DE L'ÉGLISE

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DE L'ÉGLISE, ET DE LA SOUMISSION QUI LUI EST DUE.

 

 

DE L'ÉGLISE, ET DE LA SOUMISSION QUI LUI EST DUE.

DEVOIRS INDISPENSABLES DE CHAQUE FIDELE ENVERS L'EGLISE.

MARQUE ESSENTIELLE ET CONDITION NÉCESSAIRE D'UNE VRAIE OBÉISSANCE A L'ÉGLISE.

ACTIONS DE  GRACES   D'UNE  AME  FIDÈLE, ET INVIOLABLEMENT ATTACHÉE   A   L'ÉGLISE.

ESPRIT DE NEUTRALITE DANS LES CONTESTATIONS DE L'EGLISE.

PENSÉES   DIVERSES   SUR   L'ÉGLISE ,    ET SUR  LA SOUMISSION   QUI  LUI EST DUE.

 

DEVOIRS INDISPENSABLES DE CHAQUE FIDELE ENVERS L'EGLISE.

 

Nous devons obéir à l'Eglise comme ses sujets, nous devons l'aimer comme ses enfants, et nous devons la soutenir et l'appuyer comme ses membres. En qualité de sujets, nous devons lui obéir comme à notre souveraine ; en qualité d'enfants, nous devons l'aimer comme nuire mère; et en qualité de membres, nous devons la soutenir et l'appuyer comme le corps Mystique de Jésus-Christ, où nous sommes agrégés. Elle est notre souveraine, puisque Jésus-Christ l'a substituée en sa place, et qu'il l'a revêtue de toute sa puissance, elle est notre père, dit saint Augustin, puisqu'elle nous a engendrés à Jésus-Christ, qu'elle nous a donné une éducation chrétienne, qu'elle nous a instruits et élevés dans la foi ; et elle est le corps mystique de Jésus-Christ, puisqu'il se l'est associée, et qu'il en a prétendu former une communauté dont il est le chef. Comme souveraine, elle impose des lois, elle fait des décrets, elle prononce îles jugements, et nous gouverne toujours selon les maximes de l'Evangile les plus pures elles plus saintes. Comme mère, elle nous porte dans son sein,elle nous fournit tous les secours spirituels elle pourvoit à tous nos besoins, et prend de nous les soins les plus affectueux et les plus constants. Comme corps mystique de Jésus-Christ, elle nous lie à ce chef adorable, elle lui sert de canal pour faire couler sur nous les divines influences de sa grâce, elle nous communique tous les mérites de son sang, et nous conduit enfin à sa gloire. Que déraisons pour nous attacher à cette Eglise; mais, hélas ! il est bien déplorable qu'il faille si peu de chose pour nous en détacher. Développons encore ceci, et donnons-y quelque éclaircissement..

I. Comme sujets, nous devons obéir à l'Eglise : pourquoi ? parce qu'elle a sur nous un pouvoir souverain, pouvoir évidemment et formellement exprimé dans ces paroles du Sauveur du monde à ses apôtres, qui dès lors représentaient l'Eglise : Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel (1); c'est-à-dire tout ce que vous jugerez, tout ce que vous déciderez, tout ce que vous ordonnerez, ou pour la doctrine, ou pour les mœurs, sera confirmé et ratifié dans le ciel; si bien que tout jugement de l'Eglise, en tant qu'il est prononcé par l'Eglise, devient un jugement du ciel ; et que tout ordre de l'Eglise , en tant qu'il est émané de l'Eglise, devient pareillement un ordre du ciel même.

Pouvoir d'une telle étendue, que dans toutes les parties de la terre il n'y a point de puissance qui ne lui soit subordonnée. Non pas qu'elle entreprenne de passer les bornes que Jésus-Christ, son époux, lui a prescrites, ni qu'elle prétende porter plus loin son empire. Ce divin Sauveur nous a expressément déclaré que son royaume n'était pas de ce monde, voulant par la nous faire entendre que ce n'était pas un royaume temporel. Ainsi l’Eglise, bien loin de s'élever au-dessus des puissances humaines., ni d'affaiblir leur domination , est au contraire la plus zélée à maintenir leurs droits, et l'obéissance qui leur est due. Car voilà sur quoi elle s'est expliquée le plus hautement et le plus ouvertement par deux de ses plus grands oracles, l'un le Docteur des nations, et l'autre le Prince même des apôtres. Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures, parce qu'elles sont établies de Dieu. Quiconque ose leur résister résiste à Dieu même, et s'attire une juste condamnation (2) : c'est la leçon que nous fait saint Paul. Rendez-vous obéissants à vos maîtres, soit au roi, comme à celui qui est au-dessus de tous ; soit aux commandants comme à ceux que le prince a envoyés et qu’il a revêtus de son autorité (3) : c'est ce que saint Pierre nous enseigne. Mais du reste, dès qu'il s'agit delà puissance spirituelle, il faut alors que tout plie, que tout s'humilie; que depuis le monarque qui domine sur le trône jusqu'au plus vil sujet qui rampe dans la poussière depuis le grand jusques au plus petit, depuis le savant jusques au plus simple, tous reconnaissent la souveraineté de l'Eglise, et se tiennent à son égard dans une dépendance légitime Point là-dessus d'exception ni de lieux, ni de rangs, ni de conditions.

 

1 Matth., XVI, 19. — 2 Rom., VII, 2.— 1 1 Petr., II, 13, 14.

 

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Pouvoir d'une telle prééminence, que nul autre parmi les hommes ne l'égale, ni ne peut atteindre au même degré. De tous les rois, de tous les princes et de tous les potentats du siècle, aucun n'a le même droit sur les opérations de mon âme, ni dans la même étendue : je veux dire qu'aucun ne peut m'ordonner de croire tout ce qu'il croit, de penser tout ce qu'il pense, de condamner intérieurement tout ce qu'il condamne, d'approuver tout ce qu'il approuve. Au dehors,  ils peuvent exiger de moi, ou un silence respectueux ,  ou certaines apparences d'un acquiescement extérieur. Je dois même, dans le fond du cœur, et par un esprit d'obéissance, me conformer, autant qu'il est possible, à ce qu'ils jugent et à ce qu'ils m'ordonnent; mais du reste, dans la persuasion où je suis qu'étant hommes comme les autres, ils ne sont pas plus exempts d'erreur que les autres ; s'ils se trompent en effet, je puis ne penser point comme ils pensent.  Il n'appartient qu'à l'Eglise, à cette Eglise souverainement dominante, de nous dire : Croyez ceci, et de nous imposer par là une obligation étroite de le croire ; de le croire, dis-je, de cœur, sans qu'il nous soit permis de douter, de raisonner, de former des difficultés, et de disputer sur ce qu'elle a une fois jugé et défini : elle a parlé, c'est assez. A cette seule décision, le plus sublime génie et l'esprit  le plus   borné doivent également se rendre, et il n'est pas plus libre à l'un qu'à l'autre d'entrer dans un examen qui leur est interdit. Quiconque refuserait à l'Eglise cette soumission, elle est autorisée à le traiter de rebelle, à le retrancher de sa communion, et à le frapper de ses anathèmes : triste état, où l'indocilité de tant d'hérétiques les a réduits. Ce sont des brebis errantes et perdues , à moins qu'il ne plaise à Dieu de les ramener par sa grâce. Demandons-lui pour eux ce retour si nécessaire ; mais surtout demandons-lui pour nous la simplicité de la foi, et une docilité d'esprit qui nous préserve des mêmes égarements.

II. Comme enfants de l'Eglise, nous devons l'aimer, puisqu'elle est notre mère. Le Prophète disait : Une mère peut-elle oublier l'enfant qu'elle a mis au monde (1) ? et renversant la proposition sans la contredire, j'ajoute et je dis de même : Un enfant peut-il oublier la mère qui l'a conçu dans son sein, et à qui il est redevable de la vie et de la naissance ? Une mère qui abandonnerait son enfant et lui refuserait ses soins, serait indigne du nom de mère; et un enfant qui renoncerait sa mère, ou la regarderait

 

1 Isa , XLIX, 15.

 

avec indifférence, démentirait tous les sentiments naturels et toute l'humanité. Or que l'Eglise soit mère, et notre mère; qu'elle ait pour nous toute l'attention, toute la tendresse de mère, c'est, selon l'esprit et non selon la chair, l'aimable qualité et l'illustre prérogative qui ne lui peut être contestée, pour peu que nous considérions toute sa conduite envers chacun des fidèles.

Dès notre naissance elle nous a régénérés en Jésus-Christ par le baptême. Elle nous a marqués du sceau de Dieu et du caractère de la foi. Elle nous a recueillis dans ses bras, et elle s'est chargée de nous donner la nourriture spirituelle. Y a-t-il moyen qu'elle n'emploie dans tout le cours de nos années pour nous former, pour nous instruire et pour nous éclairer, pour nous diriger dans les voies de Dieu et nous y avancer, ou pour y appeler ceux qui ont eu le malheur d'en sortir? Que de ministres elle députe pour cela, que de secours elle nous fournit, que de prières elle adresse à Dieu , que d'offrandes et de sacrifices elle présente, toujours attentive à nos besoins et toujours sensible à nos véritables intérêts, qui sont les intérêts du salut! C'est ainsi qu'elle nous conduit dans les divers âges de notre vie, et qu'elle ne cesse point de veiller sur nous, ni d'agir pour nous.

Elle fait plus ; et c'est surtout à la mort, à ce passage si dangereux, qu'elle redouble sa vigilance, et qu'elle déploie dans toute son étendue son affection maternelle. Elle ouvre en notre faveur tous ses trésors ; elle donne aux prêtres qui nous assistent tous ses pouvoirs ; elle ne se réserve rien, et elle leur confère  toute sa juridiction pour pardonner et pour absoudre. Il n'y a qu'à l'entendre parler elle-même. En quels termes s'exprime-t-elle, dans cette recommandation qu'elle fait à Dieu de l'âme d'un mourant ! Est-il rien de plus vif, est-il rien de plus tendre et de plus touchant? Encore n'en demeure-t-elle pas là ; ses enfant lui sont toujours chers jusqu'à la mort,et après la mort ils disparaissent à ses yeux, mais leur mémoire ne s'efface point de son souvenir. Elle veut que leurs corps reposent dans une terre sainte, et que leurs ossements soient conserves avec la décence convenable. Cependant elle s'intéresse encore plus pour leurs âmes : et parce qu'elle a un juste sujet de craindre que ces âmes, quoique fidèles, redevables à Dieu, ne soient détenues dans un feu qui les purifie, et où elles doivent souffrir jusqu'à ce qu'elles aient satisfait à la justice du Seigneur, elles les aide,

 

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autant qu'il est en elle, de ses suffrages, ne cessant point de prier, de solliciter, d'agir, tant qu'elle est incertaine de leur état, et qu'il lui reste là-dessus quelque doute.

Or, à un tel amour, par quel amour devons-nous répondre? Supposons un fils bien né, et qui ne peut ignorer le zèle, les soins infinis d'une mère à laquelle il doit tout : que sent-il pour elle, ou plutôt que ne sent-il pas, et que ne lui inspire pas un cœur reconnaissant? Est-il témoignage d'un attachement inviolable qu'il ne lui donne? est-il honneur qu'il ne lui défère ? est-il devoir qu'il refuse de lui rendre? Si nous aimons l'Eglise, voilà notre modèle ; et pouvons-nous ne l'aimer pas, dans la vue de tous les biens que nous en avons reçus et que nous en recevons tous les jours? Pour peu que nous y pensions et que nous les comprenions, nous nous tiendrons éternellement et inséparablement unis à cette mère des croyants. Dans le même esprit que David, et encore à plus juste titre, nous lui dirons ce que ce saint roi disait à Jérusalem, qui n'en était que la figure : Plutôt que de vous oublier jamais, que j'oublie ma main droite et que je m'oublie moi-même. Plutôt que de perdre un souvenir qui me doit être si doux, et dont je dois faire le principal sujet de ma joie, que ma langue se dessèche, et qu'elle demeure collée à mon palais (1). Point sur cela de respect, point de considération humaine : pourquoi? parce que rien dans notre estime n'entrera en comparaison avec l'Eglise, et que, par un intime dévouement, nous n'aurons avec elle qu'un même intérêt.

III. Comme membres de l'Eglise, nous devons la soutenir et l'appuyer. L'Eglise est un corps, je dis un corps mystique et moral. Ce corps a un chef, qui est Jésus-Christ, et il a des membres, qui sont les fidèles. Ainsi l'Apôtre saint Paul nous l'enseigne-t-il en divers endroits, mais surtout dans son Epître aux Ephésiens, où il parle de la sorte au sujet de Jésus-Christ : Dieu lui a mis toutes choses sous les pieds, et il l’a établi chef sur toute l'Eglise, laquelle est son corps et le représente tout entier, lui qui a dans tous ensemble toute sa perfection (2). Comme si le grand Apôtre disait : Mes Frères, nous ne faisons tous qu'un même corps avec Jésus-Christ et en Jésus-Christ. L'assemblée de tous les fidèles unis à Jésus-Christ par la foi, voilà le corps de l'Eglise : mais ces mêmes fidèles pris séparément et considérés chacun en particulier, voilà les membres de

 

1 Psal., CXXXVI, 6. — 2 Ephes., II.

 

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l'Eglise. Plus ces membres croissent et se fortifient, plus le corps prend d'accroissement et acquiert de force; et c'est ainsi que le chef reçoit lui-même plus de perfection en qualité de chef, à mesure que le corps, par l'union des membres, se fortifie et se perfectionne.

Quoi qu'il en soit, ce caractère , non-seulement d'enfants de l'Eglise , mais de membres de l'Eglise, est un des plus beaux titres dont nous puissions nous glorifier devant Dieu et selon Dieu. Comme membres de l'Eglise, nous appartenons spécialement à Jésus-Christ, puisqu'en vertu du baptême que nous avons reçu , et par où nous fûmes agrégés au corps de l'Eglise , nous avons contracté avec Jésus-Christ une alliance plus étroite et plus prochaine. Comme membres de l'Eglise, nous ne sommes point des étrangers ni des gens de dehors, mais nous sommes les domestiques de la foi ; nous sommes de la cité des saints et de la maison de Dieu , les pierres vivantes du nouvel édifice bâti sur le fondement des apôtres et des prophètes, où Jésus-Christ lui-même est la première pierre de l'angle (1). Comme membres de l'Eglise, nous participons à toutes les grâces qui découlent de son divin chef, et qu'il lui communique sans mesure. Car elle est dépositaire de ces sources sacrées du Sauveur, où nous puisons avec abondance les eaux du salut; elle est la dispensatrice de son sang précieux et de ses mérites infinis ; et n'est-ce pas sur nous qu'elle les répand par une effusion continuelle? Or de là nous voyons combien il est de notre intérêt que cette Eglise subsiste, et combien il nous importe de travailler tous et de concourir à son affermissement.

Je sais qu'indépendamment de nous, cette Eglise subsistera en effet jusques à la fin des siècles , et que , selon la promesse du Fils de Dieu , les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle ; mais ce corps, qu'il n'est pas au pouvoir des hommes de détruire, peut, après tout, selon la mauvaise disposition des membres qui le composent, avoir ses pertes et ses altérations, soit par la désertion de quelques-uns de ses enfants, soit par l'affaiblissement de la charité du plus grand nombre ; et voilà sur quoi tout notre zèle doit s'allumer. Tel fut le zèle des apôtres, quand, au péril même de leur vie et au prix de leur sang, ils s'employèrent sans relâche à former l'Eglise naissante , et à l'étendre dans toutes les parties du monde. Tel est encore de nos jours et parmi nous le zèle de tant d'hommes apostoliques,

 

1 Ephes., IV, 15, 16.

 

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qui se consument d'études et de veilles pour la défense de l'Eglise ; qui dans les chaires, dans les tribunaux de la pénitence, dans les entretiens publics et particuliers, consacrent leurs talents et leurs soins à l'édification de l'Eglise ; qui passent les mers, et vont prêcher l'Evangile aux barbares et aux idolâtres , pour l'avancement du royaume de Dieu sur la terre et le progrès de l'Eglise. Tel enfin doit être par proportion le zèle de chaque fidèle , qui, selon le mot de Tertullien, devient soldat dès qu'il s'agit de l'Eglise, et est indispensablement obligé de combattre pour sa cause, autant qu'il est en son pouvoir.

Car, suivant la figure dont se servait saint Paul sur un autre sujet, et qui ne convient pas moins à celui-ci, de même que dans le corps humain chacun des membres contribue à la bonne constitution du corps, de sorte que tous s'aident au besoin les uns les autres; ainsi dans le corps de l'Eglise devons-nous tous, par une sainte unanimité, être tellement liés ensemble, que jamais nous ne permettions qu'on y donne la moindre atteinte, et que nous nous opposions comme un mur impénétrable à tous les coups que l'erreur, l'incrédulité, l'impiété pourraient entreprendre de lui porter. Devoir propre de certains états et de certaines fonctions dans le gouvernement de l'Eglise ; mais d'ailleurs, sans nulle différence de fonctions ni d'états, devoir commun et universel. Si ce n'est pas par le ministère de la parole que nous soutenons l'Eglise, et si nous n'avons pour cela ni le don ni la vocation nécessaire , soutenons-la par la pureté de nos mœurs, et rendons témoignage à la vérité de sa foi par la sainteté de nos œuvres. Si ce n'est pas par la pénétration de nos lumières ni par l'étendue de nos connaissances, soutenons-la par la docilité de notre soumission , et par une fermeté inébranlable à ne nous départir jamais ni de ses jugements, ni de ses commandements. Si ce n'est pas contre les tyrans, soutenons-la contre les artifices de l'hérésie, contre les insultes du libertinage ; et de quelque part que ce puisse être, ne souffrons point qu'elle soit attaquée impunément en notre présence. Nous lui devons tout cela ; et quand nous nous sommes engagés à elle, nous lui avons promis tout cela. A Dieu ne plaise que nous démentions un engagement si saint et si solennel! ce serait nous démentir nous-mêmes. Gardons-nous d'abandonner par une lâche désertion cette Eglise militante où nous vivons présentement, afin qu'éternellement nous régnions avec cette Eglise triomphante que forment dans le ciel les élus de Dieu et les héritiers de sa gloire.

 

MARQUE ESSENTIELLE ET CONDITION NÉCESSAIRE D'UNE VRAIE OBÉISSANCE A L'ÉGLISE.

 

Il en est de l'obéissance d'un fidèle à l'égard des décisions de l'Eglise, à peu près comme de l'obéissance d'un religieux à l'égard des ordres qu'il reçoit de son supérieur. Qu'un religieux obéisse quand on ne lui ordonne rien que de conforme a ses inclinations, c'est une obéissance très-équivoque, parce que la nature peut y avoir autant de part que l'esprit de Dieu : mais qu'il se montre également prompt à obéir lorsqu'on lui donne des ordres tout apposés à ses désirs, et qui le gênent, qui le mortifient, c'est la ce qu'on peut sûrement appeler une obéissance religieuse, puisqu'il n’y a qu'une vraie religion qui en puisse être le principe. D'où vient que ce grand maître de la vie monastique et régulière, saint Bernard, donnait à ses religieux cet important avis : Mes frères, ne vous abusez pas, et gardez-vous d'une illusion bien dangereuse et bien commune dans le cloître. Souvent on n'a de l'obéissance que le dehors et que le nom, sans en avoir la vertu ni le mérite. Quiconque, ou par adresse, ou par importunité, ou en quelque manière que ce soit, fait en sorte que ce qu'il souhaite et ce qui est de sa volonté propre, son supérieur le lui enjoigne, se trompe alors, et se flatte en vain d'être obéissant ; car, à proprement parler, ce n'est point lui qui obéit au supérieur, mais le supérieur qui lui obéit.

Or nous devons raisonner de même au regard de l'obéissance que nous rendons à l'Eglise. Qu'un fidèle, ou un homme réputé tel, se soumette aux décisions de l'Eglise, et qu'il les accepte, quand elles sont selon ses vues et selon son sens particulier, quoique sa soumission puisse être bonne et méritoire, elle n'est pas néanmoins à l'épreuve de tout soupçon; car ce peut être quelquefois autant une simple adhérence à son propre sentiment, qu'une véritable soumission au tribunal d'où ces définitions sont émanées. Mais que je voie cet homme aussi soumis d'esprit et de cœur quand l'Eglise décide contre lui, quand elle prononce des jugements qui le condamnent, qui l'humilient, c'est alors que je canonise sa foi, et que je lui applique, avec toute la proportion convenable. ce que le Fils de Dieu dit au Prince des apôtres :  Vous êtes heureux dans votre obéissance, puisque ce n'est point la chair ni le sang qui vous

 

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l'a inspirée, mais  qu'elle ne peut venir que d’en-haut, et de la grâce du Père céleste (1).

Cette remarque regarde tous les temps, et spécialement le nôtre. Je demanderais volontiers à des gens : Pourquoi ce partage que vous laites, et pourquoi, contre la défense du Saint-Esprit, avez-vous un poids et un poids? Ou soumettez-vous à l'autorité de l'Eglise en tout ce qui concerne la foi, ou ne vous y soumettez en rien, et retirez-vous. Car c'est la même autorité qui définit un article aussi bien que l'autre; et elle n'est pas plus digne, ou, pour mieux dire, elle est aussi digne de créance sur l'un que sur l'autre.

En effet, dès que nous entreprendrons d'examiner les décisions de l'Eglise, et que nous nous croirons en droit de discerner les unes des autres; dès que nous voudrons, pour ainsi dire, partager notre soumission, et que selon notre sens nous recevrons celles qui nous plairont, ou nous rejetterons celles qui ne nous plairont pas, nous détruirons l'autorité de ce souverain tribunal, et la foi que nous y avons. Car la foi que nous devons avoir aux oracles de l'Eglise,  cette foi  ferme et inébranlable, n'est fondée que sur son infaillibilité, de même que son infaillibilité est établie sur cette promesse de Jésus-Christ: Voilà que je suis avec vous en tout temps jusqu'à la consommation des siècles (2). Or, du moment que nous refuserons notre créance à un seul point décidé par le jugement de l'Eglise, nous ne la regarderons plus comme infaillible, puisque nous prétendrons qu'en ce point particulier, non-seulement elle a pu faillir, mais qu'elle a failli en effet. Nous adhérerons, je le veux, à tous les autres ; mais ce qui nous y déterminera, ce ne sera point précisément l'Eglise, ni son témoignage. Nous y souscrirons, parce qu'ils se trouveront conformes à nos raisonnements et à nos principes : de sorte que, dans notre adhésion et notre soumission,  nous  ne   nous   réglerons point tant sur ce que l'Eglise aura jugé, que sur ce que nous aurons jugé nous-mêmes.

Car si l'autorité de l'Eglise était, comme elle doit l'être, la règle de notre obéissance, quoi qu'elle prononçât, nous n'aurions là-dessus ni doutes à former, ni difficultés à opposer. Il nous suffirait de savoir qu'elle a parlé ; sa parole fixerait toutes nos incertitudes, et arrêterait toutes les contestations. Peut-être sur tel article ou sur tel autre notre esprit naturellement indocile aurait-il de la peine à plier, et peut-être préoccupé de ses opinions, serait-il

 

1 Matth., XVI, 17. — 2 Ibid., XXVIII, 20.

 

porté à se disputer et à se défendre ; mais bientôt nous le réduirions sous le joug, et nous réprimerions ses révoltes. Nous nous dirions à nous-mêmes : En cette décision, ou c'est l'Eglise qui se trompe, ou, malgré mes prétendues connaissances et mes préjugés, c'est moi qui suis dans Terreur et qui m'égare. Il n'y a point de milieu. Or, de penser que, sur aucun point qui appartienne aux dogmes de la religion et à la doctrine chrétienne, l'Eglise de Dieu, l'épouse de Jésus Christ, l'organe vivant et l'interprète de l'Esprit de vérité, ait pu se méprendre et ait manqué de lumière, c'est de quoi dans une sainte catholicité, je ne puis avoir le moindre soupçon. Par conséquent, c'est moi qui me suis trompé jusques à cette heure et non point l'Eglise, toujours éclairée d'en haut. Elle a  pris soin de s'expliquer ; cela suffit. Pourquoi me persuaderais-je que l'assistance du ciel, dans la question  présente, lui ait été refusée, et que Dieu, dans cette conjoncture particulière, l'ait abandonnée? Comment irais-je jusqu'à cet excès de présomption, de m'imaginer que je suis mieux instruit quelle du sujet dont elle vient de connaître ; que je l'ai mieux approfondi, et que j'en ai une notion plus juste? Avant qu'elle se déclarât, et tandis que la question était entière, je pouvais raisonner à ma façon ; je pouvais réfléchir, méditer, user de recherches, alléguer mes preuves, et m'y attacher; mais maintenant il faut que l'autorité l'emporte, et si la raison ose encore tenir et ne veut pas se soumettre, il faut que ce soit une raison aveugle, prévenue, éblouie d'une fausse lueur qui la séduit, ou que ce soit une raison opiniâtre et inflexible dans son obstination. Voila, dis-je, les leçons qu'on se ferait à soi-même ;  et,  conformément à ces leçons on ne prendrait plus garde si ce sont nos sentiments que l'Eglise a proscrits, ou si ce sont ceux d'autrui ; si c'est ceci, ou si c'est cela. On s'humilierait  sous le poids d'une autorité si respectable et si vénérable ; on y reconnaîtrait l'autorité de Dieu même, et l'on aurait dans son obéissance un mérite d'autant plus excellent qu'elle nous coûterait un sacrifice plus difficile et plus contraire à l'orgueil de l'homme, qui est celui de notre propre jugement et de nos pensées.

Telle fut l'obéissance des premiers chrétiens dans une célèbre matière qu'ils agitèrent entre eux, et que saint Luc rapporte au quinzième chapitre des Apôtres. Le fait est mémorable et plût à Dieu que, dans toute la suite des temps, on eût profité de l'exemple de soumission

 

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que donnèrent pour lors les premiers fidèles ! Il s'agissait de savoir si les Gentils convertis à la foi devaient être assujettis aux cérémonies judaïques; s'ils devaient observer la loi de Moïse, et s'ils étaient obligés à la circoncision. Les esprits ne convenaient pas : il y avait des raisons de part et d'autre, et chacun s'arrêtait à celles qui le touchaient davantage. Dans cette diversité d'opinions on contestait, on s'animait, et la chaleur de la dispute causait du bruit parmi le troupeau. Or, pour rendre la paix à l'Eglise, et pour rompre le cours d'une controverse dont les suites étaient à craindre, quel parti prirent les apôtres? Ce fut de s'assembler à Jérusalem, de discuter à fond et de concert le point en question, d'en faire un examen juridique, et d'en donner une résolution solennelle, qui réunit tout le corps des fidèles, juifs et gentils, dans une même créance et une même pratique. Tout s'exécute ainsi qu'on se l'était proposé. Sous la garde et la direction de ce divin Esprit qui préside à tous les conseils de l'Eglise, Pierre, vicaire de Jésus-Christ, au nom duquel il s'énonce, se lève dans l'assemblée, parle non point en homme simplement, mais en homme plein de Dieu, qui l'inspire et qui l'autorise ; déclare où l'on s'en doit tenir, et résout en peu de mots toute la difficulté. Mes Frères, dit-il, Dieu n'a mis nulle différence entre nous et les gentils, et ce n'est point par la loi de Moïse qu'il purifie les cœurs, mais par la foi. Maintenant donc , continue l'apôtre , pourquoi tentez-vous le Seigneur, jusqu'à charger les disciples d'un joug que nos pères ni nous n'avons pu porter (1) ?

C'était l'ancienne loi et toutes ses observances. Jacques, évêque de Jérusalem, prend ensuite la parole, et se joint au Prince des apôtres, qui tous ensemble jugent et décident comme lui. Le décret est envoyé an nom d'eux tous. Alors plus de dispute, consentement unanime de toute la multitude ; et c'est ce que l'historien sacré nous fait admirablement entendre dans une parole des plus courtes, mais en même temps des plus énergiques : Alors toute la multitude se tut. Nul qui entreprît de répliquer ; nul qui se crût en droit de renouveler une affaire finie, tant on était persuadé qu'après le jugement de l'Eglise il n'y a plus rien à revoir, et qu'elle est également incapable d'erreur, soit qu'elle décide pour nous ou contre nous.

Que  n'en sommes-nous   persuadés  nous-

 

1 Act., XV, 10.

 

mêmes, et que ne portons-nous jusque-là notre obéissance ! Avec cette obéissance pleine et sans réserve, qu'on eût épargné jusqu'à présent de combats à l'Eglise, et qu'on eût prévenu de scandales et de troubles parmi le peuple de Dieu ! Mais quel a été le désordre de tous les temps, et quel est encore celui de ces derniers siècles? C'est une chose merveilleuse de voir avec quels éloges et quel zèle on reçoit dans les rencontres une décision qui paraît nous favoriser, et noter nos adversaires. On n'a point de termes assez forts pour en relever la sagesse, l'équité, la sainteté, et là-dessus on épuise toute son éloquence. On voudrait la faire retentir dans les quatre parties du monde, et qu'il n'y eût pas un enfant de l'Eglise qui n'en fût informé. Enfin, conclut-on, refuser de souscrire à une vérité si authentiquement reconnue. ce serait une révolte, un attentat insoutenable. Tout cela est beau : mais le mal est que tout cela ne se soutient pas, et l'occasion ne le fait que trop connaître. Car dans la suite et sur d'autres sujets, que l'Eglise vienne à nous juger nous-mêmes, et à condamner nos opinions nouvelles et erronées, c'est assez pour la défigurer tellement à nos yeux, qu'elle nous devient méconnaissable. Par quelque organe qu'elle tâche alors de se faire entendre, sa voix est trop faible, et ne peut parvenir jusqu'à nos oreilles. Ce n'est plus, à nous en croire, cette voix si intelligible et si distincte ; mais c'est une voix obscure et sombre qu'il faut éclaircir. De là donc cette autorité de l'Eglise, qu'on portait si loin et qu'on faisait tant valoir, on la conteste, on la restreint, on lui prescrit des bornes, et des bornes très-étroites : c'est-à-dire qu'on prétend la régler selon son gré, et qu'au lieu de dépendre d'elle, on veut la faire dépendre de nous et de nos idées. En vérité, est-ce là obéir? et quelque soumis que l'on soit d'ailleurs ou qu'on le paraisse, n'est-ce pas ici qu'il faut dire avec saint Jacques : Celui qui pèche dans un point se rend coupable sur tout le reste (1).

 

ACTIONS DE  GRACES   D'UNE  AME  FIDÈLE, ET INVIOLABLEMENT ATTACHÉE   A   L'ÉGLISE.

 

Grâces immortelles vous soient rendues, Seigneur, de m'avoir fait naître au milieu de votre Eglise, de m'avoir mis au nombre des enfants de votre Eglise, de m'avoir nourri du pain, je veux dire de la doctrine de votre Eglise, de cette Eglise formée du sang de votre Fils

 

1 Jac.,II,10.

 

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adorable, son chef visible , dont saint Pierre , et après lui ses successeurs, tiennent la place en qualité de chef visible ; de cette Eglise catholique, apostolique, romaine, la seule vraie Eglise ; de cette Eglise, la colonne de la vérité, et contre laquelle toutes les puissances de l'enfer n'ont jamais prévalu, ni ne prévaudront jamais.

Voilà, mon Dieu, le choix qu'il vous a plu faire de moi, parmi tant d'autres que vous avez laissés dans les ténèbres de l'infidélité et de l'erreur : et voilà ce que je dois regarder comme une marque de prédestination dont je ne puis assez vous bénir, ni vous témoigner assez ma reconnaissance. Combien de peuples sont nés dans l'idolâtrie, et ont reçu depuis leur naissance une éducation toute païenne ? La nuit s'est répandue sur la terre ; elle a enveloppé dans ses ombres les plus vastes contrées : les pères ont méconnu le vrai Dieu, et les enfants, instruits ou plutôt séduits par leurs pères, ont prodigué, comme eux, leur encens à de fausses divinités. Vous l'avez permis, Seigneur, et vous le permettez encore, par un de ces jugements où nos vues ne peuvent pénétrer, et où nous n'avons d'autre recherche à faire que d'adorer en silence la profondeur de vos conseils. Combien même, jusques au milieu du christianisme, sont nés dans l'hérésie, l'ont sucée avec le lait, y ont vécu, et ont eu le malheur d'y mourir? Pourquoi n'ont-ils pas été éclairés de votre lumière comme moi ; ou pourquoi ne suis-je pas tombé comme eux dans un sens réprouvé? C'est une distinction que je dois estimer par-dessus tout, et dont je dois profiter ; mais du reste, c'est un secret de providence qui passe ma raison, et dont il ne m'appartient pas de découvrir le mystère.

Vous avez encore plus fait, Seigneur; et, me faisant naître dans le sein de votre Eglise, vous m'avez donné une religieuse et pieuse affection pour cette sainte mère, pour ses intérêts, pour son honneur, pour son affermissement et son agrandissement. Car si je me trouve aussi sensible que je le suis, et que je fais gloire de l'être, à tout ce qui la touche, à tout ce qui peut blesser ses droits, à tout ce qui peut affaiblir son autorité, c'est à vous que je me tiens redevable de ces sentiments. C'est vous, mon Dieu, qui me les avez inspirés, et c'est ce que je compte pour une de vos grâces les plus particulières.

Hélas ! entre les enfants mêmes que l'Eglise a élevés, qu'elle a tant de fois reçus à ses divins mystères, pour qui elle a employé tous ses trésors, nous n'en voyons que trop qui la traitent avec la dernière indifférence, et je pourrais ajouter avec le dernier mépris. Gens toujours déterminés à railler de ses pratiques, à censurer la conduite de ses ministres, à se faire un divertissement et un jeu de ses troubles, de ses scandales, de ses afflictions et de ses pertes. Ah ! Seigneur, si votre Apôtre veut que nous pleurions avec ceux qui pleurent, et que nous nous réjouissions avec ceux qui ont sujet de se réjouir, fussent-ils d'ailleurs nos plus déclarés ennemis, à combien plus forte raison devons-nous prendre part et nous intéresser aux divers états de notre mère, à ses avantages et à ses disgrâces?

Pour moi, mon Dieu, quoique le plus indigne de ses enfants, j'ose le dire, et je ne perdrai rien de l'humilité et de la basse estime de moi-même qui me convient, en me rendant devant vous et à votre gloire ce témoignage, que tout ce qui part de votre Eglise m'est et me sera toujours respectable, toujours vénérable, toujours précieux et sacré; que tout ce qui s'attaque à elle me blesse dans la prunelle de l'œil, ou plutôt par l'endroit le plus vif de mon cœur ; et que, dans toutes ses épreuves et toutes ses douleurs, elle ne sent rien que je ne ressente avec elle. Oui, Seigneur, je le dis encore une fois, et dans cette confession que je fais en votre présence, et que je serais prêt de faire en présence du monde entier, je trouve une consolation que je ne puis exprimer, parce que j'y trouve un des gages les plus certains de mon salut.

Cependant, Seigneur, puisque j'ai commencé à raconter vos miséricordes envers moi, je n'ai garde d'omettre celle qui m'est encore la plus chère, et qui me découvre plus sensiblement les vues de votre aimable providence sur ma destinée éternelle : c'est, mon Dieu, cet esprit de docilité dont je me sens heureusement prévenu à l'égard de l'Eglise et de ses décisions. Vous nous l'avez prédit, Seigneur, que dans tous les temps il y aurait des contestations, des schismes, des partialités, et votre parole s'accomplit de nos jours, comme elle s'est accomplie dans les siècles qui nous ont précédés. Je vois bien des mouvements et des agitations, j'entends bien des discours et des raisonnements. L'un me dit: Le Christ est ici; l'autre Il est là. Mais dans ce tumulte, et parmi tant de questions qui partagent les esprits, je vais à l'oracle, je consulte l'Eglise, et je m'arrête à ce qu'elle m'enseigne. Dès qu'elle a parlé, je me soumets et je me tais. Je n'écoule plus, ni celui-ci,

 

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ni celui-là ; ou je ne les écoule que pour rejeter l'un parce qu'il n'écoute pas l'Eglise ; et pour me joindre à l'autre, parce qu'il fait profession comme moi de n'écouter que l'Eglise.

Par là, mon Dieu, je me dégage de bien des embarras, et dans un moment je lève toutes les difficultés : car j'en ai tout d'un coup la résolution dans mon obéissance à l'Eglise. Par là ma foi devient plus pure, plus ferme, plus assurée et plus tranquille. Au milieu de toutes les tempêtes et de tous les orages, je me jette dans la barque de Pierre, et toute battue qu'elle est des flots, j'y goûte la douceur du calme le plus profond. Je passe à travers les écueils, et je ne crains rien : pourquoi? c'est que je sais que dans la barque de Pierre il n'y a pour moi ni écueils ni naufrages à craindre.

Ce n'est pas là sans doute, Seigneur, une de vos moindres faveurs. Que dis-je et ne puis-je pas avancer que cet esprit docile et soumis est le premier caractère de vos élus? Quand j'aurais tous les autres signes qui les font connaître, si je n'avais pas ce caractère essentiel, toutes mes espérances seraient renversées. Mais, mon Dieu, si d'autres me manquent, ah ! du moins j'ai celui-ci, et vous ne permettrez pas que jamais je vienne à le perdre. De cette sorte, quelque peu de bien que je fasse, je le ferai avec confiance, parce que je le ferai dans votre Eglise. Hors de là, que ferais-je sur quoi je pusse compter? car une vérité capitale et un principe incontestable dans la religion , c'est qu'il n'y a point de salut hors de l'Eglise. Vous nous l'avez ainsi déclaré vous-même dans votre Evangile, et dans les termes les plus exprès , lorsque vous nous avez donné pour maxime de regarder comme un publicain et comme un païen quiconque n'est pas uni à l'Eglise, et ne lui rend pas le devoir d'une obéissance filiale. Or puisque hors de l'Eglise il n'y a point de salut, il doit s'ensuivre que tout le bien qui ne se fait pas dans sa communion n'est qu'un bien apparent; que toutes les vertus qui se pratiquent ne sont que des vertus vides et sans mérite par rapport à l'éternité; qu'on n'est rien devant vous, et que rien ne profite pour s'avancer dans votre royaume. Tellement que, séparé de l'Eglise, en vain je ferais des miracles, en vain je transporterais les montagnes, je prédirais l'avenir, je répandrais tout ce que je possède en aumônes, je livrerais mon corps à la mort. Avec tout cela je ne pourrais être qu'un anathème, et je serais immanquablement rejeté, parce que, selon votre témoignage même, je n'entrerais pas par la porte, et que je ne serais pas de vos brebis.

Je veux donc, Seigneur, comme le Prophète, je veux confesser votre saint nom; mais je le veux confesser dans votre Eglise (1). Je veux publier vos grandeurs et célébrer vos louanges; mais je les veux célébrer dans votre Eglise. Je veux annoncer votre parole et vos divines vérités; mais je les veux annoncer dans votre Eglise. C'est la sainte montagne d'où votre loi devait sortir; c'est le temple auguste où les peuples devaient s'assembler de toutes les parties du monde, pour vous offrir leur encensa vous adresser leurs vœux ; c'est, le sanctuaire où vous voulez recevoir notre culte, et c'est la chaire où vous enseignez vos voies par la bouche de vos prédicateurs et de vos prophètes. Toute autre assemblée, (le dirai-je après un de vos apôtres?) toute autre assemblée n'est qu'une synagogue de Satan , et toute autre chaire qu'une chaire de pestilence. Heureux si, par une vie conforme aux divins enseignements et aux règles de cette Eglise où nous avens m l'avantage d'être élevés et adoptés parmi vos enfants, nous méritons d'être couronnés dans le séjour de votre gloire, et de participer au bonheur de vos élus ! Ainsi soit-il.

 

ESPRIT DE NEUTRALITE DANS LES CONTESTATIONS DE L'EGLISE.

 

Qu'ai-je affaire de telle et telle question qui causent tant de mouvements dans l'Eglise? qu'ai-je affaire de toutes ces contestations, et qu'est-il nécessaire que je me déclare là-dessus? Je n'examine point qui a raison, ni qui ne l'a pas; je ne suis pour personne ni contre personne. Tel est votre langage, et celui de bien d'autres comme vous. Mais voyons un peu quel principe vous fait demeurer dans cet élit de neutralité. Ou c'est ignorance, ou c'est erreur, ou c'est politique, ou c'est insensibilité, ou c'est lâcheté. Or rien de tout cela n'est bon.

Ignorance, parce que ce sont des matières au-dessus de vous, et que vous n'êtes pas capable d'en juger. Erreur, parce que vous voulez vous persuader que les questions qu'on agite, et sur lesquelles il est intervenu un jugement de l'Eglise, n'ont rien d'essentiel, et que chacun sur cela peut croire tout ce qui lui plaît, sans que la foi en soit altérée. Politique, parce que vous avez des intérêts particuliers à ménager; parce que vous avez certaines liaisons de dépendance, de société, d'amitié, à

 

1 Psal., XXXIV, 18.

 

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quoi vous seriez obligé de renoncer; parce que vous recevez de certaine part certains secours qui vous seraient refusés, et dont il faudrait unis passer; parce que cet appui, cette protection vous manquerait, et que vous en avez besoin : car voilà ce qui n'entre que trop souvent dans la conduite qu'on tient, même en matière de religion. Insensibilité, parce que, tout occupé des choses de la vie et des affaires du monde, vous n'êtes guère en peine de ce qui regarde l'Eglise, et que tous les outrages qu'elle peut recevoir vous touchent peu. Enfin, lâcheté, parce que vous n'avez pas le courage de parler ouvertement, et que, dominé par une crainte humaine qui vous lie la langue et qui vous ferme la bouche, vous ne vous sentez pas assez de force, ni assez de résolution, pour résister au mensonge et à ceux qui le soutiennent. Mais encore une fois tout cela est criminel, ou vous êtes criminel en tout cela, et votre conscience devant Dieu en doit être chargée. Si vous m'en demandez les raisons, il est aisé de vous les donner, et il est à propos que vous les pesiez mûrement et que vous les compreniez, afin de vous détromper sur un point d'une tout autre importance que vous ne l'avez conçu jusques à présent. Reprenons tous les principes, ou plutôt tous les prétextes que je viens de parquer. J'ose dire qu'il n'y en a pas un dont vous ne reconnaissiez d'abord l'illusion et le désordre, si vous y faites l'attention convenable.

I. Est-ce ignorance? Il est vrai : n'étant pas assez éclairé pour approfondir les sujets qui de part et d'autre sont controversés, et ne pouvant connaître par vous-même, entre les divers sentiments, quel est le mieux fondé et le plus conforme à la saine doctrine, vous seriez excusable de ne vous attacher à aucun et de demeurer dans l'incertitude,  si c'était par vos propres lumières que  vous dussiez vous déterminer. Mais vous avez une autre règle qui doit vous suffire, et qui  vous ôte toute excuse,  parce qu'elle supplée parfaitement a l'ignorance où vous pouvez être. Règle générale,  règle commune aux esprits les plus grossiers comme aux plus pénétrants et aux plus subtils,  règle  visible et qui tombe sous les sens,  règle qui ne vous peut tromper, et dont vous êtes obligé de reconnaître la supériorité, l'autorité, l'infaillibilité sur tout ce qui a rapport a votre croyance. Cette règle, c'est la décision de l'Eglise. Dès là que l'Eglise a  parlé,  dès là que le souverain pontife et les premiers  pasteurs qui la conduisent se sont fait entendre, il ne vous en faut pas davantage pour vous fixer ; et si vous restez volontairement et opiniâtrement dans votre doute, vous êtes dès lors coupable, parce que vous ne vous soumettez pus à l'Eglise.

Prenez donc bien garde à ce qu'on vous demande, et à ce qui est pour vous d'une obligation indispensable. On ne vous demande pas que vous examiniez en théologien les questions sur lesquelles on dispute; on ne vous demande pas que vous en fassiez une étude expresse, ni que vous en ayez une claire connaissance. Celte étude, cette connaissance ne vous sont point nécessaires: mais c'est assez que vous sachiez que l'Eglise a défini telle chose, et que vous devez adhérer d'esprit, de cœur, de vive voix à tout ce qu'elle a défini. Voire science sur les matières présentes, et dans la situation où vous êtes, ne doit point aller plus loin. Croyez, agissez selon cette créance, et vous croirez, vous agirez en catholique.

Ainsi il est inutile de dire: Je ne sais rien, et je ne suis pas d'un état et d'une profession à faire là-dessus de longues et sérieuses recherches; j'ai  d'autres affaires.  On  veut que je condamne cet ouvrage, et je ne l'ai jamais lu. On veut que je rejette cette doctrine, et je ne l'entends pas. C'est aux savants et aux docteurs à produire leurs pensées et à s'expliquer ; mais cela me passe, et m'appartient-il de m'ingérer en ce qui n'est point de  mon ressort? Non, encore une fois,  il ne vous appartient pas de vous engager en de curieux examens, ni d'entreprendre de démêler la vérité au travers des nuages dont on l'enveloppe et dont on lâche de l'obscurcir ;  il. ne  vous appartient pas de vous ériger en juge de la doctrine. Mais il vous appartient d'écouler l'Eglise, qui en a juge, et de souscrire de bonne foi à ce qu'elle a jugé. Mais il vous appartient de condamner ce que l'Eglise condamne, et de rejeter ce que l'Eglise rejette, sans en vouloir d'autre raison,   sinon que l'Eglise l'a condamné et qu'elle l'a rejeté. Mais il vous appartient d'embrasser ouvertement et hautement ce que l'Eglise vous propose à croire, et de vous y attacher. Voila, dis-je, ce qui vous appartient; et pour vous en défendre, il n'y a point d'ignorance à alléguer. Car il n'est pas besoin d'une grande pénétration pour savoir quels sont les sentiments de l'Eglise,   puisqu'elle   les   publie partout,   et qu'elle  les annonce dans tout le monde chrétien. Or, du moment que vous les savez, et que vous ne pouvez les ignorer ; du moment que vous savez encore d'ailleurs que l'Eglise de Jésus-Christ ne peut s'égarer et ne veut point vous égarer, vous avez toute l'habileté et toute

 

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l’érudition qu'il faut pour vous résoudre et pour bien prendre votre parti, qui est celui d'une ferme adhésion, et d'une humble et parfaite obéissance. Hé ! en serions-nous, s'il en fallait davantage ? Il faudrait donc que chacun, sans nulle différence ni de caractère ni de condition, allât s'instruire dans les écoles de théologie, que chacun s'appliquât à la lecture des saints Pères, que chacun quittât son emploi pour vaquer à l'étude de l'Ecriture et des saints canons? Ce serait multiplier étrangement les docteurs, et, à force de doctrine, renverser toute l'économie et toute la conduite du monde.

II. Est-ce erreur? c'est-à-dire est-ce que vous êtes dans l'opinion que telles et telles propositions, que les uns attaquent avec tant de zèle et que les autres défendent avec tant de chaleur, ne sont d'aucune conséquence à l'égard de la foi, et que, de quelque manière que vous en pensiez, votre religion n'en sera pas moins pure, ni votre croyance moins orthodoxe? Je conviens que comme le Sage a dit des choses du monde, qu'il a plu à Dieu de les abandonner aux découvertes et aux subtilités des philosophes, on peut dire aussi de certaines matières, que l'Eglise les abandonne à nos vues particulières et à nos raisonnements. Les esprits sont partagés en ce qui n'est point défini : l'un enseigne d'une façon, et l'autre d'une autre; l'un s'appuie sur un principe qu'il croit véritable, et l'autre se fonde sur un principe tout contraire, et suit un système tout opposé qui lui paraît plus juste et plus raisonnable; on apporte de part et d'autre ses preuves, on propose ses difficultés, on fait valoir ses pensées autant qu'on le peut, et l'on s'y arrête : mais la foi en tout cela ne court aucun risque, parce que ce sont des questions problématiques, sur lesquelles l'Eglise a gardé jusqu'à présent le silence, et n'a rien prononcé.

Que sur tous ces articles vous suspendiez votre jugement sans incliner d'un côté plus que de l'autre ; j'y consens , et l'Eglise vous le permet. Je sais, de plus, qu'on s'efforce de vous persuader qu'il en est de même des points dont il s'agit présentement ; car c'est là que tendent ces discours que vous entendez partout : Qu'on veut tyranniser les esprits, et leur ôter une liberté qui leur est acquise de plein droit; qu'on veut bannir des écoles catholiques les plus grands maîtres, qui sont sans contredit saint Augustin et saint Thomas ; qu'on veut proscrire des opinions répandues de toutes parts, reçues dans les corps les plus célèbres et dans les plus savantes compagnies , établies par l'Ecriture, autorisées par la tradition et par la plus vénérable antiquité ; que ce sont au reste de ces sentiments qu'on peut embrasser ou contredire, sans cesser d'être uni à l'Eglise; et qu'en un mot, soit qu'on les admette ou qu'on les combatte, le sacré dépôt de la doctrine de Jésus-Christ est toujours à couvert. Voilà ce qu'on vous rebat continuellement, et ce qu'on tâche de vous imprimer dans l'esprit, et voilà en même temps ce qui vous rassure : mais n'est-ce point une fausse assurance que celle où vous êtes ? ne vous trompez-vous point? ne vous trompe-t-on point? Un doute de cette nature, et sur un sujet de cette importance, mérite bien que vous preniez soin de l'éclaircir. Or, où en chercherez-vous l'éclaircissement, et où le trouverez-vous ? vous lavez dans vos mains et sous vos yeux ; car je vous renvoie toujours au même oracle , qui est l'Eglise. Voyez quel jugement est émané de son tribunal : lisez et convainquez-vous. Quoi! ce que l'Eglise, ce que son chef visible, ce que ses pasteurs qualifient de scandaleux, de faux, d'hérétique, vous le regarderez comme indifférent par rapport à la foi? Ces anathèmes partis du siège apostolique, et secondés de tant d'autres qui les ont accompagnés ou suivis dans les églises particulières, tout cela ne vous étonne point, vous pouvez tenir contre tout cela? vous pouvez vous figurer que tout cela ne tombe que sur de pures opinions, que sur des opinions permises et arbitraires ? Vous me répondez qu'on vous le dit de la sorte : mais qui sont ceux qui vous le disent ! quels qu'ils puissent être , devez-vous compter sur leur témoignage, lorsque vous le voyez démenti par l'Eglise universelle ?

III. Est-ce politique ? Car la politique se mêle dans les affaires de religion comme dans toutes les autres. On veut garder des mesures, et quoi qu'on pense ce qu'on doit penser, on prétend avoir de bonnes raisons pour ne pas parler de même. Il ne reste donc que l'une de ces deux choses à faire : ou de parler autrement qu'on ne pense, et ce serait une mauvaise foi dont on n'est pas capable, et dont on ne pourrait porter le reproche au fond de sa conscience ; ou de ne point parler du tout et de ne rien dire, et c'est à ce milieu qu'on s'en tient, comme au tempérament le plus juste et le plus sage. Je ne suis, dit-on, ni ne veux être de rien : j'ai mes vues, j'ai mes prétentions ; et pour y réussir, il faut être ami de tout le monde. Ces gens-là peuvent m'être utiles dans

 

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les rencontres , ou ils me le sont même actuellement. D'ailleurs , ce sont la plupart des personnes de connaissance , et j'ai toujours été en commerce avec eux ; la prudence m'engage à les ménager. La prudence ! mais quelle prudence? la prudence de la chair. Or, selon saint Paul, cette prudence de la chair est ennemie de Dieu (1) ; et puisqu'elle est ennemie de Dieu , il s'ensuit que c'est une prudence criminelle devant Dieu, et réprouvée de Dieu.

Comment ne le serait-elle pas? Y a-t-il raison de fortune, de parenté, de société ; y a-t-il considération el intérêt humain, qui doive vous lier la langue , et vous empêcher de vous déclarer, de vous élever pour la cause de l'Eglise et pour celle du Seigneur ? On vous parle tant en d'autres conjonctures des engagements de votre baptême, et ils sont grands en effet : à Dieu ne plaise que j'en diminue l'obligation ! Mais plus ils sont grands, plus ils sont authentiques et solennels, et plus vous êtes coupable de les soutenir si mal. Est-ce là ce que vous avez promis à Dieu et à son Eglise sur les sacrés fonts où vous fûtes régénéré en Jésus-Christ ? Avez-vous renoncé au monde, pour vous conduire par des vues si mondaines ? Du moins si c'était en ce qui regarde le monde ; mais en matière de foi, quelle part la sagesse du monde doit-elle avoir ? Qu’ y a-t-il de commun entre la justice et l’iniquité, entre la lumière et les ténèbres ; et qu'a le fidèle à partager avec l’infidèle (2) ?

Soyez sage et circonspect ; je le veux, et je suis le premier à vous y exhorter : mais soyez-le avec cette sobriété que demande l'Apôtre, soyez-le jusqu'à certain point, et non au delà. Ayez des égards, j'y consens; mais n'en ayez que jusqu'à l'autel. Car à l'autel, c'est-à-dire quand la religion est en compromis, et qu'il y va de l'honneur et de l'autorité de l'Eglise, vous devez oublier tout le reste, et ne vous souvenir que des paroles du Fils de Dieu : Quiconque aura quitté pour mon nom sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses héritages, je le mettrai au nombre de mes disciples, et il possédera la vie éternelle (3). Voilà une promesse bien avantageuse ; mais écoutez en même temps une menace bien terrible, et digne de votre réflexion : Celui qui sauve sa vie, la perdra; et celui qui la perdra pour moi, la sauvera (4). Dans le sens de l'Evangile, qu'est-ce que cela signifie? Ce que vous ne pouvez

 

1 Rom , VIII, 6. — 2 2 Cor., VI. — 3 Matth., XIX, 14, 45.— 4 Ibid., X, 39.

 

trop méditer : savoir, qu'en toutes choses, mais surtout dans les choses de Dieu, on ne doit point tant avoir de ménagement pour le monde ; et qu'en voulant se sauver pour le temps présent, on se perd pour l'éternité.

IV. Est-ce insensibilité? est-ce que vous vous souciez peu de tout ce qui concerne l'Eglise et la religion? Mais à quoi serez-vous donc sensible, si vous ne l’êtes pas à ce qui touche la foi que vous devez professer, où vous devez vivre et où vous devez mourir? Est-il rien qui vous soit plus important que de la conserver pure, cette foi, laquelle doit être le fondement de votre sanctification et de votre salut?

Vous me direz : Je ne l'attaque pas. Non, vous ne l'attaquez pas directement; mais vous souffrez qu'on l'attaque impunément ; mais on l'attaque, et vous ne vous y opposez pas; mais vous ne la soutenez pas , mais vous ne la défendez pas. Or quiconque n'est pas pour elle est contre elle; de même que quiconque n'est pas pour Jésus-Christ est contre Jésus-Christ (1). Vous me direz : Il n'est question que de quelques points; et faut-il tant se remuer pour cela et se troubler? Je le sais, ce n'est que de quelques points ; mais ce sont des points essentiels, ce sont des points de foi. Or, à l'égard de la foi, tout est d'une extrême conséquence , et il n'y a rien à négliger. Vous me direz : Ce n'est pas là mon affaire ; mais de qui sera-ce donc l'affaire? Est-ce l'affaire des hérétiques? est-ce l'affaire des infidèles? ou n'est-ce pas l'affaire de tous les enfants de l'Eglise, de s'intéresser pour leur mère, et de résister en face à ses ennemis? Je dis l'affaire de tous les enfants de l'Eglise : car c'est une affaire commune, et chacun y est pour soi, quoique différemment et par proportion. Ah ! de tous ceux qui tiennent pour le parti contraire, j'ose avancer qu'il n'y en a pas un, ou presque pas un, qui ne se fasse une affaire de l'appuyer de toutes ses forces. On a du zèle pour le mensonge, on en manque pour la vérité. Vous me direz : Quand je me déclarerai, la cause de l'Eglise n'en sera pas meilleure. Et que suis-je en effet? De quel poids peut être le suffrage d'un homme comme moi, d'un homme sans lettre et sans étude? On vous l'accorde : l'Eglise peut fort bien se passer de votre suffrage; et si l'on vous presse de vous déclarer, ce n'est point précisément afin que la cause de l'Eglise en devienne meilleure , mais c'est afin que vous-même, en vous déclarant, vous en soyez meilleur. C'est, dis-je, afin que vous vous acquittiez de votre devoir

 

1 Matth., XII, 30.

 

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envers l'Eglise, afin que vous rendiez à l'Eglise l’hommage d'une soumission publique qu'elle exige de vous, et que vous ne pouvez lui refuser sans violer ses droits, et sans être coupable. De sorte que je puis appliquer ici ce que disait saint Augustin dans l'affaire du pélagianisme, et à l'occasion de quelques-uns qui gardaient le silence, et ne voulaient point donner à connaître ce qu'ils pensaient : Faisons-leur, écrivait ce saint docteur à Sixte, seulement piètre alors, et depuis pontife, faisons-leur une salutaire violence pour les attirer à nous, non point dans la crainte qu'ils ne nous nuisent, mais dans la crainte qu'ils ne se perdent.

V. Est-ce lâcheté? Elle serait honteuse dans le service d'un prince de la terre; et pour en éviter la bonté, il n'y a point de péril où l'on ne s'exposât : on n'y épargnerait pas sa vie. Mais présentement, qu'est-ce que je vous demande au nom de l'Eglise? une parole, un simple témoignage de votre déférence à ses sentiments; et vous n'avez pas assez de résolution pour la prononcer, cette parole, ni pour le donner, ce témoignage! Où donc est l'esprit du martyre, dont tout catholique doit être animé? Mais encore que craignez-vous, et qui craignez-vous? Faut-il si peu de chose pour vous étonner?

Malheureuse neutralité qui forme tant de fausses consciences! car, sous le frivole et vain prétexte qu'on demeure à l'écart et qu'on ne prend part à rien, on croit sa conscience en sûreté : comme si la foi ne voulait de nous point d'autre confession que le silence. Neutralité scandaleuse : c'est un outrage que vous faites à l'Eglise, de n'oser pas vous ranger de son côté, ni professer ouvertement ce qu'elle vous enseigne. D'ailleurs, à combien de gens persuadez-vous par votre conduite que vous ne recevez pas le jugement que l'Eglise a porté, et que dans le cœur vous le rejetez, quoique au dehors vous gardiez des mesures et que vous affectiez de paraître neutre? A combien d'autres donnez-vous au moins lieu de penser qu'ils n'ont pas plus à se mettre en peine que vous, et que le mieux est de laisser toutes ces affaires comme indécises? Ils  se déclareraient, si vous vous étiez une bonne fois déclaré vous-même. Neutralité que l'Eglise aussi, dans tous les temps , a condamnée, et traitée de prévarication.

Enfin, neutralité favorable à toutes les hérésies, et qui sert à les établir et à les répandre. Car de même que clans une guerre civile les factieux sont contents pourvu qu'on ne s'oppose point à leurs entreprises, ainsi les hérétiques ne souhaitent rien davantage, sinon qu'on ne les contredise point, et qu'on ne forme aucun obstacle à leurs progrès. Ils savent bien du reste céder et se fortifier. Ce sont les premiers à demander la neutralité, mais à condition qu'ils ne l'observeront pas, et qu'ils n'omettront rien pou r agir sourdement et plus efficacement! Ce sont les premiers à demander la paix ; mais bien entendu qu'ils profiteront de cette paix pour continuer la guerre avec d'autant plus de succès, qu'elle se fera avec moins d'éclat. Une infinité de personnes, même de ceux qui ne sont point malintentionnés, se laissent surprendre à ce piège. Que ne vit-on en paix, disent-ils, et pourquoi tout ce bruit ? J'aimerais autant, quand le loup est dans la bergerie,et que le berger crie de toutes ses forces pour appeler du secours, qu'on lui demandât pourquoi il se donne tant de mouvements et fait tant de bruit. Sans ces mouvements, sans ce bruit, que deviendrait le troupeau? La paix est à désirer : qui en doute? mais il faut que ce soit une bonne paix.

 

PENSÉES   DIVERSES   SUR   L'ÉGLISE ,    ET SUR  LA SOUMISSION   QUI  LUI EST DUE.

 

Il y en a qui, des intérêts de l'Eglise, font leurs propres intérêts : et il y en a qui, de leurs intérêts propres, font les intérêts de l'Eglise. Grande différence des uns et des autres. La disposition des premiers est bonne et toute sainte, et celle des st couds est mauvaise et toute profane. Que veux-je dire? le voici. Les uns font des intérêts de l'Eglise leurs propres intérêts : comment et par où? par leur zèle pour l'Eglise, par leur attachement inviolable à l'Eglise, par la sensibilité de leur cœur sur tout ce qui a rapport à l'Eglise, soit sur ses avantages, pour y prendre part et s'en réjouir, soit sur ses disgrâces, pour s'en affliger et y compatir. De sorte que, sans égard à aucun intérêt personnel, ils envisagent d'abord en toutes choses les intérêts de l'Eglise, et y adressent toutes leurs intentions et tous leurs désirs. Mais les autres se conduisent par un principe et un sentiment tout opposé. Ils font de leurs intérêts propres les intérêts de l'Eglise; c’est-à-dire que pour autoriser l'ardeur qu'ils témoignent à rechercher les dignités ecclésiastiques, ils se regardent volontiers comme des sujets utiles à l'Eglise, comme des gens capables de rendre à l'Eglise des services importants, et

 

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d'y faire beaucoup de bien. Hé ! que ne sont-ils de meilleure foi , et que ne connaissent-ils mieux le fond de leur âme ! Leur vue directe et primitive n'est pas tant le bien qu'ils feront dans l'Eglise, que le bien et les revenus dont ils y jouiront.

On ne peut trop respecter la primitive Eglise ; mais la haute idée qu'on en a ne doit pas servir à nous faire mépriser l'Eglise des derniers siècles. Dans la primitive Eglise, parmi beaucoup de sainteté, il ne laissait pas de se glisser des relâchements; et dans l'Eglise des derniers siècles, parmi les relâchements qui s'y sont glissés, il ne laisse pas d'y avoir encore beaucoup de sainteté.

Oserai-je faire une comparaison ? Elle est odieuse, mais elle n'en est pas moins juste. N'avoir pour l'Eglise et pour ses jugements qu'une soumission de respect, ne lui rendre qu'un honneur apparent et extérieur, ne déférer à ses oracles que par le silence, lorsqu'en secret on s'élève contre elle , lorsqu'on lui résiste dans le cœur et môme par les effets, n'est-ce pas traiter cette épouse de Jésus-Christ comme Jésus-Christ lui-même son divin époux, fut traité des soldats auxquels on l'abandonna dans sa passion ? Ils le couronnèrent, ils lui mirent un sceptre dans la main, ils venaient tour à tour se prosterner à ses pieds et l'adorer : voilà de grands témoignages de respect; mais en même temps ils le frappaient au visage, et lui donnaient des soufflets.

Cette grande lumière du monde chrétien, ce docteur par excellence et ce défenseur de la grâce, cet homme d’un génie si élevé et d'une si haute réputation dans tous les siècles qui l'ont suivi, saint Augustin, en traitant des matières de religion, ne voulait pas qu'on le crût sur son autorité particulière, ni sur parole; mais il renvoyait au témoignage de l'Eglise. Aujourd'hui des troupes de femmes faisant profession de piété, et conduites par un directeur qui certainement n'est rien moins que saint Augustin, se laissent tellement prévenir en sa faveur, que dès qu'il a parlé, elles ne veulent déférer à nul autre tribunal, quel qu'il soit. Ce seul homme, souvent d'un savoir très-superficiel, voilà leur évêque, leur pape, leur Eglise.

On me dira qu'elles agissent de bonne foi, et que leur simplicité les excuse. Qu'il y ait en cela de la simplicité, j'en conviens : mais il faut aussi convenir qu'il y a encore plus d'opiniâtreté. Or je doute fort qu'une simplicité accompagnée d'un tel aheurtement et de tant d'opiniâtreté doive être traitée de bonne foi, ou qu'une telle bonne foi puisse être devant Dieu un titre de justification.

Je m'en tiens à ce que m'enseigne mon directeur : c'est le pasteur de mon âme : voilà ma règle. Mais, selon cette règle, croyez-vous être en droit de rejeter toutes les décisions de l'Eglise auxquelles ce directeur n'est pas soumis ? conduite pitoyable et hors de toute raison. Car quand vous vous élevez contre l'Eglise pour vous attacher à ce directeur, cela montre que vous ne vous y attachez que par entêtement, et non par le vrai principe, qui est un principe de la religion, puisque la même religion qui vous ordonne d'écouter ce pasteur particulier vous ordonne encore beaucoup plus expressément d'écouter le commun pasteur des fidèles et le corps des évêques, qui lui sont unis de communion.

Dieu , par le prophète Isaïe, se plaint qu'il a formé son peuple, qu'il a pris soin de les nourrir comme ses enfants, de les élever, et qu'ils l'ont méprisé (1). Les prédicateurs appliquent quelquefois ces paroles à l'Eglise, et lui font dire , dans un sens moral et spirituel, qu'elle nous a formés en Jésus-Christ; que dès notre naissance, et par la grâce de notre baptême, elle nous a reçus entre ses bras et dans son sein, qu'elle nous y a fait croître, et qu'elle n'a point cessé pour cela de nous fournir une nourriture toute céleste, qui sont ses divines instructions et ses sacrements; mais que nous ne lui témoignons que du mépris, que nous la déshonorons, que nous la scandalisons par notre conduite, et par une perpétuelle transgression de ses commandements. Cette application est juste, et cette plainte solide est bien fondée. Mais laissons ce sens spirituel et moral, et prenons la chose dans le sens des termes le plus littéral, dans le sens le plus propre; l'application n'en sera pas moins raisonnable. Et en effet, combien de gens ne sont distingués que par le rang qu'ils tiennent dans l'Eglise , ne sont riches que des biens de l'Eglise, ne vivent que du patrimoine de l'Eglise, et sont toutefois les plus rebelles à l'Eglise, et les plus déclarés contre elle? C'est bien à leur sujet, et bien à la lettre, que l'Eglise peut dire des uns: Je les ai nourris (enutrivi), et la subsistance qui peut-être leur eût manqué dans le monde, ils l'ont trouvée à l'autel ; des autres : Je les ai élevés (exaltavi), agrandis ; et sans l'éclat qui leur vient de moi, peut-être ne seraient-ils jamais

 

1 Isa., I, 2.

 

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sortis de l'obscurité et des ténèbres. Cependant leur reconnaissance , à quoi se réduit-elle? à une obstination invincible contre mes plus sages et mes plus saintes ordonnances (spreverunt me).

On voit des femmes d'un zèle merveilleux pour la réformation de l'Eglise : c'est là leur attrait, c'est leur dévotion. Elles entrent dans toutes les intrigues et tous les mystères ; car certain zèle n'agit que par mystères et que par intrigues. Elles s'entremettent dans toutes les affaires. Mais cependant si l'on vient à examiner ce qui se passe dans leur maison, on trouve que tout y est en désordre. Un mari, des enfants, des domestiques en souffrent ; mais c'est de quoi elles sont peu inquiètes. Pour leur citer l'Ecriture, qu'elles ont si souvent dans les mains, et où elles se piquent tant d'être versées et intelligentes, on peut bien leur dire avec saint Paul : Celui qui ne prend pas soin de sa propre maison , comment veut-il prendre soin de l'Eglise de Dieu (1).

Zèle pour l'Eglise, zèle qu'on ne peut louer assez, ni assez recommander. Mais du reste c'est une vertu, et toute vertu consiste dans un milieu et dans un juste tempérament, qui évite toutes les extrémités. Vous prenez les intérêts de l'Eglise, et en cela vous faites votre devoir, et le devoir de tout chrétien , de tout catholique. Mais ne les prenez-vous point quelquefois plus que l'Eglise ne les prend elle-même? Pourquoi ces abattements, ces désolations où vous tombez? pourquoi ces inquiétudes, ces alarmes continuelles? pourquoi ces aigreurs, ces amertumes de cœur? N'omettez rien de tout ce qui dépend de votre vigilance et de votre attention ; parlez , agissez : mais au regard du succès, laissez à Dieu le soin de son Eglise ; c'est son affaire plus que la vôtre. Le mal vient de ce qu'il se glisse dans la plupart de ces disputes beaucoup de naturel, beaucoup d'humain. Si l'on n'y prend garde, une guerre de religion devient une guerre de passion.

Ce n'est pas toujours par la profession que nous faisons d'être attachés à l'Eglise, qu'on peut bien discerner si nous sommes vraiment catholiques, ou si nous ne le sommes pas. Il n'y a point de langage plus ordinaire aux hérétiques et aux novateurs, que de témoigner dans leurs discours et dans leurs écrits un grand attachement à l'Eglise , que de prêcher la soumission à l'Eglise, que d'exhorter les fidèles à prier pour l'Eglise. Mais quelle est cette Eglise pour laquelle ils semblent si zélés ?

 

1 Tim., III, 5.

 

une Eglise à leur mode , et qu'ils se sont faite; une Eglise , ou plutôt une secte séparée de la vraie Eglise. Voilà ce qu'ils entendent sous ce titre pompeux d'Eglise, et voilà ce qui éblouit les simples et ce qui les trompe. La voix est de Jacob , mais les mains sont d’Esaü (1). C'est donc à la règle et au caractère distinctif que nous a marqué saint Ambroise , qu'il faut s'en tenir. Ce Père parle de Satyre, son frère, et voici ce qu'il en dit. Après un naufrage d'où il était échappé, il voulut en action de grâces participer au sacrement de l'autel, et, dans cette pensée, il s'adressa à l'évêque du lieu. Mais comme c'était un temps de division et de schisme , il s'informa d'abord si cet évêque était catholique : C'est-à-dire, ajoute saint Ambroise, expliquant ce terme de catholique, s'il était uni de communion et de créance avec l'Eglise romaine. Car sans cela, Satyre ne reconnaissait point de vraie catholicité, et n'en devait point reconnaître.

Tout est subordonné dans l'Eglise : mais ce grand principe, ce principe si raisonnable et si essentiel pour la conduite et le bon ordre de toute société , nous l'entendons diversement , selon les divers rapports sous lesquels nous le considérons. A l'égard de ceux qui dépendent de nous, nous sommes les plus rigides et les plus implacables défenseurs de la subordination. Mais s'il s'agit d'une puissance supérieure de qui nous dépendons nous-mêmes, c'est sous ce rapport que la subordination n'excite plus tant notre zèle : il se ralentit beaucoup, et même il s'éteint absolument. Ainsi, entendez parler un supérieur ecclésiastique de ceux qui sont soumis à sa juridiction : ce sont des plaintes perpétuelles du peu de docilité qu'il trouve dans les esprits ; ce sont de profonds gémissements sur le renversement de la discipline, parce que chacun veut suivre ses idées et vivre à sa mode ; ce sont les discours les plus pathétiques et les plus belles maximes sur la nécessité de la dépendance, pour établit la règle et pour la maintenir. Tout ce qu'il dit est sage , solide, incontestable : mais il serait question de voir si ce qu'il dit, il le pratique lui-même à l'égard d'une souveraine et légitime puissance dont il relève et à qui il doit se soumettre. Voilà néanmoins ce qui serait bien plus efficace et plus persuasif, que tant de gémissements et tant de plaintes, que tant de belles maximes et tant de discours. Peut-être croirait-on, en se soumettant, affaiblir l'autorité dont on est revêtu, et c'est au contraire ce

 

1 Genes., XXVII, 22.

 

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qui l'affermirait. Voulons-nous qu'on nous rende volontiers l'obéissance qui nous est due; donnons nous-mêmes l'exemple, et rendons de bonne grâce l'obéissance que nous devons.

Dans les troubles de l'Etat, le bon parti est toujours celui du roi et de son conseil; et dans les troubles de l'Eglise, en matière de créance et de doctrine, le bon parti est toujours celui du vicaire de Jésus-Christ, du siège apostolique et du corps des évêques.

Un époux infidèle qui quitte son épouse pour en prendre une plus noble ou plus riche, voilà ridée que je conçois d'un bénéficier qui, par un intérêt temporel et tout humain, quitte son église pour passera une autre. Mais, dit-il, Je ne fais rien contre les règles, dès que la puissance ecclésiastique et supérieure me donne sur cela les pouvoirs nécessaires. Pour lui répondre, je me servirai encore de la même figure : il en fera telle application qu'il lui plaira. Des pharisiens vinrent demander au Fils de Dieu s'il était permis à un homme de renvoyer la femme qu'il avait épousée. Qu'est-ce que Moïse a ordonné là-dessus, leur répondit  le Sauveur du monde ! Moïse, dirent-ils, a permis de faire un acte de divorce, et de se séparer ainsi de sa femme. Il est vrai, reprit Jésus-Christ, Moïse vous l'a accordé; mais il ne l'a l'accordé qu'à la dureté de votre cœur (1).

D'autres n'ont garde d'abandonner un bénéfice qu'ils possèdent, et ne pensent point à le quitter. Il est dans leurs mains, mais leurs mains n'en sont pas remplies. Que faut-il donc? accumuler bénéfices sur bénéfices. Ils disent aisément, et le disent même bien haut : Ce n'est pas assez ; mais on ne les entend jamais dire : C'est trop. Le prophète, parlant à ces riches qui entassent acquêts sur acquêts et joignent maisons à maisons, s'écriait : N'y aura-t-il que vous sur la terre pour l'habiter (2) ? Il  me semble que je pourrais m'écrier de même : N'y aura-t-il que vous dans l'Eglise pour la servir ? Mais que dis-je, pour servir l'Eglise? Elle serait souvent bien mal servie, si elle ne l'était que par ceux qui veulent avoir plus de raisons et plus d'obligation de la servir.

 

1 Matth., XIX, 8. — 2 Isa., V, 8.

 

 

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