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| LIVRE DE LA VIE DE SAINT MALACHIE * ÉVÊQUE D'IRLANDE, PAR SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX. CHAPITRE I. Enfance et adolescence de saint Malachie. CHAPITRE II. Son apprentissage de la vie religieuse. CHAPITRE III. Entré dans les ordres, Malachie remplit les fonctions de vicaire de son évêque. CHAPITRE IV. Il s'attache tout particulièrement à l'évêque Malch, pour se former à son école. CHAPITRE V. Il offre le sacrifice de la messe pour sa sœur défunte. CHAPITRE VI. Malachie relève les ruines du monastère de Benchor. CHAPITRE VII. Saint Malachie guérit un clerc malade de la dyssenterie. CHAPITRE VIII. Il est ordonné malgré lui évêque de Connerth. CHAPITRE IX. Saint Malachie construit le monastère d'Ibrack. CHAPITRE X. Saint Malachie devient archevêque ou primat d'Irlande. CHAPITRE XIII. Dieu punit les détracteurs de Malachie. CHAPITRE XIV. Malachie se démet de larchevêché d'Armagh quand il y eut rétabli la paix. CHAPITRE XV. Malachie songe à aller à Rome pour demander le pallium au souverain Pontife. CHAPITRE XVI. Malachie s'arrête à Clairvaux en allant à Rome et en en revenant. CHAPITRE XVII. Malachie rend la santé à plusieurs personnes. CHAPITRE XIX. Vertus éclatantes de Malachie, ses mœurs si dignes d un vrai prélat . CHAPITRE XX. Malachie délivre plusieurs possédés du démon. CHAPITRE XXI. Miracles opérés par Malachie, en faveur de moribonds et de femmes en couches. CHAPITRE XXII. Malchie prédit une mort prochaine à un concubinaire endurci. CHAPITRE XXIII. Malachie guérit miraculeusement plusieurs personnes, de différentes maladies. CHAPITRE XXV. Divers autres miracles de Malachie opérés en faveur de différentes personnes. CHAPITRE XXVI. Malachie soutient la vérité de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie. CHAPITRE XXVII. Malachie rétablit la paix et l'union entre des populations qui étaient divisées. CHAPITRE XXIX. Malachie est doué du don de prophétie; il opère toutes sortes de miracles. CHAPITRE XXXI. Malachie revient à Clairvaux pour y mourir le jour et à l'endroit qu'il avait désiré. LIVRE DE LA VIE DE SAINT MALACHIE * ÉVÊQUE D'IRLANDE, PAR SAINT BERNARD, ABBÉ DE CLAIRVAUX.PRÉFACE A L'ABBÉ CONGAN,*Mort le 2 novembre 1148 Il a toujours été d'une grande utilité d'écrire les vies des saints illustres pour qu'elles servent de miroir est d'exemple aux autres hommes et qu'elles soient comme l'assaisonnement de leur vie sur la terre. Par le moyen de ces histoires, ils semblent en quelque sorte, vivre encore au milieu de nous, même après que la mort les a moissonnés, et ramènent dans les sentiers de la véritable vie, beaucoup de ceux qui sont de véritables morts quoique vivants en apparence. Mais la rareté des saints rend ce travail plus nécessaire de nos jours que jamais, car nous vivons dans un temps stérile en hommes. La disette en est telle de nos jours que je ne doute pas que c'est de notre siècle qu'il a été dit: « L'iniquité des hommes sera arrivée alors au comble et la charité de beaucoup sera refroidie (Matth., XXIV, 12). » Je crois même que nous touchons à l'époque dont il est dit : « La disette d'hommes, marchera devant sa face (Job., XLI, 13). » Si je ne me trompe, c'est de l'Antechrist qu'il est parlé ici et que la pénurie et la disette de tout bien doit précéder et accompagner. Mais qu'elle annonce que ce temps est venu ou seulement qu'il ne peut tarder à paraître, toujours est-il qu'il y a pénurie, disette évidente. Sans parler de la foule, de la vile multitude des enfants du siècle, jetons les yeux sur les colonnes mêmes de l'Église. Montrez-moi donc parmi ceux qu'on peut regarder comme destinés à éclairer les nations, un seul homme qui ne soit pas plutôt, dans le lieu élevé où il est placé, une mèche fumeuse qu'une lampe qui éclaire. Or « si votre lumière n'est que ténèbres, que sera-ce des ténèbres mêmes (Matth., VI, 23)?» A moins peut-être, mais je ne puis le croire, que vous ne trouviez que ceux qui n'estiment la piété qu'à ses avantages et ne recherchent que leur intérêt personnel plutôt que celui du Seigneur dans son propre héritage, répandent en effet de la lumière. Mais, que dis-je, ne recherchent que leur intérêt personnel? Je tiendrais presque pour un homme irréprochable, pour un saint, celui qui se contenterait de ne rechercher que ses intérêts et de ne retenir que ce qui lui appartient s'il gardait sou cœur et ses mains purs du bien d'autrui; mais je lui rappellerais qu'il est en cela juste aussi saint qu'on demande à un païen de l'être. Est-ce qu'il n'est pas recommandé aux soldats de se contenter de leur paie (Luc, III, 14), s'ils veulent être sauvés? Comment donc trouver que c'est beaucoup demander à un docteur de l' Eglise que de lui demander de n'être pas plus exigeant qu'un soldat, et comme le Prophète le disait aux prêtres du Seigneur, mais d'un ton de reproche, « que le prêtre égale au moins l'homme du peuple (Isa., XXIV, 2). » O honte! Est-il permis de réputer au premier rang, des hommes qui, déchus de ce rang élevé, sont tombés si bas, que c'est à peine s'ils ne sont point au fond même de l'abîme? Et pourtant ceux qui se sont arrêtés au dernier degré sont bien rares dans le clergé même. Qui me donnera un clerc content du nécessaire et n'ayant que du mépris pour le superflu? Et cependant c'est la règle que les apôtres ont laissée à leurs successeurs, en leur disant : « Si nous avons le vivre et le couvert, sachons nous en contenter (I Tim., VI, 8). » Où trouve-t-on cela maintenant ? Dans les livres, mais non point dans les hommes. Or, en parlant du juste, le Psalmiste a dit: « C'est dans leur cœur qu'est la loi de Dieu (Psalm., XXXVI, 31),» non pas dans ses livres. Encore le Psalmiste ne parle-t-il point là de celui qui est arrivé à la perfection; pour celui-ci il faudrait qu'il fut prêt à se passer même du nécessaire. Aussi n'en faut-il point parler. Plût au Ciel seulement qu'on sût mettre une borne au superflu, et que nos désirs ne s'étendissent point à l'infini. Mais quoi, peut-être cela du moins n'est-il pas impossible à trouver; si ce n'est point impossible c'est au moins fort difficile. Mais que fais-je? Je me demandais où on pourrait trouver un homme parfait, capable d'en sauver plusieurs autres avec lui, et voilà que c'est à peine si, en cherchant bien, nous en trouvons qui se sauvent au moins eux-mêmes. On tient pour très-bon aujourd'hui quiconque n'est pas trop mauvais. Mais puisqu'il n'y a plus de saints sur la terre, il me semble que je n'ai rien de mieux à faire que de rappeler parmi nous quelqu'un des saints personnages qui nous ont été enlevés, un Malachie, cet évêque, cet homme vraiment saint, qui a brillé de nos jours de l'éclat d'une sagesse et d'une vertu singulières. C'était bien la lampe qui brûle et qui éclaire; mais si on ne peut dire qu'elle est éteinte maintenant, du moins elle nous a été enlevée, Qui donc pourrait trouver mauvais que je la fisse de nouveau briller à nos yeux? Mais que dis-je, il n'est pas de reconnaissance que ne me doivent les hommes d'à présent et que ne me devront plus tard les générations à venir, si je fais revivre sous ma plume celui que le trépas a frappé, si je rends au monde un homme dont le monde n'était pas digne, si je conserve aux souvenirs des mortels un des leurs, dont la mémoire sera bénie de tous ceux qui daigneront lire ces lignes, si enfin, à ma voix amie tirant un ami de son lourd sommeil, on entend sur notre terre la voix de la tourterelle prononcer ces paroles : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des siècles (Matth., XXVIII, 20) ? » D'ailleurs comme il repose au milieu de nous, c'est à nous plus particulièrement qu'il convient d'entreprendre cette œuvre. Et puis ce saint homme ne m'honorait-il point d'une amitié toute particulière? Je crois même que personne ne l'emportait sur moi dans son cœur. J'ai déjà recueilli les fruits de cette grande et sainte affection, elle n'a point été stérile pour moi. Il était à l'extrémité ou plutôt il était à l'entrée de sa nouvelle carrière, selon cette expression du Sage : « Quand l'homme est arrivé à la fin, il trouvera qu'il débute à peine (Eccli., XVIII, 6) : » j'accourus auprès de lui pour recevoir sa bénédiction avant qu'il mourût. Et lui, qui avait déjà perdu l'usage de tous ses membres, recouvra toute sa force pour me bénir, et levant. ses saintes mains sur ma tête, il me bénit en effet et sa bénédiction est l'héritage qu'il m'a laissé; comment donc pourrai-je aujourd'hui ne plus parler de lui? Enfin après toutes ces raisons, cher abbé Congan, mon frère vénéré et mon doux ami, vous venez d'Irlande avec toute l'assemblée des saints qui est sous votre direction, ainsi que vous me l'écrivez, m'enjoindre de vous parler de lui. Je le fais d'autant plus volontiers, que ce que vous me demandez est moins un panégyrique qu'un simple récit de sa vie. Je mettrai tous mes soins à le faire simple et lumineux, propre à nourrir la piété sans fatiguer trop les tièdes. Vous pouvez bien croire que la vérité n'a rien à craindre de ma part dans cette histoire, d'autant plus que vous ne me demandez point de vous raconter autre chose que ce que vous connaissez parfaitement vous-même. CHAPITRE I. Enfance et adolescence de saint Malachie.1. Notre cher Malachie naquit en Irlande, au sein d'un peuple barbare, y fut élevé et y fit ses études. Il ne se ressentit pas plus de la barbarie de son pays natal que les poissons de la mer ne se ressentent du sel de ses eaux. Aussi comme il semble doux de voir sortir d'une population si grossière et si rude un concitoyen des saints, un familier de Dieu, si plein d'urbanité! Il n'y a que celui qui sait faire couler le miel du flanc des rochers et le lait de la pierre la plus dure qui ait pu produire cette merveille. Ses parents étaient distingués par leur rang et par leur puissance, et étaient alliés aux plus grandes familles du pays, Sa mère surtout, aussi remarquable par le cœur que noble par le sang, s'occupa dès les premières années de son fils, à lui enseigner la science de la vie qu'elle menait elle-même, et qu'elle estimait beaucoup plus que la vaine science de la littérature mondaine. D'ailleurs Malachie ne montrait pas moins d'aptitude pour l'une que pour l'autre. Il apprenait donc les belles-lettres au collège, et la crainte du Seigneur à la maison paternelle, et ses progrès journaliers dans cette double étude ne faisaient pas moins d'honneur à ses maîtres qu'à sa mère. Naturellement doué d'un très-bon esprit, il se montra dès l'enfance, d'une grande docilité, d'une amabilité parfaite et d'une grâce surprenante en toutes choses et envers tout le monde. Au lieu de lait c'étaient les eaux de la licence du salut qu'il suçait au sein maternel, aussi le vit-on croître tous les jours en prudence. Est-ce en prudence ou en sainteté qu'il faudrait dire? Si je disais qu'il croissait en l'une et en l'autre, il n'y aurait pas lieu à me reprendre, car je ne dirais rien que de vrai. On remarquait en lui les mœurs d'un vieillard unies aux tendres années de l'enfance, car il n'avait aucune des imperfections naturelles à cet âge. Comme tout le monde en était frappé d'étonnement et presque de respect, lui, de son côté, bien loin de s'en montrer plein de suffisance comme cela n'arrive que trop souvent, n'en était que plus humble, plus doux et plus prompt à obéir. L'autorité de ses maîtres ne lui pesait point et il se soumit sans peine à la discipline; il aimait l'étude et ne montrait point pour le jeu, ce goût et cette ardeur qui distinguent l'enfance. Il fit tant de progrès dans l'étude des belles-lettres que comportait son âge, qu'il ne tarda pas à surpasser tous les autres enfants. Il devint même bientôt supérieur à ses maîtres dans la science des bonnes mœurs et dans la pratique des vertus, grâce sans doute aux soins de sa mère, mais plus encore par l'effet de la grâce. C'est elle, en effet, qui lui donnait cette ardeur et ce zèle pour les choses de Dieu et cet amour pour la retraite, pour les veilles, pour la méditation de la loi divine, pour le jeûne même et pour la prière fréquente. Comme il ne pouvait, à cause de ses études, et, quelquefois aussi, comme il n'osait aller aussi souvent qu'il l'eût désiré à l'Église, il savait, partout où il se trouvait, lever des mains pures vers le ciel, lorsqu'il pouvait le faire sans être vu de personne; car dès l'enfance il évita, avec une attention toute particulière, les tentations de la vaine gloire, qu'il regardait comme la peste de toutes les vertus. 2. Il y a, près de la ville où il fit ses études, un bourg où son maître avait l'habitude d'aller souvent sans autres compagnons que lui; pendant la route il lui arrivait fréquemment, ainsi que plus tard il le racontait lui-même, de retarder un peu le pas; et, lorsque son maître l'avait dépassé et qu'il ne pouvait voir ce qu'il faisait, il levait les mains au ciel, où en même temps il décochait à la dérobée une oraison jaculatoire, puis revenait ensuite à côté de son maître, comme si de rien n'était. Voilà comment ce pieux enfant aimait à tromper bien souvent, lœil de son maître. Mais je ne puis m'arrêter à décrire tout ce qui, dès l'enfance, montrait déjà sous les plus belles couleurs l'excellence de son caractère. J'ai hâte d'en venir au récit de choses beaucoup plus utiles; je ne veux pourtant point aller plus loin sans rapporter un trait qui, à mon sens, dénotait en lui un enfant de grande et bonne espérance. En effet, se sentant un jour attiré par la réputation dont jouissait un certain maître très-versé dans la connaissance des belles lettres, comme on les appelle, il alla le trouver pour profiter de ses leçons; car dès la plus tendre jeunesse il se sentit un goût très-vif pour les lettres. Mais en entrant chez lui, il le vit jouer avec une alêne et tracer sur la muraille., je ne sais comment, quelques traits rapides. Le caractère sérieux de l'enfant se sentit offusqué à la vue d'un exercice qui, pour lui, sentait la légèreté ; il se retira et ne revint plus le voir dans la suite. Voilà comment cet amant de la vertu n'hésita point à sacrifier à son amour pour la décence, le goût bien prononcé pourtant qu'il avait pour les belles lettres. C'est ainsi que dés l'enfance il préluda aux combats qui l'attendaient dans un âge plus avancé, et que déjà il provoquait l'ennemi du salut. Telle fut l'enfance de Malachie; sa jeunesse s'écoula dans la même simplicité et dans la même pureté de murs, aussi grandissait-il à la fois en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes. 3. Dès lors, c'est-à-dire dès les premières années de son adolescence, il fut aisé de voir ce qu'il serait une fois devenu homme et on commença à voir que la grâce de Dieu n'était pas stérile en lui. En effet, cet intelligent jeune homme voyant que le monde tout entier était adonné au mal et sentant surtout quel esprit il avait reçu d'en haut, se disait à lui-même: « Ce n'est point là l'esprit du monde; qu'y a-t-il de commun entre celui-ci et celui que j'ai reçu? Il n'y a pas plus de sympathie entre l'un et l'autre qu'il n'y en a entre la lumière et les ténèbres. Celui que j'ai reçu, c'est de Dieu que je le tiens, et je sais tout ce qui m'a été donné dans cet esprit-là; car c'est à lui que je suis redevable de la vie innocente que je mène, de la continence qui m'honore, de la faim que j'éprouve pour la justice, et, ce qui vaut mieux que tout cela encore, parce que c'est beaucoup moins apparent, de la gloire qui consiste dans le témoignage de ma propre conscience. Aucun de ces avantages n'est sût pour moi sous l'empire du prince de ce monde; d'ailleurs tous ces trésors je ne les porte que dans un vase fragile, et je dois appréhender qu'on ne le heurte, et que, venant à se briser, il ne laisse échapper l'huile de la joie sainte qu'il renferme pour moi. C'est qu'il est, en effet, bien difficile de ne point le heurter à quelque pierre ou à quelque rocher, dans la voie tortueuse et raboteuse de la vie. Faut-il donc que je perde, en un instant, toutes les douces bénédictions dont j'ai été prévenu dès le principe ? J'aime bien mieux les remettre, et moi avec elles, entre les mains de Celui de qui je les ai reçues, d'autant plus que je ne lui appartiens pas moins qu'elles ne lui appartiennent. Je préfère perdre ma vie pour un temps, afin de ne point la perdre pour l'éternité. Or, en quelles mains, sinon dans celles de mon Créateur, serais-je moi-même, avec tout ce qui est à moi, en plus grande sûreté? En est-il plus que lui, de vigilant pour garder, de puissant pour conserver et de fidèle pour rendre le dépôt qui lui est confié? Il le conservera en complète sûreté, et le rendra quand il en sera temps. Aussi me donné-je à lui pour me consacrer sans retour à son service avec tout ce qui me vient de lui ; ceux de ses dons que j'emploierai en œuvres de piété ne seront point perdus pour moi, et peut-être même serai je en droit d'en espérer d'autres encore; car, s'il donne gratuitement, il rend aussi avec usure. C'est ainsi qu'il agit; aussi agrandira-t-il et multipliera-t-il la vertu dans mon âme.» Telles étaient ses pensées et telle fut sa conduite, car il n'ignorait pas que les pensées de l'homme quand elles sont sans les œuvres, sont vaines. CHAPITRE II. Son apprentissage de la vie religieuse.4. Il y avait à Armagh, où Malachie fut élevé, un saint homme, qui menait une vie très-austère et mortifiait cruellement sa chair, dans une petite cellule située près de l'église; il y demeurait enfermé ne vaquant jour et nuit qu'au jeûne et à la prière. Malachie alla trouver cet homme, qui s'était condamné à passer ainsi sa vie dans une sorte de sépulcre, pour être par lui, instruit, dans la vie spirituelle. Or, admirez ici son humilité: après avoir eu, dès ses plus tendres années, Dieu même pour maître dans l'art des saints, comme on n'en saurait douter, il se met sous la conduite d'un homme, lui déjà si doux et si humble de cœur, comme nous l'apprendrait sa démarche, si nous l'avions ignoré. Que ceux qui veulent enseigner aux autres ce qu'ils n'ont point appris, s'entourer de disciples quand eux-mêmes n'ont jamais eu de maîtres et conduire des aveugles comme eux, lisent cette histoire; ils verront Malachie dont Dieu même avait été le maître, rechercher néanmoins avec autant de soin que de prudence, un homme qui le conduise. Quelle preuve plus concluante pouvait-il donner et recevoir en même temps de ses progrès dans la vertu, je vous le demande ? Mais si l'exemple de Malachie ne leur suffit point, qu'ils jettent les yeux sur Paul lui-même. Ne le vit-on point, en effet, soumettre à des hommes l'Evangile qu'il avait reçu de Jésus-Christ même, non point d'un simple mortel, et cela de peur de courir ou d'avoir couru en vain? Comment me croirai-je en sûreté là où il n'a pas cru l'être lui-même? Que celui qui s'y trouverait, prenne garde que sa sécurité ne soit que de la témérité. Mais tout cela est d'un autre temps. 5. La démarche de Malachie eut un grand retentissement dans la ville et causa, par sa nouveauté, un étonnement général. Tout le monde fut surpris, et on admira d'autant plus ce genre de vertu, qu'il était moins commun dans cette nation barbare. On put voir alors se manifester au grand jour les dispositions intimes de chacun; beaucoup de gens, en effet, ne considérant cette démarche que d'un œil tout humain, déploraient et gémissaient de voir un jeune homme aimé de tout le monde et d'une santé délicate, s'adonner à un genre de vie si pénible; plusieurs le soupçonnant de légèreté de caractère à cause de sa jeunesse, pensaient qu'il ne persévérerait point et craignaient l'issue finale de sa démarche. ll y en eut quelques-uns qui l'accusèrent de témérité et conçurent contre lui une sorte d'indignation et de colère, en le voyant embrasser inconsidérément un genre de vie si fort au-dessus de son âge. Mais en réalité, il ne fit rien sans conseil; car il avait celui du Prophète, qui lui disait : « C'est un bien pour l'homme de porter le joug dès son enfance (Jérem. III, 27), » et encore : « Il s'asseoira dans la solitude et gardera le silence parce qu'il s'est élevé au dessus de lui-même (Ibid., XXVIII). » Il vint donc s'asseoir tout jeune encore aux pieds d'Invar, c'est ainsi que se nommait ce saint personnage, pour apprendre l'obéissance et pour montrer qu'il l'avait apprise. Il était assis, c'est-à-dire il menait une vie toute de paix, de mansuétude et d'humilité; mais assis en silence, parce qu'il avait appris du Prophète que le silence est le culte de la justice (Isa., XXXII, 17) : il s'assit pour persévérer et son silence indiquait son respect, mais ce silence parlait haut, comme celui de David, aux oreilles de Dieu et lui faisait dire: « Si je suis petit et méprisé, du moins je n'ai point oublié la justice de vos commandements (Psalm., CXVIII, 141). » Enfin, il était assis dans la solitude, parce qu'il n'avait ni compagnon ni modèle. En effet, qui est-ce qui, avant Malachie, avait pensé à embrasser un genre de vie aussi austère que celui d'Invar? On se contentait de l'admirer. personne ne croyait qu'on pût le suivre. Malachie seul montra qu'on le pouvait en s'asseyant et en gardant le silence. Aussi ne tarda-t-il point à se voir suivi de nombreux imitateurs, que son exemple avait touchés, et voilà comment celui qui avait commencé par être seul là où il s'était assis, et l'unique fils d'Imar son père, se trouva bientôt à la tête de beaucoup d'autres semblables à lui, et cessa d'être le fils unique de son père pour devenir le premier né de ses nombreux enfants; mais de même qu'il avait précédé les autres dans cette voie ainsi les précédait-il encore dans la manière dont il la parcourait; et, de l'aveu de tous, celui qui leur avait donné l'exemple, l'emportait de beaucoup aussi sur eux par sa vertu. Aussi fut-il jugé digne par son maître et par son évêque d'être promu au diaconat, qu'ils le contraignirent de recevoir. CHAPITRE III. Entré dans les ordres, Malachie remplit les fonctions de vicaire de son évêque.6. Dès lors le jeune lévite du Seigneur s'appliqua à toutes sortes d'œuvres de piété mais plus particulièrement à celles qui lui semblaient les plus pénibles. Ainsi il se voua, avec un zèle extraordinaire, au soin d'ensevelir les morts parce que ce genre de bonnes œuvres lui semblait aussi plein d'humilité que de charité. Riais notre nouveau Tobie vit renaître pour lui, d'une femme, ou plutôt du serpent malin, par la bouche d'une femme, la tentation qui avait éprouvé le premier Tobie. Sa sœur, dans son horreur pour cet office de piété, qui lui paraissait indigne d'une personne de son rang, lui en faisait des reproches et sou vent lu; répétait ces mots de l'Evangile: «Laissez les morts ensevelir leurs morts;» mais lui, répondant à cette insensée comme il convenait de le faire, lui disait: malheureuse femme que vous êtes, vous vous servez là de paroles saintes, mais vous n'en comprenez pas le sens et la portée. Il remplit donc avec un zèle infatigable et sans se relâcher un seul instant les fonctions de l'ordre qu'il avait été contraint d'accepter. Aussi jugea-t-on à propos de l'élever au sacerdoce; c'est ce qui se fit en effet. Il avait à peu près vingt-cinq ans lorsqu'il fut ordonné prêtre. Si on trouve que, dans ces deux ordinations, on a violé les saints canons (a), ce qui est vrai, puisqu'il fut fait diacre avant l'âge de vingt-cinq ans et prêtre avant celui de trente, il faut l'attribuer au zèle de celui a Plusieurs conciles, entre autres ceux de Néocésarée, d'Agde, en 506, le Ive d'Arles et plusieurs autres avaient réglé qu'on ne pourrait être ordonné prêtre avant l'âge de trente ans. Le dix-septième canon du concile d'Agde est conçu en ces termes: « Nul métropolitain ne devra prendre sur lui d'ordonner prêtre ou évêque, quiconque ne sera pas âgé dé trente ans, qui est l'âge de l'homme parfait, ni de faire diacre tout sujet n'ayant pas atteint sa vingt-cinquième année, etc. . Telle est la leçon donnée par Bochel; le passage qui concerne les diacres, et auquel saint Bernard fait allusion en cet endroit, manque dans Sirmon ; mais cette loi n'en était pas moins en vigueur du temps de saint Bernard, comme on le voit par le contexte de notre Saint : Toutefois, les évêques en dispensaient quelquefois en faveur de sujets d'une piété remarquable. qui les fit et à la sainteté de celui qui les reçut. Toutefois, si je suis bien éloigné de blâmer en cette circonstance, la conduite d'un saint je me garderai bien de conseiller à quiconque n'est pas saint, de l'imiter. Non content de cela, son évêque Celse, le chargea d'une partie de ses fonctions et l'envoya semer la semence de la sainteté dans une nation qui n'était pas sainte, et lui fit porter à des populations grossières qui vivaient sans connaître de loi, la loi même de la vie et de la discipline. Malachie reçut avec joie cette mission; car, dans la ferveur de son âme, il ne savait ce que c'était que d'enfouir le talent et de se coucher dessus au lieu de travailler avec ardeur à lui faire produire de bons intérêts. On le vit donc alors, avec le hoyau de la parole, renverser, détruire, disperser et travailler tous les jours davantage à redresser les chemins tortueux et à aplanir les sentiers raboteux. Il s'élançait comme lin géant, et se prodiguait de tous côtés, on aurait dit un feu dévorant qui consumait les ronces du péché, une hache, une scie mordante qui jetait bas toutes les plantes mauvaises; il détruisit toutes les coutumes barbares et les remplaça par celles de l'Église, et déracina toutes les vieilles superstitions, qui subsistaient encore partout, et toutes les pratiques coupables dont les mauvais anges avaient couvert le pays. 7. Son œil n'épargnait ni désordre, ni abus, et de même que la grêle fait tomber les figues de l'arbre et que le vent soulève la poussière dans les champs, ainsi on le voyait abattre ou enlever, de toutes ses forces tout ce qui souillait son peuple. Mais à la place de ce qu'il détruisait, cet excellent législateur rétablissait les droits du ciel et promulguait des lois pleines de justice, de modestie et d'honnêteté, mettait en vigueur les règlements apostoliques, les décrets des saints Pères et particulièrement les usages de l'Église Romaine qu'il introduisait dans toutes les églises, où on commença alors à célébrer et à chanter les heures canoniales selon les rites reçus dans le reste du monde, ce qui n'avait pas eu lieu auparavant, pas même dans la ville épiscopale. Il avait appris le chant pendant son enfance, aussi ne tarda-t-on point à chanter dans son monastère, quand on ne savait ou ne voulait point encore le faire dans le reste du diocèse; il rétablit aussi la pratique très-salutaire de la confession, remit en usage le sacrement de la confirmation et le contrat de mariage qui étaient ou négligés ou même complètement inconnus parmi ces peuples. Mais il faut nous borner à ces quelques exemples de son zèle; il nous arrivera même bien souvent dans le cours de cette histoire, de passer ainsi bien des choses sous silence de peur d'être trop long. CHAPITRE IV. Il s'attache tout particulièrement à l'évêque Malch, pour se former à son école.8. Comme il était animé d'un goût et d'un zèle tout particulier pour le culte divin et d'un grand respect pour les sacrements; il appréhendait de régler ou d'enseigner en ces matières d'une manière qui ne fût pas en tout conforme à ce que l'Eglise universelle enseigne et pratique; c'est pourquoi il résolut d'aller trouver l'évêque Match pour s'instruire plus complètement de toutes ces choses auprès de lui. C'était un vieillard plein d'ans et de vertus, en qui la sagesse de Dieu brillait de tout son éclat. Il était Irlandais de nation, mais il avait pris l'habit et fait profession religieuse dans le monastère de Winchester, d'où il avait été tiré pour être fait évêque de Lesmor, dans la province de Munster, la plus belle de toute l'Irlande. Il reçut du ciel dans ce poste des grâces si abondantes, que non-seulement il se fit remarquer par son genre de vie et par son savoir, mais encore par le don des miracles. Je n'en rapporterai que deux ici, afin de faire voir quel maître eut Malachie dans la science des saints. Il guérit une fois, en le confirmant avec l'huile sainte, un enfant insensé, du genre de ceux qu'on appelle lunatiques. C'est un fait parfaitement certain et d'autant mieux connu, que l'évêque Match confia la garde de la porte de sa maison à cet enfant qui conserva ce poste jusqu'à sa virilité, où il parvint dans un état de santé parfait. Une autre fois, il rendit l'ouïe à un sourd, qui raconta, pour surcroît de merveille, que pendant que le Saint lui mettait les doigts dans les oreilles, il sentit comme deux petits pourceaux en sortir. Le bruit de ces miracles et d'autres semblables se répandit bien vite et rendit le nom de celui qui les avait opérés si célèbre, qu'on vit accourir à lui les Ecossais et les Irlandais, et que tout le monde l'honora comme un père. Voilà l'homme que Malachie alla trouver après avoir reçu la bénédiction de son père Imar et la permission de son évêque. A son arrivée, après un heureux voyage, il en fut accueilli avec bonté. Il demeura plusieurs années auprès dé lui, afin de puiser plus à loisir, dans le sein de ce vieillard, les leçons de la sagesse, car il est écrit: «La sagesse se trouve chez les anciens (Job., XII, 12). » De plus, je pense que la Providence qui veille à tout, a permis ce long séjour pour une autre cause encore, afin que son serviteur Malachie fùt connu en cet endroit d'un plus grand nombre de personnes, et fût à même de faire du bien à plus de monde dans la suite ; car on ne pouvait le connaître sans l'aimer. Mais il arriva sur ces entrefaites un événement qui manifesta en partie, aux yeux des hommes; ce qui n'était encore connu que de Dieu. 9. Une lutte s'était engagée entre le roi de Munster, cette province est située au sud de l'Irlande, et son frère; celui-ci ayant eu le dessus, le roi nommé Cormach , fut obligé de renoncer au trône, et se réfugia auprès de l'évêque Malch, non pas dans la pensée de profiter de son influence pour recouvrer son royaume, mais dans un sentiment de piété, pour donner à la colère le temps de se calmer. Faisant de nécessité vertu, il résolut de vivre en simple particulier. Comme l'évêque se préparait à recevoir le roi avec tous les honneurs dus à son titre, celui-ci l'en dissuada, aimant mieux, lui dit-il, être traité par lui comme l'un des pauvres religieux qui vivaient sous sa conduite, renoncer au faste royal, et, content d'une vie pauvre et commune, attendre ainsi, tant qu'il plairait à Dieu, plutôt que d'essayer de remonter sur le trône par la force des armes ; car il ne voulait point, pour un honneur temporel, répandre sur la terre un sang qui crierait ensuite vengeance contre lui jusqu'au trône de Dieu. A ces mots, l'évêque tressaille d'allégresse, et plein d'admiration pour une si grande piété, il défère au vœu qui lui est exprimé. Bref, on donne au roi une mauvaise petite cabane pour demeure, Malachie pour maître, du pain, du sel et de l'eau pour nourriture. Mais pour lui, toutes les délices du monde n'étaient rien en comparaison de la présence de Malachie, des exemples et des leçons qu'il lui donnait; aussi lui disait-il souvent: « Combien vos paroles me semblent douces! elles le sont plus à mon cœur que le miel à ma bouche (Psalm. CXVIII, 103). » La nuit, il arrosait son lit de ses larmes, et le jour il éteignait dans un bain d'eau glaciale les fâcheuses ardeurs de la luxure qui consumait sa chair. On aurait pu entendre alors ce roi s'écrier avec un autre roi comme lui : « Jetez un regard sur l'état dabaissement où je suis et sur les peines que j'endure, et remettez-moi mes iniquités (Psalm. XXIV, 18). » Et Dieu, au lieu de rejeter sa prière et de lui refuser ses miséricordes, l'exauça au contraire, mais d'une manière bien différente qu'il le pensait lui-même. En effet, il ne songeait qu'au salut de son âme; mais le Dieu qui venge l'innocence, voulant montrer aux hommes qu'il reste toujours quelque bien aux murs pacifiques, disposait tout pour rendre justice à celui qui souffrait injustement; ce que ce dernier était loin d'espérer. En effet, Dieu suscita un roi voisin, car il y en a plusieurs en Irlande, qui voyant comment les choses s'étaient passées, se sentit enflammé d'un grand zèle. Indigné d'un côté à la vue de la liberté dont jouissaient les usurpateurs, et de l'insolence des méchants, touché de l'autre de compassion pour l'état misérable du royaume et l'abaissement de son roi, il se présente à l'humble et pauvre cellule de ce dernier et lui conseille de rentrer dans son pays; mais il ne peut réussir à l'y décider. Cependant il le presse, il lui promet son appui et l'engage à ne point désespérer de l'issue de l'entrepriae, il lui assure que Dieu ne peut manquer de l'assister, et par conséquent que la résistance de ses ennemis sera vaine. Puis il continue en lui dépeignant l'oppression dont les pauvres gémissent, et le triste état de sa patrie ravagée; mais il ne réussit pas davantage. 10. Mais enfin, sur l'ordre formel de l'évêque et d'après les conseils de Malachie, dont il dépendait tout entier, il finit par céder. Les deux rois partent ensemble; et, suivant l'assurance du second, comme tel était la volonté du ciel, les usurpateurs furent chassés sans peine : Le roi rentra dans son royaume, à la grande satisfaction de ses sujets et remonta sur le trône. Depuis lors, ce roi ne cessa d'avoir de l'affection et du respect pour Malachie, d'autant plus qu'il avait pu voir par lui-même, combien il était digne de ces sentiments d'amour et vénération; car il ne pouvait ignorer la sainteté d'un homme dont il avait eu le bonheur de connaître l'amitié dans ses infortunes. Aussi dans la prospérité ne cessa-t-il de lui témoigner de l'affection et de la déférence, de prendre volontiers conseil de lui et de ne faire presque tout ce qu'il faisait, qu'après s'en être entretenu avec lui. Mais en voilà assez sur ce point. Néanmoins, je ne puis m'empêcher de croire que ce n'est pas sans motif due le Seigneur se plut à le rendre dès lors illustre auprès des rois eux-mêmes, il voulait se faire de lui un vase d'élection qui portât son nom devant les princes et les rois. CHAPITRE V. Il offre le sacrifice de la messe pour sa sœur défunte.11. Pendant que tout cela se passait, il perdit cette sueur dont nous avons parlé plus haut. Nous ne saurions passer sous silence les visions qu'il eut à son sujet. Il avait conçu une telle aversion pour son genre de vie toute charnelle, qu'il avait fait le vœu de ne plus la revoir jamais en ce monde. Mais quand elle fut morte, délié de son veau, il revit en esprit celle qu'il n'avait plus voulu voir dans sa chair. Une nuit il entendit en songe une voix qui lui disait que sa sueur était là, dans le vestibule, et n'avait rien pris depuis déjà trente jours entiers; il s'éveille à ces mots, et, comprenant de quel genre de nourriture elle était privée, il supputa le nombre de jours qu'il venait d'entendre nommer et il trouva qu'ils répondaient exactement au temps qui s'était écoulé depuis qu'il n'avait point offert pour elle le pain de vie descendu du ciel. Alors, comme il ne détestait que le péché, non point lame de sa sueur, il reprend sa bonne œuvre, qu'il avait interrompue. Ce ne fut pas en vain; car peu de jours après, il lui sembla la voir arrivée à la porte de l'église, mais elle n'y pouvait point encore entrer, et la robe qu'elle portait était de couleur sombre. Il persévéra de son côté et ne passa point un jour sans lui faire l'aumône accoutumée ; il la revit encore, sa robe était presque blanche, elle était entrée dans l'église, mais il ne lui était pas encore permis de toucher à l'autel. Enfin, il la revit une troisième fois; mais alors elle était mêlée à la troupe de ceux qui portaient des robes blanches et elle en avait une elle-même de la même couleur. Vous voyez cher lecteur ce que peut la prière assidue du juste. On peut donc bien dire en vérité que le royaume du ciel souffre violence et qu'il n'y a que les violents qui l'emportent. Ne vous semble-t-il pas, en effet, que la prière de Malachie brisa en quelque sorte, les portes du ciel, quand vous voyez une femme pécheresse obtenir, par la force des armes de son frère, ce qu'elle ne pouvait espérer de ses propres mérites? Mais c'est vous, ô bon Jésus, qui, par les souffrances de votre passion, faites violence an ciel; vous êtes bon et puissant pour nous sauver, vous faites miséricorde, vous montrez la puissance de votre bras et en conservez la vertu dans votre sacrement pour les saints qui sont sur la terre jusqu'a la consommation des siècles. Car c'est bien ce sacrement qui a la force de consumer le péché, de terrasser les puissances ennemies et de porter aux cieux les âmes qui quittent la terre. CHAPITRE VI. Malachie relève les ruines du monastère de Benchor.12. Voilà comment dans le pays de Lesmor, le Seigneur préparait son bien-aimé fils Malachie à travailler un jour à sa gloire; mais bientôt ceux qui l'avaient envoyé dans cette contrée, ne pouvant supporter plus longtemps son absence, lui écrivirent pour le rappeler parmi eux. Quand il fut retenu au milieu des siens, avec une connaissance plus approfondie de tout ce qu'il lui importait de savoir, voici quelle entreprise le Seigneur lui ménagea. Un homme riche et puissant , qui possédait Benchor et ses dépendances, fut inspiré de Dieu de remettre sa personne et tous ses biens entre les mains de Malachie; cet homme était son oncle. Mais pour Malachie, la parenté des âmes l'emportait de beaucoup sur celle du sang. Ce prince lui remit le lieu même appelé Benchor (a) dont il portait le nom, pour qu'il y construisit un monastère ou plutôt pour qu'il relevât de ses ruines celui qui y avait existé. En effet, sous le premier abbé Conge, il y avait eu en cet endroit un monastère très-célèbre, d'où étaient sortis des milliers de religieux et qui a Ou Banchor, comme il est écrit dans les actes de saint Colomban. Ce monastère était situé dans une province d'Irlande, appelée Ultonie, et ne doit pas être confondu avec un autre monastère du même nom, dans le pays de Galles, en Angleterre. avait été la maison mère d'une multitude d'autres monastères. C'était un endroit si saint et si fertile en saints qu'il en produisit à Dieu une admirable moisson; il y eut même un religieux de ce monastère nommé Luan, qui fonda à lui seul, dit-on, une centaine d'autres monastères de cette sainte congrégation. Tout cela peut faire comprendre au lecteur quelles ruines étaient à relever. Les rejetons de ce monastère remplirent si bien l'Irlande et lEcosse qu'il semble que David avait en vue ces temps admirables quand il disait : « Vous avez visité cette contrée, Seigneur, vous l'avez comme enivrée de vos grâces, et vous l'avez comblée de toutes sortes de richesses. Le grand fleuve qui l'arrose a été rempli d'eau et vous avez préparé à ses habitants de quoi les nourrir abondamment, car c'est ainsi que vous préparez cette terre pour fournir tout ce qui est nécessaire à leur nourriture. Faites couler une eau abondante dans ses sillons, et multipliez ses produits, elle se réjouira des pluies que vous lui enverrez et montrera sa joie par les fruits abondants qu'elle produira (Psalm., LXIV, 10 et seq.), » et le reste. Mais le flot de ses saints, non content de se répandre drus ce pays déborda aussi sur les contrées étrangères, car c'est de là qu'est venu dans les nôtres, saint Colomban, qui fonda le monastère de Luxeuil, où il devint le père de tout un peuple de moines. Le nombre de ses religieux était si considérable qu'on dit qu'ils formaient des choeurs qui se succédaient sans cesse pour célébrer le saint office, en sorte qu'on ne cessait ni le jour ni la nuit, de chanter les louanges de Dieu dans ce monastère. 13. Mais toute cette gloire de l'ancien monastère de Benchor s'était éteinte; car il avait été détruit un jour par une troupe de pirates; ce qu'il en restait s'offrit à Malachie avec le prestige de son antique réputation, et des saints sans nombre qui dormaient sous ses ruines, comme un paradis terrestre à planter de nouveau. Sans parler de tous ceux qui s'étaient endormis en paix dans cette maison, on rapporte qu'il y périt, en un seul jour, neuf cents religieux. de la main des pirates. Les dépendances de ce monastère étaient considérables, mais Malachie se contenta du lieu saint où s'était élevé le monastère et donna le reste des terres et des propriétés à d'autres; car il n'avait pas manqué de gens pour s'en mettre en possession après la destruction du monastère. Ces nouveaux propriétaires étaient nommés à l'élection, et prenaient même le nom d'abbés, conservant ainsi le titre, mais non la chose, tel qu'il avait existé autrefois. On lui conseillait fort de ne point aliéner ces biens et de les conserver tous, mais il était trop amateur de la pauvreté pour goûter un semblable conseil; il fit donc procéder, selon l'usage, à l'élection d'un autre propriétaire, et ne conserva pour lui que l'emplacement même du monastère. Peut-être aurait-il mieux fait, comme la suite le prouva, de conserver toutes ces propriétés, s'il n'avait pris conseil en les abandonnant beaucoup plus de son humilité que du bien de la paix. 14. Il partit donc, sur l'ordre de son père Imar, avec une dizaine de religieux et lorsqu'il fut arrivé sur les lieux où s'était élevé l'ancien monastère, il se mit à le reconstruire. Mais là, un jour que la hache à la main, il la brandissait en l'air pour frapper, un des ouvriers se plaça, par inadvertance, à l'endroit où le coup devait porter, et fut atteint à l'épine dorsale de toute la force qu'il avait imprimée à son instrument, et tomba sur le coup; on se précipite à lui dans la pensé qu'on va le relever mort ou mourant. Sa tunique se trouva en effet fendue depuis le haut jusqu'au bas, mais lui était sans blessure, c'est à peine si le coup avait laissé une marque imperceptible sur sa peau; il se releva sain et sauf au grand étonnement des assistants qui furent témoins de ce miracle; aussi en devinrent-ils tous plus ardents au travail et plus prompts à l'ouvrage. Ce fut le premier miracle de Malachie. En peu de jours, ils eurent construit une chapelle avec des poutres seulement équarries, mais néanmoins très-bien et très-solidement assemblées. C'était une construction toute écossaise, et assez belle. Dès lors, on y fit le service divin, comme aux anciens jours, et avec une égale piété, sinon avec un aussi grand nombre de religieux. Imar établit Malachie à la tête de ce monastère, dont il fut en même temps le supérieur et la règle vivante, aux yeux de ses frères. En effet, ceux-ci lisaient dans sa vie comme dans un livre, la manière dont ils devaient se conduire; et lui, sous les regards de Dieu, leur montrait le chemin de la justice et de la sainteté; non content des pratiques communes, il se livrait à des exercices particuliers dans lesquels il devançait tous les autres religieux; aucun d'eux ne pouvait le suivre ni atteindre à la hauteur où il s'élevait. A cette époque, il y avait un homme malade que le diable hantait et à qui il disait ouvertement de ne point se laisser séduire par les conseils de Malachie, de le recevoir même et de le tuer à coups de couteau s'il venait le voir. En apprenant cela de la bouche même du malade, ceux qui le soignaient en informèrent Malachie, pour qu'il se tînt sur ses gardes. Mais lui, sans autres armes que celles de la prière, les seules qu'il connût, va courageusement droit à l'ennemi et met le diable en fuite avec la maladie. Or, le malade s'appelle Malchus, il est frère selon la chair de notre bien-aimé Chrétien, abbé de Monaster-Mohr. Ils sont encore l'un et l'autre de ce monde, et plus unis de sentiment qu'ils ne le sont par le sang; car celui-là se vit à peine délivré que, pour témoigner sans retard sa reconnaissance à Dieu, il changea de sentiments et d'habits. Les religieux de Malachie virent donc par là que le démon en voulait à leur bonheur, mais ils n'en furent que plus solidement affermis et se tinrent plus que jamais, sur leurs gardes. CHAPITRE VII. Saint Malachie guérit un clerc malade de la dyssenterie.15. Un clerc, nommé Michel, malade de la dyssenterie, se trouvait dans un état désespéré, quand saint Malachie lui ayant envoyé quelque chose qui avait été servi sur sa table, le guérit sur le champ. Une autre fois, le même clerc tomba de nouveau très-dangereusement malade; Saint Malachie lui rendit, non-seulement la santé de l'âme, mais aussi celle du corps, car cet homme revint à Dieu et s'attacha à Malachie, son serviteur, dans la crainte qu'il ne lui arrivât quelque chose de pire, s'il se montrait encore une fois ingrat pour un si grand bienfait et un pareil miracle. Il se trouve maintenant, m'a-t-on dit, à la tête d'un monastère situé en Ecosse, le dernier qu'ait fondé notre Saint. Toutes ces merveilles firent croître tous les jours davantage la renommée et la congrégation de Malachie, mais si grande que fut sa réputation, non-seulement parmi les siens, mais encore au dehors, les faits sur lesquels elle s'appuyait, n'étaient pas moindres qu'elle. Devenu évêque, il continua à demeurer dans son monastère, qui se trouvait dans le voisinage de sa ville épiscopale. CHAPITRE VIII. Il est ordonné malgré lui évêque de Connerth.16. A cette époque, le siège épiscopal de Connerth était vacant depuis assez longtemps, attendu que Malachie refusait toujours de s'y laisser asseoir; mais enfin, il céda aux instances persévérantes qui lui furent faites, ainsi qu'à l'ordre formel de son cher maître et de son métropolitain. Malachie était âgé de trente ans environ, quand il devint évêque de Connerth, c'était le nom de sa ville épiscopale. A peine fut-il entré en fonctions, que cet homme de Dieu comprit qu'il allait avoir affaire avec de véritables brutes, plutôt qu'avec des hommes; car il n'avait jamais rien vu de semblable dans les contrées les moins civilisées, pour le libertinage des mœurs, la brutalité des coutumes, l'impiété en matière de foi, la barbarie des lois, l'aversion de tout frein et le débordement des mœurs. C'étaient des chrétiens de nom et de véritables païens par la conduite. On ne payait plus la dîme et on n'offrait plus de prémices au temple; la célébration des mariages avait cessé, on ne voyait plus ni confession ni pénitence, personne ne demandait ou n'administrait ces sacrements, car les ministres des autels étaient en très-petit nombre. D'ailleurs pourquoi auraient-ils été plus nombreux là où le peu qui s'y trouvaient encore n'avaient pas même trouvé à vivre de leur ministère au milieu de ces populations mauvaises. On n'entendait plus, dans les églises, ni chant ni prédications. Quel parti va prendre l'athlète du Seigneur? Reculera-t-il? Il ne le peut sans honte. Engagera-t-il la lutte? C'est s'exposer aux plus grands dangers. Mais, comme il était un véritable pasteur, non point un mercenaire; au lieu de s'enfuir, il résolut de demeurer à son poste et de donner sa vie s'il le fallait pour le salut de ses brebis: il est vrai que ce n'étaient que des loups, non point des brebis. Il resta donc au milieu de ces loups avec un zèle intrépide, essayant avec ardeur de tous les moyens pour les changer en brebis. Il les instruisait en public, les reprenait en particulier, non sans verser des larmes sur chacun d'eux, et employait tour à tour les moyens de la douceur et ceux de la sévérité, selon que la prudence le lui dictait; puis lorsqu'il voyait que tout cela était inutile, il répandait des larmes pour eux devant Dieu avec un cœur contrit et humilié. Que de fois il passa des nuits entières à prier les mains étendues en croix ! Il allait chercher dans les rues et dans les places publiques ceux que sa voix ne pouvait attirer à l'église ; souvent on le voyait parcourir la ville en tous sens avec ardeur, pour trouver quelqu'un qu'il pût gagner à Jésus-Christ. 17. Il courait avec le même zèle dans les campagnes et par les villages, accompagné de quelques disciples fidèles qui ne le quittaient jamais, pour distribuer le pain de vie à ces à mes ingrates; il faisait toutes ces courses, :non à cheval, mais à pied, comme un véritable apôtre. O bon Jésus, que n'eut pas à souffrir, de ces peuples barbares, votre généreux athlète, que n'eut-il point à endurer de toutes ces populations auxquelles il venait prêcher la bonne nouvelle et pour lesquelles aussi il vous adressait tant de vux !Quelle plume pourrait retracer dignement les mauvais traitements qu'il endura, les mépris qu'il essuya, les injures dont il fut accablé, ses fatigues et ses privations, enfin tout ce qu'il eut à souffrir du froid et de la nudité ? Mais au milieu de tant d'ennemis, il conserva toujours la paix du cœur et ne cessa de les presser à temps et à contre temps de se convertir; priant pour ceux qui le maudissaient et n'opposant à leur insolence que le bouclier de la patience, il ne se lassait point de rendre le bien pour le mal. Comment n'aurait-il pas fini par triompher? ne se fatiguant point de frapper à la porte des cœurs, il réussit enfin à s'en faire ouvrir quelques-uns; comment aurait-il pu en être autrement après l'assurance donnée par la vérité même? Le bras de Dieu montra sa puissance comme ses lèvres avaient dit la vérité. Ce peuple s'adoucit peu à peu et sa barbarie finit par céder. Ces populations emportées par les passions mauvaises, s'apaisèrent insensiblement, s'accoutumèrent à la fin à écouter les corrections de leur pasteur, et se soumirent au frein de la discipline. Les lois barbares disparurent et firent place aux coutumes de l'Eglise Romaine, dont les usages se substituent partout aux usages contraires. On releva les églises et on y plaça des clercs; les sacrements furent de nouveau administrés selon les rites, on recommença à se confesser et à fréquenter les églises et le concubinage fit place à l'état saint du mariage. Enfin, la face des choses changea si bien, qu'on peut aujourd'hui appliquer à ces populations ce que le Seigneur disait par son Prophète: « Ce peuple qui avait cessé d'être mon peuple, est redevenu mon peuple (Ose., II, 14). » CHAPITRE IX. Saint Malachie construit le monastère d'Ibrack.18. Quelques années après, un roi du Nord de l'Irlande fondant des contrées de l'Aquilon, car tout mal vient de ce côté (Jérém., I, 14), sur la ville épiscopale de Malachie, la détruisit de fond en comble; mais peutêtre ce malheur fut-il un bien pour ceux qui surent en profiter. Qui sait, en effet, si Dieu n'a pas voulu par là, détruire les anciennes iniquités de son peuple ? Forcé de s'éloigner par cet événement, Malachie partit avec ses disciples ; mais son départ ne fut point sans porter des fruits, car avec ses cent trente disciples, il fonda le monastère d'Ibrack, où le roi Cormach, chassé de son royaume, avait aussi goûté autrefois, par les soins de Malachie, quelque consolation de la miséricorde de Dieu. En revoyant Malachie, le roi se sentit transporté de joie et il mit sa personne et ses biens à sa disposition et à celle de ses compagnons, montrant par là le bon souvenir que son cœur reconnaissant conservait du bien qui lui avait été fait autrefois. Il lui donna des animaux pour l'usage de ses religieux, sans compter de grandes sommes d'or et d'argent qu'il lui fournit, avec une libéralité toute royale, pour construire un monastère; et on le vit plus d'une fois venir partager le genre de vie des religieux, avec une assiduité et une régularité telles, que sous les vêtements royaux, il se conduisait en véritable disciple de Malachie. Le Seigneur bénit cet établissement à cause de son serviteur, et en peu de temps il devint aussi riche en biens et en possessions de toutes sortes, qu'en religieux. On vit, dans ce monastère, Malachie, tout évêque et supérieur qu'il était, donner en tout l'exemple de la soumission à la règle et à la discipline; comme un véritable novice. Ainsi, il servait à son tour à la cuisine et à table pendant le dîner des religieux, et, lorsqu'il fallait chanter ou lire à l'église, il tenait à remplir ces fonctions à son rang, et s'acquittait de ce devoir avec le plus grand soin comme le de dernier des religieux quand son tour venait de les remplir. Quant à la sainte pauvreté, non-seulement il la pratiquait comme tout son monde., mais même il en donnait l'exemple, car c'était une des vertus qu'il pratiquait avec le plus d'amour et de zèle. CHAPITRE X. Saint Malachie devient archevêque ou primat d'Irlande.19. Cependant l'archevêque Celse, qui avait ordonné Malachie diacre et prêtre, et l'avait sacré évêque, se voyant malade à l'extrémité, déclara, par une espèce de testament, qu'il n'y avait que Malachie qui dût lui succéder, et qu'il n'en connaissait point de plus digne de monter sur le premier siège archiépiscopal d'Irlande. Il le dit à tous ceux qui étaient présents à ses derniers moments, le fit savoir aux absents et recommanda, en particulier ce choix aux deux rois de Munster, et à tout ce qu'il y avait de gens influents dans le pays, au nom même de saint Patrice. Par un sentiment de vénération et de respect pour ce saint qui est regardé comme l'apôtre de toute sa nation, car c'est lui qui a converti toute l'Irlande à la foi, l'église d'Armagh qu'il a gouvernée pendant sa vie et où il repose depuis sa mort, a été, dès le principe, en tel honneur aux yeux de tous les Irlandais, que, non-seulement les évêques, les prêtres, et généralement tout le clergé du pays, mais aussi les princes et les rois de cette île sont soumis en toute obéissance au métropolitain d'Armagh, et le considèrent comme étant placé au-dessus d'eux tous. Mais par suite d'une détestable coutume introduite par l'ambition diabolique de certains seigneurs, et depuis longtemps invétérée, ce siège était devenu héréditaire dans une tribu et une famille particulière dont les seuls membres pouvaient l'occuper. Ce mal datait même de si loin qu'il s'était écoulé quinze générations depuis que les choses se passaient ainsi. Ce droit pervers ou plutôt cette iniquité digne de tout genre de mort, avait poussé de telles racines par les soins de cette famille corrompue et adultère qu'il est arrivé plusieurs fois que, n'ayant pas même un seul clerc de son sang, elle n'en donnât pas moins un évêque à l'église d'Armagh, en sorte qu'avant l'épiscopat de Celse, il y avait eu huit évêques de cette maison qui étaient mariés et n'avaient point reçu les ordres; il est vrai qu'ils étaient versés dans la connaissance des belles lettres. Cet abus avait causé dans toute l'Irlande la ruine de la discipline ecclésiastique dont nous avons parlé plus haut, et l'anéantissement de toute morale et de toute religion. C'est aussi ce qui fut cause qu'on vit succéder partout à la douceur des mœurs chrétiennes, la plus cruelle barbarie et le paganisme même renaître au milieu de populations qui n'étaient chrétiennes que de nom. Les archevêques de ces pays, par une entreprise inouïe à toute l'église, s'attribuaient le. pouvoir de changer comme bon leur semblait, et même de multiplier les évêques sans sujet, en sorte qu'un évêché au lieu d'un seul évêque qu'il devait avoir, en avait quelquefois presque autant qu'il se trouvait de paroisses. Il ne faut pas s'en étonner; car comment les membres d'un corps dont la tête était si malade, se seraient-ils bien portés? 20. C'était parce qu'il gémissait profondément sur de pareils abus que Celse, qui était un homme de bien et craignant Dieu, fit tout ce qu'il put pour que Malachie lui succédât; il espérait qu'il remédierait au mal qui était depuis si longtemps enraciné dans la succession qu'il lui laissait; car il savait que non-seulement tout le monde le chérissait et le prenait pour modèle, mais encore que le Seigneur était avec lui. Ses espérances ne furent point trompées; à sa mort Malachie lui fut donné comme successeur, mais non pas de suite et sans difficulté; car un nommé Maurice, de la race perverse de ceux dont nous avons parlé plus haut, s'empara de la succession de Celse, et put se maintenir à sa place plutôt en tyran qu'en évêque pendant cinq ans entiers, grâce à l'appui qu'il trouva dans la puissance séculière. Mais les gens de bien se déclarèrent pour Malachie et le pressèrent d'accepter le fardeau que Celse lui avait légué. Quant à lui, dans son humilité, il regardait toute élévation comme une précipice, et s'excusait d'occuper un poste dont il ne pouvait, dans ces temps mauvais, se mettre en possession sans lutte. Son refus leur fit redoubler leurs instances avec plus d'ardeur encore. Parmi ceux qui le sollicitaient le plus vivement, étaient deux évêques, l'un de Lesmor, qui était Malch, dont nous avons déjà parlé, et l'autre était Gilbert, qui fut le premier légat du Saint Siège en Irlande. Il y avait déjà trois ans que Maurice profitait de son usurpation, et que Malachie refusait le titre d'archevêque d'Armagh, lorsque ces deux prélats, ne pouvant voir plus longtemps l'église d'Armagh ainsi déshonorée et le Christ méprisé, réunirent les évêques et les grands du pays et allèrent tous ensemble trouver Malachie pour lui faire violence. Mais celui-ci commença par refuser la proposition qui lui était faite, et leur représenta les difficultés de l'entreprise, la grandeur, la puissance et l'ambition de la famille qu'il s'agissait de déposséder; il disait que c'était beaucoup oser, pour un pauvre évêque comme lui, que de s'élever contre des adversaires si nombreux, si puissants, si décidés et si fortement enracinés dans la position qu'il fallait leur enlever; car ils avaient possédé depuis près de deux siècles, comme un héritage, le sanctuaire de Dieu, et ils l'occupaient encore maintenant par un des leurs. Il ajoutait qu'il lui faudrait certainement en venir aux mains et sacrifier des hommes pour les chasser; or il ne voulait point faire couler le sang pour lui; d'ailleurs il était lié lui-même à une autre épouse qu'il ne lui était pas permis de quitter. 21. Mais eux, insistant d'autant plus de leur côté, disaient que telle était la volonté de Dieu et le sommaient, en vertu de leur autorité, et même sons peine d'anathème, d'accepter le fardeau qu'ils lui offraient. « C'est à la mort que vous me menez, dit-il, mais je me soumets dans l'espérance du martyre; j'y mets pourtant une condition, c'est que, si l'entreprise réussit au gré de vos espérances, si Dieu recouvre son héritage des mains de ceux qui le dévorent, il me sera permis de retourner à ma première épouse et amie, je veux dire à la pauvreté, des bras de laquelle vous venez m'arracher, et de mettre à ma place sur le siège d'Armagh, le premier évêque que vous jugerez capable de l'occuper. » Le lecteur remarquera la vertu de cet homme et sa pureté d'intention; il ne craignait pas plus la mort pour Jésus-Christ, qu'il ne recherchait les honneurs. Où trouver pureté d'intention plus grande, et une plus grande force d'âme ? Il accepte le travail et le péril, et veut en laisser à un autre les fruits, c'est-à-dire la possession sûre et paisible de l'archevêché. On lui promit qu'il serait fait suivant ses désirs, il céda donc à la volonté de ceux qui lui faisaient violence, ou plutôt à la volonté de Dieu même, quelque pénible qu'elle lui semblât; il se rappela d'ailleurs qu'elle lui avait été révélée autrefois. En effet, pendant la maladie de Celse, Malachie qui était alors fort loin d'Armagh et ignorait qu'il fût malade, eut une vision dans laquelle lui apparut une femme à la stature élevée et à l'air vénérable. Lui ayant demandé qui elle était, elle avait répondu qu'elle était l'épouse de Celse et lui avait remis le bâton pastoral de ce dernier qu'elle tenait à la main puis disparut. Peu de jours après, Celse se trouvant à la dernière extrémité lui envoya sa crosse comme à son futur successeur; en la recevant, Malachie reconnut que c'était celle qu'il avait vue dans sa vision. Ce souvenir l'ébranla, et lui fit appréhender, s'il continuait, comme il ne le faisait déjà que depuis trop longtemps, à repousser la proposition qui lui était faite, il ne parût résister à la volonté de Dieu même. Toutefois il ne voulut point entrer dans sa ville épiscopale tant que vécut son compétiteur, de peur que son arrivée ne fût une occasion de troubles, qui auraient pu coûter la vie à quelques-uns de ceux à qui il venait au contraire apporter la vie. Ainsi pendant les deux années que vécut encore Maurice,, Malachie n'exerça les fonctions épiscopales que dans les autres lieux de la province et non point dans la ville même d'Armagh. CHAPITRE XI. Saint Malachie échappe sain et sauf aux embûches qu'on lui tend et ceux qui les dressent périssent misérablement.22. La mort de Maurice ne s'était pas fait attendre ; mais un certain Nigel, ou plutôt un véritable nègre, s'empara de son siège. D'ailleurs Maurice avant de mourir l'avait désigné pour son successeur, continuant ainsi, même après sa mort, son uvre de damnation. C'était un membre de la race maudite de Maurice et son proche parent. Mais le roi du pays, les évêques et les fidèles ne s'en concertèrent pas moins pour placer Malachie dans la chaire épiscopale. Le parti contraire entreprit de s'y opposer. Un vrai fils de Bélial, un homme prompt au mal, puissant pour l'iniquité qui connaissait parfaitement la disposition des lieux où les partisans de Malachie devaient se réunir, se fait suivre d'une nombreuse troupe de gens et se porte secrètement sur une colline située dans le voisinage et en face de l'endroit où on devait se réunir, pour fondre de là à l'improviste, sur l'assemblée occupée à tout autre chose qu'à se préparer à la lutte et en massacrer les membres innocents. Ils avaient en effet résolu de tuer le roi lui-même en même temps que Malachie, afin qu'il ne pût venger le meurtre de ce saint évêque. celui-ci informé de ce qui se tramait, entre dans l'église qui était près de là, et, levant les mains au ciel; il adresse une prière à Dieu. A l'instant le ciel se couvre d'une nuée épaisse et l'obscurité devient si profonde roue la clarté du jour fit place aux ténèbres de la nuit: la foudre et te tonnerre éclatent dans les airs, le souffle de la tempête se déchaîne; on se serait cru au dernier jour du monde, tant les éléments conjurés semblaient menacer tout d'une destruction prochaine. 23. On ne peut douter, en lisant ces choses, que ce ne fut à la prière de Malachie que les éléments se soulevèrent ainsi; la tempête n'atteignit en effet que ceux qui en voulaient à ses jours, la foudre et les ténèbres n'enveloppèrent que ceux qui avaient machiné, dans leur âme, des œuvres de ténèbres. En effet, celui qui s'était mis à la tête d'une si noire entreprise, mourut foudroyé avec trois des siens, en sorte que ceux qui avaient pris part à son crime partagèrent son sort. Le lendemain, on trouva leurs corps à demi consumés par la foudre, et déjà tombant en lambeaux, suspendus aux branches des arbres contre lesquels le souffle de la tempête les avait lancés. On en retrouva aussi trois autres à demi-morts, le reste s'était dispersé. Quant à ceux qui étaient avec Malachie, bien que se trouvant tout près de l'endroit où sévissait la tempête, ils n'en furent ni atteints ni-même incommodés. Dans ce miracle nous reconnaissons l'accomplissement de cette parole de l'Écriture : «La prière du juste pénètre les Cieux (Eccli., XXXV, 21). » C'est le renouvellement de l'antique miracle qui plongea toute l'Égypte dans des ténèbres épaisses, tandis que le peuple d'Israël était dans la lumière, selon ce que rapporte l'historien sacré quand il dit : « Partout où était Israël, on jouissait de la lumière du jour (Exod., X, 23). » Ce fait me rappelle ce qui se passa du temps du prophète Elie, qui tantôt rassemblait les nuées du bout du monde, et les faisait tomber en pluies abondantes sur la terre, et tantôt appelait feu du ciel sur les blasphémateurs (IV Reg., I, 10 et seq.). C'est de la même manière que le Seigneur fit éclater sa gloire, en cette circonstance, dans son serviteur Malachie. CHAPITRE XII. Saint Malachie à force de courage et de confiance en Dieu, finit par adoucir ses ennemis et ses envieux, qui avaient pris les armes contre lui et par se les attacher.24. L'humble Malachie avait environ trente-huit ans lorsqu'il entra, en qualité de pontife et de métropolitain de toute l'Irlande, dans sa ville épiscopale d'Armagh, d'où l'usurpateur venait d'être expulsé. Lorsque le roi et ceux qui avaient contribué avec lui à l'établir dans sa chaire, furent retournés chacun chez eux, il resta seul entre les mains de Dieu, mais il resta avec des luttes au dehors et des craintes continuelles au dedans. En effet, la race de vipères qui grinçait des dents et criait à haute voix qu'on lui avait enlevé son héritage, se souleva tout entière tant au dedans qu'au dehors contre le Seigneur et contre son Christ. Nigel, au moment où il vit qu'il allait être contraint de prendre la fuite, emporta avec lui plusieurs objets insignes de l'évêché, à savoir, le texte des Évangiles qui avait appartenu à saint Patrice, une crosse chargée d'or et de pierres du plus grand prix, qu'on appelait le bâton de Jésus, parce qu'on croyait vulgairement que le Seigneur l'avait tenu et même façonné de ses propres mains. Or, ces objets passaient pour les signes de l'archiépiscopat et de la première dignité de l'église, parmi le peuple de ce pays. Ils étaient en effet bien connus et très-célèbres dans la contrée tout entière, et dans une telle vénération qu'aux yeux de ces populations sottes et insensées, il n'y avait de véritable évêque que celui qui en était en possession. Nigel, semblable à Satan, errait de tous côtés et parcourait le pays emportant avec lui, ces objets précieux qu'ils montrait partout où il allait, et à la faveur desquels il se trouvait bien accueilli en tous lieux, et gagnait facilement tous les esprits à sa cause, en même temps qu'il enlevait le plus qu'il pouvait de partisans à la cause de Malachie. Mais en voilà assez sur son compte. 25. Il y avait un grand seigneur de la race impie de Maurice, que le roi de la contrée avait forcé, avant de s'éloigner de la ville, de s'engager par serment, à vivre en paix avec son nouvel évêque et dont il avait même reçu quelques Mages, comme gage de sa fidélité. Mais à peine le roi se fut-il éloigné, que, en dépit de son serment, cet homme entre dans la ville épiscopale et trame avec quelques-uns de ses proches et de ses amis, le complot de s'emparer adroitement du saint évêque et de le mettre à mort; mais ils redoutaient le peuple. Les conjurés fixèrent donc le jour et le lieu où il mettraient leur dessein à exécution, et un traître convint avec eux d'un signe pour se saisir de Malachie. Le jour venu, comme le saint évêque célébrait à l'église, l'office solennel du soir, cet impie seigneur lui envoya porter de trompeuses paroles de paix en le priant de vouloir bien lui faire l'honneur de descendre chez lui pour consommer leur réconciliation. Les assistants ayant répondu qu'il était plus convenable qu'il vint lui-même trouver son évêque et que l'église était un lieu parfaitement choisi pour cimenter la paix entre eux, (car ils soupçonnaient quelque piège caché sous ces avances), les envoyés reprirent que le prince ne serait point en sûreté en faisant cette démarche, qu'il craignait pour sa vie, s'il se présentait, et qu'il ne pouvait se fier au peuple qui, peu de jours auparavant, avait voulu le massacrer à cause de son évêque. Mais pendant que les uns faisaient des instances pour que Malachie se rendit auprès du prince et que les autres prétendaient qu'il ne devait point y aller, le saint évêque, bien plus poussé par le désir de la paix, que retenu par la crainte de la mort, s'écrie: « Laissez-moi, mes frères, laissez-moi suivre l'exemple de notre Maître; à quoi me servirait-il d'être chrétien si je n'imite pas le Christ? Peut-être me sera-t-il donné de fléchir ce tyran par mon humilité ; si je n'y réussis point, je n'en triompherai pas moins en prévenant une brebis, tout pasteur que je suis et en faisant les premiers pas vers un laïc, malgré mon titre dévêque. tu même temps j'espère, en ce qui dépend de moi, ne pas être pour vous une cause de médiocre édification, en vous donnant un pareil exemple. Après tout, que peut-il m'arriver ? La mort; mais je suis loin de refuser de mourir, si, à ce prix, je puis vous donner un exemple de vie. L'évêque des évêques n'a-t-il pas dit: « Il faut qu'un évêque, au lieu de dominer sur l'héritage du Seigneur, se montre le modèle de son troupeau (I Petr., V, 3)? » Or, quel exemple avons-nous appris à laisser aux autres de la part de Celui qui s'est humilié au point de se rendre obéissant jusqu'à la mort? Qui m'obtiendra la grâce de laisser à nos neveux, une pareille leçon tracée de mon sang? Je veux que vous voyiez si votre évêque a profité des leçons du Christ, et s'il a bien appris à ne pas redouter de mourir pour Lui. » Se levant donc, il se mit en marche, laissant tous les assistants verser des larmes, et le prier de ne point pousser l'amour de la mort pour Jésus-Christ, au point de laisser un si grand troupeau dans la désolation. 26. Alors, mettant toute sa confiance en Dieu, il part d'un pas précipité, suivi de. trois de ses disciples seulement, qui était résolus à périr avec lui. A peine eut-il mis le pied dans la maison de son ennemi, qu'il se trouva entouré de gens armés à qui il ne pouvait opposer que le bouclier de la foi. Mais à sa vue, tous les fronts s'inclinent, une sorte de terreur s'est emparée de tous ces hommes, et Malachie aurait pu dire en parlant d'eux: « Ceux qui me persécutent le plus, se sont trouvés sans force, toute leur ardeur s'est éteinte (Psalm. XXVI, 3); » car il en était ainsi, à la lettre. Il fallait voir cette victime destinée à la mort, debout au milieu de ses bourreaux le fer à la main, et personne n'oser l'immoler. On aurait dit que les bras étaient glacés (a) car pas un ne se leva pour donner le coup fatal. Quant à celui qui était l'âme du complot, il s'élance, à l'approche de Malachie, avec toute sorte de respect plutôt qu'avec de la colère. Eh bien, malheureux, où donc est le signal convenu auquel le pontife du Seigneur doit tomber percé de coups? Les signes qui t'échappent sont des marques d'honneur plutôt que des signes de mort; des preuves de déférence, non des procédés de violence. 0 miracle! ces hommes, qui avaient comploté le meurtre, n'ont plus que des offres de paix à mettre en avant. Il n'y a pas à craindre que celui qui était venu, au péril de ses jours, chercher la paix en ces lieux, la repousse quand elle lui est offerte, aussi se conclut-elle à l'instant, et le Prêtre du Seigneur trouva dès ce jour dans son ancien ennemi, un sujet aussi pacifique que soumis et dévoué. A cette nouvelle tous les fidèles se sentirent transportés d'allégresse non-seulement parce que le sang innocent fut sauvé ce jour là, mais encore parce que les âmes de bien des méchants furent ramenées dans les voies du salut par la vertu de Malachie. Une sorte de crainte se répandit dans tous les pays d'alentour, quand on sut comment Dieu avait si subitement terrassé par sa puissance, les deux plus redoutables et plus féroces ennemis de Malachie; l'un, celui dont j'ai parlé plus haut, en le frappant d'une manière terrible dans son corps, et l'autre, celui même dont je viens de raconter l'histoire, en changeant miséricordieusement les dispositions de son mur, et tous les deux d'une manière aussi merveilleuse, en les frappant au milieu même de leurs détestables complots. 27. Après cet événement, le saint évêque commença à régler et à disposer dans la ville d'Armagh tout ce qui concernait son ministère avec la plus entière liberté, non point pourtant sans courir encore des dangers pour sa vie; car s'il ne se trouvait plus personne pour essayer de lui nuire ouvertement, il n'en manquait point qui lui tendissent des embûches, et contre ceux-là il n'y avait pas d'endroit où Malachie pût être en sûreté; car tous les temps leur étaient propices; aussi lui donna-t-on une garde armée pour le protéger jour et nuit; mais lui avait bien plus de confiance en Dieu qu'en elle. Il résolut de poursuivre le schismatique Nigel, dont il a été parlé plus haut, attendu qu'il séduisait une foule de gens en leur montrant les objets insignes qu'il avait emportés avec lui, et en leur persuadant à tous qu'il n'y avait que lui qui fût leur véritable évêque; il soulevait ainsi les peuples contre Malachie et contre l'unité de l'Eglise. Notre saint évêque se mit donc à l'œuvre comme il l'avait décidé, et il ne tarda point à se voir si bien maître de toutes les voies de Nigel, ce que la grâce de Dieu, qui lui donnait une influence très-grande sur tout le monde, lui rendit facile, que cet ennemi acharné se vit contraint de faire des propositions de paix et de rendre tous les objets précieux qu'il avait enlevés; il vécut ensuite dans le calme et la soumission la plus complète. Voilà comment Malachie prospérait tous les jours davantage en dépit des périls et des fatigues, et comment il fortifiait de plus en plus sa position, plein d'espérance en Dieu et rempli de la vertu du Saint-Esprit. a Il arriva quelque chose de semblable à Maximien, en présence de saint Ambroise; à Valentinien, devant saint Basile ; à Attila, en face de saint Léon le Grand; et à Gaïnas, à la vue de saint Jean Chrysostome. CHAPITRE XIII. Dieu punit les détracteurs de Malachie.28. Ce ne sont pas seulement les malfaiteurs de Malachie, mais aussi ses détracteurs que Dieu punit. Ainsi il y eut un homme qui jouissait de la faveur des princes, des grands et du roi lui-même, parce qu'il savait les flatter, leur débiter des choses agréables, et les captiver par les charmes de ses paroles; se déclarant en toute occasion pour les ennemis de Malachie, il embrassait chaudement leur parti. Quant à notre Saint, cet homme ne craignait pas de lui résister en face, de parler mal de lui en arrière, de s'élever sans respect en tous lieux contre lui, surtout quand il savait qu'il assistait à quelque grande assemblée. Mais il ne tarda point, à recevoir la récompense due à sa mauvaise langue; en effet, cet organe de détraction s'enfla et se corrompit; elle devint le siège d'une multitude de vers qui s'en échappaient pour remplir sa bouche blasphématrice. Après en avoir rendu pendant près de sept jours, il finit par rendre avec eux sa malheureuse âme. 29. Une fois que Malachie parlait en public, une malheureuse femme osa l'interrompre par ses clameurs impies, sans aucun respect pour le prêtre du Seigneur et pour l'Esprit-Saint qui parlait par sa bouche. Elle était de la race impie des anciens archevêques d'Armagh; la colère lui sortait par tous les pores; elle ne cessait de vomir des calomnies et des injures atroces contre le Saint, l'appelant hypocrite, usurpateur de l'héritage d'autrui, et ne craignait pas d'insulter même à sa tête chauve. Mais lui, plein de réserve et de douceur, ne lui répondait pas un mot. Le Seigneur se chargea de répondre pour lui. En effet, par une permission du ciel, elle devint folle, et ne cessait de crier, dans ses transports, que Malachie l'étranglait; elle finit par expier ses blasphèmes par une mort horrible. Voilà comment cette malheureuse femme qui n'avait pas craint de traiter Malachie comme Elisée avait été traité jadis (IV Reg., II, 24), sentit par sa propre expérience qu'il n'était rien moins lui-même qu'un second Elisée. 30. Un jour, comme la peste, sévissait dans la ville, tout le clergé et tous les fidèles sortirent en procession portant solennellement les reliques des saints ; elle cessa tout à coup pendant que Malachie était en prière; c'est un miracle que je ne devais point passer sous silence. Aussi à partir de ce moment-là, n'entendit-on plus personne l'attaquer en paroles; tous ceux qui étaient de la race de Chanaan disaient: évitons Malachie, car le Seigneur combat pour lui. Mais il n'en fut ainsi que plus tard, car le zèle de Dieu pour son ministre poursuivant partout ses ennemis, ne leur donna point de repos qu'il ne les eût tous annéantis. Aussi avec quel éclat leur mémoire a péri en peu de jours Comme ils sont tombés dans la dernière désolation! Ils ont disparu tout d'un coup et ils ont péri de la sorte à cause de leur iniquité. C'est encore de nos jours un miracle admirable que le prompt anéantissement de leur race impie, surtout pour ceux qui ont connu son orgueil et sa puissance. Il y a eu encore beaucoup d'autres miracles par lesquels le Seigneur a glorifié son nom et fortifié son serviteur au milieu de ses fatigues et de ses dangers. Qui est-ce qui pourrait les raconter comme il convient? Je ne saurais pourtant les passer sous silence quoique je ne pusse suffire à les rapporter tous. Mais pour ne point interrompre la marche de mon récit je réserve pour la fin de cette histoire, ceux que je me propose de raconter encore. CHAPITRE XIV. Malachie se démet de larchevêché d'Armagh quand il y eut rétabli la paix.31. Il n'avait donc fallu que trois ans à Malachie pour punir les superbes comme ils le méritaient, rendre la liberté à l'église d'Armagh, détruire la barbarie de ce peuple et réformer partout les mœurs des chrétiens: lorsqu'il vit que tout était en paix il songea à la paix pour lui-même. Se souvenant alors de ce qu'il avait décidé de faire il se choisit pour successeur dun homme de bien, nommé Gélase, digne de cet honneur: le clergé, d'accord avec le peuple non-seulement entra dans ses vues, mais même y donna les mains pour demeurer fidèle aux conventions passées, bien que d'ailleurs il lui parut bien pénible de s'y tenir. Après donc qu'il eut sacré Gélase évêque et qu'il l'eut recommandé aux rois et aux grands du pays, il retourna à ses anciennes ouailles, plein de la gloire des triomphes qu'il avait remportés et des miracles qu'il avait opérés. Il ne rentra pourtant pas à Connerth; la cause mérite d'en être connue, On rapporte que ce diocèse formait jadis deux évêchés et deux diocèses distincts. Malachie pensa qu'il était préférable de revenir à cet ancien état de choses; il sépara donc de nouveau les deux évêchés que l'ambition avait fait réunir en un seul en céda un à un autre évêque et garda le second pour lui. Comme il avait déjà pourvu le diocèse de Connereth d'un évêque, il ne put y revenir lui-même; il alla à Down et remit ainsi les choses dans l'état où elles étaient autrefois. Quelle pureté d'intention ! Quel œil de véritable colombe! Il cède à un autre évêque le siège qui paraissait le plus honorable et le plus important, celui même qu'il avait jadis occupé. Où sont-ils à présent ceux qui disputent sur les limites de leurs diocèses et qui sont en querelles perpétuelles pour un misérable hameau ? Je ne sais pas s'il est une race d'hommes dont on puisse dire avec autant de vérité que de ces évêques-là, en empruntant l'antique langage du Prophète: « Ils ont fendu en deux le ventre des femmes de Galaad pour étendre les limites de leur pays (Amos., I, 13). » Mais nous reviendrons sur ce sujet dans un autre endroit. 32. Devenu évêque de Down, il n'eut rien de plus pressé que de faire venir auprès de lui pour se consoler, quelques-uns de ses enfants, dans la pensée de fonder un couvent de clercs réguliers. On le vit alors se préparer de nouveau au combat spirituel, comme une nouvelle recrue du Christ, reprendre les armes qui tirent leur puissance du Seigneur, l'humilité de la sainte pauvreté, la rigueur de la discipline cénobitique, le calme de la contemplation, l'assiduité de la prière; il est vrai qu'il ne put se servir de ces armes autant qu'il l'aurait voulu, car une foule de gens venaient à lui, non-seulement de la classe moyenne, mais même de celle des nobles et des grands, pour recevoir de lui des leçons de sagesse et de sainteté, et lui confier le soin de les corriger et de les diriger. Lui-même sortait quelquefois de sa retraite pour aller semer la bonne semence, disposant et réglant toutes les choses ecclésiastiques avec une pleine autorité, comme s'il eut été lui-même un des douze apôtres. Et personne ne lui demandait en vertu de quelle autorité il faisait ces choses (Matth., XXI, 23); car on voyait toutes les merveilles et tous les miracles qu'il opérait: Or là où est l'esprit de Dieu, là aussi est la liberté (II Corinth., III, 17). CHAPITRE XV. Malachie songe à aller à Rome pour demander le pallium au souverain Pontife.33. Cependant comme il ne lui semblait pas qu'il fût tout à fait en mesure de faire ce qu'il faisait, tant qu'il n'y était point autorisé par le saint Siège, il songe à se rendre à Rome, d'autant plus que jusqu'alors le siège métropolitain navait point encore et n'avait jamais eu l'usage du pallium, qui est le signe extérieur de la plénitude de l'autorité ecclésiastique. Il jugea donc qu'il était bien que l'Eglise pour laquelle il avait tant fait, obtint par son zèle et par ses démarches, ce comble d'honneur qu'elle n'avait pas encore obtenu jusqu'alors. Il y avait un autre siège métropolitain que l'archevêque Celse avait érigé et placé sous sa dépendance primatiale. Malachie désirait obtenir aussi pour ce siège, l'honneur du pallium, et la confirmation par le souverain Pontife, de la prérogative de métropole, que lui avait accordée l'archevêque Celse. Quand on connut ces projets, ce fut un mécontentement général tant parmi les religieux dont Malachie faisait sa société, que parmi les grands du pays et chez le simple peuple lui-même. Nul ne pouvait se faire à la pensée d'une absence prolongée de leur pieux père, et de la mort qui pouvait le frapper pendant le voyage. 34. Sur ces entrefaites, Malachie vint à perdre son frère, nommé Chrétien, un homme de bien, plein de grâce et de vertu. Il était aussi évêque, et s'il ne venait qu'après Malachie dans l'opinion publique, peut-être ne lui cédait-il en rien sous le rapport de la sainteté et du zèle. Cette mort inspira des craintes plus vives à tout le monde, au sujet du départ projeté de Malachie, et le fit considérer d'un œil moins favorable encore. On disait en effet, qu'il ne fallait point consentir au départ du seul protecteur qui restât au pays, si on ne voulait plonger la contrée tout entière dans la désolation, en la privant ainsi en même temps, de ses deux plus fermes soutiens. Aussi n'y eut-il qu'une voix pour s'opposer à ce départ, et on était décidé à y mettre obstacle, même par la force, quand Malachie par la de la vengeance divine aux opposants. Toutefois ceux-ci ne voulurent céder qu'après qu'on se fut assuré de la volonté du ciel parle moyen du sort. Malachie ne voulait point consentir à cette épreuve, mais on n'en consulta pas moins le sort, qui se montra quatre fois de suite favorable au projet de notre évêque ; car dans le désir de le voir abonder dans leur sens, ils ne s'étaient pas contentés de, le consulter une fois seulement. Cédant enfin, ils le laissent partir, non pas toutefois sans verser bien des larmes, et sans faire entendre bien des gémissements. Mais lui, pour ne rien laisser d'imparfait derrière lui, s'occupa des moyens de susciter un successeur au frère qu'il avait perdu; ayant donc fait venir auprès de lui trois de ses disciples, il se demandait avec inquiétude lequel des trois était le plus digne d'être appelé à ce ministère, et semblait devoir y produire plus de bien. Les ayant donc considérés attentivement l'un après l'autre, il dit à l'un des trois, qui se nommait Edan: « C'est vous qui devez accepter ce fardeau, » et comme celui-ci refusait avec larmes, Malachie reprit: « Ne craignez rien, test le Seigneur lui-même qui vous a désigné à mon choix, en me montrant en ce moment à votre doigt, l'anneau d'or qui doit cimenter votre union avec l'Église qui sera votre épouse. » Edan céda, et Malachie se mit en route après l'avoir sacré. 35. Il passa par l'Écosse et s'arrêta à York, en venant de ce pays-là, un prêtre, nommé Sycar, l'ayant aperçu, le reconnut, non pas qu'il l'eût jamais vu précédemment, mais comme il était doué du don de prophétie, il l'avait vu quelque temps auparavant dans une vision. Alors, le montrant du doigt aux assistants: Voilà, dit-il, l'évêque dont j'ai parlé quand j'ai dit un jour: Il nous viendra d'Irlande un saint pontife qui a le don de lire dans le cœur des hommes. Voilà comment il se 'fit que cette lampe ne put demeurer cachée sous le boisseau; le Saint-Esprit lui-même qui l'avait allumée, se chargea de la signaler aux hommes par la bouche de Sycar. Ce dernier lui révéla beaucoup de choses sur ses dispositions intérieures et sur celles de ses gens, et Malachie reconnut qu'il en était ou qu'il en avait été, en effet, ainsi qu'il le disait. Les compagnons de Malachie ayant questionné Sycar sur leur retour du voyage qu'ils entreprenaient Sycar leur répondit, sans hésiter, qu'il y en aurait très-peu de ceux qui accompagnaient Malachie qui reviendraient avec lui; l'événement justifia complètement cette prophétie. Il est vrai qu'en l'entendant parler ainsi, ils crurent qu'il s'agissait de mort pour eux; mais Dieu accomplit la prophétie d'une autre manière. En effet, quand Malachie revint de Rome, plusieurs de ses compagnons de route restèrent chez nous, et quelques-uns demeurèrent en d'autres endroits pour se façonner à notre genre de vie, en sorte que selon la prédiction de Sycar, il ne revint en Irlande qu'avec très-peu de monde. Mais en voilà assez au sujet de Sycar. 36. Pendant qu'il était à York, un homme de condition, nommé Wallène, alors prieur des religieux réguliers de Kirkham, maintenant religieux et abbé de Mairy, monastère de notre ordre, vint le trouver et se recommanda avec dévotion et une grande humilité à ses prières. Ayant remarqué que Malachie avait une suite nombreuse et fort peu de chevaux. il avait en effet cinq prêtres avec lui, sans compter un certain nombre de clercs et de serviteurs, et seulement trois chevaux pour tant de monde, il lui offrit celui dont il se servait, en lui disant qu'il ne regrettait qu'une chose, c'est qu'il eût le trot rude et dur. Puis il ajouta: je voudrais qu'il fût meilleur pour vous l'offrir; mais tel qu'il est, faites-moi l'honneur de l'emmener avec vous. « Pour moi, répondit l'évêque, je l'accepte d'autant plus volontiers que vous semblez en faire moins de cas, attendu qu'à mes yeux ce due vous m'offrez de si bonne grâce ne saurait être de peu de valeur. » Se tournant alors vers ses gens: sellez-moi ce cheval, leur dit-il, il est bien bon pour moi et me fera un long service. A peine fut-il scellé que Malachie monta dessus, et le trouva d'abord un peu dur, comme il l'était en effet; mais bientôt, par un changement merveilleux, il devint très-bon et prit un pas très-doux. Mais pour que tout ce qu'avait dit le Saint s'accomplit, ce cheval lui servit pendant neuf ans entiers qu'il vécut encore, et lui rendit l'office d'un cheval excellent et de très-grand prix, Mais ce qui rendit le miracle encore plus frappant, c'est que de gris que ce cheval était, il devint bientôt d'un blanc si pur, qu'on n'aurait pu en trouver de plus blanc que lui. CHAPITRE XVI. Malachie s'arrête à Clairvaux en allant à Rome et en en revenant.37. C'est pendant ce voyage qu'il m'a été donné de voir cet homme, dont la vue et les entretiens me firent plus de bien et de plaisir que n'auraient pu m'en faire tous les trésors du monde. Et tout pécheur que je sois, il eut aussi quelque plaisir à me voir, et me le témoigna ensuite jusqu'à sa mort, comme je l'ai dit en commençant cette histoire. Il daigna aussi s'arrêter à Clairvaux et se sentit ému en voyant nos frères qui ne furent pas peu édifiés eux-mêmes par sa présence et par ses discours. Il ne nous quitta point après nous avoir dit adieu sans emporter notre souvenir et celui de notre maison dans son cœur. En traversant les Alpes, il arriva dans une ville d'Italie, nommée Yvrée, et guérit en cet endroit le fils de son hôte, qui était sur le point de rendre l'âme, 38. A cette époque la chaire de saint Pierre était occupée par Innocent II, d'heureuse mémoire, qui reçut Malachie avec bonté et lui témoigna toute la part qu'il prenait aux fatigues d'un si long voyage. La première grâce que Malachie sollicita du pape, avec un torrent de larmes, parce qu'elle lui tenait lé plus vivement à cœur, ce fût de lui permettre de vivre et de mourir à Clairvaux et de bénir ce projet. S'il lui fit cette prière, ce n'était pas qu'il eût oublié le but de son voyage, mais c'est parce qu'il était arrivé à Rome avec le plus grand désir de revenir se fixer à Clairvaux. Mais le successeur des Apôtres n'accéda point à ce vœu et lui fit connaître qu'il y avait beaucoup mieux que cela à faire pour lui. Il ne fut pourtant pas frustré en tous points de ses vux, puisqu'il lui fut donné sinon de vivre, du moins de mourir à Clairvaux. Pendant tout le mois qu'il passa à Rome,.il en visita les lieux saints et y alla souvent faire sa prière, ce qui ne l'empêcha point de répondre à toutes les questions que le souverain Pontife lui fit dans le plus grand détail, sur son pays, sur les mœurs de sa nation, sur l'état des églises de ces contrées-là et sur tout ce que Dieu avait fait en Irlande par son ministère. Lorsqu'il fut sur le point de partir, le Pape lui confia tous ses pleins pouvoirs et le nomma son Légat en Irlande, attendu que l'évêque Gilbert qui était alors investi de ce titre pour ces contrées, comme je l'ai dit plus haut, avait fait savoir au Pape qu'il ne pouvait plus remplir les devoirs qui y étaient attachés à cause de son âge avancé et de sa mauvaise santé. Après cela, Malachie pria le pape de confirmer l'érection qu'il avait faite d'un nouveau siège archiépiscopal et de lui remettre deux pallium pour chacun des deux métropolitains. Le Pape approuva, en effet, sur le champ ce que Malachie avait fait; quant aux deux pallium, il fut d'avis que la concession devait en être faite avec quelque solennité; il dit donc à Malachie : « Vous réunirez en concile général, les évêques, le clergé et les grands du pays et, d'un commun accord, vous me ferez demander les pallium par une députation de personnes de distinction, et je vous les accorderai: » Puis prenant sa mitre en main il la plaça sur la tête de Malachie et lui donna de plus une étole et une manipule, dont notre Saint se servit ensuite quand il offrait le saint sacrifice; puis lui ayant donné le baiser de paix et sa bénédiction apostolique avec ses pleins pouvoirs, il le laissa partir. 39. En revenant de Rome, Malachie repassa par Clairvaux et nous redonna sa bénédiction. Puis poussant un profond soupir à la pensée qu'il ne lui était pas permis de demeurer dans ce monastère comme il l'avait désiré, il nous dit: recevez en attendant parmi vous, je vous prie, ceux que je vous laisse à ma place, pour apprendre au milieu de vous ce qu'ils viendront nous enseigner ensuite. Après cela il ajouta : Ils seront pour nous une semence et dans cette semence seront bénies toutes ces contrées qui depuis longtemps ne connaissent les moines que de nom, et n'en ont point vu. Il partit ensuite en nous laissant quatre de ses disciples, qui méritèrent après un certain temps d'épreuve d'être faits moines. Quelques temps après, lorsque saint Malachie fut arrivé dans son pays, il nous envoya d'autres sujets, pour lesquels on agit comme on l'avait fait pour les premiers. Quand on les eut façonnés pendant quelque temps et qu'on leur eut inspiré le goût de la sagesse, on les renvoya sous la conduite de l'un d'eux, un saint frère nommé Chrétien, qui fut leur abbé, avec plusieurs des nôtres, de manière à ce qu'ils fussent assez nombreux pour établir une abbaye qui conçut bientôt et en enfanta cinq autres. C'est ainsi que la bonne semence se multiplia et qu'on vit de jour en jour s'accroître le nombre des moines selon la prédiction et le veau de Malachie. Mais reprenons notre récit où nous l'avons laissé. CHAPITRE XVII. Malachie rend la santé à plusieurs personnes.40. Après nous avoir quittés, Malachie poursuivit heureusement son voyage jusqu'en Ecosse. Il alla voir le roi David, qui vit encore maintenant et qui était dans un de ses châteaux avec son fils malade à la mort. Reçu avec honneur par ce prince, qui le pria avec humilité de vouloir bien rendre la santé à son fils, il prit de l'eau, la bénit et en aspergea l'enfant en lui disant: « ayez confiance, mon fils, vous ne mourrez point de cette fois. » Il avait dit et le lendemain, selon sa parole prophétique, l'enfant recouvra la santé, à la joie de son père et aux démonstrations bruyantes d'allégresse de sa maison tout entière. Le bruit s'en répandit partout; il était impossible, en effet, que ce qui était arrivé dans le palais du roi et à son propre fils, demeurât secret. Aussi n'entendit-on de toutes parts que des actions de grâces et des bénédictions, non-seulement pour la santé qui avait été rendue au fils du roi, mais encore pour. le miracle auquel il la devait. Ce jeune prince, qui vit encore et qui est fils unique, se nomme, Henri, C'est un chevalier plein de bravoure et de prudence et qui marche sur les pas de son père, comme ou dit, car il a hérité de son zèle pour la justice et partage son amour pour notre Saint, qu'ils affectionnèrent l'un et l'autre d'une façon toute particulière tant qu'il vécut, comme celui à qui ce, jeune prince devait la vie. On le pria de rester quelques jours à la cour, mais lui, fuyant la gloire et l'éclat, partit sans retard et se remit en route dès le lendemain matin. Comme il passait par une ville nommée Crugeld, on lui présenta une jeune fille qui était muette ; il pria pour elle, le lien de sa langue se dénoua à l'instant même et elle se mit à parler sans difficulté. Etant allé, après cela, dans une autre ville, qu'on appelle l'Église de Saint-Michel, on vint lui présenter une femme frénétique qu'on avait eu le soin de garrotter avec des cordes; il la guérit en présence de tout le monde et l'ayant renvoyée pleine de santé, il partit et se rendit à Port-Patrick afin d'y attendre pendant quelques jours, le départ d'un bateau pour l'Irlande, mais il ne passa point ce temps-là dans l'oisiveté. Sous sa direction, et même avec son aide on construisit, en cet endroit un oratoire en branchages entrelacés, On l'entoura d'un fossé, ainsi qu'un espace de terrain destiné à faire un cimetière qu'il bénit. Les miracles qui n'ont cessé, dit-on, de s'opérer en cet endroit, montrent assez de quelle valeur était cette bénédiction. 41. Aussi tous les pays voisins ont-ils l'habitude d'apporter en cet endroit leurs malades et leurs infirmes, qui n'en reviennent presque jamais sans avoir obtenu leur guérison. Ainsi, une femme dont les membres étaient tout disloqués et qu'on avait amenée dans une voiture, s'en retourna à pied chez elle, après avoir attendu de Dieu la grâce de sa guérison une nuit seulement, qu'elle passa dans ce saint lien. Il y avait avec elle, dans le même endroit, une autre femme qui y passait aussi la nuit ; un homme, un vrai barbare, la voyant seule, se sentit enflammé de mauvais désirs et dans le transport de la passion, se précipita comme un forcené sur elle. Celle-ci se retournant toute tremblante et voyant cet homme, que l'esprit mauvais possédait tout entier, s'écria: O malheureux, que fais-tu ? rappelle-toi donc en quel lieu tu te trouves; pense à Dieu, pense à son serviteur Malachie, aie pitié de toi-même. » Mais lui ne cessait pas ses violences, tant il était poussé par d'iniques transports. Alors, chose horrible à raconter, on vit sortir d'entre les cuisses de cette femme, un gros animal venimeux qu'on appelle crapaud. Bref, cet homme saisi d'horreur fait un bond en arrière, et le crapaud, après avoir fait quelques sauts, sort de l'oratoire. Quant à l'agresseur, il se retira la confusion dans l'âme et laissa cette femme sans avoir attenté à son honneur, grâce à Dieu et à la protection miraculeuse de Malachie, qui empêchèrent une action honteuse et horrible par le moyen d'un animal horrible et dégoûtant lui-même. Il n'y avait rien de mieux, en effet, pour éteindre cette ardeur bestiale que de faire apparaître un crapaud, qui est un animal froid, et il convenait que ce fût par le moyen d'une bête aussi repoussante qu'inutile que la téméraire entreprise de cet homme fut entravée et ses efforts réduits à néant. Qu'il nous suffise d'avoir rapporté ces quelques merveilles entre beaucoup d'autres qui se sont opérées dans cet endroit; reprenons maintenant le fil de notre histoire. CHAPITRE XVIII. De retour dans sa patrie, Malachie sapplique tout entier au soin du ministère pastoral et à la réforme des murs.42. Malachie s'étant embarqué, arriva, après une heureuse traversée, à son cher monastère de Benchor ; il voulait que ses premiers enfants reçussent sa première bénédiction. Quel furent, pensez-vous, leurs sentiments quand ils virent revenir au milieu d'eux, en bonne santé, après un si long voyage, un père tel que celui-là? Il n'est pas étonnant que leurs entrailles aient tressailli d'allégresse quand on sait que la nouvelle de son retour remplit de joie tous les pays d'alentour. Aussi vit-on accourir au-devant de lui les habitants des villes, des bourgs et des châteaux, et partout où il s'arrêtait, il était reçu avec tous les témoignages d'une joie universelle. Mais tous ces honneurs n'étaient pas faits pour l'endormir; il se mit donc à remplir ses fonctions de légat et multiplia partout les assemblées pour qu'il n'y eût pas une contrée, pas même un canton, qui ne recueillit quelque fruit et quelque avantage de sa légation. Il répandit la bonne semence sur toutes les eaux et il n'est personne qui échappa à sa sollicitude; ni le sexe, ni l'âge, ni la profession, ni la condition ne put se soustraire à son action. Partout il répandit à pleines mains la semence du salut, partout il emboucha la trompette céleste; on le vit tantôt ici, tantôt là se précipiter avec le glaive de la parole pour châtier les nations et réprimander les peuples. Il fut la terreur des méchants. Aux hommes injustes, il criait: Cessez vos injustices ; et aux coupables: Cessez de lever la tête avec orgueil. Partout il allait plantant, propageant et cultivant l'arbre de la foi. Il avait les yeux sur tout le monde et pourvoyait aux besoins de tous. Dans les conciles qu'il assemblait partout, il remettait en vigueur les anciennes traditions quand elles étaient jugées bonnes et qui ne s'étaient perdues que par la négligence des prêtres. Mais non content de faire revivre les anciens usages, il en établit de nouveaux, et toutes les lois qu'il promulgua furent reçues comme venant du ciel, acceptées et mises en écrit pour passer à la postérité. Après tout, pourquoi hésiterait-on à croire inspirés d'en haut tous ces règlements que le Ciel même à sanctionnés par de si nombreux miracles? pour montrer quelle foi méritent mes paroles, je vais en rapporter brièvement quelques-uns, car il serait bien impossible de les raconter tous ici. et d'ailleurs, je l'avoue, je suis plus disposé à m'arrêter sur le récit des choses qu'on peut imiter que de celles que nous ne pouvons qu'admirer. CHAPITRE XIX. Vertus éclatantes de Malachie, ses mœurs si dignes d un vrai prélat .43. A mon avis, le premier et le plus grand de ses miracles, ce fut lui-même. En effet, tout dans sa personne intérieure, dont la beauté, la force et la pureté se peignaient assez dans ses mœurs et dans toute sa vie, son extérieur fut toujours dans sa manière d'être, si modeste et si décent, qu'on ne vit jamais paraître en lui, rien qui pût choquer personne. Or il est dit que celui qui ne fait point de faute en parlant est un homme parfait (Jacob., III, 2). Eh bien, avec quelque attention qu'on l'ait observé, il n'est personne qui ait pu surprendre en lui, je ne dis pas une parole, mais même un signe de tête, un acte, une démarche inutile. Au contraire, combien n'étaient point édifiants, sa démarche, son aspect, son air et sa tenue ? La gaieté empreinte sur son visage n'était jamais ni obscurcie par la tristesse, ni gâtée par le vice. Tout en lui était réglé, tout prenait le cachet de la vertu, la marque de la perfection. Il était sérieux en toutes choses, mais sans dureté; et s'il permettait quelquefois à son esprit de se détendre, ce ne fut jamais jusqu'au point de s'oublier. S'il arrivait qu'il fermât les yeux dans certains cas, il ne négligeait pourtant jamais rien. On le vit quelquefois goûter le repos, mais on ne le trouva jamais oisif. Depuis le premier jour de sa conversion jusqu'au dernier de sa vie, il vécut sans avoir rien en propre, Jamais il n'eut ni serviteur, ni servante, ni villa, ni bourgades à lui, ni même aucun revenu, soit ecclésiastique soit laïc, pendant tout le temps même de son épiscopat; il n'y eut même jamais rien de fixé et de déterminé pour la mense épiscopale et pour sa nourriture; bien plus il n'avait pas même de maison à lui. D'ailleurs, presque toujours en route, pour faire la visite des paroisses de son diocèse, comme il ait ne cessait de travailler pour l'Évangile, il vivait de l'Évangile, selon la règle établie par le Seigneur même, quand il dit : « Celui qui travaille mérite un salaire (Luc., X, 7. » Et même, bien souvent, prêchant l'Évangile sans en retirer son salaire, il travaillait de ses mains ainsi que ses compagnons pour gagner de quoi se nourrir et nourrir ceux qui partageaient ses fatigues et l'aidaient de leur concours dans l'accomplissement de son ministère. Avait-il besoin de prendre quelque repos, il le faisait dans les maisons religieuses dont il avait couvert l'Irlande tout entière. Mais il avait soin, en ce cas, de se conformer aux coutumes et aux observances de ceux chez qui il avait résolu de s'arrêter quelque temps, et se contentait de leur ordinaire; on n'aurait pu le, distinguer des autres religieux ni à ses vêtements, ni à la manière dont sa table était servie, tant il avait soin, en raison même de son élévation, de s'abaisser en toutes choses. 44. Enfin, lorsqu'il se mettait en route pour aller prêcher l'Évangile, il marchait à pied, tout évêque et légat qu'il fût, au milieu de ses gens. C'était ainsi qu'avaient fait les apôtres, irais cela semblait d'autant plus extraordinaire en Malachie qu'on voyait bien rarement pareille chose chez les autres évêques. Assurément celui qui se conduit ainsi, peut bien passer pour un véritable successeur des apôtres. Les autres évêques sont des dominateurs dans l'héritage du Seigneur, mais lui, tout indépendant qu'il était de tout le monde, se faisait le serviteur de tous. Les autres évêques mangent sans prêcher l'Évangile ou ne le prêchent que pour manger; Malachie, à l'image de saint Paul, ne mange que pour être en état d'annoncer la bonne nouvelle. Les premiers font consister la piété dans le faste et le gain, Malachie ne réclame pour son partage que les devoirs et le fardeau de l'épiscopat. Ceux-là s'estiment heureux, s'ils réussissent à étendre les bornes de leur diocèse, Malachie n'ambitionne qu'un bonheur, celui d'étendre l'empire de la charité. Les premiers ne sont occupés qu'à remplir leurs greniers et leurs caves, pour avoir ensuite de quoi charger leurs tables; Malachie n'a qu'une pensée, peupler les solitudes et les déserts, pour repeupler ensuite les Cieux. Ceux-là, tout en recevant des dîmes, des prémices et des offrandes, sans compter les fermages d'impôts, les tributs et mille autres revenus qu'ils tiennent de la munificence de César; s'inquiètent et se demandent où ils pourront trouver de quoi boire et de quoi manger; Malachie n'avait rien de tout cela, ce qui ne l'empêchait pas d'enrichir une foule de gens du trésor de la foi. Les premiers sont tourmentés par des désirs insatiables, par des inquiétudes sans fin. Malachie vécut sans désir, et ne sut ce que c'est que de s'inquiéter du lendemain. Les premiers prennent aux pauvres pour donner aux riches, mais lui demandait aux riches pour subvenir aux besoins des pauvres. Tandis que les autres évêques épuisent la bourse de leurs ouailles, il chargeait les autels de ses vœux pour leurs péchés, et multipliait pour eux les hosties pacifiques. Quand les premiers construisent de superbes palais, élèvent les tours et les murailles jusqu'aux cieux; Malachie n'avait pas même où reposer la tête, et se consumait tout entier dans l'œuvre de prédicateur de l'Evangile. Ceux-là montent à cheval accompagnés d'une troupe de gens qui mangent avec eux le pain d'autrui, et Malachie, suivi de la sainte troupe de ses frères, marchait à pied et portait partout le pain des anges, pour en rassasier les âmes qui s'en montrent affamées. Lorsque les premiers ne connaissent pas même leurs peuples, lui instruisait les siens; ceux-là honorent les grands et les tyrans, mais lui les punissait. O homme vraiment apostolique, combien votre apostolat est noble et honorable! Faut-il s'étonner, après cela, que vous ayez fait tant de merveilles, et que vous soyez un homme si admirable vous-même ? Ou plutôt, ce n'est pas vous qu'on doit admirer le plus, c'est Dieu en vous. Après tout, n'est-ce pas vous, Seigneur Dieu, qui fîtes toutes ces merveilles (Psalm. LXXVI, 15)? CHAPITRE XX. Malachie délivre plusieurs possédés du démon.45. Il y avait à Culratim une femme possédée du démon. Malachie fut appelé pour la délivrer; après avoir prié pour elle, il menace le mauvais esprit et le force à sortir de cette femme. Mais, comme il n'avait pu assouvir complètement sa rage sur cette malheureuse, il se jette sur une autre pauvre femme qui était assise auprès de la première; mais Malachie le reprenant, lui dit : «Je ne t'ai pas fait sortir de l'une pour que tu entrasses dans l'autre, quitte encore celle-ci.» Le démon obéit mais il retourne dans la première qu'il ne laisse une seconde fois que pour revenir à l'autre; et il répéta pendant quelque temps ce manège, ne quittant l'une que pour obséder l'autre. Mais le saint homme, indigné devoir que le mauvais esprit se jouait de lui, réunit toutes ses forces; et, dans le transport d'une foi vive, il attaque son ennemi avec la dernière énergie et le force à s'éloigner de ces deux femmes, non moins tourmenté par elles qu'il ne les avait tourmentées lui-même. Au reste, s'il a résisté au Saint, il ne faut pas que le lecteur pense qu'il le fit par sa propre vertu; ce fut par une permission de Dieu, qui voulait rendre ainsi plus sensible la présence du démon et la victoire de Malachie. D'ailleurs, en lisant ce qu'il fit une autre fois malgré son éloignement, on comprendra bien qu'il n'eut pas moins d'empire là où il était présent en personne, quand il en eut un si grand là même d'où il était absent. 46. Dans la partie septentrionale de file, était un malade, dont la maladie n'était évidemment que le résultat d'un maléfice des mauvais esprits : il les avait en effet entendus se dire une nuit : « Il faut bien prendre garde que ce misérable ne vienne à toucher le lit ou la paillasse de cet hypocrite, et n'échappe ainsi de nos mains. » Or, le malade reconnut qu'ils parlaient de 1Vfalachie qui avait couché peu de jours auparavant dans cette maison. La paillasse qui lui avait servi était encore là. Alors, le cœur plein de confiance et faisant appel à toutes les forces qui lui restaient, il se mit à se traîner dans un état de faiblesse corporelle, aussi grande que grande était sa foi. Aussitôt l'air retentit de cris et de vociférations : «Arrêtez-le, crie-t-on, arrêtez-le; empêchez, empêchez qu'il n'arrive; ou tout est perdu pour nous. » Mais celui à qui la foi et le désir d'échapper au mal donnaient des forces, fit d'autant plus des pieds et des mains, pour atteindre au remède de son mal, que les mauvais esprits criaient davantage; à peine est-il arrivé auprès du lit du Saint, qu'il monte dessus, et, pendant qu'il se roule sur la paillasse qui lui avait servi, il entend les malins esprits pousser des hurlements de douleur et s'écrier: « Hélas! hélas! nous nous sommes trahis nous-mêmes, nous nous sommes déçus nous-mêmes, il nous échappe.» A ces mots, les terribles et horribles esprits, qui le faisaient souffrir, le quittèrent et il se sentit guéri de tout mal à l'instant même. A Lesmer, un homme également obsédé du démon fut délivré par Malachie. Une autre fois, comme il passait par le Leinster, on lui présenta un enfant qui était possédé du démon, il le guérit. Dans la même contrée, il fit délier une femme phrénétique qu'on avait garrottée et lui ordonna de se baigner. dans une eau qu'il avait bénite; elle s'y baigna et fat guérie. Dans un canton de l'Ulster, nommé Saball, il guérit, en priant pour elle et en la touchant de la main, une femme qui se déchirait les membres de ses propres dents. Un fou faisait beaucoup de prédictions; ses proches et ses amis le conduisirent à l'homme de Dieu, mais, après avoir eu la précaution de le charger de fortes cordes ; car, dans ses accès de rage, il était capable de faire beaucoup de mal et on le craignait extrêmement. Malachie prie pour lui, et à l'instant même il est guéri et ses liens se détachent d'eux-mêmes. Ce fait s'est passé dans un endroit dont je ne cite pas le nom, parce que de même que ceux de la plupart des localités de ce pays il est tout à fait barbare. Une autre fois, dans la ville même de Lesmor, une fille muette fut présentée au Saint par ses parents, au milieu même de la place publique, comme il la traversait ils le suppliaient avec toutes les instances possibles de vouloir bien les secourir. Malachie s'arrête, fait une prière, touche du doigt la langue de la jeune fille, lui dépose de sa salive dans la bouche et la renvoie guérie; elle parlait. CHAPITRE XXI. Miracles opérés par Malachie, en faveur de moribonds et de femmes en couches.47. Malachie sortait un jour d'une église quand un homme se présenta à lui avec sa femme qui ne pouvait plus parler et le pria d'avoir pitié d'elle; le Saint s'arrêta sur le seuil même de l'église, au milieu de la foule, bénit cette femme et lui ordonna de réciter l'oraison dominicale, ce qu'elle fit et le peuple en bénit le Seigneur. Dans la ville d'OEnthreb, un homme riche était étendu malade sur son lit et privé, déjà depuis douze jours, de l'usage de la parole; le Saint vint le voir et lui ordonna de parler, ce qu'il fit ; il reçut l'eucharistie ensuite, et, ainsi fortifié, il rendit le dernier soupir après avoir fait une bonne confession. Voilà un olivier qui n'était pas stérile dans la maison de Dieu, et qui donnait une huile agréable pour oindre et pour éclairer. En effet, par l'éclat du miracle, il éclaira les gens bien portants, et par la douceur de son bienfait il oignit un infirme en lui donnant, à l'heure de la mort, la faculté de se confesser et de communier. Un certain noble se présenta un jour à lui, pour lui dire quelque chose; pendant la conversation, cette homme plein de foi, commit le pieux larcin de trois brins de jonc qu'il déroba au coussin sur lequel le saint était assis et qu'il emporta avec lui. Dieu opéra bien des miracles par la vertu de ces pieux objets qu'un sentiment de piét4 avait fait dérober, pour récompenser la foi de cet homme et montrer la sainteté de Malachie. Il vint un jour, par hasard, dans une ville nommée Dunchal, et, comme il était à table, un noble habitant de la ville vint le prier pour sa femme qui était grosse et qui avait dépassé le temps naturel de sa délivrance, sans accoucher, ce qui étonnait beaucoup tout le monde. On croyait bien qu'il ne pouvait résulter pour elle que la mort d'un pareil état. Néémias, évêque de cette ville, qui se trouvait assis près de Malachie, unit ses instances à celles de cet homme et tous les assistants firent de même. Lui, alors: « de prends part, dit-il, à sa peine, attendu que c'est une femme de bien et pleine de modestie. Puis, remettant à son mari un verre de boisson qu'il avait bénite, il lui dit: Allez, faites-lui prendre cela, et soyez certain qu'elle n'aura pas plutôt bu ce breuvage béni; qu'elle sera délivrée sans aucun accident. » On fit ce qu'il avait prescrit et, la nuit suivante les choses se passèrent comme il l'avait promis. Une autre fois, il était assis dans un champ, avec le comte d'Ulydie pour traiter certaines affaires. Une foule nombreuse les entourait, quand une femme grosse et depuis quelque temps à terme, s'approche de lui et lui dit que, contre toutes les lois de la nature, il y avait déjà quinze mois et vingt jours qu'elle était enceinte. Malachie, touché de compassion en apprenant cet état aussi pénible pour elle que nouveau et inouï, se met en prière et obtient sa délivrance à l'instant même, en sorte qu'on put voir avec quelle facilité et quelle rapidité elle accoucha, et comment le péril d'une délivrance, qui se faisait depuis tant de temps si tristement attendre, fut conjuré par le plus heureux miracle. CHAPITRE XXII. Malchie prédit une mort prochaine à un concubinaire endurci.48. Il se passa, au même endroit, quelque chose de non moins merveilleux, bien que tout différent comme résultat. Malachie vit un homme qui passait publiquement pour avoir chez lui la femme de son frère; c'était un chevalier, ministre du comte. Il aborde en public cet homme incestueux et, l'interpellant, comme un autre Jean Baptise, il lui dit « Il ne vous est pas permis d'avoir la femme de votre frère. « Mais lui, se conduisant de son côté en véritable Hérode, non-seulement ne l'écoute point, mais encore lui répond avec hauteur et déclare, avec serment en public, quil ne renverra point cette femme. Malachie indigné, car il était dévoré de l'amour de la justice, lui répartit d'un ton véhément: « Eh bien, c'est Dieu lui-même qui vous en séparera malgré vous.» Sans tenir compte de ces paroles, il s'en va la fureur dans l'âme, et, rencontrant une femme non loin de la foule qui était rassemblée à l'endroit ou était Malachie, il lui fait violence, car il était tout entier au pouvoir de Satan à qui il venait d'être livré. Une servante qui accompagnait sa maîtresse, étant revenue à la maison qui n'était pas fort éloignée de l'endroit où la chose se passait, raconta hors d'haleine ce qui venait d'arriver. A ces mots, les frères de cette femme qui se trouvaient alors chez elle, pressés de venger son déshonneur, volent en toute hâte à l'endroit indiqué, surprennent l'agresseur dans son abominable. action et l'étendent sur la place même, frappé de mille coups. L'assemblée ne s'était pas encore séparée, lorsque l'écuyer de cet homme vint annoncer ce qui était arrivé. Aussi tout le monde admira-t-il avec quelle rapidité la parole de Malachie s'était accomplie. Tout ce qu'il y avait de gens menant la même vie dans la contrée, or, il y en avait beaucoup, en apprenant cet événement, eurent peur pour eux-mêmes et se corrigèrent, lavant ainsi leurs mains dans le sang même du pécheur. CHAPITRE XXIII. Malachie guérit miraculeusement plusieurs personnes, de différentes maladies.49. Le comte Diarmitius, était alité depuis bien longtemps; Malachie, après lui avoir fait les plus vives réprimandes, parce qu'il était un homme méchant et adonné avec excès aux plaisirs de la table, l'aspergea d'eau bénite et le fit lever aussitôt avec une santé si bien rétablie qu'il monta sur le champ à cheval; ni lui ni les siens n'espéraient point qu'il pût être jamais en état de le faire. Comme il était à Calais, un homme vint le trouver avec son fils qui était paralytique en le priant de le guérir; Malachie, après une courte prière, dit à ce père. Allez, votre fils sera guéri. Cet homme s'en alla et le lendemain il revint trouver le Saint avec son fils, qui n'était point encore rendu à la santé. Alors Malachie se lève et se penchant sur l'enfant, il prie pour lui un peu plus longtemps et le guérit, puis se tournant vers son père il lui dit: Offrez-le à Dieu. Il lui promit de le faire, mais il ne tint pas sa promesse. Quelques années plus tard, son fils retomba dans le même état, sans doute à cause de la désobéissance et du manque de parole de son père. Un autre père vint trouver Malachie de fort loin, quand notre Saint se trouvait dans la province de Munster, et lui présenta son fils qui était perclus de ses jambes. Interrogé comment cela lui était arrivé, ce père répondit qu'il croyait fort que c'était par la malice du démon, et il ajouta: C'est lui, sans doute, si je ne me trompe, qui le fit tomber dans un profond sommeil pendant qu'il jouait dans un pré, car à son réveil il était en cet état. Et, en pariant ainsi il fondait en larmes et suppliait Malachie de lui venir en aide; le saint évêque, touché de compassion pria pour lui et ordonna au malade de retourner dormir au même endroit. Il le fit et se réveilla guéri. Comme il était venu de loin, Malachie le retint pendant quelque temps avec lui; il s'en faisait accompagner dans ses promenades. 50. Dans le monastère de Benchor, il y avait un pauvre qui recevait sa nourriture de la charité des religieux: il en recevait tous les jours une aumône, pour quelques petits services qu'il leur rendait au four à pain. Il était perclus des jambes depuis douze ans et ne marchait plus que sur ses mains, traînant derrière lui ses jambes mortes. Le trouvant un jour tout triste et tout chagrin devant sa cellule, Malachie lui demanda la cause de sa tristesse : et lui, vous voyez, répond-il, depuis combien de temps je suis misérablement affligé et frappé de la main de Dieu, et voici maintenant, pour comble de malheur, que les hommes qui devraient, eux au moins, avoir pitié de moi, rient de mon triste état et me reprochent mon malheur. En l'entendant parler ainsi, le Saint se s sentit touché de compassion et leva les mains et les yeux au ciel, fit une courte prière et rentra dans sa cellule; cependant le pauvre perclus se lève et, se tenant sur ses pieds il se demande s'il est véritablement guéri, si ce n'est pas un songe : il essaie de faire quelques pas, car il n'osait croire qu'il pouvait marcher; mais enfin, comme s'il se fut éveillé d'un profond sommeil, il ne doute plus de la grâce que le Seigneur lui avait faite ; il marche sans crainte et revient au four en sautant de joie et en rendant grâce à Dieu. En le voyant, ceux qui le connaissaient, pensèrent qu'ils avaient un fantôme devant les yeux et furent saisis d'étonnement et frappés de stupeur. Malachie guérit de même par une seule prière un homme hydropique qui se fixa dès lors au couvent où il garda les brebis. 51. La ville de Cork n'avait point d'évêque, on se mit en devoir d'en élire un, mais les électeurs se divisèrent, chacun voulant un évêque de son choix, non pas du choix de Dieu. A la nouvelle de ces dissensions Malachie se rend dans cette ville, rassemble le peuple et le clergé et fait tous ses efforts pour mettre tout le monde d'accord. Ayant persuadé aux électeurs de s'en remettre à lui pour le choix de leur évêque puisque leur église ainsi que toutes celles de l'Irlande, était plus particulièrement confiée à sa sollicitude, il leur donna aussitôt, non pas un noble du pays mais un étranger, un homme pauvre, mais saint et instruit. On va le chercher, mais on répond qu'il est couché malade dans son lit et si faible qu'il lui est impossible de sortir à moins qu'on ne le porte. Alors Malachie s'écrie: qu'il se lève, je le lui ordonne au nom du Seigneur, l'obéissance le sauvera. Que faire? il voulait obéir, mais il ne se sentait point en état de le faire; d'ailleurs, quand même il aurait pu se rendre à l'appel de Malachie, il se sentait effrayé à la pensée de devenir évêque. Ainsi, pendant que voulant obéir il en était retenu par un double ennemi de l'obéissance, le poids du mal et la crainte de l'épiscopat, l'obéissance l'emporta pourtant quand elle se sentit aidée par l'espérance de la santé. Il fait donc un effort, se bouge un peu, essaie ses forces et trouve qu'il en a plus que de coutume. La confiance lui revient alors avec les forces, et en s'accroissant, elle augmente à son tour les forces du corps. Enfin il peut se lever seul, il marche un peu plus facilement, il n'éprouve même plus de fatigue à marcher, bref il se trouve ingambe et plein de vie et se rend, sans le secours de personne, auprès de Malachie qui le prend par la main et le conduit dans la chaire de son église aux applaudissements du peuple fidèle et du clergé. Tout cela se fit sans difficulté aucune, parce qu'on vit le miracle que le Saint venait de faire, et celui-là ne fit aucune difficulté d'obéir quand il connut d'une manière si évidente que telle était la volonté même de Dieu. 52. Il y avait une femme qui avait une perte de sang, c'était une personne de distinction que Malachie affectionnait tout particulièrement, non pas tant toutefois à cause de sa noblesse qu'à cause de ses mœurs. Comme elle s'affaiblissait de plus en plus par la perte de son sang et se trouvait à la dernière extrémité, elle envoya dire à l'homme de Dieu de prier pour l'âme de celle qu'il ne devait plus revoir en cette vie ; c'était le seul service qu'il pût désormais lui rendre. A cette nouvelle, Malachie se sentit vivement peiné; car c'était une femme de bien et sa vie était féconde en bonnes œuvres et en bons exemples. Comme il ne pouvait se rendre auprès d'elle assez vite, il appelle le jeune Malch, dont nous avons parlé plus haut, frère de l'abbé Chrétien, et, comme il était plus alerte que lui à cause de son âge il lui dit: « Hâtez-vous d'aller lui porter ces trois pommes sur lesquelles j'ai invoqué le nom du Seigneur; j'espère que si elle en goûte elle ne mourra point sans m'avoir vu , bien que je ne puisse pas aller aussi vite que vous. » Le jeune Malch accourt en toute hâte, selon la recommandation du Saint et arrive auprès de la mourante, comme le serviteur d'un second Elisée, mais pour être plus heureux que lui dans sa mission (Reg., IV, 29). Il lui dit de faire tout son possible pour recevoir et pour goûter la bénédiction que Malachie lui envoie. Pleine de bonheur, en entendant prononcer le nom de Malachie, elle fait signe, car elle ne pouvait plus s'exprimer autrement, qu'on la lève un peu afin qu'elle puisse faire ce que le Saint lui ordonne. On la lève en effet, elle goûte du finit bénit et aussitôt elle se sent fortifiée, la parole lui revient et elle rend grâces à Dieu. Le Seigneur lui envoya un sommeil dont elle était privée depuis aussi longtemps que de nourriture et elle reposa doucement. Cependant le sang s'arrêta et, lorsqu'elle se réveilla peu de temps après, elle était guérie, mais se trouvait encore bien faible à cause du sang qu'elle avait perdu et du temps considérable qu'elle avait été privée de nourriture. Mais, le lendemain, l'arrivée tant désirée de Malachie et sa vue complétèrent sa guérison. CHAPITRE XXIV. Malachie ressuscite une femme qui était morte sans avoir reçu le sacrement de l'Extrême-Onction.53. Dans le voisinage du monastère de Benchor habitait un noble dont la femme était malade à la mort. Prié de venir pour lui administrer le sacrement de l'Extrême-Onction avant qu'elle mourût, Malachie se rendit auprès d'elle : en le voyant, la malade fut transportée de joie, et se sentit ranimée par l'espérance du salut. Mais comme le Saint se préparait à lui donner les saintes huiles, tout le monde jugea qu'on pouvait remettre la cérémonie au lendemain, car on était au soir. Malachie y consentit et se retira avec ceux qui l'accompagnaient après avoir donné sa bénédiction à la malade. Mais bientôt après un grand cri se fait entendre, toute la maison est pleine de gémissements et de tumulte, on annonce qu'elle vient de mourir. Au bruit qu'il avait entendu, Malachie revient sur ses pas avec tous ses disciples, s'approche du lit et voyant que Bette femme avait rendu le dernier soupir, il se sentit l'Aine nacrée de chagrin et se reprochait de ne lui avoir point administré le sacrement avant qu'elle mourût. Levant alors les mains au ciel il s'écria: « Seigneur, j'ai été bien imprudent, c'est moi, moi seul qui suis coupable, c'est moi qui ai différé de l'administrer, car, pour elle, ce n'était point son avis qu'on tardât davantage. » Après cela il protesta devant tout le monde qu'il ne se consolerait jamais et qu'il ne prendrait point de repos qu'il n'eût restitué à cet âme la grâce dont il l'avait frustrée: alors se penchant sur la défunte, il ne cessa de gémir pendant toute la nuit et de l'arroser de ses larmes à défaut de l'huile sainte, c'était la seule onction qu'il pouvait lui faire. Mais pendant qu'il se livrait à sa douleur, il dit à ceux qui l'avaient accompagné « Pour vous veillez et priez. » Ils passèrent donc la nuit entière, lui dans les larmes, et ceux-ci dans là récitation des Psaumes. Au matin, le Seigneur exauça son serviteur parce que lesprit même de Dieu qui intercède pour les saints avec des gémissements inénarrables, intercédait aussi pour lui. Bref, la morte ouvre les yeux, et comme une personne qui sort d'un long sommeil, se frottant le front et les temps de ses mains, elle s'assied sur son lit, puis reconnaissant Malachie elle le salue profondément. La douleur fait aussitôt place à la joie, tout le monde est saisi d'étonnement à la vue ou même seulement à la nouvelle de cet événement. Malachie ne lui en donne pas moins le sacrement de l'Extrême-Onction, sachant bien qu'il a la vertu de remettre les péchés et que la prière de la foi peut sauver le malade (Jac.. V, 15). Après cela, il se retira. La malade se rétablit et vécut encore quelque temps en bonne santé pour que Dieu fût glorifié à son occasion; elle fit la pénitence que Malachie lui avait imposée, puis s'endormit dans le Seigneur, après avoir fait une bonne confession de ses péchés, et s'envola dans le sein de Dieu. CHAPITRE XXV. Divers autres miracles de Malachie opérés en faveur de différentes personnes.54. Il y eut aussi une femme qui était dominée par un tel esprit d'emportement et de fureur que non-seulement ses amis et ses proches fuyaient sa société; mais que ses propres enfants pouvaient à peine demeurer avec elle. Ce n'était chez elle que cris, emportements et tempêtes. D'un esprit audacieux, ardent, précipité, elle n'était pas moins redoutable à cause de la violence de sa langue que pour celle de ses mains; enfin c'était une femme insupportable, odieuse même à tout le monde. Ses enfants, non moins affligés pour elle que pour eux-mêmes, la conduisent à Malachie et lui exposent leur triste situation avec un torrent de larmes. Le Saint, touché de compassion à la vue du danger que courait l'âme de cette femme et de la triste position de ses enfants, la prend à l'écart et lui demande si elle s'est quelquefois confessée de ses péchés. Elle lui répond qu'elle ne l'a jamais fait. faites-le, dit-il. Elle lui obéit à l'instant, et lui, après avoir reçu sa confession, lui impose une pénitence et prie le Seigneur tout-puissant, de lui donner un esprit de douceur, et lui défend, au nom de Jésus-Christ, de se mettre désormais en colère. Elle devint si douce depuis ce moment, qu'il était évident qu'un changement si admirable, ne pouvait être que l'uvre de la main du Très-Haut. On dit que cette femme est encore du monde, et qu'elle est d'une douceur et d'une patience telles que rien de ce qui est capable d'exaspérer les autres, comme les pertes, les avanies et les afflictions de toutes sortes, ne peuvent même l'émouvoir. Pour moi, s'il m'est permis, comme à l'Apôtre (Rom., XIV, 5) d'abonder dans mon propre sens, quelque sentiment contraire qu'on puisse avoir, il me semble que ce miracle est bien plus grand que celui de la résurrection d'une morte; attendu que, dans le premier cas, c'est l'homme intérieur qui est rappelé à la vie, tandis que dans le second, ce n'est que l'homme extérieur. Mais passons à d'autres miracles. 55. Un homme dans une position honorable selon le monde et d'une conscience timorée , selon Dieu, vint trouver Malachie et se plaignit à lui de l'état de sécheresse où se trouvait son âme et le supplia d'obtenir de Dieu pour lui le don des larmes. Malachie souriant à la pensée qu'un homme du monde goûtait ainsi un don tout spirituel, approcha sa joue de la sienne comme pour le caresser et lui dit: « Qu'il vous soit fait selon votre demande. » A partir de ce moment, ses yeux versèrent une telle quantité de larmes qu'on aurait pu lui appliquer ces paroles de l'Ecriture : » C'est la fontaine d'un jardin, c'est un puits d'eaux vives (Cant., IV, 15). » Il se trouve dans la mer d'Irlande une île dont les côtes étaient autrefois très-poissonneuses, mais les péchés de ses habitants, à ce qu'on croit, lui firent perdre cette propriété, en sorte que, de très-peuplée qu'elle était, elle perdit une grande partie de ses habitants et finit par voir sa population presque réduite à rien par la privation de cet avantage. Les habitants en étaient dans l'affliction et se lamentaient du tort que l'éloignement du poisson leur causait, quand une femme, connut par une révélation, que Malachie pouvait remédier au mal par ses prières. Elle en fit part à plusieurs personnes à qui cette pensée sourit. Dieu permit que Malachie se trouvât dans cette île; car au milieu de ses courses, pour prêcher l'Evangile dans tout le pays, il s'était rendu en cet endroit, afin d'y annoncer la bonne nouvelle aux habitants du lieu. Mais ces hommes, encore barbares, qui se mettaient bien plus en peine du poisson que du reste, firent au Saint les plus vives instances pour qu'il daignât jeter un regard de compassion sur la stérilité de leur île. Malachie leur répondit d'abord qu'il n'était pas venu dans cette pensée et que, s'il avait un désir, c'était moins de prendre du poisson que des hommes; mais, voyant la foi de ces gens, il se mit à genoux sur le rivage et pria le Seigneur de ne pas leur refuser, tout indignes qu'ils en étaient, le bienfait dont ils avaient joui autrefois et qu'ils lui redemandaient avec une foi si vive. La prière du Juste monta vers le Ciel qui envoya dans ces parages une abondance de poissons, peut-être même plus grande qu'autrefois, et cette abondance dure encore à présent. Faut-il s'étonner que la prière du juste, qui est capable de pénétrer dans les cieux, ait pu pénétrer dans l'abîme et appeler du fond de la mer une si grande quantité de poissons? 56. Un jour, trois évêques arrivèrent dans une ville appelée Fachart, qui est, dit-on, le pays natal de la vierge Brigide; Malachie vint faire le quatrième. Le prêtre qui les recevait, lui dit : « Que ferai-je? je n'ai point de poisson. » Malachie lui dit d'en demander aux pêcheurs de l'endroit. « Mais, reprit-il, il y a deux ans qu'ils n'en ont vu dans la rivière; aussi les pêcheurs ont-ils quitté ce canton pour aller se fixer ailleurs, quelques-uns même, ont renoncé à leur état. » Malachie lui répondit: « Faites jeter les filets au nom du Seigneur. » On le fit et on prit douze saumons, un second coup de filet en tira douze autres. Cette pêche inespérée et miraculeuse fut servie aux évêques. On ne peut douter qu'elle ne soit due aux mérites de Malachie, car, pendant deux ans encore, on continua, même après ce miracle, à ne point trouver de poisson en cet endroit. CHAPITRE XXVI. Malachie soutient la vérité de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.57. Il y eut un clerc de Lesmor, d'une vie assez édifiante, à ce qu'on assure, mais d'une. foi beaucoup moins bonne. Plein de confiance dans son mince savoir, il se permit de dire que, dans l'Eucharistie, il ne se trouvait que le sacrement, non la chose sacramentelle: c'est-à-dire, une simple bénédiction, non point la vérité du corps de Jésus-Christ. Malachie l'entreprit plusieurs fois secrètement sur ce point mais sans succès (a); il le cita donc enfin à comparaître devant lui en ayant soin toutefois de ne pas admettre de laïcs à l'entretien, afin de le guérir de son erreur si faire se pouvait, non de le couvrir de confusion. Il lui fut donc permis d'exposer sa pensée en présence de clercs seulement. Après qu'il se fut évertué à établir et à défendre son erreur, avec toutes les ressources de son esprit qui n'en manquait pas, Malachie lui répondit et le réfuta victorieusement de l'avis de tous les assistants ; il quitta l'assemblée couvert de confusion, mais non point converti, en disant qu'il ne cédait qu'à l'autorité de son évêque, non point à la force de la raison. Puis, s'adressant à Malachie lui-même, il lui dit: «Vous m'avez confondu sans cause car vous avez certainement parlé contre la vérité et même contre votre propre conscience. » Le Saint, affligé de voir un cœur si endurci, mais plus affligé encore du coup porté à la foi et craignant les suites qui pouvaient en résulter, assemble l'Église entière, reprend publiquement ce clerc et le presse de se convertir. Les autres évêques et le reste du clergé lui donnaient le même conseil; comme il refusait de se rendre à leurs instances, il fut déclaré hérétique et anathématisé. Au lieu de se réveiller à ce coup, il s'écrie: « Vous sacrifiez tout à un homme plutôt qu'à la vérité; mais moi je me donnerai bien de garde de sacrifier la vérité à personne. » Transporté d'une sainte colère, Malachie répond à ces mots : « Le Seigneur saura bien te contraindre à confesser la vérité a L'autre ayant répondu : « Ainsi soit-il : » l'assemblée fut levée. Mais brûlé comme par un fer chaud, il songe à fuir, car il ne peut supporter plus longtemps de vivre ainsi frappé d'infamie et déshonoré. Après avoir réuni tout ce qui lui appartenait, il se préparait à sortir, quand, atteint d'une infirmité soudaine, il s'arrête tout à coup et, privé de forces, il tombe à terre à l'endroit même, accablé de fatigues et respirant à peine. Un fou, conduit par le hasard, venant à passer par là, l'aperçoit et lui demande ce qu'il fait là. Il lui répond qu'il est atteint d'un mal très-grave, qui ne lui permet ni d'avancer ni de recaler. Et le fou de lui répondre alors . « Quand on en est là ce n'est pas d'un mal quelconque c'est de la mort même qu'on est frappé. » Or il ne parlait pas ainsi de lui-même, mais Dieu voulait punir ce clerc par la voix d'un insensé de n'avoir point voulu acquiescer à l'avis des sages; il ajouta ensuite: «Retournez chez vous je vous aiderai à le faire; » en effet il rentre en ville appuyé sur le bras de ce fou, mais en même temps il rentre en lui-même et se jette dans les bras de la miséricorde de Dieu. En même temps il fait appeler l'évêque, reconnaît la vérité et abjure son erreur. Il se confesse et reçoit l'absolution de sa faute, il demande ensuite le saint viatique et il se trouve réconcilié avec l'Eglise. Voilà comment presque au même moment sa perfide erreur fut reniée par sa propre bouche et effacée par sa mort, et comment aussi au grand étonnement de tout le monde, s'accomplit sans retard la parole de Malachie et celle de l'Ecriture qui a dit : « L'affliction vous donnera de l'intelligence. » a On voit quelque chose de semblable dans la vie de saint Bernard, livre VIII, ch. 6. CHAPITRE XXVII. Malachie rétablit la paix et l'union entre des populations qui étaient divisées.58. Une grande mésitelligence s'était élevée entre les habitants de certaines contrées; Malachie fut appelé pour rétablir la paix entre eux, mais, comme il était occupé ailleurs il chargea un autre évêque de cette entreprise. Celui-ci s'en excusa en disant que c'était à Malachie, non pas à lui qu'on s'était adressé, qu'il ne serait certainement pas même écouté, et qu'il était inutile par conséquent qu'il se mêlât de cette affaire. Malachie lui dit: «Allez toujours et le Seigneur sera avec vous. » Il obéit en disant: « si on ne m'écoute point, j'en appellerai à votre Paternité. » Malachie sourit un peu et dit . « Eh bien soit. » Alors l'évêque qu'il avait envoyé rassemble le peuple et lui parle de paix; on l'écoute et la réconciliation a lieu; on se donne parole de part et d'autre, la paix est conclue, l'évêque lève l'assemblée. Mais l'un des deux partis voyant que l'autre sans défiance depuis que la paix était faite n'était plus sur ses gardes se mit à conspirer contre lui en disant «qu'avons-nous voulu faire? La victoire est à nous, la victoire est dans nos mains.» Il fond aussitôt sur le parti contraire. L'évêque, informé de ce qui se passait accourt en toute hâte, va trouver le chef des agresseurs et lui reproche l'injustice et la mauvaise foi de ses partisans, mais il voit ses paroles méprisées. Alors il invoque le nom de Malachie, mais sans plus de succès, car ce chef, se moquant de lui, lui répond: «Croyez-vous que pour vous être agréables, nous allons laisser échapper ceux qui nous ont fait du mal, quand Dieu même les fait tomber entre nos mains ? » L'évêque, se rappelant l'entretien qu'il avait eu avec Malachie, retourne à son monastère les larmes aux yeux et le chagrin dans l'âme et s'écrie: « Où êtes-vous, ô homme de Dieu, où êtes-vous? Les choses ne se sont-elles point passées comme je vous l'avais prédit, ô mon père ? Hélas, malheureux homme que je suis, j'étais allé pour le bien et il en est résulté un mal et je suis cause que les uns perdent la vie du corps et les autres celle de l'âme ? » Il disait encore beaucoup d'autres choses semblables au milieu de son chagrin et de ses larmes, en s'adressant à Malachie, comme s'il eût été présent, et en faisant appel à lui contre ces malfaiteurs, Cependant les impies avec lesquels la paix avait été conclue ne cessaient point de poursuivre leurs adversaires afin de les anéantir, mais un esprit de mensonge inspira à quelques hommes la pensée de les tromper; ils vinrent les trouver, pendant qu'ils étaient en marche, et leur dirent que leurs ennemis avaient fait irruption dans leur propre pays, qu'ils mettaient tout à feu et à sang, pillaient leurs biens, s'emparaient de leurs femmes et de leurs enfants et les traînaient à leur suite. A ces mots, ils font volte face et reviennent en hâte sur leurs pas; les derniers suivent les premiers sans savoir ni où ils allaient ni ce qui était arrivé; car ils n'avaient pas tous entendu ce qui s'était dit; mais lorsque en arrivant, ils ne trouvèrent rien de ce qu'on leur avait annoncé, ils furent saisis de confusion et se trouvèrent pris dans les filets de leur propre malice. Ils reconnurent alors qu'ils avaient été victimes d'un esprit de mensonge, parce qu'ils avaient trompé eux-mêmes un envoyé de Malachie et méprisé son nom. Quant à l'évêque en apprenant que ces traîtres avaient été déçus dans leurs coupables espérances, il revint plein de joie vers Malachie à qui il rendit un compte exact de tout ce qui s'était passé. 59. Malachie informé que la paix avait été rompue de la sorte, choisit une occasion favorable pour la rétablir de nouveau par lui-même entre ces différentes populations et la leur fit sceller par des promesses et des serments réciproques. Alors ceux qui avaient eu à souffrir de la première violation de la paix, pleins de ressentiment de ce qui leur était arrivé, ne tinrent compte ni des conventions faites, ni de la recommandation de Malachie, et complotèrent de rendre la pareille à leurs ennemis. S'étant donc réunis, ils marchaient tous ensemble comme un seul homme pour tomber à l'improviste sur leurs adversaires et leur faire éprouver le même sort qu'ils avaient eux-mêmes essuyé. Après avoir traversé sans obstacle un grand fleuve qui les séparait des ennemis, ils se virent arrêtés par un tout petit ruisseau qu'ils rencontrèrent un peu plus loin. Ce petit ruisseau leur parut en effet un grand fleuve qui s'opposait partout à leur passage. Etonnés de le trouver si large et si profond, quand ils l'avaient vu jusqu'alors si petit, ils se disent les uns aux autres : « D'où vient qu'il est débordé? Le temps est beau, il ne pleut point, personne ne se rappelle qu'il ait plu dernièrement. D'ailleurs aucun de nous n'a vu ce ruisseau gonflé à ce point, même après les plus grandes pluies, ni déborder de la, sorte et couvrir ainsi les terres cultivées et les prairies même dans les plus mauvais temps. Il y a là le doigt de Dieu qui a voulu nous couper le chemin à cause de Malachie, son saint serviteur, dont nous avons violé le pacte et transgressé les ordres. » Voilà comment ceux-ci s'en retournèrent aussi chez eux, couverts de honte et de confusion et sans avoir pu rien faire. Le fruit de ce miracle se répandit dans toute la contrée, et on bénissait Dieu qui sait ainsi surprendre les sages mêmes de ce monde dans leurs propres ruses, briser la puissance des méchants et manifester avec gloire celle de son Christ. 60. Il y avait un grand de la contrée qui s'était brouillé avec le roi; ce fut Malachie qui les réconcilia ensemble; car ce grand ne voulait point s'en rapporter au roi pour la paix qu'il voulait faire avec lui, si elle ne se concluait sous les auspices de Malachie ou de tout autre personnage pour qui il eût une égale vénération. Il n'avait pas tort, comme l'événement ne tarda point à le montrer. En effet, le roi, toujours animé des mêmes sentiments de haine qu'il avait eus contre ce seigneur, tomba sur lui à l'improviste; car, dans sa sécurité, celui-ci ne se tenait point sur ses gardes, et il le jeta dans les fers. Ses gens vinrent le réclamer à celui qui avait été le médiateur de la paix, ils ne s'attendaient plus à rien moins qu'à se voir mettre à mort. Malachie ne, , savait quel parti prendre; d'ailleurs il ne pouvait faire autre chose que de re courir à son moyen ordinaire; il rassemble tous ses amis et tous ses disciples qui étaient en grand nombre, et va droit trouver le roi et le prier de relâcher son prisonnier; mais il essuie un refus. Alors Malachie s'écrie : « Vous avez mal agi contre le Seigneur, contre moi et même contre vous en violant votre parole; si vous n'en tenez pas compte, il n'en est pas de même de moi; cet homme s'est fié à moi, et s'il meurt, c'est moi qui vous l'aurai livré; je répondrai de son sang. Qui donc a pu vous inspirer la pensée de faire de moi un traître et de vous un parjure? Sachez donc que ni moi ni ceux-ci ne goûterons de nourriture que ce seigneur n'ait recouvré la liberté. » Après avoir ainsi parlé, il se rend à l'église et invoque le Tout-Puissant, et tous ceux qui l'avaient suivi font de même, lui demandant avec des gémissements et des larmes qu'il veuille bien délivrer l'innocent des mains d'un injuste prévaricateur. Ils passèrent tous ensemble le jour et la nuit suivante dans le jeûne et la prière. On rapporta au roi ce qui se passait, mais il ne s'en montra que plus endurci quand il aurait dû se laisser toucher; il s'enfuit, cet homme vraiment charnel, craignant que s'il restait trop près de Malachie, il ne pût échapper à la vertu de sa prière, comme si elle ne pouvait se faire sentir dans le secret et ne fût pas possible d'atteindre au loin. O malheureux prince, tu veux poser des limites au pouvoir de la prière des saints! Mais la prière n'est pas comme la flèche qu'on lance, pour lui échapper comme on échappe au trait que l'on a décoché. Où iras-tu te cacher de l'Esprit de Dieu qui la porte, et en quel endroit pourras-tu fuir pour échapper à ses regards? Si tu fuis, elle te poursuit; si tu te caches, elle te trouve; tu vas devenir aveugle, tu seras privé de la vue du jour, afin que ta voies et comprennes mieux qu'il est dur de regimber contre l'aiguillon (Act., IX, 5). Eh bien, reconnais maintenant par ta propre expérience combien sont perçantes les flèches que le Tout-Puissant a décochées contre toi; si elles se sont émoussées sur ton cœur de pierre, elles ont pu du moins pénétrer bien avant dans tes yeux. Plût au Ciel que par ces ténèbres de l'âme, elles eussent pu pénétrer jusqu'à ton cœur, et que l'affliction eût aveuglé ton intelligence. Il fallait voir ce nouveau Saul, conduit aussi par la main et amené vers son Ananie; ce loup dévorant conduit aux pieds d'une brebis pour lui rendre sa proie. Il la lui rendit et recouvra la vue, car Malachie était une si douce brebis qu'il eut pitié-même de ce loup. A ce sujet, le lecteur remarquera au milieu de quels gens se trouvait Malachie, quels princes l'entouraient, au sein de quelles populations il vivait. N'était-il pas à la lettre le frère des dragons et le compagnon des autruches (Job., XXX, 23) 7 Aussi le Seigneur lui donna-t-il le pouvoir de marcher sur les serpents et sur les scorpions, de lier les rois mêmes en leur enchaînant les pieds, et les princes de la terre, en leur mettant des fers aux mains. Mais écoutez la suite. CHAPITRE XXVIII. .Malachie voulant construire un édifice religieux trouve un homme qui s'y oppose ; mais bientôt cet homme est puni de Dieu.61. Celui à qui Malachie avait abandonné les biens qui appartenaient au monastère de Benchor, au lieu de montrer sa reconnaissance au Saint pour ce bienfait, ne cessa depuis lors de se conduire avec la plus grande hauteur envers lui et envers les siens, se déclarant en toute occasion contre lui, lui dressant même des piéges et attaquant ses actes. Mais sa conduite ne demeura point impunie. Il avait un fils unique qui marchait sur les traces de son père et qui ayant osé s'attaquer, lui aussi, à Malachie, mourut dans l'année même de sa faute. Voici comment cette mort arriva. Malachie jugea qu'il devait faire construire un oratoire en pierres à Benchor, à l'instar de ceux qu'il avait vus dans d'autres contrées. Il avait à peine commencé à en asseoir les fondements, que tous les gens du pays étaient dans l'admiration à la vue d'un édifice qui n'avait pas encore eu son pareil dans la contrée. Mais cet homme plein de présomption et d'insolence au lieu de l'admirer comme les autres, s'en irrita; il conçut le douleur et enfanta l'iniquité (Psalm., VII, 15). Se mêlant aux populations voisines pour les exciter par ses murmures, il attaquait, tantôt à mots couverts et tantôt ouvertement, accusait le Saint de légèreté en protestant. contre cette nouveauté dont il exagérait la dépense. Par ces discours envenimés, il excitait et poussait bien des gens à s'opposer à cette construction. «Suivez-moi, dit-il, et ne laissons pas faire malgré nous ce qu'on ne peut faire que par nous. » Alors il vient à la tête de ceux qu'il a gagnés à ses projets, à l'endroit où l'on bâtissait et y trouvant l'homme de Dieu, il lui adresse le premier la parole, car il était l'âme du complot. u Brave bomme, lui dit-il, d'où vous est venu la pensée d'introduire ces nouveautés chez nous? Sachez que nous sommes des Scots, non point des Gaulois. Quelle est donc votre légèreté? Qu'avons-nous besoin d'un édifice aussi superflu que superbe? Où trouvez-vous d'ailleurs, pauvre comme vous l'êtes, de quoi subvenir à de pareilles dépenses? Enfin qui de nous verra jamais cet édifice achevé? Y a-t-il présomption plus grande que la vôtre, de commencer un ouvrage que vous ne sauriez, je ne dis pas achever, mais voir jamais se terminer? Quand je dis que c'est présomption à vous d'entreprendre une chose qui dépasse vos moyens, vos forces et toute mesure, c'est de folie que je devrais vous taxer. Assez donc comme cela; cessez cette entreprise, et ne donnez pas plus longtemps suite à une pareille folie; car nous ne sommes disposés, ni à souffrir ni à permettre que vous continuiez. » C'est en ces termes qu'il fit connaître au Saint quels étaient ses projets, mais il n'avait point réfléchi à la manière dont il pourrait appuyer ses paroles; en effet, à la vue de l'homme de Dieu, tous ceux qui l'avaient suivi, changèrent de sentiment et cessèrent d'être de son avis. 62. Le Saint répondit à ce discours avec une liberté entière, et, s'adressant à cet homme: « Malheureux, lui dit-il, cet édifice que tu vois commencé mais dont la vue te fait mal, s'achèvera certainement, beaucoup le verront terminé, et toi, puisque tu ne veux pas le voir, tu ne le verras point, mais tu verras ce que tu ne veux point, la mort: mets donc ordre à tes affaires, si tu ne veux pas qu'elle te surprenne dans ton péché. » Ainsi parla le Saint. Cet homme mourut en effet et l'édifice commencé s'acheva, mais il ne le vit point terminé, puisqu'il mourut dans l'année comme nous l'avons dit. Cependant le père de cet homme ayant appris la prédiction de Malachie et sachant que toute parole du Saint était suivie d'effet, s'écria: « Il a prononcé l'arrêt de mort de mon fils. » Alors à l'instigation du diable, il entra dans un telle fureur contre Malachie qu'il en vint, en présence du due et des grands d'Ulidie, à accuser de fausseté et de mensonge l'homme de Dieu, si manifestement véridique en toute circonstance, si visiblement ami passionné et disciple dévoué de la vérité. C'est peu, il ajouta l'injure à sa première faute et l'appela singe. Malachie qui savait ne point répondre à l'injure par une autre injure, se contenta de garder le silence; pas un mot ne sortit de sa bouche quand le pécheur élevait ainsi la voix contre lui. Mais le Seigneur n'oublia point cette parole qu'il avait dite: « de me réserve la vengeance, c'est moi qui l'exercerai (Rom., XII, 19). » Le même jour, cet homme étant retourné chez lui, expia la témérité de sa langue effrénée par les mains même de celui qui la lui avait si bien déchaînée: En effet, le démon lui-même se saisit de sa personne et le jeta dans le feu; les assistants s'empressèrent de l'arracher aux flammes, mais déjà son corps était à demi brûlé et sa raison perdue. Pendant le délire de sa folie, Malachie arriva ; il vit cet homme qui l'avait injurié, la bouche de travers, les lèvres écumantes, effrayer tout le monde par ses cris et par la violence de ses mouvements. Son agitation était si grande que plusieurs hommes avaient peine à le tenir. Alors le saint homme pria pour son ennemi et fut exaucé du Ciel, du moins en partie. En effet, pendant que Malachie était en prière, il rouvrit les yeux et reprit ses sens. Mais il resta toujours sous l'empire de lesprit mauvais que Dieu lui avait envoyé pour le souffleter et lui apprendre à ne pas mal parier des saints. de crois qu'il vit encore et que maintenant encore il continue d'expier la faute énorme dont ii s'était rendu coupable envers l'homme de Dieu. On dit même qu'à certaines époques il redevient lunatique. Quant aux biens de Benchor dont nous avons parlé, comme cet homme ne pouvait plus les conserver dans l'état de faiblesse et d'incapacité où il était tombé, ils firent retour au monastère auquel ils avaient précédemment appartenu. Malachie n'y mit aucun obstacle, en vue du bien de la paix, après les nombreuses vexations qu'il avait eu à souffrir. 63. Mais revenons à l'édifice que Malachie avait entrepris de construire. Il est bien vrai que Malachie n'avait pas le premier sou, je ne dis point pour terminer, mais même pour commencer cette construction. Mais ii était plein de confiance en Dieu, et Dieu disposa. tout de telle manière que i'argent ne fit jamais défaut à son serviteur, qui n'avait placé aucune de ses espérances dans les trésors de la terre, Nul autre que lui, en effet, ne put faire qu'un trésor caché en cet endroit, ne fût retrouvé que pour l'uvre de Malachie et précisément à l'époque où il la commençait. C'est donc dans la bourse de son Seigneur que le serviteur de Dieu trouva ce qui n'était pas dans la sienne; Il était juste d'ailleurs qu'il en fût ainsi; est-il rien de plus juste en effet, que celui qui, pour Dieu, n'avait rien en propre, se voie associé avec Dieu et fasse bourse commune avec lui? Pour un homme de foi, le monde entier est une source de richesses. Qu'est-ce en effet que le monde sinon la bourse même de Dieu; n'a-t-il pas dit: a Toute la terre est à moi avec tout ce qu'elle renferme (Psalm. XLIX, 12) ? » Aussi, ne peut-on pas dire que Malachie lui restitua les trésors qu'il trouva, mais qu'il les lui consacra, car tout ce que Dieu lui avait donné fut par son ordre employé à l'uvre même de Dieu. Il ne se laisse arrêter ni par ses propres besoins ni par ceux des siens, mais il ne songe uniquement qu'à Dieu à qui il sait d'ailleurs recourir sans hésiter, toutes les fois que le besoin s'en fait sentir à lui. On ne peut douter que c'est Dieu même qui lui révéla ce qu'il découvrit. Il s'était entretenu d'abord de ses projets de construction avec ses frères, dont plusieurs, à cause de leur dénûment n'étaient point portés à abonder dans son sens. En sortant du conseil, il était inquiet et perplexe et ne savait quel parti prendre; il eut donc recours à la prière et demanda à Dieu de lui faire connaître sa volonté. Et voilà qu'un jour en revenant de voyage, comme il approchait de l'endroit choisi pour les constructions, il aperçoit de loin un oratoire en pierre aussi grand que beau. Ayant donc considéré attentivement l'emplacement, la forme et le style de l'édifice qu'il voyait, il entreprit son œuvre avec confiance, après avoir parlé de sa vision a quelques-uns des plus anciens religieux. Il se régla si scrupuleusement pour la construction de cet édifice sur l'emplacement, le genre et la qualité de celui qu'il avait aperçu dans sa vision, que l'œuvre achevée, il se trouva d'une conformité parfaite avec lui, comme s'il lui avait été dit ainsi qu'à Moïse: Voyez et faites selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne (Exod., XXV, 49). C'est donc dans une vision toute pareille qu'il vit sur le mont Saballin le monastère et l'oratoire de ce nom, avant même qu'ils fussent construits. CHAPITRE XXIX. Malachie est doué du don de prophétie; il opère toutes sortes de miracles.64. En passant par une certaine ville, Malachie aperçut dans la foule qui se pressait à sa rencontre un jeune homme qui avait le plus grand désir de le voir. Il était monté sur une pierre et se dressant sur la pointe des pieds il était tout yeux et tout attention pour le Saint auquel il rappela l'histoire de Zachée (Luc., XIX, 4). Malachie connut, par une révélation du Saint-Esprit, que ce jeune homme était en effet venu pour le voir dans le même esprit et les mêmes pensées qui avaient autrefois conduit Zachée au devant de Jésus; toutefois il passa devant lui sans en rien montrer, mais le soir, dans l'hôtellerie, il raconta à ses frères comment il avait vu ce jeune homme et ce qu'il prévoyait qui devait lui arriver. Trois jours après, il vint en effet, conduit par un noble de la contrée, qui était son seigneur et qui fit connaître que le plus grand désir de ce jeune homme était quil voulût bien le recevoir parmi ses disciples. Mais l'homme de Dieu qui le reconnaissait fort bien répondit: «Il n'est pas nécessaire que personne recommande celui que Dieu même a déjà recommandé, « et, le prenant par la main, il le remit à notre cher abbé Congan, qui lui-même le confia à ses religieux. Ce jeune homme est encore du monde, si je ne me trompe, et il est le premier laïc convers du monastère de Surrey; et tous ses frères lui rendent le témoignage qu'il mène une vie sainte parmi les religieux qui suivent la règle de Cîteaux. Les disciples de Malachie purent reconnaître en cette occasion, que leur maître était doué du don de prophétie ; ils le purent encore dans une autre circonstance dont nous allons parler. 65. Un jour, il célébrait les saints mystères, le diacre s'étant approché de lui pour lui rendre les services de son ordre, le prêtre du Seigneur le regarda et poussa un profond soupir, parce qu'il vit qu'il cachait dans son cœur quelque chose de mauvais. Lorsque le saint sacrifice fut achevé, il le prit à part et le questionna sur l'état de sa conscience; celui-ci avoua sans détour qu'il avait été, la nuit précédente, le jouet, des illusions du démon pendant son sommeil. L'homme de Dieu lui imposa une pénitence en lui disant: «Vous n'auriez pas dit remplir les fonctions de votre ordre aujourd'hui, il aurait fallu, par respect pour les choses saintes, vous tenir à l'écart et vous purifier par cet acte d'humilité, afin de revenir plus tard à l'autel, plus digne d'y servir. » Une autre fois encore, comme il offrait le saint sacrifice et qu'il priait pendant les saints mystères, avec cette sainteté et cette pureté de cœur qui lui était habituelle, le diacre qui le servait vit apparaître une colombe éclatante de lumière qui était entrée par la fenêtre. II était inondé, de la lumière quelle répandait et la basilique tout entière en était éclairée jusque dans ses recoins les plus obscurs. La colombe vole çà et là pendant quelque temps, puis va se poser enfin sur une croix qui était placée en face du célébrant. Le diacre en est frappé d'étonnement; jamais il n'avait vu lumière si éclatante, et la présence insolite de cette colombe comme il ne s'en voit point sur la terre, le pénètre d'une sorte de frayeur; il tombe la face dans la poussière; et, palpitant de crainte, c'est à peine s'il ose se relever même aux moments où les fonctions de son ministère l'exigent. Après la messe, Malachie le prit à part et lui fit promettre sur sa vie, de ne point parler de ce qu'il venait de voir tant qu'il vivrait. Une autre fois, étant à Armagh avec un autre évêque, il se leva au milieu de la nuit et se mit à visiter fun après l'autre, en priant, toutes les mémoires des saints qui se trouvent en grand nombre dans le cimetière de saint Patrie, et voilà que tout à coup un de ces autels parut tout en flammes; tous ses frères virent ce prodige et en furent frappés d'admiration. Mais Malachie, comprenant que c'était le signe des vertus extraordinaires du saint ou des saints dont les corps reposaient sous cet autel, courut, les bras étendus se précipiter dans ces flammes et embrasser cet autel. Que fit-il et qu'éprouva-t-il pendant ce temps-là, personne ne saurait le dire; mais ce que chacun de ses frères, je crois, a pu très-bien remarquer, c'est que, en sortant de ces flammes, il se montra encore plus embrassé du feu divin qu'il ne l'avait été auparavant. 66. Je n'en dirai pas davantage sur les nombreux miracles qu'il opéra. Je n'en ai rapporté qu'un très-petit nombre; encore en ai-je cité beaucoup eu égard au temps présent; on ne peut point dire en effet, de nos jours, comme le Psalmiste : « Nous ne voyons plus de miracles, et il n'y a plus de prophète (Psalm: LXXIII, 9). » Mais le peu que j'ai rapporté montre quelle fut la sainteté de mon cher Malachie, qui fit tant de miracles quand il s'en faisait si peu ailleurs. En est-il un seul qui se soit fait autrefois, que Malachie n'ait point renouvelé? Si nous voulons bien passer en revue le peu que je viens de raconter, nous verrons qu'il fut doué du don de prophétie; qu'il lisait dans les âmes, punissait les méchants, guérissait les malades, changeait les cœurs et ressuscitait les morts. Dieu l'aimait, aussi l'enrichit-il de ses dons et bénit-il toutes ses entreprises; il le fit grand aux yeux des princes et il le couronna de gloire. Le Seigneur lui a prouvé son amour en le comblant de grâces; il l'a glorifié par le don des miracles, exalté en abaissant ses ennemis, et lui adonné la couronne de gloire eh récompensant ses vertus. Je vous ai montré, Lecteur diligent, dans la vie de Malachie, des oeuvrés à admirer et des exemples à suivre; il ne me reste plus maintenant qu'à vous placer sous les yeux ce qui doit dans tout cela faire l'objet de vos espérances; afin que vous le considériez attentivement, car la fin de tout cela c'est une bonne mort. CHAPITRE XXX. Malachie prédit lheure et le lieu de sa mort; il entreprend un second voyage à Rome pour aller demander une seconde fois le pallium au souverain Pontife, qui était le pape Eugène.61. On lui demanda; un jour , où il voudrait mourir ; s'il était libre de choisir le lieu de sa mort. Ses religieux s'étaient adressé à chacun la même question. Malachie gardait le silence et faisait attendre sa réponse. Mais cédant enfin à leurs instances; il dit: « Si je meurs en ce pays, je voudrais que ce fût à l'endroit même où repose l'Apôtre de notre nation, afin de ressusciter à ses côtés; i1 voulait parler de saint Patrie, mais si je dois mourir en voyage; et que telle soit la volonté de Dieu; je préfère mourir à Clairvaux. » Comme on lui demandait ensuite quel jour il voudrait mourir, il répondit: a Le jour même de la solennité des Trépassés. » S'il n'émettait là qu'un simple vœu, il fut exaucé, et si ce fat une prophétie, elle s'accomplit à la lettre; car il mourut le jour et à l'endroit qu'il avait dit. Mais rapportons en quelques mots comment et dans quelle occasion il en arriva ainsi. Malachie voyait avec peine que jusqu'alors l'Irlande eût été privée du pallium; car il était plein de zèle pour les choses saintes et aurait voulu que sa nation les possédât toutes sans exception. En se rappelant donc que le pape Innocent lui avait promis de lui donner le pallium, il ressentit une vive douleur que ce pape fût mort avant qu'il le lui eût envoyé demander. Profitant donc de ce que la chaire de saint Pierre était occupée par le pape Eugène, dont on annonçait le prochain voyage en France, il crut avoir trouvé l'occasion favorable de venir lui faire sa demande. Il pensait qu'un souverain pontife, et particulièrement celui-là, à cause de son ancienne profession, car c'était un enfant de Clairvaux, ne pouvait faire aucune difficulté d'accéder à ses vœux. Il appelle donc les évêques d'Irlande à un concile; après avoir discutés ensemble pendant trois jours entiers les intérêts du moment, on s'entretint le quatrième jour du projet de demander le pallium. On tomba d'accord sur la nécessité de faire cette demande, pourvu qu'elle fût présentée par un autre que Malachie. Pourtant, comme le voyage était moins long et par conséquent plus facile, personne ne combattit sort projet et sa volonté. Aussi, après la clôture du concile, Malachie se mit en route. Quelques-uns de ses religieux l'accompagnèrent au rivage; il s'était opposé à ce que tous l'y suivissent. Alors l'un d'eux, nommé Catholique, lui dit d'une voix et avec un visage pleins de larmes : «Hélas ! vous partez et vous savez dans quelle triste position de tous les jours vous me laissez; vous n'avez point, pour cela, pitié de moi et vous ne me venez point en aide. Si j'ai mérité de souffrir, quel mal ont fait mes frères qui ne passent presque pas un jour, pas une nuit sans être obligés de veiller sur moi et de prendre soin de moi. » Ces paroles et les larmes dont elles étaient accompagnées, c'étaient les larmes et les paroles d'un fils, -émurent les entrailles paternelles de Malachie; embrassant donc ce religieux avec des bras de père, il lui fit le signe de la croix sur la poitrine, en lui disant : « Soyez sûr que vous ne souffrirez aucune atteinte de votre mal que je ne sois de retour. » Or ce religieux était épileptique et était si souvent pris de son mal qu'il n'était pas rare qu'il en ressentit les atteintes plusieurs fois le jour. Or, il y avait déjà six ans qu'il était frappé de cette horrible maladie, mais il en fut complètement guéri à ces paroles de Malachie. Depuis ce moment il n'en flat plus atteint, et sans doute il n'y retombera plus désormais, c'est du moins notre conviction, puisque Malachie ne peut plus retourner dans son pays. 68. Au moment où il s'embarqua, dent de ceux qui lui étaient le plus attachés s'approchèrent de lui et lui demandèrent avec confiance de leur promettre quelque chose. « Qu'est-ce, » leur dit-il? « Nous ne Vous le dirons que si vous promettez d'accéder à nos vœux. » Il le fit « Et bien, dirent-ils, nous vous prions de nous promettre que vous reviendrez sain et sauf en Irlande. «Tous les autres appuyèrent leur demande. Alors lui, réfléchissant en lui-même pendant quelques instants, commença à regretter de s'être lié par une promesse formelle, dont il ne voyait pas le moyen de s'acquitter: Il se trouvait pressé de deux côtés à la fois, par son vœu secret et par sa promesse; pourtant il crut qu'il devait prendre le parti qui semblait le plus urgent pour le présent, s'en remettant pour le reste aux soins de la divine Providence. Ne voulant donc point les contrister par un refus, il leur promit avec tristesse ce qu'ils lui demandaient et s'embarqua. Mais à peine à moitié route, un vent contraire s'éleva qui ramena le vaisseau au port. Il débarqua et passa la nuit dans une de ses églises : puis, le cœur plein, de joie il rendit grâce à la divine Providence de lui avoir donné le moyen de dégager sa parole. Le lendemain il s'embarqua de nouveau, et arriva en Ecosse, après une heureuse traversée. Trois jours après, il se rendit à un endroit appelé Vert-Étang, qu'il avait fait disposer pour y fonder une abbaye. Il y laissa quelques-uns de ses enfants, nos frères, qu'il avait amenés avec lui pour cela, en nombre suffisant pour former un couvent de moines avec leur abbé, puis il leur fit ses adieux et partit. 69. A son passage, le roi David vint à sa rencontre; il le reçut chez lui avec de grands témoignages de joie et le garda plusieurs jours. Après avoir fait bien des choses agréables à Dieu, il se remit en route à travers l'Ecosse. En entrant en Angleterre, il se détourna un peu de sa route pour visiter l'église de Glasgow, où se trouvent des religieux qui mènent la vie canonique et qui lui étaient fort attachés depuis longtemps à cause de sa religion et de son honnêteté. Pendant qu'il était là, on lui amena une femme atteinte d'un cancer, dont la plaie était horrible à voir; il la guérit, car à peine eut-il aspergé les endroits malades avec de l'eau qu'il avait bénite, que les douleurs disparurent, et le lendemain il restait à peine trace des ulcères de la veille. En quittant cet endroit, il se rendit sur le bord de la mer, mais on refusa de le laisser s'embarquer. Ce fut, je crois, à cause d'un différend qui était survenu entre le souverain Pontife et le roi d'Angleterre, que celui-ci, craignant je ne sais quoi de ce saint homme s'il traversait la mer, ne lui permit point de s'embarquer. D'ailleurs il ne laissait partir aucun évêque pour le continent. Cet empêchement, tout en contrariant les projets de Malachie, servait pourtant ses secrets désirs. Il s'en affligeait sans savoir qu'il contribuerait à l'accomplisse. ment de son veau le plus cher. En effet s'il avait pu effectuer son passage sur le champ, il aurait été obligé de se rendre immédiatement à Clairvaux et d'en repartir aussitôt pour suivre le souverain Pontife qui avait déjà quitté cette abbaye pour se rendre à Rome, dont il ne devait pas être fort éloigné, si même il n'y était déjà arrivé. Ce retard, au contraire, fut cause que le Saint ne passa la mer que pour arriver à Clairvaux à l'époque même où sa très-sainte mort devait avoir lieu. CHAPITRE XXXI. Malachie revient à Clairvaux pour y mourir le jour et à l'endroit qu'il avait désiré.70. Quand il est arrivé chez nous du fond de l'Occident, nous l'avons reçu comme le vrai Soleil levant, venu du haut du ciel pour nous visiter. De quels flots de lumière ce radieux soleil n'a-t-il pas inondé notre cher Clairvaux! Quel jour de fête pour nous que celui de son arrivée parmi nous ! Ce fut un jour de bonheur que le Seigneur fit luire pour nous, aussi fut-il rempli de joie et d'allégresse. Tout faible et tout chancelant que j'étais, comme je me suis précipité avec ardeur et transport au devant de lui! comme je me suis jeté avec bonheur dans ses bras ! et comme j'étais heureux d'étreindre dans les miens cet homme que le ciel m'envoyait comme une grâce. Comme j'avais le visage et le cœur gai, ô mon Père, quand je vous fis entrer dans la demeure de ma mère et dans la chambre de celle qui m'a donné le jour ! Quelles bonnes heures j'ai passées avec vous, mais qu'elles se sont vite écoulées! Mais lui, quel était-il en arrivant à nous? Notre saint voyageur montrait à chacun un visage gai et affable, il était pour tous d'une amabilité incroyable. Quel hôte bon et aimable c'était pour nous qu'il venait visiter du bout du monde, non point pour voir chez nous, mais pour nous montrer en lui un autre Salomon ! Enfin, nous avons entendu ses sages paroles, nous avons joui de sa présence et nous l'avons gardé au milieu de nous. Quatre ou cinq jours à peine s'étaient écoulés depuis le commencement de notre bonheur, que, le jour de la fête de saint Luc, évangéliste, après avoir célébré la messe avec sa piété et sa sainteté habituelles, il fut pris de la fièvre et se mit au lit. Nous étions tous aussi malades que lui, A notre bonheur succédait l'inquiétude; pourtant nos craintes n'étaient point encore extrêmes, parce que de temps en temps la fièvre semblait baisser. Il fallait voir l'empressement de tous mes frères, soit à donner soit à recevoir. C'était pour eux un bonheur de Je voir, mais c'en était un bien plus grand encore de lui rendre quelques services; l'un et l'autre étaient doux et salutaires. C'étaient pour chacun de nous un acte d'humanité et en même temps un véritable profit, à cause de la grâce que tous nous recevions en échange. Tout le monde était empressé à le servir, plein d'ardeur à préparer ce qui était nécessaire, à aller chercher les médicaments, à tenir prêtes les potions calmantes et à le presser de les prendre. Mais lui disait: «Tout ce que vous faites-là est inutile, néanmoins pour vous être agréable je veux bien me prêter à faire tout ce que vous exigez de moi.» Il savait bien que sa fin approchait, 71. Comme les religieux qui étaient auprès de lui, le pressaient de prendre ce qu'ils lui offraient, et disaient avec un peu plus d'espoir dans l'âme, qu'il ne fallait point désespérer de la vie et que rien en lui n'annonçait une mort prochaine, il leur répondit: « Il faut que Malachie quitte ce corps cette année même, et, continua-t-il, le jour que j'ai toujours désiré, comme vous le savez, être celui de ma mort, approche. Je sais bien en qui j'ai placé mes espérances et je suis sûr de ne point être frustré dans mon attente, puisque déjà la moitié de mes vœux est accomplie, Celui qui m'a fait la grâce de m'amener ici comme je le désirais, ne peut me refuser de m'y faire trouver la fin que j'ai toujours souhaitée. Pour ce qui est de ce misérable corps, c'est ici qu'il doit reposer; quant à mon âme, Dieu, qui sauve ceux qui mettent leur espérance en lui, saura pourvoir à son sort. J'espère beaucoup dans le jour où on fait tant de prières pour les morts. » Or, le jour dont il parlait n'était plus éloigné. Cependant il demande qu'on lui fasse les onctions saintes. Tout le couvent allait se mettre en marche pour lui porter l'Extrême-Onction avec solennité, mais lui ne voulut pas permettre qu'on montât jusqu'à sa cellule, (il habitait sur la terrasse qui règne au haut de la maison,) et il descendit à la communauté. Il reçut l'onction sainte et le Viatique au milieu des religieux qui priaient pour lui et après les avoir tous recommandés à Dieu, il regagna sa chambre. Il en était descendu sans être porté, il y remonta de même, tout en disant que la mort était à sa porte. Qui aurait jamais pu croire que cet homme allait mourir ? Dieu et lui seul le savaient. Il n'était point plus pâle qu'à l'ordinaire, et ne semblait pas plus affaibli. Son front n'était point ridé ni ses yeux creusés, ni ses narines contractées, ni ses lèvres serrées, ni ses dents arides, ni son cou amaigri et tiré, ni ses épaules courbées, ni sa chair mourante dans aucun de ses membres. Son corps même avait cette grâce, et son visage cette fraîcheur, que la mort même a respectées. Tel il fut durant sa vie, tel il paraissait après; on l'aurait cru plutôt vivant que mort. 72. Jusqu'à ce moment, nous n'avons eu qu'à laisser courir notre plume; mais arrivé là, elle s'arrête parce que Malachie a terminé sa course. Il est là inanimé et nous le sommes avec lui. D'ailleurs qui est-ce qui court volontiers au-devant de la mort? Mais surtout quel homme est digne de raconter la tienne ô mon Père? Qui est-ce qui voudrait en annoncer la nouvelle? Mais comme nous l'avons aimé dans la vie, nous ne nous séparerons point de lui à la mort. Non, mes Frères, ne laissons pas seul à sa mort celui que nous avons suivi pas à pas dans la vie. Il est venu du fond de l'Ecosse jusqu'ici au-devant de la mort, allons nous aussi et mourons avec lui. Il faut raconter et dépeindre ici le spectacle que nous avons été obligés de voir de nos yeux. La grande tête de tous les saints était arrivée; mais, comme dit un vieux proverbe : «Un discours à contre temps est comme de la musique dans un deuil (Eccli,. XXII, 6), » Nous allons donc au chur, nous chantons malgré nous, nous mêlons nos larmes à nos chants et nos chants à nos larmes; Malachie ne chantait pas, mais du moins il ne pleurait pas non plus. Pourquoi aurait-il versé des larmes puisqu'il s'approchait de la joie éternelle?C'est à nous qui restons, que reste le deuil; Malachie seul était dans un jour de fête, Car ce qu'il ne pouvait faire de corps il le faisait en esprit, selon ce qui est écrit : « C'est la pensée de l'homme qui sera tout occupée à confesser votre gloire, et le souvenir seul de cette pensée sera Même pour lui comme un jour de fête (Psalm., LXXV, 10). » L'instrument de son corps se brisait, l'organe de la voix faisait silence en lui, et refusait son service, il ne lui restait donc plus que sa pensée pour célébrer la solennité présente. Et pourquoi ce saint homme qui se trouvait sur le chemin de la grande fête des saints, ne l'aurait-il pas célébrée avec joie? Il leur paie un tribut qui lui sera bientôt payé à lui-même : car un peu de temps encore à attendre et il sera un des leurs. 73. Vers le crépuscule du soir, quand déjà toute la solennité du jour était finie pour nous, Malachie s'approchait non pas du crépuscule, mais de l'aurore de la vie. Ne doit-on pas, en effet, appeler aurore le jour qui va poindre et succéder à la nuit? La fièvre augmentait, une sueur abondante se répandit sur tous ses membres, afin qu'il eût comme passé à travers l'eau et le feu, quand il entrerait dans le lieu du rafraîchissement. Dès lors on commence à désespérer de le sauver; chacun reconnaît qu'il avait mal jugé de l'état du malade et ne doute plus que Malachie n'ait dit vrai au sujet de sa mort. On nous appelle, nous accourons en toute hâte, et lui, levant les yeux sur les assistants, s'exprime en ces termes : « J'ai vivement désiré manger cette pâque avec vous : grâce à la bonté de Dieu, je ne serai point trompé dans mes désirs. » Voyez-vous cet homme plein de sécurité au sein même de la mort et déjà sûr de la vie éternelle avant même d'avoir quitté celle-ci? Mais il ne faut pas s'étonner qu'il en soit ainsi. En voyant venir la nuit qu'il avait appelée de tous ses vœux, et, derrière ses ombres, déjà le jour poindre à ses yeux, il semble triompher d'elle, insulter à ses ténèbres et s'écrier en quelque sorte: « Je ne dirai plus maintenant : Peut-être les ténèbres de la nuit vont-elles triompher de moi, car cette nuit est pleine de délicieuses clartés pour moi. » Puis, nous consolant avec bonté, il nous dit: «Ayez soin de moi et moi, si Dieu m'en fait la grâce, je me souviendrai de vous : Or il me la fera certainement, car j'ai toujours eu foi en Lui et tout est possible à celui qui a la foi. J'ai aimé Dieu et je vous ai aimés or la charité ne peut périr. » Puis levant les yeux au ciel, il continue : «Seigneur Dieu, conservez-les, en votre nom, non-seulement eux, mais encore tous qui se sont à ma voix et par mon ministère consacrés à votre service. » Alors imposant les mains sur chacun de nous, il nous bénit tous et nous ordonne d'aller prendre quelque repos, parce que son heure à lui n'était pas encore venue. 74. Nous y allons en effet, et nous revenons auprès de lui vers le milieu de la nuit ; car c'est l'heure où on nous a dit que la lumière a lui au milieu des ténèbres. La chambre était remplie de monde; toute la communauté était présente, sans compter beaucoup d'abbés qui étaient venus se joindre à nous. Pendant qu'il retournait dans la patrie, nous lui faisions cortège en chantant des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels. Malachie évêque et légat du saint Siège, était dans sa cinquante-quatrième année quand il nous fut enlevé par les anges au jour et à l'endroit qu'il avait choisis et prédits, et s'endormit dans le Seigneur. On peut bien dire en effet qu'il s'endormit, car le calme et la paix que respirait son visage, étaient la preuve du calme et de la paix de sa mort. Tout le monde avait les yeux fixés sur lui, et nul ne put remarquer à quel moment il rendit le dernier soupir. Il était déjà mort qu'on le croyait encore en vie, et il respirait encore que déjà on croyait qu'il n'était plus, tant le passage de l'un à l'autre état fut insensible. C'était toujours la même vie dans la physionomie et la même sérénité sur le visage que s'il eût été endormi; on aurait dit que la mort, au lieu d'y porter atteinte, les avait plutôt augmentées. Mais s'il n'était pas changé, nous l'étions nous, car en un instant, comme par une sorte d'enchantement, les larmes et les gémissements cessèrent parmi nous, la douleur fit place à la joie et les chants d'allégresse aux lamentations. Cependant on l'enlève de sa couche, pendant que nos voix montent au ciel; des abbés le chargent sur leurs épaules et le portent à la chapelle, La foi et l'amour éclatent en cette circonstance et les choses prennent naturellement le tour qu'elles devaient avoir; tout se passe selon l'ordre et la raison. 75. En effet, quelle raison pouvait-on avoir de pleurer plus longtemps Malachie, comme si sa mort n'avait point été une mort précieuse, et plutôt un sommeil qu'une mort, le port même de la mort et la porte de la vie? Malachie, notre ami, dort seulement et moi je verserais des larmes? Elles ne se justifieraient que par l'usage, non point par la raison. Si Dieu a donné à son serviteur bien-aimé un sommeil, mais un sommeil pendant lequel il se verra naître des enfants qui seront l'héritage du Seigneur et trouvera sa récompense dans le fruit de ses entrailles (Psalm., CXXVII, 6), qu'y a-t-il là qui sollicite nos pleurs. Pourquoi pleurerai-je sur celui qui est enfin sorti de la vallée de larmes ? Il est au comble du bonheur, il triomphe, il entre dans la joie de son Seigneur, et moi je verserais sur lui des larmes? J'envie son bonheur, mais je ne le lui envie pas. Cependant on prépare les funérailles ; on offre le saint sacrifice pour lui; enfin on accomplit tout ce qu'on a la coutume de pratiquer en pareil cas, avec la plus grande dévotion. A l'écart se tenait un enfant ayant un bras paralysé, qui lui nuisait beaucoup plus qu'il ne lui était utile. Quand je m'en aperçus, je lui fis` signe de s'approcher, et lui prenant sa main paralysée, je la plaçai sur celle du saint évêque qui lui rendit la vie. Ainsi le don des miracles survivait dans ce mort, et la main d'un mort fut pour cette main morte elle-même, ce que les ossements d'Elisée avaient été pour le corps d'un mort (IV Reg., XIII, 12). Cet enfant était venu de bien loin avec sa main morte et pendante, mais il la remporta saine et guérie quand il retourna dans son pays. Lorsque toutes les cérémonies d'usage furent terminées, on confia à la terre le corps de Malachie dans la chapelle même de Marie la sainte mère de Dieu, où il aimait à venir prier, l'an de l'incarnation de Notre Seigneur onze cent quarante-huit, le troisième jour de novembre. Mais ce dépôt que vous nous avez confié, ô bon Jésus, vous appartient, ce trésor enfoui chez nous est bien votre trésor. Nous le conservons pour vous le rendre le jour où vous le réclamerez, je vous demande seulement qu'il ne quitte jamais ses hôtes et que nous ne cessions point d'avoir pour chef celui que nous avons eu pour commensal, en attendant que nous régnions tous ensemble lui et nous, avec vous dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. *************** Saint Bernard a fait deux sermons sur Malachie, on les trouvera plus loin. |