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DÉCLAMATIONS SUR LE COLLOQUE DE SIMON AVEC JÉSUS, TIRÉES DES SERMONS DE SAINT BERNARD

AVERTISSEMENT SUR LES DÉCLAMATIONS QUI SUIVENT.

DÉCLAMATIONS SUR LE COLLOQUE DE SIMON AVEC JÉSUS, TIRÉES DES SERMONS DE SAINT BERNARD. L'ABBÉ GEOFFROI.

PROLOGUE DU RÉDACTEUR.

SENTENCES DU COLLOQUE DE SIMON AVEC JÉSUS.

§ I.

II. - Qu'il faut tout quitter.

III. - De celui qui acheta cinq jougs de bœufs.

IV. - Du multiple domaine des vices.

V. - De deux filles de la sangsue.

VI. - Des richesses des Pères de l'ancien Testament.

VII. - Comment le juif est au milieu, et saint Pierre au-dessus des eaux.

VIII. - Du remède des imparfaits.

IX. - Au péril que courent les clercs.

X. - Comment les clercs empruntent à chaque classe d'hommes ce qui leur fait plaisir.

XI. - De l'office des clercs.

XII. - Excuse sur ce que l'auteur ne dit que des choses manifestes.

XIII. - Comment les clercs entrent dans les bénéfices ecclésiastiques.

XIV. - Des bourses de Juda.

XV. - De quatre vertu.

XVI. - Comment servent les clercs pour les revenus qu'ils ont de l'Eglise.

XVII. - Comment ils dépensent les mêmes revenus.

XVIII. - De la verge et du bâton.

XIX. - Qui est l'ami du monde.

XX. - De l'impudeur.

XXI. - De la commisération cruelle.

XXII. - De la commutation de la peine de l'homme pour celle du diable.

XXIII. - Du jugement d'Abraham.

XXIV. - Comment a tout quitté, celui qui n'avait presque rien.

XXV. - De la faim qui n'est pas naturelle et qui est insatiable.

XXVI. Du circuit que font les impies.

XXVII. Qu'il faut hâter sa conversion.

XXVIII. - De trois réponses du Seigneur, à ceux qui promettaient de le suivre.

XXIX. - De la seconde régénération.

XXX. - Que le corps attende l'époque de sa régénération.

XXXI. - Que nous ne nous arrêtions point dans la route.

XXXII. - Comment à présent, nous ne sommes assis d'aucune façon.

XXXIII. - De la session imparfaite.

XXXIV. - De la session parfaite.

XXXV. - De la session du Seigneur.

XXXVI. - Des côtés de l’échelle.

XXXVII. - Des degrés de l’échelle.

XXXVIII. - De la voie orientale qui partit de la cellule du B. Benoît.

XXXIX. – Des bases de l'échelle.

XL. - Des chapiteaux.

XLI. - Du jugement.

XLII. - Des premières productions du figuier.

XLIII. - Plainte du Sauveur.

XLIV. - De l'excuse des séculiers.

XLV. - De la double promesse.

XLVI. - De l'incrédulité.

XLVII. - Du travail feint.

XLVIII. - De la noirceur et de la beauté de l'épouse.

XLIX. - Comme la pauvreté intérieure chasse au-dehors.

L. - Du ver qui ne meurt pas.

LI. - Que les choses corporelles affectent notre esprit d'une autre manière que les spirituelles.

LII. - Des trois qui sont en prison, et des trois qui sont en croix.

LIII. Que le centuple est promis sans exception.

LIV. - De ceux qui paraissent avoir tout quitté, et n'ont point reçu le centuple.

LV. - Ceux qui sont prêts à goûter les biens terrestres se privent des consolations célestes.

LVI. - Du centuple et de la vie éternelle.

LVII. Que le centuple est pris dans un sens spirituel.

LVIII. Quel est ce centuple.

LIX. - Courte exhortation.

LX. - De la vie éternelle.

AVERTISSEMENT SUR LES DÉCLAMATIONS QUI SUIVENT.

« L'auteur de cet opuscule est Geoffroi, disciple de saint Bernard, qui le forma de plusieurs pensées, tirées des sermons de ce Père, ainsi qu'il l'assure lui-même, au commencement du prologue qui vient ci-après. Car là, où les imprimés portent, » de plusieurs discours des Pères; « tous les manuscrits disent : » de plusieurs discours de notre Père. « Dans notre copie, le titre de ce livre, est conçu de cette manière : » Ici commence l'opuscule de maître Geoffroi sur les paroles du bienheureux Bernard à Henri, alors sous-Diacre de l'Eglise Romaine, plus tard, moine de Clairvaux, et ensuite cardinal, sur le texte Simon Pierre à Jésus. Le manuscrit d'Anchin, rédigé depuis quatre cents ans, porte : « Livre de la lecture du passage de l'Evangile : » Voici que nous avons tout quitté, formé des paroles de Bernard, Abbé de Clairvaux. « Dans le manuscrit du Vatican n° 658, écrit pour Nicolas V, il porte ce titre : » Du colloque de Simon et de Jésus, à Henri, sous-Diacre de l'Eglise Romaine, qui, ensuite moine de Clairvaux , devint abbé du Monastère de St Anastase, dans Rome « et à la fin : » Ici finit le livre du bienheureux Bernard. « Le manuscrit, plus ancien de Lucenay, porte : » Ici commencent les petits chapitres de l'opuscule que fit l'abbé d'Igny à Henri, etc. « Enfin, le manuscrit de Clairvaux et de la bibliothèque royale de Navarre, portent le nom de Geoffroi, et nullement celui de Bernard. Par où on voit, ce qui résulte encore d'autres manuscrits, que les uns avaient jadis attribué ce livre à Geoffroi, et les autres, à saint Bernard. Parmi ceux qui sont de ce dernier sentiment, se trouve Guillaume, abbé de Tournai qui, dans son Bernardin ou livre de fleurs cueillies dans les écrits de ce saint Docteur, vante, en plusieurs rencontres; le livre du colloque de Simon et de Jésus, comme composé par saint Bernard. » Ces deux sentiments sont fondés. Cet opuscule est de saint Bernard, comme son auteur, et de Geoffroi, comme son rédacteur. C'est lui qui réunit, en un corps d'ouvrage, les divers discours que saint Bernard prononça sur l'entretien de Simon avec Jésus-Christ, les recueillant à mesure qu'ils tombaient des lèvres du saint Abbé. C'était alors l'usage de recueillir les discours, à mesure qu'ils étaient prononcés, ce qui a été fait non-seulement pour saint Bernard comme on le sait de ses sermons sur les Cantiques et autres, mais encore pour plusieurs autres, par exemple, pour l'abbé Guerric, comme nous le verrons.

2. Geoffroi doit être donc regardé, non comme l'auteur, mais bien comme le rédacteur de ce livre. Mais il existe plusieurs moines de Clairvaux portant ce nom. Le manuscrit de Lucenay l'appelle l'abbé d'Igny. Ce Geoffroi est donc celui qui fut d'abord le secrétaire de saint Bernard, qui, après Guerric, fut abbé d'Igny et de Clairvaux, après Fastrède, et qui composa deux livres de sa vie et un sermon sur le même sujet. Quant à Henri, à qui ce livre fut dédié, c'est le même personnage que le même Geofroi loue dans les actes du concile de Reims, tenu contre Gilbert de la Porée, en ces termes : « Le Seigneur Henri de Pise, alors sous-Diacre, qui devait être plus tard moine de Clairvaux, et d'abbé de saint Anastase, devenir Cardinal du titre des saints Nérée et Achillée, etc. »

3. L'an 1501, ce livre fut imprimé à Spire, avec le titre de « Déclamations » et sous le nom de saint Bernard, sans distinctions de sections. Ce mot de « Déclamations, » passa avec le nom de Bernard, dans les éditions qui suivirent, non contre la pensée de l'auteur, qui prétend l'avoir composé en lui donnant la forme « d'un discours abondant et déclamatoire. » Enfin, comme à la fin de sa préface, l'auteur atteste qu'il a partagé son travail en courts chapitres, pour en faciliter la lecture, et comme les manuscrits se divisent d'ordinaire en 60 parties, afin d'être fidèle à la pensée de l'auteur, nous avons conservé cette distribution, en rejetant à la marge, la division par chapitres qu'Horstius avait introduite. Dans le manuscrit des Blancs-Manteaux de Paris, ce traité porte ce titre : « Sentences tirées des opuscules du vénérable Abbé Clairvaux. »

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DÉCLAMATIONS SUR LE COLLOQUE DE SIMON AVEC JÉSUS, TIRÉES DES SERMONS DE SAINT BERNARD. L'ABBÉ GEOFFROI.

A HENRI, Cardinal, de la Sainte Eglise Romaine.

PROLOGUE DU RÉDACTEUR.

Si je vous destine, très-cher Seigneur, les présentes pages, renfermant des exhortations, c'est la charité qui m'en a donné l'idée, cette charité qui ne peut pas être oisive, qui croit tout et qui espère tout. Ne pensez point qu'en ce travail, j'aie tiré de mon fonds ce qui s'y trouve, et ne le recevez pas comme étant de nous ; sachez que de plusieurs sermons de notre Père, dont la réputation brille d'un si vif éclat dans la sainte Eglise, j'ai tiré les sentences qui me paraissent propres à atteindre le but que je me proposais; et qu'après les avoir rédigées sous une certaine forme, à l'instar d'un discours développé et déclamatoire, j'ai adressé ensuite ce livre à votre Dilection. Je regardais ce genre d'écrire comme plus propre à persuader, car d'ordinaire, il émeut davantage le lecteur en lui présentant des expressions vivantes plutôt que des caractères froids et muets. Du reste, comme mon ignorance, et la facilité que j'ai d'oublier, doivent m'inspirer une juste défiance, je vous engage, et vous le demande avec prière, si, dans cet écrit, vous rencontrez quelque passage digne de blâme, ou à le corriger vous-même, ou, si vous vous y refusez, à cause de votre douceur et de votre humilité, à ne pas craindre de m'indiquer amicalement, tout ce qui aura ému votre attention. Ceci soit dit du fond des pensées. Car, pour ce qui est des paroles, il pourra se rencontrer des personnes qui en les entendant, résonner à leurs oreilles, s'en moqueront et diront : « Quel est celui-ci, qui enveloppe ses idées, dans des formules mal construites ? » Cependant, je pense n'avoir rien à craindre de pareil de votre érudition. En effet, la charité qui ne connaît pas les soupçons, bannit cette crainte et cette réserve. Si je ne m'abuse, un ami fera plutôt attention ici à l'affection qu'aux termes; surtout, lorsque je me suis appliqué à faire un écrit qui édifiât, préférablement à un travail d'ostentation et de parade, désirant plutôt (s'il était possible) graver sans le moyen de la parole, ces sentiments dans votre âme. Que celui qui opère invisiblement dans le cœur de ses élus, daigne produire cet heureux effet, et que, voulant regarder comme sien ce langage, il lui donne la force de la vertu et de la fécondité. La dilection, toujours soucieuse d'agir, fait ce qu'elle peut, insistant avec opportunité et peut-être avec importunité. Nulle matière plus digne ou plus propre à son œuvre ne se présente, que ce passage de l'Evangile, qui renferme ce très-heureux colloque de Simon et de Jésus. C'est un endroit qu'il nous a plu de choisir, plutôt pour exhorter les autres, que pour l'exposer lui-même, afin d'y trouver matière à discours. Je me suis attaché à en faciliter la lecture en le divisant en courts chapitres, afin que cette division fasse éviter l'ennui.

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SENTENCES DU COLLOQUE DE SIMON AVEC JÉSUS.

§ I.

1. « Simon Pierre dit à Jésus : Voici que nous avons tout quitté, et que nous vous avons suivi. » (Matth. XIX, 27.) Cet entretien de Simon Pierre avec Jésus , est un discours fidèle et digne de toute attention. L'obéissance est voisine du salut et liée avec lui, je veux parler de l'obéissance ferme et stable, qui est fondée sur la pierre. « Cette vertu est en effet, préférable aux victimes, et ne pas vouloir obéir, c'est comme le péché de consulter les augures. (I. Reg. XV, 22.) Aussi le Sauveur lui-même préféra cette vertu, à la vie, choisissant plutôt de perdre son âme, que de ne pas accomplir ses devoirs. Enfin, le nom lui-même de Jésus, « qui est au-dessus de tout nom, et qui fait fléchir tout genou,» (Phil. II, 10.) au témoignage de l'Apôtre, est la récompense de son obéissance. Il nous est donc agréable d'assister à cet entretien sacré, et d'entendre par l'oreille secrète du cœur, les paroles qui y sont prononcées. Car, je pense que les termes exprimés dans ce passage sont ceux dont l'Eglise dit à son époux de toutes les extrémités de la terre : « à cause des paroles sorties de votre bouche, j'ai suivi des chemins rudes. » (Psal. XV, 4.)

Car ce sont ces paroles qui, dans tout l'univers, ont persuadé aux hommes, le mépris du monde et la pauvreté volontaire. Ce sont elles qui remplissent les cloîtres de moines, et les déserts d'anachorètes. Ce sont elles, dis-je, qui dépouillent les Egyptiens et leur enlèvent ce qu'ils ont de meilleur. (Exod. XII, 35.) C'est là le discours vif et efficace qui convertit les âmes, en leur inspirant le vif désir d'une heureuse sainteté en leur faisant entendre la promesse fidèle de la vérité.

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II. - Qu'il faut tout quitter.

2. Car Simon Pierre dit à Jésus: «Voici que nous avons tout quitté. » C'est très-bien assurément, et ce n'est point un acte inconsidéré que vous avez fait là. Car le monde passe avec sa concupiscence et il est plus expédient de le laisser, que d'en être abandonné. « Voici, » dit l'Apôtre, a que nous avons tout, laissé, et que nous vous avons suivi. » C'est-à-dire, que le Sauveur « s'est élancé comme un géant pour fournir sa carrière, (Ps. XVIII, 6.) et vous ne le pouvez suivre étant chargé. Et ce n'est pas un changement sans profit, d'avoir tout quitté pour Celui qui est au-dessus de tout. Car avec lui, tout nous est donné, et quand vous l'aurez saisi, il sera tout en tous ceux qui auront abandonné toute chose pour lui. Tout, oui, je l'ai dit avec raison, non-seulement les possessions, mais encore les désirs, et les désirs surtout.

La concupiscence du monde nuit plus que la réalité, et le grand motif de fuir les richesses, c'est qu'on ne peut pas ou qu'on peut à peine les posséder sans attache. Non-seulement notre substance extérieure est trop grasse et trop attachante comme de la glu, mais, il en est de même, de celle qui est au-dedans ; et le cœur de l’homme se colle facilement à ce qu'il voit souvent.

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III. - De celui qui acheta cinq jougs de bœufs.

3. Vous donc qui vous disposez à tout quitter, n'oubliez point de vous mettre au rang des biens qu'il faut abandonner. Bien plus, surtout et principalement, renoncez à vous-même, si vous avez à cœur de suivre celui qui s'est anéanti à cause de vous. Déposez ce lourd fardeau, cette meule que l'âne fait tourner au moulin, ce poids terrestre, quittez ces cinq jougs, non d'hommes, mais de boeufs, que vous avez achetés avec si peu de sagesse. Si vous ne le faites, courbé et accablé par cette quintuple sensualité du corps, il vous sera impossible de suivre l'époux et de venir aux noces spirituelles : et si vous arrivez en dernier lieu, et si vous frappez à la porte, assurément, on ne vous ouvrira en aucune manière; du dedans, on vous répondra que Dieu ne prend point souci des boeufs , des ânes et des autres animaux. Qui doute que celui-là soit comparable aux bestiaux, qui a acheté cinq jougs de bestiaux ? si ce n'est qu'il est encore plus brute et plus insensé qu'eux, subissant de sa propre volonté, le joug qu'ils portent, eux, par nécessité. Ce qui est nature pour eux, est faute pour lui : lorsque, semblable à l'un des animaux privé de raison, vivant sans intelligence, il se courbe par les sens sous le joug des choses corporelles. Mais pourquoi dire qu'il subit le joug ? Faisons-lui plutôt le reproche de l'avoir acheté. C'est ici la grande misère de la folie, c'est là le comble de la démence. L'ouvrier est digne de son salaire, car c'est chose inouïe, qu'il donne du salaire pour le travail qu'il fait. C'est à ce sujet que le Seigneur parle par son Prophète, reprochant à Israël, sous la figure d'une prostituée, les crimes qu'il a commis : « A toutes les prostituées, » dit-il, « on donne des récompenses; pour vous, vous en avez donné à tous vos amants » et « vous leur en donniez, pour qu'ils entrassent chez vous, commettre la fornication, et dans vos turpitudes, la chose s'est passée contre ce qui se pratique d'ordinaire du côté des femmes, et après vous, il n'y aura point de fornication pareille, » vous « avez fait le contraire, car c'est vous qui avez donné le salaire, et vous n'en avez point reçu. » (Eccl. XVI, 33.) Et assurément, le contraire se montre aussi, en celui qui a acheté cinq jougs de bœufs. Pourquoi achète-t-il des jougs et des jougs de boeufs, celui à qui on offre gratuitement un joug suave? Car le joug du Christ est le joug de l'homme, puisque le Christ est aussi homme. Non-seulement il est offert gratis, mais une grande récompense est proposée à ceux qui l'auront porté, tellement que personne ne le pourra, je ne dis pas acheter, mais porter gratuitement. Quoi donc, malheureux, pour un joug de boeufs, vous détournez votre âme, vous qui, prenant le joug du Christ, pouviez acheter le royaume de Dieu, acquérir la vie et gagner le Christ ? Car vous ne pouvez rester sans porter le joug puisque, homme, «vous êtes né pour le travail ». (Job. V, 7.) « Mais un joug lourd pèse sur tous les fils d'Adam, » (Eccl. XL, 1.) sur ceux qui marchent sur ses traces. Car celui qui pèse sur ceux qui suivent le Christ « est doux et léger. » Enfin, pour passer tout le reste sous silence, puisqu'ils ne peuvent pas vivre sans porter le joug, qu'est-ce à dire qu'ils en choisissent plutôt cinq qu'un seul? Qui pourrait servir cinq maîtres, bien plus cinq tyrans, cinq larrons ? car « mon œil ravage mon âme. » (Thren. III, 51.) N'est-ce pas que souvent la gueule demande une chose, que la démangeaison des oreilles attire vers une autre? ainsi et l'odorat et le toucher demandent des choses différentes et parfois opposées, tandis que ces deux sens se disputent leur serviteur commun et que chacun est tiré par son plaisir. Vous voyez l'excuse de l'homme, qui, ne suivant pas le Christ, donne pour raison de ne pas venir aux noces, qu'il a acheté un joug de boeufs.

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IV. - Du multiple domaine des vices.

4. Que sera-ce si vous considérez le travail et la douleur, si vous comptez les jours de ce= qui sont asservis aux vices des mœurs plus qu'aux sens du corps? On pourra, rencontrer des hommes, qui ne sont point dans les travaux ordinaires des hommes, et qui sont soumis à des fléaux bien étrangers à l'humanité. On en trouvera qui achètent non-seulement cinq, mais plus de cinquante-cinq jougs, jougs non-seulement d'animaux mais de démons. L'ambition et la superbe du cœur rivalisent entre elles : l'une prépare le nid, l’autre la fosse. L'un ordonne de voler, l'autre avertit de ramper, lorsque aucune de ces actions ne convient à l’homme. Car qui es-tu, dit celle-ci, ou qui est celui-ci ou celui-là, ou quelle est la maison de leur père, pour que vous leur cédiez en quelque chose, pour que vous leur portiez respect ou ayez des caresses pour eux ? Mais une parole agréable prépare une bonne entrée, dit l'ambition, et parfois, souvent qui ne peut pas vous servir peut vous nuire. Dissimulez donc; présentez d'abord le bon vin, jusqu'à ce que votre heure arrive. L'avarice aussi et le désir de la louange sont opposés entre eux et ce que l'une r0temble, Vautre le dissipe. Non moins contraires sont les inspirations, que la dissimulation et la pusillanimité suggèrent à l'impudence et à l'impatience dans leurs éclats, et toutes les deux sont travail, et douleur et affliction d'esprit.

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V. - De deux filles de la sangsue.

5. Tous ces maux semblables ou opposés, pullulent d'une seule racine, qui est la volonté propre. Cette sangsue a deux filles qui crient sans relâche: « apporte, apporte. » (Prov. XXX, 15.) Car, ni l'esprit ne se rassasie. de vanité, ni le corps de volupté, ainsi qu'il est écrit : a l'œil ne se lasse pas de voir, ni l'oreille d'entendre. » (Eccl. I, 8.) Fuyez cette sangsue et vous aurez tout quitté : car elle tire tout à elle. Quittez-la et vous avez déposé un joug aussi insupportable que pesant. Il n'y a pas de maître cruel à côté, d'elle; il n'est pas de tyran inhumain et impie pressant comme elle son serviteur et ne lui montran1 aucune commisération. S'il est fatigué, elle le pousse davantage, s'il est soumis, elle le violente avec plus de dureté; c'est un mal inquiet, qui pesant toujours sur l'esprit, médite des choses qui ne peuvent entrer dans la pensée. « O gardien des hommes , pourquoi m'avoir placé contraire à vous, et pourquoi me suis-je devenu à moi-même un pesant fardeau ? ». (Job. VII, 20.) Je ne trouve aucun poids plus lourd, aucune charge plus accablante. Je suis devenu pour moi « une masse de plomb,» (Zach. V, 7.) et l'iniquité s'est encore assise par dessus; mais, j'écouterai la voix unique, j'entendrai ce que dit l'ange du grand conseil , « venez, » dit-il, «venez vers moi, vous qui travaillez et êtes chargés, et je vous referai. Prenez mon joug sur vous et vous trouverez le repos pour vos âmes (Matth. XI, 28.), mais nous examinerons ces paroles en un autre lieu, et peut-être trouveront-elles place à la fin de ce traité. En attendant, il apparaît que ceux-là sont entièrement heureux, qui sont déchargés et qui dégagés de tout, suivent le Seigneur. Une porte très-étroite nous attend, si nous voulons arriver à celui que nous suivons, il faut que nous nous efforcions de passer par l'ouverture étroite. Pourquoi, chameau, portes-tu ta bosse; pourquoi, ami des richesses, prends-tu les sacs du traître Judas ? Ce n'est pas en cet équipage que tu entreras, ô impie. Le trou d'une aiguille ne laisse pas pénétrer des bagages de ce calibre.

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VI. - Des richesses des Pères de l'ancien Testament.

6. Mais quelques-uns s'excusent peut-être en disant : Abraham, Isaac et Jacob, et d'autres saints personnages n'ont-ils pas eu, ainsi que nous le lisons, des richesses terrestres ? Il nous suffit d'être Pomme eux, car, nous ne sommes pas meilleurs que nos pères. Si la possession des richesses était quelque chose de répréhensible, jamais le Seigneur ne leur en aurait accordé avec tant d'abondance; ou bien, ayant reçu tant de grâces, ils n'auraient pas gardé néanmoins leurs trésors. Que répondions-nous aux imitateurs récents des saints antiques? Qu'ils immolent alors des veaux sur l'autel du Seigneur, qu'ils égorgent des béliers, qu'ils fassent couler le sang des boucs, parce qu'Abraham en agit ainsi, et que tels furent les écrits des anciens pères, ces hommes admirables, dont nous ne pouvons pas dire que nous l'emportons sur eux, mais dont nous ne sommes même pas dignes de délier la chaussure. Mais toutes ces pratiques n'ont pas lieu d'être désormais, dit-on, et la vérité s'étant manifestée, elles ont pris fin. Que sera-ce, si nous disons que les richesses, même temporelles, des Patriarches furent une ombre des biens à venir? Car nous lisons que tout leur arrivait en figure. (I Cor. X, 44.) Et ensuite pourquoi ces personnages saints et parfaits n'auraient-ils pas publiquement possédé des richesses terrestres, lorsqu'encore Dieu promettait seulement des possessions temporelles ? Car, par ces richesses, aussi bien que par ces sacrifices, la sagesse divine s'accommodait à la grossièreté de ces peuples, afin que, semblables à de petits enfants, ils se séparassent peu-à-peu, des pratiques des gentils, et qu'offrant au Seigneur les mêmes victimes, que les païens immolaient à leurs idoles, ils espérassent les mêmes biens qu'eux, mais les espérassent du vrai Dieu, et non des démons. Là, où retentit la promesse céleste, il devint nécessaire de comparer les choses spirituelles aux spirituelles, et l'espérance ayant changé d'objet, il fallut que le sacrifice variât. C'est là, ce que connaissaient tous ceux qui, à cette époque, étaient parfaits, mais par charité, ils s'attachaient au peuple, et extérieurement, ils paraissaient faire les mêmes choses que lui, et chercher ouvertement les mêmes biens. Ce que nous disons de l'ombre et du symbolisme dans l'ancienne loi, vous parait-il un sens forcé ? Un Père a écrit ceci sur ce sujet: « que nul ne m'objecte l'or du temple des juifs. C'était alors l'époque où le sang coulait sur les autels, où tout arrivait en figure. Rejetons donc l'or avec les autres superstitions des Juifs, ou bien si l'or nous plaît, que les Juifs nous plaisent aussi.» Du reste, je ne me souviens pas d'en avoir rencontré beaucoup dans mes lectures, ou qui n'aient été gravement affligés, ou qui n'aient été sérieusement tentés, en jouissant de la prospérité de ce siècle, ou même n'y aient couru des dangers.

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VII. - Comment le juif est au milieu, et saint Pierre au-dessus des eaux.

7. Du reste, il y a une très-grande différence entre se frayer une route au fond du lit de la mer séparée en deux, dans le limon des grandes eaux, en possédant licitement des biens terrestres, et fouler aux pieds l'onde elle-même, dans une marche toute nouvelle, en quittant tous ces biens. Cette prérogative était due au temps de grâce. Cette nouvelle manière de marcher, ce type d'une route jusqu'alors inconnue, était réservé à saint Pierre. Aux jours des Pères anciens, tant que le Seigneur de majesté ne s'était pas montré sur la terre, et n'avait pas vécu parmi les hommes, la forme de la perfection évangélique, n'avait pas été proposée et les saints suivaient Dieu, qui est esprit, par l'esprit seulement. Mais, quand « le verbe s'est fait chair et a habité parmi nous,» (Joan. I, 14) alors nous a été donnée en lui, l'image de la vie et l'exemplaire de la conduite qu'il faut même corporellement imiter, afin que, le servant des deux pieds, c'est-à-dire par le corps et l'esprit, nous ne boitions plus d'une jambe comme le Patriarche Jacob. Car, où avons-nous entendu dire aux anciens : «si quelqu'un ne renonce point à tout ce qu'il possède, il ne peut être mon disciple » (Luc. XIV, 33.). Et de même : «si vous voulez être parfait, allez et vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, et venez, suivez-moi? » En disant ces paroles, nous n'entendons pas enseigner que, celui qui tiendra une conduite différente ne puisse être sauvé maintenant, mais pour que chacun reconnaisse son. degré propre et le siège de sa perfection, ou bien n'usurpe point la fonction de disciple du Seigneur.

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VIII. - Du remède des imparfaits.

8. Les évangiles renferment en effet tout à la fois, et une ligne de perfection, et un remède contre la faiblesse. « Ne vous faites pas de trésor sur la terre, » (Matth. VI, 19.) voilà la perfection. Le Fils de l'homme n'avait pas où reposer sa tète (Luc. IX, 58), Pierre et Jean n'avaient ni or ni argent. (Act. III, 6) Content d'un vêtement et d'une nourriture simple, Paul se procurait le nécessaire du travail de ses mains. (Tim. VI 8.) Mais tous ne comprennent pas cette parole, pas plus que le conseil de la charité : qu'est-il dit au peuple ? « Faites-vous des amis du trésor d'iniquité, afin que lorsque vous mourrez, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. » (Luc. VI 9.) Ce sont les paroles du Seigneur et ce qu'il dit, est ainsi. C'est une sentence ferme et immuable , que ceux « qui veulent devenir riches en ce siècle, tombent dans la tentation et dans les lacets du diable; » (1. Tim. VI 9.) mais parce que je prends pitié dela foule, et que je puis (chose impossible à l'homme) faire passer un chameau par le trou d'une aiguille : prenez au moins garde à l'arrêt redoutable, vous, qui ne cherchez nullement à éviter les rets des chasseurs. Revêtez celui qui est nu, nourrissez les pauvres, visitez l'infirme, afin qu'il ne vous arrive pas d'entendre ces terribles paroles; cette sentence effroyable, ce décret sinistre : « allez, maudits, au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges. » (Matth. XV, 41.) Faites-vous des amis du trésor d'iniquité; (Luc. XVI, 9.) comme s'il disait avec plus de clarté : malheur à vous, riches qui avez votre consolation. (Luc. VI 24.) Cependant, une chose semble vous rester à faire. Donnez une partie de vos biens aux pauvres, à qui appartient le royaume de Dieu, afin que lorsque leur dernière heure sera arrivée, ils se souviennent de vos bienfaits et vous reçoivent, à votre mort, dans leurs tabernacles éternels: et vous communiqueront miséricordieusement, au moment de votre désolation, la consolation à venir qu'ils attendent présentement avec raison, après avoir reçu la vôtre ici-bas. « Car, on leur donnera une mesure bonne et tassée et débordante; » (Luc. VI, 38.) ce ne sera point du tout ce manteau court qui ne peut couvrir deux personnes, ou cette couche étroite, qui contraint de tomber l'un de ceux qui s'y placent. (Isa. XXVIII, 20.)

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IX. - Au péril que courent les clercs.

9. De là vient que nous voyons les églises dotées et enrichies par les puissants et les riches de ce siècle, qui, pareillement riches en bonnes œuvres, selon l'avertissement de l'Evangile, se sont appliqués à se faire, du trésor d'iniquité, des amis qui les reçussent dans les tabernacles éternels. Pourquoi n'espéraient-ils pas être accueillis par ceux qui paraissaient en avoir les clefs? mais, hélas ! leur prévoyance elle-même a tourné au profit de la chair, et ceux qui devaient se préparer et préparer également aux autres dans le ciel, des demeures éternelles, joignent sur la terre la maison à la maison et ajoutent le champ au champ. Qui a recueilli de la bouche des Apôtres de ce temps cette parole de grâce et de confiance : « voici que nous avons tout quitté et que nous vous avons suivi ? » Car, comme est le peuple, ainsi est le prêtre. (Isa. XXIV, 2.) Comme les laïques, on veut devenir riche en ce monde, comme eux et même plus qu'eux, on cherche ici-bas sa consolation. Pareillement ces clercs manquent d'amis, qui les reçoivent sous les tentes étrangères, puisqu'ils n'en possèdent pas en propre. « Car, bienheureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. » (Matth. V, 3.) Du reste, quant à ces hommes qui occupent une place astreignant à la perfection, qui ont une dignité relevée, une autorité éminente, et qui remplissent des offices publics, s'il est permis dans de telles circonstances d'espérer au moins la guérison de leur faiblesse et de leur infirmité, qu'ils font tant difficulté d'avouer eux-mêmes, à eux d'en être les juges, et de prononcer si c'est permis. Car que cette manière de vivre ne convienne nullement, c'est chose manifeste : qu'on nous laisse écouter le maître qui a dit : « si le sel est affadi, avec quoi salera-t-on? Il n'est plus bon à rien qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds. » (Matth. V. 13 .) Qu'il soit également permis à ce prêtre, à qui ils craindront de donner le démenti parce qu'il est saint, de faire usage de sa liberté ordinaire d'esprit, de ne flatter, de ne cajoler personne, mais de préférer la vérité dans toute sa nudité. « Le clerc, » dit-il, « qui a un lieu sur la terre, n'en aura pas dans le ciel. » Et encore, « le clerc, s'il possède autre chose que le Seigneur, le Seigneur ne sera point la part de son héritage; si par exemple, il a de l'or, de l'argent, des possessions, de la vaisselle et des meubles, le Seigneur, dédaigne de faire, avec ces objets, la portion de son bien. »

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X. - Comment les clercs empruntent à chaque classe d'hommes ce qui leur fait plaisir.

10. Le saint roi David, parait avoir gravement stigmatisé certains personnages, c'est à ceux-là à voir qui cette parabole regarde. « Ils ne sont pas, dit-il, dans le travail des hommes, et es ne seront pas flagellés avec les humains : « aussi l'orgueil s'est emparé d'eux. » (Psalm. XXI, 5.) Car, chaque classe d'hommes a du travail et du plaisir. Mais il y a à remarquer la prudence de plusieurs, et à admirer comment, discernant ces deux éléments divers, ils se les mettent soigneusement à des places distinctes, ils choisissent et embrassent tout ce qui délecte, ils fuient et évitent ce qui est fâcheux et désagréable. Avec les soldats, ils ont la force de l'orgueil, une suite nombreuse, un appareil éclatant, les équipages, des chevaux, des oiseaux de proie, les jeux et les autres agréments de ce genre. D'autres ont des fourrures précieuses suspendues à leurs cous, des couches très-ornées, des bains, toute sorte de mollesse et de vanité dans les habits, détails qu'ils empruntent aux femmes ; mais le poids de la cuirasse et les nuits sans sommeil passées dans les camps, les mêlées incertaines des combats, la pudeur et la retenue des femmes, ou tout ce que ce sexe a de fatigues à supporter; on. évite tous ces embarras avec un grand soin. Le visage des agriculteurs se couvre de sueurs; les vignerons taillent la vigne et la bêchent, et ceux qui, au milieu de ces travaux, se livrent à un doux loisir, à l'époque des fruits, ordonnent de restaurer leurs greniers et leurs granges qui regorgent, plaise au ciel que ce ne soit pas au-dessus deux, mais bien plutôt avec eux. Ils mangent le froment, es boivent le sang pur et généreux de la vigne ; c'est peu, ils sont engraissés et épaissis par la substance du blé. Le suc des herbes donne au vin une saveur étrangère, et l'huile est ainsi jetée sur le feu.

11. Mais considérez ceux qui font le commerce, ils parcourent la mer et la terre, ils ramassent, dans la fatigue de leurs corps et au risque de leur vie, des richesses périssables. C'est là une existence dure : que nos prudents prennent garde ; qu'en attendant, ils se livrent à un paisible sommeil ; je ne vais pas jusqu'à dire, qu'ils se livrent sur leurs couches à des jeux lascifs. Cependant aux jours de fêtes, on verra la main droite des ministres surchargée de vases d'or et d'argent, leurs besaces pleines de richesses variées, leurs bâtons fléchissent sous la charge; dans leurs coffres, il y a tant de compartiments, que si vous y ajoutiez les tables, vous les prendriez pour des changeurs. Est-il nécessaire de parler aussi du nombre des ouvriers, des maçons ou des autres travailleurs de ce genre ? Ils gagnent leur nourriture avec beaucoup de peine; les personnages dont nous parlons abondent de délices; oisifs, ils regorgent de richesses. Le Poète ne les tournerait-il pas en ridicule avec raison ? « De crainte que lorsque la troupe des oiseaux viendra un jour réclamer son plumage, la corneille, dépouillée des couleurs qu'elle aura volées, n'excite le rire. » Ou plutôt, le grand Prophète, ou mieux encore celui qui était plus qu'un prophète, ne leur adresserait-il pas des réprimandes terribles, en leur disant : «race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui est sur le point d'éclater? » (Luc III, 7.) Car où sont vos fruits de pénitence? Et lorsque les hommes ressusciteront chacun selon son rang, cette génération, où pensez-vous qu'elle trouvera place ? S'ils se dirigent vers les soldats, ceux-ci souffleront contr'eux et les repousseront, attendu qu'ils n'ont point travaillé avec eux et n'ont pas supporté la moindre fatigue en leur compagnie. Autant en feront les laboureurs; autant les négociants, et chaque classe d'hommes les écartera pareillement, parce qu'ils n'ont pas été dans les travaux des hommes. Que reste-t-il donc, si ce n'est que ceux que repoussent et qu'accusent également tous les ordres et toutes les classes d'hommes, aient pour partage ce lieu, où nul ordre ne se trouve, mais qu'habite une perpétuelle horreur?

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XI. - De l'office des clercs.

12. Osent-ils peut-être aspirer à l'élection 'et au choix du clergé? Cette place est vraiment grande dans le royaume de Dieu, et on y acquiert une position fructueuse, pourvu qu'on s'y montre ministre fidèle. (I Tim. III, 13.) Du reste, le travail qui y est attaché ne doit pas paraître médiocre à ceux qui l'occupent, et celui qui a plus travaillé que les autres disait : « que celui qui ne travaille pas, ne mange pas. » (II. Thess. III, 10.) Et il fut dit à Pierre : «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?Pais mes brebis. » (Joan, XXI, 15.) Cela fut répété trois fois, et trois fois il lui fut dit : « pais ; » et pas un seul coup on n'ajouta : épuise-les ou tonds-les. Qu'il espère donc la place de disciple, qu'il attende le grade de ministre, celui qui s'attache à paître le troupeau du Seigneur plutôt qu'à le tondre: mais à le paître d'une triple façon : par l'exemple de la conduite, par la parole de la prédication, par l'efficacité de la prière; et à le paître selon le commandement de Jésus-Christ, c'est-à-dire « que personne ne s'arroge cet honneur, réservé à celui qui aura été appelé de Dieu comme le fut Aaron. » (Heb. V, 4.) Car si quelqu'un entre par Lui, il sera sauvé et trouvera des pâturages ; que s'il monte par ailleurs, il est un voleur et un larron. » (Joan. X, 9.) Et plaise au ciel que désormais parmi les dispensateurs des saints mystères, on trouve quelqu'un qui soit fidèle.

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XII. - Excuse sur ce que l'auteur ne dit que des choses manifestes.

13. Que nul néanmoins ne s'indigne ou ne voie avec peine ce que nous disons ici. S'il est saint, s'il n'a en aucune façon conscience de ces dérèglements, nous l'en félicitons; qu'il s'attriste avec nous, de ce qu'ils se rencontrent malheureusement en plusieurs. Car nous « ne révélons pas, en ce moment, la honte qui est cachée, nous ne creusons pas le mur, pour manifester une abomination plus horrible. » (Ezech. XII.) Nous n'avons pas encore parlé de la fornication, bien que ce fléau règne de plusieurs manières , en ceux qui, servant l'auteur de toute pureté avec un cœur et un corps souillés, ne craignent pas de paraître devant l'ange du Seigneur, qui peut les pourfendre et les perdre (Dan. XIII, 55.) ; qui osent toucher les chairs sacrées de l'agneau immaculé et teindre du sang du Sauveur les mains criminelles, dont peu auparavant, hélas! ils se sont servis pour toucher le corps d'une prostituée; et entourer, en cet état, le saint autel et chanter les psaumes sacrés que cette louange est exécrable aux yeux de Dieu, et en quel grand péché se tourne cette prière? (Psalm. CVIII, 7.) Nous ne parlons pas non plus du sacrilège de ceux qui aiment les présents, qui courent après les récompenses, qui vendent les sacrements, qui trahissent la justice, dont la parole de blasphème, le mot impie, l'expression maudite : « que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? » (Matth. XXVI, 15.) n'a point étouffé le gosier. Nous voyons tous ces excès, sans les voir pour ainsi dire en un certain sens, comme si nous ne sentions point ce fléau, comme si le zèle ne nous consumait pas. Nous disons des choses manifestes, dont quelques-uns à peine rougissent. Enfin, nous aussi nous avons été dans le clergé : qu'il nous soit permis de sonder au moins nos propres misères.

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XIII. - Comment les clercs entrent dans les bénéfices ecclésiastiques.

14. « Voyez votre vocation, » disait l'Apôtre qui avait été appelé du ciel. (I. Cor. 1, 26) Considérons, si nous sommes venus étant appelés et appelés de Dieu, de qui vient cette vocation. Cette vocation, je. ne l'appelle point commune; sans conteste, c'est par elle, selon le même Apôtre que Dieu « a appelé ceux qu'il a prédestinés; » (Rom. VIII, 30) mais si quelqu'un nous appelait, pour l'honneur du clergé, je voudrais réunir la conscience de chacun, afin de parler, selon le précepte du Seigneur, au cœur de Jérusalem (Is. XI., 2). A ce petit enfant, à cet être qui peut-être n'était pas encore venu an monde, déjà la sollicitude des parents préparait des bénéfices ecclésiastiques. Celui-ci, disait-on, nous le donnerons à tel ou à tel évêque, auprès duquel nous avons accès et faveur, ou que nous avons servi, afin qu'il soit enrichi des biens du Seigneur, et que notre héritage ne se divise point entre tant de personnes. Un prévôt ou un doyen a fait l'éducation de celui-ci, pour lui succéder, l'élevant dans les délices et dans les péchés, avec une affection plus que maternelle. Celui-ci est digne d'une archidiaconé, en sa qualité de fils de prince, surtout s'il est cousin de l'évêque, en qui, sans nul doute, toute la parenté est inféodée à l'épiscopat. Un autre rôde de toutes parts, explorant tout avec soin, il cajole, il est obséquieux, il feint, il dissimule, il ne rougit pas de mendier pour lui-même de misérables suffrages, rampant des pieds et des mains jusqu'à ce qu'enfin il puisse s'introduire dans le patrimoine du crucifié et dans les biens du Seigneur, qui, seuls entre tous, aujourd'hui, se trouvent exposés. Il est déjà parti pour une contrée éloignée, devant revenir, peut-être au temps de la pleine lune, pour réclamer avec sévérité ce qui lui revient.

15. Qui est-ce qui ambitionne les dignités ecclésiastiques et les emplois du sanctuaire, animé de cette intention, qui est-ce qui est recherché (car il faut plutôt être cherché que chercher), pour occuper cette éminente position de telle sorte que, sans les soucis du siècle, dans la sainteté du corps et du cœur; il s'approche du Seigneur pour eu recevoir les lumières, et que, livré à l'esprit de prière et a donné à l'office de la prédication, il opère son salut et celui de ses frères? Car s'id désire ou occupe cette place dans l'intention et le but d'avoir ce qui est nécessaire à la vie, il évangélise pour manger, et il renverse odieusement l'ordre, il achète les biens de la terre au pria de ceux du ciel. N'était-il pas plus digne et plus conforme à la raison que, pour obtenir la nourriture du corps, il se livrât à des travaux corporels, sans bouleverser l'ordre des choses, sans déshonorer un ministère spirituel ? Mais la nature se contente de presque rien, il en est peu qui en ceci, se bornent à chercher le seul nécessaire, on l'obtiendrait facilement avec beaucoup moins de péril. Ils veulent être honorés, ils s'attachent à plaire aux hommes, ils cherchent les délices et le faste, et se conforment an toutes choses à ce siècle. Entendez les plaintes du Seigneur, écoutes comment il gémit sur cette excessive imprudence des hommes, lui qui est patient, avant de rendre à chacun selon ses œuvres, et qui désire la pénitence de l'homme, plutôt que de le punir : « ils ont régné, » dit-il, « mais ce n'est point par moi ; ils ont été princes et ce n'est pas moi qui les ai appelés, » (Osee. VIII, à) Tous ceux qui, dans les ordres ecclésiastiques et dans les autres positions et emplois, appartenant au sanctuaire, cherchent leur propre honneur, ou bien les richesses ou les voluptés du corps, en un mot, ce qui est pour eux, et nullement ce qui est de Jésus-Christ, manifestement et sans le moindre doute, ce n'est pas la charité qui vient de Dieu qui les y a introduits, c'est la cupidité qui est étrangère au Seigneur, et la racine de tous les maux, (I Tim. VI, 10) C'est là de la témérité, c'est là de la folie. Où est la crainte de Dieu, où est le souvenir de la mort, la frayeur de l'enfer, et l'attenta épouvantable du jugement? L'épouse n'ose point perpétuer dans la demeure et dans l'appartement , si le roi lui-même n'y fait entrer, et vous vous y précipiteriez avec irrévérence sans être appelé, sans être introduit. « Tirez-moi après vous, » dit-elle, « nous courrons après l'odeur de vos parfums. » (Cant. I, 3). Maintenant chacun est tiré pas son propre plaisir, et, suivant l'odeur d'un lucre honteux, on estime la piété un gain : (l. Tim. VI, 5) la damnation d'hommes pareils est chose assurée.

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XIV. - Des bourses de Juda.

16. Mais bien que l'entrée soit irrépréhensible et l'intention. chaste; n'y aura-t-il plus à redouter ? Il faut craindre et craindre beaucoup. Car tous ceux qui ont commencé par l'esprit, ne finissent point par l’esprit, et plusieurs terminent par la chair (Gal. III, 8). On se rappelle Saül, établi roi par le Seigneur (I. Reg. IX, 16), et Judas, choisi pour Apôtre par le Fils de Dieu. « Ne vous ai-je pas choisis tous douze, » dit-il, et « l’un de vous est un démon? (Joan. VI, 71). Plût au ciel que dans les douze aujourd'hui il se trouva un Pierre ; un qui laissât tout, et qui n'eût point de bourse. Le mot diable vient de deux appâts (duobus bolis), et Judas n’a pas une bourse, mais il en a plusieurs. Plût au ciel, malheureux, que tu fusses sage et que tu comprisses qu'avec ton trésor d'argent, tu accumules pareillement un trésor de colère; plût à Dieu que prévoyant les fins dernières, tu remarquâmes que par le trou d'une aiguille passeront facilement non les tas de richesses, mais les tas de péchés. « Nous n'avons rien porté en ce monde; nul ne doute que nous n'en pourrons rien emporter. (I. Tim. VI 7) L'or et l'argent sont quelque chose, le monde les garde pour lui. Il a établi au passage un gardien inexorable; la porte est étroite, Il ne sera pas permis d'emporter quoique ce soit. Mais le péché, comme il n'est rien de réel, aucune porte étroite ne le peut empêcher de passer. Seul, il vous suivra partout où vous irez ; où que vous entriez, vous ne déposerez point cette peau. Insensé, et les biens que vous avez ramassés, à qui appartiendront-ils ? Malheur, malheur ! nous voyons des horreurs dans la maison du Seigneur. N'y a-t-il pas des ministres de l'Idolâtrie? Je mens, si l'avarice n'est pas la servitude qui enchaîne aux pieds des idoles, (Col. III, 5) si pour certains, le ventre n'est pas un Dieu. (Phil. III, 19). En honorant et en soignant une chose plus que tout le reste, l’homme me montre qu'il en fait un Dieu. Combien en voyons-nous qui chérissent les présents, qui courent après les récompenses? Combien qui ne servent point le Seigneur Jésus-Christ, mais bien plutôt leur ventre ?

XV. - De quatre vertu.

17. Quel est, pensez-vous, le Serviteur fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur les membres de sa famille, pour leur donner, au temps voulu, une mesure de froment? » (Matth. XXIV, 45.) Vous demandez peut-être, quelle est cette nourriture? « Ma nourriture, » dit Jésus, « est de faire la volonté de mon Pèse. » (Joan. IV, 34). Or, la vie est dans la volonté du Seigneur, (Ps. XXIX, 6) et il ne pourra s'en nourrir et nourrir les autres, s'il n'est fidèle et prudent pour la comprendre et la chérir; pour la chérir avec force, pour la bénir avec ardeur. Pourra-t-il alléguer son ignorance pour excuse, celui qui reconnaît être le maître des enfants et le docteur de ceux qui ne savent rien ? Ignorant, il sera ignoré; bien plus, il sera cause que plusieurs ignoreront et seront ignorés. (I. Cor. XIV, 38) Combien il y a de danger à ce que le pasteur ne trouve pas de pâturages, le conducteur ne connaisse pas la route, et le représentant de l’autorité ne sache point ce que le maître veut, l’Eglise en fait tous les jours et bien des fois la déplorable expérience. Car la volonté de Dieu est chose à la fois très-sacrée et très-cachée, c'est ce dessein entièrement voilé que l'Apôtre se glorifie d'avoir entrevu, en ces termes . « Je pense que moi aussi j'ai l'esprit de Dieu. (I. Cor. X, 40). D'où vient que la Vérité elle-même a dit : « Personne ne sait ce qu'il y a en l'homme, si ce n'est l'esprit de l'homme qui est en lui. Pareillement, ce qui est de Dieu, personne ne le sait que l'esprit de Dieu qui est en lui. » (I. Cor. II, 11) Utile est la lecture, utile aussi la science, mais ce qui est nécessaire pardessus tout, c'est l'onction, car c'est elle qui « renseigne sur tout. » (I. Joan. II, 28) Or, comment paraîtra-t-il savoir quelle est la volonté du Seigneur, bonne, et bien plaisante et parfaite, celui qui n'a point pour habitude de frapper, de chercher, de demander ; qui, avant de se charger du soin des âmes, n'a point pris souci de la science propre, et semble l'avoir reçue en vain? Et plût au ciel que, même en ce moment, il soignât son âme de sorte qu'il me fût permis d'espérer qu'ensuite il s'occuperait de guérir la mienne; qu'il arrachât d'abord la paille de son œil, afin d'y voir pour arracher la poutre qui est dans le mien. (Matth. VII, 3) Car, pour ceux qui peut-être, lorsqu'ils connaissent la volonté du Seigneur, la négligent et s'opposent à elle autant qu'il leur est possible ; hommes malheureux qui ont tendu les mains à la mort, et fait pacte avec les enfers, qui, détestant le bien, s'attachent au mal, sont prêts à consentir gratuitement au péché, à favoriser la malice, à protéger l'iniquité, comme ils sont détestés du Seigneur et exécrés du monde, il vaut mieux garder le silence à leur endroit.

18. Assurément personne ne devient de suite très-vil; et il se trouve à peine quelqu'un qui ne soit venu à l'amour du mal sans y être conduit par quelque mauvaise coutume. Il est des amis de la justice tièdes et faibles, à qui manque la vigueur ou la ferveur, ou peut-être l'une et l'autre à la fois, alors que ces deux qualités sont souverainement nécessaires à celui qui se trouve entre la prospérité et l'adversité. De même qu'on reconnaît pour effet de la vigueur de ne jamais fléchir à la tribulation, mais de soutenir avec profit persécution pour la justice, de même il faut attribuer à la ferveur, celui de n'être pris par aucune volupté, de n'être énervé par aucunes délices. Ces deux choses sont nécessaires à toute la multitude, mais elles le sont spécialement, et surtout, à ceux qui la conduisent, de crainte qu'il ne leur arrive, en se trompant, de causer le malheur de tous. Qu'importe à quelle occasion abandonnant le chemin de la vérité, les ignorants sont séduits, d'autres suivent volontairement, ceux qui ne voudraient pas, sont contraints ou sont attirés par de puissants attraits? Qu'importe, pourvu qu'on aille à la perdition? C'est ainsi que la prudence manqua à Eve , la tempérance à Adam, la justice à Caïn et la force à saint Pierre. Le ministère dont nous parlons exige absolument la perfection de cette quadruple vertu et cette chaire de sainteté à quatre pieds ; tellement que celui qui ne la porte pas en lui, se flatte en vain d'être entré par le Christ. Car il est dit à celui qui est ignorant : « Si l'aveugle conduit l'aveugle, ne tombent-ils pas tous les deux dans la fosse? » (Matth. XV, 45). Et encore : « Les prêtres ne dirent pas, où est le Seigneur, et ceux qui tenaient la loi ne me connurent point. Les prophètes et les pasteurs eux-mêmes s'en allèrent dans une terre qu'ils ignorèrent. » (Jer. II, 8.) Il est dit à celui qui est injuste : « le voleur ne vient que pour perdre et égorger. » (Joan. X, 10) Et encore : « Tu as aimé la malice plus que la bonté. » (Psal. Li, 5) Il est dit au pusillanime : « Le mercenaire, qui n'est point pasteur, voit venir le loup et il prend la fuite, parce qu'il n'a nul souci des brebis. » (Joan. X, 12) Il est dit à celui qui marche après ses concupiscences : « La mort est placée à l'entrée de la délectation. » (Règle de St-Benoît VII) Il est encore dit: «Tous cherchent leurs intérêts et non ceux de Jésus-Christ. » Assez sur ce point. (Phil. II, 21)

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XVI. - Comment servent les clercs pour les revenus qu'ils ont de l'Eglise.

19. Que désormais x celui qui parait être entré dans ce ministère par la voie du Christ, examine en lui-même avec une sérieuse attention, comment il sert ce maître: comment il s'acquitte de son ministère; comment il nourrit de la triple manière que nous avons dite le troupeau du Seigneur. Il est convaincu de ne point mériter le lait et la laine, s'il ne mène pas les brebis dans les pâturages. S'il ne veille pas à la garde de son troupeau, il se revêt du jugement et mange sa condamnation. Malheur à vous, ô clerc, malheur : « La mort est dans la chaudière. » (IV. Reg. IV, 40) La mort est dans la chaudière où bouillent les viandes, elle est dans ces sortes de jouissances. Non-seulement parce qu'elle est placée à côté des délices, mais surtout parce que ce sont les péchés du peuple que vous mangez. (Osee. IV, 3) Vous croyez avoir gratuitement les revenus ecclésiastiques ? Les biens semblent vous arriver en chantant, comme l'on dit; mais il valait mieux travailler la terre ou même mendier. Car vous mangez les péchés du peuple, comme si vos propres fautes ne vous suffisaient pas. Soyez inquiet, parce que vous en devez rendre compte, attachez-vous à pousser à ce sujet de justes gémissements, et à faire de dignes fruits de pénitence, autrement vous verrez qu'on vous imputera comme des crimes, ce que vous mangez présentement au sein des délices, ce que vous estimez peu, ce que vous dissimulez, comme ne vous touchant en rien. O profondeur incroyable des jugements du Seigneur ! O Dieu « terrible en ses desseins sur les enfants des hommes ! » (Ps. LXV, 5). Alors les malheureux se mettront vainement à crier aux montagnes : « Tombez sur nous, et aux collines: couvrez-nous. » (Luc. XXXIII, 30). Ils viendront, ils comparaîtront devant le tribunal du Christ; on entendra les graves plaintes des peuples, leurs accusations sévères contre ceux qui ont vécu de leurs revenus et n'ont point. détruit leurs péchés, contre ceux qui ont été pour eux des conducteurs aveugles et des médiateurs trompeurs. Insensé, pourquoi trouvez-vous du goût à ces délices? pourquoi vos yeux sont-ils séduits par ces richesses, dont vous achetez un jugement si terrible, et dont vous vous servez pour vous obliger à en rendre un compte si sévère ? Car en exigera de vous jusqu'à la plus petite pièce.

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XVII. - Comment ils dépensent les mêmes revenus.

20. Mais supposons qu'un clerc travaille avec soin et profit. Assurément « le travailleur est digne de sa récompense ; que celui qui sert l'autel vive de l'autel, » (I. Cor. IX, 13) qu'il vive, dis-je, de l'Église, de sorte que, selon le même Apôtre, ayant des aliments et de quoi se couvrir, il se tienne pour satisfait. (I. Tim. V.) Il se Trouve ici un troisième péril « qu'il vive de l'autel, » mais qu'il n'en tire pas matière à orgueil, à luxure, qu'il ne s'en enrichisse point, que, contre l'avis, si digne d'être suivi, d'un saint : « Il ne devienne pas plus opulent par la cléricature.» Qu'il ne se bâtisse pas des biens de l'Église, d'amples demeures en bouleversant tout, qu'il n'en amasse pas des trésors, qu'il ne les dissipe point en vanités ou superfluités ; qu'il n'élève pas ses proches au moyen des richesses du sanctuaire, qu'il ne les emploie point à marier ses nièces (pour ne pas dire ses filles). Ne pas donner aux pauvres ce qui appartient aux pauvres, c'est, tout le monde le sait, un crime comparable au sacrilège. Les ressources des églises sont le patrimoine des pauvres; et on leur enlève avec une cruauté sacrilège, tout ce que les ecclésiastiques qui en sont les dispensateurs ou les ministres, et non les maîtres ou les possesseurs, prennent au-dessus du vêtement et de la nourriture. Car Dieu n'a pas ordonné à ceux qui servent l'Évangile, de tirer de l'Evangile des délices ou de la vanité, mais bien d'en vivre, comme le dit saint Paul, (I. Cor. IX, 14) c'est-à-dire, de se contenter d'en prendre pour subvenir aux besoins du corps, et nullement d'en tirer de quoi exciter la gourmandise, de quoi enflammer la passion; d'en prélever ce qu'il faut pour vêtir le corps et non pour le parer. Assurément, celui qui n'est pas fidèlement entré par Jésus-Christ, pourquoi n'agirait-il pas sans fidélité contre Jésus-Christ? Sans nul doute, le fruit fait connaître l'arbre, la tige révèle la racine, et l'œuvre décèle l'intention. Ce malheureux fera ce pourquoi il est venu, il tuera et il perdra. Celui qui est en cet état, quand servira-t-il à l'autel « en esprit et en vérité? » (Joan. IV, 23) Car ce sont « des adorateurs de ce genre que le Père cherche. » L'œuvre des âmes sans cela, est une administration de mort, tournant au jugement et à la condamnation de celui qui l'exerce. Ou comment pourra-t-il être content du nécessaire, celui qui est entré dans l'Église pour ramasser, employer ou dépenser les revenus du clergé, en voluptés, curiosités et vanités. Un triple faisceau , bien difficile à rompre, entraîne donc à sa ruine l'homme infortuné qui entre sans pureté d'intention, qui remplit indignement son ministère et abuse aussi des fruits temporels de sa place.

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XVIII. - De la verge et du bâton.

21. Mais, si cet homme brille dans le monde et prospère dans ses entreprises, il se desséchera vite, et la fleur de l'herbe tombera, et cette vapeur se dissipera après avoir paru un moment. On lui épargne la verge, parce que « soin iniquité est allée jusqu'à exciter la haine » et non la colère. (Psal. XXXV, 3.) « Votre verge et votre bâton m'ont consolé. (Psal. XXII, 4.) Il y a urne verge, il y a aussi un bâton. Et c'est là la consolation, que celui qui est frappé de l'une est soutenu par l'autre. Le pasteur porte la verge et le bâton, la verge pour les brebis, le bâton pour le loup, et le tout pour les élus. Car la verge les console des remords de la conscience, parce qu'on sait que, par ce moyen, les péchés sont remis, le Seigneur disant: » C'est moi, c'est moi qui détruis tes iniquités. » (ls. XLIII, 25.) Et le bâton aide à supporter la verge, car, comparé à elle, il est plus léger. Au contraire, on dit à ceux qui sont endurcis. « Votre front est devenu comme celui d'une prostituée; tu n'as pas voulu rougir: » (Jer. III, 3.) Et on ajoute : « Mon zèle s'est retiré de vous, désormais, je ne m'irriterai plus contre vous. » (Ezech. XVI, 42.) Car le Seigneur « réprimande celui qu'il aime, et il frappe tout fils qui lui est agréable. » (Heb. XII, 6.) Il est conséquemment clair, que ceux qui ne se trouvent point dans le travail des hommes, (Psal. LXXII, 5.) et ne sont point châtiés avec les fils, ne sont pas chéris du Seigneur et ne lui sont pas agréables. Et ceux. que vous voyez prospérer sur la terre, croyez-vous qu'ils sont aimés de celui qui a fait la terre 2 ? Ecoutez ce que dit l'Ecriture à ce sujet.

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XIX. - Qui est l'ami du monde.

22. « Quiconque voudra être l'ami de ce monde, devient ennemi de Dieu, » (Jac. IV, 4.) et dans un autre endroit : « Mes bien-aimés, n'aimez pas le monde ni ce qu'il y a dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, la charité du Père n'est point en lui. » ( I. Joan. II, 1.) Voilà les paroles des Apôtres, les premières sont dé saint Jacques ; les autres , du disciple que Jésus aimait et qui ne pouvait méconnaître sa pensée. Mais voulez-vous savoir quel est celui qui aime le monde? On ne vous ordonne pas de haïr les créatures, mais on vous défend d'aimer ce qui ne vient pas de Dieu. Or, quelles sont les choses qui ne viennent pas de Dieu? Saint Jean nous l'apprend, lorsqu'il ajoute: « N'aimez point le monde, ni ce qu'il y a dans le monde, car tout ce qui s'y trouve, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle: choses, » ajoute-t-il, « qui ne sont pas du Père, mais du monde.» (I. Joan. II, 17.) Par là, chacun peut voir de quel esprit il est animé, ce qu'il aime, ce qu'il désire, ce après quoi il court. Voilà le miroir de la vérité; seulement, après avoir considéré sa conscience, il ne faut pas s'éloigner et oublier ce qu'on a vu. L'ambition, la curiosité et la volupté ne viennent pas du Père, mais du monde. Et parce que beaucoup de manuscrits ne portent pas « ambition du siècle, » mais « orgueil de la vie ; » par « concupiscence de la chair, » entendez tout ce qui forme les délices des sens corporels, délectation dont la curiosité elle-même n'est pas privée; et ensuite, par « concupiscence des yeux,» entendez tout ce qui touche au jour de l'homme ( que le Prophète (Jer. XVII, 16.) n'a nullement désiré), à la gloire du siècle et à la vanité du dehors. Et dans « l'orgueil de la vie,» voyez l'élévation superbe du cœur. Quiconque aime ces trois choses aime le monde et est ennemi de Dieu. Qui éprouve ce sentiment malheureux doit prendre, non l'office de médiateur, mais s'attacher à l'œuvre de la réconciliation, et même à l'inimitié il ajoute le crime de la, trahison, et il mérite d'être jugé, non comme un ennemi, mais comme un traître, comme Judas, et non comme Saül.

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XX. - De l'impudeur.

23. Car, lorsque l'impudeur et la hardiesse ont endurci le cœur au point qu'il ne craint plus, qu'il n'éprouve plus ni horreur ni répugnance; c'est alors un état désespéré qui commence. Quoi donc? Ayant le sentiment de toutes ses fautes, comme s'il avait néanmoins accompli la justice, l'homme ne craint pas de se présenter devant la face du Seigneur, il entre et sort comme un de ses domestiques, il salue le maître, il fléchit les genoux, il le baise d'une bouche sacrilège , il agit avec dissimulation à la présence du Seigneur, pour que « son iniquité soit découverte et aille jusqu'à provoquer la haine. (Psal. XXXV, 3.) Car la hardiesse téméraire est odieuse à Dieu et l'impudence lui est en exécration. En effet, « pourquoi l'impie a-t-il irrité Dieu, pourquoi le pécheur a-t-il exaspéré le Seigneur? Pour qu'il ne recherche pas le péché selon l'étendue de sa colère? » (Psal. IX, 13.) N'est-ce pas à cause des fornications, des incestes ou des sacrilèges ? Le prophète ne fait mention d'aucun de ces crimes, il marque seulement le péché de celui qui a dit dans son cœur: « Le Seigneur n'en fera pas la recherche : » La parole du cœur, c'est l'affection, et dire : « Il n'en fera point la recherche, » c'est ne point craindre l'inquisition qu'en fera le Seigneur. Voilà l'impiété que le Seigneur épargne dans l'étendue de sa colère, qu'il ne cherche, qu'il n'accuse, qu'il ne punit pas, et dont « il ne tire pas vengeance, selon les invectives des pécheurs, » comme nous le lisons qu'il le pratiqua à l'égard de Moïse, d'Aaron et de Samuël, auxquels il fit sentir son indulgence. (Psal. XCVIII, 8.)

XXI. - De la commisération cruelle.

24. Mais, entendons expressément et en particulier, qui est-ce qui est coupable de cette impiété. « Prenons pitié de l'impie, » dit le Seigneur, comme s'il délibérait dans le conseil et la réunion des Anges. » (Is, XXVI, 10.) Ils n'ignorèrent pas que le juge méditait un acte de miséricorde plus cruel que toute indignation, miséricorde par laquelle l'homme n'apprend nullement à faire la justice, mais s'écrie, en s'endormant malheureusement : « Dieu a tout oublié, il a détourné son visage ; » et passe ses jours dans l'abondance des biens, étant sur le point de descendre dans les enfers ; et « quand il aura dit : paix et sérénité, le trépas fondra inopinément sur lui, » sans qu'il puisse lui échapper. (I. Thessal. V, 3.) « Et il n'apprendra point, » dit-on, à « faire la justice. Il a commis l'iniquité dans la terre des Saints,» dit le Seigneur, comme s'il disait: je ne veux pas qu'il apprenne à pratiquer la justice, son iniquité est allée jusqu'à exciter ma haine. Faut-il chercher encore quel est cet impie? « Il a commis l'iniquité,» dit-il, « dans la terre des saints, » dans les possessions de l'Église, qui avaient été désignés pour servir aux Saints, dans la maison de Dieu, à qui la sainteté convient si justement; séjour au sujet duquel, saint Paul adressait à son disciple, ces paroles pleines d'un vif intérêt : « Afin que tu saches comment il te faut conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Église du Dieu vivant, la colonne et le fondement de la vérité. (I Tim. III, 15.) Celui qui commet l'iniquité dans le clergé, comme dans le ciel, sur quoi sera-t-il jugé, sinon sur son ministère? Il remplit un office céleste; il a été fait l'ange du Seigneur des armées.» (Mal. II, 7.) Comme l'Ange, il est élu ou réprouvé. La dépravation a été trouvée dans les anges, et il faut qu'elle soit jugée avec plus de sévérité et d'une façon plus inexorable que celle des hommes.

25. Allez donc, « puisqu'un jugement sévère sera fait de ceux qui président, et que les puissants seront puissamment tourmentés : (Sap. VI, 6.) que votre orgueil monte toujours, marchez à la suite de votre roi. Que vos yeux voient comme de face toute hauteur superbe. Hâtez-vous de multiplier vos prébendes; de là, prenez votre essor vers la dignité d'Archidiacre, aspirez enfin à l'épiscopat, sans trouver même de repos dans cette position si élevée , parce que c'est ainsi qu'on va aux astres. Où allez-vous, malheureux? Voulez-vous vous exalter si haut, afin que votre chute soit encore plus terrible? Car vous ne descendrez pas peu-à-peu, mais vous serez renversé soudain comme l'éclair par un choc violent, semblable à un autre Satan. « Ils ne sont point dans le travail des hommes, et ils ne seront point flagellés avec les humains; aussi l'orgueil s'est emparé d'eux: » (Ps. LXXII, 5.) l'orgueil, le péché du démon, qui a fait tomber ceux qui opèrent l'iniquité. C'est ce péché qui ne supporte pas la discipline, qui refuse d'être soigné, quine veut pas de remède. Ulcère bien mauvais, qui ne peut pas être touché même du bout des doigts. Je redoute l'indignation du Seigneur sur eux, et je crains que le jugement que l'on fera à leur sujet, sera terrible. Pourquoi ne craindrai-je pas , n'ignorant point les morsures , la folie spirituelle et la frénésie des âmes ? Mais les paroles que je cite sont du Seigneur ; eux aussi, ils les lisent et les comprennent pareillement, puisqu'ils connaissent la loi. « Il a commis l'iniquité dans la terre des saints, il ne verra jamais la gloire du Seigneur. » Voilà une parole bien dure; c'est une menace bien terrible : « Il ne verra jamais la gloire du Seigneur. (Is. XXVI, 10.) De quoi sert donc d'avoir vu tout le reste? Est-ce là, toute la fin de la miséricorde? Je ne veux point cette miséricorde; loin, bien loin cette commisération si cruelle, de crainte que mon âme ne partage le sort de ces malheureux.

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XXII. - De la commutation de la peine de l'homme pour celle du diable.

26. Car, qui vous a appris, ô malheureux, à vous échapper devant la colère à venir ? Pourquoi fuyez-vous avec tant de soin la colère présente, pourquoi craignez-vous le châtiment et évitez-vous la verge? Et certes, en ce jour, tout cela vous aurait apporté la paix, si vous aviez su le connaître. Vous changez votre punition, vous ne l'évitez pas, car le mal ne peut rester impuni. Votre propre volonté ne l'expie point ici; ailleurs, il sera puni sans fui : Changement malheureux et plein d'une extrême folie! Fuir la peine imposée de l'homme, et choisir les châtiments éternels infligés au démon. Car remarquez et considérez que ce feu n'a point été préparé pour l'homme, mais pour le démon et ses mauvais anges. C'est lui qui est l'ennemi et le loup; nous, nous sommes, le peuple de Dieu, et les brebis de son bercail. A lui, la bâche et le marteau; à nous, la verge et le fouet. Trouvée suffisante pour enflammer la haine du Seigneur, son iniquité a sa prison, sombre cachot, où il n'est pas de rédemption, où il n'est nullement permis de respirer. On m'assigne une captivité dont la dureté est plus supportable , dont la durée est plus courte. Là, le Seigneur irrité se souvient de sa miséricorde, et il envoie à son peuple une rédemption abondante. Enfin, il m'a fixé une époque ; il m'a dit : « jusqu'à telle époque : » Au démon, il donne le feu éternel. «Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, » dit-il, « jusqu'à-ce que tu reviennes dans la terre d'où tu es sorti. » (Gen. III, 19.) L'esprit infernal n'a pas été tiré de la terre, et il n'y doit pas retourner un jour. Aussi, il n'est pas châtié « jusqu'à cet instant, » mais le feu, qui lui est destiné, est éternel. Il n'est donc nullement expédient, en suivant la sagesse de ce siècle, de vouloir frustrer le jugement de l'auteur du siècle, de vouloir éluder sa sentence, en évitant la peine et la sueur des hommes, comme si rien de ce qui a été dit à Adam ne pouvait nous arriver; comme si, en sa personne, nous n'avions pas été condamnés au travail, nous qui avons tous péché en lui; ou bien, comme si une faute commune ne devait pas être châtiée d'une peine commune.

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XXIII. - Du jugement d'Abraham.

27. Peut-être quelques-uns disent-ils: Quel péché commettons-nous ? Toute créature de Dieu est bonne, nous possédons nos biens d'une manière licite, nous employons nos ressources et nous nous abstenons de rapine et de brigandage. Effectivement vous ne nourrirez point des corbeaux sur la croix. Et moi, je n'entends adresser aucun de ces reproches, à ce riche dont le Seigneur fait mention dans son Evangile. « Il était revêtu de pourpre et de bysse, tous les jours il faisait des repas splendides. » (Luc. XVI, 19) Mais on l'accuse de cruauté, parce qu'ayant les biens de ce monde et voyant son frère dans le besoin, il avait fermé ses entrailles au spectacle de son indigence. Quand est-ce que cette vue manque au riche? Combien de Lazares voyez-vous, pauvres, nus, souffrants, et vous êtes plus occupé de vos chevaux et de leurs harnais que des misères de ces infortunés. Mais arrivons au terrible jugement prononcé par Abraham: Ce n'est pas la sentence d'Abraham, mais bien l'arrêt du Dieu d'Abraham. « Souvenez-vous, mon fils, dit-il, « que durant votre vie, vous avez reçu des biens, et Lazare pareillement des maux. » L'un et l'autre est vrai, et on ne peut en aucune façon le nier. Rendez la sentence, car en ce peu de mots, est exprimé tout le gros de l'affaire. Le riche a joui des biens, le pauvre des maux. Et maintenant? « Maintenant, » dit Abraham, « le pauvre est consolé et tu es tourmenté. » Réveillez-vous, ô vous qui êtes ivres, et pleurez. Car Dieu est terrible dans ses jugements sur les enfants des hommes. Est-ce là tout le sujet de ses tourments, d'avoir reçu des biens en ce monde ? Oui, c'en est là tout le sujet. Car la vengeance divine ne semble pas nous avoir chassés du paradis des jouissances, pour que l'industrie de l'homme s'en préparât un autre ici-bas. L'homme naît pour le travail; s'il fuit le travail, il ne remplit pas le rôle pour lequel il est né, ce pourquoi il est venu en ce monde. Que répondra-t-il à celui qui l'a envoyé, qui l'a établi pour travailler ? « Souviens-toi que tu as reçu des biens en ta vie, et que Lazare a souffert pareillement des maux; maintenant il est consolé, et toi tu es tourmenté. » Que dirons-nous à cela? Si telle est la fin, si tel est le jugement, si le deuil est à la fin de la joie, n'est-il pas vrai qu'il faut préférer en ce monde les maux aux biens ? Car les choses qui s'y trouvent ne sont évidemment pas de véritables biens, pas plus que les maux n'y sont réellement des maux. La parole de Salomon est bien plutôt vraie: «Mieux vaut aller à la maison du deuil, qu'à la maison du banquet.» (Eccl. VII, 3.)

28. Du reste, si c'est ainsi que doivent être tourmentés ceux qui ont reçu des biens durant leur vie; (Luc. VI 24.) si un « malheur » éternel est réservé à ceux qui ont présentement leur consolation ; comme déjà on a trouvé des personnes qui savent en toutes choses, dans la sagesse de la chair, réprouver le mal et choisir le bien , quelle pourra être leur fin, si les douleurs se font sentir aux âmes des misérables, selon la grandeur des consolations qu'ils auront goûtées? Car il paraît conséquent que ceux qui reçoivent tous les biens, et qui jouissent de toutes les consolations de ce genre, aient, en perspective, un malheur universel avec tous les tourments. Peut-on pareillement inférer de cette sentence rendue par Abraham que ceux qui, conduits par un esprit contraire, dédaignent tous les biens de la vie actuelle et choisissent les souffrances pour leur part, auront aussi tous les biens du Seigneur et ressentiront tontes '.es consolations? C'était peut-être ce que saint Pierre voulait se faire dire, lorsqu'il déclara au Seigneur avec tant de confiance et tant de liberté : « Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre ; que nous donnerez-vous ? (Matth. XIX, 27.)

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XXIV. - Comment a tout quitté, celui qui n'avait presque rien.

29. C'est une question bien connue, de demander comment Pierre, qui n'avait presque rien, se glorifie avec tant de confiance d'avoir tout abandonné. Aussi l'un des saints a dit : « Celui-là quitta beaucoup, qui abandonna la volonté de posséder. » Et peu après : « ceux qui suivirent le Seigneur abandonnèrent autant de choses qu'en peuvent désirer ceux qui ne le suivent pas. « C'est une réponse vraie, et peut-être elle est décisive. La volonté de posséder comprend-elle tant de choses, que l'avoir abandonnée, soit avoir tout quitté? Quel homme peut tout désirer, surtout quand cet homme est un pêcheur, et un personnage vulgaire ? Mais en cherchant avec soin, ce qui peut suffire à chacun, il est facile de voir que la volonté désire tout. On né met pas de bornes aux appétits de la concupiscence, jusqu'à ce qu'elle paraisse satisfaite, jusqu'à ce qu'elle ait obtenu ce qui peut combler ses vœux. Mais celui qui aime l'argent, ne dira jamais : c'est assez; le voluptueux ne se rassasiera jamais de plaisirs. Pareillement, celui qui est féroce et cruel, a toujours soif de sang; l'ambitieux et celui qui est avide des distinctions humaines, après avoir obtenu les titres et les faveurs, n'en reçoit aucun soulagement : et il recommence à éprouver des envies encore plus brillantes. Il trouve encore moins le repos, celui qui cherche à se plaire à lui-même, et qui se glorifie des témoignages qu'il se rend, ou que lui rend quelque insensé, disant : « c'est ma main élevée, (peut. XXXIII, 27,) etc; et croyant être quelque chose, en réalité il n'est rien.

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XXV. - De la faim qui n'est pas naturelle et qui est insatiable.

30. J'ai vu un jour cinq hommes, et pourquoi ne les tiendrais-je pas pour frénétiques? Le premier, mangeait à pleine bouche du sel marin. Couché au bord d'un lac sulfureux, le second s'efforçait de humer les vapeurs fétides qui s'en exhalaient. Etendu sur une fournaise grandement embrasée, le troisième se réjouissait de recevoir en sa bouche tout ouverte les étincelles qui s'en échappaient en pétillant. Le quatrième, assis sur le haut du temple, aspirait en ouvrant la bouche, le souffle léger de l'air, et, s'il en sentait moins l'influence, avec un éventail, il l'agitait autour de lui, comme s'il espérait avaler tout l'air de l'atmosphère. Placé à l'écart, le cinquième se moquait des autres, lui qui devait au plus haut point provoquer les dérisions. Car, avec une ardeur incroyable, il s'efforçait de se sucer le corps, portant à sa bouche, tantôt ses mains, tantôt ses bras, tantôt d'autres membres. Prenant pitié de ces hommes, et demandant à chacun la cause de sa misère, je trouve en tous une faim incroyable. Contemplant alors leurs visages amaigris, je me rappelais les gémissements et la parole du Prophète : « Mon cœur s'est desséché, parce que j'ai oublié de manger mon pain. » (Psal. CI, 5.) De quoi vous servent tous ces efforts, leur dis-je? Ce ne sont pas là des aliments naturels ; ils excitent la faim, plutôt qu'ils ne la calment. Car le pain de l'âme, c'est la justice, et ceux-là seuls sont « heureux qui en éprouvent la faim, parce qu'ils seront rassasiés. » (Matth. V, 6.) Car, faite à l'image de Dieu, l'âme raisonnable peut être distraite par les créatures, elle n'en peut être remplie. Le cœur, étant capable de contenir Dieu, rien de ce qui n'est pas Dieu, ne le contentera.

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON. SUR LE LIVRE DES DÉCLAMATIONS. n. 30.

299. J’ai vu parfois cinq hommes. Sous ces formules ou plutôt sous ce langage parabolique l'auteur désigne différentes espèces de pécheurs rongés par la faim. Car il prétend que le monde. est une réunion d'hommes affamés, dévorés par la faim, insatiables pour les biens temporels et périssables, et dégoûtés en même temps des richesses célestes. En effet, ils ne mangent rien qui puisse les rassasier, et par conséquent, ils sont tous dévorés par la faim et périssent. Par conséquent, le premier de ces hommes représente les avares, le second, les luxurieux, le troisième, ceux qui sont portés à la colère, le quatrième, les orgueilleux et les ambitieux, le cinquième, ceux qui sucent leur propre chair ou les jaloux et ceux qui se plaisent à eux-mêmes et présument de leurs forces.

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XXVI. Du circuit que font les impies.

31. De là vient que chaque homme, montre qu'il cherche par un désir naturel, le souverain bien, ne pouvant goûter de repos que lorsqu'il l'aura rencontré. Les malheureux, ne trouvant pas le chemin qui y conduit, errent, et, comme il est écrit, « les impies font le tour, » (Ps. XI, 9) cherchant les biens moindres, ils désirent toujours, celui qui est au-dessus de tous, et qu'ils n'ont pas atteint, bien que placé plus près d'eux. Et plût au ciel, qu'un seul homme eût tous les autres biens, si cela se pouvait faire; sans le moindre doute, du même désir qu'il recherche les biens qu'il veut posséder, il courrait à la poursuite du souverain bien, qu'il sentirait lui manquer seul. Mais ces biens sont innombrables, et ils sont pareillement recherchés par les autres. Ce qu'il peut, chacun le dépense en une partie de la route, et nul n'en peut faire en entier le tour. Voulez-vous le dépasser? Sautez, si vous rie faites pas ce brusque mouvement, vous serez malheureusement arrêté dans le désir des biens terrestres, et vous vous trouverez d'autant plus éloigné du souverain bien, que vous vous serez livré davantage aux choses caduques et périssables. Car vous marchez en décrivant un cercle, et ce qui était tout près de votre cœur et de votre bouche, si le cœur le croyait, et la bouche le confessait, vous lui tournez le dos en votre écart, et vous vous en éloignez. De là vient que le Psalmiste crie : « convertissez-vous, enfants des hommes. » (Ps. LXXXlX, 3.) Et encore : « Tournez-vous, tournez-vous, Sunamite; tournez-vous, tournez-vous, pour que nous vous regardions en face. » (Cant. VI, 12.) La route est escarpée et difficile à suivre; et vous arriverez plutôt en méprisant tous les biens, qu'en les possédant.

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XXVII. Qu'il faut hâter sa conversion.

32. Voici « que nous avons tout quitté, et que nous vous avons suivi, que nous donnerez-vous ? » Parfile digne de la foi et de la dévotion des Apôtres. Déjà, ô Pierre, vous avez suivi le Seigneur; et maintenant, vous demandez , ce qui vous sera donné en retour. Vraiment Simon est obéissant au premier mot que son oreille entend, sans faire de convention, sans établir de pacte. Car au premier ordre du Seigneur, « Pierre et André, quittant toutes choses, suivirent le Rédempteur. » (Matth. IV, 20.) Que si cette conduite parait folie à l'homme charnel, qu'il écoute : « Ce qui est folie en Dieu, est ce qu'il y a de plus sage pour les hommes, et c'est pour cela qu'il a plû à Dieu, de sauver ceux qui croient, par la folie de la prédication, parce que le monde De l'avait nullement connu par la sagesse. » (I Cor. 1, 25.) Car combien cette sagesse maudite du monde dérange-t-elle de têtes, et en combien de personnes trouble-t-elle l'esprit qu'elles avaient reçu, et que le Seigneur désirait grandement voir s'enflammer! N'agissez pas, dit-elle, avec précipitation, considérez longtemps, examinez avec plus de soin. C'est une grande chose, que celle, que vous vous proposez, elle réclame de profondes réflexions. Essayez vos forces, consultez vos amis, pour ne point avoir à vous repentir, après avoir réalisé votre dessein.

33. Voilà la sagesse du monde, sagesse terrestre, animale, diabolique, ennemie du salut, extinction de la vie, mère de la tiédeur, qui provoque le vomissement du Seigneur. Prenez garde, dit-elle. Pourquoi donc ? Comme vous ne doutez pas que cette pensée vienne du Seigneur, qu'est-il besoin de délibérer? L'ange du grand conseil vous appelle, pourquoi attendez-vous des conseils étrangers? Qui. est plus fidèle, qui est plus sage que lui? Séduisez-moi, Seigneur, et je serai réduit, soyez plus fort et triomphez. Je connais ce qui se doit exécuter promptement. Je suis arraché de l'entrée du puits de l'abîme ; et je demanderai des délais, et je retarderai et j'hésiterai à sortir pour faire quelque chose durant ce temps-là? J'ai caché du feu dans mon sein, mon côté embrasé, mes entrailles à nu, la pourriture coulant déjà, est-il besoin de délibérer longtemps, pour savoir si je me réveillerai, si je le jetterai loin de moi? Ce qui est offert est très-considérable : raison de plus, pour le saisir avec plus de joie et d'empressement, pour l'enlever à bras tendus, avec transport et ferveur. Mais qu'il s'éprouve lui-même, celui qui présume de sa vertu : car la vertu divine est tout-à-fait éprouvée, qu'il consulte ces amis, (Mich. VII, 6) celui qui n'a pas lu : « les ennemis de l'homme sont ceux qui sont dans sa maison. » (Matth. X, 36)

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XXVIII. - De trois réponses du Seigneur, à ceux qui promettaient de le suivre.

34. Pourquoi lire fréquemment l'Evangile, si on ne lui obéit pas? Nous y trouvons qu'à celui qui voulait suivre le Seigneur, mais aller auparavant ensevelir son père qui était mort, il fut répondu, « de laisser les morts ensevelir leurs morts. » (Matth. VIII, 11.) A un autre, qui désirait seulement dire adieu aux siens qui étaient dans la maison : « Personne mettant la main à la charrue, et regardant en arrière, n'est propre au royaume de Dieu. » (Luc. IX, 62.) Mais qu'avait entendu le premier? «Seigneur, » s'est-il écrié, « je veux vous suivre, partout où vous irez. » Le Seigneur lui répondit: «Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel un nid; le fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » (Matth. VIII, 19.) Il condamnait la prudence de la chair, quand il parlait de la tanière du renard, et l’orgueil du cœur, quand il désignait le nid des oiseaux. On voit certaines personnes qui, abandonnant tout, se disposant à quitter le siècle, veulent offrir comme il faut, mais ne veulent pas partager comme il est nécessaire: dans leur prudence humaine, craignant de se confier au bon plaisir divin, elles se réservent je ne sais quel levain, qui corrompt tout le reste : on en a fait l'expérience en un grand nombre. Un autre, pensant promptement à entrer sans guide et sans chef dans une carrière spirituelle, marche dans les grandes idées, et dans les éclatantes pensées qui sont au-dessus de lui, « sautant avant que de voir, » comme on dit vulgairement, « et devant tomber avant le temps. » Pierre, jetant toute sa pensée sur le Seigneur, et déposant dans son cœur, toute son inquiétude, assuré qu'il prendrait soin de lui, quitta tout, le suivit, ne lui demandant pas même quelle serait la récompense, jusqu'à ce que le péril que courent les riches, péril dont le Sauveur entretenait ses disciples, lui fournit l'occasion de s'en informer.

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XXIX. - De la seconde régénération.

35. « Qu'y aura-t-il donc pour nous? » Jésus lui dit : « je vous l'assure en vérité. » On met en avant une formule de confirmation et d'assurance : comprenez qu'il va être dit quelque chose de grand. «Je vous le dis en vérité, vous qui m'avez suivi dans la régénération lorsque le fils de l'homme, etc. » Qu'est-ce à dire, « dans la régénération ? » ou bien qu'est-ce que cette nouvelle naissance ? Car nous n’ignorons pas qu'il y a pour l'homme nécessité de naître de nouveau, non du sang, non par la volonté de l’homme, mais de l'eau et du Saint-Esprit. (Joan. III, 3.) Du reste, comme la promesse, qui est, faite en ce lieu, ne peut en aucune façon se rapporter à cette régénération, peut être est-ce une autre régénération qui est nécessaire car ce n'est, pas seulement deux fois, mais trois que l'homme doit naître. Malheureux que je suis, et malheureux est mon sort, une régénération. ne me suffit pas, il m'en faut deux; composé d'âme et de corps, je suis tombé tout entier à la fois, je ne puis me relever tout entier en un seul coup. N'est-il pas juste que la partie, qui est la plus excellente, soit réparée la première. Que l'âme soit ce qu’il y a de plus parfait en nous, qui l'ignore ? Que ce qui tomba d'abord, soit d'abord réparé ; lorsque surtout c'est de sa faute, qu'est sorti le châtiment qui à été infligé à l’autre partie qui constitue l'homme, et lorsque sa propre corruption, a été aussi la cause de la corruption du corps. Voilà pourquoi le Sauveur est d'abord venu pour les âmes, afin d'enlever les péchés du monde et non les, peines de la chair. Chose qu'il a montrée avec évidence en lui-même, exposant son corps à toutes les souffrances, et préservant entièrement son âme des atteintes de tout péché.

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XXX. - Que le corps attende l'époque de sa régénération.

36. Ce n'est point là, il s'en faut de beaucoup, le spectacle que présentent les hommes aujourd'hui ; ils négligent le soin de l'âme, ils prennent souci de la chair et contentent tous ses désirs. Ils ne craignent pas le péché, ils en redoutent le châtiment. On ne cultive point la vertu du cœur, mais on soigne la santé du corps, et même on satisfait ses plaisirs. Ils ont appris cette doctrine à l'école d'Hippocrate et à celle d'Epicure. Car le Christ n'a rien enseigné de semblable à ses disciples : mais « apprenez, » dit-il, « apprenez de moi, que je suis doux et humble de cœur. » (Matth. XI, 29.) « Enfants des hommes, jusques à quand votre cœur sera-t-il lourd, pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge? (Psal. IV, 3.) Le temps présent est consacré aux âmes et non aux corps ; c'est le jour du salut, ce n'est pas l'heure du plaisir. «Chaque chose a son temps » (Eccl. III, 1.) ; il faut pour le moment s'occuper des âmes. Car, « celui qui sème dans la chair, n'en recueillera que la corruption. » (Gal. VI, 8.) Mais, dit-on, « personne n'a jamais haï sa chair. » (Eph. V, 29.) Cela est vrai; mais en ayant un zèle qui n'est pas selon la science, en voulant trop se hâter de lui servir, on se trouve lui avoir nui. Car, comme le jugement que subira la chair, dépend de l'âme, rien ne peut-être plus utile au corps que de pourvoir au salut de l'âme, afin qu'au temps voulu, on fasse attention au corps, et que, compagnon associé à ses souffrances, il mérite également d'être participant de son bonheur. D'où vient que l'Apôtre dit : « nous attendons Notre Seigneur Jésus-Christ, qui réformera le corps de notre humilité configuré sur le corps de sa clarté. » (Phil. III, 20). Repose en cet espoir, ô chair malheureuse, celui qui est déjà venu pour l'âme, viendra aussi pour toi : celui qui l'a réformée, ne l'oubliera. pas à jamais. En attendant que vienne ton tour, que l'âme se régénère, et comme connue d'avance et prédestinée par le Seigneur, qu'elle devienne semblable au Fils de Dieu par la douceur et l'humilité du cœur. Toi aussi, sache qu'un jour tu seras renouvelée et rendue conforme à son corps dans la gloire et dans l'éclat de la lumière.

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XXXI. - Que nous ne nous arrêtions point dans la route.

37. « Dans la régénération, » dit le Seigneur, « lorsque le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa majesté, vous serez assis vous aussi, etc. » (Matth. XIX, 28.) Atteignez, dit-il, celui que vous suivez afin que lorsqu'il sera assis, vous soyez pareillement assis. Car, quand est-ce qu'il s'est assis en ce monde, quand s'est-il arrêté, quand a-t-il reposé sa tête? « Il s'élança pour fournir sa carrière, » (Psal. XVIII, 6.) il passa en faisant le bien, (Act. X, 38.) n'ayant ni tanière, ni nid, ni place dans une hôtellerie, jusqu'à ce qu'ayant enfin achevé l’œuvre qu'il avait entreprise, il mérita d'entendre l'ordre qui lui fut donné de s'asseoir, et ces paroles que le Seigneur adressa à mon Seigneur : « asseyez-vous à ma droite.» (Psal. CIX, 1.) Insensé, vous qui choisissez de présider plutôt que d'être assis à côté, vous cherchez donc, au milieu d'une route, des lieux pour vous fixer. Le Seigneur est venu afin de servir et non pour être servi; (Malth. XX, 28.) vous au-dessus du maître, et plus grand que le Seigneur, bien plus, n'étant plus ni disciple, ni serviteur, vous vous empressez de vous asseoir. «Vous dormez un peu, vous sommeillerez, vous serrerez vos mains peu de temps. » (Psal. VI 10.) Il bondit sur les montagnes, il franchit les collines. Mon âme crie après lui: « Tirez-moi après vous, nous courrons à l'odeur de vos parfums. » (Cant. 1, 3.) Autrement espérez-vous (atteindre en vous arrêtant, en vous posant et en faisant des haltes? « Il s'est élancé comme un géant pour fournir sa carrière. » (Psal. XVIII, 6.) Sans nul doute, il aime qu'on le suive avec joie. Vous n'êtes pas encore arrivé au but, vous n'avez point touché la borne. Un grand chemin vous reste encore à parcourir : n'arrêtez point votre course, ne vous plantez pas au milieu de la voie. « A la sueur de votre front, » dit-il, « vous mangerez votre pain, jusqu'à ce que vous retourniez dans la terre d'où vous avez été tiré. » (Gen. III, 19.) Et alors certainement ce sera le temps du repos, quand l'esprit lui-même, vous dira de vous délasser de toutes vos fatigues. Jusqu'alors la paix ne sera pas consommée, ni le repos ne sera parfait, ni la session définitive et pleine.

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XXXII. - Comment à présent, nous ne sommes assis d'aucune façon.

38. « Dans la régénération, » dit-il, « quand le fils de l'homme sera assis sur le trône de sa majesté, vous serez assis vous aussi, »et le reste. Heureuse régénération. Quand renaîtrai-je pour m'asseoir, homme misérable, né pour le travail? O m'assiérai-je jamais tout entier, moi en qui la moindre molécule ne se repose jamais, en qui rien n'est tranquille, rien n'est calme, rien n'est posé, rien ne reste dans le même état « Vous serez assis vous aussi, » ô belle position ! Qui me donnera d'exprimer en termes convenables, ce que dans l'affection de mon cœur, je conçois de cette session? Bien plus, qui me donnera de jouir sans être dérangé, de son imperturbable repos, repos que je désire, que je veux, que je cherche? Car voici qu'en moi, comme je m'en suis déjà plaint, rien n'est assis, tout est en mouvement, tout remue, tout est agité comme des flots. Là où la chair convoite contre l'esprit et l'esprit lutte contre la chair, qu'y a-t-il dans l'homme qui paraisse calme? Ce n'est pas seulement la concupiscence qui trouble la paix, empêche le repos de la session et ne permet pas d'être dans le calme; un double souci agite aussi, selon le corps, l'homme malheureux, le sentiment de la douleur présente, et la crainte de la mort future. Car ce corps est passible et mortel, et une double inquiétude trouble aussi l'âme, l'espérance et la crainte. C'est entre ces deux extrémités qu'elle fluctue constamment, tant qu'elle habite le corps de péché, s'élevant parfois jusqu' au ciel et descendant ensuite jusqu'aux abîmes; plongée dans le met ét néanmoins enflammée pour le bien.

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XXXIII. - De la session imparfaite.

39. Elle aura lieu, lorsque sortant de cette maison de boue, l'âme sera entièrement délivrée de la crainte, mais non encore de l'attente. Des lors, il n'y aura plus de terreur sur nos frontières; mais singulièrement établis dans l'espérance, nous chanterons chacun dans la joie de l'âme et de l'esprit : sentiment qu'avait goûté par avance en quelque manière celui qui s'écriait : « Mon âme, tourne-toi vers le lieu de ton repos, car le Seigneur t'a fait du bien, il a arraché mon âme à la mort, mes yeux aux larmes, mes pieds à l'endroit qui fait tomber. » (Psal. CXIV, 7.) Quant à l'attente, le même personnage dit : « Les justes attendent que vous me récompensiez. » (Ps. XLI, 8.) Ils attendent non-seulement que le nombre de leurs frères soit parachevé, mais encore que le corps soit restauré, lui aussi, dans sa régénération. Bien plus, ils sollicitent cette grâce avec désir, criant vers Dieu, sous l'autel du Seigneur, ainsi qu'a pu l'attester celui qui a mérité d'entendre leurs saintes clameurs. (Ap. V. 9.) Car, qui dira que le corps est assis, lorsqu'il s'écoule dans la pourriture , et qu'il tombe en poussière et corruption ?

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XXXIV. - De la session parfaite.

40. « Dans la régénération, » dit-il, « vous serez assis vous aussi; car le corps est mis en terre à l'état animal, et il ressuscitera spirituel. Il est semé dans l'ignominie, il se lèvera couvert de gloire. » (I Cor. XV, 44.) Où sera alors, ô mort, ta victoire ? car, dernière ennemie, tu seras détruite en ce jour. Le corps de la résurrection ne meurt pas, en effet, la mort n'a plus d'empire sur lui. (Rom. VI 9.) Mais toute douleur et toute plainte s'évanouiront, « parce que Dieu essuiera toute larme sur la paupière des saints, et désormais il n'y aura plus ni deuil ni pleurs, aucune douleur ne se fera sentir, parce que les choses premières auront passé. » (Ap. XVI, 4.) Heureuses larmes qu'essuiera la main compatissante du créateur, et bienheureux yeux qui ont préféré de s'écouler en répandant de telles larmes, plutôt que d'être élevés par l'orgueil, que de voit en face toute élévation, que de servir à l'avarice et à l'impureté. Le corps sera donc assis, lorsque doué d'immortalité et d`impassibilité, comme d'une double félicité, affranchi de toute nécessité, à l'abri des atteintes de la corruption, exempt et préservé de toute concupiscence, plein de gloire, il sera semblable au corps brillant du Christ: l'âme sera pareillement assise, ne désirant rien et ne craignant rien , en tant que remplie de bonheur et jouissant en assurance de la plénitude de tous les biens, ne sentant plus l'agitation des pensées, les assauts des tentations, les émotions ides affections; elle sera plongée entièrement dans l'abîme de cette immobilité et attachée à Dieu, de telle sorte, qu'elle ne formera plus qu'un seul et même esprit avec lui.

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XXXV. - De la session du Seigneur.

41. Mais quand, et pour:qui seront ces jouissances ? « vous, » dit le Seigneur, « qui m'avez suivi, quand le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa majesté, vous aussi vous serez assis. » (Matth. XIV, 28.) Car déjà le fils .de l'homme est assis sur le trône de sa majesté, puisque, en montant au ciel, il est allé s'asseoir à la droite de Dieu. Mais il a été dit, .quand il siégerait, c'est-à-dire, quand il se montrerait en cette position, ainsi que l'exprime -l'Apôtre : « Car, lorsque le Christ votre vie aura apparu, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire. » (Col. III, 4.) Ou plutôt, oserons-nous dire qu'il est encore en quelque marnière debout, puisque son siège n'est pas entièrement achevé et que l'escabeau n'est pas encore placé sous ses pieds, ainsi que le Père le lui a promis? Ce n'est pas qu'il manque quoique ce soit à cette plénitude, mais c'est que la tête attend ses membres. Que celui qui a mérité de le voir en rende témoignage. « Voici, » dit Etienne, « que je vois les cieux ouverts, et le Fils de l'homme debout à la droite de la vertu de Dieu. » (Act. VII, 53.)

Saint Paul écrit ainsi : « le Christ , étant Pontife des biens à venir, est entré une fois dans les lieux saints, après avoir trouvé la rédemption éternelle. » (Heb. IX, 11). Du reste, dans la régénération des corps, il sera assis sur un trône de majesté, celui qui, pour opérer la réorganisation des âmes, fut placé sur la croix , comme dans un lieu de supplices, éprouvé également par les opprobres et les tourments, condamné à une mort à la fois très-dure et très-honteuse : « parce qu'il a été obéissant à son Père jusqu'à la mort, et à la mort de la croix : pour ce motif, son Père l'a exalté et lui a donné un nom, qui est au dessus de tout nom, afin, qu'au nom de Jésus, tout genoux fléchisse. » (Phil. II, 8.) J'ai dit cela, mes frères, pour vous faire connaître quels sont les. deux côtés de l'échelle qui doit être montée par ceux qui veulent suivre le Seigneur; quelle est leur base, quelle leur tête, quels leurs degré, au sommet des quels Dieu se trouve.

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XXXVI. - Des côtés de l’échelle.

42. Il nous faut dompter la chair, fouler aux pieds le monde, de telle sorte, qu'évitant la volupté du corps, nous prenions garde aussi à la vanité du sicle. Ce sont là les abominations des Egyptiens que nous immolons au Seigneur notre Dieu. (Exod. VIII, 26.) Et tout ce qui détourne les enfants de ce siècle, du chemin de la discipline et de la vie, tout ce qui occupe les serviteurs de Dieu, consiste eu ces deux choses que le Prophète loue d'une seule parole : voyez, dit-il, « mon humilité et mon travail. » (Psal. XXIV, 18.) Que ce soit donc là, les deux côtés de l'échelle, l'humilité et la rudesse, et qu'à ces deux côtés se rattachent ensuite solidement les degrés de la grâce et de la vertu intérieure. Car, on voit des hommes mépriser la gloire du monde, fouler aux pieds les faveurs de la populace, ne désirer d'aucune façon le jour de l'homme; mais, malgré cela, ils ne sont pas assez forts pour supporter les souffrances du corps, ils ne rejettent pas les choses molles, et ne triomphent pas des attraits de la chair. Que dire d'eux, sinon qu'ils ne tiennent pas l'autre côté de l'échelle ? Or, monter en ne s'appuyant que sur un côté de l'échelle, est chose dangereuse et qui expose à une chute prochaine.

43. Que si celui-là périclite, qui parait plus faible qu'il ne faudrait, par rapport à la chair, bien qu'il rejette la gloire du monde et n'en ressent nullement les affronts ; assurément il y a un danger bien plus effroyable, et bien plus inexcusable, pour celui qui, bien que châtiant son corps avec vigueur et ne lui épargnant aucune affliction, se trouve néanmoins résister avec moins de force au désir de la gloire, moins patient pour supporter les injures, moins inaccessible aux atteintes de la vanité du siècle. Qu'avez-vous à démêler, homme malheureux, avec ces bagatelles et ces calamités, avec ce faste et cette vanité, qui ne profite ni à l'âme ni au corps ? Pourquoi vous irritez-vous, et prenez-vous feu au souffle d'une parole qui ne blesse la chair ni ne souille l'esprit ? Il n'est rien de si étranger à la nature, rien de si contraire à la raison. Ne puis-je pas dire pareillement : qu'avez-vous à démêler avec les aliments et les vêtements ? Pourquoi êtes-vous ému parle froid et par la faim? Car l'âme, unie personnellement non avec ce monde mais avec le corps, peut beaucoup moins haïr la chair que le monde, car, elle doit beaucoup au corps et rien au monde. Ce que j'ai dit, non pour excuser la volupté, mais afin qu'avant toute chose, on évite la vanité et l'impureté.

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XXXVII. - Des degrés de l’échelle.

44. Assurément, dès que vous aurez établi et gravé dans votre cœur ce double sentiment, d'embrasser « l'aspérité » de l'abstinence et du travail du corps, et d'être content de tout ce qui est « vil » et inférieur, vous pouvez établir en sûreté les degrés des exercices spirituels, et consacrer à la pratique de la piété tout ce que vous retranchez au monde et à la chair, afin que, oubliant ce qui est en arrière et vous élançant vers ce qui est devant vous, (Phil. III, 12.) disposant vos ascensions, vous progressiez de vertu en vertu et méritiez de voir en Sion, le Dieu des vertus. (Ps. LXXXIII, 8.) Et d'abord par le désert de votre propre cœur et la vallée des pleurs, vous montiez comme une colonne de fumée, de là ensuite, vous élançant vers une région plus sereine, vous vous élèverez aussi du désert, appuyé sur le bien-aimé, inondé de délices, conduit de clarté en clarté, comme par l'esprit du Seigneur, cet esprit, qui scrute tout, même les profondeurs de Dieu. C'est là que vous rencontrerez en grand nombre, les degrés de la grâce multiple du Seigneur. Ce sont-là des choses spirituelles qu'il faut comparer aux spirituelles. Mais, pour le moment, notre parole s'adresse plutôt à ceux qu'il s'agit d'initier et tout son but est de rappeler en leur cœur les prévaricateurs. Ceux qui sont plus avancés ont le livre que nous avons publié jadis sur les douze degrés de l'humilité, degrés que nous enseigna dans sa règle, saint Benoît, cet homme vraiment béni en tout, rempli de l'esprit de tous les justes.

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XXXVIII. - De la voie orientale qui partit de la cellule du B. Benoît.

45. C'est lui qui nous a adressé l'échelle spirituelle dont le sommet touche au ciel, chose que nous trouvons marquée par un miracle arrivé à sa mort glorieuse et ainsi racontée par le pape Saint Grégoire: « Entouré de ses disciples soulevant ses membres affaiblis, il se tint debout, les mains élevées vers le ciel, et au milieu des paroles de la prière, il exhala le dernier soupir. Ce même jour, deux des frères, l'un éloigné du couvent, l'autre dans sa cellule, eurent des visions entièrement semblables. Ils aperçurent une route couverte de tapis et illuminée d'une quantité incalculable de flambeaux, par où, en droite ligne du côté de l'orient, on allait de sa cellule au ciel. Un personnage brillant, revêtu d'habits majestueux, se tenant au-dessus, leur demanda quelle était cette route. Ils avouèrent qu'ils n'en savaient rien; alors il leur fut dit: c'est le chemin par où, Benoît, l'ami chéri de Dieu, est monté au ciel. » Quelle est la voie qui part de cette cellule, sinon, l'ordre institué par cet homme bienheureux et le genre de vie qui tire de lui son origine ? C'est par-là, qu'est monté l'ami du Seigneur, «car, ce saint personnage n'a pas pu enseigner autrement qu'il n'a vécu. » Et c'est là la grande confiance de ceux qui s'attachent à marcher comme ils peuvent, sur ses pas, qui le suivent comme leur précepteur et leur porte-étendard. Et il ne peut venir en doute que ce genre de vie ne soit entièrement saint, et établi plutôt par l'inspiration divine que par la sagesse humaine, puisque par lui, cet homme vraiment Benoit et béni, a acquis tant de sainteté durant sa vie, et tant de gloire après sa mort.

46. Mais assez sur ce point : de crainte que quelqu'un ne vous accuse d'avoir voulu (que cette pensée soit toujours bien loin de notre cœur,) attaquer ceux qui se sont formé des manières de vivre, plutôt que consoler et exciter les autres. Quant à cette forme de vie du clergé que nous voyons pratiquée dans les églises (pour ne pas dire vie informe), de quel saint la tient-on, quel personnage l'a pratiquée dans le nouveau ou dans l'ancien Testament? Plaise au ciel que chacun se pose ces questions, et qu'on n'empêche pas sa conscience de convenir de la vérité sur ce point. Car combien en voyons-nous suivre des voies qui semblent bonnes aux hommes, et qui aboutissent aux abîmes. (Prov. XIV, 12 .) Combien qui gravissent cette échelle, qui ne va pas au ciel, mais qui tient une direction opposée, ayant pour côtés la concupiscence de la chair et la concupiscence des yeux, et pour degrés l'orgueil de la vie : choses qui sont du monde et non du Père.

47. Mets les degrés et les côtés de cette échelle que nous voulons vous recommander, sont du Père et non du monde, c'est sur elle que le Semeur se montra appuyé. « Vivons en ce monde, » dit l'Apôtre, « avec sobriété, piété, et justice. » (Tit. II, 12). La sobriété combat la volupté de la chair; la justice, la vanité du siècle, en rendant à chacun ce qui lui appartient, elle déplore qu'on flatte et prend pitié de qui s'irrite. Et le Sauveur lui-même, quand il courbait sous les mains de saint Jean-Baptiste, sa tête si élevée, dit : « C'est ainsi qu'il convient que nous accomplissions toute justice, » (Matth. III, 15.) réputant justice l'humilité seule. Montrons donc la sobriété envers nous, la justice envers le prochain, la piété envers Dieu. Car 1a piété forme le culte du Seigneur. Comme la volupté et la vanité, ainsi qu'on le sait, nourrissent l'orgueil du cœur, de même, la sobriété et la justice alimentent la piété : en sorte: que, progressant entre ces deus côtés au mayen de l'espérance, et allant, de la foi en la foi, l'âme arrive enfin à la charité qui domine tout.

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XXXIX. – Des bases de l'échelle.

48. Ces côtés: reposent sur les bases qu'a établies. la Sagesse; peut-être sur les deux, bois de la croix. Là où Notre-Seigneur est frappé à mort, et se trouve couvert de confusion, qui peut supporter les délices et la gloire des siens, je ne dis pas la chercher? Le Christ est flagellé et couvert de crachats, il porte l'instrument de son supplice, et devenu l'objet des railleries; il est vêtu, d'un habit de dérision; il a un roseau pour. sceptre, des épines pour couronne; il est percé de clous, mis au nombre des scélérats, étendu, sur le bois, et blessé même après sa mort; et en contemplant, tout cela, celui qu'on appelle chrétien ne rougit, pas de se livrer à ses voluptés, et de vouloir briller, dans le siècle? Du reste, si quiconque, disant « qu'il demeure dans le Christ, doit se conduire comme le Christ s'est conduit, (I Joan, II, 6.) à combien plus forte raison celui qui prétend rester pour servir le Christ, qui remplit l'office de son ambassadeur, et qui est. son serviteur, est-il inexcusable s'il ne le suit pas en marchant sur ses traces? Assurément s'il ne se renonce lui-même, s'il ne porte sa croix, il ne peut entièrement le suivre. (Matth. XVI, 24,) Mais qu'est-ce que prendre sa croix, sinon embrasser l'humilité et s'adonner au travail? Ainsi qu'il est, écrit: « J'ai choisi , d'être méprisé dans la maison de Dieu. » (Psal. LXXXIII, 11.)

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XL. - Des chapiteaux.

49. Mais cette échelle paraît peut-être moins solide, si elle n'est fixée que par les bases, sans être attachée aussi dans le haut par ses chapiteaux. C'est pourquoi, non content des exemples, qu'il a laissés, le Sauveur promet aussi des récompenses, afin que celui qui n'est pas entraîné par l'exemple du maître marchant devant lui, soit attiré par le désir de la rétribution : s'il est voluptueux; qu’il soupire, après ce torrent de volupté ; s'il est avide de gloire, qu'il aspire à ce haut degré de puissance judiciaire. « Vous serez assis, » dit, le Sauveur, « sur douze sièges, jugeant les douze tribus d'Israël. » (Matth. XVII, 28). Comme s'il disait : pour votre double honte et votre double confusion, votre récompense sera belle et louable. C'est pourquoi dans votre terre, vous posséderez double bien et la joie éternelle sera sur vous. Dans l'exil, vous éprouvez une double affliction, l'humilité et le travail sont votre partage. Mais consolez-vous et ne vous laissez point abattre, parce que, dans votre terre, qui est la terre des vivants, une double récompense de gloire et de jouissance vous est réservée. Les sièges annoncent en effet le repos imperturbable, et le jugement montre l'éminence de la dignité.

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XLI. - Du jugement.

50. Quel honneur mondain peut-on imaginer qui ne paraisse pas entièrement vil à côté d'une élévation si extraordinaire? Ce n'est pas au jugement d'une seule ville, d'un seul peuple ou d'une seule région que les juges ont à présider avec Jésus- Christ, c'est au jugement de toutes les créatures. Ils jugeront non-seulement les hommes, mais encore les Anges eux-mêmes, (I Cor. VI, 3.) ceux qui, dédaignant la fumée de la gloire présente, qui disparaît comme la vapeur après avoir, un instant brillé, préfèrent l'opprobre du Christ à l'éclat de toutes les dignités. « Ne craignez pas, petit troupeau, parce qu'il a plu à votre père -de vous donner un royaume. » (Luc. XII, 32). C'est une pensée arrêtée, quine sera pas effacée, un arrêt qui demeurera immuable ; le Seigneur l'a juré et il ne se repentira pas. «Je vous le déclare en vérité, 'vous qui m'avez suivi dans la régénération, quand le Fils de l'homme siégera sur le trône de sa majesté, vous siégerez vous aussi jugeant. » (Matth. XIX, 28). Quoi de plus glorieux? Que maintenant les enfants de l'orgueil jugent et préjugent, qu'ils trônent avec leur roi, qui s'est choisi le côté de l'Aquilon. Qu'ils s'exaltent et soient élevés comme les cèdres du Liban. Nous passerons et voici qu'ils ne seront plus. Qu'ils oppriment présentement ceux qu'ils pourront atteindre, qu'ils blasphèment, qu'ils entassent malédiction sur malédiction, que viennent sur nos têtes les insultes de ceux qui outragent le Christ, notre récompense est abondante dans les cieux. Cette gloire qu'ils se donnent mutuellement, qu'ils la possèdent, gloire vaine et mensongère, parce que vains et menteurs sont les enfants des hommes. Car la gloire qui vient de Dieu seul, ils ne la veulent pas, cette gloire qui est vraie et durable, parce que le Seigneur est vérité et celui qui est.

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XLII. - Des premières productions du figuier.

51. Ambition bien malheureuse, qui ne sait pas désirer les grands biens, cherchant à s'exalter à propos de choses minimes et s'abaissant lorsqu'il s'agit de plus considérables. Car on aime les premières chaires qui tomberont bientôt comme ces sortes de fruits que pousse d'abord le figuier. Ce sont des productions tout-à-fait inutiles, n'ayant que l'apparence des figues, sans en avoir la saveur; ce ne sont pas tant des fruits que l'annonce des fruits à venir, avant-coureurs qui doivent tomber pour faire place aux figues propres à la nourriture de l'homme. De là vient qu'au Cantique des Cantiques, l'épouse dit « l'hiver est fini, la pluie a disparu et s'est retirée. » (Cant. II, 13). Et peu après : « le figuier a donné ses premiers bourgeons, » c'est-à-dire que la persécution cessant, l'Église est devenue illustre; placée pour briller du plus grand éclat, dans les siècles. Elle donne avec beaucoup de raison, à cette excellence et à cette élévation, le nom de premières figues, pour avertir d'y considérer l'avenir bien plutôt que le présent. Car ce qui se voit, est temporel et ce qui ne se voit pas, éternel. Que ceux donc qui aiment les premières chaires, prennent garde de ne pas avoir les secondes; et que ceux qui choisissent à présent les premiers postes, redoutent de commencer à être placés avec ignominie à la dernière place. « Vous serez assis, » dit le Seigneur, « sur douze sièges, jugeant les douze tribus d'Israël. » Ce sera alors les figues, ce ne sera pas ces premières productions qui les précèdent. Il avait vu à l'avance ces sièges, le personnage inspiré qui chantait de la cité d'en haut : « c'est là que sont fixés les sièges pour le jugement, les sièges pour juger la maison de David. » (Psal. CXXI, 5). C'est là leur place, elle n'est point ici-bas. Car comment sont-ils fixés les sièges que nous y voyons, qui sont agités et renversés si souvent? Ce sont les fruits avant coureurs des figues que renverse et disperse le moindre souffle de l'air. Du reste que signifie la promesse de juger les douze tribus d'Israël, lorsqu'on sait que le monde entier est compris en elles?Est-ce parce qu'en ce temps-là, Dieu, n'étant connu que dans la Judée, par ce mot douze tribus; le Seigneur a voulu désigner la totalité des fidèles, la mentionnant comme devant être seule jugée, en vertu de cette parole : « Celui qui ne croit pas, est déjà condamné? » (Joan. III, 18.) Car voilà la gloire singulière de ceux qui sont parfaits, de dominer parmi les fidèles, et de primer aussi ceux qui seront sauvés, par l'autorité de la puissance judiciaire, comme cela est dit au psaume, de siéger « au-dessus de la maison de David. » (Psal. CXXI, 5). D'où vient cette misère, que la négligence humaine s'endorme en présence d'une promesse si élevée?

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XLIII. - Plainte du Sauveur.

52. « Mon peuple, » dit le Seigneur, « qu'ai-je dû faire pour toi, que je ne l'aie point fait? (Is. V, 4). Pourquoi donc vous plaît-il davantage de servir mon ennemi qui est aussi le vôtre, plutôt que moi? Ce n'est pas lui qui vous a créés, ce n'est pas lui qui vous nourrit ou qui dispose le temps de votre existence. Si tout cela paraît médiocre à des cœurs ingrats, ce n'est pas lui, c'est moi qui vous ai rachetés. Mais à quel prix ? Non par Foret l'argent corruptibles, non en donnant le soleil ou la lune ou quelqu'un des anges, mais en répandant mon propre sang, Si vous ne voulez pas me rendre l'obéissance qui m'est due à tant de titres, ne parlant plus de tous ces droits, faites convention au moins d'un denier pour votre journée. Que le démon, établissons cette supposition, ne vous ait pas nui et que je ne vous aie été d'aucune utilité. Obéissez à celui qui vous promet des biens plus nombreux et plus excellents, à celui dont la récompense est plus certaine et plus riche; pour ne pas ajouter, dans mon excessive bonté, que, n'ayant nul besoin de vos biens, je ne fais que chercher vos intérêts, en vous engageant à ne point refuser de recevoir les présents de la grâce que je vous offre en ce moment, vous promettant de les couronner dans la patrie des dons de la gloire.

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XLIV. - De l'excuse des séculiers.

53. Que répond à de tels accents la conscience humaine ? Quand, au jour du jugement, on leur fera ces reproches, les hommes malheureux, comment pourront-ils les supporter? Quelle excuse pourront-ils avoir de leur péché ? Diront-ils : un instant, un instant, attendez un peu ? Car c'est ainsi qu'actuellement ils se tirent d'affaire ; un moment, un moment, et cette parole se redit sans mesure; l'attendez un peu dure longtemps. Dieu est bon, disent-ils, il est prêt à aider. La promesse que Dieu a faite est grande, mais le délai est beaucoup trop grand, et l'attente cause de l'ennui. Abandonner l'héritage terrestre, et n'avoir point encore celui du ciel, est un tourment insupportable et une douleur inconsolable. Pourquoi se presser ? est-ce pour prolonger sa misère ? Pensée déplorable et pleine de séduction. Car voilà une plainte nouvelle, et jusqu'à ce jour les enfants des hommes ne se plaignaient pas de la trop longue durée de la vie. Les jours de l'existence humaine sont courts, jusqu'à ce que les remords de la conscience se faisant sentir, l'homme, est averti par l'esprit, au-dedans ou au-dehors, de se convertir et de faire pénitence. Et c'est alors que l'on ressent un ennui insolite de la vie que l'on trouve trop longue, et une confiance nouvelle que la mort sera différée.

54. Admettons-le ; il vous reste à parcourir plusieurs cercles d'années. Vous êtes jeune, vous vivrez jusqu'à la vieillesse, jusqu'à la décrépitude; quelle nécessité de perdre tant de temps, de renoncer à tant de gain que vous en pourriez retirer? Rien de plus précieux que le temps; mais hélas ! aujourd'hui, rien de si peu estimé! Les jours du salut s'écoulent et personne ne réfléchit; personne ne se plaint que ces moments; qui ne reviendront plus, se soient écoulés. Pensez-vous, ô homme, que le Tout-Puissant ne peut récompenser que le travail de deux ou trois ans ? Le bras du Seigneur est-il raccourci, au point qu'il soit hors d'étai de payer le labeur d'un siècle? Asseyez-vous, calculez ce que chaque jour vous pouvez gagner, tenant pour certain qu'auprès de Dieu, absolument aucun bien ne restera sans récompense, de même qu'aucun cheveu de la tête ne périra, pas plus que la moindre parcelle du temps. Pourquoi rappellerai-je ce conseil du sage? « Ne tardez pas de vous convertir au Seigneur; vous ne savez pas ce qu'enfantera le jour qui viendra demain. » (Eccl. V, 6.) Pourquoi blâmer la folie du malheureux qui présume si témérairement de l'avenir, comme si le Père avait placé les instants et les heures en votre puissance,. plutôt qu'en son pouvoir? Pourquoi parlerai-je enfin de l'incertitude de la fin, de la brièveté certaine du travail et de l'éternité du retour qui en paiera les fatigues ? Le Seigneur courrait notre nature, il s'accommode à notre faiblesse, il va au-devant de la pensée humaine, il bannit l'anxiété et prévient la crainte.

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XLV. - De la double promesse.

55. Voici les paroles qui suivent : « quiconque abandonnera son hère, ou sa mère, ou sa maison , ou son champ pour mon nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. » (Matth. XIX, 20.) Que ` direz-vous encore, enfants des hommes, quand en ce monde, « vous fait des promesses si magnifiques, quand on vous assure que vous dormirez entre ces deux héritages dont vous parliez naguère; et que, sortant de la possession terrestre, aussitôt une consolation plus abondante se répandra en votre cœur, pour vous faire attendre, non-seulement avec patience, mais encore avec joie, le partage avec les saints, proposé pour l'heure de la régénération? Car même l'attente des justes est allégresse? « Il recevra le centuple, » dit-il, « et il possédera la vie éternelle. » (Matth. XIX, 20.) Vous avez, ô enfant d'Adam, la promesse de la vie présente et pareillement celle de la vie future, afin que toute bouche proférant des paroles iniques soit fermée et « que soient confondus tous ceux qui commettent inutilement l'iniquité. » (Ps. XXIV, 4.) Est-ce qu'il ne commet pas tout-à-fait inutilement l'iniquité, celui qui s'en rend coupable non-seulement avec profit, mais aussi avec joie ; ne pouvait-il pas d'une façon plus salutaire et plus agréable, servir Dieu que le monde? Et remarquez bien que le Seigneur ne répondit à Pierre que pour l'avenir, car cet apôtre, au sujet de ce qu'il éprouvait actuellement, ne pouvait hésiter ni avoir besoin de questionner. Il ne dit pas : qu'avons-nous, mais « qu'aurons-nous ? »

56. Mais qui doute que cette promesse du centuple regarde les temps présent? La suite elle-même des paroles l'indique manifestement, puisqu'on y dit qu'on aura le centuple et qu'on possédera la vie éternelle. Du reste, pour que l'entêtement n'ait ici aucune prise, je vous renvoie à l'Evangile selon saint Marc, où la même promesse est faite avec plus de développements. Le Seigneur y dit : « Il n'est personne qui abandonne son père, ou sa mère, ou ses enfants, ou ses champs ou sa maison, à cause de moi et pour l'Evangile, sans recevoir cent fois autant maintenant en ce temps-ci. » (Marc. X, 29.) Et pour que l'âme animale, qui ne saisit pas ce qui est de l'esprit de Dieu, mais le regarde comme folie, fût frappée d'une admiration plus grande, il ajoute avec intention ce mot saisissant : « avec les persécutions. » Peut-être qu'en entendant le centuple promis en cette vie, elle supposait que cette promesse s'appliquait aussi aux choses temporelles; mais ce mot « de persécutions » ajouté empêche de l'entendre de cette sorte. Car quelle est la consolation terrestre qui n'enlève pas la persécution terrestre? Dans les persécutions, les saints martyrs que. reçurent-ils de terrestre, quand la terre même qui couvrait leurs corps bienheureux était livrée aux mains des impies?

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XLVI. - De l'incrédulité.

57. En attendant cependant n'importe d'où viendra ce centuple, pourvu qu'il soit le centuple, l'essentiel est qu'il vaille cent fois plus, qu'il plaise, qu'il console, qu'il délecte et soit aimé cent fois plus ; quelle est cette folie ne les hommes balancent à quitter un pour cent ? Où est le cupide, où est l'ambitieux, où est celui qui recherche le siècle? Pourquoi l'avarice humaine s'est-elle endormie et attiédie à l'endroit d'une affaire si assurée et à l'égard d'un commerce si lucratif ? A quel juif refuseriez-vous cette spéculation, ô homme, qui avez pris en vain le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ? A quel sacrilège balanceriez-vous de donner votre fortune pour le centuple? Mais la main du Seigneur vous est exécrable, puisque vous ne voulez pas recevoir d'elle aucun retour, et vous ne consentez point à communiquer avec lui en donnant et en recevant. Ce n'est peut-être pas la haine, c'est la défiance qui vous empêche d'attendre ce profit? Car, je l'avoue, cette supposition me paraît plus admissible. Personne ne préférerait en effet, périr sous prétexte de n'importe quelle chétive consolation, plutôt que d'être sauvé avec une très-grande joie. Mais la foi n'est pas le partage de tous, pas même celui des hommes quine sont fidèles que de nom. Je pourrais certainement vous apporter l'exemple de plusieurs, vous produire beaucoup de témoins, qui sentent ce qu'ils ont cru, qui éprouvent comme ils ont entendu dire. Les témoignages de ce genre abondent, les charbons de désolations remplissent toute nation et toute contrée où se trouve une assemblée de saints. Mais quand croira-t-il à l'expérience humaine, celui qui n'ajoute pas foi aux promesses de la vérité? Ce que je trouve de grandement étonnant, c'est que vous soyez fidèles à croire quand il s'agit d'une chose très-grande, plutôt que lorsqu'il est question d'une très-petite. Car est-il difficile à celui qui accordera la vie éternelle dans la vie future, de donner en celle-ci le centuple? Celui qui donnera ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas entré dans le cœur de l'homme, ne peut-il pas présentement accorder le centuple?

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XLVII. - Du travail feint.

58. Mais,dites-vous; comment cela se peut-il faire? A quel titre reçoit-il le centuple, celui qui n'a rien gardé de tout ce qu'il avait? C'est là ce que j'ai rappelé un peu plus haut. « Prenez mon joug sur vos épaules et vous trouverez le repos. » (Matth. XI, 29.) Admirable nouveauté, mais opérée par celui qui rend tout nouveau. Qui porte le joug trouve le repos, qui abandonne tout reçoit le centuple. Il avait connu ce prodige, cet homme selon le cœur de Dieu, qui dans le psaume adressait au Seigneur ces paroles : « Est-ce que le siège de l'iniquité s'attache à vous, qui feignez de trouver le travail dans ce qui est commandé ? » (Psal. XCIII, 20.) Est-ce qu'en ce précepte se trouvent ce travail simulé, ce fardeau léger, ce joug suave, cette croix douce et onctueuse? Le symbole de ce mystère se trouve en ce que dans la consécration des Eglises, le pontife oint des saintes huiles, les croix peintes sur le mur. De même aussi lorsque jadis il fut dit à Abraham : « prends ton fils Isaac que tu aimes et tu me l'offriras en holocauste. » (Gen. XXII, 2.) Le travail fut feint dans le précepte, car Isaac fut offert et sanctifié, mais il ne fut pas immolé. Et vous aussi, si vous entendez la voix du Seigneur intérieurement dans votre âme , si l'on vous dit d'offrir votre Isaac, d'immoler au Seigneur l'objet qui fait votre joie (car Isaac signifie joie ou rire) , obéissez avec fidélité et avec constance. Ne craignez rien, bien que le Prophète vous ordonne une chose grande, vous devez la faire ; il faut lui obéir en tout, quand bien même il faudrait égorger Isaac. Maintenant quel que soit le jugement de l'amour propre, soyez en sûreté ; ce n'est pas Isaac, c'est le bélier qui mourra; ce n'est pas la joie qui périra en vous, mais la ténacité, dont les cornes s'accrochent aux ronces et qui ne peut exister sans les pentes et les piqûres de l'inquiétude. Le Seigneur vous tente, et, ainsi que vous le craignez, Isaac ne sera pas tué; il vivra, mais élevé sur les bois, afin que vous trouviez votre allégresse dans les hauteurs, afin que vous réjouissiez non dans votre propre chair, mais dans la croix du Seigneur, par qui vous êtes crucifié vous aussi, mais crucifié au monde, car vous vivez pour Dieu.

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XLVIII. - De la noirceur et de la beauté de l'épouse.

59. Voilà la manière de vivre des parfaits, voilà la vie des saints et la grâce spirituelle, comme tristes, disent-ils, et nous réjouissant toujours, comme n'ayant rien et possédant tout ; comme mourants, et voici que nous sommes en vie. Ceux qui me voyaient dehors, s'enfuirent de moi ( II, Cor. VI 10.) Ce langage est aussi celui de la fille du roi, cette âme heureuse dont toute la gloire est au-dedans. Aussi, dans le Cantique des cantiques, elle s'écrie, en rappelant les jeunes filles que son extérieur négligé avait effrayées : « Je suis noire, mais belle, ô filles de Jérusalem, comme les tabernacles de Cédar, comme les peaux tendues par Salomon. Ne considérez pas que je suis brunie, parce que le soleil m'a décolorée (Cant. I, 4). » Comme si un personnage manifestement exercé dans les voies de la spiritualité, disait, en exhortant les âmes tendres Pt infirmes pourquoi examiner si en détail ce qu'il y a d'humble et de fatigant dans le genre de vie que nous menons ? Les humiliations et les fatigues sont comme des cilices et des peaux de béliers, qui protègent la splendeur intérieure et la gloire du dedans, et la mettent à l'abri de la poussière et de la pluie. Ne considérez pas que je suis noire, n'ayez pas peur, ne vous étonnez pas. Ce n'est pas la tristesse ou la nécessité qui impose cet extérieur négligé, et cette noirceur extérieure, c'est là un voile qui couvre la splendeur cachée, et l'allégresse du dedans. «Le soleil m'a décolorée,» cette lumière intérieure qui n'a pu supporter celle du dehors. Car c'est un feu, et il ne souffre pas des feuilles inutiles. Ou bien, il faut que ces feuilles soient brûlées, ou si elles prennent le dessus, il faut que le feu s'éloigne. Malheur qu'il faut éviter à tout prix, selon l'enseignement de l'Apôtre : «N'éteignez pas l'Esprit (Thess. V, 19). Le Christ le défend encore davantage, lui qui veut qu'il s'enflamme grandement (Luc. XII, 49). » L'épouse est donc noire, mais elle est belle : les apôtres étaient comme tristes et ils se réjouissaient toujours . le Christ lui-même, si on le considère avec les yeux des Juifs, n'a pas ni charme ni beauté. (Chap. XIX). Quant aux autres, la vérité les compare à des sépulcres blanchis, brillants au-dehors et sales au-dedans, et remplis d'immondices. « Ils marchent revêtus de beaux habits, et, il a été dit, «ils aiment les premières places ( Matt. XVIII, 6). » Glorieux, honorés et grands aux yeux des hommes , et au-dedans, là où pénètre l'œil de Dieu, pleins d'avance d'envie, d'ambition, d'orgueil, et la plupart peut-être, de luxure. Car, quand donne-t-on à de telles personnes la grâce précieuse de la continence, si ce n'est peut-être pour leur jugement et leur condamnation, de manière. que la frayeur les gagnant, ils se repentent et se convertissent de leurs égarements, mais bien pour qu'ils s'endorment dans les péchés, et qu'ils périssent d’une manière plus déplorable dans leur sécurité et dans leur irrévérence ?

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XLIX. - Comme la pauvreté intérieure chasse au-dehors.

60. De même que le mépris des choses extérieures est l'indice évident de l'exercice spirituel et du soin que fora prend du cœur, de même la sollicitude qu'on a pour ces biens du dehors, est la marque d'une âme qui reste sans culture. Car il est écrit : Tout loisir est dans les désirs (Eccl. XXII, 2); et encore : « Le paresseux m'a lapidé avec des excréments de boeuf. » Malheur à ce misérable, malheur, quand il est couvert de fumier, on le regarde paré. Paul était un bœuf, il triturait dans l'aire du Seigneur, et reconnaissait à qui il appartenait, d'où vient qu'il s'écriait : A cause de Jésus-Christ, je regarde tout comme une peste et comme du fumier, afin de gagner Jésus-Christ. (Phil. III, 8.) » Il embrasse ces fumiers, bien qu'autrefois il ait été élevé dans le safran; ces fumiers lapident le paresseux, lui qui négligeant de gagner le Christ, est contraint par son cœur vide et désert, d'errer au-dehors. C'est ainsi que le patriarche Jacob fut obligé par la faim de descendre en Egypte (Gen. XLVI, 6), » et l'enfant prodigue, de garder les pourceaux, et d'avoir envie des siliques qu'ils mangeaient (Luc. XV, 16).

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L. - Du ver qui ne meurt pas.

61. Mais que dit l'Ecriture ? « A celui qui a, il sera donné et il se trouvera dans l'abondance : quant à celui qui n'a pas, on lui ôtera cela même qu'il a ( Matt. XIII, 22). » L'herbe se flétrira, et la fleur tombera : les fenêtres aussi seront fermées, afin qu'elles ne puissent recevoir aucune consolation terrestre; enfin, dit le Seigneur, « je t'accuserai et je t'établirai en ta présence ( Ps. XLIX, 21) , » quelle confusion, quelle misère, quelle douleur, lorsque, les feuilles écartées et dispersées, toute la turpitude apparaîtra, l'ignominie sera révélée, et la pourriture sera aperçue ? Lorsque, devenu immortel, ce ver intérieur de la conscience piquera l'âme infortunée avec toute sa malice, sans la consumer, et quand il n'y aura aucune place pour cacher sa douleur, ou aucune consolation pour l'adoucir? Car pourquoi les méchants ne peuvent-ils pas présentement soutenir les remords de leur conscience. mais détournent-ils les yeux de leur cœur, et les portent-ils vers les consolations misérables, ou se trompent-ils eux-mêmes par de faux semblants, et l'iniquité se ment-elle à elle-même : si ce n'est parce que ce tourment est intolérable, ( bien que l'espérance en adoucisse et en affaiblisse encore la douleur,) et qu'avec une présomption téméraire, ils se mesurent le temps à leur gré, et se promettent de détruire un jour tout ce qu'ils étaient, et d'abandonner tout ce qu'ils désirent? mais par suite de l'habitude et par l'incurie de leur cœur stupide et insensé, ils ne sentent presque rien : toutes ces impressions s'éloigneront davantage alors qu'arrivera ce qui est écrit : « Je t'attaquerai et te placerai en ta présence.»

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LI. - Que les choses corporelles affectent notre esprit d'une autre manière que les spirituelles.

62. Plus l'âme est voisine de la chair et lui est attachée davantage par le besoin de la nature, plus il est nécessaire qu'elle souffre et qu'elle supporte ses propres peines, mais avec plus de peine que celles glu corps, lorsqu'elle est sortie de cet état de stupeur et d'insensibilité : de même, au contraire, il faut qu'elle reçoive avec d'autant plus de charme, et jouisse avec d'autant plus de suavité de ses biens propres, et des délices spirituelles, etde la volupté intérieure de l'âme, quand il lui arrive de les goûter, que ces choses la touchent de plus près et plus vivement, et ne sont nullement mendiées au-dehors. Car personne ne pourra trouver ses délices dans la sorte de nourriture de son cheval, comme en celle de son corps. L'une de ces choses plait, mais l'autre se fait goûter et éprouve d'une façon bien différente. Que si vous avouez que le corps est le cheval de l'âme, il faut que vous traitiez à ce point de vue les biens du dehors. Ne vous trompez point, ne vous laissez pas séduire, en croyant que l'esprit peut se dilater davantage dans les choses corporelles, que dansles spirituelles. Ne consultez même que la raison naturelle, si la foi est entièrement endormie en vous.

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LII. - Des trois qui sont en prison, et des trois qui sont en croix.

63. Nous lisons que trois personnes furent dans la prison, et trois sur la croix. Car Joseph fut enfermé dans le cachot avec l'échanson et le panetier du roi ( Gen. XII, 3) ; et Jésus-Christ, le véritable Joseph, fut aussi mis en société de deux scélérats (Luc. XXIII, 39) ; les uns reçurent dans la prison l'explication de leurs songes; les autres, proférèrent des paroles sur la croix et un reçut la promesse. L'un de ceux-là versait à boire au roi et il ouït cette parole : «Vous serez rétabli dans vos fonctions.» L'autre nourrissait les,oiseaux, et il obtint une réponse de mort. Ce sont les pourceaux que garda l'enfant prodigue (Luc. XV, 16). On désigne avec raison sous le nom de porcs et d'oiseaux, ceux qui sont impurs et orgueilleux. A l'un de ceux qui étaient crucifiés avec le Sauveur, et qui reconnaissait ses fautes, il lui dit : «Aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis (Luc. XXIII, 43 ) : » à l'autre, qui blasphémait, il fut répondu, non par le Seigneur, (car en ce moment, il ne jugeait personne), mais par son compagnon ; «Tu ne crains pas Dieu, toi qui es dans la même condamnation. Ces deux personnages, à l'un desquels il fut .dit : « Vous serez rétabli dans trois jours » et à l'autre : «Aujourd'hui tu seras avec moi au Paradis.» Que purent-ils éprouver de désagréable, que de voir différer l'objet de leur attente? Quelle délectation pouvait ressentir celui à qui il tut dit : on, vous coupera la tête après trois jours, et vous serez la pâture des oiseaux ? Assurément, c'est bien là notre position; personne de nous, qui ne se croie en captivité, personne de nous qui ne soit sur la croix. Là où l'innocent n'est pas trouvé à l'abri du danger, le pécheur peut-il espérer d'y trouver le repos? Au reste, l'homme qui, volontairement et avec raison dit : « nous souffrons justement, » recevra sa récompense; si au contraire il supporte sa souffrance malgré lui, blasphémant Dieu et le reniant dans ses actes, il subira double peine. Celui qui veut le salut, cherche sa nourriture dans l'espérance, et la farine du Prophète lui prépare un mets doux et succulent, afin que la vie, et non la mort, se trouve dans sa coupe.

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LIII. Que le centuple est promis sans exception.

64. Que l'homme sensé ne pense pas qu'il y ait une plus grande délectation dans les vices que dans les vertus, surtout lorsque dans ces dernières on y voit le Dieu de ces mêmes vertus, la source de la véritable jouissance, l'origine de toute joie et de tout transport. Car le pouvoir consiste dans le service de Dieu, non dans l'obéissance à la chair, au monde et à satan; écoutez le témoignage que le Prophète, appuyé sur sa propre expérience, rend à la vérité : «Je me suis réjoui, dit-il, dans la voie de vos déclarations, comme dans toutes mes richesses. (Psal. CXVIII, 14.) » Si la joie est si grande sur la terre, que sera-t-elle dans la céleste patrie? Aussi l’Apôtre dit-il : « qu'il a appris à se glorifier, non-seulement dans l'espérance, mais aussi dans les tribulations. » (Rom. V, 3.) L'ami du siècle, mais ennemi de son créateur, reconnaît bien cette existence, mais moi, dit-il, je ne suis pas ainsi. Je suis délicat, quoique pécheur, et je ne puis supporter une si grande fatigue, sans une grâce extraordinaire que je ne saurais mériter. Comme si la grâce n'était pas une grâce, mais une récompense; comme si tous les hommes n'étaient pas pécheurs, et n'avaient pas besoin de la grâce de Dieu. Tu crois, ô homme, que Dieu ne fait acception de personne et qu'il ne console pas ceux qui abandonnent tout pour lui. Ne sois pas incrédules rends hommage à la Vérité, dont nulle créature ne peut douter. « Celui, dit l'évangéliste, qui abandonnera son père, sa mère, sa maison, ses champs, à cause de mon nom, recevra le centuple. » (Matth. XIX, 20.) Le Christ n'excepte personne. Malheur à ceux qui disent, « tous excepté nous : » qui s'excluent eux-mêmes de la grâce accordée à tous. Assurément ceux qui n'espèrent pas le centuple se jugent indignes de la vie éternelle. Mais parce que c'est le Dieu de vérité qui promet, c'est l'homme menteur qui se défie.

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LIV. - De ceux qui paraissent avoir tout quitté, et n'ont point reçu le centuple.

65. « Quiconque abandonnera son père, sa mère, sa maison ou ses champs, à cause de mon nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. » Je pourrais facilement être exposé à la contradiction, si je parlais de mon propre fond; « car l'homme charnel ne saurait comprendre les choses qui viennent de Dieu, et tout lui paraît stupidité d'esprit. » (Luc. XXI, 32.) Mais les paroles de celui qui parle ici ne passeront pas, comme passeront le ciel et la terre. J'ai entendu (dit l'homme qui court à sa perte, et qui, comme on dit vulgairement, cherche une paille pour se crever l’œil,) j'ai entendu parler de ceux qui, ayant tout quitté, sont revenus à leur vomissement. Comment ceux-là recevront-ils le centuple? Levez-vous, Seigneur, défendez votre cause, confondez les calomnies et les murmures de ceux qui, paraissant avoir tout quitté, n'ont point reçu le centuple; il est contre vous et non contre nous, vous qui avez dit : « Celui qui quittera son père etc., recevra le centuple. » (Matth. XIX, 20.) Que disons-nous cependant? Peut-on éloigner de l'assemblée des disciples celui qui n'est pas muni d'une bourse, car il y a des bourses non-seulement pour l'argent, mais encore pour la volonté propre. Que celui donc qui ne croit pas avoir reçu la grâce du centuple qui lui a été promise, sonde ses voies et ses désirs, il n'est pas douteux qu'il ne trouve bien un recoin, une hôtellerie, un lieu de refuge, à la vérité, non à la possession du fils de l'homme, mais soit tanière du renard, ou nid d'oiseau. Croyez, je vous en conjure, que pour être plus parfait, il faut tout quitter pour ne suivre que Jésus-Christ seul, n'avoir de volonté que la sienne, n'attendre sa nourriture que de lui, afin de recevoir sans aucun doute, le centuple promis. Il n'est pas possible, que l'Ecriture sainte, appuyée sur la vérité même, puisse se tromper, en faisant cette promesse à tous sans exception. Que celui qui veut suivre Jésus ne garde rien pour lui, ni pour les siens, « de peur qu'un peu de levain ne corrompe toute la masse. » (I. Cor. V, 6.) Il en est, en effet, qui, oubliant la voix du Seigneur, refusent de faire sa volonté et retiennent quelque chose pour eux. Et même dans nos saintes réunions, on voit des membres attachés à leurs propres désirs, à leurs idées particulières, se regardant comme savants, et conservant d'eux ce qu'ils devraient oublier, pour s'en remettre à la divine Providence, à l'obéissance des pères, et aux conseils des hommes supérieurs. Il y en a d'autres qui retiennent pour leurs parents ou pour leurs amis ce qu'ils ne veulent pas pour eux-mêmes, prenant ainsi souci de leur bonheur présent, mais bien frivole; ils sont ainsi cruels envers ces proches qu'ils aiment mieux qu'eux-mêmes; cruels, dis-je , envers eux et envers les autres, et, ce qui est plus vrai, cruels envers les uns et les autres. Que quiconque donc n'aura pas tout quitté ne soit pas surpris de ne pas recevoir le centuple.

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LV. - Ceux qui sont prêts à goûter les biens terrestres se privent des consolations célestes.

66. Les divines consolations ne doivent pas être accordées à ceux qui en attendent d'étrangères. Infortuné Esaü, tu disais : « O mon père, vous avez bien plus d'une bénédiction. » (Gen. XXVII, 88.) Mieux eût-il valu pour toi, dire avec le Prophète : « J’ai demandé une chose à Dieu, et je ne veux qu'elle. » (Psal. XXVI, 4.) Indigne est de la bénédiction céleste, celui qui mêle à sa demande un sentiment de doute; il sollicite avec la double intention de se créer un refuge, si ses vœux sont rejetés. « Mon iniquité est trop grande, » dit le premier fratricide, « pour que j'en obtienne le pardon. » (Gen. IV, I.) Quoi donc ? Ton âme refuse d'être consolée, si elle n'est pas trouvée digne de pardon. C'est cela seul que tu as à déplorer et à craindre, sans songer à autre chose. « A présent, » continue-t-il, « quiconque rencontrera Caïn, le tuera. » Perte considérable, en effet, dommage inestimable, si la perte du corps entraîne la perte de l'âme. Il regardait comme un malheur la mort qui le menaçait, et comme un grand bienfait la défense de le tuer. C'est ce qui arriva, en effet. Il obtint la misérable consolation qu'il demandait, et oublia l'immense repentir qu'il devait surtout implorer et rechercher comme remède. Nous lisons un trait tout semblable de Saül. Ayant épargné le roi des Amalécites, il se présente devant le saint homme Samuël, pour réclamer son indulgence. Mais comme le Prophète persistait dans la sentence qu'il avait portée contre lui : « Au moins, » dit Saül, «honorez-moi devant le peuple. » (1. Reg. XV, 8.) Comme s'il disait : « J'ai péché, priez Dieu pour moi. » Mais celui qui lit au fond du cœur ne pardonna pas, et ne fut point touché de cette feinte humiliation. Certes, après de plus grands crimes, David ne trouva point Dieu si inexorable; à peine eût-il dit, « J'ai péché, » qu'il lui fut répondu : « Le Seigneur a éloigné ton péché de vous. » (11. Reg. XII, 13.)

67. Ainsi donc, jusqu'à ce jour, frères bien-aimés, l'esprit de celui qui aspire à d'autres consolations, et ne refuse pas d'être consolé dans les choses caduques et passagères, s'enlève à lui-même la grâce des consolations célestes , grâce qu'il aurait certainement obtenue, s'il l'avait demandée avec dévotion, affection, et un vif désir de la trouver et de l'obtenir, car celui qui cherche trouve, et on ouvre à celui qui frappe. Autrement, si par hasard il fallait rougir de l'apostasie de celui qui retournerait en arrière, que ceci soit un témoignage rendu à la vérité, auprès de quiconque le recevrait, ou ce malheureux n'aura jamais tout quitté, ou il aura de lui-même renoncé au centuple qu'il avait reçu. Car il en est qui commencent parl'esprit, etsont, hélas! consommés par la chair; que s'il est insensé de ne point vouloir recevoir le centuple, vouloir l'abandonner paraîtra, avec raison, plus insensé encore. Ne vous semble-t-il pas qu'il est véritablement à plaindre celui qui, entraîné par sa concupiscence , abandonne cette récompense volontairement, de son plein gré, et qui oint de meilleurs onguents, se voit tout à coup couvert d'ordures ? On se sert souvent de ce prétexte, pour montrer que la parole de Dieu, est vaine et ses promesses trompeuses. Du moment que cet homme laisse tout, il a certainement la bénédiction promise au centuple, mais ses efforts n'ont aucune raison d'être. Pour nous, nous croyons aux paroles de Jésus-Christ plutôt qu'aux siennes, et nous ne pensons pas que celui qui a promis soit menteur.

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LVI. - Du centuple et de la vie éternelle.

68. « Il recevra, dit-il, le centuple, et possédera la vie éternelle. » Le premier de ces biens se trouve dans cette vie, le second, dans la patrie céleste; l'un est la consolation du travail présent, l'autre, de la félicité future. C'est ainsi qu'aux ouvriers de notre temps, on donne la nourriture de chaque jour, et à la fin du labeur, une récompense plus grande; de même les guerriers reçoivent la solde proportionnée à leurs besoins journaliers, mais une paie plus considérable est réservée à la fin de leurs travaux. Il en fut de même des enfants d'Israël, durant leur séjour dans le désert, la manne ne leur manqua jamais : et c'est ainsi que l'Eglise donne à ses enfants, après leur entrée dans son sein, le pain quotidien qu'institua le Sauveur lui-même. Vous avez une double promesse, clairement exprimée par le Prophète lorsqu'il dit : « Dieu récompensera les travaux de ses Saints, et les conduira dans une voie admirable. (Sap. X, 17.) Cette voie est celle des témoignages du Seigneur, dans la quelle le Prophète atteste s'être délecté, comme au sein des plus grandes richesses. (Psal. CXVIII, 14.) Pourquoi donc, enfants des hommes, mourriez-vous dans l'incrédulité?

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LVII. Que le centuple est pris dans un sens spirituel.

69. Mais peut-être les hommes du siècle diront: Montrez-nous ce centuple et nous abandonnerons tout. Pourquoi vous le montrer? La foi qui appelle à son secours le témoignage de la raison n'a aucun mérite : c'est croire plutôt l'homme qui démontre que la vérité qui promet. En cherchant, vous vous égarez, si vous ne croyez pas, vous ne comprenez pas La manne que saint Jean, dans l'Apocalypse, promet aux vainqueurs, est cachée. (Apoc. II, 17.) Il existe un nouveau nom, connu de ceux qui reçoivent. Plusieurs, en effet, croient que par le nom de centuple, on entend la communion des Saints. Cette interprétation est une grande consolation, mais elle ne peut convenir à tout le monde. Combien de Saints, en effet, en ont été privés, ou volontairement, comme les anachorètes, ou par la violence des persécutions, comme les martyrs envoyés en exil et n'ayant aucune consolation humaine. Ce centuple est très-bon; ce surplus vient du Père des lumières.

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LVIII. Quel est ce centuple.

70. Celui en qui tout se tourne en bien possède-t-il toutes choses? Celui qui est rempli de l'Esprit-Saint, et qui porte Jésus-Christ dans son cœur, a-t-il le centuple de tous les biens, peut-il y avoir centuple plus grand que la visite du saint-Esprit, et la présence du Sauveur? a Que grande est, l'immensité de votre douceur, ô mon Dieu, vous la cachez à ceux qui vous craignent, et vous l'augmentez en ceux qui espèrent en vous. (Psal. XXX, 20.) Vous voyez combien l'âme sainte est transportée au souvenir de cette divine suavité, et combien les termes abondent pour en exprimer la douceur? « Que grande, » dit-il, «est la multitude! » Ce centuple est l'adoption des enfants, la liberté de l'esprit, les délices de la charité; la gloire de la conscience, « le règne de Dieu qui est en nous, « non comme nourriture et boisson, mais comme justice, paix et joie, dans le saint-Esprit. » (Rom. XIV, 17.) Et cette joie doit se manifester non-seulement dans l'espoir de la gloire future, mais aussi dans les tribulations de la vie présente. C'est le feu sacré que le Christ voulut si ardent; la vertu qui fit désirer à André le supplice de la croix, qui porta Laurent à rire de ses bourreaux, et Etienne à prier pour ceux qui le lapidaient. C'est la paix que le Sauveur laisse à ses disciples. C'est le gage de paix réservé aux élus du Seigneur pour le présent et pour l'avenir. Cette paix surpasse tout sentiment, et rien de ce qui charme sous le soleil, qui se fait désirer sur la terre, ne peut lui être comparé. C'est la grâce de la dévotion connue de celui qui l'éprouve, ignorée de celui qui ne la goûta jamais, car il n'y a que ceux qui la reçoivent qui la comprennent.

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LIX. - Courte exhortation.

71. Fasse le ciel qu'en ce lieu la concupiscence des enfants des hommes s'éveille! Plaise au Seigneur que leur curiosité soit excitée et qu'ils disent dans leur cœur : Ce n'est pas une parole d'invention humaine, celle à qui les Écritures rendent un témoignage si parfait. Que s'il en est ainsi, sans nul doute, nous nous trompons grandement. Qu'ils essaient d'en faire l'expérience, qu'ils s'efforcent de goûter la saveur intérieure de cette manne cachée, d'éprouver quel est ce centuple, cette joie dans le Saint-Esprit. Si quelqu'un fait cette recherche avec soin, sa justice lui répondra demain. Aussitôt qu'il aura goûté, il verra que le Seigneur est doux, qu'il est bon, non-seulement pour celui qui le tient, mais « pour celui qui le cherche, pour l'âme qui espère en lui. » (Thren. III, 25). Autrement venez, dit le Seigneur, et accusez-moi si quelqu'un abandonne son père ou sa mère, ou sa maison, ou son champ, à cause de mon nom, sans recevoir dans le temps présent, le centuple qui est peu, et sans posséder la vie éternelle.

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LX. - De la vie éternelle.

72. Mais si la parole manque pour faire l'éloge du centuple de la vie présente, et si la bouche est comme étouffée par l'abondance des sentiments qui jaillissent du cœur, comment, quand il s'agit de la promesse de la vie éternelle, la pensée n'avouerait-elle pas sa propre défaillance? Si ce qui est en partie ne peut être exprimé, même par celui qui en a goûté la plénitude, celui qui ne l'a point expérimentée pourra-t-il donc la redire L'œil n'a pas vu, ô Dieu, si ce n'est vous , ce que vous avez préparé à ceux qui vous aiment. C'est la paix qui surpasse tout sentiment, la paix au-dessus, et la paix, le tressaille ment sans terme, le torrent de la volupté divine, le fleuve de la joie, l'allégresse parfaite. Pensez ce que vous voudrez, désirez tout ce que vous pouvez; cette félicité, cette éternité, cette béatitude dépasse toute pensée aussi bien que tout désir. Bonheur auquel daigne nous conduire dans sa commisération en nous prévenant de la bénédiction de sa douceur et en nous accordant en attendant, le centuple qu'il nous a promis, pour soulager et guérir le travail de la vie présente, pour nous empêcher de tomber sur la route et pour nous faire espérer, par ses présents actuels, ceux qu'il nous destine dans la vie à venir, celui qui est venu pour que nous ayons la vie, et que nous l'ayons avec plus d'abondance, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui, avec le Père et le Saint-Esprit vit et règne dans l'infinité des siècles des siècles. Amen.

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