EXHORTATIONS CHARITÉ III

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EXHORTATION SUR LA CHARITÉ ENVERS LES PRISONNIERS.

ANALYSE.

 

Sujet. L'Esprit du Seigneur s'est reposé sur moi : c'est pour cela qu'il m'a envoyé prêcher l'Evangile aux pauvres, consoler ceux qui sont dans l'affliction, et annoncer aux captifs leur délivrance.

 

Ces pauvres, ces affligés, ces captifs, ce sont les prisonniers, que les prédicateurs sont chargés de recommander à la charité des fidèles.

 

Division. Assister les prisonniers, c'est un des plus excellents actes de la charité chrétienne : comment cela? Parce que c'est Jésus-Christ qui nous en a donné l'exemple : première partie; parce que c'est Jésus-Christ qui en a fait le commandement: deuxième partie ; parce que, en soi, c'est un des moyens les plus efficaces de sanctification et de salut : troisième partie.

Première partie. C'est Jésus-Christ qui nous en a donné l'exemple : et où? dans tous les mystères de sa vie. Dans son incarnation, il est descendu sur la terre pour sauver des esclaves. Dans sa prédication, il est venu nous annoncer notre liberté. Dans sa passion, il a versé son sang pour nous racheter. Dans sa résurrection, il est allé visiter des captifs qui l'attendaient et qui soupiraient après lui. Dans son ascension, il a emmené avec lui cette troupe d'élus qu'il avait tirés des limbes, et les a mis en possession de sa gloire.

Récapitulation et application de tous ces exemples.

Deuxième partie. C'est Jésus-Christ qui nous en a fait le commandement : car c'est lui qui nous a fait le commandement de la charité, et de cette charité particulière. D'où vient que, dans l'arrêt qu'il prononcera un jour contre les réprouvés, il marquera ce point : J'étais en prison, et vous ne m'avez pas visité.

Il est vrai que cette obligation est renfermée dans le précepte général de l'aumône; mais ce précepte de l'aumône est fondé sur les besoins et les misères du prochain. Par conséquent, où les misères sont plus grandes, l'obligation est plus étroite : or, y a-t-il une misère pareille à celle des prisonniers?

Troisième partie. C'est en soi un des moyens les plus efficaces de la sanctification et du salut. Outre le mérite de la charité et les bénédictions qu'elle attire de la part du ciel, pour peu qu'on fasse de réflexion aux objets qu'on a devant les yeux en visitant les prisons, on apprend à craindre Dieu, à redouter sa justice et ses jugements, à expier le péché qui en est le sujet, et à s'en préserver.

 

Spiritus Domini super me : propter quod evangelisare pauperibus misit me, sanare contritos corde, prœdicare captivis remissionem.

 

L'esprit du Seigneur s'est reposé sur moi : c'est pour cela qu'il m'a envoyé prêcher l'Evangile aux pauvres, consoler ceux qui sont dans l'affliction, et annoncer aux captifs leur délivrance. (Saint Luc, chap. IV, 18.)

 

Ce sont, Mesdames, les paroles du Prophète Isaïe, et celles de toute l'Ecriture, qui me semblent convenir plus naturellement au sujet que je dois traiter aujourd'hui devant vous. Paroles qui, dans le sens littéral, regardent la sacrée personne de Jésus-Christ, sur qui le Saint-Esprit s'est reposé avec toute la plénitude de ses dons ; aussi Jésus-Christ lui-même se les est-il appliquées, et nous a-t-il déclaré que c'étaient en lui qu'elles avaient eu leur accomplissement : mais paroles qui, par proportion , peuvent s'entendre des prédicateurs de l'Evangile, puisqu'en vertu de la mission qu'ils reçoivent de l'Eglise, l'Esprit de Dieu leur est communiqué, et puisque la foi même nous enseigne que c'est ce divin Esprit qui parle dans eux et par eux : Non estis vos qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri qui loquitur in vobis (1). Je puis donc, en cette qualité, vous dire que l'Esprit du Seigneur m'a conduit

 

1 Matth., X, 20.

 

ici pour prêcher l'Evangile aux riches en faveur des pauvres ; que j'y viens pour la consolation de tant d'affligés, qui ont Je cœur rempli d'amertume, et qui passent leurs jours dans la douleur ; que je suis chargé d'apprendre aux captifs et aux prisonniers l'heureuse nouvelle, que leurs peines vont être soulagées, non-seulement par votre charité et par les secours temporels que vous leur apportez, mais par les grâces abondantes que Dieu leur accordera, si, touchés de l'esprit de pénitence, ils veulent avant toutes choses se convertir et rompre les liens qui les attachent au péché : Spiritus Domini super me ; evangelizare pauperibus misit me; sanare contritos corde; prœdicare captivis remissionem. Quoiqu'il en soit, Mesdames, de ces prisonniers et de leur conversion à Dieu, votre devoir est de les assister; et c'est à quoi vous engagent trois puissants motifs ; l'un tiré de l'exemple de Jésus-Christ ; l'autre du précepte de Jésus-Christ ; et le dernier, des avantages qui y sont attachés. Assister les prisonniers, et leur porter dans leur infortune l'aide nécessaire, c'est un des plus excellents actes de la charité chrétienne : comment cela? parce que c'est Jésus-Christ qui

 

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nous en a donné l'exemple, parce que c'est Jésus-Christ qui nous en a fait le commandement, et parce qu'en soi c'est un des moyens les plus efficaces de sanctification et de salut. Voilà en trois points tout le partage de cet entretien.

 

PREMIÈRE   PARTIE.

 

C'a toujours été la maxime de Jésus-Christ, de pratiquer et de faire, avant que d'enseigner et d'instruire : et pour appliquer cette règle générale au point particulier que j'ai présentement à établir, je dis que le soin d'assister les prisonniers, et de contribuer au soulagement de leurs peines, est un des plus sensibles exemples (pie cet Homme-Dieu nous ait donnes ; je dis que, pour nous exciter fortement à (flic charité, il a voulu la consacrer dans sa personne ; je dis que tous les mystères de sa rie nous prêchent cette charité, et qu'il n'y en a pas un qui n'ait une grâce singulière pour nous l'inspirer.

Oui, Mesdames, tous les mystères de la vie de Jésus-Christ, non-seulement de sa vie souf-frante, mais de sa vie glorieuse, c'est-à-dire son incarnation, sa prédication, sa passion, sa résurrection, son ascension, tout cela, si nous voulons consulter notre foi, et en tirer les conséquences pratiques qui se présentent d'elles-mêmes, sont autant de raisons fortes et pressantes pour ne pas délaisser ceux de vos frères que vous savez être détenus, et languir dans une triste captivité- Vous m'en demandez la preuve, et la voici dans une courte induction de tous les états où l'Evangile vous fait considérer ce Dieu Sauveur. Son incarnation : car qu'est-ce que cette incarnation divine, sinon le mystère d'un Dieu descendu sur la terre pour sauver des esclaves ; d'un Dieu sensible à nos misères, et revêtu de notre chair pour briser nos fers et nous procurer la plus heureuse liberté? Voilà pourquoi il est sorti du sein de son Père. Si nous n'eussions pas été captifs, il n'eût pas été nécessaire qu'il se réduisît lui-même dans la dépendance et dans l'esclavage, pour nous délivrer. Sa prédication : qu’est-il venu annoncer au monde ? l'Evangile: et qu'est-ce que l'Evangile? cette bonne nouvelle qu'il nous a apportée de notre prochaine délivrance. C'est pour cela qu'il a été envoyé, et tel est le salut où il nous a appelés. Sa passion : n'est-ce pas pour nous racheter qu'il a sacrifié sa vie et qu'il est mort? De là vient que cette douloureuse passion est par excellence le mystère de notre rédemption : car c'est lui, dit saint Paul, c'est par sa croix et par les mérites de son sang qu'il nous a arrachés de la puissance des ténèbres : Qui nos eripuit de potestate tenebrarum (1). Sa résurrection : une des circonstances les  plus remarquables de cette résurrection toute miraculeuse, ce fut sa descente aux enfers, lorsqu'il alla visiter cette multitude innombrable de saintes âmes qui l'attendaient comme leur libérateur. Car c'est ainsi qu'en parle l'apôtre des Gentils, quand il dit que la première démarche de ce Dieu vainqueur de la mort fut d'entrer, couvert de gloire, dans cette obscure prison où tant de prédestinés soupiraient après lui, parce que c'était lui qui devait les retirer de ce lieu d'exil, et les mettre en possession de leur éternelle béatitude. Enfin, sa triomphante ascension : je dis triomphante, puisque ce retour au ciel fut un vrai triomphe,  mais  bien  différent  de ces vains triomphes dont l'antiquité honorait les conquérants. Ceux-ci traînaient après eux des nations ruinées, désolées, soumises au joug : et dans son triomphe, de qui ce Rédempteur, ce divin conquérant,  était-il suivi? de ces troupes d'élus qu'il avait comblés de joie par sa présence, qu'il avait dégagés et comme élargis par un effort de sa toute-puissance, à qui il avait ouvert les portes de leur céleste patrie, et qu'il conduisait à ce bienheureux terme, pour y jouir d'une pleine félicité. Après avoir sauvé les hommes, il avait droit, ce semble, de ne plus penser qu'à se glorifier lui-même ; après être mort pour nous, il avait droit de ne plus vivre que pour lui : mais sa charité ne put consentir à ce partage. Il ne voulut pas que le souverain pouvoir qu'il avait reçu de son Père ne servît désormais qu'à son propre bonheur et à sa propre élévation , mais il l'employa, et le mit tout entier en œuvre pour ces âmes souffrantes : Ascendens in altum, captivant duxit captivitatem (1).

Or, je le répète, Mesdames, tous ces mystères sont pour vous autant d'exemples, et tous ces exemples autant de leçons. C'est là-dessus, comme sur tout le reste, et même encore plus que sur mille autres choses où souvent vous bornez votre dévotion, que notre adorable Maître vous prescrit la même règle qu'il prescrivait à ses apôtres. C'est là-dessus qu'il vous dit : Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, et vos faciatis (3) ; Faites ce que j'ai fait, et que votre charité, selon qu'il est possible, réponde à ma miséricorde. Voyez donc, Mesdames, quelle application vous en devez faire

 

1 Colos., 1, 13.— 2 Ephes., IV, 8. — 3 Joan., XIII, 15.

 

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à votre conduite envers les prisonniers, et reprenons par ordre tout ce que je viens de vous retracer devant les yeux, comme le modèle le plus parfait que je puisse vous proposer. Suivez-moi.

Pour délivrer les captifs, ce Sauveur des hommes s'est fait homme. Il n'a pas attendu qu'ils le prévinssent, ni qu'ils l'appelassent à leur secours : il a connu leur malheur, et il est venu à eux ; il a demeuré parmi eux, il a pris sur lui toutes leurs misères, et les a partagées avec eux. Pouvez-vous ignorer combien de malheureux gémissent dans les prisons, et y sont étroitement resserrés? Il ne leur est pas libre d'aller vous représenter leur état; mais vous croyez-vous dispensées d'aller vous-mêmes vous en instruire? Si vous en aviez une fois été témoins, j'ose répondre qu'il n'y a point de cœur si insensible qui n'en fût ému. On vous en parle, il est vrai ; on emploie, à vous en donner une idée juste et capable de toucher vos âmes, toute la force de la divine parole et tous les traits de l'éloquence chrétienne : mais autre chose est d'entendre, et autre de voir. Comme Jésus-Christ est descendu pour nous dans cette vallée de larmes où le péché nous avait réduits sous la plus dure servitude, descendez, Mesdames, descendez dans ces antres profonds où la justice  des  hommes exerce toute sa rigueur. Tâchez de percer les ombres de ces noires demeures. Ouvrez les yeux, et démêlez, si vous le pouvez, au travers de ces affreuses ténèbres, un misérable accablé sous le poids de ses fers, et vous présentant dans toute sa figure l'image de la mort. Un regard fera plus d'impression que tous les discours : et dès que vous aurez vu (permettez-moi de m'exprimer ainsi), vous serez vaincues.

Pour sauver des captifs, et pour leur faire accepter la grâce qu'il leur annonçait, ce Dieu-Homme, leur législateur et leur réparateur, a parcouru les campagnes,  les solitudes, les bourgades, les villes. Tel était le sujet de sa mission, et c'est pour ce glorieux ministère qu'il avait été spécialement consacré par l'onction du Saint-Esprit. Sans autre caractère que celui de chrétiennes, vous avez toutes une mission, non pour enseigner, ni pour prêcher, mais pour assister et pour soulager. Comme chrétiennes, Dieu vous a choisies; et si vous êtes fidèles à votre vocation, vous avez des talents dont les prisonniers peuvent profiter : le talent de les fortifier dans leurs ennuis, dans leurs frayeurs, dans leurs désespoirs; le talent de leur ménager certaines douceurs, et de leur rendre au moins leurs maux plus supportables; le talent même de leur inspirer des sentiments de religion, de soumission, de patience : talents ordinaires et communs, mais talents quelquefois singuliers dans des personnes qui pourraient en faire un meilleur usage, et qui ne les ont pas reçus de l'auteur de la nature pour les laisser inutiles et sans fruit. C'est sur quoi elles se trouveront peut-être plus criminelles qu'elles ne pensent au jugement de Dieu.

Pour racheter des captifs, un Dieu s'est livré lui-même, il a versé son sang et donné sa vie. De là, que conclut saint Jean ? je pourrais le conclure comme lui, Mesdames; et cette conséquence, qui sans doute vous surprendra, n'a rien néanmoins qui dût vous étonner, si vous étiez bien remplies et bien animées de l'esprit de votre foi. Car nous avons connu la charité de notre Dieu, dit ce bien-aimé disciple, en ce qu'il s'est immolé jusqu'à perdre la vie pour nous : In hoc cognovimus charitatem Dei, quoniam ille animam suam pro nobis posuit (1). Et que s'ensuit-il de ce principe? ajoute le même apôtre. C'est que nous devons être près nous-mêmes à mourir pour nos frères, et à les aider aux dépens de notre vie : Et nos debemus pro fratibus animas ponere (2). Or est-ce là ce qu'on vous demande ? et si je vous parle d'exercer la miséricorde dans des prisons et dans des cachots, veux-je vous dire d'y porter tous vos biens et de vous en dépouiller? s'agit-il d'y employer tout votre temps et d'y consumer vos jours ? Quand je le prétendrais de la sorte, serait-ce plus exiger de vous qu'il n'est marqué dans les paroles du saint disciple? serait-ce plus que n'ont fait tant de saintes dames, qui semblaient n'avoir sur la terre d'autre retraite que ces sombres demeures, ni d'autre occupation que les œuvres de charité qu'elles y pratiquaient? serait-ce plus que ne font encore de nos jours des hommes de Dieu, des hommes capables, ou par leur naissance,  ou par leur mérite personnel, de se distinguer et de paraître ailleurs avec honneur; mais que nous savons, depuis les vingt et les trente années, se rendre en quelque manière par leur assiduité plus prisonniers que les prisonniers mêmes; vivant au milieu d'eux, traitant sans cesse avec eux; ne quittant les uns que pour se transporter auprès des autres, leur tenant lieu à tous de pères, de tuteurs, de patrons, d'amis, de confidents, d'agents, surtout d'apôtres et de maîtres en Jésus-Christ? Ah ! Mesdames, vous voyez assez qu'il n'est point ici question de tout cela, et que

 

1 Joan., III, 16. — 2 Ibid.

 

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tout cela est bien au-dessus de ce qu'on vous propose. Car qu'est-ce qu'on attend de vous, et qu'est-ce que je voudrais obtenir en faveur de ces infortunés dont je prends aujourd'hui les intérêts, et pour qui je fais auprès de vous la fonction d'avocat et de prédicateur ? à quoi viens-je vous exhorter? A ce qui vous est très-facile, à ce qui vous coûtera très-peu, à ce qui ne vous retranchera de votre état que certaines inutilités, que certaines superfluités, que certains excès ; à ce qui n'altérera ni vos forces, ni votre santé ; à ce qui ne vous sera, dans le système de votre vie, de nulle incommodité, ou que d'une très-légère incommodité ; à quelques aumônes, à quelques dépenses, à quelques contributions que vous tirerez, non de votre nécessaire, mais de votre jeu, mais de votre luxe et de vos mondanités. Y a-t-il rien là que vous puissiez refuser à votre Dieu, qui vous le demande pour les pauvres, après qu'il vous a fait le plein sacrifice de lui-même sur une croix ?

Pour consoler les captifs, il les est allé trouver dans les abîmes de la terre. Il y a employé les premiers moments de sa vie glorieuse, et vous y devez employer tout le cours de votre vie pénitente. Comprenez ceci. Ou vous êtes déjà ressuscitées par la grâce de la pénitence, ou vous êtes encore dans l'état du péché. Etes-vous encore criminelles et pécheresses ? par là vous vous disposerez à cette résurrection spirituelle qui vous réconciliera avec Dieu, et vous fera vivre en Dieu de la vie des justes; par là vous engagerez Dieu à vous accorder des grâces de conversion, et des grâces fortes et victorieuses; car les œuvres de la miséricorde chrétienne sont la plus sûre et la plus infaillible ressource des pécheurs. Etes-vous heureusement et saintement ressuscitées? vous avez à réparer le passé; et par là vous satisferez à la justice divine : vous avez à vous conserver et à persévérer; et parla vous vous maintiendrez, et vous vous préserverez des rechutes : vous avez des progrès à faire ; et par là vous vous enrichirez devant Dieu, vous acquerrez des mérites, vous vous élèverez, vous vous conformerez au sacré modèle de votre perfection, qui est Jésus-Christ dans l'état de sa gloire.

Enfin, pour glorifier des captifs et pour remplir leurs vœux, il les a conduits avec lui dans son royaume. L'éclat de son triomphe ne lui a point fait oublier des âmes qui l'avaient si longtemps désiré. Il a voulu qu'elles fussent placées auprès de lui, et qu'elles y goûtassent dans le séjour de la félicité le même repos, la même joie, le même bonheur : Intra in gaudium Domini tui (1). On ne vous envie point, Mesdames, votre opulence, vos prospérités, vos grandeurs. Jouissez-en, puisqu'il a plu au ciel de vous en gratifier. Il a ses vues dans cette diversité de conditions : et pourvu que vous ne vous écartiez point de ses vues, vous pouvez du reste, avec toute la modération convenable, user de ses faveurs et vous servir de ses dons. Mais au milieu de vos prospérités, serez-vous seules heureuses en ce monde? aurez-vous seules toutes vos commodités et toutes vos aises? et ce que le Prophète disait aux riches de Jérusalem, ne puis-je pas vous le dire à vous-mêmes : Numquid habitabitis vos soli m medio terrœ (2)? N'y aura-t-il sur la terre de maisons habitables que pour vous? les campagnes ne rapporteront-elles que pour vous ? ne fera-t-on la moisson et ne recueillera-t-on les fruits que pour vous? Contentes d'avoir tout en abondance , et d'être à couvert de toutes les calamités temporelles, ne jetterez-vous point un regard de pitié sur ceux que l'indigence réduit aux dernières nécessités? Croyez-vous que Dieu les ait tellement abandonnés aux caprices du sort et à leur destinée malheureuse, qu'il n'en ait commis le soin à personne ? Mais ne vous y trompez pas : il y a une Providence qui veille sur eux ; et, en leur manquant dans leurs besoins, c'est à cette Providence que vous manquez; doublement coupables alors, et de ne pas suivre l'exemple de Jésus-Christ, et de violer encore le précepte de Jésus-Christ, comme je vais vous le montrer dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Il y a, Mesdames, dans le christianisme des pratiques , lesquelles quoique saintes, ne sont néanmoins que de l'institution des hommes : nous les devons louer, parce qu'elles sont saintes ; et bien qu'elles ne soient que de l'institution des hommes, nous devons croire qu'elles leur ont été inspirées de Dieu, puisqu'il n'y a que l'esprit de Dieu qui puisse suggérer à l'homme les exercices d'une vraie et solide piété. Il y a des pratiques que l'Eglise approuve, qu'elle autorise, qu'elle établit ; et dès qu'elles ont été établies par l'Eglise, nous les devons respecter, puisqu'il n'y a que l'esprit d'erreur, de schisme, d'hérésie, qui puisse censurer, mépriser et rejeter ce que l'Eglise permet, beaucoup plus ce qu'elle appuie de son

 

1 Matth., XXV, 21. — 2 Isa., V, 8.

 

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autorité et ce qu'elle observe dans tout le monde chrétien. Mais ces pratiques de l'Eglise nous sont venues, après tout, par le ministère des hommes; nous les avons reçues des hommes, et nous en reconnaissons les hommes pour auteurs. Il n'en est pas de même de la charité à l'égard des prisonniers. C'est Jésus-Christ lui-même qui nous l'a expressément recommandée ; c'est lui qui l'a consacrée dans son Evangile, et qui en a fait un point de sa loi.

Je dis un point de sa loi, un point particulier, un point non-seulement de perfection, mais d'obligation ; et c'est à quoi ne pensent guère la plupart des personnes même les plus régulières et les plus vertueuses. Si l'on est négligent sur cet article, on n'en a pas le moindre remords de conscience, parce qu'on ne le regarde pas comme un devoir. Si l'on y satisfait, on se flatte que c'est par une surabondance de zèle et de ferveur, parce qu'on ne le considère que comme une œuvre de subrogation. Or, c'est toutefois une obligation que vous ne pouvez, ou du moins que vous ne devez pas ignorer, après que le Fils de Dieu nous l'a marquée en des termes si précis et si formels. Dire donc, ainsi que nous l'entendons dire tous les jours : Chacun a sa dévotion, mais la mienne n'est pas pour les prisonniers ; c'est un sentiment peu chrétien, ou plutôt c'est un sentiment directement opposé à l'esprit du christianisme. Car il ne vous est pas libre d'avoir cette dévotion, ou de ne l'avoir pas. Il faut l'avoir, si vous voulez être chrétiennes. Ce n'est pas une dévotion qui soit à votre choix, ni d'une simple volonté : elle est de nécessité, et elle vous doit être en ce sens d'autant plus vénérable, qu'elle est du choix de Jésus-Christ. En d'autres sujets, vous pouvez suivre l'attrait que vous sentez; mais entre les dévotions qui sont de l'ordre de Dieu, il ne dépend pas de vous de choisir celles qui se trouvent plus conformes à votre inclination, celles qui vous plaisent davantage, celles dont vous êtes plus sensiblement touchées. L'obligation est égale pour toutes : et quand vous y êtes fidèles, vous n'avez pas droit de vous glorifier comme ayant fait quelque chose au delà du précepte, mais vous devez vous traiter de servantes inutiles, comme n'ayant fait que ce que vous avez dû faire.

Devoir, prenez garde, s'il vous plaît, devoir si indispensable, que c'est un des préceptes dont Jésus-Christ a fait dépendre le salut ou la damnation, la prédestination éternelle ou la réprobation des hommes. Leur prédestination ; car il dira aux élus : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père, parce que j'étais en prison, et que vous m'avez visité. Leur réprobation ; car s'élevant contre les impies, il leur dira : Retirez-vous, maudits, et allez au feu éternel, parce que je souffrais dans la captivité, et que vous m'y avez laissé sans secours et sans consolation. Or, comme remarque saint Chrysostome, quand le Fils de Dieu nous a avertis qu'il en userait de la sorte envers les uns et les autres, n'était-ce pas pour nous faire connaître que le soin des prisonniers n'est pas une œuvre de pure piété, mais que c'est un commandement? Quoi donc ! demande saint Augustin, est-il vrai que le bonheur éternel d'un chrétien soit attaché à ce seul devoir ? Et ne peut-il pas arriver qu'un chrétien, après avoir accompli ce devoir, vienne encore à être du nombre des réprouvés? C'est une objection que se fait ce saint docteur, et dont il ne sera pas inutile que je vous donne ici l'éclaircissement, le jugeant même nécessaire pour votre instruction. Je conviens que la prédestination ne dépendra pas uniquement des œuvres de miséricorde à l'égard des prisonniers ; je conviens qu'il y en faut bien ajouter d'autres; je confesse même et je reconnais qu'absolument un chrétien, avec toutes ces œuvres de charité, peut mourir dans la disgrâce de Dieu. D'où vient donc que Dieu, dans l'arrêt favorable qu'il prononcera aux prédestinés et aux élus, se contentera de leur dire : Venez, parce que j'étais pauvre, que j'étais en prison, et que vous m'avez assisté? Ah ! mes Frères, répond saint Augustin, c'est que, selon le cours ordinaire de la Providence, les Chrétiens charitables ne tombent jamais dans cet affreux malheur d'une mort criminelle et impénitente; c'est que Dieu ne permet pas qu'ils soient surpris dans leur péché, ni enlevés avant que de s'être mis en état d'éprouver ses miséricordes et de recevoir ses récompenses. Il a ses voies pour cela; il a ses ressorts qu'il fait agir : au lieu qu'il abandonne ces âmes impitoyables, que la misère du prochain n'a pu fléchir, et qui ne se sont jamais attendries que pour elles-mêmes.

Quoiqu'il en soit, l'obligation de secourir les prisonniers est incontestable, puisque c'est un des points essentiels sur quoi nous serons jugés de Dieu. Je sais, Mesdames, que ce précepte est enfermé dans celui de l'aumône ; mais je prétends que de tous les préceptes particuliers compris dans le précepte général de l'aumône, celui-ci est d'un devoir plus rigoureux, plus pressant, plus absolu. Concevez-en bien la raison : c'est que le précepte de la charité

 

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envers les pauvres est fondé sur leurs besoins et sur leur misère. Par conséquent, où il y a plus de besoin et où la misère est plus grande, la charité doit plus s'exercer, et l'obligation en est plus expresse et plus étroite. Or y a-t-il une misère pareille à celle de ces prisonniers ? Ce sont les plus malheureux des hommes, puisqu'ils ont perdu le premier de tous les biens, qui est la liberté. Vous me direz qu'ils ont mérité de la perdre ; et moi, je vous dis, avec saint Chrysostome , que, cela même supposé, c'est ce qui redoublerait encore leur malheur d'avoir perdu le plus précieux de tous les biens, et de l'avoir perdu par leur faute. Mais je dis plus, et j'ajoute qu'il n'est pas vrai qu'ils l'aient tous perdu par leur faute, ce bien dont on est si jaloux dans toutes les conditions, et dont on fait en cette vie le souverain bonheur. Car combien y en a-t-il parmi eux qui n'en sont privés que par un pur revers de fortune? Combien y en a-t-il dont les dettes et la ruine n'ont été nullement l'effet ni de leur mauvaise conduite ni de leur mauvaise foi, mais d'un événement et d'une occasion qu'ils n'ont pu éviter? Sans y avoir en rien contribué , ils en portent toute la peine. Or que peut-on imaginer de plus déplorable et de plus digne de compassion ? Figurez-vous qu'un accident imprévu vous a réduites dans la même disgrâce : que penseriez-vous de ceux qui, se trouvant en pouvoir de vous relever, ou du moins d'adoucir vos chagrins et de les diminuer, vous en laisseraient porter tout le poids et ressentir toute l'amertume? Quelles plaintes en feriez-vous? de quelles duretés les accuseriez-vous ? quelle justice en demanderiez-vous au ciel? et dans vos transports, de quelles malédictions peut-être les frapperiez-vous ? Ce n'est pas assez : combien même parmi ces malheureux sont arrêtés pour des crimes qu'on leur impute, mais qu'ils n'ont pas commis, et attendent que leur innocence soit reconnue ? Cependant, que ne souffrent-ils point? Ils se voient traités comme des criminels, méprisés, déshonorés, resserrés dans une prison, qui seule leur tient lieu de supplice. Que comprenez-vous de plus désolant ? et si vous pouviez les distinguer et les connaître, que leur refuseriez-vous ? Or il vous doit suffire de savoir qu'il y en a de tels, comme en effet il y en a presque toujours. Mais je veux enfin qu'ils soient coupables ; et j'en reviens à la pensée de saint Chrysostome, que s'ils sont indignes de la liberté, ils n'en sont, par cette indignité même, que plus misérables. Les innocents ont le témoignage de leur conscience pour   les soutenir ; mais ceux-ci dans leur propre cœur ont un bourreau domestique qui ne cesse point de les  tourmenter. Dans l'attente d'un jugement dont ils ne peuvent se défendre, et dont ils prévoient toute la rigueur, durant ces journées et ces nuits où, séparés de toute société et de tout commerce, ils n'ont, dans l'horreur des ténèbres, qu'eux-mêmes   avec qui   raisonner, qu'eux-mêmes de qui prendre conseil, quelles réflexions les agitent ! quelles vues de la mort, et d'une vie ignominieuse, d'une mort violente et douloureuse ! que d'idées lugubres ! que d'images effrayantes et désespérantes! ajoutez à ces tourments de l'esprit les souffrances du corps : un cachot infect  pour demeure,  un pain grossier et mesuré  pour nourriture, la paille pour lit. Ah! Mesdames, y a-t-il de l'humanité à ne leur pas donner dans ces extrémités les faibles soulagements dont  ils sont encore capables? Pour être criminels, ne sont-ce pas toujours des hommes ? Chez les païens mêmes et chez les nations les plus féroces, on ne les abandonnerait pas ; et n'est-il pas honteux que la charité chrétienne trouve en nous des cœurs moins compatissants et moins tendres qu'elle n'en a trouvé dans des infidèles?

Outre ces prisonniers, il y a d'autres pauvres ; mais ces pauvres, ou retirés dans des maisons publiques et dans des hôpitaux, ont des personnes auprès d'eux, dont toute la profession et tout l'emploi est de les servir : ou, maîtres d'eux-mêmes et de leur liberté, peuvent travailler, peuvent  mendier, peuvent   chercher leur vie, peuvent, à vos portes, en vous représentant leur misère, forcer, pour ainsi dire, malgré vous, votre miséricorde. Il n'y a que les prisonniers  qui manquent de toutes ces ressources. Il semble que ce soient comme les morts du siècle : Inter mortuos sœculi (1) ; il semble que ce soient des excommuniés, qui ne peuvent paraître en aucun lieu, et dont tout le monde doit s'éloigner : Posuerunt me abominationem sibi (2). Or en cet état, Mesdames, je soutiens que vous êtes d'autant plus obligées de les aider, qu'ils sont plus dépourvus des moyens ordinaires pour s'aider eux-mêmes, et je reprends mon raisonnement. Car la loi de Jésus-Christ vous oblige à prendre soin des pauvres; et plus ces affligés sont affligés, plus cette obligation croît, et plus elle devient parti, culière. Point de pauvres plus pauvres que ceux dont je vous recommande les intérêts, et point d'affligés plus affligés. Tirez vous-mêmes

 

1 Psal., CXLII, 3. — 2 Ibid. , LXXXVII, 9.

 

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la conséquence, et instruisez-vous. Je puis dire, Mesdames, que dans la prison vous trouverez toutes les sortes de misères dont le Fils de Dieu fera le dénombrement au jour de ses vengeances éternelles. Venez et voyez : dans ce triste séjour vous trouverez, non-seulement la captivité et l'esclavage, mais la faim, mais la soif, mais la nudité, mais la maladie et l'infirmité, mais toutes les calamités de la vie ; tellement que de négliger ces misérables et de les délaisser, ce serait vous exposer à entendre contre vous, de la bouche de Jésus-Christ, tous les reproches qu'il doit faire aux réprouvés. Il ne vous dirait pas seulement. J'étais prisonnier, et vous ne vous êtes pas mises en peine de me visiter; mais il vous dirait : J'étais dévoré de la faim, et vous ne m'avez pas donné à manger : Esurivi, et non dedistis mihi manducare (1) ; mais il vous dirait : J'étais pressé de la soif, et vous ne m'avez pas donné à boire : Sitivi, et non dedistis mihi potum (2); mais il vous dirait : J'étais nu, et vous ne m'avez pas donné de quoi me vêtir : Nudus, et non cooperuistis me (3); mais il vous dirait : J'étais malade et infirme, et vous ne m'êtes pas venues voir : Infirmus, et non visitastis me (4). Il vous le dirait, Mesdames ; et qu'auriez-vous à répondre? Je conçois que d'autres pourraient s'excuser sur le mauvais ordre de leurs affaires, ayant à peine ce qui leur est nécessaire dans leur condition. Mais en vérité, cette excuse serait-elle recevable de votre part? Jugez-vous de bonne foi vous-mêmes; et sans qu'il soit besoin que j'entre avec vous en des discussions et en des questions où vous aurez toujours des prétextes pour vous justifier devant les hommes, quand vous en voudrez avoir, ne vous flattez point, et faites-vous justice devant Dieu. N'avez-vous pas des biens, n'avez-vous pas du crédit, n'avez-vous pas du loisir plus qu'il ne faut, pour vous employer utilement à cet exercice de charité que je vous propose, et dont vous ne pouvez ignorer l'importance? Il ne sera pas seulement profitable à ceux que vous soulagerez : mais il me reste à vous montrer combien il vous peut être salutaire à vous-mêmes par les avantages qui y sont attachés : c'est la troisième partie.

 

TROISIÈME  PARTIE.

 

Quand je dis, Mesdames, que la miséricorde envers les prisonniers, que le soin de les assister et de les visiter, peut être pour vous une des pratiques les plus salutaires, je ne parle point précisément du mérite que l'aumône

 

1 Matth., XXV, 35. — 2 Ibid. — 3 Ibid., 30. — 4 Ibid.

 

renferme, ni des bénédictions que Dieu s'est engagé à répandre sur vous avec plus ou moins d'abondance, selon que vous seriez plus ou moins libérales à répandre vos dons, et à faire sentir aux pauvres les effets de votre charité. Ce sont des avantages inestimables, mais si connus, et .si hautement, si souvent promis dans l'Ecriture, qu'il n'y a personne qui n'en soit instruit, et qu'il serait assez inutile de vous redire là-dessus ce que les prédicateurs vous ont déjà fait tant de fois entendre. Sans donc m'arrêter à une instruction si vague et si générale, voici quelque chose de plus particulier, et qui peut infiniment contribuer à l'édification de vos mœurs; car pour peu que vous fassiez de réflexions en visitant les prisons, c'est là que vous apprendrez à craindre Dieu, à redouter sa justice et ses jugements, à expier le péché qui en est le sujet, et à vous en préserver. Entrez, s'il vous plaît, dans ma pensée, qui vous paraîtra également solide et sensible.

David souhaitait que les hommes, dès cette vie, pussent descendre dans les enfers, pour y être eux-mêmes témoins des affreux jugements que Dieu y exerce: Descendant in infernum viventes (1). C'était le souhait du Prophète, mais du reste un souhait impossible dans l'exécution, et selon les voies communes de la Providence. Car comment l'homme, sans un miracle pourrait-il pénétrer dans ces abîmes de feu ? et comment y subsisterait-il assez de temps pour examiner ce qui s'y passe, et pour en revenir touché de tout ce qui lui aurait frappé la vue ? Mais voulez-vous savoir, Mesdames, ce qui peut être en quelque manière pour vous le supplément de ce spectacle d'horreur, et vous en tracer une idée capable de faire sur vos cœurs les plus fortes impressions, pour vous ramener à Dieu, et pour vous tenir toujours soumises à la loi de Dieu? Ce sont ces prisons où la justice humaine rassemble tout ce qu'elle découvre de criminels, pour lancer sur eux ses arrêts, et pour les livrer à toute la sévérité de ses châtiments : et qu'est-ce en effet, qu'une prison ? Me sera-t-il permis de parler de la sorte? mais il me semble que je n'exagérerai point si je dis que c'est la plus vive image de l'enfer. Dans l'enfer, c'est la justice de Dieu qui se satisfait; et dans la prison, c'est la justice des hommes. Je sais combien, d'une part, il y a peu de proportion entre l'une et l'autre ; je sais que Dieu punit en Dieu, et que les hommes ne punissent qu'en hommes : mais c'est de là même que vous pouvez d'ailleurs

 

1 Psal., LIV, 16.

 

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tirer le fond d'une méditation la plus touchante , et la plus propre à vous imprimer dans l'âme une sainte et utile frayeur de ces jugement! formidables que Dieu réserve aux pécheurs, et qui feront leur réprobation éternelle.

Car à la vue de ces criminels que vous visiterez dans les prisons ; au milieu de tant d'objets dont vos cœurs seront émus, et qui vous rempliront d'une terreur secrète ; à l'entrée de ces cachots où se présenteront à vous des malheureux enchaînés, défigurés, interdits et désespérés; si vous voulez vous recueillir en vous-mêmes, et vous rendre dociles aux mouvements de la grâce, il est difficile que vous ne soyez pas frappés des considérations suivantes; ne les perdez pas de vue : qu'il est bien terrible de tomber dans les mains de Dieu, puisqu'il est si terrible de tomber dans les mains des hommes ; que si les hommes ne croient pas excéder, en condamnant à la mort et aux derniers supplices les transgresseurs des lois qu'ils ont imposées, Dieu, à plus forte raison, ne peut porter trop loin ses vengeances contre les transgresseurs de ses commandements ; que nous sommes plus coupables devant Dieu que ces prisonniers ne le sont devant les hommes, parce qu'ils n'ont commis la plupart qu'un seul crime devant les hommes, au lieu que nous sommes responsables à la justice divine de mille désordres; que si maintenant cette divine et redoutable justice suspend ses coups, et paraît même comme endormie, elle aura son temps, où elle s'éveillera, où elle éclatera, où elle nous appellera à son tribunal, où elle prononcera contre nous ses anathèmes; que la justice des hommes, quelque éclairée qu'elle soit, a besoin de longues procédures pour parvenir à la connaissances des crimes, et pour convaincre des criminels ; mais que tous nos péchés, que tous nos crimes sont connus de Dieu dans le moment même que nous les commettons, parce qu'il en est témoin ; qu'on peut fléchir la justice des hommes, mais que durant l'éternité tout entière la justice de Dieu sera toujours également inexorable; que dans ces prisons bâties par les mains des hommes, et par les ordres de la justice des hommes, cette justice humaine n'empêche pas qu'on ne procure aux criminels qu'elle poursuit quelque adoucissement ; mais que dans cette prison éternelle, bâtie de la main de Dieu, que dans ce feu allumé du souffle de Dieu, il n'y aura jamais ni consolation ni soulagement à espérer ; que ce feu dévorant ne s'éteindra jamais, et que le ver rongeur qu'on y ressent ne mourra jamais : Vermis eorum non moritur, et ignis non extinguitur  (1). De tout cela, Mesdames, et de tant d'autres réflexions que je retranche, mais qui ne manqueront pas de naître , que conclurez-vous ? Saisies d'une crainte toute chrétienne, vous vous humilierez en la présence de Dieu, vous aurez recours à sa miséricorde , vous prendrez des mesures pour prévenir sa justice et pour vous en garantir ; vous concevrez une sainte haine du péché, vous le détruirez dans vous autant qu'il vous sera possible, et par tous les moyens que la religion vous fournit ; vous vous mettrez en garde contre ses atteintes les plus légères, et vous le fuirez comme votre plus mortel ennemi : car voilà les fruits que peuvent produire les visites des prisons, et qu'il ne tiendra qu'à vous d'en retirer. Eh ! Mesdames , vous faites tant d'autres visites dans le monde , et c'est la plus commune occupation de votre vie. Qu'y apprenez-vous, et qu'en rapportez-vous ? Vous y perdez le temps, vous y offensez le prochain, vous y oubliez Dieu, vous vous y dissipez; vous y prenez tout l'esprit du siècle, toutes les maximes du siècle, tous les sentiments et toutes les manières du siècle ; vous y entretenez votre vanité, votre oisiveté ; et plaise au ciel que vous ne cherchiez pas quelquefois à y entretenir de plus funestes passions ! Plaise au ciel que ces visites si assidues et si fréquentes, que ces visites si souvent rendues et reçues sous le spécieux prétexte de bienséance, d'honnêteté, de civilité, de société, ne dégénèrent pas en des visites d'inclination et de sensualité ! Mais les visites que je vous demande , ou plutôt que Dieu vous demande, vous édifieront et vous sanctifieront.

Cependant nous avons la douleur de voir cette œuvre de charité tomber peu à peu ; et si votre zèle ne se renouvelle, nous la verrons tomber tout à fait. Dans les commencements elle s'est soutenue, parce que la ferveur y était : et d'où venait cette ferveur? De la nouveauté. L'entreprise paraissait la mieux conçue et la plus louable, chacun y donnait ; mais qu'est-il arrivé? Par un effet de l'iniquité du siècle qui croît tous les jours, la charité s'est refroidie, et chacun s'est relâché : Et quoniam abundavit davit iniquitas , refrigescet charitas multorum (2). L'inconstance qui nous est si naturelle et qui ne devrait jamais avoir de part dans les œuvres de Dieu, se mêle en celle-ci. On se

 

1 Marc, IX, 47. — 2 Matth., XXIV, 12.

 

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lasse, on se dégoûte, on se persuade qu'il y a des charités plus nécessaires. Sur cela, Mesdames, écoutez saint Augustin : c'est par où je finis. Ce Père parle de saint Laurent, et relève l'usage qu'avait fait ce charitable lévite des trésors de l'Eglise, en les distribuant aux pauvres. De se les approprier, poursuit le saint docteur, et d'en user pour soi-même, ce serait un crime ; mais de s'en servir pour les pauvres, mais surtout de s'en servir en faveur des captifs et des prisonniers, c'est une miséricorde : Sin vero pauperibus erogat, captivum redimit , misericordia est. Et en effet, qui peut trouver étrange que les pauvres vivent ? et qui peut se plaindre que des prisonniers, que des captifs soient rachetés ou du moins soulagés ? Nemo potest dicere : Cur pauper vivit ? nemo potest queri quia captivi redempti sunt. Enfin, reprend saint Augustin, c'est une œuvre si agréable à Dieu et si importante, que pour s'acquitter de ce devoir il ne faut point craindre de rompre même les vases sacrés, et de les vendre : In his vasa Ecclesiœ confringere, vendere licet. Dites après cela, Mesdames, que vous avez à faire un meilleur emploi de vos aumônes. Je ne prétends pas que les autres exercices de la charité chrétienne soient abandonnés : tous sont bons, tous sont méritoires devant Dieu ; mais entre tous, je le répète, et j'ai tâché de vous en convaincre dans ce discours, il n'en est point de plus conforme à l'esprit et aux exemples de Jésus-Christ que la charité envers les prisonniers ; il n'en est point de plus marqué , ni de plus formellement ordonné dans la loi de Jésus-Christ, et il n'en est point de plus efficace pour vous conduire au terme du salut où nous appelle Jésus-Christ, et qui est l'éternité bienheureuse, que je vous souhaite, etc.

 

 

 

 

 

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