EXHORTATIONS CHARITÉ V

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EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES NOUVEAUX CATHOLIQUES.

ANALYSE.

 

Sujet. Que la paix soit sur nos frères, avec la charité et la foi.

Tant de nouveaux catholiques et tant d'autres disposés à le devenir, ce sont nos frères, dont la Providence nous a chargés, et que nous devons assister.

 

Division. Il faut pourvoir à leurs besoins temporels : première partie; et il faut encore plus pourvoir à leur salut éternel : deuxième partie.

 

Première partie. Il faut pourvoir à leurs besoins temporels, en les assistant dans leur pressante nécessité. Sans cela ils doivent tomber dans une extrême misère. Car ils n'ont plus les secours qu'ils avaient dans l'Eglise protestante, et qui les faisaient subsister. Si donc ils ne reçoivent encore de nous aucune assistance, où en seront-ils? Quelle honte sera-ce pour le service de Dieu et pour son Eglise?

Leur nombre est trop grand, dit-on : mais le peut-il être trop? Il n'est trop grand que parce que plusieurs ne veulent en rien contribuer, ou ne veulent pas assez contribuer. On ne peut non plus s'excuser sur le malheur des temps, et il n'y a qu'à se consulter soi-même de bonne foi, pour découvrir l'illusion de ce prétexte.

Deuxième partie. Il faut pourvoir à leur salut éternel, en les confirmant dans la foi et en achevant leur conversion, qui n'est encore qu'imparfaite et qu'ébauchée. Il s'agit pour cela de gagner leur esprit et leur cœur : leur esprit, en leur persuadant toujours de plus en plus la vérité de notre religion; leur cœur, en les y affectionnant et la leur faisant aimer. Or, jamais nous ne leur ferons mieux connaître la vérité de notre religion que par la charité qui s'y pratique, et dont ils ressentiront les effets ; ni jamais nous ne les affectionnerons plus à cette même religion que par le zèle que nous témoignerons pour leur soulagement.

De là concluons que nous y sommes très-étroitement obligés : car si nous devons assister nos frères dans les besoins du corps, à plus forte raison le devons-nous dans les besoins de l'âme.

 

Pax fratribus, et charitas cum fide.

Que la paix soit sur nos frères, avec   la charité  et la foi.   (Aux Ephésiens, chap. VI, 23.)

 

Voici, Mesdames, une nouvelle charge pour vous ; mais ce serait, j'ose le dire, vous rendre indignes du nom de chrétiennes que vous porta, si vous la regardiez comme une charge, et si vous ne bénissiez mille fois le ciel de vous avoir ainsi réduites à l'heureuse nécessité de redoubler vos soins et vos aumônes. Vous comprenez qu'il s'agit des nouveaux catholiques, ou de ceux qui sont dans la disposition de le devenir, et qui n'attendent peut être plus pour cela que votre secours. Ils sont répandus dans toute la France, répandus dans tous les quartiers de cette ville capitale ; mais par une providence particulière, nulle autre paroisse n'en est plus abondamment pourvue que celle-ci, et ne doit plus s'employer à leur soulagement. Encore une fois, Mesdames, ne vous en plaignez point; et bien loin de vous en plaindre, remerciez Dieu de ce qu'il vous donne, contre toute espérance, ces nouveaux sujets d'exercer votre zèle. Confiez-vous en lui, et ne doutez point qu'il ne vous donne en même temps de nouveaux moyens pour subvenir à tout, et pour remplir dans toute son étendue l'obligation qu'il vous impose. Soyez-lui fidèles, en faisant des efforts extraordinaires pour répondre aux desseins de sa miséricorde : et il vous sera fidèle, en vous faisant trouver les fonds nécessaires, et en secondant les pieuses intentions de votre charité. Telle est la préparation d'esprit où vous devez être, et que je vous demande en faveur de nos frères que le malheur de la naissance et de l'éducation a tenus si longtemps séparés de nous. Que la paix soit sur eux avec la foi, et cela par la charité que vous pratiquerez envers eux : Pax fatribus, et charitas cum fide. En deux mots, qui vont partager cet entretien, il faut pourvoir, tout à la fois, et à leurs besoins temporels, et à

 

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leur salut éternel : à leurs besoins temporels , en les assistant dans leur pressante nécessité ; à leur salut éternel, en les confirmant dans la foi, et en achevant leur conversion, qui n'est encore qu'imparfaite et qu'ébauchée. La charité fera l'un et l'autre, et c'est aussi à l'un et à l'autre que je viens vous exhorter.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

N'en doutez point, Mesdames, la nécessité de ces pauvres nouvellement convertis est très-pressante ; et si l'on ne pourvoit à leurs besoins, il est évident qu'ils doivent bientôt tomber dans l'extrême misère : pourquoi ? en voici la preuve sensible ; c'est qu'ils n'ont plus les secours qui les faisaient autrefois subsister. Dès là donc que vous ne suppléerez pas à ce qu'ils ont perdu, ou, pour mieux dire, à ce qu'ils ont volontairement quitté en se réunissant à l'Eglise, quelle sera leur ressource, et qui les soutiendra ? Je m'explique ; et faites, s'il vous plaît, à ceci une sérieuse réflexion.

Car tant que leur religion a été tolérée, et qu'ils ont vécu dans l'église protestante, ils y étaient assistés, et bien assistés. On ne les voyait point alors s'adresser à nous ; ils ne venaient point nous exposer leur pauvreté ; ils ne nous faisaient point entendre leurs gémissements et leurs plaintes : marque infaillible qu'ils ne souffraient pas, et qu'ils trouvaient même sans peine, parmi leurs frères, ce qui suffisait à leur condition et à leur état. En effet, la pauvreté, parmi nos hérétiques, n'était ni négligée, ni délaissée. Il y avait entre eux, non-seulement de la charité, mais de la police et de la règle dans la pratique de la charité. C'était pour eux un devoir de secourir les pauvres dans leurs maladies, de les retirer de la mendicité, de procurer des places à ceux qui pouvaient servir, de l'ouvrage à ceux qui pouvaient travailler, des aumônes à ceux qui ne pouvaient s'aider eux-mêmes, ni s'appliquer ; de n'oublier personne, et de veiller sans exception sur tout le troupeau. Soyons de bonne foi, et ne leur refusons point la justice qui leur est due. Rendons-leur là-dessus le témoignage qu'ils ont mérité, et qu'on leur a souvent rendu. Reconnaissons que sur ce point nous n'avons rien à leur reprocher, et souhaitons que, sur cela même, ils n'aient de leur part nul reproche à nous faire.

Voilà, dis-je, comment leurs pauvres étaient traités. Mais depuis que ces pauvres, renonçant à l'erreur qui les séduisait, se sont soustraits à la conduite des faux pasteurs qui les égaraient; depuis qu'ils sont sortis de leurs mains pour se jeter dans les nôtres , et que du sein de l'hérésie ils ont passé dans le sein de la vraie Eglise, de quel œil désormais les regarde tout le parti qu'ils ont abandonné? On les dénonce aux assemblées comme des déserteurs, on les efface du nombre des frères, et on ne les compte plus dans le consistoire que pour des apostats et des excommuniés : on ne leur donne plus de part aux distributions, et on leur retranche tout ce qu'ils recevaient. Bien loin de s'intéresser pour eux et de leur continuer les mêmes gratifications , peut-être au fond de l'âme se réjouit-on de les voir dans la souffrance et dans la disette, et peut- être en triomphe-t-on. Ainsi donc , de ce côté-là, restent-ils sans espoir; ces sources auparavant si abondantes se sont tout à coup desséchées, et ont tellement tari à leur égard , qu'ils n'y peuvent plus rien puiser ; d'autant plus dignes de notre piété et de notre zèle, que c'est par esprit de religion et pour se joindre à nous qu'ils se sont privés de ce soutien, et qu'ils ont fermé les yeux à toutes les considérations humaines qui les pouvaient retenir.

Mais du reste, Mesdames, en faisant ce sacrifice, à quoi se sont-ils attendus, et à quoi ont-ils dû s'attendre ? Ils ont cru que votre charité les dédommagerait de leur perte. Ils se sont persuadé que dans le parti de la vérité qu'ils embrassaient, il y aurait des âmes aussi tendres et aussi secourables que dans celui de l'erreur, dont ils se détachaient. Ils se sont promis que, devenant par une étroite alliance nos amis, nos frères, les membres du même corps, nous ne leur refuserions pas les devoirs de l'amitié, de l'hospitalité, de la proximité, d'une sainte fraternité; que, priant devant les mêmes autels que nous, participant aux mêmes mystères que nous, mangeant avec nous le même pain céleste, et usant du même aliment spirituel à la même table, qui est la table de Jésus-Christ, on ne les laisserait pas d'ailleurs manquer de la nourriture ordinaire, ni languir dans un triste abandonnement ; que Dieu penserait à eux, et que cette Eglise catholique dont on leur disait tant de merveilles : Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei (1); que cette Eglise, à qui ils recouraient comme à leur mère, et qui les admettait parmi ses enfants, ne serait pas insensible à leur indigence, et ne les verrait pas périr sans prendre de justes mesures pour la conservation de leur vie. Telle a été

 

1 Psal., LXXXVI, 3.

 

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leur attente ; et, dans cette confiance, ils ont franchi le pas; ils ont rompu les liens les plus torts, qui depuis de longues années les arrêtaient : ils n'ont écouté ni les sentiments de la nature, en s'éloignant de leurs proches; ni la voix de leurs ministres, dont ils ont également méprisé et les menaces et les promesses, et les invectives et les offres. Ils nous ont tendu les bras, et nous les avons reçus. Dans un premier mouvement, nous leur avons témoigné la même joie que le bon pasteur marqua à tous ses voisins lorsqu'il eut ramené sa brebis : Congratulamini mihi, quia inverti ovem quœ perierat (1).

Mais en quel deuil doit se tourner pour eux cette courte joie, si de notre part ils demeurent sans assistance? N'ayant plus rien de ce qu'ils avaient, et ne trouvant rien chez nous de ce qu'ils espéraient, ne seront-ils pas dans un délaissement absolu? Quand les Israélites se virent engagés sous la conduite de Moïse et d'Aaron dans une terre aride et déserte, et qu'ils se sentirent pressés de la faim, il s'éleva parmi cette innombrable multitude d'hommes, de femmes, d'enfants, un murmure général contre leurs conducteurs et contre le Dieu même d'Israël. Ou sommes-nous, s'écrièrent-ils, et en quel pays nous a-t-on fait venir? Du moins en Egypte nous avions du pain en abondance : Comedebamus panem in saturitate (2). Je sais, Mesdames, que ce murmure des Israélites était injuste et trop précipité. C'est pour cela qu'ils en furent punis, et que Dieu en tira une si prompte et si rigoureuse vengeance. Mais lorsque tant de nouveaux fidèles resteront parmi nous dans l'oubli, et qu'ils y seront dépourvus de toutes choses, n'auront-ils pas droit de se plaindre? et que leur répondrons-nous, quand ils nous diront : Comedebamus panem in saturitate, Rien ne nous manquait où nous étions; on nous recherchait, on nous entretenait. Vous nous avez appelés, vous nous avez invités à vous suivre ; vos prédicateurs, vos pasteurs, toutes les puissances ecclésiastiques et séculières nous ont pressés là-dessus, et fait des instances auxquelles nous n'avons pu résister. Nous nous sommes rendus , nous sommes venus, nous voici, et chacun semble nous méconnaître, chacun se retire de nous? Que sera-ce quand ils le diront à Dieu ? Comedebamus panem in saturitate : Eh ! Seigneur, nous avons éprouvé les effets de votre providence, tandis que nous marchions hors de vos voies ; nous y avez-vous attirés pour nous donner la mort?

 

1 Luc, XV, 6. — 2 Exod., XVI, 3.

 

Non, Mesdames, ce n'est point ainsi que Dieu l'a prétendu. Ce serait une honte, et pour son service, et pour son Eglise. L'honneur de l'un et de l'autre demande qu'on n'y trouve pas moins d'avantage, pas moins de douceur, pas moins de charité , que dans de fausses religions et dans des sectes formées contre lui. Si donc il est touché des murmures qu'il entendra, et si ces murmures excitent sa colère, ce ne sera pas tant à l'égard de ceux qui les feront que de ceux qui les causeront. Il pardonnera aisément à des malheureux trompés dans leurs espérances, accablés de leurs peines , incertains de leur sort, également troublés et de la vue du passé, et du sentiment des misères présentes, et de la crainte des maux à venir. Mais sur qui il exercera sa justice avec plus de sévérité, c'est sur vous-mêmes : pourquoi ? parce que c'est vous qui les aurez réduits en ces tristesses profondes et en ces désolations, vous qui aurez été le sujet et l'occasion de ces plaintes amères et de ces révoltes, vous qui aurez renversé les desseins de la Providence, qui aurez déshonoré l'Eglise de Jésus-Christ; et donné à l'hérésie une espèce de supériorité et d'ascendant.

Car quelles seront les railleries et les insultes des hérétiques opiniâtres et endurcis, lorsqu'ils verront le déplorable état de ces troupes de catholiques tout récemment entrés dans l'Eglise, après s'être séparés d'eux ? N'auront-ils pas lieu en apparence de leur dire ce que Moïse disait avec vérité aux Juifs incrédules et rebelles: Ubi sunt dii, in quibus habebant fiduciam (1) ? Où sont donc vos appuis? sont ces bénédictions du ciel, dont on vous répondait avec tant d'assurance, et sur quoi vous faisiez tant de fonds? sont ces âmes charitables, ces protecteurs puissants et vigilants, ces patrons qui devaient vous secourir en tout, et ne vous renvoyer jamais les mains vides? Qu'ils paraissent, et qu'ils vous soulagent au moins en de si fâcheuses extrémités : Surgant, et opitulentur vobis, et in necessitate vos protegant (2). Or ces outrages, Mesdames, ne retomberont-ils pas sur toute l'Eglise, et n'en serez-vous pas responsables à Dieu?

Mais le nombre de ces convertis est trop grand. Trop grand, Mesdames? ah ! le peut-il être trop? le pouvez-vous penser? le devez-vous? Et qu'y a-t-il à souhaiter davantage, que de le voir croître sans cesse, et d'être tous rassemblés, selon le désir du Fils de Dieu, dans une même bergerie et sous un même pasteur?

 

1 Deut., XXXII, 37. — 2 Ibid., 38.

 

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Et fiet unum ovile et unus pastor (1). Le nombre de ces pauvres est grand : c'est pour cela que vous devez augmenter vos soins ; c'est pour cela que vous ne devez pas vous contenter de vos aumônes ordinaires ; c'est pour cela que vous ne devez pas seulement y employer tout le superflu de votre état, mais quelque chose du nécessaire. Disons la vérité : le nombre ne serait pas trop grand, si chacune faisait son devoir, et donnait à proportion de ses forces. Il n'est donc trop grand que parce que plusieurs ne veulent rien contribuer, ou ne veulent pas assez contribuer.

Mais les temps sont difficiles : j'en conviens ; mais après tout, Mesdames, ne m'obligez pas à réfuter cette objection, toute spécieuse qu'elle est, par des preuves qui vous convaincraient et qui vous confondraient. Car ce sont des arguments pris de vous-mêmes, de votre propre exemple, de vos dépenses les plus communes dont nous sommes témoins, et dont nous gémissons. Quoi qu'il en soit, et quoi qu'il y ait à prendre sur vous, vous n'en ferez jamais tant pour bien accueillir ces généreux prosélytes, qu'ils en ont fait pour parvenir jusqu'à nous, et pour vaincre tous les obstacles qui s'opposaient à leur réunion. Combien se sont arrachés par une sainte violence d'entre les bras de leurs parents, qui les baignaient de leurs larmes et qui leur perçaient le cœur des cris les plus douloureux ? combien ont abandonné leurs héritages, et ont mieux aimé se mettre au hasard d'une ruine entière, que de s'obstiner contre la lumière qui les éclairait et contre la grâce qui les pressait? Que leur courage vous anime; que leur désintéressement vous instruise : mais surtout ayez égard à leur salut éternel ; et souvenez-vous qu'en les assistant dans leurs besoins, vous les confirmerez par votre chanté dans la foi, et vous achèverez leur conversion, comme je vais vous le montrer dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Toute conversion, même sincère, n'est pas, Mesdames, dans le sens que je l'entends, une conversion parfaite ; et je n'appelle conversion parfaite (pie celle où l'âme demeure bien affermie, sans être sujette à ces incertitudes qui rendent sa foi chancelante, ni à ces retours qui l'entraînent dans ses premiers égarements, et détruisent en elle l'œuvre de Dieu. Suivant ce principe, nous pouvons dire que, s'il y a beaucoup de catholiques nouvellement convertis,

 

1 Joan.,  X, 16.

 

il y en a peu qui le soient pleinement et parfaitement; pourquoi? parce qu'il y en a peu en qui la foi ne soit encore bien faible, et dont on ne doive craindre de scandaleuses rechutes. Il est donc d'une extrême conséquence de les fortifier, et de nous les attacher si étroitement que rien ne puisse les rengager dans leurs anciennes erreurs, ni les détourner du droit chemin où la miséricorde du Seigneur les a conduits. Que faut-il pour cela? Gagner leur esprit et leur cœur : leur esprit, en leur persuadant toujours de plus en plus la vérité de notre religion ; leur cœur, en les affectionnant à cette même religion et la leur faisant aimer. Or l'un et l'autre, Mesdames, dépend de vous, et sera le fruit de votre zèle pour eux et pour tout ce qui les concerne. Voici comment : écoutez-le, s'il vous plaît.

Car je soutiens d'abord que vous ne leur ferez jamais mieux connaître la vérité de notre religion que par la charité qui s'y pratique, puisque la charité est la marque la plus certaine de la sainteté, et que la sainteté est un des plus favorables préjugés de la vérité. Je ne prétends pas néanmoins que ce soit là le seul motif de leur créance. On sait assez que toutes les hérésies ont affecté l'éclat des bonnes œuvres et d'une charité fastueuse. On sait que saint Augustin, pour cela, voulait qu'on jugeât des personnes par la foi, et non de la foi par les personnes. Mais quant aux autres motifs la charité se joint, une charité bienfaisante, une charité prévenante, une charité toujours vigilante et constante, c'est ce qui achève de déterminer les esprits et de les fixer. Aussi est-ce cette charité envers les pauvres, qui si longtemps a donné du crédit à la religion prétendue réformée. Ce n'était pas une preuve suffisante pour elle, parce que ce n'était pas une preuve entière et complète ; mais enfin cette preuve, quoique suspecte de sa part, ne laissait pas de faire impression, et de lui attirer une infinité de sectateurs. C'était un faux métal, mais qui frappait les yeux; et ces pauvres, dont vous êtes présentement chargées, n'étaient la plupart retenus que par là, et n'avaient point de plus puissante raison qui les convainquît.

Ainsi, Mesdames, pour vous conformer à leurs dispositions, il faut maintenant que vous les détrompiez de la fausse opinion où l'on s'étudiait à les élever : que de toutes les religions, il n'y avait que la protestante qui s'intéressât pour les pauvres. Il faut que vous leur fassiez voir qu'entre les autres prérogatives de la religion catholique, elle a encore celle-ci, d'être la plu

 

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compatissante et la plus miséricordieuse. On prépare des missions pour leur instruction, et je ne puis assez louer un dessein si digne du zèle apostolique. Mais du reste, il faut avant toutes choses, que vous soyez vous-mêmes leurs missionnaires: par où? par vos libéralités. Car, pour appliquer ici la parole de saint Paul : Prius quod animale, deinde quod spiritale (1), Je temporel ouvre la voie au spirituel, et c'est un dis préparatifs les plus efficaces. Voilà ce qui conciliera aux ministres du Seigneur l'attention de ces nouveaux disciples; voilà ce qui donnera de la force à leurs paroles, et ce qui appuiera leurs prédications. Quand ces pauvres, que l'Eglise a recueillis dans son sein, verront «les dames de qualité les rechercher elles-mêmes, lis visiter, les encourager, les aider, c'est ce qui les touchera. Ils concluront qu'une religion qui inspire une charité si pure, n'est point aussi affreuse que leurs ministres la leur dépeignaient.  Ils reviendront des fausses idées qu'ils en avaient conçues, et ils en prendront de plus justes et de plus vraies. Sans cela, les prédicateurs auront beau parler, toutes nos exhortations seront inutiles, et tout ce que nous dirons ne produira rien. Car, comment recevront nos discours des gens à qui nous refuserons le pain et la vie, et qui, comparant ce qu'ils sont avec ce qu'ils étaient, se trouveront parmi nous assaillis de toutes sortes de calamités, et sans espérance d'aucun soutien? Ne croiront-ils pas que leur misère est une punition du ciel; que Dieu condamne leur changement, el qu'il les en châtie? et ne penseront-ils pas à retourner en arrière, et à rompre l'engagement qu'ils avaient contracté avec nous? Dangereuse tentation contre laquelle il ne tient qu'à vous, Mesdames, de les prémunir, et illusion subtile dont vos charités les détromperont.

Il y a plus : en persuadant leurs esprits, vous gagneras leurs cœurs : car rien ne gagne plus le cœur que l'affection qu'on nous témoigne, et que le bien qu'on nous fait. Ils trouveront de la douceur dans la foi catholique, et par là ils la goûteront; elle leur deviendra chère et aimable. Tel est le moyen dont se servait le Sauveur même du monde : pour sauver les âmes, il guérissait les corps, et à peine a-t-il opéré l'un de ces miracles sans l'autre. Cela parait intéressé; mais Dieu, dont la providence est adorable, emploie tout à la vocation et au salut de ses élus. Les riches et les pauvres se

gagnent différemment: ceux-là d'une certaine manière, et ceux-ci par les dons. Mais qu'

 

1 1 Cor., XV, 46

 

importe, pourvu qu'en effet on les gagne tous, et qu'à l'exemple de notre divin Maître nous profitions des besoins des pauvres pour les acquérir à l'Eglise, et nous prévalions de leur indigence pour la gloire et les intérêts de Dieu? Moyen le plus proportionné à leur faiblesse : convertis ou non convertis, ce sont les membres de Jésus-Christ, mais les membres souffrants et languissants, qu'il faut, par conséquent ménager, et mettre en état de bien digérer la sainte nourriture qu'on leur destine. Comme pauvres, ils doivent être évangélisés : Pauperes evangelizantur (1); mais il est nécessaire, à leur égard, que l'Evangile soit accompagné d'amples largesses et d'utiles secours : moyen que vous avez entre les mains, vous, Mesdames, que Dieu a pourvues des biens de ce monde, et qui aurez là-dessus plus de comptes à lui rendre. D'où s'ensuit une décision qui vous étonnera peut-être, et qui pourra troubler vos consciences, mais dont vous serez obligées de convenir, pour peu que vous y fassiez d'attention, et que vous compreniez les principes les plus communs et les plus indubitables de la morale chrétienne. C'est par là que je finis, et c'est dans cette conclusion que je renferme tout ce qui me reste à vous représenter sur un sujet si important.

Voici donc comment je raisonne. Il est certain que les œuvres de miséricorde ne sont pas seulement de conseil, mais de précepte, dans le christianisme, puisque c'est particulièrement sur ces œuvres de miséricorde que nous devons être jugés un jour, et récompensés ou réprouvés éternellement. Il est certain que ces œuvres de miséricorde, ordonnées sous de si grièves peines, ne regardent pas seulement les besoins du corps, mais les besoins de l'âme; et même les besoins de l'âme encore plus que ceux du corps, puisque l'âme est bien plus noble que le corps. De là je conclus que ce qui suffirait pour être coupable d'un péché mortel par rapport aux besoins du corps, suffit à plus forte raison pour être également criminel par rapport aux besoins de l'âme. Si donc, comme il est évident et comme vous le reconnaissez toutes, ce serait un péché digne de la damnation, d'abandonner le pauvre dans le danger prochain de perdre la vie du corps, faute d'un secours qu'on peut lui fournir, c'est une conséquence incontestable, que ce ne  sera pas un moindre crime (je devrais dire que ce sera un crime mille fois plus grand) de l'abandonner dans le prochain danger de perdre la vie

 

1 Matth., XI, 5.

 

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de l'âme et de se pervertir, lorsqu'on peut, par une assistance salutaire, le mettre à couvert de ce malheur et l'en préserver. Or ne savez-vous pas, Mesdames, que c'est là le péril où se trouvent une infinité de pauvres à demi convertis? Je dis à demi convertis ; car, malgré toutes les démonstrations extérieures et toutes les paroles qu'ils ont données, nous ne devons pas supposer qu'à leur égard tout soit déjà fait, et nous devons plutôt supposer que tout est encore à faire. En effet, les uns, ainsi que je vous l'ai d'abord marqué, quoique convertis de bonne foi, ne sont pas néanmoins bien établis dans la grâce de leur conversion. D'autres sont dans le trouble et dans l'agitation qu'a dû leur causer un changement qui les éloigne de tout ce qu'ils avaient de plus cher, et qui les engage à une créance et à des pratiques où ils n'ont point été élevés. Quelques-uns demeurent dans une indifférence et une froideur qui ne les attache à rien ; et plusieurs enfin ne se sont soumis que par force, et catholiques au dehors, ne le sont guère dans le cœur. Jugez ce qu'il doit arriver de tous ces gens-là, si votre charité n'y remédie. Jugez si l'on peut raisonnablement espérer qu'ils aient assez de persévérance pour tenir ferme dans l'affliction et dans la disette. Ce sont des arbres transplantés : s'il n'y a point de suc dans la terre pour les nourrir, si c'est pour eux une terre sèche, y prendront-ils racine, et dès le premier orage ne seront-ils pas renversés ?

Reprenons, Mesdames : il est donc vrai que cette nombreuse multitude de nouveaux catholiques est exposée à retomber dans l'hérésie, à renoncer la foi et à se damner. Il n'est pas moins vrai que vous pouvez les arrêter sur le bord du précipice et les sauver en les cultivant, en les consolant, en les soulageant, en subvenant à leur infortune. Si vous ne le faites pas, vous en croirez-vous quittes devant Dieu ?

Hé ! Mesdames, qu'on vînt actuellement vous dire qu'à la porte de cette maison un pauvre est sur le point d'expirer par la faim qui le consume, y en a-t-il une de vous qui ne courût à l'aide et qui s'en tînt dispensée ? Or je vous avertis, moi, et vous ne pouvez l'ignorer, que des milliers de pauvres sont prêts à périr spirituellement, parce que vous les laissez périr temporellement ; et sur cela, vous vivrez tranquilles et sans scrupules ? vous penserez n'en être point comptables à Dieu ? vous ne craindrez point cette formidable menace qu'il vous fait dans l'Ecriture, aussi bien qu'à ces prêtres qu'il avait choisis pour la conduite de son peuple ? Sanquinem autem ejus de manu tua requiram (1) : Voilà des âmes dont le salut dépendait de vous. Elles m'étaient bien précieuses , puisque je les avais rachetées de mon sang ; mais les voilà perdues par votre faute. Je vous les redemande ; et si vous ne pouvez me les rendre, il faut que la vôtre m'en réponde : Sanguinem autem ejus de manu tua requiram. Oui, Mesdames, la vôtre en répondra : mais ce qui doit être aussi pour vous d'une consolation infinie, c'est qu'autant d'âmes que vous conserverez à Dieu, autant mettrez-vous le salut de la vôtre en sûreté : autant Dieu la comblera-t-il de grâces en cette vie, et de gloire dans l'éternité bienheureuse que je vous souhaite, etc,

 

1 Ezech., III, 20.

 

 

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