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Introduction
Livre I
Livre II
Livre III
Appendice

 

PRÉFACE

Nella santa memoria Stefano Maconi.

L'ouvrage que je présente ici aux lecteurs français est un pendant de mon livre paru, il y a dix ans, « Saint François d’Assise ». Il est, ainsi que ce précédent travail, basé sur l’étude des sources, mais je me suis efforcé de le rendre moins sensible, et c’est pourquoi j’ai rassemblé dans un appendice, à la fin du volume, toutes les notes et les renvois qui n’ont d’intérêt que pour un public plus restreint.

Pour être sincère, je dois avouer qu’au début j’éprouvais moins de sympathie pour Catherine de Sienne que pour François d’Assise. Il y a dans la nature énergique de la Siennoise un je ne sais quoi d’esprit de domination, un élément de tyrannie qui me déplaisait. Avec son perpétuel et très féminin Io voglio, «Je veux », elle est le contraste absolu du doux Ombrien qui préférait voir s’effondrer l’œuvre de sa vie plutôt que d’user de pouvoir et d’autorité « comme les Podestà de ce monde ». Ceci, Catherine ne craignait jamais de le faire, mais voilà pourquoi — je pense— sa dernière heure fut moins paisible que celle de François d'Assise. A ce moment suprême, des doutes l'assaillirent l’avocat du diable que devient la conscience, quand la lumière du monde de la vérité commence à luire dans l'âme et que l'éternité apparaît dans toute son écrasante réalité, lui souffla que l’œuvre de sa vie entière n'avait été inspirée que par l’obstination et la vanité. Celui que l'hymne nomme Franciscus pauper et humilis, n’eut point à se défendre contre de telles accusations.

Mes rapports avec Catherine commencèrent donc, à vrai dire, dans des conditions un peu fâcheuses ; à certaines heures, j'avais presque peur d'elle. Mais à mesure que j'appris à la connaître plus intimement, il m'advint ce qui était advenu à tant d’autres pendant sa vie terrestre — je fus subjugué par elle, et il me fallut me rendre. Comme ce Franciscain qui, tout d'abord, l’avait si violemment critiquée, je devins aussi un zélé caterinato, et comme la femme de la fresque d’Andréa di Vanni, dans la Cappella delle Voile, je m'agenouillai moi aussi, et mes lèvres effleurèrent humblement les mains pâles qui, sans aucun stigmate extérieur, étaient transpercées par la douleur des plaies du Christ.

Le présent livre a un avantage sur celui que j’écrivis sur François d’Assise — il est né dans la ville de la Sainte. Il est écrit à Sienne, à deux cents pas de la maison paternelle de Catherine, au son des cloches carillonnant dans son cher San Domenico. Quand je quittais du regard les lignes noires sur la page blanche, je voyais au loin, par delà les champs d’oliviers, Belcaro, le couvent qu'elle fit bâtir sur une hauteur au milieu des bois de pins, sous la ligne bleue de la Montagnuola. Et bien des chapitres ont été conçus, bien des phrases formées en marchant le long des chemins jadis parcourus par Catherine, ou en écoutant {comme l’a dit un jeune poète siennois) « l'aqua che scorre e parla in Fontebranda ».

En achevant à présent mon travail, mon premier remerciement va donc vers Sienne elle-même — Sena Vetus, Civitas Virginis. Comme le dit l’inscription, au-dessus de la Porta Camullia, « La ville t’ouvre son coeur plus largement encore que ses portes», cor magis tibi Sena pandit. Et comment puis-je vous remercier asse^, ô portes hospitalières de Sienne, ô cœurs ouverts de Sienne? Je ne veux point nommer des noms que le monde ne connaît pas — ne connaît pas encore en tout cas. Mais vous, qui étiez la jeunesse, avez accueilli parmi vous l'homme grisonnant, vous, qui étiez les fils et les filles de Toscane au doux parler, avez écouté patiemment le barbare qui maltraitait votre langage. Je ne nommerai pas de noms, mais quand avril reviendra je songerai : « Maintenant l'herbe verdit de nouveau au Corposanto al Pecorile, et près de la vieille église romane de Marciano, alla soglia erbosa, entre les buissons de lauriers s'érige le blanc ermitage dédié à deux divinités : Alma Poësis, Beata Solitudo ! »

Puis je dois également un merci sincère et cordial à tous ceux qui m'ont aidé dans mon travail par leurs conseils et leur concours. Je nomme tout d’abord mon dévoué ami Monseigneur Simon Deploige, Président de l’Institut supérieur de philosophie de V Université, actuellement détruite, de Louvain. Ensuite M. le Professeur Armand Thiery, de la même Université; Mme Dugniolle, de Bruxelles ; Mlle M.E. Belpaire, d'Anvers, maintenant à La Panne; Mme la Comtesse Ursel de Boissieu et M. Gabriel Thomas, résidant tous deux à Paris. Je remercie encore M. le Professeur Pietro Rossi, de l’Université de Sienne; M. le Professeur Alessandro Bonnucci, de la même Université; M. le Dr Fabio Iacometti, attaché à la bibliothèque communale de Sienne; M. le Professeur Vigo, de Livourne; M. Eugenio Lazzareschi, archiviste à Lucques; Signora Matilda Fiorelli, de Florence; le Révérend Père Innocenta Taurisano, O. Pr., à Rome, et le Révérend Père Rémi Coulon, O. Pr., actuellement sous les armes. Enfin, je remercie la Prieure de Stone Convent, en Angleterre, qui a bien voulu me prêter les copies de plusieurs manuscrits.

Et, par ces mots, je termine un livre qui m’a si longtemps absorbé. La paix l’a vu commencer, je l’achève durant la guerre la plus sanglante que le monde ait jamais rue, au milieu d’un fracas d’armes où ne se fait plus entendre la voix d’aucune sainte, et où aucune Catherine de Sienne ne s’élance entre les combattants, proclamant la paix au nom du Crucifié — pace, pace! Le premier des trois cavaliers de l’Apocalypse — celui qui est monté sur le cheval roux — passe impitoyablement sur l’Europe, et derrière lui, dans les empreintes des pieds du cheval, il ny a que du sang, des cadavres, des ruines. Et là-bas, à l'horizon, nous entendons déjà piétiner impatiemment les deux autres coursiers — le cheval noir qui porte la famine et le cheval pâle qui porte la peste...

En de telles circonstances il m’a souvent été difficile de concentrer mes pensées et d’emprisonner mes sentiments dans le quatorzième siècle; et j’ai jeté des regards impatients vers le dernier chapitre de ce livre comme vers la porte qui donne de la bibliothèque dans la réalité. Je suis maintenant à la porte et je m’y arrête. Un livre fini — un chapitre de votre vie clos! {Et combien en reste-t-il encore?') On s’arrête sur le seuil de la porte et on regarde, une dernière fois, le cabinet de travail que l’on va quitter. Une dernière fois, on regarde la table, sous la lampe électrique qui a illuminé tant d’heures de travail, le fauteuil d'où si souvent des visages aimés ont ri et parlé; par les fenêtres on a vue sur la plaine et sur les montagnes lointaines derrière les lignes bleues desquelles le soleil, tant de soirs, s’est couché en or et en sang. Tout cela est passé, passé pour toujours, comme les paroles prononcées dans cette chambre, comme le bonheur, ou la douleur vécues ici — et l'on met le dernier trait sur la dernière page du manuscrit ainsi qu'on ferme une porte que jamais plus on n'ouvrira — e quello ch’era, non sará mai piú, « ce qui fut ne reviendra jamais plus ».

* * *

Sainte Catherine a connu elle aussi cette tristesse

du départ, celte mélancolie tendre de l’adieu, cette piccola dolce tenerezza comme elle l’appelle. Ce n’est que trop bien qu'elle sait comment tout passe — come il vento. Elle en a souffert ainsi que nous autres, pauvres mortels, en souffrons et en souffrirons. Mais son âme forte ne s’attarde pas dans ces larmes — elle qui sait si bien distinguer les bonnes larmes d’avec les nuisibles et qui les a étudiées dans tout un traité de son Livre.

Tout passe — oui, mais non pas tout. Il y a des larmes sans espérances — elles donnent la mort. Et il y a des larmes derrière lesquelles rayonne un soleil immortel — elles donnent la vie. Caffarini nous dit qu'à Sienne vivait une femme qui, après la mort de la Sainte, lui raconta que jamais elle n’avait pu regarder Catherine sans pleurer de tendresse et de dévotion.

Et voilà les bonnes larmes qui font renaître le coeur. A nous d’imiter cette pauvre femme dont nous ne savons pas même le nom, mais qui eut le privilège immense de contempler la Sainte, pendant sa vie terrestre. Regardons hélas! de bien loin, Catherine. Et pleurons les larmes qui font devenir des Saints!

Paris, fête de Saint Thomas d’Aquin 1918.

J. J.

 

LETTRES A L’AUTEUR DE S. ÉM. LE CARDINAL GASPARRI ET DU T. R. MAITRE GÉNÉRAL DES FRÈRES PRÊCHEURS

SECRÉTAIRERIE D’ÉTAT DE SA SAINTETÉ.

N“ 99324.

(Traduction de l’original italien).

DAL VATICANO, 28 Novembre 1919.

Cher Monsieur,

Je suis heureux de pouvoir vous communiquer que votre Vie de Sainte Catherine de Sienne dont vous avez récemment offert un riche exemplaire au Souverain Pontife, a eu le mérite et l’honneur d’être reçue avec une particulière bienveillance de la part du Vicaire de Jésus-Christ.

A cet effet ont contribué et le sentiment du culte que Sa Sainteté a toujours nourri envers la Vierge Sien- noise et Fart exquis avec lequel Fauteur de Saint François d’Assise a su dessiner la suave et forte figure de Catherine Benincasa.

Ame grande que celle de la jeune Catherine de Sienne dans laquelle on admire, unie a une rare profusion de dons surnaturels, une singulière harmonie d'humain et de divin qui se manifeste par une intense vie intérieure et extérieure, par un rayonnement incessant, merveilleux, des vertus les plus élevées et des oeuvres les plus utiles.

Sa Sainteté vous exprime ses paternels remerciements pour avoir consacré votre nom et votre art à célébrer la Sainte de Sienne et Elle souhaite que votre œuvre serve d’encouragement à ceux qui, de même que la Vierge Siennoise, vivent dans le monde et sentent dans leur cœur l’invitation d’En-Haut la perfection et à l’action catholique. Que votre œuvre aide spécialement la jeunesse féminine qui, en sainte Catherine, trouve à la fois une protectrice et un exemple de sainteté et d’apostolat.

Aux remerciements et aux félicitations le Souverain Pontife daigne joindre, comme signe de paternelle bienveillance, la Bénédiction Apostolique qu’il vous accorde de tout cœur pour vous et tous les vôtres.

Veuillez croire à mes sentiments très dévoués.

Cardinal GASPARRI.

  

COLLEGIO « ANGELICO », Via S. Vitale, 15.

ROMA, 21juillet 1919.

Cher Monsieur Joergensen,

C'est avec un grand plaisir que j'ai reçu l’édition française de votre ouvrage Sainte Catherine de Sienne.

Vous avez évoqué d'une manière originale cette vigoureuse figure du moyen-âge, cette âme virile dans ce corps débile de femme. Amante passionnée de l’Ordre dominicain, dont elle fut membre par le Tiers Ordre, et dont elle subit entièrement l’influence par ses directeurs et protecteurs, elle n'a jamais cessé d'être vénérée et honorée d'un grand culte par les membres de notre Ordre. Votre livre nous est ainsi d'autant plus agréable, qu'il sera une consolation pour tant de dévots à la vierge Siennoise et une révélation pour tant d’autres, que le contact avec une âme élevée porte à l’imitation et à l'initiative vertueuse. Nous vous félicitons d’avoir achevé si heureusement ces pages consacrées uniquement à la gloire de la sainte Sœur Catherine, de les avoir rendues attrayantes par le choix et la saveur du style et répondant à toutes les exigences de la critique moderne.

Agréez, Monsieur, l’expression de ma grande estime et de mes sentiments distingués,

Signé : Fr. Louis THEISSLING, O. P.

Maître Gén.

PRÉFACE

Nella santa memoria

Stefano Maconi.

L'ouvrage que je présente ici aux lecteurs français est un pendant de mon livre paru, il y a dix ans, « Saint François d’Assise ». Il est, ainsi que ce précédent travail, basé sur l'étude des sources, mais je me suis efforcé de le rendre moins sensible, et c’est pourquoi j’ai rassemblé dans un appendice, à la fin du volume, toutes les notes et les renvois qui n’ont d'intérêt que pour un public plus restreint.

Pour être sincère, je dois avouer qu’au début j’éprouvais moins de sympathie pour Catherine de Sienne que pour François d'Assise. Il y a dans la nature énergique de la Siennoise un je ne sais quoi d’esprit de domination, un élément de tyrannie qui me déplaisait. Avec son perpétuel et très féminin Io voglio, « Je veux », elle est le contraste absolu du doux Ombrien qui préférait voir s’effondrer l’œuvre de sa vie plutôt que d’user de pouvoir et d’autorité « comme les Podestà de ce monde ». Ceci, Catherine ne craignait jamais de le faire, mais voilà pourquoi — je pense— sa dernière heure fut moins paisible que celle de François d'Assise. A ce moment suprême, des doutes l’assaillirent et l’avocat du diable que devient la conscience, quand la lumière du monde de la vérité commence à luire dans l'âme et que l'éternité apparaît dans toute son écrasante réalité, lui souffla que l’œuvre de sa vie entière n'avait été inspirée que par l’obstination et la vanité. Celui que l'hymne nomme Franciscus pauper et humilis, n’eut point à se défendre contre de telles accusations.

Mes rapports avec Catherine commencèrent donc, à vrai dire, dans des conditions un peu fâcheuses ; à certaines heures, j’avais presque peur d'elle. Mais à mesure que j'appris à la connaître plus intimêment, il m’advint ce qui était advenu à tant d’autres pendant sa vie terrestre — je fus subjugué par elle, et il me fallut me rendre. Comme ce Franciscain qui, tout d’abord, l’avait si violemment critiquée, je devins aussi un zélé caterinato, et comme la femme de la fresque d’Andrea di Vanni, dans la Cappella delle Volte, je m’agenouillai moi aussi, et mes lèvres effleurèrent humblement les mains pâles qui, sans aucun stigmate extérieur, étaient transpercées par la douleur des plaies du Christ.

Le présent livre a un avantage sur celui que j’écrivis sur François d’Assise — il est né dans la ville de la Sainte. Il est écrit à Sienne, à deux cents pas de la maison paternelle de Catherine, au son des cloches carillonnant dans son cher San Domenico. Quand je quittais du regard les lignes noires sur la page blanche, je voyais au loin, par delà les champs d’oliviers, Belcaro, le couvent qu'elle fit bâtir sur une hauteur au milieu des bois de pins, sous la ligne bleue de la Montagnuola. Et bien des chapitres ont été conçus, bien des phrases formées en marchant le long des chemins jadis parcourus par Catherine, ou en écoutant (comme l’a dit un jeune poète siennois) « l'aqua che scorre e parla in Fontebranda ».

En achevant à présent mon travail, mon premier remerciement va donc vers Sienne elle-même — Sena Vetus, Civitas Virginis. Comme le dit l’inscription, au-dessus de la Porta Camullia, « La ville t’ouvre son cœur plus largement encore que ses portes », cor magis tibi Sena pandit. Et comment puis-je vous remercier assez, ô portes hospitalières de Sienne, ô cœurs ouverts de Sienne? Je ne veux point nommer des noms que le monde ne connaît pas — ne connaît pas encore en tout cas. Mais vous, qui étiez la jeunesse, avez accueilli parmi vous l'homme grisonnant, vous, qui étiez les fils et les filles de Toscane au doux parler, avez écouté patiemment le barbare qui maltraitait votre langage. Je ne nommerai pas de noms, mais quand avril reviendra je songerai : « Maintenant l'herbe verdit de nouveau au Corposanto al Pecorile, et près de la vieille église romane de Marciano, alla soglia erbosa, entre les buissons de lauriers s'érige le blanc ermitage, dédié à deux divinités : Alma Poësis, Beata Solitudo ! »

Puis je dois également un merci sincère et cordial à tous ceux qui m’ont aidé dans mon travail par leurs conseils et leur concours. Je nomme tout d’abord mon dévoué ami Monseigneur Simon Deploige, Président de l’Institut supérieur de philosophie de l’Université, actuellement détruite, de Louvain. Ensuite M. le Professeur Armand Thiery, de la même Université; Mme Dugniolle, de Bruxelles ; Mlle M. E. Belpaire, d'Anvers, maintenant à La Panne ; la Comtesse Ursel de Boissieu et M. Gabriel Thomas, résidant tous deux à Paris. Je remercie encore M. le Professeur Pietro Rossi, de l’Université de Sienne; M. le Professeur Alessandro Bonnucci, de la même Université; M. le Dr Fabio lacometti, attaché à la bibliothèque communale de Sienne; M. le Professeur Vigo, de Livourne; M. Eugenio Lazzareschi, archiviste à Lucques; Signora Matilda Fiorelli, de Florence; le Révérend Père Innocenta Taurisano, O. Pr., à Rome, et le Révérend Père Rémi Coulon, O. Pr.» actuellement sous les armes. Enfin, je remercie la Prieure de  StoneConvent, en Angleterre, qui a bien voulu me prêter les copies de plusieurs manuscrits.

Et, par ces mots, je termine un livre qui m’a si longtemps absorbé. La paix l’a vu commencer, je l’achève durant la guerre la plus sanglante que le monde ait jamais rue, au milieu d'un fracas d’armes où ne se fait plus entendre la voix d’aucune sainte, et où aucune Catherine de Sienne ne s’élance entre les combattants, proclamant la paix au nom du Crucifié — pace, pace! Le premier des trois cavaliers de l’Apocalypse— celui qui est monté sur le cheval roux — passe impitoyablement sur l’Europe, et derrière lui, dans les empreintes des pieds du cheval, il n’y a que du sang, des cadavres, des ruines. Et là-bas, à l'horizon, nous entendons déjà piétiner impatiemment les deux autres coursiers — le cheval noir qui porte la famine et le cheval pâle qui porte la peste…

En de telles circonstances il m’a souvent été difficile de concentrer mes pensées et d’emprisonner mes sentiments dans le quatorzième siècle; et j’ai jeté des regards impatients vers le dernier chapitre de ce livre comme vers la porte qui donne de la bibliothèque dans la réalité. Je suis maintenant à la porte et je m’y arrête. Un livre fini — un chapitre de votre vie clos! (Et combien en reste-t-il encore?!) On s’arrête sur le seuil de la porte et on regarde, une dernière fois, le cabinet de travail que l’on va quitter. Une dernière fois, on regarde la table, sous la lampe, électrique qui a illuminé tant d’heures de travail, le fauteuil d'où si souvent des visages aimés ont ri et parlé; par les fenêtres on a vue sur la plaine et sur les montagnes lointaines derrière les lignes bleues desquelles le soleil, tant de soirs, s’est couché en or et en sang. Tout cela est passé, passé pour toujours, comme les paroles prononcées dans cette chambre, comme le bonheur, ou la douleur vécues ici — et l'on met le dernier trait sur la dernière page du manuscrit ainsi qu'on ferme une porte que jamais plus on n'ouvrira — e quello ch’era, non sará mai piû, « ce qui fut ne reviendra jamais plus ».

Sainte Catherine a connu elle aussi cette tristesse du départ, cette mélancolie tendre de l’adieu, cette piccola dolce tenerezza comme elle l’appelle. Ce n’est que trop bien qu'elle sait comment tout passe — corne il vento. Elle en a souffert ainsi que nous autres, pauvres mortels, en souffrons et en souffrirons. Mais son âme forte ne s’attarde pas dans ces larmeselle qui sait si bien distinguer les bonnes larmes d’avec les nuisibles et qui les a étudiées dans tout un traité de son Livre.

Tout passe — oui, mais non pas tout. Il y a des larmes sans espérances — elles donnent la mort. Et il y a des larmes derrière lesquelles rayonne un soleil immortel — elles donnent la vie. Cafarini nous dit qu'à Sienne vivait une femme qui, après la mort de la Sainte, lui raconta que jamais elle n’avait pu regarder Catherine sans pleurer de tendresse et de dévotion.

Et voilà les bonnes larmes qui font renaître le cœur. A nous d’imiter cette pauvre femme dont nous ne savons pas même le nom, mais qui eut le privilège immense de contempler la Sainte, pendant sa vie terrestre. Regardons hélas! de bien loin, Catherine. Et pleurons les larmes qui font devenir des Saints!

Paris, fête de Saint Thomas d’Aquin 1918.

J. J.

 

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