a contractée avec moi, l’océan de la paix.

5.- L’âme ne peut être trompée tant qu’elle est unie à moi ; le démon s’en éloigne, comme la mouche fuit la vapeur d’un vase qui bout sur le feu ; si le vase était tiède, la mouche ne le craindrait pas ; elle s’y arrêterait, quoique souvent elle y périsse, en y trouvant plus de chaleur qu’elle ne croyait. Il en arrive de même pour l’âme qui n’est pas encore parvenue à l’état parfait : le démon, parce qu’il la croit tiède, s’y présente avec beaucoup de tentations ; mais il y trouve une connaissance de soi-même, une ferveur et une horreur des fautes qui lui résistent et fixent la volonté dans les liens de la haine du péché et de l’amour de la vertu.

6.- Que l’âme se réjouisse quand elle éprouve ces tentations, car c’est là le chemin pour arriver à ce doux et glorieux degré. Je te l’ai dit, vous arrivez à la perfection par la connaissance et la haine de vous-mêmes, et par la connaissance de ma bonté. Jamais l’âme ne se connaît aussi parfaitement, si je suis en elle, qu’au moment de ces combats : elle se connaît en se voyant dans des combats qu’elle ne peut éviter malgré sa volonté ; elle peut seulement y résister en refusant toujours son consentement mais pas autrement. Elle peut alors comprendre qu’elle n’est pas ; car si elle était quelque chose par elle-même, elle se délivrerait de ces tentations qui lui répugnent.

7.-Elle s’humilie ainsi dans la connaissance d’elle-même, et avec la lumière de la sainte foi elle court vers moi l’Eternel, dont la bonté conserve sa volonté dans la droiture et la justice, si elle ne consent pas, pendant le combat, à obéir à ces misères qui la tourmentent. Vous avez donc bien raison de vous fortifier dans la doctrine du doux et tendre Verbe, mon Fils unique, lorsque l’adversité et les tentations des hommes et du démon vous éprouvent car ce sont des moyens pour augmenter la vertu et parvenir à la perfection. (151)

 

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XCI.- Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont des larmes de feu.- Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles.

 

 

1.- Je t’ai parlé des larmes parfaites et imparfaites toutes sortent du coeur comme d’un vase, qu’elle qu’en soit la raison : aussi peut-on les appeler toutes des larmes. du coeur. Leur différence vient de l’amour réglé ou déréglé, parfait ou imparfait, comme je te l’ai dit : il me reste maintenant à te parler, pour satisfaire ton désir, de ceux qui souhaitent la perfection des larmes et semblent ne pouvoir l’atteindre.

2.- Y a-t-il une autre manière de pleurer? Oui, car il y a des larmes de feu, c’est-à-dire les larmes d’un vrai et saint désir, les larmes de ceux qui se consument d’amour et qui voudraient perdre la vie dans la douleur, par haine pour eux-mêmes, par zèle pour le salut des âmes ; et il semble qu’ils ne peuvent y réussir. Je te dis que ceux-là ont des larmes de feu, par lesquelles le Saint-Esprit pleure devant moi, pour eux et pour le prochain. Ma divine charité embrase de ses flammes cette âme, qui m’offre ses ardents désirs sans pouvoir pleurer.

3.- Ces larmes sont des larmes de feu, et c’est pour cela que je te dis que le Saint-Esprit pleure dans cette âme. Au lieu des larmes qu’elle ne peut répandre, elle offre le désir, la volonté qu’elle a de pleurer par amour pour moi. Lorsque mes serviteurs exhalent le parfum des saints désirs, et offrent en ma présence d’humbles et continuelles prières, l’Esprit Saint gémit en eux. C’est ce que mon glorieux apôtre saint Paul voulait exprimer lorsqu’il disait que l’Esprit Saint me sollicite pour vous par des gémissements inénarrables (Rom., VIII, 26).

4.- Tu vois donc que ces larmes de feu ne sont pas. moins efficaces que les larmes qui coulent des yeux. Souvent même elles valent davantage, selon la mesure de l’amour. L’âme ne doit donc pas se troubler et se croire privée de moi parce qu’elle désire les larmes et qu’elle ne peut en répandre comme elle le voudrait. Elle doit les désirer en conformant sa volonté à la mienne, et s’humilier (152) toujours, qu’elle les obtienne ou qu’elle ne les obtienne pas, selon qu’il plaît à ma bonté divine.

5.- Quelquefois je n’accorde pas les larmes dû corps, pour que l’âme persévère dans l’humilité, la prière et le désir de me goûter ; car si elle recevait de moi ce qu’elle me demande, elle n’en retirerait pas l’utilité qu’elle en attend, mais elle serait contente de posséder ce qu’elle désire, et ralentirait son ardeur. Pour soutenir et augmenter sa vertu, je la prive des larmes des yeux ; je lui donne des larmes du coeur tout embrasées du feu de ma divine charité. Je suis le médecin, et vous êtes les malades ; je donne à tous ce qui est nécessaire à votre salut et à la perfection de vos âmes.

6.- Ceci est la vérité et l’explication des différentes sortes de larmes que tu m’as demandée, ma fille bien-aimée. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, dans le sang de l’humble Agneau sans tache, et avance toujours dans la vertu, afin d’augmenter en toi le feu de ma divine charité.

 

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XCII.- Dieu veut être servi comme l’être infini, et non comme une chose finie.

 

 

1. -Ces cinq états sont comme cinq canaux principaux dont quatre versent une abondance et une variété de larmes infinies, qui toutes donnent la vie si elles sont appliquées à la vertu. Vous n’êtes pas infinis dans votre douleur, mais vos larmes sont infinies par le désir infini de l’âme.

2.-Tu sais maintenant que toute larme procède du coeur, c’est le coeur qui donne les larmes aux yeux lorsque l’ardeur du désir les y fait naître. Quand le bois vert est dans le feu, la force de la chaleur le fait pleurer, parce qu’il est vert ; s’il était sec il ne pleurerait pas. De même le coeur reverdit par l’action de la grâce, et perd la sécheresse de l’amour-propre qui dessèche l’âme ; ce coeur renouvelé trouve des larmes dans le feu des saints désirs, et, parce que le désir ne finit jamais, il ne peut être rassasié en cette vie.

3.- Plus l’âme aime, moins il lui semble aimer. Aussi excite-t-elle sans cesse le saint désir, qui est fondé sur la (153) charité et qui lui fait répandre des larmes. Mais dès que l’âme est séparée du corps et qu’elle est arrivée à moi, sa fin, elle n’abandonne plus le désir qui la porte vers moi et vers la charité du prochain ; car la charité est entrée dans le ciel comme une reine, avec le fruit de toutes lés autres vertus.

4.- Il est vrai que la peine du désir est finie, mais le désir dure toujours. L’âme .me désire, mais elle me possède en vérité ; sans aucune crainte de perdre ce qu’elle a si longtemps désiré, et de cette manière elle se nourrit de sa faim, elle a faim et elle est rassasiée ; elle est rassasiée et elle a faim, sans jamais connaître le dégoût de la satiété, ni la douleur de la faim, parce que sa béatitude est parfaite.

5.- Ainsi votre désir est infini. Aucune vertu ne pourrait vous mériter la vie éternelle, si vous me serviez d’une manière finie ; car moi, le Dieu infini, je veux être servi par vous d’une manière infinie, et vous n’avez d’infini que le désir et l’élan de votre âme. Aussi je disais que vous aviez une variété de larmes infinies, et c’est la vérité, à cause du désir infini qui se mêle à vos larmes..

6.- Aussitôt que l’âme est séparée du corps, les larmes des yeux lui sont étrangères ; mais l’ardeur de la charité attire le fruit des larmes qu’elle a consumées, comme l’eau est absorbée par une fournaise : l’eau ne reste pas dehors, mais la chaleur du feu’ l’attire et la détruit. De même, l’âme qui est parvenue à goûter le feu de ma charité divine, et qui a quitté la vie avec l’ardeur de ma charité et de la charité du prochain dans l’amour unitif qui lui faisait répandre des larmes, ne cesse jamais de m’offrir ses saints désirs, toujours pleins de bonheur et de larmes.

7.- Ces larmes ne sont pas pénibles comme celles que l’oeil répand et que le feu a consumées, mais ce sont les larmes de feu du Saint-Esprit. Tu vois donc que ces larmes sont infinies, et dans cette vie même, la langue ne peut suffire à raconter la variété de celles qui coulent en cet état. Je t’ai expliqué la différence des quatre états des larmes, il me reste à te dire le fruit des larmes du désir et ce qu’il produit dans l’âme (Dans l’édition de Gigli, cette dernière phrase commence le chapitre suivant. La traduction latine nous semble préférable.). (154)

 

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XCIII.- Du fruit des larmes que répandent les hommes du monde.

 

 

1.- Je commencerai d’abord par les premières larmes dont je t’ai parlé, c’est-à-dire par celles que répandent les -malheureux qui ,vivent dans le monde, et qui font leur

Dieu des choses créées et de leur propre sensualité, ce qui entraîne la ruine de leur âme et de leur corps. Je te dirai que toute larme procède du coeur, et c’est la vérité ; car le coeur souffre autant qu’il aime. Les hommes du monde pleurent quand leur coeur souffre, c’est-à-dire quand il est privé de ce qu’il aime.

2.- Ils ont bien des sortes de larmes. Sais-tu combien?-Autant qu’ils ont de sortes d’amour. Et parce que la racine est corrompue par l’amour-propre sensuel, tout ce qui en sort est corrompu : c’est un arbre qui n’a que des fruits de mort, des fleurs infectes, des feuilles souillées, des rameaux qui traînent à terre et qu’agitent tous les vents. Tel est l’arbre de l’âme. Vous êtes tous des arbres d’amour, et sans l’amour vous ne pouvez vivre ; car vous avez été faits par moi, par amour. L’âme qui vit saintement place la racine de son arbre dans la vallée de l’humilité véritable ; mais celle qui vit misérablement l’enterre dans la montagne de l’orgueil, et, parce que l’arbre est mal planté, il ne produit pas des fruits de vie, mais des fruits de mort.

3.- Ces fruits sont leurs oeuvres, qui sont toutes empoisonnées par le péché, et si parfois ils font quelque bien, comme, la racine est gâtée, ce qui en sort l’est aussi. L’âme qui est en péché mortel ne peut faire aucune chose méritoire pour la vie éternelle, puisqu’elle n’est pas en état de grâce. Elle ne doit pas cependant abandonner les bonnes oeuvres, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en dehors de la grâce ne sert pas à la vie éternelle, mais ma bonté et ma justice divine donnent une récompense imparfaite comme l’oeuvre imparfaite que l’âme me présente.

 4.- Quelquefois je la récompense par des biens temporels ; quelquefois je lui accorde, comme je te l’ai dit ; du (155) temps pour qu’elle puisse se corriger. D’autres fois je lui donne la vie de la grâce par le moyen de mes serviteurs que j’aime et que j’écoute. Ainsi l’ai-je fait pour mon glorieux apôtre saint Paul, qui, par la prière de saint Étienne, cessa d’être infidèle et de persécuter les chrétiens. Dans quelque état que l’homme se trouve, il ne doit jamais cesser de bien faire.

5.- Je t’ai dit que les fleurs de cet arbre étaient corrompues, et c’est la vérité. Ces fleurs sont les pensées infectes du coeur qui m’offense et qui déteste le prochain ; l’homme, comme un voleur, dérobe mon honneur pour se le donner à lui-même. Ses fleurs répandent l’infection des faux jugements de deux manières. D’abord l’homme me juge faussement en jugeant mal mes jugements secrets et mes mystères ; il reçoit avec haine ce que j’ai fait par amour ; il         voit le mensonge où j’ai mis la vérité, et la mort où j’ai placé la vie. Il juge et condamne d’après sa faiblesse et son ignorance. Parce qu’il a obscurci l’oeil de l’intelligence recouvert la pupille de la sainte foi avec l’amour-propre sensuel, il ne peut plus voir et connaître la vérité.           

6.- Il juge ensuite faussement le prochain ; ce qui cause souvent de grands maux. Ce pauvre homme, qui s’ignore lui-même, veut connaître le coeur et les sentiments de la créature raisonnable, et les juger d’après un acte qu’il verra ou une parole qu’il entendra. Mes serviteurs jugent toujours en bien, parce qu’ils s’appuient sur moi, le Bien suprême ; les malheureux, au contraire, jugent tout en mal, parce qu’ils partent d’un principe mauvais. Leurs Jugements engendrent souvent la haine, l’homicide, l’aversion pour le prochain et l’éloignement de l’amour de la vertu dans mes serviteurs.

7.- Viennent ensuite les feuilles, qui sont les paroles qui sortent de la bouche pour me blâmer, pour profaner le sang de mon Fils et pour injurier le prochain.            Ils ne songent à autre chose qu’à maudire et condamner mes oeuvres, à blasphémer et à dire du mal de tous            ceux qu’ils rencontrent et qu’ils jugent témérairement. Ils ne pensent pas, les malheureux, que la langue et       uniquement faite pour m’honorer., pour confesser leurs fautes, pour     pratiquer la vertu et travailler au salut du prochain. Ce sont (156) là les feuilles du péché, car le coeur d’où elles viennent n’est pas pur ; il est tout souillé de fausseté et- de misère, Outre le tort que cause à l’âme la privation de la grâce, que de malheurs temporels occasionnent ces langues coupables! car par leurs paroles combien ne voit-on pas de changements de fortune, de bouleversements dans les villes, d’homicides et de catastrophes? Une parole entre dans le coeur de celui qui l’entend ; elle pénètre là où ne pouvait arriver le poignard.

8.- Cet arbre a sept branches qui traînent par terre et qui donnent des fleurs et dès feuilles, comme je viens de le dire. Ces branches sont les sept péchés capitaux, qui en portent tant d’autres. Leur commune racine est l’amour de soi-même et l’orgueil, d’où partent les fleurs des pensées mauvaises, les feuilles des paroles coupables et les fruits des actions criminelles.

9.- Les branches sont courbées jusqu’à terre, car les péches mortels inclinent vers la terre et abaissent vers les choses fragiles du monde les hommes qui ne songent qu’à s’en repaître sans pouvoir s’en rassasier Ils sont insatiables et insupportables à eux-mêmes. Il est bien juste qu’ils soient toujours inquiets, toujours vides, puisqu’ils ne désirent qu’une chose qui ne pourra jamais les satisfaire. Ce qui les empochent d’être rassasiés, c’est qu’ils désirent une chose finie, tandis qu’ils sont une chose infinie, puisque leur être ne finira jamais, quoiqu’ils meurent à la grâce par le péché.

10.- L’homme est au-dessus des choses créées, et les choses créées ne sont pas au dessus de lui ; il ne peut se rassasier et trouver le repos que dans une chose plus grande que lui. Au dessus de lui ; il n’y a rien que moi, l’Éternel, aussi je puis seul le rassasier. Tant qu’il se prive de moi par sa faute, il est dans une peine et un tourment continuels Après la peine viendront les larmes, et les vents frapperont l’arbre de l’amour sensuel, qui est le principe de tout mal.

 

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XCIV.- Les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents.

 

 

1.- Les mondains sont agités par quatre sortes de vents, (157) le vent de la prospérité, le vent de l’adversité, le vent de la crainte et le vent de la conscience. Le vent de la prospérité nourrit dans l’âme l’orgueil, la haute estime de soi-même et le mépris du prochain. S’il domine, il multiplie l’injustice, la vanité du coeur, les impuretés du corps et de l’esprit, l’amour-propre, et tous les vices qui en viennent. Ta langue ne suffirait pas à les raconter.

2.- Est-ce le vent de la prospérité qui est corrompu lui-même? Non certainement, ni ce vent ni les autres. Ce qui est corrompu, c’est la racine de l’arbre, et tout ce qui en sort est corrompu. Moi qui suis la Bonté suprême, je vous donne toute chose, et le vent de la prospérité que je vous envoie ne peut être mauvais. Si les mondains pleurent, c’est que leur coeur n’est pas rassasié, il désire ce qu’il ne peut avoir; cette privation cause sa peine et la peine cause les larmes; parce que l’oeil veut toujours satisfaire le coeur.

3.- Vient ensuite le vent de la crainte servile, qui fait que l’homme a peur de son ombre, tant il craint de perdre ce qu’il aime. Il craint de perdre, ou sa vie, ou ses enfants, ou d’autres créatures. Il tremble pour sa fortune ou celle des autres qui l’intéressent, pour ses honneurs et ses richesses. Cette crainte ne le laisse pas jouir en paix, parce qu’il ne possède pas selon les règles de ma volonté: de là sa crainte servile et continuelle. Il se rend l’esclave malheureux du péché; il s’assimile à la chose qu’il sert, et comme le péché est un néant, il va au néant.

4.- Lorsque le vent de la crainte l’a frappé, il ressent bientôt celui de l’adversité, qu’il redoutait et qui le prive de ce qu’il possède, en tout ou en partie. Quelquefois il perd tout en perdant la vie; la mort le dépouille de toute chose. Quelquefois la ruine n’est pas si complète il perd la santé, ou ses enfants, ses richesses, son rang, ses honneurs, selon que moi, le bon médecin, je vois que votre salut le réclame. Je vous avais donné ces choses pour votre bien, mais votre fragilité a tout corrompu. L’âme méconnaît la vérité et ne goûte pas le fruit de la patience. Elle produit l’impatience, les scandales, les murmures, la haine, l’aversion pour moi et pour mes créatures.

5.- Ainsi, ce que je lui avais donné pour la vie, elle le reçoit pour la mort, et la douleur de leur perte est (158) proportionnée à leur amour. Elle est réduite à des larmes pleines d’impatience, qui la dessèchent et la tuent, en lui enlevant la vie de la grâce. Le corps lui-même se consume et dépérit; l’homme malheureux perd la vue spirituelle et corporelle; il n’a plus de bonheur, d’espérance, parce qu’il est privé de ce qu’il aimait, de ce qui était son affection, sa foi, son espérance ; et il verse des larmes. Ce ne sont pas seulement ces larmes qui causent ces tristes effets, c’est aussi l’amour déréglé et la peine du coeur d’où viennent ces larmes.

6.- Les larmes des yeux ne donnent pas la mort, c’est la racine d’où elles procèdent, c’est à-dire l’amour propre déréglé du coeur. Si le coeur était réglé et avait la vie de la grâce, ses larmes seraient réglées, et il connaîtrait que moi, l’Éternel, je veux lui faire miséricorde. J’ai dit que les larmes donnaient la mort, car les larmes sont des messagères qui vous annoncent la vie ou la mort qui est dans le coeur.

7.- Le vent de la conscience se fait aussi sentir, et c’est un acte de ma divine bonté. J’ai voulu attirer l’homme par l’amour, au moyen de la prospérité. J’ai essayé ensuite la crainte, pour le porter par le trouble de son coeur à aimer d’une manière sainte et méritoire. Je I’ai enfin éprouvé par la tribulation, afin qu il connut la fragilité et le peu de consistance du monde. Lorsque tout a été inutile, mon amour ineffable lui accorde le remords de la conscience, afin qu’il ouvre la bouche et qu’il vomisse la corruption du péché par la sainte confession. Mais les malheureux obstinés s’éloignent toujours de moi par leurs fautes et ne veulent recevoir ma grâce d’aucune manière. Ils fuient le remords de la conscience, et s’en délivrent par des plaisirs coupables, par des offenses contre moi et contre le prochain Il en est ainsi parce que la racine et l’arbre sont corrompus tout devient mortel pour eux, et ils sont dans des peines continuelles et des larmes amères.

8.- S’ils ne se convertissent pas pendant qu’ils ont encore le temps de se servir du libre arbitre, ils passent des larmes finies à des larmes infinies. Le fini devient infini, parce que ces larmes ont été répandues avec une haine infinie de la vertu, c’est-à-dire avec un désir de l’âme fondé sur une haine infinie. Il est vrai que, s’ils avaient voulu, ils seraient (159) sortis de ces larmes, avec le secours de ma grâce, quand ils étaient encore libres. J’ai dit ces larmes infinies quant au désir et à l’être de l’âme, mais non quant à la haine et à l’amour qui est dans l’âme. Car, tant que vous êtes dans cette vie, vous pouvez aimer et haïr à votre gré : mais si l’homme finit dans l’amour de la vertu, il reçoit un bien infini, et s’il finit dans la haine, il reste dans une haine infinie en recevant l’éternelle damnation, comme je te l’ai dit lorsque je te parlais de ceux qui se noyaient dans le fleuve.

9.- Ceux-là ne peuvent désirer le bien parce qu’ils sont privés de ma miséricorde et de la charité que goûtent les saints, les uns avec les autres. Ils sont privés aussi de votre charité pendant que vous êtes voyageurs sur cette terre, où je vous ai placés pour que vous arriviez à moi, la Vie éternelle ; les prières, les aumônes, les autres bonnes oeuvres ne leur servent plus de rien. Ce sont des membres retranchés du corps de ma charité divine, parce que, pendant qu’ils ont vécu, ils n’ont pas voulu être unis à l’obéissance de mes saints commandements, dans le corps mystique de la sainte Église, leur mère, dans sa douce obéissance, où vous puisez le sang de l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé.

10.- Ils recueillent le fruit de l’éternelle damnation, avec les pleurs et les grincements de dents. Ce sont les martyrs du démon ; le démon leur donne le fruit qu’il a lui-même. Ainsi, tu le vois, les pleurs des mondains leur procurent des peines amères dans le temps, et à la mort la société éternelle des démons.

 

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XCV.- Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.

 

 

1.-Il me reste maintenant à te parler du fruit que reçoivent ceux qui commencent à quitter le péché par crainte du châtiment. Quelques-uns sortent de la mort du péché mortel par crainte du châtiment, et, comme je te l’ai dit, c’est la vocation commune. Quel fruit en retirent-ils? ils commencent à purifier la demeure de leur âme des souillures du péché. Le libre arbitre y est déterminé par la crainte, et dès qu’ils ont ainsi purifié l’âme de ses fautes, ils reçoivent la paix de la conscience, disposent (160) leur âme à l’amour, et, en considérant leur intérieur, où ils n’apercevaient, avant- de l’avoir débarrassé, que la corruption de leurs nombreux péchés, ils commencent à recevoir la consolation, parce que le ver de la conscience est tranquille et qu’ils sont prêts à prendre la nourriture des vertus. 

2.- Ainsi fait l’homme lorsque son estomac est débarrassé des humeurs mauvaises ; son appétit le porte à prendre des aliments. De même ceux-ci attendent que la main du libre arbitre prépare avec le désir la nourriture des vertus que l’âme doit prendre. En effet, l’âme, en éprouvant cette crainte, purifie du péché ses affections ; elle reçoit le second fruit, c’est-à-dire le second état des larmes où l’âme, poussée par l’amour, commence à orner de vertus sa demeure, quoiqu’elle soit encore imparfaite. Pourvu qu’elle quitte la crainte, elle reçoit la consolation et la douceur, parce que son coeur jouit de ma vérité et de moi, qui suis l’amour même. Et à cause de la douceur, et de

la consolation qu’elle trouve en moi, elle commence à aimer avec bonheur, parce qu’elle jouit de moi et des créatures à cause de moi.

3.- En exerçant l’amour qui est entré dans le coeur purifié par la crainte, l’âme commence à goûter les fruits de ma divine bonté ; et dès que l’amour est maître de l’âme, elle commence à jouir en recevant les fruits nombreux et variés de la consolation. Par la persévérance, elle, obtient enfin de s’asseoir au festin, c’est-à-dire que, quand elle a passé de la crainte à l’amour des vertus, et qu’elle est arrivée aux troisièmes larmes, elle s’asseoit à son festin, elle dresse la table de la très sainte Croix dans son coeur ; dès qu’elle l’a mise, elle y trouve la nourriture du doux et tendre Verbe, qui lui montre mon honneur et votre salut ; car c’est pour mon honneur et votre salut que le coeur de mon Fils bien-aimé a été ouvert, et que sa  chair vous a été offerte en aliment. Alors elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes, avec la haine et l’horreur, du péché.

4.- Quel fruit reçoit l’âme de ce troisième état des larmes? Elle reçoit une force fondée sur une sainte haine de la sensualité, avec le doux fruit d’une humilité véritable et d’une patience qui ôte tout scandale et délivre l’âme de toute (161) affliction, parce qu’avec le glaive de la haine elle a tué sa propre volonté, principe de vos peines. Il n’y a que la  volonté sensitive qui se scandalise des injures, des persécutions, de la privation des consolations temporelles et spirituelles, comme je te l’ai dit, et ç’est ainsi que l’âme tombe dans l’impatience. Mais quand sa volonté est morte dans les douces larmes du désir, elle commence à goûter le fruit de la patience.

5.- O fruit d’une extrême suavité, combien tu es doux à qui te goûte, et combien tu m’es agréable! Tu fais trouver la douceur dans l’amertume, la paix au milieu des injures. Lorsque la mer est bouleversée par la tempête, et que les vents furieux poussent des vagues immenses sur la barque de ton âme, tu restes calme et tranquille sans recevoir aucun mal. Ta barque est protégée par la  volonté divine, une ardente charité l’enveloppe comme d’un vêtement, et il est impossible à l’eau d’entrer.

6.- O ma fille bien-aimée, la patience est une reine qui résiste sur un roc inébranlable ; elle est toujours victorieuse, jamais vaincue. Elle n’est pas seule, car la persévérance l’accompagne ; elle est la moelle de la charité, et c’est celle qui montre qu’on porte la robe nuptiale. Si ce vêtement est déchiré par l’imperfection, elle le fait voir sur-le-champ par son contraire, c’est-à-dire par l’Impatience.

 7.- Toutes les vertus peuvent tromper quelque temps et faire croire qu’elles sont parfaites, lorsqu’elles sont imparfaites ; mais elles ne peuvent se cacher devant, toi, ô Patience, parce que tu es le miroir de l’âme : tu es l’essence de la charité et tu montres si les vertus sont vivantes et parfaites. Dès que tu es absente, on voit que toutes les vertus sont imparfaites, et qu’elles ne sont pas encore nourries à la table de la sainte Croix. L’âme te conçoit dans la connaissance d’elle-même et dans la connaissance de ma bonté ; elle t’enfante par une sainte haine et te fortifie par une humilité véritable ; tu peux toujours prendre la nourriture de mon honneur et du salut des âmes, et tu t’en rassasies sans cesse.

8.- Ma fille bien-aimée, regarde mes doux et glorieux martyrs, qui se nourrissaient des âmes par la patience. Leur mort donnait la vie ; ils  ressuscitaient les morts, et chassaient les ténèbres du péché. Le monde et toutes ses (162) grandeurs, les princes et toute leur puissance ne pouvaient leur résister, à cause de la royale vertu de la patience.

9.- Cette vertu est la lampe sur le candélabre ; c’est le fruit glorieux que donnent les larmes, lorsque l’âme, parvenue à la charité du prochain, se nourrit avec l’Agneau sans tache, mon Fils unique, par le supplice de son, désir, et le tourment qu’elle ressent de l’offense qui m’outrage. Ce n’est pas une peine qui l’afflige, parce que l’amour avec la vraie patience tue la crainte et l’amour-propre, qui donnent la peine. Mais c’est une peine pleine de douceur qui vient de l’offense qui m’est faite, et du malheur du prochain. Elle a pour principe la charité, et cette peine engraisse l’âme qui s’en réjouit, parce que c’est une preuve qui lui montre que je suis en elle par ma grâce.

 

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XCVI.- Du fruit des quatrièmes larmes unitives.

 

 

1.- Je t’ai dit le fruit des troisièmes larmes ; vient ensuite le quatrième et dernier état des larmes unitives, qui n’est pas séparé du troisième. Ils sont unis ensemble, comme ma charité avec celle du prochain ; l’une est préparée par l’autre ; mais, en arrivant au quatrième état, l’âme a fait tant de progrès, qu’elle souffre non seulement avec patience, mais qu’elle désire encore souffrir. Elle méprise toute jouissance, de quelque côté qu’elle vienne, pourvu qu’elle puisse ressembler à Jésus crucifié.

2.- Elle reçoit un fruit de paix spirituelle, une union par sentiment avec ma nature divine, dont elle goûte le lait comme l’enfant qui se repose paisiblement sur le sein de sa mère, pendant que ses lèvres y puisent la nourriture de même, l’âme arrivée à ce dernier état repose sur le sein de ma divine charité, Elle tient les lèvres du saint désir sur la chair de Jésus crucifié : c’est-à-dire qu’elle suit ses traces et sa doctrine ; car elle a bien compris dans le troisième état, qu’on ne pouvait avancer par moi le Père, parce qu’en moi ne peut se trouver la peine ; elle se trouve dans mon Fils bien-aimé, le doux et tendre Verbe.  

 3.- Oui, vous ne pouvez avancer sans peine ; c’est en souffrant beaucoup que vous arriverez à des vertus solides. L’âme se placé donc sur le sein de Jésus crucifié ; elle tire à (163) elle le lait des vertus qui lui donnent la vie de la grâce, elle y goûte ma nature divine qui rend douces les vertus. Les vertus en elles-mêmes n’étaient pas douces, mais elles le sont devenues, parce qu’elles ont été faites et unies en moi,

l’Amour suprême ; car l’âme n’a pas pensé à elle, mais seulement à mon honneur et au salut des âmes.

4.- Regarde, ma fille, combien est doux et glorieux cet état où l’âme s’attache tellement au sein de la charité, que jamais ses lèvres ne se séparent de cette source inépuisable. L’âme ne se trouve ainsi jamais sans Jésus crucifié, et sans moi le Père, qu’elle a trouvé en goûtant l’éternelle et souveraine Déité. Oh! qui pourra comprendre combien s’enrichissent les puissances de cette âme? La mémoire se remplit continuellement de mon Souvenir ; elle se rappelle avec amour tous mes bienfaits ; non pas à cause des bienfaits eux-mêmes, mais à cause de la charité avec laquelle je les lui ai accordés. Elle se rappelle d’abord le bienfait de la création

qui l’a faite à mon image et ressemblance ; puis, dans le premier état, la peine qui a puni son ingratitude, et ensuite la délivrance de ses fautes par le bienfait du sang du Christ dans lequel je l’ai fait renaître à la grâce en lui ôtant la lèpre du péché. Elle se rappelle que, dans le second état, elle a goûté la douceur de l’amour et le repentir du péché qu’elle voit m’avoir tellement déplu que je l’ai puni sur le corps de mon Fils unique. Elle se rappelle enfin le bienfait de la venue du Saint-Esprit, qui l’a éclairée, et qui l’éclaire dans la vérité.

5.- Quand l’âme reçoit-elle cette lumière? Lorsqu’elle a reconnu, dans le premier et le second état, ma libéralité envers elle. Elle reçoit alors la lumière parfaite ; elle connaît ma vérité, c’est-à-dire que par mon amour paternel je l’ai créée pour lui donner la vie éternelle ; et cette vérité je l’ai montrée par le sang de Jésus crucifié. Dès qu’elle la connaît elle l’aime ; dès qu’elle l’aime, elle le prouve en aimant purement ce que j’aime et en haïssant ce que je hais. Elle se trouve ainsi dans le troisième état de la charité du prochain. La mémoire se nourrit alors sur le sein de la charité ; elle se dépouille de toute imperfection, parce qu’elle s’est rappelé et qu’elle a retenu mes bienfaits.

6.- L’intelligence a reçu la lumière ; en regardant dans la mémoire elle a connu la vérité, et en perdant l’aveuglement (164) de l’amour-propre, elle est restée dans le soleil de son objet, Jésus crucifié, qu’elle connaît vrai Dieu et vrai homme. Outre cette connaissance que lui donne cette union, elle s’élève à une lumière acquise, non par sa nature, ni par son propre mérite, mais par la grâce particulière que lui donne ma Vérité, qui ne méprise jamais l’ardeur des désirs et les fatigues

 qu’on offre devant moi. Alors le coeur qui suit toujours l’intelligence, s’unit à moi d’un amour très parfait et très enflammé. Et si quelqu’un me demandait ce qu’est cette âme, je répondrais : Un autre moi-même par l’union de l’amour.

7.- Quelle langue pourrait dire l’excellence de ce dernier état, et les fruits nombreux et variés qu’en retirent les trois puissances de l’âme? C’est de leur sainte union que je te parlais en t’expliquant, à l’occasion des trois degrés, la parole de ma Vérité. Non, la langue ne peut le dire ; cependant les saints docteurs, éclairés par cette glorieuse lumière, l’ont montrée en- expliquant la Sainte Écriture. Tu sais que le grand saint Thomas d’Aquin, de ton Ordre, puisa plutôt la science dans la prière, l’extase et la lumière de l’intelligence, que dans les études humaines. C’est une lumière que j’ai  donnée au corps mystique de la sainte Eglise pour dissiper les ténèbres de l’erreur.

8.-Si tu regardes le glorieux évangéliste saint Jean, quelle lumière puisa-t-il sur le sein du Christ, ma Vérité! Et avec cette lumière, combien longtemps il annonça ma Vérité! Tous, par leur parole, ont propagé cette lumière d’une manière ou d’une autre. Mais quant au sentiment intérieur, à la douceur ineffable que donne l’union parfaite, la langue ne pourra jamais l’exprimer, puisqu’elle est une chose finie.

C’est ce que saint Paul affirmait en disant : « L’oeil ne peut  voir, l’oreille entendre, le coeur imaginer le bonheur que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment véritablement »

(I Cor., II, 9). 

 9.- Oh! qu’elle est douce cette demeure! douce au dessus de toutes les douceurs, par l’union parfaite de l’âme en moi. Cette union est telle que la volonté disparaît de l’âme, parce qu’elle ne fait plus qu’un avec moi. Elle répand par le monde le parfum et le fruit de ses humbles et continuelles prières ; l’encens de son désir prie sans cesse pour le salut des âmes ; c’est une voix sans parole humaine, qui crie toujours en présence de ma divine Majesté. (165)

10.- Ce sont ces fruits de l’union qui. nourrissent l’âme pendant la vie, dans ce dernier état, acquis par bien des fatigues, des larmes et des sueurs. Elle passe ainsi avec la persévérance dans la grâce de cette union qui est encore imparfaite, à l’union durable et éternelle. Je dis imparfaitement, uniquement parce qu’elle ne peut se rassasier de ce qu’elle désire tant qu’elle est dans les liens d’un corps mortel, où se trouve une loi perverse ; cette loi est endormie par l’amour de la vertu : elle n’est pas morte, et elle peut se réveiller, si la puissance de la vertu qui l’endort, disparaît. C’est pour cela qu’on peut appeler cette union imparfaite, mais cette union imparfaite conduit l’âme à recevoir la perfection durable que rien ne peut détruire, comme je te le disais en parlant des Bienheureux qui me goûtent véritablement, moi la Vie, le Bien suprême qui ne finit jamais.

11.- Ceux-là ont reçu la vie, tandis que les autres n’ont recueilli de leurs larmes que la mort. Ils sont arrivés à la joie par des larmes qui leur ont mérité des récompenses éternelles, et leur ardente charité crie toujours vers moi et m’offre sans cesse des larmes de feu pour vous. Maintenant je t’ai dit les différents degrés de larmes, leur valeur, leurs perfections et les fruits qu’en retirent les âmes. Les parfaits reçoivent la vie éternelle et les méchants l’éternelle damnation.

 

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XCVII.- L’âme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes, et elle lui fait trois demandes.

 

 

1.- Alors cette âme enflammée d’un ardent désir par les explications que Dieu, la Vérité même, lui avait données des différents états de larmes, disait dans la violence de son amour : Grâces, grâces vous soient rendues, ô Père, qui satisfaites les saints désirs, et qui vous passionnez pour nôtre salut ; vous qui, au moment où nous étions en guerre avec vous, nous avez montré tant d’amour, par le moyen de votre Fils unique! Au nom de cet amour ineffable, je vous demande, par grâce et miséricorde, de pouvoir arriver sûrement à vous, non dans les ténèbres, mais dans la lumière ; ne suivre la doctrine de votre Vérité, que vous m’avez clairement montrée.

2.- Afin de pouvoir distinguer deux pièges que je crains (166) de rencontrer, je voudrais, ô Père éternel, qu’avant de finir ce sujet vous m’expliquiez ces deux points : D’abord, si quelqu’un s’adressait à moi ou à un de vos autres serviteurs, et demandait conseil sur la manière de vous servir, quelle doctrine faudrait-il lui donner? Je sais bien ; mon Dieu, que vous m’avez déjà expliqué cette parole que vous m’avez dite : « Je suis celui qui aime peu de mots et beaucoup d’actions ». Cependant, s’il plaisait fi votre bonté de m’en dire e-acore quelque chose, je serais bien heureuse.

3.- Si en priant pour vos créatures et particulièrement pour vos serviteurs, je voyais, dans l’oraison, une âme bien disposée et paraissant jouir de vous et si j’en voyais une autre qui semblerait obscure, devrais-je, ô Père éternel, juger que l’une est dans la lumière et l’autre dans les ténèbres? Ou si je voyais quelqu’un faire de grandes pénitences et un autre y être étranger, devrais je juger qu il y a une plus grande perfection dans celui qui fait de grandes pénitences que dans celui qui a en fait pas ? Faites, mon Dieu, que je ne m’égare pas dans mon peu de clairvoyance, et expliquez moi plus particulièrement ce que vous m avez dit d’une manière générale. 

4.- La seconde chose que je vous demande, c’est de me montrer davantage, le signe auquel on reconnaît si c’est vous qui visitez l’âme, ou si ce n’est pas vous. Il me semble que vous me disiez, Ô Vérité éternelle, que l’âme reste alors joyeuse et portée à la vertu. Je voudrais savoir si cette joie peut être une illusion de la passion spirituelle ; si cela était, je ne m’arrêterais qu’au signe de la vertu. Ces choses, je vous les demande afin de pouvoir vous servir dans la vérité, afin de servir le prochain et de ne faire aucun faux jugement à l’égard de vos créatures et de vos serviteurs. Car juger ainsi éloigne l’âme de vous, et je ne voudrais pas tomber dans ce malheur.

 

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XCVIII.- La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut servir Dieu.- De la lumière générale.

 

1.- Alors l’Éternel, se délectant de la soif et de la faim de cette âme, de la pureté de son coeur et du désir avec lequel elle demandait les moyens de le servir, jeta-sur elle  les regards de sa miséricordieuse bonté, en lui disant : Ma (167) bien-aimée, ma chère et douce fille, mon épouse fidèle, élève-toi au dessus de toi-même, et ouvre l’oeil de ton intelligence pour contempler ma bonté infinie et l’amour ineffable que j’ai pour toi et pour mes autres serviteurs. Ouvre l’oreille de ton coeur et de ton désir ; car, si tu ne voyais pas, tu ne pourrais pas entendre et connaître ma Vérité.

2.- L’âme qui ne voit pas avec l’oeil de son intelligence l’objet de ma Vérité, ne peut entendre ni connaître ma Vérité, et je veux que, pour la mieux connaître, tu t’élèves au dessus de tes sens. Tes demandes et tes désirs me sont agréables et je vais y satisfaire. Mon bonheur ne peut venir de vous, car je suis Celui qui suis ; je puis vous enrichir, et vous ne pouvez rien pour moi ; je nie réjouis en moi-même de mes oeuvres.

3.- Alors cotte âme obéissante s’éleva au dessus d’elle-même, pour connaître la vérité sur ce qu’elle demandait ; et l’Éternel lui dit : Afin que tu puisses mieux comprendre ce que je te dirai, je commencerai par te parler des trois lumières qui sortent de moi, la vraie Lumière.

4.- La première lumière est une lumière générale pour ceux qui sont dans la charité commune. Je t’en ai déjà entretenu de plusieurs manières, mais je te répéterai certaines choses, afin que ton faible entendement comprenne mieux ce que tu désires savoir : Les deux autres lumières sont pour ceux qui se séparent du monde et veulent atteindre la perfection ; et sur ce sujet je te dirai ce que tu m’as demandé, et je t’expliquerai particulièrement ce que j’en ai dit d’une manière générale.

5.- Tu sais que, sans la lumière de la raison, personne ne peut aller par la voie de la vérité ; et cette lumière de la raison, vous la tirez de moi, la vrai Lumière, au moyen de l’intelligence et avec la lumière de la foi que je vous ai donnée dans le saint baptême, si vous ne vous en privez pas par vos fautes.

6.- Le baptême, par la vertu du sang de mon Fils unique, vous a donné la forme de la foi ; et cette foi s’exerce par la vertu, par la lumière de la raison. La raison s’illumine de cette lumière qui vous donne la vie et vous fait marcher dans la voie de la vérité. Avec cette lumière vous parvenez à moi, la vraie Lumière, et sans elle vous n’arriverez qu’aux ténèbres. (168)

7.- Deux lumières qui viennent de cette lumière vous sont nécessaires, et à ces deux lumières j’en joindrai une troisième. La première vous fait clairement comprendre les choses transitoires du monde qui passe comme le vent ; mais vous ne pouvez le bien connaître, si vous ne connaissez pas d’abord votre propre fragilité, et combien elle s’incline vers la loi perverse qui est attachée à vos membres pour combattre contre moi, votre Créateur. Cette loi ne peut forcer personne à commettre le moindre péché, si la volonté n’y consent pas, mais elle combat violemment contre l’esprit.

8.- Je n’ai pas donné cette loi pour que la créature raisonnable fût vaincue, mais pour que la vertu augmentât et fût éprouvée dans l’âme, car la vertu ne s’éprouve que par les contraires. La sensualité est contraire à l’esprit, et c’est par la sensualité que l’âme montre l’amour qu’elle a pour moi, son Créateur. Comment le prouve-t-elle? Lorsqu’elle se combat elle-même par le mépris.

9.- J’ai aussi donné cette loi aux hommes, pour les, conserver dans l’humilité véritable. Tu dois voir qu’en créant l’âme à mon image et à ma ressemblance, et en l’élevant à une si haute dignité et beauté, je l’ai associée en même temps aux choses les plus viles en lui donnant cette loi perverse, en la liant à un corps formé de la fange de la terre, afin que, voyant sa beauté, elle ne levât pas orgueilleusement la tête contre moi.

10.- Ainsi donc, l’homme fragile qui a cette lumière, a raison d’humilier son âme, et n’a aucun sujet de s’enorgueillir, mais il doit concevoir une humilité sincère et parfaite. Cette loi ne peut aucunement forcer au péché, mais elle est un moyen de vous donner la connaissance de vous-même et de l’instabilité de la vie présente. C’est ce que doit voir l’oeil de l’intelligence avec la lumière de la sainte foi qui est, comme je te l’ai dit, la prunelle de l’oeil.

11.- Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable qui désire, dans quelque état que ce soit, participer à la vie de la grâce et au fruit du sang de l’Agneau sans tache. C’est la lumière générale que chacun doit avoir : et. s’il ne l’avait pas, il serait en état de damnation. Et ce qui l’empêche d’être en état de grâce, c’est de n’avoir pas la lumière ; celui qui n’a pas la lumière ne connaît pas le mal (169) de la faute et ce qui en est la cause, et par conséquent il ne peut pas fuir et détester cette cause.

12.- Il ne connaît pas non plus le bien et la cause du bien, c’est-à-dire la vertu ; il ne peut m’aimer et me désirer, moi qui suis le Bien suprême ; il ne peut aimer et désirer la vertu, que je vous ai donnée comme instrument et comme moyen pour obtenir ma grâce et le bien véritable. Tu dois comprendre quel besoin vous avez de cette lumière ; car vos fautes ne consistent qu’à aimer ce que je hais et à haïr ce que j’aime. J’aime la vertu et je hais le vice ; celui qui aime le vice et hait la vertu, m’outrage et se prive de ma grâce. Il va comme un aveugle, ne connaissant pas la cause du vice, qui est l’amour-propre sensitif. Il ne se hait pas lui-même ; il ne connaît pas le vice et le mal qui vient du vice ; il ignore aussi la vertu, et il m’ignore, moi qui lui donne la vertu et qui lui accorde la vie et la dignité où il se conserve et acquiert la grâce par le moyen de la vertu. Tu vois que son aveuglement est la cause de son mal, et que cette lumière vous est nécessaire.

 

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XCIX.- De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière générale.

 

 

1.- Lorsque l’âme est parvenue à la lumière générale dont je viens de te parler, elle ne doit pas s’en contenter ; car tant que vous êtes dans le pèlerinage de cette vie, vous pouvez avancer, et celui qui n’avance pas recule. Il faut avancer dans la lumière générale acquise par ma grâce et s’efforcer d’atteindre la seconde lumière en allant de l’imparfait au parfait, parce qu’il faut avec la lumière arriver à la perfection.

2.- Dans cette seconde lumière il y a deux sortes de parfaits ; les parfaits sont ceux qui ont quitté la vie commune du monde, et dans cette perfection il y a deux états :

le premier, où sont ceux qui s’appliquent entièrement à châtier leur corps par de rudes et de grandes pénitences, pour que leurs sens ne se révoltent pas Contre la raison ; ils mettent plus de soin à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté, comme je te l’ai déjà dit.

3.- Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence. (170) Ils sont bons et parfaits si leur pénitence est fondée en moi, avec la lumière de la discrétion, c’est-à-dire avec l’humble connaissance d’eux-mêmes et de moi, surtout s’ils s’appliquent plus à voir ma volonté que celle des hommes. S’il en était autrement, c’est-à-dire s’ils ne se revêtaient pas humblement de ma volonté, ils nuiraient souvent à leur perfection, en jugeant mal ceux qui ne suivent pas la voie où ils marchent. Et sais-tu pourquoi cela leur arriverait ? Parce qu’ils mettent plutôt leurs soins et leurs désirs à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté.

4.- Ils veulent choisir eux-mêmes le temps, le lieu des consolations spirituelles, comme aussi les tribulations du monde et les attaques du démon, Ils se laissent égarer par la volonté propre que j’ai appelée la volonté spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette consolation et non cette tentation, cette attaque du démon. Je ne le désire pas pour moi, mais pour plaire davantage à Dieu et avoir une grâce plus abondante dans mon âme ; car il me semble que je le servirai bien mieux de cette manière que d’une autre.

5.- C’est ainsi que souvent l’âme tombe dans la peine et l’ennui, et qu’elle devient insupportable à elle-même. Elle nuit de la sorte à sa perfection et ne s’aperçoit pas de la corruption de l’orgueil qui l’envahit. Car, si l’âme était véritablement humble et sans présomption, elle verrait, à la lumière de la raison, que moi, la Vérité même, je distribue à chacun l’état, le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, selon que le réclament votre salut et la perfection à laquelle j’appelle les âmes ; elle verrait que toute chose vient de mon amour et quelle doit recevoir tout par conséquent avec soumission et amour, comme le font ceux qui parviennent au troisième état et qui restent dans la lumière parfaite.

 

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C.- De la troisième et parfaite lumière.- Des oeuvres de l’âme parvenue à cette lumière.

 

 

1.- Ceux qui arrivent à cette glorieuse lumière sont parfaits dans toutes les conditions où ils se trouvent. Ils reçoivent avec respect tout ce qui leur arrive par ma (171) permission, ainsi que je te l’ai dit en te parlant du troisième état unitif de l’âme. Ils se croient dignes des peines, des scandales du monde, et de la privation de toute sorte

de consolation ; comme ils se croient dignes des peines, ils se trouvent indignes des récompenses qui suivent les peines.

2.- Ils connaissent et goûtent dans la lumière mon éternelle volonté qui ne veut autre chose que votre bien, car tout ce que je donne et permet est afin que vous soyez sanctifiés en moi. Dès que l’âme l’a reconnu, elle se revêt de ma volonté ; elle ne songe à autre chose qu’au moyen de conserver et d’accroître sa perfection pour la gloire et l’honneur de mon nom. Elle fixe par la lumière de la foi l’oeil de son intelligence sur Jésus crucifié, mon Fils unique, en, aimant et en suivant sa doctrine

qui est la règle et la voie des parfaits et des imparfaits. Elle voit que le tendre Agneau, mon Fils, lui donne la doctrine de la perfection, et cette vue la remplit d’amour.

3.- La perfection est la connaissance de ce doux et tendre Verbe, mon Fils unique, qui s’est nourri à la table du saint désir, en cherchant l’honneur de son Père et votre salut. C’est ce désir qui l’a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix, et satisfaire à l’obéissance que moi le Père, je lui avais imposée. Il n’a pas craint la fatigue et les opprobres ; il n’a pas reculé devant votre ingratitude et votre aveuglement à ne pas reconnaître les bienfaits dont il vous comblait. Il ne

s’est pas laissé arrêter par les persécutions des Juifs, les mépris, les affronts, les murmures du peuple ; mais il a triomphé de tout comme un vaillant capitaine, un

généreux chevalier que j’avais envoyé sur le champ de bataille pour vous tirer des mains du démon, pour vous affranchir, vous délivrer du plus triste esclavage où vous puissiez tomber, pour enseigner la voie et la doctrine qui peut vous conduire à moi, la Vie éternelle, au moyen de son sang précieux, répandu avec tant d’amour et avec tant de haine de vos fautes.

4.- C’est comme si le doux ,et tendre Verbe, mon Fils, vous disait : Voici que je vous ai tracé la voie et que je vous ai ouvert la porte avec mon sang ; ne soyez donc pas négligents à la suivre, ne vous arrêtez pas dans (172) votre amour-propre, dans l’ignorance de la voie et dans la prétention de vouloir me servir à votre manière et non à la mienne. Je vous ai tracé la voie droite par -le moyen du Verbe incarné qui l’a arrosée de son sang. Levez-vous donc et suivez-le, car personne ne peut venir à moi, le Père, si ce n’est par lui. Il est la voie et la porte par laquelle il faut entrer en moi, l’océan de la paix.

5.- Lorsque l’âme est parvenue à goûter cette lumière et qu’elle en connaît la douceur parce qu’elle l’a goûtée, elle court vers moi dans l’ardeur et la passion de son amour, sans penser à elle, sans chercher les consolations spirituelles et temporelles, comme une personne qui a complètement renoncé à sa propre volonté. Dans cette lumière et cette connaissance, elle ne fuit aucune fatigue, de quelque côté qu’elle vienne : elle se réjouit au contraire de souffrir les opprobres, les attaques du démon, les murmures des hommes ; elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle ne demande aucune récompense ni de moi ni des créatures, car elle s’est dépouillée de l’amour mercenaire qui m’aime par intérêt. Elle s’est revêtue de la lumière parfaite en m’aimant, sans songer à autre chose qu’à la gloire, à la louange de mon nom, et en me servant, sans penser au bonheur qu’elle y trouve et à l’utilité que lui procure le  prochain, mais en agissant par pur amour.

6.- Ceux-là se sont perdus eux-mêmes et se sont dépouillés du vieil homme, c’est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l’homme nouveau, le Christ, le doux Jésus, ma Vérité, qu’ils suivent avec courage. Ceux-là sont assis à la table du saint désir et s’appliquent plus à tuer leur propre volonté qu’à tuer et à mortifier leur corps. Ils mortifient bien aussi leur corps, mais ce n’est pas là leur but principal ;c’est seulement un moyen pour les aider à tuer leur propre volonté, comme je te l’ai dit en t’expliquant cette parole : que je voulais peu de mots et beaucoup d’actions.

7.- En effet, tous vos efforts doivent tendre à tuer votre volonté, et ne vouloir autre chose que suivre ma douce Vérité, le Christ crucifié, en cherchant l’honneur et la gloire de mon nom et le salut des âmes ceux qui sont dans (173) cette glorieuse lumière le font, et c’est pour cela qu’ils sont toujours dans la paix et le repos. Rien ne les scandalise, parce qu’ils ont éloigné ce qui cause le scandale, c’est-à-dire la volonté propre. Les persécutions que le monde et le démon peuvent soulever passent à leurs pieds ; ils traversent les grandes eaux de la tribulation et de la tentation sans qu’elles puissent leur nuire, parce qu’ils sont revêtus et fortifiés par l’ardeur de leur désir. Ils se réjouissent de tout, et ne jugent pas mes serviteurs ni aucune créature raisonnable.

8.- Ils sont heureux de tout ce qu’ils voient, de tout ce qu’ils rencontrent, et ils disent : Grâces vous soient rendues, ô Père éternel ! de ce qu’il y a en votre maison plusieurs demeures ( S. Jean, XIV,2 ). Ils se réjouissent plus de voir mes amis suivre des routes différentes que de les voir suivre tous le même chemin, parce qu’ils admirent plus la grandeur de ma bonté ; tout leur est agréable, et leur semble des roses. Non seulement ils sont édifiés du bien, mais ils ne veulent pas juger ce qui est évidemment mal ; ils éprouvent seulement alors une sainte et vraie compassion, me priant pour ceux qui m’offensent et disant avec une humilité parfaite : Aujourd’hui c’est toi, demain ce sera moi, si la grâce divine ne me conserve.

9.- O ma fille bien-aimée ! passionne-toi pour ce doux, cet excellent état. Contemple ceux qui courent à cette glorieuse lumière ; vois comme leurs âmes sont saintes et se nourrissent pour mon honneur de la nourriture des âmes à la table du saint désir. Ils sont revêtus du beau vêtement de l’Agneau, mon Fils unique, c’est-à-dire de sa doctrine, par l’ardeur de sa charité. Ils ne perdent pas le temps à faire de faux jugements sur mes serviteurs et sur les serviteurs du monde ; ils ne sont jamais scandalisés d’aucun murmure contre eux ou contre le prochain. Ils sont contents de souffrir pour mon nom, et quand une injure est faite aux autres, ils la supportent en compatissant au prochain, ne murmurant pas contre celui qui la fait ou contre celui qui la reçoit.

10.- Leur amour est réglé en moi, le Père céleste. Ils ne s’égarent jamais, et parce qu’il est réglé, ma chère fille, ils ne se scandalisent pas de ceux qu’ils aiment ni (174)

d’aucune créature raisonnable. Leur opinion est morte et non vivante. Ils ne s’arrêtent pas à juger la volonté des autres, mais ils ne voient partout que l’expression de ma miséricordieuse bonté. Ils observent la doctrine qui, tu le sais, te fut donnée au commencement de ta vie par ma Vérité, quand tu lui demandais avec un grand désir comment tu pourrais parvenir à une pureté parfaite. Lorsque tu en cherchais les moyens, tu sais ce qui te fut répondu. Tu t’étais endormie dans ce désir, et la parole retentit non seulement à ton esprit, mais à ton oreille, de telle sorte, s’il t’en souvient, que tu fus rappelée à toi-même.

11.- Ma Vérité te disait clairement : si tu veux arriver à la pureté parfaite ; et que ton esprit ne soit troublé par aucun scandale, il faut toujours m’être unie par l’amour, car je suis la souveraine, l’éternelle Pureté. Je suis le feu qui purifie l’âme véritablement. Plus tu t’approcheras de moi, plus tu deviendras pure ; et plus tu t’en éloigneras, plus tu seras souillée. Les hommes du monde ne tombent dans de si grandes souillures que parce qu’ils sont séparés de moi ; car l’âme qui s’unit à moi participe nécessairement à ma pureté.

12.- Il faut faire une autre chose pour arriver à cette union, à cette pureté : il faut t’abstenir de tout jugement sur ce que tu vois faire ou dire par quelque créature que ce soit, contre toi ou contre les autres ; il ne faut jamais considérer la volonté de l’homme, mais voir ma volonté en toute chose. Si tu vois un péché ou un défaut évident, il faut tirer de l’épine la rose, en m’offrant les coupables par une sainte et fraternelle compassion. Au milieu des injures que tu reçois, juge que ma volonté les permet pour éprouver la vertu en toi et en mes serviteurs, pensant que celui qui les dit est un instrument choisi par moi, et que souvent ses intentions sont bonnes ; car personne ne peut juger les secrets du coeur de l’homme.

13.- Ce que tu ne vois pas être évidemment un péché mortel, tu dois ne pas le juger dans ton esprit et ne voir que ma volonté. Lorsque tu vois un péché évident, tu ne dois pas le condamner, mais en avoir compassion ; de cette manière tu arriveras à la pureté parfaite, parce (175) qu’en faisant ainsi, ton esprit ne sera scandalisé ni en moi, ni dans le prochain. Vous tombez dans le mépris du prochain lorsque vous ne voyez que sa mauvaise volonté envers vous, et non pas ma volonté dans ses actes. Ce mépris et ce scandale séparent l’âme de moi, et empêchent sa perfection. Dans quelques-uns même la grâce est détruite plus ou moins, selon la gravité du mépris et de la haine qu’ils ont contre le prochain en le jugeant.

14.- Le contraire arrive à l’âme qui en tout, comme je te l’ai dit, voit ma volonté toujours attentive à votre bien. Tout ce que je donne et permets est pour que vous parveniez à la fin pour laquelle je vous ai créés. Le moyen de rester toujours dans l’amour du prochain est de rester toujours dans le mien, et l’âme en m’aimant m’est toujours unie.

15.- Si tu veux absolument parvenir à cette pureté que tu me demandes, il faut faire surtout trois choses : T’unir à moi par l’amour, en conservant dans ta mémoire le souvenir des bienfaits que tu as reçus de moi ; voir avec l’oeil de ton intelligence l’ardeur ineffable de ma charité envers vous ; voir enfin ma volonté dans la volonté de l’homme, et non pas sa méchanceté, parce que c’est moi qui suis juge, ce n’est pas vous. Tu arriveras ainsi à la perfection. Telle est la doctrine que t’enseigna ma Vérité, s’il t’en souvient bien.

16.- Maintenant, ma très chère fille, je dis que ceux qui suivent cette doctrine ont, dès cette vie, un avant-goût de la vie éternelle. Si tu la conserves dans ton âme, tu ne tomberas jamais dans les pièges du démon ; car tu les reconnaîtras aux signes que tu m’as demandés. Mais pour satisfaire plus complètement tes saints désirs, je te montrerai que votre jugement ne doit jamais condamner, mais seulement compatir.

 

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CI.- Ceux qui sont dans la perfection de la troisième Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle.

 

1.- Mes serviteurs reçoivent les arrhes de la vie éternelle (176). Je dis les arrhes et non pas la plénitude de la récompense, parce qu’ils espèrent la recevoir en moi, la Vie durable, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans souffrance ; la peine alors sera séparée de la faim, parce qu’ils auront ce qu’ils désirent, et leur rassasiement ne connaîtra pas l’ennui, parce que je suis une nourriture sans aucun défaut. Ici-bas ils reçoivent les arrhes de ce bonheur, parce que l’âme est affamée de mon honneur et du salut des âmes ; et comme elle en a faim, elle s’en nourrit, c’est-à-dire que l’âme se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim comme d’une nourriture, et en s’en nourrissant elle ne s’en rassasie jamais, parce qu’elle est insatiable et qu’elle a une faim continuelle.

2.- Les arrhes sont une garantie qu’on donne à l’homme pour qu’il attende le payement. Cette sûreté n’est pas parfaite en elle-même, mais par la foi elle donne la certitude d’arriver au complément, et de recevoir en totalité le payement. De même cette âme passionnée et revêtue de ma Vérité a reçu, dès cette vie, les arrhes de ma charité et de la charité du prochain ; elle n’est pas parfaite, mais elle attend la perfection de la vie éternelle.

3.- Ce qu’elle reçoit n’est pas parfait, parce qu’elle n’est, pas arrivée à cette perfection où elle ne souffre ni en elle, ni dans les autres : en elle, par l’offense que me cause la loi perverse qui est dans ses membres et qui combat contre l’esprit ; dans les autres, par les fautes du prochain. Ce qu’elle reçoit est parfait quant à la grâce, mais elle n’a pas la perfection dont jouissent les saints dans le ciel ; car, comme je te l’ai dit, leurs désirs sont sans peine, tandis que les vôtres vous font souffrir.

4.- Mes serviteurs, qui se nourrissent à la table des saints désirs, sont heureux et affligés comme mon Fils unique l’était sur le bois de la sainte Croix ; car sa chair était douloureuse et tourmentée, tandis que son âme était bienheureuse par l’union de la nature divine. De même ceux-là sont bienheureux par l’union de leur saint désir en moi, parce qu’ils ont revêtu ma douce volonté. Ils souffrent parce qu’ils compatissent au malheur du prochain, et qu’ils affligent leurs sens en leur retranchant tous les plaisirs et toutes les consolations temporelles. (177)

 

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CII.- Comment on doit reprendre le prochain sans tomber dans de faux jugements.

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, écoute maintenant, afin que tu puisses mieux comprendre ce que tu me demandais. Je t’ai parlé de la lumière générale que vous devez tous avoir, dans quelque état que vous soyez, dès que vous êtes dans la charité commune. Je t’ai dit que ceux qui étaient dans la lumière parfaite l’avaient de deux manières : les uns se séparent du monde et s’appliquent à mortifier leurs corps ; les autres mettent tous leurs soins à tuer leur volonté ; ce sont les parfaits qui se nourrissent à la table du saint désir.

2.- Maintenant je te parlerai plus particulièrement, et en te parlant je parlerai aux autres et je satisferai ton désir. Je veux surtout que, tu fasses trois choses, afin que l’ignorance n’empêche pas la perfection à laquelle je t’appelle. Il ne faut pas que, le démon, sous le manteau de la charité du prochain, nourrisse en toi la racine de la présomption pour te faire tomber dans les faux jugements que je t’ai défendus. Tu croirais juger bien et tu jugerais mal, si tu suivais tes impressions, et le démon te ferait souvent voir beaucoup de vérités pour te conduire au mensonge. Cela t’arriverait si tu te faisais juge des pensées et- des intentions des créatures raisonnables ; car comme je te l’ai dit, je dois seul les juger.

3.- C’est là une des trois choses que je te recommande d’observer. Je veux que tu ne juges personne sans une règle, et je veux que cette règle soit celle-ci : A moins que je ne t’aie manifesté clairement, non seulement une ou deux fois, mais plusieurs fois, le défaut de ton prochain, tu ne dois pas reprendre particulièrement celui en qui tu crois voir ce défaut, mais tu dois reprendre d’une manière générale les vices de celui qui. vient te visiter, et lui prêcher la vertu avec, charité et douceur, en n’ajoutant la sévérité à la douceur que si tu en vois le besoin.

4.- S’il te semble que je t’ai montré souvent les défauts de quelqu’un, mais si tu ne vois pas que ce soit (178) une révélation formelle, comme je te l’ai dit, tu ne dois pas le reprendre particulièrement ; tu dois suivre la voie la plus sûre, afin d’éviter les pièges et la malice du démon qui pourrait te prendre par l’amorce du désir, en te faisant souvent voir dans le prochain ce qui n’y serait pas ; tu pourrais ainsi te scandaliser injustement.

5.- Que ta bouche garde donc le silence, ou qu’elle parle seulement de la vertu pour combattre le vice ; et quand tu croiras reconnaître dans les autres un défaut, reprends-le aussi en toi-même par un acte d’une sincère humilité. Si ce défaut est véritablement dans cette personne, elle se corrigera mieux, en se voyant si doucement reprise, et tes avis lui seront plus profitables, en te disant à toi-même ce que tu voulais dire. Tu seras plus tranquille toi-même et tu auras repoussé le démon, qui ne pourra pas te tromper et empêcher la perfection de ton âme.

6.- Je veux que tu saches que tu ne dois pas te fier à ce que tu vois ; il vaut mieux détourner la tête et tâcher de ne rien voir ; mais il faut seulement persévérer dans la vue et la connaissance de toi-même, et dans celle de ma bonté et de ma générosité envers toi. Ainsi font, ceux qui sont arrivés au dernier état dont je te parle. Ils retournent toujours à la vallée de la connaissance d’eux-mêmes. Cela n’empêche pas leur élévation et leur union avec moi. C’est là une des trois choses que je t’ai dit que je voulais te voir faire pour que tu me serves en vérité.

 

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CIII.- Celui qui voit une âme pleine de ténèbres ne doit pas en conclure qu’elle est en péché mortel.

 

 

1.- Voici maintenant la seconde explication : si, en priant particulièrement pour deux âmes, tu vois dans l’une la lumière de ma grâce que tu ne vois pas dans l’autre, quoique les deux .me soient fidèles, il ne faut pas conclure des ténèbres de l’âme éprouvée que son état vient de quelque faute ; car souvent ton jugement pourrait être faux. Quelquefois, en priant pour quelqu’un tu trouveras en lui une lumière et un désir de moi si saint, qu’il te semblera que ton âme s’engraisse de sa vertu, comme le (179) veut l’ardeur de la charité qui fait participer chacun au bien des autres. Une autre fois au contraire, son âme te semblera éloignée de moi et si pleine de ténèbres et de tentations, que ce te sera une fatigue d’offrir pour elle tes prières devant moi. Il pourra se faire que cet état vienne de quelque défaut de celui pour qui tu pries. Mais le plus souvent ce ne sera pas la punition d’une faute, mais l’effet d’une de ces privations que j’envoie souvent pour faire parvenir à la perfection, ainsi que je te l’ai dit en te parlant des états de l’âme.

2.- Je me serai retiré par sentiment et non par grâce. L’âme ne sentira plus de douceur et de consolation ; elle sera plongée dans la sécheresse, l’aridité, la peine ; et cette peine, je la fais sentir à ceux nièmes qui prient pour cette âme. J’agis ainsi par- amour pour cette âme qui est l’objet de la prière, afin que celui qui prie s’unisse à elle pour dissiper le nuage qui l’environne. Ainsi tu vois, ma douce et chère fille, combien serait ignorant et digne de blâme celui qui jugerait sur les apparences et qui croirait que c’est le péché qui cause les ténèbres que je t’ai montrées dans cette âme ; car tu as vu qu’elle n’était pas privée de ma grâce, mais seulement de la douceur du sentiment que je lui donnais de ma présence.

3.- Oui, vous tous, mes serviteurs, vous devez désirer vous connaître parfaitement vous-mêmes, afin que vous connaissiez plus parfaitement ma bonté envers vous. Laissez-moi les jugements sur les autres, car c’est ma part et non la vôtre. Abandonnez-moi la justice qui m’appartient ; ayez seulement compassion de votre prochain, et faim de mon honneur et du salut des âmes. Prêchez la vertu avec l’ardeur du désir et reprenez le vice en vous et dans les autres, comme je l’ai dit plus haut.

4.- C’est ainsi que tu viendras à moi en vérité et que tu montreras que tu gardes et que tu observes la doctrine que t’a donnée mon Fils. Ne vois que ma volonté et non celle des hommes ; c’est le seul moyen d’acquérir une vertu réelle et de demeurer dans la parfaite et grande lumière, en te nourrissant à la table des saints désirs, de la nourriture des âmes, pour la gloire et l’honneur de mon nom. (180)

 

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CIV.- On ne doit pas prendre pour fondement de l’âme la pénitence, mais l’amour de la vertu.

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, après ces deux choses, je t’en dirai une troisième à laquelle je veux que tu fasses attention pour en profiter toi-même, si le démon ou la faiblesse de ta vue te portait à vouloir conduire mes serviteurs par la voie où tu as marché toi-même, car ce serait contre la doctrine que tu as reçue de ma Vérité. il arrive souvent qu’en voyant marcher les autres par la voie d’une austère pénitence, on veut que tous suivent la même route, et s’ils ne la prennent pas, on en est affligé, scandalisé, et on pense qu’ils font mal.

2.- Vois cependant quelle erreur. Souvent celui qu’on juge mal parce qu’il fait moins pénitence, fera mieux et sera plus vertueux, quoiqu’il ne pratique pas les austérités de celui qui murmure. Je te l’ai dit, si ceux qui se nourrissent à la table de la pénitence n’agissent pas avec une humilité véritable, s’ils ne prennent pas la pénitence, non comme but principal, mais comme instrument de vertu, leurs murmures nuiront souvent à leur perfection.

3.- Ils doivent savoir que la perfection ne consiste pas à macérer et à tuer son corps, mais à détruire sa propre volonté, et c’est par cette voie de la volonté anéantie et soumise à ma douce Volonté que vous devez désirer ce que je veux que tu désires pour tous. C’est la doctrine éclatante de cette glorieuse Lumière, où court l’âme passionnée et revêtue de ma Vérité.

4.- Je ne méprise pas cependant la pénitence ; car la pénitence est bonne à dompter le corps, quand il veut combattre contre l’esprit. Mais je ne veux pas, ma chère fille, que tu la prennes pour règle générale, parce que tous les corps ne sont pas égaux et n’ont pas la mémo complexion ; la nature est plus forte dans l’un que dans l’autre, et souvent il arrive, comme je te l’ai dit, que les circonstances forcent à abandonner les austérités qu’on avait commencées. Alors, si tu avais pris ou si tu avais fait prendre la pénitence pour base de conduite, il y aurait découragement, imperfection ; l’âme perdrait la consolation et la vertu. (181)

5.- Parce que vous êtes privés d’une chose que vous aimiez trop et que vous aviez prise pour votre but, vous vous croyez privés de moi, et en vous croyant séparés de ma bonté, vous tombez dans l’ennui, le dégoût et le trouble. Vous perdez ainsi la pratique de l’oraison et la ferveur que vous aviez quand vous faisiez pénitence. Les circonstances vous ont forcés à l’abandonner, et vous ne trouvez plus dans la prière la douceur que vous goûtiez auparavant. Cela vient de ce que vous avez pris pour fondement l’amour de la pénitence, et non l’ardeur du désir des véritables et solides vertus.

6.- Tu vois le mal qui arrive lorsque vous prenez pour base principale la pénitence : vous êtes dans l’erreur et vous tombez dans des murmures contre mes serviteurs. Vous rencontrez l’ennui, l’amertume, et vous voulez nie servir par des oeuvres finies, moi qui suis le Bien infini et qui vous demande un désir infini. La chose principale pour vous est de tuer et d’anéantir la volonté-propre. C’est en la soumettant entièrement à ma volonté que vous me présenterez, comme une agréable offrande, l’ardeur de votre désir infini pour mon honneur et le salut des âmes.

7.- Vous vous nourrirez ainsi à la table du saint désir, et vous ne serez jamais scandalisés, ni à votre occasion, ni à celle du prochain ; mais vous vous réjouirez

en, toute chose, et vous profiterez des moyens si variés que je donne à l’âme. Ce n’est pas ce que font les malheureux qui ne suivent pas cette douce doctrine, et la voie droite donnée par ma Vérité. Ils jugent au contraire selon l’aveuglement et l’infirmité de leur vue ; ils vont comme des insensés qui ignorent leur route ; ils se privent des biens de la terre et du ciel. Dès cette vie, comme je te l’ai dit dans un autre endroit, ils ont un avant-goût de l’enfer.

 

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CV.- Résumé des choses précédentes.- Explication sur la correction du prochain.

 

 

1 - Maintenant, ma très chère fille, je satisferai ton désir, et je t’expliquerai ce que tu me demandais sur la (182) manière de reprendre ton prochain sans te laisser tromper par le démon, ou par la faiblesse de ta vue. Tu dois le reprendre d’une manière générale, et non particulière, à moins que je ne te l’aie expressément révélé ; mais toujours avec une grande humilité, et en te reprenant toi-même avec les autres.

2.- Je t’ai dit, et je te répète qu’en aucune occasion il n’est permis de juger les créatures et les âmes de mes serviteurs suivant les dispositions heureuses ou fâcheuses où on les trouve. Car tu es incapable de les juger, et en le faisant tu te tromperais dans tes jugements. Vous devez compatir au prochain, et me le laisser juger.

3.- Je t’ai dit aussi la règle que tu devais donner à ceux qui viendraient te consulter. et qui voudraient sortir des ténèbres du péché mortel et suivre les sentiers de la vertu. Il faut leur donner pour principe et fondement l’amour de la vertu, par la connaissance d’eux-mêmes et la connaissance de ma bonté envers eux ; il faut leur faire tuer et détruire leur propre volonté, afin qu’elle ne se révolte jamais contre moi. Montre-leur la pénitence comme un moyen, et non comme un but ; elle ne doit pas être égale pour tous, mais elle doit se régler sur l’aptitude, les forces et l’état de chacun : les uns peuvent beaucoup, les autres moins, selon leurs dispositions extérieures.

4.- Je t’ai dit qu’il ne fallait reprendre le prochain que d’une manière générale, et c’est la vérité. Je ne veux pas cependant que tu penses qu’en voyant un défaut formel dans quelqu’un, tu ne puisses le reprendre entre toi et lui. Tu peux le faire, et même s’il s’obstine et s’il ne se corrige pas, tu peux le dire à deux ou trois personnes et si cela ne sert de rien, tu peux le déclarer au corps mystique de la sainte Eglise (S. Matthieu, XVIII, 15-17), Mais je t’ai dit d’être prudente et de ne pas te hâter sur

des apparences que tu verras dans ton esprit ou extérieurement. A moins de voir clairement la vérité, ou d’en recevoir une révélation positive, tu ne dois reprendre personne, si ce n’est comme je te l’ai dit : c’est le parti le plus sûr pour que le démon ne te trompe pas sous le manteau de la, charité. J’ai fini maintenant, ma bien chère fille, de t’expliquer ce qui est nécessaire pour conserver et accroître la perfection de l’âme. (183)

 

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CVI.- Des signes qui font connaître si les visites et les visions spirituelles viennent de Dieu ou du démon.

 

 

1.- Je vais te dire maintenant ce que tu, me demandais sur le signe que je donne à l’âme dans ses visions et ses consolations spirituelles pour distinguer les visites qu’elle reçoit, et pour reconnaître si elles viennent de moi ou d’un autre. Je t’ai dit que le signe de ma visite était ta joie que je laissais dans l’âme et la faim de la vertu

qu’elle ressent, les sentiments d’une humilité sincère et l’ardeur de la divine charité. Tu m’as demandé si dans cette joie ne pouvait pas se rencontrer quelque illusion, parce que tu voudrais suivre la route la plus sûre et le signe de la vertu qui ne peut t’égarer. Je te dirai le piège que tu dois craindre et comment tu reconnaîtras si cette

joie est bonne ou mauvaise. Voici la manière dont l’ennemi peut vous tromper.

2.- Apprends que toute créature raisonnable qui aime et désire une chose, éprouve de la joie lorsqu’elle la possède ; et plus elle aime cette chose, moins elle la voit

avec discernement, moins elle s’applique à la connaître avec prudence. Elle est tout entière à la jouissance de ce qu’elle a désiré, et la joie qu’elle y trouve la rend aveugle à son sujet. Aussi ceux qui aiment et désirent trop les consolations spirituelles, recherchent les visions et s’attachent plus aux douceurs des consolations qu’à moi-même, comme je te l’ai dit de ceux qui sont dans l’état imparfait, parce qu’ils s’arrêtent plus aux faveurs qu’ils reçoivent de moi qu’à l’ineffable charité avec laquelle je leur donne.

3.- Ces personnes peuvent être trompées dans leur joie, sans compter les autres dangers qui les menacent. Comment sont-elles trompées? Le voici : Lorsque l’âme s’est passionnée pour la consolation et qu’elle la reçoit de quelque manière, elle ressent une grande joie, parce qu’elle voit ce qu’elle aime et ce qu’elle désire. Souvent ces consolations peuvent venir du démon, et l’âme en ressent cependant de la joie. Mais, je te l’ai dit, quand c’est le démon qui agit, cette visite de l’âme commence dans (184) la joie et finit dans la peine, le trouble de la conscience et l’indifférence de la vertu.

4.- Quelquefois l’âme peut avoir cette joie et la conserver jusqu’à la fin de l’oraison, mais si cette joie se trouve sans un ardent désir de la vertu, si elle n’est pas embaumée d’humilité et embrasée du feu de ma divine charité, ces visites, ces consolations, ces visions qu’elle a reçues sont du démon et non de moi, quoiqu’elle éprouve le signe de la joie. Puisque cette joie n’est pas unie à l’amour de la vertu, il est évident qu’elle vient de l’amour que l’âme avait pour sa propre consolation. Elle jouit, elle est heureuse parce qu’elle a ce qu’elle désirait, car c’est le propre de tout amour de ressentir de la joie quand il reçoit ce qu’il aime.

5.- Tu ne dois donc pas te fier à ta seule joie, lors même qu’elle durerait pendant toute la consolation, et encore davantage. L’amour aveuglé par cette joie ne peut reconnaître la tromperie du démon, s’il n’agit pas avec prudence, mais en agissant avec prudence, l’âme verra si la joie est accompagnée de l’amour de la vertu, et par ce moyen elle connaîtra si la visite qu’elle reçoit vient de moi ou du démon.

6.- Ainsi pour reconnaître quand c’est moi qui te visite, il faut que ta joie soit unie à la vertu ; c’est le signe que je t’ai donné et qui te fera discerner l’erreur et la vérité, c’est-à-dire la joie qui viendra réellement de moi et la’ joie qui viendra de l’amour-propre spirituel uniquement attaché à la consolation. Ma visite donne la joie unie à l’amour de la vertu, et celle du démon, donne la joie seulement. Quand on s’aperçoit que la vertu n’augmente pas, on doit en conclure que la joie procède de l’amour de la consolation.

7.- Je veux que tu saches que tous ne sont pas trompés par cette joie ; il n’y a que les imparfaits qui recherchent la consolation et qui s’attachent plus au bienfait qu’au bienfaiteur. Mais ceux qui sont embrasés pour moi d’un amour pur et désintéressé, ceux qui aiment le bienfait à cause du bienfaiteur et non à cause de leur consolation, ceux-là ne peuvent jamais être trompés par cette joie ; car ils ont un signe certain pour reconnaître que le démon veut les tromper en se transformant en ange de lumière et en les remplissant d’allégresse. Ils ne sont point passionnés pour la  consolation, et ils reconnaissent avec (185) prudence le piège du démon ; leur joie passe vite, et comme ils voient qu’ils sont dans les ténèbres, ils s’humilient dans la vraie connaissance d’eux-mêmes. Ils méprisent toute consolation et embrassent avec ardeur la doctrine de ma Vérité. Le démon, honteux de sa défaite, ne revient jamais ou presque jamais sous cette forme.

8.- Ceux qui aiment leur consolation seront souvent ainsi trompés, mais ils reconnaîtront leur illusion par le moyen que je t’indique, c’est-à-dire en s’apercevant que cette joie n’est pas accompagnée de l’amour de la vertu, de l’humilité, de la vraie charité, du désir de mon honneur et du salut des âmes. Mon ineffable bonté donne ainsi aux parfaits et aux imparfaits, dans quelque état qu’ils soient, un moyen de n’être jamais trompé. Si vous voulez conserver la lumière de l’intelligence que je vous donne par la sainte foi, ne la laissez jamais obscurcir par le démon et par l’amour-propre ; car si vous ne la perdez pas volontairement, personne ne pourra vous l’enlever.

 

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CVII.- Dieu satisfait aux désirs de ses serviteurs.- Combien lui sont agréables ceux qui frappent avec persévérance à la porte de la Vérité.

 

1.- Maintenant, ma très chère fille, j’ai clairement dévoilé, à l’œil de ton intelligence les pièges que le démon pourrait te tendre, et j’ai satisfait aux demandes que tu m’avais adressées, car je ne méprise jamais les désirs de mes serviteurs ; je donne à qui demande, et je vous invite à demander. J’ai en aversion celui qui ne frappe pas véritablement à la porte de mon Fils en suivant sa doctrine. Suivre sa doctrine, c’est frapper en m’appelant par la voix du saint désir, par d’humbles et continuelles prières.

2.- Je suis le Père qui vous donne le pain de la grâce à la porte de ma douce Vérité. Quelquefois, pour éprouver vos désirs et votre persévérance, je parais ne pas entendre, mais je vous entends bien et je vous donne ce dont ,vous avez besoin ; car je vous donne la faim et la voix avec laquelle vous criez vers moi. En voyant votre constance, j’accomplis vos désirs lorsqu’ils sont justes et dirigés vers moi. C’est à demander ainsi que ma Vérité vous (186) invite lorsqu’elle dit : « Appelez et on vous répondra ; frappez et on vous ouvrira ; demandez et on vous donnera ».

 3.- Et moi je te le dis aussi : Je ne veux pas que tu te lasses de désirer et de chercher mon secours. Que ta voix ne cesse jamais de crier vers moi pour que je fasse miséricorde au monde. Frappe toujours à la porte de mon Fils ; aime à être avec lui sur la croix, à te nourrir de la nourriture des âmes pour la gloire et l’honneur de mon nom, et à gémir dans l’angoisse de ton coeur sur la perte des hommes que tu vois plongés dans une telle misère, que la, langue ne saurait jamais la raconter. C’est par vos cris et vos gémissements que je veux faire miséricorde au monde. Et c’est pour cela que je les demande à mes serviteurs ; ils me prouveront ainsi qu’ils m’aiment en vérité, et je te l’ai dit, je ne mépriserai pas leur désir.

 

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CVIII.- L’âme rend grâces à Dieu et prie pour le monde, et en particulier pour le corps mystique de la sainte Église.

 

 

1.- Alors cette âme, tout enivrée, paraissait hors d’elle-même ; l’action de ses sens était suspendue par l’amour qui l’unissait à son Créateur ; son intelligence était ravie dans la contemplation de l’éternelle Vérité ; ce qu’elle voyait l’enflammait d’ardeur, et elle disait :

2.- O souveraine et éternelle bonté de Dieu ! qui suis-je, misérable, pour que vous le Père, vous me manifestiez votre vérité et les pièges secrets du démon, les dangers de l’amour-propre auxquels je suis exposée pendant le pèlerinage de cette vie, pour que je ne sois pas trompée par le démon, et par moi-même? Qui vous fait agir ainsi? L’amour! Vous m’avez aimée avant d’être aimé de moi.

3.- O foyer d’amour! grâces, grâces vous soient rendues à vous, ô Père éternel ! Je suis imparfaite et remplie de ténèbres, vous êtes la perfection et la lumière. Vous m’avez montré la perfection et la voie lumineuse de la doctrine de votre Fils unique. J’étais morte et vous m’avez ressuscitée ; j’étais malade et vous m’avez guérie. Non Seulement vous m’avez donné le remède du sang que vous avez appliqué au genre humain malade, par votre Fils unique, mais vous m’avez (187)  donné un remède pour les infirmités secrètes que je ne connaissais pas, en m’apprenant qu’il ne fallait juger aucune créature raisonnable, surtout vos serviteurs : je tombais souvent dans cet aveuglement et cette infirmité, en les jugeant témérairement, comme par zèle pour votre honneur     et pour le salut des âmes.-

4.- Je vous remercie, souveraine et éternelle Bonté, de m’avoir fait connaître mon infirmité en me manifestant votre vérité et les illusions du démon et de l’amour-propre. Je supplie votre grâce et votre miséricorde de me mettre dans, l’impossibilité de m’écarter des enseignements que vous avez daigné donner à moi et à tous ceux qui voudront les suivre. Sans vous, rien ne peut se faire ; j’ai donc recours à vous, je me réfugie en vous, ô Père éternel, et je ne vous implore pas pour moi seule, mais pour le monde entier et particulièrement pour le corps mystique de la sainte Église.

5.- Que cette doctrine que vomis m’avez enseignée, à moi misérable, brille dans vos ministres Je vous le demande aussi spécialement pour tous ceux que vous m’avez donnés, que j’aime d’un amour particulier et que vous avez faits une même chose avec moi ; car ils seront ma joie pour la gloire et l’honneur de votre nom, si je les vois courir dans cette douce et droite voie, parfaitement morts à leur volonté, à leurs opinions, purs de tout jugement, de tout scandale et de tout murmure contre leur prochain Je vous demande, ô mon doux Amour, qu’aucun ne me soit ravi par les mains de l’infernal démon, mais que tous parviennent à vous, ô Père, qui êtes leur fin dernière.

6.- Je vous fais aussi une autre prière pour les deux appuis que vous avez donnés a ma faiblesse, pour les deux pères auxquels vous avez confié ici-bas la garde et l’enseignement de ma misère, depuis le commencement de ma conversion jusqu’à cette heure. Unissez-les ensemble ; que leurs deux corps n’aient qu’une âme, et qu’ils ne pensent qu’à accomplir en eux et dans le ministère que vous leur avez donné, la gloire et l’honneur de votre nom pour le salut des âmes. Et moi, leur indigne et misérable servante, que j’agisse avec eux par amour pour vous, avec un grand respect et une sainte crainte, et que je fasse tout pour votre honneur, pour leur paix et leur repos et pour l’édification du prochain (188).

7.- Je suis certaine, ô Vérité suprême ! que vous ne méprisez pas mon désir et mes prières ; car je sais, et Vous avez daigné me faire comprendre, surtout par expérience, que vous exauciez les Saints désirs. Moi, votre indigne servante, je m’efforcerai, avec le secours de votre grâce, d’observer votre doctrine et vos commandements.

8.- Maintenant, ô Père, je me rappelle une parole que vous m’avez dite lorsque vous m’avez parlé des ministres de la Sainte Église. Vous m’avez annoncé que vous me montreriez plus en détail les fautes qu’ils commettent. S’il plaît à votre bonté de le faire, je vous écouterai pour augmenter en moi la douleur, la compassion que j’ai pour eux, et l’ardent désir que je ressens pour leur salut, car je me souviens que vous m’avez promis d’accorder aux souffrances, aux douleurs, aux sueurs, aux prières de vos serviteurs, le repos et la réforme de l’Église par de bons et saints pasteurs. Pour que je puisse mieux y travailler, accordez-moi ma demande.

 

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CIX.- Dieu sollicite l’âme à la prière et répond à quelques-unes de ses demandes.

 

 

1.- Alors Dieu, jetant un regard de miséricorde sur cette âme, ne méprisa pas son désir. Il accueillit sa prière, et pour satisfaire à la demande qu’elle lui avait faite au sujet de sa promesse, il lui disait : O ma très douce et très chère fille, je satisferai ton désir comme tu me le demandes, pourvu que de ton côté tu ne commettes pas d’erreur ou de négligence ; car ta faute serait beaucoup plus grave et beaucoup plus digne de reproche m,aintenant qu’auparavant, puisque tu connais davantage ma vérité. Applique-toi donc à prier pour toutes les créatures raisonnables, pour le corps mystique de la sainte Eglise et pour ceux que je t’ai donnés et que tu aimes d’un amour particulier.

2.- Oui, ne cesse jamais de prier avec ardeur ; offre à tous l’exemple de ta vie, l’enseignement de ta parole ; combats le vice et prêche la vertu autant que tu le pourras. Pour les appuis que je t’ai donnés, ce que tu m’as dit est vrai. Tâche d’être un moyen de donner à chacun ce dont il a besoin ; c’est moi, ton Créateur, qui te ferai faire ce qui (189) leur convient, car sans moi tu ne pourrais rien faire. Je remplirai tous tes désirs ; mais ne cesse jamais d’espérer en moi, parce que ma providence ne vous manquera jamais. Que chacun reçoive humblement ce qu’il est capable de recevoir ; qu’il remplisse le ministère que je lui ai confié, selon la mesure qu’il a reçue et qu’il recevra de ma bonté.

 

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CX.- De la dignité des prêtres.- De la sainte Eucharistie, et de ceux qui la reçoivent dignement ou indignement.

 

 

1.- Je vais répondre à ce que tu m’as demandé sur les ministres de la sainte Eglise, et pour que tu comprennes mieux la vérité, ouvre l’oeil de ton intelligence et regarde leur excellence et la dignité à laquelle je les ai élevés. Comme les choses se comprennent mieux par leur contraire je veux te montrer la grandeur de ceux qui font saintement valoir le trésor que je leur ai confié. Tu verras ainsi davantage la misère de ceux qui, à cette époque, sont attachés au sein de l’Église, mon épouse.

2.- Alors cette âme obéissante contempla la Vérité, et vit, briller la vertu de ceux qui la goûtent véritablement. Dieu lui disait : Ma fille bien-aimée, je veux d’abord te montrer la dignité que ma bonté leur a donnée, outre l’amour général que j’ai eu pour mes autres créatures en les créant à mon image et ressemblance, et en les faisant renaître à la grâce dans le sang de mon Fils unique.

3.- L’union de ma divinité à la nature humaine par mon Fils vous a tellement élevés, qu’en cela vous surpassez l’ange même, puisque la Divinité a pris votre nature et non celle de l’ange, tellement que, comme, je te l’ai dit, Dieu s’est fait homme et l’homme est devenu Dieu par l’union des deux natures. Cette grandeur a été donnée à toutes les créatures, raisonnables ; mais parmi les créatures j’ai choisi des ministres pour votre salut, afin que vous receviez de leur main le sang de l’humble Agneau sans tache, mon Fils unique. Je leur ai donné la charge d’administrer le soleil, en leur confiant la lumière de la science et la chaleur de la divine charité, et avec cette lumière et cette chaleur, la couleur, c’est-à-dire le sang et le corps de mon Fils. (190)

4.- Ce corps est un soleil ; car il n’est qu’une même chose avec le vrai Soleil, et cette union est si grande, que la séparation est impossible ; le soleil ne peut séparer sa lumière de sa chaleur, ni sa chaleur de sa lumière, tarit leur union est parfaite. Ce Soleil ne quitte pas son centre, il ne se divise pas pour éclairer tout le monde : quiconque le veut, participe à sa chaleur. Aucune souillure ne peut l’atteindre, et sa lumière lui est unie, ainsi que je te l’ai dit.

5.- Le Verbe, mon Fils, avec son Sang précieux, est donc un soleil tout Dieu et tout homme ; car il est une même chose avec moi, et moi avec lui. Ma puissance n’est pas Séparée de sa sagesse, et la chaleur, le feu du Saint-Esprit, n’est pas séparée du Père et du Fils, car il est une -même chose avec nous. Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ; nous ne sommes qu’un même soleil.

6.- Moi, je suis le Soleil, le Dieu éternel, principe du Fils et du Saint-Esprit ; au Saint-Esprit est attribuée l’ardeur, au Fils la sagesse, et dans cette sagesse mes ministres reçoivent une lumière de grâce, parce qu’ils administrent cette lumière avec la lumière et la gratitude du bienfait qu’ils ont reçu de moi, le Père, en suivant la doctrine de la Sagesse, mon Fils unique.

7.- Cette lumière est celle qui a en elle la couleur de votre humanité, unie l’une avec l’autre. La lumière de ma divinité a été la lumière unie à la couleur de votre humanité, et cette couleur est devenue lumineuse, quand elle devint impassible par la lumière de la nature divine. Par ce moyen, c’est-à-dire par le Verbe incarné, mêlé et uni à ma nature divine et à la chaleur, au feu de l’Esprit-Saint, vous avez reçu la Lumière. A qui l’ai-je donnée cette Lumière à administrer? A mes ministres, dans le corps mystique de la sainte Église, afin que vous ayez la vie, en vous donnant son corps pour aliment et son sang pour breuvage.

8.- Je t’ai dit que ce corps est un soleil, et le corps ne peut vous être donné sans le sang, le sang ni le corps sans l’âme du Verbe ; et l’âme ni le corps tans ma divinité, parce que l’une ne peut être séparée de l’autre ; je t’ai dit ailleurs que la nature divine ne pouvait jamais être séparée de la nature humaine, ni par la mort, ni par aucune cause imaginable. Ainsi, dans cet ineffable sacrement, vous recevez toute (191) l’essence divine sous la blancheur du pain, et comme le soleil ne peut se diviser, la divinité et l’humanité entières ne peuvent se diviser dans la blancheur de cette Hostie. Quand même l’Hostie serait divisée en des millions de parties, dans chacune de ses parties se trouverait le Dieu et l’homme tout entiers, comme je te l’ai dit. En partageant un miroir, on ne partage pas l’image qui se voit dans le miroir ; de même en divisant l’Hostie, on ne divise pas la divinité et l’humanité, mais elles se trouvent en chaque partie dans leur totalité et sans être diminuées, comme le feu peut le faire comprendre.

9.- Si tu avais une lumière, et si tout le monde venait en profiter, la lumière ne diminuerait pas pour cela, et chacun l’aurait vue complètement. Il est vrai qu’on participe plus ou -moins à cette lumière, selon ce qu’on présente à la flamme ; un exemple te le fera comprendre. Si des personnes portaient des flambeaux de poids différents, d’une once, de deux, de trois, de six onces, ou d’une livre, et si elles les allumaient à une lumière, les flambeaux, petits ou grands, recevraient tous la lumière, sa chaleur et son éclat, et pourtant le flambeau d’une once aurait moins que celui d’une livre.

10.- Il en est de même de ceux qui reçoivent ce sacrement : chacun porte son flambeau, c’est-à-dire le saint désir avec lequel il reçoit ce sacrement. Le flambeau est éteint, et il s’allume en recevant  le sacrement. Je dis qu’il est éteint, parce que par vous-mêmes vous n’êtes rien, il est vrai que je vous ai donné la matière avec laquelle vous pouvez alimenter en vous cette lumière et la recevoir. Cette matière est l’amour ; car je vous ai créés par amour, et vous ne pouvez vivre sans amour.

11.- Cet être que vous a donné l’amour, a reçu au saint baptême, en vertu du sang de mon Fils, la disposition sans laquelle vous ne pourriez participer à cette lumière. Vous seriez comme un flambeau sans mèche, qui ne peut briller et recevoir la lumière. Il en serait de même pour vous, si votre âme n’avait cette mèche qui reçoit la lumière de la sainte foi, unie à la grâce que vous recevez au baptême, avec cette faculté de votre âme créée pour aimer. L’âme est tellement faite pour aimer, que sans amour elle ne peut vivre ; car l’amour est vraiment sa nourriture. Mais où s’allume l’âme (192) ainsi préparée ? Au feu de ma divine charité, en m’aimant, en me craignant et en suivant la doctrine de mon Fils.

12.- Il est vrai qu’elle s’enflammera plus ou moins, selon la matière qu’elle aura pour alimenter le feu, bien que vous ayez la même matière, puisque tous vous êtes créés à mon image et ressemblance, et qu’étant chrétiens, vous avez la lumière du saint baptême. Mais chacun peut croître en amour et en vertu, selon qu’il le veut, avec le secours de ma grâce. Vous ne changez pas la forme que je vous ai donnée ; vous grandissez seulement et vous augmentez vos vertus, en exerçant votre libre arbitre dans l’ardeur de la charité, pendant que vous en avez le temps ; car lorsque le temps est passé, vous ne pouvez rien faire.

13.- Ainsi, vous pouvez croître en amour, comme je vous l’ai dit, et avec cet amour vous devez venir recevoir l’ineffable Sacrement, cette douce et glorieuse Lumière, que j’ai chargé mes ministres de vous distribuer pour votre nourriture. Vous recevez cette lumière selon la mesure de votre ‘amour et l’ardeur de votre désir ; vous la recevez, comme je te l’ai expliqué, par l’exemple de ceux qui ont des flambeaux, et qui reçoivent la lumière selon l’importance de ces flambeaux, quoique la lumière soit complète et indivisible.

14.- Cette lumière ne peut être divisée par l’imperfection de celui qui la reçoit ou de celui qui l’administre. Vous participez à la lumière, c’est-à-dire à la grâce que vous recevez dans ce sacrement, autant que vous vous disposez à le recevoir par un saint désir. Et si quelqu’un s’approche de ce sacrement en état de péché mortel, il ne reçoit pas la grâce, quoiqu’il reçoive réellement l’Homme-Dieu tout entier, ainsi que je te l’ai dit.

15.- Ma fille bien-aimée, sais-tu à quoi ressemble cette âme qui me reçoit indignement ? Elle ressemble à un flambeau qui est tombé dans l’eau et qui ne fait que pétiller quand on l’approche du feu ; la flamme s’éteint dès qu’on l’y met, et il ne reste que la fumée. Il en est ainsi de l’âme : elle porte en elle te flambeau qu’elle a reçu dans le saint baptême, mais elle jette en elle l’eau du péché, et cette eau mouille la mèche, destinée à la lumière de la grâce dans le saint baptême. Tant qu’elle ne l’a pas séchée par le feu d’une vraie contrition et par l’humble confession de ses fautes, elle va au banquet de l’Autel recevoir cette lumière corporellement (193), mais non spirituellement.

16.- Ainsi, quand l’âme n’est pas disposée comme elle devrait l’être pour un aussi grand mystère, cette vraie Lumière ne reste pas en elle par la grâce ; mais elle disparaît, elle s’éteint, et l’âme reste dans une confusion plus grande les ténèbres du péché augmentent, et elle n’éprouve autre chose de ce sacrement qu’un remords de conscience de plus, non par l’effet de la Lumière qui ne peut jamais être altérée, mais par l’effet de l’eau du péché qui est dans l’âme et qui l’empêche de recevoir la Lumière.

17.- Tu vois donc qu’en aucune manière cette Lumière, unie à sa chaleur et à sa couleur, ne peut être altérée, ni par la faiblesse du désir que l’âme apporte à recevoir ce sacrement, ni par la faute de l’âme qui le reçoit, ni par celle de celui qui l’administre. Je te disais que le soleil, en éclairant une chose immonde, n’en est jamais souillé ; de même cette douce Lumière, dans ce sacrement, ne peut jamais être souillés, ni divisée, ni diminuée, ni séparée de son centre, quoique le monde entier participe à sa lumière  et à sa chaleur.

18.- Ainsi, le soleil du Verbe, mon Fils, ne se sépare jamais de moi, le Soleil son Père, lorsque dans le corps mystique de la sainte Eglise, il est administré à tous ceux qui veulent le recevoir ; mais il est toujours en moi ; et vous le recevez cependant, Dieu et homme tout entier, comme je te l’ai expliqué par la comparaison de la lumière, où tous les hommes pourraient allumer leurs flambeaux, en la laissant dans sa totalité.

 

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CXI.- Les sens du corps sont trompés dans ce sacrement, mais non pas ceux de l’âme, qui le voit, le goûte et le touche.- Belle vision de sainte Catherine.

 

1.- O ma fille bien-aimée! ouvre l’oeil de ton intelligence et contemple l’abîme de ma charité. Le coeur de toute créature raisonnable ne devrait-il pas se briser d amour en voyant au milieu des bienfaits que vous recevez de moi le bienfait que vous recevez dans ce divin sacrement? Avec quels sens, ma chère fille, devez-vous voir et toucher cet ineffable mystère? Ce n’est pas seulement avec les sens (194) du corps, car ils sont tous trompés. Tu sais que, l’oeil ne voit que la blancheur du pain, la main ne touche et le goût ne goûte que les apparences du pain ; les sens grossiers sont trompés, mais les sens de l’âme ne peuvent être trompés, si elle le veut, c’est-à-dire si elle ne veut pas se priver de la lumière de la sainte foi par l’infidélité.

2.- Qui peut donc goûter, voir et toucher ce sacrement? Les sens de l’âme. Avec quel oeil voit-elle? Avec l’oeil de l’intelligence : si cet oeil a la prunelle de la sainte foi, cet oeil voit dans cette blancheur l’Homme-Dieu tout entier, la nature divine unie à la nature humaine, le corps, l’âme et le sang du Christ, l’âme unie au corps, le corps et l’âme unis en ma nature divine, et ne se séparant pas de moi. Je t’ai montré ces choses, presque au commencement de ta vie, non pas seulement aux regards de ton intelligence, mais aussi aux yeux de ton corps, qui furent aveuglés par l’éclat de la lumière et en laissèrent la contemplation à l’intelligence. Je t’ai fait voir ces choses pour te fortifier contre les attaques du démon sur ce sacrement, et pour te faire croître en amour dans la lumière de la très sainte foi.

3.- Tu sais qu’en allant à l’église, dès l’aurore, pour entendre la messe, après avoir été tourmentée par le démon, tu allas te placer en face de l’autel du Crucifix. Le prêtre était à l’autel de Marie, et toi, tu restais à examiner ton indignité ; tu craignais de m’avoir offensé par le trouble que le démon t’avait causé, et tu considérais la grandeur de ma charité qui avait bien voulu te faire en tendue la messe, tandis que tu pensais ne pas mériter même d’entrer dans mon saint temple. Lorsque le prêtre fut arrivé à la Consécration, tu levas les yeux sur lui, et pendant qu’il prononçait les paroles de la Consécration, je me manifestai à toi. Tu vis sortir de mon sein, une lumière semblable au rayon du soleil qui sort de son disque sans cependant le quitter, et dans cette lumière venait une colombe unie avec elle, et elle frappait sur l’Hostie et le calice par la vertu des paroles de la Consécration que le prêtre prononçait.

4.- Alors l’oeil de ton corps ne fut plus capable de supporter cette lumière ; il ne te resta pour en jouir que l’oeil de ton intelligence, et tu pus voir et goûter l’abîme (195) de la Trinité, l’Homme-Dieu tout entier, caché et voilé sous cette blancheur. Tu vis que la présence lumineuse du Verbe, que ton intelligence voyait dans cette blancheur, ne détruisait pas la blancheur du pain. L’une n’empêchait pas l’autre ; la vue de l’Homme-Dieu n’empêchait pas la forme de ce pain, c’est-à-dire qu’elle n’en détruisait pas la blancheur, le goût et le contact. Cela te fut montré par ma bonté.

5.- Comment as-tu joui de cette vision? Par l’oeil de ton intelligence, avec la prunelle de la sainte foi. L’oeil de l’intelligence doit donc être le principal moyen de voir, parce qu’il ne peut être trompé. C’est ainsi que vous devez regarder ce sacrement. Et comment devez-vous le toucher? Avec la main de l’amour. C’est cette main qui touche ce que l’intelligence a vu et connu dans le sacrement ; l’âme touche avec la main de l’amour, comme pour s’assurer de ce qu’elle voit par la foi et connaît par l’intelligence. Et comment le goûte-t-elle? Avec le goût du saint désir. Le goût du corps goûte la saveur du pain, et le goût de l’âme, c’est-à-dire son saint désir, goûte l’Homme-Dieu.

6.- Ainsi tu vois que les sens du corps sont trompés, mais non ceux de l’âme ; l’âme au contraire est éclairée et affermie, parce que l’oeil de l’intelligence a vu avec la prunelle de la foi ; et parés qu’elle voit et connaît, elle touche avec la main de l’amour, elle goûte avec un ardent désir l’ardeur de mon amour ineffable. C’est cet amour qui l’a rendue digne de recevoir un si grand mystère, et la grâce que lui donne le sacrement. Tu vois que non seulement vous devez recevoir et voir Ce sacrement avec les sens du corps, mais avec les sens spirituels, en disposant toutes les puissances de l’âme à le contempler, à le recevoir, à le goûter avec amour.

 

 

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CXII.- De l’excellence que l’âme acquiert en recevant ce sacrement en état de grâce.

 

 

1.- Regarde, ma fille bien-aimée, quelle excellence requiert l’âme qui reçoit comme elle doit le recevoir ce pain (196) de vie, cette nourriture des anges. En recevant ce sacrement, elle est en moi et moi en elle ; comme le poisson est dans la mer et la mer dans le poisson, moi je suis dans l’âme et l’âme est en moi, l’Océan de la paix. Et dans cette âme réside la grâce : elle a reçu le Pain de vie en état de grâce, et la grâce demeure, quand l’accident du pain est consommé.

2.- Je lui laisse l’empreinte de la grâce, comme fait le sceau qu’on pose sur la cire chaude : lorsqu’on retire le sceau, l’empreinte du sceau reste ; de même la vertu de ce sacrement reste dans l’âme ; elle conserve la chaleur de ma divine charité, la clémence du Saint Esprit ; elle garde la lumière de la sagesse de mon Fils. L’oeil de l’intelligence est éclairé de la sagesse du Verbe, pour qu’elle connaisse et contemple la doctrine de ma Vérité ; et cette sagesse qui reste avec force, la fait participer à ma force toute puissante qui fortifie l’âme contre sa propre passion sensitive, contre les démons et contre le monde.

3.- Ainsi tu le vois, l’empreinte reste quand le sceau est levé, c’est-à-dire quand les accidents de la sainte Hostie sont consommés et que le Soleil retourne à son disque, dont il n’a jamais été cependant séparé, comme je te l’ai dit ; car il est toujours uni avec moi. L’excès de mon amour a voulu vous donner cette nourriture en cette vie, où vous êtes exilés et voyageurs, pour que vous ayez un soulagement et que vous ne perdiez pas la mémoire du bénéfice du sang. Ma divine providence a voulu subvenir à vos besoins, en vous nourrissant de ma douce Vérité. Juge maintenant combien vous êtes obligés de me payer d’amour, moi qui vous aime tant, moi l’éternelle, la souveraine Bonté, si digne d’être aimée!

 

 

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CXIII.- La grandeur du sacrement doit faire comprendre la dignité de ceux qui en sont les ministres.- Dieu leur demande une plus grande pureté qu’aux autres créatures.

 

 

1.- Je t’ai dit toutes ces choses, ma fille bien-aimée, pour te faire mieux comprendre la dignité de mes ministres et te faire pleurer plus amèrement sur leurs misères. S’ils (197) considéraient eux-mêmes leur dignité, ils ne resteraient pas dans les ténèbres du péché mortel et ne souilleraient pas ainsi leur âme. Non seulement ils ne m’offenseraient pas et ne profaneraient pas leur dignité, mais, en livrant même leur corps aux flammes, il leur semblerait ne pas reconnaître assez le bienfait qu’ils ont reçu ; car dans cette vie présente, il leur est impossible d’attendre une plus

haute dignité.

2.- Je les ai sacrés et je les ai appelés mes Christs, parce que je les ai chargés de me donner à vous. Je les ai placés comme des fleurs odoriférantes dans le corps mystique de la sainte Église. L’ange n’a pas cette dignité, et je l’ai donnée aux hommes que j’ai choisis pour mes ministres, Je les ai établis comme des anges, et ils doivent être des anges terrestres en cette vie. Je demande à toute âme la pureté et la charité ; je veux qu’elle m’aime et qu’elle aime le prochain, l’aidant comme elle peut, l’assistant de ses prières, et vivant en union avec lui, comme je te l’ai dit en traitant ce sujet. Mais j’exige bien davantage la pureté dans mes ministres ; je leur demande un plus grand amour envers moi et envers le prochain, auquel ils doivent administrer le corps et le sang de mon Fils, avec l’ardeur de la charité et la faim du salut des âmes, pour la gloire et la louange de mon nom.

3.- Comme les prêtres veulent la pureté du calice où se fait le sacrifice, moi je veux la pureté et la netteté de leur coeur, de leur âme, de leur esprit. Et, parce que le corps est l’instrument de l’âme, je veux aussi qu’ils le conservent dans une pureté parfaite, et qu’ils ne le souillent pas dans une fange immonde ; qu’ils ne soient pas enflés d’orgueil ni d’ambition pour les hautes dignités ; qu’ils ne soient pas, cruels envers eux et envers le prochain ; car ils ne peuvent être cruels envers eux sans l’être pour le prochain. S’ils sont cruels-à eux-mêmes par le péché, ils sont cruels aux âmes de leur prochain, parce qu’ils ne donnent pas l’exemple d’une sainte vie et ne travaillent pas à tirer les âmes des mains du démon et à distribuer le corps et le sang de mon Fils unique, et moi la vraie Lumière, dans les sacrements de l’Église. Si donc ils sont cruels à eux mêmes, ils le sont aux autres. (198)

 

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CXIV.- Les sacrements ne doivent pas se vendre ni s’acheter.- Ceux qui reçoivent les sacrements doivent fournir aux prêtres les choses temporelles, dont-les prêtres doivent faire trois parts.

 

 

1.- Je veux que mes ministres soient généreux et non pas avares, c’est-à-dire qu’ils ne vendent pas par cupidité et par avarice la grâce du Saint Esprit, Ils ne doivent pas le faire, et je ne veux pas qu’ils agissent ainsi. Ce qu’ils reçoivent de moi par charité et par bonté, ils doivent le donner de même généreusement par amour pour mon honneur et pour le salut du prochain ; ils doivent le communiquer charitablement à toute créature qui le demande humblement. Ils ne doivent le vendre d’aucune manière, puisqu’ils ne l’ont pas acheté, mais qu’ils l’ont reçu gratuitement de moi pour qu’ils en soient les ministres. Ils peuvent recevoir l’aumône, et celui qui participe aux sacrements est obligé de subvenir selon ses, moyens, aux besoins de celui qui les lui donne.

2.- Il est juste que vous fournissiez les choses temporelles à ceux qui vous nourrissent de la grâce et des biens spirituels, c’est-à-dire des sacrements que j’ai établis dans la sainte Église pour qu’ils vous procurent le salut. Et je vous dis en vérité qu’ils vous donnent incomparablement plus que vous ne leur donnez ; car on ne peut comparer les, choses finies et transitoires dont vous les assistez, à moi, l’Infini, que ma providence et ma charité les chargent de vous communiquer. Non seulement leur ministère, mais encore les moindres, grâces spirituelles qu’une créature quelconque vous obtiendra par ses prières ou par d’autres moyens, ne pourront jamais être reconnues par toutes vos richesses temporelles, car elles n’ont aucune valeur si on les compare à celles que reçoivent vos âmes.

3.- Maintenant, je te dirai que mes ministres doivent faire trois parts des biens qu’ils reçoivent de vous. Ils vivront de la première ; ils assisteront les pauvres avec la seconde, et consacreront la troisième à l’Eglise et à ses besoins. S’ils agissent autrement, ils m’offenseront. (199)

 

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CXV.- De la dignité du sacerdoce.- La vertu des sacrements ne diminue pas par les fautes de ceux qui les administrent, ou qui les reçoivent.

 

 

1.- Ainsi faisaient mes doux et glorieux ministres dont je te disais que je voulais te faire voir les mérites avec la dignité que je leur ai donnée en les faisant mes Christs, car en exerçant saintement cette dignité, ils sont revêtus de ce doux et glorieux Soleil que je leur ai donné à communiquer. Regarde Grégoire, Sylvestre et tous les papes qui, avant et après eux, ont succédé à Pierre, au premier Souverain Pontife qui reçut la clef du royaume des cieux, lorsque ma Vérité incarnée lui dit : « Je te donnerai les clefs du royaume du ciel, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel ; ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel » (S. Matth., XVI, 19).

2.- Considère, ma fille bien-aimée, qu’en te montrant la beauté de leur vertu, je te ferai mieux comprendre la dignité à laquelle j’ai élevé mes ministres. Cette clef est celle du sang de mon Fils unique, qui vous ouvre la vie éternelle, depuis longtemps fermés par le péché d’Adam, C’est pour cela que je vous ai donné ma Vérité, le Verbe mon Fils, qui, en souffrant et en mourant, a détruit votre mort et vous a fait un bain de son sang. Ce sang et cette mort, par la vertu de la nature divine unie à la nature humaine, a ouvert au genre humain la vie éternelle.

3.- A qui ai-je laissé les clefs de ce sang? Au glorieux apôtre Pierre et à tous ceux qui sont venus et qui viendront après lui jusqu’au jour du jugement. Tous ont eu et auront la même autorité que Pierre, et aucune de leurs fautes ne diminuera cette autorité et n’affaiblira la perfection du sang dans les sacrements ; car comme je te l’ai dit, ce Soleil n’est souillé par aucune impureté, et il ne perd pas sa lumière par les ténèbres du péché mortel qui se trouvent dans celui qui le distribue ou qui le reçoit. La faute d’un homme ne peut jamais nuire aux sacrements de l’Église ni diminuer leur vertu, elle diminue seulement la grâce, et la culpabilité augmente dans ceux qui les administrent ou les reçoivent indignement.

4.- Ainsi le Pape, mon Christ sur terre, tient les clefs (200) du sang comme je te l’ai montré en figure lorsque je voulus te faire comprendre quel respect les séculiers devaient avoir pour mes ministres, bons ou mauvais, et combien ils m’offensaient en ne les respectant pas. Tu sais que je t’ai montré le corps mystique de la sainte Église sous la figure d’un cellier qui renfermait le sang de mon Fils unique, et c’est par ce sang que tous les sacrements ont leur vertu et contiennent la vie.

5.- A la porte de ce cellier est mon Christ sur terre ; il est chargé de distribuer le sang et de désigner ceux qui aideront son ministère dans toute l’étendue de la chrétienté. A lui seul appartient l’onction qui donne le pouvoir ; nul ne peut le faire que lui ; c’est de lui que sort tout le clergé, et il donne à chacun ses fonctions dans la distribution de ce précieux sang.

6.- Comme il les a choisis pour ses auxiliaires, il a le droit de les corriger de leurs fautes, et je veux qu’il en soit ainsi. A cause de la dignité et de l’autorité dont ils sont revêtus, je les ai affranchis du pouvoir et de la servitude des princes de la terre. La loi civile n’a pas à les punir de leurs infidélités, ils ne relèvent que de leur supérieur dans la loi divine. Je les ai sacrés, et il est dit dans l’Ecriture : « Ne touchez pas à mes Christs » (Ps. CIV,15).

Aussi, le plus grand malheur qui puisse arriver à l’homme, c’est de se faire leur juge et leur bourreau.

 

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CXVI.- Dieu regarde comme dirigées contre lui les persécutions faites contre l’Église et ses ministres.

 

 

1.- Si tu me demandes pourquoi la faute de ceux qui persécutent l’Église est plus grande que toutes les autres fautes, et pourquoi je ne veux pas que les défauts des ministres affaiblissent le respect qu’on leur doit, je te répondrai que le respect qu’on leur doit ne s’adresse pas à eux mais à moi, à cause de lit vertu du sang que je les ai chargés d’administrer. Sans cela, vous ne leur devriez pas plus de respect qu’aux autres hommes ; mais leur ministère vous oblige à un plus grand respect, car il faut que vous vous adressiez à eux, non pas pour eux, mais à cause de la vertu que je leur ai donnée, si vous voulez recevoir les (201) sacrements de la sainte Église ; et si pouvant les recevoir vous ne le vouliez pas, vous seriez et vous mourriez en état de damnation.

2.- Votre respect s’adresse donc à moi et au glorieux sang de mou Fils, qui est une même chose avec moi par l’union de la nature divine à la nature humaine. Comme ce n’est pas à eux, mais à moi que s’adresse ce respect, c’est à moi aussi que le manque de respect s’adresse. Je te l’ai déjà dit, vous ne leur devez pas le respect pour eux, mais pour l’autorité que je leur ai donnée ; et en les offensant, c’est moi et non pas eux qu’on offense je l’ai formellement défendu en disant : Je ne veux pas qu’on touche à mes Christs.

3.- Personne ne peut s’excuser en disant : Je ne fais pas injure à l’Église et je ne me révolte pas contre elle, mais contre les défauts des mauvais pasteurs. Celui qui parle ainsi se ment à lui-même et s’aveugle par amour-propre ; il voit la vérité, mais il veut paraître ne pas la voir, pour cacher les remords de sa conscience. Il voit bien qu’il persécute le Verbe, mon Fils, et non pas de simples hommes ; l’injure s’adresse à moi comme le respect. Je reçois tous les torts, les mépris, les affronts, les reproches, les opprobres dont ils sont l’objet ; car je regarde comme fait à moi-même tout ce qu’on leur fait.

4.- Je le répète, je ne veux pas qu’on touche à mes Christs ; c’est moi seul qui dois les punir. Les méchants montrent le peu de respect qu’ils ont pour le sang de mon Fils, et combien ils font peu de cas du trésor que je leur ai donné pour le salut et la vie de leurs âmes : pouvez-vous recevoir plus qu’un Homme-Dieu pour nourriture? Parce que je ne suis pas honoré par mes ministres, ils m’honorent moins encore en les persécutant à cause de leurs défauts et de leurs péchés. S’ils les respectaient véritablement, à cause de moi, ils ne cesseraient pas de le faire, à cause de leurs défauts, car aucun de leurs défauts ne diminue la vertu du sang de mon Fils et ne doit par conséquent diminuer le respect : quand ce respect diminue, on m’offense.

5.- Cette offense est plus grave que toutes les autres, pour beaucoup de raisons, dont voici les trois principales. Premièrement, ce qu’on leur fait est fait à moi-même. Secondement, on viole mon commandement, puisque j’ai défendu (202) de les toucher : on méprise ainsi la vertu du sang reçu dans le saint baptême ; car on désobéit en faisant ce qui est défendu et en se révoltant contre ce sang qu’on ne respecte plus et qu’on persécute. Ceux qui agissent ainsi sont des membres corrompus, séparés du corps mystique de la sainte Église ; et s’ils persistent dans leur révolte, s’ils demeurent dans leur mépris, ils tombent dans la damnation éternelle. Si dans leurs derniers instants ils s’humilient et reconnaissent leur faute, s’ils veulent se réconcilier avec leurs chefs sans le pouvoir, je leur ferai miséricorde mais ils ne doivent pas attendre ce dernier instant, parce qu’ils ne sont pas sûrs de l’avoir.

6.- La troisième raison qui rend leur faute plus grave que les autres, est que leur péché se commet avec malice et préméditation. Ils savent qu’ils ne peuvent agir ainsi en conscience, et ils m’offensent par un coupable orgueil, sans aucune jouissance corporelle. Ils perdent ainsi leur âme et leur corps. L’âme se meurt par la privation de la grâce, et souvent le ver de la conscience la dévore. Leurs biens temporels se consument au service du démon, et leur corps périt ensuite comme celui des animaux.

7.- Ce péché est commis directement contre moi, sans utilité et sans jouissance, mais par malice et par orgueil, Cet orgueil a sa racine dans l’amour-propre sensitif et dans cette crainte coupable qu’eut Pilate, lorsque, par peur de perdre son pouvoir, il fit mourir le Christ, mon Fils unique. Ainsi font ceux qui ne respectent pas mes ministres. Beaucoup de péchés sont commis par faiblesse ou par ignorance et faute de lumière, ou par malice lorsqu’on connaît le mal qu’on fait, et que pour un plaisir déréglé ou pour un avantage qu’on croit y trouver, on m’offense.

8.- Cette offense est commise contre moi, contre le prochain et contre l’âme. Contre moi, parce qu’on ne rend pas honneur et gloire à mon nom ; contre le prochain, parce qu’on n’accomplit pas envers lui la charité. Cet acte ne m’atteint pas, quoiqu’il se fasse contre moi ; mais l’homme se blesse, et cette offense me déplaît à cause du mal qu’il lui cause.

9.- Cette offense s’adresse à moi directement. Les autres péchés ont quelque prétexte, quelque apparence de raison, quelque intermédiaire ; car je t’ai dit que tout péché et toute (203) vertu s’accomplissaient par le moyen du prochain. Le péché se fait par le manque de charité envers moi et envers le prochain, tandis que la vertu vit de la charité. En offensant le prochain, on m’offense en lui. Mais entre toutes mes créatures raisonnables j’ai choisi mes ministres, et je les ai consacrés pour dispenser le corps et le sang de mon Fils unique, c’est-à-dire la nature divine unie à votre humanité. Aussi, dès qu’ils célèbrent, ils représentent la personne du Christ, mon Fils.

10.- Tu vois donc que cette offense est faite au Verbe, et dès qu’elle est faite à lui, elle est faite à moi, car nous sommes une même chose : les malheureux persécutent le précieux Sang et se privent du trésor qu’ils pourraient en tirer. C’est pour cela que cette offense faite à moi, et non à mes ministres, m’est plus odieuse que les autres péchés ; car l’honneur ou la persécution s’adresse véritablement à moi, c’est-à-dire au glorieux sang de mon Fils, qui est un avec moi. Aussi je te dis que si tous les autres péchés étaient d’un côté et celui-là de l’autre, ce serait ce péché qui pèserait davantage.

11.- Je t’ai manifesté ces choses pour que tu aies plus sujet de pleurer l’injure qui m’est faite, et la perte de ces malheureux. Tes larmes amères et celles de mes serviteurs peuvent obtenir que ma miséricordieuse bonté dissipe les ténèbres où sont plongés ces membres corrompus, séparés du corps mystique de le sainte Église. Mais je ne trouve pour ainsi dire personne qui gémisse sur cet outrage qu’on fait au glorieux et précieux sang de mon Fils, tandis que j’en trouve beaucoup qui m’attaquent sans cesse avec les traits de l’amour déréglé, de la crainte servile et de la présomption. Ils sont si aveugles, qu’ils se glorifient de ce qui est mal, et rougissent de ce qui est bien, comme serait de s’humilier devant leur chef. Ce sont ces défauts qui les ont portés à persécuter le sang de mon Fils (Cette dernière phrase n’est pas dans le latin, qui diffère de ponctuation avec l’italien pendant tout ce chapitre.).

 

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CXVII.- De ceux qui persécutent de différentes manières la sainte Église et ses ministres.

 

1.- Je t’ai dit que plusieurs me frappaient, et c’est la (204) vérité. Ils me frappent dans leur intention autant qu’ils le peuvent. Aucun coup ne peut certainement m’atteindre et me blesser ; il arrive pour moi ce qui arrive sur une pierre très dure, le coup qu’elle reçoit ne peut l’entamer et retourne vers celui qui l’a frappée. Les offenses odieuses qui sont dirigées contre moi ne peuvent me nuire : les flèches empoisonnées du péché retournent contre ceux qui le commettent, et les privent de la grâce et du fruit du sang précieux de mon Fils. Si au dernier moment ils ne recourent pas à la sainte confession et à la contrition du coeur, ils arrivent à l’éternelle damnation ; ils sont séparés de moi et liés au démon, car ils se sont unis à lui.

2.- Dès que l’âme est privée de la grâce, elle est liée dans le péché par la haine de la vertu et l’amour du vice ; ce lien, c’est le libre arbitre qui le met dans les mains du démon pour les enchaîner, car sans cela ils ne pourraient l’être. Ce lien unit ensemble tous les persécuteurs du précieux Sang, et comme ils deviennent ainsi les membres du démon, ils font l’office du démon.

3.- Le démon s’applique à pervertir mes créatures, à les retirer de la grâce et à les faire tomber dans le péché mortel, pour qu’elles partagent son châtiment. Ainsi font les malheureux qui sont devenus les membres du démon : ils détournent les enfants de l’épouse du Christ, mon Fils unique ; ils leur ôtent les liens de la charité pour les charger de leurs tristes chaînes et les priver comme eux des fruits du Sang précieux ; ils portent les chaînes de l’orgueil, de la présomption et de la crainte servile. Pour ne pas perdre leur puissance temporelle, ils perdent la grâce et ils tombent dans la plus grande confusion qui puisse leur arriver, puisqu’ils sont privés de la vertu du sang. Ces liens sont scellés avec le sceau des ténèbres, car ils ne connaissent pas dans quels malheurs et quelles misères ils sont tombés et font tomber les autres. Ne le sachant pas, ils ne peuvent se corriger, et ils se glorifient de la ruine de leur âme et de leur corps.

4.- O ma fille bien-aimée! pleure, pleure amèrement sur l’aveuglement de ceux qui ont été comme toi lavés dans le sang, ils ont été nourris de ce sang sur le sein de la sainte Église, et maintenant ils se révoltent sous prétexte de corriger les défauts de mes ministres, que j’ai déclarés inviolables ; ils ont quitté le sein de leur mère. Tous mes serviteurs doivent (205) trembler en entendant raconter leur odieuse tyrannie, et ta langue ne pourra jamais redire combien je l’ai en horreur. Et ce qui est plus lamentable, c’est que sous le manteau des défauts de mes ministres, ils veulent cacher et couvrir leurs propres défauts ; ils ne pensent pas qu’ils ne peuvent, sous aucun voile, rien cacher à mes regards. On peut bien se cacher aux yeux des créatures, mais non pas aux miens, car les choses les plus cachées me sont présentes ; je vous aimais et je vous connaissais avant votre naissance.

5.- Ce qui empêche ces infortunés mondains de se convertir, c’est qu’ils ne croient pas avec une foi vive que je les vois. S’ils croyaient véritablement que je vois leurs fautes, que je punis tout mal et que je récompense tout bien, ils ne commettraient pas tant de péchés, mais ils se repentiraient de ceux qu’ils ont faits ; ils me demanderaient humblement miséricorde, et je leur ferais miséricorde par le sang de mon Fils ; mais ils persévèrent dans le mal et sont rejetés par ma bonté à cause de leurs fautes. Pour comble de malheur, ils perdent la lumière, et dans leur aveuglement ils deviennent les persécuteurs du sang de mon Fils, et cette persécution ne peut être excusée par aucune faute de ceux qui administrent ce sang.

 

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CXVIII.- Résumé de ce qui a été dit sur la sainte Église et ses ministres.

 

1.- Je t’ai dit, ma fille bien-aimée, quelque chose du respect qu’on doit avoir pour mes ministres malgré leurs défauts. Ce respect ne leur est pas dû à cause d’eux, mais à cause de l’autorité que je leur ai donnée. Et parce que leurs défauts ne peuvent affaiblir et diviser la vertu des sacrements, ils ne doivent pas non plus diminuer le respect qu’on leur doit, non pour eux, mais pour le trésor du sang. dont ils sont dépositaires.

2.- Quant à ceux qui font le contraire, je ne t’ai presque rien dit de l’indignation qu’ils me causent et du tort qu”ils se font en ne respectant pas et en persécutant le sang de mon Fils, en se liguant contre moi avec le démon, dont ils sont les esclaves. Je t’ai fait connaître ces choses pour que tu les pleures. Ce que je t’ai dit de ceux qui persécutent (206) la sainte Église, je pourrais te le dire de tous Ies chrétiens qui, en restant dans le péché mortel, méprisent le sang de mon Fils, et se privent de la vie de la grâce ; tous me sont odieux, mais surtout ceux dont je viens de t’entretenir.

 

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CXIX.- De la perfection, des vertus et des oeuvres des saints prêtres.

 

1.- Maintenant, pour reposer un peu ton âme et adoucir la douleur que te causent les ténèbres de ces malheureux pécheurs, je veux t’entretenir de la vie sainte de mes ministres. Je t’ai dit qu’ils avaient les qualités du soleil. Le parfum de leurs vertus corrige l’infection du vice, et leur lumière dissipe les ténèbres. Tu pourras, avec cette lumière, mieux connaître les ténèbres et les défauts de mes autres ministres.

2.- Ouvre donc l’oeil de ton intelligence et regarde. en moi, le Soleil de justice. Tu verras mes glorieux ministres qui, en administrant le Soleil, prennent les qualités du Soleil, comme je te l’ai dit de Pierre, le prince des apôtres, qui a reçu les clefs du royaume céleste. Il en est ainsi des autres qui, dans le jardin de la sainte Eglise, distribuent la Lumière, c’est-à-dire le corps et le sang de mon Fils, le Soleil unique et indivisible, avec tous les sacrements de l’Église qui donne la vie en vertu de ce précieux sang.

3.-Tous, à des degrés différents et selon leurs fonctions, sont appelés à répandre la grâce du Saint Esprit. Et comment la répandent-ils? Avec la lumière de la grâce qu’ils ont tirée de la vraie Lumière. Cette Lumière est-elle seule? Non ; car la lumière de la grâce ne peut être seule et ne peut être divisée ; il faut qu’on l’ait tout entière ou qu’on en soit complètement privé.

4.- Celui qui est en péché mortel est privé de la lumière de la grâce, et celui qui a la grâce est éclairé dans son intelligence pour me connaître, moi qui lui ai donné la grâce et la vertu qui conserve la grâce Il connaît dans cette lumière, la misère du péché et la raison du péché qui est l’amour-propre sensitif. Il le hait et parce qu’il le hait il reçoit dans son coeur l’ardeur de la charité ; car l’amour suit l’intelligence et reçoit la couleur de cette glorieuse Lumière (207), en suivant la doctrine de ma douce Vérité, et la mémoire se remplit ainsi du souvenir des bienfaits du sang.

5.- Tu vois qu’on ne peut recevoir la lumière sans recevoir la chaleur et la couleur, car elles sont unies ensemble et forment une même chose. Comme je te l’ai dit, on ne peut avoir une puissance de l’âme disposée à me recevoir, moi, le vrai Soleil, sans que les trois puissances soient toutes disposées et réunies en mon nom. Dès que l’intelligence s’élève avec la lumière de la foi au-dessus de la vision sensitive et me contemple, l’amour suit en aimant ce que l’intelligence voit et con naît ; la mémoire se remplit de ce que le coeur aime, et aussitôt toutes les puissances de l’âme participent à moi, le Soleil, et elles sont éclairées par ma puissance, par la sagesse de mon Fils unique, et par l’ardente bonté du Saint Esprit.

6.- Ainsi, tu vois que mes ministres fidèles ont les qualités du soleil, puisque les puissances de leur âme sont pleines de moi, le vrai Soleil. Ils font comme le soleil le soleil réchauffe et illumine, et sa chaleur féconde la terre : il en est de même des ministres que j’ai choisis et envoyés au corps mystique de la sainte Église, pour administrer mon Soleil, c’est-à-dire le corps et le sang de mon Fils unique, avec les sacrements qui ont la vie par ce sang. Ils l’administrent réellement et spirituellement en répandant dans le corps mystique de la sainte Église la lumière de la science surnaturelle par la couleur d’une vie pure et sainte, en suivant la doctrine de ma Vérité et en communiquant le feu de la plus ardente charité.

7.- Leur chaleur fait fructifier les âmes stériles en les éclairant par la lumière de la science. Leur vie sainte et exemplaire dissipe les ténèbres du péché mortel et de l’infidélité ; ils règlent la vie de ceux qui vivent d’une manière déréglée dans les ténèbres du péché et dans la privation de la grâce. Tu vois qu’ils sont des soleils, car ils en ont pris les qualités ; ils se sont revêtus de moi, le vrai Soleil, puisque l’amour les rend une même chose avec moi. Tous, selon le degré où je les ai placés, ont  répandu la lumière dans l’Église.

8.- Pierre l’a répandue par Sa prédication, sa doctrine, et enfin par son sang ; Grégoire, par sa science, son intelligence des Saintes Écritures et les exemples de sa vie ; Sylvestre (208) la fit briller contre les infidèles par ses discussions et les preuves qu’il a données de la très sainte foi par ses paroles et ses actions. Si tu regardes Augustin, Thomas d’Aquin, Jérôme et tant d’autres, tu verras de quelle lumière ils ont éclairé la divine Épouse, en dissipant les erreurs avec une humilité sincère et parfaite, comme des flambeaux posés sur le candélabre. Ils étaient affamés de mon honneur et du salut des âmes, et ils s’en rassasiaient avec délices au banquet de la très sainte Croix.

9.- Les martyrs ont répandu la lumière avec leur sang. Ce sang exhalait son parfum en ma présence, et cette odeur du sang et de la vertu, unie avec la lumière de la science, donnait des fruits à l’Épouse ; ils propageaient la foi ; ceux qui étaient dans les ténèbres venaient à la lumière, et la lumière de la foi brillait en eux.

10.- Les pasteurs établis par mon Christ sur la terre m’offraient un sacrifice de justice par la sainteté de leur vie. La perle précieuse de la justice enchâssée dans une humilité sincère et une ardente charité, brillait en eux et dans ceux qui leur étaient soumis, avec la lumière de la discrétion. Elle brillait en eux surtout parce qu’ils me rendaient ce qui m’est dû, c’est-à-dire gloire et honneur à mon nom, tandis qu’ils détestaient leurs sens, méprisaient le vice et accomplissaient la vertu par amour pour moi et pour le prochain. Ils foulaient aux pieds l’orgueil par l’humilité ; ils allaient à l’Autel avec la pureté des anges, et ils m’offraient le Sacrifice dans la sincérité d’une âme tout embrasée des flammes de la charité.

11.- Parce qu’ils accomplissaient la justice en eux, ils l’accomplissaient aussi dans ceux qui leur étaient soumis. lis voulaient les voir vivre saintement ; ils les reprenaient sans aucune crainte servile, parce qu’ils ne pensaient point à eux-mêmes, mais uniquement à mon honneur et au salut des âmes, comme doivent le faire les bons pasteurs qui suivent le bon pasteur, mon Fils, que je vous ai donné pour vous conduire et mourir pour vous. Ils ont suivi ses traces, ils ont agi avec ardeur et n’ont pas laissé les membres se corrompre en ne les corrigeant pas ; mais ils les ont charitablement corrigés avec le baume de la douceur. Ils n’ont pas craint de brûler avec le feu la plaie de leur vice ; ils ont employé la réprimande et la pénitence, peu ou beaucoup (209) Selon la gravité du péché. La peur de la mort ne les empêchait jamais d’agir et de dire la vérité.

12.- Ceux-là sont les vrais jardiniers qui arrachent avec zèle et sollicitude les épines du péché mortel et plantent les fleurs odoriférantes de la vertu. Ceux qui leur sont soumis vivent dans une sainte crainte et s’élèvent comme des fleurs embaumées dans le jardin de l’Église, parce qu’ils les corrigent sans la crainte servile qu’ils ne connaissent pas. Le venin du péché n’est pas en eux ; ils demeurent fermes dans la justice, reprenant humblement et avec courage. Ils brillent comme des pierres précieuses et répandent la lumière et la paix dans les âmes de mes créatures, qu’ils conservent dans la crainte et dans l’union de l’amour ; car je veux que tu saches que les ténèbres du monde et les divisions qui séparent les séculiers, les religieux, les clercs et les pasteurs de la sainte Église, n’ont d’autre cause que la perte de la lumière de la justice. Les ténèbres de l’injustice ont prévalu.

13.- Personne, obéissant à la loi civile ou divine, ne peut se conserver dans l’état de grâce sans la sainte justice, car celui qui ne corrige pas ou n’est pas corrigé ressemble à un membre malade qu’un mauvais médecin soigne avec de l’onguent sans purifier la plaie. Bientôt tout le corps est empoisonné et se corrompt. Ainsi le prélat ou les supérieurs qui voient quelqu’un infecté par la corruption du péché mortel, et qui appliquent seulement sur le mal l’onguent de la flatterie sans employer la réprimande, ne le guérissent jamais, mais gâtent les autres membres qui sont unis au même corps, c’est-à-dire au même pasteur.

11.- S’ils étaient, au contraire, de bons et vrais médecins des âmes, comme les saints pasteurs d’autrefois, ils n’emploieraient pas l’onguent sans appliquer aussi le feu de la réprimande ; et si le membre persistait dans le vice, ils le retrancheraient du corps pour qu’il ne gâtât pas les autres avec l’infection du péché mortel. Mais les pasteurs ne le font plus aujourd’hui ; ils paraissent même ne pas s’apercevoir du mal : et sais-tu pourquoi ? La racine de l’amour-propre vit en eux, et produit la crainte servile. Pour ne pas perdre leur position, leur fortune, leur dignité, ils se taisent ; mais ils agissent comme dés aveugles et ne savent pas ce qui conserve ; car, s’ils savaient que c’est la sainte justice, ils l’observeraient. Mais, parce qu’ils n’ont pas la lumière, ils ne le savent pas.

15.- Ils croient conserver avec l’injustice, en ne reprenant pas les défauts de ceux qui leur sont soumis, mais ils sont trompés par l’amour-propre sensitif et par le désir du pouvoir et de la prélature. Ils ne disent rien aussi, parce qu’ils ont eux-mêmes les mêmes vices et de plus grands encore. Ils se sentent coupables des mêmes fautes et ils perdent le zèle et la fermeté, lis Sont. retenus par la crainte servile et font semblant de ne pas voir. S’ils voient des choses évidentes, ils ne les reprennent pas et même ils se laissent endormir par des paroles qui les flattent et par des présents. Ils savent trouver des excuses pour ne pas punir. Ainsi s’accomplit en eux la parole de ma Vérité : « Ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles ; et si un aveugle en conduit un autre, ils tomberont tous les deux dans l’abîme » ( S. Matth. XV, 14).

16.- Ce n’est pas ainsi que faisaient leurs prédécesseurs, mes ministres bien-aimés, qui avaient les propriétés et les conditions du Soleil. Ceux qui leur ressemblent sont des soleils ; en eux ne se trouvent pas les ténèbres du péché et de l’ignorance, car ils suivent la doctrine de ma Vérité. Ils ne sont pas tièdes, car ils sont embrasés du feu de ma charité. Ils méprisent les grandeurs, les richesses et les délices du monde, et ils ne craignent jamais de corriger le vice. Celui qui ne désire pas la puissance et les honneurs ne craint pas de les perdre et agit avec vigueur. Celui qui n’a aucune faute sur la conscience ne craint rien.

17.- Voilà pourquoi cette perle précieuse de la justice n’était point obscurcie dans mes Christs fidèles dont je te parlais. Elle y brillait, au contraire ; ils embrassaient la pauvreté volontaire ; ils cherchaient l’abaissement avec une humilité profonde et ne s’arrêtaient pas aux mépris, aux affronts, aux reproches des hommes, aux injures, aux opprobres, aux peines et aux tourments. On blasphémait contre eux, et ils bénissaient ; ils supportaient tout avec une véritable patience, comme des anges de la terre : et ils étaient plus que des anges, non par leur nature, mais par leur ministère, puisqu’ils avaient reçu la grâce surnaturelle de distribuer le corps et le sang de mon Fils unique.

18.- Mes ministres étaient vraiment des anges, car comme l’ange que je vous ai donné pour garde, ils communiquaient les saintes et bonnes inspirations. Mes

ministres devraient encore faire de même, puisqu’ils vous ont été donnés par ma bonté pour vous garder. Ils avaient continuellement les yeux fixés sur ceux qui leur étaient confiés pour leur communiquer, comme de vrais anges gardiens, leurs saintes et bonnes inspirations ; ils les soutenaient par l’enseignement de leur parole et l’exemple de leur vie, et ils m’offraient pour eux dans une continuelle prière l’ardeur de leurs charitables désirs.

19.- Tu vois que mes ministres étaient des anges placés par mon infinie bonté, comme des flambeaux dans le corps mystique de la sainte Église, pour vous garder, afin que dans votre aveuglement vous ayez des guides qui vous dirigent dans la voie de la Vérité, en vous donnant de saintes inspirations et eh vous aidant, comme je l’ai dit, de leurs prières, de leurs exemples et de leurs enseignements. Avec quelle humilité ils gouvernaient et entretenaient ceux qui leur étaient soumis!

20.- Avec quelle espérance et quelle foi ils vivaient! Ils lie craignaient pas de voir les biens temporels manquer pour eux et leur troupeau, et ils distribuaient avec largesse

aux pauvres les biens de la Sainte Église. Ils observaient parfaitement l’obligation où ils étaient de faire trois parts, pour leurs besoins, pour les pauvres et pour l’Église. Ils n’avaient pas de testament à faire ; car il ne restait rien après leur mort, et quelques-uns même laissaient l’Église endettée pour les pauvres. Cela venait de la générosité de l’amour et de l’espérance qu’ils avaient en ma providence. Ils n’avaient pas de crainte servile et ne redoutaient jamais que rien leur manquât pour le spirituel ou le temporel.

21.- Ce qui prouve que la créature espère en moi et non pas en elle, c’est de ne pas avoir de crainte servile. Ceux qui espèrent en eux-mêmes craignent toujours et ont peur de leur ombre ; ils s’imaginent que le ciel et la terre vont, leur manquer. Avec cette crainte et la fausse assurance qu’ils placent dans leur faible savoir, ils se tourmentent si misérablement pour acquérir et conserver les biens temporels (212), qu’ils semblent ne pas se soucier des biens spirituels, dont personne ne paraît s’inquiéter.

22.- Ils ne pensent pas, les pauvres orgueilleux, que moi seul je pourvois à toutes les choses nécessaires à l’âme et. au corps, et que ma providence mesure son assistance selon l’espérance que vous avez cri moi. Ces misérables présomptueux ne songent pas que je suis Celui qui suis, tandis qu’eux ne sont rien par eux-mêmes, et qu’ils ont reçu de ma bonté l’être et toutes les grâces qui, y sont ajoutées. C’est bien en vain que se fatigue, celui qui garde la cité, sue ne la garde moi-même ; tous ses efforts sont stériles s’il compte sur ses efforts et son zèle pour la garder ; car il n’y a que moi qui la garde. Il est vrai que je veux vous voir faire fructifier pour la vertu, pendant la vie, l’être et les grâces que je vous ai donnés, en vous servant du libre arbitre que vous avez reçu avec la lumière de la raison ; car je vous ai créés sans vous, mais je ne puis vous sauver sans vous.

23.- Je vous ai aimés avant votre naissance. Mes bien-aimés serviteurs le savaient, et c’est pour cela qu’ils m’aimaient d’un si grand amour. Cet amour faisait qu’ils espéraient fermement en moi et qu’ils ne redoutaient jamais rien. Sylvestre ne tremblait pas devant l’empereur Constantin lorsqu’il disputait avec douze Juifs, en présence de la multitude ; mais il croyait fermement que si j’étais pour lui, personne ne pourrait lui nuire. Mes autres serviteurs bannissaient ainsi toute crainte ; car ils n’étaient jamais seuls, mais toujours accompagnés. En restant dans la charité, ils étaient en moi et recevaient de moi la lumière de la sagesse de mon Fils ; ils recevaient de moi la puissance pour être forts contre les princes et les tyrans du monde ; ils recevaient de moi le feu de l’Esprit Saint et participaient à. sa clémence, à son amour, Cet amour était toujours accompagné de la lumière de la foi, de l’espérance, de la force, de la vraie patience et de la persévérance jusqu’à l’heure de la mort.

24.- Tu vois donc que mes ministres n’étaient pas seuls, mais qu’ils étaient accompagnés ; aussi n’avaient-ils aucune crainte. Celui-là craint qui se sent seul, qui espère en lui-même et qui n’a pas la charité. La moindre chose lui fait peur ; car il est seul et privé de moi, qui donne l’assurance (213) parfaite à l’âme qui me possède par l’amour. Ces glorieux et chers serviteurs ont bien éprouvé que rien ne pouvait nuire à leur âme ; car, au contraire, ils étaient forts contre les hommes et les démons, qui souvent étaient enchaînés par la vertu et la puissance que je leur donnais sur eux ; et cela était parce que je répondais à l’amour, à la foi, à l’espérance qu’ils avaient placés en moi.

25.- Ta langue ne pourrait raconter leur vertu, et l’oeil de ton intelligence est incapable de voir la récompense qu’ils ont reçue dans le ciel et que recevront tous ceux qui suivront leurs traces. Ils sont comme des pierres précieuses en ma présence, parce que leurs travaux m’ont été agréables et qu’ils ont éclairé et embaumé de leurs vertus le corps mystique de la sainte Église. Je les ai comblés d’honneurs dans la vie éternelle, où ils ont reçu la béatitude et la gloire de ma vision, parce qu’ils ont donné l’exemple d’une vie sainte, et distribué la lumière du corps et du sang de mon Fils dans les sacrements.

26.- Je les aime d’un amour particulier, parce que je les ai élevés à la dignité de mon sacerdoce, et parce qu’ils n’ont pas enfoui, par leur négligence et leur ignorance, le trésor que je leur ai confié ; ils ont reconnu qu’il venait de moi et ils l’ont fait valoir avec zèle et humilité par de solides et véritables vertus. Je les avais revêtus d’une haute dignité pour le salut des hommes, et ces bons pasteurs ont travaillé sans cesse à ramener les brebis dans la bergerie de la sainte Église. Leur ardent amour et leur faim des âmes leur faisaient affronter la mort pour les retirer des mains du démon. Ils étaient faibles, ou paraissaient l’être avec les faibles. Souvent pour empêcher le désespoir du prochain ou pour mieux lui faire comprendre sa misère, ils disaient : Je suis faible comme vous l’êtes.

27.- Ils pleuraient avec ceux qui pleurent ; ils se réjouissaient avec ceux qui se réjouissent. Ils savaient doucement donner à chacun la nourriture qui lui convenait ; ils conservaient les bons, dont les vertus les remplissaient d’allégresse ; car ils n’étaient pas dévorés par l’envie, mais leur coeur se dilatait dans l’ardeur de la charité pour le prochain, et surtout pour ceux qui leur étaient confiés.

28.- Quant à ceux qui étaient pécheurs, il les retiraient du péché, en se prêtant à leur faiblesse et à leur infirmité (214) par une sainte et vraie compassion ; ils les corrigeaient des fautes où ils tombaient, et partageaient charitablement avec eux leur pénitence. L’amour qu’ils portaient à ces pénitents leur rendait la pénitence qu’ils donnaient plus pénible à eux-mêmes qu’à ceux qui la recevaient. Quelquefois même il y en avait qui s’en chargeaient réellement, surtout quand ils voyaient qu’elle répugnait trop à ceux qu’ils dirigeaient, et par ce moyen la rigueur de la pénitence devenait douce.

29.- Ces biens-aimés ministres abaissaient humblement leur dignité devant ceux qui leur étaient soumis. Ils étaient les maîtres, et ils se faisaient les serviteurs ; ils étaient exempts de toute infirmité, purs de tout mal, et ils se faisaient infirmes ; ils étaient forts, et ils se faisaient faibles. Ils se montraient simples avec les simples, petits avec les petits, et savaient ainsi, par humilité et charité, se proportionner àtous, et donner à chacun la nourriture qui lui convenait.

30.- Qu’est-ce qui les faisait agir de la sorte? La faim, le désir qu’ils avaient de mon honneur et du salut des âmes. Ils couraient pour se rassasier au banquet de la sainte Croix ; ils ne fuyaient, ne refusaient aucune fatigue ; mais, pleins de zèle pour les âmes, le bien de la sainte Eglise et l’expansion de la foi, ils se jetaient au milieu des épines de la tribulation et affrontaient tous les dangers avec une véritable patience, en m’offrant le parfum précieux de leur ardent désir et de leurs humbles et continuelles prières. Leurs larmes et leurs pleurs étaient un baume salutaire pour les plaies que le péché mortel avait faites au prochain, et ceux qui recevaient humblement ce remède précieux y trouvaient une santé parfaite.

 

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CXX.- Résumé de ce qui précède.- Respect qu’on doit aux prêtres, qu’ils soient bons ou mauvais.

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, je t’ai montré une étincelle de la gloire ne mes ministres ; je dis une étincelle, en comparaison de ce qu’elle est réellement. Je t’ai fait voir la dignité à laquelle je les avais élevés en les choisissant pour être mes ministres ; et à cause de cette autorité que je leur ai donnée, je ne veux pas que la main des séculiers (215) les punisse de leurs fautes ; car en le faisant, ils m’offensent d’une manière déplorable. Je veux qu’on ; les respecte non pour eux, mais pour moi et à cause de l’autorité dont ils sont revêtus. Ce respect ne doit jamais diminuer, même lorsque la vertu diminuerait en eux. Il faut le conserver pour les mauvais et pour les bons, parce que je les ai tous faits les ministres du Soleil, c’est-à-dire du corps et du sang de mon Fils dans les sacrements.

2.- Les bons et les mauvais ont la même dignité ; tous sont revêtus des mêmes fonctions, mais je t’ai montré que les parfaits avaient les qualités du soleil, puisqu’ils illuminent et réchauffent le prochain par l’ardeur de leur charité. Cette ardeur produit des fruits et fait naître des vertus dans les âmes de ceux qui leur sont confiés. Je t’ai dit aussi qu’ils étaient des anges que je vous avais donnés pour vous garder, car ils vous gardent et répandent dans vos coeurs, de saintes inspirations par leurs prières, leurs enseignements et leurs exemples. Ils vous servent et vous administrent les sacrements comme le fait l’ange qui vous garde et qui met en vous de bonnes et saintes pensées.

3.- Tu vois qu’outre la dignité où je les ai placés, je veux qu’ils soient ornés de toutes les vertus, afin que vous les aimiez et que vous ayez pour eux le plus grand respect. Car ce sont mes fils bien-aimés qui ressemblent à un soleil, éclairant par leur vertu le corps mystique de la sainte Église. Tout homme vertueux est digne d’amour :

à bien plus forte raison celui auquel j’ai confié un pareil ministère. Vous devez les aimer à cause de la sainteté du Sacrement. Vous devez haïr les fautes de ceux qui vivent mal, mais je ne veux pas que vous vous fassiez leurs juges, parce qu’ils sont mes Christs, et que vous devez aimer et vénérer l’autorité que je leur ai confiée.

4.- Si un homme sale et mal vêtu vous portait un grand trésor qui vous donnerait la vie, par amour pour ce trésor et pour le prince qui vous l’enverrait, vous ne détesteriez pas le porteur, quoiqu’il fût sale et mal vêtu. Son extérieur ne vous plairait pas sans doute, mais à cause du maître vous tâcheriez de le laver et de le vêtir. La charité ordonne que vous agissiez ainsi, et je veux que vous traitiez de la même manière mes ministres peu (216) exemplaires, dont les mains sont souillées et les vêtements déchirés par le défaut de charité, mais qui vous portent de grands trésors, c’est-à-dire les sacrements de la sainte Eglise, par lesquels vous recevez la vie de la grâce.

5.- Vous devez les honorer, quels que soient leurs défauts, par amour pour moi qui vous les envoie, et par amour de la vie de la grâce que vous trouvez dans le grand trésor qu’ils vous portent, puisqu’ils vous donnent un Dieu-Homme tout entier, c’est-à-dire le corps et le sang de mon Fils unis à ma nature divine. Il faut déplorer et haïr leurs fautes ; il faut vous efforcer de les revêtir par le zèle de votre charité et la sainteté de vos prières ; il faut les laver de leurs souillures avec vos larmes, et me les présenter avec un grand désir, pour que ma bonté les couvre du vêtement de la charité.

6.- Vous savez bien que je veux leur faire grâce, pourvu qu’ils s’y disposent, et que vous me le demandiez. Car ce n’est pas ma volonté qu’ils vous distribuent le Soleil dans les ténèbres, étant eux-mêmes dépouillés du vêtement des vertus et souillés par une vie coupable. Je vous les ai au contraire donnés pour qu’ils soient vos anges de la terre et votre lumière. S’ils ne le sont pas, vous devez prier pour eux et ne pas les juger, mais me les laisser juger moi-même. Je désire pouvoir leur faire miséricorde par vos prières. S’ils ne se convertissent pas, la dignité qu’ils ont reçue sera leur ruine ; et s’ils ne changent pas, s’ils ne profitent pas de la grandeur de ma miséricorde, moi, le Juge suprême, je les confondrai à l’heure de la mort, et je les enverrai au feu éternel.

 

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CXXI.- De la vie coupable des ministres infidèles.

 

 

1.- Écoute maintenant, ma fille bien-aimée. Afin que vous tous mes serviteurs, vous soyez excités à m’offrir pour mes ministres infidèles d’humbles et continuelles prières, je vais te montrer leur vie coupable. De quelque côté que tu regardes, que ce soient les séculiers, les religieux, les clercs, les prélats, les petits, les grands, les jeunes et les vieux, dans toutes les conditions, tu ne verras qu’offenses contre moi. Tous me jettent l’infection du péché (217) mortel ; mais cette infection ne saurait m’atteindre, elle ne nuit qu’à eux-mêmes.

2.- Je t’ai dit jusqu’à présent la dignité de mes ministres et la vertu de ceux qui sont bons, pour donner un peu de repos à ton âme, et te faire ensuite mieux connaître le malheur de ces infortunés. Tu verras combien ils sont coupables et dignes d’un châtiment terrible. Autant mes bien-aimés ministres, qui font saintement valoir le trésor qua je leur ai confié, méritent d’être magnifiquement récompensés, et d’être comme des pierres précieuses en ma présence, autant ces misérables méritent au contraire les foudres de ma justice.

3.- Écoute, ma fille bien-aimée, et apprends, dans la douleur et l’amertume de ton coeur, quel est le principe et le fondement de leur égarement : c’est l’amour-propre, d’où naît l’arbre de l’orgueil qui produit l’aveuglement. Comme ils ne savent pas discerner la vérité, ils s’attachent aux hommes, à la gloire, et recherchent les grandes dignités, le faste et les délicatesses du corps. Ils m’outragent et m’offensent ; ils s’attribuent ce qui ne leur appartient pas, et m’attribuent ce qui n’est pas de moi.

4.- La gloire et l’honneur doivent m’appartenir, et ils doivent n’avoir pour eux que la haine de leurs sens. Ils doivent se connaître assez pour se réputer indignes du sublime ministère qu’ils ont reçu, et ils font le contraire. Tout pleins d’orgueil, ils ne peuvent se rassasier de la boue des richesses et des .délices du monde ; ils sont avides, impitoyables, avares à l’égard des pauvres, et à cause de ce misérable orgueil et de cette avarice qu’engendre l’amour-propre sensitif, ils abandonnent le soin des âmes. Ils ne pensent qu’à conserver et soigner les choses temporelles, et ils laissent mes brebis que je leur ai confiées, comme des troupeaux sans pasteur. Ils ne les conduisent pas et ne les nourrissent ni spirituellement ni temporellement.

5.- Ils administrent, il est vrai, spirituellement les sacrements de la sainte Eglise, et ces sacrements ne peuvent, par leur faute, perdre leur efficacité et leur vertu mais ils ne nourrissent pas les âmes de prières ferventes, de l’ardent désir de votre salut èt d’une vie sainte et honnête. Ils ne nourrissant pas non plus leur troupeau des choses temporelles ; ils n’assistent pas les pauvres des (218) biens de l’Église, dont ils doivent faire trois parts, comme je te l’ai dit : une pour leurs besoins, une autre pour les pauvres, et l’autre pair l’utilité de l’Église.

6.- Ils font le contraire ; car non seulement ils ne donnent pas ce qu’ils sont obligés de donner aux pauvres, mais encore ils dépouillent le prochain par la simonie et la passion de l’argent ; ils vendent la grâce du Saint Esprit. Il s’en trouve souvent de si infidèles, que ce que je leur ai donné gratuitement pour qu’ils vous le donnent de même, ils le refusent à ceux qui en ont besoin, à moins qu’on ne leur remplisse la main et qu’on ne les comble de présents. Ils n’aiment ceux qui leur sont confiés qu’autant qu’ils en retirent quelque utilité, et jamais davantage.

7.- Ils dépensent les biens de l’Église en riches ornements, pour aller, vêtus avec délicatesse, non comme des clercs et des religieux, mais comme des grands seigneurs et des hommes de cour. Ils s’appliquent à avoir de beaux chevaux, une quantité de vases d’or et d’argent, et de magnifiques ameublements ; ils possèdent toutes ces choses, qu’ils ne devraient pas avoir, avec une grande vanité de coeur. Leurs discours sont aussi déréglés : ils ne rêvent que festins somptueux et font un dieu de leur ventre ; ils mangent et boivent sans mesure, et tombent bientôt dans la fange et le désordre (Vae, vae ipsorum vite miserabili et infelici ! quoniam illud quod unigenitus Filius meus acquisivit, cum gravissima poena, super ligno sanctissimcae Crucis, ipsi cum meretricibus expendunt. Et ita damnabiliter jugiter animas devorant et occidunt lesu Christi sanguine pretioso redemptas, eas diversimode cum fetenti miseria corrumpendo, et de patrimonio vel haereditate pauperum filios adulterinos alunt et ornant.).

8.- O temples du démon! je vous avais choisis pour être des anges sur la terre, et vous êtes des démons ; vous en faites l’office! Les démons répandent les ténèbres qu’ils ont en eux, et deviennent de cruels bourreaux. Ils s’efforcent, autant qu’ils peuvent, par leurs tentations et leurs attaques, de détruire la grâce dans les âmes, pour les faire tomber dans le péché mortel. Le péché ne peut souiller une âme, si elle n’y consent ; mais ils font tous leurs efforts pour l’y décider. Ces malheureux, indignes prêtres, appelés mes ministres, sont des démons incarnés, (219)

puisque par leurs fautes ils se sont soumis à la volonté du démon, et qu’ils en remplissent les fonctions. Ils me distribuent, moi, le vrai Soleil, au milieu des ténèbres du péché mortel, et ils répandent les ténèbres de leur vie coupable et déréglée parmi les créatures raisonnables qui leur sont confiées. Ils troublent et scandalisent ceux qui les voient vivre ainsi, et souvent leurs mauvais exemples égarent les autres loin de la grâce et de la voie de la vérité, dans les sentiers du mal et de l’erreur.

9.- Celui qui les suit n’a pourtant pas d’excuse ; car ces démons visibles, pas plus que les démons invisibles, ne peuvent forcer l’homme à pécher. Personne ne doit imiter leur vie et faire ce qu’ils font ; car comme ma Vérité vous l’enseigne dans le saint Évangile, vous devez faire ce qu’ils vous disent (S. Matth., XXIII, 3), c’est-à-dire suivre la doctrine qui vous a été donnée dans le corps mystique de la sainte Église, qui est consignée dans la sainte Écriture et proclamée par les prédicateurs chargés d’annoncer ma parole. Gardez-vous d’imiter leur vie coupable et de les punir comme ils le méritent ; car vous m’offenseriez.

10.- Ne vous arrêtez pas à leurs vices, et suivez seulement ma doctrine. Laissez-moi le châtiment ; car je suis le Dieu bon et éternel, je, récompense tout bien et je punis tout mal. Je ne leur ménagerai pas la vengeance ; ma justice ne les épargnera pas parce qu’ils ont eu l’honneur d’être mes ministres. Ils seront, au contraire, s’ils ne se convertissent, plus terriblement punis que les autres, parce qu’ils auront plus reçu de ma bonté ; plus ils m’offensent misérablement, plus ils sont dignes de punition. Tu vois bien que ce sont des démons, tandis que mes élus, dont je t’ai parlé sont des anges sur la terre, et remplissent les fonctions des anges.

 

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CXXII.-De ceux qui commettent l’injustice en ne reprenant pas leur prochain.

 

 

1.- Je t’ai dit qu’en mes ministres bien-aimés brillait la perle précieuse de la justice. Maintenant je te dis que des malheureux portent pour ornement l’injustice. Cette injustice procède et est inséparable de l’amour-propre (220). C’est par l’amour-propre qu’ils commettent l’injustice envers leurs âmes et envers moi dans les ténèbres de leur aveuglement. Envers moi, car ils ne me rendent pas gloire ; et envers eux, car ils n’ont pas une vie honnête et sainte, le désir du salut des âmes, et la faim des vertus ; c’est pourquoi ils commettent l’injustice envers leur troupeau et leur prochain, dont ils ne corrigent pas les vices. Ils ne les voient pas même dans leur aveuglement, et la crainte coupable qu’ils ont de déplaire aux autres, fait qu’ils les laissent dormir et languir dans leurs infirmités.

2.- Ils ne s’aperçoivent pas qu’en voulant plaire aux créatures, ils leur nuisent et déplaisent au Créateur : quelquefois ils les reprennent pour se couvrir d’une apparence de justice, mais ils ne s’adressent pas aux grands, qui peut-être seront plus coupables que les petits, parce qu’ils craignent par là de nuire à leur position et à leur fortune ; mais ils reprendront les petits, qui ne peuvent rien contre eux et leur puissance. Voilà le fruit de leur injustice et de leur déplorable amour-propre.

3.- L’amour-propre corrompt le monde et le corps mystique de la sainte Église : il rend sauvage le jardin de l’Époux, et le remplit de fleurs empoisonnées. Ce jardin était bien cultivé par les vrais jardiniers, mes saints ministres ; il était orné d’une multitude de fleurs odoriférantes. La vie de ceux qui s’y trouvaient n’était pas encore viciée par leurs pasteurs, qui leur donnaient, au contraire, l’exemple de la vertu et de la sainteté.

4.- Il n’en est plus ainsi maintenant, car les mauvais pasteurs rendent mauvais ceux qui leur sont confiés. L’Épouse est entourée des épines et des ronces du péché. Elle ne peut être atteinte elle-même, de la corruption du péché, parce que la vertu des sacrements ne peut recevoir aucune atteinte ; mais ceux qui se nourrissent sur le sein de l’Épouse reçoivent le poison dans leur âme, en perdant la dignité à laquelle je les avais élevés. La dignité ne diminue pas en elle-même, mais elle diminue pour eux, parce que leurs fautes font mépriser le précieux sang de mon Fils. Les séculiers ne les respectent pas comme ils devraient toujours le faire (221), à cause de ce précieux Sang : et ce manque de respect n’a pas son excuse dans les fautes des ministres. Ces malheureux sont des modèles d’iniquité, tandis que je les avais choisis pour être des modèles de vertu.

 

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CXXIII.- Des autres vices des mauvais ministres.

 

 

1.- Apprends, ma fille bien-aimée, la source véritable de toute cette corruption. C’est la sensualité, qui, avec l’amour-propre, triomphe de l’âme et la rend esclave, tandis que je l’ai affranchie avec le sang de mon Fils, lorsque tout le genre humain fut délivré de la servitude et de la puissance du démon, toute créature raisonnable participe à cette grâce, mais mes ministres sont particulièrement affranchis de la servitude du monde ; ils sont choisis pour me servir et pour administrer les sacrements de la sainte Église. Je les ai rendus indépendants, et je ne veux pas qu’aucun prince temporel se fasse leur juge.

2.- Sais-tu, ma fille bien-aimée, comment ils reconnaissent les grands bienfaits qu’ils ont reçus de moi ? Ils me remercient en m’outrageant sans cesse par tant de vices et de crimes, que tu ne pourrais jamais les redire, et que tu n’aurais pas même la force de les entendre. Je veux t’en dire cependant encore quelque chose, pour que tu puisses gémir sur eux et en avoir compassion.

3.- Ils devaient s’asseoir au banquet de la Croix par leurs saints désirs, et s’y nourrir du salut des âmes, pour m’honorer : toute créature raisonnable doit le faire

mais ils doivent le faire bien davantage, puisque je les ai choisis pour distribuer le corps et le sang de Jésus crucifié, mon Fils, pour vous donner l’exemple d’une sainte vie et pour se rassasier de vos âmes, en suivant ma vérité avec une infatigable ardeur. Ils vont au contraire dans les tavernes ; ils jurent et blasphèment, ils affichent publiquement leurs vices ; ils deviennent, dans leur aveuglement, des animaux sans raison, et toutes leurs actions, toutes leurs paroles respirent le mal.

4.- Ils ne savent plus ce que c’est que l’Office, et, s’ils le disent quelquefois, c’est avec les lèvres seulement, mais leur coeur est loin de moi. Ils se conduisent comme (222) des libertins. Après avoir joué et perdu leur âme, ils jouent et risquent les biens de l’Église et ce qu’ils ont reçu en vertu du sang de mon Fils. Aussi les pauvres n’ont pas ce qui leur est dû ; l’Église est dépouillée et n’a pas ce qui est nécessaire au culte. Comment peuvent-ils avoir soin de mon temple, puisqu’ils sont devenus les temples du démon ? Cette pompe qu’ils devaient déployer dans l’Eglise pour honorer le sang de mon Fils, ils la mettent dans les maisons qu’ils habitent (Et quod etiam deterius est, ipsi faciunt veluti sponsus, qui sponsam propriam ornat : ita faciunt isti daemones incarnati, qui de substantia temporali suarum ecciesiarum ornant abominabiles atque daemoniacas suas concubinas, cum quibus inique, sceleratissime vivunt, et absque verecundia quacumque faciunt eas ad ecclesiam cum allis ambulare, atque divinis officiis interesse, dum ipsi miserabiles in altari consistunt ad consecrandum unigeniti Filii mei corpus et sanguinem. Nec erubescunt quod infelices illae concubinae filios eorunt ad manum adducant ut offerant una cum alio populo.).

5.- O démons plus démons que les démons, si au moins vos iniquités étaient ignorées de ceux qui vous sont soumis! En les commettant secrètement, vous m’offenseriez et vous vous perdriez, mais vous ne perdriez pas le prochain par le scandale de votre vie. Vos exemples empêchent les autres de sortir du vice, et les font tomber dans des péchés semblables, et dans de plus grands encore. Est-ce la pureté que j’exige de mes ministres, surtout quand ils vont célébrer à l’Autel ? Doivent-ils ainsi, le matin, l’âme et le corps souillés par le péché, se lever pour offrir le Sacrifice ?

6.- O tabernacle du démon, où sont tes veilles de la nuit, et l’Office que tu devais réciter? où sont tes continuel les et ferventes prières? Pendant cette nuit même, tu devais te préparer aux fonctions que tu avais à remplir au commencement du jour, en t’examinant et en te reconnaissant indigne d’un si grand ministère ; tu devais reconnaître que c’était ma bonté, et non pas ton mérite, qui te l’avait fait donner pour l’utilité des autres créatures.

 

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CXXIV.- Combien sont coupables ces ministres prévaricateurs.

 

 

1.- Songe, ma fille bien-aimée, que j’exige des fidèles (223) et des prêtres, dans ce sacrement, toute la pureté que l’homme peut avoir sur terre. Tous, vous devez faire sans cesse vos efforts pour l’acquérir, et vous devez penser que si les anges eux-mêmes pouvaient se purifier, ils devraient le faire pour remplir un semblable ministère. Mais cela ne peut être ; leur nature n’a pas besoin d’être purifiée, car la souillure du péché ne peut les atteindre. Je te dis seulement cela pour te faire comprendre quelle pureté je réclame de vous’ et surtout des prêtres dans ce Sacrement. Hélas! les malheureux font tout le contraire ; car ils s’en approchent non seulement tout souillés de ces impuretés auxquelles vous êtes entraînés par votre fragile nature, quoique la raison, si le libre arbitre le veut, puisse dompter sa révolte ; mais encore, loin de surmonter ces faiblesses, ils vont au delà, et commettent le péché que j’ai maudit.

2.- Les insensés ont obscurci la lumière de leur intelligence, et ils ne voient plus la corruption et la fange où ils sont plongés. Ce péché me cause une si grande horreur, que, pour le punir, ma vengeance a englouti cinq villes. Ma justice ne pouvait les supporter, tant ce péché me fait horreur ; et ce n’est pas à moi seulement, car il répugne aux démons même, que ces malheureux ont choisis pour maîtres. Ce n’est pas que le mal leur déplaise, ils ne peuvent aimer aucun bien ; mais, parce qu’ils ont reçu une nature angélique, ils ne peuvent, à cause de cela, voir commettre une telle monstruosité ; ils lancent, il est vrai, la flèche empoisonnée par le venin de la concupiscence ; mais, quand s’accomplit l’acte du péché, ils s’enfuient, comme je te l’ai dit.

3.- Rappelle-toi qu’avant la peste, je t’ai montré combien j’avais en horreur ce péché et combien le monde en était infecté. Je t’élevai alors au-dessus de toi-même dans l’ardeur de tes désirs, et je te fis voir l’univers tout entier. Tu vis ce malheureux péché dans presque toutes les conditions, et les démons qui s’enfuyaient pour ne pas le voir, et l’infection qu’il causait ; la peine que tu en ressentais dans ton âme était si grande, que tu te croyais sur le point de mourir. Et tu n’apercevais pas pour toi et mes autres serviteurs un endroit où vous puissiez vous réfugier, car cette lèpre était répandue partout ; tu ne trouvais aucun asile parmi les petits et les grands, parmi les vieux et parmi (224) les jeunes ; les religieux et les laïques ; les maîtres et les serviteurs, presque tous avaient l’âme et le corps souillés de ce vice maudit.

4.- Je t’ai montré cependant, au milieu de tous ces coupables, un grand nombre de préservés ; car, parmi les méchants, j’ai toujours des élus, dont la vertu et les bonnes oeuvres retiennent ma justice et m’empêchent de commander aux rochers d’écraser les coupables, à la terre de les engloutir, aux animaux de les dévorer, et aux démons d’emporter leur âme et leur corps. Je cherche même des moyens pour pouvoir leur faire miséricorde, en les faisant changer de vie : j’y emploie mes serviteurs qui sont purs de cette lèpre, et je les fais prier pour eux.

5.- Quelquefois je leur dévoile ces honteux péchés, pour qu’ils soient plus ardents à désirer leur salut, pour qu’ils m’invoquent avec une plus grande compassion et une plus vive douleur de ces outrages, et pour que j’exauce leurs prières comme j’ai exaucé les tiennes car, si tu te le rappelles, lorsque je te fis sentir quelque chose de cette infection, tu en souffrais tant, que tu n’en pouvais plus et que tu me disais : « O Père éternel, ayez pitié du moi et de toutes les créatures, ou bien retirez mon âme de mon corps, car il me semble que je ne puis plus y résister. Donnez-moi quelque soulagement et montrez-moi un lieu où, moi et vos autres serviteurs, nous puissions nous reposer, sans que cette lèpre puisse nous suivre et altérer la pureté de nos âmes et de nos corps».

6.- Je te répondis, en jetant sur toi un regard de tendresse : « Ma fille, votre repos est de rendre honneur et gloire à mon nom, et de m’offrir l’encens d’une continuelle prière pour ces malheureux dont les péchés méritent les rigueurs de mes jugements. Votre asile est Jésus crucifié, mon Fils unique ; réfugiez-vous, cachez-vous dans la plaie de son côté ; l’amour vous y fera goûter, par son humanité, ma nature divine. Dans son coeur entr’ouvert vous trouverez ma charité et celle du prochain ; car, pour honorer son Père et accomplir les ordres que je lui avais donnés pour vous sauver, il a couru à la mort ignominieuse de la Croix. En voyant et en goûtant cet amour vous suivrez sa doctrine, et vous vous rassasierez au banquet de la Croix, en supportant avec charité, avec une véritable (225) patience, votre prochain et les peines, les travaux, les fatigues, de quelque côté qu’elles viennent. C’est ainsi que vous vous sauverez et que vous éviterez la lèpre. C’est le moyen que je t’ai donné et que je donne à tous mes serviteurs ».

7.- Cela n’empêcha pas ton âme de sentir cette infection, et ton intelligence de voir ces ténèbres ; mais ma providence y pourvut, car, en participant au corps et au sang de mon Fils, Dieu et homme parfait, tels que vous les recevez à l’Autel, comme preuve de la vérité, l’infection fut détruite par le parfum que vous donne ce sacrement, et les ténèbres furent dissipées par la lumière que vous y trouvez. Un miracle de ma bonté fit rester l’odeur de ce Sang dans ta bouche, et tu en jouis pendant plusieurs jours.

 8.- Tu vois, ma fille bien-aimée, combien ce péché m’est odieux en toute créature : mais songe qu’il doit m’irriter bien davantage en ceux que j’appelle à vivre dans la continence, et surtout en ceux que j’ai séparés du monde par la vie religieuse ou par le sacerdoce, pour leur faire porter des fruits dans le corps mystique de l’Église. Vous

ne pourrez jamais comprendre combien ce péché me déplaît plus en eux que dans tous ceux qui vivent dans le monde ou qui devraient vivre dans la continence.

9.- Je t’ai dit qu’ils étaient des lampes placées sur le candélabre pour répandre ma lumière par leur vertu et par leur vie, et ils ne répandent que les ténèbres. Ils sont si pleins de ténèbres, qu’ils n’entendent pas la Sainte Écriture, où mes élus puisent la lumière avec la lumière surnaturelle que je leur donne. Parce qu’ils sont enflés d’orgueil et souillés d’impureté ; ils ne voient et ne comprennent que l’écorce et la lettre, sans y trouver aucune saveur. Le goût de leur amour est vicié par l’amour-propre et corrompu par l’orgueil ; ils ne se repaissent que d’impuretés et ne songent qu’à jouir de leurs plaisirs coupables. La cupidité, l’avarice les poussent au mal, qu’ils commettent publiquement sans honte ; et ils exercent l’usure, que j’ai défendue et qui rend si misérables ceux qui s’y livrent. (226)

 

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CXXV.- Des maux que ces vices causent dans le monde.

 

 

1.- Comment ceux qui ont de pareils vices pourraient-ils reprendre, corriger et punir ceux qui leur sont soumis? Leurs fautes leur ôtent nécessairement le courage et le zèle de la sainte justice ; et si quelquefois ils veulent parler, les coupables savent leur dire : Médecin, guéris-toi d’abord (S. Luc, IV, 23), tu me soigneras ensuite, et je prendrai les remèdes que tu me diras. Il est plus vicieux que moi, et il me fait des reproches.

 2.- Celui-là fait mal qui veut reprendre les autres par sa parole, sans y ajouter une bonne et sainte vie. Qu’il soit bon ou mauvais, le supérieur doit toujours reprendre le vice dans ceux qui lui sont soumis ; mais il fait mal de ne pas le combattre, surtout par ses exemples. Celui-là fait plus mal encore qui ne reçoit pas humblement la correction et qui ne change pas de conduite, que l’avertissement vienne d’un b’on ou d’un mauvais supérieur ; car il nuit plus à lui-même qu’aux autres, et c’est lui qui sera puni de ses fautes.

3.- Tous ces maux arrivent, ma très chère fille, parce que les pasteurs ne corrigent pas les autres par une bonne et sainte vie. Et pourquoi ne le font-ils pas? Parce qu’ils sont aveuglés par l’amour-propre, qui est la source de tous leurs vices. Ils ne songent qu’aux moyens de se procurer de Coupables jouissances. C’est l’unique pensée des pasteurs et du troupeau, des clercs et des religieux.

 4.- Hélas! ma douce fille, où est l’obéissance des religieux qui devraient vivre comme des anges dans leur Ordre, et qui sont pires que les démons! Ils sont choisis pour annoncer ma doctrine et ma vérité ; mais le bruit de leur parole est inutile, ils ne produisent aucun fruit dans le coeur de leurs auditeurs. Leurs prédications sont plutôt faites pour plaire aux hommes et charmer leurs oreilles que pour m’honorer. Ils s’appliquent non pas à bien vivre, mais à bien parler. Ils ne sèment pas le bon grain de ma Vérité, et ne travaillent pas à arracher les vices et à faire renaître les vertus. Comme ils n’ont point arraché les épines de leur jardin (227), ils ne cherchent pas à enlever celles du jardin des autres.

5. Toute leur jouissance est de parer leur corps, leurs chambres, et d’aller causer dans la ville ; ils ressemblent aux poissons, qui meurent dès qu’ils sont hors de l’eau. Ces religieux qui vivent si légèrement se perdent en quittant leur cellule, dont ils devraient faire un ciel ; ils courent les rues, cherchant les maisons, de leurs parents et des gens, du monde ; ils plaisent aux séculiers relâchés et aux supérieurs coupables, qui leur laissent toute liberté, au lieu, de les tenir sévèrement, Ces mauvais pasteurs ne s’inquiètent pas de voir leurs frères entre les mains du démon ; souvent ils les lui livrent eux-mêmes.

6.  Tous ces malheurs sont causés par les supérieurs qui ne veillent pas sur ceux qui leur sont confiés. Ils les laissent libres et les envoient eux-mêmes, comme s’ils ne connaissaient pas leurs misères et le dégoût qu’ils ont de leur cellule. C’est ainsi que vient pour, eux la mort. Tu ne pourrais jamais dire leur iniquité et par quels moyens déplorables ils m’offensent. Ils sont devenus les armes du démon, et ils répandent le poison de leur corruption au dedans et au dehors.

7.- Ils scandalisent à la fois les séculiers et les religieux. Ils n’ont pas la charité fraternelle : tous veulent dominer, tous cherchent à posséder, contrairement au précepte et au voeu qu’ils ont fait. Ils ont promis d’observer la règle, et ils la violent ; non, seulement ils ne l’observent pas, mais ils se jettent comme des loups affamés sur les agneaux qui veulent la suivre. Ils les accablent de mépris et de souillures. Les malheureux s’imaginent, en persécutant et en tournant (228) en dérision les bons religieux, cacher leurs défauts, et ils les font paraître bien davantage. Voilà le maI qui désole les jardins de l’Église les saints Ordres établis et fondés par l’Esprit Saint.

8. Un Ordre en lui-même ne peut être gâté et corrompu par les défauts des inférieurs et des supérieurs ; celui qui veut y entrer ne doit pas faire attention à ceux qui sont mauvais, mais il doit s’appuyer sur la règle qui ne peut faiblir, et ne la point abandonner jusqu’à la mort. Les jardins de la vie religieuse sont ainsi désolés par les supérieurs et les inférieurs relâchés qui n’observent pas la règle, ne tenant aucun compte des usages, et ne faisant leurs cérémonies que pour plaire au public et cacher leurs vices.

9.- Tu vois qu’ils n’observent pas leur premier voeu, qui est d’obéir à leurs constitutions. Je te parlerai ailleurs de l’obéissance. Ils ont également promis d’observer la pauvreté volontaire et la continence. Comment l’observent-ils? Vois les propriétés et les richesses qu’ils possèdent, contrairement à la charité qui devrait leur faire partager tous ces biens avec leurs frères, comme l’exige leur règle. Ils ne veulent engraisser qu’eux et leurs animaux : une bête nourrit ainsi les autres. Tandis que leurs pauvres frères meurent de froid et de faim, ils sont bien vêtus et, bien nourris ; ils ne pensent pas aux autres, et ne veulent pas se trouver avec eux à la pauvre table du réfectoire. Leur bonheur est de se trouver où ils peuvent s’emplir de viande et satisfaire leur gloutonnerie.

10.- Peuvent-ils observer, ainsi leur troisième voeu de continence? Un estomac chargé ne rend pas l’esprit chaste : aussi deviennent-ils lascifs, et sentent-ils des mouvements désordonnés qui les font tomber de faute en faute. Leur richesse les entraîne aussi dans de grandes chutes ; car, s’ils n’avaient rien à dépenser, ils ne vivraient pas dans le désordre et n’auraient pas des relations coupables. L’amour

et l’amitié fondés sur l’intérêt ou le plaisir, et non sur la parfaite charité, ne durent pas quand on n’a rien à donner.

11.- Les malheureux, dans quelle misère les précipite le péché ! et je les avais élevés à une si grande dignité! Ils fuient l’église comme la peste ; et s’ils s’y trouvent, ils prient des lèvres, mais leur coeur est loin de moi. Ils ont pris l’habitude d’aller à l’Autel sans aucune préparation, comme ils (229) iraient à une table ordinaire. Tous ces maux et bien d’autres dont je ne veux plus te parler, pour ne pas souiller tes oreilles, tous ces maux sont causés par les mauvais supérieurs, qui ne corrigent pas et ne punissent pas les fautes de leurs inférieurs. Ils n’ont aucun zèle pour la règle, parce qu’ils ne l’observent pas eux-mêmes.

12.- Ils imposent bien les grands fardeaux de l’obéissance à ceux qui veulent l’observer, et ils les punissent même des fautes qu’ils n’ont pas commises. Ils agissent ainsi parce que la perle de la justice ne brille pas en eux. L’injustice les fait au contraire poursuivre de leur haine et de leurs rigueurs ceux qui mériteraient leur affection et leur bienveillance, tandis qu’ils aiment et favorisent ceux qui sont les membres du démon et ils leur confient les charges de l’Ordre. Ils vivent comme des aveugles ; et comme des aveugles aussi, ils distribuent les fonctions et gouvernent leurs inférieurs. S’ils ne se corrigent pas, ils tomberont dans la damnation éternelle, et ils auront à rendre compte des âmes de leurs inférieurs devant moi, le souverain Juge ; ils ne pourront se justifier, et ils recevront le châtiment qu’ils méritent.

 

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CXXVI.- De ceux qui s’abandonnent aux plaisirs des sens.

 

1.- Ma fille bien-aimée, je t’ai dit quelque chose de ceux qui vivent en religion avec le vêtement des agneaux, tandis qu’ils sont des loups ravisseurs. Je reviens maintenant

 aux ecclésiastiques et aux ministres de la sainte Église, pour déplorer avec toi les péchés qu’ils ajoutent à ceux dont je t’ai parlé. Je t’entretiendrai des trois colonnes du vice que je t’ai montré une fois. Ces colonnes sont l’impureté, l’orgueil et la cupidité qui fait vendre la grâce du Saint Esprit. Ces vices se tiennent entre eux, leur fondement commun est l’amour-propre. Tant que ces trois colonnes sont debout et ne sont pas renversées par la force de l’amour des vertus, elles suffisent pour fixer et maintenir l’âme dans tous les vices. Tous les vices naissent de l’amour-propre, qui est lui-même le père de l’orgueil. L’homme orgueilleux est privé du sentiment de la charité ; son orgueil l’entraîne à l’impureté et à l’avarice, et il se Iie ainsi avec les chaînes du démon. (230)

2.- Considère maintenant, ma fille, combien l’orgueil et l’impureté souillent leur âme et leur corps. Je veux ajouter quelque chose pour que tu connaisses mieux l’abondance de ma miséricorde, et que tu aies une plus grande compassion de ces malheureux. Quelques-uns sont si possédés du démon, que non seulement ils outragent les sacrements et ne respectent pas la dignité que je leur ai donnée, mais qu’ils s’oublient et s’égarent dans l’amour des créatures. Quand ils ne peuvent avoir ce qu’ils désirent, ils pratiqueront des sortilèges et se serviront même du Sacrement qui est votre nourriture et votre vie, pour composer des maléfice et satisfaire leurs pensées impures et leurs coupables volontés. Les pauvres brebis dont ils devaient nourrir les âmes et les corps sont ainsi tourmentées par ces détestables moyens, et par d’autres que je passerai sous silence, pour ne pas t’affliger davantage, Tu les as vues ces pauvres brebis, comme folles et hors d’elles-mêmes, sentir leur volonté violentée par ces démons incarnés, et entrai. nées à faire ce qu’elles ne voulaient pas. La résistance qu’elles opposaient causait à leur corps d’horribles souffrances. Il est inutile de te rappeler ces malheurs et tant d’autres. Tu sais quelle en est la cause : une vie impure et coupable.

3.- O ma fille bien-aimée la chair qui est élevée au-dessus de tous les choeurs des anges par ma nature divine unie à votre nature humaine, ils l’emploient à de telles iniquités! Homme abominable et semblable à la brute, ta chair que j’ai consacrée par l’onction sainte, tu la livres aux prostituées et à des choses plus viles encor. Cette chair, et celle du genre humain, avaient été guéries de la plaie que lui avait faite le péché d’Adam, par le corps de mon Fils torturé sur l’arbre de la Croix. Malheureux ! il t’a honoré et tu l’outrages ; il a guéri tes plaies avec son sang, il t’a fait son ministre, et tu le poursuis de tes honteux péchés. Le bon Pasteur avait lavé ses brebis dans son sang ; tu salis celles qui sont pures, et tu fais tous tes efforts pour les plonger dans la fange.

4.- Tu devais donner l’exemple de la pureté, et tu donnes celui de la débauche. Tu emploies toutes les parties de ton corps à commettre le mal, et tu fais le contraire de ce qu’a fait mon Fils. J’ai permis que ses yeux (231) fussent bandés pour t’éclairer, et tu ouvres les tiens pour empoisonner ton âme et le coeur des autres par des regards criminels. J’ai souffert qu’il fût abreuvé de fiel et de vinaigre, et toi tu te repais, comme l’animal, de mets délicats ; tu fais un dieu de ton ventre. Ta langue est pleine de paroles frivoles et déshonnêtes, tandis que tu devais l’employer à reprendre le prochain, à enseigner ma vérités et à réciter pieusement ton Office . Je n’en reçois que la corruption. Tu jures et tu blasphèmes souvent comme un libertin. J’ai souffert que les mains de mon Fils fussent liées pour te délivrer et délivrer le genre humain des liens du péché ; tes mains, qui ont été consacrées pour administrer la sainte Eucharistie, tu les souilles par tes vices, toutes les oeuvres qu’elles font sont mauvaises et destinées au service du démon. Malheureux ! Je t’ai élevé cependant à une si grande dignité pour que tu m’honores et que tu serves mes créatures.

5.- J’ai voulu que les pieds de mon Fils fussent percés pour te faire parvenir à son corps ; j’ai voulu que son côté fût ouvert pour te faire voir le secret de son coeur ; je vous l’ai offert comme un asile où vous pouvez contempler et goûter l’amour ineffable que j’ai ressenti pour vous en unissant ainsi ma nature divine à votre nature humaine. Ce sang, dont tu es le ministre, est un bain pour laver vos iniquités, et tu as fait de ton coeur le temple du démon. Tu ne fixes pas en moi ton affection, représentée par les pieds, et tu ne m’offres que la corruption et le blasphème. Tes pieds te portent où le démon t’appelle. Ainsi tout ton corps persécute le corps de mon Fils ; tu fais sans cesse le contraire de ce qu’il a fait, et de ce que toi et toutes les autres créatures, êtes obligés de faire.

6.- Tous les organes de ton corps sont viciés, parce que les trois puissances de ton âme sont unies au nom du démon, au lieu d’être unies en mon nom, Ta mémoire devrait être pleine des bienfaits que tu as reçus de moi, et elle est pleine de choses déshonnêtes et coupables. Ton intelligence devrait contempler, à la lumière de la foi, Jésus crucifié, mon Fils unique, dont tu es le ministre, et tu l’appliques aux délices, aux honneurs, aux richesses du monde. Ton amour devrait m’appartenir sans partage, (232) et tu le donnes misérablement aux créatures. Tu me préfères ton corps et jusqu’à tes animaux. Qu’est-ce qui le prouve? Ta révolte contre moi quand je t’enlève ce que tu aimes, et ton impatience contre le prochain quand tu crois qu’il t’a fait quelque tort. Tu le hais et tu l’outrages ; tu te sépares de ma charité et de la sienne. O infortuné ! tu as été choisi pour répandre le feu de la charité divine, et tu la perds à cause de tes plaisirs. coupables et des légers, préjudices que. tu reçois du prochain. Voilà, ma fille bien-aimée, une de ces trois malheureuses colonnes du mal

dont je t’ai parlé.

 

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CXXVII.- De l’avarice et des maux qu’elle cause à l’Église.

 

 

1.- La seconde colonne du mal est l’avarice. Ce que mon Fils avait donné avec tant de générosité, l’avarice veut le vendre. Son divin corps, sur l’arbre de la croix, était ouvert, et son sang coulait de toute part. C’est avec ce sang que l’amour vous a rachetés, et non pas avec de l’or et de l’argent. Ce n’était pas pour la moitié du monde qu’il était répandu, mais pour tout le genre humain pour tous ceux qui ont été, qui sont et qui seront. Ce sang ne vous a pas été administré sans le feu ; car c’est par le feu de l’amour que je vous l’ai donné, et ce feu et ce sang ne sont pas sans ma nature divine, parfaitement unie à la nature humaine. C’est de ce sang qui par l’amour que j’ai fait l’homme ministre.

2.- Et toi, tu es avare de ce que mon Fils a gagné sur la Croix, pour ces âmes rachetées avec tant d’amour. Ce qu’il t’a donné en te faisant ministre de son sang, tu le retiens par avarice ; tu veux vendre la grâce du Saint Esprit, et tu exiges qu’on t’achète ce que tu as reçu gratuitement tu ne cherches point à te rassasier des âmes pour mon  honneur, mais à te repaître d’argent. Tu es, si peu généreux de ce que tu as reçu avec tant de largesse, qu’il est évident que je ne suis pas en toi par la grâce, et que le prochain n’y est pas par l’amour. Les biens temporels que tu reçois à cause de ce sang, tu les reçois en abondance, et, dans ton avarice, tu ne les fais pas servir à d’autres qu’à toi. Voleur digne , de la mort éternelle, tu (233) dépouilles les pauvres et l’Eglise pour vivre dans le plaisir avec tes parents et avec des gens sans conduite tu les dépouilles pour te procurer des jouissances et élever tes enfants.

3.- O misérable, où sont les fils des solides et saintes vertus que tu devais avoir ? Où est l’ardente charité que tu devais répandre, et le désir dévorant pour mon honneur et le salut des âmes? Où est cette poignante douleur que tu devrais ressentir en voyant le loup infernal emporter tes brebis? Tu n’éprouves rien ; tu n’aimes que toi, et cet amour est un poison pour toi et pour les autres. Tu es toi-même ce loup infernal qui les dévores par ton amour déRéglé. Tu n’as d’ardeur que pour cela. Comment craindrais-tu de voir le démon invisible emporter les âmes puisque tu es le démon visible, l’instrument qui les fait tomber en enfer ?

4.- C’est toi et ceux qui te ressemblent que tu revêts et que tu engraisses des biens de l’Église ; tu en nourris même des animaux, ces beaux chevaux que tu as pour tes plaisirs, et non pour tes besoins, tandis que tu devrais te borner au nécessaire. Ces plaisirs sont ceux des hommes du monde ; tes jouissances devraient être d’assister les pauvres, de visiter les infirmes et de pourvoir à tous leurs besoins spirituels et temporels ; car ce n’est pas pour autre chose que je t’ai fait mon ministre, et que je t’ai revêtu d’une si grande dignité. Mais, parce que tu te fais semblable aux bêtes, tu te plais au milieu des bêtes. Que tu es aveugle ! Si tu voyais les supplices qui t’attendent si tu ne changes, tu ne te conduirais pas de la sorte, mais tu te repentirais des fautes passées, et tu emploierais mieux le temps présent.

5.- Tu vois, ma fille bien-aimée, combien j’ai raison de me plaindre de ces misérables, combien j’ai été généreux envers eux, et combien ils sont avares envers moi. Que te dire encore ? Apprends qu’il y en a qui prêtent à usure. Ils ne mettent pas d’enseignes comme les usuriers publics, mais ils ont une foule de moyens subtils pour vendre le temps à leur prochain avec une coupable avidité, ce qui n’est jamais permis. Si on leur fait un présent, si petit qu’il soit, et s’ils le reçoivent pour prix du service qu’il ont rendu en prêtant de l’argent, cela est une (234) usure, comme tout ce qu’on reçoit pour payer le temps.

6.- Je les établis pour qu’ils défendent l’usure aux séculiers, et ils la font eux-mêmes. Bien plus, si quelqu’un va les trouver pour les consulter sur cette matière, parce qu’ils ont ce vice et qu’ils ont perdu la lumière de la raison, le conseil qu’ils donneront sera ténébreux et plein de la passion qui est dans leur âme. Ce défaut, et bien d’autres, naissent dans leur coeur étroit, envieux et avare ; on peut bien dire d’eux ce que dit mon Fils lorsqu’il entra dans le Temple et qu’il en chassa avec un fouet de corde ceux qui y vendaient et achetaient : « De la maison de mon Père, qui est une maison de prière, vous avez fait une caverne de voleurs » (S. Matth., XXI, 43).

 7.- Tu le vois, ma douce fille, mon Église, qui est le lieu de la prière, est devenue une caverne de voleurs ; ils y vendent et ils y achètent ; ils trafiquent de la grâce du Saint Esprit. Celui qui désire les dignités et les bénéfices de la sainte ‘Église, les achète par de nombreux présents qui ressemblent beaucoup à des marchandises et à de l’argent : les malheureux ne regardent pas si ceux qui les sollicitent sont bons ou mauvais ; mais, pour leur plaire et par amour des cadeaux qu’ils ont reçus, ils font tous leurs efforts pour mettre ces plantes vénéneuses dans le jardin de la sainte Église. Ils les recommanderont au Vicaire de Jésus Christ. Ainsi le protecteur et le protégé tromperont le Christ de Dieu sur terre, tandis qu’ils devaient lui dire toute la vérité.

8.- Mais si le Vicaire de mon Fils s’aperçoit de leur faute, il doit les punir et retirer les pouvoirs de celui qui ne se corrige pas et n’amende pas sa mauvaise vie. Quant à celui qui achète un bénéfice, il serait bon de le mettre en prison pour qu’il change, et que la crainte empêche les autres de suivre son exemple. Si le Christ de la terre agit de la sort?, il fait son devoir. S’il ne le fait pas, son péché ne restera pas impuni, lorsqu’il paraîtra devant moi pour rendre compte de ses brebis.

9.-. Ma fille, sois persuadée que ce désordre existe à cette époque ; et c’est ce qui a fait tomber l’Église dans une si grande désolation. On n’examine pas la vie de ceux qu’on élève aux chargés, et on ne demande pas s’ils sont bons ou mauvais, Si l’on prend quelques informations, c’est auprès (235) de ceux qui sont complices de leurs vices et qui donnent toujours des témoignages favorables, parce qu’ils ont les mêmes défauts. On, ne regarde qu’à la naissance, aux belles manières, aux richesses et au talent de bien dire en plein consistoire et, ce qui est pire, quelquefois on vantera la beauté de la personne. Entends-tu cet acte infernal? Lorsqu’on devrait rechercher l’ornement et la beauté de la vertu, on regarde à la beauté du corps.

10.- Ils devraient choisir les pauvres, les humbles qui fuient les honneurs, et ils prennent ceux qui les recherchent avec orgueil. Ils se préoccupent aussi de la science. La science est bonne en elle-même ; elle est parfaite lorsque celui qui la possède y joint une vie sainte et une humilité sincère. Mais si la science se trouve dans un orgueilleux et un libertin, elle est empoisonnée. Ce savant n’entend plus que la lettre des Saintes Écritures ; il est dans les ténèbres, parce qu’il a perdu la lumière de la raison et qu’il a obscurci l’oeil de son intelligence. C’est avec la lumière de la raison, aidée de la lumière surnaturelle, que la Sainte Écriture peut être expliquée et comprise, comme je te l’ai dit ailleurs.

11.- Ainsi, tu vois que la science est bonne en elle-même, mais non, pas en celui qui s’en sert comme il ne devrait pas s’en servir ; car elle sera pour lui un feu dévorant, s’il ne change pas de vie. Il faut plutôt s’arrêter à une vie bonne et sainte qu’à la science d’un homme qui a une conduite déréglée. On fait le contraire ceux qui sont bons et vertueux sans avoir grande science, sont regardés comme des sots ; ils sont méprisés et rebutés, parce qu’ils n’ont rien à donner.

12.- Dans ,ma maison, qui devrait être la maison de la prière, où devraient briller la perle de la justice, la lumière de la science, la sainteté de la vie ; dans ma maison, qui devrait être pleine du parfum de la vérité, abonde, le mensonge. On devrait y voir la pauvreté volontaire, avec un ardent désir de sauver les âmes, de les tirer des mains du démon ; et ces ministres infidèles désirent les richesses, ils s’occupent tant des choses temporelles, qu’ils abandonnent le soin des choses spirituelles. Ils ne font que jouer, rire, augmenter et multiplier leurs biens. Les malheureux ne s’aperçoivent pas que c’est le moyen de les perdre ; car s’ils. étaient riches en vertu, et. s’ils s’appliquaient aux choses spirituelles comme (236) ils le doivent, ils auraient les choses temporelles en abondance, et beaucoup de révoltes contre l’Eglise, mon épouse, n’auraient pas lieu.

13.- Ils, doivent laisser les morts ensevelir leurs morts (S. Luc, IX, 60), pour suivre la doctrine de mon Fils et accomplir en eux ma volonté, c’est-à-dire, faire ce que je les ai chargés de faire, mais ils font tout le contraire, car ils s’appliquent à ensevelir, avec un amour déréglé, les choses mortes et passagères, et ils font ce qui regarde les hommes du monde ; ce qui me déplaît grandement, et nuit beaucoup à la sainte Église. Il faut laisser aux séculiers leurs affaires. Un mort doit ensevelir l’autre, c’est-à-dire que ceux qui sont placés pour gouverner les choses temporelles doivent les gouverner.

14.- Pourquoi t’ai-je dit qu’un mort doit ensevelir l’autre? Apprends que cela. doit s’entendre de deux manières. La première quand on administre les choses temporelles en état de péché mortel, avec un amour déréglé ; la seconde, quand on le fait seulement avec le corps sans s’y attacher ; car le corps est une chose morte : il n’a pas la vie en lui-même, il la tient de l’âme, et participe à sa vie tant qu’il n’en est pas séparé. Il faut donc que mes ministres, qui doivent vivre comme des anges, laissent les choses mortes aux morts, et gouvernent les âmes, qui sont des choses vivantes et qui ne meurent jamais quant à l’être.

15.- Ils doivent les gouverner, leur administrer les sacrements, les dons et les grâces du Saint Esprit, et leur distribuer la nourriture spirituelle en vivant saintement. De cette manière, ma maison sera la maison de la prière ; ils la rempliront de grâces et de vertus. Mais comme ils ne le font pas et qu’ils font le contraire, je puis dire qu’elle est devenue une caverne de voleurs ; car ils se sont faits marchands par avarice ; ils vendent, ils achètent (Et est effecta receptaculum animalium, ex eo quia vivunt ut animalia bruta cum inhonestate fetida. Et hoc enim ex illa fecerunt veluti stabulum, quoniam jacent in luto miserabilis inhonestais. Et ita, tenent in ecclesia daemoniacas concubinas suas, absque verecundia, sicut sponsus honorifice sponsam in domo sua retinet. ). Tu vois combien ces désordres sont plus grands que ceux dont je t’ai parlé. Ils viennent des deux colonnes de mort qui sont l’impureté et l’avarice. (237)

 

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CXXVIII.- De l’orgueil qui détruit la connaissance de la vérité.

 

1.- Je veux maintenant te parler de la troisième colonne qui est l’orgueil : je l’ai placé le dernier, mais il est le dernier et le premier des vices ; car tous les vices sont basés sur l’orgueil, comme toutes les vertus ont pour base et pour vie la charité. L’orgueil naît et se nourrit de l’amour-propre sensitif, qui est le fondement de ces trois colonnes et de tous les péchés que commettent les créatures. Celui qui s’aime d’un amour déréglé est privé de mon amour, puisqu’il ne m’aime pas ; et en ne m’aimant pas, il m’offense, puisqu’il n’observe pas le commandement de la loi qui lui ordonne

de m’aimer par dessus toute chose, et d’aimer le prochain comme moi-même.

2.- Aussi, parce qu’il s’aime d’un amour sensitif, il ne m’aime pas et ne me sert pas ; mais il aime et sert le monde par l’amour sensitif et le monde n’ont aucune conformité avec moi ; et parce qu’il n’y a aucune conformité entre ces deux amours, il faut nécessairement que celui qui aime le monde d’un amour sensitif et le sert d’une manière sensuelle, me haïsse. Celui qui m’aime en vérité hait le monde. Ma Vérité a dit que personne ne pouvait servir deux maîtres contraires. Dès qu’il en sert un, il sera opposé à l’autre (S. Matth., VI, 24).

3.- Tu vois que l’amour propre prive l’âme de ma charité et le revêt du vice de l’orgueil. L’amour-propre est la source de tout péché. Je me plains de toute créature raisonnable coupable d’amour-propre, mais je me plains bien davantage de mes ministres, qui devraient être humbles. Tous doivent avoir cette vertu de l’humilité, que nourrit la charité, mais surtout ceux qui sont les ministres de l’humble Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé. Comment eux et tous les hommes n’ont-ils pas honte de s’enorgueillir, lorsqu’ils me voient humilié jusqu’à l’homme par l’union du Verbe mon  Fils à votre chair?

4.- Ils voient le Verbe se soumettre avec ardeur à l’obéissance que je leur ai imposée, et s’abaisser jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix. Il a la tête inclinée pour vous saluer, la couronne sur la tête pour vous orner, les bras étendus (238) pour vous embrasser, les pieds percés pour ne pas vous quitter. Et toi, malheureux, qu’il a fait son ministre avec tant de générosité et d’humilité, tu devrais embrasser la croix, et tu la fuis pour t’unir à de coupables et immondes créatures ; tu devrais être ferme et inébranlable dans la voie de ma Vérité, lui livrant ton coeur et ton esprit, et tu flottes comme la feuille emportée par le vent. Tu vas au gré du temps ; la prospérité t’agite d’une joie déréglée, l’adversité te jette dans l’impatience ; car, comme la patience est la moelle de la charité, l’impatience est celle, de l’orgueil. Tout agite et scandalise ceux qui sont orgueilleux et colères.

5.- L’orgueil me déplait tant, que je l’ai précipité du ciel lorsque l’ange voulut s’élever. L’orgueil ne monte pas au ciel, il tombe au fond des enfers. Ma Vérité a dit : Celui qui s’élèvera, c’est-à-dire l’orgueilleux, sera humilié, et celui qui s’humiliera sera élevé (S. Luc XIV, 11). Dans toutes les classes d’hommes, l’orgueil me déplaît ; mais il me déplaît plus dans mes ministres, que j’ai choisis pour servir l’humble Agneau. Ils font tout le contraire. Comment ce malheureux prêtre n’a-t-il pas honte d’être orgueilleux, lorsqu’il me voit descendre jusqu’à vous en vous donnant mon Fils unique, et en le prenant pour ministre? Le Verbe ne s’est-il pas humilié pal obéissance jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix? Sa tête est couronnée d’épines, et son ministre lève la tète contre moi et contre son prochain. Au lieu d’être un humble agneau, c’est un bélier avec des cornes d’orgueil, et il frappe tous ceux qui l’approchent.

6.- Infortuné, tu ne penses pas que tu ne peux m’échapper. T’ai-je chargé de me frapper avec les cornes de l’orgueil, de m’injurier et d’outrager le prochain sans raison? Où est la douceur que tu devrais avoir pour célébrer le Mystère du corps et du sang de mon fils Jésus? Tu es devenu comme une bête féroce, sans aucune crainte de moi. Tu dévores ton prochain ; tu mets la division partout et tu favorises les personnes qui te servent, qui te sont utiles, ou celles qui te plaisent, parce qu’elles vivent comme toi. Tu devrais les corriger et combattre leurs défauts ; tuais tu fais le contraire en leur donnant des exemples qu’elles suivent et qu’elles dépassent. Si tu étais bon, agirais-tu de la sorte? Parce que tu es mauvais tu ne sais pas corriger et haïr les fautes d’autrui, (239)

7.- Tu méprises les humbles et les pauvres vertueux. Tu les fuis, et tu as des motifs pour les fuir, quoique tu ne doives pas le faire. Tu les fuis parce que la corruption de tes vices ne peut supporter l’odeur de la vertu. Tu rougis de voir mes pauvres à ta porte, et tu refuses d’aller les visiter dans leurs besoins. Tu les vois mourir de faim, et tu ne les secours pas. C’est la grandeur de ton orgueil qui en est cause ; ton orgueil refuse de se plier au moindre acte d’humilité. Pourquoi? Parce que l’amour-propre qui nourrit l’orgueil, règne en toi, et veut pas consentir à donner gratuitement aux pauvres les secours temporels et spirituels.

8.- O maudit orgueil qui vient de l’amour-propre ! comme tu as aveuglé l’oeil de l’intelligence! Ils ne voient pas qu’en s’aimant avec cette tendresse, ils sont cruels envers eux-mêmes, et qu’ils perdent ce qu’ils croient gagner. Ils croient être dans les plaisirs, les richesses, les grandeurs, et ils sont plongés dans la misère et la plus extrême pauvreté ; ils sont privés des richesses de la vertu ; ils sont tombés des hauteurs de la grâce dans l’abaissement du péché mortel. Ils paraissent voir et ils sont aveugles ; car ils ne se connaissent pas  et ne me connaissent pas ; ils ne connaissent pas leur état et la dignité à laquelle je les avais élevés ; ils ne connaissent pas la  fragilité du monde et son peu de solidité ; car s’ils le connaissaient s’en feraient-ils un dieu ?-

9.- Qu’est-ce qui leur ôte cette connaissance? L’orgueil, qui les a rendus des démons, tandis que je les avais choisis pour être les anges de la terre en cette vie. Ils sont tombés de la hauteur des cieux au fond des ténèbres ; et ces ténèbres se sont tellement multipliées avec leurs iniquités, qu’ils commettent quelquefois une faute que je veux te faire connaître.

10.-  Quelques-uns sont tellement possédés du démon, qu’ils font semblant de consacrer, et ne consacrent pas, par crainte de mes jugements et pour faire plus librement le mal ; ils ont quitté te matin la débauche, et le soir les excès de la table, lorsqu’il leur faut, pour satisfaire le peuple, célébrer tes saints Mystères. Alors la vue de leurs iniquités et le cri de leur conscience les arrêtent, et ils ne consacrent pas par une sorte de crainte de ma justice que leur cause (240), non pas la haine du vice, mais l’amour d’eux-mêmes

11.- Vois, ma fille bien-aimée, quel aveuglement. Au lieu de recourir à la contrition du coeur, au lieu de détester leurs vices et de prendre la résolution de se corriger, ils ont recours à un autre moyen, ils ne consacrent pas. Ils lie voient pas que le mal devient plus grand encore, puisque le peuple prend une hostie non consacrée pour le corps et le sang de Jésus, mon Fils unique, vrai Dieu et vrai homme. Il adore cette hostie comme sI elle était consacrée, tandis qu’elle n’est que du pain. Combien est grande cette abomination, et quelle patience il me faut pour la supporter? S’ils ne se corrigent, toutes mes grâces retourneront contre eux (Populus  autem ad vitandum illud inconveniens, debet adorare cum ista conditione, dicens :In quantum iste minister omnia quae debet, dixerit atque fecerit, ego credo quod tu es Jesus Christus Filius Dei vivi, mihi datus in cibum ah inaestjmabili charitate divina, in memoriam tuae dulcissimae passionis et excellentissimi beneficii sanguinis effusi, cum inestimabili charitatis igne, ad abluendas iniquitates meas atque totius universi. Itaque faciendo sic ex aliqua caecitate cujuscumque, nullus effendet adorando unam rem pro alia, quamvis illa culpa peccati solum est illius iniqui ministri, tamen actualiter ibi fieret quod est omnino prohibitum.).

12.- O ma fille bien-aimée ! qui empêche la terre de les engloutir, et ma puissance de les arrêter et de les rendre immobiles pour les couvrir de confusion devant le peuple? C’est ma miséricorde ; je me retiens moi-même, c’est-à-dire que ma miséricorde contient ma justice, afin de les vaincre à force de miséricorde. Mais ils ne connaissent rien dans leur obstination diabolique ; ils ne voient pas ma miséricorde, et ils paraissent croire que je leur dois ce que je leur donne ; ils sont si aveugles, qu’ils ne voient pas qu’ils reçoivent tout de ma grâce sans y avoir aucun droit.

 

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CXXIX.- Des autres péchés qui viennent de l’orgueil et de l’amour-propre,

 

1- Tout ce que j’ai dit, ma fille, est pour te faire pleurer plus amèrement sur l’aveuglement de ceux qui Sont dans cet état de damnation, et pour te faire mieux connaître ma miséricorde, afin que tu places dans cette miséricorde toute ta confiance, et que tu l’invoques en présentant devant moi ces ministres de la sainte Église et l’univers tout entier. Plus tu (241) m’offriras pour eux tes tendres et douloureux désirs, plus tu me témoigneras l’amour que tu as pour moi. Ni toi ni mes serviteurs vous ne pouvez m’être utiles, mais vous devez me rendre service parce moyen.

2.- Oui, je me laisserai faire violence par les désirs, les larmes et les prières de mes serviteurs ; je ferai miséricorde à mon Épouse en la réformant par de saints et bons pasteurs. Ces bons pasteurs corrigeront leurs inférieurs ; car presque tout le mal que font les inférieurs est causé par les mauvais pasteurs. S’ils les reprenaient, si la perle de la justice brillait dans toute leur conduite, les choses ne seraient point ainsi. Sais-tu ce qui résulte de tous ces vices? C’est que l’un suit les traces de l’autre ; les inférieurs n’obéissent pas, parce que le supérieur, avant de le devenir, n’obéissait pas à son supérieur ; on lui fait ce qu’il a fait lui-même, et comme il a mal obéi, il est mauvais pasteur.

3.- La cause de tous ces désordres est l’orgueil qui vient de l’amour-propre. Il était ignorant et superbe lorsqu’il était inférieur ; il est encore plus ignorant et plus superbe maintenant qu’il commande. Son ignorance est si grande, qu’il pousse l’aveuglement jusqu’à donner le sacerdoce à un idiot qui saura lire à peine et qui ne pourra dire son Office. Quelquefois même il ne connaîtra pas bien les paroles sacramentelles, et il ne consacrera pas. Il fera ainsi par ignorance ce que d’autres font par malice ; il ne consacrera pas, tout en paraissant consacrer.

4.- Au lieu de choisir des hommes expérimentés et vertueux, qui savent et comprennent ce qu’ils disent, ces mauvais pasteurs feront le contraire ; ils ne regarderont ni au savoir ni à l’âge, et ils aimeront mieux choisir des enfants que des hommes mûrs. Ils n’examineront pas si leur vie est exemplaire, et s’ils comprennent la dignité qu’ils vont recevoir et le grand mystère qu’ils auront à accomplir ; ils ne songent qu’au nombre et non pas aux vertus ; ils sont aveugles et conduisent des aveugles. Ils ne pensent pas qu’à l’heure de la mort je leur demanderai compte de toutes ces choses.

5.- Après avoir fait des prêtres si déplorables, ils leur confient le soin des âmes, quoiqu’ils voient bien qu’ils ne savent pas se conduire eux-mêmes. Comment ceux qui ne connaissent pas leurs fautes pourront-ils les connaître (242) et les corriger dans les autres? Ils ne peuvent pas et ne veulent pas agir contre eux-mêmes. Les brebis qui n’ont pas de pasteur pour les soigner et les conduire s’égareront facilement et seront souvent attaquées et dévorées par les loups.

6.- Le mauvais pasteur n’a pas soin d’avoir un chien qui aboie en voyant venir le loup ; il en a un qui ne vaut pas mieux que lui. Le pasteur sans sollicitude pour les âmes n’a pas le chien de la conscience ; il ne tient pas dans ses mains le bâton de la justice ni la verge de la correction. Le chien de la conscience n’aboie pas, parce qu’ils ne se reprennent pas eux-mêmes, et les brebis s’écartent de la voie de la vérité, c’est-à-dire de l’observation de mes commandements. Ils ne s’appliquent pas à, les y ramener, pour que le loup infernal ne les dévore pas. Si le chien de leur conscience aboyait, s’ils corrigeaient leurs défauts avec la verge de la justice, les brebis reviendraient et rentreraient au bercail ; mais, parce que le pasteur est sans bâton et sans chien ses brebis périssent, et il ne s’en inquiète pas.

7.- Le chien de la conscience languit et n’aboie pas, parce qu’il ne lui donne pas de nourriture. La nourriture qu’il doit lui donner, c’est la nourriture de l’Agneau mon Fils ; car, quand la mémoire qui est le vase de l’âme , est pleine du sang de l’Agneau , la conscience s’en nourrit. Le souvenir du Sang allume dans l’âme la haine du vice et l’amour de la vertu Cette haine et cet amour purifient l’âme de la souillure du péché mortel et donnent tant de force à la conscience qu’ils gardent l’âme et éloignent l’ennemi , c’est-à-dire le péché ; s’il veut entrer non seulement dans le coeur, mais aussi dans la pensée, aussitôt la conscience, comme un chien vigilants appelle la raison et empêche de commettre l’injustice ; car celui qui a une conscience possède la justice.

8.- Ces coupables ne sont pas dignes d’être appelés mes ministres, ni même de créatures raisonnables, parce qu’ils se sont abrutis par leurs vices. Ils n’ont pas de chien, parce que leur conscience est si affaiblie, qu’elle semble ne pas exister ; ils n’ont pas la verge de la sainte justice, et leurs fautes les ont rendus, si timides, qu’une ombre leur fait peur ; leur crainte n’est (243) pas sainte, mais servile. Ils devraient s’exposer à la mort pour retirer les âmes des mains du démon, et ils les lui livrent au contraire, en ne leur donnant pas l’enseignement d’une bonne vie, et en ne voulant pas supporter une seule parole injurieuse pour leur salut.

9.- Souvent une âme qui leur est confiée sera chargée de grandes fautes et devra beaucoup au prochain. Mais l’amour déréglé que ce ministre infidèle aura pour sa famille arrêtera la restitution, pour ne pas la dépouiller. Il se taira lors, même que le scandale sera public, et qu’on le lui aura fait connaître afin qu’il guérisse cette âme dont il est le médecin. Quelquefois le malheureux se décidera à parler comme il le doit ; mais un mot, une injure, un regard menaçant l’empêcheront de le faire. Une autre fois ce sera un présent, et ce présent ou cette crainte servile lui feront laisser cette âme entre les mains du démon.

10.- Il lui donnera le corps de mon Fils, quoiqu’il voie et qu’il sache bien qu’elle est plongée dans les ténèbres du péché mortel, pour plaire aux hommes, par crainte ou par intérêt. Il administrera les sacrements aux indignes, et ensevelira dans l’église avec de grands honneurs ceux qui devaient en être rejetés comme des animaux et des membres retranchés. Qui est cause de cela? L’amour-propre et la grandeur de. son orgueil ; car, s’il m’avait aimé au dessus de toute chose, s’il avait aimé cette pauvre âme, il eut cherché son salut avec humilité et sans crainte.

11.- Tu vois combien de maux viennent des trois vices lui sont les supports, les colonnes de tous les autres péchés : l’orgueil, l’avarice, l’impureté de l’esprit et du corps. Ton oreille ne pourrait entendre toutes les iniquités que commettent les membres du démon par ces trois vices (Tu enim aliquando vidisti simnplices aliquas bonae fidei qui sentiunt aliquem in sua persona defectum ex aliquo timore procedentem : dubitantes autem se a daemonio vexari, vadunt ad miserum sacerdotem, existimantes ab eo posse liberari sive juvari ; et vadunt ut unus diabolus expetiat alium : ipse vero velut avarus et acceptabit ab ea donum, et valut lascivus et inhonestus infelici mulierculae dicet  : Ab isto defectu nullo modo liberari potestis, nisi per talem modum : et ita miserabiliter inducet eam ad perdendum pudicitiam secum.). (244)

12.- O démon pire que les démons, et qui fais plus mal qu’eux! car beaucoup de démons ont horreur de ce péché que tu commets, et tu t’y plonges comme le pourceau dans la fange. O brute immonde, est-ce donc là ce que je demande de toi? Je t’ai, par la vertu du sang de mon Fils, chargé de chasser le démon des âmes, et c’est toi qui l’y introduis. Tu ne vois pas que la hache de la justice divine est déjà à ta racine. Et je te dis que tes iniquités seront punies avec usure en temps et lieu, si tu ne les punis toi-même par la pénitence et par la contrition du coeur. Tu ne seras pas épargné parce que tu es prêtre ; tu seras frappé au contraire rigoureusement pour ces péchés et pour ceux des autres ; c’est toi qui seras le plus cruellement torturé, et tu te souviendras d’avoir chassé le démon avec le démon de la concupiscence (Insuper et aliam infelicem vidisti ligatam in peccato mortali, quae vadens ad miserum sacerdotem ut eam absolveret a suo peccato, ab eo fortius est aligata in graviori culpa quam erat, et per admirabiles vias induxit eam ad peccandum secum. Ergo vere talis pastor est absque cane conscientiae, imo suffocat conscientiam aliorum, nec tantum non vult conservare propriam. Ego namque elegi eos ut ad honorem meum cantent divinum officium atque psalmirent in nocte. Ipsi vero student in malis, et aci daemonum incantiones, et juxta posse satagunt ut operatione diabolica, nocte media adducantur eis, aliquae creaturae quas amore polluto diligent. Ita namque judicant esse, sed illuduntur a diabolo ; quoniam in veritate non est ita.).

13.- Malheureux, est-ce pour de tels sacrilèges que je t’ai élevé au sacerdoce? C’était par des veilles et des prières que tu devais te préparer à célébrer, le matin ; c’était le parfum de la vertu et non l’infection du vice qu’il fallait offrir aux fidèles. Je t’ai élevé à l’état des anges, afin que tu puisses converser avec les anges, dès cette vie, par de saintes méditations, et me goûter ensuite avec eux dans le ciel. Tu te plais à être avec les démons et à t’entretenir avec eux, même avant la mort.

14.- La corne de ton orgueil a frappé dans ton intelligence l’oeil de la sainte foi. Tu as perdu la lumière, et tu ne vois pas dans quelle misère tu es tombé, tu ne crois pas véritablement que toute faute est punie et toute vérité récompensée ; car, si tu le croyais, tu n’agirais pas de la sorte. Tu ne chercherais pas à t’entretenir avec le démon, tu craindrais d’entendre son nom même ; (245) mais parce que tu suis sa volonté, tu prends plaisir à ses oeuvres. O aveugle, plus qu’aveugle, demande donc au démon le service qu’il peut te rendre pour ce que tu fais. Il répondra qu’il te donnera ce qu’il a pour lui-même Il ne peut te donner que les affreux tourments et les flammes éternelles, où son orgueil l’a précipité du haut du ciel.

15.- Toi, l’ange de la terre, ton orgueil t’a précipité des hauteurs du sacerdoce et des richesses de la vertu dans un abîme de misères, et si tu ne te corriges pas, tu tomberas au fond des enfers. Tu as fait de toi et du monde ton dieu et ton seigneur. Tu as joui du monde et de ses délices pendant cette vie ; tes sens, ont abusé de ses biens ; dis donc maintenant au .-monde. et à ses plaisirs de répondre pour toi ‘devant moi, le souverain Juge. Ils te répondront : Nous ne pouvons t’aider en rien ; ils se moqueront de toi, en disant, qu’il est bien juste que tu sois couvert de confusion devant moi et devant le monde.

16.-Tu as méprisé le sacerdoce que je t’avais confié, et le monde te méprise. Tu ne vois pas ton malheur, parce que ton orgueil t’aveugle ; mais tu le verras au moment de la mort, lorsque tu ne trouveras, le secours d’aucune vertu. Tu n’auras d’autre refuge que ma miséricorde, si tu espères dans le Sang dont je t’ai fait ministre. Personne ne sera rejeté, s’il espère dans ce Sang et dans ma miséricorde, mais personne aussi ne doit être assez aveugle et assez insensé pour attendre à ce dernier moment.

17.- Songe qu’à ce dernier moment, le démon, le monde et les sens accusent celui qui a mal vécu ; ils ne le trompent plus, en lui montrant comme autrefois le plaisir où est I’amertume, le bien ou est le mal, la lumière ou se trouvent les ténèbres. Ils lui font tout voir dans la réalité. Alors le chien de la conscience, qui était muet, commence à aboyer avec tant de violence qu’elle jette presque l’âme dans le désespoir. Il ne faut jamais s’y laisser aller, mais au contraire toujours espérer dans le Sang de mon Fils, maIgre tous les crimes qu’on a commis. Ma miséricorde, que vous recevez par ce Sang, est infiniment plus grande que tous les péchés qui se commettent dans le monde. Mais il ne faut pas différer, (246) car c’est une chose terrible pour l’homme que de se trouver désarmé au milieu des ennemis sur le champ de bataille.

 

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CXXX.- De beaucoup d’autres fautes que commettent les mauvais pasteurs.

 

 

1.- O ma fille bien-aimée, ces malheureux n’y pensent pas. S’ils y pensaient, ils ne commettraient pas ces fautes, et tant d’autres ; mais ils feraient comme ceux qui vivent saintement, et qui aimeraient mieux mourir que de m’offenser en souillant leur âme et la dignité que je leur ai donnée. Ils augmentent au contraire la dignité et la beauté de leur âme. La dignité du sacerdoce ne peut, il est vrai, croître par la vertu, ni diminuer par le vice ; mais les vertus sont un ornement pour l’âme, une parure ajoutée à la beauté, à la pureté que je lui ai donnée dans le principe en la créant à mon image et à ma ressemblance. Ceux-là n’ont pas méconnu ces trésors de ma bonté, parce que l’orgueil et l’amour-propre ne les ont point aveuglés’ et privés de la lumière .de la raison ; ils ne l’ont pas perdue, car ils m’aimaient et ils aimaient le salut des âmes.

2.- Mais ces pauvres malheureux sont entièrement privés de cette lumière, et ils ne s’inquiètent pas d’aller de vice en vice, jusqu’à ce qu’ils tombent dans l’abîme. Du temple de leur âme et de la sainte Eglise, qui est un jardin, ils ont fait un repaire d’animaux. O ma chère fille, combien m’est odieuse leur maison, qui devait être pleine de mes serviteurs et de mes pauvres ! Ils devaient y avoir pour épouse leur bréviaire, et pour enfants les livres de la Sainte Ecriture, ils devaient s y complaire, afin d’enseigner leur prochain et de lui donner de saints exemples et leur demeure est pleine de désordres et de personnes vicieuses (Sed ipsi sponsam breviarii pertractant veluti adulteram, et in suo loco tenent unam diabolicam concubinam, cum qua vivunt immundissime, cum fetenti miseria. Libri vero sui sunt actes filiorum quos acquisierunt in tanta miseria et iniquitate, et absque verecundia quacumque cum bis impudentissime delectantur.).

3.- Le jour de Pâques et les autres fêtes, que ce prêtre devait employer à glorifier mon nom par là saint Office, (247) et à m’offrir l’encens de ses humbles et ferventes prières, il les passe à jouer, à se divertir avec des femmes, et à s’amuser avec les gens du monde, à la chasse et à la pipée, comme s’il était un séculier et un homme de cour.

4.- Malheureux, où en es-tu venu? Tu devais prendre des âmes pour la gloire de mon nom, et garder le jardin de ta sainte Église, et tu vas courir les bois. Et cela, parce que tu es abruti en laissant entrer dans ton âme, comme des animaux, tant de péchés mortels : voilà comme tu es devenu chasseur et oiseleur ! Le jardin de ton âme est inculte et rempli d’épines, parce que tu te plais dans les lieux déserts à poursuivre les bêtes sauvages.

5.- Rougis donc, malheureux, et regarde tes défauts. De quelque côté que tu te tournes, tu trouves un sujet de confusion. Mais tu ne rougis pas, parce que tu as perdu ma crainte salutaire (Imo veluti meretrix absque verecundia, quandoque te jactabis habere mundi statum, pulchram hahere familiam, et aciem filiorum ; et si forte non habes, juxta posse satagis habere, ut tibi succedant haeredes : unde tu fures atque latro, quoniam optime nosti quod ita facere non debes. Haeredes enim tui debent esse pauperes et ecclesia tibi commissa.). O démon incarné, privé de toute lumière, tu cherches ce que tu ne dois pas chercher ; tu loues et tu vantes ce qui devrait te faire rougir et te couvrir de confusion devant moi, qui vois l’intérieur de ton coeur. Tu es déshonoré devant toutes les créatures, mais ton orgueil t’empêche de voir ta honte.

6.- O ma fille bien-aimée, je l’ai placé sur le pont de ma doctrine et de ma Vérité pour vous administrer pendant votre pèlerinage les sacrements de la sainte Église ; et le malheureux se tient sous le pont, dans le fleuve des délices et des misères du monde : c’est là qu’il exerce son ministère, et il ne s’aperçoit pas que le flot de la mort s’approche et va l’entraîner avec les démons ses maîtres, qui le conduisent par le fleuve, sans aucune résistance. S’il ne se corrige pas il arrivera à l’éternelle damnation avec tant de charges contre lui, que ta bouche ne pourrait jamais les dire ; et il sera plus puni qu’un autre, car la même faute sera plus châtiée en lui qu’en ceux qui étaient du monde ; et au moment de la mort, tous ses ennemis se lèveront contre lui pour l’accuser avec plus d’acharnement que tout autre. (248)

 

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CXXXI.- Différence de la mort des justes et des pécheurs. - Mort des justes.

 

 

1.- Je t’ai dit comment le monde, les démons et les sens accusaient ces malheureux prévaricateurs. Je veux te parler plus longuement à ce sujet, afin que tu en aies plus grande compassion, et que tu voies la différence qui existe entre les combats qu’ont à souffrir les justes et les pécheurs, combien leur mort est différente, et avec quelle paix meurent les justes, selon la perfection de leur âme.

 2.- Apprends d’abord que toutes les peines des créatures raisonnables ont leur cause dans la volonté ; car si leur volonté était soumise et unie à la mienne, elles ne souffriraient pas. Elles ne seraient certainement pas exemptes d’épreuves, mais leur volonté, qui les supporterait avec joie par amour pour moi, n’en ressentirait aucune peine, puisqu’elles n’y verraient que ma volonté.

3.- La sainte haine que le juste a de lui-même lui fait combattre le monde, le démon et les sens. Aussi, quand vient la mort, il la reçoit au milieu de la paix, parce qu’il a vaincu ses ennemis pendant la vie. Le monde ne peut l’accuser, parce qu’il a reconnu ses mensonges et qu’il a renoncé à tous ses plaisirs. Ses sens et son corps ne peuvent l’accuser, car il les a domptés avec le frein de la raison, en macérant sa chair par la pénitence, par les veilles, et par d’humbles et continuelles prières. Il a tué la volonté Sensitive par l’horreur qu’il a pour le vice et l’amour qu’il a pour la vertu. Il a détruit toute tendresse pour son corps, et c’est cette tendresse, cet amour que l’âme a naturellement pour son corps qui lui fait paraître la mort terrible.

4.- L’homme craint naturellement la mort. Mais parce que la vertu, dans le juste parfait, surmonte la nature, c’est-à-dire cette crainte de la mort, elle l’éteint par la haine sainte et par le désir de retourner à sa fin. La tendresse naturelle ne peut donc lui faire la guerre, et sa conscience est tranquille, parce que pendant sa vie elle a fait bonne garde, en aboyant quand l’ennemi voulait s’emparer de la cité de son âme ; car, comme le chien qui est à la porte aboie lorsqu’il voit l’ennemi, et réveille les gardes, le chien de la conscience réveille le garde de la raison, (249) et la raison avec le libre arbitre reconnaît, à la lumière de l’intelligence, si c’est un ami ou un ennemi qui approche.

5.- Si c’est un ami, c’est-à-dire la vertu et les saintes pensées du coeur, ils les reçoivent avec empressement, avec amour, et les cultivent avec ardeur. Si c’est l’ennemi, c’est-à-dire le vice et les pensées mauvaises, ils les chassent par la haine et le dégoût. Le juste, armé du glaive de la haine et de l’amour, triomphe de ses ennemis avec la lumière de la raison et la main du libre arbitre. Aussi, quand vient la mort, sa conscience ne le tourmente pas, parce qu’elle a fait bonne garde, et il se repose en paix.

6.- L’âme du juste, il est vrai, parce qu’elle est humble et qu’elle connaît le prix du temps et de la vertu, se reprend elle-même à l’heure de la mort de n’avoir pas bien employé ce temps ; mais ce n’est pas là une peine qui l’afflige ; elle l’engraisse, au contraire ; car elle fait que l’âme se recueille en elle-même, et contemple le sang de l’humble Agneau sans tache, mon Fils. Elle ne regarde pas en arrière pour admirer ses vertus passées, parce qu’elle ne veut pas espérer en ses mérites, mais seulement dans le Sang précieux où elle trouvera ma miséricorde ; et comme elle a vécu dans la pensée continuelle de ce Sang, elle s’y plonge ; elle en est enivrée à l’heure de la mort.

7.-Pourquoi les démons ne pourront-ils pas la convaincre de péché? Parce que, pendant sa vie, elle aura triomphé de leur malice par sa sagesse. Ils se présentent cependant pour voir s’ils pourront gagner quelque chose. Ils prennent des apparences horribles et lui offrent souvent des visions hideuses pour l’effrayer ; mais parce que l’âme est pure du venin du péché, leur aspect ne lui fait pas peur comme à ceux qui ont vécu d’une manière coupable dans le monde. Aussi, lorsque les démons voient que l’âme s’est plongée dans le Sang de mon Fils avec une ardente charité, ils ne peuvent plus lui résister, et ils se bornent à lui jeter de loin quelques-unes de leurs flèches.

8.- Leurs attaques et leurs cris ne nuisent point à l’âme, parce qu’elle a commencé à jouir de la vie éternelle, comme je te l’ai dit autre part. L’oeil de son intelligence, éclairé par la lumière de la sainte foi, me contemple, moi le Bien (250) éternel et infini qu’elle attend de ma grâce et non de ses mérites, par la vertu de Jésus-Christ mon Fils. Elle tend vers ce Bien suprême les bras de l’espérance ; elle l’embrasse avec les mains de l’amour ; elle en jouit avant d’y être, comme je te l’ai expliqué. Puis, toute baignée de ce Sang, elle entre par la porte étroite de mon Verbe ; elle arrive à moi, l’océan de la paix ; l’océan et la porte ne font qu’un, parce que moi et mon Fils nous sommes une même chose.

9.- Quelle joie reçoit l’âme qui se voit si doucement arrivée à ce passage, et qui goûte enfin la félicité des anges et des bienheureux ! Tout ceux qui meurent saintement participent à cette félicité. Mais les ministres que je t’ai montrés vivant comme des anges reçoivent davantage, parce que dans cette vie lis ont. Vécu dans une plus grande connaissance et dans une faim plus ardente de mon honneur et du salut des âmes. Non seulement ils ont eu la lumière de la vertu, que tous peuvent avoir, mais ils ont uni à la lumière d’une vie sainte la lumière sut-naturelle de la science, qui leur a fait connaître davantage ma Vérité ; et plus on connaît, plus on aime ; plus on aime, plus On reçoit. Votre mérite est mesuré sur l’amour.

10.- Quelqu’un qui n’a pas de science peut-il arriver à cet amour ? Oui certainement, il est possible qu’il y parvienne. Mais une chose particulière n’est pas une loi générale. Ceux-là sont élevés en dignité par le sacerdoce, puisque je les établis pour le bien des âmes ; et, s’il voue est ordonné à tous de rester dans l’amour du prochain, il est de plus ordonné à ceux-ci d’administrer le sang de mon Fils et de gouverner, les âmes. S’il le font avec zèle et avec l’amour de la vertu, comme je te l’ai dit, ils recevront plus que les autres.

11.- Oh l combien est heureuse leur âme lorsqu’ils arrivent au moment de la mort Ils ont été les apôtres et les défenseurs de la foi, pour leur prochain ; ils l’ont tellement incarnée dans la moelle de leur âme, que par elle ils se voient en moi. Ils ont tellement, espéré en ma providence pendant leur vie, qu’ils ont perdu l’espérance d’eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas espéré dans leur propre science ; et parce qu’ils ont perdu cette fausse espérance, ils n’ont eu d’amour déréglé pour aucune créature. Ils ont vécu pauvres volontairement, (251) et ils ont mis leur espérance en moi avec une grande douceur. Leur coeur fut un vase d’amour qui portait mon nom avec une ardente charité, et ils l’annonçaient au prochain par les exemples de leur sainte vie et les enseignements de leur parole.

12.- Ce coeur du ministre fidèle s’est élevé vers moi avec une ardeur ineffable ; il m’a embrassé avec amour, moi qui suis sa fin ; il m’a présenté la perle de la justice, car il la porte toujours devant lui, accomplissant la justice et rendant fidèlement a chacun ce qui lui est dû. Il me rend justice par son humilité ; il rend gloire et honneur à mon nom, en reconnaissant que c’est par ma grâce qu’il a parcouru le temps avec une conscience sainte et pure, et en confessant qu’il était indigne de recevoir une telle faveur.

13.-Sa conscience lui rend bon témoignage, et moi je lui donne la couronne de justice qu’il mérite ; je la lui donne tout ornée des pierres précieuses de la vertu, c’est-à-dire du fruit que la charité a tiré de la vertu. O ange de la terre! que tu es heureux de n’avoir pas reçu mes bienfaits avec ingratitude, et de n’en avoir pas abusé par négligence ou par ignorance, mais d’avoir, avec la vraie lumière, sans cesse tenu les yeux attachés sur ceux qui t’étaient confiés ! Comme un fidèle et courageux pasteur, tu as toujours suivi la doctrine du vrai et bon pasteur, du Christ, le doux Jésus, mon Fils unique. Tu as réellement passé par lui, en te baignant, en te noyant dans son précieux sang, avec le troupeau de tes brebis que tu as conduites, par une sainte doctrine et par ta vie, jusqu’à la vie éternelle, et tu en as laissé beaucoup d’autres en état de grâce.

14.- O ma fille bien-aimée, ceux-là ne souffriront pas des visions du démon, parce qu’ils me voient par la foi et me possèdent par l’amour. Le poison du péché n’est pas en eux ; les ténèbres et les choses terribles ne peuvent les troubler et les faire craindre, car leur crainte n’est pas servile, mais sainte. Ils ne redoutent pas, les illusions du démon, parce qu’avec la lumière surnaturelle et la lumière des Saintes Écritures, ils reconnaissent tous ses pièges. Aussi leur âme ne peut être obscurcie et troublée. Ils meurent glorieusement baignés (252) dans le sang de mon Fils, avec la faim du salut des âmes et tout embrasés de la charité du prochain ; ils passent par la porte du Verbe, ils entrent en moi, et ma bonté leur donne le rang qui leur convient, selon la mesure de l’amour qu’ils m’ont donné.

 

Table des Matières

 

 

 

CXXXII.- De la mort des pécheurs et de leurs peines au dernier moment.

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, le bonheur de mes ministres fidèles est grand, sans doute ; mais le malheur des infortunés dont je t’ai parlé est encore plus grand. Que leur moi-t est affreuse et terrible ! Dans leurs derniers instants, les démons les accusent et les épouvantent en leur apparaissant. Tu sais que leur figure est si hideuse, qu’il vaudrait mieux souffrir toutes les peines de la vie que de voir le démon dans sa réalité.

2.- Le remords de la conscience renaît aussi pour ronger et dévorer le pécheur. Tous les plaisirs déréglés, les sens qui étaient les maîtres, et la raison qui était esclave, l’accusent d’une manière terrible, parce qu’il reconnaît la vérité de ce qu’il avait méconnu d’abord ; son erreur le couvre de confusion. Pendant toute sa vie il a été infidèle, tandis qu’il devait me servir ; mais l’amour-propre avait obscurci dans son intelligence la lumière de la sainte foi. Aussi le démon le poursuit de la pensée dé ses infidélités pour le faire tomber dans le désespoir.

3.- Oh ! combien ce combat est dur ! Le pécheur est sans défense ; il n’est pas armé des sentiments de la charité ; il en est complètement privé, parce qu’il est devenu un membre du’ démon. Il n’a pas la lumière surnaturelle, ni celle de la science qu’il ne peut comprendre, parce que son orgueil ne lui permet pas d’en savourer la douceur. Aussi, quand vient le grand combat, il ne sait plus que faire. Il n’est pas soutenu par l’espérance, car il n’a pas espéré en moi, ni dans le Sang dont je l’ai fait ministre ; il a espéré en lui-même, dans les honneurs et les délices du monde ; ce malheureux ne voyait pas que tout lui était prêté, et qu’il devait m’en rendre compte comme à un créancier. Il se trouve (253). nu et sans vertu, et de quelque côté qu’il se tourne, il ne voit que des sujets de honte et de confusion.

4.- L’injustice dont il s’est rendu coupable pendant toute sa vie, l’accuse tellement devant sa conscience, qu’il n’ose demander autre chose que la justice. Sa confusion est si grande, qu’il ne peut plus, comme il faisait pendant sa vie, espérer dans ma miséricorde ; ses fautes montraient que cette espérance n’était que présomption car celui qui m’offense en s’appuyant sur ma miséricorde ne peut pas dire qu’il espère en ma miséricorde ; il compte seulement sur elle. Si, quand vient l’heure de la mort, il reconnaît ses fautes et décharge sa conscience par une sainte confession, la présomption cesse, et il ne m’offense plus. La miséricorde lui reste, et avec cette miséricorde il peut, s’il le veut, se rattacher à l’espérance. Sans cela il ne pourrait éviter le désespoir, qui l’entraînerait avec les démons dans l’éternelle damnation.

5.- C’est ma miséricorde qui fait espérer l’homme en ma miséricorde pendant sa vie. Je ne lui accorde pas cette grâce pour qu’il m’offense, mais pour qu’il se livre à ma charité et à la considération de ma bonté. Celui-là fait le contraire quand il m’offense, parce qu’il compte sur ma miséricorde. Cependant je le conserve dans l’espérance de ma miséricorde, afin qu’au moment de la mort il puisse s’y attacher, et qu’il ne périsse pas en tombant dans le désespoir. Car ce qui est le plus odieux pour moi, et le plus malheureux pour lui, c’est le désespoir.

6.- Ce dernier péché est plus grand que tous ceux qu’il a commis. Ce qui fait que ce péché m’irrite et lui nuit plus que les autres, c’est qu’il y a dans les autres péchés un certain plaisir, un entraînement des sens, et qu’on peut en avoir un regret qui attire la miséricorde ; mais dans le péché de désespoir, comment prétexter la faiblesses puisqu’on n’y trouve aucune jouissance, mais au contraire une peine insupportable? Le désespoir est le mépris de ma miséricorde ; il fait croire la faute plus grande que ma miséricorde et ma bonté. Celui qui tombe dans ce péché ne se repent pas et ne pleure pas véritablement de m’avoir outragé ; il pleure son malheur et non mon offense ; et c’est pourquoi il tombe dans l’éternelle damnation.

7.- Ce péché seul le conduit en enfer, où il sera tourmenté (254) pour ce péché et pour tous ceux qu’il a commis. S’il se fût repenti de l’offense qu’il m’avait faite, s’il avait espéré dans ma miséricorde, il eût trouvé miséricorde. Car, comme je te l’ai dit, ma miséricorde est infiniment plus grande que tous les péchés que peuvent commettre les créatures. Aussi ceux qui la jugent inférieure à leurs péchés me déplaisent plus que tous les autres. C’est là le péché qui n’est pardonné ni en cette vie ni en l’autre. Quand vient l’heure de la mort pour celui qui a vécu dans le désordre .et le crime, le désespoir me déplaît tant, que je voudrais le faire espérer dans ma miséricorde ; c’est pour cela que, pendant sa vie, je me suis servi d’un doux stratagème, en le laissant trop compter sur ma miséricorde. L’habitude de l’espérance l’expose moins à la perdre au moment de la mort, au milieu des combats terribles qu’il éprouve alors.

8.- Cette grâce vient du foyer de mon ineffable charité ; mais, parce que l’homme la reçoit avec les ténèbres de l’amour-propre, d’où procède toute faute, il la méconnaît, et la douceur de ma miséricorde n’a été pour son coeur qu’un motif de présomption ; c’est ce que sa conscience lui reproche en présence des démons ; elle lui rappelle la patience et la grandeur de ma miséricorde, sur laquelle il comptait,. Il devait se livrer à la charité et à l’amour des vertus, et employer saintement le temps que lui avait donné mon amour, et il a employé le temps et l’espérance de ma miséricorde pour m’offenser.

9.- O aveugle plus qu’aveugle! tu as enterré la perle et le talent que j’avais mis dans tes mains pour les faire profiter. Par présomption, tu n’as pas voulu faire ma volonté ; tu as enfoui ton trésor sous la terre de l’amour déréglé de toi-même, et maintenant tu en retires un gain de mort. O malheureux, combien grande est la peine que tu reçois à cette heure dernière! Tes misères ne te sont plus cachées, car le ver de la conscience ne dort plus, mais il ronge. Les démons t’insultent et te payent le prix de ta fidélité à les servir, c’est-à-dire la confusion et les reproches. Pour qu’au moment de la mort tu n’échappes pas à leurs mains, ils veulent te jeter dans le désespoir ; ils te troublent, afin de partager ensuite avec toi ce qu’ils ont pour eux-mêmes.

10.- Malheureux, la dignité à laquelle je t’avais élevé, (255) tu la vois maintenant sublime comme elle l’est ; tu reconnais à ta honte que tu l’as profanée, et que tu as employé les biens de l’Église dans les ténèbres du péché. Tu vois maintenant que tu as dérobé et gardé ce que tu devais rendre aux pauvres et à la sainte Eglise. Ta conscience te reproche de l’avoir employé à payer tes coupables plaisirs, à enrichir tes parents et à te ruiner en repas, en meubles pour ta maison et en vaisselle d’argent, toi qui devais vivre dans la pauvreté volontaire. Ta conscience te rappelle l’Office divin, que tu as négligé sans t’inquiéter de commettre ainsi un péché mortel, et, quand tu le récitais, c’était de bouche ; ton coeur était loin de moi.

11.- Et ceux qui t’étaient confiés, la charité, le zèle que tu devais avoir pour les porter à la vertu, t’obligeaient à leur donner de saints exemples et à les battre avec la main de la miséricorde et la verge de la justice. Tu as fait le contraire, et ta conscience te le reproche en présence des démons. Dans ta puissance, tu confiais des charges et des âmes à des sujets indignes, sans y faire attention ; ta conscience te le montre maintenant. Tu ne devais pas alors te laisser influencer par des flatteries, par des présents, par le désir de plaire aux autres ; tu ne devais considérer que la vertu, mon honneur et le salut des âmes. Tu ne l’as pas fait ; ta conscience te le redira pour ta honte, pour ton supplice, et à la lumière de ton intelligence tu verras clairement que tu as fait ce que tu ne devais pas faire, et que tu n’as pas fait ce que tu devais faire.

12.- Ma chère fille, on apprécie le blanc près du noir, et le noir près du blanc, mieux que s’ils étaient séparés l’un de l’autre. Il en est de même pour ces malheureux. A leur mort et à celle des autres hommes, l’âme commence à voir plus distinctement son malheur ou sa béatitude. Le coupable voit clairement sa vie criminelle. Personne n’a besoin de la lui montrer, parce que sa conscience le met en présence des fautes qu’il a commises et des vertus qu’il devait pratiquer. Pourquoi des vertus? Pour que sa confusion soit plus grande, parce qu’en rapprochant le vice de la vertu, la vertu fait mieux connaître le vice, et plus il est connu, plus la honte est grande. Le coupable, par la connaissance (256) de ses fautes, connaît mieux la perfection de la vertu, et alors sa douleur augmente, parce qu’il voit que sa vie a été éloignée de toute vertu.

13.- Dans la connaissance qu’il a du vice et de la vertu le pécheur voit clairement le bien qui récompense l’homme vertueux, et le châtiment qui punit le coupable, plongé dans les ténèbres du péché mortel. Je ne lui donne pas cette connaissance pour qu’il tombe dans le désespoir, mais pour qu’il ait une connaissance plus parfaite de lui-même, et qu’il rougisse de ses fautes avec espérance ; cette honte et cette connaissance le convertiront, et il apaisera ma colère en implorant humblement ma miséricorde.

14.- L’homme juste grandit dans la joie et la connaissance de ma charité, parce qu’il attribue non pas à lui, mais à moi, la grâce qu’il a eue de suivre la vertu par la doctrine de ma Vérité, il se réjouit en moi ; avec cette lumière et. cette connaissance véritable, il goûte et reçoit cette douce fin, dont je t’ai parlé ailleurs. Le juste qui a vécu dans l’ardeur de la charité surabonde de joie, tandis que le coupable qui a vécu dans les ténèbres est accablé par la douleur. Les apparitions des démons ne nuisent point au juste, et il ne les craint pas, parce qu’il n’y a que le péché qu’il redoute et qui puisse lui nuire. Mais ceux qui ont vécu dans le vice et la débauche tremblent et souffrent à la vue des démons ; cette vue, s’ils le veulent, ne doit pas entraîner dans le désespoir, mais seulement réveiller leur conscience et les conduire par la crainte au repentir.

15.- Tu vois, ma très chère fille, combien sont différents pour le juste et le pécheur les derniers instants de la vie et les combats de la mort. Je t’en ai à peine dit un mot Ce que j’ai montré aux regards de ton intelligence n’est pour ainsi dire rien en comparaison de la réalité, c’est-à-dire de la peine que le pécheur endure, et du bien que le juste reçoit considère I’aveuglement des hommes et surtout celui des malheureux dont je t’ai parlé : plus ils ont reçu de moi, plus ils sont éclairés par les Saintes Ecritures, et plus ils ont d obligations, plus ils recevront une honte intolérable Plus ils auront connu le saint Evangile pendant leur vie, plus ils connaîtront à leur mort les grandes fautes qu’ils ont commises ; ils auront à souffrir des tourments plus grands que les autres, comme les (257) bons jouiront au contraire d’une plus douce récompense.

16.- Il leur arrive comme au mauvais chrétien, qui dans l’enfer est plus torturé que le païen, parce qu’il a eu la lumière de la foi, et qu’il y a renoncé, tandis que le païen ne l’a pas possédée. Ces malheureux sont plus punis pour chaque faute que tous les autres chrétiens, à cause du ministère que je leur avais confié, en leur donnant à distribuer le Soleil eucharistique : ils avaient la lumière de la science afin de pouvoir discerner la vérité, pour eux et pour les autres. s’ils l’avaient voulu ; il est bien juste qu’ils reçoivent un plus terrible châtiment.

17.- Ces infortunés n’y pensent pas ; s’ils réfléchissaient sur leur état, ils ne tomberaient pas dans de telles iniquités ; ils seraient ce qu’ils devraient être, et non ce qu’ils sont. Le monde est corrompu, parce qu’ils font pire que les séculiers eux-mêmes. Ils souillent par leur impureté la face de leurs âmes, et corrompent ceux qui leur sont confiés ; ils sucent le sang de mon Épouse la sainte Église, tellement, que par leurs fautes elle devient pâle et défaillante. L’amour et le zèle qu’ils devraient avoir pour elle, ils les ont gardés pour eux-mêmes. Ils ne s’occupent qu’à la dépouiller et à en retirer des honneurs et des revenus considérables, tandis qu’ils ne devraient chercher que les âmes. Aussi, leur mauvaise vie rend les hommes du monde sans respect et sans soumission pour l’Église. Ils ne devraient pas le faire, car leurs fautes ne sont jamais excusées par celles des ministres.

 

Table des Matières

 

 

 

CXXXIII.- Dieu défend aux séculiers de toucher à ses ministres.- Il invite l’âme à pleurer sur ces prévaricateurs.

 

 

1.- J’aurais bien d’autres vices à te faire connaître, mais je ne veux pas souiller davantage tes oreilles. Je t’ai dit ces choses pour satisfaire ton désir, et pour que tu sois plus ardente à m’offrir pour ces coupables tes doux, tes tendres et bien-aimés désirs. Je t’ai fait connaître la dignité à laquelle je les avais élevés, et le trésor que j’avais confié à leurs mains, le Sacrement du Dieu-Homme que j’ai comparé au soleil pour que tu comprennes que leurs fautes n’en altèrent pas la vertu. Je ne veux pas qu’elles altèrent le respect envers eux. Je t’ai montré l’excellence de mes saints ministres en (258) qui brille la pierre précieuse de la vertu et de la justice.

2.- Je t’ai fait voir combien me déplaisent les persécutions contre l’Église, et le mépris qu’on a pour le sang de mon Fils. Ce qu’on fait contre ses ministres, je le considère fait contre ce sang, et non contre eux, parce que j’ai défendu de toucher à mes Christs. Je t’ai entretenu de leur vie coupable, des désordres qu’ils commettent, des peines et de la confusion où ils sont plongés à leur dernière heure, et des tourments qui doivent les punir plus cruellement que les autres après la mort ; en te racontant quelque chose de leur vie, j’ai satisfait à la demande que tu m’avais faite en me rappelant ma promesse.

3.- Je te dis de nouveau que, malgré tous leurs vices, et lors même qu’ils seraient plus grands encore, je ne veux pas que les séculiers se chargent de les punir. S’ils le font, leur faute ne restera pas sans châtiment, à moins qu’ils ne se purifient par la contrition du coeur, et qu’ils ne changent de conduite. Les mauvais ministres et leurs persécuteurs sont des démons incarnés ; la justice divine permet qu’ils se châtient les uns par les autres. Tous sont coupables ; les séculiers ne sont pas excusés par les péchés des pasteurs, ni les pasteurs par ceux des séculiers.

4.- Maintenant, ma fille aimée, je vous invite tous, toi et mes autres serviteurs, à pleurer sur ces morts, et à rester comme des brebis fidèles dans le jardin de la sainte Église, vous nourrissant sans cesse de saints désirs, et m’offrant pour eux l’encens de vos continuelles prières ; car je veux taire miséricorde au monde. Ne vous laissez distraire par rien, ni par l’injure, ni par la prospérité. Ne levez pas la tête ni par l’impatience, ni par une joie déréglée ; mais appliquez-vous humblement à procurer mon honneur, le salut des âmes et la réforme de la sainte Église. Vous me prouverez ainsi que vous m’aimez cri vérité. Tu sais bien que je t’ai montré que je voulais que vous soyez les brebis fidèles, et que vous vous nourrissiez toujours dans le jardin de la sainte Église, en supportant la fatigue et la peine, jusqu’à l’heure de la mort. Si tu le fais, j’accomplirai tes désirs. (259)

 

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CXXXIV.- L’âme remercie Dieu et prie pour la sainte Église.

 

 

1.- Alors cette âme, enivrée, haletante et embrasée d’amour, sentait son coeur inondé d’amertume ; elle se tournait vers la souveraine et éternelle Bonté, et lui disait : O Dieu éternel, Ô Lumière au dessus de toutes les lumières, source de toute lumière ; Feu au dessus de tout feu, Feu qui seul brûle et ne se consume pas, Feu qui consume tout péché et tout amour-propre dans l’âme, Feu qui ne détruit pas l’âme, mais qui la nourrit d’un amour insatiable ; en la rassasiant tu ne la rassasies pas, car toujours elle te désire plus elle a, plus elle te demande ; plus elle te désire, plus elle te trouve et te goûte, ô Feu éternel et souverain, abîme de charité!

2.-O Bien suprême, Dieu infini, qui vous a porté à m’éclairer de la lumière de votre vérité, moi votre créature bornée? Vous-même, ô Feu d’amour, vous-même en êtes la cause, car c’est toujours l’amour qui vous force à nous créer à votre image et à votre ressemblance, à nous faire miséricorde, à donner à vos créatures raisonnables des grâces infinies et sans mesure ; l’amour, car vous nous avez aimés avant que nous fussions. O bonne et éternelle Grandeur, vous vous êtes fait bas et petit pour faire l’homme grand. De quelque côté que je me tourne, je ne trouve qu’abîme et flamme de votre charité.

3.- Comment moi, misérable, pourrai-je reconnaître ces grâces et cette ardente charité que vous m’avez montrées avec tant d’amour, à moi en particulier, en dehors de tout ce que vous faites pour toutes vos créatures? Non, jamais ; mais vous seul, doux et tendre Père, vous seul serez reconnaissant pour moi ; c’est l’ardeur de votre charité qui vous rendra grâces, car moi je suis celle qui ne suis pas. Si je disais que je suis quelque chose par moi-même, je mentirais et je serais la fille du démon, qui est le père du mensonge. Mais vous, vous êtes Celui qui êtes l’être ; et toutes ces grâces que vous y avez ajoutées, je les tiens de vous, qui me les avez données et me les donnez par amour et non par devoir. O mon très doux Père, l’humanité était malade du péché d’Adam, et (260) vous lui avez envoyé le bon et tendre médecin, le Verbe, votre cher Fils.

4.- Et moi je languissais dans la négligence et, dans une profonde ignorance. Vous, très aimable Médecin, Dieu éternel, vous m’avez donné une suave, une douce et amère médecine qui m’a guérie et sauvée de mon infirmité. Elle était suave, parce qu’avec votre ineffable charité vous vous êtes manifesté à moi ; elle était douce plus que toutes les douceurs, parce que vous avez éclairé l’oeil de mon intelligence avec la lumière de la très sainte foi ; et dans cette lumière où il vous a plu de vous manifester, j’ai connu la grâce ineffable que vous avez faite à l’homme en lui donnant, dans le corps mystique de la sainte Eglise, la divinité et l’humanité parfaite de votre Fils. J’ai connu aussi la dignité des ministres que vous avez choisis pour nous distribuer ce trésor.

5.- Je désirais vous voir remplir la promesse que vous m’aviez faite, et vous me donnez beaucoup plus en me donnant ce que je ne savais pas vous demander. Oui, je comprends parfaitement que le coeur de l’homme ne peut demander ni désirer autant que vous lui donnez. Je vois que vous êtes le Bien infini, éternel, et que nous sommes ceux qui ne sommes pas. Vous êtes infini, et nous sommes finis ; vous donnez ce que votre créature raisonnable ne peut, ne sait pas désirer. Vous seul savez, pouvez et voulez satisfaire l’âme et la rassasier de toutes les choses qu’elle ne vous a pas demandées ; et vous le faites de cette manière si douce et si aimable que vous avez de donner.

6.- J’ai donc reçu la lumière dans la grandeur de votre charité, par l’amour que vous avez manifesté à tout le genre humain, et surtout à vos ministres, qui doivent. être les anges de la terre en cette vie. Vous m’avez montré la vertu et la béatitude de vos ministres qui ont vécu dans votre Eglise comme des lampes ardentes et des perles de justice. Par là, j’ai mieux compris la faute de ceux qui vivent misérablement. J’ai ressenti une immense douleur de l’offense qui vous est ainsi faite et du malheur qui en résulte pour le monde ; car ils nuisent au monde en étant le miroir du vice, tandis qu’ils devraient être le miroir de la vertu. Vous m’avez montré leurs iniquités, à moi, misérable, qui suis .la cause et l’instrument (261) de tant de fautes ; et en vous entendant vous plaindre de leurs iniquités, j’ai ressenti une douleur intolérable.

7.- O amour ineffable, en me montrant ces choses, vous m’avez donné une médecine douce et amère qui me guérit de mon ignorance et de ma tiédeur, pour que, dans l’ardeur de mon désir, j’aie recours à vous, et que, connaissant votre bonté et tous les outrages qui vous sont faits par les hommes et spécialement par vos ministres, je répande sur moi, pauvre misérable, et sur ces morts qui vivent si mal, un torrent de larmes que me donnera la connaissance de votre bonté infinie. Non, je ne veux pas, ô Père, foyer d’amour, abîme de charité, je ne veux pas cesser un instant de désirer votre honneur et le salut des âmes. Mes yeux ne se lasseront pas de pleurer ; je vous demande en grâce qu’ils deviennent deux fontaines de cette eau qui sort de vous, l’océan de la paix! Grâces, grâces vous soient rendues, ô Père, de ce que vous m’avez accordé ce que je vous demandais et ce que je ne connaissais pas, ce que je ne demandais pas, puisque, vous m’avez invitée si doucement à pleurer. puisque vous m’avez si puissamment provoquée à offrir devant vous mes ardents désirs avec mes humbles et continuelles prières.

8.- Maintenant je vous demande de faire miséricorde au inonde et à votre sainte Église. Je vous supplie d’accomplir ce que vous me faites demander. Oh! combien ma pauvre âme souffre d’être cause de tant de mal! Ne tardez plus à faire miséricorde au monde ; laissez vous fléchir, et accomplissez le désir de vos serviteurs. Oui, c’est vous qui les faites crier ; entendez donc leur voix. Votre Vérité a dit d’appeler, et il nous serait répondu de frapper, et il nous serait ouvert ; de demander, et il nous serait donné. O Père éternel, vos serviteurs appellent votre miséricorde, qu’elle leur réponde donc. Je sais bien que la miséricorde vous est propre, et que vous mie pouvez vous défendre de la donner à qui vous la demande. Ils frappent à la porte de votre Vérité, parce que dans votre Fils ils connaissent. l’amour ineffable que vous avez eu pour l’homme. Ils frappent à la porte ; l’ardeur de votre charité ne doit pas, ne peut pas refuser d’ouvrir à qui frappe avec persévérance.

9.- Ouvrez donc, brisez, élargissez les coeurs endurcis (262) de vos créatures. Que ce ne soit pas à cause d’elles, qui ne frappent pas, mais faites-le à cause de votre infinie bonté et à cause de l’amour de vos, serviteurs, qui frappent pour elles ; faites-le, ô Père, car vous voyez qu’ils sont à la porte de votre Vérité et qu’ils demandent. Que demandent-ils? Ils demandent le sang de votre Fils, qui est la porte de la Vérité ; parce que dans ce sang vous avez lavé l’iniquité et effacé la tache du péché d’Adam. Ce Sang est à nous, car vous nous en avez fait un bain, et vous ne pouvez, vous ne devez pas le refuser à qui vous le demande. Donnez donc le fruit de ce Sang à vos créatures ; mettez dans la balance le prix du Sang de votre Fils, afin que les démons de l’enfer ne puissent emporter vos brebis.

10.- Vous êtes le bon Pasteur, car vous nous avez donné pour nous conduire votre Fils bien-aimé, qui, par obéissance, est mort pour vos brebis et nous a fait un bain de son Sang. C’est ce Sang que vous demandent vos serviteurs qui frappent à la porte avec un si grand désir. lis vous demandent par ce Sang de faire miséricorde au monde, et de remplir de nouveau votre sainte Église des fleurs odoriférantes de vos bons et saints pasteurs, pour que leur parfum corrige l’infection des fleurs corrompues. Vous avez dit, ô Père éternel, que vous écouteriez votre amour

pour les créatures raisonnables ; que vous vous laisseriez fléchir par les prières de vos serviteurs et par les peines qu’ils souffrent sans les mériter, que vous feriez miséricorde au monde, et que vous réformeriez l’Église. Donnez-nous cette consolation ; ne tardez pas à jeter sur nous regard de miséricorde ; mais répondez, car vous voulez nous répondre avant même que nous vous appelions avec la voix de votre miséricorde.

11.- Ouvrez la porte de votre ineffable charité que vous nous avez donnée dans la personne de votre Fils. Je sais déjà que vous ouvrez avant que nous frappions ; car c’est avec l’amour que vous avez donné à vos serviteurs qu’ils frappent, qu’ils vous appellent, en cherchant votre honneur et le salut des âmes. Donnez-leur donc le Pain de vie, c’est-à-dire le fruit du sang de votre Fils bien-aimé, qu’ils vous demandent pour la gloire et la louange de votre nom et pour le salut des âmes ; (263) car il me semble qu’il vous revient plus de. gloire et de louange à sauver tant de créatures qu’à les laisser périr dans leur endurcissement.

12.- Tout vous est possible, Ô Père. Je sais que vous nous avez créés sans nous, mais que vous ne pouvez nous sauver sans nous. Je ne vous le demande pas, mais je vous conjure de forcer leur volonté, de les disposer à vouloir ce qu’elles ne veulent pas ; et je vous le demande au nom de votre miséricorde. Vous nous avez créés de rien ; mais maintenant que nous existons, faites-nous  miséricorde ; réparez les vases que vous avez façonnés à votre image et à votre ressemblance ; rétablissez-les dan la grâce par la miséricorde et le sang de votre Fils, le Christ, le doux Jésus.

 

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TRAITE DE LA PROVIDENCE

 

 

 

CXXXV.- De la providence de Dieu en général.

 

 

1.- Alors l’Éternel, dans son ineffable clémence, jeta sur cette âme un regard plein de tendresse, et voulut bien lui expliquer comment sa divine providence ne manque jamais à personne, pourvu qu’on l’accepte humblement. Il s’exprima ainsi, en se plaignant doucement de ses créatures raisonnables : O ma fille bien-aimée! combien de. fois te l’ai-je répété! oui, je veux faire miséricorde au monde et assister chacun selon ses besoins ; mais l’homme ignorant trouve la mort où j’ai placé la vie. Moi je veille toujours, et je veux que tu comprennes que ce que je donne à chacun est réglé par mon infinie providence.

2.- C’est ma providence qui a créé l’homme ; et, lorsque je l’ai regardé en moi-même, je me suis passionné pour la beauté de ma créature, parce que ma providence souveraine l’avait créé à mon image et ressemblance. Je lui ai donné la mémoire pour qu’il se rappelât mes bienfaits et qu’il participât à la puissance du Père ; je lui ai donné l’intelligence pour que, dans la sagesse du Fils il connût et comprît ma volonté, car je suis la source de toutes les grâces, que je répands avec un ardent et paternel amour. Je lui ai donné la volonté pour aimer, afin qu’en participant à la bonté du Saint Esprit il put aimer ce qu’avait vu et connu son intelligence. Ma douce providence a fait cela pour que l’homme fût capable de me comprendre et de nie goûter dans la joie suprême d’une éternelle vision.

3.- Comme je te l’ai déjà dit, le ciel était fermé par la désobéissance de votre premier père Adam, qui méconnut la dignité de son origine et ne vit pas avec quelle (265) ineffable tendresse je l’avais créé. Il tomba dans la désobéissance, et ensuite dans la corruption par orgueil et par faiblesse pour sa femme, aimant mieux lui céder et lui plaire qu’obéir à mon commandement. Il voyait l’injustice de ce qu’elle lui proposait, mais il y consentit pour ne pas l’affliger. C’est de cette désobéissance que naquirent les maux de la terre. Tous, vous avez ressenti les effets de ce poison, dont je t’expliquerai ailleurs les dangers, pour te faire mieux comprendre les avantages de l’obéissance.

4.- Pour éloigner de l’homme cette mort de la désobéissance et vous sauver de cette extrémité, je vous ai donné mon Fils unique par un acte de mon infinie providence ; car, en unissant ma divinité à votre humanité, j’ai vaincu le démon, qui ne voulut pas connaître ma Vérité. En s’incarnant elle consuma et détruisit le mensonge par lequel il avait trompé l’homme ; et ce fut un grand acte de ma providence.

5.- Considère, ma fille bien-aimée, que je ne pouvais faire plus que de vous donner mon Fils unique ; je l’ai soumis à une grande obéissance afin qu’il délivrât le genre humain du venin que la désobéissance de votre premier père avait répandu dans le inonde. Transporté d’amour et d’obéissance, il s’est élancé vers la mort ignominieuse de la sainte Croix, et par cette mort il vous a donné la vie, non pas en vertu de l’humanité, mais en vertu de la divinité que j’avais miséricordieusement unie à votre nature pour satisfaire à la faute commise contre moi, le Bien infini, qui demandais une réparation infinie.

6.- La nature humaine finie devait s’unir à un être infini afin de pouvoir me satisfaire d’une manière infinie pour tous les hommes passés, présents et futurs. Afin que toutes les fois qu’un homme m’offenserait, il pût me satisfaire et revenir à moi pendant sa vie, j’ai uni la nature divine à votre nature humaine, et dans cette union vous ayez le moyen d’une satisfaction parfaite. C’est là un grand bienfait de ma providence, puisqu’un acte fini et limité par le supplice de la Croix vous a donné dans mon Fils un fruit infini par la vertu de sa divinité.

7.- Ma paternelle et infinie providence permet ainsi à l’homme de revêtir un vêtement de grâce, lorsqu’il a perdu (266) la robe d’innocence, et que, dépouillé de toute vertu, il meurt de faim et de froid pendant son pèlerinage, où il est soumis à toutes les misères. La porte du ciel lui était fermée, et il n’avait aucune espérance qui pût consoler son malheur d’ici-bas ; c’était là pour lui une immense affliction.

8.- Moi, l’Éternel et l’Amour infini, j’ai miséricordieusement secouru l’homme dans son indigence. Ce ne sont pas vos mérites et vos vertus, mais seulement mon ineffable bonté qui m’a porté à vous dominer le vêtement désirable de mon Fils, qui s’est dépouillé lui-même de la vie par la mort, pour vous revêtir de grâce et d’innocence. Cette grâce et cette innocence, vous l’avez reçue dans le saint baptême par l’efficacité de son précieux sang, qui a lavé en vous la tache originelle que vous avaient transmise vos parents. Ma providence a usé de toute la tendresse possible, puisqu’elle ne s’est pas servie, comme dans l’Ancien Testament, de la peine corporelle de la circoncision, mais de lâ douce efficacité du saint baptême.

9.- Non seulement j’ai revêtu l’homme, mais je l’ai réchauffé, lorsque j’ai dominé au genre humain mon Fils, dont les blessures qui déchirèrent son corps laissèrent échapper le feu de mon infinie charité, caché sous la cendre de votre humanité. N’était-ce pas assez pour embraser le coeur glacé de l’homme, et ne faut-il pas qu’il soit bien rebelle et bien aveuglé par l’amour-propre, pour ne pas voir l’affection tendre et dévouée que je lui porte?

10.- Ma providence lui a encore donné la nourriture de vie qui doit le soutenir pendant le cours de son pèlerinage ; elle le rend plus fort que ses ennemis, et nul ne peut lui nuire, s’il n’y consent dans sa volonté, Une voie droite et facile a été tracée par le sang de ma Vérité incarnée, pour que l’homme puisse atteindre la tin que ma grâce lui a destinée. Quelle est cette nourriture? je te l’ai déjà dit : c’est le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ crucifié, qui contient un Dieu et l’homme tout ensemble ; c’est le Pain de vie, le Pain des anges, qui donne faim à celui qui le savoure, et laisse insensible celui qui n’en a pas le désir. Car cette nourriture doit être prise avec un saint désir et goûtée avec un ardent amour. Tu vois que ma providence a donné, à l’homme tous les secours qui lui sont nécessaires. (267)

 

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CXXXVI.- Dieu a donné l’espérance à l’homme.- Plus on espère, plus on goûte parfaitement sa providence.

 

 

1.- J’ai donné encore à l’homme le secours de l’espérance. Dès qu’à la lumière sainte de la foi il contemple le prix du Sang précieux qui a été payé pour lui, cette vue doit mettre dans son coeur une espérance ferme et la certitude de son salut. L’honneur lui est rendu par Les opprobres de Jésus crucifié ; car, s’il m’a souvent offensé par tous les membres de son corps, par tous les membres de son corps aussi, Jésus mon Fils bien-aimé, a souffert d’affreux tourments. Son humble obéissance a corrigé, purifié la désobéissance d’Adam et sa postérité. Par cette obéissance vous avez tous acquis la grâce, comme par la désobéissance de votre premier père vous aviez tous contracté la faute. C’est là le plan de ma providence, qui n’a jamais manqué à l’homme depuis le commencement du monde jusqu’à cette heure. Elle pourvoira jusqu’au dernier jour à toutes vos nécessités.

2.- Je suis le bon et parfait Médecin, qui connaît ce qui est nécessaire à votre faiblesse et ce qui est utile à votre salut ; je vous rendrai une santé parfaite et je vous la conserverai. Ma providence ne fera jamais défaut à celui qui voudra la recevoir et qui placera toute son espérance en moi. Celui qui espère en moi, qui frappe et qui appelle véritablement, non seulement avec la parole mais avec l’élan et la lumière d’une sainte foi, celui-là me goûte dans ma providence, mais non celui qui frappe et m’appelle en disant seulement : Seigneur, Seigneur.

3.- Celui qui me cherche ainsi et me demande sans autre mérite, je ne le connaîtrai pas dans ma miséricorde, mais dans ma justice. Tu sais que l’homme ne peut espérer en deux choses opposées ; la Vérité incarnée a dit dans l’Evangile : « Nul ne peut servir deux maîtres, car, s’il en sert un, il méprisera l’autre » (S. Luc. XVI,13). On ne peut servir sans espérance : le serviteur qui sert son maître le fait dans l’espoir de lui plaire ou dans l’attente de quelque récompense, de quelque avantage. Il ne servira jamais l’ennemi de son maître, parce (268) qu’il ne peut en retirer quelque profit, et parce qu’il perdrait même ce qu’il a droit d’attendre de celui dont il est le serviteur. Apprends, ma fille bien-aimée, qu’il en arrive ainsi pour l’âme.

4.- Il faut qu’elle espère en moi et qu’elle me serve, ou qu’elle espère en elle-même et dans le monde, et qu’elle le serve. Elle sert le monde hors de moi autant qu’elle aime la sensualité et qu’elle lui obéit ; si elle le sert, c’est qu’elle trouve dans ce service et cet amour un avantage, une jouissance qui lui plait. Son espérance, placée dans une chose finie, est vaine et passagère. L’âme se trompe et n’atteint pas le but qu’elle désirait ; tant qu’elle espère en elle et dans le monde, elle n’espère pas en moi-puisque je hais le monde, c’est-à-dire les vains désirs de l’homme. Je les ai tellement en horreur, que c’est à cause d’eux que j’ai fait subir à mon Fils unique la mort ignominieuse de la Croix. Le monde n’a aucune ressemblance avec moi, ni moi, avec lui.

5.- L’âme au contraire qui espère en moi, et qui me sert de tout son coeur, refuse nécessairement sa confiance au monde ,et ne saurait la placer dans sa propre faiblesse. Son espérance est plus ou moins parfaite selon le degré de son amour pour moi, et c’est dans la même mesure qu’elle goûte ma providence. Ceux qui espèrent en moi et me servent dans le seul but de me plaire, la goûtent mieux que ceux qui le font à cause du profit qu’ils en retirent, ou du bonheur qu’ils trouvent en moi. Les premiers sont ceux dont je t’ai fait connaître la perfection en t’expliquant les états de l’âme ; les autres, dont je te parle maintenant, sont ceux dont je t’ai montré l’imperfection, parce qu’ils marchent et servent avec l’espoir d’une récompense ou du bonheur qu’ils trouvent en moi.

6.- Ces parfaits et ces imparfaits sont l’objet de ma plus tendre sollicitude, pourvu qu’ils n’espèrent pas en eux-mêmes ; car la présomption, cette espérance de l’amour-propre, obscurcit l’intelligence et la prive de la sainte lumière de la foi. L’homme ne marche plus à la lumière de la raison et ne connaît pas ma providence. Il l’éprouve cependant ; nul n’en est exclu, les justes et les pécheurs ; car tout est créé par ma bonté. Je suis Celui qui suis, et sans moi rien ne se fait, excepté le péché, qui n’est pas. (269)

7.- Tous me reçoivent de ma providence ; mais il en est qui ne la comprennent pas, parce qu’ils ne la reconnaissent pas ; et, ne la reconnaissant pas, ils sont pour elle sans amour. Ils voient tout en désordre, comme des aveugles, quoique tout soit dans l’ordre. Ils prennent la lumière pour les ténèbres, et les ténèbres pour la lumière, et, parce qu’ils ont mis leur espérance et leur soin dans les ténèbres, ils murmurent et tombent dans l’impatience.

8.- Vois, ma fille bien-aimée, quelle est la folie de leur pensée. Comment peuvent-ils croire que moi, qui suis l’éternelle et souveraine Bonté, je puisse vouloir autre chose que leur bien dans les petites choses que je permets tous les jours pour leur salut, lorsqu’ils savent par expérience que dans les grandes je n’ai d’autre but que leur sanctification? Malgré tout leur aveuglement ils devraient, avec la simple lumière naturelle, reconnaître ma bonté et les bienfaits de ma providence, qui ne peut leur échapper dans la création, et dans la régénération de l’homme par le Sang qui fait renaître à la grâce.

9.- Il y a là une évidence que rien ne peut contredire, et cependant ils s’effrayent de leur nombre même, parce qu’ils n’omit pas développé la lumière naturelle dans la vertu. L’homme insensé n’aperçoit pas, ne remarque pas que toujours, j’ai pourvu au monde en général, et à chacun en particulier, selon son état ; et comme dans cette vie présente rien n’est stable, que tout change sans cesse, jusqu’à ce que son but soit atteint, je règle ce qui convient à chaque chose et à chaque instant.

 

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CXXXVII.- De la providence de Dieu dans l’Ancien et le Nouveau Testament.

 

 

1.- Dans l’ancien Testament, ma providence a donné les tables de la loi à Moïse ; et à mon peuple, pour le conduire, des prophètes éclairés par l’Esprit Saint. Avant l’incarnation de mon Fils, la nation juive a presque toujours eu des prophètes, afin que leur parole inspirée lui donnât l’espérance de voir ma Vérité revêtir un corps, et le Prophète des prophètes venir la délivrer de la servitude (270), et lui ouvrir, par son sang précieux, le ciel, qui avait été si longtemps fermé.

2.- Dès que mon Verbe bien-aimé se fut incarné, aucun prophète ne parut, afin que les Juifs fussent certains que celui qu’ils attendaient était venu. Les prophètes n’avaient plus besoin de l’annoncer ; leur aveuglement seul les empêchait de le reconnaître. Ma providence envoya donc mon Verbe, qui l’ut votre médiateur auprès de moi, l’Éternel. Après lui vinrent les apôtres, les martyrs, les docteurs et les confesseurs.

3.- Ma providence pourvoit à toute chose, et elle agira ainsi jusqu’à la fin. Cette providence générale regarde toute créature raisonnable, dès qu’elle veut en accepter les dons. .Ma providence règle aussi tout en particulier, la vie, la mort, de quelque manière qu’elles viennent ; la faim, la soif, les pertes de fortune, la nudité, le froid, la chaleur, les injures, les abaissements et les affronts. Je permets que toutes ces choses arrivent aux hommes, sans que je sois pour cela la cause de la volonté perverse qui fait le mal ou l’injure. Je donne à l’homme l’être et le temps, non pas pour qu’il m’offense et qu’il offense son semblable, mais pour qu’il me serve fidèlement, et qu’il serve le prochain par la charité. Je permets le mal pour exercer la patience de l’âme qui en souffre, ou pour qu’elle se connaisse humblement.

4.- Quelquefois je permettrai que le juste soit combattu par le monde entier. Sa mort même causera un grand étonnement ; il semblera, injuste que cet homme périsse violemment par l’eau, par le feu, par la dent d’une bête féroce ou par la ruine de quelque édifice. Et en effet, cela doit être inexplicable pour l’oeil qui n’a pas la lumière sainte de la foi. Mais il n’en est pas de même pour celui qui m’est fidèle.

5.- Celui-là trouve et goûte par l’amour ma providence dans les grandes choses ; il voit et reconnaît que ma providence dispose tout avec tendresse pour le salut de l’homme ; il reçoit tout avec un humble respect ; rien ne le scandalise, en lui, dans mes oeuvres et dans le prochain ; il supporte tout avec une patience si sincère, parce qu’il sait que ma providence ne manque jamais à aucune créature, car c’est elle qui préside à tout. Lorsque (271) je brise quelqu’un par la foudre et la tempête, on m’accuse de cruauté, on pense que j’ai négligé le salut de cette personne ; et j’ai permis ce malheur, Je l’ai frappée pour la sauver de la mort éternelle. Ainsi les hommes du monde insultent toutes mes oeuvres, en les jugeant mal et en les expliquant avec leur faible raison.

 

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CXXXVIII.-Tout ce que Dieu permet est pour notre salut.- Combien sont aveugles ceux qui pensent le contraire.

 

 

1.- Je veux, ma fille bien-aimée, que tu voies et que tu comprennes quelle patience il me faut pour supporter l’homme, que j’ai créé avec tant d’amour à mon image et ressemblance. Ouvre l’oeil de ton intelligence, et regarde en moi. Considère l’effet particulier d’une prière que tu as faite à ma providence, et tu verras avec quel bonheur cette grâce a été obtenue sans danger de mort. Ce qui est arrivé dans ce cas particulier arrive aussi en toutes choses.

2.- Alors cette âme, ouvrant l’oeil de son intelligence à la sainte lumière de la foi, avec l’ardent désir que la parole de Dieu lui avait inspiré, connut davantage la vérité ; et contemplant, selon l’ordre qu’elle avait reçu, les bienfaits de la Providence, elle considérait la bonté de la Majesté divine et de son ineffable charité ; elle y voyait clairement cette Bonté éternelle et souveraine qui, non seulement nous a créés avec tendresse, mais nous a encore rachetés avec le sang précieux de son Fils. C’était du même amour que sortaient toutes choses et que s’épanchaient sur chacun les épreuves et les consolations. Sa paternelle sollicitude apparaissait dans toutes les créatures, et son unique but était le salut éternel des hommes ; la preuve évidente était dans ce Sang versé avec une si ardente charité.

3.- Alors Dieu le Père lui dit : Combien sont aveuglés par l’amour-propre ceux qui se scandalisent et s’impatientent! Je te parle de ma providence générale et particulière, dont je vais continuer à t’entretenir. Ces hommes jugent injustement et condamnent, pour leur malheur et leur ruine, ce que je fais par amour pour eux et pour (272) leur bien, afin de les sauver des flammes de l’enfer et de les conduire heureusement à des joies éternelles. Et pourquoi se plaignent-ils de moi? C’est qu’au lieu d’espérer en moi, ils espèrent en eux-mêmes, et ils tombent ainsi dans les ténèbres.

4.- Ils méconnaissent et détestent ce qu’ils devraient recevoir avec le plus grand respect. Dans leur orgueil ils veulent scruter mes jugements secrets, qui sont tous droits et justes. Ils font comme un aveugle gui, avec l’imperfection des sens qui lui restent, voudrait distinguer la beauté et les défauts des choses extérieures. Ils ne veulent pas se confier en moi, qui suis la vraie Lumière, la souveraine Sagesse et la source de leur vie spirituelle et corporelle, puisque sans moi ils ne peuvent rien avoir et rien faire. S’ils reçoivent quelques services d’une créature, c’est moi qui ai dirigé cette créature, et tout disposé pour qu’elle voulût et qu’elle pût leur être utile.

 5.- Ces insensés ne veulent voir les choses qu’en les touchant ; mais la main se trompe souvent, parce qu’elle manque de lumière et qu’elle ne peut discerner les couleurs. Le goût s’égare aussi, parce qu’il ne distingue pas l’animal immonde qui sert d’aliment. L’oreille est séduite par la douceur des sons ; mais elle ne voit pas celui qui chante et qui cache, si l’on n’y prend garde, des coups mortels sous cette mélodie. Ainsi font les aveugles qui ont perdu la lumière de la raison. Ils touchent avec la main des sens extérieurs de la vie charnelle du monde, des plaisirs qu’ils croient bons ; ils ne s’aperçoivent pas que ces plaisirs sont des choses mêlées et entourées de beaucoup d’épines, de misères, d’angoisses, et que le coeur qui veut les posséder sans moi y trouve un poids insupportable.

6.- Ces plaisirs semblent doux et agréables à la bouche qui les désire. Lorsqu’on les aime désordonnément, on ne s’aperçoit pas qu’en eux est la chair immonde du péché mortel, qui souille l’âme, l’éloigne de ma ressemblance et détruit la vie de la grâce. Ceux qui ne s’appliquent pas, avec la lumière de la foi, à purifier leur âme dans le Sang, contractent dans, ces plaisirs une mort éternelle.

7.- L’amour-propre rend des sons harmonieux ; l’âme en est séduite parce qu’elle obéit à la sensualité. Elle se (273) laisse aller sur une pente mauvaise, et tombe dans le précipice chargée des chaînes du péché, et livrée aux mains de ses ennemis. L’amour-propre et l’espérance qu’elle a placés en elle-même l’ont aveuglée ; elle ne se confie plus à moi, qui suis la voie et le guide fidèle. Cette voie a  été tracée au genre humain par le Verbe incarné, mon Fils unique, qui vous a dit formellement : Je suis la Voie, la Vérité, la Vie. Il est aussi la Lumière ; celui qui va par lui ne peut être trompé et ne marche pas dans les ténèbres. Personne ne peut venir à moi sans lui, parce qu’il est un avec moi. Je te l’ai déjà dit, j’en ai fait un pont pour que vous puissiez venir sûrement jusqu’à moi, qui suis votre dernière fin.

8.- Les hommes ignorants et ingrats ne se confient point à moi, qui ne désire et ne cherche autre chose que leur sanctification. C’est pour cette fin que mon amour permet et dispose toutes choses. Les hommes se scandalisent sans cesse de moi, et je les supporte toujours avec patience malgré leurs vices. Je les ai aimés même avant leur naissance, et je n’en suis pas aimé. Ils me persécutent tous les jours par leur impatience, leur haine, leurs murmures. Ils veulent, dans leur ignorance, pénétrer mes jugements secrets, qui sont toujours justes et pleins d’amour. Ils s’ignorent eux-mêmes et ne peuvent rien juger ; car celui qui ne se connaît pas ne peut pas me connaître, et comprendre par conséquent ma justice.

 

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CXXXIX.- De l’action de la Providence pour sauver une âme.

 

 

1.- Si tu veux savoir maintenant, ma chère fille, combien le monde se trompe sur les mystères de ma Providence, ouvre les yeux de ton intelligence ; regarde en moi, et tu verras le cas particulier que je t’ai promis de te montrer (C’était à ce cas particulier que se rapportait sans doute la quatrième demande de sainte Catherine, ch. I, 1.). Je pourrais te faire connaître bien d’autres exemples semblables. Alors cette âme fidèle, obéissant à l’ordre de Dieu le Père, regarda en lui avec un ardent (274) désir, et Dieu lui montra clairement la perte de celui auquel l’évènement était arrivé. Je veux que tu voies, lui dit-il, que pour éviter l’éternelle damnation que méritait cet homme, j’ai permis cette catastrophe inattendue. Il fallait que, par ce moyen terrible, son sang, par la médiation du sang de mon Fils bien-aimé, lui achetât la vie éternelle.

2.- Je n’avais pas oublié son amour et son respect pour Marie, la glorieuse Mère de mon Fils, et j’ai décrété dans ma bonté, pour honorer le Verbe incarné, que quiconque, juste ou pécheur, recourrait à Marie avec amour et respect, ne pourrait jamais être la victime et la proie du monstre infernal. Marie est comme une douce amorce offerte par ma bonté pour attirer les hommes et surtout les pécheurs.

3.- C’est donc par un acte de mon infinie miséricorde que j’ai permis cet accident. Ce n’est pas moi qui ai fait la volonté coupable des méchants ; j’en ai voulu seulement le résultat, que les hommes ont trouvé si cruel, parce que leur amour-propre les prive de la lumière et leur cache ma Vérité. S’ils dissipent le nuage, ils la verraient et l’aimeraient ; ils accepteraient tout avec respect, et, quand viendrait le temps favorable, ils recueilleraient avec joie le fruit de leurs travaux.

4.- Ma fille bien-aimée, sois certaine que pour ce que tu me demandes, je remplirai ton désir et celui de mes autres amis. Je suis votre Dieu ; je récompense avec justice la peine, et je satisfais les saints désirs, pourvu qu’on frappe véritablement à la porte de ma Vérité, afin de ne pas errer et d’espérer toujours en ma Providence.

 

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CXL.- Dieu explique sa providence envers ses créatures, et se plaint de leur infidélité.

 

 

1.- Après t’avoir montré ma providence dans cette occasion, je veux te l’expliquer dans son action générale. Tu ne pourras jamais comprendre à quel degré l’ignorance de l’homme est grande. II perd l’intelligence lorsqu’il espère en lui et qu’il se confie dans son propre sens. O pauvre insensé, ne vois-tu pas que tu ne sais rien de (275) toi-même, et que c’est ma bonté qui t’accorde tout selon tes besoins? Qui te le fera donc comprendre? Ton expérience même.

2.- Combien souvent veux-tu faire une chose sans le pouvoir et sans le savoir faire! Quand tu le sais, tu ne le peux pas, le temps te manque ; si tu as le temps, c’est la volonté qui te fait défaut. Tout t’a été donné par ma grâce pour ton salut, pour que tu reconnaisses et tu comprennes que tu n’as pas l’être par toi-même, et pour que tu aies plus raison, de t’humilier que de t’enorgueillir. En toute chose tu trouves des privations et des changements, parce que rien n’est en ta puissance ; il n’y a

que ma grâce que tu trouveras ferme et inébranlable aucune force ne pourra t’en séparer, à moins que tu t’en éloignes toi-même en retournant au mal.

3.- Comment donc peux-tu résister à ma bonté? Le ferais-tu, si tu consultais ta raison, et placerais-tu tes espérances dans tes pensées, et ta confiance en ce qui vient de toi? Mais tu es devenu comme l’animal sans raison ; tu ne vois pas et tu ne reconnais pas que tout change, excepté ma grâce. Pourquoi ne pas te fier à moi, qui suis ton Créateur? pourquoi compter sur toi? Ne te suis-je pas toujours fidèle? Comment pouvoir en douter, puisque tu l’éprouves tous les jours?

4.- O ma fille bien-aimée! vois combien l’homme m’est infidèle. Il manque à l’obéissance que je lui avais imposée, et il tombe dans la mort. Moi, au contraire, je lui ai toujours été fidèle, en lui procurant le bien pour lequel je l’avais créé. Afin qu’il puisse l’atteindre et le posséder, j’ai uni ma divinité à l’infirmité de sa nature. L’homme, ainsi racheté et renouvelé dans la grâce par le sang de mon Fils bien-aimé, devrait me connaître par expérience. Et cependant ce pauvre infidèle semble douter que je sois assez puissant pour le secourir, assez fort pour le défendre contre ses ennemis, assez sage pour éclairer son intelligence, assez bon pour lui donner ce qui est nécessaire à son salut.

5.- Il pense que je n’ai pas des trésors pour le rendre riche, une beauté pour l’embellir, une nourriture pour le rassasier, un vêtement pour le couvrir. Ses actions prouvent qu’il en juge ainsi. S’il en était autrement, ne ferait-il (276) pas des oeuvres bonnes et saintes? L’expérience devrait pourtant lui montrer que je suis fort ; car tous les jours je conserve son être, et ma main le défend contre ses ennemis. Personne ne peut résister à l’action de ma puissance ; si l’homme ne le voit pas, c’est qu’il ne veut pas voir.

6.- Ma sagesse a tout ordonné dans le monde, et le gouverne avec tant de sollicitude, que rien n’y manque, et qu’il est impossible d’y ajouter quelque chose pour l’âme et pour le corps. J’ai pourvu à tout, sans que votre volonté m’y ait forcé, puisque vous n’étiez pas encore, et c’est ma seule bonté qui m’a fait agir. J’ai créé le ciel, la terre et la mer : j’ai étendu le firmament au dessus de vos têtes ; j’ai fait l’air pour que vous respiriez, le feu et l’eau pour les modérer par leur opposition ; le soleil, pour que vous ne fussiez pas dans les ténèbres : tout a été fait et ordonné pour satisfaire aux besoins de l’homme. Le ciel est peuplé d’oiseaux, la mer est riche de poissons, la terre, d’animaux et de fruits, afin que l’homme puisse en vivre. Ma providence a tout réglé avec ordre et sagesse.

7.- Après avoir créé toutes ces choses bonnes et parfaites, j’ai enfin créé l’homme à mon image et ressemblance, et je l’ai placé dans un jardin qui, par la faute d’Adam, mm produit des épines, tandis qu’il n’avait donné d’abord que des fleurs embaumées d’innocence et de sainteté. Tout obéissait à l’homme ; mais, dès qu’il eut commis sa faute, il trouva la révolte en lui et dans les autres créatures. Le monde devint sauvage, et l’homme, qui le résume, partagea son sort.

8.- Mais ma tendresse paternelle vint à son secours en envoyant au monde mon Verbe, qui en ôta la stérilité de la chute et en arracha les épines. Je refis du monde un beau jardin que j’arrosai avec le Sang précieux de mon Fils unique, et, après en avoir ôté les épines du péché mortel, j’y plantai les fleurs des sept dons du Saint Esprit.

9.- Cela fut accompli seulement après la mort de mon Fils, ainsi que l’explique une figure de l’Ancien Testament. Élisée fut prié de ressusciter un enfant (IV Reg. IV, 22) ; il n’y alla pas, mais il envoya Giézi avec son bâton, lui ordonnant de placer le bâton sur celui qui était mort. Giézi exécuta ce qui lui avait été commandé, mais l’enfant (277) ne ressuscita pas. Alors Elisée vint en personne ; il appliqua ses membres aux membres de l’enfant, lui souffla sept fois au visage, et l’enfant fut rappelé à la vie. Cette figure représente Moïse, que j’ai envoyé avec le bâton de la loi, pour qu’il l’appliquât sur le genre humain, qui était mort ; mais le bâton de la loi ne lui rendit pas la vie, j’envoyai donc mon Fils unique, qui est figuré par Elisée, et qui prit les proportions du mort par l’union de la nature divine avec la nature humaine. Cette nature divine lui fut, unie par tous ses membres, par la puissance du Père, par la sagesse du Fils et par la clémence du Saint Esprit. Ainsi, moi, Dieu éternel, dans mon unité et ma trinité, je fus muni et assimilé à votre nature humaine.

10.- Après cette union, le Verbe adorable en fit une autre. Dans l’ardeur de son amour, il s’élança vers la mort ignominieuse de la Croix pour s’y livrer tout entier. Et après cette seconde union, il donna les sept dons du Saint Esprit à celui qui était mort, en respirant sept fois sur son visage, et en soufflant dans la bouche de son coeur. Il ôte ainsi dans le baptême la mort du péché, et rend la vie de la grâce. Le mort respire aussitôt, et en signe de vie, il rejette ses péchés par une humble confession.

11.- Alors le jardin est orné de fruits suaves et délicieux. Il est vrai que le jardinier, qui est le libre arbitre, peut le m’endre fertile ou sauvage, selon qu’il le cultive ou le néglige. Car, s’il y sème le poison de l’amour-propre, qui fait naître les sept vices capitaux et tous ceux qui viennent d’eux, il chasse les sept dons du Saint Esprit et se prive de toute vertu. Il n’y a plus de force, parce qu’il s’est affaibli ; il n’y a plus de tempérance et de prudence, parce qu’il a perdu la lumière dont se servait sa raison ; il n’y a plus de foi, d’espérance, de justice, parce qu’il est devenu injuste. Il espère en lui, et parce que sa foi est morte, il se confie plutôt dans les créatures qu’en moi, son Créateur. Il n’y a plus de charité, parce qu’il l’a détruite dans son coeur par l’amour de sa propre faiblesse. Et parce qu’il a été cruel envers lui-même, il ne peut être bon envers son prochain. Ainsi privé de tout bien, il tombe dans le mal et dans les horreurs de la mort.

12.- Comment pourra-t-il retrouver la vie ? Par Elisée, par le Verbe, mon Fils unique. Et de quelle manière? Le (278) jardinier arrachera les épines de sa faute par une sainte haine de lui-même ; car, s’il ne se hait pas, il ne pourra jamais les arracher. Qu’il s’empresse de se conformer, par un amour sincère, à la doctrine de ma Vérité incarnée ; qu’il arrose son jardin avec le sang précieux de mon Fils, avec ce Sang que le prêtre répand sur la tête du pécheur, lorsqu’il reçoit l’absolution, avec la contrition, la confession, la satisfaction et la ferme résolution de ne plus m’offenser. De cette manière, l’homme peut renouveler et comme le jardin de son âme pendant cette vie ; mais après sa mort, il ne pourra plus le faire, comme je te l’ai expliqué ailleurs.

 

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CXLI.- La Providence nous envoie la tribulation pour notre salut.- Malheur de ceux qui espèrent en eux-mêmes au lieu d’espérer en Dieu.

 

1.- Vois comment ma providence a réparé la ruine de l’homme, J’ai laissé dans le monde les épines nombreuses de la tribulation, et l’homme y a rencontré la révolte en toutes choses. Je l’ai voulu ainsi pour votre bien, car il était très utile que l’homme ne mit pas son espérance dans la vie présente, pour qu’il courût avec ardeur vers moi, son bonheur véritable et sa fin dernière. Les peines et les contrariétés doivent détacher son coeur du inonde et l’élever vers moi. Et cependant l’homme, dans son ignorance, ne voit pas cette vérité. Il est si faible et si porté aux choses du monde, que, malgré les peines et les tribulations qu’il y rencontre, il ne voudrait jamais .s’en séparer pour retourner dans la patrie qui lui est préparée.

2.- Tu peux comprendre par cela, ma fille bien-aimée, et que ferait l’homme malheureux s’il trouvait dans le monde la jouissance, la satisfaction de ses désirs, et un repos sans orage. Aussi, par un acte miséricordieux de ma douce providence, je permets que le monde produise des peines et des épreuves en abondance ; c’est le moyen d’éprouver sa vertu, et je trouve dans la violence qu’il se fait le motif de lui donner une récompense. Ma providence règle ainsi tout avec une souveraine sagesse. (279)

3.- J’ai donné beaucoup à l’homme, parce que je suis riche, et je puis lui donner bien davantage, parce que mes richesses sont infinies. Tout a été fait par moi, et sans moi rien ne pourrait être. Si quelqu’un veut voir et posséder la beauté, je suis la beauté suprême ; si quelqu’un désire la bonté, je suis l’éternelle Bonté. Je suis la vraie Sagesse, la Douceur, la Tendresse, la Justice, la Miséricorde par excellence. Je suis un Dieu prodigue et non pas avare, j’accorde avec abondance à ceux qui me demandent, j’ouvre avec empressement à ceux qui frappent véritablement, et je réponds à, tous ceux qui m’appellent. Je ne suis pas ingrat, mais reconnaissant, et je récompense avec largesse ceux qui souffrent pour ma gloire. Je suis aimable surtout, et je conserve dans une grande joie l’âme qui s’est revêtue de ma volonté. Je suis cette providence certaine qui ne manque jamais à mes serviteurs qui espèrent en moi ; je leur accorde tout ce qui est utile pour l’âme et pour le corps.

4.- L’homme infidèle me voit nourrir le ver dans un bois aride, faire vivre les animaux sauvages, les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, régler le soleil, la rosée, les saisons, pour engraisser la terre qui doit porter des plantes et des fruits. Comment peut-il croire que je ne veille pas sur lui, que j’ai créé à mon image et ressemblance, lorsque j’ai tout fait pour ses besoins et son service? De quelque côté qu’il se tourne, spirituellement ou temporellement, il ne pourra trouver autre chose que l’abîme et le feu de mon éternelle charité, qui agit avec une vraie et parfaite sagesse.

5.- Mais il ne voit pas, parce qu’il s’est privé de la lumière, et qu’il ne veut pas voir. Il se trouble et limite sa charité envers le prochain, parce qu’il s’inquiète avec avarice du lendemain. Ma Vérité le lui a défendu lorsqu’elle a dit : « Ne pensez pas au lendemain, à chaque jour suffit sa peine » (S. Matth. VI, 34). Cette parole condamne votre infidélité, en vous montrant ma providence et la rapidité du temps ; elle vous dit de ne pas penser au lendemain : car pourquoi se tourmenter de ce qu’on n’est pas sûr d’avoir ?

6.- Il faut, avant tout, chercher le royaume de Dieu et sa justice, c’est-à-dire une vie bonne et sainte. Votre Père, (280) qui est dans l’éternité, ne connaît-il pas les petites choses dont vous pouvez manquer? ne les ai-je pas faites pour vous, et n’ai-je pas dit à la terre de vous donner ses fruits? Le malheureux qui par sa défiance rétrécit le cœur et la main qu’il devait ouvrir à son prochain, n’a pas lu cette loi de ma Vérité, puisqu’il n’en Suit pas les traces ; et c’est pour cela qu’il se rend insupportable à lui-même, Tout son mal vient de ce qu’il espère en lui, au lieu d’espérer en moi.

7.- Il se fait juge de la volonté des hommes, sans songer que ce droit m’appartient. Il ne tient aucun compte de ma volonté, et ne trouve bien que ce qui est heureux et agréable selon le monde. Si ce bonheur lui manque, il lui semble ne rien éprouver, ne rien recevoir de ma providence et de ma bonté. Il croit être privé de tout bien, parce qu’il a placé tonte son affection dans les joies du monde et dans son propre plaisir. L’amour de lui-même l’aveugle au point qu’il ignore ce que sont les richesses intérieures et les fruits d’une véritable pénitence. Il aspire ainsi la mort, et goûte dès cette vie les arrhes de l’enfer.

8.- Malgré cela, ma bonté ne cesse de veiller sur lui, car j’ai commandé à la terre de donner ses fruits au juste et au pécheur. Je leur accorde également la pluie et le soleil ( S. Matth., V. 45). Souvent même le pécheur en jouira plus que le juste. Ma bonté agit ainsi pour donner en plus grande abondance les richesses invisibles à l’âme du juste, qui par amour pour moi s’est dépouillé de tous les biens temporels, en renonçant au monde, aux plaisirs et à sa propre volonté. Ceux-là enrichissent leur âme et dilatent leur coeur dans l’abîme de ma charité. Ils perdent tout soin d’eux-mêmes ; ils ne se tourmentent plus des choses du monde ; et renoncent à tout ce qui les regarde ; alors je me charge de leur âme et de leur corps, et j’ai pour eux une providence particulière. L’Esprit Saint devient pour ainsi dire leur serviteur.

9.- N’as-tu pas lu dans la vie des saints Pères l’histoire de ce grand solitaire qui avait renoncé à tout pour l’amour de moi? Lorsqu’il tomba malade, je lui envoyai un ange pour le servir et l’assister dans ses besoins rien ne manquait à son corps, et son âme trouvait une (281) joie ineffable dans la conversation de l’envoyé céleste.

10.- L’Esprit Saint, comme une mère tendre, nourrit ces hommes sur le sein de sa divine charité ; il les rend libres et souverains en les délivrant des chaînes de l’amour-propre. Car, là où se trouve le feu de mon infinie charité, on ne trouve jamais l’eau de l’amour-propre, qui éteint sa douce flamme dans les âmes. Oui, l’Esprit Saint est un bon serviteur, que ma bonté leur a donné ; il revêt l’âme, il l’enivre, l’inonde de douceur et la comble de richesses.

11.- Celui qui a tout abandonné pour moi retrouve tout en moi. Je revêts avec magnificence sa nudité volontaire, et l’humilité qui le fait servir est la cause de sa puissance. Sa vertu l’élève au dessus du monde et des sens, parce qu’il a renoncé à voir par lui-même. Il jouit d’une lumière parfaite, parce qu’il n’espère pas en lui

une ferme espérance, une foi vive l’attachent à moi, et il goûte ainsi la vie éternelle, sans ressentir dans son esprit aucune amertume, aucune douleur. Il juge tout en bien, parce qu’il trouve en tout ma volonté, et qu’il comprend à la lumière de la foi que je cherche en tout sa sanctification. Aussi rien n’altère sa patience.

12.- Oh ! que cette âme est heureuse, puisque dans un corps mortel elle goûte un bien éternel ! Elle reçoit et voit tout avec respect. La main gauche ne lui pèse pas plus que la main droite ; elle aime autant la tribulation que la consolation, la faim et la soif que la nourriture et le rafraîchissement, le froid que la chaleur, la nudité qu’un vêtement, la vie que la mort, la gloire que les affronts. En toutes choses elle est calme et inébranlable, parce qu’elle est affermie sur la pierre vivante, et qu’elle voit à la sainte lumière de la foi et avec une forte espérance que je fais tout par amour, dans l’unique but de votre salut :

13. C’est dans les grandes épreuves que je montre la grandeur de ma puissance. Je ne donne les fardeaux pesants qu’à ceux qui peuvent les porter, en les acceptant par amour pour moi. Le sang de mon Fils vous a prouvé que je ne veux pas la mort du pécheur, mais plutôt qu’il se convertisse et qu’il vive ; n’est pour cela que je lui domine tout ce qu’il reçoit. Ceci est évident pour l’âme qui se dépouille d’elle-même, qui se réjouit de tout ça qu’elle voit en elle ou dans les autres. Comment craindrait-

elle (282) que ces petites choses lui manquent, lorsque dans les grandes et les difficiles, la foi lui montre toujours ma providence? Oh qu’elle est belle la lumière de la très sainte foi, avec laquelle on voit et on comprend ma vérité, la lumière qui vient par les bons soins du Saint Esprit, la, lumière surnaturelle que l’âme acquiert par ma grâce, en usant bien de la lumière naturelle que je lui ai d’abord donnée !

 

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CXLII.- Providence de Dieu dans le sacrement de l’Eucharistie.

 

 

1.- Ne sais-tu pas, ma fille bien-aimée, comment ma providence agit envers mes serviteurs et les âmes qui espèrent en moi? Elle agit de deux manières, pour l’âme. et pour le corps ; et ce que je fais pour le corps est utile à l’âme, afin que la lumière de la foi croisse et augmente en elle, afin qu’elle espère en moi et qu’elle connaisse clairement que je suis le seul qui ai l’être, le pouvoir, la volonté et l’intelligence, pour subvenir à ses besoins et à son salut.

2.- C’est pour la vie de l’âme que j’ai institué les sacrements de la sainte Église, qui sont sa nourriture ; car le pain est mi aliment grossier qui convient au corps ; mais l’âme incorporelle vit de ma parole. Ma Vérité a dit dans l’Evangile : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (S. Matth., IV, 4). C’est-à-dire, en suivant de coeur la doctrine de mon Verbe incarné pour vous. C’est par le Verbe et par la vertu du précieux Sang que les sacrements vous donnent la vie. Ces moyens spirituels sont pour l’âme, quoiqu’ils lui arrivent par l’intermédiaire du corps. Mais l’acte extérieur et corporel ne donne la vie de la grâce qu’autant que l’âme l’accepte par une disposition intérieure, par un saint et ardent désir, dont elle est seule capable. C’est pour cela que je t’ai dit que les sacrements étaient les biens spirituels de l’âme, parce qu’il faut son désir pour les recevoir, quoiqu’ils lui soient administrés par l’intermédiaire du corps.

3.- Quelquefois, pour augmenter cette faim, ce désir (283) de l’âme, je fais en sorte qu’elle souhaite ces biens sans pouvoir les obtenir. Cette privation augmente son ardeur, et, dans son indigence, elle se connaît mieux elle-même. Elle se trouve indigne de ces biens et alors je l’en rends digne en lui prodiguant les trésors de ma bonté dans mon Sacrement. Tu le sais bien toi-même par expérience ; car par mon ordre la grâce du Saint Esprit, qui règle tout, porte le ministre de l’Autel à préparer cette nourriture, et le force intérieurement à en rassasier l’âme. Quelquefois je diffère jusqu’au dernier instant l’accomplissement de son désir, et je le satisfais à l’instant où elle doit perdre toute espérance.

4.- Remarque que je pourrais accorder sur-le-champ ce que je fais tant attendre ; mais j’agis de cette manière pour augmenter la lumière de la foi dans l’âme et l’habituer à ne jamais se lasser d’espérer en moi. Elle devient ainsi fidèle et prudente ; elle ne regarde pas en arrière avec méfiance, et ne laisse pas éteindre l’ardeur de son désir. Souviens-toi que j’ai ainsi éprouvé une âme qui m’aime (Les exemples que Dieu cité sont des faits arrivés à sainte Catherine elle-même.).

5.- Cette âme était venue à l’église avec un grand désir de la sainte Communion. Elle demanda humblement au ministre de l’Autel le corps de l’Homme-Dieu parfait ; elle fut refusée : mais son coeur grandit au milieu de ses pieux gémissements, et le prêtre ressentit dans sa conscience un tel remords, que quand il voulut offrir le Calice, il fut forcé par le Saint Esprit de lui faire dire que, si elle voulait recevoir le corps de Jésus-Christ, il le lui donnerait avec empressement. Ma bonté véulut ainsi rassasier le désir de cette âme ; l’étincelle d’amour et de foi qu’elle ressentit d’abord devint un tel incendie, qu’il lui semblait que la vie allait abandonner son corps. Je n’avais permis ce refus que pour affermir son espérance et détruire en elle tout amour-propre. Je me suis servi de la créature dans cette occasion ; mais dans beaucoup d’autres le Saint Esprit veut bien agir sans intermédiaire. Je t’en donnerai deux exemples qui doivent fortifier ta foi et te faire admirer ma providence. (284)

6.- Tu sais que le jour de la conversion de mon apôtre Paul, il y avait dans une église une âme qui était dévorée du désir de recevoir la sainte Communion. Presque tous les prêtres qui devaient célébrer la messe lui dirent qu’elle ne pourrait pas communier. Je permis ces refus pour lui montrer que si les hommes lai faisaient défaut, elle ne serait pas abandonnée par le Créateur. J’attendis la dernière messe, et j’employai ce doux stratagème pour la mieux enivrer de ma providence. Voici comment je la trompai : elle avait dit à celui qui allait servir la messe qu’elle voulait communier ; mais celui-ci n’avertit pas le prêtre. N’ayant pas reçu de réponse contraire, elle attendait avec ardeur la sainte Communion ; quand la messe fut terminée et qu’elle se vit frustrée de son espérance, elle sentit s’augmenter son désir et sa faim de la nourriture des anges ; mais son humilité profonde lui persuadait qu’elle en était indigne, et elle se reprochait d’avoir osé demander un si grand Sacrement.

7.- Alors moi qui me plais à élever les humbles, je l’attirai vers moi, en lui faisant connaître l’abîme de l’éternelle Trinité. Je montrai à l’oeil de son intelligence la puissance du Père, la sagesse du Fils, la douceur du Saint Esprit, qui ne font qu’un par essence. Et cette âme tut ravie à un tel degré d’union, que son corps était élevé de terre ; car, comme je te l’ai dit, dans cette union, l’âme est plus unie à moi par l’amour qu’elle ne l’est, naturellement au corps. Alors, pour satisfaire enfin son désir, je lui donnai moi-même la sainte Communion ; et comme preuve de cette grâce, pendant plusieurs jours elle ressentit d’une manière ineffable le goût et l’odeur du corps et du sang de mon Fils unique, Jésus crucifié. Elle fut toute renouvelée et fortifiée par la lumière de ma providence, qu’elle avait, dans cette occasion, si délicieusement éprouvée. Le monde ignora cette grâce ; mais elle la comprit d’une manière claire et sensible.

8.- Le second fait que je veux te citer eut pour témoin le prêtre qui célébrait à l’Autel. Cette âme avait ardemment désiré entendre la messe et y communier ; mais la maladie la retarda, et elle ne put arriver qu’au moment de la Consécration. La messe se disait près du grand autel, au chevet de l’église ; elle se mit en prière à l’autre (285) extrémité, parce qu’on le lui avait ordonné ; et elle disait au milieu de ses larmes et de ses pieux gémissements : Ame infortunée, ne vois-tu pas la grâce que Dieu a bien voulu te faire, en te permettant d’entrer dans son église sainte, et d’apercevoir le ministre qui consacre à l’Autel? Ne mériterais-tu .pas plutôt par tes fautes d’être en enfer? Mais en s’abaissant ainsi dans les profondeurs de son humilité, son désir au lieu de diminuer, augmentait toujours, parce qu’elle croyait fermement à ma bonté, et qu’elle espérait de l’Esprit Saint la consolation qu’elle attendait.

9.- Je la lui accordai d’une manière qu’elle ne pouvait prévoir et demander ; car, au moment où, selon les rites de l’Église, le prêtre divise l’Hostie, une fraction de cette hostie s’éloigna de l’autel par un acte de ma puissance, et alla à l’autre extrémité de l’Église vers la personne qui priait et qui put ainsi communier. Elle pensa d’abord que j’avais satisfait l’ardeur de son désir d’une manière invisible, comme je l’avais déjà fait plusieurs fois ; mais le prêtre savait le contraire, car il fut profondément affligé de ne pas trouver cette fraction de l’Hostie, jusqu’à ce que le Saint Esprit lui eût révélé ce qu’elle était devenue ; son inquiétude ne fut calmée que par l’assurance de la personne qui l’avait reçue.

10.- Ne pouvais-je pas facilement détruire l’obstacle de la maladie et permettre à cette personne d’arriver à temps pour entendre la messe et communier comme à. l’ordinaire? Je le pouvais certainement ; mais je voulus prouver par expérience à cette âme qu’avec ou sans l’intermédiaire des créatures, en quelque lieu et de quelque manière qu’il me plaise, je puis, je veux et je sais satisfaire admirablement, et plus qu’elle ne saurait l’imaginer, les saintes ardeurs de son désir. Que ce que je viens de dire sur ce sujet, ma fille bien-aimée, te suffise pour te faire connaître ma providence. Je vais maintenant t’expliquer les moyens que j’emploie au dedans de l’âme sans l’intermédiaire du corps ou des agents extérieurs. Je t’en ai déjà dit quelque chose eu t’entretenant des états de l’âme.

 

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CXLIII.- Providence de Dieu à l’égard de ceux qui sont en péché mortel.

 

 

1.- L’âme est en état de péché mortel ou en état de grâce ; et en état de grâce, elle est parfaite ou imparfaite. Dans tous ces états, ma providence agit avec sagesse et diversement, selon ce que je vois être le plus utile. Quant aux hommes du monde qui dorment dans l’obscurité du péché mortel, je réveille leur conscience par la douleur de l’aiguillon qu’ils ressentent au fond de leur coeur, et par des moyens si variés que la parole humaine ne saurait les dire ; les remords et les peines intérieures qu ils éprouvent les éloignent bien souvent du maI.

2.- Quelquefois aussi je cueille les roses sur les épines. Lorsque je vois l’homme qui penche vers le péché mortel et vers l’amour désordonné de la créature, ma bonté lui ôte l’occasion et le temps de céder à sa volonté mauvaise ; et alors la tristesse qu’il en éprouve trouble son âme, réveille le cri de sa conscience et le guérit de la folie où il était tombé ; car ne peut-on pas appeler une folie cette affection pour une chose dont on reconnaît ensuite le néant? La créature qu’il aimait d’un amour corrompu est bien quelque chose ; mais l’usage qu’il voulait en faire n’était rien, parce que le péché n’est que la privation de la grâce, comme l’aveuglement est la privation de la vue.

3.- Ainsi, de la faute même qu’on peut bien appeler une épine, puisqu’elle déchire cruellement, je tire une rose en y trouvant un moyen de salut. Qui me fait agir de la sorte? Ce n’est pas le pécheur, qui ne me cherche pas et qui me demande le secours de ma providence que pour pécher, ou jouir des richesses, des plaisirs et des honneurs du monde ; c’est mon amour, ma tendresse paternelle qui me poussent ; car je vous ai aimés avant votre naissance, et je, désire être aimé de vous.

4.- Je suis aussi excité et forcé par les prières de mes serviteurs et de mes amis, qui, par la grâce du Saint Esprit, pour ma gloire et pour le salut du prochain, demandent (287) avec ardeur leur conversion, s’efforçant d’apaiser ma colère et de lier les mains de ma justice sous les coups de laquelle le pécheur devrait tomber. Leurs larmes et leurs humbles supplications me retiennent et me font pour ainsi dire violence Qui les pousse à crier ainsi vers moi? C’est ma providence, qui veille aux besoins de ceux que tue te péché ; car il est écrit : « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ézéchiel XXXIII, 11).

5.- O ma fille bien-aimée, passionne-toi pour ma providence ; ouvre les yeux de ton esprit et de ton corps, tu verras les hommes coupables auxquels la lèpre du péché communique la corruption de la mort. Ils sont plongés dans les ténèbres, parce qu’ils sont privés de la lumière de la grâce ; ils marchent en chantant et en riant ; ils perdent le temps que ma bonté leur accorde, dans la vanité, les plaisirs et les honteuses jouissances ; ils se gorgent de vin et d’aliments avec une telle avidité, qu’ils semblent avoir fait un dieu de leur ventre. Ils vivent dans ces haines, ces vengeances, cet orgueil et ces vices que je t’ai déjà fait connaître ; ils ignorent leur état et courent vers la mort éternelle qui les attend s’ils ne se convertissent ; les infortunés se réjouissent au milieu d’un si grand péril!

6.- Ne devrait-on pas croire bien insensés des condamnés à mort qui iraient au supplice en chantant, en dansant et en donnant les signes d’une folle joie? Ne sont-ils pas aussi insensés, ces malheureux, et ne le sont-ils même pas davantage, puisque la mort de l’âme est bien plus à craindre que la mort du corps? Ils perdent la vie de la grâce et courent à une peine infinie, s’ils meurent dans cet, état ; tandis que les autres ne perdent que la vie du corps et n’endurent qu’une peine finie et passagère. Et cependant ils chantent, dans leur délire, comme des insensés et des fous.

7.- Mes serviteurs, au contraire, sont dans les gémissements et la douleur ; ils persévèrent dans les veilles, dans la prière, dans les larmes et les jeûnes, afin d’obtenir leur salut. Les hommes les tournent en dérision, mais leurs insultes retombent sur leur tête ; la punition suit nécessairement la faute, tandis que toutes les peines que les justes souffrent pour mon amour auront leurs joies et leur récompenses (288). Ne suis-je pas un Dieu juste, qui rendra à chacun selon ses oeuvres.

8. Mes vrais serviteurs, malgré ces injures, cette ingratitude et ces persécutions, ne cessent pas de prier ; ils crient, au contraire, vers moi, avec plus de force, et redoublent de charité. Qui les pousse à frapper avec tant d’ardeur à la porte de la miséricorde ? C’est mon ineffable providence, parce qu’ainsi je procure le salut de ces malheureux, et j’augmente en même temps la vertu et les fruits de la charité dans le coeur de mes amis. Je multiplie ainsi et je varie sans cesse les moyens que ma providence emploie pour retirer les âmes des ténèbres du péché mortel. Maintenant je te dirai ce que fait ma providence pour ceux qui se sont retirés du mal, mais qui sont encore imparfaits ; sans cependant répéter ce que j’ai dit des états de l’âme, je t’expliquerai ce sujet rapidement.

 

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CXLIV.- Providence de Dieu envers les imparfaits pour les conduire à la perfection.

 

 

1.- Sais-tu, ma fille bien-aimée, quelle conduite je tiens à l’égard des imparfaits pour les mener à la perfection et les faire avancer dans la vertu? Quelquefois je les éprouve par la confusion de leurs pensées ou par la stérilité de leur esprit. Il semble à l’âme que je l’ai abandonnée et qu’il n’y a plus en elle aucune affection ; elle ne peut se reposer dans le monde, parce qu’elle ne lui appartient pas, et il lui paraît qu’elle m’est étrangère, parce qu’elle n’éprouve aucun bon sentiment ; sa volonté seulement l’empêche de m’offenser. Et comme dans l’homme la volonté est la porte principale qui garde l’âme, je lui ai fait présent d’une liberté forte et indépendante. Je ne laisse jamais les démons et les autres ennemis de l’homme ouvrir et forcer cette porte, à moins que le libre-arbitre n’y consente ; mais je leur permets souvent d’attaquer et de briser les autres portes de l’âme.

2.- La cité de l’âme a plusieurs portes ; elle en a trois principales : la première est la volonté, qui est inexpugnable et garde toutes les autres ; la force, que je lui ai donnée, est le libre arbitre, qui peut ouvrir et fermer à qui lui (289) plaît et quand il veut. Les autres portes sont la mémoire et l’entendement ; si la volonté cède et ouvre, aussitôt entre l’ennemi, qui est l’amour-propre, avec les autres ennemis qui l’accompagnent. L’entendement reçoit les ténèbres qui combattent la véritable lumière ; la mémoire retient la haine, qui naît du souvenir de l’injure et qui détruit la charité du prochain. Elle se rappelle les plaisirs et les jouissances de la vie du monde, aussi variés que les péchés opposés aux vertus.

3.- Dès que ces trois portes omit cédé, toutes les petites portes des sens sont ouvertes ; les sens extérieurs sont des instruments, des organes qui correspondent à l’âme. Ces portes prises correspondent à ces organes ; et alors l’harmonie est détruite, le mal souille tous les rapports et tous les actes qui en viennent. L’oeil dorme et propage la mort, parce qu’il considère une chose morte avec un regard coupable et dissolu ; et ce regard entraîne là légèreté, la vanité du coeur et un extérieur déshonnête, qui lui cause la mort et la donné aux autres. Malheureux, tu profanes ce que je t’ai donné dans ma bonté ; tu devais regarder le ciel et tout ce qui est beau dans mes créatures, pour me glorifier et admirer les mystères de ma providence ; et, en n’y voyant que matière et corruption, tu n’arrives qu’à la mort.

4.- L’oreille aussi se délecte de choses déshonnêtes et de propos sur le prochain, qu’elle juge sans examen comme sans justice, et je l’ai donnée à l’homme pour qu’il écoute ma parole et serve son semblable. Je lui ai donné la langue pour confesser ses fautes, annoncer ma vérité et travailler au salut des âmes ; il en abuse pour blasphémer son Créateur et perdre son prochain, qu’il déchire par ses mensonges. Il blâme le bien et loue le mal qu’il voit faire ; il rend de faux témoignages, il corrompt son âme et celle des autres par des paroles lascives. Ses lèvres profèrent des injures, qui blessent le coeur comme un glaive aigu, et qui provoquent la haine et la colère. Oh! combien la langue produit d’homicides, d’impuretés, de colères, de querelles, de haines, de maux de toute espèce!

5.- L’odorat commet l’offense en abusant du plaisir qu’il trouve dans ses sensations ; le goût, avec son avidité insatiable et ses appétits désordonnés, demande (290) sans cessé des mets, et ne semble occupé qu’à remplir le corps ; et cette âme malheureuse ne s’aperçoit pas que ces excès allument dans sa chair fragile une chaleur pernicieuse qui engendre presque toujours la corruption.

6.- Les mains se perdent aussi en ravissant le bien d’autrui et en faisant des actes honteux et déshonnêtes, tandis qu’elles sont données à l’homme pour servir son semblable, surtout quand il est malade, et pour lui distribuer l’aumône dont il a besoin. Les pieds lui sont accordés seulement pour aller où l’appelle son utilité, celle du prochain et la gloire de mon nom ; il s’en sert souvent pour aller à des rendez-vous coupables, pour courir aux conversations légères et défendues, qui corrompent son âme et celles des autres au gré de ses mauvais désirs.

7.- Je te dis tout cela, ma fille bien-aimée, pour que tu redoubles tes pieux gémissements à la vue de cette noble cité de l’âme si cruellement désolée. Tu vois bien que toutes ces iniquités entrent par la porte principale de la volonté, que nul ennemi de l’homme ne peut ouvrir par la violence. Mais je permets que les portes soient attaquées et forcées par l’ennemi ; quelquefois je permets que d’épais nuages tourmentent et obscurcissent l’entendement ; quelquefois c’est la mémoire qui ne peut plus se souvenir de moi. D’autres fois il semble qu’il y a des révoltes dans les sens de votre corps, même en voyant, en touchant, en entendant et en sentant les choses saintes ; quand vous vous en approchez, on dirait que tout apporte à vos sens un trouble honteux et corrupteur. Mais ces choses ne donnent pas la mort à l’homme ; je l’en préserve, à moins qu’il n’ouvre follement la porte de sa volonté.

8.- Je permets que les ennemis frappent au dehors, mais non pas qu’ils entrent malgré lui ; ils ne le peuvent que si le libre arbitre devient leur complice. Pourquoi permettre que cette âme soit tourmentée par tant d’ennemis qui l’assiègent? Ce n’est pas pour qu’elle succombe et qu’elle perde les richesses de la grâce ; c’est pour qu’elle comprenne ma providence, qu’elle espère en moi, et non pas en elle-même ; c’est pour qu’elle se réveille (291) de sa négligence, et que, pleine d’une sainte inquiétude, elle se réfugie vers moi qui suis son protecteur, son tendre père ; vers moi qui veux la sauver en lui faisant reconnaître humblement qu’elle n’est rien par elle-même, et qu’elle reçoit son être et ses grâces de moi qui suis sa vie.

9.- Dès que l’âme reconnaît cette vérité et se fie en ma providence, elle éprouve mon secours dans tous ses combats ; car chaque jour je permets qu’elle soit tourmentée de la manière qui convient le plus à son salut, Il lui semble quelquefois qu’elle est en enfer, et bientôt, sans aucun effort de sa part, elle se trouve délivrée de toute angoisse, et elle savoure dans une paix profonde comme un avant-goût du ciel. Tout en elle est calme et bien ordonné ; tout la porte à Dieu, et son coeur s’enflamme d’amour en contemplant les mystères de ma providence. Elle se sent délivrée des tempêtes de cette mer profonde, non par elle-même, puisqu’elle a vu tout-à-coup la lumière, mais par mon ineffable bonté, qui a pourvu à ses besoins au moment même où elle paraissait succomber.

10.  Pourquoi, lorsqu’elle m’adressait des prières humbles et ferventes, ne l’ai-je pas exaucée, en dissipant ses ténèbres et en lui rendant la lumière? C’est parce qu’elle était encore imparfaite, et qu’il ne fallait pas qu’elle s’attribuât ce qui ne venait certainement pas d’elle. Ainsi, tu vois comment l’imparfait, en s’exerçant aux combats, marche vers la perfection, parce que ces combats lui l’ont éprouver ma providence, ‘et voir par l’expérience ce qu’il croyait auparavant par la foi, Cette certitude qu’il acquiert lui inspire une charité plus parfaite, parce qu’il connaît davantage ma bonté dans ma providence, et qu’il abandonne l’imperfection de son amour.

11.- J’use aussi d’une sainte fraude pour retirer l’homme de son imperfection : je lui donne quelquefois une affection spirituelle et particulière pour une créature, afin que par ce moyen il s’exerce dans la vertu et se corrige de ses défauts. Son coeur se dépouille de l’amour sensible qu’il portait aux autres créatures, à ses parents, à ses frères, à ses soeurs, et il ne les aime que dans le Seigneur, sans aucun mouvement charnel. Cette affection pure, que je lui ai donnée, détruit l’affection déréglée qu’il avait pour les autres créatures, et le fait sortir de son imperfection.

12.- Mais, remarque-le bien, cet amour spirituel ne doit avoir d’autre résultat que d’éprouver si l’amour de l’âme pour moi et pour cette créature est parfait. C’est un moyen que je lui ai donné de le reconnaître. L’âme reconnaîtra que son amour est imparfait, si elle voit qu’elle s’aime elle-même et qu’elle n’aime pas uniquement ce qui lui vient de moi.

13.- L’âme qui est encore imparfaite m’aime d’un amour imparfait, et, par conséquent, elle aime aussi d’un amour imparfait son prochain, parce que la charité parfaite envers le prochain ne peut avoir d’autre source que la charité parfaite envers moi ; c’est avec la même mesure qu’on m’aime et qu’on aime le prochain.

14.- Comment cette âme sera-t-elle éclairée par le moyen de la créature? De beaucoup de manières, comme je te l’ai déjà montré. Voici une autre manière que je vais t’expliquer. Quelquefois cette créature qui est l’objet de son affection particulière, la prive de sa présence, et lui retire la douceur de ses entretiens, où elle goûtait tant de consolations ; ou bien il semble que cette personne aimée lui en préfère une autre : et alors la peine qu’elle en ressent la porte à se connaître elle-même. Si elle veut marcher avec prudence et dans la lumière, elle devra aimer cette créature d’un amour plus parfait, parce que la connaissance de soi-même et la haine de son sens propre combattent l’imperfection et font tendre à la vertu. Celui qui est plus parfait aime plus parfaitement toutes les créatures, en général et en particulier. Ma bonté a Voulu que l’homme fût ainsi fortifié par la haine de lui-nième et par J’amour des vertus pendant la vie de son pèlerinage.

15.- L’âme, au milieu de cette épreuve, ne doit pas abandonner ses pieux exercices, et se laisser aller par ignorance à la tristesse du coeur et à un ennui qui bouleverse l’esprit ; ce serait s’exposer û un grand danger et trouver la mort où j’ai placé la vie. Pour éviter ce malheur, l’âme se reconnaîtra humblement indigne de la consolation qu’elle désirait. Elle verra à la lumière de la foi que la vertu qui lui faisait surtout aimer cette créature n’est pas diminuée, et elle s’efforcera d’augmenter (293) dans son coeur une sainte faim et un grand désir de souffrir toutes sortes de peines pour l’honneur et la gloire de mon nom.

16.- Elle accomplira ainsi ma volonté, en acquérant le fruit de perfection que ma grâce a fait mûrir par ces combats et par l’intermédiaire de la créature. Tout ce qui lui arrivé est disposé pour la conduire à ma lumière. Tels sont les moyens que ma providence emploie à l’égard des imparfaits. Elle en a bien d’autres, car ses ressources sont infinies.

 

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CXLV.- Providence de Dieu envers ceux qui ont la charité parfaite.

 

1.- Tu sauras que ma providence veille aussi sur les parfaits, afin d’éprouver et d’augmenter e-n eux leur perfection ; car, dans cette vie présente, personne n’est si parfait qu’il ne puisse l’être davantage. Voici un des moyens que j’emploie envers eux. Ma Vérité a dit dans l’Évangile : « Je suis la Vigne véritable, et mon Père est le vigneron »(S. Jean, XV, 1). Vous, vous êtes les rameaux. Celui qui reste en celui qui est la Vigne véritable, parce que c’est moi le Père qui l’ai engendré, celui-là porte beaucoup de fruit en suivant ses traces et sa doctrine ; et afin que le fruit augmente tous les jours, je vous émonde par les tribulations, les injures, les moqueries, les humiliations, les contradictions de faits et de paroles, par la faim et la soif, selon qu’il plait à ma bonté, et dans la mesure qui convient à chacun.

2.- La tribulation est le signe qui prouve que la charité est parfaite dans une âme qui sait souffrir avec une douce patience. Les tribulations et les injures que je permets exercent la patience de mes serviteurs. Le feu d’une tendre charité augmente dans leur âme par la compassion qu’ils ressentent pour ceux qui les insultent ; car ils souffrent plus du tort que les autres se font et de l’offense qu’ils commettent envers moi, que de l’injure qu’ils reçoivent. C’est ainsi qu’agissent ceux qui sont arrivés à une grande perfection. Leur vertu se nourrit de tout ce que je permets comme de tout ce que je leur accorde ; je leur donne une faim du salut des âmes qui les fait frapper jour et nuit à (294) la porte de ma miséricorde, tellement qu’ils s’oublient eux-mêmes, comme je te l’ai dit en te parlant de l’état des parfaits.

3.- Plus ils s’abandonnent ainsi, plus ils se retrouvent avec avantage en moi. Où me cherchent-ils? Dans la vérité, en suivant avec perfection la voie que leur a tracée mon Verbe incarné. Ils ont lu son Livre doux et glorieux ; ils y ont vu qu’en voulant m’obéir, pour montrer combien il aimait mon honneur et combien il désirait le salut du genre humain, mon Fils a couru, au milieu des peines et des opprobres, à la table de la très sainte Croix, où il a pris la nourriture amère du genre humain, Il m’a montré, par les douleurs de son humanité, à quel point il chérissait ma gloire.

4.- Ainsi font mes enfants bien-aimés qui sont parvenus à la perfection ; ils montrent la vérité de leur amour en persévérant humblement dans les veilles et la prière ; ils s’appliquent à imiter les salutaires exemples de mon Verbe incarné, en souffrant avec joie pour le salut du prochain. Ils n’ont pu trouver un meilleur moyen de me prouver qu’ils m’aiment, et, s’ils en avaient trouvé un autre, il eût toujours eu pour instrument la créature raisonnable ; car je te l’ai dit, toute bonne oeuvre s’accomplit par l’intermédiaire du prochain.

5.- Nul bien ne peut se faire sans la charité de Dieu et du prochain ; sans elle les bonnes actions mêmes ne sont pas méritoires, et on ne commet le mal qu’en manquant de cette charité. C’est par les créatures que l’âme montre sa perfection et l’amour qu’elle a pour moi, en travaillant chaque jour, avec ardeur et patience, au salut du prochain. J’éprouve mes serviteurs par la tribulation pendant cette vie, afin qu’ils portent des fruits plus abondants et plus délicieux devant moi, et je me réjouis des parfums de leur patience et de leur vertu.

6.- Oh! combien ces fruits sont agréables et doux! quelle consolation et quel avantage en retire l’âme qui souffre sans m’offenser! Si on le savait, si on le comprenait, avec quelle joie et quelle ardeur on demanderait des épreuves à souffrir! C’est pour lui procurer ce trésor si peu connu que ma providence paternelle afflige l’âme par tant de tribulations qui empêchent sa patience de se (295) rouiller et de rester oisive. Quand vient le temps de l’épreuve, elle est toujours prête, tandis que, si elle se repose, sa patience contracte souvent une rouille qui la ronge.

7.- J’use aussi quelquefois avec les parfaits d’un utile et doux stratagème, afin de les conserver dans la vertu ils l’humilité : j’endors tellement leur sensibilité, qu’ils ne sentent aucun combat dans leur volonté et dans leurs sens, comme des personnes endormies ; je ne dis pas comme des personnes mortes, parce que dans une âme parfaite la sensualité sommeille, mais n’est pas morte. Dès que la piété se ralentit et que le feu des saints désirs s’éteint, la sensualité s’y réveille avec violence et y soulève de plus grandes tempêtes. Que personne ne se rassure, quelque parfait qu’il soit : il faut toujours se maintenir dans une sainte crainte : car ceux qui se confient en eux-mêmes tombent misérablement.

8.- Je dis que leurs sens paraissent dormir, parce qu’ayant à supporter beaucoup de peines et de travaux, ils ne semblent pas en souffrir ; mais tout à coup, s’il leur arrive une chose légère qui n’est rien et dont ils riront ensuite, ils en ressentent une douleur profonde ; l’âme en sera surprise et consternée. Ma divine providence le permet ainsi pour faire avancer l’âme dans la vertu par la voie de l’humilité. Car l’âme avertie se met en garde contre elle-même ; elle se reproche avec une sainte haine cette sensibilité ; elle la châtie avec une rigueur salutaire, et cette rigueur l’endort bientôt plus parfaitement.

9.- Quelquefois je protège mes amis et mes plus fidèles serviteurs en leur laissant cet aiguillon que ressentait le glorieux apôtre Paul. Après avoir donné à ce vase d’élection la doctrine de ma Vérité dans l’abîme de l’éternelle Trinité, je lui laissai l’aiguillon de la chair. Certainement, je puis pour mes amis, comme je le pouvais pour Paul éteindre ces mouvements que je leur laisse ; mais ma providence les leur conserve pour augmenter leur vertu, pour enrichir leur couronne et les conserver dans une véritable connaissance d’eux-mêmes. Ils y trouvent une humilité précieuse, et y puisent une tendresse plus grande pour le prochain. Ils deviennent plus doux, et compatissent avec plus de zèle aux tentations et aux souffrances des autres, parce qu’ils les éprouvent eux-mêmes. Leur charité (296) s’augmente, et ils courent vers moi tout parfumés d’humilité, tout embrasés de mon amour. C’est par ces moyens et par bien d’autres que je les conduis à l’union parfaite.

10.- Ils arrivent à une telle union et à une telle connaissance de ma bonté, que dès ici-bas ils goûtent les biens du ciel, et ne sentent plus les chaînes de leur corps. A mesure qu’ils me connaissent, ils m’aiment davantage, et celui qui aime beaucoup souffre nécessairement beaucoup, là où croit l’amour, augmente aussi la douleur. Mais quelle douleur peut tourmenter l’âme des parfaits?

Ce ne sont pas les injures qu’on leur adresse, les souffrances de leur corps, les persécutions de leurs ennemis et les tribulations qu’ils peuvent rencontrer ; ils ne souffrent et ne s’affligent que des offenses qui me sont faites parce qu’ils savent et voient clairement combien je suis digne d’être aimé et d’être servi.

11.- Ils pleurent la perte de ces âmes qui marchent dans les ténèbres de la vie présente et qui sont plongées dans un si grand aveuglement. L’amour qui les unit à moi leur fait comprendre combien j’aime ma créature ; et comme ils voient en elle mon image, ils se passionnent pour elle par amour pour moi. De là vient l’immense douleur qu’ils ressentent en la voyant s’éloigner de ma bonté cette peine est si grande, que toutes les autres peines qu’ils éprouvent ne semblent plus rien. Ils n’en tiennent aucun compte et ne. paraissent pas les sentir.

12.- Ma bonté assiste encore mes serviteurs par la connaissance que je leur donne de moi-même. Ils voient en moi, avec une grande amertume, les chagrins et les misères de la vie présente, la damnation des âmes en général et en particulier. J’augmente ainsi leur amour et leur peine, afin que, pressés par le feu des saints désirs, ils crient vers moi avec la ferme espérance et la sainte lumière de la foi pour obtenir le secours nécessaire à tant d’infortunés. Ma divine providence secourt le monde, parce que je me laisse faire violence par les doux et laborieux désirs de mes amis, et ils en profitent eux-mêmes, parce qu’ils arrivent ainsi à une connaissance plus profonde et à une union plus parfaite avec moi.

13.- Tu vois donc que j’assiste les parfaits par un grand nombre de moyens et qu’ils peuvent pendant cette (297) vie augmenter le degré de leur perfection et de leur mérite. C’est pour cela que je les purifie de toute affection propre et déréglée, dans l’ordre spirituel ou temporel. Je les éprouve chaque jour par un grand nombre de tribulations, afin qu’ils portent, en ma présence, des fruits plus abondants et plus parfaits. En voyant les offenses que je reçois, et combien d’âmes sont privées de ma grâce, ils ressentent une peine profonde, qui détruit en eux tout amour nuisible et leur fait supporter et mépriser tous les maux qu’ils rencontrent. Ils estiment autant les épreuves que les consolations, parce qu’ils ne recherchent jamais leur propre satisfaction et qu’ils ne m’aiment pas d’un amour mercenaire pour le bonheur qu’ils y goûtent, mais seulement pour l’honneur et la gloire de mon nom.

14.- Ainsi, ma fille bien-aimée, tu peux voir clairement que les hommes, dans toutes les positions, de toute manière et en tout lieu, ressentent les bienfaits de ma tendre et paternelle sollicitude. Les hommes qui sont dans les ténèbres les méconnaissent, parce que la lumière n’est pas comprise par les ténèbres ; mais ceux qui ont la lumière les comprennent plus ou moins, selon le degré de leur perfection. La lumière s’acquiert par la connaissance véritable que l’âme a d’elle-même, et de cette connaissance vient la sainte haine des ténèbres.

 

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CXLVI.- Résumé de ce qui précède.- Explication des paroles de Jésus-Christ à saint Pierre : « Jetez vos filets à droite ». (Saint Jean, XXI, 6.)

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, ce que je t’ai dit de ma providence générale et particulière envers mes créatures, est à la réalité ce qu’est la vapeur d’une goutte d’eau comparée à l’immensité de l’Océan. Je t’ai aussi montré, en te parlant du sacrement Eucharistique, tous les moyens que je prends pour augmenter la sainte faim de l’âme. J’agis d’abord à l’intérieur en lui donnant la grâce par l’intermédiaire de l’Esprit Saint, qui assiste fidèlement l’homme coupable pour le ramener au bien, l’homme imparfait pour le conduire à la perfection, et l’homme parfait pour le rendre plus parfait encore ; car pendant (298) cette vie, vous pouvez vous perfectionner chaque jour. Les parfaits doivent devenir des médiateurs entre moi et les hommes tombés dans l’abîme du péché ; car, je te l’ai déjà dit, c’est à la médiation de mes amis que j’accorderai miséricorde au monde, et c’est à cause de leurs souffrances que je réformerai l’Eglise.

2.- On peut bien les appeler d’autres Jésus-Christs crucifiés, puisqu’ils en accomplissent l’oeuvre. Mon Fils unique est venu comme médiateur pour guérir l’homme de sa misère et le réconcilier avec moi, en souffrant avec patience jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix. Ainsi font ceux qui sont crucifiés par leurs saints désirs : ils deviennent des médiateurs par leurs humbles prières, leurs exhortations pressantes et leur vie sainte qui les rend des modèles pour tous. Ils brillent comme des pierres précieuses de vertu, en supportant avec une patience véritable les défauts des autres.

3.- Ils ont des moyens de prendre les âmes et ils jettent le filet à droite et non à gauche, comme le dit la Vérité, dans l’Évangile, à Pierre et aux autres disciples après la Résurrection. La gauche est l’amour-propre qui est vaincu et mort en eux ; la droite est l’amour divin pur et véritable avec lequel ils jettent le filet d’un saint désir, en moi, qui suis une mer tranquille. Si tu réunis la pêche qui précéda la Résurrection et celle qui la suivIt, tu verras qu’en tirant à eux les filets, c’est-à-dire se renfermant dans une humble connaissance d’eux-mêmes et de leur nullité, ils trouvent et prennent une telle abondance de poissons, c’est-à-dire d’âmes, qu’ils sont obligés d’appeler des compagnons pour tirer les filets, parce qu’ils ne peuvent y suffire. Pour saisir et jeter leurs filets, ils doivent s’entretenir dans une humilité sincère en appelant le prochain à cette pèche des âmes par le mouvement d’une charité véritable.

4.- Tu dois le voir et l’éprouver en toi-même et dans mes autres amis la charge des âmes qu’ils prennent dans les filets d’un saint désir leur paraît si considérable, qu’ils appellent avec ardeur, afin de n’être pas seuls. Ils voudraient que tout le monde vînt les aider, parce que leur humilité les persuade de leur insuffisance. Ils réclament donc l’humilité et la charité du prochain pour les (299) aider à tirer ces poissons, et ils en trouvent dans leurs filets une grande abondance, quoique beaucoup leur échappent par leurs fautes, et ne veulent pas rester dans cette salutaire captivité.

5.- Les filets du saint désir pourraient assurément prendre tous les poissons, parce que l’âme affamée de non honneur ne se contente pas d’une petite part, mais voudrait tout avoir. Elle désire les bons, parce qu’ils lui aideraient à la pêche, en conservant et augmentant leur perfection ; elle désire avec amour les imparfaits, pour qu’ils deviennent parfaits, et les mauvais pour qu’il deviennent bons. Elle désire les infidèles qui sont dans les ténèbres de l’erreur, pour qu’ils parviennent à la sainte lumière du baptême ; elle désire tous les hommes, quels que soient leur âge et leur condition, parce qu’elle les voit en moi, créés par ma bonté et rachetés par le feu de l’amour et le sang précieux de Jésus-Christ mon Fils.

6.- Elle les comprend tous dans son saint désir ; mais beaucoup échappent à ses filets, en s’éloignant de la grâce ou en persévérant dans le péché mortel. Ils sont ce-, pendant toujours poursuivis par le désir et la prière continuelle de l’âme ; car l’homme a beau par le péché s’éloigner de moi et de l’amour, du respect qu’il doit avoir pour mes serviteurs, l’ardeur de la charité et de la soif de salut des âmes ne se ralentit pas en eux, et il jettent toujours leurs filets à droite.

7.- O ma fille bien-aimée ! tu vois dans l’Evangile ce que fit Pierre, mon apôtre, lorsque ma Vérité lui ordonna de jeter les filets à la mer ; il répondit : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit et nous n’avons rien pris ; mais sur votre parole je jetterai le filet. Il le fit, et il prit une si grande quantité de poissons, qu’il ne le pouvait tirer tout seul, et qu’il appela ses compagnons pour lui aider. » (S. Luc, V. 5-7).

8.- Si tu médites ce passage, tu verras une figure sous la réalité, et cette figure te conviendra ; car tous les actes et les mystères accomplis par ma Vérité dans ce monde avec ou sans les disciples, étaient des figures pour instruire et sauver les âmes. Vous pouvez toujours y voir une règle et une doctrine en les étudiant à la lumière de la raison : les personnes ignorantes et grossières comme (300)

les intelligences supérieures pourront y puiser des exemples, et tous, pourvu qu’ils le veuillent, y trouveront leur salut et leur consolation.

9.- Je t’ai dit que Pierre, sur l’ordre de Jésus-Christ, jeta les filets dans la mer : il fut donc obéissant. Il crut fermement qu’il prendrait du poisson, et il en prit en effet une grande quantité ; mais ce ne fut pas pendant la nuit. Quelle est cette nuit? C’est la nuit obscure du péché mortel, où l’âme est privée de la lumière de la grâce. Pendant cette nuit on ne prend rien de bon, parce que le désir jette le filet, non pas dans une mer vive, mais dans, une mer morte, où il trouve le péché qui n’est que néant et les plus grandes fatigues ne sont d’aucune utilité.

10.- Ceux qui travaillent ainsi sont les martyrs du démon, au lieu d’être ceux de Jésus crucifié. Mais lorsque brille le jour où l’âme s’éloigne du mal et revient à la grâce, alors apparaissent à l’esprit les préceptes salutaires que je lui ai donnés ; et l’homme jette ses filets selon la parole de ma Vérité incarnée en m’aimant par dessus toutes choses et en aimant le prochain comme lui-même. Il obéit avec la  lumière de. la foi et avec une ferme espérance, en suivant la doctrine et les traces de mon doux Verbe et de ses disciples. Je t’ai dit ceux qu’il prend et ceux qu’il appelle.

 

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CXLVII.- De ceux qui jettent plus parfaitement que les autres les filets dans la mer.

 

1.- Ainsi tu vois à la lumière de ton intelligence avec quelle providence ma Vérité incarnée, pendant tout le temps qu’elle a conversé avec les hommes, accomplissait ses actes et ses mystères. Tu dois comprendre ce qu’il faut faire et ce que fait une âme qui est arrivée à la perfection. Mais remarque que les uns agissent plus parfaitement que les autres, selon qu’ils obéissent à mon Verbe avec un coeur plus ardent, avec une lumière plus parfaite, et avec une espérance qu’ils ne placent pas en eux, mais uniquement en leur Créateur.

2.- Celui qui obéit aux préceptes et aux conseils mentalement et réellement, jette plus parfaitement ses filets que celui qui observe les préceptes réellement, et les (301) conseils mentalement car celui qui n’observe pas les conseils mentalement ne peut observer les préceptes réellement, parce qu’il sont liés ensemble, comme je l’ai expliqué. Celui qui jette les filets parfaitement prend aussi parfaitement les âmes : les parfaits dont je t’ai parlé en prennent abondamment et avec une grande perfection.

3.- Leurs moyens deviennent excellents, par cette bonne garde et cette vigilance que le libre arbitre établit à la porte de la volonté. Tous leurs sens rendent un accord doux et harmonieux, qui s’échappe de la cité de l’âme, dont toutes les portes sont à la fois ouvertes et fermées. La porte de la volonté est fermée à l’amour-propre, mais ouverte au désir de ma gloire et à l’amour du prochain. L’intelligence est fermée aux vanités, aux délices et aux misères du monde qui sont comme une nuit profonde pour celui qui les aime et en use contre l’ordre ; mais elle est ouverte à la lumière qui brille dans ma Vérité incarnée. La mémoire est fermée à tout souvenir du monde ou d’elle-même, pour tout ce qui regarde la vie matérielle ; mais elle se rappelle avec amour et reconnaissance les bienfaits dont je la comble tous les jours.

4.- Alors cette âme chante un cantique délicieux, en s’accompagnant sur un instrument dont la prudence a si bien disposé les cordes, qu’elles rendent toutes une sainte harmonie pour la gloire et l’honneur de mon nom. Cette harmonie est produite par les grandes cordes, qui sont les puissances de l’âme, et par les petites, qui sont les sens extérieurs du corps. Elles sont toutes d’accord entre elles, ainsi que je te l’ai dit en te parlant des hommes méchants, dont tous les sens rendent un son de mort, parce qu’ils sont au pouvoir de l’ennemi, tandis que les parfaits rendent un son de vie, parce qu’ils ont pour alliées les vertus véritables, qui leur font faire. des oeuvres saintes.

5.- Tout membre accomplit parfaitement la charge qui lui est confiée : l’oeil sert à voir, l’oreille à entendre, l’odorat à sentir, le palais à goûter, la langue à. s’exprimer, les mains à toucher, les pieds à marcher ; et il en résulte comme un son mélodieux qui sert au prochain, à ma gloire et aux âmes pour lesquelles se font les bonnes oeuvres. Tous les sens obéissent au moindre mouvement de l’âme, comme un (302)

instrument délicieux qui m’est agréable, et qui plaît aussi aux anges, et à tous ceux qui l’entendent dans la joie de leur coeur, parce que chacun profite du bien des autres.

6.- Les parfaits plaisent au monde lui-même, qu’il le veuille ou ne le veuille pas, car les méchants ne peuvent s’empêcher d’entendre aussi la douceur de cette harmonie : beaucoup même en sont tellement captivés, qu’ils abandonnent la mort pour retourner à la vie. Tous mes saints ont pris des ailes par cette harmonie. Le premier qui l’ait fait entendre est mon Verbe bien-aimé, lorsqu’il a revêtu votre humanité, et que l’unissant à la divinité il a joué sur la Croix cette musique ineffable qui ravit le genre humain.

Il a vaincu ainsi le démon, son adversaire, en lui ôtant le pouvoir qu’il avait eu si longtemps sur l’homme par sa faute.

7.- Vous êtes tous les disciples de ce bon Maître, vous qui rendez des sens harmonieux. C’est avec sa douce méthode que les glorieux Apôtres ont conquis tant d’âmes eu semant par tout le monde cette parole qu’ils avaient apprise de mon Fils bien-aimé. C’est à la même harmonie que les martyrs, les confesseurs, les docteurs et les vierges doivent les mêmes conquêtes. La vierge Ursule fit entendre des accords si délicieux, qu’elle séduisit à elle seule onze mille vierges et une multitude d’autres âmes.

8.- Ainsi font tous les saints d’une manière ou d’une autre. Qui agit en eux? Ma providence. C’est elle qui leur donne l’instrument, la science et les moyens de s’en servir. Tout ce que je fais, tout ce que je permets pendant leur vie est pour qu’ils perfectionnent leurs instruments, afin que les hommes en profitent et ne se privent pas de cette lumière qui leur est nécessaire, en l’obscurcissant par les ténèbres de l’amour-propre et du plaisir des sens.

 

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CXLVIII.- Providence de Dieu envers ses créatures dans cette vie et dans l’autre.

 

1.- Maintenant, ma fille bien-aimée, dilate ton coeur, et que ton intelligence contemple à la lumière de la foi avec quel amour ma providence a créé l’homme, et tout préparé pour qu’il puisse jouit de mon suprême et éternel bonheur. J’ai tout disposé pour l’âme et le corps, pour les imparfaits (303) et pour les parfaits, pour les bons et pour les mauvais, temporellement et spirituellement, au ciel et sur la terre, dans la vie qui passe et dans celle qui ne finit jamais.

2.- Dans cette vie, où vous êtes étrangers et voyageurs, je vous ai liés par les liens de la charité ; car l’homme est forcément uni à son semblable. S’il veut s’en séparer en manquant de charité, il lui est uni cependant par la nécessité. Afin de vous unir par les oeuvres en même temps que par l’amour, je n’ai pas donné à chacun ce qui est nécessaire à son existence, de sorte que celui qui par le péché perd l’amour du prochain ne peut s’en séparer à cause de ses besoins. Vous êtes ainsi tous liés ensemble par des actes de charité. L’ouvrier a nécessairement recours au laboureur, et le laboureur à l’ouvrier ; l’un se sert de l’autre parce qu’il ne sait pas faire ce qu’il fait. De même le religieux a besoin du séculier, et le séculier du religieux ; l’un ne peut agir sans l’autre : il en est ainsi du reste des hommes.

3.- Ne pouvais-je pas donner à chacun tout ce qui lui est nécessaire? Si, assurément ; mais j’ai voulu que chacun fût soumis à son semblable, afin que tous soient contraints de s’unir par un échange de bons services. J’ai montré la grandeur et la bonté de ma providence en eux, et ils préfèrent marcher dans les ténèbres de leur propre faiblesse,

4.- Les membres de votre corps doivent vous faire rougir, car ils ont en eux l’union, qui vous manque. Quand la tête a besoin de la main, la main ne lui aide-t-elle pas sur-le-champ? Si le doigt, qui est si peu considérable dans le corps, vient à souffrir quelque chose, la tête lui refuse-t-elle son secours parce qu’elle est plus noble et plus considérable? Elle ne néglige au contraire aucun moyen de lui être utile par la vue, par l’ouïe ou par la parole. Tous les membres agissent ainsi entre eux.

5.- Pourquoi l’homme orgueilleux ne fait-il pas de même lorsqu’il voit le pauvre, malade et manquant de tout? N’est-ce pas un de ses membres? Et cependant, loin de l’assister de ses biens, il ne lui fait même pas l’aumône d’une bonne parole ; il n’a pour lui que des reproches, et il s’en détourne comme d’une chose qui lui donne des nausées. Il regorge de richesses, et il laisse son semblable mourir de faim, Il ne songe pas que sa cruauté déplorable est d’une odeur infecte en ma présence, et que le fond des enfers est destiné à sa corruption.

 6.- Ma providence secourt le pauvre d’une autre manière, et ç’est au poids de sa pauvreté que lui seront comptées d’abondantes richesses. Le riche au contraire sera durement repris par ma Vérité, ainsi qu’il est annoncé dans l’Evangile ; et s’il ne se corrige, il entendra cette parole : J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais infirme et en prison, et vous ne m’avez pas visité. (S. Matth. XXV, 42).

7.- Dans ce moment terrible, il lui sera inutile de dire : Je ne vous ai jamais vu, et si je vous avais vu, j’aurais tout fait pour vous bien volontiers. Ce misérable ne savait-il pas que mon Fils a déclaré dans l’Évangile que ce qui serait fait par amour pour Dieu au plus petit des hommes, il le tiendrait fait à lui-même? Ce sera donc justement qu’il partagera avec les démons un supplice éternel ; car j’ai tout disposé sur la terre pour qu’il évite ce malheur.

8.- Si tu contemples le ciel, tu verras avec quel ordre et quel amour ma providence a tout réglé parmi les anges et les bienheureux qui ont mérité havie éternelle par le sang de l’Agneau. Aucun ne jouit seul du bonheur que je lui ai donné, mais tous participent au bonheur de chacun, afin qu’unis par une charité parfaite, le plus grand jouisse du bonheur du plus petit, et le plus petit du bonheur du plus grand. Je dis le plus petit quant à la mesure de la béatitude, car le plus petit est aussi rassasié que le plus grand ; tous à des degrés différents jouissent de la plénitude du bonheur.

9.- Oh! combien la charité est forte au ciel, combien-elle unit tous les êtres en moi! Tous reconnaissent en moi la source de cette charité qu’ils ont reçue avec cette sainte crainte et ce respect que je leur ai inspirés ; ils brûlent d’ardeur en moi, et comprennent toute la grandeur que je leur ai donnée.

10.- C’est dans une joie ineffable que les anges communiquent avec les bienheureux, et les bienheureux avec les anges. Tous jouissent en commun de leur bonheur dans l’union de la charité la plus parfaite, et ils en ressentent une ivresse, une béatitude que l’esprit ne pourra jamais comprendre (305), car en moi il n’y a aucune cause de tristesse ; au ciel tout est doux, l’amertume en est bannie, parce que pendant la vie et dans la mort même, ils m’ont goûté par l’amour dans la charité véritable du prochain. Qui a ordonné ces choses? C’est ma sagesse et les soins admirables de ma providence.

11.- Si maintenant tu regardes le purgatoire, tu y trouveras aussi mon ineffable providence assistant les pauvres âmes qui, dans leur ignorance, Ont méconnu le prix du temps ; car depuis qu’elles sont séparées du corps, elles ne peuvent plus acquérir de mérite. Ma providence pet-met que vous, qui êtes encore sur terre, vous puissiez les secourir par les aumônes, les jeûnes, les prières, par toutes les bonnes oeuvres faites en état de grâce, et surtout par le Sacrifice que mes ministres offrent à l’Autel. Ma miséricorde veut bien que vous abrégiez ainsi le temps de leur pénitence. N’est-ce pas là une grande grâce de ma bonté?

12.- Je t’ai dit tout ce j’ai fait dans l’âme pour son salut, afin que tu aimes avec passion ma providence, et que tu te révèles en elle des lumières de la foi et de la fermeté de l’espérance, que tu te dépouilles de toi-même, et qu’en toute occasion tu te confies en moi sans aucune crainte servile.

 

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CXLIX.- Providence de Dieu envers ses serviteurs pauvres, même dans les choses temporelles.

 

1.- Maintenant, ma fille bien-aimée, je veux te dire quelque chose des moyens que je prends à l’égard des serviteurs qui espèrent en moi, pour les assister dans leurs besoins extérieurs. Je veille sur eux avec plus ou moins de sollicitude, selon qu’ils se sont plus ou moins parfaitement dépouillés d’eux-mêmes. Ma providence cependant ne manque à aucun, mais elle protège surtout mes chers pauvres, c’est-à-dire ceux qui sont véritablement, par la volonté, pauvres d’esprit et d’intention. Car beaucoup sont pauvres contre leur volonté : ceux-là sont riches quant à la volonté, mais ils sont mendiants dans la réalité, parce qu’ils n’espèrent pas en moi et qu’ils portent contre leur gré cette pauvreté que je leur donne comme une médecine pour leur (306) âme : la fortune eût été pour eux un mal et une cause de damnation.

2.- Si mes serviteurs sont pauvres, ils ne sont pas mendiants. Le mendiant n’a pas souvent ce qui lui est nécessaire, et il souffre de grandes privations : le pauvre n’est pas dans l’abondance, mais il a le nécessaire. Je ne manque jamais à ceux qui espèrent en moi. Quelquefois, cependant, je les réduis à une certaine extrémité, afin qu’ils voient et qu’ils comprennent plus clairement que je puis et que je  veux fournir à tous leurs besoins. C’est ce qui fait, qu’ils se confient davantage à ma providence, et qu’ils s’attachent avec plus d’amour à la vraie pauvreté, leur épouse.

3.- Alors, par des effets merveilleux de ma bonté, le Saint Esprit, qui désire toujours les assister, pourvoit à leurs besoins extérieurs même, en inspirant aux riches la pensée de les secourir : et ainsi la vie de mes chers pauvres est alimentée par cette compassion que je donne pour eux aux serviteurs du monde.

4.- Quelquefois, il est vrai, afin de fortifier leur vertu et d’éprouver leur foi et leur patience, je souffre qu’ils reçoivent des injures et des affronts. Mais celui-là même qui les insulte est forcé par ma clémence à leur donner l’aumône et à les secourir. C’est là ce que ma providence fait en général pour mes chers pauvres. D’autres fois, pour mes grands amis et mes plus fidèles serviteurs, ma providence agit sans l’intermédiaire des créatures, directement, comme tu eu as fait l’expérience.

 5.- Ne l’as-tu pas entendu raconter de ton Père, le bienheureux Dominique, mon glorieux serviteur? Dans les premiers temps de son Ordre, à l’heure du repas, les Frères n’avaient rien à manger ; mais comme il espérait en moi, et qu’il était certain de ma providence, il dit aux Frères de s’asseoir, et quand ils eurent obéi à leur Père, je n’abandonnai pas ceux qui espéraient en moi : j’envoyai deux ,anges avec des pains très blancs qui fournirent abondamment plusieurs repas. Ma providence agit ainsi sans l’intermédiaire de l’homme, et par le seul acte de ma bonté.

6.- Quelquefois aussi ma providence multiplie pour eux des quantités qui étaient insuffisantes. C’est ce qui arriva pour ta compagne, la bienheureuse Agnès, qui me servit depuis son enfance jusqu’au dernier instant de sa vie avec (307) une humilité si sincère et une si ferme espérance, qu’elle n’eut jamais la moindre inquiétude pour elle et pour sa famille. Cette chère petite pauvre n’avait pour toute fortune qu’une foi vive, lorsque la glorieuse Vierge Marie lui donna l’ordre de bâtir un beau monastère, dans un lieu souillé par des femmes de mauvaise vie. Elle n’eut aucune inquiétude et ne dit pas : Comment pourrais-je accomplir une oeuvre si difficile? Elle mit en moi toute sa confiance, et bâtit avec ma providence le monastère de religieuses, où elle plaça dix huit jeunes vierges qui n’avaient d’autres choses que ce que je leur envoyais.

7.- Une fois cependant je les laissai trois jours sans pain, et elles ne mangèrent que des herbes. Tu pourrais t’en étonner et me dire : Comment avez-vous permis une telle extrémité, puisque vous m’avez assuré que vous ne manquiez jamais à ceux qui espèrent en vous? Il semble que votre providence a fait défaut en cette circonstance,  puisque en général l’homme ne peut vivre d’herbes seulement, surtout lorsqu’il n’est pas arrivé à une grande perfection. La bienheureuse Agnès était assez parfaite, mais nous pouvons croire que toutes ses filles ne l’étalent pas autant.

8.- Je te répondrai que j’ai agi de la sorte pour leur faire aimer avec plus d’ardeur et de perfection ma providence. Les imparfaits trouvèrent dans le miracle qui sui vit un puissant moyen d’acquérir la sainte lumière de la foi. Je puis d’ailleurs, en pareille circonstance, faire en sorte que le corps profite plus d’un peu d’herbes, ou de n’importe qu’elle autre substance, que du pain qu’il recevait auparavant, et de tout autre aliment que l’homme prépare pour se nourrir, N’en as-tu pas fait toi-même l’expérience? Je puis aussi faire alors une multiplication miraculeuse.

9.- Après ces trois jours de disette, ma fidèle Agnès éleva vers moi son coeur et m’adressa cette prière : Mon bien-aimé Seigneur, mon tendre Père, mon éternel Époux, ne m’avez-vous pas ordonné de retirer de leur famille ces vierges, et les avez-vous réunies dans votre maison pour les laisser mourir de faim? Bon Maître, pourvoyez donc à leurs besoins.

10.- C’était moi qui lui faisais faire cette prière ; je me plaisais à éprouver sa foi et à exaucer son humble (308) demande. Pour satisfaire son coeur qui s’élevait vers moi, j’inspirai à quelqu’un la pensée de lui porter cinq petits pains et je le lui révélai. Quand celui qui venait approcha de la porte, Agnès dit à une de ses filles : Ma fille, allez au tour et apportez le pain que le Seigneur nous envoie dans sa bonté. Dès que les pains furent apportés On se mit à table, et pendant qu’elle faisait le partage, je mis dans ses mains une telle puissance, que les pains se multiplièrent si abondamment, que toutes furent rassasiées, et qu’il en resta assez sur la table pour fournir largement aux repas suivants.

11.- C’est par des moyens semblables que ma providence assiste mes serviteurs et mes amis qui sont devenus non seulement pauvres volontaires, mais encore pauvres d’esprit et d’intention ; car il leur servirait peu de faire comme les anciens philosophes, qui, par le désir qu’ils avaient d’acquérir une science profane, méprisaient les richesses et se faisaient volontairement pauvres, comprenant, par leur expérience ou par la lumière naturelle, que cet embarras extérieur des richesses du monde devait les empêcher d’atteindre la perfection de la science, à laquelle tendait leur intelligence comme à leur fin dernière. Mais parce que cette pauvreté volontaire n’avait pas pour motif la gloire et l’honneur de mon nom, ces philosophes ne purent avoir la vie de la grâce et la perfection ; ils n’eurent en partage que la mort éternelle.

 

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CL.- Des maux que causent la possession et le désir déréglé des richesses.

 

1.- Vois, ma fille bien-aimée, quelle honte et quel sujet de confusion pour les hommes. Des chrétiens se passionnent misérablement pour les richesses, tandis que la raison leur est donnée pour acquérir les biens éternels. Ils ne font pas même ce que faisaient les philosophes pour acquérir une science inutile. Parce qu’ils comprenaient que les richesses étaient un obstacle pour eux, ils les méprisaient et les repoussaient. Ces chrétiens au contraire semblent vouloir s’en faire un dieu, et il est évident qu’ils sont plus affligés de perdre ces richesses temporelles que de me perdre, moi qui suis le souverain Bien.  (309)

2.-Si tu y réfléchis, tu verras que tous les maux viennent du désir déréglé d’amasser des richesses. Ce désir enfante l’orgueil, qui fait que l’homme. veut dominer ; l’injustice, qui le rend coupable envers lui et les autres ; l’avarice, qui le pousse par la soif de l’or à dépouiller son frère, et à ravir à l’Eglise même les biens qui sont payés du sang précieux de mon Fils. De là procèdent aussi le trafic de la chair du prochain, et le trafic du temps que font les usuriers qui vendent comme des voleurs ce qui ne leur appartient pas. De là viennent la gourmandise et cette avidité d’aliments inutiles qui produisent l’impureté ; car, sans ces excès, tomberait-on souvent dans de si grandes misères?

3.- Combien le désir d ces richesses n’engendre-t-il pas d’homicides, de haines, de trahisons, de cruautés envers le prochain, et aussi d’infidélités envers moi! Car les hommes s’imaginent que c’est par leur propre vertu qu’ils acquièrent et. possèdent leurs biens, tandis que c’est uniquement de ma providence qu’ils les reçoivent. Ils poussent l’ingratitude jusqu’à ne pas espérer en moi, mais seulement dans le néant de leurs richesses. Leur aveuglement est tel, qu’ils ne voient pas Combien ils s’abusent, puisque dès cette vie, je les prive souvent, pour leur bien, de ces richesses, que la mort, du reste, finit toujours par enlever ; ils reconnaissent alors que leur espérance était vaine et sans fondement.

4.- Le désir déréglé des richesses rend l’homme pauvre et tue en lui la vie de la grâce. Il devient cruel pour lui-même, et perd ce qu’il y avait d’infini dans son coeur ; car au lieu d’être en moi, qui suis le Bien suprême et infini, son désir se borne et s’unit à une chose finie et méprisable. Il ne peut plus jouir du goût délicieux de la vertu et du suave parfum de la pauvreté ; il ,a perdu l’empire sur lui-même en se faisant l’esclave des richesses ; il est insatiable, parce qu’il aime des choses inférieures à lui-même, car les créatures sont faites pour servir l’homme et non pour en être servies. L’homme ne doit servir que moi, qui suis sa fin.

5.- A combien de travaux, de peines et de dangers l’homme se soumet, sur terre et sur mer, afin d’amasser des richesses, non seulement pour suffire à ses besoins, mais pour satisfaire son luxe, sa concupiscence et son avarice (310), pour revenir vivre dans sa patrie au milieu de la splendeur et de la gloire ; et il ne se donne pas la moindre peine pour acquérir les vertus, qui sont les véritables richesses de l’âme. Il a étouffé sous ces vains trésors le coeur avec lequel il devait me servir, et sa conscience est écrasée par tous ses injustes profits.

6.- Vois donc à quel esclavage et à quelle misère il est réduit. Encore si sa fortune était stable ; mais rien n’est plus mobile et plus trompeur. Celui qui est riche aujourd’hui sera pauvre demain, li est maintenant au faite des honneurs, il sera tout à l’heure dans la fange. Le monde le respecte et l’honore à cause de ses fausses richesses ; mais dès qu’il les a perdues, il ne trouve que des mépris et des traitements sans pitié ; car on l’aimait pour ses richesses et non pour ses vertus ; s’il avait été aimé pour quelques vertus, il n’eût pas perdu l’estime et l’amour de ses semblables, parce qu’en perdant ses richesses il eût conservé ses vertus.

7.- Oh ! combien cette âme est chargée de pesants fardeaux ! Ils sont si lourds, qu’elle ne peut courir dans la route de. son pèlerinage, ni passer par la porte étroite. Ma Vérité incarnée vous a dit dans l’Évangile qu’il est plus facile à un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux (S. Marc. X, 25 ). Ceci regarde tous ceux qui désirent et qui possèdent les richesses avec un amour déréglé ; car il est beaucoup de pauvres qui désirent et qui possèdent aussi par la volonté tout l’univers qu’ils ne peuvent avoir. Ceux-là n’entreront point assurément, parce que la porte est humble et petite. Il faut auparavant déposer son fardeau, retrancher l’amour déréglé du monde, et courber humblement la tète. Il est impossible d’entrer autrement ; car il n’y a pas d’autre chemin pour arriver à la vie.

8.- Il y a bien un autre chemin plus large qui conduit à la damnation éternelle, et ceux qui le : suivent sont des aveugles qui ne voient pas leur ruine irréparable. Ils ont, dès Cette vie, un avant-goût de l’enfer ; ils souffrent de toute manière, car ils désirent plus qu’il ne peuvent avoir ; ils sont tourmentés de ce qu’ils n’ont pas, et torturés de ce qu’ils perdent. La douleur de leur perte a pour mesure l’ardeur coupable avec laquelle ils possèdent (311). Ils perdent aussi la charité, l’amour de leurs frères et ne prennent aucun soin d’acquérir des vertus. O corruption du monde, non pas des choses qui s’y trouvent, car je les ai créées bonnes et parfaites, mais corruption de l’amour charnel et déréglé qui les possède. Ta langue, ma fille bien-aimée, ne saura jamais dire tous les maux qui viennent des richesses ; ces malheureux aveugles les voient et les éprouvent, et ils ne veulent pas reconnaître leur sort épouvantable.

 

 

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CLI.- Excellence de la pauvreté spirituelle, et comment Jésus-Christ en a donné l’exemple.

 

 

1.- Je veux, ma fille, te faire comprendre davantage le trésor de la pauvreté volontaire spirituelle. Qui en connaît la valeur? Les pauvres, mes serviteurs bien-aimés, qui, pour marcher plus facilement et pour entrer par la porte étroite, rejettent le fardeau de la richesse. Les uns le font réellement et mentalement, ils observent les préceptes et les conseils de fait et d’esprit ; les autres gardent les préceptes réellement et les conseils mentalement, ils se dépouillent seulement de l’amour des richesses ; ils ne les possèdent pas avec un amour déréglé, mais avec une sainte crainte, tellement qu’ils n’en sont pas les possesseurs avares, mais qu’ils en sont les distributeurs pour secourir les pauvres.

2.- Les premiers sont plus parfaits que les seconds parce qu’ils sont plus libres et portent des fruits meilleurs ; ils font briller davantage ma providence, comme je te l’expliquerai en te parlant de la vraie pauvreté. Les uns et les autres baissent humblement la tête et se font saintement petits. Je t’ai déjà parlé des seconds ; je vais t’entretenir seulement des premiers.

3.- Je t’ai montré que tout le mal, toutes les peines dans cette vie et dans l’autre viennent de l’amour déréglé des richesses : tu sauras qu’au contraire tout bien, toute

paix, tout repos naît de la vraie pauvreté. Contemple mes chers pauvres, et admire dans quelle joie sainte ils-passent leurs jours ; jamais ils ne sont tristes que des offenses qui me sont faites, et cette tristesse, au lieu de les affliger (313), nourrit leur âme. Ils ont par la pauvreté, trouvé la richesse suprême ; ils ont quitté d’épaisses ténèbres pour jouir de la lumière parfaite. Parce qu’ils ont abandonné la misère du monde, ils jouissent d’une joie sans borne, et ils échangent contre des biens méprisables des trésors immortels. Aussi goûtent-ils une grande consolation à souffrir pour la justice.

4.- Leurs rapports avec les créatures raisonnables sont pleins d’amour, et ils ne font acception de personne. Où brillent la vertu et l’espérance, si ce n’est où brûle le feu d’une vraie charité? Aussi, à la lumière de la foi qu’ils ont puisée en moi, qui suis l’éternelle et souveraine Félicité, ils ont renoncé aux espérances et aux consolations du monde, et ils ont embrassé comme une tendre épouse la vraie pauvreté avec toutes ses servantes. Les servantes de la pauvreté sont l’abaissement, le mépris de soi-même et l’humilité sincère qui servent et nourrissent dans l’âme l’amour de la pauvreté.

5.- C’est cette fidèle espérance et cette ardente charité qui poussent mes vrais serviteurs à fuir les vanités du monde, les richesses et leur propre satisfaction : c’est en les méprisant que mon glorieux apôtre saint Matthieu quitta brusquement sa banque et laissa les grandes richesses qu’il avait dans le monde pour suivre sans délai ma Vérité incarnée. Mon Fils vous a enseigné à aimer et à suivre la pauvreté, et il vous l’a prêchée non seulement par ses paroles, mais par ses exemples ; car, depuis le premier jour de sa naissance jusqu’au dernier instant de sa vie, toutes ses actions vous ont enseigné cette grande doctrine.

6.- C’est pour vous qu’il a épousé la pauvreté, lui qui est la Félicité suprême par l’union de la nature divine, lui qui est un avec moi, la Richesse infinie. En le contemplant            pauvre et humilié, songe que c’est un Dieu fait homme et revêtu de la bassesse de votre humanité. Vois cet aimable Verbe naissant dans une étable pendant que sa Mère, la bienheureuse Vierge Marie, était en voyage, pour vous montrer, à vous qui êtes voyageurs, que vous devez vous arrêter dans l’étable de la connaissance de vous-même, afin d’y renaître lorsque la grâce m’aura fait naître dans vos âmes.

7.- Tu le vois au milieu de deux animaux et dans une telle misère, que Marie n’avait pas même de quoi le couvrir ; (313) elle Je défendait contre la rigueur du froid avec l’haleine de ces animaux, et le réchauffait avec du foin. Lui, qui est le feu de la charité parfaite, il voulut avoir froid dans son humanité, et souffrir pendant toute sa vie avec et sans ses disciples. Quelquefois la faim forçait ses disciples à égrener des épis pour prendre quelque nourriture.

8.- Au dernier jour de son existence, il fut dépouillé de ses vêtements et flagellé à la colonne ; il supporta sur la Croix la soif et toutes les douleurs avec une ineffable patience. Il fut réduit à une telle extrémité, que la terre et Je bois lui manquèrent pour reposer sa tête, et qu’il fut obligé de l’incliner sur son épaule. Dans l’ivresse de son amour, il fit avec son Sang précieux un bain au genre humain. De son corps sacré entrouvert il versa ce Sang à grands flots, et tira de son extrême pauvreté les trésors les plus abondants.

9.- Pendant qu’il était ainsi cloué au bois misérable de la Croix, il répandait avec une générosité infinie ses richesses sur toutes les créatures raisonnables ; en goûtant l’amertume du fiel, il vous procurait une douceur incomparable ; la tristesse qui l’accablait devenait votre consolation, et les clous qui l’attachaient à la Croix vous délivrèrent des liens du péché mortel. En se faisant esclave par amour, il vous affranchit de l’esclavage du démon ; lorsqu’il fut vendu, il vous racheta de son sang ; et lorsqu’il accepta la mort, il vous donna la vie.

10.- Il vous a bien enseigné l’amour ; car il ne pouvait mieux vous prouver la grandeur de son amour qu’en donnant sa vie pour vous, qui étiez ses ennemis et les ennemis de son Père. L’homme pécheur semble l’ignorer, puisqu’il m’offense et tient si peu compte d’un si grand prix. Il vous a aussi enseigné la véritable humilité, car il s’est humilié jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix  il vous a donné l’exemple de l’abaissement, car il a supporté des injustices et. Des affronts sans nombre ; il vous a donné l’exemple dé la vraie pauvreté, car il a dit lui-même dans l’Évangile : « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer-sa tête ».

11.- Qui connaît ces choses ? celui qui a la sainte lumière de la foi ; et où se trouve cette foi ? dans les pauvres qui sont pauvres d’intention ; dans ceux, qui ont (314) choisi la pauvreté comme une royale épouse, en jetant les vaines richesses qui causent les ténèbres de l’infidélité. Cette reine a un royaume que rien ne peut troubler. La paix y réside et la justice y abonde, parce que tout ce qui cause l’injustice On est éloigné ; les murailles de sa cité sont puissantes, parce qu’elles ne sont pas faites d’une terre molle, ni bâties sur le sable, de manière qu’elles puissent être renversées par le moindre vent : elles sont appuyées sur la pierre inébranlable, qui est Jésus-Christ mon Fils. La lumière y est sans ténèbres et la chaleur sans hiver, parce que la mère de cette grande reine est la charité infinie de Dieu.

12.- Les ornements de la Cité sont les liens de l’affection et les douceurs de la miséricorde, parce que le tyran des richesses, qui est si cruel, en a été chassé. L’amour du prochain établit entre tous les habitants les plus bienveillants rapports. On y trouve aussi une prudence longue et persévérante : la cité est gardée par des sentinelles vigilantes, parce que l’âme qui épouse cette reine, possède toutes les richesses éternelles ; elle ne peut les posséder en possédant les richesses de la terre ; car si la mort, c’est-à-dire l’amour des richesses, entrait dans cette âme, elle perdrait sur-le-champ sa fortune, et serait-par le fait même exilé de la cité et plongée dans la plus grande misère. Mais si elle reste fidèle à son épouse, elle partage toujours avec elle ses trésors.

13.- Qui voit ces merveilles? l’âme qui a la lumière de la foi : la pauvreté revêt celui qui l’épouse d’une admirable pureté. Elle lui enlève les vaines richesses qui la souillaient ; elle l’éloigne des sociétés mauvaises et lui en procure de bonnes ; elle le guérit des engourdissements de la négligence, et chasse loin de lui les embarras du monde. Elle lui ôte l’amertume des richesses de la vie présente et lui en laisse la douceur : les épines tombent, et la rose reste dans toute sa beauté. Elle purge l’âme de toutes les humeurs corrompues de l’amour déréglé, et la dispose à se nourrir des vertus, qui ont une douceur extrême. Elle lui donne deux serviteurs qui font tout dans sa maison ; la haine et l’amour. La haine des vices et de la sensualité la purifie de tonte souillure, et l’amour des vertus se charge de l’embellir, en effaçant toute inquiétude (315) servile, et en y mettant la paix d’une sainte crainte.

14.- Dès qu’elle s’est attachée à la pauvreté, l’âme trouve toutes les vertus, les grâces, les douceurs et les consolations qu’elle peut désirer. Elle ne craint pas d’ennemis, car personne ne peut lui faire la guerre ; elle ne craint pas la faim et les privations, parce que la foi l’éclaire, et que son espérance est en moi, son Créateur, qui donne toutes les richesses, et qui nourrit toutes les créatures par les soins -de ma providence. A-t-on jamais vu ou entendu dire qu’un de mes vrais serviteurs, un époux fidèle de la pauvreté soit mort de faim? Non, certainement ; mais beaucoup sont morts au milieu de leurs richesses, parce qu’ils ne se confiaient pas en moi.

15.- Je ne manque jamais à mes pauvres bien-aimés qui ne cessent jamais d’espérer en moi. Je veille toujours sur eux comme un bon et tendre père. Avec quelle joie et quelle liberté d’âme ils viennent à moi ! parce qu’ils savent, à la lumière de là foi, que, depuis le premier jusqu’au dernier jour de la vie, ma providence ne cesse d’agir dans toutes les choses spirituelles ou temporelles.

16.- Quelquefois, il est vrai, je permets qu’ils souffrent parce que je veux qu’ils grandissent dans la foi et clans l’espérance d’être largement récompensés de toutes leurs peines. Mais je ne les abandonne dans aucune nécessité ; ils éprouvent toujours ma providence infinie, et goûtent le lait d’une douceur divine. Loin de craindre l’amertume de la mort corporelle, ils la demandent avec un ardent désir

parce qu’ils sont déjà morts aux sens comme aux richesses, et qu’ils aiment éperdument la vraie pauvreté, qu’ils ont prise pour épouse. Ils vivent tous les jours dans ma volonté, ils sont prêts à tout souffrir, la chaleur, le froid, la nudité, la faim, la soif, les mépris, les affronts ; ils soupirent même après la mort, parce qu’ils voudraient donner leur vie, par amour pour moi, qui suis leur vie, et verser leur sang par amour du sang répandu pour eux.

17.- Contemple mes pauvres apôtres et mes glorieux martyrs : Pierre, Paul, Étienne, et Laurent qui semblait être, non pas sur du feu, mais sur des fleurs douces et odoriférantes. Il disait en riant à son bourreau : « Ce côté est cuit, tourne l’autre et mange ». La flamme ardente de la charité divine étouffait le feu méprisable qui attaquait son corps. (316) Les pierres d’Étienne ne lui semblaient-elles pas des roses? Quelle était la cause de ces prodiges? L’amour qui leur avait fait épouser la royale pauvreté. Ils avaient abandonné tout l’univers par amour pour moi ; ils l’avaient choisie à la sainte lumière de la foi, avec une espérance ferme et une prompte obéissance. Ils obéissaient aux conseils et aux préceptes de mon Fils bien-aimé spirituellement et réellement.

18.- ils désiraient la mort et ils supportaient la vie avec peine, non pas pour fuir le travail, mais pour s’unir à moi, qui suis leur fin. Pourquoi ne craignaient-ils pas la mort, que l’homme craint naturellement? Parce que leur épouse, la vraie pauvreté, les rassurait, en leur ôtant tout amour de leur corps et des richesses de la terre ; ils avaient saintement foulé aux pieds et vaincu l’amour naturel par la lumière de l’amour divin surnaturel. Comment dans cet état un homme pourrait-il se plaindre de la mort du corps, lui qui désire perdre la vie, qu’il trouve amère et longue? Comment aurait-il quelque regret de perdre ces frivoles richesses qu’il méprise depuis si longtemps avec tant d’ardeur? Qu’y a-t-il d’étonnant? Celui qui n’aime pas une chose ne la regrette pas ; il se réjouit plutôt quand il perd ce qu’il déteste. De quelque côté que tu regardes, tu trouveras mes chers pauvres goûtant la paix et le repos parfaits.

19.- Dans les malheureux, au contraire, qui possèdent les richesses du monde avec un amour si déréglé, tu trouveras le désordre et des peines insupportables, quoiqu’il n’en paraisse souvent rien à l’extérieur. Qui n’eût pas cru que Lazare était dans la plus grande détresse, et que le riche maudit était dans la paix et la joie? Il n’en était rien cependant : le riche souffrait plus au milieu de son abondance temporelle que le pauvre Lazare, dévoré par la lèpre. Dans Lazare, la volonté propre était morte ; il vivait en moi, qui le soulageais et le consolais de ses peines. Dans le riche, au contraire, sa volonté était vivante et devenait son tourment. Lorsque Lazare était repoussé par les hommes et surtout par le mauvais riche, lorsqu’il n’avait personne pour laver ses blessures et lui porter le moindre Secours ma providence envoyait quelque animal sans raison, qui léchait ses ulcères. A la fin de leur vie, la lumière de la foi montre Lazare dans la gloire, et le riche au milieu des supplices de l’enfer.

20.- Oui, les riches sont dévorés par la tristesse, et mes (317) chers pauvres sont plongés dans une sainte joie. Je les tiens près de mon cœur, je les nourris du lait de mes consolations. Parce qu’ils ont tout quitté par amour pour moi, je me donne à eux tout entier. L’Esprit Saint est pour eux comme une mère tendre qui prend soin de leur âme et de leur corps partout où ils se trouvent. J’envoie même des animaux sauvages pour les servir, quand ils en ont besoin. Lorsqu’un solitaire est malade, je fais en sorte qu’un autre solitaire aille le visiter et l’assister. Tu sais bien que plusieurs fois je t’ai forcée de sortir de ta cellule contre ton habitude, pour secourir quelques pauvres malades. Toi-même, n’as-tu pas éprouvé ainsi ma providence? Et quand tu n’avais aucune créature pour t’assister, t’ai-je fait défaut, moi qui suis ton créateur?

21.- Non, jamais je ne manque à ceux qui espèrent en moi : ma douce providence leur est assurée,  homme est dans les délices et la magnificence. Il donne à son corps les soins et les mets recherchés ; il est cependant toujours malade. Mais si, par amour pour moi, il se méprise lui-même, s’il embrasse la pauvreté volontaire et ne garde qu’un vêtement pour couvrir son corps, pourquoi retrouve-t-il la force et la santé ? Rien ne semble lui nuire, et il devient insensible au froid, au chaud et à la nourriture la plus grossière. C’est que ma providence se charge de lui, dès qu’il se confie entièrement à mes soins, en mourant à lui-même. Tu vois, ma chère fille, dans quel repos vivent mes pauvres bien-aimés.

 

Table des Matières

 

 

CLII.- Résumé de ce qui a été dit sur la providence.

 

 

1.- Je t’ai dit, ma chère fille, quelque chose sur ma providence, qui assiste de toute manière les créatures. Je t’ai montré que dès l’instant où j’ai créé le premier monde, et que j’ai fait le second, qui est l’homme, à mon image et ressemblance, j’ai toujours manifesté ma providence ; et tout ce que j’ai fait, que je fais et que je ferai, doit servir à votre salut, parce que je veux votre sanctification et que je dispose tout pour cette fin.

2.- Les méchants ne le voient pas, parce qu’ils se sont privés de la lumière ; ils ne comprennent rien et se scandalisent (318) de moi. Je les supporte avec patience, je les attends jusqu’au dernier instant, fournissant aux besoins des pécheurs comme à ceux des justes, dans toutes les choses spirituelles et temporelles.

3.- Je t’ai dit quelques mots de l’imperfection des richesses, et de la misère où elles conduisent ceux qui les possèdent avec : un amour déréglé. Je t’ai parlé de l’excellence de la pauvreté, et de l’abondance des richesses que cette pauvreté procure à l’homme qui l’a choisie pour épouse. Elle a pour compagne et pour soeur l’abaissement, dont je t’entretiendrai en te parlant de l’obéissance. Je t’ai montré combien cette vertu me plaît, et combien elle est l’objet des tendres soins de ma providence.

4.- Tout ce que je t’ai dit à la louange de cette grande vertu, et de la sainte foi qui fait parvenir l’âme à cet état supérieur, doit augmenter ton espérance et te porter à frapper sans cesse à la porte de ma miséricorde. Sois fermement persuadée que je remplirai ton désir et celui de mes serviteurs et de ,mes amis qui souffrent tant de peines jusqu’à la mort. Prends courage et réjouis-toi en moi, parce que je suis ton défenseur et ton consolateur en toute chose. Tu vois que j’ai répondu à ce que tu m’avais demandé sur ma providence, en te montrant que je pourvois avec bonté à tous les besoins de mes créatures ; et tu sais que je ne méprise jamais vos saints désirs.

 

Table des Matières

 

 

CLIII.- L’âme remercie Dieu et le prie humblement de lui dire quelque chose sur la vertu d’obéissance.

 

1.- Alors cette âme fut tout enivrée de la sainte pauvreté, toute dilatée ,par l’éternelle et souveraine grandeur, toute transformée dans l’abîme de l’ineffable et infinie providence. Il lui semblait être délivrée de son corps, tant elle était ravie et embrasée par le feu de la charité. Son intelligence contemplait la Majesté divine, et elle disait à Dieu le Père :

2.- O Père éternel, ô Feu, abîme de Charité, éternelle Beauté, éternelle Sagesse, éternelle Bonté, éternelle Clémence! Espérance et Refuge des pécheurs, Largesse inestimable, Bien éternel, infini! O feu d’amour! avez-vous donc besoin de votre créature? Il me semble qu’elle vous manque ; (319) car vous agissez comme si vous ne pouviez vivre sans elle, vous qui êtes la vie dont vit toute chose, et sans laquelle rien ne peut vivre. Pourquoi donc vous passionner ainsi pour votre créature? Pourquoi l’aimer éperdument, vous qui êtes heureux en vous-même? Pourquoi vous plaire en elle, en être avide et affamé, désirer tant son salut, la chercher d’une manière si admirable, lorsqu’elle vous fuit? Vous vous approchez, elle s’éloigne. Pouviez-vous venir plus près, puisque vous avez revêtu votre Verbe de notre humanité?

3.- Que dirais-je encore? je balbutie, je pousse des cris vers vous. Ah! oui, je ne puis plus parler, parce que la langue est trop faible pour exprimer ce que l’âme éprouve et comprend lorsqu’elle vous désire, vous, le Bien suprême, infini. N’est-il pas juste que je répète cette parole de l’apôtre saint Paul : « Non, l’oeil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, le coeur n’a pas senti ce que j’ai vu, ce que Dieu prépare à ceux qui l’aiment ». Mais qu’as-tu vu? J’ai vu les secrets de Dieu, dont l’homme ne peut parler, que dis-je! non, je ne puis y parvenir avec des sens si lourds et si charnels. Je dirai seulement, ô mon âme, que tu as vu et goûté les profondeurs inénarrables de la souveraine et éternelle Providence.

4.- Et maintenant je vous rends grâces, ô Père, de l’immense bonté que vous avez montrée envers moi, qui en suis si indigne. Mais, parce que je sais que vous voulez bien satisfaire tous les saints désirs, et que votre Vérité ne peut tromper, je souhaite que vous m’expliquiez un peu la vertu d’obéissance et son excellence, ainsi que vous me l’avez promis, afin que je me passionne pour elle et que je ne m’en éloigne jamais. Qu’il plaise à votre Majesté de me parler de sa perfection, du lieu où je pourrai la trouver, de ce qui peut me la faire perdre et de ce qui peut me la procurer ; par quel signe saurai-je que je la possède ou que j’en suis privée?          (320)

 

Table des Matières

 

 

 

 

 

TRAITE DE L’OBEISSANCE

 

CLIV.- Ou se trouve l’obéissance, ce qu’elle est, ce qui la fait perdre, et ce qui prouve qu’on la possède.

 

1-. Alors Dieu le Père jeta, dans sa bonté, un regard miséricordieux sur cette âme, et il lui dit : Ma douce et bien-aimée fille, les saints désirs et les demandes justes méritent d’être exaucés. Je suis la Vérité souveraine et je remplirai les promesses que je t’ai faites, en exauçant ta prière. Tu me demandes où tu peux trouver l’obéissance, la cause qui peut te la faire perdre, et à quel signe tu reconnaîtras que tu la possèdes, ou qu’elle te manque.

2.- Je te répondrai d’abord que tu trouveras l’obéissance d’une manière parfaite dans mon aimable Verbe, mon Fils unique. Cette vertu a été si ardente en lui, que pour l’accomplir il s’est élancé vers la mort ignominieuse de la Croix. Si tu veux savoir ce qui l’a fait perdre, regarde le premier homme, et tu verras comment il a transgressé le commandement que je lui avais imposé. C’est l’orgueil qui lui a fait perdre l’obéissance, par amour pour lui-même et par complaisance pour sa, compagne. Telle fut la cause qui lui ravit l’obéissance, et qui le fit tomber dans la révolte, perdre la vie de la grâce et l’innocence, trouver la mort, la corruption et la misère, non seulement pour lui, mais pour le genre humain tout entier.

3.- Le signe qui prouve qu’on possède la vertu de l’obéissance, c’est la patience. L’impatience, au contraire, montre qu’on en est privé, ainsi que je te l’ai déjà fait clairement comprendre. Mais remarque qu’il y a deux obéissances, une bonne et une autre parfaite. Elle ne sont pas séparées, (321) mais elles sont unies ensemble, ainsi que je te l’ai expliqué en te parlant des préceptes et des conseils, dont les uns sont bons et les autres parfaits.

4.- Nul ne peut entrer dans la vie éternelle que par l’obéissance. C’est la clef de l’obéissance qui a ouvert la porte du paradis, fermée par la désobéissance d’Adam. Quand je vis que l’homme, que j’aimais tant, était privé de la fin glorieuse pour laquelle je l’avais créé, et qu’il ne pouvait, jamais revenir à moi par lui-même, je me sentis forcé par mon ineffable bonté de prendre les clefs de la sainte obéissance et de les remettre aux mains de mon Fils bien-aimé, qui, fidèle à mes ordres, ouvrit la porte du ciel ; et nul, depuis, ne peut entrer par cette porte, si ce divin portier ne lui ouvre avec la clef de l’obéissance ; car il a dit dans l’Évangile que personne ne peut venir à moi que par lui.

5.- Mon Fils vous a laissé la douce clef de l’obéissance, lorsque, retournant vers moi avec la palme de la victoire, il est monté au ciel en s’éloignant des hommes. Il a confié cette clef à son Vicaire, au Pape, qu’on peut bien appeler le Christ sur terre auquel vous êtes tous obligés d’obéir jusqu’à la mort. Si quelqu’un se sépare de son obéissance, il est sans aucun doute en état de damnation, à moins qu’il ne change avant de mourir, ainsi que je te l’ai expliqué ailleurs.

6.- Je veux maintenant que tu voies cette belle vertu de l’obéissance dans l’Agneau sans tache, et que tu comprennes d’où elle vient en lui. Si tu me demandes d’où procède l’obéissance si prompte de mon Fils, tu sauras qu’elle vient de son amour pour mon honneur et pour votre salut. Et cet amour, d’où vient-il? De la claire vision que son âme avait de l’essence divine et de l’éternelle Trinité. Il me contemplait toujours, et cette vision produisait en lui d’une manière parfaite cette fidélité que la lumière de la foi ne produit qu’imparfaitement en vous. Aussi m’a-t-il été très fidèle, à moi qui suis son Père et il a couru à cette lumière glorieuse dans la voie de l’obéissance, avec toute l’ardeur de l’amour.

7.- L’amour n’est jamais seul ; il était accompagné de toutes les vertus royales, qui puisent la vie ait foyer de la vraie charité. Mais les vertus étaient bien différentes en lui (323) qu’en vous. Entre toutes, l’amour possède la vertu d’une invincible patience, qui est comme sa moelle, et qui montre clairement si une âme est eu état de grâce, et si elle aime véritablement ou non. La mère des vertus, qui est la charité, a donné la patience pour soeur à l’obéissance, et les a tellement unies, qu’elles ne peuvent jamais vivre l’une sans l’autre.

8.- L’obéissance a l’humilité pour nourrice ; c’est elle qui l’alimente chaque jour. On est aussi obéissant qu’on est humble, et aussi humble qu’on est obéissant. L’humilité est la nourrice qui aide la charité, et qui nourrit de son lait la vertu de l’obéissance ; elle la couvre d’opprobres, elle la revêt du mépris de soi-même, afin de me plaire davantage. Quel en est le plus parfait modèle? C’est mon Fils, le doux Jésus. Qui s’est plus abaissé et méprisé? N’est-ce pas lui, puisqu’il a été abreuvé d’opprobres, de moqueries et d’affronts, puisqu’il a sacrifié sa vie corporelle pour me plaire? Qui a été plus patient? Jamais on n’entendit sortir de sa bouche la plainte ou le murmure ; il a reçu avec patience les injures, et il suivit avec amour l’obéissance qui lui avait été

imposée par moi son Père.

9.- C’est donc en lui que vous trouverez la parfaite obéissance ; il vous en a donné la règle en l’accomplissant le premier lui-même. Sa doctrine vous enseigne la voie, puisqu’elle est la voie directe qui conduit à Celui qui est la vie, et qui vous a dit dans l’Évangile qu’il était la voie, la vérité et la vie (S. Jean. XIV, 6). Celui qui marche dans cette voie est dans la lumière, et celui qui marche dans la lumière ne se heurte pas, et n’est heurté par personne sans s’en apercevoir, parce qu’il s’est retiré des ténèbres de l’amour-propre, qui fait tomber dans la désobéissance. Car, comme je te l’ai déjà dit, la compagne de l’obéissance est l’humilité.

10.- Je te le répète aussi, c’est de l’orgueil que procède la désobéissance, qui vient de l’amour- propre. La soeur que l’amour-propre donne à la désobéissance est certainement l’impatience. L’orgueil la nourrit, et, au milieu des ténèbres de l’infidélité, il fait courir l’âme dans la voie mauvaise, jusqu’à ce qu’elle trouve la mort éternelle. Il vous faut tous nécessairement lire dans le Livre glorieux où vous trouverez l’obéissance enseignée avec toutes les autres vertus.

 

Table des Matières

 

 

 

CLV.- L’obéissance est la clef qui ouvre le ciel.

 

 

1.- Après t’avoir montré où se trouve l’obéissance, d’où elle vient, quelle est sa compagne et qui la nourrit, je vais te parler des obéissants et des désobéissants, de l’obéissance générale et de l’obéissance particulière, c’est-à-dire de l’obéissance des préceptes et de celle des conseils.

2.- Toute votre foi est fondée sur l’obéissance, et c’est par l’obéissance que vous vous montrez fidèles. Ma Vérité a établi dans la loi les préceptes que vous devez observer ; le plus grand est celui de m’aimer par dessus toute chose, et d’aimer le prochain comme vous-mêmes. Et ces préceptes sont tellement unis ensemble, que vous ne pouvez pas en observer un sans observer tous les autres, ou en violer un sans violer tous les autres.

3.- Si quelqu’un observe ces deux commandements, il garde les autres, et il est fidèle envers moi et envers son prochain ; il m’aime et il persévère dans ma charité, il est obéissant par conséquent et se soumet à tous les préceptes de la loi, et au prochain à cause de moi. Il souffre tout avec patience et humilité, même la peine et l’injure qui lui vient du prochain. Cette obéissance est d’une telle efficacité, qu’elle vous donne la grâce, comme la désobéissance vous a donné la mort.

4,.- Il ne suffirait pas que l’obéissance se fût trouvée dans mon Verbe incarné pour votre salut, si elle ne se trouvait pas en vous. Car je te l’ai dit, c’est la clef qui ouvre le ciel, et mon Fils l’a remise et confiée aux mains de son Vicaire. Son Vicaire la remet entre les mains de tous ceux qui, ayant reçu le baptême, promettent volontairement de renoncer au démon, au monde et à ses pompes. C’est cette promesse qui donne la clef de l’obéissance, et cette clef de chacun est la même clef que celle du Verbe.

5.- Si quelqu’un ne marche pas à la lumière de la foi, et ne cherche pas à ouvrir avec la main de l’amour cette porte de la vie éternelle, il ne pourra jamais entrer avec cette clef, quoique mon Verbe l’ait déjà ouverte. Je vous ai créés sans vous, vous ne me l’avez pas demandé, et je vous ai aimés avant votre naissance ; mais je ne peux pas (324) vous sauver sans vous. Il faut donc prendre à la main cette clef de l’obéissance et ne pas vous arrêter, mais marcher dans la voie de la Vérité incarnée, en suivant fidèlement sa doctrine.

6.- Oui, vous ne devez pas vous arrêter à des choses finies, en plaçant vos affections comme le font les insensés qui suivent le vieil homme, Adam, qui jeta la clef de l’obéissance dans la fange du péché, la brisa avec le marteau de l’orgueil, et la laissa ronger par la rouille de l’amour-propre. C’est pour cela que mon Fils bien-aimé est venu avec cette clef de l’obéissance ; il l’a purifiée dans le feu de la charité divine ; il l’a retirée de la fange et l’a parfaitement lavée dans son Sang ; il l’a

redressée avec l’instrument de la justice, en travaillant vos iniquités sur l’enclume de son Corps sacré ; il l’a si bien réparée, que toutes les fois qu’un homme l’a faussée

par son libre arbitre, il peut la redresser par son libre arbitre, avec ma grâce et les mêmes instruments.

7.- O homme aveugle et malheureux, comment, lorsque tu as brisé cette clef de l’obéissance, négliges-tu de la réparer? Penses-tu que la désobéissance, qui a fermé le ciel au premier homme, te l’ouvrira, et que l’orgueil qui en a été précipité t’y fera monter ? Crois-tu entrer aux noces avec un vêtement sale et déchiré? Crois-tu qu’en t’arrêtant et en t’enchaînant toi-même avec les liens du péché, tu pourras marcher et ouvrir cette porte sans clef? Ne te laisse donc pas ainsi abuser par l’imagination. Il faut que tu sois délivré ; il faut sortir du péché mortel par la contrition du coeur, par l’humble confession de la bouche et la satisfaction des oeuvres, avec le ferme propos de te corriger et de ne plus m’offenser.

8.- De cette manière tu mépriseras, tu dépouilleras, tu jetteras par terre le vêtement qui te souille ; tu prendras la robe nuptiale pour courir à la lumière de la foi, en portant dans ta main cette clef de l’obéissance qui ouvre la porte. Attache, attache cette clef avec le cordon de l’abjection, du mépris de toi-même et du monde ; fixe-la au saint désir de me plaire è moi, ton Créateur. Que ce désir te soit comme une forte ceinture qui t’empêche toujours de la perdre.

9.- Apprends, ma fille bien-aimée, que beaucoup prennent (325) la clef de l’obéissance, parce qu’ils ont vu à la lumière de la foi qu’ils ne pouvaient sans elle échapper à la damnation ; mais ils la tiennent à la main, sans l’attacher à ce cordon et à cette ceinture dont je te parle. Ils ne se ceignent pas du désir de me plaire, parce qu’ils s’aiment eux-mêmes, et ils n’y pendent pas le cordon de l’abaissement, parce qu’au lieu de souhaiter l’humiliation, ils recherchent plutôt la louange des hommes,

10.- Ceux-là sont exposés à perdre la clef de l’obéissance lorsqu’il leur arrive quelque peine, quelque épreuve spirituelle ou corporelle ; et s’ils n’y font attention, ils peuvent la perdre pour toujours, en négligeant de retrouver à temps le saint désir ; car, pendant qu’ils vivent, ils peuvent s’ils veulent, ressaisir la clef de l’obéissance ; mais s’ils ne savent pas vouloir, ils ne la retrouveront jamais. Et qui est-ce qui montrera qu’ils l’ont perdue? L’impatience, parce que la patience est la compagne inséparable de l’obéissance. Dès que quelqu’un n’est pas patient, il est évident que l’obéissance n’habite pas son âme.

11.- Oh! combien est douce et glorieuse cette vertu de l’obéissance, par laquelle existent toutes les autres vertus, parce qu’elle est niée de la charité! Sur elle est fondée la pierre de la sainte foi ; c’est une reine magnifique ; celui qui l’épouse est riche de tous les biens et ne ressent jamais aucun mal. Tous ses jours sont pleins de paix et de repos ; les flots d’une mer irritée ne peuvent lui nuire par leurs orages. Le centre de son âme est inaccessible à la haine, même au temps de l’injure, parce qu’il veut obéir et qu’il connaît le précepte du pardon.

12.- Il ne sent aucune amertume lorsque ses désirs ne sont pas satisfaits, parce que l’obéissance fait qu’il ne désire réellement que moi, qui peut, qui sait, qui veut satisfaire tous ses désirs. Il s’est dépouillé de toutes joies mondaines, et il trouve en toutes choses une heureuse paix, car il a épousé cette grande reine, l’obéissance, que j’ai comparée à une clef,

13.- O douce obéissance, qui navigues sans peine et qui arrives sans péril au port du salut! tu ressembles au Verbe, mon Fils bien-aimé ; tu montes la barque de la sainte Croix, tu es prête à tout souffrir plutôt que de manquer à l’obéissance de mon Verbe et de t’éloigner de sa doctrine. Elle est (326) pour toi comme une table sur laquelle tu prends la nourriture des âmes, en te passionnant d’amour pour le prochain. Tu es toute parfumée d’une humilité sincère, et tu ne désires rien de ton prochain en dehors de ma volonté. Tu es droite sans détour, parce que tu rends le coeur simple et charitable sans réserve et sans dissimulation. Tu es comme l’aurore qui annonce la lumière de la grâce divine ; tu es comme le soleil qui réchauffe celui qui te possède, parce que l’ardeur de la charité ne t’abandonne jamais. Chaque jour tu fécondes la terre, parce que tu fais produire au corps et à l’âme un fruit qui donne la vie à l’homme et à son prochain.

14.- Tu plais à tout le monde, parce que ton visage n’est  troublé par aucun orage, mais qu’il est toujours éclaIré par la douce lumière de la patience. Ton calme vient de ta force ; tu es si grande et si puissante par ta persévérance, que tu vas de la terre jusqu’au ciel, et que tu l’ouvres par son moyen. Tu es une perle précieuse, mais cachée, que beaucoup méconnaissent et que le monde foule aux pieds ; mais en te méprisant toi-même et en te faisant petite en toute occasion, tu élèves les créatures qui te possèdent. Ton pouvoir est si grand, que personne ne peut te commander, parce que tu es affranchie de la servitude mortelle de la sensualité, qui détruisait la grandeur. En tuant cet ennemi avec la’ haine et le mépris de toi-même, tu as reconquis toute ta liberté.

 

Table des Matières

 

 

 

CLVI.- De la misère des désobéissants et de l’excellence des obéissants.

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, tout ce que ma bonté a fait, a été fait pour que le Verbe, mon Fils unique, réparât cette clef de l’obéissance. Les hommes du monde, qui n’ont aucune vertu, ne veulent pas s’en servir ; ils sont au contraire comme des animaux sans frein, car ils n’ont pas le frein de l’obéissance, et ils vont de mal en pis, de péché en péché, de misère en misère, de ténèbres en ténèbres, de mort en mort, jusqu’à ce qu’ils tombent dans l’abîme de la dernière mort, où le ver de la conscience les ronge éternellement. (327) 

2.- Ils pourraient bien revenir à l’obéissance et se soumettre aux préceptes de la loi ; ils ont encore le temps de pleurer dans leur coeur, mais parce qu’ils ont vieilli dans la désobéissance, il leur est difficile de rompre cette longue habitude du péché. Personne ne doit compter sur des délais, et il est bien dangereux d’attendre le moment de la mort pour ressaisir la clef de l’obéissance. On peut, on doit même espérer en moi pendant toute la vie présente ; mais c’est s’exposer beaucoup que de différer sa conversion, et de compter sur un temps qu’on n’a pas, tandis qu’on perd celui que ma grâce accorde.

3.- Quelle est la cause de ce malheur et de cet aveuglement, si ce n’est les hommes qui méconnaissent ce trésor? Les nuages de l’amour-propre et de l’orgueil les ont séparés de l’obéissance et fait tomber dans la révolte. Parce qu’ils ne sont plus obéissants, ils ne sont plus patients, et leur impatience leur cause des maux insupportables. Ils sont détournés de la voie de la vérité pour su perdre dans celle de l’erreur et du mensonge ; ils deviennent les esclaves et les amis des démons, et s’ils ne se corrigent pas, ils se précipitent par leur désobéissance dans les flammes éternelles, avec les démons dont ils ont reconnu le pouvoir.

4.- Ceux, au contraire, qui observent la loi de mon Fils bien-aimé se réjouissent dans leur obéissance, et goûtent. d’une manière ineffable mon éternelle Vision, avec l’agneau sans tache qui a fait, gardé et donné la loi. En l’accomplissant pendant la vie présente, ils ont trouvé la paix, et dans la vie bienheureuse ils reçoivent et goûtent une paix plus parfaite encore, parce que là se trouvent une paix sans orage, un bien sans mélange, une confiance sans crainte, des richesses infinies sans défaut, une satiété sans dégoût, une faim sans peine, une lumière sans ténèbres, un bonheur suprême, infini, sans bornes et sans limites, un bonheur que partagent tous les bienheureux.

5.- Qui a pu donner à l’homme tant de joie? Le sang de l’Agneau, dont la vertu a dépouillé de la rouille la clef de l’obéissance, avec laquelle vous pouvez ouvrir la porte du ciel. Oui, c’est l’obéissance qui l’a ouverte par la vertu de ce Sang.

6.- 0 malheureux insensés ! ne différez donc plus de sortir de la boue de la corruption et du péché. II semble (328) que vous vous plaisez à vous vautrer dans les ordures de la chair comme le pourceau dans les immondices et la fange. Laissez donc les injustices, la haine, l’homicide, la vengeance, les injures, les murmures, les jugements téméraires, la cruauté envers le prochain, le vol, le mensonge, la trahison et les jouissances déréglées de la fortune ; abattez les cornes de l’orgueil. Si vous le faites, vous éteindrez la haine que nourrit votre coeur contre celui qui vous a fait injure.

7.- Comparez donc les injures que vous me faites et que vous faites au prochain avec celles qui vous sont faites, et vous verrez que vous n’avez aucun droit de vous plaindre. Quand vous êtes l’ennemi de votre prochain, vous me faites injure, parce que vous méprisez et transgressez mon commandement. Vous offensez aussi votre prochain en vous dépouillant des sentiments de charité à son égard.

8.-Il vous est ordonné de m’aimer par dessus toutes choses et d’aimer le prochain comme vous-mêmes ; il n’y a pas de commentaire qui ajoute : A moins qu’il ne vous fasse injure. Il a été dit au contraire par ma Vérité, que ce qu’elle a observé parfaitement, vous devez l’observer parfaitement vous-mêmes. Si vous ne l’observez pas, vous faites tort à votre âme en la privant de la grâce.

9.- Prenez donc, oui, prenez la clef de l’obéissance à la lumière de la foi. Ne marchez pas dans l’aveuglement et la tiédeur, mais maintenez l’obéissance dans votre coeur avec l’ardeur de la charité, afin qu’un jour, avec les observateurs de la loi, vous goûtiez l’éternelle félicité.

 

Table des Matières

 

 

 

CLVII.- De ceux qui aiment tant l’obéissance, qu’ils ajoutent à l’observation générale des préceptes une obéissance plus particulière.

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, il en est en qui augmente tellement l’amour de l’obéissance, qu’ils ne veulent plus se contenter de l’obéissance générale aux préceptes de la loi, que vous êtes toujours obligés d’observer, si vous voulez avoir la vie et ne pas tomber dans la mort éternelle ; ils tendent à la perfection en recherchant une obéissance plus (329) particulière et plus parfaite, qui consiste à observer les préceptes et les conseils mentalement et réellement.

2.- En effet, il n’y. a pas d’ardent amour sans haine de la sensualité, et avec cet amour croit nécessairement cette haine. Ceux-là donc, à cause de cette haine et pour tuer entièrement leur volonté propre, veulent se lier sous le joug d’une règle religieuse, ou, en dehors d’un Ordre, sous l’obéissance plus étroite de quelqu’un qu’ils prennent pour supérieur, afin de marcher plus rapidement et d’ouvrir plus sûrement avec la clef de l’obéissance la porte de la vie éternelle. Ce sont ceux qui choisissent l’obéissance parfaite.

3.- Je t’ai parlé de l’obéissance générale ; mais puisque tu veux que je te parle spécialement de cette obéissance parfaite, je vais t’en entretenir. Elle n’est pas séparée de la première, elle est seulement plus parfaite ; mais elles sont si unies, qu’elles ne peuvent exister l’une sans l’autre. Je t’ai dit d’où vient l’obéissance générale, où elle se trouve et ce qui vous la fait perdre ; je t’expliquerai de la même façon l’obéissance particulière.

 

Table des Matières

 

 

 

CLVIII.- De quelle manière on parvient de l’obéissance générale à l’obéissance particulière.

 

 

1.- L’âme qui, avec un amour sincère, a pris le joug de l’obéissance aux préceptes, en suivant la doctrine de ma Vérité, et en s’exerçant par des actes de vertu à cette obéissance générale, arrive à la seconde obéissance par la lumière qui l’a conduite à la première. La sainte lumière de la foi lui fait connaître par le sang de l’humble Agneau la vérité de l’amour ineffable que je lui porte, et la faiblesse qui la rend incapable d’y répondre avec la perfection que je mérite. Et alors, à l’aide de cette lumière, elle cherche le lieu et le moyen de s’acquitter envers moi, de surmonter sa faiblesse et de tuer sa volonté.

2.- La foi lui montre le lieu qu’elle cherche ; c’est la vie religieuse établie par l’Esprit Saint comme une barque pour recevoir les âmes qui veulent atteindre la perfection et parvenir au port du salut. Le patron de cette barque est l’Esprit Saint, que personne ne peut mettre en défaut ; car le religieux qui désobéit à ses ordres ne nuit point à la barque (330) et ne nuit qu’à lui-même. Ii est vrai que, par la faute de celui qui tient le gouvernail, la barque peut être battue par la tempête. Les mauvais pilotes sont les supérieurs qui remplissent d’une manière si déplorable les fonctions que leur a confiées le patron de cette barque. Cette barque est plus désirable que ta langue ne saura jamais le dire.

3.- Lorsque cette âme augmente ainsi le feu de son amour par la sainte haine d’elle-même, et qu’elle trouve, par la lumière de la foi, la barque de la vie religieuse, elle y entre morte à elle-même, si elle est véritablement obéissante, c’est-à-dire si elle a déjà parfaitement observé l’obéissance générale. L’imperfection qu’elle y apporte ne l’empêchera pas de parvenir ensuite à la perfection, Elle y parviendra à mesure qu’elle s’exercera davantage à l’obéissance.

4.- La plupart de ceux qui entrent en religion sont encore imparfaits. Les uns le font par légèreté d’âge, les autres par crainte, d’autres pour y trouver des consolations ou des jouissances. L’important est qu’ils fassent bien ce qu’ils ont entrepris et qu’ils y persévèrent jusqu’à la mort. Ce n’est pas sur le commencement, mais sur la fin que porte le jugement. Beaucoup qui paraissent parfaits d’abord regardent ensuite en arrière ou restent dans leur Ordre avec une grande imperfection. Les motifs et les circonstances avec lesquels on entre en religion ne sont rien ; c’est moi qui les fais naître en appelant chacun de différentes manières. Ce qu’il faut seulement  considérer, c’est l’amour avec lequel on persévère dans la véritable obéissance.

5.- Cette barque de l’obéissance est pleine de richesses, et celui qui s’y trouve n’a pas à se préoccuper de ses besoins spirituels ou temporels ; car celui qui obéit véritablement et qui observe la règle a pour patron le Saint Esprit lui-même. Je te l’ai dit en te parlant de ma providence, mes serviteurs peuvent être pauvres, mais jamais misérables, parce que je fournis chaque jour à leurs besoins. Ceux qui se soumettent à une règle le savent par expérience.

6.- En effet, tu vois qu’au moment où les Ordres religieux florissaient davantage par l’esprit de pauvreté et de charité fraternelle, jamais leurs moyens de vivre n’ont diminué ; ils se trouvaient plutôt du superflu. Mais dès que le poison de l’amour-propre eut introduit le désir de vivre séparément, et que l’obéissance eut disparu, leurs ressources temporelles se sont amoindries et plus ils possédaient, plus ils avaient de nécessités. Même dans les plus petites choses, ils devaient éprouver le fruit que porte la désobéissance ; car, s’ils avaient été obéissants et fidèles au voeu de pauvreté, ils n’auraient pas possédé quelque chose et vécu séparément.

7.- Tu trouveras dans cette barque le trésor de ces saintes règles, composées avec tant de sagesse et de lumière par ceux qui étaient les temples du Saint Esprit. Regarde avec quelle science Benoît sut disposer sa barque ; considère les parfums de pauvreté et les diamants de vertus dont François enrichit la barque de son Ordre, qu’il conduisit à une si haute perfection il la monta lui-même le premier, et donna l’exemple de ce mariage avec la sainte pauvreté à laquelle il s’était attaché par l’amour de l’abaissement et par le mépris de lui-même. Il ne désirait plaire

à aucune créature en dehors de ma volonté ; il recherchait les humiliations du monde ; il macérait son corps et détruisait sa volonté ; il se couvrait d’opprobres et d’ignominies par amour pour l’humble Agneau que l’amour a cloué et percé sur la Croix, tellement que, par une grâce extraordinaire, les plaies sacrées de mon Verbe apparurent sur son corps pour manifester, dans sa chair, l’ardeur qui dévorait son âme : c’est ainsi que François fraya la route aux autres.

8.- Te me diras : Est-ce que les autres Ordres ne sont pas fondés sur la pauvreté? Si, assurément. Mais pour tous elle n’est pas la chose principale : tous peuvent s’affermir sur la pauvreté ; mais, comme dans les vertus qui tirent leur vie de la charité il y en-a de spéciales aux uns et aux autres, quoiqu’elles aient toutes la même origine, mon cher pauvre François eut pour sa part la vraie pauvreté ; c’est par amour pour elle qu’il construisit sa barque, et qu’il y plaça des hommes d’une rare perfection ; ils n’étaient pas nombreux, mais excellents. Il y en a peu maintenant qui choisissent cette perfection. Hélas! ils ont augmenté en nombre et diminué en vertu ; et ce n’est pas la faute de la barque, mais c’est la faute de ceux qui n’obéissent pas et qui commandent mal. (332)

9.- Si tu regardes la barque de ton père Dominique, mon fils bien-aimé, tu verras qu’il y a parfaitement tout disposé pour m’honorer et sauver les âmes par la lumière de la science : en prenant cette lumière pour principe de son oeuvre, il n’a pas renoncé à la pauvreté volontaire ; il l’a embrassée aussi, et, afin de le prouver, il a laissé pour toujours dans son testament à ses fils, sa malédiction et la mienne, sur tous ceux qui possèderaient ou retiendraient quelque chose, d’une manière générale ou particulière : c’était montrer qu’il avait pris pour épouse la royale pauvreté. Mais, comme bien spécial, il choisit la lumière de la science, afin de détruire les erreurs qui s’étaient élevées de son temps. Il prit la charge du Verbe, mon Fils unique, et il parut comme un apôtre dans le monde, tant il sema ma parole avec ardeur, dissipant les ténèbres et répandant partout la lumière.

10.- Ce fut un flambeau que je donnai aux hommes par l’intermédiaire de Marie, pour détruire les hérésies. Oui, ce fut par l’intermédiaire de Marie ; car c’est elle qui lui donna l’Habit : ma bonté lui en avait confié le soin. Sur quelle table prenait-il avec ses enfants la lumière de la science? sur la table de la Croix, qui est la table des saints désirs, où on se rassasie des âmes en mon honneur. Dominique voulait que ses enfants fussent sans cesse occupés à cette table pour chercher, à la lumière de la science, la gloire de mon nom et le salut des âmes. Afin de les empêcher de songer à autre chose, il leur ôta le soin des biens temporels ; il voulut qu’ils fussent pauvres ; il montrait qu’il ne craignait pas de les voir manquer de rien ; car il était revêtu d’une foi puissante, et il espérait d’une espérance ferme en ma providence.

11.- Il prescrivit l’obéissance, et voulut-que chacun fût fidèle à la tâche qui lui était imposée ; et comme une vie sensuelle obscurcit la lumière de l’intelligence, et que

les excès de la débauche éteignent même les yeux du corps, il prit un moyen pour conserver la vue et acquérir plus parfaitement la lumière de la science. Il établit le voeu de continence, et voulut qu’il fût observé par tous avec une vraie et parfaite obéissance. Mais aujourd’hui combien sont infidèles! Ceux-là cachent la lumière de la science par les ténèbres de l’orgueil ; ces ténèbres n’obscurcissent pas la science elle-même, mais seulement leur âme. Où est l’orgueil, là ne peut être l’obéissance. (333)

12.- Je te l’ai dit, l’humilité est la mesure de l’obéissance, et l’obéissance la mesure de l’humilité : celui qui viole le voeu d’obéissance respecte rarement celui de continence dans ses actes ou ses désirs. Ton père Dominique a mis à sa barque trois cordages, qui sont la chasteté, l’obéissance et la vraie pauvreté : il a mis dans sa règle une grande modération, puisqu’il n’y a pas obligé les âmes sous peine de péché mortel. En cela je l’ai éclairé de ma lumière, dans l’intérêt de ceux qui seraient moins parfaits ; car, quoique tous ceux qui se soumettent à la règle soient dans un état de perfection, les uns vivent d’une manière plus parfaite que les autres ; mais les parfaits et les mi-parfaits sont tous dans la barque. Dominique est ainsi d’accord avec ma Vérité, puisqu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive.

13.- Aussi sa religion est toute large, toute joyeuse, toute parfumée ; c’est un jardin de délices, mais les malheureux qui n’en observent pas la règle le rendent inculte et sauvage ; la vertu y répand à peine quelque odeur, et la lumière de la science s’affaiblit en ceux qui s’y nourrissent. Ce jardin si désirable n’était point ainsi dans son principe ; les fleurs y abondaient, et les religieux y étaient d’une grande perfection ; ils ressemblaient à saint Paul par la lumière, et les ténèbres de l’erreur se dissipaient en leur présence.

14.- Regarde le glorieux Thomas, dont l’admirable intelligence contemplait ma Vérité, qu’il acquérait par une lumière surnaturelle et par une science infuse ; il dut cette

grâce beaucoup plus à ses prières qu’à ses études. Aussi fut-il un flambeau resplendissant qui éclaira son Ordre et le corps mystique de la sainte Église, dont il éloigna toutes les hérésies.

15.- Regarde Pierre, vierge et martyr, qui combattit l’erreur avec son sang. Il l’avait en si grande horreur, qu’il résolut d’y sacrifier sa vie. Tant qu’il respira, il ne fit autre chose que prier, prêcher, disputer avec les hérétiques, confesser, annoncer la vérité et répandre la foi sans rien craindre. Il la confessa pendant toute sa vie et jusqu’à son dernier soupir. Au moment d’expirer, la voix et l’encre lui manquaient : il trempa le doigt dans le sang qui sortait de sa blessure, et comme il n’avait pas de papier (334), ce glorieux martyr s’inclina vers la terre pour y écrire cette profession de foi : Credo in Deum. Son coeur était tellement embrasé de ma charité, qu’il ne ralentit pas sa course, et qu’il ne tourna pas la tête en arrière, lorsqu’il apprit qu’il devait mourir. Je le lui avais annoncé ; mais, en vrai chevalier, il ne connut pas la peur, et s’élança sur le champ de bataille.

16.- Je pourrais t’en citer bien d’autres qui, sans éprouver le martyre dans leur corps, le reçurent dans l’âme comme le bienheureux Dominique. C’étaient là les ouvriers que le Père de famille envoyait travailler à sa vigne, pour en arracher les épines du vice et y planter des vertus. Oui, Dominique et François étaient véritablement les deux colonnes de l’Église : François par la pauvreté qui a été partage, et Dominique par la science.

 

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CLIX.- Des obéissants et des désobéissants qui vivent en religion.

 

 

1.- Ainsi le lieu de l’obéissance est trouvé : ce sont ces barques admirables que le Saint Esprit a fait préparer par les fondateurs d’Ordres à ra sainte lumière de la foi ; c’est lui-même qui en est le patron. Maintenant je te parlerai de l’obéissance et de la désobéissance de ceux qui sont dans ces barques, d’une manière générale et sans te désigner aucun Ordre en particulier ; je te signalerai la faute de ceux qui désobéissent et la vertu de ceux qui obéissent, pour que tu les apprécies par leur opposition et que tu saches comment doit faire celui qui veut entrer dans la vie religieuse.

2.- Quelle route doit suivre celui qui veut arriver à l’obéissance parfaite ? Il doit suivre la lumière sainte de la foi, qui lui apprendra qu’il faut tuer sa volonté avec le glaive de la haine de toute sensualité, et qu’il faut prendre l’épouse et la soeur que lui donnera la charité. Cette épouse, c’est l’obéissance sincère et prompte ; sa soeur est la patience. Il faut aussi sa nourrice, l’humilité ; car, si elle ne l’avait pas pour la nourrir, l’obéissance mourrait de faim.

3.- Oui, l’obéissance ne peut vivre dans l’âme où ne se trouve pas cette bonne vertu de l’humilité. L’humilité n’est (335) jamais seule, elle est servie par l’abaissement et par le mépris du monde et de soi-même. L’âme qui se trouve méprisable ne désire pas les honneurs, mais les affronts ; elle doit mourir en entrant dans la barque de la vie religieuse, quand le moment est venu. L’âge et les circonstances varient selon les appels de ma providence ; mais dès qu’on est entré, il faut acquérir cette perfection et prendre franchement, joyeusement, la clef de l’obéissance à la règle.

4.- Cette clef ouvre la petite porte qui est à l’entrée du ciel, de même que les grandes portes en ont une particulière qui n’est pas ouverte à tout le monde. Ceux qui vont

au delà de l’obéissance commune prennent une clef plus petite qui leur permet d’entrer par la porte étroite et basse.

Cette porte n’est pas séparée de la grande ; quand ils en ont la clef, ils doivent la garder et ne pas -la jeter loin d’eux.

5.- Les vrais obéissants voient, à la lumière de la foi, que le fardeau des richesses et le poids de leur propre volonté leur causeraient une grande fatigue pour entrer par cette petite porte, et qu’ils risqueraient de se tuer en levant la tête là où il faut bon gré mal gré la baisser ; il se débarrassent alors de leurs richesses et de leur volonté, en observant le voeu de pauvreté volontaire. Ils ne veulent rien, posséder, parce qu’ils voient à la lumière de la foi à quelle ruine ils s’exposeraient sans cela, puisqu’ils transgresseraient l’obéissance, en n’étant pas fidèles à leur voeu de pauvreté.

6.- Ils se rendraient également coupables d’orgueil en levant la tête de leur volonté. Toutes les fois qu’il faut obéir, si ce n’était pas l’humilité, mais la force qui leur faisait baisser la tête, elle serait brisée par la violence, et cette obéissance ne pourrait plaire à leur supérieurs et à leur Ordre. Ils arriveraient alors graduellement à une autre révolte et tomberaient dans l’incontinence.

7.- Ceux qui ne règlent pas leurs désirs et ne se dépouillent pas des biens temporels, multiplient leurs relations et trouvent beaucoup d’amis qui les aiment par intérêt ; ces rapports entraînent des affections secrètes. Leur corps vivent dans les délices. Ils n’ont pas pour se soutenir l’humilité et le mépris d’eux-mêmes ; ils recherchent le

bien-être, le plaisir, les délicatesses, comme des grands seigneurs  (336), et non comme des religieux ; ils abandonnent ses veilles et la prière.

8.- Ils font d’autres chutes parce qu’ils ont de quoi dépenser ; cela n’arriverait pas s’ils n’avaient rien. Ils tombent dans des souillures spirituelles et corporelles. Si, par honte ou par impuissance, ils ne font pas matériellement le mal, ils le commettent au moins dans leurs coeurs. Celui qui recherche les conversations, les délicatesses du corps, les plaisirs de la table, sans veiller et sans prier, ne pourra jamais conserver la pureté de son âme.

9.- Celui qui obéit parfaitement au contraire aperçoit sur-le-champ, à la sainte lumière de la foi, le mal et les ruines que causent la possession des biens temporels et le fardeau de la volonté propre. Il comprend qu’il faut passer par la porte étroite, et qu’il y perdrait la vie, s’il ne l’ouvrait avec la clef de l’obéissance ; car je t’ai dit que c’était là lé moyen. Tant qu’il est dans la barque de la vie religieuse, il suit bon gré mal gré la route étroite de l’obéissance à son supérieur.

10.- L’obéissant parfait s’élève au dessus de lui-même et domine ses sens ; il en triomphe par la foi vive. Il place dans son âme la haine du moi, pour la servir et pour en chasser son ennemi, l’amour-propre ; car il veut préserver de toute offense l’obéissance, cette épouse bien-aimée que lui a donnée la charité, sa mère, à la lumière de la foi. Il chasse avec une sainte rigueur celui qui s’élève contre elle, et il lui donne ses compagnes et sa nourrice. Dès que la haine a chassé l’ennemi, l’amour de l’obéissance introduit daIms l’âme les amies de son épouse : ce sont les vertus sincères, l’habitude, l’observance fidèle de la règle. Cette aimable épouse entre dans l’âme avec sa soeur, la patience et sa nourrice, l’humilité, qu’accompagnent l’abaissement et le mépris de soi-même.

11.- Dès que l’obéissance est entrée, l’âme possède la paix et le repos, parce que ses ennemis sont dehors. Elle est dans le jardin de la véritable continence avec le soleil qui éclaire l’intelligence, et fait contempler à l’oeil de la foi ma Vérité incarnée, son unique objet. Elle ressent aussi le feu d’une tendre charité qui embrase tous ses amis et ses compagnons, parce qu’elle observe la règle avec un ardent amour. (337)

12.- Quels sont ses ennemis qui sont dehors? Le principal est l’amour-propre, qui produit l’orgueil ; c’est l’ennemi de la charité et de l’humilité. L’impatience est opposée à la patience, la révolte à l’obéissance, l’infidélité à la foi. La présomption et la fausse confiance combattent la véritable espérance que l’âme doit mettre en moi. L’injustice ne peut exister avec la justice, l’imprudence avec la prudence, l’intempérance avec la tempérance, la violation de la règle avec son observance. Les mauvaises conversations des méchants ne peuvent s’allier avec les saintes relations : ce sont des ennemis qui ruinent les habitudes et les usages salutaires de la vie religieuse. Il faut craindre leurs cruelles attaques. La colère combat contre la douceur, la haine de la vertu contre son amour, la volupté contre la pureté, la négligence contre le zèle, l’ignorance contre la science, le Sommeil contre les veilles et la prière persévérante.

13.- Dès que la lumière, de la foi lui a fait apercevoir ces ennemis qui voulaient souiller la sainte obéissance, l’âme envoie la haine pour les chasser, et l’amour pour introduire ceux qui lui sont chers. Alors la haine tue avec son glaive la volonté mauvaise, qui, nourrie par l’amour-propre, donnait la vie à tous les ennemis de la véritable obéissance. Une fois qu’est détruit le principe qui les entretenait, l’âme est libre et possède la paix. Qui lui ferait la guerre, puisqu’elle est délivrée de tout ce qui cause le trouble et la tristesse?

14.- Qui pourrait nuire à l’âme obéissante? Est-ce l’injure? Non, car elle est patiente ; la patience est soeur de l’obéissance. Est-ce le fardeau de la vie religieuse? Non, puisqu’elle le porte volontairement Les ordres rigoureux de ses supérieurs lui causeront-ils quelque peine ? Non, car elle a foulé aux pieds sa volonté, et jamais elle n’examine et ne juge les obligations qu’on lui impose, parce que la lumière de la foi lui fait voir ma volonté dans ces obligations. Elle sait que ma bonté les lui envoie dans l’intérêt de son salut. Aura-t-elle du dégoût et de l’ennui dans les plus viles occupations ?souffrira-t-elle des reproches, des injures, des affronts qu’elle reçoit, et des mépris dont elle est l’objet? Non, puisqu’elle aime l’abnégation et qu’elle se déteste sincèrement.

15.- Elle se réjouit au contraire dans la patience, et tressaille (338) d’allégresse à cause de l’obéissance, sa chère épouse. Elle s’attriste seulement quand elle voit offenser son Créateur. Sa conversation est avec ceux qui me craignent véritablement ; et si elle parle avec ceux qui sont séparés de ma volonté, ce n’est pas pour contracter leurs défauts, c’est pour les retirer de leur misère. La charité du prochain lui fait désirer de communiquer à d’autres le bien qu’elle possède, parce qu’elle voit que mon nom serait plus glorifié, si elle donnait à beaucoup son obéissance à la règle. Aussi elle s’applique à y attirer les religieux et les séculiers par ses paroles et ses exemples. Tous ses efforts tendent à les retirer des ténèbres du péché mortel. Toutes les conversations de l’obéissant véritable sont bonnes et parfaites ; qu’il parle avec les justes ou avec les pécheurs, il suit toujours les règles d’une charité droite et expansive.

16.- Sa cellule est un ciel où il se plaît à s’entretenir avec moi, l’éternel et souverain Bien ; l’amour l’empêche d’y être oisif, et le porte à m’adresser d’humbles et continuelles prières. Quand le démon lui envoie des pensées dangereuses, il ne s’endort pas dans la négligence ; il ne s’arrête pas à discuter les mouvements de son coeur, et à prendre des résolutions stériles ; mais il s’arme aussitôt d’une sainte haine contre lui-même et contre ses sens. Il supporte avec patience et humilité les tentations qu’il éprouve, et il leur résiste par les veilles et la prière, en fixant vers moi le regard de son intelligence, et en voyant à la lumière de la foi que je suis son protecteur, q,ui peux, qui sais et qui veux le secourir. Alors je lui ouvre les bras de ma bonté, pour qu’en se fuyant lui-même il se réfugie en moi.

17.- S’il lui semble ne pouvoir plus faire l’oraison mentale, à cause de la fatigue et des ténèbres de son âme, il a recours à la prière vocale et à quelque exercice corporel pour ne pas rester en repos ; il se tourne vers moi, qui lui accorde tout avec une paternelle tendresse. Son humilité sincère lui persuade qu’il est indigne de la paix et du repos dont jouissent mes autres serviteurs, et qu’il ne mérite que des tourments ; il a pour lui tant de mépris et de sainte haine, qu’il lui semble qu’il ne pourra jamais souffrir assez. Cependant il espère toujours en ma providence, et, avec le secours de (339) la foi et de l’obéissance, il traverse tous les orages dans

la barque de la vie religieuse, et il recueille laborieusement dans sa cellule des fruits abondants.

18.- Celui qui obéit veut être le premier à entrer au choeur, et le dernier à en sortir ; quand il voit un religieux plus obéissant et plus zélé que lui, il conçoit une sainte envie de cette vertu, qu’il s’approprie sans vouloir cependant la diminuer dans son prochain ; car, s’il le voulait, il se séparerait de la charité qu’il lui doit.

19.- L’obéissant prend ses repas au réfectoire ; il y est fidèle et se plait à manger comme les pauvres, pour prouver qu’il n’aime pas les exceptions. Il retranche même de sa part, et il observe si parfaitement son voeu de pauvreté, qu’il se reproche ce qu’il accorde aux nécessités de son corps. Au lieu de beaux ornements, sa cellule est pleine des parfums de la pauvreté ; il n’a pas à redouter que les voleurs le dépouillent et que les teignes rongent ses vêtements. Si on lui fait quelque présent, il ne songe pas à le conserver, mais il en fait part à ses frères.

20.- Il ne s’inquiète pas du lendemain et se contente de ce qui suffit à chaque jour. Son unique pensée est le royaume du ciel et la vraie obéissance, qu’il cherche à observer le mieux qu’il lui est possible ; et parce que l’humilité est la voie la plus sûre, il sé soumet au petit comme au grand, au riche comme au pauvre. Il se fait l’esclave de chacun, ne refusant aucune fatigue et servant tout le monde avec amour. L’obéissant ne veut point obéir à sa manière et choisir le moment et le lieu ; il obéit à sa règle et à son supérieur, et cela sans peine et sans ennui.

21.- Son obéissance sincère et parfaite le fait passer par la porte étroite de la vie religieuse sans difficulté, sans violence, parce qu’il observe ses voeux de pauvreté, d’obéissance, de chasteté. Il abaisse l’orgueil en inclinant la tête avec soumission, et humilité ; il ne se la brise pas par impatience, mais il est patient avec force et persévérance,  ainsi que l’aime l’obéissance. Il repousse les attaques du démon en mortifiant et en macérant sa chair, en la privant de toute délicatesse, de tout plaisir, en lui imposant toutes les fatigues de la règle, en acceptant tout et ne méprisant rien. Semblable à l’enfant qui ne garde aucun ressentiment des corrections de son père et des injures qui lui sont faites (340) il oublie les injures, les peines et les rigueurs qu’il peut éprouver de la part de ses supérieurs, et quand il est appelé, il retourne humblement vers eux, sans passion, sans haine, sans colère, mais avec douceur et bienveillance.

22.- Ce sont là ces enfants dont mon Fils parlait à ses disciples lorsqu’ils se disputaient pour savoir qui d’entre eux serait le plus grand , il leur disait : « Laissez venir à moi les petits enfants, c’est à eux qu’est le royaume du ciel s (S. Marc. x, 14). Celui qui ne s’humiliera pas comme le petit enfant, c’est-à-dire qui n’aura pas ses qualités, sa simplicité, celui-là n’entrera pas dans le royaume du ciel.

23.- Celui qui s’humiliera, ma fille bien-aimée, sera élevé, et celui qui s’élèvera sera humilié (S. Matth. XXIII, 12) ; ainsi l’a dit ma Vérité. Oui, les petits, les humbles, qui se seront abaissés, qui se seront soumis à la véritable et sainte obéissance, ceux qui n’ont pas résisté à la règle et à leur supérieur, je les exalterai, moi l’Éternel, le Tout-Puissant. Je les placerai parmi les habitants de la cité bienheureuse, où toutes leurs fatigues auront leur récompense. Et dès cette vie même, je leur donnerai un avant-goût de la vie éternelle.

 

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CLX.- Ceux qui obéissent reçoivent le centuple et la vie éternelle.- Ce que veut dire le centuple.

 

 

1.- Ma fille bien-aimée, c’est en ceux qui obéissent que s’accomplit la parole de mon aimable et doux Verbe. Pierre lui avait dit : « Maître, voici que nous avons tout laissé par amour pour vous, et que nous vous avons suivi, que nous donnerez-vous? » Mon Fils lui répondit : « Vous recevrez le centuple, et vous posséderez la vie éternelle » ( S. Marc, x, 28, 30) ; c’est-à-dire : Pierre, vous avez bien fait, car vous ne pouviez me suivre autrement, et moi, dans cette vie, je vous donnerai le centuple ;

2.- Quel est, ma fille bien-aimée, le centuple que suivra la vie éternelle? que voulait dire ma Vérité? Parlait-elle des biens temporels? Non, certainement, quoique je les multiplie quelquefois pour récompenser l’aumône. De qui parle-t-elle? De celui qui donne sa volonté propre, qui est son unique chose ; et pour cette unique chose je lui en donne  (341) cent, car je lui donne la charité. Pourquoi le nombre cent? parce que ce nombre est parfait, et qu’on ne peut y ajouter sans recommencer le premier nombre. De même la charité est la plus parfaite de toutes les vertus, et on ne peut y ajouter qu’en recommençant la connaissance de soi-même, et en l’augmentant de mérite jusqu’à ce qu’on soit arrivé à une nouvelle centaine. Tel est le centuple que je donne à ceux qui m’ont donné leur seule volonté par l’obéissance générale, et mieux encore par l’obéissance particulière.

3.- Avec le centuple vous avez la vie éternelle ; car il n’y a que la charité qui entre en maîtresse dans le ciel avec le fruit des autres vertus qui restent en dehors. Elle vient àmoi, la Vie éternelle, que possèdent à jamais, les bienheureux. La foi ne l’accompagne pas ; puisque les bienheureux connaissent par expérience et en vérité ce qu’ils ont cru par la foi ; ils n’ont pas non plus l’espérance, puisqu’ils possèdent ce qu’ils espéraient. Il en est ainsi de toutes les autres vertus. La seule charité entre en reine, et elle me possède comme je la possède.

4.- Tu vois donc que ces petits enfants de l’obéissance reçoivent le centuple et la vie éternelle, puisqu’ils reçoivent le feu de la charité, qui est représenté par le nombre cent. Et parce qu’ils ont reçu le centuple, ils vivent dans une admirable allégresse de coeur ; car jamais dans la vraie charité ne se trouve la tristesse ; il y règne au contraire une joie qui dilate le coeur, qui le rend généreux, sans petitesse et sans fausseté. L’âme qui est frappée de cette douce blessure ne met jamais sur le visage et sur la langue autre chose que ce qui est dans le coeur. Elle ne sert pas son prochain par hypocrisie ou par intérêt ; car la charité se dévoue à toute créature, et l’âme qui la possède ne tombe jamais dans l’abattement et la tristesse ; elle ne se sépare jamais de l’obéissance, et lui reste fidèle jusqu’à la mort.

 

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CLXI.- Des misères de ceux qui n’obéissent pas.

 

1.- Celui au contraire qui n’obéit pas dans la barque de la vie religieuse est si à charge à lui et aux autres, qu’il a dès ici-bas un avant-goût de l’enfer. Il vit toujours au milieu de la tristesse, de la honte et des remords de sa conscience ; il déplaît à ses supérieurs et à son Ordre, il (342) devient insupportable à lui-même. Vois, ma fille bien-aimée, celui qui s’est lié par un voeu à une règle et qui se fait cependant l’esclave de la désobéissance. La désobéissance devient sa maîtresse, avec sa compagne l’impatience qui est nourrie par l’orgueil ; et l’orgueil, comme je l’ai dit, naît de l’amour de soi-même.

2.-Il arrive alors à l’âme le contraire de ce que produit en elle la véritable obéissance. Comment celui qui désobéit pourrait-il éviter ce malheur, puisqu’il n’a pas la charité? Il faut qu’il baisse de force la tête que l’orgueil vient relever ; toutes ses volontés sont en désaccord avec la volonté de la règle. Elle lui commande l’obéissance, et il aime désobéir ; elle lui impose la pauvreté volontaire, et il la fuit ; il possède ou convoite la richesses ; elle veut la continence, la pureté, il désire les plaisirs déshonnêtes.

3.- En violant ses trois voeux, ma chère fille, le religieux tombe si bas, et dans des faiblesses si honteuses, qu’il ne ressemble plus à un religieux, mais à un démon revêtu d’un corps, ainsi que je te l’ai expliqué déjà plus au long. J’ajouterai cependant quelque chose pour te faire mieux comprendre les fruits déplorables de la désobéissance, et pour te faire admirer davantage le mérite de l’obéissance.

4.- Ce malheureux qui n’obéit pas est trompé par l’amour-propre. Le regard de son intelligence, qui n’est plus éclairé par la foi, se complaît dans sa volonté propre et dans les choses du monde. Il est éloigné du monde par son corps, mais il y habite par le désir. L’obéissance lui semble un fardeau ; il veut désobéir pour l’éviter, et ce fardeau devient bien plus pesant, parce qu’il faut obéir ou par force, ou par amour, et il est bien plus facile d’obéir par amour que .sans amour.

5.- Oh! comme il est dans l’erreur ! Personne ne le trompe, mais il se trompe lui-même. Il recherche le bien-être, et il ne trouve que la peine, même dans ce qu’il fait, à cause de l’obéissance qui lui est imposée. Il veut jouir et se faire une vie éternelle de cette vie passagère ; la règle veut qu’il n’y soit qu’un voyageur, et qu’il ne s’arrête pas au plaisir qu’il y trouve et aux endroits qui lui sont agréables. Il doit changer, et ce changement lui est un supplice parce que sa volonté n’est pas morte et voudrait résister ; mais s’il n’obéissait pas, il encourrait les châtiments (343) de la règle, et c’est ce qui le fait souffrir continuellement.

6.- Tu vois donc qu’il se trompe ; en voulant fuir la peine, il en trouve une plus grande, parce que son aveuglement l’empêche de connaître la voie véritable de l’obéissance, cette voie véritable est tracée par l’obéissant Agneau, mon Fils, qui délivre de toute peine ceux qui obéissent. Lui, au contraire, suit la voie du mensonge ; il espère y trouver sa consolation, et il n’y rencontre que des peines amères. Qui lui sert de guide? c’est l’amour qu’il a pour l’indépendance. Il veut, dans sa folie, surmonter les tempêtes et les flots avec ses seules forces et sa science misérable ; il refuse les secours de son Ordre et de ses supérieurs.

7.- Il est dans la barque de la vie religieuse, de corps seulement et non d’esprit ; il l’abandonne par ses désirs, en n’observant pas les prescriptions de la règle, et les trois voeux qu’il a promis d’accomplir dans sa profession. Aussi est-il sur la mer le jouet des orages et des vents qui attaquent sa barque ; il n’y est attaché que par les vêtements que portent son corps, et non son coeur : ce n’est pas un religieux, c’est un homme vêtu.

8.- Cet homme même n’en a que l’apparence, et n’est pas réellement un homme ; car sa vie est pire que celle de l’animal. Il ne voit pas qu’il se fatigue plus à se soutenir avec ses bras qu’avec ceux des autres ; il ne s’aperçoit pas qu’il est menacé d’une mort éternelle, et que si cet habit qui l’attache encore à la barque se rompait avec sa vie, tout secours deviendrait impossible. Non, il ne voit rien, parce que les nuages de l’amour-propre qui cause sa désobéissance, le privent de la lumière, et l’empêchent de connaître son malheur. Tu vois combien son erreur est déplorable.

9.- Quels fruits porte ce mauvais arbre? Des fruits de mort, car il a sa racine dans l’orgueil, qui vient de l’estime et de l’amour de soi-même. Aussi tout ce qui en sort est corrompu, les feuilles, les fleurs et les fruits. Les branches en sont gâtées. Ces branches sont au nombre de trois : l’obéissance, lit pauvreté, la chasteté. Elles partent du tronc de l’arbre, c’est-à-dire des affections de l’âme mal placées. Les feuilles que produit l’arbre sont des paroles mauvaises, qui seraient déplacées même dans la bouche d’un séculier dissolu. S’il doit annoncer l’Évangile, il le revêtira d’un beau langage et d’une forme recherchée, non pour faire germer (344) dans les âmes cette semence de mon Verbe, mais pour faire admirer son talent.

10.-  Si tu examines les fleurs de cet arbre, tu sentiras leur mauvaise odeur : ce sont les pensées frivoles et coupables qu’il entretient avec plaisir, sans fuir les occasions et les lieux qui les font naître ; il cherche plutôt à consommer le mal, et c’est le fruit qui tue la vie de la grâce et lui donne la mort éternelle. Et quelle infection cause ce fruit que porte la fleur de cet arbre, c’est cette puanteur de la désobéissance qui juge et condamne intérieurement la volonté des supérieurs ; c’est cette corruption des conversations dangereuses qu’on recherche avec des dévotes prétendues. O malheureux, ne vois-tu pas combien cette fausse dévotion fait naître d’enfants illégitimes! Voilà ce que te produit la désobéissance. Tu n’as pas pris pour tes enfants les saintes vertus, comme le font ceux qui obéissent parfaitement.

11.- Le mauvais religieux cherche à tromper son supérieur. Quand il voit qu’on lui refuse ce que sa volonté mauvaise désire, il a recours à des paroles flatteuses ou dures, à des reproches ou à des menaces. Il ne se gêne pas avec ses frères, et ne peut supporter la moindre critique de leur part. Il porte aussitôt, les fruits empoisonnés de l’impatience, de la colère, de la haine du prochain ; il trouve mal ce qui a été fait pour son bien, et cette irritation bouleverse son esprit et son corps. Pourquoi n’aime-t-il pas son frère? Parce qu’il s’aime lui-même d’une manière sensuelle.

12.- Il fuit sa cellule comme la peste, parce qu’il est sorti de la cellule de la connaissance de lui-même ; et c’est ce qui le porte à la désobéissance et l’empêche de rester dans sa cellule véritable. Il ne veut pas paraître au réfectoire, qui lui semble un ennemi tant qu’il a de l’argent à dépenser, et il ne s’y rend que quand la nécessité l’y force.

13.- Ceux qui obéissent font bien d’être fidèles à leur voeu de pauvreté, et de n’avoir rias le moyen de quitter dette douce table commune, où l’obéissance nourrit dans le calme et le repos l’âme et le corps. Ils ne cherchent point à se procurer des mets délicats comme le malheureux qui fuit le réfectoire parce qu’il y trouve tout détestable.

14.- Le désobéissant tâche toujours de venir à l’Office le dernier et d’en sortir le premier ; il approche de moi des (345) lèvres, mais son coeur est bien loin. Il évite tant qu’il peut le Chapitre, par crainte des pénitences qu’on y donne ; et quand il y est, il lui semble être dans une odieuse prison, et il y éprouve une honte qu’il n’a pas eue en commettant des péchés mortels. Quelle en est la raison? la désobéissance. Il ne connaît pas les saintes veilles de la prière : non seulement il néglige l’oraison mentale, mais encore il omet souvent l’Office qu’il est obligé de réciter. Comment aurait-il la charité fraternelle, puisqu’il n’aime que lui? Il n’aime pas comme les êtres raisonnables, mais comme les bêtes. Enfin, les fruits qu’il porte sont si malheureux, que ta langue ne pourra jamais le raconter.

15.- O malheureuse désobéissance qui prives l’âme de la lumière de l’obéissance, et lui ôtes la paix et la vie pour lui donner la guerre et la mort ! Tu l’enlèves de la barque des saintes observances pour la jeter aux flots de la mer, contre lesquels elle doit lutter seule, sans le secours de son Ordre ; tu l’accables de misères, tu la fais mourir en lui enlevant la nourriture et le mérite de l’obéissance ; tu l’abreuves d’amertume, tu la dépouilles de toute puissance, de tout bien, et tu la livres à toutes sortes de maux. Dès cette vie tu lui donnes l’avant-goût des plus cruels supplices ; et si elle ne se corrige avant que la mort ne déchire les vêtements qui la retiennent encore à cette barque de l’obéissance, tu la conduis à la damnation éternelle avec les démons, qui tombèrent du ciel jusque dans l’abîme, parce qu’ils s’étaient révoltés contre moi. Toi qui désobéis, tu auras le même sort ; car tu as été rebelle à l’obéissance ; tu as jeté la clef qui devait t’ouvrir la porte du ciel ; tu as ouvert avec la clef de la désobéissance la porte de l’enfer.

 

 

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CLXII.- Imperfection de ceux qui vivent en religion avec tiédeur, tout en évitant le péché mortel.- Remèdes pour sortir de la tiédeur.

 

 

1.- O ma fille bien-aimée, combien sont nombreux ceux qui vivent ainsi dans la barque de l’obéissance, et combien sont rares au contraire ceux qui obéissent parfaitement ! Entre ces parfaits et ces malheureux, il y en a qui vivent dans leur Ordre avec négligence, sans les vertus qu’ils devraient (346) avoir, mais aussi sans de grands défauts : leur conscience les empêche de pécher mortellement, mais leur coeur est plongé dans la tiédeur et l’engourdissement. S’ils ne font pas des efforts pour mieux observer leur règle, ils couvent de grands dangers. Ils ont besoin de se réveiller et de travailler avec courage à secouer leur langueur ; car s’ils y persévèrent, ils sont exposés à bien des chutes. S’ils évitent ces chutes, ils se contenteront des apparences de la vie religieuse, dont ils s’appliqueront plus à suivre les cérémonies que l’esprit.

2.- Souvent, par défaut de lumière, ils seront portés à juger témérairement ceux qui observent plus parfaitement la règle, parce qu’ils les voient accomplir avec moins d’exactitude les actes extérieurs dont ils sont si fiers. Il leur est dur de toute manière de vivre sous une règle commune ; car la tiédeur leur rend pénible l’obéissance. Ces coeurs nonchalants trouvent pesants les plus légers fardeaux, et ils se fatiguent beaucoup pour recueillir bien peu ; ils pèchent contre la perfection qu’ils ont embrassée et qu’ils sont tenus d’observer. S’ils font moins mal que ceux dont je te parlais, ils font cependant mal ; car ils n’ont pas quitté le monde pour rester dans l’obéissance générale, mais pour ouvrir le ciel avec la clef de l’obéissance particulière, et cette clef, ils devraient l’attacher par le mépris d’eux-mêmes à la ceinture de l’humilité, et la tenir fermement avec un ardent amour.

3.- Apprends, ma fille bien-aimée, que ceux-là pourraient arriver à la perfection, s’ils voulaient y travailler ; car ils en sont plus près que les autres pécheurs. Mais, d’un autre côté, ils ont plus de difficultés à quitter leur imperfection que n’en ont les pécheurs à se retirer de leur état misérable. Et sais-tu pourquoi? Parce que le pécheur voit très bien qu’il fait maI ; sa conscience le lui montre, mais il est affaibli par l’amour-propre, et il ne s’efforce pas de sortir des fautes dont la lumière naturelle lui fait voir le mal. Si on lui demande : N’est-ce pas mal d’agir ainsi? le pécheur répond : Oui, mais ma faiblesse est si grande, qu’il me semble que je ne puis sortir du péché. Il ne dit pas vrai ; car avec mon secours il pourrait en sortir. Mais, enfin, il sait qu’il fait mal, et cette connaissance peut l’aider à se convertir, s’il veut.

4.- Les tièdes, au contraire, qui ne font pour ainsi dire (347) ni bien ni mal, ne connaissent pas l’engourdissement où ils sont et le danger qui les menace ; cette ignorance les empêche de faire des efforts pour changer, et quand on cherche à les avertir, la nonchalance de leur coeur les retient dans leurs longues et tristes habitudes.

5.- Quel moyen pourrait les tirer de cette inertie? Ils doivent prendre le bois de la connaissance d’eux-mêmes avec une sainte haine de l’estime et de la réputation, pour le mettre dans le feu de ma divine charité. Qu’ils renouvellent leur entrée dans la vie religieuse en épousant de nouveau l’obéissance parfaite avec l’anneau de la sainte foi, et qu’ils sortent de ce sommeil qui m’est si odieux, et qui leur est si préjudiciable ; car c’est à eux surtout que s’adresse cette parole : « Malheur à vous qui êtes tièdes! Car il vaudrait mieux que vous fussiez froids. Si vous ne vous corrigez pas, je vous vomirai de ma bouche » (Apoc. III,15).

6.- Ceux qui restent dans l’inertie s’exposent à tomber, et ceux qui tombent

encourent ma réprobation. J’aimerais mieux que vous fussiez froids en restant dans le monde, soumis à l’obéissance générale, qui est comme la glace, quand on la compare au feu de l’obéissance particulière. Si je dis que j’aimerais mieux que vous fussiez froids, ce n’est pas pour vous faire croire que je préfère la glace du péché mortel à la tiédeur de l’imperfection ; non, car je ne puis vouloir le péché : le péché est un poison qui n’est pas en moi ; il me déplaît tellement dans l’homme, qu’il m’est impossible de ne pas le châtier ; et comme l’homme ne suffisait point à la peine que le péché mérite, j’ai envoyé le Verbe, mon Fils unique, afin qu’il pût y satisfaire dans son corps par l’obéissance.

7.- Que les tièdes donc se réveillent et se livrent à de saints exercices, aux veilles, à une humble et continuelle prière, qu’ils s’appliquent à leur règle, et qu’ils imitent les patrons de la barque qui les porte. C’étaient des hommes comme eux, nés de la même manière et nourris des mêmes aliments. Dieu est maintenant le même qu’il était alors : ma puissance n’a pas faibli, ma volonté veut avec autant d’ardeur votre salut, et ma sagesse vous donnera toujours la lumière qui vous fera connaître ma Vérité. Les tièdes peuvent donc se relever s’ils le veulent, pourvu qu’ils délivrent leur intelligence (348) des nuages de l’amour-propre, et qu’ils courent à la lumière de la foi, dans les sentiers de l’obéissance parfaite. Ils n’ont que ce moyen pour y parvenir.

 

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CLXIII.- De l’excellence de l’obéissance et des biens qu’elle procure.

 

 1.- Je t’ai fait connaître le bon et salutaire moyen que le religieux prend chaque jour pour augmenter en Lui la vertu de l’obéissance par la lumière de la foi. Il désire le mépris, les affronts et les fardeaux que lui imposent ses supérieurs. Afin que l’obéissance et la patience sa soeur ne s’affaiblissent pas et ne lui manquent jamais, quand il a besoin de les exercer, il fait entendre continuellement les cris de ce désir, et il utilise toujours le temps parce qu’il est affamé. L’obéissance est une épouse pleine de zèle, qui ne veut jamais rester oisive.

2.- Aimable Obéissance, chère Obéissance, douce Obéissance, Obéissance resplendissante qui dissipes les ténèbres de l’amour-propre ; Obéissance qui vivifies l’âme en lui donnant la vie de la grâce, lorsqu’elle te prend pour épouse et te délivre dd la volonté propre qui cause la guerre et la mort, tu es prodigue de toi-même, puisque tu te soumets à toute créature raisonnable. Tu es bonne et compatissante ; tu portes avec douceur les plus grands fardeaux, parce que tu as pour compagnes la force et la patience véritable. Tu recevras la couronne de la persévérance. Tu ne te laisses pas abattre par les importunités des supérieurs et par les épreuves qu’ils t’imposent sans discrétion. Tu supportes tout avec la lumière de la foi. Tu es tellement liée avec l’humilité, qu’aucune créature ne peut l’arracher de l’âme qui te possède.

3.- Que te dire, ma chère et bien-aimée fille, de l’excellence de cette vertu ? Oui, l’obéissance est un bien sans mélange, la barque qui la possède n’a pas à redouter les vents contraires ; l’âme qu’elle dirige est portée par sa règle et les supérieurs, sans avoir à s’occuper d’elle-même, celui qui obéit parfaitement n’a pas de compte à me rendre : il n’en en doit qu’à celui auquel il est soumis.

4.- Passionne-toi, ma fille bien-aimée, pour cette glorieuse (349) vertu. Veux-tu connaître les bienfaits que tu as reçus de moi, ton Père? Sois obéissante. L’obéissance te montrera si tu es reconnaissante, parce qu’elle procède de la charité. L’obéissance prouvera si tu n’es pas ignorante, parce qu’elle vient de la connaissance de ma Vérité. C’est un trésor qu’a fait connaître mon Verbe, en vous enseignant la voie de l’obéissance et de la règle, en se faisant obéissant lui-même jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix ; et c’est son obéissance qui a ouvert le ciel et servi de fondement à l’obéissance générale et particulière, ainsi que je te l’ai dit au commencement. 

5.- L’obéissance est une lumière pour l’âme ; elle montre qu’elle m’est fidèle et qu’elle est fidèle à l’Ordre et à ses supérieurs. Dans cette lumière que lui donne la foi, elle s’oublie et ne se cherche pas pour elle-même ; car, dans l’obéissance acquise par la lumière de la foi, elle a prouvé que sa volonté est morte à ce sens particulier qui s’occupe des affaires d’autrui plutôt que des siennes. Ainsi fait le désobéissant qui examine la volonté des supérieurs, et qui la juge avec ses bas sentiments et ses vues obscures, ne se mettant pas en peine de sa volonté corrompue qui lui donne la mort.

6.- Celui qui obéit véritablement à la lumière de la foi juge toujours bien- la volonté de ses supérieurs ; il n’écoute pas la sienne et incline seulement la tête, en nourrissant

 son âme des parfums d’une véritable et sainte obéissance. Cette vertu grandit à mesure que s’y répand la sainte-lumière de la foi ; car c’est à cette lumière de la foi que l’âme se connaît et me connaît, qu’elle m’aime et qu’elle s’humilie ; et plus elle aime et s’humilie, plus elle est obéissante. L’obéissance, et sa soeur la patience, montrent que l’âme est véritablement revêtue du vêtement nuptial de la charité, avec lequel on entre dans la vie éternelle.

7.- Ainsi l’obéissance ouvre le ciel et reste dehors : la charité qui lui a donné la clef entre avec les fruits de l’obéissance ; car, comme je te l’ai dit, les vertus restent en dehors, la charité seule entre au ciel. Mais l’obéissance a l’honneur d’ouvrir le ciel, que la désobéissance du premier homme a fermé. C’est l’obéissance de l’humble et fidèle Agneau sans tache, mon Fils unique, qui a ouvert la vie éternelle depuis si longtemps fermée. (350)

 

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CLXIV.- Distinction de deux obéissances : celle des religieux et celle qu’on rend à une personne en dehors de la vie religieuse.

 

1.- Ainsi que je te l’ai dit, ma chère fille, mon Fils vous a laissé la douce obéissance, comme une clef pour ouvrir le ciel et parvenir à votre fin ; il vous l’a laissée par précepte et par conseil : par précepte pour tous, et par conseil, si vous vouliez tendre à la perfection et passer par la porte étroite de la vie religieuse. Il y en a qui ne sont pas attachés à un Ordre, et qui sont cependant dans la barque de la perfection. Ce sont ceux qui observent les conseils sans être religieux, et qui rejettent réellement et spirituellement les richesses et les pompes du monde. Ils gardent la chasteté, soit dans l’état de virginité, soit dans le parfum de la continence, s’ils n’ont pas la virginité ; ils observent l’obéissance en se soumettant, comme je te l’ai dit ailleurs, à une personne à laquelle ils s’efforcent d’obéir parfaitement jusqu’à la mort.

2.- Si tu me demandes qui a plus de mérite, de ceux qui obéissent ainsi, ou de ceux qui sont dans un Ordre, je te répondrai que le mérite de l’obéissance ne se mesure pas aux actes, au lieu ou à la personne, qui peut être bonne ou mauvaise, séculière ou religieuse. Le mérite de l’obéissance est dans l’amour de celui qui obéit, et cet amour est la mesure de sa récompense. L’imperfection d’un supérieur ne nuit aucunement à celui lui obéit ; elle lui est même utile quelquefois, car les persécutions et les rigueurs indiscrètes d’ordres trop sévères font acquérir la vertu de l’obéissance, et la patience sa soeur. Un lien imparfait ne nuit pas non plus : je dis imparfait, parce que la vie religieuse est l’état le plus parfait, le plus assuré.

 J’appelle imparfait l’état de ceux qui observent les conseils de l’obéissance en dehors d’un Ordre ; mais je ne dis pas pour cela que leur obéissance est imparfaite et moins méritoire, car l’obéissance, comme les autres vertus, a pour mesure l’amour.

3.- Il est vrai qu’en beaucoup de choses il est préférable d’obéir dans un Ordre, à cause du voeu qu’on fait (351) entre les mains d’un supérieur, et des épreuves plus grandes qu’on y rencontre. Toutes les actions du corps sont liées à ce joug, et on ne peut s’y soustraire, quand on le voudrait, sans commettre un péché mortel, parce que la règle est approuvée par l’Église, et qu’on a fait un vœu. Il n’en est pas de même pour les autres : ils sont liés volontairement par l’amour de l’obéissance, et non par un voeu solennel. Ils peuvent sans péché mortel renoncer à cette obéissance à une créature, s’ils ont pour le faire des raisons légitimes, et s’ils n’agissent pas par faiblesse. Si c’est par faiblesse, ils commettent une faute très grave mais cependant il ne sont pas engagés sous peine de péché mortel.

4.- Sais-tu la différence qu’il y a entre les uns et ]es autres? la différence qu’il y a entre celui qui prend le bien d’autrui, et celui qui retire à quelqu’un ce qu’il lui avait donné par amour, avec l’intention de ne pas le reprendre : l’un n’a pas fait d’acte authentique, tandis que l’autre s’est engagé publiquement par sa profession. Il a renoncé à lui-même entre les mains du supérieur, et il a promis d’observer l’obéissance, la chasteté, la pauvreté volontaire. Le supérieur, de son côté, a promis, s’il était fidèle jusqu’à sa mort, de lui donner la vie éternelle.

5.- Ainsi, pour ce qui est des obligations, du lieu et de la manière, l’obéissance dans un Ordre est plus parfaite que l’obéissance dans le monde. L’obéissance dans un Ordre est aussi plus sûre ; quand on tombe, on a plus de secours pour se relever. L’obéissance dans le monde est moins certaine ; elle expose davantage, quand on tombe, à tourner la tête en arrière, parce qu’on ne se sent pas lié par un voeu consommé. On est comme le religieux avant sa profession : tant qu’il ne l’a pas faite, il peut partir ; ce qui ne lui est plus permis lorsqu’elle est prononcée.

6.- Quant au mérite, je te le répète, sa mesure est l’amour de celui qui obéit. Dans quelque état qu’on soit, on peut avoir un mérite parfait, parce que le mérite est uniquement dans l’amour. Les vocations sont différentes ; j’appelle à ces deux états selon la capacité de chacun ; mais la récompense est mesurée sur l’amour : si le séculier aime plus que le religieux, il reçoit davantage ; il en est de même du religieux et de tous les autres. (352)

 

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CLXV.- Dieu ne récompense pas selon la difficulté et la durée de l’obéissance, mais selon le zèle et la grandeur de la charité.- Miracles que Dieu fait par l’obéissance.

 

 

1.- Je vous ai tous envoyés dans la vigne de l’obéissance pour y travailler de différentes manières, et à chacun je donnerai le prix de son amour, et non de son ouvrage et de son temps ; car sans cela celui qui vient de bonne heure recevrait plus que celui qui vient plus tard. Ma Vérité vous a donné dans l’Évangile l’exemple de ceux qui étaient oisifs, et que le maître envoya travailler à sa vigne, li donna autant à ceux qui étaient venus au point du jour qu’à ceux qui étaient venus à la première heure ; et ceux qui vinrent à la troisième, à la sixième, à la neuvième et à la dernière reçurent autant que les premiers.

2.- Ma vérité vous a enseigné par là que vous serez récompensés, non pas selon le temps et selon l’ouvrage, mais selon le degré d’amour. Beaucoup sont appelés, dès l’enfance, pour travailler à cette vigne ; d’autres y. viennent plus tard, et n’arrivent même que dans la vieillesse. Ceux-là souvent, parce qu’ils voient le peu de temps qui reste, agissent avec tant d’amour, qu’ils atteignent ceux qui sont venus dès l’enfance, mais qui ont marché lentement. C’est donc par l’amour de l’obéissance que l’âme acquiert des mérites ; elle remplit son vase en moi, qui suis l’Océan pacifique.

3.- Beaucoup ont une obéissance si prompte et si incarnée dans leur âme, que non seulement ils ne cherchent point à comprendre les motifs de leur supérieur, mais qu’ils attendent à peine que les ordres soient sortis de sa bouche, parce que la lumière de la foi leur fait deviner ses intentions. L’obéissant parfait obéit plus à l’intention qu’à la parole, pensant que la volonté du supérieur est ma volonté, que je le charge de lui transmettre. Et c’est pour cela que je te dis qu’il obéissait plus à l’intention qu’à la parole. Il obéit à la parole du supérieur, parce qu’il obéit avec amour à sa volonté, que la lumière de la foi lui fait croire unie à la mienne.  

4.- On lit dans la vie des Pères l’exemple d’un religieux qui obéissait ainsi par amour. son Abbé lui ayant (353) donné un ordre pendant qu’il écrivait un o, qui est une

bien petite chose, il ne se donna pas le temps de finir, et courut sur-le-champ où l’appelait l’obéissance. Je voulus lui montrer combien cette promptitude m’était agréable, et ma bonté termina en or la lettre inachevée.

5.- Cette glorieuse vertu m’est si agréable, que pour aucune vertu je n’ai fait autant de miracles que pour elle. C’est qu’elle procède de la lumière de la foi, et qu’il faut que les hommes sachent combien je l’aime. La terre obéit à cette vertu, et les animaux la servent. L’eau porte l’obéissant. Si tu regardes la nature, tu verras qu’elle est soumise à celui qui obéit.

6.- N’as-tu pas lu l’histoire de ce disciple auquel son Abbé remit un bâton de bois mort? Il lui ordonna de le planter et de l’arroser tous les jours ; le disciple, éclairé par la lumière de la foi, se garda bien de dire que c’était là chose inutile. Il obéit sans s’inquiéter du résultat, et, par la vertu de l’obéissance et de la foi, le bois mort reverdit et porta des fruits. Pour montrer que cette âme avait triomphé de la sécheresse de la désobéissance, et que ses rameaux renouvelés avaient donné un bon fruit, ce fruit fut appelé par les saints Pères le fruit de l’obéissance.

7.- Si tu regardes les animaux, tu verras qu’ils obéissent aussi à l’obéissance. Un religieux remarquable par son l obéissance et sa pureté fut chargé d’aller prendre un grand serpent ; il le conduisit à son Abbé, qui, en médecin prudent, pour le préserver de la vaine gloire et l’exercer à la patience, le chassa de sa présence, et lui dit avec reproche : « Il faut être vraiment bête pour conduire ainsi cette bête enchaînée ».

8.- Le feu présente les mêmes miracles. N’as-tu pas lu dans la sainte Écriture que beaucoup, pour ne pas transgresser mes ordres, se sont laissé jeter dans les flammes, et que les flammes ne leur ont fait aucun mal? Tels furent les trois enfants dans la fournaise, et tant d’autres que je pourrais te citer. L’eau s’affermit sous les pieds de saint Maur, lorsqu’il alla chercher par obéissance un religieux qui se noyait. Il ne pensait pas à lui, mais il pensait, avec la lumière de la foi, à remplir l’ordre qu’il avait reçu : il alla sur l’eau comme s’il eût marché sur la terre, et il sauva le disciple. (354)

9.- Partout, si tu ouvres l’oeil de ton intelligence, tu verras que je t’enseigne l’excellence de l’obéissance. On doit tout abandonner pour l’obéissance, tellement que si tu étais élevée à une si haute et si parfaite union en moi, que ton corps fût séparé de la terre, tu devrais, si l’obéissance te rappelait, faire tous tes efforts pour lui obéir. Je te parle en. général et non pour certains cas particuliers, qui font exception. Tu ne dois jamais quitter l’oraison que par nécessité, par charité ou par obéissance. Je te dis cela pour que tu comprennes combien je veux que l’obéissance soit prompte dans mes serviteurs et combien elle m’est agréable.

10.- Tout ce que fait l’obéissant est méritoire : s’il mange, il mange par obéissance ; s’il dort, il dort par obéissance ; s’il va, s’il vient, s’il jeûne, s’il veille, il fait tout par obéissance. S’il sert le prochain, c’est par obéissance. S’il est au choeur, au réfectoire, dans sa cellule, qui le guide ou le retient? c’est l’obéissance, qui, par la sainte lumière de la foi, le jette, mort à sa volonté et plein de mépris pour lui-même, entre les bras de ceux qui lui commandent. Placé dans cette barque de l’obéissance, il se-laisse conduire par son supérieur et traverse heureusement la mer orageuse de cette vie dans la paix de l’âme et la tranquillité du coeur : l’obéissance et la foi en dissipent toutes les ténèbres. Il est fort parce qu’il n’a plus aucune faiblesse ni aucune crainte, car il a détruit la volonté propre, d’où viennent les faiblesses et les craintes déréglées.

11.- Et de quoi se nourrit et s’abreuve celui qui épouse l’obéissance? il se nourrit de la connaissance de lui-même et de moi. Il voit son imperfection et son néant ; il voit que je suis Celui qui suis, et il goûte en moi ma Vérité, que lui a révélée le Verbe incarné. Et de quoi s’abreuve-t-il? du Sang ; de ce Sang par lequel mon Fils lui montre ma Vérité, et l’amour ineffable que j’ai pour lui. Il lui fait comprendre par ce Sang la perfection de cette obéissance que moi, son Père, je lui ai imposée à cause de vous. Il y puise avidement, et lorsqu’il est ivre de ce Sang et de cette obéissance du Verbe, il perd toute pensée, tout sentiment de lui-même ; il me possède par la grâce et me goûte par l’amour, à la lumière de-la foi dans la sainte obéissance.

12.- Toute sa vie rayonne la paix, et à la mort il reçoit ce que lui a promis son supérieur au moment de sa (355) profession, la vie éternelle, la vision de la paix, le repos d’une tranquillité souveraine et parfaite, un bien ineffable dont personne ne peut apprécier et comprendre la valeur. Ce bien est infini et ne peut être compris par une créature finie, comme un vase plongé dans la mer ne peut en comprendre l’immensité, mais seulement la quantité qu’il renferme : la mer seule se comprend.

13.- Je suis la Mer pacifique, et je puis seul me comprendre, m’estimer et jouir de cette estime, de cette intelligence en moi-même. Cette jouissance intérieure, je la communique et je la donne à chacun selon sa mesure ; et cette mesure, je la remplis complètement d’une félicité parfaite. L’âme connaît et comprend ma bonté autant qu’elle a mérité de la connaître. Aussi l’obéissant, éclairé par la foi et la vérité, embrasé des flammes de la charité, inondé des parfums de l’humilité, enivré du sang précieux de l’Agneau, accompagné de la patience, du mépris de lui-même, de la

force et de la persévérance, enfin du fruit de toutes les vertus, l’obéissant reçoit de moi, son créateur, la récompense qui lui est destinée.

 

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CLXVI.- Résumé de presque tout le Dialogue.

 

 

1.- Maintenant, ma chère et bien-aimée fille, j’ai satisfait ton désir depuis le commencement jusqu’à la fin, au sujet de l’obéissance. Si tu te le rappelles, tu m’as demandé d’abord avec une grande ardeur, et c’est moi qui te l’ai inspiré, pour augmenter le feu de la charité dans ton âme, tu m’as demandé quatre choses. L’une pour toi ; je te l’ai accordée en t’éclairant de ma Vérité et en te montrant comment, à la lumière de la foi, en me connaissant et en te connaissant toi-même, tu peux parvenir à la connaissance de la vérité.

2.- Ta seconde demande a été ma miséricorde pour le monde ; la troisième a été pour le corps mystique de la sainte Eglise, me suppliant de la délivrer des ténèbres et des persécutions, voulant que je punisse sur toi-même les iniquités des autres. Alors je t’ai expliqué qu’aucune peine temporelle et passagère ne peut satisfaire par elle seule à I’offense commise contre moi, le Bien éternel. Cette peine (356) satisfait seulement, si elle est unie au désir de l’âme et à la contrition du coeur ; je t’ai expliqué comment.

3.- Je t’ai dit aussi que je voulais faire miséricorde au monde, et je t’ai montré que la miséricorde m’est propre. Car, à cause d’elle et de l’amour incompréhensible que j’ai eu pour l’homme, j’ai envoyé le Verbe mon Fils unique, et, pour te le faire bien comprendre, je l’ai comparé à un pont qui va du ciel à la terre, c’est-à-dire qui unit la nature divine à la nature humaine,

4.- Pour t’éclairer de plus en plus de ma Vérité, je t’ai montré qu’on montait à ce pont par trois degrés, qui sont les trois puissances de l’âme. Après t’avoir présenté le Verbe sous l’image d’un pont, je me suis servi d’une autre figure, et je t’ai montré trois degrés sur son corps : ses pieds, la plaie de son côté et sa bouche, qui indiquent trois états de l’âme : l’état imparfait, l’état parfait et l’état supérieur, où

l’âme parvient à l’excellence et à l’union de l’amour. Je t’ai montré ce qui détruit l’imperfection et ce qui conduit à la perfection, la voie qu’il faut suivre, les embûches secrètes du démon et de l’amour-propre spirituel.

5.- Je t’ai dit les trois moyens de punir qu’emploie ma clémence dans ces états, Le premier est ce que j’inflige à l’homme pendant sa vie, le second est le châtiment qui frappe ceux qui meurent sans espérance dans le péché mortel. Ils vont sous le pont par les sentiers du démon, et je t’ai fait connaître les supplices qu’ils endurent. Le troisième moyen est le Jugement général, et je t’ai dit quelque chose de la peine des damnés et de la gloire des bienheureux, quand chacun aura retrouvé les propriétés de son corps.

6.- Je t’ai promis et je te promets de réformer mon Epouse par les souffrances de mes serviteurs, que j’invite à expier avec toi, par la douleur et par les larmes, l’iniquité de ses ministres. Je t’ai montré la dignité que j’ai mise en eux et le respect que j’exige des séculiers à leur égard. Je t’ai montré que leurs défauts ne doivent en rien diminuer ce respect, et combien on me déplaît quand on y manque.

Je t’ai parlé de la vertu de ceux qui vivent comme des anges, et je t’ai entretenue à ce sujet de l’excellence du Sacrement de l’Autel.

 7.- En te parlant de ces trois états de l’âme, j’ai voulu (357) te faire connaître les différentes sortes de larmes, d’où elles  viennent, et comment elles se rapportent aux différents états de l’âme. Je t’ai dit que toutes les larmes avaient leur source dans le coeur, et je t’ai expliqué pourquoi. Je t’ai parlé de quatre espèces de larmes et d’une cinquième qui cause la mort.

8.- J’ai répondu à ta quatrième demande, que j’avais pourvu au cas particulier dont il s’agissait, et tu sais comme je l’ai fait. Je t’ai expliqué à ce sujet ma providence générale et particulière, depuis le commencement de la création jusqu’à la fin du monde. J’ai fait et je fais tout par ma providence souveraine et divine, donnant et permettant ce qui vous arrive, les tribulations ou les consolations temporelles et spirituelles. Tout est pour votre bien, pour que vous soyez sanctifiés en moi, et que ma Vérité s’accomplisse en vous ; car il est vrai que je vous ai créés pour la vie éternelle, et cette vérité vous a été révélée par le sang du Verbe, mon Fils unique.

9.- Enfin, j’ai satisfait à ton désir et à la promesse que je t’avais faite, en te montrant la perfection de l’obéissance, et l’imperfection de la désobéissance, d’où Vient l’obéissance, et ce qui la perd. Je te l’ai donnée comme la clef qui ouvre tout, et c’est la vérité. Je t’ai parlé de l’obéissance particulière, des parfaits et des imparfaits, de ceux qui vivent dans un Ordre et de ceux qui vivent dans le monde. L’obéissance donne la paix, et la guerre vient de la désobéissance ; celui qui n’obéit pas se trompe lui-même, et c’est par la désobéissance d’Adam que la mort est venue dans le monde.

10.- Maintenant, mai, Dieu le Père, suprême et éternelle Vérité, je termine en te disant que c’est par l’obéissance du Verbe mon Fils que vous avez la vie. De même que tous vous avez contracté la mort dans le premier homme, tous aussi, en prenant la clef de l’obéissance, vous trouverez la vie dans le nouvel homme, le doux Seigneur Jésus. J’en ai fait un pont pour vous, parce que c’est la voie sûre du ciel.

11.- Je vous invite à pleurer tous, toi et mes serviteurs : vos larmes, vos humbles et continuelles prières me permettront de faire miséricorde au monde. Cours donc, en mourant à toi-même, dans cette route de la Vérité ; que je ne puisse pas te reprocher d’aller lentement, car je te demanderai plus qu’auparavant, parce que je me suis manifesté à toi dans ma Vérité. Prend garde de sortir de la cellule-de la connaissance de toi-même, mais augmente et conserves-y le trésor que je t’ai donné. C’est une doctrine de vérité fondée sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus ; elle est revêtue d’une lumière qui fait distinguer les ténèbres ; qu’elle soit aussi ton vêtement, ma fille très douce et très aimée.

 

 

Table des Matières

 

 

CLXVII.- L’âme reconnaissante loue Dieu et prie pour le monde et la sainte Église.- Elle recommande la vertu de la loi et termine cet ouvrage.

 

 

1.- Après que cette âme eut vu avec l’oeil de son intelligence, et connu, à la sainte lumière de la foi, la vérité et la perfection de l’obéissance, après qu’elle l’eut entendue avec sa raison, et goûtée avec son coeur par l’ardeur du désir, elle se contempla dans la Majesté divine, et lui rendit grâces en disant :

2.- O Père, je voué remercie de ce que vous n’avez pas méprisé votre créature. Vous n’avez pas détourné de moi votre visage, et vous n’avez pas repoussé mes désirs. Vous, la Lumière, vous n’avez pas considéré mes ténèbres ; vous, la Vie, vous ne vous êtes pas éloigné de moi, qui suis la mort ; vous, le Médecin suprême, vous avez regardé ma grande infirmité ; vous, l’éternelle Pureté, vous ne vous êtes pas détourné de mes souillures et de mes misères ; vous, l’Infini ; moi, le néant ; vous, la Sagesse ; moi, la folie. Malgré les fautes et les vices innombrables qui sont en moi, vous ne m’avez pas méprisée : oui, vous, la Sagesse, la Bonté, la Clémence ; vous, le Bien suprême et infini. Dans votre lumière j’ai trouvé la lumière ; dans votre sagesse, la vérité ; dans votre clémence, la charité et l’amour du prochain. Qui vous a déterminé? Ce ne sont pas mes vertus, c’est votre seule charité. L’amour vous a porté à éclairer l’oeil de mon intelligence par la lumière de la foi, pour me faire connaître et comprendre votre Vérité qui se manifestait à moi.

3.- Faites, Seigneur, que ma mémoire puisse retenir vos bienfaits ; que ma volonté s’embrase, du feu de votre (359) charité ; que ce feu me fasse répandre tout mon sang, et qu’avec ce sang donné pour l’amour du Sang et avec la clef de l’obéissance, je puisse ouvrir la porte du ciel. Je vous demande du fond de mon coeur cette grâce pour toutes les créatures raisonnables, en général et en particulier, et pour le corps mystique de l’Église. Je confesse et je ne nie pas que vous m’avez aimée avant ma naissance, et que vous m’aimez jusqu’à la folie de l’amour.

4.- O Trinité éternelle! ô Déité, qui, par l’union de votre nature divine, avez donné un si grand prix au sang de votre Fils unique ! ô Trinité éternelle ! vous êtes une mer profonde où plus je me plonge, plus je vous trouve, et plus je vous trouve, plus je vous cherche. Vous êtes inépuisable, et en rassasiant l’âme dans vos profondeurs, vous ne la rassasiez jamais ; elle est toujours affamée de vous, éternelle Trinité ; elle désire vous voir avec la lumière dans votre lumière.

5.- Comme le cerf soupire après l’eau vive des fontaines, mon âme désire sortir de l’obscure prison de son corps pour vous voir dans la vérité de votre être. Combien de temps encore votre visage sera-t-il caché à mes regards, ô éternelle Trinité! Feu et abîme de charité, dissipez donc ce nuage de mon corps, car la connaissance que vous m’avez donnée de vous-même dans votre Vérité me fait violemment désirer de déposer le fardeau de mon corps, et de donner ma vie pour l’honneur et la gloire de votre nom.

6.- J’ai goûté et j’ai vu avec la lumière de l’intelligence, dans votre lumière, l’abîme de votre Trinité éternelle et la beauté de votre créature. En me regardant en vous, j’ai vu que j’étais votre image, puisque vous m’avez fait participer à votre puissance. O Père éternel! vous avez communiqué à mon intelligence la sagesse qui appartient à votre Fils unique, et le Saint Esprit, qui procède de vous et de votre Fils, m’a donné la volonté qui me rend capable d’aimer, O Trinité éternelle! vous êtes le Créateur ; je suis votre créature, et j’ai connu, par la création nouvelle que vous m’avez donnée dans le sang de votre Fils, combien vous vous êtes passionné pour la beauté de votre créature.

7.- O abîme, ô Déité éternelle, ô Mer profonde! Pouviez-vous me donner plus qu’en vous donnant vous-même? Vous êtes un feu qui brûle toujours et ne se consume jamais. Vous (360) consumez par votre ardeur tout amour de l’âme pour elle-

même. Vous êtes un feu qui détruisez toute froideur. Vous éclairez, et votre lumière me fait connaître votre vérité. Vous êtes la lumière qui surpasse toute lumière. C’est cette lumière qui donne à l’oeil de l’intelligence une lumière surnaturelle, si abondante et si parfaite, que la lumière de la foi en est éclairée.

8.- Par cette foi, je vois que mon âme a la vie et vous reçoit dans cette lumière, vous qui êtes la Lumière. Car, par la lumière de la foi, j’acquiers la sagesse qui est dans la sagesse du Verbe votre Fils ; par la lumière de la foi, j’obtiens la force, le courage, la persévérance ; par la lumière de la foi, j’ai l’espérance, qui m’empêche de défaillir en chemin. Cette lumière m’enseigne la route, et sans cette lumière je marcherais dans les ténèbres.

9.- Aussi je vous demande, ô Père ! que vous m’illuminiez de la sainte lumière de la foi. Cette lumière est un océan qui nourrit l’âme qui est en vous. O Trinité éternelle, Océan de paix ! votre eau n’est pas trouble, et loin de causer l’épouvante, elle fait connaître la vérité ; elle est transparente et montre les choses cachées. Là où abonde la lumière resplendissante de la foi, l’âme est pour        ainsi dire glorifiée par ce qu’elle croit.

10.- Oui, Trinité éternelle, vous me l’avez fait connaître, cette lumière est un miroir que la main de votre amour tient devant les yeux de mon âme. Et moi, votre créature, je me      vois en vous et je vous vois en moi par l’union de la Divinité avec notre humanité ; et dans cette lumière je vous connais et je vous contemple, vous, le Bien suprême et infini, le Bien au dessus de tout bien, le Bien qui est la félicité, le Bien inestImable, incompréhensible, la Beauté au dessus de toute beauté, la Sagesse qui est au dessus de toute sagesse,  car vous êtes la Sagesse même. Vous, la nourriture des anges par le feu de la charité, vous vous êtes donné aux hommes, vous êtes un vêtement qui couvre toute nudité ; vous rassasiez les affamés de votre douceur, et vous êtes doux sans aucune amertume.

11.- O Trinité éternelle! dans vôtre lumière, que vous m’avez donnée et que j’ai reçue par la sainte lumière de la         foi, j’ai connu par de nombreuses et d’admirables leçons la voie de la véritable perfection, afin que je vous serve dans la (361) lumière et non dans les ténèbres. Il faut que je devienne un miroir de bonne et sainte vie, et que je sorte de cette vie misérable où jusqu’à présent, et par ma faute, je vous ai servi dans les ténèbres. Je ne connaissais pas votre vérité et je ne l’ai pas aimée. Mais pourquoi ne vous ai-je pas connue? parce que je ne vous ai pas vue avec la lumière glorieuse de la sainte foi. Les nuages de l’amour-propre obscurcissaient l’oeil de mon intelligence ; et vous, Trinité éternelle, vous avez dissipé mes ténèbres par votre lumière.

12.- Qui pourra s’élever jusqu’à vous, et vous remercier dignement du trésor ineffable et des grâces surabondantes que vous m’avez accordés, et de la doctrine de la vérité que vous m’avez révélée? Cette doctrine est une grâce spéciale ajoutée à la grâce générale que vous donnez aux autres créatures. Vous avez voulu condescendre à mes besoins, à ceux des autres créatures, qui pourront se servir de cette doctrine comme d’un miroir. Parlez vous-même, Seigneur ; c’est vous qui avez donné, c’est vous qui pouvez reconnaître le bienfait et vous remercier, en répandant en moi la lumière de votre grâce, afin qu’avec cette lumière je vous témoigne ma reconnaissance. Revêtez-moi, revêtez-moi de vous-même, éternelle Vérité, afin que je parcoure cette vie mortelle avec la véritable obéissance et la lumière de la sainte foi, dont vous enivrez de plus en plus mon âme.

Grâces à Dieu! Amen.

 

Ici se termine le livre fait et composé par la vénérable vierge, la très fidèle servante et épouse de Jésus crucifié, Catherine de Sienne, de l’Ordre de Saint Dominique, en l’année du Seigneur 1378, au mois d’octobre. Amen.

 

PRIEZ DIEU POUR VOTRE FRERE

 

Table des Matières

 

 

 

 

TRAITE DE LA PERFECTION

 

Nous joignons au Dialogue le traité de la perfection qui est attribué à sainte Catherine de Sienne. Cet opuscule n’est connu que par le texte latin dont le manuscrit se trouve dans la bibliothèque du Vatican. il a été imprimé à Sienne en 1545 et en 1609, et à Lyon en 1552, avec ce titre : Dialogus brevis sanctae Catharinae Senensis, consummatam continens perfectionem. Gigli en a donné une traduction italienne.

Ce traité de la perfection est-il véritablement de sainte Catherine de Sienne ? Nous le pensons, quoique nous n’en trouvions aucune preuve dans les écrits de ses disciples et dans les dépositions du procès de Venise. La forme est moins riche, moins lumineuse que celle du Dialogue ; mais le fond présente les mêmes pensées et les mêmes enseignements, Ce traité est sans doute le résumé d’un de ces discours admirables que sainte Catherine de Sienne adressait à ceux qui venaient lui demander des conseils ; beaucoup de ses paroles ont été peut-être ainsi recueillies. Le bienheureux Thomas Caffarini, son confesseur, parle d’un traité sur les Evangiles qui auraient été fait d’après ses explications ; ce traité n’a pas été retrouvé.

 

1.- Une âme éclairée par l’Auteur de la lumière considérait sa misère et sa fragilité, son ignorance et sa pente naturelle au mal. Elle contemplait aussi la grandeur dé Dieu, sa sagesse, sa puissance, sa bonté, tous ses attributs divins, et elle comprenait combien il est juste et nécessaire que ce Dieu soit saintement et parfaitement honoré.

2.- Dieu est père et seigneur de toutes choses ; il les a faites pour qu’elles louent son très saint nom et qu’elles contribuent à sa gloire. N’est-il pas juste et convenable que le serviteur respecte son maître, le serve et lui obéisse avec toute la fidélité possible?

3.- C’est aussi une chose nécessaire, parce que Dieu a créé l’homme, composé d’un esprit et d’un corps, à la condition que s’il lui rend volontairement un service fidèle jusqu’à la mort, il parviendra à la vie éternelle. L’homme ne peut autrement acquérir cette félicité, renfermant l’abondance de tous les biens ; mais II y en a peu qui l’obtiennent, parce que presque tous cherchent leurs intérêts et non ceux de Dieu. (363)

4.- Cette âme voyait que les jours de l’homme sont courts, et qu’il ignore l’instant où doit finir le temps fugitif qui lui est donné pour mériter. En enfer, il n’y a plus de rédemption possible ; car chacun dans la vie future reçoit justement, par une immuable et inévitable sentence, la récompense ou le châtiment que sa manière de vivre lui aura mérité.

5.- Elle voyait combien les prédicateurs faisaient de discours et parlaient diversement des vertus par lesquelles on honore et sert Dieu. Elle voyait aussi le peu de capacité de la créature raisonnable, son intelligence bornée, sa faible mémoire, qui ne peut saisir beaucoup de choses, ni retenir fidèlement celles qu’elle a apprises. Beaucoup s’appliquent à toujours apprendre ; mais bien peu s’efforcent d’arriver à une vraie perfection, en servant Dieu comme il serait juste et nécessaire de le faire. Presque tous vivent continuellement dans l’agitation de l’esprit et s’exposent à un péril extrême.

6.- A la vue de toutes ces choses, cette âme s’adressait au Seigneur, dans l’ardeur du désir et de l’amour. Elle conjurait la divine Majesté de vouloir bien lui donner quelques courts préceptes pour régler saintement notre vie et la rendre aussi parfaite que possible, en nous faisant suivre véritablement l’enseignement de l’Église et des saintes Écritures, l’obéissance à ses préceptes devant nous faire rendre à Dieu les honneurs qui lui sont dus, et nous mériter, après cette vie courte et misérable, la félicité pour -laquelle il nous avait créés.

7.- Alors Dieu, qui inspire les saints désirs et ne permet pas que leur ardeur soit inutile, se manifesta tout à coup à cette âme dans l’extase, et il lui dit : Ma bien-aimée, tes désirs me ravissent ; ils me, plaisent tant, que je suis beaucoup plus avide de les satisfaire, que tu ne l’es toi-même de les voir satisfaits. Je souhaite ardemment vous donner, quand vous y consentez, les grâces qui sont utiles et nécessaires à votre salut ; aussi je m’empresse de con. tenter ton désir et d’agréer tes demandes.

8.- Ecoute donc attentivement ce que l’ineffable et infaillible Vérité va te dire. Je t’exposerai en peu de mots ce qu’est, ce que renferme la vraie perfection, et toutes les vertus qu’enseignent l’Eglise et les saintes Écritures. Si tu (364) te contemples dans cette doctrine, situ y conformes ta vie, situ t’efforces de l’observer, tu accompliras tout ce qui est Contenu et caché dans ces paroles divines, et tu jouiras d’une joie sans bornes et d’une paix inaltérable.

9.- Apprends que le salut de mes serviteurs et leur perfection consistent uniquement à faire ma seule volonté et à toujours l’accomplir, à ne servir que moi, à n’honorer que moi, à ne voir que moi dans tous les moments de leur vie. Plus ils s’y appliqueront avec ardeur, et plus ils approcheront de la perfection ; car plus ils s’uniront et s’attacheront par des liens intimes et forts à moi, qui suis la souveraine perfection.

10.- Ce que je te dis en ces quelques mots, tu le comprendras plus clairement si tu regardes mon Christ, en qui j’ai mis mes complaisances. Il s’est anéanti sous la forme d’un esclave, et il s’est revêtu des apparences du péché. Vous étiez plongés dans d’épaisses ténèbres, vous étiez éloignés du sentier de la vérité ; il vous a éclairés des splendeurs de sa lumière, et vous a ramenés dans la voie droite par sa parole et son exemple. Il a été obéissant jusqu’à la mort, et cette obéissance persévérante vous enseigne que votre salut dépend du ferme propos de faire ma seule volonté.

11.- Quiconque voudra méditer avec soin la vie et la doctrine de mon Fils, verra clairement que la justice et la perfection de l’homme consistent uniquement dans une continuelle et fidèle obéissance à ma volonté. C’est ce que votre Chef vous a répété tant de fois. N’a-t-il pas dit : « Ce n’est pas celui qui crie : Seigneur! Seigneur! qui entrera dans le royaume des cieux, mais celui qui fera la volonté de mon Père » (Matth. VII,21)?

12.- Ce n’est pas sans raison que mon Fils a répété deux fois : Seigneur! Seigneur! Toutes les existences passagères de ce monde se partagent entre l’état religieux et l’état séculier, et il a voulu exprimer que personne, quelle que soit sa position, ne peut acquérir la gloire éternelle, quoiqu’il ait tout fait pour m’honorer extérieurement, s’il n’a pas accompli ma volonté.

13.- Mon Fils a dit dans un autre endroit : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle du Père qui m’a envoyé. Ma nourriture est de faire la volonté de Celui (365) qui m’a envoyé ». Et autre part : « Que ce ne soit pas ma volonté, mais la vôtre qui se fasse. C’est selon l’ordre que m’a donné le Père que j’agis de la sorte » ( Jean, VI,38 ; Vl,34 ; XIV,31).

11.- Si tu veux donc imiter l’exemple de ton Sauveur, et faire ma volonté, qui renferme tout bien, il est nécessaire qu’en toute chose, tu renonces à ta volonté, que tu la méprises et la renies. Plus tu mourras à toi-même, plus tu rejetteras avec soin ce qui est toi, et plus je te donnerai avec abondance ce qui est moi.

15.- Lorsque l’âme eut reçu ces salutaires enseignements de la vérité, elle disait dans sa joie : Mon Père, mon Dieu, je ne pourrais jamais exprimer combien je suis ravie des choses que vous avez daigné faire entendre à votre pauvre servante ; j’en remercie de toutes mes forces votre souveraine Bonté. Rien ne pourra mieux et plus clairement faire comprendre ces enseignements à ma grossière intelligence, que l’exemple du Sauveur.

16.- Puisque vous êtes le Bien suprême, et que vous ne voulez pas l’iniquité, mais la justice et la vertu, je fais ce que je dois faire si j’accomplis votre volonté, et elle l’accomplis en renonçant à la mienne, que vous ne voulez jamais violenter ; car vous l’avez faite libre, pour que je vous la soumette de mon plein gré ; En m’appliquant sans cesse à faire la vôtre, je vous deviendrai plus agréable, et j’acquerrai des mérites devant vous.

17.- Je veux donc et je désire ardemment faire tout ce que vous commandez ; mais je ne sais pas bien ce que renferme votre volonté, et comment je puis me soumettre à vous avec zèle et fidélité. Si je ne suis pas trop téméraire, si je n’abuse pas de votre bonté, je vous conjure humblement d’agréer ma demande, et de me donner encore quelques courts enseignements.

18.- Alors le Seigneur répondit : Si tu désires connaître en peu de mots ma volonté, afin de pouvoir la suivre parfaitement, ma volonté est que tu m’aimes souverainement et toujours. Je vous ai fait le commandement de m’aimer de tout votre coeur, de toute votre âme, de toutes vos forces, et c’est à observer ce commandement que consiste la perfection ; car la fin du commandement est la charité, et l’accomplissement de la loi est l’amour.

19.- L’âme reprit : Je comprends que votre volonté et ma perfection se trouvent dans votre amour, et je voudrais vous aimer, comme je le dois, d’un amour ardent et souverain ; mais je ne sais pas assez comment je puis et je dois le faire. Je vous supplie donc de vouloir bien m’instruire à ce sujet.

20.- Dieu lui dit : Ecoute et médite de toute l’application de ton esprit ce que je vais te dire. Pour m’aimer parfaitement, trois choses sont nécessaires. Il faut d’abord éloigner, séparer, retrancher ta volonté de tout amour et de tout attachement terrestre et charnel, de sorte qu’aucune chose passagère et périssable ne puisse te plaire en cette vie, si ce n’est pour moi.

21.- La chose la plus importante, c’est qu’il ne faut pas que tu m’aimes pour toi, que tu t’aimes pour toi et que tu aimes le prochain pour toi ; il faut que tu m’aimes pour moi ; que tu t’aimes pour moi, et que tu aimes le prochain pour moi.

22.- L’amour divin ne peut souffrir la société d’un autre amour. Selon que tu seras souillée de la contagion des, choses de la terre, tu seras privée de mon amour et tu perdras la perfection ; car, pour être pure et sainte, il ‘est nécessaire que l’âme méprise toutes les choses sensibles. Fais donc en sorte qu’aucune des choses que ma bonté vous a données pour votre usage ne t’empêche de m’aimer. Que toutes, au contraire, t’aident, t’excitent et t’enflamment pour moi ; car si je les ai créées, et je vous les ai données, c’est afin que, connaissant davantage la grandeur de ma bonté, vous m’aimiez d’un plus grand amour.

23.- Applique-toi donc à soumettre au frein de la continence tes sens et tes désirs : garde-fui avec vigilance, et résiste avec courage aux concupiscences de la terre, que font naître de toute part les conditions de cette vie malheureuse et la corruption de la nature. Fais en sorte de pouvoir dire avec mon prophète : « C’est lui qui a formé mes pieds (c’est-à-dire mes affections, qui sont les pieds de l’âme) comme ceux du cerf, pour fuir les chiens ( c’est-à-dire les liens de la concupiscence), et il m’a placée sur les hauteurs» (Ps. XVII,34), c’est-à-dire dans la contemplation.

24.- Aussitôt que tu auras observé ce premier enseignement, tu pourras accomplir le second, qui est d’une  (367) plus grande perfection : c’est que toutes tes pensées, tes actes et tes opérations aient pour unique but mon bonheur et ma gloire. Il faut t’appliquer sans cesse à me louer par tes prières, tes paroles, tes exemples. Il faut non seulement le faire, mais encore y porter autant que tu le pourras les autres, afin que tous me connaissent, m’aiment et m’honorent uniquement. Ce moyen me plaît plus que le premier, parce qu’il accomplit plus ma volonté.

25.- Quant au troisième enseignement qui reste, si tu le suis, sois persuadée que rien ne te manquera, et que tu arriveras à la justice parfaite. Voici en quoi il consiste : il faut chercher avec un ardent désir, et t’efforcer d’atteindre une disposition d’esprit telle, que tu me sois si unie, et que ta volonté soit si conforme à la mienne, que tu ne veuilles jamais non seulement le mal, mais encore le bien que je ne veux pas.

26.- Quoi qu’il arrive au milieu des misères de cette vie, dans les choses temporelles ou spirituelles, rien ne doit détruire la paix ou troubler le calme de ton esprit. Il faut au contraire croire avec une foi inébranlable que moi, le Dieu tout puissant, je t’aime plus que tu ne t’aimes toi-même, et que j’ai pour toi plus de soin et de sollicitude que tu ne peux en avoir toi-même. Plus tu t’abandonneras, plus tu te confieras en moi, et plus je t’aiderai, plus je te serai présent, plus tu connaîtras et sentiras parfaitement la douceur de ma charité envers toi.

27.- Tu ne peux arriver à cette perfection que par un entier et perpétuel renoncement à ta propre volonté. Quiconque n’apporte pas ce renoncement dans toutes ses oeuvres manque par cela même à la vraie perfection ; mais celui qui le pratique avec joie accomplit parfaitement ma volonté. Celui-là m’est très agréable ; car rien ne m’est plus doux que d’agir avec vous par la grâce et d’habiter en vos âmes.

28.- Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes. Je ne veux pas violer les droits de leur libre arbitre ; mais dès qu’ils m’acceptent par la grâce, ils sont transformés en moi, tellement qu’ils sont une même chose avec moi par la participation de ma perfection, de ma paix particulière et de mon repos.

29.- Afin que tu comprennes mieux avec quelle ardeur (368) je désire être avec, vous, et que tu te presses de soumettre et d’unir ta volonté à la mienne, vois et considère attentivement que j’ai voulu que mon Fils unique s’incarnât, et que ma divinité, dépouillée de l’éclat de sa majesté, s’unît à votre humanité. C’est par cette preuve d’amour que je vous ai invités, excités à unir votre volonté à la mienne,

 et à vous attacher toujours à moi seul.

 30.- J’ai voulu que mon Fils bien-aimé s’assujettît à la mort cruelle et ignominieuse de la Croix, afin que par ses tourments il effaçât votre péché. Car le péché avait établi entre moi et vous une rupture qui m’avait obligé de détourner de vous mes regards.

31.- Je vous ai aussi apprêté ce festin si grand et si peu connu, le Sacrement du corps et du sang de mon Fils. En le prenant pour nourriture, vous êtes transformés et changés en moi. De même que le pain et le vin dont vous vous nourrissez passe dans la substance de votre corps, de même, en vous nourrissant de lui, mon Fils, qui est une même chose avec moi, pénètre votre substance spirituelle sous les apparences du pain et du vin, et vous vous convertissez en moi. C’est ce que j’exprimais à mon serviteur Augustin lorsque je lui disais : « Je suis la nourriture des grands. Crois et mange, tu ne me changeras pas en toi, mais tu seras changé en moi » (Cibus sum grandium : credete manducabis ; nec tu me mutabis in te, sed tu mutaberis in me.)

32.- Cette âme comprit alors ce qu’était la volonté de Dieu ; elle vit que, pour l’accomplir, la charité parfaite est nécessaire, et que la charité parfaite consiste dans le renoncement de la volonté propre. Seigneur mon Dieu, dit-elle, vous m’avez fait connaître votre volonté, vous m’avez expliqué que si je vous aime parfaitement, je n’aimerai aucune chose terrestre et périssable pour moi-même, mais que j’aimerai tout à cause de vous et pour vous. Vous m’avez dit que je devais chercher en toute occasion votre honneur et votre gloire, et porter mon prochain à le faire également. Vous m’avez dit que dans toutes les adversités que je rencontrerais pendant cette malheureuse vie, je devais m’appliquer à souffrir avec un esprit indifférent, tranquille et joyeux. (369)

33.- Puisque tontes ces choses doivent se faire par le renoncement de ma volonté propre, enseignez-moi, je vous prie, le moyen d’arriver à ce renoncement et d’acquérir, de conserver une si grande vertu ; car, je le vois à la lumière de votre doctrine, je vivrai en vous autant que je mourrai en moi.

34.- Alors Dieu, qui ne trompe jamais les saints désirs, ajouta : II est certain que tout bonheur consiste dans le parfait renoncement de toi-même : Je te remplirai de ma grâce à mesure que tu te dépouilleras de ta volonté. La communication de ma bonté divine fera ta perfection par la grâce, sans laquelle la créature humaine n’est rien en

vertu et en dignité.

35.- Si tu veux donc arriver à cette perfection, tu dois, avec une humilité profonde, avec une véritable et intime connaissance de ta misère et de ta pauvreté, travailler à une seule chose et la désirer sans cesse : obéir à moi seul et accomplir en tout ma volonté. Pour y parvenir, il est nécessaire qu’au moyen de ton imagination et de

ton jugement, tu te construises en toi-même une cellule entièrement fermée par les ordres de ma volonté, pour t’y cacher et y habiter sans cesse. Quelque part que tu ailles, n’en sors jamais. Quelque chose que tu regardes, n’en détache jamais les yeux.

36.- Que tous les mouvements de ton esprit et de ton corps Soient toujours dirigés vers ma volonté. Ne parle, ne pense et n’agis que pour me plaire et pour accomplir ce qui te semblera être ma volonté ; et de cette manière, dans tout ce que tu feras, le Saint Esprit sera ton maître.

37.- On peut arriver aussi par une autre voie au renoncement de la volonté propre. Si tu rencontres quelqu’un qui puisse t’instruire et te gouverner selon mon bon plaisir, tu lui assujettiras ta propre volonté. Tu te confieras entièrement à lui pour lui obéir en toutes choses, et suivre continuellement ses conseils. Car celui qui écoute mes serviteurs prudents et fidèles m’écoute moi-même.

38.- Ce que je veux aussi, c’est qu’avec une foi ferme et une ardeur infatigable tu médites sur moi, ton Dieu, qui t’ai créée pour jouir de la béatitude. Je suis l’Être éternel, souverain, tout, puissant. Je fais pour vous tout ce qui rue plait. Rien ne peut résister à ma volonté, et rien ne peut (370) vous arriver sans elle ; car rien ne se fait sans ma permission. Le prophète Amos l’a dit : « Aucun mal n’arrive à la cité sans moi ou sans ma permission » (Amos. III, 6 ).

39.- Songe que moi ton Dieu, je suis la plénitude de la sagesse, de la science et de l’intelligence, que je vois toutes les choses avec certitude, et que je les pénètre intimement. En te gouvernant, en gouvernant le ciel et la terre et le monde entier, je ne puis jamais être trompé ni égaré par quelque erreur. S’il en était autrement, je ne serais pas Dieu et la Sagesse suprême. Pour que tu comprennes l’efficacité de ma sagesse, apprends que, «e la faute et du châtiment, je tire un bien plus grand que le mal même.

40.- Considère enfin que je suis un Dieu souverainement bon et que mon amour me fait nécessairement vouloir tout ce qui vous est utile et salutaire. Il ne peut venir de moi aucun mal, aucune haine. C’est par bonté que j’ai créé l’homme, et je l’aime toujours d’une ineffable tendresse.

41.- Lorsqu’une foi ferme et inébranlable, une méditation profonde t’auront convaincue de ces vérités, ta connaîtras que les tribulations, les tentations, les difficultés, les maladies et toutes les choses contraires de la vie vous sont toujours envoyées par ma providence pour votre salut. Ce qui vous parait fâcheux doit vous corriger de votre malice et vous conduire à la vertu, par laquelle on acquiert le vrai, le souverain bien que vous ne connaissez pas.

42.- La lumière de la foi doit aussi t’apprendre que je sais, je veux et je puis accomplir ton bonheur mieux que toi-même. Tu ne peux rien faire, savoir et vouloir, sans ma grâce. Tu dois donc apporter tous tes soins à soumettre entièrement ta volonté à la volonté divine. En le faisant, ton âme se reposera dans la paix, et tu m’auras toujours avec toi, car j’habite dans la paix.

43.- Tu ne souffriras d’aucun scandale, et rien ne pourra te faire tomber. Une paix profonde est le partage de ceux qui aiment mon nom ; aucune cause ne les ébranle, parce qu’ils aiment uniquement ma loi, c’est-à-dire ma volonté ; et ma loi est ce qui gouverne toutes choses. Ils me sont si intimement unis par elle, ils aiment tant l’observer, que rien au monde ne peut les attrister, excepté le péché, parce qu’il

me fait injure.

44.- Ils voient avec le regard pur et tranquille de l’âme (371) que moi, le Maître souverain de l’univers, je gouverne tout avec une sagesse, un ordre et une charité infinis. Ils savent, par conséquent, que ce qui leur arrive est bon. Je choisis le meilleur pour eux, et je pourvois plus utilement à leurs besoins qu’ils ne pourraient eux-mêmes le savoir, le vouloir et le pouvoir faire.

45.- II en est de même des épreuves qu’ils supportent. Comme ils m’attribuent les évènements, au lieu de les attribuer au prochain, ils sont tellement affermis dans une invincible patience qu’ils souffrent tout, non seulement avec calme, mais encore avec joie et bonheur. Dans tout ce qui leur arrive à l’intérieur et à l’extérieur, ils goûtent la douceur de mon ineffable charité.

46.- C’est savoir apprécier ma bonté que de croire et de penser avec reconnaissance, au milieu des difficultés et des tribulations, que je dispose de tout avec douceur, et que tout découle de la source élevée de mon amour. Une seule chose peut corrompre et détruire le bien de cette salutaire pensée et de cette sainte disposition, c’est la volonté propre, l’amour de vous-mêmes. Si vous vous séparez de cette volonté, de cet amour, vous vous séparez de l’enfer des flammes éternelles préparées à l’âme et au corps des maudits : vous vous séparez aussi de l’enfer des agitations de l’esprit et des tempêtes de l’adversité, que les hommes aveugles souffrent sur cette terre.

47.- Ainsi, ma fille, situ désires vivre dans ce siècle périssable et trompeur par la grâce, et dans l’éternité bienheureuse par la gloire, il faut mourir en te renonçant toi-même et en déposant ta volonté propre. Car bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur, et bienheureux les pauvres d’esprit, parce qu’ils me voient pendant leur pèlerinage par l’union de l’amour, pour me voir ensuite par la gloire, dans les splendeurs de la patrie.

 

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PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE

 

 

 

I.- Prière faite à Avignon pour le rétablissement de la paix dans l’Église.- Elle fut recueillie pendant l’extase de la Sainte, par Thomas Pétra, sténographe de Grégoire XI, et depuis secrétaire du Pape Urbain VI.

 

 

1.- O Déité, Déité, ineffable Déité! Bonté suprême qui par amour seulement nous avez faits à votre image et ressemblance, vous ne vous êtes pas contenté de dire, lorsque vous avez créé l’homme, le fiat qui tira les autres créatures du néant ; mais vous avez dit : Faisons l’homme à notre image et ressemblance (Genèse, 1, 26 ),afin que la Trinité tout entière concourût à notre existence et imprimât sa forme dans les puissances de notre âme. Et en effet, ô Père éternel ! qui conservez tout en vous, notre mémoire vous ressemble, puisqu’elle retient et conserve tout ce que l’intelligence voit et comprend de vous-même. Cette connaissance la fait participer à la sagesse de votre Fils unique. Vous nous avez aussi donné la volonté du Saint Esprit, qui surabonde de votre amour et saisit tout ce que l’intelligence connaît de votre ineffable bonté, pour remplir de vous notre mémoire et notre coeur.

2.- Oh! oui, je vous rends grâces de cet amour infini que Vous avez manifesté au monde, en nous donnant l’intelligence pour vous connaître, la mémoire pour vous retenir, la volonté pour vous aimer par dessus toutes choses, comme vous le méritez ; et cette puissance, cet amour, ni le démon, ni aucune créature ne peuvent nous les ravir sans notre consentement. Que l’homme rougisse de se voir tant aimé, et de ne pas aimer son Créateur, sa vie véritable.

3.- O éternelle Bonté! vous me faites comprendre l’immensité de votre amour. Lorsque, après la désobéissance de notre Père, notre faiblesse nous eut entraînés dans la corruption du péché, l’amour vous a forcé de jeter sur nous des regards de miséricorde, et vous nous avez envoyé dans notre détresse votre Fils, le Verbe incarné, caché sous les voiles de notre chair misérable et revêtu de notre mortalité.

4.- Et vous, Jésus, notre réconciliateur, notre réformateur, notre rédempteur, Verbe et Amour du Père, vous êtes intervenu entre l’homme et son Créateur, et vous avez changé la guerre qui les séparait en une paix profonde. Vous avez puni la désobéissance d’Adam et nos iniquités sur votre corps sacré, en vous faisant obéissant jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix. Sur la Croix, ô doux Jésus ! vous avez satisfait d’un seul coup à l’offense de votre Père et à notre faute ; vous les avez expiées sur vous-même.

5.- J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi! de quelque côté que je me tourne je rencontre votre ineffable amour. Comment excuser celui qui ne vous aime pas? Car, ô Dieu fait homme pour que je vous aime, vous m’avez aimé avant ma naissance, et vous m’avez fait capable de connaître et de sentir votre infinie puissance et votre bonté. Tout ce que je puis aimer et tout ce qui a l’être, je le trouve eu vous ; le péché seul ne s’y trouve pas, et puisqu’il n’est pas en vous, il n’est pas digne d’être aimé.

6.- Si nous voulons aimer Dieu comme nous le devons, nous trouvons en vous ses infinies perfections ; si nous voulons aimer l’humanité, vous l’avez en vous dans son indicible pureté. Si nous voulons aimer un maître, c’est vous, qui nous avez rachetés de votre sang, et qui, par ce prix inestimable, nous avez tirés de la servitude du péché. Oui, nous vous appartenons, car vous avez été notre père, notre frère, notre maître, notre ami, notre compagnon, avec une incompréhensible charité.

7.- O Dieu éternel! votre Fils, fidèle à votre volonté, a répandu son Sang précieux pour nous, misérables, sur l’arbre de la sainte Croix. Comment vous remercier de tant de bienfaits, moi misérable créature, et vous la Sagesse, la Puissance, la Bonté même. Vous êtes la Beauté par essence, et moi je ne suis que la bassesse, l’abjection. Vous êtes la Vie éternelle, moi la mort ; vous la Lumière, moi l’obscurité (374) ; vous la Sagesse, moi la folie ; vous l’Infini, moi la fragilité même. A chaque instant je puis mourir, ô Médecin ! vous voyez le mal qui m’accable. J’ai perdu mon âme et ma vie en ne vous aimant pas, vous qui nous avez faits pour vous et qui nous attirez sans cesse par votre grâce ; vous qui nous uniriez à vous si nous y consentions, si notre volonté ne se révoltait pas contre votre Majesté sainte (Il y a dans cette prière quelques variantes entre le texte italien et le texte latin. Nous avons souvent suivi le latin, comme offrant un sens plus clair.).

8.- Ah ! Seigneur, j’ai péché, ayez pitié de moi! Que votre éternelle Bonté ne s’arrête pas à ces souillures que nous avons contractées en nous séparant de vous, et en éloignant nos âmes de leur objet véritable. J’implore votre miséricorde, qui est sans bornes, et je vous supplie de jeter un regard de clémence et de tendresse sur l’Église, votre unique Épouse. Éclairez votre Vicaire en ce monde, afin qu’il ne vous aime pas et ne s’aime pas pour lui-même, mais qu’il s’aime et qu’il vous aime pour vous. S’il vous aime et s’il s’aime pour lui, nous périrons ; car il est notre perte ou notre salut, puisque nous sommes ses brebis et qu’il doit nous sauver de nos égarements. Mais s’il vous aime et s’il s’aime pour vous, nous vivrons, puisque nous recevrons du Bon Pasteur la vie de l’exemple.

9.- O Dieu suprême et ineffable! - J’ai péché et je ne suis pas digne de vous prier, mais vous pouvez m’en rendre moins indigne. Punissez, Seigneur, mes péchés, et ne regardez pas ma misère. J’ai reçu de vous un corps que je vous rends et que je vous offre. Voici ma chair et mon sang ; frappez, détruisez, réduisez mes os en poussière, mais accordez ce que je vous demande pour le souverain Pontife,

l’unique époux de votre unique Epouse. Qu’il connaisse toujours votre volonté, qu’il l’aime et qu’il la suive, afin que nous ne périssions pas. Donnez-lui, mon Dieu, un cœur nouveau ; que votre grâce augmente toujours en lui ; qu’il soit infatigable à porter l’étendard de votre sainte Croix, et qu’il dispense aux infidèles les trésors de votre miséricorde comme à nous-mêmes, qui jouissons de la Passion et du Sang de l’Agneau sans tache, votre Fils bien-aimé. - J’ai péché, Seigneur ; Dieu éternel, ayez pitié de moi ! (375)

 

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II.- Prière faite pour les ministres de l’Église pendant la même extase.

 

 

1.- Je le reconnais, ô Dieu éternel, vous êtes un océan tranquille, où vivent et se nourrissent les âmes ; elles y trouvent leur repos dans l’union de l’amour, parce qu’elles suivent en tout votre volonté souveraine, qui ne veut d’autre chose que notre sanctification. Dès qu’elles se comprennent, elles se renoncent pour se revêtir de vous-même. O doux amour, le signe véritable de ceux qui demeurent en vous est de se détacher de leur volonté propre et des créatures qui trompent ; c’est de faire ce que vous voulez, en suivant votre bon plaisir et non leur inclination ; c’est de se réjouir moins dans les choses heureuses de ce monde que dans les contraires ; car l’adversité est uni moyen entre les âmes et vous ; elle les éprouve comme l’or dans la fournaise, et montre si c’est par amour qu’elles accomplissent votre volonté. Il faut aimer l’adversité comme les autres choses que vous avez créées ; tout est bon et digne d’être aimé, excepté le péché, que seul vous n’avez pas fait.

2.- Hélas ! malheureuse, en aimant le péché, j’ai perdu le temps qui vous appartenait ; j’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Punissez mes péchés, effacez mes iniquités, purifiez-moi, ô Dieu éternel et ineffable ; exaucez votre pauvre servante ; qui vous demande de diriger vers vous les coeurs et les volontés des ministres de notre sainte mère l’Église, votre Épouse, afin qu’ils suivent l’Agneau, votre

Fils, dans le chemin de la Croix, et qu’ils imitent sa pauvreté, sa douceur, son humilité, non pas imparfaitement, -mais d’une manière surhumaine et divine.

3.- Qu’ils soient des anges sur la terre, puisqu’ils doivent consacrer et distribuer le corps et le sang de votre Fils unique, la Victime sans tache. Qu’ils ne s’en rendent pas indignes, comme des animaux sans raison ; mais unissez les dans votre amour, ô vous qui donnez la paix ; purifiez-les dans l’océan tranquille de votre miséricordieuse bonté, afin qu’ils ne perdent pas un temps précieux, en n’utilisant pas le présent pour l’avenir. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ; entendez ma prière, et exaucez votre pauvre servante (376) qui vous implore, ô tendre Père, pour tous ceux que vous m’avez donnés, et que je voudrais tous aimer dans la perfection de votre infinie charité, ô grand, éternel, ineffable, véritable Dieu !

 

 

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III.- Prière faite à Gênes au moment où le Pape Grégoire XI voulait retourner à Avignon.

 

1.- O Père tout puissant, Dieu éternel, douce et ineffable Charité, je vois en vous et je comprends par mon coeur que vous êtes la voie, la vérité, la vie. C’est par vous, que tout homme qui vous désire doit arriver ; et c’est votre tendresse qui l’éclaire et le dirige par la connaissance de votre Fils bien-aimé Notre Seigneur Jésus-Christ. Vous êtes le Dieu éternel et incompréhensible, qui, poussé par votre seul amour et votre miséricordieuse bonté, nous avez envoyé, après la perte du genre humain, Notre Seigneur Jésus-Christ, votre Fils unique, revêtu de notre chair mor          telle. Vous avez voulu qu’il vienne, non pas dans les jouissances et les grandeurs de ce siècle périssable, mais dans l’abaissement, la pauvreté et la douleur ; il a connu et accompli votre volonté pour notre salut ; il a méprisé les dangers du monde et les efforts du démon, et il a vaincu la mort par la mort, en se faisant obéissant jusqu’à la mort cruelle de la Croix.

2.- Maintenant, Amour incompréhensible, qui êtes toujours le même, vous envoyez votre Vicaire pour sauver vos enfants qui périssent par leur rébellion contre la sainte Église, votre unique Épouse. Vous l’envoyez au milieu des périls et des angoisses, comme vous avez envoyé votre Fils bien-aimé, notre Rédempteur, pour sauver vos enfants morts par la désobéissance d’Adam et par le péché. Hélas! ces pauvres

hommes que vous avez créés se laissent égarer par l’orgueil et la sensualité. L’ennemi les trompe, et ils s’opposent à votre sainte volonté, qui doit les sauver ; il détournent le souverain pontife de ses desseins si utiles et si nécessaires à l’Église. O amour éternel, ces infortunés craignent la mort du corps, et non celle de l’âme ; ils écoutent leurs sens et leur amour-propre, et non la vérité de vos jugements et la profondeur de votre sagesse infinie. Vous êtes cependant (377) notre règle unique, le chemin que nous devons suivre.

3.- Vous nous l’avez dit : il faut nous réjouir au milieu des difficultés et des peines, car c’est là notre vocation. Votre admirable Providence a voulu que le monde et la chair ne produisent que des fruits d’amertume, afin que nous n’y placions pas nos joies et nos espérances, mais que nous n’ambitionnions que les fruits de salut et les grâces d’en haut. Que votre Vicaire se réjouisse de suivre votre volonté et les traces de Jésus-Christ, qui a livré et sacrifié pour nous son très saint Corps, et qui, dans son amour, a versé tout son sang pour laver nos péchés et nous sauver. C’est lui qui a donné à votre Vicaire les clefs qui lient et qui délient nos âmes, afin que nous suivions en tout votre volonté et vos exemples.

4.- J’implore pour lui votre souveraine clémence ; purifiez son âme, et que son coeur brûle dit désir de ramener ceux qui sont égarés, et de les sauver par votre puissance. Si ses lenteurs vous déplaisent, ô amour éternel, punissez-les sur mon corps qui vous appartient, et que je vous offre, afin que vous l’affligiez et le détruisiez selon votre bon plaisir. Seigneur, j’ai péché, ayez pitié de moi.

5.- Dieu éternel, vous vous êtes passionné pour votre créature avec une miséricorde sans bornes ; vous avez envoyé votre Vicaire pour retrouver ce qui était perdu, et je vous en rends grâces, malgré mon indignité et ma bassesse, O Dieu véritable! Bonté infinie, Charité qui ne peut se comprendre, comment l’homme, que votre amour a racheté au prix du sang de votre Fils unique, n’a-t-il pas honte de résister à votre volonté, qui n’a d’autre but que notre sanctification!

6.- O Dieu! vous vous êtes fait homme pour nous ; vous vous unissez à nous, et vous avez établi votre Vicaire le dispensateur des grâces nécessaires à notre sanctification et au salut de vos enfants égarés ; faites, je vous en conjure, qu’il suive en tout votre volonté, qu’il n’écoute pas les conseils de la chair et de l’amour-propre, et qu’il ne soit arrêté par aucune crainte, aucun obstacle. Hors de vous, Seigneur, tout est imparfait : aussi ne regardez pas mes péchés que je vous confesse, mais exaucez votre pauvre servante qui espère en votre miséricorde infinie.

7.- Lorsque vous nous avez quittés, vous n’avez pas voulu  (378) nous laisser orphelins, et vous nous avez donné votre Vicaire, qui nous purifie dans le Saint Esprit, non seulement par le baptême, qui nous rend une première fois l’innocence, mais encore par la pénitence, qui lave et efface sans cesse la multitude de nos péchés. Vous êtes venu à nous, et vous n’avez reçu que des outrages ; nous nous sommes éloignés de vous, parce que nous avons jugé selon la chair et l’amour-propre. O Jésus! votre face s’est obscurcie, parce que vos créatures abusent de vos grâces, et qu’elles dépouillent l’Eglise, votre unique Epouse.

8.- Faites, ô éternelle Bonté, que votre Vicaire ait soif de nos âmes, et qu’il brûle du désir de votre gloire ; qu’il s’attache à vous, qui êtes la souveraine et infinie Miséricorde. Guérissez par lui nos infirmités, rétablissez votre Épouse par la sagesse de ses conseils et l’efficacité de ses oeuvres, O mon Dieu! réformez aussi la vie de ceux qui l’entourent, afin qu’ils s’attachent à vous seul dans la simplicité de leur coeur et la perfection de leur volonté ; ne vous arrêtez pas à l’indignité de votre pauvre servante, qui vous prie pour eux, mais placez-les dans les jardins de votre volonté. O Père! je vous bénis, afin que vous bénissiez vos serviteurs ; qu’ils se méprisent eux-mêmes pour l’amour de vous, et qu’ils suivent la lumière de votre volonté, qui seule est sainte et éternelle. O Dieu! recevez, pour tous, mes humbles actions de grâces.

 

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IV.- Prière écrite en cinabre de la main même de sainte Catherine.

 

Cette prière ne se trouve pas dans la version latine.- L’original est conservé à Sienne.

 

Esprit Saint, venez en mon coeur ; attirez-le à vous par votre puissance, mon Dieu, et donnez-moi la crainte et la charité. O Christ! gardez-moi de toute mauvaise pensée ; réchauffez-moi, enflammez-moi de votre très doux amour, et toute peine me semblera légère! Mon Père, mon doux Seigneur, assistez-moi dans toutes mes actions ! Jésus amour, Jésus amour. (379)

 

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V.- Prière faite à Rome pendant une extase qui suivit la Communion, le Vendredi 18 février 1379 .

 

 

Nous donnons les dates des prières de sainte Catherine d’après l’édition de Gigli. La version latine donne celle de 1377 aux prières XIV et XV, et celle de

1378 aux prières XV, XVII, XVIII, XXIV. Sainte Catherine était alors à Sienne ou

à Florence ; ces prières n’ont pu être faites à Rome qu’en 1379.

 

1.- O souveraine et éternelle Trinité, Amour ineffable, vous m’appelez votre fille, et moi je puis vous dire : Mon Père! Vous vous êtes donné à moi en me donnant le corps et le sang de votre Fils bien-aimé, qui est Dieu et homme tout ensemble! Unissez-moi aussi, je vous en conjure, au corps mystique de la sainte Église, ma mère, à la société universelle de la religion chrétienne ; car le feu de votre charité m’a fait connaître le désir que vous avez de voir mon âme se réjouir dans cette union sacrée. O Amour inexprimable, vous m’avez vue et connue en vous, et ce sont les rayons de votre lumière, dont j’étais revêtue, qui vous ont passionné pour votre créature!

2.- Vous l’avez tirée de vous-même, vous l’avez créée à votre image et à votre ressemblance ; et moi, cependant, pauvre créature, je ne pouvais vous connaître qu’en voyant en moi votre image et votre ressemblance. Mais, afin que je puisse vous voir et vous connaître en moi, vous vous êtes uni à nous ; vous êtes descendu des hauteurs de votre divinité jusqu’aux dernières infirmités de notre nature. Comme la faiblesse de mon intelligence ne pouvait comprendre et contempler votre grandeur, vous vous êtes fait petit, et vous avez caché vos splendeurs admirables sous les voiles infimes de notre humanité. Vous vous êtes manifesté par la parole de votre Fils unique, et je vous ai connu en moi-même.

3.- O abîme de charité! oui, c’est ainsi, Trinité adorable, que vous vous êtes manifestée, que vous nous avez montré votre Vérité ; c’est surtout par l’effusion de votre sang que nous avons vu votre puissance, puisque vous avez pu nous laver de nos fautes. Nous avons vu votre sagesse, puisque, sous la chair de notre humanité, vous avez caché la force de (380) votre divinité, qui a vaincu le démon et l’a dépouillé de sa puissance. C’est votre sang qui nous a montré votre charité, puisque par la seule ardeur de votre amour vous nous avez rachetés, lorsque vous n’aviez pas besoin de nous.

4.- Ainsi s’est manifestée votre Vérité, qui nous a créés pour nous donner la vie éternelle. Oui, votre créature a connu la vérité par le Verbe, votre Fils unique. Sans lui, elle était inaccessible à nos regards obscurcis par le péché. Rougis donc, ô créature ; rougis d’être ainsi aimée et honorée par ton Dieu, et de ne pas le connaître, lui que sa charité infinie a fait descendre des hauteurs de sa gloire jusqu’à la bassesse de La nature, pour que tu le connaisses en toi. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

5.- O mystère admirable ! vous connaissiez votre créature en vous avant qu’elle fût créée ; vous voyiez qu’elle devait. commettre l’iniquité, qu’elle devait s’écarter de votre vérité, et cependant vous l’avez créée. O amour incompréhensible! vous me dites : Mon âme, et moi je vous dis : Mon Père! O Père si plein de miséricorde, je vous en conjure, unissez tous vos serviteurs dans le feu de votre charité ; disposez-les à recevoir les inspirations et les enseignements que répand et veut répandre la lumière de votre charité.

6.- Votre vérité a dit : Cherchez, et vous trouverez ; demandez, et vous recevrez ; frappez, et il vous sera ouvert, (Matth. VII, 7). Eh bien ! moi, pauvre et misérable, je frappe à la porte de votre Vérité, je m’adresse à votre Majesté, j’implore votre clémence, et je lui demande miséricorde pour le monde, et surtout pour la sainte Eglise ; car je sais par votre Fils qu’il faut me nourrir sans cesse de cette nourriture ; puisque vous le voulez, ne me laissez pas périr de faim.

7.- O mon âme! que fais-tu? Ne sais-tu pas que le Seigneur ton Dieu te voit sans cesse? Ne sais-tu pas que rien ne peut fuir son regard, et que ce qui échappe à l’oeil de la créature ne peut jamais éviter le sien? Ne commets donc plus l’iniquité, et relève-toi de tes fautes. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ; il est temps de secouer le sommeil. O éternelle Trinité! vous voulez que nous avancions, et si nous ne nous réveillons pas dans la prospérité, vous nous envoyez l’adversité. Comme un habile médecin, vous brûlez avec le feu de la tribulation les plaies que n’a pu guérir le baume des consolations. (381)

8.- O Père! ô Charité incréée! je n’admirerai jamais assez ce que m’a révélé votre lumière! Vous m’avez vue et connue, vous avez vu et connu toutes les créatures raisonnables, en général et en particulier, avant que nous ayons l’être. Vous avez vu Adam, le premier homme ; vous avez connu sa faute et celles qui devaient en être la suite, en lui et dans sa postérité. Vous avez su que le péché s’opposerait à votre Vérité, et qu’il empêcherait les créatures raisonnables d’atteindre la fin à laquelle vous les aviez destinées. Vous avez vu les tourments que votre Fils devrait subir pour sauver le genre humain et réparer la vérité en nous. Oui, vous me l’avez dit, votre prescience vous avait tout annoncé. Comment se fait-il, Père éternel, que vous ayez créé votre créature?

9.- O mystère adorable, incompréhensible! Oui, vous n’aviez pas d’autres raisons que l’amour dans notre création ; vous nous avez vus de vous-même, et votre charité vous a forcé à nous créer malgré toutes les iniquités que nous devions commettre contre vous. Vous n’avez pu résister, ô Amour éternel ; vous aperceviez dans votre lumière toutes les offenses de votre créature contre votre infinie bonté, mais vous avez paru ne pas les voir, vous ne vous êtes arrêté qu’à la beauté de votre oeuvre ; vous l’avez aimée, vous vous êtes passionné pour elle, et vous l’avez tirée de votre sein pour la créer à votre image et à votre ressemblance. O Vérité éternelle! vous vous êtes révélée à votre indigne servante.

10.- Vous lui avez appris que c’est l’amour qui vous a forcé à lui donner l’être. Vous voyiez qu’elle devait vous offenser, mais-votre charité a détourné vos regards de ses offenses pour les fixer uniquement sur la beauté de votre créature ; car la vue de l’offense pouvait empêcher l’amour de répandre la vie. Vous le saviez, et vous n’avez écouté que l’amour, parce que vous n’êtes qu’un foyer d’amour.

11.- Et moi, mes fautes m’ont empêchée de vous connaître ; mais accordez-moi la grâce, ô très doux Amour, de l’épandre en votre honneur tout le sang de mon corps ; faites que je me dépouille entièrement de moi-même. Bénissez aussi, ô mon Dieu, celui qui m’a donné la sainte Communion ; détachez-le de lui-même, revêtez-le de votre volonté, fixez-le en vous par des liens indissolubles, afin qu’il soit une plante répandant son parfum dans le jardin de la sainte (382) Église. Accordez-nous, je vous en conjure, ô Père très clément, votre douce bénédiction ; lavez nos âmes dans le sang de votre Fils. O Amour, Amour, je vous demande la mort !

 

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VI.- Prière faite par sainte Catherine le jour de saint Thomas apôtre.

 

 

1.- O Déité, Déité, éternelle Déité, véritable Amour, qui par l’union de l’humanité de votre Verbe, Notre Seigneur Jésus-Christ, avec votre divinité, nous avez donné, quand nous étions perdus, la lumière de la foi, qui éclaire l’oeil de notre intelligence pour nous faire apercevoir et connaître le véritable objet de notre âme, votre adorable Divinité. Vous avez lait de, votre Fils unique, Notre Seigneur, la victime sans tache qui devait nous réconcilier avec vous, et vous l’avez placé comme la-pierre angulaire, la colonne inébranlable de notre sainte mère l’Église, votre unique Épouse. C’est lui qui doit renouveler sans cesse l’Église par des plantes nouvelles et fécondes. Nul maintenant ne peut s’opposer à votre volonté, qui est éternelle et immuable.

2.- Ne regardez pas les péchés qui me rendent indigne de vous prier, mais daignez les effacer par les mérites de saint Thomas, votre apôtre. Oui, purifiez mon âme, Dieu puissant, mon amour ; exaucez votre servante qui vous invoque. Vous êtes un feu qui brûlez toujours, mais vous conservez ce qui vous est agréable, et vous ne détruisez dans l’âme que ce qui peut vous déplaire. Brûlez par le feu de votre Esprit, consumez et anéantissez jusqu’à la racine tout amour et tout désir de la chair dans le coeur des plantes nouvelles dont vous avez bien voulu parer le corps mystique de notre sainte mère l’Église. Changez leurs attachements profanes en élans d’amour pour vous ; donnez-leur un coeur nouveau avec la connaissance de votre sainte volonté, afin qu’ils méprisent le monde et se renoncent eux-mêmes. Qu’ils soient remplis de ferveur ; qu’ils deviennent les apôtres de la foi et les modèles de toutes les vertus ; qu’ils abandonnent bien réellement les désirs trompeurs et lés richesses de ce monde périssable, (383) pour vous suivre seul dans la pureté de l’intention et l’ardeur de la charité.

3.- Faites que notre Chef et notre Père, l’époux de votre Église, soit toujours fidèle à vos inspirations ; qu’il n’élève, ne reçoive et n’écoute que ceux qui en sont dignes et que ces auxiliaires nouveaux, semblables aux anges qui vous servent dans le ciel, travaillent avec votre Vicaire à rendre notre sainte mère l’Église conforme à votre coeur, par la simplicité de leur coeur et la perfection de leur vie.

4.- Qu’ils comprennent qu’ils sont réellement des membres nouveaux du corps de Notre Seigneur Jésus-Christ, et que votre Providence sait en retrancher, sans le secours de l’homme, les rameaux inutiles qui ne portent pas de fruits. Qu’ils naissent avec Jésus, et croissent comme lui en vertu ; qu’ils soient utiles à l’Église par leurs exemples et par leurs moeurs ; qu’ils soient comme des greffes nouvelles dont la nature fait porter des fleurs plus parfumées et des fruits plus agréables. Que votre grâce céleste retranche toute affection charnelle ; que la rosée de votre Esprit Saint, qui se répandit sur vos Apôtres, fasse germer en eux de nouvelles vertus. Qu’ils élèvent vers vous la suavité de leur odeur, et qu’ils donnent à l’Église la richesse de leurs vertus et l’efficacité de leurs oeuvres, afin que votre Épousé soit réformée en eux.

5.- O Amour éternel ! purifiez, sanctifiez votre Vicaire, afin qu’il soit pour les autres un modèle de pureté et d’innocence ; qu’il reste toujours fidèle à votre grâce et qu’il la communique au peuple qui lui a été confié. Qu’il convertisse aussi les infidèles par de célestes enseignements, et qu’il offre des fruits de salut à votre incompréhensible Majesté. Oui, daignez m’exaucer, mon Dieu, et recevez les actions de grâces de votre pauvre Servante, ô Dieu véritable, souveraine Bonté.

 

 

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VII.- Prière faite à Rome, le dimanche 20 février 1379.

 

 

1.- Je le confesse, Dieu éternel, je le confesse, adorable Trinité, vous me voyez et vous me connaissez, votre lumière me l’a fait comprendre. Je sais que vous n’ignorez (384) pas les besoins de votre Épouse bien-aimée, la bonne volonté de votre Vicaire, et les obstacles qu’il rencontre dans le bien qu’il veut faire. J’ai vu à vos clartés que tout vous est présent, parce que rien ne peut échapper à votre regard ; j’ai vu aussi le remède que vous avez préparé en vous-même pour guérir la mort des hommes, vos enfants.

2.- Ce remède est le Verbe, votre Fils unique, et vous avez trouvé moyen de nous l’appliquer toujours. Vous avez conservé les cicatrices de ce Fils bien-aimé, afin qu’elles puissent sans cesse solliciter pour nous votre miséricorde. Oui, j’ai vu dans votre lumière que l’ardeur de votre charité vous a fait conserver les cicatrices du corps de Jésus-Christ : ni sa résurrection, ni sa gloire ne peuvent en effacer la couleur sanglante. Vous avez vu en vous, qu’après le mal dont vous l’aviez délivré, l’homme devait tomber encore dans le péché par sa faute, et vous lui avez donné pour remède le sacrement de Pénitence, où le prêtre verse sur l’âme le sang de l’humble Agneau ; et, comme vous avez vu en votre Verbe le principal moyen de nous réconcilier avec vous, vous avez vu aussi tous les autres moyens nécessaires à notre salut. J’ai compris dans votre lumière que vous avez vu toutes ces choses ; c’est par cette lumière que je vois, et sans elle je marcherais dans les ténèbres.

3.- O doux Amour, vous avez vu en vous les nécessités de notre mère la sainte Église ; vous savez ce qui lui manque, et vous lui accordez le secours dont elle a besoin par les prières de vos serviteurs ; vous voulez qu’ils soient des murs sur lesquels s’appuient les murs de la sainte Église : car la clémence du Saint Esprit les embrase du zèle de sa réforme. Vous connaissez la loi de notre nature corrompue, qui se révolte sans cesse contre votre volonté. Vous saviez que nous devions la suivre ; car vous n’ignorez pas combien nous sommes faibles, impuissants, misérables : aussi votre admirable Providence a tout disposé pour que nous ayons tous les secours nécessaires. Vous nous avez donné le rocher inexpugnable de la volonté, afin de défendre la-faiblesse de notre chair ; car la volonté est si forte, que ni le démon, ni les créatures ne peuvent la vaincre sans le consentement du libre arbitre qui en dispose.

4.- D’où vient, ô Bonté éternelle, cette force de la volonté (385) dans votre créature, si ce n’est de vous qui êtes la Force souveraine et infinie? Oui, nous participons à votre volonté, quand la nôtre en découle. La volonté de l’homme est invincible quand elle obéit à la vôtre ; elle est impuissante quand elle s’en éloigne ; il est dit que vous l’avez faite à votre ressemblance, et tant qu’elle la conserve, elle triomphe, O Père éternel, vous montrez dans notre volonté la force de la vôtre : car, s’il y a tant de puissance dans une chétive créature, combien ne doit-il pas y en avoir en vous, Créateur et Maître de toutes choses!

5.- Cette volonté que vous avez confiée à notre libre arbitre, est encore fortifiée par la lumière de la foi ; par cette lumière, l’homme connaît votre éternelle volonté, et il voit qu’elle n’a d’autre but que notre sanctification. Cette vue augmente et fortifie sa volonté, qui par la foi devient active et puissante ; car une volonté bonne et une foi vive ne peuvent exister sans les oeuvres. Votre lumière produit et augmente le feu dans l’âme, parce qu’elle ne peut ressentir le feu de votre charité, si la lumière ne lui montre votre amour pour nous. Votre lumière est l’aliment du feu dans nos âmes comme le bois est celui du feu sur la terre ; elle augmente la charité, parce qu’elle montre la bonté divine, et cette charité se développe en elle, parce qu’elle désire connaître Dieu davantage, et que vous voulez toujours la satisfaire.

6.- O Providence admirable, vous ne voulez pas que l’homme marche dans les ténèbres, et qu’il l’este dans la peine ; vous lui avez donné la lumière de la foi, qui éclaire sa route, et lui procure la paix. Avec elle, I’âme ne peut mourir de faim, ni languir dans la nudité de la misère. Vous la nourrissez de votre grâce, vous lui faites savourer les douceurs de votre charité, vous la revêtez de la robe nuptiale de votre amour et des ornements de votre volonté sainte ; vous lui prodiguez les trésors de votre éternité. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ; car les ténèbres de la loi mauvaise qui est en moi, -et que j’ai toujours suivie, ont obscurci le regard de mon intelligence. Je ne vous ai pas connu, vous qui êtes la véritable Lumière, et cependant il a plu à votre ardente charité de m’illuminer de ses clartés.

7.- Oui, vous aviez prévu la faute que devait commettre (386) l’homme, et vous avez préparé un remède à cette faute dans le Verbe, notre Rédempteur. Vous avez prévu notre faiblesse, et vous avez préparé un secours à cette faiblesse dans la force de la volonté, qui a son origine en vous ; et ce qui la guide et la soutient, c’est la lumière sacrée de la foi ; c’est cette lumière qui est le commencement, le milieu et la fin de toute perfection ; c’est elle qui la conserve et l’augmente dans les âmes ; c’est elle qui féconde la charité et lui fait produire des oeuvres (Ce paragraphe ne se trouve pas dans la version latine).

 8.- O Dieu, Amour, Charité infinie! vous pénétrez votre créature ; elle est en vous, et vous en elle, par la création, par la force de la volonté, par ce feu dont vous l’avez animée, par la lumière naturelle que vous lui avez donnée pour vous voir, ô véritable Lumière, pour s’exercer avec zèle à toutes les vertus, pour louer et glorifier votre saint nom. O Lumière au dessus de toute lumière! ô Bonté au dessus de toute bonté! ô Sagesse au dessus de toute sagesse, Feu au dessus de tout feu ! vous êtes tout ; car seul, vous êtes Celui qui est, et rien ne peut être s’il n’a reçu l’être de vous..

9.- O mon âme, aveugle et misérable, n’es-tu pas indigne de former avec les serviteurs de Dieu un appui à la sainte Église? Ne mériterais-tu pas plutôt d’être dévorée par les bêtes dont tu accomplis toujours les actes ? Je vous rends grâces, ô Dieu éternel, je vous rends grâces de vouloir bien m’utiliser ainsi malgré mes iniquités.

10.- Je vous en conjure, inspirez aux coeurs de vos fidèles des désirs ardents qui les excitent à la réforme de votre Épouse ; faites :qu’ils prient sans cesse pour elle, afin que vous puissiez les exaucer. Conservez aussi et augmentez le bon vouloir de votre Vicaire, et accordez-lui de rendre sa vie parfaite.

11.- Je vous prie aussi, et je vous implore pour toutes les créatures raisonnables, mais surtout pour ceux que vous m’avez confiés, et que je vous rends, à cause de mon insuffisance et de ma faiblesse. Je ne veux pas que mes péchés leur nuisent, car j’ai toujours suivi la pente mauvaise de la chair ; je désire et je demande que vous les conduisiez à la perfection, afin qu’ils méritent d’être exaucés dans les prières qu’ils vous adressent et qu’ils doivent vous adresser (387)  pour le salut du monde et la réforme de votre Église. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ; pardonnez-moi ma misère et mon ingratitude, ô Dieu éternel. Je reconnais que votre bonté a bien voulu me conserver pour épouse, malgré mes infidélités continuelles et mes fautes sans nombre. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

 

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VIII.- Prière faite à Rome, le mardi 22 février de l’an 1379.

 

 

1.- O Dieu éternel ! Dieu éternel, je vous en conjure, ayez pitié de nous! Vous l’avez dit, auguste Trinité, la compassion qui fait naître la miséricorde vous est naturelle :

accordez-nous donc cette miséricorde qui en est inséparable. Oui, je le reconnais, c’est votre compassion qui nous a donné votre Verbe pour rédempteur, et cette compassion avait sa source dans cet amour qui vous a fait créer votre créature. Parce que vous l’aimiez, vous avez voulu, après la perte de son innocence, la revêtir encore de votre grâce, et la rétablir dans son premier état. Vous ne lui avez pas ôté la liberté de vous offenser, mais vous lui avez laissé son libre arbitre, et cette loi mauvaise qui combat contre l’esprit et incline l’âme au mal.

2.- Pourquoi, mon Dieu, lorsque vous lui êtes si bon, l’homme est-il si cruel pour lui-même ? Quelle plus grande cruauté peut-il exercer contre lui que de se tuer par le péché ? Il est bon envers ses sens ; mais cette bonté est une barbarie contre son âme et même contre son corps, puisque le corps sera tourmenté avec l’âme dans l’enfer. Cette conduite vient de son aveuglement, qui l’empêche de connaître votre bonté pour nous. Montrez-lui donc que votre bonté ne lui servira de rien, s’il n’en a pas aussi pour lui-même ; car vous avez créé l’homme sans l’homme, mais vous ne pouvez le sauver sans lui.

3.- O Père tendre et miséricordieux ! vous voulez que l’homme connaisse votre infinie bonté, afin qu’il apprenne à être bon pour lui-même, et ensuite pour son prochain ; car, comme l’a dit le glorieux Apôtre, la charité doit commencer par nous-même. Que l’âme regarde votre bonté, afin qu’elle perde sa cruauté, et qu’elle prenne la nourriture qui la soutient et lui donne la vie. Dieu éternel, Abîme (388)

ardent de charité, votre regard veille sur nous ; et pour que votre créature sache que votre miséricorde et votre justice observent les oeuvres de chacun, vous lui avez donné l’oeil de l’intelligence, qui voit que tout bien procède de la lumière, et que tout mal est causé par sa privation ; car comment aimer ce qu’on ne voit pas, et comment voir sans la lumière?

4.- O Dieu éternel, Père tendre et miséricordieux, ayez compassion de nous ; nous sommes des aveugles car nous nous sommes privés de la lumière ; moi, surtout, pauvre misérable, qui me nuis toujours à moi-même. Jetez ce regard de bonté qui a tout créé, sur les besoins du monde, et daignez le secourir. Vous nous avez donné l’être que nous n’avions pas, sauvez donc ce qui vous appartient. Vous avez répandu, quand il le fallait, la lumière de vos Apôtres sur le monde ; nous en avons maintenant besoin plus que jamais ; suscitez un autre Paul, dont les clartés illuminent toute la terre. Étendez votre miséricorde comme un voile qui nous cache aux regards de votre justice ; ne jetez sur nous que ceux de votre bonté ; enchaînez-nous avec les liens de votre charité, et qu’elle détruise tous les motifs de votre colère.

5.- O douce et suave Lumière, ô Principe et Fondement de notre salut, puisque vous voyez nos besoins, faites-nous voir aussi votre éternelle bonté, pour la connaître et pour l’aimer. O union et rapport du Créateur avec la créature, et de la créature avec le Créateur, c’est votre charité qui nous attache à vous, c’est votre lumière qui est notre lumière. Oui, celui qui ouvre les yeux de son intelligence avec le désir de vous connaître, vous connaît. La lumière entre dans l’âme, dès que la volonté lui donne entrée ; elle est toujours à la porte de l’âme, et dès qu’on lui ouvre, elle entre comme les rayons du soleil qui frappent à une fenêtre fermée pour pénétrer dans une maison et l’éclairer. Il faut que votre créature ait la volonté de vous connaître, afin qu’elle ouvre son intelligence, et que vous y répandiez vos splendeurs.

6.- Quel miracle ne produisez-vous pas dans l’âme, ô bonne Lumière! Non seulement vous en chassez les ténèbres et vous y versez la clarté, mais vous détruisez par votre chaleur l’humidité de l’amour-propre, et vous entretenez l’ardeur vivifiante de la charité ; vous rendez le coeur libre, (389) parce que vous lui faites connaître la liberté que vous nous avez donnée, en nous arrachant à la servitude du démon, à laquelle nous étions si malheureusement livrés.

7.- L’homme alors hait sa faiblesse à l’égard des sens ; il devient dur pour eux et bon pour sa raison, en se rendant maître des puissances de son âme. Il ferme sa mémoire aux misères et aux vains plaisirs du monde ; il se détache d’eux par l’oubli, et vos bienfaits deviennent l’unique objet de ses pensées. Il oblige sa volonté à v6us aimer par dessus toutes choses, et à aimer tout en vous.

8.- Il ne veut plus suivre que vous, et alors il est bon pour lui-même, et comme il est bon pour lui, il est bon pour son prochain ; il est prêt à donner sa vie pour le salut des âmes. Tout ce qu’il fait par charité, il le fait avec prudence, parce que vous lui montrez avec quelle prudence vous accomplissez tout en nous. Vous êtes la lumière qui rendez le coeur droit sans fausseté, large sans petitesse, tellement que toute créature raisonnable devient susceptible d’amour, et cherche le salut des autres selon les lois de la charité. Comme la lumière est inséparable de la prudence et de la sagesse, celui qu’elle éclaire expose bien son corps pour le salut du prochain, mais il n’y sacrifie jamais son âme ; il n’est jamais permis à l’homme de commettre la faute la plus légère, cette faute devrait-elle sauver le monde ; car pour l’utilité d’une créature finie, qui n’est rien par elle-même, on ne doit pas offenser le Créateur infini de toutes choses, qui est le souverain Bien.

9.- Celui qui voit la lumière abandonnera s’il le faut sa fortune, pour sauver la vie de son prochain. Son coeur sera si ouvert, que tout le monde pourra y lire et le comprendre. Jamais son visage et sa langue ne déguiseront sa pensée ; il se montrera dépouillé du vieil homme, et revêtu de votre volonté. O Père tout puissant, notre méchanceté vient de ce que nous ne voyons pas la bonté avec laquelle vous avez racheté nos âmes dans le sang précieux de votre Fils.

10.- O Père miséricordieux, jetez un regard de bonté sur votre Église et sur votre Vicaire ; abritez-le sous les ailes de votre miséricorde, afin que l’iniquité des superbes ne puisse lui nuire, et accordez-moi d’arroser de mon sang et d’engraisser de la moelle de mes os le jardin de votre sainte Epouse. Si je regarde en vous, je vois que rien ne vous est (390) caché. Les hommes du monde l’ignorent parce qu’ils sont ensevelis dans les ténèbres de l’amour-propre. S’ils le savaient, ils ne seraient pas si cruels pour leurs âmes, mais ils deviendraient bons à cause de votre bonté. Oh ! je vous le demande de tout mon coeur, accordez la lumière nécessaire à toute créature raisonnable.

11.- Oui, par le Verbe votre Fils, vous avez été à la fois bon et juste ; son corps sacré a satisfait votre justice  pendant que nos misères étaient l’objet de votre bonté. O Bonté suprême ! comment n’attendrissez-vous pas notre dureté? comment mon coeur n’échappe-t-il pas de mes lèvres? Il faut qu’un nuage obscurcisse mon esprit, et que mon âme n’aperçoive pas votre ineffable tendresse. Quel père livrera pour un serviteur révolté son propre fils à la mort? Il n’y a que vous, ô mon Dieu! Vous avez revêtu votre Verbe de notre chair afin qu’il souffrit, et que nous puissions en recueillir le fruit si nous le voulons. Il faut maintenant que notre sensualité souffre, pour que notre âme reçoive le fruit de vie ; c’est la loi et la vérité ; car vous avez dit : « Je suis la Voie, la Vérité, et la Vie » (Jean, XIV, 6). Si nous voulons acquérir votre bonté, il faut marcher dans le chemin que vous avez volontairement suivi.

12.- O Dieu éternel ! je me plains moi-même à vous : punissez-moi d’être si cruelle pour mon âme et si faible pour mes sens. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. O bienfaisante cruauté ! qui brise et qui surmonte la sensualité pendant cette vie passagère, pour glorifier l’âme pendant l’éternité! D’où vient la patience, d’où viennent la foi, l’espérance et la charité, si ce n’est de cette bonté, qui enfante

 la miséricorde? Qui détache l’âme d’elle-même pour l’attacher à vous? c’est cette bonté qu’on obtient par votre lumière.

13.- O Bonté ineffable ! Bonté qui détruisez comme un baume délicieux la colère et la cruauté dans les âmes ! je vous le demande encore, communiquez-vous à toutes les créatures raisonnables, et surtout à ceux que vous m’avez dit d’aimer d’un amour particulier. Rendez-les bons, afin qu’ils exercent cette cruauté parfaite qui détruit les vices de la volonté. Vous avez enseigné cette cruauté lorsque vous avez dit : « Celui qui vient à moi, et qui ne hait pas son père, sa mère, son épouse, ses enfants, ses frères et son (391) âme, ne peut être mon disciple » ( Luc, XIV, 20 ). Haïr son âme est difficile. Les serviteurs du monde haïssent souvent le reste sans agir par vertu ; cela n’est pas difficile, mais il est plus pénible à l’homme de quitter sa nature que de la suivre. Notre nature est raisonnable ; nous devons par conséquent obéir à la raison.

14.- O Vérité suprême! vous êtes un parfum au dessus de tous les parfums, une magnificence au dessus de toutes les magnificences, une bonté au dessus de toutes les bontés, vous êtes une justice qui surpasse toutes les justices ; vous êtes la source même de la justice, qui rend à chacun selon ses oeuvres. C’est par justice que vous permettez que le méchant se nuise à lui-même, en désirant des choses aussi viles que les richesses et les plaisirs du monde ; car tout ce que vous avez créé est au dessous de l’homme. Vous l’avez fait pour qu’il en soit le maître, et non l’esclave. Vous seul êtes plus grand que nous, et c’est vous seul que nous devons toujours chercher, toujours servir. Aussi votre justice veut que l’homme de bien trouve en cette vie même la paix et le repos de son âme, parce qu’il met son affection en vous, qui êtes la paix véritable et le repos suprême. Ceux qui fournissent ainsi courageusement la carrière recevront de votre miséricorde la vie éternelle.

15.- Vous êtes la Bonté infinie ; personne ne vous contemple et ne vous comprend plus que vous ne le permettez ; et vous le permettez autant que nous dilatons nos âmes pour vous recevoir. O très doux Amour ! jamais je ne vous ai bien connu, et par conséquent jamais je ne vous ai bien aimé. Je vous recommande avec instance ceux dont vous m’avez chargée : vous me les avez confiés pour que je les réveille, et je dors toujours. Réveillez-les vous-même, ô Père tendre et secourable, afin que le regard de leur intelligence soit toujours fixé sur vous. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi! Mon Dieu, venez à mon aide! Seigneur. hâtez-vous de me secourir ! Ainsi soit-il.

 

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IX.- Prière faite à Rome, le 1er mars 1379.

 

 

1.- O puissante et éternelle Trinité, Trinité éternelle, Trinité éternelle, c’est vous qui nous avez donné le doux, (392) l’aimable Verbe! O doux, ô aimable Verbe ! autant notre nature est faible et portée au mal, autant la vôtre est forte et propre au bien ! L’homme est faible parce qu’il a reçu une nature faible de son père ; car le père ne peut donner à son fils une autre nature que celle qu’il a en lui-même. Nous sommes enclins au mal, parce que nous recevons avec la vie une chair révoltée. Notre nature est fragile et vicieuse, parce que nous sortons tous d’Adam comme d’une même souche. Notre premier père est devenu faible, parce qu’il s’est séparé de votre force infinie, ô Père éternel ; il s’est révolté contre vous, et il a trouvé la révolte en lui ; il a quitté le principe de la puissance et de la bonté, il est tombé dans la défaillance et les mauvais penchants.

2.- O Verbe, Fils de Dieu, votre nature est forte et propre au bien ; car vous l’avez reçue de votre Père tout puissant. Il vous a donné sa nature divine, où rien n’est imparfait, où le mal n’a jamais été et ne peut jamais être. Aussi, aimable Verbe, vous avez soutenu notre faiblesse en vous unissant à nous. Par cette union, vous avez fortifié notre nature ; par la vertu de votre Sang, vous en avez guéri l’infirmité dans le saint baptême. Et lorsque nous sommes arrivés à l’âge de raison, nous avons été affermis par votre doctrine ; car l’homme qui la suit dans la vérité en s’en revêtant parfaitement, devient si fort et si porté au bien, qu’il sent à peine la révolte de la chair contre l’esprit.

3.- Son âme est intimement unie à votre doctrine et son corps, soumis à son âme, en veut suivre tous les mouvements. Ce qui le charmait autrefois dans les joies coupables du monde lui fait maintenant horreur, et les vertus qui lui semblaient si pénibles à pratiquer deviennent ses plus chères délices. il est donc bien vrai, ô Verbe éternel, que vous corrigez la faiblesse de notre nature par la force de la nature divine que vous avez reçue de votre Père, et cette force vous nous l’avez donnée par le Sang et par la doctrine.

4.- O Sang, que j’appelle éternel parce qu’il est uni à la nature divine (Quelques théologiens ont critiqué cette expression eterno sangue, sang éternel ! Mais sainte Catherine l’explique elle-même, par l’union avec la nature divine, avant les siècles, dans la pensée de Dieu. C’est dans le même sens qu’il est dit dans l’Apocalypse : Agnus qui occisus est ab origine mundi (XIII, 8). Saint Paul dit : Per proprium sanguinem introivit semel in sancta aeterna redemptione inventa (Heb., IX, 12). et saint Thomas explique ainsi ce passage : Quasi dicat Per istum sanguinem redempti sumus, et hoc in perpetuum, quia virtus ejus est infinita.), l’homme qui connaît votre force par la (393) lumière, se sépare de sa faiblesse ; car la lumière véritable ne s’acquiert jamais sans la haine de la sensualité, qui détruit la lumière naturelle. O Sang délicieux, vous fortifiez l’âme, vous l’illuminez, vous la rendez angélique, vous l’enveloppez de votre charité, au point qu’elle s’oublie elle-même et qu’elle ne peut plus voir que vous ; la faible chair qui lui est unie sent elle-même le parfum des vertus ; le corps et l’âme n’ont qu’une voix pour crier vers vous, et cela tant que leur saint désir augmente et se développe. Sitôt que le désir se refroidit, la révolte de la chair se réveille plus violente que jamais. O doctrine de vérité, vous donnez à l’âme qui vous possède une telle force, qu’aucune adversité ne peut l’abattre. Dans tout combat, elle trouve la victoire ; elle est invincible tant qu’elle vous suit, parce que vous venez de la Force suprême ; mais si elle ne vous suivait pas, votre force lui serait inutile. hélas! pauvre malheureuse, je n’ai jamais suivi la vraie doctrine, et je suis si faible, que la moindre épreuve m’abat. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

 

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X.- Prière faite à Rome, le mercredi 3 mars 1379.

 

 

1.- O Trinité éternelle, Dieu tout puissant, nous sommes des arbres de mort, et vous êtes l’arbre de vie. Dieu infini, quel spectacle de voir dans votre lumière l’arbre de votre créature! Vous aviez tiré de vous, Pureté suprême, son âme pure et innocente, et vous l’avez unie à un corps formé du limon de la terre. Vous aviez donné à cette arbre pour rameaux les puissances de l’âme, qui sont l’intelligence, la mémoire et la volonté. Et quels fruits devaient porter ces rameaux? La mémoire devait retenir, l’intelligence devait comprendre, la volonté devait aimer. O arbre, dans quel heureux état le jardinier divin t’avait planté !

2.- Hélas ! cet arbre, ô mon Dieu, s’ est séparé de l’innocence par sa faute ; il est tombé, Il est devenu d’un arbre de vie un arbre mort ; et il ne pouvait plus porter que des (394) fruits empoisonnés. Mais, éternelle Trinité, vous vous êtes passionnée jusqu’à la folie pour votre créature ; et lorsque vous avez vu que cet arbre ne devait plus produire que des fruits de mort, parce qu’il s’était séparé de vous, qu êtes la Vie, vous l’avez sauvé par ce même amour qui- vous avait poussé à le créer ; vous avez greffé votre divinité sur l’arbre perdu de notre humanité. Bonne et bienfaisante greffe, vous avez mêlé votre douceur à notre amertume, la splendeur aux ténèbres, la sagesse à la folie, la vie à la mort, l’infini au fini.

3.- Après l’injure que votre créature vous avait faite, qui donc vous a pu forcer à cette union qui nous rend la vie? C’est l’amour, le seul amour ; et cette greffe merveilleuse a vaincu la mort. Mais cela ne suffisait pas aux ardeurs de votre charité, ô Verbe éternel : vous avez voulu arroser cet arbre de votre propre Sang, et ce Sang par sa chaleur fait fructifier l’arbre, dès que l’homme consent à s’unir et à vivre en vous. Son coeur et ses affections doivent être liés à la greffe céleste par les liens de la charité et l’imitation de votre doctrine. Nous ne pouvons et ne devons pas suivre le Père, en qui ne peut être la peine ;  nous devons par la peine et le tourment de nos désirs nous rendre conformes à vous ; car vous êtes la vie, et rions produirons des fruits de vie en recevant votre sève vivifiante. Dès que nous vous sommes unis, les rameaux donnent leurs fruits ; la mémoire se remplit du souvenir continuel de vos bienfaits ; l’intelligence vous contemple pour connaître votre éternelle volonté et vos perfections ; la volonté veut aimer ce que l’intelligence lui a fait connaître. Chaque rameau donne ses fruits aux autres rameaux ; et parce que l’âme, par la connaissance qu’elle a de vous, se connaît mieux elle-même, elle se hait dans sa sensualité.

4.- O Amour infini, quelles merveilles vous avez opérées dans les créatures raisonnables! O Dieu éternel, si, lorsque l’homme était un arbre de mort, vous avez daigné en faire un arbre de vie, en vous y greffant vous-même, ne pourriez-vous pas, malgré la multitude de ceux qui, par leur faute, portent des fruits de mort, en ne s’unissant point à vous qui êtes la vie, ne pourriez-vous pas sauver le monde que je vois se séparer de vous et persévérer dans la mort! Oui, les hommes ne viennent pas à la fontaine où est le Sang qui (395) doit arroser leur arbre ; la vie éternelle coule pour nous, pauvre créatures, qui l’ignorons et n’en profitons pas.

5.- O mon âme aveugle et misérable, où sont les cris et les prières que tu dois répandre en la présence de ton Dieu, qui t’y invite sans cesse? Où est ta douleur profonde pour ces arbres qui restent dans la mort? Où sont ces désirs suppliants qui fléchissent l’éternelle Bonté? Hélas! je ne les ai pas, parce que je n’ai pas encore perdu l’amour de moi-même. Si je l’avais perdu, si je cherchais Dieu, si je voulais uniquement la gloire de son nom, mon coeur s’échapperait de mon corps et mes os distilleraient leur moelle. Mais je n’ai jamais produit que des fruits de mort, parce que je ne suis pas greffé sur vous, mon Dieu.

6.- Quelle lumière, quel éclat reçoit l’âme qui est greffée véritablement sur vous ! O générosité sans borne, la mémoire nous dit sans cesse que nous sommes obligés d’aimer et de suivre la doctrine et les exemples du Verbe, votre Fils unique. Sans la lumière de la foi, nous ne pourrions suivre cette doctrine et ces exemples ; aussi l’intelligence fixe cette lumière pour en avoir la connaissance, la volonté aime aussitôt ce que l’intelligence lui montre ; tous les rameaux se communiquent leur fécondité.

7.- O arbre, où prends-tu donc tes fruits de vie, puisque tu es mort et stérile? C’est l’Arbre de vie qui te les donne ; s’il n’était pas greffé sur toi, tu n’aurais aucune vertu, puisque tu n’es rien. O Vérité éternelle, vous nous produisez des fruits d’amour et de lumière, des fruits de cette prompte obéissance qui vous a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix. Vous avez porté des fruits en greffant votre divinité sur notre humanité, en attachant votre corps sacré sur le gibet du Calvaire. L’âme qui vous est unie ne pense qu’à votre honneur et au salut des âmes. Elle devient sage, fidèle, patiente et prudente.

8.- Rougis de honte, toi qui par tes fautes te prives de si grands biens et t’exposes à de si grands malheurs. Tes bonnes oeuvres ne peuvent servir à Dieu, et tes offenses ne peuvent lui nuire ; mais son infinie bonté se réjouit lorsque sa créature veut bien recevoir ses dons ineffables et accepter le bonheur qui lui est destiné. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Unissez-vous, greffez sur vous ceux que vous m’avez donnés à aimer d’une manière spéciale, afin qu’ils (396) portent des fruits de vie. O bonté infinie ! la rosée de votre lumière céleste donne à l’âme qui vous est unie la paix de la conscience ; et la rosée de vos serviteurs dissipe les nuages et rend la lumière et la paix à l’Église votre Épouse ; faites tomber ces rosées, je vous en conjure humblement. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Ainsi soit-il.

 

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XI.- Prière faite à Rome, le jour de l’Annonciation de la Sainte Vierge, 1379.

 

1.- O Marie! Marie, temple de la Trinité, Marie, foyer du feu divin, Marie, Mère de la miséricorde, vous avez porté je fruit de vie ; vous avez sauvé le genre humain, puisque c’est avec votre chair que le Christ nous a rachetés. Oui, le Christ nous a rachetés par sa Passion, et vous, par les douleurs de votre âme et de votre corps (La sainte Vierge contribua réellement à notre rédemption par sa maternité divine et par ses souffrances au Calvaire. Elle pouvait bien dire comme saint Paul : Gaudeo in passionibus pro vobis, et adimpleo ea quae desunt passionum Christi in carne mea pro corpore ejus, quod est Ecclesia (Coloss. I, 24).). O Marie, océan tranquille, Marie, source de la paix! Marie, vous êtes l’arbre nouveau qui nous a donné cette fleur odorante, ce Verbe, ce Fils unique de Dieu, qui vous a choisie comme une terre fertile. Vous êtes la terre et vous êtes l’arbre.

2.- O Marie, char de feu, vous avez conservé et caché le feu dans la cendre de notre humanité. Marie, vase d’humilité, où brillait la lumière de la vraie science qui vous a élevée au dessus de vous-même, vous avez charmé le Père céleste, et il vous a ravie ; il vous a captivée dans les liens d’un amour ineffable, et par cette lumière, cette ardeur de votre charité, cette flamme de votre humilité, vous l’avez vaincu vous-même, et vous avez forcé sa divinité à descendre en vous. Sa bonté infinie pour les hommes était d’ailleurs votre complice.

3.- O Marie, grâce à la lumière que vous aviez, vous n’avez pas été une-vierge folle, mais une vierge prudente ; car vous avez demandé à l’ange Comment ce qu’il vous annonçait pourrait se faire. Vous n’ignoriez pas que tout était possible à la toute-puissance de Dieu, et vous n’aviez aucun doute à cet égard. Pourquoi disiez-vous : « Je ne connais (397) pas d’homme » ? ( Luc, 1, 34 ). Ce n’était pas le manque de foi, mais votre humilité profonde qui vous le faisait dire ; vous croyiez à la puissance de Dieu, mais vous ne pensiez qu’à votre indignité.

4.- Marie, vous avez été troublée par les paroles de l’ange ; il me semble, dans la lumière de Dieu, que ce n’était pas de crainte, mais d’admiration. Et qu’admiriez-vous ? Vous admiriez l’immensité de la bonté de Dieu, et vous étiez troublée en voyant combien vous étiez indigne de la grâce qu’il voulait vous faire. Cette comparaison de votre indignité et de votre faiblesse avec le miracle ineffable de la grâce divine, vous remplissait de confusion. Votre demande prouvait votre humilité profonde ; vous étiez, non pas effrayée, mais étonnée de l’immensité de la bonté de Dieu, que vous compariez à votre petitesse et au néant de votre vertu.

5.- Aujourd’hui, ô Marie, vous êtes le livre où notre règle est écrite. Car en vous brille la sagesse du Père céleste, en vous paraît la dignité, la force, la liberté de l’homme.

 Oui, j’y vois la dignité de l’homme ; car, lorsque je vous contemple, ô Marie, je vois que le Saint Esprit a représenté en vous la sainte Trinité en y formant le Verbe incarné, le Fils unique de Dieu. Il y a montré la Sagesse éternelle, qui est le Verbe ; la puissance du Père, qui a pu faire une si grande chose ; et la clémence du Saint-Esprit, par la grâce et la charité duquel s’est accompli cet ineffable mystère.

6.- Si je médite sur cet acte de vos conseils, ô éternelle Trinité, je découvre que vous avez pris en considération la noblesse et la dignité du genre humain. L’amour vous avait forcé à le créer, l’amour vous a forcé à le racheter et à le sauver. Vous aviez bien prouvé que vous aimiez l’homme avant qu’il fût, puisque vous avez voulu le tirer de vous par amour ; mais vous avez prouvé bien davantage cet amour, lorsque vous vous êtes donné à lui, en vous revêtant des haillons  de son humanité. Pouviez-vous donner plus que vous-même, et n’avez-vous pas le droit de lui dire : Que te devais-je? et ce que je pouvais, ne l’ai-je pas fait? Oui, tout ce que, dans vos conseils, la Sagesse éternelle avait jugé nécessaire pour sauver le genre humain, votre clémence ineffable l’a voulu, et votre puissance l’a accompli, au jour de l’Annonciation (398)

7.- Votre infinie miséricorde voulait le salut de votre créature, ô éternelle Trinité! et vous désiriez lui donner le bonheur parfait qui lui était destiné, puisque vous l’aviez créée pour qu’elle fût unie à vous, et qu’elle en jouît pleinement ; mais votre justice s’y opposait, en vous disant que, si vous étiez miséricordieux, vous étiez juste aussi, et que votre justice ne devait pas changer. La justice ne laisse jamais le mal sans châtiment et le bien sans récompense. L’homme ne pouvait être sauvé s’il ne satisfaisait pas à la justice pour sa faute.

8.- Alors, qu’avez-vous fait? Qu’avez-vous décidé? Comment votre sagesse éternelle et incompréhensible est-elle restée dans la vérité, en faisant à la fois miséricorde et justice? Quel moyen avez-vous pris pour nous sauver? Ce moyen a été de nous donner le Verbe, votre Fils unique. Il a revêtu notre humanité qui vous avait offensé, afin qu’en souffrant dans notre chair il peut satisfaire à votre justice, non pas par la vertu de l’humanité mais par celle de la Divinité unie à l’humanité. L’homme qui avait péché, s’acquitta envers la justice, parce que la miséricorde lui prêta, pour payer sa dette, la divinité du Verbe.

9.- O Marie, le Verbe qui s’est incarné eu vous, est resté cependant uni à son Père, comme la parole intérieure de l’homme, lorsqu’elle s’exprime et qu’elle se communique, ne se sépare pas du coeur. N’est-ce point une preuve de la dignité de l’homme, pour qui Dieu a. fait de si grandes et de si nombreuses merveilles?

10.- Nous voyons encore aujourd’hui en vous, ô Marie, la force et la liberté de l’homme ; car c’est après la délibération de l’auguste Trinité qu’un ange vous est envoyé pour vous annoncer le mystère des conseils divins, et pour vous demander votre consentement. Avant de descendre en votre sein, le Fils de Dieu s’adresse à votre liberté ; il attend à la porte de votre volonté, il vous soumet le désir qu’il a d’habiter en vous, et il n’y serait jamais entré, si vous ne lui aviez dit : «Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole » (Luc, I, 38). N’est-ce pas là une grande preuve de la force et de la liberté de la volonté? Rien de bien ou de mal ne peut se faire sans elle. Le démon ni aucune créature ne la forcent au mal, si elle ne devient pas leur complice ; et personne ne peut la contraindre au (399) bien, si elle veut résister. La volonté de l’homme est donc libre.

11.- O Marie, le Dieu tout puissant frappait à votre porte, et si vous ne lui aviez pas ouvert votre volonté, il n’eût pas pris la nature humaine. O mon âme, sois remplie de confusion, en voyant que Dieu fait avec toi un pacte et une alliance en Marie. Tu dois maintenant comprendre que celui qui t’a faite sans toi, ne peut pas sans toi te sauver, puisqu’il s’adresse à la volonté de Marie et qu’il attend son consentement. O Marie, amour délicieux de mon âme ! en vous est écrit le Verbe qui nous donne la doctrine de vie ; vous êtes le tableau qui nous le représente et qui nous l’explique.

12.- Dès que la Sagesse, le Fils unique de Dieu, a été dans votre sein, il y a trouvé la croix du désir ; et toute son ambition a été de mourir pour le genre humain, qu’il voulait sauver en prenant notre nature. C’était une grande croix que cette ambition qu’il voulait satisfaire.

13.- O Marie, j’ai recours à vous et je vous offre mes prières pour l’Epouse de notre doux Sauveur, votre Fils bien-aimé ; je vous implore pour son Vicaire, afin qu’il reçoive la lumière qui lui est utile pour discerner les meilleurs moyens de réformer l’Église. Unissez-lui les fidèles ; rendez leur coeur semblable au sien, et qu’ils ne se révoltent jamais contre leur chef. Il est, mon Dieu, comme une enclume ; ses nombreux ennemis l’attaquent par leurs paroles et lui nuisent tant qu’ils peuvent.

14.- Je vous prie aussi pour ceux que vous m’avez donnés ; enflammez-les, qu’ils soient des charbons ardents que consument votre amour et celui du prochain. Qu’ils aient, aux jours de l’épreuve, leurs barques bien fournies et bien disposées, pour eux et pour les autres. Je vous prie pour ceux que vous m’avez donnés : au lieu de les édifier, je les ai toujours scandalisés, au lieu d’être pour eux un modèle de vertus, je ne leur ai donné que des exemples d’ignorance et de -négligence. Mais je m’adresse hardiment à vous en ce jour de grâce, parce que je sais, ô Marie, que rien ne peut vous y être refusé. Aujourd’hui, ô Marie, votre terre u produit notre Sauveur. Hé-las! je vous ai offensé toute ma vie, ô mon amour ; oui, j’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. (400)

15.- O Marie, soyez bénie entre toutes les femmes, pendant tous les siècles, car vous nous avez donné aujourd’hui votre substance. La Divinité s’est tellement unie et incorporée par vous à notre humanité, que rien maintenant ne peut l’en séparer, pas même la mort et notre Ingratitude. Car, comme la Divinité est restée unie au corps dans le sépulcre, et à l’âme de Jésus-Christ dans les limbes, puis à son âme et à son corps après la Résurrection, notre alliance avec elle n’a jamais été rompue, et elle ne le sera jamais pendant toute l’éternité.

 

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XII.- Prière faite à Rome.

 

1.- O Vérité! qui suis-je pour que vous me donniez la vérité ? Je suis celle qui ne suis pas, et votre Vérité est celle qui agit, parle, et fait toute chose. Votre Vérité est celle qui donne la vérité, et c’est par votre Vérité que je dis la vérité. Votre Vérité éternelle se communique de différentes manières à toutes les créatures ; mais elle ne s’épuise pas et ne change jamais. Vous, Dieu éternel, Fils de Dieu, vous êtes venu de Dieu pour accomplir la volonté de votre Père, et personne ne peut avoir la vérité sans vous. Si quelqu’un veut avoir votre vérité, il ne doit l’affaiblir par aucune erreur ; il faut la posséder sans mélange, et c’est ainsi que les bienheureux en jouissent dans votre éternelle contemplation ; car ils participent à la vision que vous avez de vous-même.

2.- Vous êtes la lumière avec laquelle votre créature vous voit, et, pour elle comme pour vous, il n’y a que ce moyen de vous contempler. Dès que les saints vous voient, ils jouissent de la lumière qui vous fait connaître, et parce que vous êtes toujours la même lumière, le même moyen, le même objet, ils ont la vision que vous avez de vous-même (Sainte Catherine ne confond pas la vision béatifique avec la vision divine ; elle les unit seulement comme saint Paul, lorsqu’il dit : Qui autem, adhaeret Domino, unus spiritua est (I Cor. VI,17). Saint Jean dit aussi Scimus quoniam cum apparuerit, similes ei erimus, qui videbimus eum sicuti est (I Ep. III, 2).). Ils l’ont seulement à des degrés différents, les uns plus, les autres moins, selon la différence de leur mérite. (401)

3.- Les âmes, pendant cette vie, lorsqu’elles sont en état de grâce, reçoivent votre vérité par la lumière de la foi, qui nous fait croire l’enseignement de l’Église ; mais ces âmes, selon leur disposition, reçoivent plus ou moins parfaitement la vérité, qui ne varie pas et qui est la même pour tous. Ainsi les bienheureux jouissent de la même vision, mais plus ou moins parfaitement, selon leur élévation dans la gloire.

 

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XIII.- Prière faite à Rome.

 

 

1.- O Dieu d’amour, que puis-je dire de votre Vérité? Parlez de la vérité, vous qui êtes la Vérité. Moi je vous ignore, et je ne puis parler que des ténèbres. Je n’ai pas suivi le Fruit de votre croix, et j’ai marché dans les ténèbres sans les connaître ; car celui qui connaît les ténèbres connaît la lumière. Mais moi j’ai suivi les ténèbres, et je ne les ai pas approfondies. Dites-moi, Seigneur, la vérité sur votre croix, et j’écouterai. Vous me dites qu’il y en a qui persécutent le Fruit de votre croix, et c’est vous qui êtes le Fruit de votre croix. O Verbe ! Fils unique de Dieu, qui, par l’excès de votre amour pour nous, vous êtes placé comme un fruit sur deux arbres : sur l’arbre de la nature humaine d’abord, pour nous révéler la vérité de votre Père invisible, que vous représentez ; sur l’arbre de la Croix ensuite, où ce ne sont pas les clous qui vous ont attaché, mais les seules forces de votre amour, et cela pour nous montrer la vérité de la volonté de votre Père qui voulait notre salut.

2.- C’est de cet arbre qu’a coulé le Sang précieux qui, par l’union de la nature divine, nous a donné la vie, et qui, par sa vertu, nous purifie encore du péché dans les sacrements. Vous avez déposé ce Sang dans les celliers de l’Église militante, et vous en avez donné les clefs et la garde à votre Vicaire sur terre. Les hommes ne le savent et ne le comprennent que par la lumière dont vous éclairez leur intelligence, la partie la plus noble de notre âme. Et cette lumière est la lumière de la foi, que vous accordez à tout chrétien dans le baptême, où votre grâce coule pour effacer (402) la tache originelle et nous donner la lumière suffisante pour nous conduire à la béatitude.

3.- Nous pouvons, par la corruption de l’amour-propre, obscurcir nos yeux, que votre grâce a illuminés clans le baptême. Nous pouvons nous aveugler par les nuages de la tiédeur et les vapeurs de l’amour-propre ; et alors nous vous méconnaissons, vous et le véritable bien. Nous appelons mal ce qui est bien, et bien ce qui est mai, et nous devenons, par cet abus de la vérité, plus ingrats et plus mauvais que si nous n’avions pas reçu la lumière ; car un chrétien qui s’égare est pire qu’un infidèle ; il peut seulement recourir plus facilement au remède qui doit le guérir, à cause des lueurs de la foi qui reste encore en lui.

4.- Oui, Seigneur, ceux-là sont les ennemis de votre Croix et de votre Sang ; car ils ne vous suivent pas dans votre Passion ; ils vous persécutent, ils attaquent votre Vicaire, qui a les clefs du cellier où se conservent votre Sang et le sang des martyrs, qui n’a de vertu que par le vôtre. Leur rébellion et leurs péchés viennent de ce qu’il ont perdu la lumière de la Vérités qu’on acquiert par la foi (Sainte Catherine parle ici de la rectitude de jugement que donne la foi.). Aussi les philosophes qui connaissaient les créatures, mais qui n’avaient pas la foi, n’ont-ils pu se sauver.

 

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XIV.- Prière faite à Rome.

 

 

1.- O Dieu éternel, délivrez-moi des chaînes de mon corps, afin que je puisse voir votre Vérité ; car maintenant la mémoire ne peut vous saisir, l’intelligence vous comprendre, et la volonté vous aimer comme vous le méritez. O Nature divine, qui ressuscitez les morts, et qui seule donnez la vie, comment vous êtes-vous unie à notre nature mortelle, pour lui rendre la vie? O Verbe éternel ! cette union était si parfaite, que rien n’a pu la rompre. Sur la Croix, la nature mortelle souffrait, mais la nature divine vivifiait, et vous étiez à la fois dans la béatitude et la douleur : le tombeau même n’a pu séparer vos deux natures.

2.- O Père éternel ! vous avez revêtu votre Verbe de notre (403) nature, afin qu’en elle il satisfit pour nous ; vous avez voulu punir le Fils véritable pour la faute du fils adoptif. O Père éternel ! que vos jugements sont profonds et ineffables! L’homme insensé peut-il les comprendre? Il juge d’après les apparences vos oeuvres et celles de vos serviteurs, au lieu de les juger d’après la charité que vous répandez dans les âmes.

3.- Homme ignorant et grossier, puisque Dieu t’a fait homme pourquoi te faire animal et abaisser ton jugement au dessous de celui de la brute ? Tu sais que ceux qui sont ainsi tombent dans les peines éternelles de l’enfer ; et là, l’homme est anéanti, non pas quant à la nature, mais quant à la grâce qui perfectionne la nature, et sans laquelle tout n’est rien.

 

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XV.- Prière faite à Rome, le 12 août, jour de l’octave de saint Dominique.

 

1.- O ingratitude de l’homme! ô amour incompréhensible et infini de Dieu ! Vous dites, Père éternel, que l’homme qui se regarde vous trouve en lui-même, parce qu’il a été fait à votre image ; il a la mémoire pour vous retenir, vous et vos bienfaits, et il participe à votre puissance ; il a l’intelligence pour vous connaître, et il participe à votre Sagesse, qui est votre Fils unique, notre Sauveur Jésus-Christ ; il a la volonté pour vous aimer, et il participe à la clémence du Saint Esprit. Ainsi, non seulement vous l’avez créé à votre ressemblance, mais vous avez pour ainsi dire en vous sa ressemblance, puisque vous êtes en lui et qu’il est en vous.

2.- Je ne me suis pas connue en vous, mon Dieu ; je ne vous ai pas connu en moi, et c’est là le malheur des pauvres ignorants qui vous offensent. Sans leur ignorance, pourraient-ils ne pas vous aimer? Cette ignorance est causée par la privation de la lumière de la grâce, et cette privation vient elle-même des nuages que produit l’amour sensitif. La conformité entre les hommes est si grande, que quand ils ne s’aiment pas ils s’éloignent de leur propre nature (A la fin de cette prière, on lit dans la version latine : « Sainte Catherine pria ensuite pour les siens, afin qu’ils participassent à la nature divine, en s’aimant les uns les autres, car c’est la vraie ressemblance. Et elle ajouta : Mon Dieu, je ne puis avoir une plus grande grâce que de passer ma vie dans les peines, et de la terminer pour vous par le martyre ».) (404)

 

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XVI.- Prière faite à Rome, le 13 février.

 

 

1.- O Amour ineffable, doux Amour, Flamme éternelle, Feu qui ne s’éteint jamais! O Dieu, Trinité adorable, vous la Droiture sans défaut, la simplicité sans ombre, la Sincérité sans mensonge, jetez les regards de votre miséricorde sur vos créatures. La miséricorde vous est naturelle ; de quelque côté que je me tourne, je ne rencontre que votre miséricorde. Je m’adresse donc à votre miséricorde, et je la demande pour le monde. Vous voulez que nous vous servions selon votre bon plaisir, et vous dirigez vos serviteurs de mille manières. Aussi ne devons-nous pas juger l’intérieur de la créature par ses actes extérieurs ; mais nous devons juger la volonté de chacun dans votre volonté, surtout pour vos serviteurs qui lui sont entièrement unis.

2.- L’âme est heureuse lorsqu’elle voit la lumière dans votre Lumière. Les moyens que prennent vos serviteurs sont différents ; mais, quelle que soit leur route, ils sont toujours dans le chemin de votre ardente charité ; sans cela ils ne suivraient pas véritablement votre vérité. Nous en voyons courir dans la voie de la pénitence et s’adonner à la mortification du corps ; d’autres marchent dans l’humilité et la destruction de leur volonté ; d’autres dans le zèle de la foi ; ceux-ci avancent par la miséricorde, ceux-là par l’amour du prochain, auquel ils se sacrifient ; et dans tous, l’âme se développe, parce qu’en se servant bien de la lumière naturelle, elle obtient la lumière surnaturelle, qui lui fait voir l’immensité de votre bonté.

3.- Oh.! comme ils avancent royalement, ceux qui voient en toute chose votre volonté, et qui ne jugent jamais celle de votre créature! O ineffable Charité! ils connaissent et pratiquent parfaitement votre doctrine, puisque vous avez dit : « Ne jugez pas d’après le visage » ( Jean, VII, 24 ). O Vérité éternelle! quelle est votre doctrine, et quelle voie devons-nous suivre pour arriver à votre Père? Je n’en connais pas d’autre que celle que vous avez tracée avec votre Sang précieux, et que vous avez affermie par les admirables vertus de votre ardente charité. C’est là notre chemin ; car notre seule erreur est d’aimer ce que vous détestez, et de haïr ce que vous aimez.

4.- Aujourd’hui, ô abîme de charité! j’implore votre miséricorde ; faites-moi la grâce de suivre votre vérité avec un coeur simple ; accordez-moi une faim continuelle de souffrir pour vous les peines et les tourments. Donnez à mes yeux, Ô mon Père, des fontaines de larmes, afin que j’obtienne votre miséricorde pour le monde entier, et surtout pour l’Église votre Épouse.

5.- O douce et ineffable Charité, l’Église est le jardin que vous avez fécondé de votre sang et arrosé de celui des martyrs, qui ont généreusement couru après le parfum de votre sacrifice ; protégez-la donc. Qui -pourrait prévaloir contre la cité que vous défendez ? O Père très clément ! plongez nos coeurs dans votre Sang, afin qu’ils brûlent d’ardeur pour votre gloire et pour le salut des âmes. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

6.- O Dieu éternel ! comment parler dignement de vous? Tout ce que nous pouvons dire, c’est que vous êtes notre Dieu, et que vous ne voulez que notre sanctification.

Ne l’avez-vous pas montré en nous donnant le sang de votre Fils, qui s’est passionné pour notre salut jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix? L’homme ne doit-il pas avoir honte de lever orgueilleusement la tête, lorsque vous, le Dieu très haut, vous vous êtes humilié dans la boue de notre humanité!

7.- O Dieu! combien la miséricorde vous est naturelle! L’homme, votre serviteur, l’invoque contre les rigueurs de votre justice, que le monde a méritées par ses péchés. Votre miséricorde nous a créés, votre miséricorde nous mi rachetés de la mort éternelle, votre miséricorde nous couvre et nous protège contre votre justice ; elle vous empêche d’ordonner à la terre de s’ouvrir pour nous engloutir, et aux bêtes féroces de nous dévorer : tout est à notre service, au contraire, et la terre nous prodigue l’abondance de ses fruits. C’est votre miséricorde qui règle, qui gouverne tout ; c’est elle qui retarde notre mort afin que nous ayons le temps de revenir et de nous réconcilier avec vous.

8.- O Père tendre et miséricordieux! qui est-ce qui empêche (407) les anges de punir l’homme, votre ennemi? Votre miséricorde. Elle nous donne aussi les douceurs qui nous obligent à vous aimer, qui séduisent le coeur de votre créature ; elle nous envoie les peines et les afflictions qui nous obligent à vous reconnaître, et qui nous font souffrir, afin que vous puissiez couronner ceux qui auront combattu avec courage.

9.- C’est elle qui a conservé les cicatrices glorieuses de l’Agneau, votre Fils unique, afin qu’elles intercèdent sans cesse pour nous votre souveraine Majesté. C’est cette miséricorde qui m’a montré si clairement aujourd’hui, à moi, si indigne et si misérable, que je ne puis et ne dois jamais juger les intentions des créatures raisonnables que vous conduisez par des voies si différentes. Vous me l’avez prouvé par moi-même, et je vous en rends grâces.

10.- Votre miséricorde n’a pas voulu que l’Agneau sans tache rachetât le genre humain par une seule goutte de son sang, comme il le pouvait ; elle a voulu qu’il le donnât tout entier, qu’il souffrît dans tout son corps, afin qu’il satisfit surabondamment pour le genre humain qui vous avait offensé. Et cela pour deux raisons : d’abord parce que, parmi vos créatures raisonnables, les unes vous outragent avec la tête, les autres avec les mains ou avec les autres parties de leur corps ; le genre humain avait donc péché par tous ses membres. Puis tout péché vient de la volonté, et sans elle il n’en existerait pas ; c’est elle qui dirige tout le corps. Par conséquent, tout le corps de la créature vous avait offensé.

11.- Aussi, vous avez voulu que tout le corps et tout le sang de votre Fils unique satisfissent à votre justice, afin que la satisfaction fût complète, et cela par la vertu de la Divinité unie à notre nature humaine, qui seule pouvait souffrir. La Divinité a accepté le sacrifice. O Verbe éternel, Fils de Dieu! comment avez-vous eu la contrition parfaite de la faute, puisque vous n’en avez jamais eu la souillure? Je vois que vous avez voulu satisfaire par les peines de votre esprit et de votre corps, parce que c’était par son esprit et par son corps que l’homme avait péché. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi, et ne regardez pas nos péchés, Dieu tout puissant, Dieu bon et miséricordieux!  (407)

 

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XVII.- Prière faite à Rome, le 14 février.

 

1.- O Trinité, éternelle Trinité! ô feu, ô abîme de charité ô folie d’amour pour votre créature, Vérité, Sagesse éternelle! Dieu qui vous êtes donné pour notre rédemption, ce n’est pas Votre Sagesse seulement qui est venue au monde ; car la Sagesse n’a pas été séparée de la Puissance, la Puissance de la Sagesse et de la Clémence ; toute la Trinité était présente. O Trinité éternelle, qu’avez-vous reçu de l’homme, si ce n’est l’outrage? Et quel profit deviez-vous retirer de notre rédemption? Aucun ; vous n’avez pas besoin de nous, et vous n’avez été utile qu’à nous. O ineffable Charité, vous avez donné toute votre divinité et toute votre humanité dans votre Incarnation, et vous les donnez encore à l’âme raisonnable, afin que pendant notre pèlerinage nous ne succombions pas à la fatigue, et que nous soyons fortifiés par cette nourriture céleste.

2.- Homme mercenaire, à quel prix Dieu veut-il t’acheter? Au prix de sa divinité et de son humanité, qu’il te donne tout entières, sous les blanches apparences du pain. O flamme d’amour, ne suffisait-il pas de nous créer à votre image et ressemblance, de nous faire renaître à la grâce dans le sang de votre Fils? Fallait-il encore nous donner toute la Trinité en nourriture! C’est votre charité qui l’a voulu. O Trinité éternelle, non seulement vous avez donné votre Verbe dans la Rédemption et dans l’Eucharistie, mais vous vous, êtes donnée tout entière par amour pour votre créature. Oui, l’âme vous possède, lorsqu’elle se renonce pour vous, lorsqu’elle ne cherche et ne désire en elle et dans le prochain que la gloire et l’honneur de votre nom, parce que vous êtes la Bonté suprême, que doivent aimer et servir toutes les créatures.

3.- Non seulement vous vous révélez aux âmes qui vous aiment ainsi, mais vous les fortifiez contre les assauts du démon, contre les persécutions des hommes et contre les malheurs qui leur arrivent. Vous éclairez leur intelligence par la sagesse de votre Fils, afin qu’ils se connaissent et vous connaissent dans votre lumière. Vous embrasez leur coeur par la clémence du Saint Esprit, et vous accomplissez toutes (408) ces merveilles en eux selon la mesure de leur amour et selon l’usage qu’ils font de leurs facultés.

4.- Je vous rends grâces, ô Père éternel, de ce que vous nous montrez aujourd’hui comment peut être réformée l’Église. Vous avez éclairé de votre Verbe l’intelligence de vos créatures ; fortifiez maintenant leur volonté, surtout celle de votre Vicaire, afin qu’il suive les lumières que vous lui avez données et que vous devez lui donner. O Trinité éternelle, j’ai péché toute ma vie. Ame misérable, tu as sans cesse oublié ton Dieu ; car, si tu ne l’avais pas oublié, tu serais consumée du feu de son amour. O Père éternel, rendez la santé aux malades, la vie aux morts ; donnez-leur une voix, afin qu’ils crient vers vous, et qu’ils obtiennent miséricorde pour le monde et pour votre Épouse. C’est avec votre voix même que nous vous implorons, exaucez-nous.

5.- Moi, je vous en prie pour tous, pour votre Vicaire surtout et pour ceux qui l’entourent, pour ceux que vous m’avez donnés à aimer d’un amour spécial. Je suis malade et je voudrais les voir en santé ; je suis pleine de défauts, et je voudrais les voir parfaits ; je suis morte, et je voudrais les voir vivre de la vie de votre grâce. D’où vient tant d’humilité et de miséricorde? Un Dieu s’associer si intimement à sa créature! non seulement unir la nature divine à la nature humaine, mais encore se communiquer aux âmes qui vous aiment et qui vous servent dans la simplicité du coeur! L’homme ne devrait-il pas avoir honte de ne pas se fixer en vous, lorsque vous voulez bien rester en lui de tant de manières? Ame malheureuse, tu ne te souviens pas de ton Dieu, tu ne peux par conséquent t’affermir dans la vertu. l’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

6.- O Dieu tout puissant, vous êtes la Vie et moi la mort, la Sagesse et moi la folie, la Lumière et moi les ténèbres, l’Infini et moi le néant, la Droiture et moi la fausseté, le Médecin et moi le malade. Qui pourra vous atteindre ô Dieu suprême, pour vous remercier des bienfaits si grands et si nombreux dont vous nous avez comblés? Mais vous nous atteignez par cette lumière que vous versez dans le coeur de ceux qui veulent vous recevoir : vous enchaînez de vos liens ceux qui se laissent enchaîner, ceux qui ne s’opposent point à votre volonté. Ne tardez pas, ô Père très (409) clément, jetez les regards de votre miséricorde sur le inonde : il vous glorifiera plus en recevant votre lumière qu’en restant dans les ténèbres du péché.

7.- Tout glorifie votre nom, mais ce sont les pécheurs qui font briller davantage votre miséricorde, lorsqu’elle arrête le glaive de votre justice, et qu’elle donne au coupable le temps de se convertir. Votre gloire paraît dans l’enfer, où votre justice punit les damnés, mais votre miséricorde s’y montre aussi, parce qu’ils n’y souffrent pas tous les tourments qu’ils ont mérités. Là même, votre nom est honoré. Mais que ne puis-je surtout le voir glorifié dans vos créatures, qui vous louent en accomplissant votre volonté, et qui parviennent à la fin pour laquelle vous les avez créées! Faites de votre Vicaire un autre vous-même, et donnez-lui la lumière dont il a si grand besoin puisqu’il doit la répandre sur les autres. O Père très bon et très clément, je vous en supplie, accordez-nous votre douce et éternelle bénédiction.

 

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XVIII.- Prière faite à Rome, le 15 février.

 

 

1.- O Dieu éternel, Dieu éternel, Amour ineffable, en votre lumière j’ai vu la lumière, j’ai connu la lumière ; j’ai compris la cause de la lumière, et la cause des ténèbres. Vous êtes la cause de la lumière, et nous, vos créatures, nous sommes la cause des ténèbres. Je sais ce que la lumière fait dans l’âme, et ce qu’y font les ténèbres. O Trinité éternelle, vos oeuvres sont admirables ; la lumière les fait connaître, parce qu’elles viennent de la lumière. Aujourd’hui, votre Vérité me montre clairement que la cause des ténèbres est l’enveloppe immonde de notre volonté propre et que le moyen de connaître la lumière est de se revêtir de votre douce volonté. Chose admirable! nous sommes dans les ténèbres, et nous voyons la lumière ; nous sommes dans le fini, et nous connaissons l’infini ; nous vivons dans la mort, et nous connaissons la vie.

2.- De même que l’homme se dépouille d’un vêtement et le jette loin de lui, l’âme doit se dépouiller de sa volonté viciée, si elle veut revêtir complètement la vôtre. Pour y parvenir, il faut développer par le libre arbitre cette lumière (411) que nous avons reçue dans le saint baptême, et qui nous fait voir la lumière dans la lumière : Cette lumière, vous nous l’avez montrée sous les voiles de notre humanité. Que reçoit l’âme qui est revêtue de cette lumière? Elle est délivrée des ténèbres, de la soif, de la faim et de la mort. La faim de la vertu chasse la faim insatiable de la volonté :

la soif de votre honneur chasse la soif de l’amour-propre, et la vie de votre volonté triomphe de la mort de nos convoitises.

3.- O vêtement infect de notre volonté, tu ne couvres pas l’âme, tu causes sa nudité. O volonté détruite, gage de la vie éternelle, tu es fidèle jusqu’à la mort, non pas au monde, mais à ton doux créateur. Tu lies l’âme à lui, parce que tu la détaches d’elle-même. O Amour ineffable, comment l’âme sait-elle qu’elle est parfaitement détachée d’elle-même? Elle le sait lorsqu’elle ne choisit plus le lieu, la manière, le temps qui lui plaisent davantage, mais qu’elle s’en rapporte pour tout à votre bon plaisir.

4.- Votre volonté, Seigneur, est un vêtement éblouissant, c’est un soleil ; car, comme  le soleil éclaire, échauffe et féconde la terre, votre lumière éclaire et échauffe l’âme qui la possède dans le feu de votre charité ; elle l’éclaire, parce qu’avec la lumière elle lui fait connaître la vérité dans la lumière de votre sagesse : elle lui fait produire, pendant qu’elle est sur cette terre, le fruit des véritables et saintes vertus. L’âme devient forte par la puissance du Père, prudente par la sagesse du Fils, et capable d’aimer par la clémence du Saint Esprit Cette dernière phrase ne se trouve que dans la version latine.)

5.- Qu’est-ce qui empêche l’âme de se dépouiller d’elle-même? C’est la privation de la lumière. Elle a méconnu la première lumière que vous donnez à toute créature raisonnable, et ne l’a pas développée. Elle a obscurci la vue de l’intelligence par des fautes qui ont enchaîné la volonté, et lui ont fait commettre le mal. O âme ignorante! si tu ne distingues pas la puanteur du péché et les parfums de la vertu et de la grâce, c’est que tu es privée de la lumière. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

6.- Dieu éternel, je sais combien vous avez fait la créature à votre ressemblance ; de quelque côté que mon intelligence regarde, elle voit que vous l’avez mise comme dans (411) un cercle dont elle ne peut sortir. Si je considère l’être que vous nous avez donné, j’y trouve votre image et votre ressemblance, dans nos rapports avec la sainte Trinité, par les trois puissances de notre âme. Si je considère le Verbe qui nous a fait naître à la grâce, je vois que vous nous ressemblez, et que nous vous ressemblons par cette union ineffable de la divinité et de l’humanité. Si je me tourne vers l’âme que vous éclairez des rayons de votre pure lumière, je vois qu’elle demeure en vous, parce qu’elle suit la doctrine de votre Vérité, et qu’elle pratique les vertus inspirées et prouvées par l’amour qu’elle a pour vous ; et c’est vous-même qui êtes cet amour.

7.- Dès que l’âme suit votre doctrine par amour, elle devient un autre vous-même. Elle s’est dépouillée de sa volonté pour se revêtir de la vôtre ; elle ne demande, elle ne désire que ce que vous demandez et ce que vous désirez en elle. Vous aimez cette âme, et cette âme vous aime ; mais vous l’aimez gratuitement, vous l’avez aimée avant qu’elle fût, tandis qu’elle vous aime à cause de vos bienfaits. Il lui est impossible de vous aimer gratuitement comme vous l’aimez, puisqu’elle vous doit tout, et que vous ne lui devez rien. Mais cet amour désintéressé qu’elle ne peut vous rendre, elle doit le rendre au prochain, en l’aimant gratuitement et par devoir. Gratuitement, parce qu’elle doit l’aimer sans intérêt et sans réciprocité ; par devoir, parce que vous le lui ordonnez, et qu’elle est obligée de vous obéir.

8.- Quelle conformité entre vous et l’âme, lorsqu’elle s’élève à vous par la lumière intellectuelle qu’elle reçoit de vous, et par l’amour divin qu’elle acquiert en se contemplant aux clartés de votre Vérité ! Elle vous ressemble, ô Dieu immortel, parce que vous lui faites comprendre et goûter dans l’ardeur de votre charité vos biens immortels. Vous êtes la Lumière, et vous la faites participer à la lumière ; vous êtes un feu, et vous vous communiquez vous confondez sa volonté avec la vôtre, et la vôtre avec la sienne. Vous êtes la Sagesse suprême, et vous lui donnez la sagesse ; vous lui faites discerner et comprendre la vérité. Vous êtes la Force éternelle, et vous lui donnez la force. Vous la lui donnez si grande, qu’aucune créature ne saurait l’ébranler, si elle ne le veut pas, et elle ne le voudra jamais (412) tant qu’elle sera revêtue de votre volonté : sa seule volonté peut l’affaiblir.

9.- Vous êtes infini, et vous la rendez infinie par la conformité que la grâce lui donne avec vous, pendant la vie de son pèlerinage, et pendant la vie de l’éternelle vision. Elle vous est tellement conforme, son libre arbitre vous est tellement uni, qu’elle ne peut plus perdre votre ressemblance. Oui, votre Vérité a dit vrai : toute créature raisonnable devient conforme à vous et vous à elle, par la grâce. Vous ne lui donnez pas une partie de votre grâce, vous la lui donnez tout entière. Pourquoi? Parce que rien ne lui manque -pour son salut. Vous la lui donnez plus ou moins parfaite, selon qu’elle veut développer dans votre lumière la lumière naturelle que vous lui avez d’abord donnée. Que dire encore, sinon que l’homme devient Dieu, et que vous, mon Dieu, vous vous êtes fait-homme?

10.- Quelle a été la cause de cette conformité? La lumière a fait connaître à l’âme votre volonté ; et parce qu’elle la connaît, elle se dépouille de sa volonté propre, qui causait ses ténèbres, sa mort, sa nudité. Elle se revêt de votre volonté, de vous-même par la grâce, par la lumière, par le feu, par l’union de votre Divinité à notre humanité. Vous êtes la cause de tout bien, tandis que la volonté corrompue de l’amour-propre est la cause de tout mal ; et cela parce qu’elle aveugle l’âme, et qu’elle la fait sortir de la sphère lumineuse de la sainte foi où elle vous trouvait toujours. Quelle est alors son union et sa ressemblance? Dès qu’elle abandonne la lumière de la foi, elle ressemble à la brute dépourvue de raison : elle suit la loi corrompue des êtres mauvais, visibles et invisibles, et c’est elle seule qui en est la cause.

11.- Oui, je le confesse, Dieu éternel et tout puissant, je suis la cause misérable de tous ces maux, parce que je n’ai pas exercé ma lumière dans votre lumière, pour connaître combien vous déplaît et combien m’est nuisible et mortel ce vêtement de ma propre volonté, ce vêtement dont vous voulez que je me dépouille complètement. Hélas! malheureuse, j’ai méconnu la douceur de votre volonté, que je devais revêtir. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

12.-Vous êtes, ô Dieu éternel, la lumière qui nous fait voir la lumière. Je vous supplie de répandre cette lumière sur (413) toutes vos créatures raisonnables, surtout sur le souverain pontife, votre Vicaire, afin qu’il devienne un autre vous-même. Éclairez ceux qui sont dans les ténèbres, et qu’ils connaissent votre vérité. Je vous implore aussi pour ceux que vous avez confiés à mon affection et à ma sollicitude particulière. Qu’ils soient illuminés de vos rayons, qu’ils soient purifiés de leurs fautes, afin qu’ils puissent activement travailler dans le champ que vous leur avez confié. Punissez et vengez sur moi leurs erreurs et leurs faiblesses dont je suis cause. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

13.- Je vous remercie, sainte et adorable Trinité, des consolations que vous avez données à mon âme en me faisant connaître la conformité que nous avons avec vous, et en m’expliquant l’excellence de votre volonté. Je suis celle qui ne suis pas, et vous êtes seul Celui qui êtes. Rendez-vous grâces vous-même en me donnant les moyens de pouvoir vous louer. Que votre volonté vous force à faire miséricorde au monde, et à secourir votre Vicaire et votre Église. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. O Dieu éternel, accordez-nous votre douce Bénédiction. Ainsi soit-il.

 

Table des Matières

 

 

 

XIX.- Prière faite à Rome, le jour de la Chaire de saint Pierre, apôtre.

 

1.- J’ai recours à vous, Médecin suprême, Amour inexprimable de mon âme ; je soupire avec ardeur vers vous, Trinité éternelle, infinie, moi si peu de chose! Je m’adresse à vous dans le corps mystique de votre sainte Église pour que vous purifiiez par votre grâce toutes les taches de mon âme. Ne tardez pas davantage, je vous le demande par les mérites de saint Pierre, que vous avez chargé de conduire votre Barque. Secourez votre Épouse, qui espère dans le feu de votre charité et l’abîme de votre admirable sagesse.

2.- Ne méprisez pas les désirs de vos serviteurs, mais dirigez vous-même la Barque sainte. Vous qui faites la paix, attirez à vous tous les fidèles ; dissipez les ténèbres de l’orage, afin que l’aurore de votre lumière brille sur les (414) champs de votre Église et y ramène le zèle pour le salut des âmes. O Père tendre et miséricordieux, vous nous avez donné des liens pour enchaîner le bras de votre justice ; ce sont les humbles prières et les ardents désirs de vos ardents serviteurs, que vous avez promis d’exaucer, lorsqu’ils vous demanderaient d’avoir pitié du monde.

3.- Je vous rends grâces, Ô Dieu puissant et éternel, du repos que vous voulez bien promettre à votre Épouse. Oui, j’entrerai dans ses jardins et je n’en sortirai pas avant d’avoir vu l’accomplissement de vos promesses qui ne trompent jamais. Effacez aujourd’hui nos péchés, Seigneur, et purifiez nos âmes avec le Sang que votre Fils unique a versé pour nous, afin que, la joie Sur le visage et la pureté tians l’âme, nous lui rendions amour pour amour, en mourant à nous-mêmes et en vivant pour lui.

4.- Exaucez aussi les prières que nous vous adressons pour le Pontife qni’ garde la Chaire sacrée dont nous célébrons la fête ; rendrez-le l’imitateur et le digne successeur de votre petit vieillard Pierre (Il succesore di questo tuo vecchiacciuolo di Petro.), et donnez-lui tout ce qui lui est nécessaire pour gouverner l’Église. Vous le savez, vous avez promis de satisfaire bientôt mes désirs : ainsi je m’adresse à vous avec confiance, mon Dieu ; ne tardez pas davantage à accomplir vos promesses.

5.- Et vous, mes frères bien-aimés, travaillons, tandis que nous le pouvons, pour l’Église du Christ, qui est notre mère dans la foi. Vous avez été placés dans l’Église comme ses colonnes ; aidez-la de vos ferventes prières et de vos œuvres ; détruisez eu vous tout amour-propre et toute paresse. Cultivons avec ardeur le champ sacré de la Foi, afin que nous accomplissions la volonté de Dieu, qui nous a donné cette tâche pour notre salut, pour celui des autres, et pour l’unité de l’Église, qui doit être le salut de nos âmes.

 

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XX.- Prière faite à Rome, le 26 mars 1379.

 

 

1.- O Dieu éternel, souveraine Grandeur, vous êtes grand, moi je suis petite. Ma bassesse ne peut atteindre votre Grandeur qu’autant que la volonté, l’intelligence, la mémoire, surmontent (415) la faiblesse de mon humanité pour vous contempler dans la lumière que vous m’avez donnée. Si je regarde votre Grandeur, toute grandeur que mon âme peut atteindre en vous est comme la nuit obscure comparée aux clartés du jour, ou comme les reflets de la lune comparés au disque éclatant du soleil. Je puis bien vous posséder par l’amour, mais je ne puis vous voir dans votre essence : vous avez dit que l’homme vivant ne peut vous voir.

2.- Oui, l’homme vivant dans sa sensualité et sa volonté ne peut vous voir .dans l’union de votre charité ; celui qui vit dans la rectitude de la raison peut vous voir

dans l’union de votre charité, mais il ne peut vous contempler dans votre essence tant qu’il habite son corps mortel. Il est donc bien certain que je ne puis vous atteindre, mais seulement jouir de vous comme dans un miroir, c’est-à-dire dans les effets de votre charité, et non dans votre essence.

3.- Et quand ai-je pu prétendre à ce bonheur de vos adorateurs véritables, à ce bonheur incompatible avec ma vie mortelle? Lorsque arriva le moment sacré, le temps vraiment acceptable, où mon âme put voir dans la lumière l’accomplissement des promesses ; lorsque vint au monde le grand Médecin, votre Fils unique ; lorsque l’Epoux fut uni à l’Épouse, et le Verbe-Dieu à notre humanité. Cette union s’est faite par Marie, car c’est elle qui vous a revêtu de sa chair, vous qui êtes l’éternel Époux!

4.- Cette union ineffable était cachée d’abord ; peu la connaissaient, et l’âme ne pouvait comprendre toute votre grandeur ; mais l’âme eut la connaissance parfaite de votre charité dans la Passion du Verbe (Il ne s’agit pas d’une connaissance parfaite, absolue mais de la connaissance dont parle saint Jean dans sa première Epître, III, 16 : In hoc cognovimus charitatem Dei, quoniam ille animan suam pro nobis posuit.). Alors le feu caché sous notre cendre se manifesta et produisit ces grandes flammes qui atteignirent le corps sacré du Sauveur sur l’arbre de la Croix. Pour que l’affection de l’âme fût attirée aux choses d’en haut, pour que l’oeil de l’intelligence pût vous contempler dans ces flammes, ô Verbe éternel, vous avez voulu être élevé sur le Calvaire, et le sang que vous y avez versé nous a prouvé votre amour, votre miséricorde et votre générosité (416) infinie. Vous nous avez aussi montré, par ce Sang, combien vous est odieuse et pesante la faute de l’homme. Vous avez purifié dans ce Sang l’âme, l’épouse que vous avait donnée l’union de votre divinité à notre humanité. Ce Sang a été un vêtement pour sa misère, et votre mort lui a rendu la vie.

5.- O Passion désirable, mais qui ne peut être désirée ni aimée par ceux qui se désirent, s’aiment encore eux-mêmes! Passion que désire celui qui s’est dépouillé de lui-même pour se revêtir de vous, et qui a connu par votre lainière la grandeur de votre charité! Passion douce et profitable, qui donnez à l’âme la paix nécessaire pour traverser les flots d’une mer orageuse! Passion, la suavité, la douceur même, richesse de l’âme, repos des affligés, nourriture de ceux qui ont faim ! vous êtes le port et le paradis de nos âmes! notre joie véritable, notre gloire, notre béatitude I Celui qui se glorifie en vous possède tout ce qu’il doit posséder. Et qui est-ce qui se glorifie en vous? Ce n’est pas celui qui abaisse la lumière de sa raison aux caprices-de ses sens : celui-là ne peut voir que ta terre.

6.- O Passion qui guérissez toute maladie, pourvu que le malade consente à sa guérison, car vos bienfaits ne nous ôtent pas la liberté, vous rendez la vie aux morts et vous délivrez l’âme qui est tombée dans les pièges du démon si le monde nous poursuit, si notre fragilité nous accablé, vous êtes notre refuge. L’âme, en voyant les douleurs du Calvaire, connaît l’immensité de la charité divine que cette Passion lui révèle, et elle en est enivrée. La faiblesse que le Verbe emprunte à notre humanité pour souffrir est un miracle de grandeur et de puissance, puisqu’elle vient de Dieu, qu’elle nous élève à Dieu et qu’elle fait ce que rien ne pourrait faire.

7.- O divine Passion! l’âme qui se repose en vous meurt à la sensualité, en goûtant le charme de votre amour. Qu’elle est grande, qu’elle est suave la douceur qu’elle trouve lorsqu’elle pénètre cette dure enveloppe sous laquelle se cachent la lumière et le feu de la charité, lorsqu’elle voit l’admirable union de la Divinité avec l’humanité qui seule souffre en notre Sauveur! Regarde, mon âme, contemple le Verbe dans notre humanité comme dans un nuage qui l’environne ; la Divinité n’est pas plus blessée par ce (417) nuage de notre humanité que le soleil ne l’est par les nuages qui voilent ses splendeurs et nous cachent la pureté du ciel. Oui, la divinité du Verbe assista aux souffrances de son corps. mais après sa Résurrection, elle changea en lumière les ténèbres de son humanité et la rendit immortelle.

8.- O Passion, vous êtes la doctrine que doit suivre la créature raisonnable ; vous montrez combien s’égarent ceux qui préfèrent les plaisirs aux peines ; puisqu’on ne parvient au Père que par le Verbe, et qu’on ne s’associe au Fils qu’en aimant ses souffrances. Si l’homme veut éviter la souffrance, il l’endurera malgré lui ; s’il consent à la porter avec le Soleil de justice, il n’en souffrira pas plus que la Divinité n’a souffert dans le Verbe les douleurs de la Passion acceptée volontairement. Depuis votre Passion, ô Verbe de Dieu, l’âme ne peut avec la lumière de la grâce connaître l’étendue de votre charité ; et c’est par cette lumière, qui nous est donnée dans le temps, que nous parviendrons à connaître votre essence dans l’éternité.

9.- O Dieu aimable, Dieu éternel, Sublimité infinie, nous ne pouvions élever à votre hauteur, ni les affections de notre âme à cause de leur bassesse, ni les regards de notre intelligence à cause des ténèbres du péché ; mais vous qui êtes le Médecin suprême, vous nous avez donné le Verbe avec son humanité ; vous avez gagné l’homme, vous avez vaincu le démon, non par l’humanité mais par la Divinité. En vous faisant petit, vous avez grandi l’homme : vous vous êtes abreuvé d’outrages pour le remplir de béatitude ; vous avez souffert la faim pour le rassasier de charité ; vous vous êtes dépouillé de la vie pour le revêtir de la grâce ; vous vous êtes couvert de honte pour lui rendre l’honneur ; vous vous êtes caché dans votre humanité pour lui donner la lumière ; vous vous êtes étendu sur la Croix pour l’embrasser ; vous lui avez ouvert votre côté pour lui offrir un asile contre ses ennemis, et lui faire connaître votre amour, dont l’étendue n’a pas de bornes. C’est là qu’il a trouvé la piscine salutaire qui a guéri son âme de la lèpre du péché.

10.- O Amour ineffable, ô Flamme, ô Abime de charité, Grandeur qu’on ne peut mesurer, plus je vous contemple dans votre Passion, plus je rougis de la misère de mon âme qui ne vous a jamais connu, et cela parce qu’elle vivait pour les sens et qu’elle était morte à la raison. Mais que votre (418) admirable charité illumine aujourd’hui mon intelligence, l’intelligence de ceux que vous m’avez confiés, et celle de toutes les créatures raisonnables. O Dieu, mon Amour, lors. que le monde se mourait dans la faiblesse, vous lui avez envoyé pour le guérir votre Fils unique, et je sais que vous le lui avez envoyé à cause de votre amour, et non à cause de nos mérites.

11.- Maintenant le monde s’affaisse dans la mort, et mon âme n’en peut supporter le douloureux spectacle. Quel moyen prendrez-vous pour le ranimer, puisque vous ne pouvez plus souffrir et que vous ne descendrez plus des cieux pour nous racheter, mais pour nous juger? Comment nous rendrez-vous la vie ? Je crois, ô Bonté infinie, que les remèdes ne vous manquent pas ; je sais que votre amour pour nous est toujours le même, et que votre puissance n’est pas plus affaiblie que votre sagesse. Vous voulez, vous pouvez, vous connaissez ce qui peut nous sauver. Je vous en supplie, montrez-moi ce remède, afin que mon âme ranimée reprenne courage.

12.-Il est vrai que votre Fils ne doit plus venir que dans la majesté du jugement : mais vous avez des serviteurs que vous appelez vos Christs ; et avec eux vous pouvez sauver le monde et lui rendre la vie, parce qu’ils marchent avec courage sur les traces de votre Fils, parce qu’ils brûlent du désir de vous glorifier, de sauver les âmes, et qu’ils supportent avec patience les peines, les tourments, les opprobres et les injures. Ces peines finies, accompagnées d’un désir infini, vous feront exaucer leurs prières, accomplir leurs désirs. S’ils souffraient corporellement sans ce désir infini, leurs souffrances ne pourraient suffire ni à eux ni aux autres, comme la Passion du Verbe sans la Divinité n’aurait pas suffi au salut du genre humain.

13.- Sauveur par excellence, donnez-nous donc des Christs pour qu’ils répandent leur vie pour le salut du monde dans les jeûnes, les veilles et les larmes. Vous les appelez vos Christs parce qu’ils deviennent semblables à votre Fils unique. O Père éternel, sauvez-nous de notre ignorance, de notre aveuglement, de notre froideur, Que nous ne restions pas dans cette obscurité où nous ne voyons que nous-mêmes ; mais faites-nous connaître votre volonté. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi! Je vous remercie de ce que vous (419) avez donné le repos à mon âme, en lui faisant connaître, dès ici-bas, la grandeur de votre charité et le moyen que vous avez pour délivrer le monde de la mort.

14.- Réveille-toi donc, ô mon âme, secoue ce sommeil qui a duré toute ta vie! O Amour ineffable! ce que souffrent vos serviteurs devient méritoire par le désir de leur âme, et le désir de leur âme devient méritoire par le désir de votre charité infinie! O âme malheureuse qui-ne suis pas la lumière, mais les ténèbres, sors, sors donc de ces ténèbres éveille-toi, ouvre les yeux de ton intelligence et regarde l’abîme de la charité divine, sans voir, tu ne peux pas aimer ; et plus tu verras, plus tu aimeras ; plus tu aimeras, plus tu suivras et te revêtiras sa volonté. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

 

Table des Matières

 

 

 

XXI.- Prière faite à Rome, le Jeudi 5 Avril 1379.

 

 

1.- O notre Résurrection! notre Résurrection! puissante et éternelle Trinité, faites donc éclater mon âme! O Rédempteur! notre Résurrection! Trinité éternelle ! Feu qui brûlez toujours, qui ne vous éteignez jamais, qui ne pouvez diminuer quand même vous vous communiqueriez à toute la terre! O Lumière qui donnez la lumière, je vois dans votre lumière, et je ne puis rien voir sans vous, parce que vous êtes Celui qui êtes, et moi je suis celle qui ne suis pas! Je connais par vous mes besoins, ceux de l’Église et du monde! C’est parce que je les connais que je vous conjure d’ébranler, d’enflammer mon âme pour le salut du inonde ; non pas que je puisse porter quelque fruit par moi-même, mais je le puis par la vertu de votre charité, qui est la source de tout bien.

2.- Oui, dans l’abîme de votre charité, l’âme agit pour son salut et pour celui de prochain, comme votre Divinité, ô éternelle Trinité, nous a sauvés au moyen de notre humanité bornée, qui nous a procuré un bien infini. C’est par cette vertu toute puissante de votre Divinité qu’a été créé tout ce qui participe à l’être, et qu’a été donné à l’homme le bien spirituel et temporel qui se trouve en lui. Ce bien, vous avez voulu que l’homme le cultivât par son libre arbitre (420)

3.- O Trinité, Trinité éternelle! votre lumière nous fait connaître que vous êtes le Jardin parfait qui renfermez les fleurs et les fruits. Vous êtes une Fleur de gloire qui vous glorifiez et qui fructifiez vous-même! Vous ne pouvez rien recevoir d’un autre : sans cela vous ne seriez pas le Tout-Puissant, l’Eternel ! Celui qui vous donnerait ne paraîtrait pas venir de vous. Mais vous êtes votre gloire et votre fruit ; ce que vous offre votre créature vient de vous ; si elle ne recevait rien, elle ne pourrait rien vous rendre.

4.- O Père éternel! l’homme était renfermé dans votre sein ; vous l’avez tiré de votre sainte pensée, comme une fleur où se distinguent les trois puissances de l’âme. Dans chacune de ces puissances, vous avez mis un germe afin qu’elles puissent fructifier dans votre jardin et vous rendre le fruit que vous lui avez donné. Vous entrez dans l’âme pour la remplir de votre béatitude, et l’âme y est comme le poisson dans la mer et la mer dans le poisson.

5.- Vous lui avez donné la mémoire afin qu’elle puisse retenir vos bienfaits polir fleurir à la gloire de votre nom et porter de bons fruits, Vous lui avez donné l’intelligence afin qu’elle connaisse votre vérité et votre volonté qui veut toujours notre sanctification, et que, la connaissant, elle vous honore et produise des vertus! Vous lui avez donné la volonté afin qu’elle puisse aimer ce que l’intelligence a vu et ce que la mémoire a retenu.

6.- Si je regarde en vous, qui êtes la Lumière, ô Trinité éternelle, je vois que l’homme a perdu la fleur de la grâce par la faute qu’il a commise. Il ne pouvait dès lors vous rendre gloire et atteindre le but pour lequel vous l’aviez créé. Votre plan était détruit ; votre jardin était fermé, et nous ne pouvions recevoir vos fruits. Alors vous avez envoyé le Verbe, votre Fils unique, à notre secours.

7.- Vous lui avez donné la clef de la Divinité et de l’humanité réunies pour nous ouvrir la porte de la grâce ; la Divinité ne pouvait l’ouvrir sans l’humanité, parce que l’humanité l’avait fermée par la faute du premier homme ; et l’humanité seule ne pouvait ouvrir sans la Divinité, parce que son action est finie et que la faute avait été commise contre la perfection infinie. La satisfaction devait égaler la faute ; tout autre moyen ne pouvait suffire. Et vous, doux et humble Agneau, vous nous avez ouvert les portes du jardin (421) céleste ; vous nous livrez l’entrée du paradis et vous nous offrez les fleurs et les fruits de l’éternité.

8.- Je comprends maintenant la vérité de ce que vous disiez, lorsque vous êtes apparu sous la forme d’un pèlerin à vos deux disciples, sur la route d’Emmaüs. Vous leur disiez qu’il fallait que le Christ souffrit et qu’il entrât dans la gloire par la voie de la Croix (Luc, XXIV, 26) ; vous leur citiez les prophéties de Moïse, d’Élie, d’Isaïe, de David, et vous leur expliquiez les Écritures ; mais ils ne vous comprenaient pas, parce que les yeux de leur intelligence étaient obscurcis. Mais vous vous compreniez bien, doux et aimable Verbe, et vous saviez où était votre gloire ; il vous fallait souffrir pour entrer en vous-même. Ainsi soit-il.

 

Table des Matières

 

 

 

XXII.- Prière faite à Borne, le jour de la Circoncision, à la recommandation d’un Cardinal dominicain, pour obtenir la circoncision des pécheurs endurcis.

 

 

1.- O Dieu souverain, ineffable Amour, Feu éternel qui éclairez les âmes, qui les embrasez du souffle de votre charité et qui détruisez en elles, autant que vous le pouvez tout ce qui vous est contraire, l’amour vous a forcé de nous donner la vie, et de vous révéler à nous pour l’honneur et la gloire de votre nom ; ce même amour vous a forcé de revêtir notre mortalité pour nous retirer de nos égarements, et c’est aujourd’hui surtout que parait cet amour.

2.- Pour enseigner l’humilité à ceux que vous aimez, vous vous êtes rendu accessible à la douleur : vous qui avez fait la loi, vous vous y êtes soumis. Que l’homme rougisse clone de la dureté de son coeur, et de la violation de la loi que vous lui avez donnée, puisque vous, notre Dieu, vous avez voulu l’observer. Vous nous avez montré aujourd’hui en vous le néant de notre humanité, pour que nous apprenions à nous anéantir en vous. Vous avez souffert, pour nous racheter et nous renouveler dans l’amour de votre Passion, afin que nous puissions à votre exemple souffrir avec courage.

3.- Que toute âme se fonde et se perde dans votre amour, ô Créateur, ô Dieu véritable, qui avez tiré l’homme de vous-même pour qu’il vous connût, vous aimât et vous suivit (422) comme son unique fin. Et nous avons résisté à tant de bienfaits ; ô Majesté éternelle! nous avons osé nous éloigner de vous. Encore aujourd’hui, votre bonté présente à nos âmes l’anneau de votre charité pour en faire ses épouses, si elles veulent accepter les conditions qui les fout participer à votre éternité.

4.- Aujourd’hui, vous avez donné à mon âme la rémission de ses péchés, par l’intermédiaire de votre ministre, dont la puissance est la vôtre. Vous m’avez créée sans moi, mais vous ne pouvez me sauver sans moi ; et c’est par la prière et la confession que j’ai obtenu de votre Vicaire la rémission de mes péchés. Votre indigne servante vous en remercie, Seigneur ; et puisque votre grâce m’a purifiée, ô mon Amour et mon Dieu, je vous conjure de faire miséricorde au monde, et de l’éclairer, pour qu’il reconnaisse votre Vicaire dans la pureté de la foi, et qu’il le suive à la clarté de votre lumière.

5.- Donnez aussi à votre Vicaire un coeur courageux et tout revêtu de votre sainte humilité. Je vous le demande avec instance, et je ne cesserai de le demander à votre bonté, ô mon Amour, jusqu’à ce que vous m’ayez exaucée. Manifestez en lui votre vertu ; que son âme virile brûle sans cesse de vos saints désirs, qu’elle soit pénétrée de votre humilité, et qu’elle agisse avec votre douceur, votre charité, votre pureté, votre sagesse ; qu’elle attire à lui l’univers tout entier. Oui, donnez à votre Vicaire l’abondance de votre vérité, afin qu’il connaisse ce qu’il était par lui-même et ce que vous êtes en lui par votre grâce.

6.- Éclairez aussi ceux qui le combattent et qui résistent au Saint Esprit et à votre toute-puissance par l’incirconcision de leur coeur. Frappez à la porte de leurs âmes, car ils ne peuvent se sauver sans vous. Pour les convertir, ô mon Dieu, réveillez la vie en eux, et que votre amour ineffable vous force, dans ce jour de grâce, à amollir leur dureté, afin qu’ils reviennent à vous et qu’ils ne périssent pas puisqu’ils vous ont offense, ô Dieu de souveraine clémence, punissez sur moi leurs offenses. Voici mon corps, je vous l’offre, je vous le livre comme une enclume ou leurs fautes doivent être détruites.

7.- Seigneur, vous avez donné à votre Vicaire un cœur naturellement fort, je vous demande humblement que vous (423) donniez aussi à son intelligence une lumière surnaturelle qui le porte à la vertu et l’empêche de tomber dans l’orgueil. Détruisez tout amour-propre en lui, en nous et dans tous vos ennemis, afin que nous puissions nous réconcilier avec eux lorsque vous aurez adouci leur dureté, et qu’ils se seront soumis à votre obéissance.

8.- Je vous offre ma vie, maintenant et quand il vous plaira ; utilisez-la pour votre gloire. Je vous supplie, par les mérites de votre Passion, de purifier votre Épouse de ses anciennes souillures, et de retrancher de son sein les rameaux stériles. Ne tardez pas davantage, je vous en conjure, ô mon Dieu. Je sais que vous pouvez par la force redresser à la longue les branches difformes de vos ennemis ; mais hâtez-vous, éternelle Trinité : puisque vous avez fait quelque chose de rien, il ne vous sera pas difficile de vous servir de ce qui existe, et d’en retrancher le mal. Je vous recommande mes enfants, et je présente à votre Majesté sainte celui par le ministère duquel vous vous êtes aujourd’hui donné à moi. Donnez-vous aussi à lui ; renouvelez-le à l’intérieur et à l’extérieur, afin que tous ses actes soient conformes à votre bon plaisir. Daignez m’exaucer et recevez mes actions de grâces, ô Vous, le Béni dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

 

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XXIII - Prière faite par sainte Catherine pendant l’extase qui suivit sa communion, le jour de la Conversion de saint Paul, en 1377. Elle fut recueillie par le bienheureux Raymond, son confesseur.

 

 

Cette prière ne se trouve pas dans la version latine.

 

1.- O Trinité éternelle, Dieu unique, Dieu un en essence et trine en personnes, permettez-moi de vous comparer à une vigne qui a trois rameaux. Vous avez fait l’homme à votre image et ressemblance. Par les trois puissances qu’il, a en son âme, il ressemble à votre Trinité et à votre unité. Et pour ajouter à cette ressemblance, par la mémoire, il ressemble et s’unit au Père, auquel on attribue la puissance ; par l’intelligence, il ressemble et s’unit au Fils, auquel on attribue la sagesse ; par la volonté, il ressemble et (424) s’unit au Saint Esprit, auquel on attribue la clémence, et qui est l’amour du Père et du Fils.

2.- O Paul, saint Apôtre, vous avez bien connu cette vérité. Vous saviez parfaitement d’où vous veniez, où vous alliez ; non seulement où vous alliez, mais par quel chemin vous alliez , car vous avez connu votre principe et votre fin, et par quelle voie vous alliez à votre fin. Aussi, vous avez uni les puissances de votre âme aux personnes divines. Vous avez uni votre mémoire au Père, en Vous rappelant parfaitement qu’il est le principe d’où procède toutes choses, non seulement les choses créées, mais encore, en leur manière, les personnes divines. Et par conséquent, vous n’avez pas douté qu’il ne fût votre principe.

3.- Vous avez uni la puissance de votre intelligence au Fils, le Verbe, en comprenant parfaitement l’ordre qui ramène les choses créées à leur fin, qui est le même principe réglé par la sagesse du Verbe. Et pour que cela fût plus clairement manifesté, le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, afin qu’étant la Vérité, il traçât par ses oeuvres la voie qui conduit à la vie pour laquelle nous étions créés, et dont nous étions privés.

4.- Vous avez uni votre volonté au Saint Esprit, en aimant parfaitement cet amour, cette clémence que vous voyiez être la cause de votre création et de tous les dons gratuits que vous aviez reçu ; et vous saviez que cette divine clémence agissait toujours uniquement pour votre bonheur et votre sanctification.

5.- En ce jour le Verbe vous convertit de l’erreur à la vérité ; vous avez reçu la grâce d’un ravissement où vous avez vu la divine Essence en trois personnes. Lorsque cette vision finit, et que vous êtes revenu à votre corps ou à vos sens, vous êtes resté revêtu seulement de la vision du Verbe incarné, et en la méditant vous avez compris que ce Verbe incarné, par ses souffrances continuelles, avait été la gloire de son Père et notre salut.

6.- Alors vous êtes devenu avide et affamé de souffrances ; vous oubliiez tout le reste, et vous confessiez que vous ne saviez autre chose que Jésus, et Jésus crucifié. Comme dans le Père et dans l’Esprit Saint ne peut se trouver la souffrance, vous paraissiez oublier ces deux Personnes divines, et vous disiez que vous ne connaissiez que le Fils (425) Jésus, qui souffrit de si grands tourments ; vous ajoutiez : Jésus crucifié.

 

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XXIV.- Prière faite à Rome.

 

1.- O Dieu éternel, Père tout puissant ! Feu qui brûlez toujours, Flamme ardente de charité, mon Dieu, mon Dieu! ce qui montre votre bonté et votre grandeur, c’est le présent que vous avez fait l’ l’homme. Ce présent, c’est vous tout entier, vous l’infinie, l’éternelle Trinité ; et le lieu où vous avez daigné descendre pour vous donner, c’est l’étable de notre humanité, qui était devenue le repaire des animaux, c’est-à-dire des péchés mortels. Vous avez voulu y naître pour faire comprendre à. quel degré de misère l’homme était parvenu par sa faute. Vous vous êtes donné tout entier en vous faisant semblable à notre humanité, et en vous unissant à elle.

2.- O Dieu éternel! Dieu éternel, vous me dites de regarder votre Divinité, afin de me voir en vous, et de mieux connaître, par votre grandeur, ma misère et ma bassesse. Mais si je ne me dépouille pas d’abord de ma volonté propre, je ne puis vous voir. Vous m’avez enseigné qu’il fallait me dépouiller de ma volonté, en me connaissant moi-même, parce qu’en me connaissant je vous connais, et en vous connaissant mon âme se dépouille de sa volonté pour revêtir la vôtre.

3.- Nous devons aussi arriver par la lumière à nous connaître en vous. O feu qui brûlez toujours, l’âme qui se connaît en vous, de quelque côté qu’elle se tourne, rencontre votre grandeur jusque dans les plus petites choses, dans les créatures raisonnables et dans tout ce que vous avez créé. Partout elle voit votre puissance, votre sagesse, votre bonté ; car si vous n’en aviez pas eu le pouvoir, l’intelligence et la volonté, vous n’auriez pas tout créé vous êtes tout puissant, et vous avez manifesté votre puissance.

4.- O âme misérable! tu ne t’es jamais connue en Dieu, parce que tu n’as pas dépouillé ta volonté corrompue, et que tu n’as pas revêtu la sienne. Comment voulez-vous, ô mon doux Amour, que je me regarde en vous? J’y vois que vous nous avez créés à votre image et ressemblance ; (426) j’y vois que vous, la Pureté même, vous vous êtes uni à la fange de notre humanité. C’est le feu de votre ineffable charité qui vous contraint et qui vous force à vous donner à nous en nourriture, vous, la Nourriture des anges, la souveraine, l’éternelle Pureté, qui demande tant de pureté, que, s’il était possible à la nature angélique de se purifier davantage, èlle devrait le faire pour vous recevoir! Et comment l’âme se purifiera-t-elle? Par le feu de votre charité, en se lavant dans le sang de votre Fils unique.

5.- O âme pleine de misère! comment t’approches-tu d’un si grand Sacrement sans mieux te purifier? N’as-tu pas honte, et n’es-tu pas digne d’habiter avec les bêtes et les démons, puisque tu accomplis les actes des bêtes, et que tu suis les inspirations du démon? O Bonté infinie! vous me montrez en vous que vous m’aimez, et que vous m’aimez gratuitement, afin que j’aime aussi d’un amour désintéressé mon prochain, et que je le serve spirituellement et corporellement autant que je le pourrai, sans espoir de récompense. Vous voulez que, malgré ses persécutions et son ingratitude, je ne l’abandonne jamais, et que je le secoure dans tous ses besoins.

6.- Que ferai-je pour vous obéir? Je dépouillerai la corruption de ma volonté, je me regarderai en vous à la lumière le la foi, je me revêtirai de votre éternelle volonté, et je verrai que vous êtes, ô adorable Trinité, notre table, notre nourriture, notre serviteur. Oui, ô Père, vous êtes la table où nous est servi l’Agneau sans tache, votre Fils unique. Cet Agneau est notre suave et délicieuse nourriture ; car il nous nourrit de sa doctrine, et il se donne dans la sainte communion pour nous soutenir et nous fortifier pendant le pèlerinage de cette vie. Le Salut Esprit est notre serviteur ; car il nous sert cette doctrine qui éclaire notre intelligence et qui attire nos coeurs ; il nous donne aussi cet amour du prochain, cette faim des âmes et du salut du monde pour l’honneur du Père. Aussi voyons-nous les âmes, éclairées en vous de la véritable lumière, ne laisser jamais s’écouler un instant sans se nourrir de cet amour et de ce désir du salut des âmes.

7.- O infinie Bonté, vous nous montrez en vous les nécessités du monde, et surtout celles de la sainte Eglise, votre Épouse. Vous nous montrez l’amour que vous lui portez, (427) puisque vous l’avez fondée dans le sang de votre Fils, et que vous l’y conservez. Vous montrez aussi votre amour pour votre Vicaire, puisque vous le rendez le dispensateur de ce précieux Sang. Je me regarderai en vous afin de devenir pure ; et, lorsque vous m’aurez purifiée, je demanderai à votre miséricorde de jeter des regards de compassion sur les besoins de votre Église, et d’éclairer, de fortifier votre Vicaire. Éclairez aussi, ô Père très clément, vos serviteurs, pour qu’ils vous consultent en toute chose, et qu’ils soient fidèles aux lumières que vous leur donnez.

8.- O souveraine Sagesse, non seulement vous avez créé l’âme, mais vous l’avez enrichie de trois puissances, de la mémoire, de l’intelligence et de la volonté ; et ces puissances sont tellement unies, qu’il suffit d’une seule pour entraîner les autres. Si la mémoire s’occupe à voir votre bonté, aussitôt l’intelligence veut la comprendre, et. la volonté veut l’aimer et suivre votre volonté. Pourquoi ne l’avez-vous pas créée seule? Parce que vous n’avez pas voulu qu’elle fût sans votre amour et sans celui du prochain ; et quand elle est ainsi accompagnée, elle devient une même chose avec

vous et avec le prochain. Alors s’accomplit cette parole de saint Paul : « Il y en a beaucoup qui courent dans la carrière, mais le prix n’appartient qu’à un seul. » (I Cor. IX, 24 ), c’est-à-dire à la charité.

9.- Quand l’âme s’associe au péché, elle reste seule, parce qu’elle s’éloigne de vous, qui êtes le seul bien ; et en s’éloignant de vous, elle se sépare de la charité du prochain et s’associe au néant du péché. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Jamais je n’ai su me connaître en vous ; c’est votre lumière qui fait voir tout le bien qu’on connaît. Dans votre nature, Dieu éternel, je connaîtrai ma nature. Et quelle est votre nature, ô Amour ineffable? C’est un feu, et vous avez donné de cette nature à l’homme en le créant  par le feu de l’amour, ainsi que toutes les autres créatures. Homme ingrat, ton Dieu t’a donné sa nature, et tu n’as pas honte de détruire en toi cette noblesse, en commettant le péché.

10.- O Dieu, mon doux Amour, comment ce qui n’a pas l’apparence du feu est-il un feu? Oui, tout est feu, parce que vous avez tout créé par le feu de la charité. La plante que porte la terre n’est pas la terre, elle tire cependant de la (428) terre sa substance. Il est donc Vrai que vous n’êtes autre chose qu’un feu (Ce paragraphe se trouve dans le latin seulement).

11.- Trinité éternelle, mon doux Amour, vous la Lumière véritable, donnez-nous la lumière : vous la Sagesse, donnez-nous la sagesse ; vous la Force infinie, donnez-nous la force. Dissipez, je vous en conjure, nos ténèbres, afin que nous puissions vous connaître parfaitement, et suivre votre Vérité dans la sincérité et la simplicité du coeur. O Dieu, venez à notre aide, hâtez-vous de nous secourir. Ainsi soit-il.

 

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XXV.- Prière faite à Rocca di Tentennano, chez la comtesse de Salimbeni, le 26 octobre 1378.

 

 

Les deux dernières prières ne se trouvent pas dans la version latine.

 

1.- O Puissance du Père, aidez-moi ; Sagesse du Fils, éclairez mon intelligence ; douce Clémence du Saint Esprit, embrasez-moi et unissez-vous mon coeur. Je confesse, ô Dieu éternel, que votre puissance est toute puissante pour délivrer l’Église, pour sauver votre peuple et le retirer des mains du démon, pour faire cesser la persécution contre la sainte Église, et me donner la victoire et la force contre tous mes ennemis. Je confesse que la sagesse de votre Fils, qui estime même chose avec vous, peut éclairer mon intelligence et celle de votre peuple, et dissiper les ténèbres de votre douce Épouse. Je confesse, ineffable Bonté de Dieu, que la Clémence du Saint Esprit, que votre ardente charité veut unir et enflammer en vous mon coeur et les coeurs de toutes les créatures raisonnables.

2.- Puisque vous le savez, le voulez et le pouvez, je vous adjure, par votre puissance, ô Père éternel, par la sagesse de votre Fils unique et par son précieux Sang, par la clémence du Saint Esprit, le feu, l’abîme de la charité qui a cloué et percé votre Fils sur la Croix, je vous adjure de Faire miséricorde au monde et de renouveler dans votre sainte Église l’union, la paix et l’ardeur de la charité. Oui, je ne veux pas que vous tardiez davantage. Je vous demande que votre infinie Bonté vous force à ne pas fermer l’oeil de votre miséricorde sur votre sainte Épouse, doux Jésus, Jésus Amour. (429)

 

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XXVI.- Prière faite par sainte Catherine, après le terrible accident qu’elle éprouva dans la nuit du lundi de la Septuagésime, lorsque sa famille la pleura comme morte.

 

 

1.- Dieu éternel, mon bon Maître, qui avez formé le vaisseau du corps de votre créature avec le limon de la terre ; ô très doux Amour, vous l’avez formé d’une chose si vile, et vous y avez mis un si grand trésor, l’âme faite à votre image et ressemblance, ô Dieu éternel! Oui, mon bon Maître, mon doux Amour, vous êtes le maître de faire et de refaire, de briser et de refondre ce vase fragile comme le voudra votre Bonté.

2.- O Père, moi votre misérable servante, je vous offre de nouveau ma vie pour votre douce Epouse. Vous pouvez, toutes les fois que le voudra votre Bonté, me séparer de mes sens et m’y ramener toujours d’une manière de plus en plus douloureuse, pourvu que je voie la réformation de votre douce Épouse, la sainte Église.

3.- Je vous recommande cette Épouse, Dieu éternel ; je vous recommande aussi mes fils bien-aimés, et je vous prie, ô Père suprême, s’il plaît à votre miséricordieuse bonté de me retirer enfin de mon corps, je vous prie de ne pas les laisser orphelins, mais de les visiter par votre grâce et de les faire vivre morts dans la vraie et parfaite lumière. Unissez-les ensemble par les liens de votre douce charité, afin qu’ils meurent anéantis dans cette douce Épouse.

4.- Je vous prie, ô Dieu éternel, qu’aucun ne me soit ravi : pardonnez nous toutes nos fautes ; pardonnez-moi mon extrême ignorance et la grande négligence que j’ai à me reprocher envers votre Église, puisque je n’ai pas fait tout ce que j’aurais dû et pu faire pour elle. J’ai. péché, Seigneur, ayez pitié de moi ; je vous offre et vous recommande mes fils bien-aimés, car ils sont mon âme ; et, s’il plaît à votre Bonté de me faire rester dans mon corps, Médecin suprême, guérissez-le, réparez-le ; car il est tout déchiré. Donnez, Père éternel, donnez-nous votre douce bénédiction.

Ainsi soit-il.

 

 

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